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Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 515–519 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Notes de jurisprudence Audrey Bronkorst (Élève avocat, centre de formation professionnelle des avocats de Lyon) 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 8 janvier 2008 1. La responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales Cour de cassation, 1 re chambre civile, 14 juin 2007 « Attendu que la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l’établissement de santé en matière d’infection nosocomiale n’est pas limitée aux infections d’origine exogène ; que seule la cause étrangère est exonératoire de leur responsabilité. » Monsieur X. subit une opération de la cataracte le 13 avril 1999. Suite à cette intervention, le patient présente une infection oculaire dont résultera la perte de l’usage de son œil. Monsieur X. décide alors, après avoir sollicité une expertise par la voie du référé, de rechercher la responsabilité de Monsieur Y., médecin ophtalmologiste, ainsi que celle de la clinique générale de Valence. Or, en s’appuyant d’expertise ainsi obtenu, la cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble 21-11- 2005) écarte l’idée d’une infection nosocomiale. Les juges d’appel relèvent notamment que la durée de présence de Monsieur X. au sein de l’établissement a été trop courte, que la clinique respecte les consignes de lutte contre les infections nosocomiales et que d’autres patients opérés le même jour n’ont pas subi de complications infectieuses. Par ailleurs, ils énoncent que le Docteur Y. a bien prodigué des soins « diligents, attentifs et conformes aux données actuelles de la science », comme l’exigent les textes en matière de responsabilité médicale. Pour autant cet arrêt sera cassé par la Cour de cassation. En effet, en matière d’infections nosocomiales, le législateur a établi un système de responsabilité de plein droit, c’est-à-dire une responsabilité dont la mise en œuvre ne nécessite pas que soit rapportée la preuve de la faute du professionnel de santé ou de l’établissement. Adresse e-mail : [email protected]. 1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2007.07.007

Notes de jurisprudence

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Page 1: Notes de jurisprudence

Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 515–519

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Notes de jurisprudence

Audrey Bronkorst (Élève avocat, centre de formationprofessionnelle des avocats de Lyon)

22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 8 janvier 2008

1. La responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales

Cour de cassation, 1re chambre civile, 14 juin 2007

« Attendu que la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l’établissement desanté en matière d’infection nosocomiale n’est pas limitée aux infections d’origine exogène ;que seule la cause étrangère est exonératoire de leur responsabilité. »

Monsieur X. subit une opération de la cataracte le 13 avril 1999. Suite à cette intervention, lepatient présente une infection oculaire dont résultera la perte de l’usage de son œil. Monsieur X.décide alors, après avoir sollicité une expertise par la voie du référé, de rechercher la responsabilitéde Monsieur Y., médecin ophtalmologiste, ainsi que celle de la clinique générale de Valence.

Or, en s’appuyant d’expertise ainsi obtenu, la cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble 21-11-2005) écarte l’idée d’une infection nosocomiale. Les juges d’appel relèvent notamment que ladurée de présence de Monsieur X. au sein de l’établissement a été trop courte, que la cliniquerespecte les consignes de lutte contre les infections nosocomiales et que d’autres patients opérés lemême jour n’ont pas subi de complications infectieuses. Par ailleurs, ils énoncent que le Docteur Y.a bien prodigué des soins « diligents, attentifs et conformes aux données actuelles de la science »,comme l’exigent les textes en matière de responsabilité médicale.

Pour autant cet arrêt sera cassé par la Cour de cassation. En effet, en matière d’infectionsnosocomiales, le législateur a établi un système de responsabilité de plein droit, c’est-à-dire uneresponsabilité dont la mise en œuvre ne nécessite pas que soit rapportée la preuve de la faute duprofessionnel de santé ou de l’établissement.

Adresse e-mail : [email protected].

