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Notes de lectures de Georges Leroy octobre 2017 H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt, HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel. L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciation privilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité… mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau. Abus de fortune HHHII Eric Deschodt Ed. de Fallois, 170 p., 18 € Les contes de fées sont rares, en voici un. Une vieille dame très digne, par- faitement désintéressée, seule héri- tière de son père qui en a fait la femme la plus riche de France, s’en- nuie et s’enfonce dans l’indifférence depuis la mort de son mari. Elle n’a qu’une fille qu’elle voit peu. Une milliardaire sans divertissement est une reine pleine de misère. Solitaire, elle est entourée. D’un personnel considérable et d’un bataillon de parasites. Elle a tout et ne veut rien. Le détachement où elle chavire sem- ble inexorable. Le conte de fées commence ici : une rencontre de hasard au polo de Bagatelle va la ramener à la vie. Son sauveur est un personnage de Pasolini. Grand garçon à talents qui pour- rait être son fils, il enrage d’être pauvre et se démène pour ne plus l’être avec une fureur noire. Il a écrit plusieurs romans sans devenir Musso. Alors il s’est fait photographe, pho- tographe de riches. Ayant remarqué que la richesse est souvent maso- chiste, il les insulte copieusement, en leur tirant le portrait, car il est doué d’un esprit d’enfer. La conjonc- tion de ces deux arts en fait un per- sonnage. Au Polo, à peine a-t-il appris à qui il a affaire qu’il part à l’assaut de l’immense fortune incarnée devant lui. Une alchimie sans précédent démarre aussitôt. La vieille dame et le gigolo mûr sont bientôt insépara- bles. Il la distrait merveilleusement des conclusions de ses comptables qui lui annoncent continûment l’em- pilement sur ses milliards de cen- taines de millions… et l’ennuient à mourir. Aussi ne met-elle point de limites à satisfaire son bienfaiteur. La fortune du photographe dé- passe très vite, de très loin, les trois mille euros mensuels qu’un président de la République fixait récemment comme base à toute richesse. Quand l’amuseur se fait instituer son légataire universel, les proches de la donatrice attaquent cette disposition. La justice leur donnera partiellement raison. La vieille dame n’a rien détourné de ce que ses proches pouvaient es- pérer d’elle. Comme la sienne, et en même temps, leur fortune n’a cessé de grandir, quant à celle du fauteur de trouble, elle n’a pas été strictement volée : toute peine mérite salaire. L'argent fait parfois le bon- heur. Le 4 septembre 1870 HHHII Pierre Cornut-Gentille Perrin, 350 p., 17 € Le 2 septembre 1870, la France subit, à Sedan contre la Prusse, l'une des plus terribles défaites de son histoire. Napoléon III est prisonnier. À Paris, la nouvelle provoque la si- dération, et la foule réclame l'aboli- tion de l'Empire. – Après-midi du 3 septembre aux Tuileries L’impératrice Eugénie reçoit un télégramme de son empereur de mari, Napoléon III : « L’armée est dé- faite et captive ; moi-même je suis prisonnier. » La France est en guerre depuis le mois de juillet 1870 contre Notes de lecture de Georges Leroy, octobre 2017 – Aller = > au dossier d’origine = > à l’accueil du Réseau-regain 1/21

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Notes de lectures de Georges L e r oyo c t ob r e 2017

H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt,HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel.

L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciationprivilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité…mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau.

Abus de fortune

HHHII

Eric DeschodtEd. de Fallois, 170 p., 18 €

Les contes de fées sont rares, envoici un.

Une vieille dame très digne, par-faitement désintéressée, seule héri-tière de son père qui en a fait lafemme la plus riche de France, s’en-nuie et s’enfonce dans l’indifférencedepuis la mort de son mari. Elle n’aqu’une fille qu’elle voit peu. Unemilliardaire sans divertissement estune reine pleine de misère. Solitaire,elle est entourée. D’un personnelconsidérable et d’un bataillon deparasites. Elle a tout et ne veut rien.Le détachement où elle chavire sem-ble inexorable. Le conte de féescommence ici : une rencontre dehasard au polo de Bagatelle va laramener à la vie. Son sauveur est unpersonnage de Pasolini.

Grand garçon à talents qui pour-rait être son fils, il enrage d’être

pauvre et se démène pour ne plusl’être avec une fureur noire. Il a écritplusieurs romans sans devenir Musso.Alors il s’est fait photographe, pho-tographe de riches. Ayant remarquéque la richesse est souvent maso-chiste, il les insulte copieusement,en leur tirant le portrait, car il estdoué d’un esprit d’enfer. La conjonc-tion de ces deux arts en fait un per-sonnage.

Au Polo, à peine a-t-il appris àqui il a affaire qu’il part à l’assautde l’immense fortune incarnée devantlui. Une alchimie sans précédentdémarre aussitôt. La vieille dame etle gigolo mûr sont bientôt insépara-bles. Il la distrait merveilleusementdes conclusions de ses comptablesqui lui annoncent continûment l’em-pilement sur ses milliards de cen-taines de millions… et l’ennuient àmourir. Aussi ne met-elle point delimites à satisfaire son bienfaiteur.

La fortune du photographe dé-passe très vite, de très loin, les troismille euros mensuels qu’un présidentde la République fixait récemmentcomme base à toute richesse. Quandl’amuseur se fait instituer son légataireuniversel, les proches de la donatriceattaquent cette disposition. La justiceleur donnera partiellement raison.

La vieille dame n’a rien détournéde ce que ses proches pouvaient es-pérer d’elle. Comme la sienne, et

en même temps, leur fortune n’acessé de grandir, quant à celle dufauteur de trouble, elle n’a pas étéstrictement volée : toute peine méritesalaire. L'argent fait parfois le bon-heur.

Le 4 septembre 1870

HHHII

Pierre Cornut-GentillePerrin, 350 p., 17 €

Le 2 septembre 1870, la Francesubit, à Sedan contre la Prusse, l'unedes plus terribles défaites de sonhistoire. Napoléon III est prisonnier.À Paris, la nouvelle provoque la si-dération, et la foule réclame l'aboli-tion de l'Empire.

– Après-midi du 3 septembre

aux Tuileries

L’impératrice Eugénie reçoit untélégramme de son empereur demari, Napoléon III : «L’armée est dé-faite et captive ; moi-même je suisprisonnier.» La France est en guerredepuis le mois de juillet 1870 contre

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la Prusse de Bismarck. Et, maladiebien française, elle était certaine dela gagner. Hélas, la déroute est com-plète et plutôt que d’aller au carnage,Napoléon  III préfère capituler. Lanouvelle commence à se propager,il va falloir agir.

– 17 h. du côté des Républicains

Quelques députés républicainsvont trouver Adolphe Thiers (faroucheopposant à l’Empire) pour lui de-mander de prendre la tête «d’unesorte de gouvernement d’union na-tionale improvisé». Thiers refuse. Lesdéputés sont consternés. Il faut pour-tant trouver une idée pour éviterune nouvelle Révolution. On imaginealors un triumvirat mené par deshommes d’expérience : Schneider(président du Corps législatif – as-semblée législative), Palikao (ministrede la guerre) et Trochu (gouverneurde Paris).

– 18 h. à 20 h. aux Tuileries

La pression monte, Eugénie, ré-gente depuis le départ de son maripour la guerre, convoque le conseildes ministres. On envisage la fuite,c’est hors de question pour l’impé-ratrice. Elle s’accroche encore fé-brilement à l’idée que son fils puissehériter. Est-elle triste que son marisoit captif ? Non, elle aurait préféréle savoir mort que prisonnier. L’an-nonce de sa mort aurait pu attendrirles Français et favoriser la poursuitedynastique, au lieu de cela Napo-léon III passe pour un lâche.

Le 4 septembre, en quelquesheures, la déchéance est votée, ungouvernement de la Défense natio-nale est constitué et la Républiqueest proclamée, dans une grande agi-tation, mais sans aucune goutte desang, ce qui est sans précédent

depuis 1789. Entre le Palais-Bourbonenvahi, les Tuileries désertées, l'Hôtelde Ville et le ministère de l'Intérieuren ébullition, se joue et s'écrit unmoment d'histoire de la France,puisque depuis lors la Républiqueest le régime institutionnel.

L'auteur relate heure par heureet de lieu en lieu cette journée mé-connue, mettant en scène l'impéra-trice Eugénie exfiltrée de son palais,le ministre de la Guerre Palikao, legénéral Trochu, président du nouveaugouvernement, le vieil et vert orléa-niste Thiers, les républicains de 1848Grévy et Crémieux, les jeunes pru-dents comme J. Favre, J. Ferry, E. Pi-card, plus ardents comme Gambettaqui impose son énergie et son élo-quence.

Cent années de Russie

HHHII

Robert GiraudEd. de l’Aube, 260 p., 22 €

Actuellement, la Russie, pourbeaucoup de Français, c’est Poutine.Mais il ne faudrait pas que l’arbre,aussi médiatisé soit-il, nous cachela forêt. Et la forêt qu’il nous reste àdécouvrir, c’est la diversité foison-nante de la société russe contempo-raine. En cette année c’est aussi laRévolution de 1917. Nombre de li-vres commémoratifs sont publiés.Mais La Russie c’est aussi les épreuves

de la guerre, les goulags, le passageà l’économie de marché et à unesociété ouverte ont fait émerger unpays fortement contrasté, dans lequels’entremêlent et se confrontent cou-rants et tendances. Mais un paysaussi qui répugne à revivre les terri-bles affrontements qui ont marquéson histoire… L’auteur a scruté enexplorateur attentif les situations, lesréactions. Les faits parlent suffisam-ment par eux-mêmes.

Afin que rien ne change

HHHII

Renaud CerqueuxLe dilettante, 250 p., 18 €

Bon sang qu’il est bon ce roman.Révoltant, drôle et décapant.

Le résumé: Emmanuel Wynne,quatrième fortune française, PDGcharismatique de la startup de trans-port Over, golden boy milliardairede son état, se retrouve séquestrédans une cellule crasse (proche decelles qu’on peut trouver dans lesgeôles turques de Midnight Express),sans motif apparent si ce n’est celuide faire partie d’une «expérience»dont il ne sait rien.

Pour améliorer son quotidiende détenu, le milliardaire doit tra-vailler. Il devient empileur de sucreschez Candy Towers. Par le biais decette mise en scène, son ravisseurle plonge dans un quotidien aliénant

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et le confronte à l'absurdité de l'en-treprise.

