134
Des comportements alimentaires déclarés aux comportements alimentaires réels : mesurer et comprendre les écarts pour améliorer l’action publique Sous-traitance et délégation du travail : marqueurs des mutations de l’organisation de la production agricole Évaluation de la mesure agro- environnementale « systèmes herbagers et pastoraux » dans les zones de montagne de Rhône-Alpes Notes et études socio-économiques CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE n o 47 - JUILLET 2020 CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Eacute v a l u a t i o n d e l a m e s u r e a g r o -environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

No

tes

et eacute

tud

es s

oci

o-eacute

cono

miq

ues

CEN

TR

E D

rsquoEacuteT

UD

ES E

T D

E PR

OSP

ECT

IVE

no 4

7 - J

UIL

LET

202

0

CENTRE DrsquoEacuteTUDES ET DE PROSPECTIVE

SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Preacutesentation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques est une revue du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation publieacutee par son Centre drsquoEacutetudes et de Prospective Cette revue technique agrave comiteacute de reacutedaction se donne pour double objectif de valoriser des travaux conduits en interne ou des eacutetudes commanditeacutees par le ministegravere mais eacutegalement de participer au deacutebat drsquoideacutees en relayant des contributions drsquoexperts exteacuterieurs Veillant agrave la rigueur des analyses et du traitement des donneacutees elle srsquoadresse agrave un lectorat agrave la recherche drsquoeacuteclairages complets et solides sur des sujets bien deacutelimiteacutes Drsquoune peacuteriodiciteacute de deux numeacuteros par an la revue existe en version papier et en version eacutelectronique

Les articles et propos preacutesenteacutes dans cette revue nrsquoengagent que leurs auteurs

Directrice de la publication Corinne Prost MAA-SG-SSP Cheffe du Service de la Statistique et de la Prospective

Reacutedacteur en chef Bruno Heacuterault MAA-SG-SSP-CEP Chef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective

Comiteacute de reacutedaction Didier Ceacutebron MAA-SG-SSP-SDSAFA Sous-directeur de la SDSAFAJulia Gassie MAA-SG-SSP-CEP Cheffe du bureau de la veilleJulien Hardelin MAA-SG-SSP-CEP Chef du bureau de la strateacutegie et de la prospectiveVincent Heacutebrail-Muet MAA-SG-SSP-CEP Chef du bureau de lrsquoeacutevaluation et de lrsquoanalyse eacuteconomiqueBruno Heacuterault MAA-SG-SSP-CEP Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivePascale Pollet MAA-SG-SSP-SDSSR Sous-directrice de la SDSSRCorinne Prost MAA-SG-SSP Cheffe du Service de la Statistique et de la Prospective

Composition SSP Impression AIN - Ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation Deacutepocirct leacutegal agrave parution ISSN 2104-5771 (imprimeacute) ISSN 2259-4841 (en ligne) Renseignements et diffusion voir page 4 de couverture

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 3

Eacuteditorial

Dans ce 47e numeacutero la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques reacuteunit comme agrave son habitude trois articles centreacutes sur des sujets drsquointeacuterecirct pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (MAA) De tonaliteacutes diffeacuterentes ils mobilisent des meacutethodes varieacutees mais traitent tous de questions drsquoune grande actualiteacute

Le premier signeacute par Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun preacutesente les principaux enseignements drsquoune eacutetude sur les deacutecalages entre comportements alimentaires deacuteclareacutes et comportements alimentaires reacuteels Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion est important pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics

Les enquecirctes qui interrogent les consommateurs apportent de preacutecieuses informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent parfois de biais meacutethodologiques qui amegravenent certains reacutepondants agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Certains de ces biais concernent le psychisme de la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations Lrsquoarticle deacutecrit notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation

Les auteurs consacrent une premiegravere partie aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et ils exposent les conditions habituelles de reacutealisation des enquecirctes sur les conduites alimentaires leurs objectifs meacutethodes atouts et limites sont abordeacutes Au travers drsquoune revue de la litteacuterature ils srsquointeacuteressent ensuite plus speacutecifiquement aux deacutecalages entre conduites deacuteclareacutees et conduites reacuteelles La troisiegraveme partie plus empirique preacutesente des eacutetudes de cas permettant de mieux mesurer et expliquer ces deacutecalages Ils font enfin des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale pour ameacuteliorer les dispositifs drsquoenquecircte sur les comportements alimentaires

Lrsquoarticle suivant de Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux analyse la tendance croissante agrave la sous-traitance de travaux agricoles Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de ces prestations nrsquoa commenceacute qursquoau milieu des anneacutees 1990 Depuis elles se sont deacuteveloppeacutees de maniegravere soutenue et le nombre drsquoexploitations y ayant recours de maniegravere notable a eacuteteacute multiplieacute par deux entre 2000 et 2016 Parallegravelement on a observeacute la creacuteation de nombreuses socieacuteteacutes de travaux et de prestations de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchaient agrave amortir et de compeacutetences agrave moneacutetiser

Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale srsquoest amplifieacute avec transfert agrave un tiers de la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Les auteurs srsquointeacuteressent surtout agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus (ou peu) drsquoactiviteacutes agricoles et confie la conduite des travaux et le pilotage eacuteconomique de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsqursquoil deacutelegravegue lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques afin de se recentrer sur son cœur de meacutetier

4 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Malheureusement les travaux scientifiques sur la sous-traitance sont encore peu deacuteveloppeacutes et de nombreuses questions demeurent Le grand inteacuterecirct de cet article est de rassembler les reacutesultats des recherches conduites depuis 2012 par les auteurs et de nous offrir ainsi une synthegravese tregraves actuelle sur le sujet Ils prennent drsquoabord soin drsquoexpliciter leurs approches theacuteorique et empirique leurs meacutethodes et terrains Pour caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur ils font ensuite un eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance et en recensent les principales pratiques en distinguant les plus novatrices dont celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Ils considegraverent que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens plutocirct qursquoils ne les supplantent

Le troisiegraveme article est proposeacute par Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart et Estelle Midler Il deacutecrit les reacutesultats drsquoune eacutevaluation de la mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo (MAEC SHP) dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes Cette MAEC vise le maintien de pratiques preacuteservant la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Le travail reacutealiseacute avait deux objectifs eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments publics puis construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Pour restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante cet article commence par preacutesenter le dispositif eacutevaluatif et les meacutethodes utiliseacutees puis il deacutetaille les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes avant de terminer par une description des reacutesultats atteints en particulier en matiegravere de contribution au revenu des eacuteleveurs

Une dizaine de notes de lecture complegravete ce numeacutero Parmi les ouvrages mis en lumiegravere celui drsquoAntoine de Baecque particuliegraverement inteacuteressant raconte lrsquohistoire de la creacuteation et du deacuteveloppement des restaurants en France entre 1760 et 1900 De son cocircteacute Alain Paveacute propose un livre tregraves didactique sur les enjeux lieacutes agrave la biodiversiteacute en veillant agrave distinguer les problegravemes identifieacutes par la science des ideacutees fausses veacutehiculeacutees par lrsquoopinion publique Signalons enfin la reacuteeacutedition en version de poche du beau reacutecit drsquoAnne Vallaeys faisant revivre les chemins de la laquo grande transhumance raquo entre Arles (plaine de Crau) et Laverq (haute Ubaye)

Vous trouverez en troisiegraveme de couverture les recommandations aux auteurs et des consignes de preacutesentation des articles Nrsquoheacutesitez pas agrave nous soumettre vos manuscrits ou agrave nous contacter pour proposer vos ideacutees drsquoarticles

Nous vous souhaitons une bonne lecture

Bruno HeacuteraultReacutedacteur en chef

Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivebrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 5

Sommaire

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique 7Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole 43Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes 89 Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

Notes de lecture 117

Abstracts and Key Words 129

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus 131

6 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 7

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Reacutesumeacute

Les sources drsquoinformation qui renseignent sur les comportements alimentaires (consommation apparente panels de distributeurs et de consommateurs enquecirctes de suivi des achats enquecirctes drsquoopinion eacutetudes qualitatives etc) apportent souvent de preacutecieux et fidegraveles reacutesultats Neacuteanmoins elles souffrent aussi de biais creacuteant parfois des deacutecalages entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels Ce problegraveme qui nrsquoest pas propre agrave lrsquoalimentation est lieacute aux caracteacuteristiques des reacutepondants (deacutefaut de meacutemoire rationaliteacute imparfaite sentiments repreacutesentations mentales et croyances attitudes psychiques etc) et aux contextes de leurs reacuteponses (lieu moment situation sociale etc) Il est lieacute eacutegalement aux deacutemarches et meacutethodes utiliseacutees pour recueillir les informations (questionnaire entretien carnet de consommation eacutechelle drsquoattitudes techniques essentiellement deacuteclaratives eacutechantillonnage etc) et agrave leurs modaliteacutes ulteacuterieures de traitement Conscients de ces problegravemes et de leurs impacts potentiels sur le pilotage de lrsquoaction publique le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation FranceAgriMer et lrsquoADEME ont souhaiteacute commander une eacutetude sur ce sujet Reacutealiseacutee par le consortium constitueacute du CREacuteDOC de Nutri Psy Consult de Proteacuteines et de Deloitte Deacuteveloppement Durable elle a consisteacute en une revue de litteacuterature suivie de trois eacutetudes de cas5 Ces derniegraveres consistent agrave identifier les omissions (aliments et boissons) associeacutees aux deacuteclarations des consommations par la meacutethode des carnets agrave mesurer lrsquoeffet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires et enfin agrave eacutevaluer les eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat6

Mots cleacutes

Comportements alimentaires attitudes croyances consommation information meacutethodes drsquoenquecirctes biais deacuteclaratif

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC) 142 rue du Chevaleret 75013 Paris 2 Nutri Psy Consult 91 rue de la Santeacute 75013 Paris3 ProteacuteinesXTC 92 rue Reacuteaumur 75002 Paris 4 Deloitte Deacuteveloppement Durable 6 place de la Pyramide 92908 Paris-La Deacutefense Cedex5 CREacuteDOC Nutri Psy Consult Proteacuteines Deloitte Deacuteveloppement Durable 2020 Comportements alimentaires deacuteclareacutes versus reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique httpsagriculturegouvfretude-comportements-alimentaires-declares-versus-reels-mesurer-et-comprendre-les-ecarts-pour6 Nous tenons agrave remercier Julia Gassie et Bruno Heacuterault du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour leurs relectures successives de cet article et leurs contributions importantes agrave lrsquoeacutelaboration de sa version finale

Gabriel Tavoularis1 Pascale Heacutebel1 France Bellisle2 Serge Michels3 et Aude Le Rhun4

8 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion etc est drsquoimportance pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics Diverses tendances et changements drsquoattitudes marquent aujourdrsquohui ces pratiques alimentaires et renouvellent donc les questionnements sur le suivi et la connaissance de ces eacutevolutions Dans ce contexte il est indispensable de srsquointeacuteresser aux informations et donneacutees sur lrsquoalimentation des Franccedilais De nombreuses sources existent de diverses natures produites par diffeacuterents organismes et gracircce agrave des meacutethodes varieacutees

La connaissance des conduites alimentaires quotidiennes fait face agrave plusieurs difficulteacutes les comportements individuels sont influenceacutes par une diversiteacute de facteurs (biologiques sociaux eacuteconomiques environnementaux psychiques etc) De plus deacutecrire fidegravelement son comportement peut ecirctre difficile pour un individu par exemple agrave cause de la laquo rationaliteacute imparfaite raquo deacutecrite depuis longtemps par Herbert Simon (1957) Les meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees souvent appuyeacutees sur du deacuteclaratif preacutesentent elles-mecircmes diverses limites De ce fait des deacutecalages sont possibles entre les informations dont on dispose sur les comportements alimentaires deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

Les enquecirctes quantitatives et qualitatives qui interrogent les mangeurs apportent de preacutecieuses et fidegraveles informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent de plusieurs biais meacutethodologiques qui amegravenent certains consommateurs agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas reacuteellement en quantiteacute et en qualiteacute ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Identifieacutes dans la litteacuterature (en eacutepideacutemiologie sociologie psychologie psychologie sociale eacuteconomie anthropologie) certains de ces biais concernent la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations On citera notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation tous bien documenteacutes dans la litteacuterature

De tels eacutecarts posent question degraves lors qursquoil srsquoagit de comprendre et utiliser les reacutesultats de ces enquecirctes Crsquoest en particulier le cas quand les donneacutees sur les comportements alimentaires sont utiliseacutees pour eacutelaborer suivre eacutevaluer des deacutecisions strateacutegies ou interventions publiques

Dans ce contexte le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation lrsquoADEME et FranceAgriMer ont commandeacute une eacutetude pour mieux deacutecrire ces deacutecalages les mesurer et les expliquer en mobilisant les savoirs des sciences eacuteconomiques et sociales Le travail eacutetait volontairement centreacute sur les consommations individuelles et familiales Il a eacuteteacute reacutealiseacute par un consortium de quatre prestataires le Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC apportant une expertise en eacutetudes et analyses sociologiques et eacuteconomiques des comportements de consommation) Nutri Psy Consult (expertise sur le comportement alimentaire humain) Proteacuteines (expertise sur les enjeux de communication et de santeacute autour de lrsquoalimentation) et Deloitte Deacuteveloppement Durable (expertise en matiegravere drsquoeacutevaluations environnementales et drsquoeacuteconomie circulaire)

La deacutemarche drsquoeacutetude a comporteacute trois phases principales Drsquoabord en srsquoappuyant sur une revue de la litteacuterature ainsi que sur six entretiens7 avec des producteurs et utilisateurs de donneacutees

7 Les entretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec Jeacuterocircme Accardo (Insee) Pierre Combris (Inra) Carine Dubuisson (Anses) Emmanuelle Kesse-Guyot (Inra) Marie Plessz (Inra) Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Luc Volatier (Anses)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 9

sur lrsquoalimentation en France une analyse a eacuteteacute reacutealiseacutee des types de deacutecalages de leurs sources et de leurs causes et des correctifs possibles En second lieu trois eacutetudes de cas ont permis de quantifier et expliquer certains deacutecalages observeacutes en mettant en œuvre des meacutethodes varieacutees (observation par cameacutera mesure des freacutequentations des reacuteseaux sociaux etc) Enfin des preacuteconisations ont eacuteteacute formuleacutees agrave destination des commanditaires de lrsquoeacutetude

La premiegravere partie de cet article est consacreacutee aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et traitant des conditions de reacutealisation des enquecirctes sur les comportements alimentaires leurs objectifs leurs meacutethodologies leurs atouts et limites sont abordeacutes La deuxiegraveme partie preacutesente les points saillants de la litteacuterature scientifique consacreacutee aux deacutecalages entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels en distinguant les eacutecarts lieacutes aux reacutepondants de ceux lieacutes aux meacutethodes de collecte La troisiegraveme partie expose les trois eacutetudes de cas qui ont permis drsquoapprofondir la quantification et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes Enfin la quatriegraveme partie propose quelques pistes meacutethodologiques pour compleacuteter le travail reacutealiseacute et preacutesente des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale sur lrsquoameacutelioration des capaciteacutes drsquoanalyse des comportements alimentaires

1 Les diffeacuterentes sources drsquoinformations sur les comportements alimentaires

De nombreux travaux ont pour objectifs la compreacutehension et la mesure des comportements alimentaires En interpreacuteter le plus justement possible les reacutesultats neacutecessite de srsquointeacuteresser aux meacutethodes drsquoacquisition de lrsquoinformation (collecte active ou passive administration par un enquecircteur ou auto-administration etc) et aux objectifs attendus quels pheacutenomegravenes les enquecirctes permettent-elles de mesurer Srsquoagit-il drsquoopinions drsquoattitudes de comportements deacuteclareacutes de comportements reacuteels etc

Les consommations alimentaires sont approcheacutees de plusieurs maniegraveres en fonction du niveau de preuves attendu et de lrsquoeacutechelle eacutetudieacutee eacutetudes in vitro de biomarqueurs doseacutes agrave partir de preacutelegravevements sur des mangeurs (tests en tube en-dehors de lrsquoorganisme vivant) observationnelles (eacutecologiques transversales cas teacutemoins cohortes) expeacuterimentales (essai controcircleacute randomiseacute meacuteta-analyse drsquoessais controcircleacutes randomiseacutes) enquecirctes statistiques etc En France de nombreuses sources drsquoinformations de diffeacuterentes natures sont disponibles sur la consommation alimentaire (tableau 1) donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques (ex balance des imports et exports) donneacutees exhaustives ou compileacutees sur les achats (ex panels de distributeurs) donneacutees de mesure par sondage des ingestions ou des achats (ex releveacutes de consommations individuelles comptabiliteacute des meacutenages) donneacutees de mesure de lrsquoopinion et de sources meacutediatiques (ex baromegravetres drsquoopinion)

Chacune de ces meacutethodes est susceptible de comporter ou drsquoengendrer des biais lesquels peuvent ecirctre ou non corrigeacutes Il en deacutecoule des deacutecalages entre la mesure drsquoun pheacutenomegravene et le pheacutenomegravene en question De nombreux travaux scientifiques les ont eacutetudieacutes Ainsi les sources drsquoinformation identifieacutees dans le tableau 1 peuvent comporter diffeacuterents biais qui seront abordeacutes dans la suite de lrsquoarticle

10 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

B Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesure des comportements reacuteels achatsProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

IRI Panel distributeur IRI Panel de distributeurs sur les FMCG8

Achats en grande distribution

Donneacutees mensuelles sur les achats excluant de fait la restauration collective et commerciale

Nielsen Panel distributeur NIELSEN

Panel de distributeurs sur les FMCG

Achats en grande distribution

Chaque enseigne (ex CASINO)

Ventes dans le circuit CASINO (RelevanC) Ventes reacuteelles journaliegraveres

Achats dans lrsquoensemble des enseignes du groupe

C Donneacutees de mesure (par sondage) des comportements reacuteels ingestion ou achatProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

ANSES Enquecircte INCA (1999 2006 2015)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentativeAlimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

INSEE Budget des famillesComptabiliteacute des meacutenages (deacutepenses et ressources des meacutenages)

Population repreacutesentative des foyers

Donneacutees meacutenages et pas individuelles peu preacutecises agrave un niveau laquo fin raquo drsquoanalyse

Multifinancement public NUTRINET-SanteacuteReleveacutes des consommations individuelles

Personnes volontaires Enquecircte non repreacutesentative

CREacuteDOC Enquecircte CCAF (2003 2007 2010 2016 2019)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentative Alimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

Gira FoodService Enquecirctes RHF Marcheacute de la restauration

Restauration hors domicile Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTARPanel de consommateurs acheteurs

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTAR - eKommercePanel de consommateurs acheteurs e-commerce

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

D Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias (et non de comportements reacuteels)Producteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Instituts drsquoeacutetude de sondage etc(BVA CREacuteDOC CSA IPSOS KANTAR OBSOCO OPINION WAY HARRIS INTERACTIVE IPSOS etc) baromegravetres drsquoopinion

Enquecirctes et baromegravetres drsquoopinion sur les attitudes des consommateurs CAF baromegravetre de lrsquoAgence bio eacutetude Greenflex sur la consommation responsable etc

Eacutetudes et connaissance des consommateurs shoppers

Souvent France entiegravere population repreacutesentative

Preacutecautions dans lrsquoutilisation de plus en plus freacutequente des enquecirctes en ligne (fort biais de couverture avec des biais drsquoapprentissage redressement impeacuteratif sur le diplocircme car forte sous-repreacutesentation des non-diplocircmeacutes)

Plutocirct des donneacutees drsquoat t i tudes que de comportements reacuteels inteacuterecirct limiteacute pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

Reacuteseaux sociaux Twitter Instagram Facebook etcUtilisation de tracker type talkwalker

Socionautes preacutesents et laquo actifs raquo sur les reacuteseaux sociaux

Impacts tregraves faibles sur les comportements reacuteels peu drsquointeacuterecirct pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

8 FMCG (fast-moving consumer goods) sigle deacutesignant les biens de grande consommation

Lecture les sources de donneacutees priveacutees sont souligneacutees dans la premiegravere colonneSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 77-81

Tableau 1 - Principales sources drsquoinformation sur les comportements alimentaires

A Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques donneacutees nationales de contexte geacuteneacuteralProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Douanes Balanceimports-exports

Statistiques du commerce exteacuterieur France entiegravere Donneacutees eacuteconomiques de cadrage  ne

permettent pas drsquoanalyser des comportements reacuteels de consommation alimentaire INSEE Comptes de la Nation Mesure des flux moneacutetaires

repreacutesentatifs de lrsquoeacuteconomieFrance entiegravere

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 11

Cette premiegravere analyse des sources drsquoinformations sur les consommations et comportements alimentaires fait apparaicirctre une diversiteacute de meacutethodes utiliseacutees drsquoougrave la neacutecessiteacute de connaicirctre les speacutecificiteacutes atouts et limites de chacune La partie 2 va ainsi preacuteciser les connaissances actuellement disponibles dans la litteacuterature sur les deacutecalages entre deacuteclarations et reacutealiteacutes des pratiques alimentaires

2 Types de deacutecalages sources et causes

Cette partie baseacutee sur une synthegravese de la litteacuterature existante deacutecrit deux types de deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle Le premier est lieacute aux reacutepondants (21) le deuxiegraveme deacutepend des meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees (22)

21 Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants

Drsquoapregraves la litteacuterature scientifique passeacutee en revue ces deacutecalages lieacutes aux reacutepondants prennent geacuteneacuteralement deux formes Ils peuvent drsquoabord ecirctre lieacutes aux conditions de collecte des donneacutees ou deuxiegravemement deacutecouler de lrsquoattitude-behaviour gap (ou deacutecalage entre opinion et comportement) en particulier dans le cas des enquecirctes drsquoopinion

Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants dans la collecte de donneacutees

Dans les enquecirctes avec eacutechantillons repreacutesentatifs drsquoune population le niveau de participation des personnes solliciteacutees est un eacuteleacutement crucial Les taux de non-reacuteponse importants sont susceptibles de creacuteer un biais de seacutelection ou de recrutement dans les reacutesultats et les conclusions (Dubuisson 2018) surtout quand ces taux varient en fonction de critegraveres socio-eacuteconomiques ou individuels comme la corpulence le sexe ou le niveau drsquoeacuteducation Ce problegraveme se pose drsquoautant plus pour les enquecirctes sur volontaires ou les panels de consommation qui recrutent des profils speacutecifiques de reacutepondants dont les caracteacuteristiques deacutevient largement de la population geacuteneacuterale Par exemple lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude longitudinale NutriNet et dans une moindre mesure celui de lrsquoeacutetude INCA 3 comptent une proportion de femmes et de personnes diplocircmeacutees plus eacuteleveacutee que dans la population franccedilaise On sait eacutegalement que les femmes sont plus preacuteoccupeacutees que les hommes par les questions de santeacute et de bien-ecirctre (Fournier 2013) de mecircme que par lrsquoeacutecologie et le deacuteveloppement durable (Zuinen 2002) On peut donc faire lrsquohypothegravese que celles qui se portent volontaires pour participer agrave des eacutetudes concernant lrsquoalimentation et la santeacute (comme NutriNet) le soient encore davantage

Dans le cas des panels de consommateurs des biais de par ticipation et drsquoapprentissage peuvent modifier la maniegravere de renseigner ses achats certains reacutepondants (eacutegalement appeleacutes laquo paneacutelistes raquo) deviennent progressivement experts sur certains aspects de lrsquoobjet eacutetudieacute ndash les prix par exemple (Lusk et Brooks 2011) ndash distordant une fois de plus un eacutechantillon jugeacute laquo repreacutesentatif raquo au deacutepart Pour les enquecirctes alimentaires le fait de remplir de faccedilon reacutepeacuteteacutee un questionnaire peut aussi modifier sensiblement la maniegravere de reacutepondre avec par exemple une sous-deacuteclaration par effet de lassitude

12 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Toutes les enquecirctes qui interrogent directement les individus (dites laquo deacuteclaratives raquo) sont eacutegalement soumises agrave un biais drsquoobservation les participants peuvent ecirctre ameneacutes avec plus ou moins drsquointensiteacute agrave modifier leurs comportements alimentaires lorsqursquoils se savent observeacutes Par exemple un individu obegravese qui deacuteclare un nombre eacuteleveacute de consommations drsquoaliments ou de boissons hors repas pourra prendre conscience de ses excegraves par rapport aux recommandations nutritionnelles Il lui arrivera ainsi drsquoomettre par la suite certaines deacuteclarations de produits ou eacuteventuellement de modifier son comportement alimentaire durant la peacuteriode ougrave il est interrogeacute de sorte que sa consommation corresponde davantage agrave la norme dominante Ce mecircme biais drsquoobservation qui fait manger moins ou diffeacuteremment quand on se sait observeacute paraicirct affecter plus les femmes que les hommes (Stubbs 2014)

Il existe enfin des biais drsquoestimation (portions freacutequences) mecircme en se servant de photographies illustrant certains formats il est difficile drsquoestimer preacuteciseacutement la taille des portions des produits que lrsquoon consomme avec le plus souvent une sous-estimation Il en va de mecircme quand il srsquoagit drsquoappreacutecier la freacutequence drsquoun comportement inhabituel les faibles freacutequences tendant agrave ecirctre surestimeacutees

Deacutecalages opinion-comportement (attitude-behaviour gap)

Lrsquoattitude-behaviour gap deacutesigne lrsquoeacutecart entre des opinions et des comportements (Vermeir et Verbeke 2006) Ce deacutecalage est potentiellement plus important que celui eacutetudieacute preacuteceacutedemment entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels

Le laquo consommateur moyen franccedilais raquo contemporain est tregraves informeacute Il dispose drsquoun pouvoir drsquoachat important et a accegraves agrave une offre alimentaire varieacutee Il lui arrive aussi drsquoecirctre sondeacute pour connaicirctre ses attitudes et ses comportements Il exprime alors volontiers son inteacuterecirct pour la consommation durable les produits issus de lrsquoagriculture biologique la protection de lrsquoenvironnement le bien-ecirctre des animaux ou encore la protection des droits des consommateurs et lrsquoameacutelioration des conditions de vie des producteurs

Plusieurs exemples illustrent ce point Le site de lrsquoinstitut IPSOS Global Trends indique que 69 des Franccedilais souhaitent acheter local qursquoils se deacuteclarent precircts (agrave 53 ) agrave payer plus cher des produits laquo verts raquo que 51 sont drsquoaccord pour sacrifier les aspects pratiques en faveur de produits meilleurs pour la santeacute et que 33 donnent la prioriteacute aux produits biologiques De mecircme lrsquoAgence franccedilaise pour le deacuteveloppement et la promotion de lrsquoagriculture biologique (Agence Bio) a mis en place un baromegravetre depuis 2003 afin laquo drsquoobserver anneacutee apregraves anneacutee lrsquoeacutevolution des attitudes ainsi que les lieux drsquoachats  raquo en interrogeant un eacutechantillon repreacutesentatif de la population La derniegravere eacutedition nous apprend que 85 des personnes interrogeacutees estiment important de deacutevelopper lrsquoagriculture biologique que 82 font confiance aux produits biologiques que 26 ont lrsquointention drsquoaugmenter leur consommation de ces produits alors que 16 en consomment deacutejagrave tous les jours et les trois quarts au moins une fois par mois (Agence Bio 2019) Enfin dernier exemple une enquecircte de lrsquoIFOP sur un eacutechantillon repreacutesentatif de 1 001 adultes confirme que 79 des enquecircteacutes attribuent un effet positif agrave la viande bio sur le bien-ecirctre animal et 77 des beacuteneacutefices pour lrsquoenvironnement et la santeacute Alors que 71 des interrogeacutes de cet eacutechantillon deacuteclarent consommer de la viande bio agrave lrsquooccasion 48 nrsquoen consomment que rarement et 26 souhaitent augmenter leur consommation Toutes ces enquecirctes montrent lrsquointeacuterecirct porteacute par les Franccedilais aux questions alimentaires mais aussi la diversiteacute des opinions qursquoils sont ameneacutes agrave formuler

Ces enquecirctes ont le meacuterite drsquoecirctre reacutealiseacutees sur des eacutechantillons repreacutesentatifs de la population nationale Elles comportent simultaneacutement ou seacutepareacutement des questions

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 13

eacutevaluant des attitudes et des questions portant sur des freacutequences de consommation Des eacutetudes non-repreacutesentatives sont eacutegalement disponibles elles recrutent alors exclusivement des consommateurs concerneacutes par les pratiques eacutetudieacutees (ex eacutetude conjointe OpinionWaySenseva 2016 sur les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation biologique)

Le creacutedit que lrsquoon peut accorder aux deacuteclarations faites lors drsquoenquecirctes drsquoopinion a eacuteteacute lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes qui ont geacuteneacuteralement observeacute une faible correacutelation entre opinions deacuteclareacutees et consommations reacuteelles Crsquoest par exemple le cas de travaux ayant eacutetudieacute les liens entre les achats des consommateurs et leurs preacuteoccupations eacutethiques production durable soucieuse de lrsquoenvironnement protection des personnes employeacutees   rejet de lrsquoexpeacuterimentation animale pour la mise au point des produits etc (Carrigan et Attalla 2001 Devinney et al 2010 Caruana et al 2016)

Diffeacuterents facteurs contribuent agrave ces types de deacutecalages Le premier consiste en des freins physiques comme la disponibiliteacute des produits Lrsquoemplacement geacuteographique du lieu drsquoacquisition des produits le deacutecor lrsquoenvironnement sonore lrsquoeacuteclairage et tout autre eacuteleacutement physique au moment de lrsquoachat affectent les deacutecisions des consommateurs (Lombardot et Mugel 2015) Souvent les produits issus de lrsquoagriculture biologique de modes de production durables ou eacutethiques sont plus chers que les produits courants Seuls les consommateurs disposant drsquoun fort pouvoir drsquoachat pourraient alors mettre lrsquoensemble de leurs achats en conformiteacute avec les opinions qursquoils ont pu deacuteclarer lors drsquoenquecirctes De plus la disponibiliteacute de ces produits peut ecirctre plus restreinte dans certains magasins et le temps manquer non seulement pour les achats mais pour sortir des comportements routiniers (ex apprendre agrave cuisiner agrave partir drsquoaliments de base plutocirct que de consommer du precirct-agrave-manger) Il est eacutegalement possible que lrsquoinformation neacutecessaire pour guider les choix soit insuffisante ou bien trop complexe (ex contenus nutritionnels sur les emballages) voire que lrsquoaccegraves agrave cette information soit trop chronophage Agrave lrsquoinverse la sur-information parfois cacophonique agrave laquelle les consommateurs sont exposeacutes et la difficulteacute pour en extraire un sens sont drsquoautres facteurs potentiels contribuant agrave ce deacutecalage Enfin il arrive que lrsquoenvironnement social freine la mise en application des opinions par exemple le souhait de consommer laquo bio  raquo ou laquo durable raquo ou laquo sans sucre raquo ou celui de suivre les recommandations nutritionnelles peuvent se heurter aux goucircts et attentes des autres personnes preacutesentes au moment de lrsquoachat ou de lrsquoingestion agrave leurs influences et aux interactions interpersonnelles (Lombardot et Mugel 2015)

Des freins drsquoordre psychologique peuvent aussi jouer le locus of control externe crsquoest-agrave-dire lrsquoattribution des ressorts de lrsquoaction efficace agrave des facteurs exteacuterieurs agrave soi la tendance agrave la procrastination le deacuteni de lrsquoimportance de certains choix ou encore la meacutefiance envers les alleacutegations des producteurs (laquo bio raquo laquo durable raquo laquo eacutethique raquo) contribuent agrave retarder ou agrave empecirccher les changements de comportements (Lombardot et Mugel 2015   Thorslund et Lassen 2016)

Enfin une troisiegraveme source de deacutecalages reacuteside dans lrsquoeacutetat immeacutediat de la personne au moment de la consommation (fatigue eacutenervement irritation) ce qui favorise des comportements routiniers plutocirct que les investissements de temps et drsquoeacutenergie neacutecessaires agrave la mise en œuvre des intentions (Lombardot et Mugel 2015)

La consommation durable est un domaine tout particuliegraverement inteacuteressant en la matiegravere Une eacutetude reacutecente a regardeacute dans les travaux scientifiques deacutedieacutes agrave ce sujet comment le deacutecalage entre attitude et comportement se manifeste (Terlau et Hirsch 2015) Bien qursquoune proportion croissante de consommateurs se deacuteclare favorable agrave la consommation durable cela ne repreacutesente qursquoune faible part du marcheacute Ainsi en France Greenindex (2012 enquecircte eacutetudieacutee par Terlau et Hirsch) rapporte que 63 des consommateurs enquecircteacutes

14 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

deacuteclarent un inteacuterecirct pour la consommation durable alors que 31 seulement achegravetent des produits laquo verts raquo Ce deacutecalage reacutesulte de freins agrave lrsquoachat de produits issus de modes de production durables Le plus important de ces freins selon Terlau et Hirsch est le prix plus eacuteleveacute de ces produits Drsquoautres freins sont identifieacutes beacuteneacutefice jugeacute insuffisant aspect goucirct neacutecessiteacute de diversifier les lieux drsquoachat information non disponible etc

22 Deacutecalages lieacutes aux meacutethodes drsquoacquisition des informations

La validiteacute des meacutethodes drsquoenquecircte faisant intervenir la meacutemoire des reacutepondants est fortement contesteacutee depuis quelques anneacutees dans la litteacuterature scientifique internationale En 2014 un groupe de chercheurs publiait un article critique concluant que les donneacutees obtenues par auto-deacuteclaration sont si contestables qursquoil faut cesser de les utiliser pour bacirctir des politiques publiques (Dhurandhar et al 2015)

La critique des donneacutees drsquoenquecirctes nutritionnelles (qui sont des enquecirctes transversales) fait souvent reacutefeacuterence agrave la pyramide des niveaux de preuve scientifique (Lucas et Harris 2018) Cette pyramide est freacutequemment mobiliseacutee avec quelques variantes dans la litteacuterature scientifique Elle rappelle que les enquecirctes transversales si soigneacutees et compeacutetentes soient-elles occupent un niveau intermeacutediaire entre les eacutetudes animales ou in vitro et les eacutetudes randomiseacutees controcircleacutees (ERC) Les eacutetudes de cohortes repreacutesentent un niveau plus eacuteleveacute de scientificiteacute que les eacutetudes transversales Cependant les relations causales entre facteurs au-delagrave des correacutelations identifieacutees par les eacutetudes drsquoobservation ne peuvent ecirctre deacutemontreacutees que par des ERC

Les eacutecarts deacuteclaratifreacuteel et les critiques adresseacutees aux meacutethodologies drsquoenquecirctes reposent sur plusieurs constatations

- Les meacutethodologies fondeacutees sur la meacutemoire souffrent des limites mecircmes des processus mneacutesiques (Archer et al 2015 2018) Les questionnaires ne mesurent pas les comportements de consommation mais collectent des souvenirs des perceptions qui y sont associeacutees rien ne confirmant que celles-ci soient fidegraveles agrave la reacutealiteacute Bien au contraire il est eacutetabli que la meacutemoire humaine est ni exacte ni preacutecise Elle amalgame des processus constructifs et reconstructifs (dont lrsquoimagination) elle laquo oublie raquo et mecircme laquo invente raquo agrave lrsquooccasion Les omissions sont donc possibles de mecircme que des intrusions parmi les consommations reacuteellement effectueacutees Cette limite nrsquoest pas speacutecifique aux comportements alimentaires lrsquoeacutetude des auto-deacuteclarations dans divers domaines (santeacute communications justice etc) et disciplines (eacuteconomie anthropologie psychologie etc) suggegravere que la moitieacute de ces deacuteclarations sont probablement incorrectes (Bernard et al 1984) Les meacutethodes utiliseacutees pour obtenir les deacuteclarations sont du mecircme ordre que celles qui induisent de laquo faux souvenirs raquo (Archer et al 2015 Bernstein et Loftus 2009) Les questionnaires de freacutequence de consommation (FFQ) sont tregraves proches du paradigme Deese-Roediger-McDermott (DRM) qui suscite de nombreuses erreurs (plus de 75 ) dans le rappel de mots faisant partie drsquoune liste agrave meacutemoriser Dans ce paradigme DRM les reacutepondants sont plus certains des termes rappeleacutes par erreur que des mots reacuteellement inclus dans la liste (Deese 1959 Roediger et McDermott 1995 Gallo 2010) Une eacutetude deacutejagrave ancienne de psychologie sociale avait montreacute agrave la sortie drsquoun restaurant que des personnes intervieweacutees pouvaient deacutecrire la tenue du personnel masculin et la musique drsquoambiance alors que lrsquoeacutetablissement nrsquoavait ni personnel masculin ni musique drsquoambiance (Kronenfeld et al 1972 Bernard et al 1984)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 15

- Outre lrsquooubli les reacutepondants peuvent aussi mentir ou mecircme changer leurs comportements habituels lorsqursquoils doivent les deacuteclarer (Macdiarmid et Blundell 1997) Par exemple 31 des participants agrave une enquecircte alimentaire ont reconnu avoir mangeacute moins gras pendant lrsquoeacutetude et 43 avoir consommeacute davantage de fruits et leacutegumes Il srsquoagit ici drsquoune modification intentionnelle des consommations dont les effets srsquoajoutent agrave la difficulteacute intrinsegraveque de la tacircche (Mela et Aaron 1997) On peut noter que ces deacuteclarations qui concernent les changements de comportements pendant les eacutetudes reposent aussi sur la meacutemoire et sont sans doute affecteacutees par la mecircme tendance agrave la sous-deacuteclaration que celles qui concernent les ingestions elles-mecircmes Si tel est le cas la distorsion des ingestions deacuteclareacutees par rapport aux consommations reacuteelles est encore plus importante

- Les questionnaires alimentaires sont en geacuteneacuteral fastidieux agrave remplir Ils sont parfois complexes et demandent du temps Ils exigent une motivation soutenue de la part des enquecircteacutes parfois pendant plusieurs jours Lrsquoennui ou la difficulteacute peuvent contribuer agrave deacuteteacuteriorer la qualiteacute de la deacuteclaration (Scagliusi et al 2003 Lusk et Brooks 2011) Certaines eacutetudes notent une deacuteteacuterioration de la reacuteponse au cours des rappels successifs (Freedman et al 2014) Trois rappels de 24 heures non conseacutecutifs9 produisent des deacuteclarations plus complegravetes que le releveacute de 7 jours conseacutecutifs ce qui est attribueacute agrave la perte de motivation qui se deacuteveloppe apregraves plusieurs jours

- Les deacuteclarations sont tregraves influenceacutees par lrsquoinstrument et le protocole drsquoenquecircte par leurs formats formulations et contextes (Schwartz 1999) Il est bien montreacute que diffeacuterentes meacutethodes comme le rappel de 24 heures le releveacute alimentaire drsquoune semaine et les questionnaires de freacutequences de consommations donnent des deacuteclarations diffeacuterentes y compris chez le mecircme individu (Freedman et al 2014) Les hommes normo-pondeacuteraux sous-deacuteclarent leurs apports de 12 agrave 14 en utilisant des rappels de 24 heures et de 31 agrave 36 avec des questionnaires de freacutequences (id) Des recherches portant sur les meacutecanismes cognitifs et les processus de communication entre enquecircteurs et enquecircteacutes (Schwartz 1999) ont deacutemontreacute que des changements en apparence mineurs (ordre des questions questions ouvertes ou fermeacutees options de reacuteponse proposeacutees eacutechelles de rappel journeacuteeanneacutee identiteacute et motivations supposeacutees de la source de lrsquoenquecircte) peuvent conduire agrave de grandes dispariteacutes des reacuteponses Il est eacutegalement important de srsquoassurer que le questionnaire est bien compris par les enquecircteacutes Bessiegravere et al (1997) font ainsi eacutetat des malentendus qui peuvent disqualifier une eacutetude Si certaines questions se precirctent facilement aux traitements quantitatifs (eacutetat civil par exemple) drsquoautres sont susceptibles drsquointerpreacutetations infinies Par exemple qursquoest-ce que laquo souvent raquo ou qursquoest-ce qursquoune laquo grande portion raquo (Heacuteran 1984)

- La personnaliteacute de lrsquoenquecircteur peut modifier les reacuteponses des enquecircteacutes Les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves de populations noires aux Eacutetats-Unis sont plus fiables si les enquecircteurs sont noirs Dans les enquecirctes Insee les reacuteponses sont plus rigoureuses si elles sont obtenues aupregraves de femmes qursquoaupregraves de militaires agrave la retraite (entretien avec Marie Plessz) Dans certains cas lrsquoenregistrement direct sur ordinateur permet une plus grande sinceacuteriteacute des reacuteponses en particulier quand lrsquoinformation demandeacutee concerne un sujet sensible

- Les enquecirctes drsquoopinion utilisent des questionnaires trop geacuteneacuteraux et deacutetacheacutes du contexte de consommation pour vraiment fournir une information utile sur les comportements drsquoachat ou de consommation (Devinney et al 2010) Des eacutechelles simples portant sur le degreacute drsquoadheacutesion agrave certaines propositions (eacutechelles en cinq degreacutes de type Likert par exemple) tendent agrave sur-eacutevaluer lrsquoimportance de cette adheacutesion Certains auteurs ont ainsi pu parler du laquo mythe raquo du consommateur eacutethique (Devinney et al 2010 Carrigan et

9 Un rappel de 24 heures consiste agrave demander (par entretien teacuteleacutephonique) agrave lrsquoindividu lrsquoensemble de ses prises alimentaires du jour preacuteceacutedent

16 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Attalla 2001) en faisant remarquer que les preacuteoccupations pour lrsquoeacutethique deacuteclareacutees dans les enquecirctes drsquoopinions srsquoarrecirctent au moment de passer agrave la caisse Les eacutetudes de consentement agrave payer utilisant des proceacutedures de choix forceacutes dans des conditions controcircleacutees montrent que les consommateurs ne sont pas disposeacutes agrave sacrifier la qualiteacute en faveur de produits socialement acceptables (Devinney et al 2010) Les deacutecalages entre opinions et pratiques ne sont pas reacuteserveacutes agrave lrsquoalimentation et sont bien deacutecrits dans divers domaines dont la pratique culturelle (Peacutequignot 2011) la lecture (Donnat 2009) ou encore les opinions politiques et le vote (Braconnier 2010)

- Les instruments des enquecirctes alimentaires ne considegraverent et deacutefinissent souvent que certains moments de consommation au cours de la journeacutee (petit-deacutejeuner deacutejeuner goucircter etc) Or certains comportements nrsquoentrent pas dans ce cadre par exemple le grignotage est un acte drsquoingestion impliquant tregraves peu drsquoattention et pouvant se reacutepeacuteter sur plusieurs heures Il est donc difficile drsquoen rendre compte dans le cadre des cateacutegories preacute-deacutefinies drsquooccasions alimentaires

- Le biais dit de laquo mindless consumption raquo (consommation automatique sans y precircter attention) a eacuteteacute eacutetabli par des eacutetudes quantitatives Il induit geacuteneacuteralement une sous-deacuteclaration drsquoautant plus importante que les aliments concerneacutes sont faciles drsquoaccegraves (Wansink et Sobal 2007)

- Les meacutethodes drsquoenquecircte sont speacutecifiques drsquoun domaine de recherche et il faut donc eacuteviter les geacuteneacuteralisations abusives Par exemple des donneacutees concernant le budget des familles ne sont adapteacutees ni agrave lrsquoeacutetude des consommations individuelles ni aux questions nutritionnelles

- Trop souvent la validation drsquoune meacutethode drsquoenquecircte sur lrsquoalimentation se fait par correacutelation avec drsquoautres meacutethodes souffrant de limites identiques (Block 1982 Masson et al 2003) Si les sources de distorsion sont les mecircmes drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre leur correacutelation suggegravere une fausse validiteacute Seule la comparaison avec une mesure objective indeacutependante de la consommation (deacutepense eacutenergeacutetique par exemple) pourrait constituer une validation

- Il est difficile de deacutepartager la sursous deacuteclaration apparente de la sursous deacuteclaration reacuteelle Dans certaines circonstances les apports deacuteclareacutes par un individu peuvent paraicirctre tregraves bas ou tregraves eacuteleveacutes Il est difficile de savoir si ces deacuteclarations sortant de lrsquoordinaire repreacutesentent fidegravelement la consommation reacuteelle au moment de lrsquoenquecircte ou encore srsquoil srsquoagit de sur- ou de sous-deacuteclarations

- Enfin les reacuteponses obtenues lors des enquecirctes en ligne peuvent ecirctre diffeacuterentes de celles formuleacutees en face agrave face Lrsquoanonymat de lrsquoenquecircte en ligne peut donner lieu agrave plus de sinceacuteriteacute ceci est probablement vrai eacutegalement dans le cas preacutecis de lrsquoalimentation Les enquecirctes en ligne ne preacutesentent toutefois pas de difficulteacute particuliegravere degraves lors que la phase de validation a montreacute une concordance entre les reacuteponses obtenues par ce moyen et les exigences du protocole

Cette analyse de la litteacuterature scientifique met en eacutevidence divers types de deacutecalages entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes et reacuteels deacutependant tant des individus solliciteacutes que des meacutethodes de collecte des informations La partie 3 va permettre avec trois eacutetudes de cas drsquoapprofondir lrsquoanalyse de ces deacutecalages dans diffeacuterentes circonstances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 17

3 Preacuteciser la mesure et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes trois eacutetudes de cas

Trois eacutetudes de cas ont permis drsquoapprofondir la quantification de deacutecalages observeacutes soit sur des cateacutegories de produits soit lieacutes agrave des effets meacutethodologiques Ce travail vient prolonger et illustrer par lrsquoexpeacuterience les eacuteleacutements deacutecrits ci-dessus agrave partir de la revue de litteacuterature

La premiegravere eacutetude (31) porte sur la deacuteclaration des consommations par la meacutethode du carnet alimentaire Elle consiste agrave noter le deacutetail de ses consommations drsquoaliments et de boissons pendant une peacuteriode deacutetermineacutee (3 ou 4 jours ou 7 jours conseacutecutifs) en estimant geacuteneacuteralement les tailles de portion agrave lrsquoaide drsquoun cahier photographique Cette meacutethode permet drsquoobtenir des informations preacutecises sur les apports alimentaires et nutritionnels Lrsquoobjectif de cette premiegravere eacutetude de cas eacutetait de deacuteterminer quels aliments et boissons sont les plus omis dans le remplissage de ces carnets et agrave quelles occasions

La deuxiegraveme eacutetude (32) srsquointeacuteresse agrave la lassitude des enquecircteacutes dans les enquecirctes alimentaires INCA 2 (2006-2007) et INCA 3 (2013-2014) La sur-sollicitation des personnes enquecircteacutees pendant plusieurs jours entraicircne une fatigue et une banalisation pouvant causer une moins bonne deacuteclaration Il srsquoagissait ici drsquoeacutevaluer la sous-deacuteclaration au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte progresse en partant de lrsquohypothegravese que le premier jour de deacuteclaration est le plus fidegravele agrave la reacutealiteacute et que le dernier est celui ougrave lrsquoon observe la plus forte sous-deacuteclaration Notons que des changements de meacutethodes ont eacuteteacute introduits entre les deux eacuteditions de lrsquoenquecircte INCA (carnet alimentaire de 7 jours en 2006 versus rappels de 24 heures en 2013)

La troisiegraveme eacutetude de cas (33) srsquointeacuteresse agrave lrsquoactiviteacute des reacuteseaux sociaux et agrave ses implications sur les achats alimentaires De faccedilon exploratoire des correacutelations statistiques ont eacuteteacute rechercheacutees entre deux ensembles de donneacutees des donneacutees sur les discours meacutediatiques et les deacutebats sur les reacuteseaux sociaux et des donneacutees drsquoachat Ce sont ici agrave la fois des deacutecalages temporels (laquo effet retard raquo) et des deacutecalages entre discours et pratiques qui sont rechercheacutes Un mecircme protocole a eacuteteacute appliqueacute aux cas des produits biologiques et de la viande

