33
NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN BLANC N°3 Durée de l’épreuve : 5 heures Coefficient de l’épreuve : 3

NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

NOTE DE SYNTHÈSE

SUJET D’EXAMEN BLANC N°3

Durée de l’épreuve : 5 heures

Coefficient de l’épreuve : 3

Page 2: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

2

« La Cour européenne des droits de l’Homme et l’avortement »

• Document n°1 : Diane Roman, « L'avortement devant la Cour EDH : l'Europe contre les femmes et au mépris de son histoire », (note sous CEDH, Gd. Ch., 16 décembre 2010, n° 25579/05, A, B et C c/ Ir-lande), R.D.S.S. 2011 p.293.

• Document n°2 : Décision du Comité des Ministres – 17 mars 1978 (à propos de la requête introduite par Mme Brüggemann et Mme Scheuten contre la République Fédérale d'Allemagne - n° 6959/75)

• Document n°3 : CEDH, 5 septembre 2002, n° 50490/99, Boso c. Italie

• Document n°4 : CEDH, 20 mars 2007, n° 5410/03, Tysiac c/ Pologne

• Document n°5 : CEDH, n° 27617/04, 26 mai 2011, R. R. c/ Pologne

• Document n°6 : CEDH, Gd. Ch., 8 juillet 2004, n° 53924/00, Vo c/ France

• Document n°7 : Edwige Nault, « Irlande, Europe et avortement », La Vie des idées, 29 mai 2015.

Page 3: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

3

Document n°1 : Diane Roman, « L'avortement devant la Cour EDH : l'Europe contre les femmes et au mépris de son histoire », (note sous CEDH, Gd. Ch., 16 décembre 2010, n° 25579/05, A, B et

C c/ Irlande), R.D.S.S. 2011 p.293.

Diane Roman, Professeure de droit, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique. Chercheuse au CREDOF, Université Paris Ouest Nanterre la Défense

Un recul inouï. L'arrêt de la Cour européenne rendu dans sa formation la plus solennelle sonne le glas à la fois de la confiance dans les institutions européennes pour garantir des avancées féministes mais aussi de la démarche volontariste menée par la Cour pour faire produire des effets juridiques aux valeurs majori-taires en Europe. Il n'est d'ailleurs pas étonnant, au regard de l'histoire complexe de l'égalité des droits, que ce soit la cause des femmes qui permette à la Cour de sacrifier ainsi un certain nombre d'acquis jurispru-dentiels qui se voulaient les témoins d'une « conception commune et un commun respect des droits de l'homme » portés par des « Etats européens animés d'un même esprit et possédant un patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit », selon les termes du Préambule de la Convention européenne...

L'objet de ce recul : le droit des femmes à disposer de leur corps, et spécialement à pouvoir interrompre une grossesse non désirée. Le contexte de ces affaires : la législation irlandaise, une des plus restrictives d'Europe, qui interdit et sanctionne pénalement l'avortement, sauf lorsqu'existe un danger avéré pour la vie de la mère. Les faits de l'affaire : trois femmes, résidant en Irlande et dont l'accablement rappellera de vifs souvenirs aux lectrices ayant eu vingt ans en France avant les années 70 et la victoire des combats me-nés par la Cause des Femmes, le MLF ou le Planning familial. Qu'on en juge plutôt : la première requérante, alcoolique abstinente dépressive vivant dans le dénuement et mère de quatre enfants placés a souhaité interrompre une grossesse pour que cette nouvelle naissance n'empêche pas le retour de ses enfants et ne remette pas en cause ses efforts de réinsertion. La deuxième était célibataire, a redouté un moment une grossesse extra-utérine et ne voulait pas, en tout état de cause élever seule un enfant. La troisième requé-rante, en voie de rémission d'un cancer après trois ans de traitement, a craint que sa grossesse ne favorise le retour de sa maladie et que les traitements médicaux subis, alors qu'elle ne se savait pas encore en-ceinte, puissent avoir eu des conséquences sur la santé du foetus. De façon synthétique, la Cour résume ainsi la situation des requérantes : « les requérantes sont allées se faire avorter à l'étranger pour les motifs suivants : la première requérante pour des raisons de santé et de bien-être, la deuxième requérante pour des raisons de bien être, et la troisième requérante essentiellement parce qu'elle craignait que sa grossesse ne mît sa vie en danger » (§ 125). Des affaires distinctes, donc, mêlant ce qui en France relèverait de pro-cédures différentes, interruption volontaire de grossesse pour les unes (1), interruption pour motif médical (2) pour la dernière, mais qui, du fait de la rigueur de la loi irlandaise, ont conduit les trois femmes au même expédient : un déplacement en Angleterre pour avorter dans une clinique spécialisée. Cette solution de dernier recours n'a pas été sans incidence sur la situation des requérantes, placées dans une grande incertitude juridique et psychologique, exposées à une stigmatisation sociale expressément relevée par la Cour (§ 126 et 163), et fragilisées davantage encore par les coûts financiers importants engendrés par un tel déplacement (§ 129).

L'essentiel de l'argumentation au fond a porté devant la Cour sur la question du droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 8. La réponse donnée par la Cour est cinglante : « l'article 8 ne saurait s'inter-préter comme consacrant un droit à l'avortement » (§ 214). Par ce désaveu historique, la Cour peut donner le sentiment de capituler devant une morale réactionnaire très minoritaire en Europe, foulant ainsi aux

Page 4: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

4

pieds non seulement le droit des femmes européennes à disposer de leur corps mais aussi l'ambition de construire une Europe fondée sur des valeurs communes et le respect des droits fondamentaux.

L'affront fait aux femmes

Si l'avortement n'est pas, en soi, un droit conventionnellement garanti, d'après la Cour, c'est en raison de la mise en balance du droit des femmes avec d'autres droits et intérêts concurrents, et spécialement de l'en-fant à naître (§ 213) auquel inviterait la rédaction de l'article 8. Une telle mise en balance suppose toutefois que soit garantie l'intégrité physique et morale des femmes, et qu'à cette fin soient mises en place des procédures effectives et accessibles.

La conciliation entre le droit des femmes au respect de leur vie privée et la protection du fœtus

La Cour a considéré, sans surprise, que « la législation relative à l'interruption de grossesse touchait au do-maine de la vie privée de la femme enceinte » (§ 213). Le principe était déjà acquis de longue date, et avait servi de fondement à la reconnaissance de la conventionalité des législations garantissant l'avortement. Jusqu'alors, la Cour considérait que, quel que soit le motif de l'avortement, elle « doit avant tout tenir compte des droits de la mère, puisque c'est elle qui est essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption » (3). Une telle solution avait pu donner le sentiment à certains commenta-teurs avisés que la juridiction strasbourgeoise devenait une « cour européenne des droits de la femme » (4). La Cour vient de leur donner tort, en ajoutant, dans l'arrêt commenté, que l'article 8 « ne p(eut) s'interpréter comme signifiant que la grossesse et son interruption relèvent exclusivement de la vie privée de la future mère, la vie privée d'une femme enceinte devenant étroitement associée au foetus qui se dé-veloppe ». Et la Cour de préciser que « le droit de la femme enceinte au respect de sa vie privée devrait se mesurer à l'aune d'autres droits et libertés concurrents, y compris ceux de l'enfant à naître ». Certes, la Cour prend soin d'ajouter que la mise en balance ne doit pas conduire à minorer excessivement les droits de la femme (§ 238). Néanmoins, l'arbitrage entre droits et intérêts concurrents relève de choix nationaux qui bénéficient d'une ample marge d'appréciation.

La déception que suscite la lecture de l'arrêt est à la hauteur de l'attente qui l'avait précédée. En effet, dans tous les arrêts rendus jusqu'à ce jour, la Cour avait toujours louvoyé et évité de trancher la question de savoir s'il existait, de façon générale, un droit conventionnel à pouvoir avorter (5). La réponse est désormais certaine : un tel droit est refusé aux femmes. Les Etats du Conseil de l'Europe qui incriminent toujours l'avortement (Saint Marin, Malte, Andorre) ou qui ne l'autorisent que dans des hypothèses extrêmes où la vie de la femme est menacée par une grossesse (Irlande, Pologne) sont libres, sous certaines réserves, de maintenir cette solution archaïque.

Pour asseoir la légitimité de cette solution, la Cour n'hésite pas à user de certains artifices et affirme se rattacher à sa jurisprudence passée, donnant ainsi une illusion de continuité à sa jurisprudence. Or, la réfé-rence aux arrêts antérieurs de la Cour paraît un argument cosmétique particulièrement grossier tant la solution de l'affaire ABC est en rupture avec trois solutions jurisprudentielles constantes.

• D'abord, car jusqu'à ce jour, la Cour avait constamment posé le principe que ni l'embryon ni le foetus n'étaient titulaires d'un droit à la vie (6). Or, l'arrêt tend ni plus ni moins à revenir sur cette solution tradi-tionnelle en considérant que « l'enfant à naître » dispose de droits opposables à la femme et qu'il convient de concilier les uns et les autres. Le sujet, certes, est délicat, la question de la détermination du commen-cement de la vie et de la personnalité juridique étant polémique. « On ne saurait douter », selon la Cour, « de l'extrême sensibilité des questions morales et éthiques soulevées par la question de l'avortement ni de l'importance de l'intérêt général en jeu » (§ 233). La preuve de l'embarras juridictionnel se mesure à l'ambiguïté, non dénuée de contradiction, de la motivation retenue, la Cour n'hésitant pas à affirmer que « le droit de la femme enceinte au respect de sa vie privée devrait se mesurer à l'aune d'autres droits et li-

Page 5: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

5

bertés concurrents, y compris ceux de l'enfant à naître » (§ 213), puis d'affirmer, au cas d'espèce, qu'« il n'y a pas lieu de rechercher (...) si le mot autrui qui figure à l'article 8 § 2 englobe l'enfant à naître » (§ 228).

• Ensuite, car jusqu'à cette décision, la Cour s'était fait fort de construire un droit à l'autonomie personnelle et au développement personnel (7) conçu largement : droit de disposer de son corps (8), droit à l'intégrité physique et morale de la personne (9), droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir pa-rent (10). La notion d'autonomie personnelle, entendue « au sens du droit d'opérer des choix concernant son propre corps » (11), avait été portée haut et fort par la Cour de Strasbourg, dans des domaines divers : sexualité, refus de soin, changement d'identité. Cette jurisprudence audacieuse de la Cour était sa « marque de fabrique », qu'elle ait suscité la critique (12) ou l'adhésion (13) de la doctrine. Elle avait contri-bué à faire évoluer les législations nationales vers plus de tolérance et de respect de l'intimité, en trans-formant radicalement la notion de vie privée, d'un droit d'être seul en un droit à l'épanouissement person-nel et social. La Cour avait poussé la sollicitude jusqu'à déduire de la Convention non seulement la possibi-lité d'effectuer des choix radicaux, tels que les opérations de conversion sexuelle pour les personnes tran-sidentitaires, mais aussi la nécessité de favoriser la prise en charge par les systèmes de protection sociale du coût financier de telles opérations (14). On voit ici les limites du libéralisme de la Cour, qui choisit de faire des pratiques sadomasochistes ultra violentes un droit conventionnellement protégé (15) et de refu-ser aux femmes le droit de maîtriser leurs facultés procréatives et leur projet de vie familiale...

• Enfin, régression car la Cour semblait s'être engagée en faveur de la reconnaissance des droits des femmes : l'ouverture du droit international à l'approche féministe est connue (16). La Convention pour l'élimination des discriminations contre les femmes a aujourd'hui plus de trente ans et les travaux du Co-mité chargé de son application ont largement influencé les options du droit international en faveur de l'égalité entre hommes et femmes, spécialement en matière de choix procréatifs (17) ; la question de l'éga-lité entre les sexes occupe une place d'importance dans la législation de l'Union européenne depuis autant de temps et les travaux du Conseil de l'Europe ont fait de la reconnaissance des droits des femmes une priorité. Même si la Cour a pu donner l'impression d'être moins sensible à cette thématique, notamment dans son premier avis consultatif sur l'accès des femmes à la fonction de juge européen (18), différentes affaires semblaient témoigner d'un intérêt accru pour les questions de genre, en consacrant par exemple un droit des femmes à choisir les modalités de leur accouchement, au nom d'un droit à disposer de leur corps (19), un droit à une protection contre les violences domestiques (20) ou encore une interdiction cir-constanciée des expulsions vers les pays où les droits des femmes sont gravement méconnus (21). L'égalité entre les sexes a également été reconnue par la Cour européenne comme l'un des principes essentiels sous-jacents à la Convention et un objectif des Etats membres du Conseil de l'Europe (22). Avec l'arrêt A, B et C, ce sont les limites du féminisme de la Cour que l'on mesure...

La confirmation d'une obligation positive : un (faible) lot de consolation procédurale

Il est toutefois un point pour lequel la Cour se situe pleinement dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure : celui de ce que l'on peut appeler l'interruption médicale de grossesse, qui avait donné lieu en 2007 à une condamnation de la Pologne dans l'affaire Tysiac (23).