Alors que Wynne est sur le pointde perdre la tête, une jeune femmese prostituant pour payer ses étudesvient perturber sa routine et sa soli-tude. À son contact, il réalise que lecapitalisme néolibéral vit ses der-nières heures et que s'il ne veut pasperdre littéralement la tête, il va de-voir faire ce pour quoi il est le plusdoué, changer les règles du marchéet mener une révolution, pour conser-ver le pouvoir, afin que rien nechange.

Car au-delà d’une charge féroceenvers un univers économique quicourt à sa propre perte (non sansvouloir embarquer tout ce qui pour-rait ralentir sa chute) l’auteur livreun premier roman percutant, quiallie l’ironie cinglante à un réalismebrutal mais lucide. Un texte puissantqui galope sur 255 pages que l’ondévore avec l’appétit insatiable d’untrader face à l’annonce d’un plande restructuration.

Ainsi parlait Thoreau

HHHII

Arfuyen, 180 p., 14 €Publié à l’occasion du 200e an-

niversaire de sa naissance, ce volumeest consacré à un personnage-clefde la contre-culture américaine.Maître à penser de mai 1968 et de

l’écologie, Henry David Thoreau(1817-1862) est l’auteur du célèbreWalden ou La vie dans les bois, ré-férence absolue d’une expériencede vie en totale autarcie et commu-nion avec la nature en même tempsqu’une réflexion très moderne surl’économie.

Connu comme pacifiste et mili-tant contre l’esclavage, Thoreau estsurtout un admirable écrivain. Proustvante ses descriptions qu’on voit«comme si on les lisait à l’intérieurde soi-même». Lecteur passionnédes philosophes antiques commedes grands textes des religions orien-tales, Thoreau est une forme de«sage» moderne et de maître de vieproche du transcendantalisme.

De Thoreau, on ne connaît guèreen France que Walden et l’essai surLa Désobéissance civile, deux textesqui, réédités dans les années soixante,sont devenus pour les jeunes demai 1968 des ouvrages cultes. Enréalité l’œuvre de Thoreau est im-mense et encore largement non tra-duite en français : aux nombreux es-sais, récits et romans, il faut ajouterle Journal rédigé de 1837 à 1861ainsi qu’une énorme correspon-dance.

Peu d’auteurs ont eu un rayon-nement aussi vaste et durable : dansle domaine politique, il a exercéune influence essentielle sur Gandhiou Martin Luther King. En littérature,sur Stevenson, Henry Miller ou He-mingway. Tolstoï s’enthousiasme pourLa Désobéissance civile et le traduiten russe. En musique, John Cagevoit en Thoreau son maître.

Pénétré d’humanisme gréco-latin,Thoreau voit dans le respect de lanature la source de toute sagesse :

«Toutes les formes naturelles – feuillesde palmier et glands, feuilles dechêne, sumac et cuscute – sontautant d’aphorismes intraduisibles.»Le naturaliste, le moraliste et le pa-cifiste sont chez lui un seul et mêmehomme.

Ambedeus

HHHII

CollectifPUP Sorbonne, 250 p., 23 €

Both, beide, ambos, ambedue :nombre de langues ont encore unmot pour dire le couple commeunité formée par deux entités. Siaujourd’hui notre langue a perducette catégorie du «duel» que pos-sédait l’ancien français (ambedeus),les couples topiques (le seigneur etson vassal, le chevalier et sa dame,l’homme et son saint patron, lemaître et son élève) structurent tou-jours notre imaginaire du MoyenÂge. Y aurait-il une importance spé-cifique à former un couple, et plusgénéralement à être deux, durantl’époque médiévale ?

De la cellule de base qu’est lecouple marital, on imagine volontiersqu’elle donne son fondement à lafamille, doit refléter l’ordre du groupeet ainsi assurer la stabilité de l’édificesocial et politique. Mais là n’est pasla seule image qui se dégage desécrits médiévaux ni de la réalité des

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pratiques, qui s’écartent bien souventdes normes définissant et encadrantles rapports entre deux individus.Pour repenser la relation duelle, lescontributions réunies dans ce volumeétudient le couple au sens large,dans la continuité qui lie la relationconjugale à la relation sociale, entant qu’il engage les catégories dela pensée médiévale.

Dans la littérature, la philosophie,l’art ou l’histoire du Moyen Âge, lesduos peuvent ouvrir un espace de li-berté où s’insinuent bien souvent latransgression et le désordre, mais oùopère également la logique supérieurede l’amour divin : le lien personnelqui se tisse entre deux êtres n’ouvri-rait-il pas sur un processus deconstruction identitaire et sur uneréinvention des règles sociales ?

Ascension

HHHII

Vincent DelecroixGallimard, 640 p., 24,50 €

Le narrateur, Chaïm Rosenzweig,a publié sans grand succès quelqueslivres sous le pseudonyme de VincentDelecroix. Pour gagner sa vie, il tra-vaille dans la teinturerie de son père,à Paris. Inexplicablement, la NASAl’a désigné pour faire partie de l’équi-page d’une navette spatiale qui doit,pour sa dernière mission, rejoindrela Station internationale.

Après des mois d’entraînementémaillés d’incidents invraisemblableset de conversations délirantes, Chaïmfinit par embarquer à bord de la na-vette en compagnie d’un équipagehaut en couleur. Or ce voyage, sousson apparente bouffonnerie, a unedimension insoupçonnée. Peut-êtrecette mission est-elle vraiment ladernière. Il faut dire qu’un passagerimprévu – et néanmoins célébris-sime – vient soudain révéler sa pré-sence en pleine ascension…

L’auteur laisse souffler sur sonroman un vent de folie. Sa vitalité,son inventivité et son humour sontici mis au service d’une réflexionsur le mal et le renoncement.

La beauté des jours

HHHII

Claudie GallayActes Sud, 410 p., 22 €

Jeanne mène une vie rythméepar la douceur de l’habitude. Elleétait jeune quand elle a épouséRémy, ils ont eu des jumelles, sontheureux ensemble et font des projetsraisonnables. Mais Jeanne aime aussile hasard, les surprises de l’inattendu.L’année du bac, un professeur luiavait fait découvrir l’artiste serbeMarina Abramovi�. Fascinée parcette femme qui engage son existencedans son travail, Jeanne a toujoursgardé une photographie de sa célèbre

performance de Naples : comme unporte-bonheur, la promesse qu’il estpossible de risquer une part de soipour vivre autrement. Quand Jeannes’amuse à suivre tel ou tel inconnudans la rue ou quand elle calcule lenombre de bougies soufflées depuisson premier anniversaire, c’est à cetesprit audacieux qu’elle pense. Sur-tout cet été-là. Peut-être parce que,les filles étant parties, la maisonparaît vide? Ou parce que sa meil-leure amie, qui s’est fait plaquer, luirappelle que rien ne dure? Ou parcequ’elle recroise un homme qu’ellea aimé, adolescente? Jeanne se révèleplus que jamais songeuse et fan-tasque, prête à laisser les courantsd’air bousculer la quiétude des jours.

À travers la figure lumineuse deJeanne et la constellation de per-sonnages qui l’accompagnent et lapoussent vers un accomplissementserein, l’auteur compose un romanchaleureux et tendre sur la force li-bératrice de l’art, sur son pouvoirapaisant et révélateur. Et sur la beautéde l’imprévisible.

La croisière du Snark

HHHII

Jack LondonEd. Libretto, 280 p., 13 €

En 1907, Jack London, sa femmeCharmian et un équipage d'amateursembarquent à San Francisco à bord

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du Snark, un voilier de 17 mètresconstruit pour l'occasion Jack Londona fait construire à San Francisco cebateau en l'honneur de Stevensonauquel il se référera si souvent lorsde son voyage. La construction allaitêtre retardée par le fameux tremble-ment de terre qui secoua la ville,mais l'équipage qui changera maintesfois d'effectif appareille finalementpour Hawaï.

Sa destination : Sydney. Marindans l'âme, le romancier parvient àHawaii, visite la Polynésie avant demettre le cap sur les îles les plus re-culées de Mélanésie, puis rallie l'Aus-tralie. Entre rencontres, explorationset difficultés presque insurmontables,London écrit à un rythme effréné.Ce périple homérique, dans l'espritde London, devait durer sept ans. Ildura en réalité vingt-sept mois, maisvingt-sept mois de difficultés, de dé-couragements, de bravoure, d'émer-veillements et de création. Au fil decette traversée du Pacifique naîtrontL'Aventureuse ou Les contes desmers du Sud et, surtout, Martin Eden.Ainsi, par-delà les péripéties duvoyage, La Croisière du Snark révèlel'écrivain dans l'intimité de sa créa-tion.

À la lecture du présent ouvrageon imagine London, toujours sou-cieux de se prouver que sa volontéparvient à bout de tout, apprendre"sur le tas" à gouverner un navireque son capitaine a déserté lorsd'une escale aux îles Fidji ; écrirede sa belle écriture lisible des cen-taines de pages que Charmian sonépouse tape sur leur Remington ;partir en excursion ; pratiquer le "sport des rois ", le surf - à proposduquel il écrira un article qui enlance la mode aux États-Unis ; s'im-

proviser médecin auprès de seshommes et mécanicien dans un ba-teau pour qui le mot panne sembleavoir été inventé. Hawaï, la léproseriede Molokai, les Marquises, Tahiti,les Samoa, les Fidji, les Nouvelles-Hébrides, les Salomon, Guadalcanal,Australie, Tasmanie. London parcourttout le Pacifique à la poursuite desgrands aînés Melville et Stevenson,du paradis ensauvagé qu'ils ontconnu et fait vivre sous leur plume.Il découvre un monde certes splen-dide mais déjà gangréné par les ma-ladies importées et l'idéologie duprogrès qui, bientôt, désenchanterales îles. Deux morceaux d'anthologie:quand London raconte la Genèse etquand médecin "malgré lui", il estconfronté à sa propre décrépitude,lui si fier de son corps qu'il croyaitpresque insensible aux lois de lanature.

Cette chose étrange en moi

HHHII

Orhan PamukGallimard, 680 p., 25 €

Comme tant d’autres, Mevlut aquitté son village d’Anatolie pours’installer sur les collines qui bordentIstanbul. Il y vend de la boza, cetteboisson fermentée traditionnelle pri-sée par les Turcs.