31 Eacutetude de la deacuteclaration de consommations alimentaires (ingestion) par la meacutethode du carnet alimentaire

Les carnets alimentaires sont une meacutethode freacutequemment utiliseacutee pour deacuteterminer la consommation elle permet de mesurer les apports alimentaires et nutritionnels au niveau drsquoune population Elle est notamment utiliseacutee pour lrsquoenquecircte Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du CREacuteDOC Comme vu preacuteceacutedemment cette meacutethode de recueil drsquoinformation induit neacutecessairement des deacutecalages avec la consommation reacuteelle

Afin drsquoanalyser ces deacutecalages une expeacuterimentation avec des cameacuteras a eacuteteacute entreprise srsquoappuyant sur une meacutethode eacuteprouveacutee dans drsquoautres circonstances (Lahlou 1998 et 2006) Lrsquoobjectif est ici de deacuteterminer les deacutecalages entre les consommations deacuteclareacutees sur le carnet alimentaire et les consommations reacuteelles filmeacutees par une cameacutera porteacutee par les mangeurs en repeacuterant et traitant les omissions eacuteventuelles combien drsquoomissions Concernant quels types drsquoaliments ou de boissons Agrave quelles occasions de consommation Dans quelles circonstances   20 individus volontaires ont eacuteteacute eacutequipeacutes drsquoune cameacutera portative (voir photographie 1) et ont rempli en parallegravele pendant trois jours conseacutecutifs un carnet alimentaire (e-carnet identique agrave celui de lrsquoenquecircte CCAF) Lrsquohypothegravese faite eacutetait qursquoils oublieraient rapidement porter cette cameacutera (ce qui a eacuteteacute confirmeacute par la plupart des intervieweacutes) et que les images enregistreacutees permettraient de reacuteveacuteler des eacutecarts avec les informations inscrites sur les carnets alimentaires

18 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sou

rce

CR

EacuteD

OC

Photographie 1 ndash Dispositif de cameacutera portative fixeacutee sur un harnais utiliseacute pour cette expeacuterimentation

Les 20 individus ont eacuteteacute recruteacutes via Internet (socieacuteteacute Easypanel) en fonction de profils varieacutes preacutedeacutefinis agrave lrsquoavance lieu drsquohabitation en reacutegion parisienne (Paris petite couronne et grande couronne) sexe diplocircme (2 modaliteacutes au plus baccalaureacuteat au moins Bac+1) acircge (3 tranches 18-34 ans 35-54 ans 55 ans et plus) Ces personnes ont eacuteteacute reacutemuneacutereacutees Aucune exclusion a priori nrsquoa eacuteteacute envisageacutee (ex individu obegravese ou anorexique personne ayant preacutevu un eacuteveacutenement particulier lors des jours drsquoexpeacuterimentation etc)

La comparaison des e-carnets alimentaires avec les images obtenues gracircce aux cameacuteras a permis de deacuteceler des omissions etou des erreurs dans les informations deacuteclareacutees Tout drsquoabord sur les 18 participants pour lesquels les seacutequences filmeacutees eacutetaient exploitables un seul a correctement noteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires La plupart des individus ont omis drsquoenregistrer au moins un aliment ou une boisson En moyenne le nombre drsquoaliments ou boissons non noteacutes srsquoeacutelegraveve agrave un peu plus de 2 par individu et par jour Toutefois mecircme si la majoriteacute des personnes ne mentionne pas avec exhaustiviteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires les repas principaux sont globalement bien renseigneacutes

Lors du deacutebriefing reacutealiseacute agrave la fin de lrsquoexpeacuterimentation la quasi-totaliteacute des participants a deacuteclareacute ne pas avoir omis drsquoaliments En insistant et en donnant des exemples certains ont alors admis avoir oublieacute par exemple des consommations drsquoeau de cafeacute ou de biscuits

Nous avons identifieacute deux grandes cateacutegories drsquoomissions dans les e-carnets alimentaires des omissions lors des prises hors repas les plus importantes en nombre des omissions drsquoaliments accompagnant les plats Le tableau 2 reacutecapitule le nombre drsquoomissions (laquo cas raquo) de boissons et drsquoaliments identifieacutees parmi les 18 participants

Tableau 2 ndash Nombre total drsquoomissions identifieacutees par types de boissons et drsquoaliments pour lrsquoeacutetude de cas ndegdeg11

Lecture le nombre de cas correspond au nombre total drsquoomissions identifieacutees sur les videacuteos les parenthegraveses donnent le nombre drsquoindividus concerneacutes par ces omissionsSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 43 et 45

Eau 18 cas (9 individus sur 18)Boissons sucreacutees 7 cas (6 individus sur 18)Boissons chaudes et lait 5 cas (4 individus sur 18)

Leacutegumes (ex salade cornichon leacutegumes drsquoaccompagnement etc) 14 cas (9 individus)

Produits sucreacutes 9 cas (8 individus)Biscuits sucreacutes 8 cas (6 individus)Condiments 8 cas (3 individus)Pain-biscottes 7 cas (5 individus)Sauces 7 cas (5 individus)Matiegraveres grasses 6 cas (5 individus)Ultra-frais laitiers 4 cas (4 individus)Fruits 4 cas (4 individus)

Fromage 3 cas (3 individus)Charcuterie 1 cas (1 individu)Sandwich 1 cas (1 individu)Riz 1 cas (1 individu)Viande 1 cas (1 individu)Fruits secs 1 cas (1 individu)Pacirctes 1 cas (1 individu)Pacirctisseries 1 cas (1 individu)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 19

Voici plus en deacutetails les principales omissions repeacutereacutees

bull LrsquoeauLorsque lrsquoeau nrsquoa pas eacuteteacute inscrite dans le e-carnet alimentaire il srsquoagit en majoriteacute de

prises hors repas par ex Jonathan 30 ans boit de lrsquoeau agrave la sortie de son bureau dans la voiture ou encore devant la teacuteleacutevision le dimanche entre deux repas

Une autre cateacutegorie drsquoomission de lrsquoeau dans le e-carnet lrsquooubli systeacutematique est plus rare (1 individu sur 18) Par exemple Claude 50 ans boit de lrsquoeau au moment du petit-deacutejeuner ndash et sucircrement agrave bien drsquoautres occasions ndash mais il nrsquoa inscrit aucune de ces occasions dans le carnet

bull Les boissons sucreacutees et boissons chaudesLrsquoomission de boissons sucreacutees et de boissons chaudes est dans notre

expeacuterimentation uniquement arriveacutee lors de prises hors repas Par exemple Ingrid 31 ans boit du jus drsquoorange avant de commencer agrave preacuteparer le deacutejeuner dans sa cuisine et Virginie 51 ans oublie un cafeacute bu agrave 9h du matin sur son lieu de travail

bull Les leacutegumesIl existe 2 familles drsquoomissions concernant les leacutegumes Celles concernant les produits

utiliseacutes dans la recette drsquoun plat tels que les oignons lrsquoail et les leacutegumes accompagnant des feacuteculents ou drsquoautres aliments Par exemple Eacutelodie 31 ans qui a bien noteacute dans le e-carnet laquo la salade raquo oublie drsquoindiquer les tomates ou encore les leacutegumes qui accompagnent son riz

Le deuxiegraveme type drsquoomissions concerne des leacutegumes consommeacutes en encas par ex Virginie 51 ans mange plusieurs fois dans les 3 jours du concombre en encas La premiegravere fois lrsquoaliment est bien indiqueacute dans le e-carnet les fois suivantes il ne lrsquoest plus

bull Les produits et biscuits sucreacutesLe groupe des produits sucreacutes est constitueacute des confitures des bonbons des chocolats

et du sucre Ces produits et les biscuits sucreacutes sont parfois non deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire lors drsquoune prise hors repas Nadegravege 38 ans omet de noter dans le e-carnet un carreacute de chocolat pris avec son cafeacute apregraves son deacutejeuner vers 14h30 son cafeacute eacutetant bien indiqueacute dans son carnet mais pas le carreacute de chocolat Marvin 28 ans ne deacuteclare pas sa tartine de confiture lors de la prise drsquoun encas Ingrid 31 ans consomme un biscuit sur son lieu de travail Agrave noter que les biscuits sucreacutes ne sont pas deacuteclareacutes surtout lorsqursquoils sont pris hors repas

bull Les condiments sauces et matiegraveres grassesCes cateacutegories de produits sont des ingreacutedients de plats Annexes au plat principal leur

omission est relativement freacutequente Par exemple Christophe 50 ans oublie de mentionner qursquoil ajoute de la beacutearnaise dans son plat Rahma 32 ans oublie la vinaigrette qursquoelle ajoute agrave sa salade

bull Le painPour ce qui est du pain on observe des omissions dans le e-carnet alimentaire agrave

la fois lors de prises hors repas mais eacutegalement au sein du repas Par exemple Marvin 28 ans omet de noter ses tartines et Virginie 51 ans omet drsquoenregistrer le pain lors drsquoun dicircner en famille

bull Les ultra-frais laitiers et les fruitsCes aliments lorsqursquoils ne sont pas deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire sont des

aliments majoritairement pris hors repas Par exemple Jonathan 30 ans mange une

20 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

pomme apregraves avoir cuisineacute agrave 17h On peut aussi identifier des omissions sur des fins de repas Christophe 50 ans nrsquoindique pas dans son e-carnet alimentaire deux yaourts qursquoil consomme juste agrave la fin de son repas Agrave noter qursquoil les consomme apregraves avoir effectueacute sa vaisselle agrave la main debout dans la cuisine et non plus agrave table

Deux grandes cateacutegories drsquoomissions ont donc eacuteteacute identifieacutees dans les e-carnets alimentaires en fonction du moment de la prise les omissions lors drsquooccasions hors repas et les omissions drsquoaliments accompagnant les plats principaux

In fine il ressort de cette eacutetude de cas que la meacutethode de recueil par carnet alimentaire comporte certains eacutecueils du fait mecircme de sa conception lrsquoappel agrave la meacutemoire favorise neacutecessairement lrsquooubli drsquoaliments (de certains types ou agrave certains moments) entraicircnant une meacutesestimation (la plupart du temps une sous-estimation) des comportements alimentaires reacuteels Afin de remeacutedier agrave cet eacutecueil il serait neacutecessaire au moment du brief initial des personnes enquecircteacutees drsquoinsister davantage sur les omissions geacuteneacuteralement commises dans ce type drsquoenquecircte sur les prises hors repas etc Par ailleurs lrsquoobservation par cameacutera ouvre un large champ drsquoinvestigations pour approfondir la question des deacutecalages entre pratiques deacuteclareacutees et pratiques reacuteelles

32 Effet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires

Dans une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs les individus tendent agrave sous-deacuteclarer leurs consommations au fil des jours pheacutenomegravene appeleacute laquo effet de lassitude  raquo Cette deuxiegraveme eacutetude de cas vise agrave mettre en eacutevidence cette sous-deacuteclaration pour certaines cateacutegories de produits

Le changement de meacutethode opeacutereacute entre deux sessions de lrsquoenquecircte INCA reacutealiseacutee par lrsquoAnses (INCA 2 et INCA 3)10 est mis agrave profit pour caracteacuteriser le deacutecalage ducirc au choix de la modaliteacute pour le remplissage des carnets alimentaires Lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) a eacuteteacute reacutealiseacutee par carnets alimentaires de 7 jours conseacutecutifs alors que lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) a eacuteteacute reacutealiseacutee par le biais de trois rappels de 24 heures Dans ce cas chaque personne interrogeacutee devait renseigner ses consommations alimentaires pour trois journeacutees indeacutependantes (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) seacutelectionneacutees sur une peacuteriode de trois semaines Lrsquohypothegravese testeacutee est que lrsquoeffet de lassitude est moindre (voire nul) dans une enquecircte alimentaire par rappel de 24 heures par rapport agrave une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs

Agrave partir de lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) nous avons eacutetudieacute les diffeacuterences de deacuteclaration qui existent entre les 7 journeacutees de remplissage (jour 1 jour 2 hellip jour 7) Dans un second temps nous avons fait de mecircme sur la base de lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) Deux indicateurs ont eacuteteacute utiliseacutes les apports alimentaires (gj) les apports eacutenergeacutetiques (kcalj) La comparaison des moyennes de lrsquoeacutenergie consommeacutee en fonction des jours (jour 1 jour 2 hellip jour n) permet de deacuteterminer si le numeacutero du jour a un impact dans le remplissage du carnet Il en est de mecircme pour la comparaison des taux de consommation de certaines cateacutegories de produits

Il ressort de ces analyses (tableau 3) que dans INCA 2 les apports alimentaires (en gj) et les apports eacutenergeacutetiques (en kcalj) deacutecroissent significativement au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps de maniegravere continue (- 43 gj et - 28 kcalj par journeacutee

10 Ces analyses ont beacuteneacuteficieacute de la contribution de lrsquoAnses pour les traitements des donneacutees drsquoINCA 3

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 21

suppleacutementaire avec des reacutesultats statistiquement significatifs p lt 2e-16 dans les deux cas) Entre le 1er et le 7e jour de consommation la moyenne des apports en grammes de la population adulte acircgeacutee de 18 ans et plus a diminueacute de 10 celle des apports en eacutenergie de 8 En simulant une valeur constante de la moyenne des apports en grammes ou de lrsquoeacutenergie correspondant au jour le laquo mieux raquo rempli soit le 1er jour de consommation la quantiteacute totale sous-estimeacutee srsquoeacutetablirait agrave environ 5 pour les quantiteacutes et 4 pour lrsquoeacutenergie Agrave lrsquoinverse dans le cas drsquoINCA 3 il apparaicirct que les apports alimentaires et les apports eacutenergeacutetiques ne deacutecroissent pas (p = 01431) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps (entre le 1er et le 3e rappel de 24 heures et p lt 2e-16)

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 9711 1 0245 2 0936 8735Jour 2 2 9579 1 0445 2 0635 8764Jour 3 2 9300 1 0009 2 0393 8468Les 3 jours 2 9530 8600 2 0655 7102

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 7216 9328 2 0366 7969Jour 2 2 6737 9582 2 0161 8116Jour 3 2 6227 9934 1 9882 8084Jour 4 2 5888 9811 1 9509 8052Jour 5 2 5381 9762 1 9211 8060Jour 6 2 4944 9418 1 9014 7912Jour 7 2 4623 9551 1 8698 7746Les 7 jours 2 5859 8339 1 9549 6302

Tableau 3 - Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) et apport eacutenergeacutetique moyen par jour (kcalj) pour chaque journeacutee de consommation (enquecirctes INCA 22 et INCA 33)

Enquecircte INCA 2 (2006-2007)

Enquecircte INCA 3 (2014-2015)

Source Anses Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) et INCA 3 (calculs Anses) rapport final de lrsquoeacutetude page 52

On notera que les eacutecarts entre les apports en grammes entre les enquecirctes INCA 2 et INCA 3 sont principalement dus agrave des diffeacuterences meacutethodologiques

Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 qui utilise une meacutethode par carnet alimentaire avec un recueil des consommations sur 7 jours conseacutecutifs Cet effet est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 avec une meacutethodologie par rappel de 24 heures

Par ailleurs des analyses par cateacutegories alimentaires ont eacuteteacute conduites Elles montrent que dans lrsquoenquecircte INCA 2 un nombre important de ces cateacutegories sont de moins en moins deacuteclareacutees (indicateur gj plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 + szlig1 numeacutero du jour + ɛ) (tableau 4)

Tableau 4 ndash Cateacutegories alimentaires pour lesquelles la baisse des deacuteclarations est significative

Avec plt0001 Avec plt001

Pain et panification segraveche Pommes de terre et apparenteacutes Viande

Eaux Margarine Autres boissons chaudes

Huile Ultra-frais laitiers Soupes et bouillons

Condiments et sauces Boissons fraicircches sans alcool

Sucres et deacuteriveacutes Leacutegumes

Pacirctes

Fromages

Source auteurs rapport final de lrsquoeacutetude page 56

22 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Pour INCA 2 le tableau 5 preacutesente les reacutesultats obtenus pour les quantiteacutes moyennes consommeacutees par jour par groupe alimentaire et pour chaque journeacutee

Dans le cas de lrsquoenquecircte INCA 3 (tableau 6) seulement 2 groupes alimentaires sont de moins en moins deacuteclareacutes (indicateur gjour plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire   apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 +szlig1 numeacutero du jour + ɛ) Il srsquoagit des cateacutegories suivantes pain et panification segraveche raffineacutes plats agrave base de poisson

Un effet de lassitude est donc bien observeacute chez les reacutepondants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 et ce pour de nombreuses cateacutegories drsquoaliments Il est en revanche absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 excepteacute pour le groupe laquo pain et panification segraveche raffineacutes raquo et laquo plats agrave base de poisson  raquo Aucune surdeacuteclaration nrsquoapparaicirct significative

Cet effet de lassitude a ensuite eacuteteacute testeacute selon plusieurs critegraveres (sexe acircge diplocircme indice de masse corporelle - IMC) En voici les principaux reacutesultats et enseignements

bull Selon le sexeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavanceacutee de

lrsquoenquecircte autant chez les hommes (- 42 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) que chez les femmes (- 45 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit le sexe

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les hommes ou chez les femmes Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les hommes et chez les femmes   il est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque sexe

bull Selon lrsquoacircgeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte dans les 3 tranches drsquoacircge suivantes - 18-34 ans -60 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 35-54 ans -48 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 55-79 ans -23 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit lrsquoacircge Il est agrave noter qursquoil est plus important chez les plus jeunes (- 60 gj par journeacutee de remplissage chez les 18-34 ans contre - 48 gj chez les 35-54 ans et - 23 gj chez les 55-79 ans)

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les 18-34 ans 35-54 ans ou 55-79 ans Lrsquoeffet de lassitude est absent sur les apports en grammes quel que soit lrsquoacircge

En conclusion un effet de lassitude est observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les 18-34 ans 35-54 ans et 55-79 ans Il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque tranche drsquoacircge

bull Selon le niveau drsquoeacuteducationDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au baccalaureacuteat et chez ceux qui ont au moins le niveau du baccalaureacuteat

- niveau infeacuterieur au Bac - 38 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - niveau eacutegal ou supeacuterieur au Bac - 49 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les deux populations eacutetudieacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 23

Jour 1 Jour 2 Jour 3 Jour 4 Jour 5 Jour 6 Jour 7 (D7-D1)D1

1 Pain et panification segraveche 1088 1042 1014 988 956 959 936 - 140

2 Ceacutereacuteales pour petit deacutejeuner 46 47 41 39 41 42 42 - 87

3 Pacirctes 407 368 382 334 334 329 318 - 219

4 Riz et bleacute dur ou concasseacute 248 219 214 221 214 213 218 - 121

5 Autres ceacutereacuteales 05 05 07 07 03 05 05 00

6 Viennoiserie 108 105 110 114 104 120 115 65

7 Biscuits sucreacutes ou saleacutes et barres 82 88 86 81 80 76 70 - 146

8 Pacirctisseries et gacircteaux 315 345 388 359 365 352 331 51

9 Lait 797 785 760 740 768 747 743 - 68

10 Ultra-frais laitier 878 802 807 759 777 758 771 - 122

11 Fromages 322 313 311 306 292 289 283 - 121

12 Œufs et deacuteriveacutes 128 138 135 142 127 148 143 117

13 Beurre 108 101 100 95 97 98 99 - 83

14 Huile 108 98 94 89 86 86 88 - 185

15 Margarine 44 44 42 39 37 36 38 - 136

16 Autres graisses 01 01 01 01 01 01 01 00

17 Viande 509 482 473 413 426 447 466 - 84

18 Volaille et gibier 29 293 274 273 291 289 273 - 59

19 Abats 23 28 25 31 25 27 25 87

20 Charcuterie 342 321 318 310 330 318 295 - 137

21 Poissons 246 250 240 264 238 250 243 - 12

22 Crustaceacutes et mollusques 35 40 41 41 43 40 48 371

23 Leacutegumes (hors pommes de terre) 1312 1320 1292 1273 1203 1233 1232 - 61

24 Pommes de terre et apparenteacutes 589 556 523 551 540 498 483 - 180

25 Leacutegumes secs 95 66 79 101 94 93 95 00

26 Fruits 1339 1348 1290 1336 1284 1253 1299 - 30

27 Fruits secs et graines oleacuteagineuses 25 23 29 22 27 22 24 - 40

28 Glaces et desserts glaceacutes 67 61 71 80 74 77 71 60

29 Chocolat 53 58 54 50 50 49 47 - 113

30 Sucres et deacuteriveacutes 204 193 188 185 176 177 174 - 147

31 Eaux 8165 8024 785 7754 7566 7262 7143 - 125

32 Boissons fraicircches sans alcool 1343 1302 1258 1203 1205 1177 1132 - 157

33 Boissons alcooliseacutees 1249 1203 1255 1231 1259 1175 1162 - 70

34 Cafeacute 2717 2729 2687 2653 2577 2604 2570 - 54

35 Autres boissons chaudes 1432 1334 1327 1269 1233 1276 1238 - 135

36 Pizzas quiches et pacirctisseries saleacutees 214 236 237 225 231 190 246 150

37 Sandwichs casse-croucircte 132 164 152 154 160 177 154 167

38 Soupes et bouillons 918 904 852 854 844 822 815 - 112

39 Plats composeacutes 631 694 675 738 686 701 671 63

40 Entremets cregravemes desserts et laits geacutelifieacutes 245 249 234 237 235 199 228 - 69

41 Compotes et fruits cuits 136 147 123 138 118 139 122 - 103

42 Condiments et sauces 195 181 166 169 158 164 153 - 215

43 Aliments destineacutes agrave une alimentation particuliegravere 20 23 18 18 22 25 13 - 350

TOTAL 27216 26737 26227 25888 25381 24944 24623 - 95

Tableau 5 ndash QQuantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 22 ( (20062006--20072007 journeacutees journeacutees 11 agrave agrave 77)) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) rapport final de lrsquoeacutetude page 56

24 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 ndash Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 33 ((20142014--20152015 journeacutees 11 agrave 33) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 3 (calculs ANSES) rapport final de lrsquoeacutetude page 57

Jour 1 (1er rappel) Jour 2 (2e rappel) Jour 3 (3e rappel) (D3-D1)D1

1enspPain et panification segraveche raffineacutes 1098 1015 991 - 97

2ensp Pain et panification segraveche complets ou semi-complets 83 77 72 - 129

3ensp Ceacutereacuteales pour petit-deacutejeuner et barres ceacutereacutealiegraveres 45 49 45 01

4ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales raffineacutees 553 554 567 25

5ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales complegravetes et semi-complegravetes 22 21 23 32

6ensp Viennoiseries pacirctisseries gacircteaux et biscuits sucreacutes 576 553 558 - 32

7enspLaits 702 742 651 - 72

8enspYaourts et fromages blancs 840 770 790 - 60

9enspFromages 325 328 325 - 02

10enspEntremets et cregravemes desserts 164 159 181 104

11enspGlaces desserts glaceacutes et sorbets 53 55 55 40

12enspMatiegraveres grasses animales 93 88 87 - 63

13enspMatiegraveres grasses veacutegeacutetales 82 79 81 - 09

14enspŒufs et plats agrave base drsquoœufs 139 136 145 44

15enspViandes (hors volailles) 431 438 434 08

16enspVolailles 254 256 261 28

17enspCharcuterie 272 273 263 - 36

18enspPoissons 227 244 261 150

19enspCrustaceacutes et mollusques 32 33 39 225

20enspAbats 26 25 28 83

21enspLeacutegumes 1455 1449 1430 - 17

22enspLeacutegumineuses 71 53 63 - 107

23enspPommes de terre et autres tubercules 424 415 439 33

24enspFruits frais et secs 1455 1403 1434 - 15

25enspCompotes et fruits au sirop 154 155 166 81

26enspNoix graines et fruits oleacuteagineux 41 35 37 - 97

27enspConfiserie et chocolat 90 87 78 - 140

28enspSucre et matiegraveres sucrantes 206 199 208 06

29enspEaux embouteilleacutees 3918 4014 4004 22

30enspEau du robinet 4787 4869 4923 28

31ensp Boissons rafraicircchissantes sans alc ool (BRSA) 934 894 794 - 149

32enspJus de fruits et de leacutegumes 637 625 599 - 61

33enspBoissons alcooliseacutees 1346 1433 1399 40

34enspBoissons chaudes 5341 5186 5076 - 50

35enspSoupes et bouillons 1079 1108 989 - 83

36 Plats agrave base de viandes 135 134 127 - 59

37enspPlats agrave base de poissons 100 72 62 - 379

38enspPlats agrave base de leacutegumes 245 196 272 108

39ensp Plats agrave base de pommes de terre ceacutereacuteales ou leacutegumineuses 425 457 475 118

40ensp Sandwich pizzas tartes pacirctisseries et biscuits saleacutes 555 589 567 22

41ensp Condiments herbes eacutepices et sauces 240 243 233 - 27

42ensp Substituts de produits animaux agrave base de soja et autres veacutegeacutetaux 52 62 66 272

43enspPlats preacutepareacutes et desserts infantiles 03 04 02 - 197

TOTAL 29711 29579 29300 - 14

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 25

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac Il diminue de maniegravere significative avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont au moins le Bac (- 39 gj par journeacutee suppleacutementaire plt005)

En conclusion un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac comme chez ceux ayant au moins le Bac Il est eacutegalement observeacute en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA  3 chez les individus qui ont au moins le Bac

bull Selon lrsquoindice de masse corporelle

Dans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez les individus quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC en 4 tranches)

- individus maigres - 46 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt001) - individus normopondeacuteraux - 45 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus en surpoids - 40 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus obegraveses - 42 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les quatre sous-populations eacutetudieacutees

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte et ce quelle que soit la classe drsquoIMC des reacutepondants Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus quel que soit leur IMC il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour les quatre classes drsquoIMC

En bref cette eacutetude permet de preacuteciser les enseignements de la revue de litteacuterature quant agrave lrsquoeffet de meacutethodes de collecte de donneacutees (par recueil sur 7 jours conseacutecutifs ou par rappel de 24 heures) sur les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle en documentant et estimant lrsquoeffet de la lassitude dans le premier cas dans le cadre des eacutetudes INCA Un enregistrement de la consommation alimentaire chez les adultes sur 7 jours conseacutecutifs amegravene agrave une sous-estimation (dans le cas drsquoINCA 2) drsquoenviron 5 des quantiteacutes

Afin drsquoestimer la quantiteacute theacuteorique moyenne drsquoaliments pour laquelle il nrsquoy aurait plus drsquoeffet de lassitude nous proposons les coefficients correcteurs suivants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA  2 coef = [ max (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7) x 7 ] somme (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7)

Avec plt0001 - Pain et panification segraveche 1091- Eaux 1063- Huile 1165- Condiments et sauces 1151- Sucres et deacuteriveacutes 1101- Pacirctes 1153- Fromages 1065- Pommes de terre et apparenteacutes 1102- Margarine 1100- Ultra-frais laitiers 1107- Boissons fraicircches sans alcool 1091- Leacutegumes 1042

Avec plt001 - Viande 1108- Autres boissons chaudes 1100- Soupes et bouillons 1069

26 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

En multipliant les apports moyens par ces coefficients nous faisons comme srsquoil nrsquoy avait plus drsquoeffet de lassitude Lrsquoutilisation de ces coefficients nrsquoest pas conseilleacutee pour de futures enquecirctes sur 7 jours en effet les meacutethodes de recueil des consommations alimentaires eacutevoluent et les valeurs des coefficients ne peuvent pas ecirctre meacutecaniquement reacuteutiliseacutees La deacutemarche utiliseacutee permet drsquoestimer lrsquoampleur de la lassitude dans drsquoautres enquecirctes agrave la meacutethodologie voisine Elle a lrsquointeacuterecirct drsquoestimer la laquo perte raquo occasionneacutee agrave un instant t du fait de la lassitude des sujets mettant en exergue les cateacutegories drsquoaliments pour lesquelles elle est la plus forte On y retrouve les boissons les sauces et condiments et certains types de leacutegumes des cateacutegories que nous avions deacutejagrave identifieacutees comme eacutetant plus souvent laquo omises raquo (cf eacutetude de cas ndeg1)

Sur lrsquoensemble des groupes de produits alimentaires eacutetudieacutes ce coefficient est de 105 ce qui signifie que les apports moyens sont laquo au moins raquo de 5 au-dessus de ce qui est deacuteclareacute Cet eacutecart nrsquoest pas aussi eacuteleveacute que nous lrsquoimaginions au deacutepart Les meacutethodes par carnets alimentaires sur plusieurs jours conseacutecutifs restent ainsi des meacutethodes relativement fiables

Lrsquoidentification des cateacutegories les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait aider agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles speacutecifiques compleacutementaires de celles existant deacutejagrave afin de reacuteduire autant que possible le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

33 Eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

Dans cette troisiegraveme eacutetude de cas nous cherchons les correacutelations entre discours sur les reacuteseaux sociaux (donneacutees Talkwalker) et actes drsquoachat en grande distribution (donneacutees RelevanC-groupe Casino) Lrsquoanalyse reacutevegravele les eacutecarts entre ces deux types de donneacutees et compare leurs eacutevolutions dans le temps Deux cateacutegories de produits ont eacuteteacute choisies pour illustrer ces eacutecarts la viande et les aliments issus de lrsquoagriculture biologique La meacutethode utiliseacutee est drsquoabord preacutesenteacutee (331) puis les reacutesultats sont deacutetailleacutes (332)

331 Une meacutethode mobilisant des donneacutees sur les reacuteseaux sociaux et sur les achats en grande distribution

Les opinions eacutemises agrave propos des conduites alimentaires sont influenceacutees par divers facteurs notamment les normes sociales de plus en plus exprimeacutees et porteacutees par les meacutedias qui jouent un rocircle deacuteterminant dans la structuration de lrsquoespace mental des acheteurs Il peut srsquoagir de meacutedias traditionnels (journaux magazines teacuteleacutevision radio etc) ou de plus en plus souvent des reacuteseaux sociaux numeacuteriques La meacutethode deacuteveloppeacutee dans cette troisiegraveme eacutetude de cas vise agrave analyser sur un pas de temps court (quelques mois) les relations entre laquo bruit meacutediatique raquo et achats en grande distribution Un pic meacutediatique agrave un temps t sur un sujet donneacute et consideacutereacute comme influenccedilant potentiellement les opinions des consommateurs va-t-il se traduire par une eacutevolution (hausse baisse) des achats des produits pouvant ecirctre concerneacutes par ces informations Et ce agrave quel pas de temps et avec quelle ampleur

Cette meacutethode innovante avait deux objectifs Le premier eacutetait de mettre en eacutevidence drsquoeacuteventuelles correacutelations statistiques entre les comportements drsquoachats drsquoune part et les discours meacutediatiques et deacutebats sur les reacuteseaux sociaux drsquoautre part Nous soulignons ici que les correacutelations statistiques eacutetablissent des liens entre deux variables sans eacutemettre

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 27

drsquohypothegravese de relations de cause agrave effet Il srsquoagissait eacutegalement si de telles correacutelations sont aveacutereacutees de voir srsquoil existe un deacutecalage entre deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoalimentation (capteacutes via lrsquoactiviteacute sur les reacuteseaux sociaux) et les comportements des mangeurs

Pour ce faire deux theacutematiques ont eacuteteacute eacutetudieacutees celle de la viande (associeacutee aux thegravemes du veacuteganisme et du flexitarisme) et celle des produits biologiques Plusieurs types de donneacutees ont eacuteteacute mobiliseacutes

- Drsquoune part des donneacutees meacutediatiques ont eacuteteacute obtenues par requecirctes adapteacutees aux sujets eacutetudieacutes et adresseacutees par lrsquooutil Talkwalker Cet outil collecte trois paramegravetres (mentions audiences engagements) sur 150 millions de sites Internet et une dizaine de reacuteseaux sociaux Les laquo mentions raquo correspondent au nombre drsquoarticles pour un meacutedia ou au nombre de tweets et de partages sur les reacuteseaux sociaux Les laquo audiences raquo sont le nombre theacuteorique de personnes toucheacutees par une mention Lrsquoaudience est mesureacutee agrave partir du nombre drsquoabonneacutes agrave un meacutedia ou un compte Twitter Il ne srsquoagit pas du nombre de lecteurs reacuteels drsquoun message car les outils ne permettent pas drsquoavoir cette donneacutee mais du nombre potentiel de personnes exposeacutees agrave un message Les laquo engagements raquo reprennent le nombre de personnes qui ont interagi avec un contenu en ligne Un engagement correspond au fait drsquoaimer de partager ou de cliquer sur un message Crsquoest une mesure de la reacuteaction des membres des reacuteseaux sociaux agrave un message

Ainsi un message peut ecirctre posteacute par un meacutedia agrave tregraves forte audience mais ne geacuteneacuterer aucun engagement Inversement un message eacutemis par un acteur agrave faible audience peut se diffuser tregraves largement par viraliteacute Le nombre drsquoengagements permet de mesurer cette viraliteacute Il est important de souligner ici que le bruit meacutediatique analyseacute via les reacuteseaux sociaux est loin drsquoecirctre repreacutesentatif de lrsquoactiviteacute meacutediatique geacuteneacuterale et de lrsquoopinion de la population franccedilaise Il ne srsquoagit en effet que de lrsquoopinion des socionautes actifs sur ces reacuteseaux Toutefois par souci de simplification nous y ferons reacutefeacuterence dans la suite de cet article en parlant de laquo lrsquoopinion du grand public  raquo par distinction avec les laquo journalistes raquo et les laquo militants raquo

- Drsquoautre part des donneacutees drsquoachats en grande distribution issues de RelevanC (groupe Casino) ont eacuteteacute utiliseacutees Elles couvrent les achats des clients des enseignes du groupe Casino De maniegravere geacuteneacuterale il convient de rappeler que si les donneacutees issues directement des distributeurs sont pertinentes car mesurant reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles ne couvrent que certains circuits notamment la grande distribution Cette derniegravere repreacutesente 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les donneacutees de lrsquoInsee pour les comptes du commerce de 2017) et les deacutepenses prises en compte dans cette eacutetude de cas ne comprennent pas les prises de repas hors foyer

La peacuteriode mai 2017-mai 2019 a eacuteteacute eacutetudieacutee Des modegraveles eacuteconomeacutetriques ont eacuteteacute utiliseacutes pour mettre en eacutevidence les impacts avec effets retard des donneacutees des diffusions meacutediatiques sur des indicateurs de comportements drsquoachats (actes drsquoachats) Les donneacutees meacutediatiques correspondent agrave des releveacutes journaliers Le pas de temps des donneacutees drsquoachat est hebdomadaire

Pour eacutetablir les relations entre variables la correacutelation a eacuteteacute mesureacutee entre notre variable drsquointeacuterecirct agrave la date t (yt les achats de produits) et les variables explicatives agrave diffeacuterentes dates xt+k (les audiences mentions ou engagements) ougrave k=[minus101] Nous avons calculeacute des correacutelations simples (modegravele de reacutegression lineacuteaire) entre diffeacuterents pas de temps Pour tester la significativiteacute de la correacutelation lineacuteaire nous avons utiliseacute le test de Student

28 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Afin drsquoanalyser nos deux sujets meacutediatiques les requecirctes suivantes ont eacuteteacute effectueacutees agrave lrsquoaide de lrsquooutil Talkwalker

VeganFlexi - Grand Public (vegetar OR vegan OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima) OR abattoir OR flexitari OR speacutecis OR carnis) AND engagementgt10VeganFlexi medias titleveacutegeacutetari OR titlevegan OR titleraquoflexitariraquoViande - Grand Public viande AND engagementgt10Viande medias titleviande AND (consommat OR sante OR environnement OR reacuteduire OR laquosans vianderaquo OR laquomoins de vianderaquo OR cancer OR vegan OR flexitari OR vegetari OR veacutegeacutetal)Militants vegan (authordescriptionveacutegeacutetari OR authordescriptionvegan OR authordescriptionflexitari OR authordescriptionviande OR authordescriptionspeacutecis) AND (vegetar OR vegan OR abattoir OR viande OR flexitari OR speacutecis OR carni OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima)) AND engagementgt10 AND twitter_followersgt1000Exclusion de beauteacute OR cosmeacutetique OR hygiene OR textile OR coton OR horloge OR agriculteur OR agricultrice OR ferme OR coope OR maraicher OR paysan OR semence OR subvention OR potager OR emploi OR sponsor OR titlerappelAlimentation bio Meacutedias (titlebio OR titlebiologique) AND (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter ) Alimentation bio Grand Public ((bio OR biologique) NEAR4 (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter )) AND engagementgt10

Trois cateacutegories drsquoeacutemetteurs de discours numeacuteriques ont eacuteteacute retenues les journalistes (via les publications des meacutedias dit traditionnels sur Internet) le laquo grand public raquo (ie lrsquoensemble des socionautes) les militants (groupe adapteacute selon chaque theacutematique)

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-dessous (332) sont un preacutealable agrave lrsquoanalyse des eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution On y deacutecrit les trois meacutetriques (mentions audiences engagements) qui ont eacuteteacute mesureacutees sur les reacuteseaux sociaux pour les meacutedias dits laquo traditionnels raquo le laquo grand public raquo et les militants sur les theacutematiques laquo vegan flexitarisme raquo et laquo viande raquo drsquoune part et laquo bio raquo drsquoautre part Les principaux enseignements tireacutes sur lrsquoinfluence de ces activiteacutes numeacuteriques sur les actes drsquoachat sont eacutegalement preacutesenteacutes Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude pour en savoir plus sur les donneacutees la meacutethode et les reacutesultats complets notamment les correacutelations entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

332 Eacutecarts constateacutes sur les theacutematiques de la laquo viande raquo et des laquo produits biologiques raquo

Le cas de la viande a eacuteteacute analyseacute en lien avec les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme  raquo lesquels sont associeacutes sur la peacuteriode eacutetudieacutee agrave une activiteacute importante sur les reacuteseaux sociaux Dans un premier temps cette activiteacute est reconstitueacutee puis les reacutesultats des analyses cherchant agrave eacutetablir des correacutelations entre cette activiteacute et les achats de viande sont preacutesenteacutes

Les graphiques suivants preacutesentent lrsquoeacutevolution du volume de mentions sur ces theacutematiques venant de publics non identifieacutes comme militants (graphique 1) et de publics militants (graphique 2) Les principaux eacuteveacutenements suscitant ces publications sont indiqueacutes dans chaque figure

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 29

Graphique 1 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee pour lrsquoensemble des publics hors militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

On voit qursquoun sujet (veganisme flexitarisme) qui geacutenegravere beaucoup de mentions chez les journalistes (laquo meacutedias traditionnels raquo) nrsquoest pas preacutedictif de lrsquointeacuterecirct des socionautes (laquo grand public  raquo) Chez ces derniers il est difficile de relier des pics drsquoactiviteacute sur le sujet du flexitarisme agrave des eacuteveacutenements preacutecis il semble donc que ce sujet soit maintenu dans lrsquoactualiteacute plus par la volonteacute des journalistes que par des eacuteveacutenements exteacuterieurs

Lrsquoactiviteacute des militants sur les reacuteseaux sociaux est tregraves lieacutee aux actions ou actualiteacutes de leur communauteacute Il srsquoagit drsquoune communauteacute dynamique plus reacuteactive aux mentions des meacutedias que le grand public la correacutelation est de 02 entre les indicateurs des mentions par les meacutedias traditionnels et de lrsquoengagement des militants Cependant ce coefficient reste faible et lrsquoanalyse drsquoeacuteveacutenements geacuteneacuterant de lrsquoactiviteacute chez les militants montre qursquoils sont engageacutes avant tout aupregraves de leur communauteacute

Graphique 2 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee chez les militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

30 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Ainsi sur les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme raquo on observe trois grands types drsquoactiviteacutes sur les reacuteseaux sociaux et dans les meacutedias en ligne

- une communauteacute veacutegane minoritaire mais tregraves active qui parle essentiellement de sujets preacuteoccupant les veacuteganes

- des meacutedias qui maintiennent une forte activiteacute sur ce sujet avec des discours alternant le positif (laquo le flexitarisme serait un reacutegime drsquoavenir raquo) et la couverture drsquoactions radicales de certains militants toutefois cette activiteacute meacutediatique engage peu les socionautes sauf sur les sujets neacutegatifs

- le grand public reacuteagit majoritairement aux actualiteacutes neacutegatives sur ces sujets avec un niveau drsquoengagement 100 fois plus eacuteleveacute et qui nrsquoest pas dans un discours drsquoadheacutesion ni de proseacutelytisme sur ces sujets Il y a donc clairement une fracture entre les discours des meacutedias traditionnels et des socionautes du grand public

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le

sujet laquo veganflexitarisme raquo et les comportements drsquoachat de viande en grande distribution apparaicirct dans le tableau 7 Lorsque la consommation augmente on observe que le nombre de tweets mentionneacutes par les meacutedias (sur le sujet laquo veganflexitarisme raquo) augmentait 11 agrave 14 semaines plus tocirct Dit autrement la reacuteponse agrave une augmentation du nombre de tweets sur la consommation se fait sentir 11 agrave 14 semaines plus tard de faccedilon positive (si le nombre de tweets augmente la consommation augmente ou inversement) On voit bien lagrave lrsquoeffet des laquo opeacuterateurs retard raquo11 des tweets sur la consommation

11 Dans lrsquoanalyse des seacuteries temporelles lrsquoopeacuterateur retard associe agrave tout eacuteleacutement lrsquoobservation preacuteceacutedente

Tableau 7 - Correacutelations entre les achats totaux de viandes et les opinions sur le terme laquo vegan raquo

Lecture le test est significatif au seuil de 5 le test est significatif au seuil de 1 Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 75

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 31

Les donneacutees RelevanC fournissent le total des actes drsquoachat de viande Elles montrent lrsquoinfluence potentielle du discours produit autour des thegravemes laquo veganflexitarisme raquo sur les actes drsquoachat de viande Les correacutelations entre les opinions des meacutedias et ces actes drsquoachat dans les enseignes du groupe Casino sont positives entre 11 et 14 semaines plus tard (p=0218 agrave 0259) Les opinions des veacutegans ont eacuteteacute fortement deacutebattues et contrecarreacutees par des reacuteactions des bouchers et eacuteleveurs Ce deacutebat semble avoir eacuteteacute plutocirct favorable aux achats de viande

Apregraves la viande notre protocole drsquoeacutetude a eacuteteacute appliqueacute aux produits biologiques La preacutesence de ces produits dans lrsquoalimentation est tregraves deacutebattue dans les meacutedias traditionnels avec en moyenne 325 mentions en ligne par semaine Cette freacutequence eacuteleveacutee ne faiblit que durant la semaine du 15 aoucirct avec un minimum de 125 mentions cela est lieacute agrave la peacuteriode de vacances et agrave la faible activiteacute meacutediatique geacuteneacuterale Le graphique 3 montre les pics drsquoactiviteacute meacutediatique et le niveau drsquoengagement des socionautes par rapport agrave ces actualiteacutes

Graphique 3 - Activiteacute meacutediatique documenteacutee agrave partir des verbatims relatifs aux aliments biologiques (tweets posts commentaires etc)

Source Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 65

Fin aoucirct 2017 - Article de Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur le bio Mi-octobre 2017 - Article du journal Le Parisien intituleacute laquo Lrsquoagriculture bio peut-elle nourrir le monde raquo

Mi-novembre 2017 - Eacutetude publieacutee dans Nature montrant que lrsquoagriculture biologique pourrait nourrir la planegravete Mi-mars 2018 - 60 millions de consommateurs analyse des produits biologiques et deacutenonce des preacutesences de reacutesidus et contaminants

Mi-avril 2018 - Vote agrave lrsquoAssembleacutee nationale pour lrsquointroduction dans la restauration collective publique drsquoun seuil drsquoau moins 50 de produits biologiques ou eacutecologiques en 2022 Mi-juin 2018 - Les seacutenateurs votent agrave leur tour pour les 20 de produits biologiques agrave la cantine quasiment agrave lrsquounanimiteacute Fin octobre 2018 - Un article dans la revue JAMA montre que les mangeurs de produits biologiques preacutesentent - 25 de risque de cancer Deacutebut 2019 - Deacutebut de la campagne sur la preacutesence de glyphosate dans les urines

3

4

5

6 7

8

1

2

De faccedilon globale il apparait que ce qui engage les citoyens actifs sur les reacuteseaux sociaux ce sont les sujets qui les touchent directement dans leur vie quotidienne Nous pouvons agrave partir des donneacutees analyseacutees faire les deux hypothegraveses suivantes

- une partie (minoritaire) des socionautes est engageacutee et partage toutes les informations touchant au bio ce qui geacutenegravere une activiteacute de base sur lrsquoagriculture biologique

- la majoriteacute des socionautes reacuteagit essentiellement lors drsquoactualiteacutes qui les touchent directement dans leur quotidien soit sur le plan eacuteconomique soit sur le plan de leur santeacute

Lecture les eacutechelles diffeacuterencieacutees correspondent au nombre de mentions meacutedias agrave gauche et au nombre drsquoengagements grand public agrave droite

32 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le sujet laquo bio raquo et les comportements drsquoachat est preacutesenteacutee dans le tableau 8 pour le cas des œufs biologiques en grande distribution (Casino) Les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques ont diminueacute jusqursquoagrave la fin 2017 pour augmenter tendanciellement ensuite La tendance nrsquoeacutetant pas lineacuteaire le modegravele est appliqueacute sur la part du nombre laquo drsquoactes bio raquo Les correacutelations positives sont tregraves nombreuses sur ce produit celles entre meacutedias traditionnels et opinions du grand public drsquoabord et parts drsquoactes en bio ensuite sont significatives jusqursquoagrave 14 semaines apregraves les diffusions meacutediatiques Les messages sur lrsquoalimentation biologique sont positivement correacuteleacutes avec les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques de la date drsquoeacutemission du message meacutediatique initial jusqursquoagrave 14 semaines apregraves

Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 70

Tableau 8 - Correacutelations entre les parts drsquoactes drsquoœufs bio (en t0) et les opinions sur le terme laquo bio raquo

Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude qui approfondit la question des correacutelations entre les opinions issues des meacutedias traditionnels et les consommations de plusieurs produits de lrsquoagriculture biologique (fruits et leacutegumes viande produits de la mer œufs beurre lait et yaourts)

En conclusion de cette eacutetude des rapports entre bruit numeacuterique et conduites alimentaires on peut dire que pour la viande analyseacutee en lien avec le veacuteganisme et le flexitarisme aucune correacutelation nrsquoest observeacutee entre les messages des meacutedias traditionnels et ceux du laquo grand public raquo Les opinions exprimeacutees par le grand public nrsquoeacutevoluent pas en fonction de celles exprimeacutees par les meacutedias alors que ces derniers maintiennent une activiteacute importante sur le sujet Seuls les sujets remettant en cause le veacuteganisme suscitent un engagement important Comme il apparaicirct que le grand public nrsquoadhegravere pas aux arguments des communauteacutes veacuteganes les consommateurs ont plutocirct tendance agrave consommer plus de viande quand les deacutebats meacutediatiques sur ce sujet augmentent Il srsquoagit bien drsquoune correacutelation aucun lien de causaliteacute nrsquoayant eacuteteacute deacutemontreacute ici