La situation de la troisième requérante irlandaise appelle en effet une réponse nuancée de la Cour, en rai-son de la situation médicale particulière qui était la sienne. L'interruption de grossesse avait été motivée par l'état de santé de la femme, en rémission d'un cancer. Cette particularité est soulignée par la Cour et justifie la censure du droit irlandais, à la suite d'un examen attentif de la législation irlandaise et de la juris-prudence nationale. Depuis un arrêt de 1992 (24), la Cour suprême irlandaise admet en effet qu'un avor-tement soit pratiqué en cas de « risque réel et sérieux pour la vie » de la future mère. Mais la solution ju-risprudentielle n'a jamais été consacrée et mise en oeuvre par la loi nationale. Or, faute de législation ulté-rieurement édictée à ce sujet, de nombreux doutes subsistent en Irlande sur la portée de cette exception et

Page 6: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

6

les conditions de son usage. Cette incertitude permet à la Cour européenne d'aborder ces circonstances sous l'angle de « l'obligation positive de garantir à leurs citoyens le droit à un respect effectif de leur inté-grité physique et morale » dérivée de l'article 8, une telle obligation pouvant impliquer « la mise en place d'une procédure effective et accessible en vue de protéger le droit à la vie privée » (§ 245). En l'espèce, la Cour constate que l'Etat défendeur n'a pas mis en place une telle procédure qui aurait permis à la requé-rante de faire établir si elle avait ou non le droit de se faire avorter en Irlande (§ 246, § 263). Reprenant les différents critères utilisés dans l'affaire Tysiac c/ Pologne, la Cour examine les procédures ouvertes par le droit irlandais permettant à une femme de savoir si elle remplit les conditions requises pour avorter léga-lement en Irlande, qui sont donc de savoir si sa vie est menacée. La première procédure est médicale : or, la cour relève que les critères du « risque réel et sérieux pour la vie » de la femme enceinte n'ont jamais été précisés, laissant ainsi au médecin un pouvoir d'appréciation d'autant plus discrétionnaire qu'il n'existe aucun cadre qui permettrait d'examiner les divergences d'opinion entre une femme et son médecin ou entre les différents médecins consultés (§ 253). En réalité, le pouvoir discrétionnaire du corps médical ir-landais est contraint par les procédures disciplinaires et les sanctions dont ils sont menacés et qui consti-tuent « un fort élément dissuasif tant pour les femmes que pour les médecins » (§ 254). L'autre voie per-mettant aux femmes de bénéficier d'un avortement en cas de danger pour leur vie est tout aussi insuffi-sante, puisqu'elle est judiciaire et suppose une saisine de la Cour constitutionnelle irlandaise (§ 256-257). La Cour européenne relève avec un certain pragmatisme que l'« on ne saurait raisonnablement exiger d'une femme qu'elle engage une procédure constitutionnelle aussi compliquée alors qu'elle peut faire valoir au regard de la Constitution un droit incontestable à subir un avortement en cas de risque avéré pour sa vie » (§ 259) et qu'en tout état de cause, « les juridictions constitutionnelles ne fournissent pas le meilleur cadre pour déterminer si une femme remplit les conditions pour avorter légalement dans un Etat » (§ 258).

En définitive, les insuffisances du droit irlandais encourent ainsi une censure pour violation de l'« obligation positive d'assurer à l'intéressée un respect effectif de sa vie privée » (§ 267). Mais il convient d'insister sur le fait que la censure du système irlandais est ici marginale, voire paradoxale : l'Irlande est condamnée à Strasbourg à propos du seul progrès significatif que cet Etat a pu faire sur le droit à l'avortement. Car par ailleurs, le principe posé par la Cour est bel et bien un refus de reconnaître un droit conventionnel à l'avor-tement et les droits procréatifs des femmes sont désormais nettement à la merci des choix qua-si-souverains de chaque Etat Partie (25). La solution retenue est non seulement un affront fait aux femmes, mais aussi un affront fait à l'idée fondatrice du Conseil de l'Europe.

L'affront fait à l'Europe

La plupart des droits garantis par la Convention admettent certes que des limitations leur soient fixées, lorsqu'elles poursuivent un but légitime. En l'espèce, l'ingérence litigieuse dans le droit au respect de la vie privée était motivée par la morale, « dont la défense du droit à la vie de l'enfant à naître constitue un as-pect en Irlande » (§ 227). Un tel motif avait déjà été examiné dans le passé par la Cour, à propos de la légi-slation irlandaise au regard de la liberté d'expression (26) : il prend ici toute sa force, la Cour semblant re-noncer à porter des valeurs européennes autres que celle, minimaliste, de la libre circulation des per-sonnes...

Le refus de reconnaître l'existence d'un consensus européen et la consécration de la souveraineté des conceptions morales nationales

La Cour insiste sur ce point : le droit au respect de la vie privée n'est pas absolu et peut être limité par le respect d'intérêts concurrents, mentionnés à l'article 8 § 2, parmi lesquels la Convention range la morale. La référence à la morale comme motif de restriction aux droits conventionnels est un sujet hautement sen-sible, qui conduit la cour sur un « terrain délicat » (27). Il est vrai que les rapports du droit et de la morale sont « un très vieux problème qui, déjà, préoccupait la philosophie occidentale en ses premiers élans » (28).

Page 7: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

7

Et les différentes affaires dans lesquelles l'invocation de la morale a pu être faite par la Cour portaient à chaque fois sur des questions qui ont pu, à un moment ou un autre, faire débat : éducation sexuelle à l'école (29), pénalisation de l'homosexualité (30) et du sadomasochisme (31), déplacement des cendres mortuaires (32), transsexualisme (33) interdiction de l'inceste (34), pornographie (35) ou interdiction de l'information sur l'avortement (36). Confrontée à cette difficulté, la Cour a pu donner le sentiment de ne pas avoir une position de principe arrêtée. La comparaison d'affaires assez similaires, portant sur la répres-sion pénale de pratiques sexuelles sadomasochistes en témoigne (37) : dans un premier arrêt, elle a pu prévoir expressément la possibilité pour l'Etat de se fonder sur la protection de la morale ; dans un second, elle a exclu toute référence à ce point malgré son invocation par l'Etat défendeur.

La répugnance de la Cour à pénétrer sur ce terrain mouvant explique le choix d'un self restraint juridiction-nel et le renvoi à la marge nationale d'appréciation (38) : « les autorités de l'Etat se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le "contenu précis des exigences de la mo-rale" comme sur la nécessité d'une restriction destinée à y répondre » (§ 223). L'argument semble d'auto-rité : faute de pouvoir identifier « dans les ordres juridiques et sociaux des Etats contractants une notion européenne uniforme de la morale, notamment sur la question de savoir quand la vie commence », la compétence de la Cour cèderait devant la marge d'appréciation reconnue aux Etats. Or, en l'espèce, la Cour tient pour acquis le caractère intrinsèquement immoral de l'avortement en Irlande. Pour la Cour, la situa-tion juridique irlandaise refléterait « les valeurs morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie et, par conséquent, la nécessité de protéger la vie de l'enfant à naître » (§ 230).

Un tel choix prétorien laisse perplexe, pour trois raisons au moins.

D'abord, car si ici la Cour met en avant plusieurs indices pour affirmer que telles valeurs existent, l'appré-ciation et l'identification de ces valeurs manquent souvent de rigueur. Dans cette affaire, comme dans d'autres (39), elle apprécie l'existence de « ces valeurs morales profondes » à l'aune d'éléments non irréfu-tables : notamment, la Cour ne tient pas compte, dans son raisonnement, d'un fait qu'elle rappelle pourtant (§ 224) : depuis 1983, le peuple irlandais n'a pas été consulté par referendum sur un éventuel élargisse-ment du droit à l'avortement. Les consultations référendaires de 1992 et 2002 ont, au contraire, refusé de restreindre les faibles possibilités de recourir à l'avortement et autorisé les femmes à se rendre à l'étranger pour avorter. Mais pour la Cour, le rejet par le peuple irlandais du traité de Lisbonne pourrait être inter-prété comme un indice du rejet de toute libéralisation de l'avortement (§ 225)... L'analyse politique est pour le moins rapide...

Ensuite, car il est toujours paradoxal de conditionner - in fine - un droit aussi éminemment personnel et individuel que le droit à l'avortement sur des valeurs morales qui sont peut-être réelles mais ne sont que majoritaires. Or la Cour souligne constamment que « bien qu'il faille parfois subordonner les intérêts d'indi-vidus à ceux d'un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité; elle commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d'une position dominante » (40).

Enfin, et surtout car jusqu'à cet arrêt, la jurisprudence de la Cour a toujours semblé soucieuse d'atténuer certaines des virtualités propres à la notion de morale et favorables à la liberté de l'Etat partie (41). No-tamment, une des techniques auxquelles la Cour a le plus eu recours a été de rechercher l'existence d'un éventuel consensus en Europe, consensus qui joue le rôle d'un instrument de limitation de la marge d'ap-préciation. « Lorsqu'un aspect particulièrement important de l'existence ou de l'identité d'un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l'Etat est de façon générale restreinte. En revanche, la marge d'apprécia-tion sera plus ample lorsqu'il n'existe pas de consensus entre les Etats membres du Conseil de l'Europe sur l'importance relative de l'intérêt en jeu ou sur la meilleure façon de le protéger, en particulier lorsque l'af-faire soulève des questions morales ou éthique délicate » (§ 232) (42). L'utilisation du consensus européen

Page 8: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

8

comme test de la conformité de l'ingérence aux exigences de la Convention permettait ainsi à la Cour d'exiger de la part des Etats dont la législation se singularise des justifications particulières. Ainsi, dans un arrêt Marper c/ Royaume Uni (43), le caractère exceptionnel de la législation britannique en matière de fichiers d'informations génétiques avait été relevé par la Cour : « le fort consensus qui existe à cet égard au sein des Etats contractants revêt une importance considérable et réduit la marge d'appréciation dont l'Etat défendeur dispose pour déterminer jusqu'où peut aller l'ingérence dans la vie privée permise dans ce do-maine. La Cour considère que tout Etat qui revendique un rôle de pionnier dans l'évolution de nouvelles technologies porte la responsabilité particulière de trouver le juste équilibre en la matière ».

Or, précisément, un tel consensus existe en Europe en matière d'avortement, aussi bien à l'échelle euro-péenne que nationale. A l'échelon européen tout d'abord : différentes résolutions du Parlement européen recommandent, « pour protéger la santé et les droits génésiques des femmes, que l'avortement soit légali-sé, sûr et accessible à tous » (44). A l'échelon national : tous les Etats européens, à quelques exceptions, autorisent l'interruption de grossesse. La Cour ne méconnaît pas cet état du droit européen lorsqu'elle re-lève expressément qu' « une tendance en faveur de l'autorisation de l'avortement pour des motifs plus larges que ceux prévus par le droit irlandais » est observée « dans une majorité substantielle des Etats membres du Conseil de l'Europe » (§ 235). Partout ou presque en Europe, les trois requérantes auraient pu bénéficier d'une interruption de grossesse. Le consensus européen existe bien, et il est résolument en fa-veur de la reconnaissance d'un droit des femmes à disposer de leur corps. En toute logique, et conformé-ment à la jurisprudence antérieure, ce consensus européen aurait du être considéré comme un facteur de limitation de la marge nationale d'appréciation et même, plus en amont, être un terrain propice à la consé-cration d'un véritable droit conventionnel à l'avortement. Mais la Cour, rompant avec la jurisprudence an-térieure, se refuse à tirer les conséquences de sa propre constatation et de « considérer ce consensus comme un facteur décisif » (§ 237) : dans un raisonnement complexe, et sévèrement critiqué par les juges dissidents (45), la grande chambre considère que le consensus européen en faveur d'un droit des femmes à pouvoir choisir de mener à terme ou non une grossesse doit être contrebalancé par l'absence de « consen-sus européen [...] sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie » (§ 237) : « dès lors qu'on accorde aux Etats une marge d'appréciation en matière de protection de l'enfant à naître, il faut nécessai-rement leur laisser aussi une marge d'appréciation quant à la façon de ménager un équilibre entre cette protection et celle des droits concurrents de la femme enceinte. Il s'ensuit que, même si l'examen des légi-slations nationales semble indiquer que la plupart des Etats contractants ont résolu le conflit entre les dif-férents droits et intérêts en jeu dans le sens d'un élargissement des conditions d'accès à l'avortement, la Cour ne saurait considérer ce consensus comme un facteur décisif pour l'examen du point de savoir si l'interdiction de l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être en Irlande a permis de ménager un juste équilibre entre les droits et intérêts en présence, même dans le cadre d'une interprétation évolutive de la Convention » (§ 237). Le raisonnement est spécieux, car quand bien même le foetus serait un enfant à naître bénéficiant d'un intérêt protégé à voir sa vie maintenue, ce « droit » du foetus ne pourrait avoir va-leur absolue et s'imposer à la femme (46).