Mais Istanbul s’étend, le raki dé-trône la boza, et pendant que ses

amis agrandissent leurs maisons etse marient, Mevlut s’entête. Toutesa vie, il arpentera les rues commemarchand ambulant, point mobileet privilégié pour saisir un mondeen transformation. Et même si sesprojets de commerce n’aboutissentpas et que ses lettres d’amour nesemblent jamais parvenir à la bonnedestinataire, il relèvera le défi des’approprier cette existence qui estla sienne.

En faisant résonner les voix deMevlut et de ses amis, l’auteur décritl’émergence, ces cinquante dernièresannées, de la fascinante mégapolequ’est Istanbul. Cette « choseétrange», c’est à la fois la ville etl’amour, l’histoire poignante d’unhomme déterminé à être heureux.Le lecteur pourra s’étonner de l’ab-sence de regard politique ou religieuxcomme Kamel Daoud.

La chambre des époux

HHHII

Eric ReinhardtGallimard, 180 p., 17 €

Nicolas, une quarantaine d’an-nées, est compositeur de musique.Un jour, sa femme Mathilde apprendqu’elle est atteinte d’un grave cancerdu sein qui nécessite une intensechimiothérapie. Alors que Nicolass’apprête à laisser son travail en planpour s’occuper d’elle, Mathilde

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l’exhorte à terminer la symphoniequ’il a commencée. Elle lui dit qu’ellea besoin d’inscrire ses forces dansun combat conjoint. Nicolas, trans-figuré par cet enjeu vital, joue chaquesoir à Mathilde, au piano, dans leurchambre à coucher, la chambre desépoux, la symphonie qu’il écrit pourl’aider à guérir.

S’inspirant de ce qu’il a lui-même vécu avec son épouse pendantqu’il écrivait son roman Cendrillonvoilà dix ans, Éric Reinhardt livreici une saisissante méditation sur lapuissance de la beauté, de l’art etde l'amour, qui peuvent littéralementsauver des vies.

Si la première partie du romanest intéressante et bien faite voireoriginale, la seconde hélas, tombedans la vulgaire et l’absurde.

Enseigner avec bonheur

HHHHI

Christiane ConturieParole et silence, 180 p., 16 €

Le bonheur d'enseigner : cetteformule surprendra, alors que l'oninsiste tant aujourd'hui sur les diffi-cultés, les désillusions, les résistancesauxquelles se heurtent tant d'hommeset de femmes qui exercent ce métier.Mais l'intention de l’auteur est claire :elle cherche à relever le défi del'éducation, en faisant appel à sapropre expérience et surtout aux

ressources intérieures des enseignantseux-mêmes. Elle ne prétend absolu-ment pas réformer ce que l'on appellele système éducatif ou l'institutionscolaire. Ses réflexions se situent àun autre niveau, beaucoup plus ra-dical celui des convictions nourriespar la pratique, c'est-à-dire par l'exer-cice tenace de ce métier éprouvantet passionnant et par la rencontredes jeunes tels qu'ils sont, avec leursattentes et leurs questions, sans ou-blier l'horizon des brisures familialeset des précarités sociales. Une pierresupplémentaire de la vision chré-tienne de l’éducation.

Bakounine

HHHII

HE KaminskiLa table ronde, 400 p., 9 €

La silhouette d'un colosse traverseles révolutions politiques de l'Europeen 1848-1849. Michel Bakounine,premier Russe absolument libre, ac-court là où règne l'émeute, et lacrée quand elle n'existe pas. L'in-surrection de Dresde amènera sonarrestation, sa tête mise à prix dixmille roubles d'argent. Condamné àmort par les Saxons puis par les Au-trichiens, il est livré au tsar Nicolas.Ses forteresses le retiendront six ans,mais pas la Sibérie, d'où il s'enfuiraen 1861 pour reprendre son combatcontre toutes les autorités de la terre.

Inlassablement, il insistera sur la né-cessité de saper les fondements ju-ridiques de l'ordre existant pour ren-dre vaine toute tentative de restau-ration, s'attaquant aux institutionsplutôt qu'à ceux qui ont le malheurde les représenter. Des conspirationsde sa jeunesse à la " dictature invisible" qui lui paraîtra mieux adaptée,dans ses dernières années, à sonprojet d'incendier les châteaux, debrûler cadastres et hypothèques, Ba-kounine cherchera à réunir les condi-tions d'une liberté qui ne doit pasêtre octroyée, mais conquise. Détruireles anciens rapports sociaux, produirel'étincelle qui mettra le feu aux pou-dres à la bonne heure, cette illumi-nation d'un monde nouveau, il necessera de la vivre pour la rendreplus proche à ceux de ses compa-gnons qui rêvaient moins ardemmentque lui. L’auteur a su décrire avecjustesse et chaleur la vie étonnantede cet aristocrate russe devenu unvagabond magnifique et dépenaillé,à qui on ne pouvait refuser que departager son rêve…

Défensede Prosper Brouillon

HHHII

Eric ChevillardEd. Noir sur blanc, 100 p., 14 €

Ce livre se présente à premièrevue comme une exploration de l’œu-

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vre merveilleuse d’un écrivain ré-pondant au nom de Prosper Brouillondans le but d’en faire l’éloge. Maisce n’est qu’un déguisement : il s’agiten réalité d’un féroce réquisitoirecontre une certaine littérature insti-tutionnalisée, pantouflarde et satisfaited’elle-même. Qu’en est-il quand ony regarde de plus près ? Voilà à quoirépond l’auteur dans ce livre aussifrais que caustique et assassin. Pros-per Brouillon est le nom donné àl’ensemble des écrivains chez quiont été collecté les phrases, exem-plaires, à partir desquelles l’auteurs’est amusé à reconstruire un fauxroman délirant.

Voici un conte, une fiction niplus ni moins fondée sur l’expérienceréelle de son auteur que n’importequel roman.

Ce livre s’adresse aux désespérés,aux nostalgiques convaincus quenous nous essoufflons, que les plusbelles pages de notre littérature ontété tournées depuis longtemps etjaunissent derrière nous et qu’il nereste plus rien à écrire.

Baudelaire

HHHII

Marie-Christine NattaPerrin, 550 p., 28 €

Enfant, Charles Baudelaire vou-lait être comédien. Cette fantaisieest très sérieuse : elle révèle toute

l'importance que Baudelaire accordeà l'artifice, l'élément fondateur deson dandysme. Loin d'être une modefrivole ou juvénile, le dandysme re-présente pour lui une philosophiequ'il revendique et manifeste autantpar sa vie que par son œuvre. Voilà,parmi d'autres thèmes, ce qu'apportecette biographie novatrice de l'auteurdes Fleurs du mal : bien des pansde la geste du poète romantiqueméritaient d'être à nouveau ques-tionnés.

Nourrie de sources premières(les œuvres, la correspondance,les notes autobiographiques, lestémoignages directs), Marie-Chris-tine Natta ne se contente pas deréutiliser une matière déjà exploitée.Elle accorde une place nouvelle àl'entourage de Baudelaire et enparticulier à son éditeur Poulet-Malassis. Elle montre la pluralitéde son talent, celui du poète, dutraducteur, du critique littéraire etdu critique d'art. Elle n'oublie pasnon plus – ce qui est moins connu– l'humour de Baudelaire. Ce fai-sant, elle met en évidence lescontradictions déchirantes de celuiqui n'est jamais bien là où il est,qui célèbre les vertus du travail etmaudit sa fainéantise, qui rêve d'or-dre et de luxe, mais mène une viede «chien mouillé». C'est de cetteexistence au cours paradoxal, ma-gnifiquement restituée par la plumesubtile et ciselée de l’auteur, qu'estapparue, comme un miracle, l'œu-vre essentielle d'un créateur quine se sent pas fait comme les autreshommes, mais dans lequel chacunse reconnaît. Une biographie ma-gistrale, qui ne cache pas les dé-fauts. Tout est là admirablementmis en scène.

Le cénotaphe de Newton

HHHII

Dominique PagnierGallimard, 600 p., 24 €

Comme chacun sait, un céno-taphe est un monument dédié à lamémoire d’un mort, mais à la diffé-rence d’un tombeau il ne contientpas de corps. L’architecte françaisÉtienne-Louis Boullée (1728-1799)a imaginé des projets de cénotaphes.Son style comporte des formes géo-métriques simples, l’absence de toutornement superflu, la répétition deséléments comme les colonnes, letout sur une échelle gigantesque.Son projet de cénotaphe à IsaacNewton, jamais construit, est com-posé d’une sphère de 150 m poséesur une base circulaire couronnéede cyprès.

Mais c’est aussi en cette rentréelittéraire le titre d’un excellent ro-man.

Plongée en eaux profondes dansl’Europe de la guerre froide, errancedans les rues désertes de Vienne,Berlin, Potsdam, ce roman est d’abordun extraordinaire voyage à la re-cherche d’un monde perdu, celuiqui a disparu avec la chute du Mur.

Mais ce livre est aussi le romand’une quête du père énigmatique,d’un apprentissage amoureux oùl’aventure individuelle croise en per-

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manence la grande scène historiquedes passions totalitaires. L’hommesans qualités de Musil a un succes-seur.

Pour la première fois, à l’égald’un Sebald, d’un Bolaño, un écrivainfrançais investit l'immense champde l’histoire européenne du XXe siè-cle, de ses utopies, de son désastre.Du XVIIIe siècle des Lumières aurègne sinistre de la Stasi, cet ouvrageoffre une métaphore vertigineuse duXXe siècle.

Au nom de Luther

HHHII

Sonia Pelletier-GautierLe Cerf, 360 p., 24 €

Avril 1525, Luther se fiance. Juin1525, il se marie.

Durant cette courte période, deshordes de paysans se battent pourélargir leurs droits, et ce au nom deLuther qui désapprouve pourtant cessoulèvements. Mêlant histoire et fic-tion, alternant la voix du père duprotestantisme avec celle de SophiaKeygler, personnage trouble au destinétrange dont la venue dans un petitvillage d’Alsace est mystérieuse, l’au-teur nous plonge dans l’intimité del’homme au combat ambigu, guidépar la Parole divine, et écrit unegrande épopée romanesque quihappe le lecteur en lui faisant vivreles événements de ce siècle si riche

et mouvementé à travers deux destinspour le moins fascinants. Une su-perbe épopée romanesque dont onaimerait qu’elle n’ait pas de fin.