Deacutecalagedans letemps

Meacutediasmentions

Meacutediasengagement

Grandpublic

mentions

Grandpublic

engage-ment

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 33

Par ailleurs lrsquoanalyse sur le thegraveme de lrsquoalimentation biologique indique que celle-ci est globalement perccedilue de faccedilon positive De plus les sujets meacutediatiques et les discussions sur les reacuteseaux sociaux les plus susceptibles de geacuteneacuterer des activiteacutes importantes sont ceux touchant agrave la santeacute Toutefois le grand public ne relaye qursquoun tiers de ce qursquoeacutemettent les meacutedias Les impacts des messages meacutediatiques positifs tels que les discours sur le lien entre consommation de produits biologiques et baisse des risques de cancers sont significatifs (par correacutelation) sur les achats de produits tels que les œufs les produits laitiers et les fruits et leacutegumes bio Le marcheacute des produits biologiques semble donc soutenu partiellement par les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public Les opinions du grand public sur le bio sont correacuteleacutees positivement avec les ventes de produits biologiques mais avec des deacutecalages de quelques semaines Ce nrsquoest pas le cas pour les produits carneacutes

Pour aller plus loin avec des donneacutees sur une peacuteriode plus importante il faudrait calculer des effets de long terme par des modegraveles autoreacutegressifs et ainsi reacutepondre agrave la question drsquoun impact peacuterenne des prises de position et analyses veacutehiculeacutees par les meacutedias

4 Recommandations

Les reacutesultats obtenus au travers de nos trois protocoles drsquoeacutetude permettent de formuler deux types de recommandations Les premiegraveres portent sur des correctifs meacutethodologiques pour lrsquoobtention de donneacutees alimentaires visant agrave reacuteduire les eacutecarts entre comportements deacuteclareacutes et ceux ensuite reacuteellement constateacutes Les secondes sont de porteacutee plus geacuteneacuterale et concernent notamment lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires

41 Correctifs meacutethodologiques

Le comportement reacuteel drsquoingestion alimentaire est difficile agrave mesurer de faccedilon objective Il est encore plus difficile de le deacuteduire des deacuteclarations des mangeurs Il est bien eacutetabli que leurs opinions motivations et croyances ne preacutedisent pas leurs actions et en particulier les comportements alimentaires La formation la diffusion lrsquoadoption de normes et de croyances relegravevent de meacutecanismes tregraves diffeacuterents de ceux qui commandent les prises alimentaires quotidiennes Le deacutecalage opinioncomportement appelle donc agrave la prudence dans lrsquointerpreacutetation des enquecirctes drsquoopinions

Mecircme en utilisant un instrument drsquoenquecircte valideacute les individus interrogeacutes ont tendance agrave meacutesestimer leur consommation reacuteelle en quantiteacute comme en qualiteacute Diverses strateacutegies pour ameacuteliorer la fiabiliteacute des deacuteclarations ou le traitement des donneacutees obtenues sont ainsi preacuteconiseacutees dans la litteacuterature scientifique Retenons notamment que plusieurs experts et organismes dont le Center for Disease Control ameacutericain (Hu et Willett 2018) preacuteconisent lrsquoutilisation de biomarqueurs approprieacutes (indicateurs objectifs de la consommation) pour valider les donneacutees obtenues par enquecircte Des biomarqueurs existent pour divers aspects des apports nutritionnels eacutenergie totale (par la meacutethode de lrsquoeau doublement marqueacutee - EDM) mesure de calorimeacutetrie indirecte permettant de deacuteterminer la deacutepense eacutenergeacutetique totale dans les conditions habituelles de vie protides (excreacutetion urinaire de nitrogegravene) fruitsleacutegumes (concentration sanguine de caroteacutenoiumldes) Mais ce nrsquoest pas le cas pour des aliments particuliers ou pour la qualiteacute de lrsquoalimentation (Pfeiffer et al 2013 Prentice et al 2009) La mesure de tels biomarqueurs est coucircteuse elle demande la collaboration des participants et

34 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

peut ecirctre difficile agrave mettre en œuvre dans de larges populations La recherche continue pour des biomarqueurs plus simples agrave utiliser moins oneacutereux et peu invasifs Rappelons toutefois que le laquo biais drsquoobservation raquo et le laquo biais de recrutement raquo affectent aussi les comportements eacutetudieacutes avec ces meacutethodes objectives

Autre piste la comparaison de deacuteclarations et de donneacutees biomeacutetriques (mesure de la deacutepense eacutenergeacutetique par la meacutethode de lrsquoEDM) permet de quantifier lrsquoerreur associeacutee agrave lrsquoauto-deacuteclaration en termes drsquoapports eacutenergeacutetiques et eacuteventuellement de recalibrer les donneacutees au moyen drsquoun ajustement statistique (Data Science Campus 2018) Puisque lrsquoerreur de mesure varie en fonction de la population observeacutee toute correction des donneacutees doit consideacuterer les facteurs agrave lrsquoorigine de la distorsion dont le sexe lrsquoindice de masse corporelle (IMC) et les caracteacuteristiques psychiques Enfin comme les normes de consommation varient parfois rapidement la constitution drsquoun panel ou drsquoun eacutechantillon doit assurer une bonne repreacutesentativiteacute des opinions et des motivations des participants

Au-delagrave des laquo bonnes pratiques raquo drsquoenquecircte et des strateacutegies visant agrave ameacuteliorer le traitement et lrsquoanalyse des donneacutees plusieurs meacutethodes innovantes de mesure des comportements drsquoingestion existent Nous preacutesentons rapidement ci-dessous les plus significatives drsquoentre elles

- Un dispositif qui ressemble agrave une montre compte les mouvements du poignet pendant un eacutepisode de consommation alimentaire Cet instrument appeleacute Automated Wrist Motion Tracking ou encore Bite Counter peut ecirctre utiliseacute dans la vie de tous les jours et il montre de bonnes sensibiliteacute et reproductibiliteacute (Dong et al 2012) La contrainte pour le participant est minimale Les donneacutees produites doivent cependant ecirctre compleacuteteacutees par la deacuteclaration du type drsquoaliments consommeacutes Cet instrument donne des informations inteacuteressantes sur le nombre de consommations quotidiennes (y compris les snacks et les consommations nocturnes) Il nrsquoest pas exempt du laquo biais drsquoobservation raquo

- La meacutethode Intelligent Food-Intake Monitor utilise plusieurs capteurs (mouvements de mastication et de deacuteglutition images de lrsquoaliment consommeacute) porteacutes par le participant pour obtenir un aperccedilu des consommations quotidiennes (Liu et al 2012) Ces capteurs de lrsquoactiviteacute de mastication et de deacuteglutition sont fixeacutes sur le volontaire (cou macircchoire) et ils fonctionnent plusieurs jours sans intervention (Fontana et al 2015) Ces meacutethodes sont sujettes au laquo biais drsquoobservation raquo On peut imaginer que le participant finit par oublier la preacutesence des capteurs et le fait qursquoil est observeacute mais cela reste cependant agrave veacuterifier

- Les consommations peuvent ecirctre eacutevalueacutees agrave partir de photographies avantapregraves chaque eacutepisode alimentaire (Ptomey et al 2015) Celles-ci peuvent ecirctre faites avec un teacuteleacutephone portable Cette meacutethode a montreacute une bonne validiteacute dans des milieux ougrave le contenu des assiettes est bien connu (cafeacuteteacuteria etc) en particulier chez des personnes en surcharge pondeacuterale En dehors de ce milieu relativement controcircleacute la validiteacute de la meacutethode repose sur la bonne volonteacute du participant qui doit photographier toutes ses consommations Une approche dite Remote Photography Method utilise une application du teacuteleacutephone portable qui teacuteleacutecharge automatiquement des photographies avantapregraves dans une base de donneacutees puis en fait lrsquoanalyse (Martin et al 2012) Lrsquoapplication donne la possibiliteacute drsquoenvoyer aux participants des rappels par SMS leur recommandant de photographier les repas principaux et les collations eacuteventuelles hors repas Cette meacutethode surtout quand elle inclut des rappels cibleacutes ameacuteliore de beaucoup lrsquoeacutevaluation de la consommation totale en comparaison de lrsquoauto-deacuteclaration Elle deacutetecte rapidement les laquo oublis raquo et peut mecircme ecirctre utiliseacutee chez les enfants Elle reste toutefois sensible au laquo biais drsquoobservation raquo

- Lrsquousage de cameacuteras dans des restaurants ou des cafeacuteteacuterias peut reacuteveacuteler la consommation au moment du repas sans deacutependre de la deacuteclaration par le mangeur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 35

Certains eacutetablissements comme le restaurant expeacuterimental de lrsquoInstitut Paul Bocuse agrave Lyon sont eacutequipeacutes de plusieurs cameacuteras qui suivent un ou plusieurs convives pendant le repas

- Au-delagrave des releveacutes drsquoachats il est envisageable de consulter les releveacutes bancaires des participants ce qui permettrait de deacuteceler des oublis ou des incoheacuterences Cette approche soulegraveve toutefois une difficulteacute particuliegravere vis-agrave-vis de la protection des donneacutees personnelles (cf Regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees - RGPD)

42 Recommandations de porteacutee geacuteneacuterale

Cinq ensembles de recommandations geacuteneacuterales sont preacutesenteacutes dans le rapport drsquoeacutetude Ils visent agrave prendre en compte dans lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires les biais et deacutecalages entre reacuteel et deacuteclareacute

Avant de preacutesenter ces recommandations rappelons qursquoil est indispensable de bien comprendre la deacutemarche drsquoune enquecircte pour lrsquoutiliser de maniegravere optimale quelles populations sont eacutetudieacutees (qui ) avec quels champs privileacutegieacutes (quoi ) selon quels modes drsquointerrogation (comment ) et avec quels biais eacuteventuels deacutejagrave connus Chaque meacutethode est construite en fonction drsquoune probleacutematique preacutecise avec des moyens permettant de reacutepondre agrave des objectifs speacutecifiques utiliser une enquecircte agrave des fins autres que celles initialement preacutevues est alors source de mauvaises interpreacutetations Par exemple il nrsquoest pas judicieux drsquoanalyser des reacutegimes alimentaires agrave partir des enquecirctes laquo Budget de famille raquo

Les recommandations ci-dessous envisagent des pistes meacutethodologiques pour reacuteduire ces deacutecalages Lrsquoencadreacute 1 eacutevoque les deacuteclinaisons possibles de ces recommandations agrave la theacutematique de laquo lrsquoalimentation durable raquo Associeacutee agrave une diversiteacute de pratiques cette theacutematique est tregraves valoriseacutee socialement et donc sujette agrave des deacutecalages importants entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

La premiegravere famille de recommandations concerne des preacutecautions drsquousage par rapport aux sources de donneacutees quantitatives Elle est deacuteclineacutee selon les grands types identifieacutes en deacutebut de cet article (tableau 1)

- Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques Avant que les donneacutees de consommation ne soient couramment produites les eacuteconomistes utilisaient surtout les donneacutees de production drsquoexport et drsquoimport pour par diffeacuterence eacutetablir la consommation apparente Ces donneacutees de cadrage ne sont pas des donneacutees de consommation reacuteelle Elles sont baseacutees sur la reconstitution de la consommation agrave partir de sources diverses et doivent ecirctre utiliseacutees avec preacutecaution souvent pour cadrer des eacuteleacutements de contexte Elles aident agrave suivre des tendances (eacutevolutions relatives) sont utiles pour reacutealiser des analyses agrave un niveau macroeacuteconomique ou macrosociologique mais restent eacuteloigneacutees de la consommation reacuteelle (niveau microeacuteconomique ou microsociologique agrave lrsquoeacutechelle drsquoun groupe particulier ou drsquoun individu)

- Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat) Des donneacutees issues directement des circuits de distribution sont plus pertinentes car elles mesurent reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles sont toutes priveacutees Ces donneacutees ne couvrent que certains circuits de distribution notamment la grande distribution qui ne repreacutesente que 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les Comptes du commerce de lrsquoInsee de 2017) Ces deacutepenses ne couvrent pas les consommations en restauration hors foyer

36 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

- Donneacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat par sondage) Les donneacutees de mesures des comportements reacuteels reposent la plupart du temps sur le remplissage de carnets alimentaires par des enquecircteacutes qui font appel agrave leur meacutemoire et occasionnent des oublis Toutefois comme montreacute gracircce agrave lrsquoexpeacuterimentation avec les cameacuteras on peut estimer que ces oublis ne repreacutesentent pas plus de 10 des cas sauf pour les consommations drsquoeau (omises dans 17 des cas) certaines denreacutees sont eacutegalement speacutecifiquement concerneacutees (environ 10 drsquooublis pour les produits sucreacutes et pour les leacutegumes souvent sous forme de condiments) Il convient drsquoavoir en tecircte ces ordres de grandeur lors de lrsquoutilisation des reacutesultats de ce type drsquoenquecirctes

- Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias Le deacutecalage entre opinions activiteacutes meacutediatiques et comportements reacuteels peut ecirctre important Les sondages drsquoopinion nrsquoapportent aucun eacuteleacutement factuel et concret mais ce sont des meacutethodes relativement faciles agrave mobiliser qui documentent des eacutevolutions drsquoopinions ou drsquoattitudes Il nrsquoest donc pas possible de deacuteduire directement des informations sur les comportements agrave partir de ces reacutesultats Toutefois ces meacutethodes coupleacutees par exemple agrave des techniques drsquoapprofondissement qualitatifs peuvent apporter des eacuteclairages inteacuteressants sur certains facteurs influenccedilant les comportements alimentaires

La deuxiegraveme recommandation preacuteconise drsquoutiliser drsquoautres sources drsquoinformation agrave commencer par celles issues drsquoapproches qualitatives (observation entretiens etc) Pour comprendre comment les individus adoptent une pratique alimentaire lrsquoapproche quantitative nrsquoest pas suffisante (entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier) Par exemple dans lrsquoadoption de nouvelles conduites de consommation les moments de bifurcation dans les trajectoires biographiques sont importants arriveacutee drsquoun enfant retraite changement de travail de domicile divorce deuil etc (Barrey et al 2012) Les pratiques alimentaires ne sont pas isoleacutees de la vie sociale et sont fortement influenceacutees par des eacutevegravenements exteacuterieurs agrave lrsquoacte drsquoalimentation Il est donc important drsquoassocier au quantitatif les apports de meacutethodes qualitatives issues de diverses disciplines (sociologie anthropologie histoire eacuteconomie psychologie psychologie sociale etc)

La troisiegraveme recommandation est de rechercher la compleacutementariteacute entre les donneacutees sur les comportements alimentaires et celles sur lrsquooffre alimentaire En effet les deacutecalages entre comportements et attitudes srsquoexpliquent aussi par lrsquoinfluence de lrsquooffre Celle-ci peut ecirctre analyseacutee du point de vue de la qualiteacute des produits (Oqali Open food facts etc) des innovations de points de vente (ONCC LSA etc) des innovations produits (XTCscan TM Mintel) ou des assortiments (IRI Kantar Nielsen) Ces eacuteleacutements apportent des eacuteclairages tant sur les possibiliteacutes offertes aux consommateurs que sur les caracteacuteristiques de la zone de chalandise drsquoun magasin Les pratiques alimentaires se construisent et eacutevoluent avec les recommandations marchandes et publiques

La quatriegraveme recommandation invite agrave faire preuve de prudence quant agrave lrsquoutilisation des sources meacutediatiques Lrsquoanalyse de ces sources (Twitter Instagram presse etc) est complexe et elle ne reflegravete pas les comportements reacuteels des mangeurs Ces sources sont difficiles agrave appreacutehender et elles ne sont pas agrave privileacutegier pour comprendre lrsquoeacutevolution des comportements alimentaires Elles sont neacuteanmoins inteacuteressantes pour comprendre les attentes drsquoune partie de la socieacuteteacute qui ne produit qursquoune partie des opinions La faccedilon meacutediatique de traiter les consommations alimentaires (amplification de pratiques tregraves valoriseacutees etc) nrsquoest pas le strict reflet des opinions et pratiques alimentaires du grand public Nos eacutetudes de cas montrent que le bruit meacutediatique nrsquoinfluence qursquoune faible part des consommateurs Par ailleurs les valeurs et prescriptions veacutehiculeacutees par les meacutedias ne repreacutesentent qursquoun des nombreux facteurs drsquoinfluence des comportements alimentaires Il y a donc bien des deacutecalages entre opinions valeurs meacutediatiquement valoriseacutees et actes quotidiens des individus

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 37

La cinquiegraveme et derniegravere recommandation est drsquoexplorer les sources de donneacutees des nouveaux acteurs digitaux notamment les applications pour smartphones de plus en plus nombreuses et largement utiliseacutees Ces applications digitales concernent des cateacutegories socio-professionnelles ayant un niveau drsquoeacuteducation plus eacuteleveacute que la moyenne (Nielsen PanelViews deacutecembre 2016) mais elles sont des sources drsquoinformations inteacuteressantes pour le suivi des comportements alimentaires Il importe toutefois de souligner les questions de confidentialiteacute et de proprieacuteteacute lieacutees agrave ces donneacutees De plus cette utilisation produit des volumes de donneacutees tregraves importants (big) qui peuvent ecirctre exploiteacutees pour mesurer lrsquoeacutevolution des attentes de populations speacutecifiques tout en les croisant avec les achats en magasin si ces applications le permettent (ex MyLabel)

Les cinq familles de recommandations preacuteceacutedentes sont tout agrave fait pertinentes en matiegravere drsquoalimentation durable12 Cette derniegravere se reacutevegravele particuliegraverement inteacuteressante dans le cadre de notre eacutetude car i) elle est tregraves deacutesirable pour de nombreux consommateurs ii) socialement et collectivement encourageacutee iii) marqueacutee par des repreacutesentations des attentes et des pratiques varieacutees iv) au cœur drsquointerventions publiques soutenues v) sujette agrave reacuteflexions et choix chez les acteurs des filiegraveres alimentaires Autant de speacutecificiteacutes qui tendent agrave accroicirctre les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle De nombreux comportements en lien avec une alimentation durable pourraient ainsi ecirctre mesureacutes en mobilisant les diffeacuterentes sources de donneacutees eacutevoqueacutees au cours de cette eacutetude Crsquoest par exemple le cas des pratiques valorisant la reacuteduction des emballages des signes de qualiteacute ou encore la proximiteacute Des indicateurs tels que la part du vrac la part de produits sous labels la part des produits locaux sont ainsi mesurables agrave partir des donneacutees exhaustives de ventes (recommandation ndeg 3) Ces donneacutees pour les circuits de grande distribution sont les plus pertinentes pour estimer les niveaux drsquoalimentation durable consommeacutee en effet les informations standardiseacutees des codes-barres (gencod) permettent de deacutefinir preacuteciseacutement quels types de produits sont acheteacutes Plus speacutecifiquement pour reacuteduire les deacutecalages entre le deacuteclaratif et le reacuteel en matiegravere de consommations de produits biologiques nous recommandons

- drsquoutiliser en prioriteacute les enquecirctes de mesure (drsquoabord des donneacutees exhaustives drsquoachat ensuite des donneacutees drsquoingestion ou drsquoachat par sondage) pour eacutetablir les volumes de bio acheteacutes

- drsquoapprofondir cette mesure par la compreacutehension du pheacutenomegravene gracircce agrave une approche qualitative

- de comptabiliser le nombre de reacutefeacuterences estampilleacutees AB dans lrsquoensemble des circuits de commercialisation (donneacutees de panel) pour eacutetudier lrsquooffre

- de ne pas privileacutegier les sources meacutedias geacuteneacuteralement peu utiles pour mesurer ou comprendre des comportements reacuteels

- drsquoeacutetudier les donneacutees reacuteelles drsquoachat de consommateurs speacutecifiques tels que ceux inscrits sur une application comme MyLabel qui aide agrave manger selon ses attentes et ses convictions La possibiliteacute pour les utilisateurs drsquoajouter les produits agrave leurs paniers drsquoachat geacutenegravere des donneacutees croisant les attentes et les acquisitions de chaque individu Elle permettrait drsquoapprofondir la connaissance des deacutecalages entre comportements reacuteels et attentes

Encadreacute 1 - Le cas embleacutematique de lrsquoalimentation durable

12 LrsquoOrganisation pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture (FAO) deacutefinit lrsquoalimentation durable comme laquo une alimentation qui protegravege la biodiversiteacute et les eacutecosystegravemes culturellement acceptable accessible eacuteconomiquement loyale et reacutealiste nutritionnellement adeacutequate et deacutepourvues de risques et saines et capable drsquooptimiser lrsquousage des ressources naturelles et humaines raquo (2010) Pour lrsquoADEME en 2018 il srsquoagit de laquo lrsquoensemble des pratiques alimentaires qui visent agrave nourrir les femmes et les hommes en qualiteacute et en quantiteacute aujourdrsquohui et demain dans le respect de lrsquoenvironnement raquo

38 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Il y aura toujours des eacutecarts entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes enregistreacutes par des enquecirctes ou des sondages et les comportements alimentaires reacuteels Des preacutecautions de meacutethode et le croisement des sources sont donc indispensables Lrsquoinexactitude des auto-deacuteclarations portant sur les consommations reacuteelles peut deacutecouler des protocoles de recueil drsquoinformations des outils de mesure ou encore de caracteacuteristiques des enquecircteacutes Une autre source drsquoerreur vient du rapprochement entre des donneacutees disparates et par exemple de conclusions abusives sur les comportements reacuteels tireacutees drsquoopinions ponctuelles Les sondages sur lrsquoalimentation souhaitable ou souhaiteacutee peuvent nrsquoavoir qursquoune faible valeur preacutedictive des ingestions et achats faits en situations reacuteelles

Plusieurs compleacutements pourraient ecirctre apporteacutes agrave ce travail Comme le montre la premiegravere eacutetude de cas pour les prochaines enquecirctes alimentaires il serait judicieux de renforcer les consignes et les rappels concernant le bon remplissage des carnets alimentaires agrave chaque nouvelle journeacutee afin de reacuteduire le risque de sous-deacuteclaration Qursquoil srsquoagisse des donneacutees CCAF ou INCA aucun ajustement nrsquoest en effet pour lrsquoinstant effectueacute pour laquo recaler raquo les donneacutees

Sur la base des reacutesultats de la deuxiegraveme eacutetude de cas lrsquoidentification des cateacutegories drsquoaliments les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait servir agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles suppleacutementaires afin de reacuteduire le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

Enfin la troisiegraveme eacutetude de cas indique qursquoil serait inteacuteressant drsquoanalyser sur un temps plus long les correacutelations entre opinions exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et donneacutees drsquoachats Le calcul drsquoeffets de longue peacuteriode avec des modegraveles autoreacutegressifs reacutepondrait agrave la question de degreacute de peacuterenniteacute des opinions diffuseacutees par les meacutedias en ligne et les reacuteseaux sociaux Il semble que les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public nrsquoinfluencent que peu les comportements alimentaires concrets

Lrsquoaction publique en matiegravere drsquoalimentation fait face agrave divers deacutefis dont celui de la connaissance de la compreacutehension des comportements des mangeurs La diversification des pratiques individuelles le deacuteveloppement de nouvelles attentes la multiplication des sources drsquoinformations sont autant drsquoeacutevolutions qui complexifient cette tacircche de suivi et drsquoanalyse de la reacutealiteacute Dans ce contexte les commanditaires de cette eacutetude souhaitaient approfondir la question des eacutecarts entre les conduites alimentaires deacuteclareacutees et les conduites effectives En proposant une synthegravese de la litteacuterature existante et en approfondissant des cas particuliers lrsquoeacutetude apporte des eacuteleacutements nouveaux sur les processus de construction et drsquoutilisation des donneacutees et sur les principales sources de deacutecalages agrave lrsquoœuvre Elle propose des pistes drsquoameacutelioration des proceacutedures de collecte et drsquointerpreacutetation des informations et montre les opportuniteacutes offertes par le croisement des meacutethodes quantitatives et qualitatives mais aussi par les outils numeacuteriques Enfin et surtout elle ouvre des perspectives pour une action publique plus cibleacutee car mieux adapteacutee agrave la reacutealiteacute des pratiques quotidiennes des consommateurs

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 39

Reacutefeacuterences bibliographiques

Agence BIO 2019 Baromegravetre de consommation et de perception des produits biologiques en France httpswwwagencebioorgwp-contentuploads201902Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019pdf

Archer E Marlow M L Lavie C J 2018 ldquoControversy and Debate Memory based methods Paper 1 The fatal flaws of food frequency questionnaires and other memory-based dietary assessment methodsrdquo J Clinical Epidemiology doi101016jjclinepi201808003

Archer E Pavela G Lavie CJ 2015 ldquoThe inadmissibility of what we eat in America and NHANES dietary data in nutrition and obesity research and the scientific formulation of national dietary guidelinesrdquo Mayo Clinic Proc doi 101016jmayocp201504009

Barrey S Dubuisson-Quellier S Gojard S Plessz M 2012 Les effets des prescriptions sur les pratiques de consommation alimentaires rocircle des positions dans la trajectoire de vie et des ressources sociales Gouverner les conduites eacuteconomiques 37 p (hal-01191182)

Bernard H R Killworth P Kronenfeld D Sailer L 1984 ldquoThe problem of informant accuracy the validity of retrospective datardquo Annual Review of Anthropology 13 495-517

Bernstein D M Loftus E F 2009 ldquoThe consequences of false memories for food preferences and choicesrdquo Perspect Psychol Sci 4 135-139

Bessiegravere C et al 1997 laquo Lrsquoenquecircte par questionnaire raquo Genegraveses 99-122

Block G 1982 ldquoA review of validations of dietary assessment methodsrdquo American Journal of Epidemiology 115(4)492-505 DOI 101093oxfordjournalsajea113331

Braconnier C 2010 Une autre sociologie du vote Les eacutelecteurs dans leurs contextes LGDJ collection LEJEP

Carrigan M Attalla A 2001 ldquoThe myth of the ethical consumer Do ethics matter in purchase behaviourrdquo Journal of Consumer Marketing 18560-578

Caruana R Carrington M J Chatzidakis A ldquolsquolsquoBeyond the Attitude-Behaviour Gap Novel Perspectives in Consumer Ethicsrsquorsquo Introduction to the Thematic Symposiumrdquo Journal of Business Ethics 136(2) DOI 101007s10551-014-2444-9

Data Science campus ldquoEvaluating Calorie Intakerdquo consulteacute en ligne le 13 janvier 2019 httpsdatasciencecampusonsgovukeclipse

Deese J 1959 ldquoOn the prediction of occurrence of particular verbal intrusions in immediate recallrdquo J Exp Psychol 58 17-22

Devinney T M Auger P Eckhardt G M 2010 The myth of the ethical consumer Cambridge University Press

Dong Y Hoover A Scisco J Muth E 2012 ldquoA new method for measuring meal intake in humans via automated wrist motion trackingrdquo Ammp Psychophysiol Biofeedback 37 205-215

40 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Donnat O 2009 Les pratiques culturelles des Franccedilais agrave lrsquoegravere numeacuterique Enquecircte 2008 La Deacutecouverteministegravere de la Culture et de la Communication

Dubuisson C Dufour A Carrillo S Drouillet-Pinard P Havard S Volatier J L 2018 ldquoThe Third French Individual and National Food Consumption (INCA3) Survey 2014-2015 method design and participation rate in the framework of a European harmonization processrdquo Pub Health Nutr doi 101017S1368980018002896

Dhurandhar N Schoeller D Brown A et al 2015 ldquoEnergy balance measurement when something is not better than nothingrdquo Int J Obes 39 1109-1113 doi101038ijo2014199

Fontana J M Higgins J A Schuckers S C Bellisle F Pan Z Melanson E L Neuman M R Sazonov E 2015 ldquoEnergy intake estimation from counts of chews and swallowsrdquo Appetite 85 14-21

Fournier M 2013 laquo La monteacutee des valeurs feacuteminines raquo Les grands dossiers des Sciences Humaines vol 33 Ndeg12

Freedman L S Moler C J Arab L Baer D Kipnis V et al 2014 ldquoPooled results from 5 validation studies of dietary self-report instruments using recovery biomarkers for energy and protein intakerdquo Am I Epidemiol 180 172-188

Gallo D A 2010 ldquoFalse memories and fantastic beliefs 15 years of the DRM illusionrdquo Mem Cognit DOI 38833-848

Heacuteran F 1984 laquo Lrsquoassise statistique de la sociologie raquo Eacuteconomie et statistique 1681 23-35

Hu F B Wilett W C 2018 ldquoCurrent and future landscape of nutritional epidemiologic researchrdquo Journal of the American Medical Association doi101001jama201816166

IFOP 2017 Les produits laitiers et la consommation de viande bio en France httpwwwproduitslaitiersetviandebiocomfilePrez_Interbev-Conf_presse_20avril17webokpdf

IPSOS Global Trends 2014 laquo Consommer local raquo ce que veulent les Franccedilais httpswwwipsoscomfr-frconsommer-local-ce-que-veulent-les-francais

Kronenfeld D B Kronenfeld J Kronenfeld J E 1972 ldquoToward a science of design for successful food servicerdquo Ins Vol Feed Manage 70 38-44

Lahlou S 1998 The subjective camera (laquo SubCam raquo) A new technique for studying representations in context Four th International Conference on social representations Mexico 81998

Lahlou S 2006 laquo Lrsquoactiviteacute du point de vue de lrsquoacteur et la question de lrsquointersubjectiviteacute   huit anneacutees drsquoexpeacuteriences avec des cameacuteras miniaturiseacutees fixeacutees au front des acteurs (subcams) raquo Communications (80) 209-234 ISSN 0588-8018

Liu J Johns E Atallah L Pettitt C Lo B Frost G Yang G Z 2012 ldquoAn intelligent food-intake monitoring system using wearable sensorsrdquo in Ninth International Conference on Wearable and Implantable Body Sensor Networks IEEE pp154-160

Lombardot E Mugel O 2015 laquo Proposition drsquoun modegravele explicatif de lrsquoeacutecart entre intention et comportement de consommer responsable inteacutegrant les facteurs situationnels une eacutetude appliqueacutee agrave lrsquoalimentation raquo 10e Journeacutee Marketing AgroAlimentaire Montpellier

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 41

Lucas R M Harris R M R 2018 ldquoOn the nature of evidence and lsquoprovingrsquo causality Smoking and lung cancer vs sun exposure vitamin D and multiple sclerosisrdquo Int J Envir Res Publ Health 151726 doi103390ijerph15081726

Lusk J L Brooks K 2011 ldquoWho participates in household scanning panelsrdquo Am J Agric Econ 93226-240

Macdiarmid J I Blundell J E 1997 ldquoDietary under-reporting what people say about recording their food intakerdquo Eur J Clin Nutr 51 199-200

Masson L F McNeill G Tomany J O Simpson J A Peace H S Wei L et al 2003 ldquoStatistical approaches for assessing the relative validity of a food-frequency questionnaire use of correlation coefficients and the kappa statisticrdquo Public health nutrition 16(03)313-21

Mela DJ Aaron JI 1997 ldquoHonest but invalid what subjects say about recording their food intakerdquo J Acad Nutr Diet 97 791-793

OpinionWaySenseva 2016 Le Profil des acheteurs et les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation bio en 2016 httpwwwthemavisionfruploaddocsapplicationpdf2016-05etude_organics_cluster_et_cosmebiopdf

Peacutequignot B 2011 laquo Speacutecificiteacute du terrain en sociologie des arts et de la culture raquo SociologieS httpjournalsopeneditionorg Sociologies3487

Pfeiffer C M Sternberg M R Schleicher R L Haynes B M Rybak M E Prikle J L 2013 ldquoThe CDCrsquos Second National Report on Biochemical Indicators of Diet and Nutrition in the US Population is a valuable tool for researchers and policy makersrdquo J Nutr 143 938S-947S

Prentice R L Huang Y Tinker L F Beresford S A Lampe J W Neuhouser M L 2009 ldquoStatistical aspects of the use of biomarkers in nutritional epidemiology researchrdquo Stat Biosci 1 112-123

Ptomey L T Willis E A Honas J J Mayo M S Washburn R A Herrmann S D Sullivan D K Donelly J E 2015 ldquoValidity of energy intake estimated by digital photography plus recall in overweight and obese young adultsrdquo J Acad Nutr Diet 115 1392-1399

Roediger H L McDermott K B 1995 ldquoCreating false memories remembering words not presented in listsrdquo J Exp Psychol Lear Mem Cogn 21 803-814

Scagliusi F B Polacow V O Artioli G G Benatti F B Lancha A H 2003 ldquoSelective underreporting of energy intake in women magnitude determinants and effect of trainingrdquo J Am Diet Assoc 1031306-1313

Schwarz N 1999 ldquoSelf-reports How the questions shape the answersrdquo American Psychologist 54(2) 93ndash105 httpsdoiorg1010370003-066X54293

Simon H 1957 Models of Man Social and Rational Mathematical Essays on Rational Behavior in a Social Setting New York Wiley

Stubbs R J OrsquoReilly L M Whybrow S Fuller Z Johnstone A M Livingstone M B E Ritz P Horgan G W 2014 ldquoMeasuring the difference between actual and reported food intakes in the context of energy balance under laboratory conditionsrdquo BJN 111 2032-2043

42 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Terlau W Hirsch D 2015 ldquoSustainable consumption and the attitude-behaviour-gap phenomenon Causes and measurements towards a sustainable developmentrdquo Journal on Food System Dynamics 6 doi doiorg1018461ijfsdv6i3634

Thorslund C A H Lassen J 2016 ldquoContext orders of worth and the justification of meat consumption practicesrdquo Sociologia Ruralis

Vermeir I Verbeke W 2006 ldquoSustainable food consumption exploring consumer ldquoattitude-behavioral intentionrdquo gaprdquo Journal of Agricultural and Environmental Ethics 19169-194

Wansink B Sobal J 2007 ldquoMindless eating The 200 daily food decisions we overlookrdquo Environment and Behavior 39106-123

Zuinen N 2002 Essai sur le rocircle des femmes et des valeurs feacuteminines Reflets et perspectives de la vie eacuteconomique tome XLI Ndeg 1 pp 109-114

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 43

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Reacutesumeacute

Depuis le milieu des anneacutees 1990 la sous-traitance agricole se deacuteveloppe de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations y ayant recours a eacuteteacute multiplieacute par deux Reacutepondant agrave la difficile transmission familiale des exploitations ou aux strateacutegies de croissance des plus grandes drsquoentre elles lrsquoessor de la prestation de services est lrsquoune des tendances marquantes de lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture franccedilaise Ce marcheacute estimeacute agrave environ 4 milliards drsquoeuros se caracteacuterise par une forte transformation de la demande et par la creacuteation de nombreuses entreprises de travaux deacutedieacutees Si la plupart drsquoentre elles proposent de reacutealiser des tacircches preacutecises drsquoautres ont deacuteveloppeacute une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale de lrsquoexploitation agrave la fois technique administrative et financiegravere La sous-traitance agricole et notamment la deacuteleacutegation inteacutegrale des activiteacutes restent pourtant peu documenteacutees Diverses questions demeurent auxquelles cet article contribue agrave reacutepondre en rassemblant les reacutesultats saillants de recherches conduites depuis 2012 Il fait suite aux eacutevaluations quantitatives de la progression du pheacutenomegravene reacutealiseacutees par le groupe de travail ActifrsquoAgri2 animeacute par le Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La premiegravere partie explicite la meacutethode utiliseacutee et les trois suivantes preacutesentent un eacutetat des lieux du marcheacute puis un recensement de lrsquoeacutevolution des pratiques et enfin une analyse des formes innovantes drsquoorganisation de la prestation de services La conclusion traite des questions souleveacutees par le deacuteveloppement rapide du pheacutenomegravene et des implications en matiegravere de politiques publiques

Mots cleacutes

Sous-traitance deacuteleacutegation inteacutegrale pratiques organisations tertiarisation agriculture

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Universiteacute feacutedeacuterale de Toulouse Institut national polytechnique Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique UMR INP-INRAE Agir Avenue de lrsquoagrobiopole BP 32607 Auzeville-Tolosane 31326 Castanet-Tolosan Cedex 2 Voir en particulier le chapitre 3 de lrsquoouvrage final tireacute de cette reacuteflexion collective Bignebat C Delame N Hugonnet  M Legagneux B Nguyen G Piet L laquo Trois tendances structurantes concentration sous-traitance et diversification des exploitations raquo dans Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective Ministegravere de lrsquoagriculture et de lrsquoalimentation Paris La Documentation franccedilaise Ouvrage teacuteleacutechargeable dans sa version inteacutegrale et par chapitre sur httpsagriculturegouvfractifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux1

44 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

La sous-traitance est un pheacutenomegravene connu surtout dans le secteur de lrsquoindustrie ougrave elle se deacuteveloppe agrave un rythme soutenu plus particuliegraverement depuis les anneacutees 1970 (Bakis 1975 Queacutelennec 1987 Perraudin et al 2013 Souquet 2016) Crsquoest un moyen essentiel pour les entreprises de reacuteorganiser leurs chaicircnes de valeur et drsquoaccroicirctre leurs avantages concurrentiels (Williamson 2008 Milberg et Winkler 2013) Dans ce secteur cette pratique fait mecircme lrsquoobjet drsquoune deacutefinition normaliseacutee elle deacutesigne laquo toutes les opeacuterations concourant pour un cycle de production deacutetermineacute agrave lrsquoune ou plusieurs des opeacuterations de conception drsquoeacutelaboration de fabrication de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause dont une entreprise dite donneur drsquoordres confie la reacutealisation agrave une entreprise dite sous-traitant ou preneur drsquoordres tenue de se conformer exactement aux directives ou speacutecifications techniques arrecircteacutees en dernier ressort par le donneur drsquoordres raquo (AFNOR 1987)

Bien que la sous-traitance ait longtemps eacuteteacute associeacutee agrave la grande entreprise inteacutegreacutee souhaitant utiliser des capaciteacutes productives exteacuterieures peu speacutecifiques et bon marcheacute et se deacutesengager de certains meacutetiers certaines formes de sous-traitance industrielle peuvent ecirctre aujourdrsquohui qualifieacutees laquo de speacutecialiteacute raquo ou laquo drsquointelligence raquo et incarneraient de nouvelles formes de relations inter-entreprises (Billaudot Julien 2003 Mariotti 2005) Ce basculement drsquoune laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo agrave une laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo opeacutereacute dans les anneacutees 1980 dans un contexte de concurrence exacerbeacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale est souvent preacutesenteacute comme devant deacuteboucher sur un partenariat inter-entreprises plus eacutequilibreacute Cependant ces mutations sont largement discuteacutees par lrsquoeacuteconomie des organisations la gestion et la sociologie eacuteconomique qui ne manquent pas de souligner une coexistence entre des formes anciennes et nouvelles de sous-traitance mais eacutegalement la persistance de rapports de force et de domination en deacutefaveur du sous-traitant (Surubaru 2014 Seiller 2014 Holcomb et Hitt 2007 Arnold 2000)

En agriculture agrave cocircteacute de lrsquoentraide la sous-traitance de certaines opeacuterations techniques par lrsquoagriculteur agrave un tiers3 comme la reacutecolte et lrsquoenrubannage est aussi une pratique ancienne Toutefois son recours est resteacute longtemps lrsquoapanage de petites ou moyennes exploitations ne posseacutedant pas le mateacuteriel ou la main-drsquoœuvre neacutecessaires Les travaux sous-traiteacutes relegravevent alors traditionnellement drsquoarrangements plus ou moins informels avec des exploitations proches cherchant agrave amortir leur mateacuteriel avec des coopeacuteratives drsquoutilisation de mateacuteriels agricoles (CUMA) ou encore avec des entreprises de travaux agricoles (ETA) Parce qursquoils sont tous les deux agriculteurs ou revendiquent le statut drsquoagriculteur quels que soient celui qui deacutelegravegue et celui qui reacutealise les travaux nous sommes ici devant des figures du laquo donneur drsquoordres raquo et du laquo sous-traitant raquo diffeacuterentes de celles de lrsquoindustrie

Nous ne traiterons ici que de la prestation de services par les ETA dans la mesure ougrave crsquoest cette forme qui domine le marcheacute ces ETA repreacutesentaient en 2016 selon les donneacutees de lrsquoenquecircte sur la structure des exploitations agricoles (ESEA 2016) 90 du volume de travail de sous-traitance agricole Nous nrsquoeacutetudierons pas non plus ici le recours agrave certaines formes de salariat temporaire aupregraves de groupements drsquoemployeurs ou drsquoagences drsquointeacuterim qui peuvent srsquoapparenter agrave de la sous-traitance partielle

3 Ce pheacutenomegravene de sous-traitance qui se limite agrave lrsquoamont productif est agrave diffeacuterencier de la sous-traitance de tacircches par une entreprise agroalimentaire de lrsquoaval agrave un agriculteur communeacutement associeacutee agrave des processus drsquointeacutegration verticale et au modegravele drsquoagriculture contractuelle Cette derniegravere forme de sous-traitance nrsquoest pas lrsquoobjet de cet article

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 45

Par laquo travaux agricoles raquo le code rural (article L722-2) deacutefinit tous les laquo travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou veacutegeacutetale les travaux drsquoameacutelioration fonciegravere agricole ainsi que les travaux accessoires neacutecessaires agrave lrsquoexeacutecution des travaux preacuteceacutedents4raquo Au-delagrave des stricts travaux agricoles la sous-traitance peut aller jusqursquoagrave inclure une tacircche administrative comme la comptabiliteacute reacutealiseacutee par des centres de gestion

La sous-traitance en agriculture donne lieu communeacutement agrave la reacutealisation et agrave lrsquoexeacutecution drsquoune ou de plusieurs opeacuterations culturales (reacutecolte travail du sol semis etc) voire plus rarement de plusieurs opeacuterations drsquoeacutelevage (retrait des animaux prophylaxie) Il faut la distinguer de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux communeacutement appeleacutee le laquo A agrave Z raquo que nous deacutefinissons comme le processus qui conduit agrave deacuteleacuteguer agrave un tiers la conduite et la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Nous nous inteacuteresserons ici agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus ou peu drsquoactiviteacute agricole et qursquoil confie la quasi-totaliteacute de la conduite des travaux mais aussi la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsque lrsquoexploitant confie lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques ou moins inteacuteressantes agrave un ou plusieurs sous-traitants afin de se recentrer sur ce qursquoil considegravere ecirctre son cœur de meacutetier5 Agrave la diffeacuterence du simple sous-traitant le deacuteleacutegataire est ici plus autonome vis-agrave-vis de son client qui nrsquoest alors pas agrave consideacuterer comme un laquo donneur drsquoordres raquo Lrsquoimplication de ce dernier varie selon les cas certains participent encore agrave lrsquoeacutelaboration du cahier des charges des opeacuterations tandis que drsquoautres confient au sous-traitant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des deacutecisions techniques voire des deacutecisions commerciales (achat des intrants et vente des reacutecoltes) Dans ces scheacutemas de deacuteleacutegation inteacutegrale il y a dissociation partielle agrave totale des droits de proprieacuteteacute et des droits de gestion Une telle deacuteleacutegation constitue une forme particuliegraverement aboutie de sous-traitance

Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de la sous-traitance en agriculture nrsquoa deacutebuteacute que vers le milieu des anneacutees 1990 (Heacutebrard 2001 Chevalier 2007) Elle nrsquoa cesseacute depuis de se deacutevelopper de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance6 a ainsi eacuteteacute multiplieacute par deux (Forget et al 2019) Parallegravelement nous observons de nombreuses creacuteations de socieacuteteacutes de travaux et de prestation de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchent agrave amortir et de compeacutetences qursquoils cherchent agrave laquo moneacutetiser raquo (expertise agronomique maicirctrise des nouvelles technologies embarqueacutees capaciteacute de collecte et de commercialisation) Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale consideacutereacute comme ineacutedit par Harff et  Lamarche (1998) srsquoest amplifieacute dans les campagnes franccedilaises (Anzalone et Purseigle 2014 Purseigle et al 2017) Ont ainsi eacuteteacute observeacutees des logiques de speacutecialisation chez des polyculteurs-eacuteleveurs qui confient la gestion et la conduite de leurs productions veacutegeacutetales agrave une entreprise deacuteleacutegataire pour mieux se recentrer sur les activiteacutes drsquoeacutelevage ou encore des exploitants aux allures de laquo proprieacutetairerentier raquo agrave la tecircte drsquolaquo exploitations en trompe-lrsquoœil raquo mus par une logique de laquo rente familiale raquo (Anzalone et Purseigle 2014 p336) Par-delagrave la dimension organisationnelle cette forme aboutie de deacuteleacutegation constituerait non seulement laquo une profonde rupture dans la conception du meacutetier drsquoagriculteur et dans la formation de lrsquoidentiteacute professionnelle raquo (Harff et Lamarche 1998 p10) mais aussi une nouvelle eacutetape dans la laquo gestionnarisation raquo des activiteacutes de deacuteleacutegation productive Relevant

4 Il inclut eacutegalement tous laquo les travaux de creacuteation restauration et entretien des parcs et jardins raquo mais il nrsquoen sera pas question dans cet article5 Un exemple communeacutement rencontreacute de deacuteleacutegation par laquo recentrage raquo est celui de lrsquoeacuteleveur qui deacutelegravegue agrave un tiers lrsquointeacutegraliteacute des travaux de culture pour se consacrer agrave lrsquoeacutelevage6 La cateacutegorie laquo exploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance raquo est deacutefinie par rapport au poids du travail apporteacute par les entreprises de travaux agricole relativement au travail permanent

46 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

parfois de nouveaux dispositifs de laquo co-pilotage raquo des exploitations agricoles porteacutes par des entreprises franccedilaises ou eacutetrangegraveres la deacuteleacutegation inteacutegrale illustrerait une laquo tertiarisation raquo des activiteacutes productives agricoles

Mais alors qursquoelles connaissent un tournant majeur la sous-traitance et la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux agricoles par des agriculteurs restent tregraves peu documenteacutees et eacutetudieacutees Un recensement de la litteacuterature scientifique sur la sous-traitance en agriculture sur les vingt derniegraveres anneacutees met en eacutevidence de nombreux travaux de recherche portant sur la sous-traitance associeacutee agrave un processus drsquointeacutegration verticale aval-amont mais agrave peine une vingtaine de reacutefeacuterences dans le monde traitent de la sous-traitance entre acteurs de la production agricole dont seulement une dizaine concernant lrsquoEurope (Harff et Lamarche 1998 Vernimmen et al 2000 Heacutebrard 2001 Picazo-Tadeo et Reig-Martiacutenez 2006 Chevalier 2007 Igata et al 2008 Anzalone et Purseigle 2014) Ainsi de nombreuses questions demeurent quelles sont les caracteacuteristiques des nouvelles pratiques de sous-traitance pouvant aller jusqursquoagrave de la complegravete deacuteleacutegation Quels sont les deacuteterminants de leur eacutemergence et de leur deacuteveloppement Quels sont les acteurs et organisations qui les portent Comment ces nouvelles pratiques coexistent-elles avec des formes plus traditionnelles de sous-traitance En quoi constituent-elles des instruments au service de relations partenariales entre des exploitations agricoles aux tailles et aux logiques eacuteconomiques diffeacuterentes Quel est leur impact sur lrsquoorganisation de lrsquoactiviteacute de production agricole sur un territoire et au-delagrave sur le meacutetier drsquoagriculteur