Que conclure d'une telle solution ? Soit l'arrêt est un cas d'espèce, et la jurisprudence de la Cour euro-péenne des droits de l'Homme continuera à oeuvrer en faveur d'un rapprochement des législations natio-nales en vertu de l'idée que l'Europe est aussi une communauté de valeurs, fondée sur l'Etat de Droit et les droits de l'Homme. Auquel cas, ce ne sera jamais que la moitié des européens, en l'occurrence celle fémi-nine, qui sera exclue de ce projet ambitieux... Ladite population est certes habituée à ce que les droits de l'Homme ne la concernent qu'imparfaitement. Mais on aurait pu espérer mieux d'une juridiction qui s'est prétendue gardienne de l'égalité entre hommes et femmes (47)... Soit l'arrêt est de principe et repose sur un changement de cap assumé par la Cour : auquel cas, c'est bien le projet du Conseil de l'Europe lui-même qui aura été enterré. Serait confirmée ici une tendance en filigrane de la jurisprudence européenne, ten-

Page 9: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

9

dant à se faire moins la gardienne de l'égalité des droits que de l'équité des situations.

La construction d'une Europe minimaliste : l'Europe de la libre circulation consacrée...

Si le dispositif irlandais est pour l'essentiel validé, hormis la situation d'une interruption de grossesse pour des raisons médicales, c'est en substance parce que les femmes enceintes irlandaises disposent de la possi-bilité de se rendre à l'étranger, et spécialement au Royaume-Uni, pour interrompre une grossesse non dé-sirée. La Cour souligne en effet que « le droit irlandais interdit que soient pratiqués en Irlande des avorte-ments motivés par des considérations de santé ou de bien-être, mais il autorise les femmes qui, comme les première et deuxième requérantes, souhaitent avorter pour ce type de motifs à se rendre dans un autre Etat à cet effet » (§ 239). Elle rappelle notamment que « les treizième et quatorzième amendements à la Constitution ont levé tout obstacle juridique empêchant des femmes adultes de se rendre à l'étranger pour y subir un avortement et d'obtenir des informations en Irlande à cet égard. Des mesures législatives ont ensuite été adoptées pour assurer la diffusion d'informations et de conseils concernant, notamment, les options offertes - dont les services d'avortement disponibles à l'étranger - et le suivi médical nécessaire avant et, surtout, après une interruption de grossesse » (§ 239). L'échappatoire que constitue l'exil médical est élevée au rang « d'une mise en balance proportionnée des intérêts concurrents en jeu » (§ 238) (48). « En conséquence, considérant que les femmes en Irlande peuvent sans enfreindre la loi aller se faire avorter à l'étranger et obtenir à cet égard des informations et des soins médicaux adéquats en Irlande, la Cour es-time qu'en interdisant sur la base des idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie et la protection à accorder en conséquence au droit à la vie des enfants à naître l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être sur son territoire, l'Etat irlandais n'a pas excédé la marge d'appréciation dont il jouit en la matière » (§ 240). En somme, et en résumant, dès lors que la libre circulation des per-sonnes et des informations est assurée, la Cour considère que les droits sont respectés (49).

Il y a lieu de s'interroger sur une telle solution, qui parait aux antipodes du projet du Conseil de l'Europe. Elle conduit à une réorientation notable de ce projet : les droits de l'Homme (et en l'occurrence ceux des femmes) seraient saufs dès lors que seraient respectés des principes libéraux minimalistes, qui pourraient relever de deux catégories : des principes procéduraux formels et des principes d'équité.

Des principes procéduraux, d'abord : une législation nationale sera déclarée conforme à la Convention si le régime juridique qu'elle instaure revêt certaines qualités : sécurité juridique, prévisibilité de la loi, recours judiciaires via la théorie des obligations positives (V. supra). En matière d'interruption de grossesse pour des raisons médicales, la lecture conjuguée des arrêts Tysiac c/ Pologne et A, B et C c/ Irlande souligne l'importance de ce point.

Des principes d'équité, ensuite : la jurisprudence strasbourgeoise relative à la bioéthique en général, et aux droits génésiques en particulier, se satisfait fort bien de standards minimalistes. Insistant sur la marge d'appréciation reconnue aux Etats, elle ne leur reconnaît in fine qu'une obligation minimale : mettre en place un système législatif et non discriminatoire (50), qui assure aux acteurs juridiques un certain « fair play ». La Convention européenne est considérée comme sauve dès lors que l'information médicale est accessible et le consentement donné. Ce qu'illustre l'arrêt A, B et C, qui ne fait sur ce point que reproduire les principes de l'arrêt Evans (51), relatif à la possibilité pour une femme devenue stérile de bénéficier de l'implantation d'embryons congelés. Peu importe, sur le fond, que le consentement de Mme Evans ait été vicié par des contraintes matérielles évidentes ; peu importe également que les requérantes A et B n'aient pu accéder qu'avec angoisse et incertitude à un service médical qu'elles jugeaient indispensable ; peu im-porte enfin les conséquences financières de cet exode médical pour des personnes dont le dénuement est expressément reconnu par la Cour. Comme dans l'affaire Tremblay (52), où la Cour a refusé de prendre en compte la situation de dénuement de la requérante se prostituant pour apurer ses dettes fiscales, la Cour s'en tient à une vision libérale du droit, qui consiste à réputer égaux et capables des individus indépen-

Page 10: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

10

damment des conditions matérielles effectives dans lesquelles s'incarnent leur situation... Il arrive certes que la Cour prenne en compte la situation matérielle des personnes. Dans l'affaire Dickson, par exemple, elle a pu considérer que l'impossibilité pour un détenu de bénéficier d'une assistance médicale à la pro-création était caractéristique d'une « politique (...) plaç(ant) d'emblée la barre tellement haut qu'elle a ex-clu toute mise en balance des intérêts privés et publics en présence et tout examen, par le ministre ou par les tribunaux internes, de la proportionnalité tel que requis par la Convention » (53). Mais il s'agissait en l'espèce de détenus, à la condition desquels la Cour porte, à juste titre, une attention particulière. Pour les personnes bénéficiant d'une liberté de mouvement, c'est une autre tonalité qui prévaut. La liberté de cir-culation des personnes, jointe à la libre circulation des services, est parée de toutes les vertus. C'est finale-ment à la même solution qu'avait abouti la Cour de justice des communautés européennes dans l'affaire Grogan (54) : la Cour de justice avait alors qualifié de prestations de service l'acte médical abortif tout en considérant que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un Etat interdise la diffusion sur son terri-toire d'informations concernant les cliniques pratiquant légalement l'IVG dans un autre Etat membre de la Communauté, dès lors que ces informations sont données par des tiers (en l'occurrence militants pro-choice) sous entendant implicitement mais nécessairement que l'information donnée par les cliniques elles-mêmes ne saurait être limitée.

Or, un tel choix peut se comprendre au regard de la logique communautaire, dont l'objet même est d'assu-rer un marché intérieur (55). Il perd sa justification dans l'économie de la Convention européenne. Juger qu'une atteinte aux droits fondamentaux est admissible dès lors qu'il est possible d'émigrer en Europe vers des terres plus respectueuses du respect de la vie privée est une curieuse conception du projet politique européen... C'est bien ce que vient de consacrer l'arrêt A, B et C : un libre marché des droits de l'Homme. Au mépris des droits des femmes et du projet européen.

(1) CSP, art. L. 2212-1 et s.

(2) CSP, art. L. 2213-1 et s.

(3) CEDH 5 sept. 2002, Boso c/ Italie, n° 50490/99 (irrecevabilité) ; avant cela : Com. EDH 19 mai 1976, Brüggemann et Scheuten c/ Allemagne, n° 6959/75, DR 10, p. 103.

(4) J.-P. Marguénaud, Quand la Cour de Strasbourg joue le rôle d'une Cour européenne des droits de la Femme : la question de l'avortement, RTD civ. 2003. 37.

(5) CEDH 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne, n 5410/03, D. 2007. 2648, note P. Hennion-Jacquet; RTDH 2007. 885, note J.-M. Larralde ; JCP 2007, 17, p. 36, note B. Mathieu ; JDI 2008. 807, note C. Renaut ; RDSS 2007. 643, note D. Roman; JCP 2007, n° 36, p. 27, note F. Sudre ; § 104 : « la Cour n'a pas en l'espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à l'avortement ».

(6) Le principe fut posé à l'égard de l'enfant in utero (CEDH 8 juill. 2004, Vo c/ France, n° 53924/00 ; RDP 2005. 1417, note X. Bioy ; JCP 2004. II. 10158, note M. Levinet ; D. 2004. 2801, chron. E. Serverin) et de l'embryon in vitro (CEDH 10 avr. 2007, Evans c/ Royaume-Uni, n° 6339/05 ; RDC, n° 4, 2007. 1321-1331, note F. Bellivier, Ch. Noiville ; RTDH 2008. 879, note N. Gallus ; RTD civ. 2007. 545, note J. Hauser; RTD civ. 2007. 295, note J.-P. Marguénaud; Rev. Lamy Dr. civil, 2007, n° 38, p. 50, note G. Marraud des Grottes ; RDSS 2007. 810, note D. Roman).

(7) CEDH 29 avr. 2002, Pretty c/ RU, 2002 n° 2346/02, § 61, CEDH 2002-III, in F. Sudre et al., Les grands ar-rêts de la CEDH, PUF, 2009 (ci après GACEDH), n° 43.

(8) CEDH 17 févr. 2005, KA et AD, 42758/98 et 45558/99, § 83 « Le droit d'entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d'autonomie personnelle ».

Page 11: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

11

(9) Arrêt Tysiac, préc., § 107.

(10) Arrêt Evans, préc., § 71.

(11) Arrêt Pretty, préc., § 66.

(12) B. Edelman, Naissance de l'homme sadien, Droits, 2009. 107 ; B. Edelman, La Cour européenne des droits de l'homme : une juridiction tyrannique ?, D. 2008. 1946; M. Fabre-Magnan, Le sadisme n'est pas un droit de l'homme, D. 2005. 2973; M. Levinet, La notion d'autonomie personnelle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Droits, n° 49, 2009. 3.

(13) O. Cayla, Le plaisir de la peine et l'arbitraire pénalisation du plaisir, in D. Borillo et D. Lochak (dir.), La liberté sexuelle, PUF , 2005 ; E. Dreyer, La dignité opposée à la personne, D. 2008. 2730; J.- P. Marguénaud, Sadomasochisme et autonomie personnelle, RTD civ. 2005. 341; D. Roman, La liberté sexuelle et les juges, D. 2005. 150; D. Roman, A corps défendant, La protection de l'individu contre lui-même, D. 2007. 1284.

(14) CEDH 12 juin 2003, Van Kück c/ Allemagne, n° 35968/97, RTD civ. 2004. 361, note J.-P. Marguénaud; 8 janv. 2009, Schlumpf c/ Suisse, n° 29002/06.

(15) KA et AD, préc.

(16) H. Ruiz-Fabri et E. Jouannet (dir.), Féminisme et droit international, Collection de l'UMR de droit com-paré de Paris, à paraître ; K. Knop (dir.), Gender and Human Rights, Oxford University Press, 2006, p. 113-151.

(17) CEDEF, Recommandation générale n° 24 (1999), « Article 12 de la CEDEF - les femmes et la santé » ; V. A. Demirdjian, L'avortement et les droits de la femme sous le droit international, Revue québecoise de droit international, 2001, n° 14.2, p. 83.

(18) Avis consultatif sur certaines questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées en vue de l'élection des juges de la Cour européenne des droits de l'homme, 12 févr. 2008.

(19) CEDH 14 déc. 2010, Ternovszky c/ Hongrie, req. n° 67545/09 (commentaire à paraître, RDSS 2011, n° 3).

(20) CEDH 9 juin 2009, Opuz c/ Turquie, n° 33401/02 spéc. § 191, JCP 2009, n° 29, p. 36, chr. F. Sudre ; 12 juin 2008, Bevacqua and S. c/ Bulgarie, n° 71127/01.

(21) CEDH 20 juill. 2010, N. c/ Suède, n° 23505/09 (expulsion vers l'Afghanistan).

(22) CEDH, Gde ch., 10 nov. 2005, Leila Sahin c/ Turquie, 44774/98, § 115 ; RTDH 2006. 183, note L. Bur-gorgue-Larsen et E. Dubout ; JDI 2006. 1146, note C. de La Hougue ; AJDA 2006. 315, note G. Gonzalez; JCP 2006, n° 5, p. 187, chr. F. Sudre ; CEDH, 1re sect., 7 oct. 2010, Konstantin Markin c/ Russie, n° 30078/06, § 49, Actualités Droits et Libertés du 8 oct. 2010, JCP 2011, n° 4, p. 182, chr. F. Sudre.

(23) Arrêt Tysiac, préc.

(24) Cour suprême irlandaise, arrêt. X. du 26 févr. 1992. Par cette affaire, la Cour suprême irlandaise avait estimé que l'art. 40.3.3 de la Constitution pouvait ouvrir la voie à l'avortement lorsque, comme au cas d'espèce, il s'agissait d'une adolescente de 14 ans enceinte à la suite d'un viol et où la menace d'un suicide était évoquée.