Ce roman se déroule dix ansaprès Marignan et fait alterner lesvoix de Martin Luther, alors jeunemarié, de personnages historiqueset de Sophie, une habitante de Gueb-willer, en Alsace. Il propose uneplongée dans une époque troublée,celle des révoltes paysannes. Oùl’on voit l’utilisation de la religionnouvelle à des fins sociales et poli-tiques.

L’auteur s’affirme ici par le sérieuxde ses recherches et la qualité de saplume, et poursuit son œuvre faitede romans historiques.

Les buveurs de lumière

HHHII

Jenni FaganMetaillé, 300 p., 20 €

Nous sommes en 2020. Lemonde entre dans l’âge de glace, ilneige à Jérusalem et les icebergsdérivent le long des côtes. Neige ausoleil, stalactites éclatantes, auroresboréales. Pour les jours sombres quis’annoncent, il faut faire provisionde lumière.

Dylan, géant barbu et tatoué,débarque au beau milieu de la nuitdans la petite communauté de Cla-chan Fells, au nord de l’Écosse. Il a

vécu toute sa vie dans un cinémad’art et essai à Soho, il recommencetout à zéro. Dans ce petit parc decaravanes, il rencontre Constance,une bricoleuse de génie au manteaude loup dont il tombe amoureux, etsa fille Stella, ex-petit garçon, enpleine tempête hormonale (…), quidevient son amie. Autour d’eux gra-vitent quelques marginaux, un taxi-dermiste réac, un couple de sata-nistes…

Les températures plongent, lesjournaux télévisés annoncent descatastrophes terribles, mais dans lescaravanes au pied des montagnes,on résiste : on construit des poêles,on boit du gin artisanal, on démêleune histoire de famille, on tente des’aimer dans une lumière de mira-cle.

Dans ce roman éblouissant aulyrisme radical, peuplé de person-nages étranges et beaux, l’auteurdistille une tendresse absolue quidonne envie de hâter la fin dumonde. Les images de cet hiver in-tempestif sont saturées de lyrisme

La (re)création du monde

HHHII

Benoit WibauxQuasar, 140 p., 9 €

Avec une série de contes, l’auteurimagine les dialogues de Dieu avecles lois de l'univers. L’auteur est pas-

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sionné par les sciences mathéma-tiques et physiques. À ses yeux, nonseulement elles ne s’opposent pasaux récits de la Genèse, mais ellespermettent de contempler les mys-tères de la Création. Regrettant unecertaine « frilosité» des chrétiens àl’égard de la science, il s’y plongeavec délice et constate « tous lesgrands physiciens touchent à la phi-losophie, à la métaphysique, lascience y mène… mathématique-ment !».

Les grandes questions sur l’originedu monde, du type : «Y a-t-il eu uncommencement ? Y a-t-il un GrandHorloger ?», tout le monde se lespose, étant enfant, puis beaucouples mettent de côté… Provisoirement,car elles resurgissent, de loin enloin. À défaut d’y répondre, l’auteurexplore ces questions. Sur lesplanches, le lever de rideau révèledes personnages aussi divers que LePrincipe anthropique, La Fin destemps et son style gothique, Le Ha-sard qui bégaie… et bien sûr Dieului-même.

En dialoguant avec ses filles, il aeu l’idée de ce livre, puis il a com-mencé à rédiger des scènes courtes,dont il laissait traîner le script à côtéde la machine à café, au travail :« Mes collègues, dont peu sontcroyants, se sont bien amusés à lelire et à me faire des remarques, sesouvient l’auteur». Le livre a prisforme avec un total de 28 contes.

Les dialogues de l’Immanenceet de la Transcendance, les problèmesexistentiels du Néant originel etautres questions éthiques soulevéespar la Fin des temps se succèdent.Quelquefois, devant les questionsqui abordent les univers multiples,

on est tenté de donner sa langue auchat (de Schrödinger). Mais d’autresquestions donnent à contempler lacomplexité de la Création, et l’oncomprend mieux l’auteur quand ilaffirme que la science est un moyend’apprécier le « travail de Dieu». Enparticulier lorsque le bon Dieu, dansson atelier, commande aux anges lafabrication d’Adam et d’Ève. Il fautque ce soit un être à l’image deDieu, intelligent, moral et libre, riende moins ! L’étrange créature quiressort des ateliers mérite l’excla-mation du psaume 138 : « Je recon-nais devant toi le prodige, l’êtreétonnant que je suis».

Fief

HHHII

David LopezLe Seuil, 260 p., 17 €

Quelque part entre la banlieueet la campagne, là où leurs parentsont eux-mêmes grandi, Jonas et sesamis tuent le temps. Ils fument, ilsjouent aux cartes, ils font pousserde l’herbe dans le jardin, et quandils sortent, c’est pour constater cequi les éloigne des autres.

Dans cet univers à cheval entredeux mondes, où tout semble vouéà la répétition du même, leur fief,c’est le langage, son usage et sonaccès, qu’il soit porté par Lahuissquand il interprète le Candide de

Voltaire et explique aux autres com-

ment parler aux filles pour les séduire,

par Poto quand il rappe ou invective

ses amis, par Ixe et ses sublimes

fautes d’orthographe. Ce qui est en

jeu, c’est la montée progressive d’une

poésie de l’existence dans un monde

sans horizon.

Au fil de ce roman écrit au cor-

deau, une gravité se dégage, une

beauté qu’on extirpe du tragique or-

dinaire, à travers une voix neuve,

celle de l’auteur.

Comme une rivière bleue

HHHII

Michèle Audin

Gallimard, 400 p., 23 €

« Personne ne se souvient de

leurs noms, mais je vais vous dire

un ou deux mots de cette passe-

mentière qui toute sa courte vie

souffrit tellement des dents, de ce

marchand de produits chimiques de

Saint-Paul que seules de grandes

quantités de vin rouge consolaient,

de ce menuisier qui sculptait de

petits jouets en bois pour l’enfant

qu’il attendait, de ce cordonnier qui

se souvenait de ce geste touchant,

sa femme relevant ses cheveux, elle

était morte pendant le siège, de cette

tourneuse qui aurait voulu être ins-

titutrice, de cette brocheuse qui avait

un carnet dans lequel elle notait ce

qu’elle faisait ou pensait…»

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Une petite foule de personnages,Marthe, Paul, Maria, Floriss… vivent,aiment, espèrent, travaillent, écrivent,se battent, enfermés dans Paris, pen-dant les soixante-douze jours qu’aduré la Commune. Ce livre est leurhistoire, vécue nuit et jour, à traversles fêtes, les concerts, les débats fié-vreux, à l’Hôtel de Ville, à la barrièred’Enfer, au Château-d’Eau, sur lesfortifications, dans ce Paris de 1871qui est encore le nôtre.

À l'aide de journaux inconnus,de l’état civil et de ses failles, delivres de témoins, ce roman nousentraîne dans la ville assiégée, der-rière quelques-uns des obscurs quifabriquent cette «révolution qui passetranquille et belle comme une rivièrebleue».

Un féminisme musulmanet pourquoi pas?

HHHII

Malika HamidiL’aube, 160 p., 20 €

Dans le monde musulmancomme en Occident, les féministesdites « laïques» et «musulmanes»s'allient pour trouver des réponsesaux problèmes liés au changementdu statut des femmes: elles réclamentune égalité entre les genres et s'en-gagent dans la vie politique, religieuseet culturelle pour faire évoluer lesmentalités à partir d'un paradigme

islamique. L’auteur raconte ici lesfondements théoriques et historiquesde ce mouvement et sa mise en œu-vre actuelle, en s'appuyant tant surdes textes fondateurs que sur desexemples tirés de l'actualité. Sonmessage est clair : la femme musul-mane peut et doit s'engager dans lecombat féministe.

Saluons le courage de l’auteurde se focaliser là où est le problème,alors que les féministes germano-pratine poussent des cris d’orfraiecontre le mâle blanc tout en étantsubjugués par l’Orient ! Disonsqu’une partie du chemin est fait. At-tention, pour la suite à ne pas sefourvoyer.

La chutede l’empire romain

HHHII

Bertrand LançonPerrin, 250 p., 22 €

La «chute» de l'Empire romainne cesse de faire couler beaucoupd'encre. Plus encore, elle a suscitéun nombre de publications sans pré-cédent ces dernières années. On latraite à tort comme une énigme his-torique qu'il s'agirait de résoudreen identifiant les causes, alors quec'est bien la longévité de l'Empireromain qui relève de l'énigmatique.Si elle fascine autant, c'est parcequ'elle agit tel un miroir reflétant

les peurs contemporaines du déclinet de l'effondrement, qui connaissentaujourd'hui un nouvel essor au seinde l'«Empire américain» comme del'Union européenne.

Si ce livre raconte et interrogenaturellement le dernier siècle del'empire d'Occident, il entend mon-trer que sa «chute» est largementun fantasme. Non seulement il estimpossible d'en épuiser la réalité,mais encore la culture occidentalesemble n'avoir aucun désir d'y re-noncer. La raison en est peut-êtreque cet abandon mettrait en causele pessimisme foncier qui la sous-tend. Cette «chute» est devenueune histoire sans fin, car on s'efforceen vain d'accumuler les facteurs in-certains d'un événement sanscontours définissables, tandis qu'ellesert en réalité de miroir et d'exutoireà nos angoisses.

Faux départ

HHHII

Marion MessinaLe dilettante, 220 p., 17 €

Ma foi, qu’est-ce donc que lavie, la vie qu’on vit ? D’expérience,elle a la douceur d’un airbag enbéton et la suavité d’un démaquillantà la soude, la vie ne serait-elle qu’uneépaisse couche d’amertume sur lerassis d’une tartine de déception?Pas moins, pas plus ? C’est en tout

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cas la démonstration que livre l’au-teur, l’Emmanuel Bove de ces temps,dans son premier roman. À gauche,Aurélie, à droite Alejandro ! Entre laGrenobloise de toute petite extractionqui crève la bulle d’ennui dans unefac facultative, souffre-douleur d’uncorps en plein malaise, et le Colom-bien expatrié, ça s’aime un tempsmais ça casse vite. D’aller de Parisen banlieue et de banlieue à Paris,d’œuvrer comme hôtesse d’accueil,de manger triste, coucher cheap etvivre en rase-motte, rencontrer Franckpuis Benjamin ne change que peude choses à l’affaire. Renouer avecAlejandro ne modifie guère la donne:l’amour fou, la vie inimitable, le fris-son nouveau sont toujours à portéede corps, mais jamais atteints. Tou-jours en phase d’approche, jamaisd’alunissage. L’auteur décrit cettefrustration au quotidien de la géné-ration Z avec une rigueur d’entomo-logiste. Que voulez-vous, la vie faitun drôle de bruit au démarrage. Ja-mais on ne passe la seconde. Fauxdépart, telle est la règle.