Cet article7 rassemble des reacutesultats saillants de travaux de recherche conduits depuis 2012 sur lrsquoeacutemergence de nouvelles pratiques et organisations de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation Il comporte quatre parties Parce que lrsquoeacutetude de la sous-traitance et en particulier celle de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles constituent un veacuteritable deacutefi meacutethodologique il nous semble important dans une premiegravere partie drsquoexpliciter notre deacutemarche sur ce plan Les trois autres parties deacutevelopperont les reacutesultats Ainsi afin de caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur nous preacutesenterons dans la deuxiegraveme partie un bref eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance puis dans la troisiegraveme partie un recensement des pratiques de sous-traitance en distinguant les plus novatrices et notamment celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Nous tracerons ensuite dans la quatriegraveme et derniegravere partie les contours de formes innovantes drsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation et commenterons leur genegravese en deacuteveloppant lrsquoideacutee que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens davantage qursquoils ne les supplantent afin de reacutepondre agrave des demandes nouvelles eacutemanant drsquoentreprises agricoles situeacutees aux franges du modegravele de lrsquoexploitation familiale Nous distinguerons notamment deux grandes trajectoires drsquoeacutevolution de lrsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation lrsquoune partant de relations traditionnelles et greffant sur ces derniegraveres des modaliteacutes nouvelles lrsquoautre plus innovante fondeacutee sur la construction drsquoune cateacutegorie sociale nouvelle celle du land manager gestionnaire de patrimoines agricoles et nouveau maicirctre drsquoœuvre de la production agricole agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Enfin nous conclurons sur les questions souleveacutees par le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale

7 Cet article prolonge les analyses relatives agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale preacutesenteacutees dans Forget et al (2019)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 47

1 Deacutemarche meacutethodologique pour lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole

Le principal deacutefi poseacute par lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole8 et notamment de ses nouvelles pratiques est le repeacuterage qualitatif et quantitatif de ce pheacutenomegravene dans la mesure ougrave il existe peu de donneacutees permettant de lrsquoeacutetudier Pour contourner ce problegraveme lrsquoeacutetude a mobiliseacute une meacutethodologie mixte (Tashakkori et Teddlie 1998) et a comporteacute quatre grands volets avec pour principe une articulation eacutetroite entre analyses qualitatives et cadrages statistiques

Le premier volet consistait en la reacutealisation drsquoenquecirctes approfondies aupregraves de personnes ressources du secteur agricole (membres de la Socieacuteteacute des agriculteurs de France - SAF repreacutesentants syndicaux repreacutesentants de la Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) et de la Feacutedeacuteration nationale des CUMA (FNCUMA) dirigeants de coopeacuteratives etc) pour preacuteciser les contours du marcheacute de la sous-traitance et en preacutesenter les caracteacuteristiques

Les reacutesultats de ces enquecirctes ont eacuteteacute exploiteacutes dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude pour construire des indicateurs clefs et tenter de quantifier9 le pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France en mobilisant des donneacutees statistiques secondaires issues de diverses sources (recensements agricoles (RA) de 2000 et 2010 enquecircte sur les structures drsquoexploitation de 2016 Mutualiteacute sociale agricole FNEDT et registre Infogreffe du commerce et des socieacuteteacutes)

La quantification du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux culturaux agrave lrsquoeacutechelle nationale et de son eacutevolution constituait un enjeu meacutethodologique majeur les donneacutees de la statistique agricole ne permettant pas avant 2016 drsquoidentifier directement les exploitations qui y avaient recours En 2010 cet aspect nrsquoa eacuteteacute abordeacute dans le RA qursquoen reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Pour estimer le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale en grandes cultures en France en 2010 la meacutethode choisie dans le cadre du projet ANR Agrifirme a consisteacute dans un premier temps agrave caracteacuteriser les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant deacuteclareacute agrave cette date avoir entiegraverement deacuteleacutegueacute la conduite de leurs cultures Lrsquoanalyse srsquoest focaliseacutee sur les exploitations speacutecialiseacutees dans la production de ceacutereacuteales et drsquooleacuteo-proteacuteagineux dont la production brute standard (PBS) est supeacuterieure agrave 5 000 euro (ces exploitations sont les plus susceptibles de recourir agrave cette forme de deacuteleacutegation) Pour lrsquoextrapolation agrave lrsquoeacutechelle nationale lrsquoanalyse statistique a conduit agrave identifier plusieurs variables disponibles nationalement permettant drsquoisoler les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant inteacutegralement deacuteleacutegueacute leurs cultures Les variables retenues eacutetaient le nombre de jours de travail drsquoETA par hectare de ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux cultiveacute le pourcentage des uniteacutes de travail agricole (UTA) apporteacutees par une ETA et le recours agrave une ETA pour les travaux phytosanitaires Pour chacune de ces trois variables des seuils au-delagrave desquels

8 Les eacuteleacutements deacuteveloppeacutes dans le preacutesent article srsquoancrent dans des travaux de recherche qui ont deacutebuteacute avec le projet ANR 1808 01 intituleacute Agrifirme (2011-2014) Lrsquoobjectif principal de ce projet eacutetait drsquoidentifier de caracteacuteriser et de quantifier de nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomique et sociale de la production agricole Ils se sont poursuivis avec lrsquoappui du programme investissements drsquoAvenir ANR-10-EQPX-17 du programme de recherche PSDR IV-ReproInnov et du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation dans le but notamment de mettre agrave jour les donneacutees statistiques Ils srsquoappuient eacutegalement sur des enquecirctes reacutealiseacutees dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin portant sur les innovations organisationnelles en eacutelevage ovin et du projet europeacuteen H2020 Agrilink portant sur les mutations du conseil agricole Ces travaux ont eacuteteacute meneacutes par une eacutequipe drsquoenseignants-chercheurs en eacuteconomie et sociologie de lrsquoInstitut national polytechnique - Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) parmi lesquels Julien Brailly Olivier Legagneux Geneviegraveve Nguyen Valeacuterie Olivier et Franccedilois Purseigle avec lrsquoappui en particulier de Guilhem Anzalone Seacutebastien Billows Perrine Fortin Eloiumlse Bergeret Olivier Pauly Joseacute Ramanantsoa et Jeacutereacutemy Andreacute 9 Sauf indication contraire de la source est indiqueacutee les chiffres mentionneacutes dans lrsquoarticle srsquoappuyant sur les donneacutees secondaires ont eacuteteacute calculeacutes par les auteurs

48 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale eacutetait statistiquement tregraves probable ont eacuteteacute calculeacutes En faisant lrsquohypothegravese ndash forte ndash que dans drsquoautres reacutegions des uniteacutes structurellement semblables au regard de ces variables utiliseraient de la mecircme faccedilon ces prestataires nous avons extrapoleacute au reste de la France le nombre drsquoexploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures ayant eu recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

En 2016 le questionnaire de lrsquoenquecircte Structures (ESA) comportait pour la premiegravere fois une question sur le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale pour lrsquoensemble des travaux culturaux Ceci a permis drsquoeacutelargir lrsquoanalyse agrave toutes les productions et de valider a posteriori les ordres de grandeur issus de lrsquoextrapolation reacutealiseacutee agrave partir des donneacutees issues du RA 2010 sur les grandes cultures Par ailleurs pour avoir une ideacutee de lrsquoeacutevolution entre 2010 et 2016 du recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale par les exploitations en grandes cultures nous avons appliqueacute la meacutethode drsquoextrapolation preacuteceacutedemment deacutecrite pour le RA aux donneacutees de lrsquoESA 201610

En parallegravele de ce repeacuterage statistique le troisiegraveme volet a consisteacute en des enquecirctes approfondies conduites aupregraves de 32 ETA et de 33 de leurs clients dans diverses reacutegions (Hauts-de-France Grand Est Centre-Val de Loire Bretagne Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie) entre 2012 et 2016 afin de reacutealiser des monographies et une typologie de prestataires de services de clients et de relations de sous-traitance et de deacuteleacutegation Ces acteurs ont eacuteteacute seacutelectionneacutes de maniegravere agrave repreacutesenter la diversiteacute des scheacutemas de sous-traitance et de deacuteleacutegation tant classiques qursquoeacutemergents Au cours de ces enquecirctes des questions ont eacuteteacute poseacutees sur les caracteacuteristiques des acteurs et leurs motivations sur lrsquoorganisation de la sous-traitance et les arrangements contractuels tant formels (contrats eacutecrits collecteacutes) qursquoinformels La compreacutehension des pratiques et des dispositifs de sous-traitance et de deacuteleacutegation permise par cette approche a ensuite orienteacute une eacutetude plus quantitative du pheacutenomegravene lors du quatriegraveme volet

Dans le cadre de ce dernier volet la focale a eacuteteacute mise sur le grand Sud-Ouest de la France reacutegion caracteacuteriseacutee par une diversiteacute des productions et des structures de production et par lrsquoimportance du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale quantifieacute dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude Au printemps 2018 des donneacutees ont eacuteteacute collecteacutees agrave lrsquoaide drsquoun questionnaire auto-administreacute aupregraves de 5 400 agriculteurs de 12 deacutepartements du Sud-Ouest Ce fichier a eacuteteacute construit agrave partir de listes drsquoagriculteurs constitueacutees dans le cadre de recherches anteacuterieures

Apregraves relances et nettoyage de la base de reacuteponses 1 247 reacuteponses ont eacuteteacute retenues pour lrsquoanalyse soit 23 de lrsquoeacutechantillon initial Ce dispositif drsquoenquecircte relatif aux recompositions en cours de lrsquoorganisation du travail dans les exploitations agricoles avait pour objectifs

- de recenser les sources de main-drsquoœuvre sur lrsquoexploitation ainsi que les pratiques et les besoins de sous-traitance

- de recueillir lrsquoopinion des agriculteurs sur la sous-traitance et plus particuliegraverement sur le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale

10 Agrave la diffeacuterence de lrsquoESA 2016 dans le recensement agricole de 2010 la question de la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux dans les exploitations en grandes cultures a eacuteteacute introduite mais seulement pour lrsquoancienne reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Une meacutethode drsquoextrapolation a donc eacuteteacute eacutelaboreacutee pour estimer ce pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France (voir lrsquoencadreacute 21 agrave la page 39 de Forget V et al 2019) Cette mecircme meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee aux donneacutees ESA 2016 afin de pouvoir comparer deux variables eacutequivalentes Il est agrave noter que le reacutesultat de lrsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2016 par la meacutethode drsquoextrapolation donne un chiffre de 8 986 exploitations de grandes cultures concerneacutees Compareacute au chiffre issu directement de la question poseacutee aux exploitations dans lrsquoESA 2016 qui est de 11 036 il y a une leacutegegravere sous-estimation du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale par la meacutethode drsquoextrapolation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 49

- de comprendre les nouvelles formes drsquoorganisation du travail et les environnements sociaux eacuteconomiques et institutionnels favorables agrave lrsquoessor du marcheacute de la sous-traitance

Des analyses statistiques ont eacuteteacute reacutealiseacutees pour deacutecrire et expliquer les pratiques de sous-traitance et de deacuteleacutegation ainsi que le choix des modaliteacutes de contractualisation en fonction de facteurs internes et externes agrave lrsquoexploitation

Cette meacutethode mixte reposant sur des allers-retours entre approches qualitatives et quantitatives a ainsi permis non seulement une compreacutehension fine des meacutecanismes sociaux et eacuteconomiques qui preacutesident aux recompositions agrave lrsquoœuvre mais aussi de leur quantification

2 Un marcheacute de la sous-traitance en forte croissance depuis 2000

En 2010 623 des exploitations franccedilaises ont fait appel agrave des ETA (Legagneux et Olivier-Salvagnac 2017) Les calculs reacutealiseacutes agrave partir des donneacutees des deux derniers recensements agricoles et de lrsquoenquecircte Structures de 2016 montrent que depuis 2000 le pheacutenomegravene de sous-traitance nrsquoa cesseacute de se deacutevelopper En effet entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant eu recours agrave la sous-traitance de maniegravere notable11 a augmenteacute agrave un rythme de 27 par an pour atteindre 25 542 exploitations en 2016 soit 55 de la PBS de la ferme franccedilaise Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations12 qui repreacutesentent 69 du total des exploitations franccedilaises et 70 des exploitants ayant recours agrave la sous-traitance Entre 2000 et 2016 leur nombre srsquoest accru de 103 alors que celui des petites a connu un leacuteger fleacutechissement de - 3 Ce sont aujourdrsquohui 17 889 moyennes et grandes exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative contre 7 653 petites alors qursquoelles eacutetaient respectivement 8 810 et 7 879 en 2000

Pour ce qui est de lrsquooffre agrave cocircteacute des donneacutees de lrsquoInsee et de la Mutualiteacute sociale agricole (MSA) une enquecircte reacutealiseacutee entre octobre 2017 et juin 2018 par lrsquoobservatoire Emploi Formation de la FNSEA confirme le rocircle preacutedominant des ETA dans la reacutealisation des travaux agricoles (FNSEA 2018) auxquelles les agriculteurs ont davantage recours qursquoaux CUMA et aux groupements drsquoemployeurs

Souvent creacuteeacutees par des exploitants agricoles dans le but de diversifier leurs activiteacutes et leurs sources de revenus les ETA relegravevent de lrsquoarticle L722-2 du Code rural et de la pecircche maritime Leurs travaux peuvent ecirctre conduits sur drsquoautres exploitations en utilisant le mateacuteriel agricole disponible sur place ou le mateacuteriel de lrsquoentreprise voire en louant ce dernier agrave un autre exploitant Immatriculeacutee au Registre du commerce et des socieacuteteacutes une ETA peut prendre la forme drsquoune entreprise individuelle simple ou agrave responsabiliteacute limiteacutee ou drsquoune socieacuteteacute (SA SAS SARL SCEA etc)

11 La focale est mise ici sur les exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative Ce pheacutenomegravene est appreacutecieacute au travers de deux ratios qui mesurent la part du travail confieacute agrave une ETA sur a) le volume drsquoheures de travail fournies par la main-drsquoœuvre permanente sur lrsquoexploitation (nombre drsquoUTA fournies par les ETA nombre drsquoUTA permanente ge 9 ) et b) sur la taille eacuteconomique de lrsquoexploitation (nombre de jours de travail drsquoune ETA keuro PBS ge 023)12 Les laquo petites exploitations raquo sont deacutefinies comme celles ayant une PBS supeacuterieure ou eacutegale agrave 5 000 euro et strictement infeacuterieure agrave 25 000 euro par an et les laquo moyennes et grandes exploitations raquo comme celles dont la PBS est supeacuterieure ou eacutegale agrave 25 000 euro par an Les tregraves petites exploitations avec une PBS infeacuterieure agrave 5 000 euro ne sont pas prises en compte dans cette eacutetude

50 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Entre 2004 et 2014 selon les donneacutees de la MSA le nombre drsquoETA et celui des salarieacutes employeacutes par ces derniegraveres ont connu une hausse de respectivement 10 et 73 (CCMSA-FNEDT 2015) Ces chiffres ont connu un leacuteger infleacutechissement pour lrsquoanneacutee 2015 mais sont de nouveau en hausse depuis 2016 avec des taux de progression annuels de 19 pour le nombre drsquoETA et de 27 pour les effectifs de salarieacutes En 2016 la MSA comptabilisait 14 022 ETA employant 96 452 salarieacutes permanents et saisonniers reacuteparties sur lrsquoensemble du territoire franccedilais en particulier dans les reacutegions de plaine autour drsquoun croissant Sud Sud-Ouest Centre Nord (figure 1)

Lorsqursquoil est replaceacute dans une perspective historique le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture apparaicirct eacutetroitement lieacute aux progregraves techniques reacutealiseacutes dans ce secteur mais eacutegalement tout comme dans lrsquoindustrie agrave la conjoncture eacuteconomique Reacutealiseacutee avec les donneacutees drsquoInfogreffe relatives agrave la creacuteation drsquoeacutetablissements depuis 1945 la figure 2 montre que lrsquoessor du recours agrave la sous-traitance dans les anneacutees 1980 pointeacute par Heacutebrard (2001) et Chevalier (2007) est alleacute de pair avec le deacuteveloppement des CUMA puis des ETA Il convient ici de rappeler que les premiegraveres ETA ont eacuteteacute creacuteeacutees dans lrsquoentre-deux-guerres avec lrsquoarriveacutee des batteuses selon une logique entrepreneuriale et de marcheacute13 et ce apregraves lrsquoeacutemergence des CUMA qui elles ont eacuteteacute creacuteeacutees dans une logique drsquoentraide et de mutualisation afin de reacutepondre aux attentes drsquoexploitations familiales appeleacutees agrave se moderniser Mais le veacuteritable deacuteveloppement du marcheacute franccedilais de la sous-traitance est concomitant du moment ougrave le secteur agricole est entreacute dans une longue peacuteriode drsquoincertitude eacuteconomique et sociale Depuis les anneacutees 1980 plusieurs faits ont selon nous contribueacute agrave faire eacutevoluer les preacutefeacuterences des acteurs de la sous-traitance qursquoils soient clients ou deacuteleacutegataires et agrave expliquer lrsquoaugmentation significative du nombre de creacuteation drsquoETA (figure 2) la baisse tendancielle du nombre drsquoactifs familiaux agricoles les reacuteformes successives

Figure 1 - Nombre drsquoETA par code postal dans un rayon de 25Km (donneacutees Infogreffe 2019)

2735544363024191270

105453122171310740

Nombre ETA par code postal dans un rayon de 25 km

Nombre CUMA par code postal dans rayon de 25 km

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs agrave partir des donneacutees Indogreffe 2019

13 Pour une histoire des entreprises de travaux agricoles voir Des entrepreneurs de battage aux entrepreneurs des territoires 85 ans de syndicalisme des entrepreneurs 1922-2007 2007 Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 51

Figure 2 - Eacutevolution du nombre de creacuteations drsquoETA et de CUMA (donneacutees Infogreffe 20192019))

Source Graphique reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees Infogreffe 2019

de la PAC et notamment celles actant le passage drsquoune logique de soutien agrave la production agrave une logique de gestion des risques et drsquoun laquo verdissement raquo relatif des aides publiques la hausse continue du prix de lrsquoeacutequipement agricole ou encore les diverses mesures de deacutefiscalisation des investissements productifs

Crsquoest cet essor reacutecent de la sous-traitance qui nous inteacuteresse plus particuliegraverement ici Si dans le secteur industriel les dirigeants drsquoentreprises ont eacuteteacute ameneacutes depuis les anneacutees 1980 agrave fortement repenser les relations de sous-traitance pour capter des ressources externes strateacutegiques et creacuteer de la valeur (Arnold 2000 Mildberg et Winkler 2013) il nous paraicirct tregraves probable que les entreprises agricoles malgreacute leurs speacutecificiteacutes aient suivi la mecircme tendance

Quelques chiffres clefs

En 2016 ce sont

  plus de 26 500 exploitations toutes OTEX confondues qui ont deacuteclareacute avoir sous-traiteacute lrsquoensemble des travaux de culture soit au moins 500 000 hectares et 55 de la PBS de la ferme franccedilaise

  70 drsquoentre elles sont des exploitations de taille moyenne agrave grande

  125 drsquoentre elles sont des exploitations en grandes cultures et autant drsquoexploitations bovin-lait et en polyculture-eacutelevage

  plus de 14 000 ETA et 96 000 salarieacutes

52 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

3 Une pluraliteacute de demandes et de pratiques en reacuteponse agrave lrsquoeacutevolution du contexte agricole

En mecircme temps qursquoil se deacuteveloppe le pheacutenomegravene de sous-traitance connaicirct deux eacutevolutions majeures La premiegravere concerne la nature des services demandeacutes et lrsquoampleur des travaux sous-traiteacutes Les agriculteurs sont non seulement plus nombreux agrave sous-traiter mais ils sous-traitent de plus en plus de tacircches La deuxiegraveme eacutevolution relegraveve de la logique mecircme de sous-traitance avec deux basculements Lrsquoun comme pour le secteur industriel voit lrsquoeacutemergence drsquoune laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo agrave cocircteacute de la classique laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo Lrsquoautre met en lumiegravere au travers du deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo lrsquoapparition drsquoune logique de gestion patrimoniale faisant des prestataires de services des gestionnaires de patrimoine agricole et leur accordant une place particuliegravere dans lrsquoorganisation et le maintien drsquoune capaciteacute productive agrave lrsquoeacutechelle des territoires Les donneacutees issues du sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest et des enquecirctes approfondies aupregraves des parties prenantes de la sous-traitance permettent de comprendre plus preacuteciseacutement les changements opeacutereacutes

31 Sous-traiter pour geacuterer des incertitudes eacuteconomiques et accompagner la gestion des contraintes reacuteglementaires environnementales

Au sein de la population des reacutepondants au sondage la prise en charge drsquoopeacuterations de culture par un tiers concerne 83 des exploitations (soit 1 027 individus) essentiellement de tailles moyenne et grande Ce ne sont plus uniquement les petites exploitations qui sous-traitent par manque de capaciteacute De plus si la reacutecolte reste la principale opeacuteration sous-traiteacutee les agriculteurs font aussi appel agrave un tiers pour la reacutealisation drsquoautres travaux de culture comme les eacutepandages drsquoengrais et de lisier les traitements phytosanitaires le travail du sol et le semis La sous-traitance relegraveve ici plutocirct des ETA qui assurent plus de la moitieacute des prestations mecircme si les enquecirctes approfondies suggegraverent que les agriculteurs peuvent avoir recours agrave la fois aux ETA et aux CUMA selon le service demandeacute plutocirct lrsquoETA pour des opeacuterations comme la reacutecolte et le semis car celles-ci doivent ecirctre faites au bon moment et dans un temps limiteacute ou encore pour des opeacuterations requeacuterant un mateacuteriel coucircteux plutocirct une CUMA pour les autres opeacuterations parce que le service est parfois moins oneacutereux Il est inteacuteressant de noter que les principales raisons avanceacutees pour sous-traiter ces opeacuterations de culture ne renvoient pas neacutecessairement agrave un deacuteficit de main-drsquoœuvre mais drsquoabord agrave des choix drsquoinvestissement et drsquoorganisation du travail sur lrsquoexploitation (encadreacute 1) Parallegravelement la compeacutetence technique (et non le prix) constitue le principal critegravere de choix des ETA (encadreacute 1) Du cocircteacute des exploitants commanditaires le recours agrave une ETA fait donc partie de strateacutegies de reacuteorganisation de leur activiteacute productive Ils sous-traitent non seulement des tacircches annexes mais eacutegalement certaines tacircches symboliques comme le semis pour se recentrer sur ce qursquoils considegraverent ecirctre leur cœur de meacutetier et leur apport strateacutegique pour le maintien de leur exploitation Cela concerne les eacuteleveurs qui deacutelegraveguent les tacircches lieacutees aux cultures pour se concentrer sur lrsquoeacutelevage mais aussi des agriculteurs en grandes cultures qui choisissent de se speacutecialiser sur certaines tacircches (surveillance des cultures et leur commercialisation) et de sous-traiter le reste Par ailleurs la lecture croiseacutee des reacutesultats du sondage et celle des entretiens reacutealiseacutes nous conduisent agrave eacutemettre lrsquohypothegravese drsquoun recours accru agrave la deacuteleacutegation pour la mise en œuvre de pratiques neacutecessitant des moyens techniques ou technologiques particuliers

Agrave la diffeacuterence drsquoautres pays europeacuteens (Angleterre Allemagne ou Espagne) la sous-traitance des travaux drsquoeacutelevage apparaicirct en France moins deacuteveloppeacutee que dans le secteur des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 53

Encadreacute 1 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations de culture par des ETA dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions veacutegeacutetales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production veacutegeacutetale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 075)

Q2 - Les raisons de la sous-traitanceQ1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q1 - Types drsquoopeacuterations sous-traiteacuteesQ1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

54 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Encadreacute 2 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations drsquoeacutelevage dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions animales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production animale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 017)

Q1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Q1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q2 - Les raisons de la sous-traitance traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Q1 - Types drsquoopeacuteration sous-traiteacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 55

Encadreacute 3 - Exemple de sous-traitance drsquoopeacuterations drsquoeacutelevage le cas de la filiegravere ovine

La Servoise1 est une socieacuteteacute de prestation de services en eacutelevage situeacutee dans le quart nord-est de la France Socieacuteteacute par actions simplifieacutee (SAS) elle rassemble agrave parts eacutegales ses fondateurs et la coopeacuterative Boviconcept speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutechographie et lrsquoinseacutemination de ruminants Ils partagent un portefeuille de clients tous eacuteleveurs de petits ruminants (ovins et caprins) et mutualisent des bureaux

Fondeacutee dans un premier temps autour de lrsquoeacutechographie et de lrsquoinseacutemination des petits ruminants la gamme des services de la Servoise srsquoest eacutetendue agrave des prestations telles la tonte le parage des onglons lrsquoaide agrave lrsquoagnelage ou encore la manipulation de troupeaux Si la tonte est une activiteacute traditionnellement deacuteleacutegueacutee les trois autres ne le sont geacuteneacuteralement pas Pour les geacuterants de cette socieacuteteacute le deacuteploiement de cette nouvelle offre de services reacutepond agrave une eacutevolution structurelle des eacutelevages En effet lrsquoeffectif des troupes ovines ne cesse de croicirctre alors que dans le mecircme temps le collectif de travail se reacutetracte du fait de la disparition massive des aides familiaux non-salarieacutes (- 137 690 depuis 2000 drsquoapregraves le RA 2010 et ESEA 2016) Lrsquoagnelage comme le parage des onglons correspondaient agrave des pics de travail saisonniers qui eacutetaient jusque-lagrave absorbeacutes par lrsquoensemble du collectif de travail familial

Le fonctionnement de la Servoise se caracteacuterise par lrsquoeacutetendue de sa zone drsquointervention et par la techniciteacute de ses salarieacutes Son activiteacute se deacuteploie sur un rayon de 200 km autour de son siegravege social pour les services en eacutelevage et srsquoeacutetend jusqursquoen Bulgarie pour les eacutechographies ou les inseacuteminations La zone drsquointervention de la Servoise ne correspond pas agrave un bassin de production deacutetermineacute par une filiegravere Elle srsquoest constitueacutee au greacute des eacutevolutions du portefeuille de clients La techniciteacute des salarieacutes est aussi une caracteacuteristique mise en avant pour justifier du modegravele eacuteconomique de la Servoise Speacutecialiseacutes sur certaines activiteacutes beacuteneacuteficiant de lrsquoeacutequipement idoine ses salarieacutes ont dans leurs champs drsquointervention respectifs un rendement plus eacuteleveacute que celui des eacuteleveurs Lagrave ougrave les activiteacutes se chevauchaient sur une mecircme peacuteriode le recours agrave la sous-traitance permet aux eacuteleveurs drsquooptimiser le calendrier de travail et de rationaliser la reacutepartition des tacircches en se gardant celles qursquoils maicirctrisent le mieux et en externalisant les autres

A contrario de ce qui peut ecirctre observeacute en grandes cultures les activiteacutes deacuteleacutegueacutees agrave la Servoise ne le sont jamais dans leur inteacutegraliteacute les eacuteleveurs ont toujours la maicirctrise technique et la gestion de lrsquoagnelage et du parage des onglons Ainsi le recours agrave la Servoise est drsquoabord motiveacute par la diminution de lrsquointensiteacute de certains pics de travail Pour lrsquoagnelage activiteacute centrale en eacutelevage ovin la deacuteleacutegation nrsquoa rien drsquoeacutevident Les eacuteleveurs ayant fait appel agrave cette entreprise pour ce service lrsquoont fait suite agrave un laquo coup dur raquo un eacuteveacutenement les mettant dans lrsquoimpossibiliteacute de faire face agrave la charge de travail Le caractegravere ponctuel des interventions de la Servoise au sein des eacutelevages se traduit dans leur offre de prestations qui se deacutecline en forfait journeacutee ou en heures factureacutees

Le recours agrave la Servoise offre aux eacuteleveurs la possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave des informations concernant les pratiques drsquoeacutelevage Certains drsquoentre eux ont modifieacute leurs proceacutedeacutes de contention ou ont revu leurs meacutethodes drsquoagnelage agrave la suite drsquoun passage de la Servoise Ainsi dans une zone (le Nord-Est de la France) qui se caracteacuterise par une faible densiteacute drsquoeacutelevages et par un eacuteloignement important entre les exploitations ovines la Servoise srsquoapparente agrave une interface diffusant de lrsquoinformation et mettant en reacuteseau des exploitations disperseacutees

1 Tous les noms drsquoentreprise ont eacuteteacute modifieacutes Source Jeacuteremy Andreacute 2019 Caracteacuterisation des innovations organisationnelles collectives et des transformations du travail dans les eacutelevages ovins franccedilais meacutemoire de master projet CASDAR intituleacute laquo Ameacuteliorer les conditions de travail en eacutelevage ovin un enjeu drsquoattractiviteacute et de dynamisation de la filiegravere (AmTravrsquoOvin)

56 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

productions veacutegeacutetales Les derniegraveres donneacutees publieacutees par lrsquoInsee agrave ce sujet montrent qursquoen 2005 les agriculteurs franccedilais nrsquoont deacutepenseacute en travaux et services agrave lrsquoeacutelevage que 07 milliard drsquoeuros contre 18 milliard drsquoeuros pour les deacutepenses lieacutees aux cultures Cependant le recours agrave la sous-traitance en eacutelevage augmente bien plus rapidement (+ 23 des deacutepenses entre 1995 et 2005) qursquoen productions veacutegeacutetales (+8 sur la mecircme peacuteriode) La mecircme tendance semble srsquoobserver dans le grand Sud-Ouest puisque seulement 23 des sondeacutes de notre eacutetude ont deacuteleacutegueacute au moins une opeacuteration drsquoeacutelevage (dont seulement 2 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 3) contre 83 pour les opeacuterations de culture (dont 12 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 2) Selon les donneacutees drsquoInfogreffe le nombre de prestataires de services en soutien aux productions animales ne repreacutesente que 10 de lrsquoensemble des prestataires Agrave la diffeacuterence des cultures les opeacuterations sous-traiteacutees en eacutelevage preacutesentent une grande diversiteacute selon le type de filiegravere (encadreacute 2) Cette pluraliteacute drsquoactiviteacutes susceptibles drsquoecirctre deacuteleacutegueacutees a pu conduire agrave une speacutecialisation des entreprises prestataires de services intervenant dans les filiegraveres drsquoeacutelevage Srsquoil est commun pour un eacuteleveur de deacuteleacuteguer des tacircches requeacuterant des compeacutetences speacutecifiques (inseacuteminations artificielles ou autres en lien avec lrsquoentretien des bacirctiments et les petits soins) afin de faciliter lrsquoorganisation du travail le choix de sous-traiter des tacircches intrinsegravequement lieacutees agrave lrsquoidentiteacute mecircme drsquoeacuteleveur (suivi du troupeau surveillance de lrsquoagnelage) semble plus rare et reacutecent Toutefois comme en attestent les travaux reacutealiseacutes par notre eacutequipe dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin (encadreacute 3) certains eacuteleveurs y ont recours depuis peu pour reacuteduire lrsquointensiteacute de certains pics de travail ou pallier un manque ponctuel de main-drsquoœuvre Les enquecirctes aupregraves drsquoeacuteleveurs suggegraverent que cette pratique pourrait se deacutevelopper dans le futur en cas de non-renouvellement des deacuteparts agrave la retraite Elle teacutemoignerait alors drsquoun changement important dans la conduite de certains troupeaux (Andreacute 2019) Ces reacutesultats illustrent un mouvement drsquoexternalisation drsquoactiviteacutes qui se geacuteneacuteralise mecircme si comme dans lrsquoindustrie il se deacutecline selon des registres diffeacuterents drsquoune filiegravere agrave lrsquoautre (Mariotti 2005)

Drsquoapregraves les enquecirctes reacutealiseacutees il semble que le contexte actuel est particuliegraverement favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance des travaux agricoles Les incitations des politiques publiques pour une agriculture agrave bas intrants le durcissement des normes environnementales les preacuteoccupations des agriculteurs pour lrsquoenvironnement et leur santeacute la multiplication des controverses et des conflits de voisinage en relation avec les travaux drsquoeacutepandage et de traitement phytosanitaire mais aussi les opportuniteacutes de marcheacute offertes par le deacuteveloppement des deacutemarches de qualiteacute officielles (agriculture biologique) comme priveacutees (cahier des charges collectif laquo Zeacutero reacutesidu de pesticides raquo par exemple) constituent autant de facteurs qui poussent aujourdrsquohui de plus en plus drsquoagriculteurs agrave deacuteleacuteguer des opeacuterations qui requiegraverent un mateacuteriel une qualification ou une techniciteacute speacutecifiques Crsquoest notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole Une concomitance srsquoobserve alors entre la monteacutee des preacuteoccupations environnementales et le deacuteveloppement de lrsquoexternalisation de tacircches comme le traitement phytosanitaire par des exploitations familiales qui ne trouvent pas toujours en leur sein les compeacutetences pour mettre en œuvre les pratiques adapteacutees Agrave lrsquoinstar de certains travaux reacutealiseacutes dans le secteur industriel on constate que certaines pratiques de sous-traitance en agriculture se singularisent par une mobilisation de ressources pouvant ecirctre tregraves speacutecifiques et neacutecessitant des investissements financiers (achat de mateacuteriels plus puissants avec des technologies performantes entretien reacuteparation assurance etc) et en temps de travail importants (formation pour lrsquoacquisition de nouvelles compeacutetences conduite des chantiers etc) Agrave lrsquoinverse de ce que lrsquoon pouvait observer dans les anneacutees 1960-90 beaucoup drsquoagriculteurs ne sont aujourdrsquohui plus precircts agrave assumer de tels investissements en raison notamment des fortes fluctuations du revenu agricole ces deux derniegraveres deacutecennies mais eacutegalement au regard des incertitudes croissantes pesant sur le renouvellement des geacuteneacuterations Ceux-ci raisonnent de plus en plus en coucircts drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement Agrave travers la sous-traitance drsquoautres par prudence vont vouloir tester un nouvel eacutequipement de preacutecision coucircteux et beacuteneacuteficier des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 57

conseils techniques du prestataire de service avant drsquoen faire lrsquoacquisition La deacutecision de faire-faire plutocirct que de faire soi-mecircme ou de faire-avec est devenue une composante agrave part entiegravere de la strateacutegie globale de lrsquoexploitation dans laquelle la deacuteleacutegation reacutepond agrave des objectifs non seulement drsquoexternalisation des coucircts et de gestion de la main-drsquoœuvre mais eacutegalement de recherche de ressources externes speacutecifiques et de gestion des risques (Nguyen et al 2019) La relation de sous-traitance peut srsquoinscrire dans le temps long lorsque lrsquoagriculteur juge le coucirct drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement trop eacuteleveacute et lrsquoopeacuteration ininteacuteressante comme elle peut nrsquoecirctre que temporaire sur une ou quelques campagnes le temps pour lrsquoagriculteur de tester une pratique nouvelle

Agrave cocircteacute de la prise en charge des opeacuterations techniques les exploitations ont aussi de plus en plus recours agrave la sous-traitance pour des tacircches administratives notamment en matiegravere de deacuteclaration PAC (29 des reacutepondants au sondage) et de deacuteclaration fiscale (26 ) On observe eacutegalement que la deacuteleacutegation concerne les fonctions de conseil puisque pregraves de 39 des sondeacutes deacuteclarent faire appel agrave des prestataires de services pour du conseil agronomique juridique et patrimonial ou encore pour les aider agrave reacutefleacutechir sur les assolements et les itineacuteraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportuniteacutes de marcheacute Comme le suggegraverent les enquecirctes approfondies aupregraves des agriculteurs la dimension laquo conseil raquo de la sous-traitance constitue une reacuteelle nouveauteacute Elle concerne notamment les ETA dont la mission eacutetait jusqursquoagrave preacutesent principalement centreacutee sur la conduite des travaux selon un cahier des charges eacutetabli par le chef drsquoexploitation seul ou avec lrsquoETA La monteacutee en compeacutetences des ETA et la speacutecialisation de certaines drsquoentre elles sur quelques opeacuterations speacutecifiques associeacutees agrave lrsquoagriculture de preacutecision et agrave bas niveau drsquointrants ont favoriseacute le deacuteveloppement de nouvelles relations de sous-traitance et de production deacuteleacutegueacutee Ce conseil qui porte sur des aspects agrave la fois techniques et strateacutegiques joue un rocircle crucial dans la construction drsquoune relation durable entre lrsquoexploitant et le prestataire de services conduisant dans un certain nombre de cas agrave un glissement progressif vers des formes de deacuteleacutegation inteacutegrale discuteacutees ci-apregraves En effet nous avons pu constater que la propension agrave deacuteleacuteguer un nombre croissant de tacircches augmente lorsque lrsquoexploitation est diversifieacutee et situeacutee agrave proximiteacute drsquoune ETA mais eacutegalement lorsque lrsquoagriculteur projette de confier dans le futur la gestion inteacutegrale de son exploitation agrave un tiers (tableau 1) Enfin comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-dessous le scheacutema de sous-traitance agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation revecirct aujourdrsquohui une certaine complexiteacute en raison de la multipliciteacute agrave la fois des relations de sous-traitance et des motivations de lrsquoagriculteur pour externaliser certaines tacircches

laquo Je fais appel agrave beaucoup de prestataires pour mes cultures pour gagner en temps parce que jrsquoai un atelier poulet Label rouge agrave cocircteacute en contrat avec la coopeacuterative et que je ne suis qursquoagrave mi-temps sur mon exploitation Et puis crsquoest pour aussi tester des pratiques parce que jrsquoessaie de passer agrave une agriculture de conservation Par exemple depuis trois ans je fais beaucoup de rotations et pour le semis je teste le semis-direct avec une ETA eacutequipeacutee en semoir direct et crsquoest aussi un ami avec qui jrsquoeacutechange beaucoup On teste des eacutecartements des semis plus ou moins denses Et puis pour lrsquoeacutepandage drsquoazote et la reacutecolte je fais appel agrave drsquoautres prestataires raquo (Agriculteur en polyculture-polyeacutelevage Pyreacuteneacutees-Atlantiques juin 2018)

32 Le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale de la gestion drsquoun patrimoine agrave la recherche de la performance globale de lrsquoexploitation

Lrsquoautre eacutevolution majeure des pratiques de sous-traitance est le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale dont les premiegraveres manifestations ont eacuteteacute releveacutees par Harff et Lamarche (1998) au deacutebut des anneacutees 1990 dans une reacutegion de grandes cultures comme la Beauce Cette forme de deacuteleacutegation concerne lrsquoensemble des opeacuterations techniques

58 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 1 - Deacuteterminants de la propension agrave sous-traiter de multiples opeacuterations de culture Modegravele de Poisson avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Nombre drsquoopeacuterations de culture sous-traiteacutees

Caracteacuteristiques de lrsquoagriculteur et de lrsquoexploitation

Age - 0003 (0002)Agriculteur agrave titre secondaire - 0047 (0035)Part du foncier en proprieacuteteacute - 0018 (0106)Seul sur lrsquoexploitation - 0008 (0038)Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 0188 (0085)Surface en grandes cultures - 0067 (0045)Surface en arboriculture - 0008 (0038)Surface en maraicircchage - 0007 (0031)Surface en vigne - 0023 (0032)Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) - 0013 (0028)Surface en cultures fourragegraveres 0041 (0033)Taille du troupeau bovin lait - 0029 (0035)Taille du troupeau bovin viande 0030 (0028)Taille du troupeau ovin 0112 (0125)Taille de lrsquoeacutelevage de volaille - 0001 (0028)Taille du troupeau caprin - 0147 (0174)Accegraves aux ETANombre drsquoETA dans un rayon de 1 km 0086 (0031)Nombre drsquoETA dans un rayon de 25 km - 0034 (0040)Nombre de CUMA dans un rayon de 1 km - 0066 (0045)Nombre de CUMA dans un rayon de 25 km 0020 (0048)

Projet drsquoentreprise et perceptions du marcheacute actuel de la sous-traitance

Projet drsquooptimisation du travail 0087 (0069)Projet de diversification des activiteacutes de production 0009 (0075)Projet drsquoactiviteacutes agritouristiques 0121 (0102)Projet drsquoaugmentation de la taille de lrsquoexploitation - 0029 (0084)Projet de maintien de la taille de lrsquoexploitation 0079 (0071)Projet de deacuteleacutegation de lrsquoexploitation agrave un tiers 0307 (0125)Pense qursquoil manque une coordination des ETA 0031 (0096)Pense que trop drsquoETA sont en concurrence - 0282 (0136)Pense que la demande est forte et qursquoil nrsquoy a pas assez drsquoETA 0281 (0101)Pense que les besoins sont diversifieacutes et que les ETA nrsquoarrivent pas agrave satisfaire certains drsquoentre eux 0123 (0091)

Constante 0401 (0141)Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

625- 8987301 857461

plt01 plt005 plt0001

Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

drsquoun ou de plusieurs ateliers de production et est nommeacutee dans le milieu professionnel laquo de A agrave Z raquo ou laquo chantier complet raquo Il convient de distinguer cette laquo deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles raquo qui concerne drsquoailleurs principalement les opeacuterations sur les systegravemes de cultures de la laquo deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole raquo qui consiste agrave confier agrave un tiers non seulement la reacutealisation de tous les travaux sur lrsquoexploitation mais eacutegalement la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoentreprise (deacutecisions drsquoassolement et drsquoitineacuteraires techniques conduite de lrsquoeacutelevage commercialisation management des eacutequipes sur les chantiers gestion comptable et deacuteclarations PAC) Cette derniegravere variante de la deacuteleacutegation inteacutegrale correspond agrave la forme la plus aboutie et la plus ineacutedite de sous-traitance car elle conduit agrave une seacuteparation totale entre les droits de proprieacuteteacute et la gestion opeacuterationnelle de lrsquoentreprise Le proprieacutetaire peut encore garder dans une certaine mesure le controcircle sur des deacutecisions strateacutegiques mais toutes les deacutecisions opeacuterationnelles sont geacuteneacuteralement transfeacutereacutees agrave un tiers connu sous le nom de laquo chef de culture raquo ou encore

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 59

laquo land manager raquo (cf section 42) Ce dernier peut ecirctre assimileacute agrave la figure du geacuterant drsquoexploitation Mais agrave la diffeacuterence de la geacuterance les arrangements mis en place dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation nrsquoimpliquent pas une embauche formelle Mateacuterialiseacutee souvent par un contrat de prestation classique annualiseacute et reconduit tacitement drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre cette relation de sous-traitance singuliegravere se caracteacuterise ainsi par sa grande flexibiliteacute

Mecircme si elle ne concernait alors que la reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees il faut attendre 2010 pour qursquoune question sur la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture soit inteacutegreacutee au questionnaire du recensement geacuteneacuteral agricole Les reacuteponses agrave cette question ont permis agrave notre eacutequipe par extrapolation des donneacutees agrave lrsquoensemble de la France drsquoestimer que 123 des exploitations en grandes cultures eacutetaient concerneacutees par cette pratique Dans le cadre de lrsquoenquecircte structures 2016 cette question a eacuteteacute eacutetendue agrave lrsquoensemble des exploitations franccedilaises Il a eacuteteacute ainsi possible drsquoobtenir une estimation plus preacutecise et de confirmer lrsquoampleur du pheacutenomegravene observeacutee en 2010 Ainsi en 2016 71 des exploitations toutes productions confondues ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euro ont deacuteclareacute avoir deacuteleacutegueacute inteacutegralement les travaux de cultures (Forget et al 2019 p39) Les exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale sont en 2010 comme en 2016 principalement localiseacutees selon un arc SudOuestNord-Est dans les reacutegions Midi-Pyreacuteneacutees Aquitaine Poitou-Charentes Centre Bretagne Basse Normandie et Champagne-Ardenne avec des taux de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures pouvant atteindre 18 (figures 3 et 4) En 2016 ce pheacutenomegravene mecircme srsquoil concerne plus particuliegraverement les exploitations en grandes cultures (125 ) est eacutegalement preacutesent dans les exploitations ayant drsquoautres orientations technico-eacuteconomiques et notamment les exploitations en bovin-lait (61 ) en bovin-viande (54 ) avec des herbivores ou granivores (54 ) et les exploitations de polyculture-polyeacutelevage (61 ) et lagrave eacutegalement plutocirct de moyenne et grande tailles (tableau 2)

Concernant plus preacuteciseacutement les exploitations en grandes cultures pour lesquelles un exercice de comparaison est possible en appliquant aux donneacutees de 2016 la mecircme meacutethode de calcul que pour les donneacutees de 2010 il apparaicirct qursquoentre 2010 et 2016 le nombre drsquoexploitations en grandes cultures en deacuteleacutegation inteacutegrale a progresseacute de 27 (tableau 3) Les calculs montrent surtout qursquoau cours de cette peacuteriode il y a eu un report du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites exploitations (- 212 ) vers les moyennes et grandes exploitations en grandes cultures (+ 276 ) En 2016 ce sont donc 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concerneacutees par la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo Les premiegraveres sont majoritairement des exploitations individuelles (479 ) mais eacutegalement sous statut de socieacuteteacute civile (271 ) et avec des chefs drsquoexploitation deacuteclarant travailler moins drsquoun quart-temps sur lrsquoexploitation (528 ) Les petites exploitations concerneacutees sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (919 ) avec lagrave encore un exploitant travaillant moins drsquoun quart-temps (742 ) Il est enfin inteacuteressant de noter lrsquoaugmentation de 5 points du nombre drsquoexploitations moyennes et grandes sous statut de socieacuteteacute civile entre 2010 et 2016

Les enquecirctes approfondies reacutealiseacutees aupregraves des exploitants et des ETA permettent de formuler une hypothegravese pour expliquer le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale Il ressort en effet que la deacuteleacutegation inteacutegrale sur les petites exploitations est un pheacutenomegravene plus ancien relevant drsquoindividus non-exploitants devenus proprieacutetaires de structures de petite taille agrave la suite drsquoheacuteritages successifs La conduite des cultures de ces petites structures est geacuteneacuteralement prise en charge par des agriculteurs-exploitants du voisinage qui ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation pour amortir leur mateacuteriel et acceptent de laquo rendre service raquo aux voisins laquo absents raquo La deacuteleacutegation au sein des moyennes et grandes exploitations serait quant agrave elle plus reacutecente et due aux difficulteacutes de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitaliseacutees Ces difficulteacutes se

60 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type socieacuteteacute civile ougrave lrsquoabsence drsquoentente entre associeacutes ne permet pas la geacuterance par un membre de la famille et conduit souvent agrave deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation agrave autrui La deacutegradation du taux de renouvellement des geacuteneacuterations associeacutee agrave la concentration des structures serait donc dans la peacuteriode reacutecente le principal moteur du glissement observeacute du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites vers des moyennes et grandes exploitations

Le choix de deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation plutocirct que de la donner en fermage est significatif de la distinction entre capital productif et patrimoine familial Mecircme si le statut du fermage autorise la reprise des terres par le proprieacutetaire en vue de les exploiter lui-mecircme (ou un membre de sa famille) il est jugeacute contraignant par les proprieacutetaires qui redoutent de perdre la maicirctrise de leur foncier laquo progressivement renforceacute depuis son instauration dans un sens favorable aux droits du fermier le reacutegime du bail rural permet agrave lrsquoexploitant locataire de disposer de droits drsquousage eacutetendus sur les terres qursquoil a en jouissance agrave tel point que sa condition a parfois eacuteteacute compareacutee agrave celle drsquoun quasi-proprieacutetaire raquo (Melot 2012) Le fait que certains fassent le choix de garder le statut drsquoexploitant tout en en deacuteleacutegant la gestion de la structure montre que dans certains cas le projet patrimonial lrsquoemporte sur la construction drsquoun projet eacuteconomique Ce nrsquoest alors plus la famille qui est mobiliseacutee au service de lrsquoexploitation mais lrsquoexploitation qui est mobiliseacutee au service de la famille

Figure 3 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2010 pour les exploitations en grandes cultures ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euroEn nombre drsquoexploitations En surface de ceacutereacuteales oleacuteagineux et proteacuteagineux

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs avec les donneacutees du RA 2010