(25) La seule incertitude demeurant est celle de savoir si un Etat qui interdit totalement l'interruption de grossesse même pour des raisons médicales mais n'incrimine pas le fait pour la femme de bénéficier d'un tel service médical à l'étranger est conforme à la Convention (V. en ce sens N. Hervieu, note Actualité Droits et Libertés, 17 déc. 2010).

Page 12: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

12

(26) CEDH 29 oct. 1992, Open Door et Dublin Well Woman c/ Irlande, n° 14234/88, GACEDH, n° 70.

(27) J.-M. Larralde, L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et la protection de l'identité sexuelle, RTDH, n° 65, 2006. 40.

(28) S. Goyard-Fabre, Les rapports du droit et de la morale aujourd'hui, in F. Dermange et L. Flachon (Dir), Éthique et droit, Genève, Labor et Fides, 2002, p. 19 ; O. Pfersmann, Droit et morale, in Dictionnaire de la culture juridique.

(29) CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, Série A, n° 24, GACEDH, n° 7.

(30) V. not. CEDH 22 oct. 1981, Dudgeon c/ Royaume-Uni, Série A, n° 45, GACEDH, n° 42.

(31) CEDH 20 janv. 1997, Laskey, Jaggard et Brown c/ Royaume-Uni, n° 21627/93, RTDH 1997. 733, note M. Levinet.

(32) CEDH 17 janv. 2006, Elli Poluhas Dödsbo c/ Suède, n° 61564/00, RTD civ. 2006. 260, note J.-P. Mar-guénaud.

(33) CEDH 25 mars 1992, B. c/ France, A 232 C ; CEDH, Gde ch., 11 juill. 2002, Christine Goodwin c/ RU, GA-CEDH, n° 43.

(34) CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ RU, n° 36536/02.

(35) CEDH 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, n° 10737/84, GACEDH, n° 58.

(36) Arrêt Open Door, préc.

(37) Arrêts Laskey et K. A. et A. D. préc.

(38) P. Lambert, Marge nationale d'appréciation et contrôle de proportionnalité, in F. Sudre (dir.), L'inter-prétation de la Convention européenne des droits de l'homme en Europe, Bruxelles, Bruylant, Némésis, 1998, p. 63-89 ; M.-L. Mathieu-Izorche, La marge nationale d'appréciation, enjeu de savoir et de pouvoir, ou jeu de construction ?, RSC 2006. 25; C. Picheral et A. D. Olinga, La théorie de la marge d'appréciation dans la jurisprudence récente de la cour européenne des droits de l'homme, RTDH 1995. 567 ; F. Tulkens, L. Don-nay, L'usage de la marge d'appréciation par la Cour européenne des droits de l'homme, RSC 2006. 3; S. Van Drooghenbroeck, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, Prendre l'idée simple au sérieux, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 483-548 ; P. Wachsmann, Une certaine marge d'appréciation - Considérations sur les variations du contrôle européen en matière de liberté d'expression, in Mélanges Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 1017-1042.

(39) N. Hervieu, Les fonctions des références à la morale dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Mémoire Master 2, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, 2008, p. 50 et s.

(40) CEDH 13 août 1981, Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, n° 7601/76, § 63.

(41) Pour une analyse approfondie, V. N. Hervieu, mémoire précité ; adde récemment CEDH 16 févr. 2010, Akdas c/ Turquie, n° 41056/04 (interdiction des oeuvres traduites d'Apollinaire, liberté d'expression ; CEDH 21 oct. 2010, Alexeïev c/ Russie, n° 4916/07 (interdiction de la gaypride, liberté de réunion, frappé d'appel).

(42) Arrêts Evans, précité, § 77 ; Dudgeon, précité, § 52 ; Goodwin, précité, § 90 ;

(43) CEDH 4 déc. 2008, S. et Marper c/ Royaume-Uni, n° 30562/04 et 30566/04 ; RSC 2009. 182, note J.-P. Marguénaud; RFDA 2009. 741, note S. Peyrou-Pistouley; JCP 2009. 27, n° 3, chr. F. Sudre.

(44) Résolution sur la santé et les droits sexuels et génésiques, 3 juill. 2002, 2001/2128(INI), § 12.

Page 13: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

13

(45) Ainsi que le soulignent à juste titre les juges partiellement dissidents, la réintroduction dans le raison-nement de « la délicate question du "commencement de la vie", à laquelle [la Cour] n'a du reste pas réel-lement les moyens de répondre » semble assez artificielle car, sans même avoir à trancher une telle ques-tion, on « peut mettre en balance, d'une part, le droit à la vie du foetus, et, d'autre part, le droit à la vie ou le droit à l'autonomie et au développement personnels de la femme enceinte, et considérer que le premier pèse moins que les seconds » (§ 2).

(46) V. pour une démonstration en ce sens, l'expérience de pensée de Judith Jarvis Thomson, A defense of abortion, 1971, trad. Une défense de l'avortement, Raisons politiques 4/2003, p. 3. L'auteure constate qu'une bonne part de l'opposition à l'avortement se fonde sur la prémisse suivant laquelle le foetus est un être humain dès l'instant de sa conception. A partir de là, les adversaires de l'avortement considèrent que, puisque toute personne a droit à la vie, le foetus a donc droit à la vie. Construisant un raisonnement par analogie (celle d'un violoniste malade qu'on brancherait de façon coercitive sur le corps d'un cobaye), J.J Thomson démontre que l'avortement ne constitue pas une violation du droit du foetus à la vie, mais le prive simplement de quelque chose - l'usage du corps de la femme enceinte- sur lequel il n'a pas de droit particulier.

(47) Arrêt Leila Sahin, préc.

(48) Et permet même d'écarter lapidairement le grief tiré de l'art. 2 évoqué par la troisième requérante (§ 159) au motif essentiellement que sa vie n'a pas été menacée car... elle « n'a rencontré aucune barrière juridique pour aller avorter à l'étranger » (§ 158).

(49) Sur la libre circulation des idées et informations, cette fois-ci favorable à l'avortement, V. CEDH 3 févr. 2009, Women On Waves et autres c/ Portugal, n° 31276/05, § 42, Actualités droits et libertés du 3 févr. 2009.

(50) CEDH 1er avr. 2010, SH c/ Autriche, n° 57813/00 (frappé d'appel), § 74.

(51) Arrêt Evans, préc.

(52) CEDH 11 sept. 2007, Tremblay c/ France, n° 37194/02, RTD civ. 2007. 730, note J.-P. Marguénaud.

(53) CEDH 4 déc. 2007, Gde ch., Dickson c/ RU, 44362/04, § 82 ; RJPF, n° 5, 2008. 14, note E. Putman ; Rev. Lamy Droit civil, n° 45, 2008. 46, note G. Marraud des Grottes.

(54) CJCE 4 oct. 1991, The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd. et Grogan e. a., aff. C-159/90, Rec. p. I-4685, RDSS 1992. 48, note L. Dubouis.

(55) La fonction jurisprudentielle de la Cour de justice européenne peut ainsi être définie : « ni renvoi pur et simple à leur pouvoir souverain, ni une harmonisation imposée des standards de protection, mais une adaptation des procédures, la mise en place d'un système d'encadrement et de contrôle des processus de décision des autorités compétentes » (L. Azoulay, En attendant la justice sociale, vive la justice procédurale, RDSS 2006. 843).

Page 14: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

14

Document n°2 : Décision du Comité des Ministres – 17 mars 1978 Le Comité des Ministres, Vu l'article 32 (art. 32) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée "la convention"); Vu le rapport de la Commission européenne des Droits de l'Homme établi conformément à l'article 31 (art. 31) de la convention au sujet de la requête introduite par Mme Brüggemann et Mme Scheuten contre la République Fédérale d'Allemagne (n° 6959/75); Considérant que la Commission a transmis ledit rapport au Comité des Ministres le 14 octobre 1977 et que le délai de trois mois prévu à l'article 32, paragraphe 1 (art. 32-1), de la convention s'est écoulé sans que l'affaire ait été déférée à la Cour européenne des Droits de l'Homme, par application de l'article 48 (art. 48) de la convention; Considérant que dans leur requête introduite le 24 mars et le 27 mai 1975, les requérantes allèguent pour l'essentiel une violation de l'article 8 (art. 8) de la convention en ce qu'elles ne sont pas libres de se faire avorter en cas de grossesse non désirée, de l'article 9 (art. 9) de la convention en ce que l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 25 février 1975 serait fondé sur des motifs religieux, ainsi que des articles 9 et 11 (art. 9, art. 11) de la convention au motif que la Cour constitutionnelle enfreindrait le principe de la séparation des pouvoirs, des articles 14, 17 et 18 (art. 14, art. 17, art. 18) de la convention et pour une d'elles de l'article 12 (art. 12) de la convention; Considérant que dans sa décision sur la recevabilité du 19 mai 1976 la Commission a estimé que la requête soulève des questions sur le terrain de l'article 8 (art. 8) de la convention mais n'a pas jugé nécessaire de se prononcer sur les autres allégations; Considérant que la Commission a estimé dans son rapport, adopté le 12 juillet 1977, que toute réglementation de l'interruption des grossesses non désirées ne constitue pas une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la mère, l'article 8, paragraphe 1 (art. 8-1), ne pouvant s'interpréter comme signifiant que la grossesse et son interruption relèvent, par principe, exclusivement de la vie privée de la mère; que, dès lors, la Commission, dans son rapport, est arrivée à la conclusion que les dispositions légales qui existent en droit allemand depuis l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 25 février 1975 et dont se plaignent les requérantes n'empiètent pas sur leur droit au respect de la vie privée; Considérant que dans son rapport la Commission a exprimé l'avis que la présente affaire ne laisse pas apparaître de violation de l'article 8 (art. 8) de la convention; Faisant sien l'avis exprimé par la Commission conformément à l'article 31, paragraphe 1 (art. 31-1), de la convention; Procédant au vote conformément aux dispositions de l'article 32, paragraphe 1 (art. 32), de la convention, Décide qu'il n'y a pas eu, dans cette affaire, violation de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.

Page 15: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

15

Document n°3 : CEDH, 5 septembre 2002, n° 50490/99, « Boso c. Italie » (…) EN DROIT 1. Le requérant met en cause la loi no 194 de 1978, en application de laquelle son épouse a pu interrompre sa grossesse, au détriment du fœtus. Il allègue la violation de l’article 2 de la Convention, qui au premier paragraphe dispose : « 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ». La Cour admet que, dans les circonstances de l’espèce, le requérant était, en tant que père potentiel, affecté de manière suffisamment étroite par l’interruption de la grossesse de son épouse pour se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, de la législation incriminée telle qu’elle a été appliquée (X. c. Royaume Uni, requête no 8416/79, décision de la Commission du 13 mai 1980, Décision et rapports (DR) 19, p. 244). La Cour relève ensuite que la Convention ne définit ni l’expression « toute personne » ni le terme « vie ». Elle constate que l’article 2 renferme deux éléments fondamentaux : l’obligation générale de protéger par la loi le droit à la vie ; l’interdiction de donner la mort intentionnellement, qui est limitée par les exceptions énumérées. La Cour a jugé que la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de donner la mort de manière intentionnelle et illégale, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, p. 1403, § 36). Cette obligation va au delà du devoir d’assurer le droit à la vie par la mise en place d’une législation pénale qui est susceptible de dissuader de commettre des atteintes contre les personnes et qui s’appuie sur un mécanisme d’application conçu pour en réprimer et sanctionner les violations. Elle peut également impliquer, dans certaines circonstances bien définies, une obligation positive pour les autorités de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée (Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, § 115 ; Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95 CEDH 2001-III ). La Cour estime n’avoir pas à décider du point de savoir si le fœtus peut bénéficier d’une protection au regard de la première phrase de l’article 2 telle qu’interprétée ci-dessus. En effet, à supposer même que dans certaines circonstances, le fœtus puisse être considéré comme étant titulaire de droits protégés par l’article 2 de la Convention, la Cour note que dans la présente affaire, si le requérant n’a pas indiqué après combien semaines de grossesse et pour quelles raisons spécifiques l’avortement a eu lieu, il ressort du dossier qu’en l’espèce l’interruption volontaire de grossesse s’est effectuée conformément à l’article 5 de la loi no 194 de 1978. A cet égard, la Cour note que la loi italienne sur l’avortement autorise elle-même l’avortement dans les douze premières semaines de la grossesse, à condition qu’il y ait un risque pour la santé physique ou psychique de la femme. Au-delà du délai de douze semaines l’interruption volontaire de grossesse ne peut plus être pratiquée sauf si la poursuite de la grossesse ou l’accouchement mettent en danger de mort la femme, ou lorsqu’il est certain que l’enfant à naître sera atteint d’une affection d’une particulière gravité mettant à risque la santé physique ou psychique de la femme. Il en résulte que l’avortement peut être pratiqué en vue de protéger la santé de la femme. Aux yeux de la Cour, une telle prévision ménage un juste équilibre entre la nécessité d’assurer la protection du fœtus et les intérêts de la femme. Vu les conditions exigées pour une interruption volontaire de grossesse ainsi que les circonstances propres à l’affaire, la Cour n’estime pas que l’Etat défendeur a dépassé