Gustave Caillebotte

HHHII

MM Wievorka et WinockGlénat, 50 p., 14 €

Paris, 1875. Alors que ses Rabo-teurs de parquet sont refusés par lejury de l’Académie des Beaux-Arts,

Gustave Caillebotte est invité à ex-

poser aux côtés des «intransigeants».

Ce groupe de peintres réunissant

des artistes comme Monet, Manet,

Renoir, Pissarro ou Degas – tous re-

fusés au Salon de Paris – possède en

commun une vision moderne de

l’art. Privilégiant les sensations, élar-

gissant le choix des sujets, des com-

positions et des couleurs, ceux que

les critiques nomment avec mépris

les « impressionnistes» marquent une

véritable rupture avec l’académisme.

Collectionneur et mécène, Caillebotte

participera à l’essor de ce courant

naissant en finançant ses amis et or-

ganisant des expositions. Artiste ori-

ginal et audacieux, il en peindra

également quelques-uns de ses plus

grands chefs-d’œuvre…

Passionné par l’œuvre de Gustave

Caillebotte, l’auteur signe une bio-

graphie respectueuse et fidèle de

l’artiste, en même temps qu’un por-

trait tout en nuance de cette période

charnière de l’histoire de l’Art : celle

de la naissance de l’impression-

nisme.

Histoire de Paris

HHHII

G Lenotre

Perrin, 410 p., 18 €

Avec la Révolution française,

l'histoire de la capitale était le sujet

de prédilection du maître de la «pe-tite histoire».

En conjuguant talent d'enquêteuret art de la narration, l’auteur racontele Paris de son enfance tout en ex-pliquant en quoi il demeure un pas-seur d'exception pour connaître etcomprendre l'histoire et les méta-morphoses d'une ville-monde dontil a exploré tous les arcanes.

En trente chapitres, qui vont duGaulois Camulogène au zouave dupont de l'Alma, défilent les illustreset les oubliés, les lieux embléma-tiques comme l'Elysée, les ponts dela Seine ou les cimetières, les évé-nements à commencer par les révo-lutions ; enfin, les aléas de la viequotidienne, dont certains restentd'actualité à l'instar de la salubrité,des embarras et des dangers de lacirculation, des inondations ou ducoût de la vie, notamment en matièrede loyer. En regard, la gastronomierègne en maître, tandis que la citégrandit sans perdre son âme.

Un festival d'anecdotes au serviced'un vrai bonheur de lecture.

Histoires extraordinaires

HHHII

Alain DecauxPerrin, 400 p., 20 €

Dix histoires extraordinaires fi-gurent au sommaire de ce livre. Surdes personnages aussi divers que

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Dracula, Louis II de Bavière, Mermoz,Lawrence d'Arabie ou Ben Gourion,Alain Decaux apporte des aperçusoriginaux et saisissants. De mêmeque sur le meurtre de Reinhard Hey-drich, en qui certains avaient vouluvoir le successeur d'Hitler.

L'auteur exploite ici une fouled'informations réunies pendant vingtans, et dont il n'a pu utiliser qu'unepart dans ses célèbres émissions té-lévisées. Il met en scène avec samaestria coutumière dix destins quiont bouleversé l'Histoire mondiale.

Le chemin des fugues

HHHII

Philippe LacocheLe Rocher, 320 p., 20 €

À soixante ans, Pierre Chaunierest un journaliste à l'ancienne, in-curable nostalgique du monded'avant. Hussard rouge, il porte à laboutonnière sa nostalgie des TrenteGlorieuses et son dégoût des nou-velles technologies. Récemmentquitté par une jolie chanteuse, Pierrepensait s'en sortir à coups de Prozac.Peine perdue.

Il finit donc par fuir et se réfugierdès que possible au DBLP, bar d'ha-bitués où le patron Pirate offre unePucelle (bière artisanale du Nord)de bonne tenue qu'il aime à consom-mer jusqu'à plus soif avec son com-père Jean-Claude Depard, un ancien

légionnaire reconverti dans le com-merce, avec lequel il passe toutesses soirées. Les cuites et les conquêtesd'un soir s'accumulent lui laissantun goût amer, l'image de l'envoûtantedame brune entraperçue un soirqu'il a baptisée «l’Orangée de Mars»n’en finit pas de le hanter… Bref, ilsombre. Mais dans les aubesblêmes de sa chère Picardie, les ré-veils de Pierre sont de plus en plusdifficiles… Dans un esprit prochedes Hussards, l’auteur explore l'in-timité d'êtres fragilisés par notre «belaujourd'hui», tout en poursuivantune impossible beauté, celle quipeut sauver le monde et le cœurdes hommes. Ceux qui sont réceptifsà cette alchimie fragile entre la sen-sibilité, le sentiment, la poésie et lacritique humoristique de notre mondecontemporain, apprécieront à coupsûr ce héros nimbé de nostalgie quisait magistralement s'entourer, re-bondir et tisser des liens avec leslecteurs qui l'accompagnent.

L’homme économique

HHHII

Christian LavalGallimard Tel, 400 p., 12 €

Prévenons tout de suite le lecteurpressé, on progresse dans ce livrecomme dans la forêt amazonienne :c’est dense, difficile et on transpire.Mais le voyage est de ceux que

l’on n’oublie pas. Son but ? Refairele chemin intellectuel qui a faitnaître la représentation de l’homooeconomicus, cet être économiquerationnel et calculateur. Et com-prendre quel modèle de société ilinspire. Tout en montrant, au pas-sage, que la science économiques’est appuyée sur cette nouvelle dé-finition de l’homme plus qu’elle nel’a inventée.

Le néolibéralisme entend triom-pher partout dans le monde commela norme unique d'existence desêtres et des biens. Il n'est pourtantque la pointe émergée d'une concep-tion anthropologique globale qu'aufil des derniers siècles l'Occident aélaborée. Celle-ci pose que l'universsocial est régi par la préférence quechacun s'accorde à lui-même, parl'intérêt qui l'anime à entretenir lesrelations avec autrui, voire l'utilitéqu'il représente pour tous. La défi-nition de l'homme comme «machineà calculer» s'étend bien au-delà dela sphère étroite de l'économie, ellefonde une conception complète, co-hérente, de l'homme intéressé, am-bitionnant même un temps de régirjusqu'aux formes correctes de lapensée, à l'expression juste du lan-gage, à l'épanouissement droit descorps.

Tout commence vers la fin duXVIe siècle, lorsque la recherche del’intérêt personnel, après avoir étédécriée sur le plan moral depuisl’Antiquité, commence à être jugéepositivement. Une transformationqui naît d’abord d’une analyse… dupouvoir de l’Etat. Avec le dévelop-pement de la pensée mercantiliste,les économies nationales sont deplus en plus pensées comme desentités ayant des intérêts propres, et

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chaque individu devient un contri-buteur à la puissance globale del’Etat. Sa motivation personnelle n’estplus condamnable, elle doit seule-ment être bien employée.

L’utilité contre la morale. L’étapesuivante consiste à se débarrasserdéfinitivement de la morale. Bernardde Mandeville et sa célèbre Fabledes abeilles laisseront leurs tracesdans cette évolution : le médecin an-glais s’attachant à montrer, selon sespropres termes, que " les vices privésfont le bien public  ". Cette anthro-pologie utilitariste, fondement spé-cifique de la morale et de la politiquedans la modernité occidentale, faitretour avec le néolibéralisme contem-porain sous des formes nouvelles.

L’ouvrage montre ensuite com-ment la quête du bien-être par lapoursuite de l’intérêt individuel s’estséparée de la morale par l’introduc-tion d’un nouveau sens donné à lanotion d’utilité. Ainsi, Jean-BaptisteSay explique en 1821 : " Vous n’ap-pelez utile que ce qui l’est aux yeuxde la raison, tandis qu’il faut entendrepar ce mot tout ce qui est propre àsatisfaire les besoins, les désirs del’homme tel qu’il est. Or, sa vanitéet ses passions font quelquefois naîtreen lui des besoins aussi impérieuxque la faim. " Une notion de l’utilitéqui réfute tout jugement moral desdésirs, dont la satisfaction est bientôtassimilée à la richesse.

Comme chacun ne peut subvenirseul à tous ses désirs, le besoin quel’on a des autres pousse à l’échange.L’individu devient alors l’acteur d’unmarché. Une nouvelle norme s’esten fait substituée à l’ancienne moraledans ce monde pensé comme celuide la liberté individuelle.

Ils vont tuer R Kennedy

HHHII

Marc Dugain

Gallimard, 400 p., 22 €

Un professeur d’histoire contem-

poraine de l’université de Colom-

bie-Britannique est persuadé que

la mort successive de ses deux pa-

rents en 1967 et 1968 est liée à

l’assassinat de Robert Kennedy. Le

roman déroule en parallèle l’enquête

sur son père, psychiatre renommé,

spécialiste de l’hypnose, qui a quitté

précipitamment la France avec sa

mère à la fin des années quarante

pour rejoindre le Canada et le par-

cours de Robert Kennedy. Celui-ci

s’enfonce dans la dépression après

l’assassinat de son frère John, avant

de se décider à reprendre le flam-

beau familial pour l’élection prési-

dentielle de 1968, sachant que cela

le conduit à une mort inévitable.

Ces deux histoires intimement liées

sont prétexte à revisiter l’histoire

des États-Unis des années soixante.

Contre-culture et violence politique

dominent cette période pourtant

porteuse d’espoir pour une généra-

tion dont on comprend comment

et par qui elle a été sacrifiée. L’auteur

revient avec ce roman à ses sujets

de prédilection où se côtoient psy-

chose paranoïaque et besoin irré-

pressible de vérité.