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2007.07.007

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La Haute juridiction civile rappelle dans cette décision qu’en matière d’infections noso-comiales, la responsabilité est de plein droit et précise également que celle-ci ne se limitepas aux infections d’origine exogène. C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur lesprofessionnels et établissements de santé, ce qui explique d’ailleurs le fondement de la déci-sion de la Cour de cassation, à savoir l’article 1147 du Code civil à partir duquel obligationsde moyens et de résultat ont été distinguées. Le corollaire de cette responsabilité de pleindoit est que le professionnel de soin ne pourra pas s’exonérer en apportant la preuve qu’iln’a pas commis de faute. En effet, cet arrêt est également l’occasion pour la Cour de rappe-ler que dans le cadre d’une responsabilité sans faute, seule la cause étrangère est une causeexonératoire de responsabilité.1 Ainsi, le médecin et l’établissement qui voudraient se voir rele-vés de leur responsabilité dans le cas d’une infection nosocomiale devraient-ils prouver quecette infection est due soit au fait du patient, soit au fait d’un tiers, soit à un cas de forcemajeure.

2. Le particularisme du mode de preuve en matière de contamination

Cour de cassation 1re chambre civile 31 mai 2007 no pourvoi 06-19019

« Qu’en statuant ainsi, alors que le demandeur avait apporté des éléments permettant deprésumer l’origine transfusionnelle de cette contamination, et qu’en l’absence de fichetransfusionnelle identifiant avec certitude les produits transfusés à Mme X. . ., et comptetenu du doute concernant l’innocuité de trois des poches de sang susceptibles d’avoir étéutilisées, ce dont il ne pouvait être déduit que l’EFS prouvait que cette transfusion ou cetteinjection n’était pas à l’origine de la contamination, la cour d’appel a méconnu les règlesde preuve instaurées par le texte susvisé. »

Après avoir subi une césarienne en 1988 au sein de la clinique Saint-Nicolas, et appris en 1996qu’elle était contaminée par le virus de l’hépatite C, Madame X. a recherché la responsabilité dela clinique et du GIP de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes.

En appel, elle fut déboutée de toutes ses demandes. En effet, suite à enquête et expertise,les juges d’appel relevaient que la relation de cause à effet entre les transfusions san-guines dont elle a fait l’objet et l’hépatite C dont elle est atteinte ne pouvait être établieque dans l’hypothèse où l’ensemble des culots globulaires commandés auraient été transfu-sés. En effet, seuls trois culots commandés le jour des transfusions présentaient un statutsérologique incertain, faute d’avoir pu contrôler les donneurs. Par ailleurs, le médecin anes-thésiste atteste que lors de son intervention, Madame X. n’a recu que deux culots dont ilconnaît les numéros de référence. Or les donneurs de ces deux culots avaient été contrôlésnégatifs.

Cette analyse était sans compter les dispositions de la loi du 4 mars 2002, et plus spé-cifiquement de son article 102 : « En cas de contestation relative à l’imputabilité d’unecontamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur dela présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cettecontamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injec-tion de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie

1 Article L.1142-1, al.2 du Code de la santé publique tel qu’issu de la loi du 4 mars 2002.

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défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine dela contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin,toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cettedisposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irré-vocable. »

La Cour de cassation rappelle, à cette occasion, que dans le cas d’une contamination pourle virus de l’hépatite C, le demandeur n’est tenu que d’apporter des éléments permettant deprésumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ouune injection de médicaments dérivés du sang. De plus, et comme il est expressément mentionnédans le texte, le doute profite au demandeur.

En l’espèce, la Cour de cassation a cassé la décision des juges d’appel du fait qu’il existaitun doute quant à l’origine des culots de sang utilisés pour les transfusions dont Madame X. anotamment fait l’objet. Madame X., demandeur à l’instance, a bel et bien apporté des élémentsde preuve permettant de présumer une contamination d’origine transfusionnelle. Cette exigencesimplifiée en ce qui concerne la preuve incombant au demandeur, doublée du fait que le doute luiprofite, est bel et bien un particularisme du contentieux relatif à la contamination par le virus del’hépatite C.