Page 16: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

16

le pouvoir d’appréciation qui est le sien en ce domaine si délicat (voir H. c. Norvège, requête no17004/90, décision de la Commission du 19 mai 1992, DR 73, p.155). Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 2. Le requérant se plaint de l’impossibilité pour lui d’intervenir dans la décision de son épouse d’avorter et allègue la violation de l’article 8 de la Convention. Aux termes de l’article 8 de la Convention : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » La Cour note que la Commission a estimé que « la législation régissant l’interruption de grossesse touche au domaine de la vie privée » en ce que « lorsqu’une femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au foutus qui se développe » (Bruggeman et Scheuten c. Allemagne, requête no6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, DR 10, p. 100 ; X. c. Royaume Uni, déc. précitée, p. 263). Toutefois, la Commission a exclu que le droit du père potentiel au respect de sa vie privée et familiale puisse être interprété assez largement pour englober le droit d’être consulté ou celui de saisir un tribunal à propos d’un avortement que son épouse se propose de faire pratiquer sur sa personne (X. c. Royaume Uni, déc. précitée, p. 263-264 ; H. c. Norvège, déc. précitée, p. 184). La Cour estime que toute interprétation du droit du père potentiel au regard de l’article 8 de la Convention, lorsqu’il s’agit d’un avortement que la mère se propose de faire pratiquer sur elle, doit avant tout tenir compte des droits de la mère, puisque c’est elle qui est essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption. Or, comme la Cour l’a constaté plus haut, l’avortement en cause a été pratiqué conformément à la loi italienne et poursuivait donc l’objectif de sauvegarder la santé de la mère. Dès lors, toute ingérence dans le droit protégé par l’article 8 pouvant être présumée dans les circonstances de l’espèce se justifiait comme étant nécessaire à la protection des droits d’autrui (H. c. Norvège, déc. précitée, p. 184). Il en découle que, sur ce point également, la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 3. Invoquant l’article 12 de la Convention, le requérant se plaint que la loi sur l’interruption de la grossesse l’a empêché de fonder une famille. Conformément à sa jurisprudence (E.L. H. et P.B. H. c. Royaume Uni, requêtes no 32094/96 et 32568/96, décision de la Commission du 22 octobre 1997, DR 91, p. 61), la Cour rappelle qu’une ingérence dans la vie familiale, qui se justifie en vertu du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, ne peut en même temps constituer une violation de l’article 12. La Cour a jugé plus haut que le grief tiré de l’article 8 de la Convention était manifestement mal fondé. Elle estime partant que les mêmes conclusions valent en l’espèce sur le terrain de l’article 12 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Page 17: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

17

Déclare la requête irrecevable.

Page 18: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

18

Document n°4 : CEDH, 20 mars 2007, n° 5410/03, « Tysiac c/ Pologne »

LA COUR - (...)

c. Principes généraux

109. L'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Toute ingérence dans le droit énoncé au paragraphe 1 de l'article 8 doit être justifiée au regard du paragraphe 2, c'est-à-dire qu'elle doit être « prévue par la loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un ou plusieurs des buts légitimes cités. Selon la jurisprudence constante de la cour, la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime visé par les autorités (Olsson c/ Suède (n° 1), 24 mars 1988, série A, n° 130, § 67).

110. L'article 8 peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie privée. Ces obligations peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux, y compris tant la création d'un cadre réglementaire ins-taurant un mécanisme judiciaire et exécutoire destiné à protéger les droits des individus que la mise en oeuvre, là où il convient, de mesures spécifiques (V., entre autres, X et Y c/ Pays-Bas, 26 mars 1985, série A, n° 91, p. 11, § 23).

111. La frontière entre les obligations positives et négatives de l'État au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définitive précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation (V., entre autres, Keegan c/ Irlande, 26 mai 1994, série A, n° 290, p. 19, § 49. - Rózanski c/ Pologne, n° 55339/00, § 61, 18 mai 2006).

112. La cour observe que la notion de « respect » manque de netteté, surtout quand il s'agit de telles obli-gations positives ; ses exigences varient beaucoup d'un cas à l'autre vu la diversité des pratiques suivies et des conditions existant dans les États contractants. Cependant, pour l'appréciation des obligations positives de l'État, il faut garder à l'esprit que la prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une socié-té démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la convention (Iatridis c/ Grèce [GC], n° 31107/96, § 58, CEDH 1999-II. - Carbonara et Ventura c/ Italie, n° 24638/94, § 63, CEDH 2000-VI. - Capital Bank AD c/ Bulgarie, n° 49429/99, § 133, CEDH 2005...). La compatibilité avec les exigences de la préémi-nence du droit implique que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbi-traires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (Malone c/ Royaume-Uni, 2 août 1984, série A, n° 82, p. 32, § 67, et, plus récemment, Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie [GC], n° 30985/96, § 84, CEDH 2000-XI).

113. Enfin, la cour rappelle que, pour apprécier la présente cause, il faut garder à l'esprit que la convention vise à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Airey c/ Irlande, 9 oct. 1979, série A, n° 32, pp. 12-13, § 24). L'article 8 ne renferme certes aucune exigence procédurale explicite mais il importe, pour la jouissance effective des droits garantis par cette disposition, que le processus déci-sionnel soit équitable et permette de respecter comme il se doit les intérêts qui y sont protégés. Il y a lieu de déterminer, eu égard aux circonstances particulières de la cause et notamment à la nature des décisions à prendre, si l'individu a joué dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisam-ment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts (V., mutatis mutandis, Hatton et a. c/ Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 99, CEDH 2003-VIII).

Page 19: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

19

d. Observation de l'article 8 de la Convention

114. Pour examiner les circonstances de la présente cause, la cour doit tenir compte de son contexte global. Elle relève que la loi de 1993 interdit l'avortement en Pologne et ne ménage que certaines exceptions à cette règle. Un médecin qui procède à une interruption de grossesse en enfreignant les conditions énon-cées dans cette loi est réputé coupable d'une infraction pénale punie d'une peine d'emprisonnement pou-vant aller jusqu'à trois ans (§ 41 ci-dessus [non reproduit]).

D'après la fédération polonaise des femmes et du planning familial, le fait que l'avortement soit assimilé à une infraction pénale dissuade les médecins d'autoriser un avortement, en particulier en l'absence de pro-cédures transparentes et claires pour déterminer si les conditions dans lesquelles la loi permet de pratiquer un avortement thérapeutique sont réunies dans un cas donné.

115. La cour observe aussi que, dans son cinquième rapport périodique au Comité des droits de l'homme de l'ONU portant sur le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Gouvernement polonais a entre autres reconnu qu'il y avait eu des lacunes dans la manière dont la loi de 1993 avait été appliquée en pratique (§ 49 ci-dessus [non reproduit]). Pour la cour, cela souligne encore plus l'importance que revêtent des garanties procédurales en matière d'accès à l'avortement thérapeutique tel que prévu dans la loi de 1993.

116. La nécessité de telles garanties se fait d'autant plus sentir lorsque survient un désaccord, que ce soit entre la femme enceinte et ses médecins ou entre les médecins eux-mêmes, quant au point de savoir si les conditions préalables requises pour un avortement légal se trouvent réunies dans un cas donné. Selon la Cour, en pareille situation, les dispositions légales applicables doivent avant tout définir clairement la situa-tion de la femme enceinte au regard de la loi.

La cour note de plus que l'interdiction de l'avortement prévue dans la loi, combinée avec le risque pour les médecins de se voir accusés d'une infraction pénale en vertu de l'article 156, § 1 du Code pénal, est tout à fait susceptible d'avoir un effet dissuasif sur les praticiens lorsqu'ils décident si les conditions pour autoriser un avortement légal sont réunies dans un cas particulier. Les dispositions définissant les conditions dans lesquelles il est possible de bénéficier d'un avortement légal doivent être formulées de façon à atténuer cet effet. Une fois que le législateur a décidé d'autoriser l'avortement, il ne doit pas concevoir le cadre légal correspondant d'une manière qui limite dans la réalité la possibilité d'obtenir une telle intervention.

117. À cet égard, la cour répète que les notions de légalité et de prééminence du droit dans une société démocratique exigent que les mesures touchant les droits fondamentaux soient dans certains cas soumises à une forme de procédure devant un organe indépendant, compétent pour contrôler les motifs de ces me-sures et les éléments de preuve pertinents (V., entre autres, Rotaru c/ Roumanie [GC], n° 28341/95, §§ 55-63, CEDH 2000-V). Pour s'assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d'un point de vue général (AGOSI c/ Royaume-Uni, 24 oct. 1986, série A, n° 108, p. 19, § 55, et, mutatis mutandis, Jokela c/ Finlande, n° 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV). Dans des circonstances telles que celles de l'espèce, pareille procédure devrait au moins garantir à une femme enceinte la possibilité d'être entendue en personne et de voir son avis pris en compte. L'organe compétent devrait aussi mettre par écrit les motifs de sa décision.

118. À ce sujet, la cour observe que la nature même des questions en jeu dans les décisions d'interruption de grossesse est telle que le facteur temps revêt une importance cruciale. Les procédures en place doivent donc être conçues pour que ces décisions soient prises en temps et en heure, afin de prévenir ou limiter le préjudice qui pourrait découler pour la santé de la femme d'un avortement tardif. Des procédures pré-voyant le contrôle a posteriori de décisions relatives à la possibilité d'avorter légalement ne sauraient rem-plir un tel rôle. La cour estime que l'absence de procédures préventives de ce type en droit interne peut

Page 20: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

20

passer pour constituer un manquement de l'État aux obligations positives qui lui incombent au titre de l'ar-ticle 8 de la Convention. (…)

124. La cour conclut qu'il n'a pas été démontré que la législation polonaise, telle qu'appliquée en l'espèce, renfermait des mécanismes effectifs permettant de déterminer si les conditions à remplir pour bénéficier d'un avortement légal étaient réunies dans le cas de la requérante. Dès lors, celle-ci s'est trouvée plongée dans une incertitude prolongée et a éprouvé de grandes angoisses lorsqu'elle envisageait les conséquences négatives susceptibles de découler pour sa santé de sa grossesse et de son accouchement.

125. La cour pense en outre que les dispositions du droit de la responsabilité délictuelle appliquées par les juridictions polonaises n'ont pas offert à la requérante un instrument procédural qui lui aurait permis de faire valoir son droit au respect de la vie privée. Le recours de droit civil n'a qu'un caractère rétroactif et compensatoire. Il aurait seulement pu conduire, et à condition que la requérante obtienne gain de cause, à ce que les tribunaux lui accordent des dommages et intérêts pour réparer le préjudice irrémédiable causé à sa santé qui s'est manifesté après l'accouchement.

126. De plus, la requérante a demandé l'ouverture d'une procédure pénale contre le docteur R. D. en allé-guant qu'elle avait subi une atteinte à son intégrité physique en raison du refus de celui-ci de l'autoriser à obtenir un avortement. La cour observe en premier lieu que, pour établir la responsabilité pénale, il devait exister un lien direct de causalité entre les actes dénoncés - en l'occurrence, le refus d'un avortement - et la grave détérioration de la santé de la requérante. Partant, l'examen de la question de savoir s'il existait un lien de causalité entre le refus d'autoriser l'avortement et la détérioration ultérieure de la vue de la requé-rante ne concernait pas le point de savoir si la grossesse avait constitué une « menace » pour la santé de l'intéressée au sens de l'article 4 de la loi de 1993.

Par ailleurs - et cela est crucial - l'examen des circonstances de l'affaire dans le cadre de l'enquête pénale n'aurait pas permis d'empêcher le préjudice pour la santé de la requérante de survenir. Ce constat vaut également pour la procédure disciplinaire devant les organes de l'ordre des médecins.

127. La cour conclut que de telles mesures rétroactives ne suffisent pas à elles seules à protéger comme il convient l'intégrité physique de personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requé-rante (Storck c/ Allemagne, n° 61603/00, § 150, [...])

128. Eu égard aux circonstances de l'espèce prises dans leur ensemble, on ne saurait donc dire qu'en créant des recours juridiques permettant d'établir la responsabilité des médecins, l'État polonais a satisfait à l'obligation positive qui lui incombait de protéger le droit de la requérante au respect de la vie privée dans le cadre d'un désaccord portant sur le point de savoir si elle avait le droit de bénéficier d'un avortement thérapeutique.

129. Dès lors, la cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et dit que les autorités n'ont pas respecté leur obligation positive consistant à assurer à la requérante le respect effectif de sa vie privée.

130. La cour conclut donc à la violation de l'article 8 de la Convention. (...)

Page 21: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

21

Document n°5 : CEDH, n° 27617/04, 26 mai 2011 « R. R. c/ Pologne »

(...) EN DROIT 90. La requérante allègue que les faits de la cause ont donné lieu à une violation de l'article 3 de la Convention, disposition dont les passages pertinents se lisent ainsi : «Nul ne peut être soumis à (...) [des] traitements inhumains ou dégradants.»