Jeux de dames

HHHII

Thierry DancourtLa Table ronde, 200 p., 17 €

Solange Darnal promène sa si-lhouette élégante et solitaire entrele Paris du début des années 1960,le Berlin de la guerre froide et lamélancolie de Trieste sous la pluie.On roule en Volvo P1800, on fumedes cigarettes State Express 555, lemusée de la porte Dorée s'appelleencore le palais des Colonies, et lesfemmes portent des imperméablesbeurre frais.

À Paris, début des annéessoixante, Solange et Pascal se ren-contrent sur fond de Palais des Co-lonies et de maladresse automobile(parechoc et bouts de ficelle). Bientôtelle ira rejoindre Marc et son travail,à Berlin. Au départ, l’écriture est unpeu froide, trop parfaite peut-être.Telle Solange : belle, lisse, indéchif-frable, énigmatique. Et puis le lecteurest emporté, comme dans un filmd’époque habilement restauré. Ledouzième arrondissement de Paris,Berlin-Ouest en pleine guerre froide,Trieste dans les brumes.

Solange oscille entre deuxmondes, celui de la vérité et celuidu mensonge, de la lumière et del’ombre, de la transparence et dusecret, et navigue entre deuxhommes. Elle prend peu à peu

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conscience qu’elle en aime un da-vantage que l’autre, et sans douteaime-t-elle vraiment pour la premièrefois…

L’auteur a un vrai génie pour po-ser les décors et faire vivre l’ambiancede l’époque, cigarettes, tenues, voi-tures, journaux. Entre contexte his-torique et puzzle politique, mystèreset personnalités, qui ne pourrait êtrepris par ce roman. Il n’est pas haletantpourtant, mais on le lit quasi d’unetraite.

Intermittences du cœur, souvenirsd’enfance et mouvements de l’His-toire s’entremêlent dans cette intriguequi pousse le lecteur à s'interrogersur ce drôle de jeu dangereux auquelse livre la jeune femme. Mais quiest Solange? Et le sait-elle seule-ment ?

Il y a, évidemment, un secretchez Solange Darnal comme cheztoutes les jeunes femmes mais celuide Solange est très concret : souscouvert d'un poste de fonctionnaireau Conseil économique et social,elle est en fait une espionne. Ellepart, pour des missions plus oumoins longues à Berlin où elle re-trouve son supérieur et amant, MarcJeanson. Elle se montre plutôt habilepour manipuler d'éventuels transfugesentre deux périodes de torpeur nos-talgique à regarder la neige tombersur le Tiergarten. Les mouvementsdu cœur et les souvenirs d'enfances'invitent ainsi pendant une filatureou une réunion autour d'un satellitesoviétique qui vient d'être lancé.

C'est qu'à Paris, un jeune hommel'attend, Pascal Clerville. Solangecomprend assez vite qu'elle aimePascal. En littérature, la curiositén’est jamais un vilain défaut ; et ces

personnages sont des agents doublesde la mélancolie ! Une pépite dansla déferlante de la rentrée.

La louve

HHHII

Paul-Henry BizonGallimard, 260 p., 20 €

Bienvenue à Montfort-sur-Sèvre.Trois mille habitants, sept clochers,deux pensionnats privés. Ce petitbourg de l’ouest de la France res-semble au décor figé d’une boule àneige. Un microcosme vivant aurythme de vieilles habitudes où Ca-mille Vollot exerce le métier de bou-cher auprès de son frère Romainqui a repris les rênes de l’entreprisefamiliale.

Pourtant, un matin d’avril, sansque rien ne puisse le laisser présager,le premier drame d’une longue sérieva ébranler ces confins paisibles dela Vendée et bouleverser la vie deCamille Vollot jusqu’à l’emporterdans un combat idéaliste contre sonfrère aîné.

Comme dans les textes fonda-teurs, l’affrontement de deux frèresmarque la fin d’une époque. Dansnos campagnes, c’est tout un systèmede production agricole et de surex-ploitation du sol qui s’écroule,contesté par les nouvelles méthodesd’avant-garde comme l’agroforesterieet la permaculture prônées par les

paysans de La Louve. À Paris, c’estl’avènement d’une nouvelle gastro-nomie et la ruée vers des produits àla mode, sains et authentiques àn’importe quel prix.

Des temps de changement quisuscitent autant de conflits que d’es-poirs fous et ouvrent des brèchesbéantes à l’avidité d’imposteurscomme Raoul Sarkis qui ne deman-dent qu’à se servir.

La méduse

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Olivier MerleEd. de Fallois, 380 p., 22 €

Le 17 juin 1816, quatre naviresquittent l’île d’Aix pour se rendreen Afrique. Le but de la mission estde récupérer les établissements fran-çais du Sénégal, pris par les Anglaispendant les guerres napoléoniennesmais rendus à la France par les traitésde Paris de 1814 et de 1815.

L’expédition est commandée parle capitaine Hugues Duroy de Chau-mareys qui se trouve à bord du meil-leur navire : la frégate La Méduse.Si les trois autres bateaux parviennentsans encombre à Saint-Louis du Sé-négal, La Méduse, elle, fera nau-frage.

L’auteur, dont l’un des ancêtres– l’ingénieur des Mines Charles Bré-dif – se trouvait à bord de La Méduse,déroule avec une précision d’horloger

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l’enchaînement des événements quiont conduit à la catastrophe. Il dé-voile l’incompétence du capitaine,les conflits au sein des officiers del’état-major, les oppositions et lesrancunes entre bonapartistes et roya-listes, l’influence néfaste de certainscivils.

Quand La Méduse doit être éva-cuée, l’ignominie vient s’ajouter àl’incompétence et 150 personnes(sur les 400 passagers) sont aban-données sur un radeau. Celui-ci,surpeuplé, va dériver sur l’océanpendant plus de dix jours au coursdesquels les naufragés vont s’entre-tuer et vire un calvaire innommable.Peu en réchapperont.

Fondé sur les récits des rescapéset les recherches des historiens, ceroman est une brillante et haletantereconstitution du plus célèbre nau-frage de tous les temps, avec le Tita-nic.

La tragédie du radeau de La Mé-duse est connue de la plupart desFrançais grâce au monumental ta-bleau peint par Géricault en 1818deux ans après le drame. Ce qui estmoins connu, c’est que le naufragede La Méduse eut en France un re-tentissement considérable, provo-quant des remous politiques où roya-listes et bonapartistes s’affrontèrentsans nuance.

Les opposants à la Restaurationet au nouveau roi Louis XVIII s’em-parèrent du drame pour stigmatiserle nouveau régime. Pour calmer latempête et mettre fin à la crise poli-tique, le capitaine de La Méduse,Hugues Duroy de Chaumareys, futjugé à huis clos et condamné à troisans de prison (qu’il effectua). Il futégalement rayé de la liste des officiers

de marine et radié de la Légiond’honneur et de l’Ordre de Saint-Louis. Il mourut en 1841 à l’âge de78 ans. Ni le gouverneur Schmaltz,ni Richefort, qui portaient pourtantune lourde responsabilité dans ledrame, ne furent inquiétés.

La serpe

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Philippe JaenadaJulliard, 640 p., 23 €

Un matin d'octobre 1941, dansun château sinistre au fin fond duPérigord, Henri Girard appelle ausecours : dans la nuit, son père, satante et la bonne ont été massacrésà coups de serpe. Il est le seul survi-vant. Toutes les portes étaient fermées,aucune effraction n'est constatée.Dépensier, arrogant, violent, le jeunehomme est l'unique héritier des vic-times. Deux jours plus tôt, il a em-prunté l'arme du crime aux voisins.Pourtant, au terme d'un procès re-tentissant (et trouble par certains as-pects), il est acquitté et l'enquêteabandonnée. Alors que l'opinionpublique reste convaincue de sa cul-pabilité, Henri s'exile au Venezuela.Il rentre en France en 1950 avec lemanuscrit du Salaire de la peur, écritsous le pseudonyme de Georges Ar-naud.

Jamais le mystère du triple as-sassinat du château d'Escoire ne sera

élucidé, laissant planer autourd'Henri Girard, jusqu'à la fin de savie (qui fut complexe, bouillonnante,exemplaire à bien des égards), unhalo noir et sulfureux. Jamais, jusqu'àce qu'un écrivain têtu et minutieuxs'en mêle…

Un fait divers aussi terrible, unpersonnage aussi ambigu qu'HenriGirard ne pouvaient laisser l’écrivainindifférent. Enfilant le costume del'inspecteur amateur (complètementloufoque, mais plus sagace qu'il n'yparaît), il s'est plongé dans les ar-chives, a reconstitué l'enquête etdéniché les indices les plus ténuspour nous livrer ce récit haletantdont l'issue pourrait bien résoudreune énigme vieille de soixante-quinze ans.

Les bourgeois

HHHII

Alice FerneyActes Sud, 360 p., 22 €

Ils se nomment Bourgeois et leurpatronyme est aussi un mode devie. Ils sont huit frères et deux sœurs,nés à Paris entre 1920 et 1940. Ilsgrandissent dans la trace de la GrandeGuerre et les prémices de la seconde,entre deux hécatombes. Aux placesfavorites de la société bourgeoise– l’armée, la marine, la médecine,le barreau, les affaires –, ils sontpartie prenante des événements his-

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toriques et des évolutions sociales.De la décolonisation à l’après Mai68, leurs existences embrassent touteune époque. La marche du mondene décourage jamais leur déploie-ment.

De Jules l’aîné à Marie la der-nière, l’apparition et la disparitiondes personnages, leurs aspirationset leurs engagements rythment laformidable horlogerie de ce romantrès différent d’une simple saga fa-miliale. Car c’est ici le siècle qui setrouve reconstruit par brèves sé-quences discontinues, telle une vastemosaïque où progressivement se dé-tachent les portraits des dix membresde la fratrie et un peu leurs aïeux, etdéjà leurs enfants.

Ils représentent le monde bour-geois conservateur, les héritiers pourreprendre le mot de Bourdieu, unecible facile de la critique socialecontemporaine. Ils sont aussi unefascinante énergie de vie, un mou-vement au cœur de l’inexorablemaelstrom des hommes et de l’His-toire.

Sur cette vertigineuse ronde dutemps, l’auteur pose un regard deromancière et d’historienne. À hau-teur de contemporain elle refait latraversée. Allant sans cesse du sin-gulier au collectif, du destin indivi-duel à l’épopée nationale, elle donneà voir l’Histoire en train de se faire,les erreurs, les silences coupables,les choix erronés qu’explique laconfusion du présent. Ample et cap-tivant, ce récit s’avère ainsi une re-doutable analyse de nos racines : unlivre qui passe tout un siècle françaisau tamis du roman familial. Prendrela mesure de la continuité autantque de l’épaisseur des années révèle

l’évolution des connaissances, desregards et des comportements etsouligne comment chaque époquedétermine les esprits.