3. Respect de la volonté du patient et faute susceptible d’engager la responsabilité dumédecin

Cour de cassation 1re chambre civile 31 mai 2007 no pourvoi 03-19365

« Mais attendu que la cour d’appel a constaté que l’information complète de Mme X. nelui aurait pas offert les arguments d’un choix autre que celui retenu par M. Y ; qu’elle en aexactement déduit qu’il n’existait pas de lien de causalité entre les manquements alléguéspar M. et Mme X. et les préjudices subis par ceux-ci. »

Madame X., dont l’accouchement était prévu pour le 18 mars 1998, était suivie au titre desa grossesse depuis le 27 août 1997 par le Docteur Y. Lors d’une visite de contrôle le 12 jan-vier 1998, le Docteur Y., devant le poids élevé du fœtus et l’hypertension artérielle de la mère,convient avec elle que l’accouchement aurait lieu par césarienne. Le 16 février 1998 MadameX., présentant des contractions, se rend à la clinique où une échographie est pratiquée à 11 h 45.Le Docteur Y. décide alors, sans avoir obtenu le consentement préalable de Madame X., del’accoucher par les voies naturelles et d’abandonner le recours à la césarienne initialementprévue. L’accouchement, compliqué par une dystocie des épaules de l’enfant, laissera celui-ci atteint d’une paralysie du plexus brachial droit, aggravé d’une paralysie du nerf phréniquedroit.

Madame X. recherche alors la responsabilité du Docteur Y. Les juges d’appel débouterontMadame X. de l’ensemble de ses demandes, et celle-ci se pourvoira alors en cassation. MadameX. avance que la décision du Docteur Y. de procéder à l’accouchement par les voies naturelles,sans avoir au préalable recueilli son consentement, et l’abandon de la césarienne initialementconvenue constitue une faute imputable au Docteur Y., du fait du non-respect de la volonté desa patiente. De plus, le lien de causalité nécessaire entre la faute et le dommage est, selon elle,avéré puisqu’elle affirme que le préjudice n’aurait pas été occasionné si la césarienne avait étépratiquée comme convenu.

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La Cour de cassation rejette le pourvoi de Madame X. au motif que le lien de causalité nécessairepour engager la responsabilité pour faute d’un praticien n’est ici pas démontrée. En effet, la HauteCour décide que même une information complète de Madame X. ne lui aurait pas offert lesarguments d’un choix autre que celui retenu par le Docteur Y. Il n’y a, aux yeux de la Cour decassation, pas de lien entre le manquement d’information sur les risques de l’accouchement parvoie basse et l’avènement du dommage.

Dans cette espèce, la Haute juridiction civile fait donc un rappel sur les trois éléments néces-saires à la mise en œuvre de la responsabilité des professionnels de santé, à savoir : l’exigenced’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité, éléments dont le demandeur doit apporterla preuve. Le non-respect de l’obligation d’information, de la volonté du patient, ou l’absencede recueil de son consentement peuvent effectivement constituer une faute. Pour autant, cela nedispense pas le demandeur d’apporter la preuve d’une relation de cause à effet entre l’abstentionfautive et le dommage subi.

4. Diagnostic et appréciation de l’évolution de l’état du patient : les professionnels desanté tenus à des obligations de moyens et non de résultat

Cour de cassation 1re chambre civile 31 mai 2007 no pourvoi 06-12641

« Attendu qu’en déduisant, alors que ne commet pas de faute le médecin qui ne peut poserle diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficileà établir, que l’erreur d’appréciation dans l’aggravation de l’état du patient était fautive,sans rechercher, comme elle y était invitée, si le diagnostic de la pathologie ayant entraînél’issue fatale était difficile à établir, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, auregard du texte susvisé. »

Le Docteur X. a été appelé au chevet de son patient, Monsieur Jacques Y., le 5 janvier2001 car celui-ci présentait des troubles digestifs. Le Docteur X. posera alors le diagnosticd’une gastroentérite virale pour laquelle il lui prescrira un traitement. Le 8 janvier 2001, devantl’absence d’amélioration de l’état de Monsieur Y., le Docteur X. prescrit une prise de sang. Le9 janvier 2001, Monsieur Y. présentant une forte fièvre, le Docteur X. lui conseillera une hos-pitalisation sans délai. Le 10 janvier 2001, Monsieur Y. décède d’un choc septique d’évolutionfatale.