(...) II. SUR LE FOND (...) B. Sur la violation alléguée de l'article 3 de la Convention (…) 2. Appréciation de la Cour a) Principes généraux 148. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir, parmi beaucoup d'autres, Price c. Royaume-Uni, n° 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII, Kupczak c. Pologne, n° 2627/09, § 58, 25 janvier 2011, et Jalloh c. Allemagne [GC], n° 54810/00, CEDH 2006-IX). 149. La Cour a estimé un certain traitement «inhumain» notamment pour avoir été appliqué avec préméditation pendant des heures et avoir causé sinon de véritables lésions, du moins de vives souffrances physiques et morales (Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV). 150. Elle a par ailleurs considéré qu'un traitement était «dégradant» en ce qu'il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir, parmi beaucoup d'autres, Iwańczuk c. Pologne, n° 25196/94, § 51, 15 novembre 2001, et Wiktorko c. Pologne, n° 14612/02, § 45, 31 mars 2009). 151. Il y a lieu de prendre en compte le but du traitement infligé et, en particulier, de rechercher s'il y a eu volonté d'humilier ou d'abaisser l'individu, mais l'absence d'une telle intention ne saurait forcément conduire à un constat de non-violation de l'article 3. La Cour a par exemple conclu à la violation de cette disposition dans maintes affaires où des demandes de communication d'informations d'une importance cruciale pour les requérants, portant notamment sur l'endroit où se trouvaient leurs proches disparus et le sort qui leur avait été réservé, avaient été traitées par les autorités avec un mépris atterrant pour leur vulnérabilité et leur détresse (voir, parmi beaucoup d'autres, Koukaïev c. Russie, n° 29361/02, §§ 102-106, 15 novembre 2007, et Takhaïeva et autres c. Russie, n° 23286/04, §§ 102-104, 18 septembre 2008). 152. En outre, la Cour ne saurait exclure que les actes et omissions des autorités dans le cadre des politiques de santé publique puissent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l'angle de l'article 3 en cas de non-administration d'un traitement médical adéquat (Powell c. Royaume-Uni (déc.), n° 45305/99, CEDH 2000-V). b) Application en l'espèce des principes susmentionnés 153. En l'espèce, la Cour observe que l'échographie pratiquée à la dix-huitième semaine de grossesse de la

Page 22: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

22

requérante avait confirmé la probabilité d'une malformation foetale non identifiée (paragraphe 9 ci-dessus). Elle relève que cet examen avait fait craindre à la requérante que le foetus ne fût atteint d'une maladie génétique, et observe, au vu des résultats des échographies ultérieures, que ces craintes n'étaient assurément pas infondées. Elle constate en outre que l'intéressée s'est efforcée à plusieurs reprises et avec insistance, par de multiples consultations médicales, des demandes et des plaintes écrites, d'obtenir une recommandation en vue d'un examen génétique dont les résultats auraient confirmé ou dissipé ses craintes, en vain. Elle note que l'on a fait croire pendant plusieurs semaines à la requérante qu'elle subirait l'examen requis, qu'elle a été orientée à plusieurs reprises vers différents médecins, cliniques et hôpitaux éloignés de son domicile et même hospitalisée plusieurs jours sans objectif clinique précis (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour estime que le traitement réservé à la requérante par les autorités compétentes appelées à décider si elle devait ou non avoir accès à l'examen génétique préconisé par certains médecins au vu des résultats de la deuxième échographie a été marqué par des atermoiements, des hésitations et un manque d'information et de conseil à l'égard de l'intéressée. Grâce aux conseils du professeur K.Sz., le seul médecin ayant été sensible à ses difficultés, la requérante est finalement parvenue à se faire admettre dans un hôpital de Łódź en usant d'un subterfuge. Se faisant passer auprès de cet établissement pour une patiente à hospitaliser d'urgence, elle a pu avoir accès - le 26 mars 2002, au cours de sa vingt-troisième semaine de grossesse - à un examen génétique dont les résultats lui furent communiqués deux semaines plus tard, le 9 avril 2002. 154. La Cour relève qu'il est constant que la réalisation d'un examen génétique était la seule méthode objective et conforme aux exigences de la science et de la technologie médicales modernes susceptible de confirmer ou d'infirmer le diagnostic initial. D'ailleurs, ce point n'a jamais été contesté par le Gouvernement dans le cadre de la procédure suivie devant la Cour et par les défendeurs aux procédures civiles intentées devant les juridictions internes. 155. La Cour observe en outre qu'il n'a pas été avancé, et encore moins démontré, qu'un tel examen était infaisable au moment des faits faute d'équipement, d'expertise médicale ou de ressources financières. Personne n'a jamais dit à la requérante qu'une quelconque raison d'ordre technique ou matériel en empêchait la réalisation. 156. A cet égard, force est de constater que, à l'époque pertinente et encore aujourd'hui, la loi de 1993, dans laquelle sont définies les conditions dans lesquelles une grossesse peut être interrompue, enjoignait expressément et clairement à l'Etat de garantir le libre accès à l'information et aux examens prénataux. Il ressort de l'article 2 a) de ce texte que cette obligation s'impose particulièrement à l'Etat et aux collectivités locales en cas de suspicion d'anomalie génétique ou de problème de développement. Ils y sont tenus chaque fois qu'une grossesse donne lieu à ce genre de suspicion, la loi n'établissant aucune distinction suivant la gravité de la maladie soupçonnée (paragraphe 66 ci-dessus). 157. Par ailleurs, à l'époque pertinente - et encore aujourd'hui -, la loi sur les professions médicales mettait clairement à la charge des médecins l'obligation générale de donner à leurs patients des informations compréhensibles sur leur état de santé, les méthodes diagnostiques et thérapeutiques envisagées et possibles, les effets prévisibles de leur utilisation ou de leur non-utilisation, les résultats possibles de la thérapie et le pronostic de celle-ci (paragraphe 74 ci-dessus). De la même manière, la loi sur les institutions médicales en vigueur à l'époque pertinente reconnaissait aux patients le droit d'être pleinement informés sur leur état de santé (paragraphe 72 ci-dessus). Les obligations positives de l'Etat en matière d'accès des femmes enceintes à l'information sur leur santé et celle de leur foetus était donc définies par un corpus de dispositions juridiques non équivoques en vigueur à l'époque des faits. 158. Or rien n'indique que les personnes et institutions auprès desquelles la requérante avait sollicité l'autorisation d'accéder à des examens génétiques aient pris en considération les obligations juridiques que ses droits de patiente imposaient à l'Etat et au personnel médical. 159. La Cour note que la requérante était très vulnérable. Comme l'aurait été toute autre femme enceinte

Page 23: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

23

dans sa situation, elle était profondément troublée par l'éventualité d'une malformation de son foetus. Il était donc naturel qu'elle voulût obtenir autant d'informations que possible pour savoir si le diagnostic initial était correct et, dans l'affirmative, quelle était la nature exacte de la maladie, et qu'elle souhaitât également déterminer les options qui lui étaient ouvertes. Les tergiversations des professionnels de la santé décrites ci-dessus ont plongé l'intéressée pendant des semaines dans une incertitude pénible quant à la santé de son foetus, à son avenir, à celui de sa famille et à la perspective d'élever un enfant souffrant d'une maladie incurable. Elle a éprouvé une angoisse extrême en s'interrogeant sur la manière dont sa famille et elle pourraient assurer le bien-être de l'enfant et son bonheur et lui apporter des soins adaptés sur le long terme. Les professionnels de la santé qui l'ont prise en charge n'ont pas tenu compte de ses préoccupations et n'y ont pas répondu. La Cour souligne que six semaines se sont écoulées du 20 février 2002, date de la première échographie ayant déclenché les premiers soupçons sur la santé du foetus, au 9 avril 2002, date à laquelle la requérante a obtenu les informations qu'elle recherchait, confirmées par un examen génétique. Il n'a été tenu aucun compte de l'aspect temporel de la situation difficile de l'intéressée. Lorsque celle-ci a obtenu les résultats de cet examen, il était déjà trop tard pour qu'elle puisse choisir entre la poursuite de sa grossesse et le recours à un avortement légal, le délai imparti par l'article 4 a) § 2 de la loi de 1993 ayant expiré. 160. La Cour estime en outre que la souffrance éprouvée par la requérante avant et après l'obtention des résultats de l'examen génétique a été aggravée par le fait que les services de diagnostic qu'elle avait demandés dès le début de sa grossesse ont toujours été disponibles et qu'elle avait légalement le droit d'en bénéficier en vertu du droit interne. Il est extrêmement regrettable que les médecins consultés par la requérante l'aient traitée de façon aussi odieuse. La Cour ne peut que souscrire à l'opinion de la Cour suprême polonaise selon laquelle l'intéressée a été humiliée (paragraphe 54 ci-dessus). 161. La Cour considère que la souffrance éprouvée par la requérante a atteint le degré minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention. 162. En conséquence, elle conclut à la violation de cette disposition en l'espèce. (...)

Page 24: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

24

Document n°6 : CEDH, Gd. Ch., 8 juillet 2004, n° 53924/00, « Vo c/ France »

LA COUR - (...) En droit :

(...)

C - Appréciation de la Cour

74. La requérante se plaint de l'impossibilité d'obtenir la condamnation pénale du médecin ayant commis une erreur médicale à la suite de laquelle elle a dû subir un avortement thérapeutique. Il n'a pas été mis en doute que Mme Vo entendait mener sa grossesse à terme et que son enfant était en bonne santé. À la suite des faits, la requérante et son compagnon portèrent plainte avec constitution de partie civile pour bles-sures involontaires commises sur elle-même et pour homicide commis sur l'enfant qu'elle portait. Les juri-dictions ont estimé que l'action publique était éteinte en ce qui concerne la contravention de blessures involontaires sur la personne de la requérante et, cassant l'arrêt de la cour d'appel sur le second point, la Cour de cassation a estimé que, au regard du principe selon lequel la loi pénale est d'interprétation stricte, le foetus ne pouvait être victime d'un homicide involontaire. La question principale posée par la requérante est donc celle de savoir si l'absence de recours de nature pénale en droit français pour réprimer la suppres-sion involontaire d'un foetus constitue un manquement par l'État à son obligation de " protéger par la loi " le droit de toute personne à la vie, garanti par l'article 2 de la Convention.

1. État de la jurisprudence

75. Contrairement à l'article 4 de la Convention américaine des droits de l'homme qui énonce que le droit à la vie doit être protégé " en général à partir de la conception ", l'article 2 de la Convention est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier, il ne définit pas qui est la " personne " dont " la vie " est protégée par la Convention. À ce jour, la Cour n'a pas encore tranché la question du commencement du droit " de toute personne à la vie ", au sens de cette disposition, ni celle de savoir si l'enfant à naître en est titulaire.

(…)

2. Approche en l'espèce

81. La singularité de la présente affaire place le débat sur un autre plan. La Cour est en présence d'une femme qui entendait mener sa grossesse à terme et dont l'enfant à naître était pronostiqué viable, à tout le moins en bonne santé. Cette grossesse a dû être interrompue à la suite d'une faute commise par un méde-cin et la requérante a donc subi un avortement thérapeutique à cause de la négligence d'un tiers. La ques-tion est dès lors de savoir si, hors de la volonté de la mère agissant dans le cas d'une interruption volontaire de grossesse, l'atteinte au foetus doit être pénalement sanctionnée au regard de l'article 2 de la Conven-tion, en vue de protéger le foetus au titre de cet article. Elle suppose au préalable de se pencher sur l'op-portunité pour la Cour de s'immiscer dans le débat lié à la détermination de ce qu'est une personne et quand commence la vie, dans la mesure où cet article dispose que la loi protège " le droit de toute per-sonne à la vie ".

82. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus, l'interprétation de l'article 2 à cet égard s'est faite dans un souci évident d'équilibre, et la position des organes de la Convention, au regard des dimensions juridiques, médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition de la per-sonne humaine a pris en considération les différentes approches nationales du problème. Ce choix s'est traduit par la prise en compte de la diversité des conceptions quant au point de départ de la vie, des cul-

Page 25: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

25

tures juridiques et des standards de protection nationaux, laissant place à un large pouvoir discrétionnaire de l'État en la matière qu'exprime fort bien l'avis du Groupe européen d'éthique au niveau communautaire : " les instances communautaires doivent aborder ces questions éthiques en tenant compte des diver-gences morales et philosophiques reflétées par l'extrême diversité des règles juridiques applicables à la recherche sur l'embryon humain (...). Il serait non seulement juridiquement délicat d'imposer en ce do-maine une harmonisation des législations nationales mais, du fait de l'absence de consensus, il serait éga-lement inopportun de vouloir édicter une morale unique, exclusive de toutes les autres " (...).

Il en résulte que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des États dont la Cour tend à considérer qu'elle doit leur être reconnue dans ce domaine, même dans le cadre d'une interpréta-tion évolutive de la Convention, qui est " un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles " (...). Les raisons qui la poussent à ce constat sont, d'une part, que la solution à donner à la-dite protection n'est pas arrêtée au sein de la majorité des États contractants, et en France en particulier, où la question donne lieu à débat (§ 83 ci-dessous) et, d'autre part, qu'aucun consensus européen n'existe sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie (§ 84 ci-dessous).