Cette configuration permet de maintenir la valeur du foncier celle-ci eacutetant moindre lorsque les terres sont en fermage comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-apregraves

laquo Qursquoest-ce que vous feriez si vous eacutetiez trois agrave la tecircte drsquoune exploitation de 100 hectares Qursquoagrave force de pleurer dans votre foyer vous avez deacutefinitivement motiveacute aucun de vos enfants pour reprendre qursquoagrave force de dire que crsquoest un meacutetier qui gagne rien tout le monde finit par ecirctre convaincu Et que en mecircme temps agrave 59 ans la retraite agrave laquelle vous pouvez preacutetendre est franchement extrecircmement mince Il y a une partie de la population qui

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 61

Figure 4 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2016 pour lrsquoensemble des exploitations

Source cartes reacutealiseacutees par le CEP avec les donneacutees de lrsquoESEA 2016 in Forget V et al (2019) page 40

se dit lsquorsquosi jrsquoavais un prestataire de services qui tient la route ccedila me permettrait quand on calcule bien dans certains cas de figures et surtout si le gars tient la route financiegraverement et moralement je gagnerais mecircme plus que dans ma peacuteriode drsquoactiviteacute sans rien fairersquorsquo Crsquoest une manne financiegraverehellip agrave vie Vous donnez la proprieacuteteacute de vos parts mais vous gardez lrsquousufruit et vous faites faire agrave un prestataire de services Et lrsquoexploitation elle reste dans la famille chacun prend un tiers il y a pas de difficulteacute de partage Point termineacute raquo

(Prestataire de services parlant du cas drsquoun de ses clients Champagne-Ardenne feacutevrier 2013)

En parallegravele de lrsquoessor de la deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquooffre de sous-traitance se deacuteveloppe (figure 2) avec la creacuteation de nouvelles ETA leur agrandissement et la professionnalisation des plus anciennes permettant la prise en charge drsquoune surface plus importante Et parmi ces derniegraveres les plus grandes vont chercher agrave contractualiser avec les plus grandes exploitations pour reacutealiser des eacuteconomies drsquoeacutechelle

Gracircce agrave des questions portant speacutecifiquement sur la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole le sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest apporte un eacuteclairage compleacutementaire aux statistiques nationales qui sont limiteacutees agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures Dans cette reacutegion le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux concerne ainsi en 2018 54 de la population totale des reacutepondants soit 58 exploitations toutes productions confondues sur 1 075 Ce sont principalement des exploitations en grandes cultures (64 de la population en question) appartenant agrave des exploitants plutocirct pluriactifs acircgeacutes entre 35 et 55 ans Les principales raisons avanceacutees par les agriculteurs enquecircteacutes pour justifier le recours agrave cette forme aboutie de sous-traitance sont par ordre deacutecroissant drsquoimportance lrsquoabsence de mateacuteriel suite agrave un choix de non-investissement la pluriactiviteacute la possibiliteacute de simplifier lrsquoorganisation du travail lrsquoabsence de compeacutetences techniques Les entretiens approfondis reacutevegravelent eacutegalement drsquoautres motifs comme lrsquoeacuteloignement de lrsquoexploitation (ou drsquoun site de production lorsque lrsquoexploitation est eacuteclateacutee en plusieurs sites) ou encore des sorties preacutecoces du meacutetier Toujours selon cette enquecircte les agriculteurs en deacuteleacutegation inteacutegrale ont geacuteneacuteralement lrsquohabitude de sous-traiter des travaux agrave un prestataire avec lequel ils ont bacircti une relation privileacutegieacutee qui va au-delagrave drsquoune simple relation de donneur drsquoordres

62 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tabl

eau

2 - I

mpo

rtan

ce d

e la

deacutel

eacutegat

ion

inteacute

gral

e de

s tr

avau

x de

cul

ture

en

Fran

ce (e

n ef

fect

if et

en

pour

cent

age)

Effe

ctifs

et t

aux

des

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

inteacute

gral

emen

t les

trav

aux

de c

ultu

re p

ar o

rien

tatio

n te

chni

co-eacute

cono

miq

ue (O

tex)

- D

onneacute

es E

nquecirc

te

stru

ctur

e 20

16

Exp

loit

en

gran

des

cultu

res

(Ote

x 15

16)

Expl

oit

en

mar

aicircch

age

et

hort

icul

ture

(O

tex

2829

)

Exp

loit

en

vitic

ultu

re

(Ote

x 35

00)

Exp

loit

en

cultu

res

frui

tiegravere

s et

au

tres

cul

ture

s pe

rman

ente

s (O

tex

3900

)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

lait

(Ote

x 45

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

eacutelev

age

et

vian

de

(Ote

x 46

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

la

it eacute

leva

ge e

t vi

ande

com

bineacute

s (O

tex

4700

)

Exp

loit

ave

c ov

ins

cap

rins

et

aut

res

herb

ivor

es

(Ote

x 48

00)

Exp

loit

en

gran

ivor

es

(Ote

x 50

74)

Exp

loit

de

poly

cultu

re e

t po

lyeacutel

evag

e (O

tex

6184

)

Lrsquoens

embl

e de

s tra

vaux

sur

le

s cu

lture

s es

t-il

confi

eacute agrave

un

pres

tata

ire e

xteacuter

ieur

NO

N

Pet

ites

13 8

833

052

12 9

793

792

870

12 3

6944

214

739

1 32

66

493

Moy

enne

s et

gr

ande

s73

358

1093

144

469

5 96

937

715

30 3

356

006

14 4

3718

045

34 2

76

OU

IP

etite

s4

730

770

316

718

176

40

596

91

031

Moy

enne

s et

gr

ande

s7

783

197

2 11

819

22

364

1 76

219

91

103

1 11

31

606

Pas

de

reacutepo

nse

Pet

ites

350

220

1581

411

036

01

2

Moy

enne

s et

gr

ande

s63

198

4771

685

191

487

174

91

Effe

ctif

tota

l par

Ote

x99

851

14 2

0760

298

10 1

6741

861

46 8

956

848

31 7

2120

668

43 4

99

d

rsquoexp

loit

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute s

ur lrsquo

effe

ctif

tota

l12

51

44

73

56

15

42

95

45

46

1

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute62

296

575

153

492

969

810

00

649

992

609

d

e pe

tites

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

Tota

l des

pet

ites

expl

oita

tions

254

02

51

42

170

55

00

38

07

137

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

moy

enne

s et

gra

ndes

exp

loita

tions

96

18

45

31

58

53

32

69

58

45

Sou

rce

Tab

leau

reacuteal

iseacute

par l

es a

uteu

rs agrave

par

tir d

es d

onneacute

es d

e lrsquoe

nquecirc

te s

truct

ure

2016

ave

c lrsquoa

ppui

de

Joseacute

Ram

anan

tsoa

(Cen

tre d

rsquoeacutetu

des

et d

e pr

ospe

ctiv

e)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 63

Tableau 3 - Nombre et caracteacuteristiques des exploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures et avec un PBS ge 5 000 euro en deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2010 et 2016

2010 2016

PetitesMoyennes et

grandesTotal en deacuteleacutegation

inteacutegralePetites

Moyennes et grandes

Total en deacuteleacutegation inteacutegrale

Valeur absolue

Nombre drsquoexploit 4 471 4 281 8 752 3 524 5 462 8 986

PBS (millier euro) 55 107 318 103 373 210 41 590 557 463 599 053

SAU (hectares) 84 919 387 264 472 183 49 289 523 986 573 275

SCOP (hectares) 63 029 330 306 4 722 183 3 846 440 725 476 571

UTA 1 526 3 405 4 931 1 095 3 116 4 211

par rapport agrave la cateacutegorie concerneacutee

Exploitation 228 83 222 89

PBS 212 58 196 67

SAU 212 61 182 70

SCOP 218 61 197 70

UTA 146 52 128 42

des exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale 511 489 392 608

des exploitations en grandes cultures en France

Exploitation 123 116

PBS 65 70

SAU 70 74

SCOP 69 74

UTA 65 51

Source tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees RA 2010 et des donneacutees de lrsquoenquecircte structure 2016 avec lrsquoappui respectivement drsquoO Pauly (INRA-Agir) et de J Ramanantsoa (Centre drsquoeacutetudes et de prospective)

Note afin de comparer les chiffres entre les deux anneacutees les calculs ont eacuteteacute reacutealiseacutes en appliquant aux chiffres de 2016 la meacutethode drsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquopar abandonraquo utiliseacutee pour 2010

Figure 5 - Critegraveres de choix des ETA

Source figure reacutealiseacutee par les auteurs agrave partie des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Reacutesultats agrave la question du sondage OTEXA laquo Pour les activiteacutes sous-traiteacutees au sein de votre exploitation quels sont pour vous les trois critegraveres les plus importants dans le choix drsquoune ETA ou drsquoun prestataire de ce type raquo (N = nombre drsquoagriculteurs par type de sous-traitance)

64 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

et drsquoexeacutecutant Comme indiqueacute dans la figure 5 la confiance et la proximiteacute geacuteographique constituent les deux principaux critegraveres de choix drsquoune ETA pour une deacuteleacutegation inteacutegrale alors que pour la sous-traitance drsquoune ou de plusieurs tacircches lrsquoagriculteur va choisir lrsquoETA au regard de sa compeacutetence technique et de son efficaciteacute De la mecircme maniegravere lrsquoexistence drsquoun projet de deacuteleacutegation inteacutegrale a un effet positif sur la propension agrave sous-traiter un nombre plus important drsquoopeacuterations culturales drsquoougrave la progressiviteacute du passage drsquoune sous-traitance partielle agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale (tableau 1)

Ainsi sur la base de lrsquoensemble des enquecirctes (par sondage et par entretiens approfondis) il est possible drsquoeacutetablir quatre grands profils drsquoentreprises agricoles et drsquoagriculteurs ayant recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

- Des exploitations en grandes cultures avec des chefs drsquoexploitation agrave la retraite sans repreneurs qui preacutefegraverent deacuteleacuteguer inteacutegralement la gestion de leur exploitation agrave un tiers dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise Cette forme aboutie de deacuteleacutegation inteacutegrale est freacutequente dans les reacutegions de grandes cultures et notamment celles caracteacuteriseacutees par une faible preacutesence du fermage et de la coopeacuteration (CUMA groupements drsquoemployeurs) ainsi que par des problegravemes de transmission Lrsquoimportance de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour les exploitations en grandes cultures quelle que soit leur taille conduit agrave penser que cette logique serait la plus reacutepandue

- Des exploitations speacutecialiseacutees drsquoeacutelevage (bovin-lait) ou des exploitations avec une dominante viticulture avec des chefs drsquoexploitation qui cherchent agrave augmenter la performance globale de leur exploitation en se recentrant sur leur cœur de meacutetier et deacuteleacuteguant tous les travaux des cultures consideacutereacutees comme secondaires La carte de la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures reacutealiseacutee avec les donneacutees du recensement suggeacuterait deacutejagrave en 2010 (figure 3) lrsquoimportance de cette logique de laquo deacuteleacutegation inteacutegrale par recentrage raquo dans les reacutegions comme la Bretagne et la Normandie Celle eacutetablie avec les donneacutees de lrsquoenquecircte Structures 2016 confirme cette tendance (figure 4)

- Des petites exploitations dont le chef a heacuteriteacute de ses parents Ce dernier a ou non le statut laquo pluriactif raquo mais il ne souhaite pas dans tous les cas srsquoinvestir dans lrsquoactiviteacute agricole en raison de la taille de son exploitation des incertitudes pesant sur le revenu agricole ou encore du manque drsquoattrait pour le meacutetier

- Des petites exploitations en polyculture-polyeacutelevage notamment celles avec un atelier bovin-lait avec des chefs drsquoexploitation encore jeunes mais qui envisagent une sortie preacutecoce du meacutetier et pour cela commencent agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement les travaux de culture avant laquo drsquoen finir raquo avec les autres ateliers

4 De nouvelles formes drsquoorganisation de la sous-traitance

Agrave lrsquoinstar de ce que lrsquoon observe dans certains pays europeacuteens des dispositifs complexes de sous-traitance ont reacutecemment fait leur apparition en France Ils sont porteacutes tout agrave la fois par des entreprises de travaux des socieacuteteacutes de gestion voire des organisations professionnelles agricoles qui proposent une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation en passant par la mise en place de mesures agro-environnementales ou la fourniture de services juridiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 65

41 Pour reacutepondre aux nouvelles demandes des acteurs traditionnels srsquoadaptent et eacutevoluent

Tout au long de la modernisation drsquoapregraves-guerre la principale strateacutegie des chefs drsquoexploitation a eacuteteacute drsquoaccroicirctre la productiviteacute de leur travail par la speacutecialisation lrsquoagrandissement et la substitution du capital au travail (Gambino et al 2012) Malgreacute la remise en question de cette strateacutegie depuis les anneacutees 1980 lrsquoeacutevolution des investissements en mateacuteriel agricole continue sa progression de maniegravere concomitante agrave la concentration productive des exploitations (Lerbourg et Dedieu 2016) Ce pheacutenomegravene a des implications importantes sur lrsquoorganisation des chantiers agricoles puisque pour amortir un mateacuteriel toujours plus puissant mais aussi plus speacutecifique plus sophistiqueacute et donc plus coucircteux certains agriculteurs ont fait le choix de deacutevelopper des CUMA (Jeanneaux et Blasquier-Revol 2015 FNCUMA 2017) tandis que drsquoautres sureacutequipeacutes ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation de services soit en compleacutement des autres ateliers de lrsquoexploitation soit au travers drsquoune ETA (FNEDT 2019)

Pour reacutepondre agrave la nouvelle demande de sous-traitance et de deacuteleacutegation les ETA ont deacuteveloppeacute de nouveaux services de sous-traitance comme le laquo A agrave Z raquo deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus et ont fait eacutevoluer leur organisation en conseacutequence Drsquoautres acteurs traditionnels du domaine des services aux exploitations agricoles qui nrsquoeacutetaient jusqursquoagrave preacutesent pas engageacutes dans la sous-traitance comme les CUMA ou les coopeacuteratives commencent agrave peacuteneacutetrer le marcheacute Les sections suivantes preacutesentent les diffeacuterentes configurations repeacutereacutees lors de nos travaux de terrain

411 Des ETA eacutevoluent vers des ETA multiservices et organiseacutees en reacuteseaux

Parallegravelement agrave un changement dans la nature des services les observations de terrain montrent des eacutevolutions organisationnelles plus ou moins pousseacutees en ce qui concerne les ETA Dans certains cas on passe drsquoune simple ETA agrave une ETA multi-services geacuterant des exploitations pour autrui Il arrive que ces ETA multi-services entrent au capital des exploitations avec lesquelles elles travaillent ou bien srsquoorganisent en cluster drsquoETA pour travailler en reacuteseau (figure 6) La prise de participation au capital drsquoune exploitation est censeacutee reacutesoudre le problegraveme de comportements opportunistes de la part des parties prenantes14 en permettant agrave lrsquoETA de participer agrave la gouvernance de cette derniegravere et reacuteciproquement de garantir agrave lrsquoexploitant un travail bien fait de la part drsquoune ETA davantage impliqueacutee Lrsquoorganisation en reacuteseau drsquoETA a quant agrave elle pour objectif de couvrir un territoire plus eacutetendu et drsquooffrir une gamme de services speacutecifiques plus larges gracircce agrave la mutualisation des moyens Lors de nos enquecirctes nous avons ainsi rencontreacute le cas drsquoun reacuteseau creacuteeacute dans les anneacutees 2010 et reacuteunissant plus de 10 entreprises reacutecoltant plusieurs dizaines de milliers drsquohectares qui opegravere dans le nord-ouest de la France zone drsquoeacutelevage caracteacuteriseacutee par une forte demande en deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures dans une logique de recentrage Pour son fondateur lrsquoorganisation en reacuteseau permet aux ETA membres de disposer drsquoun parc important de mateacuteriels (avec technologies embarqueacutees) et drsquoun dispositif commun de formation du personnel Il peut ainsi communiquer sur leur expertise en matiegravere drsquoagriculture de preacutecision et sur la qualiteacute du travail reacutealiseacute par un personnel qualifieacute En 2013 ce reacuteseau est alleacute jusqursquoagrave

14 Ce problegraveme de comportement opportuniste qualifieacute dans la litteacuterature theacuteorique en eacuteconomie de laquo principal-agent raquo est celui qui est inheacuterent agrave toute relation contractuelle ougrave lrsquoaction de lrsquoune des parties prenantes le laquo principal raquo va ecirctre deacutetermineacutee par les informations dont elle dispose sur lrsquoautre laquo lrsquoagent raquo Par exemple dans une relation qui lie un assureur agrave un assureacute le premier est le principal Il ne dispose pas drsquoune information parfaite sur les intentions du second qui est lrsquoagent Lrsquoassureur peut subir un comportement opportuniste de la part de lrsquoassureacute et va donc inteacutegrer ce risque dans le contrat drsquoassurance Il se trouve que dans une relation de sous-traitance lrsquoagriculteur et le sous-traitant peuvent ecirctre tous les deux agrave la fois laquo principal raquo et laquo agent raquo Le sous-traitant peut ne pas apporter les efforts attendus et mal faire le travail tout comme lrsquoagriculteur-commanditaire peut ne pas payer le sous-traitant agrave temps

66 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

construire un partenariat avec une multinationale europeacuteenne drsquoagrofournitures afin de proposer agrave ses agriculteurs clients un eacutepandage drsquoazote moduleacute gracircce agrave une technologie deacuteveloppeacutee par cette derniegravere Pour son preacutesident un tel reacuteseau et un tel partenariat constituent une reacuteponse agrave la reacuteglementation et aux nouvelles attentes de la socieacuteteacute

laquo Lrsquoeacutevolution des reacuteglementations et de la socieacuteteacute nous obligent plus que jamais agrave nous adapter rapidement Toutes ces eacutevolutions entraicircnent drsquoimportantes pertes de compeacutetitiviteacute pour lrsquoagriculture franccedilaise Crsquoest dans cette logique que nous recherchons systeacutematiquement agrave notre eacutechelle les meilleures solutions qui peuvent aider nos clients agrave maintenir leur compeacutetitiviteacute Les techniques et les technologies existent aujourdrsquohui mais leur mise en œuvre et leur coucirct demeurent des freins importants agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation agricole Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rocircle et le service que les ETA de demain doivent ecirctre en mesure drsquoapporter agrave leurs clients raquo15

Qursquoelles soient multi-services ou organiseacutees en reacuteseau pour perdurer et se deacutevelopper malgreacute le niveau eacuteleveacute de leurs charges (immobiliseacutees et de fonctionnement) les ETA laquo nouvelle geacuteneacuteration raquo cherchent agrave rassembler la demande (pour tirer parti des eacuteconomies drsquoeacutechelle et reacuteduire les coucircts de production) et lrsquooffre (pour neacutegocier les deacuteboucheacutes lorsqursquoelles ont en charge la commercialisation)

412 Des CUMA deacuteveloppent la prestation de services

Agrave cocircteacute des ETA les CUMA ont aussi fait eacutevoluer leurs services et leur organisation pour reacutepondre aux besoins de leurs adheacuterents mais aussi de tiers non adheacuterents Ainsi certains reacuteseaux deacutepartementaux des CUMA de lrsquoouest et du sud-ouest proposent deacutesormais une offre nouvelle de services de prestation dits laquo complets raquo16

Le deacuteveloppement de telles activiteacutes de prestation a eacuteteacute reacutecemment faciliteacute par la loi laquo Travail raquo du 8 aoucirct 2016 qui permet aux CUMA drsquoecirctre reconnues comme groupement drsquoemployeurs Degraves lors des salarieacutes peuvent ecirctre embaucheacutes et mis agrave disposition drsquoexploitations adheacuterentes agrave la CUMA pour des prestations laquo cleacutes en main raquo Ceci marque un changement majeur pour des CUMA dans lesquelles seul le mateacuteriel eacutetait traditionnellement partageacute Mecircme si ces nouveaux dispositifs de prise en charge du travail sont le prolongement drsquoorganisations au caractegravere mutualiste ils attestent drsquoune dissociation affirmeacutee entre terre travail et capital et constituent des eacuteleacutements de deacuteplacement ou de deacutepassement du modegravele familial drsquoagriculture vers de nouvelles formes drsquoorganisation sociales et eacuteconomiques (Anzalone et Purseigle 2014)

Dans de nombreux deacutepartements le positionnement de certaines CUMA sur ce qui apparaicirct ecirctre un nouveau marcheacute ne fait plus de doute17 Si certaines srsquoemploient dans ce domaine agrave satisfaire uniquement leurs adheacuterents drsquoautres nrsquoheacutesitent pas agrave aller beaucoup plus loin dans le deacuteploiement drsquoune nouvelle offre de services aupregraves de tiers

Le cas de lrsquoentreprise Teravi18 illustre assez bien ces eacutevolutions (encadreacute 4) Nous voyons ici que de lrsquoagriculture de groupe agrave une agriculture laquo en reacuteseaux raquo il nrsquoy a souvent qursquoun pas La socieacuteteacute de conseil-geacuterance creacuteeacutee par les membres de ces deux structures

15 Guillemot T 2014 laquo Lrsquoapport moduleacute drsquoazote se preacutecise dans lrsquoOrne raquo Reacuteussir lrsquoagriculteur normand 22 mai p5-6 16 Le service dit laquo complet raquo offert par les CUMA est agrave distinguer des chantiers laquo complets raquo ou de laquo A agrave Z raquo proposeacutes par les ETA qui consistent agrave prendre en charge lrsquointeacutegraliteacute des opeacuterations techniques sur une exploitation17 Cf par exemple le dossier de la Chambre drsquoagriculture du Morbihan Terra ndeg 718 du 29 novembre 2019 laquo Et si quelqursquoun le faisait pour vous la deacuteleacutegation une solution agrave reacute-eacutevaluer raquo ou la plaquette de la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAveyron laquo Les services complets pour mieux geacuterer son travail sa meacutecanisation et sa CUMA raquo18 Les noms de toutes les entreprises citeacutees ont eacuteteacute modifieacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 67

Figure 6 - Scheacutema drsquoorganisation de la sous-traitance incluant la deacuteleacutegation inteacutegrale (ou laquo A agrave Z raquo) et relevant drsquoune ETA multi-services

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui du CEP in Forget et al (2019) ndash page 42

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

68 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Situeacutee dans le quart Nord-Est de la France cette entreprise est neacutee dans le prolongement drsquoune Socieacuteteacute en participation (SEP) reacuteunissant quatre EARL une SCEA et un GAEC2 Productrice de betteraves de luzerne de chanvre de colza de bleacute drsquoorge de printemps et de lentilles elle adhegravere agrave deux coopeacuteratives ceacutereacutealiegraveres une betteraviegravere et cultive eacutegalement des œillettes pour le compte drsquoun grand groupe pharmaceutique Lrsquoensemble des activiteacutes culturales qui srsquoeacutetend sur plus de 1 000 ha est reacutealiseacute par une CUMA inteacutegrale agrave laquelle le mateacuteriel des diffeacuterentes exploitations adheacuterentes a eacuteteacute progressivement vendu Adepte drsquoune approche taylorienne de lrsquoentreprise les exploitants vont alors chercher agrave rationnaliser au maximum le dispositif en se speacutecialisant chacun dans des activiteacutes preacutecises travail du sol pour lrsquoun reacutecolte pour un autre responsabiliteacutes professionnelles pour un autre etc Reacuteduire les charges de meacutecanisation eacutetait ici au centre des preacuteoccupations des exploitants fondateurs qui ont alors trouveacute dans la creacuteation drsquoune CUMA inteacutegrale de nombreux avantages eacuteconomiques Quelques anneacutees plus tard partant du constat qursquoune laquo ferme de 130 ha par personne deacutegage un mi-temps raquo et suffisamment de temps pour que les associeacutes puissent partir en vacances voire travailler agrave lrsquoexteacuterieur lrsquoideacutee drsquoutiliser ce temps libre pour construire un nouveau projet commun au sein du groupe a progressivement germeacute Face au vieillissement du territoire agricole sur lequel ils sont installeacutes et devant lrsquoincapaciteacute de leurs voisins agrave trouver des repreneurs ou agrave srsquoassocier comme eux dans des structures collectives les adheacuterents de cette SEP et de cette CUMA inteacutegrale perccediloivent lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau marcheacute

laquo Lrsquoideacutee de base lrsquoideacutee de postulat crsquoest de dire qursquoil y aura le papy boom qui arrive moi quand jrsquoai fait la formation jrsquoavais autant des viticoles que des agricoles donc je voyais que dans la partie viticole la majoriteacute reprennent leur patrimoine mais le gegraverent pas du tout Et il faut faire Et on sentait bien qursquoen agricole ccedila se deacutevelopperait de plus en plus Donc on srsquoest dit on va partir dans la prestation de services mais on ne veut pas du tout faire de la prestation de tracteur de tourner dans les champs avec notre tracteur crsquoest pas lrsquoobjectif du tout du groupe il y a suffisamment de mateacuteriel dans la plaine Voilagrave crsquoeacutetait le postulat de base donc on va faire sous-traiter toute la partie mateacuterielle Et donc nous on va faire tout le reste Crsquoest-agrave-dire deacutecisionnaires conseils services services crsquoest-agrave-dire suivi administratif suivi de ce que vous voulez On est un peu les donneurs drsquoordres les voilagrave crsquoeacutetait ccedila un peu lrsquoideacutee lrsquoideacutee de base de Teravi raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Forts drsquoune expeacuterience drsquoune dizaine drsquoanneacutee en agriculture dite de laquo conservation des sols raquo les sept agriculteurs de la SEP creacuteent alors une socieacuteteacute commerciale (SARL) de conseil en gestion nommeacutee Teravi Nrsquoutilisant pas le mateacuteriel de la SEP cette socieacuteteacute fait appel agrave drsquoautres sous-traitants du territoire Teravi est ici donneur drsquoordres agrave lrsquoentrepreneur Lrsquoentrepreneur exeacutecutant peut-ecirctre un agriculteur de la reacutegion disposant lui-mecircme drsquoune ETA ou une ETA traditionnelle Les entreprises laquo maicirctres drsquoœuvre raquo sont souvent speacutecialiseacutees Ainsi pour le compte drsquoun seul client Teravi peut faire appel agrave 8 agrave 10 entreprises sous-traitantes dont le choix est reacutealiseacute par Teravi puis valideacute par les clients Teravi contractualise tous les ans agrave la fois avec les ETA partenaires et ses clients Lrsquooffre proposeacutee se veut laquo claire raquo (les contrats sont deacutetailleacutes) laquo simple raquo (lrsquoentreprise est la seule interlocutrice) laquo rentable raquo (la technique ou lrsquoorganisation permettrait de proposer une offre avantageuse)3 La souplesse dans les contrats est le leitmotiv de cette entreprise le client doit pouvoir les interrompre agrave sa demande et il est preacutesenteacute comme non engageacute sur le long terme La volonteacute drsquoeacutechanger

Encadreacute 4 - Portrait de lrsquoentreprise de sous-traitance Teravi1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 69

avec le client est affirmeacutee et lrsquoentreprise ne se paie pas au reacutesultat Une facture agrave lrsquohectare est reacutealiseacutee et le paiement est eacutechelonneacute sur lrsquoanneacutee Les prix pratiqueacutes vont de 330 agrave 380 euros de lrsquohectare Afin de reacutepondre au laquo contexte juridique raquo et aux attentes de leurs clients trois contrats sont proposeacutes une convention de prestation de conseil une convention de prestation de services et un contrat de travaux drsquoentreprise agricole

laquo Nous on fait signer des contrats annuels On veut que ce soit le plus souple possible Que la personne en face nrsquoait pas lrsquoimpression drsquoecirctre bloqueacutee comme il peut ecirctre bloqueacute avec un bailhellip Le contrat on deacutetaille ce qursquoon fait On deacutetaille le coucirct on deacutetaille ce qursquoon doit faire en temps et en peacutenaliteacutes etc enfin on explique un peu les choses basiques et ce qui incombe aussi agrave la fois au client et agrave nous-mecircmes Au client il doit nous fournir tout ce qursquoil y a comme contrats particuliers si crsquoest une zone de captage tout ce qursquoon a besoin pour geacuterer une exploitation Et puis nous on transmet au fur et agrave mesure aujourdrsquohui ben les traitements Avec les nouvelles reacuteglementations etc etc on doit preacutevenir agrave chaque passage de traitement ce qursquoon fait etc raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Deux offres sont proposeacutees par lrsquoentreprise lrsquoune en laquo conseil strateacutegique raquo lrsquoautre en laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo La premiegravere relegraveve drsquoun accompagnement strateacutegique censeacute reacutepondre laquo aux deacutefis de demain raquo crsquoest-agrave-dire la recherche de rentabiliteacute de lrsquoexploitation agricole laquo dans un contexte politique et socieacutetal en grande mutation raquo Cet accompagnement peut ecirctre global ou circonscrit agrave une activiteacute particuliegravere (itineacuteraire technique reacuteglementation administratif etc) Une offre dite de laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo est eacutegalement proposeacutee Preacutesenteacutee comme permettant la conservation et la valorisation du patrimoine foncier par le proprieacutetaire elle permettrait notamment de valoriser la main-drsquoœuvre de lrsquoexploitation laquo en la rendant disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip)  raquo ou de laquo preacuteparer une transmission future raquo La laquo solution raquo proposeacutee repose sur un accompagnement dans le choix de lrsquoassolement la preacuteconisation de lrsquoitineacuteraire technique les interventions culturales adapteacutees le suivi des cultures Drsquoautres prestations optionnelles sont possibles de la reacuteception des facteurs de production (engrais semences phytosanitaires) au suivi administratif (cahier drsquoeacutepandage tenue des stocks fiches parcellaires aides agrave la deacuteclaration PAC etc) Parce que cette formule ne va pas encore compleacutetement de soi au sein de la profession il est proposeacute laquo des devis gratuits et une discreacutetion assureacutee raquo

1 Le nom de lrsquoentreprise a eacuteteacute modifieacute2 La loi drsquoorientation agricole du 5 janvier 2006 va plus loin en soulignant que laquo tout preneur quelles que soient les modaliteacutes juridiques drsquoexercice de son activiteacute peut participer agrave une opeacuteration drsquoassolement en commun raquo et laquo mettre les biens loueacutes agrave la disposition drsquoune socieacuteteacute comptant une personne morale parmi ses membres raquo (Letissier 2007 p 49) Ce nouveau dispositif juridique reconnaicirct et encourage le mouvement de dilution des entiteacutes familiales dans des groupes de grandes tailles au montage juridique complexe Au centre de ces groupes on trouve une socieacuteteacute de base la socieacuteteacute en participation (SEP) Si celle-ci garantit lrsquoautonomie juridique de chacune des exploitations constitutives de la SEP elle peut depuis 2008 se voir reconnaicirctre la qualiteacute laquo drsquoagriculteur raquo et ainsi preacutetendre aux aides directes du premier pilier de la PAC Les deacutefenseurs de ce type de dispositifs le reconnaissent eux-mecircmes ceci pose immanquablement la question de lrsquoactiviteacute censeacutee ecirctre reacutealiseacutee par les entreprises associeacutees dans cette socieacuteteacute (SAF 2012 p 204) Mecircme si la SEP nrsquoa pas de personnaliteacute morale pas de siegravege social de patrimoine social ni drsquoemprunts crsquoest bien elle qui reacutealise lrsquoactiviteacute agricole Les entreprises associeacutees se contentent tregraves souvent de participer agrave la gouvernance du groupe et ne reacutepondent plus au critegravere de maicirctrise du cycle biologique exigeacute par le Code rural (article L311-1) pour deacutefinir une activiteacute agricole (Purseigle et al 2018)3 Site internet de lrsquoentreprise

70 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ne reacutealise pas les prestations de travaux mais les organise pour le compte de ses clients   elle devient une tecircte de reacuteseau de sous-traitants agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Cette socieacuteteacute emploie un personnel posseacutedant une expertise agrave la fois agronomique et en matiegravere de gestion drsquoexploitation qui lui permet de se positionner en amont de la prise en charge des travaux agricoles sur lrsquoactiviteacute de conseil et de mise en relation clientETA qui deacutegage le plus de valeur ajouteacutee En controcirclant les deacutecisions drsquoun ensemble drsquoexploitations individuelles une telle socieacuteteacute peut avoir la main sur lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire La frontiegravere est souvent teacutenue entre la prestation de travaux agricoles et le conseil strateacutegique ou entre la gestion globale drsquoune exploitation et le controcircle strateacutegique Nous rejoignons ici Hubert Cochet qui deacutecrit laquo lrsquoeacutemergence drsquoentreprises de mateacuteriel agrave statut coopeacuteratif embauchant des salarieacutes et exploitant de tregraves grandes surfaces les agriculteurs devenant des actionnaires de ces structures veacuteritables pivots de tregraves grosses exploitations agricoles  raquo Celles-ci constituent de laquo grandes uniteacutes de production srsquoaffranchissant largement des frontiegraveres de lrsquoexploitation familiale raquo (Cochet 2008)

413 Des coopeacuteratives de collecte-approvisionnement et des CETA entrent aussi sur le marcheacute de la sous-traitance

Parmi les autres acteurs traditionnels qui entrent sur le marcheacute de la sous-traitance nous avons repeacutereacute plusieurs coopeacuteratives agricoles de collecte-approvisionnement et des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA)

Du cocircteacute des coopeacuteratives dans un contexte de baisse tendancielle du nombre drsquoexploitations agricoles le deacuteveloppement de la sous-traitance vise agrave fideacuteliser leurs adheacuterents mais surtout agrave preacuteserver une capaciteacute de collecte Les enquecirctes et observations de terrain montrent qursquoelles jouent agrave lrsquoeacutechelle de certains territoires un rocircle de plus en plus important dans lrsquoorganisation sociale et eacuteconomique de la production agricole

laquo On a beaucoup drsquoadheacuterents qui arrivent agrave la retraite mais nrsquoont pas forceacutement de successeur (hellip) Les technico-commerciaux font deacutejagrave ce travail sans que ce soit dit Ils posent les bidons et ils disent voilagrave comment il faut les utiliser raquo Cadre drsquoune coopeacuterative grand Sud-Ouest octobre 2018

Les reacutecents dispositifs leacutegislatifs instaurant agrave terme une seacuteparation des meacutetiers de la vente et du conseil semblent contribuer agrave leur repositionnement sur de nouveaux marcheacutes dont celui de la gestion des cultures Quelles que soient les reacutegions nos enquecirctes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent tregraves souvent comme intermeacutediaires entre des ETA et des membres-adheacuterents souhaitant deacuteleacuteguer tout ou partie de leurs travaux culturaux Si certains grands groupes coopeacuteratifs deacuteclarent selon les mots drsquoun preacutesident de coopeacuterative que nous avons interrogeacute ne pas rentrer laquo dans lrsquointimiteacute des exploitations  raquo et ne pas srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dont leurs adheacuterents gegraverent leurs exploitations il nrsquoen demeure pas moins que les entreprises de travaux agricoles sont pour eux comme des laquo partenaires raquo qui laquo ne doivent plus avoir peur raquo de pousser leurs portes et de venir discuter avec eux19

En raison de lrsquoincapaciteacute de certains adheacuterents agrave trouver des repreneurs ou agrave reacutesoudre des difficulteacutes technico-eacuteconomiques et face agrave de nouvelles formes de concurrence avec drsquoautres organismes stockeurs (OS) certains groupes coopeacuteratifs nrsquoheacutesitent plus agrave proposer une nouvelle offre de services laquo agrave visage deacutecouvert raquo Crsquoest le cas notamment drsquoun grand

19 Entretien avec un preacutesident de coopeacuterative le 1er feacutevrier 2019 lors du congregraves national de la FNEDT et relateacute dans laquo Les ETA sont des partenaires raquo Entrepreneurs des Territoires Magazine ndeg 120 avril p10-12

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 71

groupe coopeacuteratif du Sud-Ouest de la France qui propose un service drsquoaccompagnement de ses adheacuterents dans la gestion de chantiers de grandes cultures Le pocircle agriculture de cette coopeacuterative srsquoest doteacute drsquoun chef de projet ayant une expeacuterience dans la gestion de grands domaines dans un autre contexte agricole Ce dernier avec lrsquoappui drsquoun ingeacutenieur agronome ancien conseiller en centre de gestion et de quatre chefs de culture reacutefeacuterents supervise la gestion de chantiers reacutealiseacutes par une trentaine drsquoentreprises de travaux agricoles partenaires Ce service concerne actuellement une centaine drsquoadheacuterents Il srsquoest deacuteployeacute sur 4 000 hectares de grandes cultures et a eacuteteacute reacutecemment proposeacute pour des chantiers viticoles Pour chaque adheacuterent faisant appel agrave ce service la coopeacuterative deacutesigne un chef de culture reacutefeacuterent qui deacutecide conjointement avec lrsquoexploitant de lrsquoassolement et des productions Factureacute 50 euros de lrsquohectare auxquels srsquoajoute un pourcentage en fonction du reacutesultat de la vente ce service peut mecircme offrir une expertise en assurance pour les adheacuterents qui le souhaitent Agrave lrsquoissue de chaque campagne un reporting est reacutealiseacute afin de mieux appreacutehender les reacutesultats technico-eacuteconomiques de lrsquoexploitation20

Dans les Hauts-de-France par le biais drsquoune de ses filiales (SARL speacutecialiseacutee dans les activiteacutes de soutien aux cultures et employant six personnes) une autre coopeacuterative propose depuis 2013 une laquo solution de gestion complegravete ou agrave la carte raquo agrave ses adheacuterents Avec un chiffre drsquoaffaires de pregraves de trois millions drsquoeuros ses activiteacutes reposent principalement sur de la vente de craie des prestations drsquoeacutepandage drsquoamendement de semis et drsquoarrachage de betteraves Certaines coopeacuteratives vont mecircme jusqursquoagrave creacuteer des filiales commerciales21 qui reposent sur une alliance entre trois types de partenaires la coopeacuterative elle-mecircme un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles Ces filiales vont plus loin encore dans la construction drsquoun dispositif permettant de deacuteceler tregraves rapidement des deacutefaillances eacuteconomiques etou agronomiques Situeacutee dans lrsquoEst de la France une coopeacuterative enquecircteacutee nrsquoattend pas seulement que ses adheacuterents se tournent vers elle Elle est avec son partenaire centre de gestion en mesure de repeacuterer des situations qui neacutecessiteraient le recours agrave une prestation partielle ou totale de suivi des exploitations Alerteacutees les eacutequipes de technico-commerciaux se chargent ensuite de proposer lrsquooffre de la filiale agrave lrsquoagriculteur identifieacute Au-delagrave de la gestion technique organisationnelle administrative eacuteconomique et reacuteglementaire la coopeacuterative propose ici un controcircle de gestion et un bilan de campagne reacutealiseacutes chaque anneacutee Si ce controcircle de gestion est preacutesenteacute comme un instrument permettant drsquoappreacutecier la pertinence de la prestation il srsquoavegravere ecirctre un outil au service drsquoun suivi tregraves rapprocheacute des exploitations adheacuterentes Par le biais de sa filiale et sur la base drsquoun programme technico-eacuteconomique preacutealablement deacutefini la coopeacuterative confie alors agrave une entreprise speacutecialiseacutee en gestion drsquoexploitation et optimisation des systegravemes de production le soin de reacutealiser le suivi et la mise en œuvre opeacuterationnelle   deacutefinition des chantiers reacutealisation des travaux culturaux etc Reconnue dans la reacutegion concerneacutee pour son expertise lrsquoentreprise propose mecircme des applications web permettant drsquoentrer toutes les donneacutees de lrsquoexploitation et de les stocker Indeacutependamment de sa participation agrave hauteur de 20 dans cette filiale de coopeacuterative cette entreprise dispose drsquoun portefeuille de clients qui repreacutesente plus de 8 000 hectares de grandes cultures Elle propose eacutegalement agrave ses autres clients des outils de gestion de la collecte (gestion des productions agrave commercialiser contractualisation des volumes avec les diffeacuterents organismes stockeurs suivi des stockages et deacutestockages suivi permanent des cours accegraves aux offres de marcheacute pour ces derniers etc) Enfin agrave lrsquoinstar drsquoun groupe coopeacuteratif situeacute au sud-ouest de Paris certaines coopeacuteratives nrsquoheacutesitent plus agrave racheter des entreprises de travaux agricoles par le biais de filiales

20 Jacquemoud F 2018 laquo Un copilote pour geacuterer les cultures raquo Agrodistribution mai p 23 Jaquemond F 2018 laquo Deacuteleacuteguer la gestion de ses ceacutereacuteales raquo La France agricole ndeg 3751 8 juin p 54-55 21 Les filiales commerciales permettent aux coopeacuteratives de srsquoengager dans des activiteacutes en partenariat avec des entreprises priveacutees pouvant geacuteneacuterer drsquoimportants profits

72 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Si de telles strateacutegies sont nouvelles pour les coopeacuteratives du secteur ceacutereacutealier elles ont fait leur apparition degraves les anneacutees 1990 dans certaines reacutegions viticoles comme la Provence Confronteacutees au deacuteveloppement de lrsquourbanisation et au non-renouvellement des geacuteneacuterations certaines caves coopeacuteratives en proximiteacute de villes comme Aix-en-Provence Brignoles ou Bandol ont souhaiteacute degraves cette eacutepoque seacutecuriser leurs approvisionnements en creacuteant des socieacuteteacutes civiles drsquoexploitation agricoles ou des groupements fonciers mutuels (Le Gars et Roudieacute 1996) Dans ce secteur cette prise en charge directe des activiteacutes de production peut ecirctre peacuterenne ou temporaire Elle va parfois de pair avec la mise en place drsquooutils de reprise progressive des uniteacutes de production par de jeunes viticulteurs Comme nous lrsquoavons constateacute lors drsquoenquecirctes reacutealiseacutees en 2015 et 2016 dans le Roussillon cette strateacutegie se deacuteveloppe eacutegalement dans le secteur de la production arboricole et maraichegravere ougrave des coopeacuteratives rachegravetent des vergers drsquoarbres fruitiers dont la conduite est confieacutee agrave un chef de culture et des salarieacutes

Face agrave un manque de professionnalisation et aux difficulteacutes rencontreacutees par le modegravele familial drsquoexploitation certaines associations interprofessionnelles (par ex lrsquoAssociation franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoolive - AFIDOL France Olive) procircnent lrsquoimplication des transformateurs (moulins priveacutes etou coopeacuteratives) dans la prise en charge partielle ou totale des activiteacutes de production Cet extrait du rapport moral du preacutesident de lrsquoAFIDOL en teacutemoigne

laquo Nous devons passer drsquoune strateacutegie drsquoattente de lrsquoapprovisionnement agrave une strateacutegie drsquointeacutegration de lrsquoamont Finie lrsquoeacutepoque ougrave un transformateur se contentait drsquoattendre que lrsquooleacuteiculteur apporte ses olives au moulin Il faut inteacutegrer dans nos tecirctes que le modegravele agricole dans lequel nous vivons depuis 1945 est en train de disparaicirctre Si nous ne reacuteagissons pas nous disparaicirctrons avec lui Les nouvelles geacuteneacuterations nrsquoont plus envie de laquo srsquoemmerder raquo apregraves leur travail agrave tailler traiter reacutecolter les oliviers heacuteriteacutes de leur pegravere et de leur grand-pegravere Bien sucircr cette eacutevolution est lente pernicieuse mais elle est ineacuteluctable (hellip) la filiegravere oleacuteicole du XXIe doit se bacirctir autour drsquooliveraies meneacutees par des agriculteurs professionnels ou des prestataires de service associeacutes agrave des pools de moulins priveacutes ou coopeacuteratifs capables drsquoextraire de stocker et de mettre en bouteilles dans des conditions optimales raquo22

Plus eacutetonnant de prime abord des organismes de conseil comme des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA) fondeacutes agrave lrsquoorigine pour promouvoir une expertise agronomique et technique se sont eacutegalement positionneacutes degraves les anneacutees 2000 sur le marcheacute de la sous-traitance agricole Des exemples de ce type ont notamment eacuteteacute repeacutereacutes en Icircle-de-France et en Normandie En deacuteveloppant un service et des uniteacutes commerciales deacutedieacutees agrave la prise en charge de travaux agricoles ces CETA souhaitaient agrave lrsquoorigine reacutepondre agrave une demande drsquoadheacuterents sur le point de prendre leur retraite ou ayant subi un accident de la vie On observe habituellement deux ensembles de pratiques lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoadheacuterents au CETA (cas du CETA Agriacteacutea) et lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoETA qui ont deacutejagrave leurs clients (cas du CETA Seacutemeacuteac)

Dans le premier cas lrsquoeacutequipe est porteacutee par deux ingeacutenieurs en agriculture Creacuteeacute en 2006-2007 ce service travaille pour le compte de six exploitations pour un total de 1 500 hectares Au-delagrave du conseil et de lrsquoexpertise agronomique cette prestation a eacuteteacute creacuteeacutee pour reacutepondre agrave une demande de gestion inteacutegreacutee drsquoexploitations agricoles23 Le profil des clients est diversifieacute il srsquoagit de personnes ayant heacuteriteacute drsquoune exploitation mais qui exercent

22 Nasles O 2014 Rapport moral du Preacutesident dans Rapport drsquoactiviteacutes Association franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoOlive httpsafidolorgoleiculteurrapports-dactivite-lafidol23 Les exploitations geacutereacutees sont ici deacutenommeacutees laquo domaines agricoles raquo comme pour rappeler le caractegravere patrimonial de la deacutemarche

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 73

une autre activiteacute drsquoun client qui a deacuteveloppeacute en parallegravele une activiteacute de jardinerie et qui souhaitait se recentrer sur cette activiteacute ou drsquoun client institutionnel Il y a enfin le cas drsquoun laquo grand nom raquo (de la financeindustrie) qui nrsquoeacutetait pas satisfait des services offerts par lrsquoETA travaillant pour lui Notons que sur ces six clients la majoriteacute faisait partie du CETA

Contrairement aux coopeacuteratives agricoles qui jouent de leur capaciteacute agrave mettre en marcheacute la production pour convaincre leurs adheacuterents ou clients les CETA mettent en avant leur expertise technique Apregraves plusieurs deacutecennies drsquoexpeacuterimentations permettant drsquoameacuteliorer le rendement des parcelles cette uniteacute commerciale serait capable drsquooffrir un diagnostic plus fin sur la strateacutegie agrave suivre par lrsquoexploitation (choix des cultures assolements etc) et un service qui preacuteserverait laquo lrsquoindeacutependance raquo des exploitants Mecircme si la commercialisation des productions est ici exclue il est proposeacute aux clients et aux ETA partenaires une mutualisation de lrsquoachat des intrants afin de les faire beacuteneacuteficier de prix avantageux Deux types de contrats sont signeacutes un contrat entre lrsquoETA et lrsquoexploitant et un entre lrsquoexploitant et le service Notons cependant que les deux contrats sont reacutedigeacutes par le CETA Agriacteacutea Ces contrats courent en geacuteneacuteral sur une dureacutee de cinq ans La deacutefinition du contrat deacutebute par un audit geacuteneacuteral (de type agronomique) afin de minimiser la prise de risque pour les diffeacuterentes parties prenantes du dispositif Les tacircches associeacutees agrave ce service relegravevent drsquoune prestation de conseil et drsquoune coordination des ETA envoi des ordres drsquointervention et veacuterification que laquo le travail soit bien fait raquo Comme dans drsquoautres cas eacutetudieacutes il srsquoagit ici de geacuterer plusieurs ETA pour un client Le cahier des charges pour lrsquoETA comporte une clause drsquoexclusion et un meacutediateur peut ecirctre nommeacute (expert foncier agricole aupregraves des tribunaux dont le nom figure dans le contrat) en cas de litige de paiement entre lrsquoexploitant et lrsquoETA ou lors drsquoune accumulation de litiges techniques (eacutepandage de fongicides fait trop tard etc) Le contrat peut ecirctre reconduit pour cinq ans suite agrave une reneacutegociation Lrsquoagriculteur paie directement les ETA selon un tarif assez habituel dans la profession (environ 400 euro par hectare pour du bleacute) Il reacutemunegravere par ailleurs Agriacteacutea pour le service drsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage (entre 60 agrave 100 euro par hectare et par an) Ce tarif est calculeacute de maniegravere laquo objective raquo selon la complexiteacute de lrsquoexploitation et selon le contenu de lrsquooffre