Suite à ce décès, les consorts Y. recherchent la responsabilité du Docteur X. Les juges d’appelretiennent à sa charge des manquements fautifs ayant fait perdre à Monsieur Y. une chance desurvie. En effet, malgré le fait que la cour d’appel décide que le diagnostic initial a été nonfautif, le Docteur X. a, selon elle, commis une faute du fait d’une mauvaise appréciation quant àl’aggravation de l’état de son patient.

Le Docteur X. se pourvoit alors en cassation et la Haute Juridiction casse l’arrêt d’appel aumotif que le médecin ne commet pas de faute s’il n’est pas en mesure d’établir un diagnostic exactlorsque les symptômes le rendent particulièrement difficile à définir.

Dans cette espèce, la Cour de cassation rappelle donc que faute et erreur sont, en droit, desnotions bien différentes et que le professionnel de soin n’est tenu dans le cadre de la définitiondu diagnostic, qu’à une obligation de moyens et non à une obligation de résultat. Les difficultésà établir le diagnostic doivent donc être prises en compte afin d’évaluer le caractère fautif ou nonde la prise en charge.

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5. Obligation d’information : la charge de la preuve pèse sur le médecin

Cour de cassation 1re chambre civile 31 mai 2007 no pourvoi 06-18262

« Attendu que la cour d’appel en a, implicitement mais nécessairement, déduit que M. Y. . .

ne prouvait pas que l’information avait été effectivement donnée par ses confrères à lapatiente; que le moyen n’est pas fondé ;

« Attendu, ensuite, que l’arrêt retient, en se fondant sur les constatations de l’expert, queprévenue des risques accrus du fait de ses antécédents, la patiente aurait pu préférer nepas effectuer l’examen ;

« Que la cour d’appel, après avoir ainsi procédé à la recherche prétendument omise, acaractérisé l’existence du lien causal entre le préjudice et le défaut d’information. »

Dans cette espèce, Madame X. a été victime, suite à un examen artériographique pratiqué le19 mai 1999, d’un accident vasculaire cérébral. Suite à cela, elle a recherché la responsabilité duDocteur Y., médecin radiologue. Madame X. reproche au Docteur Y. de ne pas l’avoir informéedes risques de cet examen, information qui selon elle lui aurait permis de choisir de ne pas lepratiquer. À cette argumentation le Docteur Y. oppose que, en tout état de cause, au vu de lanécessité de l’acte et de son importance, Madame X. n’aurait pas refusé l’intervention même sielle avait eu connaissance des risques qu’elle comportait.

Les premiers juges relèvent que, du fait des antécédents de Madame X., si celle-ci avait étéinformée des risques accrus que présentait cet examen, elle aurait pu préférer ne pas l’effectuer.

La Cour de cassation retient la même solution. En effet, elle rappelle qu’il appartient aumédecin de prouver que l’information nécessaire au consentement éclairé du patient a bien étédélivrée. Que ni l’argument consistant à dire que devant l’importance de l’examen, la patientene l’aurait de toute facon pas refusée, même en connaissant les risques, ni celui consistant àdire que cette information a nécessairement été donnée au cours de la prise en charge par l’unou l’autre des acteurs de soin, ne constituent une telle preuve. Par ailleurs, la Cour de cassationprocède également à la vérification de l’existence du lien causal entre le défaut d’information et ledommage qu’a subi la patiente, rappelant ainsi que la responsabilité d’un professionnel de santéne saurait être engagée sans que les trois éléments faute, lien de causalité et préjudice n’aient étécaractérisés.