83. La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrêts consécutifs rendus en 1999, 2001 et 2002 (...), a considéré que le principe de la légalité des peines et des délits - qui impose une interprétation stricte de la loi pénale - empêche que les faits reprochés en cas d'atteinte mortelle au foetus puissent en-trer dans les prévisions de l'article 221-6 du Code pénal réprimant l'homicide involontaire " d'autrui ". En revanche, si à la suite d'une faute involontaire, la mère accouche d'un enfant vivant qui décède peu de temps après sa naissance, l'auteur pourra être condamné pour homicide involontaire sur la personne du nouveau-né (...). La première solution, en contradiction avec celle de plusieurs cours d'appel (...), fut inter-prétée comme une invitation faite au législateur à combler un vide juridique ; ce fut également la position du tribunal correctionnel en l'espèce, " le tribunal ne peut créer le droit sur une question que [le législateur n'a] pu encore définir ". Le législateur français a esquissé une telle définition, en proposant la création d'un délit d'interruption involontaire de grossesse (...), proposition de loi qui a échoué face aux craintes et incer-titudes qu'une telle incrimination pouvait susciter à l'égard de la détermination du début de la vie, et aux inconvénients jugés supérieurs aux avantages de cette nouvelle incrimination (...). Par ailleurs, la Cour note que simultanément au constat répété de la haute juridiction selon lequel l'article 221-6 du Code pénal n'est pas applicable au foetus, le législateur français est en passe de réviser les lois de bioéthique de 1994, qui avaient inséré dans le Code pénal des dispositions relatives à la protection de l'embryon humain (...), et qui nécessitaient un nouvel examen face aux progrès de la science et des techniques (...). De cet aperçu, il res-sort qu'en France, la nature et le statut juridique de l'embryon et/ou du foetus ne sont pas définis actuel-lement et que la façon d'assurer sa protection dépend de positions fort variées au sein de la société fran-çaise.

84. Au plan européen, la Cour observe que la question de la nature et du statut de l'embryon et/ou du foetus ne fait pas l'objet d'un consensus (...), même si on voit apparaître des éléments de protection de ce/ces derniers, au regard des progrès scientifiques et des conséquences futures de la recherche sur les manipulations génétiques, les procréations médicalement assistées ou les expérimentations sur l'embryon. Tout au plus peut-on trouver comme dénominateur commun aux États l'appartenance à l'espèce humaine ; c'est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne, laquelle est d'ailleurs protégée par le droit civil dans bon nombre d'États comme en France, en matière de successions ou de libéralités, mais aussi au Royaume-Uni (...), qui doivent être protégés au nom de la dignité humaine sans pour autant en faire une " personne " qui aurait un " droit à la vie " au sens de l'article 2. La Convention d'Oviedo sur les Droits de l'Homme et la biomédecine se garde d'ailleurs de définir le terme de personne et le rapport ex-plicatif indique que faute d'unanimité sur la définition, les États membres ont choisi de laisser au droit in-terne le soin d'apporter les précisions pertinentes aux effets de l'application de cette convention (...). Il en

Page 26: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

26

est de même du Protocole additionnel prohibant le clonage humain et du projet de Protocole relatif à la recherche biomédicale qui ne définissent pas le concept d'être humain (...).

85. Eu égard à ce qui précède, la Cour est convaincue qu'il n'est ni souhaitable ni même possible actuelle-ment de répondre dans l'abstrait à la question de savoir si l'enfant à naître est une " personne " au sens de l'article 2 de la Convention. Quant au cas d'espèce, elle considère qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le point de savoir si la fin brutale de la grossesse de Mme Vo entre ou non dans le champ d'application de l'article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s'appliquerait, les exigences liées à la préserva-tion de la vie dans le domaine de la santé publique n'ont pas été méconnues par l'État défendeur. La Cour s'est en effet demandée si la protection juridique offerte par la France à la requérante, par rapport à la perte de l'enfant à naître qu'elle portait, satisfaisait aux exigences procédurales inhérentes à l'article 2 de la Convention.

86. À cet égard, elle observe qu'en l'absence de statut juridique clair de l'enfant à naître, celui-ci n'est pas pour autant privé de toute protection en droit français. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, la vie du foetus était intimement liée à celle de sa mère et sa protection pouvait se faire au travers d'elle. Il en allait particulièrement ainsi dès lors qu'aucun conflit de droit n'existait entre la mère et le père, pas plus qu'entre l'enfant à naître et ses parents mais où la perte du foetus résultait de la négligence involontaire d'un tiers.

87. Dans la décision Boso c/ Italie, la Cour a considéré que, à supposer même que le foetus puisse être con-sidéré comme étant titulaire de droits protégés par l'article 2 de la Convention (...), la loi italienne relative à l'interruption volontaire de grossesse ménageait un juste équilibre entre les intérêts de la femme et la né-cessité d'assurer la protection de l'enfant à naître. En l'espèce, l'objet du litige concerne l'atteinte mortelle involontaire de l'enfant à naître, contre la volonté de la mère, et au prix d'une souffrance toute particulière de celle-ci ; force est de constater que leurs intérêts se confondaient. Dès lors, il appartient à la Cour d'examiner, sous l'angle de la question du caractère adéquat des voies de recours existantes, la protection dont la requérante disposait pour faire valoir la responsabilité du médecin dans la perte de son enfant in utero et pour obtenir réparation de l'interruption de sa grossesse qu'il lui a fallu subir. La requérante al-lègue que seul un recours de nature pénale eût été à même de satisfaire aux exigences de l'article 2 de la Convention. La Cour ne partage pas ce point de vue pour les raisons suivantes.

88. La Cour rappelle que la première phrase de l'article 2, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu'il consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe (Mc Cann e a. c/ Royaume-Uni, CEDH, 27 sept. 1995 : série A n° 324, § 147), impose à l'État non seulement de s'abstenir de donner la mort " intentionnellement ", mais aussi de prendre les me-sures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (v. par ex. LCB c/ Royaume-Uni, CEDH 9 juin 1998 : Recueil 1998-III, § 36).

89. Ces principes s'appliquent aussi dans le domaine de la santé publique. Les obligations positives impli-quent la mise en place par l'État d'un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu'ils soient privés ou publics, l'adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie des malades. Il s'agit également d'instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d'établir la cause du décès d'un indi-vidu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d'obliger ceux-ci à ré-pondre de leurs actes (Powell c/ Royaume-Uni, (déc.), n° 45305/99, CEDH 2000-V ; CEDH 17 janv. 2002, Calvelli et Ciglio, § 49).

90. Si le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi (arrêt Perez c/ France [GC], n° 47287/99, § 70, 12 févr. 2004), la Cour a maintes fois affirmé qu'un système judi-ciaire efficace tel qu'il est exigé par l'article 2 peut comporter, et dans certaines

Page 27: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

27

circonstances doit comporter, un mécanisme de répression pénale. Toutefois, si l'atteinte au droit à la vie ou à l'intégrité physique n'est pas volontaire, l'obligation positive découlant de l'article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n'exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, " pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d'établir la responsabilité des médecins en cause, et le cas échéant, d'obtenir l'application de toute sanction civile appropriée, tels le ver-sement de dommages et intérêts et la publication de l'arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées " (Calvelli et Ciglio préc., § 51 ; Giuliano Lazzarini et Maria Paola Ghiacci c/ Italie (déc.), n° 53749/00, 7 nov. 2002 ; v. également l'arrêt Mastromatteo c/ Italie [GC], n° 37703/97, § 90...).

91. En l'espèce, en plus de la poursuite du médecin pour blessures involontaires sur la personne de la re-quérante qui se solda certes par l'amnistie de la contravention dont la requérante ne se plaint pas, celle-ci disposait de la possibilité d'engager une action en responsabilité contre l'administration à raison de la faute alléguée du médecin hospitalier (...). Par ce moyen, la requérante aurait eu droit à une audience contradic-toire sur le fond de ses allégations de faute (Powell préc., p. 459) et à obtenir, le cas échéant, réparation de son préjudice. Une demande d'indemnisation au juge administratif avait des chances sérieuses de succès et la requérante aurait pu obtenir la condamnation du centre hospitalier au versement de dommages et inté-rêts. Ceci résulte du constat clair auquel avaient abouti les expertises judiciaires (...) en 1992, soit avant que l'action ne soit prescrite, sur le dysfonctionnement du service hospitalier en cause et la négligence grave du médecin, laquelle selon la cour d'appel (...) ne traduisait cependant pas une méconnaissance totale des principes les plus élémentaires et des devoirs de sa mission qui l'aurait rendu détachable du service.

92. L'argument de la prescription de l'action en responsabilité administrative invoquée par la requérante ne saurait prospérer aux yeux de la Cour. À cet égard, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle le " droit à un tribunal ", dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limita-tions implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'ap-préciation (v., parmi d'autres, arrêt Brualla Gómez de la Torre c/ Espagne 19 déc. 1997 : Rec. 1997-VIII, p.. 2955, § 33). Parmi ces restrictions légitimes, figurent les délais légaux de prescription qui, selon la Cour, dans les affaires d'atteinte à l'intégrité de la personne, ont " plusieurs finalités importantes, à savoir garan-tir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé " (Stubbings et a. c/ Royaume-Uni, CEDH 22 oct. 1996 : Rec. 1996-IV, § 51, p. 1502-1503).

93. En l'espèce, un délai de prescription de quatre ans ne lui semble pas, en tant que tel, excessivement court et ce d'autant plus en l'espèce, vu la gravité du dommage ressenti par la requérante et sa volonté immédiate de poursuivre le médecin. Cependant, il ressort du dossier que le choix de la requérante se por-ta délibérément vers la juridiction pénale sans qu'elle fût, semble-t-il, jamais éclairée sur la possibilité de saisir la juridiction administrative. Certes, le législateur a étendu récemment ce délai à dix ans dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 (...). Il l'a fait dans le but d'unifier les délais de prescription des actions en répara-tion quelle que soit la juridiction compétente, administrative ou judiciaire. Ceci permet de prendre en compte l'évolution générale d'un système de plus en plus favorable aux victimes de fautes médicales dont la voie administrative apparaît à même de répondre au souci d'équilibre entre la prise en compte du dom-mage qu'il faut réparer et la " judiciarisation " à outrance des responsabilités pesant sur le corps médical. La Cour ne considère cependant pas que cette nouvelle réglementation puisse faire regarder l'ancien délai de quatre ans comme trop bref.

Page 28: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

28

94. En conclusion, la Cour estime que dans les circonstances de l'espèce, l'action en responsabilité pouvait passer pour un recours efficace à la disposition de la requérante. Ce recours, qu'elle n'a pas en l'occurrence engagé auprès des juridictions administratives, aurait permis d'établir la faute médicale dont elle se plai-gnait et de garantir dans l'ensemble la réparation du dommage causé par la faute du médecin, et les pour-suites pénales ne s'imposaient donc pas en l'espèce.

95. Partant, à supposer même que l'article 2 de la Convention trouve application en l'espèce (§ 85), la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention.

(...)

Page 29: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

29

Document n°7 : Edwige Nault, « Irlande, Europe et avortement », La Vie des idées, 29 mai 2015.

À l’heure où le peuple irlandais plébiscite le mariage gay, il n’est pas inopportun de revenir sur la ques-tion de l’avortement dans ce pays qui a inscrit le droit de l’enfant à naître dans sa constitution. La Cour européenne des droits de l’homme aura-t-elle gain de cause ? Rien n’est moins sûr.

Alors que les sociétés modernes occidentales poursuivaient des politiques permissives en matière de con-

traception et d’avortement dans les années 1960 et 1970, la République d’Irlande fut le seul pays à inscrire

le droit à la vie de l’« enfant à naître » dans sa Constitution par l’insertion du 8e amendement en 1983. À

cette vague de libéralisation, dont l’Irlande était exclue, s’ajoutait la participation du pays à la construction

européenne, ce qui fit craindre à la frange catholique conservatrice que l’avortement pût être imposé par

l’Europe. Par conséquent, le lobby pro-vie irlandais fit pression sur le gouvernement pour la tenue d’un

référendum, le 8e amendement, adopté en 1983 par les Irlandais. À l’époque, 95 % de la population était

de religion catholique, et près de 90 % estimaient que l’avortement n’était jamais justifiable.

Cependant l’Europe et, surtout, ses cours de justice, sont pour l’Irlande le théâtre où les pro-vie, comme les

pro-choix, tentent d’imposer leur point de vue. En effet, parmi les neuf requêtes étudiées par la Cour eu-

ropéenne des droits de l’homme (CEDH) concernant la « vie à naître » ou le droit à l’avortement, trois ont

concerné l’Irlande . À l’occasion de la dernière requête contre le pays, ABC c Irlande, la Cour européenne a

condamné la République irlandaise pour ne pas avoir mis en place une procédure permettant de faire éta-

blir l’existence d’un droit à l’avortement sur le territoire irlandais dans la situation de la requérante C. Les

mouvements militants irlandais et internationaux pro-choix se réjouirent de cette décision et déclarèrent

l’arrêt historique car celui-ci reconnaissait que l’Irlande n’autorisait pas l’accès, même très limité, à

l’avortement. Ce ne fut pourtant pas le cas.