Le deuxiegraveme cas observeacute est celui drsquoun organisme de conseil normand Seacutemeacuteac qui a mis en place reacutecemment une structure originale de prestation de services Ici le contrat lie Seacutemeacuteac agrave une ETA qui possegravede deacutejagrave son portefeuille de clients Le laquo gestionnaire salarieacute  raquo ou laquo land manager raquo est ainsi employeacute par un groupement drsquoemployeurs lieacute agrave Seacutemeacuteac et laquo confieacute raquo agrave une ETA de grande taille qui reacutealise des travaux pour six clients diffeacuterents Lrsquoideacutee pour lrsquoETA est de mutualiser un salarieacute et de se libeacuterer du risque lieacute aux deacutecisions strateacutegiques (le coucirct des assurances eacutetant pris en charge par Seacutemeacuteac)

Enfin agrave cocircteacute des CETA il est eacutegalement agrave noter que dans le sud de la France (notamment en Occitanie ou en Provence) ont eacuteteacute creacuteeacutes des cabinets drsquoexpertise agronomique ou œnologique qui accompagnent non seulement les viticulteurs et les oleacuteiculteurs dans le suivi technique mais eacutegalement dans la gestion complegravete drsquoexploitations agricoles ou domaines Lagrave aussi nous voyons que la frontiegravere entre le conseil technique et la gestion est parfois teacutenue

42 Nouveaux dispositifs nouveaux arrangements contractuels nouveaux meacutetiers

La croissance du marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation a conduit agrave la creacuteation de dispositifs et meacutetiers nouveaux adosseacutes agrave de nouveaux arrangements contractuels et reacutepondant agrave des objectifs multiples seacutecurisation drsquoun approvisionnement en matiegraveres

74 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

premiegraveres agricoles dans un contexte de diminution du nombre drsquoactifs agricoles pour les uns construction de nouveaux marcheacutes de services gracircce au numeacuterique pour les autres

421 Quand des neacutegoces et des socieacuteteacutes de gestion agricoles proposent une seacutecurisation des approvisionnements industriels

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute par ailleurs (Purseigle et al 2017) il est courant dans certaines reacutegions ceacutereacutealiegraveres ou de grandes cultures de rencontrer de tregraves grandes entreprises de travaux agricoles qui assurent et seacutecurisent la production pour le compte drsquoindustriels ne souhaitant plus contractualiser individuellement avec des exploitations agricoles Pour certaines entreprises de prestation ayant inteacutegreacute des fonctions de stockage et de neacutegoce la prise en charge de lrsquoactiviteacute de production sur plusieurs milliers drsquohectares entend permettre de faire jeu eacutegal avec les industriels de la transformation notamment sur certains marcheacutes deacuteficitaires comme celui de lrsquoagriculture biologique Le cas de lrsquoentreprise gersoise Biopresta en est une illustration Cette derniegravere produit des leacutegumineuses (notamment des lentilles) et des ceacutereacuteales en agriculture biologique Agrave lrsquoorigine adosseacutee agrave une exploitation agricole familiale elle exploite aujourdrsquohui autour de 2 000 hectares Elle compte une dizaine de salarieacutes permanents dont six chauffeurs de machines agricoles et un meacutecanicien Selon les choix culturaux et les pointes de travail des salarieacutes occasionnels ou un agriculteur laquo partenaire raquo disposant drsquoune plus petite exploitation viennent se joindre agrave cette eacutequipe de permanents Organisme stockeur et neacutegoce la socieacuteteacute de prestation de travaux Biopresta vend directement ses reacutecoltes agrave des industriels Selon le dirigeant de cette entreprise les coopeacuteratives sont incapables de fournir des lots de qualiteacute comme les siens Un autre exemple est lrsquoentreprise landaise Semeacuteis Celle-ci gegravere plusieurs milliers drsquohectares pour le compte de proprieacutetaires de foncier agricole Son cas est inteacuteressant car elle possegravede un parc de mateacuteriel speacutecialiseacute qui lui permet de contractualiser avec une industrie drsquoagrofourniture pour la production de semences certifieacutees Comme Biopresta Semeacuteis entend offrir agrave ses clients industriels franccedilais et europeacuteens un niveau de reacutegulariteacute dans lrsquoapprovisionnement une qualiteacute homogegravene des produits et une traccedilabiliteacute et surtout des volumes qursquoune exploitation de taille moyenne ne pourrait atteindre

Lrsquoeacutemergence en France de nouveaux dispositifs de sous-traitance ne correspond pas uniquement au deacuteveloppement de grandes entreprises de travaux agricoles adosseacutees agrave des exploitations des neacutegoces ou des coopeacuteratives Elle renvoie eacutegalement agrave lrsquoapparition en Europe de dispositifs complexes drsquoexternalisation des activiteacutes de production reposant sur des creacuteations ex nihilo de socieacuteteacutes de gestion drsquoexploitations agricoles Ces socieacuteteacutes aux allures de firme sont notamment preacutesentes en Belgique France et Grande- Bretagne Creacuteeacutee en 1985 en Belgique par trois amis proprieacutetaires fonciers la socieacuteteacute FarmPrest SA exploite sur le territoire national 10 000 hectares de terres dont 5 000 comme proprieacutetaire de plein droit et 5 000 selon le modegravele de lrsquoexploitation deacuteleacutegueacutee En Belgique au-delagrave des actionnaires lrsquoentreprise megravere fonctionne autour drsquoun directeur deacuteleacutegueacute ayant fait ses premiegraveres armes professionnelles dans le secteur de la laquo blanchisserie industrielle raquo de quatre personnes en charge de la gestion administrative et de six agronomes locaux reacutepartis sur lrsquoensemble du territoire (trois en Wallonie et trois en Flandre)

laquo Jrsquoai des agronomes sur le terrain Chacun a sa reacutegion Et ces agronomes sont des coordinateurs indeacutependants et ces coordinateurs indeacutependants sont responsables de la fixation de lrsquoassolement de lrsquointervention sur le terrain le suivi des interventions sur le terrain le suivi des reacutecoltes le reacuteseau dans le monde agricole et sont soutenus par une eacutequipe administrative qui srsquooccupe des diffeacuterends avec les diffeacuterents ministegraveres raquo (Directeur deacuteleacutegueacute de FarmPrest Belgique avril 2017)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 75

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

Mecircme si FarmPrest dispose en Belgique drsquoun statut drsquoexploitant agricole la socieacuteteacute ne possegravede pas pour autant un parc de mateacuteriel Comme ses clients elle confie les travaux des 5 000 hectares dont elle est proprieacutetaire agrave des entreprises de travaux ou drsquoautres agriculteurs Ce partenariat avec un ensemble drsquoETA seacutelectionneacute par elle-mecircme lui permet drsquoacqueacuterir une grande flexibiliteacute gestion relativement aiseacutee de lrsquoagenda des travaux en fonction des demandes accegraves agrave un parc de machines diversifieacutees dont certaines sont eacutequipeacutees de technologies dernier cri sans avoir agrave supporter lrsquoinvestissement etc

Depuis 2012 FarmPrest est implanteacutee dans la moitieacute nord et dans lrsquoouest de la France Coordonneacutees par un land manager reacutemuneacutereacute via des contrats de prestation de services les activiteacutes de FarmPrest se deacuteploient dans notre pays selon un modegravele diffeacuterent de celui mis en place en Belgique Ne posseacutedant pas de terres en nom propre dans lrsquoHexagone FarmPrest Belgique a creacuteeacute en France deux socieacuteteacutes Lrsquoune en association avec une coopeacuterative de lrsquoOuest dont elle deacutetient 51 du capital lrsquoautre avec un neacutegociant du Nord de la France ougrave elle deacutetient 50 des parts Agrave elles deux FarmPrest Ouest et FarmPrest Nord gegraverent actuellement 3 250 hectares pour le compte de 19 clients investisseurs proprieacutetaires ou agriculteurs qui souhaitent deacuteleacuteguer la gestion et lrsquoexercice des activiteacutes de production agricole (figure 7)

Comme on peut le lire sur son site Internet ou sa plaquette publicitaire le slogan de FarmPrest tient en une phrase laquo Exploitez vos terres autrement raquo Tout comme le font certaines grandes entreprises des secteurs industriels ou commerciaux le deacuteveloppement durable est pour FarmPrest un argument commercial de poids Si son meacutetier laquo est drsquoassurer

76 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

la rentabiliteacute et la peacuterenniteacute des exploitations agricoles raquo son objectif est drsquoatteindre laquo une triple performance eacuteconomique sociale et environnementale sur les terres raquo24 qursquoelle gegravere La question environnementale est un eacuteleacutement deacuteterminant dans la conquecircte par la firme drsquoune nouvelle clientegravele agricole FarmPrest entend laquo aborder lrsquoagriculture drsquoun œil critique avec une vision durable et une approche pratique raquo en appliquant laquo sur toutes les terres une agriculture juste et responsable raquo Elle propose en France une large gamme de services   audit drsquoexploitation agricole gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation eacutetudes environnementales recherche de partenaires industriels autres que les organismes stockeurs locaux pour assurer une valorisation supeacuterieure des productions et diversifier les assolements service notarial et juridique speacutecialiseacute en droit rural etc

Dans ces nouveaux scheacutemas de prestations lrsquooffre associeacutee drsquoun service de conseil laquo global raquo et laquo sur mesure raquo constitue un atout majeur pour se diffeacuterencier des entreprises de travaux agricoles classiques Il y a tout agrave la fois conseil strateacutegique drsquoentreprise conseil patrimonial et conseil agronomique et ce agrave diffeacuterents moments clefs du deacuteveloppement de lrsquoentreprise Tout comme en Belgique FarmPrest deacutelivre agrave ses clients franccedilais des conseils sur la strateacutegie globale agrave suivre reacutealise pour eux les achats drsquointrants et gegravere les ventes de leurs productions agricoles Drsquoautres prestataires eacutetudient avec leurs clients comment geacuterer de maniegravere optimale leur exploitation tout en reacutepondant aux nouvelles contraintes du premier pilier de la PAC Pour cette prise en charge globale des exploitations clientes sur la base drsquoune reacutemuneacuteration fixe agrave laquelle srsquoajoute une part variable (100 euroha + 5 de la marge nette) FarmPrest seacutelectionne des entreprises dont elle supervise hebdomadairement lrsquointeacutegraliteacute des travaux agricoles par le biais de land managers Dans chacune des socieacuteteacutes franccedilaises deacutetenues par FarmPrest Belgique nous retrouvons ces gestionnaires coordinateurs qui servent drsquointerface entre la socieacuteteacute de gestion les proprieacutetaires qui deacutelegraveguent totalement la gestion de leur exploitation et un ensemble drsquoETA qui interviennent sur la base drsquoun laquo bon de travail raquo

Ainsi comme dans le secteur du bacirctiment et travaux publics nous voyons apparaicirctre en agriculture un nouvel laquo ensemblier raquo reacuteunissant les figures du laquo maicirctre drsquoouvrage raquo (lrsquoagriculteur proprieacutetaire foncier) du laquo maicirctre drsquoœuvre raquo (lrsquoETA) et de laquo lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage raquo (FarmPrest) FarmPrest ne srsquoappuie pas sur un parc de mateacuteriel en propre mais sur des entreprises de travaux et de prestations agricoles Elle ne reacutealise donc pas les prestations mais les organise pour le compte de ses clients Interlocuteur unique aupregraves de ses clients FarmPrest est agrave la tecircte drsquoun reacuteseau de sous-traitants qursquoelle fait intervenir selon les besoins Comme donneuse drsquoordres elle peut ainsi mobiliser jusqursquoagrave dix entreprises speacutecialiseacutees pour le compte drsquoun seul client les semis eacutetant reacutealiseacutes par lrsquoune les traitements phytosanitaires lrsquoirrigation et la moisson par drsquoautres Disposant drsquoun laquo deacutepartement administratif raquo FarmPrest reacutedige les deacuteclarations PAC signeacutees ensuite par le proprieacutetaire ou ledit exploitant agricole Les donneacutees des fiches parcellaires des plans de fertilisation ou du suivi des mesures agro-environnementales sont enregistreacutees dans un logiciel permettant laquo de geacuterer les terres et les prairies comme un reacuteel asset financier raquo25 La maicirctrise du foncier et la valorisation de la main-drsquoœuvre familiale rendue laquo disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip) raquo sont les deux arguments avanceacutes par ces socieacuteteacutes de conseil-geacuterance

FarmPrest nrsquoest en France qursquoun exemple parmi drsquoautres Sur un modegravele eacutequivalent des socieacuteteacutes de gestion de type commercial sont creacuteeacutees dans le secteur des grandes cultures ou de la viticulture pour assurer la gestion et la geacuterance drsquoexploitations en quecircte

24 Plaquette commerciale FarmPrest France25 Plaquette commerciale FarmPrest France

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 77

de repreneurs ou racheteacutees par des investisseurs Souvent expeacuterimenteacutees dans la conduite drsquoexploitations de grande taille ces firmes parfois invisibles pour lrsquoadministration et lrsquoappareil statistique proposent drsquoaccompagner des entreprises individuelles dans lrsquoeacutelaboration de leur strateacutegie tout en mettant en place de gigantesques assolements en commun Les eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees sont preacutesenteacutees comme laquo des conditions avantageuses pour lrsquoachat des intrants et la vente des produits agricoles raquo26 Agrave lrsquoinstar des firmes de production industrielle les entreprises comme FarmPrest neacutegocient directement avec les grandes firmes de lrsquoagrofourniture ou de lrsquoindustrie agroalimentaire agrave qui elles garantissent des surfaces de production

Si dans un pays comme la France le deacuteveloppement des activiteacutes de sous-traitance et de deacuteleacutegation de lrsquoactiviteacute agricole agrave de nouveaux consortia aux allures de firmes commerciales peut surprendre ces activiteacutes sont plus anciennes et tregraves reacutepandues dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni Outre-Manche lrsquoentreprise Emilrsquos speacutecialiseacutee dans le conseil agronomique priveacute gegravere 56 000 hectares pour le compte de 160 clients et proprieacutetaires Disposant drsquoune agence deacutedieacutee aux investissements agricoles et agrave la prise en charge des travaux Emilrsquos seacutelectionne via des appels drsquooffres drsquoimportantes entreprises nationales de sous-traitance (contractors) et surveille leur performance pour le compte de ses clients Ces derniers confient la strateacutegie et le financement de leur exploitation agrave Emilrsquos qui perccediloit une reacutemuneacuteration fixe Les grandes agences de sous-traitance qursquoelle seacutelectionne supervisent les travaux reacutealiseacutes par des entreprises locales achegravetent les intrants et gegraverent les ventes Elles sont directement reacutemuneacutereacutees agrave la performance par les exploitantsproprieacutetaires

Agrave cocircteacute de ces socieacuteteacutes de gestion apparaicirct une figure ineacutedite drsquoentrepreneurs qui parallegravelement agrave leur profession principale (agriculteur conseiller-salarieacute drsquoune coopeacuterative agricole etc) offrent en freelance et agrave distance une large gamme de services Ces nouveaux types de gestionnaires travaillent principalement pour le compte de clients faisant partie de leurs reacuteseaux drsquointerconnaissance et ils adaptent au cas par cas leurs prestations Leur travail agrave distance a eacuteteacute derniegraverement faciliteacute par lrsquoarriveacutee de nouveaux outils numeacuteriques (applications pour smartphone permettant de geacuterer agrave distance certaines opeacuterations culturales) Ils peuvent ainsi prendre en charge selon la demande lrsquoensemble des opeacuterations techniques ou uniquement des tacircches administratives et de conseil (optimisation des deacutecisions techniques en fonction de la PAC etc) Certains drsquoentre eux jouent eacutegalement le rocircle de reacutegisseur drsquoune exploitation en deacuteleacutegation inteacutegrale Geacuteneacuteralement multi-compeacutetents ils peuvent aussi srsquoassocier agrave drsquoautres entreprises locales pour compleacuteter leur palette drsquoexpertises Du fait de la dissociation opeacuterationnelle entre proprieacuteteacute capital drsquoexploitation et travail ce type drsquoentreprises et drsquoentrepreneurs de services ouvrent la voie agrave des formes drsquoagricultures sans agriculteurs (Hervieu et Purseigle 2013)

422 De nouveaux arrangements contractuels

Lrsquoanalyse des arrangements contractuels entre les prestataires de services et les agriculteurs permet drsquoaller plus loin et de cerner les facteurs conduisant ces derniers agrave preacutefeacuterer la deacuteleacutegation inteacutegrale au fermage ou agrave lrsquoembauche drsquoun salarieacute (tableau 4) La propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement est drsquoautant plus forte que lrsquoexploitant exerce le meacutetier drsquoagriculteur agrave titre secondaire ou qursquoil a deacuteveloppeacute un atelier drsquoeacutelevage ou une diversification (tableau 5) Avec un contrat geacuteneacuteralement annuel reconduit tacitement la simpliciteacute et la

26 Plaquette commerciale FarmPrest France

78 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

souplesse des relations contractuelles constituent pour une majoriteacute des agriculteurs enquecircteacutes les principales raisons de lrsquoadheacutesion et ce malgreacute le coucirct relativement eacuteleveacute du service notamment lorsqursquoil engage un intermeacutediaire Le prix nrsquoarrive drsquoailleurs qursquoen sixiegraveme position des critegraveres de choix drsquoune ETA apregraves la confiance la proximiteacute la compeacutetence technique lrsquoefficaciteacute et le mateacuteriel (figure 5) Le paiement du service est deacutetermineacute agrave lrsquohectare Il comporte une part fixe (environ 75 ) et une part variable (25 ) La part fixe deacutepend des reacutegions de 400 euro agrave 500 euro par hectare en fonction du marcheacute de la sous-traitance des services fournis en suppleacutement de lrsquoexpertise agronomique et eacuteconomique (conseil drsquoun assolement et itineacuteraire technique en fonction des deacuteboucheacutes ou des incitations PAC) du suivi administratif jusqursquoagrave la gestion complegravete de lrsquoexploitation La part variable est fonction des reacutesultats de la campagne avec geacuteneacuteralement une indexation sur la marge nette de chaque culture pour la campagne concerneacutee Les achats drsquointrants ainsi que la commercialisation de la production sont souvent inclus dans le contrat de prestation car cela permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle mais aussi de faciliter lrsquoorganisation du travail puisque le prestataire peut geacuterer lrsquoensemble des exploitations-clientes comme une seule Une telle structure de paiement du service aide agrave reacutepartir le risque de production et de marcheacute entre le prestataire et le client et incite le prestataire et lrsquointermeacutediaire agrave optimiser leur performance eacuteconomique dans la conduite de lrsquoexploitation Elle facilite aussi les relations avec les acteurs en amont (agrofourniture) et en aval de la production (coopeacuteratives neacutegociants industries de transformation etc) Notons qursquoagrave cocircteacute des eacuteleacutements chiffreacutes la qualiteacute de la relation de deacuteleacutegation deacutepend eacutegalement des garanties apporteacutees par le prestataire (objectifs de moyens et aussi de reacutesultats) et de la palette de ses compeacutetences agronomiques (conventionnelles et alternatives) et de conseil (technique et strateacutegique) Agrave titre drsquoexemple dans tous les deacutepartements de la reacutegion Centre-Val de Loire la surface de grandes cultures deacuteleacutegueacutees inteacutegralement est estimeacutee agrave plus de 14 000 hectares en 2010 Ceci provient du fait que les terres y ont un potentiel de rendement eacuteleveacute permettant au proprieacutetaire foncier et au prestataire de construire une relation gagnant-gagnant venant concurrencer le fermage Cette relation est drsquoautant plus solide que le proprieacutetaire de lrsquoexploitation nrsquoa aucun investissement lourd agrave amortir qursquoil conserve son statut drsquoagriculteur et perccediloit les aides PAC tandis que le prestataire peut de son cocircteacute rationaliser le travail en pensant un assolement global pour lrsquoensemble des parcelles deacuteleacutegueacutees jouer sur les eacuteconomies drsquoeacutechelle pour neacutegocier les contrats de leasing-vente de machines agricoles et drsquoachat drsquointrants et agglomeacuterer lrsquooffre pour inteacuteresser les neacutegociants et industriels de lrsquoaval

laquo Je suis le seul maicirctre agrave bord et le gars qui vient chez moi le client qui vient me voir il faut qursquoil accepte mon mode de fonctionnement Srsquoil me dit laquomoi je veux que mon bleacute soit sur ma parcelle que mon maiumls soit sur ma parcelle raquo je lui dis laquoeacutecoutez je ne suis pas le bon fournisseur pour vousraquo Ccedila je ne saurai pas faire [hellip] et jrsquooptimise les coucircts drsquoachat parce qursquoon a un groupe donc on a une certaine surface donc on a un certain poids par rapport agrave nos fournisseurs et jrsquooptimise aussi un petit peu les prix de vente par rapport agrave la gestion enfin les interventions sur Euronext etc raquo (Prestataire opeacuterant en Champagne-Ardenne enquecircteacute en feacutevrier 2013)

laquo Creacuteer de la valeur crsquoest mon obsession Je vais reacutepondre agrave la demande fideacuteliser mes salarieacutes fideacuteliser les contrats Je ne fais pas du one shot Je fais du conventionnel je fais du bio je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopeacuterative du coin raquo (Prestataire opeacuterant dans la reacutegion Centre enquecircteacute en juin 2019)

Mais ceci nrsquoest pas toujours le cas et sur cer tains territoires comme en Haute-Garonne ougrave la concurrence est forte entre ETA ougrave les parcellaires sont morceleacutes et les rendements fortement variables drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre la rentabiliteacute de ce service nrsquoest alors garantie ni pour lrsquoETA ni pour le client

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 79

Tableau 4 - Caracteacuteristiques de deux contrats-types de deacuteleacutegation inteacutegraleContrat A Contrat B

(avec intermeacutediaire entre client et ETA)

ObjetPrestation inteacutegrale de services avec une prise de risque financier partageacutee

Reacutealisation de travaux agricoles de la preacuteparation du sol jusqursquoaux derniers travaux avant la reacutecolte

Opeacuterations concerneacutees

bullEn cours de campagne ensemble des opeacuterations culturales (travaux des sols semis traitements eacutepandages reacutecolte et transport) + tour de plaine gestion des approvisionnements gestion des emballages vides des produits phytosanitaires appui administratif PAC

bullEn fin de campagne bilan conseil et preacuteparation de la campagne suivante (choix des assolements etc)

bullPrestataire deacutecompactage deacutechaumage labour semis rouleau eacutepandages pulveacuterisations broyage moisson

bulllaquo Intermeacutediaire raquo choix des assolements suivi technique gestion de lrsquoachat des intrants et de la vente des reacutecoltes gestion administrative (deacuteclaration PAC plans drsquoeacutepandage et de traitement suivi des mesures agro-environnementales)

Dureacutee du contrat

Campagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement 2 contrats lrsquoun liant le client agrave lrsquointermeacutediaire et lrsquoautre liant le client et lrsquoETA prestataireCampagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement

Principaux engagements des parties prenantes

bullPrestataire intervenir apregraves prise de deacutecision conjointe avec le client (assolement produits et quantiteacutes) reacutealiser lrsquoensemble des opeacuterations neacutecessaires agrave lrsquoobtention drsquoune reacutecolte optimale respecter les normes en vigueur (conditionnaliteacute PAC et reacuteglementation Certiphyto) proposer des pratiques alternatives

bullClient payer la prestation srsquoengager agrave acheter les intrants preacuteconiseacutes

bullETA prestataire intervenir dans les meilleurs deacutelais selon le contrat de culture connexe agrave son compte avec son mateacuteriel et son personnel utiliser un mateacuteriel entretenu et reacutegleacute de faccedilon agrave obtenir la meilleure efficaciteacute possible et conforme agrave la reacuteglementation en vigueur

bullIntermeacutediaire geacuterer les parcelles optimiser la conduite technique et administrative

bullClient confier la gestion des parcelles agrave lrsquointermeacutediaire  payer toutes les factures lieacutees aux opeacuterations de culture et la prestation de lrsquointermeacutediaire

Modaliteacutes de paiement

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable indexeacutee sur la marge nette de lrsquoexploitation ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants et ndash les aides PAC) et calculeacutee apregraves production de lrsquoensemble des factures des produits et des charges de la culture

bullFrais de montage du dossier

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable un de la marge nette de la production ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants ndash les aides PAC ndash les frais de sous-traitance)

CommunicationbullDe bouche agrave oreille sur laquo transparence expeacuterience confiance souplesse respect de lrsquoenvironnement raquo

bullPlaquette salons professionnels sur laquo transparence discreacutetion expertise respect de lrsquoenvironnement seacutecuriteacute du revenu eacuteconomies deacutegageacutees et marge raquo

Source Tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees entre 2012 et 2017

Tableau 5 - Deacuteterminants de la propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement Reacutegression logistique avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralementAge 0003 (0004)

Agriculteur agrave titre secondaire 0501 (0254)

Part du foncier en proprieacuteteacute - 0033 (0089)

Nombre drsquoassocieacutes 0219 (0169)

Preacutesence de main-drsquoœuvre familiale 0147 (0205)

Preacutesence drsquoun geacuterant - 0018 (0324)

Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 1004 (0345)

Surface en grandes cultures - 0173 (0076)

Surface en arboriculture - 0040 (0074)

Surface en maraicircchage - 0521 (0239)

Surface en vigne 0087 (0114)

Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) 0610 (0314)

Surface en cultures fourragegraveres 0277 (0199)

Surface en prairies permanentes - 0112 (0142)

Taille du troupeau bovin lait 1631 (0670)

Taille du troupeau bovin viande 0446 (0205)

Taille du troupeau ovin 0574 (0322)

Taille de lrsquoeacutelevage de volaille 0426 (0231)

Taille du troupeau caprin - 0629 (0407)

Constante 1731 (0243)

Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

1 087

- 419542

879083plt01 plt005 plt0001Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs avec les donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

80 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

laquo Ici dans le Lauragais on ne peut pas ecirctre vraiment entrepreneur Tout le monde a ses machines mecircme ceux qui ont 20 hectares Il y a trop drsquoargent avec un mateacuteriel surdimensionneacute Tout le monde fait de la sous-traitance agrave des prix tregraves bas Je ne recrute pas de nouveaux clients en laquo A agrave Z raquo surtout srsquoils ont des petites parcelles eacuteparpilleacutees partout On rentre juste dans nos frais mais on nrsquoarrive pas agrave reacutemuneacuterer le travail Je preacutefeacutererais avoir les terres en fermage mais les gens nrsquoaiment pas le fermage par ici raquo (Agriculteur ayant une activiteacute de prestation en Occitanie enquecircteacute en avril 2017)

Par ailleurs selon les teacutemoignages des ETA et agriculteurs enquecircteacutes agrave cocircteacute des risques classiques de production et de marcheacute qui peuvent ecirctre plus ou moins pris en charge dans les termes du contrat deacuteleacuteguer inteacutegralement comporterait pour lrsquoagriculteur des risques inheacuterents agrave la nature de la transaction agrave savoir un risque de requalification du contrat en bail agrave ferme ou encore de perte du statut drsquoexploitant et donc des aides PAC Malgreacute cela en raison de la souplesse des contrats de deacuteleacutegation inteacutegrale des services connexes et des garanties qursquoelle met en avant lrsquoagriculteur proprieacutetaire des terres mais nrsquoexploitant plus preacutefeacuterera avoir recours agrave cette deacuteleacutegation inteacutegrale dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise ou drsquoune vente eacuteventuelle De fait il nrsquoest pas rare de voir dans le cadre drsquoune relation durable de deacuteleacutegation certaines grandes ETA acqueacuterir des parts dans le capital drsquoexploitations ayant un statut juridique de type socieacutetaire (SCEA notamment) et devenir un associeacute co-geacuterant de ces derniegraveres Ce faisant elles chapeautent de nouvelles entiteacutes productives laquo invisibles raquo composeacutees drsquoun ensemble drsquoexploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale (Nguyen et al 2017 Purseigle et al 2019)

423 Le numeacuterique au service de la sous-traitance

Depuis une dizaine drsquoanneacutees de nombreuses plates-formes drsquointermeacutediation des eacutechanges ont eacutemergeacute en investiguant les mecircmes champs drsquoaction que les organisations professionnelles agricoles et les entreprises classiques financement conseil et formation achat drsquointrants recrutement de main-drsquoœuvre location ou achat de mateacuteriel gestion des coproduits commercialisation et logistique mais eacutegalement prestation de services (Brailly et al 2018) Dans la grande majoriteacute des cas ces plates-formes ambitionnent de mettre en relation des agriculteurs avec drsquoautres agriculteurs (location de mateacuteriel ou eacutechange de parcelles par exemple) ou avec drsquoautres professionnels (prestataires de services)

En mars 2019 il a eacuteteacute possible de recenser 101 plates-formes de services de type B-to-B27 (Brailly et al 2018) deacutedieacutees au secteur agricole (figure 8) Bien que les premiegraveres drsquoentre elles aient eacuteteacute creacuteeacutees au tournant des anneacutees 2000 ce nrsquoest qursquoagrave compter de 2013 que leur nombre augmente significativement et que leur champ drsquoaction se diversifie consideacuterablement Par les services qursquoelles proposent elles entrent en concurrence plus ou moins frontale avec des organisations professionnelles agricoles et drsquoautres entreprises deacutejagrave en place proposant depuis longtemps des services similaires

Il existe en 2019 sept plates-formes qui proposent soit de mettre en lien prestataires et clients sur tout le territoire franccedilais soit de reacutealiser elles-mecircmes la prestation en proposant agrave la location agrave la fois le mateacuteriel et le chauffeur Comme dans lrsquoexemple ci-dessous les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves des fondateurs de ces plates-formes aident agrave mieux comprendre les jeux de concurrence et de collaboration entre plates-formes et acteurs traditionnels de la sous-traitance

27 Parce qursquoelles relegravevent drsquoune logique diffeacuterente du fait de leur orientation Business to Consumer nous avons exclu de notre analyse les plateformes de commercialisation directe aupregraves du consommateur tout comme celles reposant sur un seul vendeur et celles aux allures de blogs fondeacutees sur des eacutechanges de connaissances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 81

Creacuteeacutee en 2017 ConnectingFarm est une plate-forme dont le but est de faire le lien entre agriculteurs et prestataires de travaux agricoles (ETA) Son objectif est laquo de simplifier seacutecuriser et fiabiliser la mise en relation entre les agriculteurs et leurs prestataires de travaux raquo28 Elle srsquoadresse agrave des exploitants ne posseacutedant ni la main-drsquoœuvre formeacutee ni le mateacuteriel neacutecessaire agrave la reacutealisation de leurs travaux Tout comme drsquoautres plates-formes celle-ci permet de reacuteduire les charges mateacuterielles drsquoeacutequipement non utiliseacute Cocircteacute prestataires elle srsquoadresse particuliegraverement agrave ceux souhaitant accroicirctre leur visibiliteacute Crsquoest en effet un moyen facile pour ecirctre rapidement mis en relation avec diffeacuterents clients Les prestataires srsquoinscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils prix disponibiliteacutes) pendant que les agriculteurs agrave la recherche drsquoun prestataire indiquent les caracteacuteristiques des travaux agrave reacutealiser

28 Plaquette de publiciteacute de ConnectingFarm

Figure 8 ndash Essor des plateformes numeacuteriques agricoles

Source Brailly et al 2019 agrave partir des donneacutees Infogreffe

82 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Cette jeune start-up a eacuteteacute cofondeacutee par deux ingeacutenieurs agricoles Forts de leurs expeacuteriences respectivement dans le secteur du machinisme agricole et de directeur de projet digital au sein drsquoune entreprise internationale ils souhaitent aider les prestataires de travaux agricoles et les agriculteurs agrave laquo mieux vivre de leur meacutetier en fluidifiant leurs eacutechanges raquo (ConnectingFarm 2018) Les valeurs phares de leur entreprise seraient lrsquoesprit du collectif et le partage tant de savoirs que de machines agricoles Cette plate-forme est particuliegraverement active en Normandie reacutegion ougrave elle a vu le jour mais commence agrave deacuteployer son offre dans toute la France Apregraves avoir en 2018 remporteacute le tropheacutee de lrsquoeacuteconomie normande dans la cateacutegorie laquo innovation raquo cette plate-forme a reacutealiseacute une importante leveacutee de fonds lui permettant de poursuivre son deacuteveloppement Elle repose aujourdrsquohui sur quatre associeacutes et prend la forme drsquoune holding

La plate-forme ConnectingFarm se deacutemarque des autres gracircce agrave plusieurs fonctionnaliteacutes rendues possibles par lrsquooutil numeacuterique mais aussi par des partenariats speacutecifiques Tout drsquoabord elle permet aux agriculteurs de dessiner et circonscrire la parcelle ougrave auront lieu les travaux afin de faciliter la communication avec le prestataire Cette plate-forme entend ensuite modifier le rapport de forces entre ETA et exploitants agricoles en offrant la possibiliteacute aux clients de choisir leur prestataire au sein drsquoun reacutepertoire rassemblant plus de 14 000 ETA agrave travers la France La possibiliteacute de visualiser lrsquoensemble des prestataires agricoles et leurs caracteacuteristiques permettrait eacutegalement aux agriculteurs de mieux eacutevaluer et geacuterer les travaux agrave venir sur leur exploitation et donc de srsquoassurer de la disponibiliteacute de la main-drsquoœuvre au bon moment De la mecircme maniegravere ConnectingFarm offre aux prestataires des services de communication et un outil de gestion de leurs activiteacutes de sous-traitance (facturation automatiseacutee et suivie en temps reacuteel) Un autre objectif de la plateforme est de deacuteployer la prestation en assurant une certaine seacutecuriteacute tant pour le client que pour le prestataire Le client dispose ainsi de plusieurs options de paiement et il peut avoir accegraves agrave des precircts de campagne pour financer les travaux dans les temps gracircce agrave un partenariat avec une des banques leader sur le marcheacute agricole La derniegravere fonctionnaliteacute proposeacutee par ConnectingFarm est la gestion et la valorisation des donneacutees des parcelles et de lrsquoexploitation avec un objectif drsquooptimisation des interventions aux champs et de conseil global La proposition de valeur de ConnectingFarm croise trois registres laquo agreacutegation de donneacutees raquo laquo coordination de travaux raquo et laquo suivi administratif et technique raquo

Mecircme si leur modegravele eacuteconomique est encore agrave lrsquoeacutepreuve les plates-formes comme ConnectingFarm suggegraverent que la transition numeacuterique gagne le marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation en lui confeacuterant une nouvelle facette gracircce agrave la mise en relation directe des acteurs (et donc agrave leur mise en concurrence) et en deacuteveloppant une offre multi-services La creacuteation de systegravemes experts permettant lrsquoharmonisation des donneacutees collecteacutees par diffeacuterents types drsquoeacutequipements et personnes leur ouvre des perspectives nouvelles en matiegravere de services de conseil Toutefois des interrogations demeurent quant agrave la deacutefinition de la proprieacuteteacute des donneacutees et de leurs usages Comme pour les ETA lrsquooffre de conseil devient une composante strateacutegique de la sous-traitance gracircce agrave une meilleure valorisation du service et un renforcement de la relation clientsous-traitant

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 83

Conclusion lrsquoessor de la sous-traitance un marqueur majeur des mutations agricoles

Lrsquoeacutemergence de grandes entreprises agricoles inteacutegreacutees emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de laquo gestionnarisation raquo ineacutedites (Purseigle et al 2017) Mais agrave cocircteacute drsquoelles le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la sous-traitance ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation drsquoune partie du secteur de la production agricole et de lrsquoeacutemergence de nouveaux reacuteseaux drsquoexploitations La tertiarisation de lrsquoagriculture franccedilaise ne constituerait-elle pas un mouvement certes peu visible mais beaucoup plus profond que celui drsquoindustrialisation des uniteacutes de production deacutecrieacutee dans les meacutedias Nos travaux nous amegravenent agrave le penser Alors que le pheacutenomegravene est plus tardif en agriculture il eacutepouse des contours parfois similaires agrave ceux observeacutes dans les secteurs industriels et des services Des chefs drsquoexploitation deacutelegraveguent aujourdrsquohui de plus en plus pour creacuteer des avantages comparatifs optimisation des coucircts recentrage sur leur cœur de meacutetier accegraves agrave de nouvelles pratiques et compeacutetences etc

Pour autant la sous-traitance dans le secteur agricole preacutesente aussi des caracteacuteristiques singuliegraveres La premiegravere consiste agrave sous-traiter des opeacuterations qui engagent des actifs speacutecifiques (eacutequipements de preacutecision etou des compeacutetences speacutecialiseacutees) comme le traitement lrsquoeacutepandage le semis direct ou encore le suivi de lrsquoagnelage Il est fort probable que le contexte socio-eacuteconomique et regraveglementaire actuel du secteur agricole et le coucirct croissant des technologies aient deacuteplaceacute les seuils de rentabiliteacute de certains investissements conduisant les exploitants agrave privileacutegier la sous-traitance Transition vers une agriculture agrave bas intrants et transition numeacuterique au travers des effets indirects et non intentionnels des exigences reacuteglementaires et des politiques publiques associeacutees ne constitueraient-elles pas finalement un terreau favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance

La deuxiegraveme singulariteacute a trait aux preacutefeacuterences de lrsquoagriculteur lorsqursquoil agit selon une logique entrepreneuriale mais aussi selon une logique purement patrimoniale Crsquoest cette derniegravere qui est agrave lrsquoorigine drsquoune pratique ineacutedite dans le monde de la sous-traitance agrave savoir la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation Elle va au-delagrave drsquoune simple deacuteleacutegation des opeacuterations techniques et conduit agrave confier la gestion de lrsquoentreprise agrave un tiers La profession agricole vivrait lagrave une veacuteritable rupture non seulement dans lrsquoorganisation du travail agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation et du territoire mais eacutegalement dans lrsquoexercice du meacutetier drsquoagriculteur Ce pheacutenomegravene relativement nouveau en France lrsquoest moins dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni et la Belgique toucheacutes avant la France par le deacuteclin deacutemographique des actifs agricoles

Ces strateacutegies ne sont pas neutres au regard du renouvellement des exploitations familiales Si elles pallient des transmissions familiales incomplegravetes elles ouvrent aussi la voie agrave des formes drsquoagriculture ougrave la dimension familiale perd sa centraliteacute Les dissociations entre terre travail et capital opeacutereacutees par ces formes de deacuteleacutegation constituent des eacuteleacutements de deacutepassement de lrsquoorganisation familiale du travail en agriculture vers une agriculture de type socieacutetaire porteacutee ou opeacutereacutee par des acteurs non familiaux

Parallegravelement le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation traduit de nouvelles voies drsquoentreacutee dans le meacutetier pour des jeunes issus de familles agricoles et pour qui la transmission de pegravere en fils ne va plus de soi ou encore pour ceux qui nrsquoen sont pas issus et qui deacutecident drsquoexercer un meacutetier agricole sans pour autant vouloir ou pouvoir srsquoinstaller comme chef drsquoexploitation Pour tous ces jeunes ces voies singuliegraveres peuvent se reacuteveacuteler attractives en raison non seulement du statut de salarieacute mais aussi de la flexibiliteacute de carriegravere qursquoelles offrent mais agrave la condition qursquoelles soient accompagneacutees par des formations approprieacutees et des conditions drsquoemploi favorables

84 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Au-delagrave de la question de lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation du travail en agriculture et de leur coexistence ce nouveau contexte conditionne la mise en place des projets strateacutegiques porteacutes par les organisations professionnelles agricoles En effet il pose la question des nouvelles formes de coopeacuteration au service de projets individuels29 des formes souvent plus flexibles et plus diversifieacutees de la production agrave la commercialisation groupements fonciers agricoles investisseurs groupements drsquointeacuterecirct eacuteconomique drsquoapprovisionnement socieacuteteacute civile laitiegravere CUMA inteacutegrale assolement en commun SARL de commercialisation groupement drsquoemployeurs etc Ces formes reacutepondent agrave des objectifs multiples (eacuteconomies de gamme et drsquoeacutechelle pilotage par la valeur ajouteacutee organisation du travail conservation drsquoun patrimoine par sortie partielle ou totale du meacutetier)

Nous pensons que lrsquoexternalisation du travail agricole et le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture interagissent avec trois registres drsquoaction des organisations professionnelles agricoles Le premier est celui des relations aux adheacuterents la mise en place de nouveaux dispositifs productifs en agriculture pose la question de lrsquointerlocuteur pertinent Qui est-il Entre celui qui possegravede et celui qui fait lequel peut ecirctre encore consideacutereacute comme interlocuteur de lrsquoorganisation professionnelle (notamment les coopeacuteratives) Le deuxiegraveme registre concerne les nouvelles fonctions productives que pourraient inteacutegrer ou renforcer certains partenaires lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation de la production et lrsquooffre de conseil qui lrsquoaccompagne ne constituent-elles pas un nouveau marcheacute pour les organisations professionnelles les coopeacuteratives les firmes de lrsquoagrofourniture Enfin le dernier registre est celui de la gouvernance ces nouveaux acteurs de la production agricole peuvent-ils ecirctre inteacutegreacutes agrave la gouvernance de certaines organisations professionnelles et leurs repreacutesentants agrave celle drsquointerprofessions

La croissance de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation inteacutegrale ne bouscule pas uniquement les professionnels du secteur Alors mecircme que se discute la prochaine reacuteforme de la PAC elle interpelle eacutegalement les deacutecideurs politiques sur leur rocircle dans lrsquoeacutemergence et lrsquoaccompagnement du pheacutenomegravene Comme nous lrsquoavons souligneacute dans cet article certains dispositifs de politiques publiques sans ecirctre des causes directes semblent avoir nourri un contexte favorable au deacuteveloppement la sous-traitance

Le deacutecouplage des aides liant ces derniegraveres au foncier associeacute agrave un statut du fermage jugeacute contraignant tend aujourdrsquohui agrave inciter certains agriculteurs agrave la retraite ou enfants drsquoagriculteurs agrave avoir recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale Il srsquoagit souvent pour eux de conserver le foncier dans lrsquoattente drsquoune eacuteventuelle vente ou reprise agrave moyen ou long terme par un successeur encore non identifieacute ou tout simplement de se constituer un compleacutement de revenu sous forme de rente

Certaines reacuteglementations environnementales et une forte augmentation du prix des eacutequipements speacutecialiseacutes ont sans doute conduit de nombreux proprieacutetaires-exploitants agrave sous-traiter les traitements et ainsi externaliser les coucircts de lrsquoinvestissement Lrsquoentreacutee en vigueur du principe de seacuteparation des activiteacutes de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques conduirait certaines coopeacuteratives ou neacutegoces agrave chercher lagrave aussi de nouvelles activiteacutes de diversification et agrave offrir une palette de nouveaux services agrave des exploitations adheacuterentes ou clientes y compris en recourant agrave des creacuteations de filiales Outre la garantie drsquoune nouvelle source de profit ces nouvelles activiteacutes preacuteserveraient leur capaciteacute de collecte

29 Le nouveau slogan de lrsquoorganisation syndicale des coopeacuteratives agricoles en est une illustration laquo construisons en commun lrsquoavenir de chacun raquo

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 85

Les politiques ont sans doute contribueacute au pheacutenomegravene mais en France comme dans drsquoautres pays elles sont loin drsquoecirctre le seul deacuteterminant Le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes relegraveve avant tout drsquoun mouvement de fond qui teacutemoigne drsquoun effacement de lrsquoexercice familial du travail mais aussi de nouvelles formes drsquoarbitrage entre projet patrimonial et projet eacuteconomique au sein des familles agricoles Il atteste des profondes reconfigurations de lrsquooffre de services proposeacutee par des organisations professionnelles qui agrave lrsquoinstar des coopeacuteratives ou de CUMA sont interpelleacutees par de nouvelles attentes et de nouvelles conceptions de lrsquoaction collective porteacutees par leurs propres adheacuterents Il serait donc vain drsquoattendre drsquoune politique publique qursquoelle encadre ou controcircle une telle tendance Il convient avant tout de penser les processus sociaux et eacuteconomiques agrave lrsquoœuvre de les accompagner voire de les orienter plutocirct que de vouloir les contraindre

Ces processus neacutecessitent selon nous de mettre sur pied de nouveaux outils de portage foncier ou salarial qui ouvrent la voie agrave de nouvelles formes drsquoorganisations laquo passerelles raquo favorisant lrsquoarriveacutee dans les meacutetiers de lrsquoagriculture Lrsquoassouplissement des trajectoires professionnelles et les incertitudes qui entourent les activiteacutes agricoles appellent agrave promouvoir dans certains territoires des formes drsquoorganisation de la production moins homogegravenes Malgreacute les limites constateacutees et les interrogations souleveacutees la sous-traitance en agriculture participe de la diversification des activiteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouveaux meacutetiers Elle contribue aussi agrave lrsquoameacutelioration de la performance globale de certaines exploitations et agrave la reacuteorganisation de la production dans certaines zones intermeacutediaires ougrave le renouvellement des geacuteneacuterations de chefs drsquoexploitation semble compromis agrave court terme Sous reacuteserve de respecter des principes et comportements eacutethiques en matiegravere de droit du travail et de reacuteglementation environnementale ne peut-on pas voir dans la sous-traitance en agriculture une des composantes drsquoune veacuteritable reconfiguration strateacutegique de lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle des territoires

Pour cela il srsquoagit de ne pas abandonner les politiques en faveur de lrsquoinstallation bien au contraire Quelques pistes peuvent degraves lors ecirctre eacutevoqueacutees renforcer la performance des dispositifs drsquoaccompagnement agrave lrsquoinstallation et agrave la creacuteation drsquoactiviteacutes ameacuteliorer leur articulation en reconsideacuterant les conditions drsquoinsertion dans les meacutetiers etc En drsquoautres termes si lrsquoon admet que les contours et les statuts juridiques de lrsquoactiviteacute productive se transforment en profondeur il convient dans le mecircme temps de reconfigurer les modes de soutien agrave lrsquoentreacutee dans les meacutetiers La question ici poseacutee est celle de la maniegravere dont les politiques publiques vont accompagner un fait social et eacuteconomique pour servir lrsquoambition du maintien drsquoactifs agricoles mecircme si leurs visages diffegraverent de ceux drsquoaujourdrsquohui

86 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

Anzalone G Purseigle F 2014 laquo Deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes et sous-traitance au service de la transmission de lrsquoexploitation ou drsquoun patrimoine raquo dans P Gasselin J-P Choisis S Petit F Purseigle S Zasser (eds) Lrsquoagriculture en famille travailler reacuteinventer transmettre EDP Sciences Paris pp 327-337

Anzalone G Purseigle F Nguyen G Hervieu B 2019 laquo Chapitre 7 Des entreprises aux allures de firme Mutations des entreprises agricoles et nouveaux modes drsquoaccegraves au foncier raquo dans B Chouquer M C Maurel (eds) Normes et pratiques fonciegraveres et agricoles ndash Volume 1 Les mutations reacutecentes du foncier et des agricultures en Europe Presses universitaire de Franche-Comteacute et Presses de lrsquouniversiteacute de Sun Yat-Sen de Guanzhou pp 165-190

Arnold U 2000 ldquoNew Dimensions of Outsourcing a Combination of Transaction Cost Economics and the Core Competencies Conceptrdquo European Journal of Purchasing and Supply Management 6(1) pp 23-29

Ball RM 1987 ldquoAgricultural contractors some surveyfindingsrdquo Journal of Agricultural Economics 38(3) pp 481-488