Les rêveuses

HHHII

Frédéric VergerGallimard, 450 p., 21,50 €

Mai 1940. Les armées d’Hitlerécrasent la France. Peter Siderman,un jeune Allemand de dix-sept ansengagé dans l’armée française, prendl’identité d’un mort pour échapperaux représailles. Prisonnier, il croitavoir évité le danger quand on luiannonce qu’on va le libérer et le re-conduire dans sa famille. Commentsera-t-il accueilli chez ces gens quine le connaissent pas ?

L’écrivain offre une fois encoreses intrigues foisonnantes jusqu’àl’absurde, cocasses et morbides à lafois, enracinées dans une SecondeGuerre mondiale nimbée de fantas-tique et d’épouvante. Ici il est bienquestions de religieuses cloîtrées,annonçant le Dialogue des carmélitesversion Poulenc. Entre de kafkaïenneshistoires de soldats morts, de Russes,d’officiers nazis, d’aristocrates lor-rains, de forêts insondables, de neige,de déguisements, de folie, de meu-bles anciens et de faim.

On sent passer ici le grand souffleà la fois tragique et merveilleux. Ce

roman renferme une prose riche enmétaphores réjouissantes, en inven-tions fantasques, en rebondissements,en scènes inoubliables décrites dansune langue sensuelle et gourmande.

Enigmatique récit, follement com-pliqué, aux longues pages descrip-tives à l’ancienne, fleurant Balzacet Flaubert, mais aux intrigues si ex-travagantes qu’elles défient tout réa-lisme. S’y conjuguent alors coupsde théâtre, ambiance à la Hitchcocket… Laurel et Hardy. L’auteur meten scène des personnes qui ne sontque personnages, marionnettes d’unmonde en faillite et en quête d’uneidentité qui restera en miettes. Sousle classicisme apparent, la folie.

Les lieuxde l’histoire de France

HHHII

MM Wievorka et WinockPerrin, 340 p., 23 €

Un collectif d’auteurs dirigé parOlivier Wieviorka et Michel Winocks’est réuni pour raconter la France,son histoire, ses symboles et ses va-leurs, à travers ses plus importantsmonuments, de l'Antiquité à nosjours.

«Petit Lillois de Paris, rien neme frappait davantage que les sym-boles de nos gloires : nuit descendantsur Notre-Dame, majesté du soir àVersailles, Arc de Triomphe dans le

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soleil. » Ces phrases célèbres du gé-néral de Gaulle le suggèrent : si laFrance peut se définir par des valeurs,s'illustrer par de hauts faits, elle s'in-carne également dans des lieux.

Olivier Wieviorka et Michel Wi-nock, grâce aux contributions d'his-toriens de renom, présentent trente-quatre de ces hauts lieux, tous théâ-tres et témoins d'un moment précisdu passé, qu'ils incarnent dans uneforme de quintessence. Car, avantd'acquérir un statut iconique, cessites, de Chambord à Sarcelles enpassant par Versailles, Lourdes ou laligne Maginot, ont assumé des fonc-tions propres à une époque, qu'ellesfussent politiques, militaires, reli-gieuses, industrielles…

Retracer notre histoire nationaleen partant de sites significatifs quil’illustrent, tel est l’objet de ce livre.Si les Français connaissent sans doutel’Arc de Triomphe, le Mont Saint-Michel, le Louvre ou la ligne Magi-not, ils ignorent vraisemblablementla réalité du rôle qu’ils ont assumé.

Cet ouvrage traite trente-quatrede ces hauts lieux comme les repèresprivilégiés d’une période. De quoiporter un autre regard en visitantAlésia, Cluny, Notre-Dame de Paris,Reims, le palais des Papes, Cham-bord, Versailles, l’Institut de France,le Palais-Bourbon, le Sacré-Cœur,Douaumont et tant d’autres lieuxdu patrimoine national.

En quelques centaines de pages,une trentaine d’historiens nous invi-tent à la ballade. Voici la Vieille Sor-bonne qui renvoie à toute l’histoireculturelle de l’Occident avant l’èredes révolutions. Savez-vous que sonfondateur, Robert de Sorbon, n’étaitautre que le chapelain de Saint

Louis ? Voici la Promenade des An-glais, qui rappelle qu’au XVIIIe siècle,grâce au voyage appelé « GrandTour» qu’effectuaient les jeunes aris-tocrates anglais à la découverte desbeautés de l’Italie, Nice devint pro-gressivement une étape d’un circuitles conduisant de Marseille à Rome.

Tous appartiennent désormais aupatrimoine national et témoignentd'une réalité : la France s'estconstruite, au fil d'un cheminementcomplexe, par des strates successives.Et les édifices qui parsèment le ter-ritoire français en offrent l'une desplus vivantes illustrations. En lesscrutant un à un, il est possible decomprendre une époque. En les pré-sentant dans un ensemble, ils ra-content l'histoire de France.

Imago

HHHII

Cyril DionActes Sud, 220 p., 19 €

Parce que son frère s’apprête àcommettre en France l’irréparable,Nadr le pacifiste se lance à sa pour-suite, quitte la Palestine, franchit lestunnels, passe en Égypte, débarqueà Marseille puis suit la trace deKhalil jusqu’à Paris. Se révolter, s’in-terposer : deux manières d’affronterle même obstacle, se libérer de toutenfermement, accéder à soi-même,entrer en résilience contre le senti-

ment d’immobilité, d’incarcération,d’irrémédiable injustice.

Sous couvert de fiction, ce pre-mier roman est celui d’un hommeengagé pour un autre monde, uneautre société. Un engagement quipasse ici par l’imaginaire pour ap-procher encore davantage l’une destragédies les plus durables duXXe siècle.

Mère Patrie

HHHII

William NicholsonEd. de Fallois, 450 p., 21,50 €

L’auteur prolifique américain re-vient avec un récit intense qui détailleles sentiments et l’Histoire avec laminutie d’un maître joaillier : dusouffle épique et de l’absolu. Ce ro-man est un bijou qui renferme biendes facettes passionnantes de lagrande Histoire, ce qui donne unaccent de vérité émouvant, et l’onse surprend à aimer les personnages,à vivre leurs souffrances et à partagerleurs questionnements sur le sensde la vie. Fil rouge existentiel tendujusqu’au craquement, mais à la ten-sion savamment dosée pour poserles jalons du récit et en faciliter ledénouement. Un dénouement terri-blement logique qui restitue auxpersonnages leurs places. Une placequi leur était dévolue et dont undestin capricieux les en a écartés,

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pour le plus grand plaisir des lec-teurs.

À la suite d’une rupture difficile,Alice Dickinson veut connaître sonpassé pour mieux orienter sa vie.Enfant non désirée, elle a grandiavec un père absent qui lui révèleune fois adulte l’existence d’unegrand-mère qui vit en France, Kitty.Alors elle part à sa rencontre pouren savoir davantage sur cette familledont elle ne sait rien. Sa grand-mère, heureuse de découvrir qu’ellea une petite-fille lui raconte l’histoirede ses aïeux héroïques, comme sapassion pour Ed., commando de laMarine Royale, en 1942, un peuavant le débarquement de Dieppe(18 août). Malgré son comportementhéroïque sur cette plage du carnage,Ed. est fait prisonnier. Resté troisans aux mains des Allemands dansdes conditions psychologiquementdévastatrices, il ne pourra jamais re-prendre une vie normale. Pour sou-tenir Kitty, qui est conductrice del’ATS (Service territorial auxiliaire)pendant cette guerre, il y a Larryaux nobles sentiments et à l’âmed’artiste. Il aime secrètement Kitty,mais Ed. est son meilleur ami. Alors…Les années vont s’écouler, les per-sonnages vont se croiser, les trajec-toires bifurquer, les cœurs battre ets’épuiser à aimer, les âmes s’éprendred’absolu, pour une existence pleinede sens.

Cette fresque héroïque d’hommeset de femmes ordinaires prend à lagorge, et ne lâche pas sa pressionjusqu’à la fin. La fluidité de l’écriturepermet de s’immerger dans uneépoque dont les survivants au-jourd’hui sont de plus en plus rares.Les recherches historiques permettentde reconstituer minute par minute

cette opération prévue pour n’êtrequ’une répétition grandeur natured’un futur débarquement décisif surles côtes normandes. Aussitôt laguerre gagnée, place à la recons-truction des pays mais aussi desêtres en souffrance. Une autre guerres’engage alors, celle de la surviecontre les fantômes du passé. Puisl’auteur entraîne l’un de ses person-nages dans les coulisses de la déco-lonisation de l’Inde avec Lord LouisMountbatten, et l’on assiste à lacréation du Pakistan, dont les conflitsd’alors résonnent étrangement avecceux plus actuels. Passionnés d’his-toires et amateurs d’exaltation dessentiments, ce livre est fait pourvous. Intelligent, accessible, c’estune mine d’informations et une éva-sion dans une autre époque mer-veilleuse.

Monarques

HHHII

Philippe RahmyLa table ronde, 220 p., 17 €

À l'automne 1983, le narrateurquitte sa campagne au pied du Jura,pour suivre des cours à l'école duLouvre. Il découvre Saint-Germain-des-Prés, ses librairies, ses éditeurs,ses cafés, ses cabarets. Mais enSuisse, à la ferme, son père est ma-lade. Le narrateur apprend qu'il està l'agonie le jour où il croise le nom

d'Herschel Grynszpan, un adolescent

juif ayant fui l'Allemagne nazie en

1936, et cherché refuge à Paris.

Il a fallu trente ans pour raconter

son histoire en explorant celle de sa

propre famille. Il a frappé à de nom-

breuses portes, y compris celles des

tombeaux. L’auteur a voyagé en car-

riole aux côtés de sa grand-mère,

de sa mère et de ses deux oncles

fuyant Berlin sous les bombardements

alliés. Il s’est embarqué pour Alexan-

drie en compagnie de ses grands-

parents paternels, et a assisté à la

naissance de son père dans une mai-

son blanche au bord du désert. Un

père dont il a tenu la main sur son

lit de mort, avant de découvrir son

secret.