Cet essai explique les raisons pour lesquelles l’arrêt de la CEDH ne peut pas être considéré comme un grand

arrêt. C’est en revanche la façon dont l’Irlande s’est mise en conformité avec la décision de la CEDH qui est

historique car elle a choisi de mettre en place une loi contre l’exhortation de l’Église. La rupture se situe dès

lors dans l’évolution des relations entre l’Église et l’État irlandais, que la question de l’avortement a mise au

jour.

Un arrêt qui n’est pas historique

Avant d’appréhender l’arrêt rendu par la CEDH contre l’État irlandais, il convient d’expliquer le rôle de cette

Cour internationale instituée en 1959 par le Conseil de l’Europe. Lorsqu’un citoyen attaque son pays devant

la Cour de Strasbourg, celle-ci s’assure en premier lieu que les recours internes juridiques ont été épuisés

afin de déclarer la requête favorable. Ensuite, elle se borne à vérifier, d’une part, si l’État incriminé a en-

freint ses propres lois et, d’autre part, s’il a violé les articles de la Convention européenne des droits de

l’Homme sur lesquels le requérant s’appuie. Le but des procès portés devant la CEDH est essentiellement

de générer une mauvaise publicité à l’encontre de l’État fautif pour ternir son image de pays respectueux

des droits de l’Homme sur la scène internationale. Néanmoins, les autres États sont attentifs à la jurispru-

Page 30: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

30

dence créée par la Cour car ils risquent d’être condamnés sur la base de mêmes motifs si leur situation juri-

dique s’avère identique.

Ainsi, la CEDH s’est prononcée à plusieurs reprises sur le droit à la vie (article 2 de la Convention euro-

péenne des droits de l’homme) de l’« enfant à naître » ou, à l’inverse, sur le droit au respect de la vie privée

et familiale (article 8), dont celui d’avoir recours à un avortement si la femme le souhaite. Il ressort que la

Cour est mal à l’aise avec la nature de ces requêtes et a, au contraire, « soigneusement évité de trancher la

question de savoir s’il existe, de façon générale, un droit conventionnel à l’avortement ».

En effet, la Cour est hésitante et ses décisions reflètent une succession de palinodies. Dans la première

requête qui eut lieu sur la question d’un droit conventionnel à l’avortement en 1975, des Allemandes sou-

tinrent que la décision d’avoir recours à une interruption de grossesse était de l’ordre de la vie privée et

estimaient que la réglementation allemande limitait ce recours. Lors de cette affaire, la Commission euro-

péenne des droits de l’homme précisa que toute réglementation relative à l’avortement ne pouvait être

interprétée de manière à établir « que la grossesse et son interruption relev[ai]ent, par principe, exclusi-

vement de la vie privée de la future mère » . Mais dans une affaire ultérieure la CEDH rappela la jurispru-

dence qui établit que « l’enfant à naître n’est pas considéré comme une ‘personne’ directement bénéfi-

ciaire de l’article 2 de la Convention et que son ‘droit’ à la ‘vie’, s’il existe, se trouve implicitement limité par

les droits et les intérêts de sa mère ». La Cour est donc manifestement frileuse en la matière.

Qui plus est, dans ABC c Irlande la CEDH n’a pas pris en compte le consensus européen favorable à

l’avortement comme l’ont souligné six juges en désaccord avec l’arrêt parmi les dix-sept ayant statué. Par

ailleurs, ils relevèrent que la prise en compte de « valeurs morales profondes » – l’ethos catholique domi-

nant en Irlande en l’occurrence – était inédite dans l’histoire de la Cour et « constitu[ait] un véritable tour-

nant, dangereux, dans la jurisprudence » de celle-ci. Ainsi, la victoire brandie par les organisations pro-choix

doit être nuancée puisque, en définitive, la Cour reconnaît avant tout la marge d’appréciation importante

de l’État irlandais en matière de protection de la vie de l’« enfant à naître » qui s’inspire de la doctrine ca-

tholique.

Pourquoi la CEDH a-t-elle condamné l’Irlande alors ? Elle a dit que l’absence d’une procédure permettant

de faire établir l’existence d’un droit à l’avortement sur le territoire irlandais violait le droit au respect de la

vie privée et familiale d’une des requérantes, C. Autrement dit, la Cour a demandé à l’Irlande de donner un

cadre juridique au sein duquel le 8e amendement peut ne pas s’appliquer, ce qui revient à ouvrir un droit à

l’avortement dans les rares situations où la vie de la mère serait considérée comme supérieure à celle de

l’« enfant à naître ». Plusieurs options s’offraient alors à l’État irlandais pour se mettre en conformité avec

l’arrêt de la CEDH et c’est le choix qu’il fit, celui de légiférer, qui marque un tournant dans l’histoire de

l’avortement en Irlande compte tenu de la situation qui prévalait jusqu’alors.

Une mise en conformité historique

En effet, si l’État reconnu fautif a une obligation juridique de se conformer à l’arrêt de la CEDH, il reste libre

de choisir la forme qu’il souhaite mettre en œuvre. Les pro-choix n’envisageaient d’autre solution que celle

d’une législation et faisaient pression en ce sens auprès des autorités irlandaises tandis que l’Église catho-

Page 31: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

31

lique et les formations pro-vie, parfaitement conscientes de la non obligation du recours à une loi, insistè-

rent sur ce point dès les premiers instants pour décourager le gouvernement de s’orienter vers cette op-

tion à la fois qualifiée de « cheval de Troie » et envisagée comme un régime libéral. Selon eux, des direc-

tives pour déterminer les circonstances où la vie de la mère serait en danger par la grossesse étaient suffi-

santes. De fait, leur crainte est qu’une législation ne puisse être l’objet d’un assouplissement ultérieur des

conditions d’accès à l’avortement, par exemple dans les cas d’inceste, de viol ou bien d’anomalie fœtale

incompatible avec la vie hors du ventre de la mère – combat actuellement mené par le groupe Termination

for Medical Reasons – avant d’inclure des clauses peut-être encore plus libérales, notamment l’avortement

à la demande. Il semble que de simples directives n’encourent pas ce risque.

Néanmoins, l’Expert Group on the Judgment in A, B and C v Ireland, formé pour harmoniser l’arrêt de la

CEDH avec la situation juridique irlandaise, conclut que « une législation, d’une certaine façon, est la voie la

plus appropriée pour réglementer l’accès à l’avortement légal en Irlande » (« legislation, in some form, is

the most appropriate way in which to regulate access to lawful abortion in Ireland »). Ce rapport fut rendu

public quelques jours après la révélation par la presse du décès d’une ressortissante indienne, Savita Ha-

lappanavar, à qui une interruption de grossesse fut refusée tant que les battements de cœur du fœtus

étaient perceptibles alors qu’elle faisait une fausse couche. Une bactérie contamina son sang, entraînant la

septicémie qui lui fut fatale.

Aussi, la simultanéité de ces événements, le rapport du Groupe d’experts et le scandale médiatique suscité

par l’affaire Savita Halappanavar, réveillèrent doublement la conscience des Irlandais sur l’avortement, ce

qui incita le gouvernement à agir, cette fois, rapidement (près de deux ans déjà s’étaient écoulés depuis la

décision de la CEDH). Malgré la prise de position initiale du Premier ministre Enda Kenny contre une loi,

celui-ci fit volte-face pour soutenir l’option législative qui aboutit à la Protection of Life During Pregnancy

Act 2013 entrée en vigueur en 2014.

Protection of Life During Pregnancy Act 2013

La loi, extrêmement restrictive, autorise l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger, y compris par

une menace de suicide. C’est en ce sens que l’arrêt de la CEDH est significatif car il a contraint l’Irlande à

mettre fin à un vide juridique existant depuis l’adoption du 8e amendement en 1983. En effet, aucune pro-

cédure ne permettait d’établir dans quelles conditions la vie de la mère était supérieure à celle de l’« enfant

à naître » et, en conséquence, si la femme pouvait avoir accès à un avortement.

Article 40.3.3 (8e amendement) « L’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, en respectant

pleinement le droit égal de la mère à la vie, garantit dans sa législation le respect de ce droit et, dans la

mesure du possible, de le défendre et de le faire valoir par ses lois »).

Mais la législation souffre de plusieurs défauts et notamment du fait qu’aucun délai au-delà duquel un

avortement ne peut être pratiqué n’est mentionné. Ce point est apparu clairement lors d’une nouvelle af-

faire qui a suscité l’indignation des Irlandais. En raison de l’absence de toute précision de la part de la loi,

Miss Y, victime d’un viol, n’a pas été autorisée à subir un avortement malgré la reconnaissance de son état

suicidaire. Elle était enceinte de plus de 24 semaines, la viabilité du fœtus était donc établie et l’obstétricien

estima que la grossesse était trop avancée pour pratiquer un avortement. Pour cette raison, la grossesse a

Page 32: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

32

été interrompue par césarienne et l’enfant, né à 25 semaines, remis aux soins de l’État. Cette affaire a re-

lancé la controverse et motivé les communications d’associations pro-choix, qui s’inquiétaient de

l’application pratique et effective de la loi lorsqu’une femme menace de se suicider, auprès du Comité des

Ministres du Conseil de l’Europe, entité chargée de surveiller l’exécution des arrêts de la CEDH. Malgré

leurs alertes, le processus de mise en conformité de l’État irlandais avec la décision de la CEDH dans ABC c

Irlande a été clos en décembre 2014. Il est donc considéré que l’Irlande a remédié à la violation de la Con-

vention européenne des droits de l’Homme trouvée dans cet arrêt.

Il faut donc bien comprendre que la CEDH n’a fait que contraindre l’Irlande à préciser les termes de

l’application du 8e amendement, qui reconnaît le droit à la vie de l’« enfant à naître » égal à celui de la

mère, en mettant en évidence le vide juridique. En revanche, la nature de la mise en conformité de l’Irlande

par l’adoption d’une législation, Protection of Life During Pregnancy Act 2013, doit être interprétée comme

un grand changement. Mais ce dernier épisode a aussi et surtout révélé que l’Église catholique est la

grande perdante dans cette affaire. (…)

En conclusion, cet essai a montré que l’arrêt rendu par la CEDH en 2010 dans l’affaire ABC c Irlande n’était

pas un grand arrêt du fait de la prudence extrême dont fait preuve la Cour lorsqu’elle statue sur des affaires

touchant au droit à la « vie à naître ». Néanmoins elle a engendré des changements de portée historique.

D’une part, elle relève de la forme juridique choisie par l’État irlandais pour se conformer à l’arrêt :

l’adoption d’une législation qui, malgré la teneur très restrictive du Protection of Life During Pregnancy Act

2013, marque une défaite pour les pro-vie, dont l’Église catholique. D’autre part, ce processus de mise en

conformité a mis en évidence la rupture des liens étroits entretenus entre l’Église et l’État sur la question

de l’avortement. Même si les relations Église-État avaient déjà été ébranlées par la réévaluation d’autres

questions d’éthique sexuelle (autorisation de la contraception (1985), décriminalisation de l’homosexualité

(1993), légalisation du divorce (1996)), ce dernier épisode sur l’avortement a révélé que l’État ne se laisse

plus influencer par l’Institution catholique. Cette perte d’influence de l’Église sur l’État, ou sécularisation, se

vérifie également chez l’individu soumis à des influences culturelles étrangères, en particulier par

l’entremise des médias, que l’Institution catholique ne contrôle pas. Elle s’observe à différents niveaux dont

le plus visible est le bouleversement du schéma traditionnel de la famille. À l’heure actuelle, un tiers des

mariages célébrés ne sont pas religieux (contre 3,7 % en 1980) et un peu plus d’un tiers des naissances ont

lieu hors des liens du mariage (contre 6 % en 1980). Toutefois, les Irlandais demeurent conservateurs en

matière de respect à la « vie à naître » et il est loin d’être question que l’avortement soit disponible à la

demande.

Pour terminer, rappelons que l’Irlande est l’un des rares pays à avoir une approche aussi traditionaliste de

l’avortement. Parmi les vingt-huit États membres de l’Union européenne, seuls trois autres pays, la Po-

logne, Malte et la Hongrie ont une approche prohibitive en matière d’avortement. Néanmoins, uniquement

l’Irlande a inscrit la défense de la « vie à naître » dans sa Constitution. De plus, il ne faut pas oublier qu’elle

a verrouillé toute éventuelle ingérence de l’Union européenne, notamment par la négociation de garanties

dans les traités européens, afin de rester souveraine sur cette question. L’incertitude planant sur la ques-

tion de l’avortement fut l’une des raisons pour lesquelles les Irlandais rejetèrent le traité de Lisbonne en

2008 plongeant ainsi l’Union dans la crise.

Page 33: NOTE DE SYNTHÈSE - live.objectif-barreau.fr · NOTE DE SYNTHÈSE SUJET D’EXAMEN LAN N°3 Duée de l’épeuve: 5 heures oeffiient de l’épeuve: 3 . Tous droits réservés 2

Tous droits réservés

33