Bakis H 1975 laquo La sous-traitance dans lrsquoindustrie raquo Annales de geacuteographie 84(463) pp 297-317

Brailly J Nguyen G et Purseigle F 2018 laquo Emergence de plateformes numeacuteriques et redeacutefinition des dynamiques de lrsquoaction collective dans le secteur agricole en France  raquo communication au colloque annuel de la chaire Villes et numeacuteriques 3 mai 2018 Sciences Po Paris

Chevalier B 2007 laquo Les agriculteurs recourent de plus en plus agrave des prestataires de service raquo INSEE-Premiegravere ndeg 1160

Cochet H 2008 laquo Vers une nouvelle relation entre la terre le capital et le travail raquo Eacutetudes fonciegraveres 134 pp 24-29

Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

FNCUMA 2019 Chiffres cleacutes Eacutedition 2017 FNCUMA Paris

FNEDT 2016 Rapport drsquoactiviteacute 2016 FNEDT Paris

FNSEA 2018 laquo Gestion preacutevisionnelle des emplois et des compeacutetences ndeg 8 Enquecircte lsquorsquoPrestataires de servicersquorsquo - Bilan final aoucirct 2018 raquo FNSEA ndash Observatoire Emploi Formation Deacutepartement des affaires sociales Paris

Gambino M Laisney C Vert J 2012 Le Monde agricole en tendances Un portrait social prospectif des agriculteurs Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 87

Guihard V Lesdos C 2007 laquo Lrsquoagriculture sur trente ans une analyse comparative avec lrsquoindustrie et les services raquo INSEE Reacutefeacuterences Lrsquoagriculture nouveaux deacutefis Eacutedition 2007 pp 47-63

Harff Y Lamarche H 1998 laquo Le travail en agriculture nouvelles demandes nouveaux enjeux raquo Eacuteconomie rurale 244(1) pp 3-11

Heacutebrard L 2001 laquo Le deacuteveloppement des services agricoles Une sous-traitance speacutecialiseacutee au service des agriculteurs raquo INSEE Premiegravere ndeg 817

Hervieu B Purseigle F 2013 Sociologie des mondes agricoles Armand Colin Paris

Holcomb TR Hitt MA 2007 laquo Toward a Model of Strategic Outsourcing raquo Journal of Operations Management 25 pp 464-481

Igata M Hendrikson A Heijman W 2008 laquo Agricultural Outsourcing a Comparison Between the Netherlands and Japan raquo Applied Studies in Agribusiness and Commerce 2(1) pp 29-33

Jeanneaux P Blasquiet-Revol H 2012 laquo La gestion des exploitations agricoles un eacutetat des lieux de la recherche en France raquo Annales des Mines-Geacuterer et comprendre 1 pp 29-40

Legagneux B Olivier-Salvagnac V 2017 laquo Quelle main-drsquoœuvre contractuelle dans les exploitations agricoles Agrave la base de lrsquoeacuteclatement du modegravele familial raquo Eacuteconomie Rurale 357-358 pp 101-116 doiorg104000economierurale5132

Le Gars C Roudieacute P (dirs) 1996 Des vignobles et des vins agrave travers le monde Hommage agrave Alain Huetz de Lemps Presses universitaires de Bordeaux

Lerbourg J Dedieu M-S 2016 laquo Lrsquoeacutequipement des exploitations agricoles Un recours agrave la proprieacuteteacute moins marqueacute pour les machines speacutecialiseacutees raquo Agreste Primeur ndeg 334

Mariotti F 2005 Qui gouverne lrsquoentreprise en reacuteseau Presses de Sciences Po Paris

Milberg W Winkler D 2013 Outsourcing Economics Global value Chains in Capitalist Development Cambridge University Press

Nguyen G Lepage F Purseigle F 2017 laquo Lrsquoentreacutee de capitaux externes dans les exploitations agricoles Une facette meacuteconnue des agricultures de firme en France  raquo dans Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris pp 65-95

Nguyen G Brailly J Purseigle F 2020 laquo Strategic Outsourcing and Precision Agriculture In France Towards a Silent Reorganization of Agricultural Production in France raquo communication agrave lrsquoAgricultural and Applied Economics Association - Allied Social Science Association Annual Meeting 2-4 janvier San-Diego Eacutetats-Unis

Perraudin C Thevenot N Valentin J 2013 laquo Sous-traitance et eacutevitement de la relation drsquoemploi les comportements de substitution des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 raquo Revue internationale du travail 152(3-4) pp 571-597

Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris

88 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Quelennec M 1987 laquo La sous-traitance industrielle gagne du terrain raquo Eacuteconomie et statistique 199(1) pp 27-42

Souquet C 2016 laquo La majoriteacute des entreprises font appel agrave des sous-traitants raquo Insee Focus 67 novembre 2016

Srnicek N 2017 Platform capitalism John Wiley amp Sons

Surubaru A 2014 La fragiliteacute des liens marchands Sociologie de la sous-traitance internationale collection laquo Europe terrains et socieacuteteacutes raquo Eacuteditions Peacutetra

Tashakkori A Teddlie C 1998 Mixed methodology Combining qualitative and quantitative approaches collection Applied Social Research Methods Series 46 Sage Publications

Williamson O E 2008 Outsourcing Transaction Cost Economics and Supply Chain Management Journal of Supply Chain Management 44(2) pp 5-16

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 89

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

Reacutesumeacute

En Rhocircne-Alpes la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) individuelle laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo a eacuteteacute ouverte en 2014 en zone de plaine avant drsquoecirctre eacutetendue en 2015 agrave titre exploratoire agrave certains territoires de montagne Agrave la demande de la DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes une eacutetude a eacuteteacute reacutealiseacutee en 2017 par le cabinet Acteon5 afin de construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments mais aussi son efficaciteacute et son efficience ex post telles que mesureacutees en fin de programmation Cet article restitue cette double deacutemarche ainsi que les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

Mots cleacutes

Mesure agro-environnementale biodiversiteacute Auvergne - Rhocircne-Alpes eacutevaluation montagne systegravemes herbagers et pastoraux

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 ACTeon environnement 5 place Sainte-Catherine 68000 Colmar2 Geacuterard Hanus consultant Le Rousset quartier drsquoArzeliers 05300 Laragne-Monteacuteglin3 Herveacute Coquillart consultant Territoire Environnement Biodiversiteacute la Brosse 42140 Virigneux4 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 3 rue Barbet-de-Jouy 75007 Paris5 ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018 Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne volets 1 et 2 httpsagriculturegouvfrmise-en-oeuvre-du-dispositif-evaluatif-de-la-mesure-agro-environnementale-individuelle-systemes

Anaiumls Hanus1 Geacuterard Hanus2 Herveacute Coquillart3 Estelle Midler4

90 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

En Rhocircne-Alpes les territoires les milieux et la biodiversiteacute de montagne sont faccedilonneacutes par lrsquoeacutelevage herbager et pastoral et peuvent donc ecirctre impacteacutes par ses eacutevolutions Pour faire face aux difficulteacutes rencontreacutees par les exploitations dans cette reacutegion les Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) preacutevoient en application de la reacuteglementation nationale et europeacuteenne un instrument speacutecifique de soutien eacuteconomique aux exploitations de montagne lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) visent quant agrave elle lrsquoeacutevolution ou le maintien de pratiques reacutepondant agrave des enjeux environnementaux territoriaux identifieacutes dans le cadre de Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC)

La MAEC laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle (SHP 01) est un dispositif de maintien de pratiques visant agrave preacuteserver la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee Elle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement repose sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Une eacutetude commandeacutee par le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour le compte de la DRAAF Auvergne - Rhocircne-Alpes a eacuteteacute lanceacutee en 2017 afin de mettre en place une deacutemarche drsquoeacutevaluation de cette strateacutegie drsquoouverture de la SHP 01 aux zones de montagne de Rhocircne-Alpes Reacutealiseacutee par le cabinet Acteon elle avait deux objectifs a) eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments (ICHN MAEC agrave enjeux localiseacutes) puis b) construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Cet article a pour objectif de restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

La premiegravere partie preacutesente la probleacutematique le dispositif eacutevaluatif mis en place et les meacutethodes utiliseacutees pour lrsquoeacutevaluation ex ante La partie suivante deacutetaille le contexte les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP 01 dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes Ensuite sont preacutesenteacutes les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence de la SHP 01 pour ces territoires de sa coheacuterence avec les autres aides (dont lrsquoICHN) et de sa contribution au revenu des eacuteleveurs condition neacutecessaire au maintien de lrsquoactiviteacute Enfin en quatriegraveme partie deux facteurs pouvant contribuer agrave renforcer lrsquoimpact de la SHP 01 sont discuteacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 91

1 Probleacutematique et meacutethodologie de lrsquoeacutetude

11 Qursquoest-ce que la MAEC SHP 01

La MAEC SHP 01 est une aide contractuelle visant agrave preacuteserver lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours et des prairies permanentes6 agrave flore diversifieacutee en particulier de certaines surfaces dites laquo surfaces cibles raquo (MAA 2017) Il srsquoagit drsquoune mesure laquo de maintien raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement se base deacutejagrave sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours (au moins 70 de surfaces en herbe et pastorales dans la SAU) et sur des pratiques favorables agrave la preacutesence drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Ainsi le contrat impose

- le maintien des couverts permanents de lrsquoexploitation ou Surfaces toujours en herbe (STH) crsquoest-agrave-dire des prairies permanentes et des parcours (figure 1)

- des reacutesultats sur des surfaces cibles (SC) choisies par lrsquoeacuteleveur parmi les couverts permanents de lrsquoexploitation avec selon les cas un accompagnement technique (opeacuterateur ou animateur) La proportion de SC dans la surface toujours en herbe (entre 20 et 50 ) deacutepend du niveau de risques de disparition ou drsquoeacutevolution des pratiques estimeacute sur le territoire Ces obligations de reacutesultats se traduisent par le respect drsquoindicateurs drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu (preacutesence de plantes indicatrices pour les prairies permanentes et utilisation annuelle minimum pour les surfaces pastorales)

- un taux de chargement animal global infeacuterieur agrave 14 UGB7ha

- la non-utilisation des produits phytosanitaires

La contractualisation de la SHP 01 vise ainsi le maintien conjoint de certaines pratiques et de la biodiversiteacute Agrave la diffeacuterence de la SHP 02 qui srsquoadresse aux entiteacutes collectives la SHP 01 srsquoadresse aux exploitations

Lecture STH Surfaces toujours en herbe PT Prairies temporaires SC surfaces cibles SCOP surfaces en ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux Source ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (2017) et groupe de travail reacutegional MAEC

Figure 1 - Critegraveres drsquoeacuteligibiliteacute et drsquoengagement de la SHP 01

6 Les laquo prairies permanentes raquo sont celles qui nrsquoont pas eacuteteacute laboureacutees dans les cinq derniegraveres anneacutees7 UGB Uniteacutes de gros beacutetail Il srsquoagit de lrsquouniteacute de reacutefeacuterence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type drsquoanimal drsquoeacutelevage Elle permet de convertir tous les types drsquoanimaux dans la mecircme uniteacute

92 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

12 Probleacutematique de lrsquoeacutetude

En Rhocircne-Alpes la SHP 01 a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine uniquement Cette deacutecision a eacuteteacute prise pour deux raisons a) il existe des risques de deacuteprise et drsquointensification dans ces zones b) en zone de montagne des dispositifs comme lrsquoICHN revaloriseacutee permettent de reacutepondre aux objectifs de maintien des systegravemes herbagers et des surfaces (Hanus et al 2017) En outre la MAE SHP 02 est mobiliseacutee en montagne ougrave les surfaces sont geacutereacutees en grande partie par des organisations collectives8

Cependant certains territoires comme le Beaujolais Vert (dont la zone de pieacutemont fait face agrave des risques de deacuteprise et drsquointensification forts) et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne argumentant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Celle-ci a donc eacuteteacute ouverte dans ces territoires de montagne agrave titre exploratoire et agrave budget constant en preacutevoyant de reacutealiser une eacutevaluation externe afin drsquointerroger la pertinence de cette deacutecision et drsquoen tirer des enseignements pour lrsquoensemble de la Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes

Trois phases ont eacuteteacute preacutevues pour cette eacutevaluation

- la premiegravere reacutesidait dans la mise en place drsquoun dispositif eacutevaluatif et drsquoune premiegravere eacutevaluation ex ante de la pertinence de la strateacutegie drsquoactivation de la SHP 01 et de sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres mesures (reacutealiseacutee en 2017 et objet de cet article)

- la deuxiegraveme phase consiste en une eacutevaluation agrave mi-parcours (201920 agrave reacutealiser)

- la troisiegraveme phase en 2022 sera deacutedieacutee agrave lrsquoeacutevaluation ex post

Agrave terme le dispositif eacutevaluatif doit permettre drsquoune part drsquoanalyser les eacutevolutions sur les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes ayant activeacute la SHP 01 et drsquoautre part de mener des comparaisons avec des territoires de plaine et des territoires nrsquoayant pas activeacute la SHP 01 de mecircme qursquoentre territoires diffeacuterents (par exemple pastoral vs herbager) et entre exploitations ayant ou non contractualiseacute la SHP 01 (au sein de territoires qui la proposaient)

13 Meacutethodologie

Lrsquoeacutetude comportait deux volets dont les objectifs sont preacutesenteacutes dans la figure 2

131 Volet 1 construction du dispositif eacutevaluatif

La reacutealisation du volet 1 srsquoest appuyeacute sur des entretiens (Reacutegions opeacuterateurs porteurs des PAEC) et sur une analyse documentaire (Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux dossiers de candidatures travaux du groupe de travail etc voir le volet 1 du rapport p 8 pour plus de deacutetails) permettant drsquoeacutetudier les strateacutegies drsquoactivation de la mesure au niveau reacutegional et celles de mise en œuvre par les territoires (mobilisation ou non de la mesure face aux enjeux identifieacutes) Ce travail a abouti agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune premiegravere version drsquoun diagramme logique drsquoimpact (DLI) de la SHP 01 puis agrave une liste de questions eacutevaluatives (encadreacute 1) discuteacutee et valideacutee par le comiteacute de pilotage de lrsquoeacutetude

8 En Auvergne la strateacutegie drsquoouverture ne diffeacuterencie pas zones de plaine et de montagne La MAE SHP 01 est mobilisable sur toutes les Zones drsquoaction prioritaires eau biodiversiteacute et une zone laquo seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 93

Source auteurs volet 1 du rapport final p5

Figure 2 - Objectifs de lrsquoeacutetude

Pour chaque question eacutevaluative des indicateurs ont eacuteteacute proposeacutes commenteacutes et valideacutes par le comiteacute de pilotage Un reacutefeacuterentiel drsquoeacutevaluation deacutetaille pour chaque indicateur

- le type drsquoindicateur (contexte reacutealisation reacutesultat impact pertinence ou coheacuterence) la nature de lrsquoindicateur (quantitatif ou qualitatif) la theacutematique agrave laquelle se reacutefegravere lrsquoindicateur (milieux systegravemes place des surfaces en herbe eacuteconomie contrats et ingeacutenierie territoriale)

- lrsquoeacutechelle (territoriale de lrsquoexploitation ou parcellaire) et le champ geacuteographique drsquoapplication de lrsquoindicateur (territoires et exploitations concerneacutees)

- la phase de la programmation pendant laquelle renseigner les indicateurs (eacutevaluation ex ante intermeacutediaire etou ex post)

- les meacutethodes de recueil (qualitatives et quantitatives) et les analyses neacutecessaires au renseignement des indicateurs

Enfin un manuel a eacuteteacute reacutedigeacute pour appuyer les eacutevaluateurs dans la reacutealisation des futures eacutevaluations intermeacutediaire et ex post (ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil 2018c)

94 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Le ou les critegraveres drsquoeacutevaluation associeacutes agrave chaque question sont preacuteciseacutes entre parenthegraveses

1 La mesure systegraveme SHP 01 est-elle adapteacutee pour reacutepondre aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres (prairies et surfaces pastorales) et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique sur les territoires PAEC concerneacutes (Pertinence)

2 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 sur ces territoires a-t-elle permis drsquoeacuteviter lrsquointensification ou lrsquoabandon des pratiques sur les surfaces cibles Comment a-t-elle impacteacute les pratiques sur le reste de la STH Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

3 Quels sont les impacts de la mesure en matiegravere de biodiversiteacute sur les surfaces cibles (Efficaciteacute)

4 En quoi la mesure SHP 01 a-t-elle pu opeacuterer un changement de regard des agriculteurs sur ces surfaces A-t-elle eacuteteacute un levier drsquoaction pour entraicircner une reacuteflexion plus globale sur la gestion de ces surfaces au-delagrave du soutien financier Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

5 La mesure a-t-elle contribueacute agrave lrsquoeacutevolution des systegravemes drsquoexploitation vers une meilleure inteacutegration et valorisation des surfaces cibles Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute et coheacuterence externe)

6 Dans quelle mesure la SHP 01 peut-elle contribuer agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits et agrave un revenu plus eacuteleveacute Comment cela srsquoarticule-t-il avec lrsquoICHN (Efficaciteacute)

7 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 a-t-elle engageacute ou renforceacute une dynamique de groupe pour la reacuteflexionformation des agriculteurs sur la theacutematique des surfaces herbagegraveres Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

8 Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle contribueacute agrave une diffusion des modegraveles de productiondes pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle assureacute un meilleur maintien des surfaces herbagegraveres sur les territoires PAEC lrsquoayant activeacutee (Efficaciteacute)

9 Les conditions de peacuterennisation des pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire sont-elles reacuteunies   Dans ce contexte une non-reconduction du soutien SHP 01 est-elle envisageable (Efficaciteacute efficience et coheacuterence externe)

10 Dans quelle mesure la SHP et les MAEC agrave enjeux localiseacutes se combinent-elles pour reacutepondre aux enjeux En quoi lrsquoactivation de la SHP peut-elle constituer un levier vers la certification en agriculture biologique (Coheacuterence externe)

Encadreacute 1 - Liste des questions eacutevaluatives ayant guideacute le travail

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 95

132 Volet 2 lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence et de la coheacuterence de la SHP 01

Lrsquoeacutevaluation ex ante constitue le second volet de lrsquoeacutetude et la premiegravere eacutetape de mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif Elle a pour objectifs a) de renseigner les indicateurs de contexte et de dresser lrsquoeacutetat de reacutefeacuterence des territoires ayant ou non activeacute la SHP 01 en montagne en Rhocircne-Alpes9 b) de renseigner certains indicateurs de reacutealisation et de reacutesultat pour les anneacutees 201516 avec pour objectif drsquoeacutetudier leur eacutevolution dans les eacutevaluations futures et c) de fournir de premiers eacuteleacutements de reacuteponse agrave des questions eacutevaluatives lieacutees agrave la pertinence de cette strateacutegie drsquoactivation et agrave sa coheacuterence vis-agrave-vis de mesures preacuteexistantes (questions 1 6 et 10)

Lrsquoeacutevaluation ex ante considegravere plusieurs eacutechelles territoriales

- huit territoires de montagne de Rhocircne-Alpes et Auvergne ont ou auraient pu activer la SHP 01 (voir carte 1) Une partie des indicateurs sont donc renseigneacutes pour ces territoires ils alimenteront un eacutetat de reacutefeacuterence neacutecessaire agrave lrsquoanalyse ulteacuterieure des eacutevolutions

- certains indicateurs sont renseigneacutes agrave lrsquoeacutechelle des PAEC drsquoautres agrave lrsquoeacutechelle des Zones drsquointervention prioritaires (ZIP) deacutefinies au sein des PAEC sur lesquelles la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee10 Cela permettra drsquoanalyser des eacutevolutions lieacutees agrave la contractualisation de la SHP 01 sur les territoires ougrave elle a effectivement eacuteteacute activeacutee ainsi que de comparer ces eacutevolutions avec celles de ZIP drsquoautres PAEC dont les enjeux sont proches mais les mesures activeacutees diffeacuterentes

- une partie des indicateurs (notamment les indicateurs de reacutesultats) sont renseigneacutes seulement pour trois territoires ayant activeacute la SHP 01 appeleacutes laquo territoires-types raquo Le choix de ces territoires-types a reposeacute sur la recherche drsquoune diversiteacute de milieux et systegravemes (tableau 1) sur le niveau de contractualisation SHP 01 et la volonteacute des opeacuterateurs de participer Au final trois territoires-types ont eacuteteacute retenus les Crecircts du Haut-Jura le Beaujolais Vert eacutelargi et les Baronnies drocircmoise

9 Les territoires de plaine ne sont pas inclus dans cette eacutetude10 Ou les mesures Herbe 07 et 09 dans le cas de lrsquoArdegraveche et des Bauges

Source auteurs drsquoapregraves Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes laquo Tout savoir sur les 10 Parcs naturels reacutegionaux drsquoAuvergne-Rhocircne-Alpes raquo httpswwwauvergnerhonealpesfrdossier824-tout-savoir-sur-les-10-parcs-naturels-regionaux-d-auvergne-rhone-alpeshtm

Carte 1 - Situation geacuteographique des territoires pris en compte dans lrsquoeacutevaluation

96 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Plusieurs meacutethodes et techniques ont eacuteteacute mobiliseacutees pour mener agrave bien lrsquoeacutevaluation ex ante

- en premier lieu un atelier a eacuteteacute organiseacute avec des acteurs de diffeacuterents territoires de Rhocircne-Alpes et de profils varieacutes acteurs institutionnels chargeacutes de mission des structures opeacuteratrices techniciens agriculture ou biodiversiteacute chercheurs etc Il a permis de consolider et de valider collectivement le diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 et de discuter la pertinence de lrsquoactivation de la SHP 01 en montagne

- des informations ont eacuteteacute recueillies via les documents produits par les opeacuterateurs des PAEC (dossiers de candidatures quelques diagnostics drsquoexploitations quelques bilans) et des entretiens reacutealiseacutes avec eux

- des entretiens semi-directifs de visu ont eacuteteacute reacutealiseacutes aupregraves de 10 agriculteurs (ayant contractualiseacute la SHP 01 ou non) sur chacun des trois territoires-types pour recueillir des informations qualitatives

- un questionnaire internet transmis agrave toutes les exploitations des ZIP des huit territoires a compleacuteteacute les entretiens Il a permis de recueillir des informations qualitatives mais moins preacutecises aupregraves drsquoun plus grand nombre drsquoexploitations (93 au total)

- des donneacutees statistiques (Reacuteseau drsquoinformation comptable agricole - RICA Recensement agricole - RA) et administratives (donneacutees PAC et registre parcellaire graphique - RPG) ont eacuteteacute mobiliseacutees pour fournir des eacuteleacutements quantitatifs

- enfin un atelier de travail (focus group) a eacuteteacute meneacute sur chaque territoire-type mobilisant des acteurs experts de leur territoire (agriculteurs techniciens agriculture et biodiversiteacute chargeacutes de mission PNR etc) afin de discuter analyser collectivement et valider les enjeux du territoire ainsi que la logique drsquoimpact locale de la SHP 01

Le tableau 1 et la figure 3 donnent des preacutecisions sur la repreacutesentativiteacute de lrsquoensemble des eacutechantillons issus agrave la fois des entretiens (pour les trois territoires-types) et de lrsquoenquecircte en ligne (pour tous les territoires) Agrave noter que les entretiens ciblaient les exploitations des ZIP ougrave la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee notamment celles ayant contractualiseacute la SHP 01 drsquoougrave des taux de couverture eacuteleveacutes Lrsquoenquecircte en ligne srsquoadressait agrave tous les exploitants des ZIP dans lesquelles soit la SHP 01 soit Herbe 07 ou 09 avait eacuteteacute activeacutee (peu importe la production lrsquoeacuteligibiliteacute aux mesures et les mesures contractualiseacutees) La derniegravere colonne compare le taux moyen de surfaces en herbe et de surfaces pastorales des exploitations agrave celui de lrsquoensemble du PAEC (voir figure 3)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 97

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les donneacutees preacutesenteacutees montrent pour le Haut-Jura la part de STH de surfaces pastorales et de surfaces en herbe dans les exploitations enquecircteacutees (soit uniquement par entretien en brun soit par entretien et par enquecircte internet en orange) et sur lrsquoensemble du PAEC Source auteurs volet 2 du rapport final p13

Figure 3 - Repreacutesentativiteacute de lrsquoeacutechantillon Haut-Jura (entretiens et lrsquoenquecircte en ligne)

Tableau 1 - Repreacutesentativiteacute des eacutechantillons pour les entretiens et lrsquoenquecircte en ligne

2 Contexte et enjeux des systegravemes herbagers et pastoraux dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes

21 Une diversiteacute de contextes et drsquoenjeux

Si les eacutelevages de montagne des huit territoires rhocircne-alpins eacutetudieacutes srsquoappuient tous sur la valorisation des surfaces herbagegraveres et pastorales ils reposent sur une varieacuteteacute de milieux et de systegravemes de production Un atelier de travail inter-territoires a permis drsquoen construire une typologie (tableau 2) Cinq grands types de systegravemes ont eacuteteacute identifieacutes Trois territoires-types ont ensuite eacuteteacute seacutelectionneacutes pour mener des analyses approfondies Ils illustrent une diversiteacute de milieuxsystegravemes et de contextes historiques territoriaux (tableau 3)

Nombre total

dexploitations enquecircteacutees

Taux de couverture des exploitations

avec un icirclot sur une ZIP SHP 01 ou

Herbe 0709

Nombre dexploitations

enquecircteacutees avec SHP 01

Taux de couverture des contrats SHP

01

Repreacutesentativiteacute du taux de surfaces en herbe et pastorales

du PAEC

Baronnies 15 6 7 100

Beaujolais Vert 15 2 10 9

Haut-Jura 14 23 4 100

Chartreuse 8 5 0 0

Pilat 17 3 2 4

Vercors 4 2 1 0

Bauges 7 6 0 Monts

dArdegraveche 13 1 0

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les cases les plus fonceacutees indiquent une plus forte repreacutesentativiteacute

98 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sur ces trois territoires les systegravemes fourragers reposent principalement sur les surfaces en herbe (stocks pour lrsquohiver et pacircturage) Lrsquoeacutelevage qui se maintient difficilement dans ces reacutegions les milieux et la biodiversiteacute font face agrave des risques de fermeture et agrave des logiques drsquointensification des pratiques

Tableau 2 - Typologie simplifieacutee des territoires milieux et systegravemes de montagne en Rhocircne-Alpes

TypeSystegravemes pastoraux

meacutediterraneacuteens speacutecialiseacutes

Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP

Systegravemes herbagers non

AOPIGP

Systegravemesherbeceacutereacuteales

Exemples de territoires Ardegraveche (pentes) Baronnies Sud Vercors

Haut-Jura Pilat Chartreuse Vercors Ardegraveche (montagne) Forez

Beaujolais Vert Pilat Haut Lignon Forez

Pilat Beaujolais Vert

Milieux

Surfaces embroussailleacutees bois landes parcours Pelouses segraveches Estives

Prairies permanentes et temporairesZones humides

Checircnaies et chacirctaigneraies(+ vergers) pacirctureacutes Estives alpages Ceacutereacuteales

Systegravemes Systegravemes extensifs ovinscaprins

Systegravemes diversifieacutes ovins+ activiteacute compleacutementaire

Bovins lait AOPIP ou allaitants

Bovins lait standard ou allaitants

Source auteurs extrait du volet 2 du rapport final p 45

Tableau 3 - Surfaces et systegravemes des trois territoires-types

Type Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP Systegravemes

herbeceacutereacuteales

Composition de la SAUGrandes culturesFourrages

Estives landes

Prairies permanentes

Prairies temporaires

Vergers

Vignes

Autres productions veacutegeacutetales

Systegravemes drsquoeacutelevage majoritaires

Eacutelevages bov ins herbagers laitiers mixtes allaitants parfois coupleacutes agrave de l rsquoeacutelevage caprin fromager ou agrave des productions veacutegeacutetales (vignes arboriculture)

Eacutelevages bovins lait herbagers valorisation sous AOP ou IGP 90 de prairies permanentes dans les surfaces en herbe

Systegravemes pastoraux ovins viande speacutecialiseacutes ou diversifieacutes (lavande noyers checircnes truffiers chegravevres tourisme) bovins (secteur de Lachau)

Perception de la biodiversiteacute

Un lien reconnu entre diversiteacute floristique et qualiteacute du fourrage donc du lait mais peu drsquointeacuterecircttemps pour lrsquoapprofondir

Des eacuteleveurs srsquointeacuteressent agrave la composition des prairies naturelles et mentionnent un inteacuterecirct pour lrsquoappeacutetence la qualiteacute et le goucirct du lait et des fromages le rendement cela influence peu les modes de gestion

La diversiteacute floristique des prairies (p reacutesence de leacutegumineuses notamment) est reconnue comme inteacuteressante pour la qualiteacute du foin et lrsquoeacutequilibre des rations et teacutemoin drsquoun travail laquo bien fait raquo

Sources RPG 2016 entretiens avec des agriculteurs et des acteurs des territoires extrait du volet 2 du rapport final p 19-30

78

8

11 1 1

1

54

1 1

44 65

8

1

8 6

5 3 4

Le travail meneacute sur les territoires-types met en eacutevidence un risque drsquoabandon des surfaces difficiles drsquoaccegraves difficiles drsquoutilisation ou peu productives entraicircnant une fermeture du milieu une perte de biodiversiteacute et de fonctionnaliteacute une modification des paysages Le risque drsquointensification de lrsquoutilisation des prairies permanentes existe sur certaines zones du Beaujolais Vert mais est plus marginal sur les autres territoires montagnards de Rhocircne-Alpes Sur certains territoires comme les Baronnies et le Beaujolais Vert eacutelargi lrsquoeacutelevage pastoral dans le premier territoire laitier geacuteneacuterique ou allaitant dans le second demeure relativement fragile Lrsquoenjeu drsquoun deacuteveloppement eacuteconomique srsquoappuyant agrave la fois sur lrsquoagriculture et le tourisme (donc le paysage) est preacutesent sur les trois territoires

1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 99

La diversiteacute des territoires concerne aussi leurs dynamiques de projet Ainsi alors que le Pilat et le Haut-Jura sont engageacutes historiquement dans des deacutemarches agro-environnementales et ont deacuteveloppeacute une animation speacutecifique les Baronnies provenccedilales Parc naturel reacutegional (PNR) reacutecent et le Beaujolais Vert cherchent agrave initier ce changement

22 Speacutecificiteacute et eacutevolution de la strateacutegie reacutegionale de Rhocircne-Alpes

Pour mieux faire ressortir les particulariteacutes de la reacutegion eacutetudieacutee les strateacutegies agro-environnementales et les objectifs des Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) de Rhocircne-Alpes et drsquoAuvergne ont eacuteteacute compareacutes (tableau 4)11 En Rhocircne-Alpes le PDR est orienteacute vers le soutien agrave lrsquoeacuteconomie agricole et aux productions geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes positives pour lrsquoenvironnement Les laquo objets raquo consideacutereacutes par les MAEC sont les systegravemes drsquoexploitation et les pratiques dont lrsquoorientation doit permettre de geacuteneacuterer des externaliteacutes positives Les MAEC reacutepondent aux besoins drsquoadaptation des systegravemes de preacuteservation des espaces agricoles de deacuteveloppement de modes de production speacutecifiques et creacuteateurs drsquoexternaliteacutes positives

En Auvergne le PDRR affiche des objectifs de diffeacuterenciation qualitative des produits en plus du soutien agrave la compeacutetitiviteacute des systegravemes de montagne En lien avec cet objectif les MAEC portent directement sur la preacuteservation de lrsquoenvironnement plutocirct que sur la fourniture drsquoexternaliteacutes par les productions agricoles Les laquo objets raquo des MAEC sont lrsquoenvironnement (eau biodiversiteacute sols) et les surfaces en herbe mais pas les systegravemes agricoles

Ces eacuteleacutements se reflegravetent dans la deacutefinition des Zones drsquoaction prioritaire (ZAP) si en Auvergne les trois ZAP portent sur des enjeux environnementaux (eau biodiversiteacute et seacutequestration du carbone) en Rhocircne-Alpes une ZAP laquo systegravemes herbagers raquo est deacutefinie

La MAEC SHP 01 nrsquoa initialement pas eacuteteacute ouverte sur tout le territoire reacutegional et les anciennes reacutegions Auvergne et Rhocircne-Alpes ont fait leurs choix de maniegraveres diffeacuterentes (figure 4)

Comme lrsquoillustre la figure 4 en Rhocircne-Alpes la strateacutegie initiale drsquoactivation de la SHP 01 en zone de plaine

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de soutien aux systegravemes herbagers majoritaires sur le territoire dans un contexte de disparition de la Prime herbagegravere agro-environnementale (PHAE) Cela srsquoest traduit par la deacutefinition drsquoune ZAP laquo systegravemes herbagers raquo

- Inteacutegrait un souci de maicirctrise budgeacutetaire qui impliquait lrsquoactivation de la SHP 01 uniquement en plaine ougrave les systegravemes ne beacuteneacuteficient pas de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicap naturel (ICHN) revaloriseacutee12

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de durabiliteacute agro-eacutecologique des zones herbagegraveres en cherchant en particulier agrave limiter lrsquointensification risque plus marqueacute en plaine qursquoen montagne Toutefois les territoires du Beaujolais Vert eacutelargi et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont par la suite plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne arguant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Elle a donc eacuteteacute ouverte agrave titre exploratoire et agrave budget constant sur ces territoires en 2015

11 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201812 En 2014 et 2015 lrsquoICHN perccedilue par les exploitations de montagne pieacutemont et zone deacutefavoriseacutee simple a eacuteteacute revaloriseacutee pour compenser lrsquoarrecirct de la PHAE

100 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 4 - Comparaison des strateacutegies agro-environnementales reacutegionales et indicateurs cleacutes

Type Rhocircne-Alpes Auvergne

Finaliteacute du PDRMaintenir et si possible deacutevelopper les potentiels productifs lieacutes agrave lrsquoagriculture et agrave la forecirct et les orienter de maniegravere agrave maximiser leurs externaliteacutes positives

Poursuite de la dif feacuterenciation qualitative du territoire geacuteneacuteratrice drsquoemploi de valeur ajouteacutee et drsquoattractiviteacute

Objectifs strateacutegiques du PDR

1 Satisfaire les besoins fondamentaux de lrsquoagriculture

2 Assurer la viabi l i teacute eacuteconomique de lrsquoagriculture et de la sylviculture

3 Faire beacuteneacuteficier les territoires de lrsquoimpact eacuteconomique de l rsquoagr i cu l tu re e t de la sylviculture

4 Maximiser leurs externaliteacutes positives sur les territoires

1 Accentuer la diffeacuterenciation qualitative des produits et des services en vue drsquoune meilleure valorisation eacuteconomique creacuteatrice de valeur ajouteacutee et drsquoemploi

2 Accompagner les changements de pratiques par lrsquoinnovation et la mobilisation des connaissances et des acquis de la recherche

3 Reacuteduire les diffeacuterentiels de compeacutetitiviteacute entre la plaine et les zones deacutefavoriseacutees

Zones drsquoaction prioritaires

- Maintenir les systegravemes agr icoles (qui ent ret iennent des ter r i to i res ouver ts favorables agrave la biodiversiteacute et aux paysages ainsi qursquoagrave la maitrise des risques concourent au stockage de carbone agrave la l imitation de lrsquousage drsquointrants et agrave la captation des polluants par ef fet tampon favorisent la permeacuteabiliteacute des espaces agrave la biodiversiteacute valorisent les eacutecosystegravemes vivants dans lrsquoacte de production) lorsqursquoils sont menaceacutes de disparition

- Construire des pratiques culturales favorables aux biens environnementaux

- Preacuteserver la biodiversiteacute ordinaire menaceacutee drsquoeacuterosion- Ameacuteliorer ou maintenir la qualiteacute de lrsquoeau- Maintenir ou eacutetendre les surfaces en herbe afin de deacutevelopper les systegravemes mixtes polyculture-eacutelevage et drsquoameacuteliorer lrsquoautonomie des exploitations- Preacuteserver la qualiteacute des sols

Objectifs des MAE et enjeux prioritaires

- Eau- Surfaces speacutecifiquement identifieacutees pour la preacuteservation de la biodiversiteacute- Zonages des speacutecificiteacutes reacutegionales des systegravemes herbagers

- Eau- Biodiversiteacute-Seacutequestration du carbone

Source PDRR des ex-reacutegions Rhocircne-Alpes et Auvergne traitement Acteacuteon volet 1 du rapport final p 9-10

Figure 4 - Logiques drsquoaction et strateacutegies initiales drsquoactivation de la SHP 01 en Rhocircne-Alpes et en Auvergne

Sources PDRR et documents annexes entretiens volet 1 du rapport final page 13

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 101

Lrsquoouverture de la SHP 01 agrave certaines zones de montagne de Rhocircne-Alpes traduit donc une eacutevolution de la logique drsquoimpact de la SHP 01 dans cette reacutegion

- la SHP 01 ne vise plus seulement agrave limiter lrsquointensification mais aussi la deacuteprise (parcelles difficiles agrave entretenir en montagne)

- lrsquoICHN seule nrsquoest plus perccedilue comme permettant de garantir le maintien et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des couverts permanents

- le caractegravere de mesure laquo systegraveme raquo peut mener agrave lrsquointeacutegration structurelle et fonctionnelle des surfaces en herbe dans les systegravemes et donc permettre la peacuterennisation des pratiques

- lrsquoouverture sur les PNR contribue au deacuteveloppement de dynamiques agro-eacutecologiques plus larges favoriseacutees par des deacutemarches territoriales deacutejagrave existantes

En Auvergne la strateacutegie portait plus clairement degraves le deacutepart sur des objectifs environnementaux a) seacutequestration du carbone en limitant le retournement des prairies et en maintenant les surfaces en herbe et b) maintien de la qualiteacute eacutecologique des prairies La mesure SHP 01 a donc eacuteteacute ouverte au sein des ZAP laquo Biodiversiteacute raquo et laquo Seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies) qursquoelles soient en plaine ou en montagne Agrave noter que le risque drsquointensification des pratiques en zone de montagne est plus eacutevident en Auvergne qursquoen Rhocircne-Alpes avec davantage de parcelles meacutecanisables (moins de pentes)

23 Une diversiteacute de strateacutegies territoriales drsquoactivation de la SHP 01

Sur les huit territoires de Rhocircne-Alpes concerneacutes13 six ont choisi drsquoactiver la SHP 01 en remplacement drsquoun ensemble de MAEC agrave enjeux localiseacutes tout en conservant une articulation avec drsquoautres MAEC permettant de reacutepondre agrave des enjeux particuliers (exemple des MAEC zones humides sur le Beaujolais Vert eacutelargi) Deux territoires (les Bauges et les Pentes et montagnes drsquoArdegraveche) ont choisi de ne pas lrsquoactiver et de conserver des MAEC agrave enjeux localiseacutes inteacutegrant les engagements unitaires Herbe 07 et Herbe 09 semblables agrave ceux imposeacutes sur les surfaces cibles dans le cas de la SHP 0114 Ces choix sont lieacutes agrave plusieurs facteurs analyse de lrsquoadaptation des mesures aux enjeux des territoires (eacutevolution ou maintien des pratiques eacutechelle du systegraveme ou gestion cibleacutee etc) mais aussi importance des zones drsquoeacuteligibiliteacute aux mesures (comme Natura 2000) contraintes budgeacutetaires et processus drsquoeacutevolution du dispositif reacutegional Les objectifs de contractualisation ont aussi varieacute selon les territoires Le tableau 5 reacutesume pour chaque territoire de Rhocircne-Alpes et deux territoires drsquoAuvergne les systegravemes preacutesents les risques identifieacutes par les opeacuterateurs ainsi que les strateacutegies mises en œuvre via les PAEC pour y reacutepondre (budgets zonages mesures mobiliseacutees dont SHP 01 animation)

13 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201814 Les MAEC agrave enjeux localiseacutes sont contractualiseacutees sur des parcelles de lrsquoexploitation concerneacutees par des enjeux speacutecifiques (on parle aussi de laquo mesures parcellaires raquo) La SHP 01 en revanche engage toute lrsquoexploitation (mesure systegraveme) mecircme si certains engagements ne concernent que les laquo surfaces cibles raquo

102 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sources entretiens avec les acteurs des territoires candidatures PAEC et documents annexes volet 1 du rapport final pp19-20

15 C

umul

impo

ssib

le e

ntre

SH

P 0

1 et

Her

be 0

7 c

umul

pos

sibl

e en

tre S

HP

01

et H

erbe

09

en z

one

Nat

ura

2000

ou

DFC

I uni

quem

ent

16

En

2017

ouv

ertu

re d

e la

SH

P 0

1 po

ur le

s laquo

zone

s so

us fo

rte

cont

rain

te raquo

Tabl

eau

5 - C

ompa

rais

on d

es s

trat

eacutegie

s te

rrito

riale

s drsquo

activ

atio

n de

la M

AE

SHP

01 (a

nneacutee

201

6)R

eacutegio

nR

hocircne

-Alp

esA

uver

gne

PAE

CC

recirct d

u H

aut J

ura

Pila

tB

eauj

olai

s Ve

rt eacute

larg

iC

hart

reus

eVe

rcor

sB

aron

nies

dr

ocircmoi

ses

Pen

tes

et m

onta

gnes

ar

deacutech

oise

sG

orge

s de

la T

ruyegrave

reA

lagn

on

Opeacute

rate

urP

NR

PN

RC

omm

unau

teacutedrsquo

ggl

omeacuter

atio

nP

NR

PN

RP

NR

PN

RC

omm

unau

teacute d

e co

mm

unes

Syn

dica

t de

riviegrave

re

Mili

eu e

t sys

tegravem

es

Eacutele

vage

laiti

er

herb

ager

(AO

P B

leu

de G

ex)

alp

ages

ave

c tra

nshu

man

ce

Eacutele

vage

div

ersi

fieacute

Pel

ouse

s segrave

ches

et

prai

ries

drsquoal

titud

e

Sys

tegravem

es h

erba

gers

bo

vins

lait

geacuteneacute

rique

et

alla

itant

s (o

vins

ca

prin

s)

Bov

ins

lait

et v

iand

e he

rbag

ers

alp

ages

Pol

ycul

ture

-eacutele

vage

bo

vins

(ov

ins

capr

ins)

A

lpag

es p

elou

ses

pr

airie

s

Eacutele

vage

pas

tora

l ov

in e

xplo

itatio

ns

dive

rsifi

eacutees

(arb

oric

ultu

re

vitic

ultu

re +

ovi

ns)

Eacutele

vage

pas

tora

l ovi

n av

ec c

hacircta

igne

s

bovi

ns a

llaita

nts

sur

le p

late

au

Eacutele

vage

he

rbag

er

bovi

ns

alla

itant

s(qu

elqu

es

mix

tes

laiti

ers)

peu

drsquo

ovin

s

Eacutele

vage

her

bage

r ex

tens

if l

aitie

rs

(Mar

gerid

e) e

t al

laita

nts

(Ceacutez

allie

r)

Ris

ques

pou

r les

cou

vert

s pe

rman

ents

Inte

nsifi

catio

n de

s pa

rcel

les

meacutec

anis

able

s (p

erte

de

la q

ualit

eacute eacutec

olog

ique

des

pra

iries

) com

bineacute

e agrave

lrsquoaba

ndon

des

zon

es n

on

meacutec

anis

able

s =gt

enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Art

ifici

alis

atio

n du

pi

eacutemon

t D

eacutepris

e de

lrsquoa

ctiv

iteacute p

asto

rale

la

itiegraver

e

Aba

ndon

des

pel

ouse

s segrave

ches

et a

lpag

es

diffi

cile

s agrave

expl

oite

rLi

gnifi

catio

n

Deacutep

rise

past

oral

e P

erte

drsquoh

abita

ts

drsquooi

seau

x

Ges

tion

non

optim

iseacutee

des

la

ndes

pel

ouse

s

deacutepr

ise

dans

les

pent

esLi

gnifi

catio

n de

s zo

nes

hum

ides

Bai

sse

de lrsquo

entre

tien

des

pent

es

Inte

nsifi

catio

n de

s pl

atea

ux

Ret

ourn

emen

t de

prai

ries

natu

relle

s et

deacute

velo

ppem

ent d

u m

aiumls

en M

arge

ride

ni

trate

s (e

au)

Mon

tant

PA

EC

not

ifieacute

2015

-201

7 (euro

)1

575

502

1 57

0 98

72

813

356

1 60

0 98

13

376

647

1 50

7 05

94

511

753

NC

NC

Stra

teacutegi

e du

PA

EC

Mai

ntie

n de

la

gest

ion

des

estiv

es

peacutere

nnis

atio

n drsquo

une

agric

ultu

re d

e va

lleacutee

prod

uctr

ice

drsquoam

eacuteniteacute

s en

viro

nnem

enta

les

eacutec

onom

ique

men

t et

soc

iale

men

t pe

rfor

man

te

Deacutev

elop

pem

ent

de lrsquo

agro

-eacuteco

logi

e et

de

lrsquoagr

icul

ture

bi

olog

ique

aj

uste

men

t de

s pr

atiq

ues

pour

preacute

serv

er la

bi

odiv

ersi

teacute l

a qu

aliteacute

de

lrsquoea

u et

les

tram

es

vert

es e

t ble

ue

Reacutefl

exio

n sy

steacutem

ique

su

r les

exp

loita

tions

dy

nam

ique

col

lect

ive

so

utie

n eacutec

onom

ique

agrave

lrsquoeacutele

vage

Preacute

serv

atio

n de

s zo

nes

hum

ides

Acc

ompa

gnem

ent d

es

dyna

miq

ues

agro

-en

viro

nnem

enta

les

en

lien

avec

les

proj

ets

de te

rrito

ire p

orteacute

s pa

r le

Par

c

Mai

ntie

n de

s su

rfac

es

herb

agegraver

es s

ur le

s zo

nes

diffi

cile

s d

e la

bio

dive

rsiteacute

des

ha

bita

ts l

utte

con

tre

la fe

rmet

ure

via

le

past

oral

ism

e

Un

1er P

AE

C tr

egraves

agric

ole

past

oral

Le

2nd

integrave

gre

les

enje

ux b

iodi

vers

iteacute

Nat

ura

2000

eau

Mai

ntie

n de

s m

ilieu

x ou

vert

s (g

estio

n ad

apteacute

e)

des

couv

erts

sur

la

zon

e laquo

eau

raquo

de la

bio

dive

rsiteacute

co

mm

e ve

cteu

r de

vale

ur a

jout

eacutee d

e lrsquoa

uton

omie

Con

serv

atio

n de

s pr

airie

s di

vers

ifieacutee

s

y co

mpr

is p

our

accu

eilli

r les

ois

eaux

en

lutta

nt c

ontre

lrsquoe

mbr

ouss

aille

men

t et

lrsquoin

tens

ifica

tion

di

spar

ition

des

hai

es

Prio

riteacute

aux

enje

ux

eau

(SA

GE

en

eacutelab

orat

ion

+ co

ntra

t ter

ritor

ial)

zo

nes

hum

ides

et

biod

iver

siteacute

(N20

00)

Nom

bre

et ty

pes

de Z

IP

(zon

es d

rsquointe

rven

tion

prio

ritai

res)

3 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

2 B

iodi

vers

iteacute2

Cou

vert

s pe

rman

ents

et z

ones

hu

mid

es

5 B

iodi

vers

iteacute p

ar ty

pe

de m

ilieu

+ N

2000

et

Teacutetra

s L

5 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

4 B

iodi

vers

iteacute

N20

00 o

u no

n e

au

3 B

iodi

vers

iteacute d

ont

land

esp

arco

urs

et

prai

ries

de fa

uche

1 B

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

3 E

au z

ones

hu

mid

es b

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

Mes

ures

act

iveacutee

s da

ns

les

ZIP

bio

dive

rsiteacute

hor

s su

rfac

es c

olle

ctiv

es15

SH

P 01

Her

be 0

9 po

ur le

s ex

ploi

tatio

ns s

itueacutee

s en

de

hors

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes

(don

t Her

be 0

7 et

09)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

+ S

HP

01

Hor

s zo

nes

hum

ides

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en z

one

hum

ide

et N

2000

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en N

2000

SH

P 0

1+

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t H

erbe

09)

en

N20

00

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t Her

be

07 e

t 09)