Notre-Damede Pontmain

HHHII

Mauricette Vial-Andru

Ed. St Jude, 40 p., 5 €

Après la bataille de Sedan et

l’abdication de Napoléon III, les

Prussiens continuaient d’envahir la

France. Le 17 janvier 1871, ils étaient

aux portes de Paris. La France sem-

blait perdue. Mais la Vierge veil-

lait… À Pontmain, Marie apparaît

aux enfants… ainsi débute ce livre

destiné aux jeunes lecteurs qui pour-

ront colorier les dessins.

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Bientôt cent cinquante ans ontpassé, mais le message d'espérancede la Vierge à Pontmain nous rendconfiants en sa protection.

L’ombre sur la lune

HHHII

Agnès Mathieu-Daudé

Gallimard, 210 p., 18 €

L’ombre sur la lune aurait prouvéà Magellan que la terre était ronde :tableaux de maîtres, footballeurs oumafieux en parcourent la surfacedans une circumnavigation infinie.

À la croisée de ces univers enapparence éloignés, la passion dela Giganta, une Chinoise de deuxmètres, pour une œuvre de Goya.Attilio est un sicilien réfugié en Es-pagne après avoir commis le meurtrede sa femme le jour de son mariage.Ce mafioso est alors embauché parune Chinoise, la Giganta qui teintson chien en panda pour aller volerun tableau de Goya.

Pour sa mission, il rencontre etséduit Blanche, qui travaille pour lemusée préparant l’exposition deGoya. Cette jeune femme, un peuparticulière pense être le sosie d’unfootballeur Madrilène.

Depuis leur rencontre dans lestribunes d’un stade madrilène, larelation mouvementée d’Attilio etde Blanche les mènera jusqu’en An-

dalousie, le lieu de toutes les ré-demptions et de tous les possibles.

Ce roman d’à peine deux centspages se lit très vite. On s’attachetrès vite aux personnages et on entredans leurs folies si particulières. L’au-teur offre avec charme et douceurun conte de brutes, de manipulations,de meurtres et de fougue ou l’amourn’a pas sa place… À moins qu’il netienne le premier rôle…

La partition intérieure

HHHII

Réginald GaillardLe Rocher, 260 p., 18 €

«C'est sans gloire qu'au moisd'octobre 1969 je suis arrivé à Cour-laoux.»

2012, un prêtre revient sur sesannées passées dans un village duJura. Il est confronté à Charlotte,que les villageois appellent «la folle»,et dont la vie se concentre sur lestombes du cimetière. Il y rencontreaussi un compositeur néerlandaispersuadé d'avoir une grande œuvreà livrer.

À mesure qu'il fréquente cesdeux personnes, Jean va connaîtrece retournement du cœur qui amèneà la connaissance des profondeursde la foi.

Arrivé en 1969 de Paris où ilrayonne dans les salons, le petit vil-lage de Courlaoux lui semble une

injuste mise à l'écart. Il va pourtants'accomplir pleinement en tant queprêtre et approfondir sa foi au contactde ses habitants. Ce récit nous en-traîne sur une crête, au fond desâmes et à la frontière du visible.Malgré la nuit et les replis d'un si-lence ardent, pointe dans la beautésimple de la campagne juras-sienne  une lueur brûlante : ce quel'on croit détruit a peut-être étésauvé…

Un premier roman qui rend su-perbement hommage à Bernanosavec le récit d'un vieux prêtre sur savie passée dans la campagne juras-sienne. Une écriture limpide et poé-tique au service d'un livre extrême-ment émouvant.

Qui t’a fait prince?

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Jean AngladePresse de la Cité, 340 p., 21 €

Elevé par son grand-père auver-gnat, qui décèle en lui bien des ta-lents, Marin Tourlonias quitte lessiens pour conquérir la fortune làoù elle se trouve : en Italie ! En 1750,avec une charrette remplie de bric-à-brac qu'il vendra sur les chemins–quelques almanachs, des couteaux,de l'eau miraculeuse… –, Marinpart, confiant en sa bonne étoile.Au fil de ses étapes, de Montbrison

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à Valence, puis de Turin à Rome,son voyage s'écoule, imprévisible,plein d'apprentissages, de rencontreset de joyeusetés !

Comment ce modeste camelot,issu d'une famille illettrée de labou-reurs et de chiffonniers, va-t-il fairenaître une riche et véridique des-cendance, la puissante dynastie desTorlonia? Un beau et bon momentde détente.

Tout est brisé

HHHII

William BoyleGallmeister, 210 p., 22 €

Tout semble brisé dans la vied’Erica. Seule avec son vieux pèretyrannique tout juste sorti de l'hôpital,elle n'a plus de nouvelles de son filsJimmy, un jeune homme fragile partierrer à travers le pays sans avoir ter-miné ses études. Mais voilà qu'aprèsun long silence, Jimmy revient àl'improviste, en piteux état. Ericafera tout pour l'aider, décidée àmieux le comprendre et à rattraperle temps perdu. Mais Jimmy se senttrop mal à l'aise face à sa mère,dans ce quartier de Brooklyn hantépar ses souvenirs ; un profond malde vivre que ni l'alcool ni les ren-contres nocturnes ne parviennent àsoulager. Erica, elle, ne veut pasbaisser les bras…

Un livre merveilleusement bientraduit avec des descriptions d’uneprécision chirurgicale ; des person-nages profondément ancrés dans undécor glacial aux odeurs de naphta-line. Un roman qui se dévore et quivous dévorera !

Ce roman est aussi une leçon decombativité et d’espoir portée pardes loosers qui ne sont pas magni-fiques.

Retour à Lemberg

HHHII

Philippe SandsAlbin Michel, 540 p., 23 €

Invité à donner une conférenceen Ukraine dans la ville de Lviv, au-trefois Lemberg, Philippe Sands, avo-cat international réputé, découvreune série de coïncidences historiquesqui le conduiront de Lemberg à Nu-remberg, des secrets de sa famille àl’histoire universelle.

Tout a commencé par une invi-tation. Rien d’exceptionnel lorsqu’onest un juriste international de renomcomme l’est Philippe Sands. Spé-cialisé dans la défense des droits del’homme, cet avocat franco-britan-nique basé à Londres a travaillé surtoutes les plaies ouvertes de ces der-nières décennies, de l’ex-Yougoslavieau Rwanda, de Guantanamo à l’Irak.L’auteur a aussi effectué un important

travail de recherche sur le procès deNuremberg (1945-1946) qui l’a «tou-jours fasciné» et sur lequel s’ouvrejustement ce captivant récit.

Cette invitation, donc était deprovenance inattendue. Elle émanaitde l’université de droit de Lviv, quilui demandait de venir parler deses travaux. Centre historique de laGalicie, le pays de Joseph Roth etde Sacher-Masoch, Lviv – qui setrouve aujourd’hui en Ukraine maiss’appela jadis Lemberg, Lwow ouLvov, selon qu’elle était autrichienne,polonaise ou russe – joue presquele rôle d’un personnage à part entièredans ce livre. En effet, tous les filsnarratifs ne cessent de nous y ra-mener.

C’est à Lemberg que Leon Buch-holz, son grand-père, passe son en-fance avant de fuir, échappant ainsià l’Holocauste qui décima sa famille ;c’est là que Hersch Lauterpacht etRaphael Lemkin, deux juristes juifsqui jouèrent un rôle déterminantlors du procès de Nuremberg et aux-quels nous devons les concepts de«crime contre l’humanité» et de«génocide», étudient le droit dansl’entre-deux-guerres.

C’est là enfin que Hans Frank,haut dignitaire nazi, annonce, en1942, alors qu’il est Gouverneur gé-néral de Pologne, la mise en placede la «Solution finale» qui condamnaà la mort des millions de Juifs. Parmieux, les familles Lauterpacht, Lemkinet Buchholz.

L’auteur transcende les genresdans cet extraordinaire témoignageoù s’entrecroisent enquête palpitanteet méditation profonde sur le pouvoir

de la mémoire.

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Offrez à vos enfants oupetits-enfants -mais le plaisirsera pour vous aussi – le petitdernier de Mauricette Vial-Andru – Jeunes saints, jeunesmartyrs – publié par les édi-tions Saint Jude, en août2017.

Agnès, héroïne de lapureté, meurt à douzeans, victime en 284 despersécutions anti-chré-tiennes du Bas-Empireromain. Marcel Van,vietnamien, meurt àtrente et un ans, en1959, dans l’enfer ducamp d’internementcommuniste de YenBinh, au Nord Vietnam,où il était volontaire-ment retourné pourl’évangéliser, alors qu’ilétait à l’abri dans leSud. A dix-sept sièclesde distance, on mesure chezl’enfant et le jeune homme,la même héroïcité des vertus,sommet d’altitude qu’ilssemblent gravir, par amourdu Christ, avec la même dés-armante aisance.

Les petits lecteurs admi-reront aussi la fidélité jusqu’à

la mort des jeunes martyrsde l’Ouganda – quatorze etquinze ans – et d’Isidore Ba-kanja, supplicié à vingt anspour avoir refusé d’ôter sonscapulaire. Ils remarquerontle rôle des missionnaires eu-

ropéens – les jeunes Ougan-dais furent convertis et bap-tisés par les Pères Blancs,Isidore par les missionnairestrappistes.

Entre ces Everest, lesjeunes lecteurs se sentirontplus proches de Dominique

Savio ou d’Anne de Guigné,mais qu’ils ne s’y trompentpas  : l’héroïsme quotidienest aussi difficile et de-mande une totale con-fiance, un don de soi et unetransparence à Dieu dont té-

moignent chacun à samanière, Imalda, Louisde Gonzague, les petitsbergers de Fatima. Enfin,Mauricette Vial-Andruconte avec autant de tactque de vérité l’histoire deMaria Goretti, «  Agnèsdu XXème siècle », qui ob-tint la conversion de sonbourreau.

Un livre à offrir et às’offrir, qui à travers l’Eu-rope, l’Afrique, l’Asie,nous dit l’universalité dela sainteté.

Danièle Masson

(1) Mauricette Vial-Landru a,durant de longues années,collaboré à la revue l’escri-toire, puis au Réseau-ragain.Belle occasion de lui renou-veler nos remerciements.

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Jeunes saints, jeunes martyrsde Mauricette Vial-Andru (1)

Edition Saint-Jude, 5 €