16

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes (d

ont H

erbe

07

)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

Zone

s co

ncer

neacutees

par

S

HP

01

Tout

le te

rrito

ireTo

ut le

terr

itoire

Tout

le te

rrito

ireN

2000

et z

ones

hu

mid

es

N20

00 e

t zon

es d

e co

heacutere

nce

agro

-en

viro

nnem

enta

le

Zone

s agrave

enje

ux d

e bi

odiv

ersi

teacute e

n et

ho

rs N

2000

Auc

une

Tout

le te

rrito

ireE

au e

t zon

es

hum

ides

Bud

get S

HP

01

(euro) n

otifi

eacute 20

15-2

017

(Fea

der +

co

ntre

part

ie n

atio

nale

)17

1 35

438

7 05

02

585

000

47 2

7564

072

128

354

0N

CN

C

Nom

bre

de c

ontra

ts S

HP

015

5711

00

17

0N

CN

C

Ani

mat

ion

et

acco

mpa

gnem

ent p

reacutevu

sD

iagn

ostic

s

acco

mpa

gnem

ent

tech

niqu

e fo

rmat

ion

pl

an d

e pr

ogregrave

s ag

ro-

eacutecol

ogiq

ue

Com

mun

icat

ion

reacute

unio

ns p

ubliq

ues

di

agno

stic

s fo

rmat

ions

Form

atio

n ob

ligat

oire

et

aut

o-di

agno

stic

s

Jour

neacutees

theacutem

atiq

ues

et

deacutem

onst

ratio

n

Dia

gnos

tic o

blig

atoi

re

pour

SH

P 01

fo

rmat

ion

et a

ccom

pagn

emen

t in

divi

duel

Dia

gnos

tic d

e ge

stio

n pa

stor

ale

prop

oseacute

Dia

gnos

tics

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ob

ligat

oire

s po

ur u

ne

MA

EC e

njeu

loca

liseacute

Fo

rmat

ions

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ag

ricol

es

et z

ones

hum

ides

fo

rmat

ions

et j

ourn

eacutees

de d

eacutemon

stra

tion

dans

le c

adre

du

cont

rat t

errit

oria

l

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 103

3 La SHP 01 une mesure pertinente pour les zones de montagne en Rhocircne-Alpes

31 Effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sur les trois territoires-types

Sur les trois territoires-types lrsquoactivation et la contractualisation de la SHP 01 visent des effets agrave lrsquoeacutechelle des couverts permanents et des surfaces cibles (SC) limitation de la fermeture du milieu et preacuteservation drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Elles visent aussi des effets agrave lrsquoeacutechelle des exploitations (contribution au revenu) et agrave celle du territoire (contribution au projet agro-eacutecologique de territoire maintien de lrsquoeacutelevage preacuteservation du paysage)

Ces effets attendus sont preacutesenteacutes dans le tableau 6 Agrave lrsquoeacutechelle des surfaces lrsquoentretien de la STH et le maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles sont pressentis dans les trois territoires Toutefois dans le Beaujolais Vert un recours plus freacutequent au non-labour et lrsquoarrecirct de lrsquoutilisation des produits phytosanitaires sont aussi anticipeacutes Agrave lrsquoeacutechelle des exploitations un soutien au revenu et donc au maintien de lrsquoactiviteacute est attendu dans le Beaujolais Vert et les Baronnies mais pas dans le Haut-Jura Dans les Baronnies la SHP est perccedilue comme un moyen de compenser la baisse des aides (lieacutee notamment agrave la proratisation) Enfin les acteurs des trois territoires pensent que la SHP favorisera lrsquoeacutemergence de deacutemarches collectives Pour le Beaujolais Vert et les Baronnies cela contribuerait agrave la mise en place drsquoune dynamique agro-environnementale nouvelle tandis que sur le Haut-Jura ces deacutemarches sont vues comme un moyen drsquoameacuteliorer la qualiteacute des produits et la gestion des systegravemes drsquoexploitation (ex autonomie)

Les diagrammes logiques drsquoimpact construits pour chaque territoire illustrent ces speacutecificiteacutes (la figure 5 donne un exemple pour le Beaujolais Vert)

32 Reacuteponse de la SHP 01 aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique

321 Pertinence de la mesure

Lrsquoanalyse de la pertinence de la mesure passe par le rapprochement des risques appreacutehendeacutes sur les territoires avec les effets attendus de la SHP 01 (illustration pour les Baronnies en tableau 7)

Cette analyse reacutealiseacutee pour les trois territoires-types montre que la SHP 01 propose des reacuteponses adapteacutees aux risques identifieacutes sur les territoires de montagne en Rhocircne-Alpes (fermeture des milieux et intensification des pratiques sur les prairies permanentes) et contribue ainsi au maintien des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique sur ces territoires La figure 6 preacutesente le diagramme logique drsquoimpact global construit agrave partir des analyses meneacutees sur les trois territoires-types

Lrsquoeffet attendu de la contractualisation de la SHP 01 sur le maintien des surfaces herbagegraveres et pastorales est particuliegraverement clair lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH de lrsquoexploitation garantit la poursuite de lrsquoentretien des surfaces menaceacutees drsquoabandon drsquoembroussaillement et de fermeture risque aveacutereacute sur lrsquoensemble des territoires pour des

104 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 - Comparaison des effets attendus de la SHP 01 sur les trois territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Effets directs attendus agrave lrsquoeacutechelle des exploitations

Surfaces

A r r ecirc t d e l rsquou t i l i s a t i o n d e s p r o d u i t s phytosanitaires sous les clocirctures X

Compensation des coucircts drsquoentretien hausse de la rentabiliteacute des parcelles X

Utilisation et entretien meacutecanique des surfaces difficiles drsquoaccegraves et dutilisation X X X

Maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles X X X

Non labour X

Exploitations

Compensation partielle de la baisse des aides

X

Contribution au revenu X X

Reconnaissance du temps investi X

Reacuteflexion systeacutemique - gestion diffeacuterencieacutee des surfaces

X

Territoire

Contractualisation large X

Deacutemarches collectives X X X

Reconnaissance du rocircle de lagriculture pour le territoire X X

Effets plus geacuteneacuteraux attendus

Surfaces

Limitation de la fermeture du milieu X X X

Preacuteservation de la biodiversiteacute des surfaces cibles X X X

Preacuteservation de la fonctionnaliteacute des milieux humides X X

ExploitationsMaintien de lrsquoactiviteacute X X

Ameacutelioration de lrsquoautonomie X

Territoire

Visibiliteacute de la politique locale de soutien agrave lagriculture X

Mise en place dune dynamique agro-environnementale nouvelle X X

Qualiteacute et valorisation des produits X

Maintien de lrsquoeacutelevage pastoral X

Source auteurs volet 2 du rapport final p55-56

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 105

Figure 5 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 pour le Beaujolais Vert eacutelargi

Lecture la case entoureacutee de pointilleacutes correspond agrave un effet non souhaiteacuteSource atelier sur le territoire sur la base des informations recueillies volet 2 du rapport final p47

surfaces eacuteloigneacutees difficiles drsquoutilisation ou peu productives Les surfaces concerneacutees peuvent ecirctre des parcours des prairies permanentes des zones humides etc Agrave noter que dans le cas de la MAEC SHP 01 lrsquoapplication de la regravegle du prorata17 pour le calcul des aides PAC agit dans le sens inverse agrave cette logique elle peut freiner la contractualisation de la SHP 01 par des systegravemes pastoraux ou conduire agrave lrsquoabandon de lrsquoutilisation de certains parcours lors de la transmission Agrave lrsquoeacutechelle territoriale le maintien des surfaces herbagegraveres ou pastorales deacutepend du niveau de contractualisation Ainsi respectivement 28 6 et 23 de la STH des zones drsquointervention prioritaires concerneacutees par la SHP 01 sur le Beaujolais Vert le Haut-Jura et les Baronnies sont engageacutes

Lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH empecircche par ailleurs le retournement des prairies permanentes Ce risque plus localiseacute dans les Alpes existe aussi dans certains territoires comme le Beaujolais Vert et reste encore tregraves preacutesent sur le Massif central (Margeride Forez Monts drsquoArdegraveche par exemple) Sur le Beaujolais Vert eacutelargi peu de prairies permanentes sont laquo encore labourables raquo mais certaines ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et on trouve de nombreuses zones humides labourables

17 La regravegle du prorata consiste agrave calculer pour chaque laquo zone de densiteacute homogegravene raquo drsquoune exploitation le taux de recouvrement au sol par des eacuteleacutements non admissibles (affleurements rocheux eacuteboulis litiegravere buissons non adapteacutes au pacircturage etc) Cela amegravene agrave reacuteduire la surface admissible aux aides

106 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 7 - Analyse de la pertinence sur les Baronnies drocircmoises contribution de la SHP 01 agrave la reacuteponse aux enjeux

Enjeux (1er niveau) Contribution de la SHP 01 pour y reacutepondre Remarques

Abandon de lrsquoutilisation des pa rc our s eacute lo i gneacutes laquo peu productifs raquo des zones tampons

Engagement au maintien de toute la STH traces de passage absence de deacutegradation et de surpacircturage =gt entretien des parcours menaceacutes dabandon

Obligations de reacutesultats sur les 50 de STH en surfaces cibles (SC) + maintien drsquoun pacircturage minimum et drsquoune gestion adapteacutee des parcours

Les SC sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) lrsquoanimation vise agrave cibler les surfaces agrave fort enjeu eacutecologique

La preacutedation par le loup pourrait amener agrave abandonner ces parcours malgreacute tout

Intensification des pratiques sur les prairies permanentes irrigueacutees

Obligations de reacutesultats sur les prairies permanentes irrigueacutees choisies comme SC (plantes indicatrices) =gt maintien drsquoune gestion adapteacutee des prairies

Ces prairies irrigueacutees sont souvent choisies comme SC par les exploitations qui en ont

Eacutevolution du systegraveme vers plusuniquement des productions veacutegeacutetales deacuteprise de lrsquoactiviteacute pastorale

M o n t a n t ( 1 2 5 9 0 euro ) = gt compensation partielle de la baisse perccedilue des aides (lieacutee au prorata) etou contribution au revenu

Environ 19 des aides 2015 et 27 du revenuLe critegravere 70 de surfaces en herbe peut ecirctre excluant pour les petites exploitations drsquoeacutelevage diversifieacutees La preacutedation par le loup constitue un frein agrave la contractualisation car elle peut conduire agrave abandonner des parcours eacuteloigneacutes Une pression de preacutedation trop forte pourrait amener agrave abandonner le pastoralisme malgreacute tout

In i t iat ion d rsquoune dynamique a g r o - e nv i r o n n e m e n t a l e affirmation du rocircle du PNR

Reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcoursAnimation =gt eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs

Le portage par le Parc constitue un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs donc agrave la contractualisation

Source auteurs volet 2 du rapport final page 52

Lrsquoeffet attendu sur lrsquoeacutequilibre eacutecologique est plus complexe Agrave lrsquoeacutechelle parcellaire les reacutesultats sur les surfaces cibles sont des indicateurs directs (diversiteacute floristique des prairies) ou indirects (taux de raclage des parcours) drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu lieacutee au maintien de pratiques adapteacutees deacutejagrave mises en œuvre par les exploitants sur ces surfaces La mesure est donc pleinement adapteacutee agrave lrsquoenjeu de preacuteservation de lrsquoeacutetat eacutecologique des surfaces cibles comme le sont aussi les mesures parcellaires Herbe 07 et 09 Si lrsquoon considegravere que lrsquoenjeu de preacuteservation est drsquoautant plus fort que le risque de deacutegradation de lrsquoeacutequilibre eacutecologique est marqueacute cette conclusion doit ecirctre nuanceacutee selon les modaliteacutes de choix des surfaces cibles Sur le Beaujolais Vert eacutelargi on constate que les surfaces cibles choisies sont souvent celles qui preacutesentent le plus de fleurs en geacuteneacuteral des surfaces non meacutecanisables et relativement peu menaceacutees drsquointensification Sur les Baronnies drocircmoises les surfaces cibles sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement les plus menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) Lrsquoanimation vise cependant agrave cibler aussi des surfaces agrave fort enjeu eacutecologique La pertinence de la mesure est donc renforceacutee par lrsquointeacutegration dans les surfaces cibles des zones les plus concerneacutees par des risques de deacutegradation (par abandon ou par intensification) Cette inteacutegration deacutepend de lrsquoimportance relative de ces surfaces agrave enjeux au sein de lrsquoexploitation agricole et de la nature du diagnostic technique reacutealiseacute sur les surfaces par le technicien et lrsquoeacuteleveur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 107

Figure 6 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 construit agrave partir des diagrammes logiques drsquoimpact des trois territoires-types

Source auteurs volet 2 du rapport final page 70

Hors surfaces cibles les effets sont plus indirects et lieacutes agrave plusieurs composantes de la mesure

- le maintien de toute la STH agit agrave un premier niveau pour les surfaces menaceacutees drsquoabandon ou de retournement En limitant lrsquoembroussaillement ou le labour il permet de conserver des milieux et une diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques de milieux ouverts Dans certains cas la diversiteacute des espegraveces peut mecircme srsquoameacuteliorer par exemple sur des prairies du Beaujolais Vert qui ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et eacutevoluent aujourdrsquohui vers des prairies naturelles

- lrsquoaccompagnement et lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation sont mobiliseacutes pour maintenir ou faire eacutevoluer des modes de gestion adapteacutes sur lrsquoensemble des surfaces Cette approche est lieacutee au caractegravere systeacutemique de la mesure agrave un plafond de chargement animal global et agrave un taux de surfaces cibles significatif dans les surfaces de lrsquoexploitation qui empecircchent une gestion des surfaces cibles deacuteconnecteacutee du reste du systegraveme

Lrsquoensemble de ces meacutecanismes (maintien de toute la STH obligation de reacutesultats sur un taux de surfaces cibles significatif pour le fonctionnement de lrsquoexploitation accompagnement et approche globale) contribuent agrave maintenir une diversiteacute de types de milieux agrave lrsquoeacutechelle du territoire Ces milieux incluent des surfaces particuliegraverement riches en matiegravere de diversiteacute

108 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

drsquoespegraveces dont lrsquoimportance deacutepend du niveau de contractualisation les surfaces cibles repreacutesentent respectivement 12 2 et 13 de la STH des ZIP du Beaujolais Vert du Haut-Jura et des Baronnies qui sont concerneacutees par la SHP 01

322 Comparaison et coheacuterence avec les MAEC agrave enjeux localiseacutes

Si lrsquoon compare la logique drsquoaction de la SHP 01 agrave celle de MAEC agrave enjeux localiseacutes (comme Herbe 07 et Herbe 09) on constate que la SHP 01 privileacutegie une entreacutee par le fonctionnement des exploitations herbagegraveres plutocirct que par les zonages environnementaux avec un objectif de changement durable plutocirct que de modification cibleacutee des modes de gestion (tableau 8) Cette approche permet donc drsquoaller au-delagrave du simple changement de pratiques permis par Herbe 07 et Herbe 09 Elle engendre eacutegalement des effets positifs indirects via lrsquoeacutevolution de lrsquoensemble du systegraveme

Drsquoautres MAEC agrave enjeux localiseacutes reacutepondant agrave des probleacutematiques speacutecifiques et demandant des modes de gestion particuliers sont cependant combineacutees agrave la SHP 01 comme crsquoest le cas de la MAEC laquo zones humides raquo dans le Beaujolais Vert qui vise la retenue et le drainage des zones humides

Tableau 8 - Comparaison des effets attendus entre SHP 01 et Herbe 0709SHP 01 Herbe 0709

Un outil agrave caractegravere laquo deacutefensif raquo (lutte contrehellip) et laquo systeacutemique raquo axeacute sur le fonctionnement global et qui integravegre lrsquoensemble des surfaces herbagegraveres

Un outil agrave caractegravere laquo parcellaire raquo et laquo offensif raquo axeacute sur la gestion cibleacutee de la biodiversiteacute

Ciblage des enjeux

Une mesure laquoinclusiveraquo qui prend en compte lrsquoensemble des surfaces pacirctureacutees et faucheacutees marginaliseacutees ou non quelle qursquoen soit la laquovaleurraquo (en particulier surfaces non classeacutees Natura 2000 mais preacutesentant des fonctionnaliteacutes inteacuteressantes en tant que milieux ouverts)

Un rocircle de lrsquoanimation neacutecessaire pour cibler les surfaces agrave enjeux

Un taux de surfaces cibles (20 agrave 50 ) qui permet drsquoinclure aussi des surfaces agrave enjeu fort drsquoembroussaillement ou drsquointensification

Un zonage possible des surfaces agrave forts enjeux de maintien de pratiques extensives agrave condition de pouvoir les deacutelimiter de maniegravere pertinente et fine

Le risque de deacutesengagement sur drsquoautres sur faces pouvant malgreacute tout ecirct re inteacuteressantes

Un r isque de non-engagement des surfaces embroussailleacutees en lien avec la regravegle de proratisation des aides surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes

Nature des effets

En plus du maintien de pratiques adapteacutees agrave une diversiteacute de surfaces cibles il y a un effet indirect sur le mode de gestion de lrsquoensemble des surfaces lieacute agrave lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation

Une mesure de laquomaint ienraquo qui ne permet pas drsquoencourager directement des eacutevolutions (ex reconquecircte de la biodiversiteacute)

Lrsquoalternative avec lrsquoagriculture biologique plus reacutemuneacuteratrice alors que les objectifs et effets attendus sont diffeacuterents et peuvent concerner drsquoautres product ions que lrsquoeacutelevage

Pas drsquoeffets a priori sur les autres parcelles de lrsquoexploitation non engageacutees

Un plan de gestion qui peut conduire agrave des eacutevolutions techniques de gestion pastorale

Cumul possible avec lrsquoagriculture biologique

Source auteurs volet 2 du rapport final page 57

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 109

Tableau 9 - Poids de lrsquoICHN et de la SHP 01 dans les aides pour les territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Cateacutegorie RICA Bovins lait Zone montagne ARA

Ovinscaprins Zone montagne ARA

Bovins lait Zone montagne ARA

Cas type

Bovin speacutecialiseacute lait dominante herbagegravere m o n t a g n e s a n s valorisation speacutecifique ndash Inosys

Preacute-alpes ovin speacutecialiseacute seacutedentaire ndash Inosys

L a i t i e r s s p eacute c i a l i s eacute s montagne foin ndash analyse d e g r o u p e c h a m b r e drsquoagriculture de lrsquoAin

Nombre de dossiers SHP 01 118 7 4

Montant SHP 01 par exploitation 5 230 euro 12 590 euro 3 520 euro

Montant de lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 36 842 euro 52 458 euro 50 553 euro 43 700 euro 36 842 euro 38 492 euro

Poids de lrsquoICHN dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 20 agrave 40 34 agrave 40 40

Poids de la SHP 01 dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 10 agrave 14 25 agrave 29 9 agrave 10

Revenu moyen drsquoapregraves les cas-types 70 072 euro 30 400 euro 60 792 euro

Poids de la SHP 01 dans le revenu 7 agrave 19 42 6 agrave 13

Source auteurs volet 2 du rapport final p 65

323 Coheacuterence de la SHP 01 avec lrsquoICHN

Les effets attendus de la SHP 01 (voir section 321) ne sont pas garantis par lrsquoICHN ce qui renforce la pertinence de la mesure en montagne Ainsi si lrsquoICHN agit indirectement sur le maintien des surfaces en herbe en soutenant lrsquoactiviteacute des eacutelevages herbagers de montagne elle ne joue pas de rocircle direct drsquoorientation des pratiques de pacircturage et de gestion des prairies agrave lrsquoeacutechelle parcellaire LrsquoICHN seule nrsquoempecircche ni le labour de prairies permanentes ni le sous ou le surpacircturage agrave lrsquoeacutechelle parcellaire ni des pratiques de fertilisation ou de fauche inadapteacutees

33 Contribution au revenu pour le maintien des eacutelevages de montagne

En montagne rhocircnalpine lrsquoICHN repreacutesente entre 20 et 40 des aides perccedilues par les eacutelevages (tableau 9) Si sur les trois territoires eacutetudieacutes le poids de la SHP 01 est moindre (entre 10 et 30 des aides) la contribution de la mesure au revenu reste significative lrsquoaide repreacutesenterait entre 7 et 20 du revenu des systegravemes bovins laitiers du Beaujolais Vert entre 6 et 13 du revenu des systegravemes laitiers AOP du Haut-Jura et 42 du revenu des systegravemes pastoraux des Baronnies Sur ce territoire ougrave le niveau de revenu est relativement bas et le poids des aides important cet effet est particuliegraverement fort Agrave noter que lrsquoapplication de la regravegle du prorata aux surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes (et donc engageacutees en SHP 01) reacuteduit le montant perccedilu sur les surfaces embroussailleacutees ce qui semble incoheacuterent avec le soutien agrave lrsquoeacutelevage pastoral

110 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Agrave lrsquoeacutechelle du territoire le soutien agrave lrsquoeacutelevage est lieacute au niveau de contractualisation de la mesure Ainsi le Beaujolais Vert eacutelargi qui affiche clairement cet objectif a deacuteployeacute une animation et des moyens importants amenant 118 agriculteurs agrave contractualiser la mesure soit 18 des exploitations eacuteligibles La contractualisation reste faible dans les Baronnies et le Haut-Jura

Lrsquoune des finaliteacutes du dispositif PAEC eacutetant de trouver des marges de peacuterennisation des pratiques lrsquoune des questions eacutevaluatives portait sur le possible effet de la SHP 01 sur la valorisation eacuteconomique Or la contribution de la SHP 01 agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits semble encore en ecirctre agrave ses balbutiements des territoires comme le Haut-Jura souhaitent renforcer la valorisation des productions AOP en mettant en valeur la preacuteservation de la biodiversiteacute des prairies via une deacutemarche collective dont la SHP 01 est un levier La SHP 01 peut aussi contribuer aux deacutemarches meneacutees par ailleurs sur la qualiteacute et la labellisation en lien avec les surfaces herbagegraveres par exemple en apportant des critegraveres pour des cahiers des charges Ce projet demande une appropriation de la composante laquo eacutecologique raquo des produits par les acteurs eacuteconomiques Neacuteanmoins il faut rappeler que le poids des facteurs exteacuterieurs (filiegraveres marcheacutes etc) est tregraves fort On peut supposer qursquoune telle valorisation est plus facile agrave envisager en circuits courts mais crsquoest une hypothegravese qui reste agrave confirmer

4 Deux facteurs renforccedilant lrsquoimpact de la SHP 01 en zone de montagne

41 Un levier pour le deacuteveloppement de lrsquoagro-eacutecologie sur les territoires de projet

La SHP 01 est perccedilue par les opeacuterateurs des PAEC comme un deacuteclencheur de deacutemarches collectives de reacuteflexion sur le systegraveme de production notamment du fait de son caractegravere systeacutemique (encadreacute 2)

Les opeacuterateurs (exemple du projet agro-eacutecologique du Pilat) mettent eacutegalement en avant un effet levier de la SHP 01 en faveur de la conversion agrave lrsquoagriculture biologique Toutefois celui-ci reste peu eacutevoqueacute par les agriculteurs ayant contractualiseacute la SHP 01 Ils ne sont que quelques-uns agrave envisager une conversion au bio laquo dans un deuxiegraveme temps raquo (la SHP 01 nrsquoest pas cumulable avec les mesures de soutien agrave lrsquoagriculture biologique) Les montants des aides agrave lrsquoagriculture biologique sont en geacuteneacuteral supeacuterieurs18 Pour eux comme pour les opeacuterateurs cette eacutevolution srsquoinscrirait dans le cadre drsquoune reacuteflexion et drsquoune volonteacute de progresser vers lrsquoagro-eacutecologie Les entretiens ont montreacute le rocircle des eacutechanges collectifs et de la deacutemonstration dans la prise de deacutecision des exploitants notamment pour des eacutevolutions telles que la conversion agrave lrsquoagriculture biologique

42 Une condition lrsquoingeacutenierie territoriale

Lrsquoanimation territoriale occupe une place deacuteterminante dans la contractualisation des MAEC mais aussi en amont et en aval de celles-ci (encadreacute 3) Les analyses montrent que les effets attendus de la SHP 01 sont drsquoautant plus marqueacutes qursquoil existe sur les territoires un

18 En Rhocircne-Alpes lrsquoaide agrave la conversion agrave lrsquoagriculture biologique va de 44 eurohaan (parcours landes estives) agrave 130 eurohaan lrsquoaide au maintien de 35 agrave 90 eurohaan le montant de la SHP 01 va de 58 agrave 147 eurohaan selon le niveau de risque (58 agrave 80 eurohaan pour les territoires eacutetudieacutes)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 111

Le Beaujolais Vert eacutelargi dont lrsquoun des objectifs est la mise en place drsquoune deacutemarche agro-environnementale nouvelle a deacuteployeacute des moyens drsquoanimation importants Deux journeacutees de formationsensibilisation ont eacuteteacute rendues obligatoires pour la contractualisation de la SHP 01 visant la sensibilisation aux enjeux du PAEC la formation agrave lrsquoautodiagnostic fourrager et agrave la reacutealisation de transects (traccedilage de lignes le long desquelles ils comptent la preacutesence de plantes indicatrices) Un accompagnement des besoins et des journeacutees drsquoeacutechange sont preacutevus La mesure est une opportuniteacute pour enclencher une dynamique agro-environnementale et lrsquoaccompagnement des agriculteurs dans un contexte ougrave le travail technique sur les prairies est tregraves peu deacuteveloppeacute contrairement aux Alpes du nord Ces formations contribuent aussi agrave favoriser une contractualisation importante le tout donnant de la visibiliteacute agrave la politique de deacuteveloppement agricole de la collectiviteacute

Le PNR du Haut-Jura mobilise la SHP 01 comme levier pour le lancement drsquoun groupe drsquoeacutechanges et de reacuteflexion sur le fonctionnement des exploitations et le progregraves vers lrsquoagro-eacutecologie Ce groupe pour lrsquoinstant organiseacute autour des agriculteurs ayant contractualiseacute est destineacute agrave accueillir les autres eacutegalement Des autodiagnostics des visites des fermes des eacutechanges des formations et tests sont preacutevus notamment autour du systegraveme fourrager et de la gestion diffeacuterencieacutee des surfaces au sein du systegraveme (surfaces difficiles drsquoutilisation embroussailleacutees prairies de fauche surfaces cibles etc) Il est envisageacute de valoriser les deacutemarches engageacutees aupregraves du grand public via le tourisme et la visibiliteacute des produits

Sur les Baronnies le PAEC permet lrsquoinstauration drsquoune dynamique agro-environnementale et lrsquoaffirmation du rocircle du PNR dans cette deacutemarche La SHP 01 contribue en particulier agrave la reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcours et doit permettre drsquoinitier des eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs Agrave noter que sur ce territoire le portage par le Parc naturel reacutegional a constitueacute un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs et donc agrave la contractualisation

Encadreacute 2 - Inteacutegration de la SHP 01 dans les projets agro-environnementaux des territoires-types

projet agro-eacutecologique assurant une coheacuterence entre le PAEC et drsquoautres deacutemarches (voir aussi Poux et al 2015 sur ces questions) Elles soulignent eacutegalement le rocircle important drsquoune ingeacutenierie territoriale adapteacutee adosseacutee agrave une volonteacute politique affirmeacutee et partageacutee Crsquoest notamment le cas des Parcs naturels reacutegionaux comme en teacutemoignent les exemples du Pilat ou du Haut-Jura porteurs historiques de projets agro-environnementaux et de nombreuses deacutemarches territoriales et aussi celui de certaines intercommunaliteacutes (Beaujolais Vert)

Dans la phase de montage du PAEC lrsquoanimation les journeacutees drsquoinformation les mailings mais aussi lrsquoimplication des eacutelus locaux facilitent lrsquoappropriation locale de la deacutemarche en srsquoappuyant sur la reconnaissance de la place drsquoune agriculture respectueuse de lrsquoenvironnement sur le territoire Ce sont lagrave des facteurs de motivation et de feacutedeacuteration des acteurs Le rocircle des groupements drsquoagriculteurs est aussi essentiel pour ancrer la dimension collective du projet (CUMA groupements lieacutes agrave des filiegraveres AOP produits labelliseacutes etc)

Dans la phase de contractualisation le multi-partenariat (opeacuterateurs structures techniques agricoles et acteurs environnementaux) permet de proposer une vision partageacutee et de multiplier les relais drsquoinformation et drsquoaccompagnement (diagnostics drsquoexploitation notamment) Des formations sur la SHP mais aussi plus cibleacutees (par exemple des formations agrave la botanique en Massif central) sont particuliegraverement utiles Agrave noter que des mesures drsquoaccompagnement ne sont pas toujours mises en place lorsque la SHP 01 est activeacutee

112 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Si les analyses restent agrave poursuivre pour eacutevaluer pleinement la strateacutegie reacutegionale drsquoactivation de la mesure SHP 01 la premiegravere eacutetape du dispositif (lrsquoeacutevaluation ex ante) permet deacutejagrave de mettre en avant plusieurs reacutesultats Tout drsquoabord la SHP 01 est adapteacutee pour reacutepondre agrave certains enjeux rencontreacutes sur les territoires de montagne (fermeture des milieux intensification et plus rarement retournement des prairies permanentes) et qui ne sont pas couverts par lrsquoICHN De plus pour des systegravemes de production fragiles etou fortement deacutependants des aides la SHP 01 contribue de maniegravere significative au revenu et au maintien de lrsquoactiviteacute en compleacutement de lrsquoICHN Le soutien de lrsquoensemble des aides agrave lrsquoeacutelevage de montagne conditionne in fine les effets environnementaux de la SHP 01 Les effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sont particuliegraverement marqueacutes sur les territoires

Sur le Beaujolais Vert eacutelargi un partenariat engage la Chambre drsquoagriculture et le Conservatoire des espaces naturels agrave accompagner la Communauteacute drsquoagglomeacuteration de lrsquoouest rhodanien dans lrsquoanimation du dispositif (14 ETP au total) Plusieurs deacutemarches existaient deacutejagrave sur le territoire dont sept contrats de riviegravere

Le PNR du Haut-Jura dispose de compeacutetences agro-environnementales en interne et drsquoun reacuteseau de partenaires historiques dont la Socieacuteteacute drsquoeacuteconomie montagnarde de lrsquoAin la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAin et la Reacuteserve naturelle national de la haute-chaicircne du Jura La deacutemarche du PAEC srsquoarticule avec les nombreux programmes deacutejagrave en place Leader Psader Interreg contrats de riviegravere Natura 2000 etc

Le PNR des Baronnies provenccedilales travaille notamment en partenariat avec les Chambres drsquoagriculture de la Drocircme et des Hautes-Alpes et lrsquoAssociation deacutepartementale drsquoeacuteconomie montagnarde (ADEM) Ce partenariat preacutevoit un accompagnement de la Chambre drsquoagriculture agrave la contractualisation des MAEC pour les eacuteleveurs individuels et de lrsquoADEM pour les Groupements pastoraux Le PNR porte lrsquoanimation du site Natura 2000 Gorges de lrsquoEygues Les actions drsquoaccompagnement srsquoinscrivent pour partie au sein du PSADER et du LEADER Des suivis appuis techniques journeacutees drsquoeacutechange tourneacutees et formations sont preacutevus

Encadreacute 3 - Lrsquoingeacutenierie territoriale sur les laquo territoires-types

Le retard pris dans la mise agrave disposition de creacutedits pour ces mesures impacte la mise en œuvre de ces actions et la dynamique partenariale donc lrsquoensemble de la logique drsquoaction en particulier pour les opeacuterateurs pouvant plus difficilement mobiliser drsquoautres sources de financement

Enfin le suivi de la mise en œuvre et lrsquoeacutevaluation demandent un processus de formation reacuteciproque et continu entre agriculteurs techniciens agricoles et acteurs de lrsquoenvironnement en particulier srsquoil y a une population cible importante et un grand nombre de contractants

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 113

porteurs de projets de type agro-eacutecologique qui peuvent se trouver en zone de montagne comme de plaine Autre reacutesultat important la plus-value de la SHP 01 provient de son approche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation de lrsquoopportuniteacute qursquoelle creacutee pour le deacuteveloppement de deacutemarches collectives et de reacuteflexions favorables agrave des changements durables via son inteacutegration agrave une strateacutegie agro-eacutecologique territoriale porteacutee et partageacutee

Lrsquoeacutetude souligne cependant la neacutecessiteacute drsquointerroger certaines modaliteacutes de mise en œuvre de la SHP 01 pour ameacuteliorer son efficaciteacute Ainsi celles portant sur le choix des surfaces cibles pourraient ecirctre discuteacutees dans le cadre drsquoun reacuteseau drsquoanimateurs des PAEC afin drsquoameacuteliorer leur adaptation aux enjeux locaux De plus les conditions drsquoapplication de la regravegle du prorata pour la mesure SHP 01 devraient ecirctre revues afin drsquoeacuteviter des effets contre-productifs

Ce travail invite eacutegalement agrave renforcer le lien entre les MAEC et les mesures drsquoaccompagnement dans le montage des dossiers de candidature des PAEC notamment en seacutecurisant des creacutedits pour le conseil et lrsquoanimation Il encourage lrsquoapproche systeacutemique et lrsquoaccompagnement pour maicirctriser les charges et le revenu notamment agrave travers une meilleure valorisation des surfaces herbagegraveres Enfin il souligne lrsquointeacuterecirct qursquoaurait une analyse preacutecise des beacuteneacutefices et des coucircts eacuteviteacutes par la preacuteservation des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique et des conditions de valorisation de ces beacuteneacutefices aupregraves des beacuteneacuteficiaires que sont les eacutelus et les habitants

114 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

ACTeon EnvironnementGeacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018a Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 1 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018b Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 2 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil 2018c Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne Manuel drsquoappui aux eacutevaluations rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Conseil r eacutegional Rhocircne-Alpes 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Rhocircne-Alpes

Conseil r eacutegional Auvergne 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Auvergne

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2014 Appel agrave candidatures Campagne 20152016 Mesure 101 Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) Cahier des charges pour la constitution drsquoun projet agroenvironnemental et climatique (PAEC)

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2015 Reacuteduire les pressions agricoles et geacuterer durablement les ressources naturelles avec les mesures agroenvironnementales et climatiques note drsquoaccompagnement de lrsquoappel agrave candidature

Feacutedeacuterati on des Parcs naturels reacutegionaux 2015 Mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle guide de recommandations

Hanus A Kervarec F Strosser P Saint-Pierre C Hanus G Forget V 2017 Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoindemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) principaux reacutesultats Analyse ndeg 106 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Ministegraver e de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 2017 Instruction technique Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides agrave lrsquoagriculture biologique de la peacuteriode 2015-2020 - Annexe 8 compilation des types drsquoopeacuterations simplifieacutes 2015

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 115

Panarin M Contou C Le Borgne G Penouilh-Suzette J Midler E Hugonnet M 2018 Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) et agro-eacutecologie Analyse ndeg 119 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Poux X Faure J-B Villien C 2015 Des projets agro-environnementaux innovants inteacutegreacutes et collectifs quelques enseignements tireacutes de lrsquoanalyse drsquoexpeacuteriences de terrain Analyse ndeg 76 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Candidature et notices du PAEC Beaujolais Vert Communauteacute de communes Ouest Rhodanien 2014 2017

Candidature et notices du PAEC Pilat PNR Pilat 20142017

Candidature et notices du PAEC Haut-Jura PNR Haut-Jura 20142017

Candidature et notices du PAEC Pentes et montagne drsquoArdegraveche PNR Ardegraveche 20142017

Candidature et notices du PAEC Vercors PNR Vercors 20142017

Candidature et notices du PAEC Chartreuse PNR Chartreuse 20142017

Candidature et notices du PAEC Baronnies drocircmoises PNR Baronnies provenccedilales 20142017

116 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 117

Note de lecture

En 1765 Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un gueacuteridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies Premier des laquo restaurateurs raquo il brave ainsi les interdits de lrsquoAncien Reacutegime empecircchant tout particulier traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermeacute pourvu de tables individuelles Ce nouveau type drsquoeacutetablissements se diffuse ensuite rapidement une clientegravele de plus en plus large appreacuteciant les plats varieacutes agrave prix fixes choisis dans un menu Avec la Reacutevolution les nombreux cuisiniers des princes eacutemigreacutes srsquoeacutetablissent agrave leur compte et acceacutelegraverent le passage de la gastronomie aristocratique codifieacutee agrave la cuisine bourgeoise plus inventive

De lrsquoEmpire jusqursquoau deacutebut des anneacutees 1820 le Palais-Royal est lrsquoeacutepicentre de cette restauration franccedilaise et mecircme mondiale associant le reacutegal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair crsquoest lagrave que se deacutecident lrsquohoraire du dicircner lrsquoordre des plats leurs preacutesentations les maniegraveres de nommer et tarifer Un trio ceacutelegravebre marque cette eacutepoque Carecircme inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de lrsquohistoire Grimod de La Reyniegravere preacutecurseur de la critique gastronomique Brillat-Savarin philosophe heacutedoniste et theacuteoricien du sensible

R ien qu rsquoagrave Par i s on c ompte t ro i s c en t s laquo restaurants raquo en 1804 un millier en 1825 deux mille en 1834 En 1835 le mot entre dans le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Durant les anneacutees 1820-1840 les eacutetablissements les plus fameux migrent sur le laquo Boulevard parisien raquo entre la Bastille et la Madeleine Cacheacute des regards exteacuterieurs dans un entre-soi eacutelitiste et mondain le luxe de la table restauratrice devient un spectacle

partageacute creacuteateur de connivences et de distinctions sociales le tout ponctueacute de notes exorbitantes

Dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes de faccedilon variable selon leurs statuts et leurs clientegraveles restaurants laquo agrave la carte raquo reacuteserveacutes aux fortuneacutes laquo agrave prix fixe raquo pour les bourses moyennes laquo bouillons raquo pour les moins argenteacutes Les laquo brasseries raquo quant agrave elles se deacuteveloppent surtout apregraves 1870 et la perte de lrsquoAlsace-Lorraine faisant revivre les provinces perdues agrave travers leurs speacutecialiteacutes culinaires arroseacutees de flots de biegravere Et alors apparaicirct Escoffier creacuteateur de la pecircche Melba ancien responsable des cuisines de lrsquoarmeacutee du Rhin qui impose une division du travail inspireacutee du fonctionnement militaire avec ses laquo chefs raquo laquo brigades raquo laquo fusils raquo et laquo coups de feu raquo Plus tard associeacute agrave Ceacutesar Ritz il introduit le restaurant dans les palaces permettant aux eacutelites internationales de venir ndash dans le confort et la discreacutetion ndash festoyer agrave la franccedilaise

Agrave la fin du XIXe siegravecle agrave Paris sur pregraves drsquoun million drsquohabitants cent mille dicircnent quotidiennement au restaurant Plus geacuteneacuteralement 130 ans seulement apregraves le coup drsquoeacuteclat de Roze de Chantoiseau la France dispose drsquoune large gamme drsquoeacutetablissements en tous lieux de tous deacutecors pour toutes cuisines ougrave lrsquoon rassasie les panses en faisant la conversation et synonymes de laquo franciteacute raquo dans le monde entier

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

DE BAECQUE AntoineLa France gastronomeComment le restaurant est entreacute dans notre histoirePayot 2019 235 pages

118 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Les eacuteditions Armand Colin sont reacuteputeacutees pour la qualiteacute de leurs manuels universitaires Celui-ci consacreacute agrave lrsquoanalyse sociologique du fait alimentaire ne ternira pas cette image Clairement reacutedigeacute tregraves documenteacute associant constamment lrsquoeacutevolution des reacutealiteacutes et celle des concepts theacuteoriques il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels

Lrsquoalimentation vue par le sociologue ce sont drsquoabord des processus de socialisation des types de consommation conditionneacutes par des styles de vie ou des budgets des normes qui reacutegulent les besoins lrsquoexpression ineacutegalitaire et genreacutee de goucircts et de deacutegoucircts Ce sont aussi des tacircches meacutenagegraveres et du travail domestique des rapports agrave la tradition et agrave la nouveauteacute des cuisines reacutegionales ou familiales lrsquoexpression drsquohabitus et de frontiegraveres qui distinguent les geacuteneacuterations les groupes sociaux ou les nations Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informeacutes critiques et meacutefiants libres mais moutonniers

Lrsquoalimentation du sociologue crsquoest aussi lrsquoinsertion du mangeur dans un vaste systegraveme culturel fait de valeurs de croyances religieuses de maniegraveres de tables de rites et de signes identitaires agrave deacutecoder Lrsquoheacuteritage historique ou les traditions inventeacutees sont une richesse patrimoniale en mecircme temps qursquoun espace symbolique assurant des revenus eacuteconomiques et des freacutequentations touristiques Loin de gommer les diffeacuterences et de conduire agrave lrsquooccidentalisation des assiettes la mondialisation a multiplieacute les transferts interculturels et les eacutechanges de recettes

La sociologie srsquointeacuteresse aussi aux politiques nutritionnelles des Eacutetats aux strateacutegies des entreprises agroalimentaires aux actions des

associations et ONG aux prises de position des chercheurs et meacutedecins Ces diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs sont en constante interaction qursquoil srsquoagisse de normer des produits drsquoencadrer les marcheacutes de reacuteguler les innovations techniques de garantir la santeacute des populations ou de preacutevenir des risques

Lrsquoouvrage nrsquooublie pas de retracer lrsquohistoire des nombreux mouvements de reacuteforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire depuis lrsquoancienne eacuteducation agrave lrsquoeacuteconomie meacutenagegravere des familles pauvres jusqursquoaux plus reacutecentes injonctions nutritionnelles et sanitaires en passant par les constantes critiques de lrsquoindustrialisation et la promot ion de modegraveles a l ternat i f s veacutegeacutetarisme veacutegeacutetalisme veacuteganisme flexitarisme instinctotheacuterapie lutte contre le gaspillage recyclage circuits courts durabiliteacute et retour agrave la nature etc

Cette lecture srsquoimpose agrave tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systegravemes et conduites alimentaires tant en France que sous drsquoautres latitudes ou dans drsquoautres egraveres culturelles Ils constateront que la sociologie de lrsquoalimentation riche de ses meacutethodes et de ses reacutesultats est aussi une excellente introduction agrave la sociologie geacuteneacuterale des socieacuteteacutes contemporaines

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

CARDON Philippe DEPECKER Thomas PLESSZ MarieSociologie de lrsquoalimentationArmand Colin 2019 234 pages

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 119

Note de lecture

POURQUERY DidierUne histoire de hamburger-fritesRobert Laffont juin 2019 172 pages

Cet essai alerte eacutecrit par lrsquoeacutecrivain et journaliste Didier Pourquery conte drsquoun humour grinccedilant lrsquoeacutepopeacutee de cette reacutefeacuterence mondiale du fast-food qursquoest le hamburger-frites Il nrsquoen propose pas une analyse ample et deacutetailleacutee mais comme le titre le suggegravere nous livre plutocirct son regard personnel et sensible Srsquoinspirant de lrsquoempilage drsquoun Big Mac son reacutecit comporte six tranches de reacuteflexions tout en restant tregraves digeste et plaisant

La premiegravere tranche faite drsquohistoire rappelle les origines puis les grandes dates du hamburger ses lieux de naissance et de diffusion ses creacuteateurs et leurs recettes ses leacutegendes doreacutees et ses eacutechecs retentissants ses cocircteacutes folkloriques ou capitalistes aux Eacutetats-unis comme en France ou ailleurs La deuxiegraveme tranche de sociologie deacutecrit les valeurs les habitudes et les comportements du fast-fooder qui commande machinalement son burger au milieu drsquoun capharnauumlm multicolore et bruyant puis commence toujours par piquer une frite avant de manger agrave pleines mains ndash reacutegression enfantine ndash son monticule instable drsquoingreacutedients tiegravedes et mous toujours fuyants La tranche suivante de geacuteographie eacutevoque les lieux de cette consommation rituelle chaicircnes internationales installeacutees pregraves des centres commerciaux et des eacutechangeurs routiers eacutetablissements franchiseacutes ou appartenant agrave leur maison-megravere ou bien restaurants de quartiers populaires ou plus chics voire tregraves chics et chers Arrive ensuite la tranche nutritionnelle qui revient sur des sujets si souvent deacutebattus qualiteacute et quantiteacute des ingreacutedients pheacutenomegravenes drsquoaddiction risque de suralimentation et surpoids pathologies associeacutees mais aussi reacuteaction rapide des grandes enseignes devant lrsquoaccumulation de critiques en supprimant les

portions super size au profit de leacutegumes fruits et eau mineacuterale Lrsquoavant-derniegravere tranche drsquoeacuteconomie nrsquooublie pas qursquoun tel succegraves mobilise de par le monde des centaines de milliers de restaurants des millions de salarieacutes des dizaines de milliards de clients annuels (22 rien que pour McDo dans 118 pays) le tout appuyeacute sur des organisations tayloriennes de travail tregraves eacuteprouveacutees et rentables qui distribuent de petits salaires en rationalisant toujours plus la logistique lrsquoespace des cuisines les machines les cadences les liens avec les clients Enfin la sixiegraveme tranche prospective reacutecense quelques unes des mutations agrave lrsquoœuvre ou promises neacuteo-burgers bio et vegan pour millennials et ensuite faits de viande artificielle recettes exotiques faccedilon world food ou au contraire adapteacutees aux gastronomies nationales robots cuiseurs-assembleurs-distributeurs permettant drsquoaugmenter encore la productiviteacute etc

Cet ouvrage montre une fois de plus que tout nrsquoest pas alimentaire dans lrsquoalimentation en mangeant le contenu de son assiette on met aussi en oeuvre des valeurs et de la culture des rites et du simulacre quelques goucircts et beaucoup drsquohabitudes Agrave lrsquoinstar de Roland Barthes (Mythologies 1957) qui voyait dans le bifteck-frites lrsquoun des plus beaux mythes de la cuisine franccedilaise Didier Pourquery juge que lrsquohamburger-frites est pour le meilleur et pour le pire au cœur des grandes leacutegendes de lrsquoalimentation mondiale contemporaine

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

120 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

COMBRIS PierreAgrave la table de lrsquoHomo economicus De la subsistance agrave lrsquoabondanceTallandier Fondation Nestleacute France juin 2019 192 pages

Dans cet ouvrage publieacute aux eacuteditions Tallandier avec le soutien de la Fondation Nestleacute France Pierre Combris directeur de recherche honoraire agrave lrsquoInra propose une lecture eacuteconomique de lrsquoalimentation Ce laquo cas drsquoeacutecole raquo est lrsquooccasion de preacutesenter les deacutemarches et eacutevolutions des analyses eacuteconomiques de citer des contributeurs majeurs (R Fogel B Popkin G Stigler notamment) et drsquoillustrer les concepts mobiliseacutes (productiviteacute surplus prix complet externaliteacutes etc) pour mettre en lumiegravere les grands deacuteterminants des eacutevolutions alimentaires leurs conseacutequences ainsi que les deacutefis actuels pour lrsquoaction publique

La premiegravere eacutetape de ce parcours montre comment la subsistance alimentaire a deacutetermineacute pendant une grande partie de lrsquohistoire humaine la seacutelection des aliments et le souci de reacuteduire leurs coucircts drsquoacquisition et de production Les transitions nutritionnelles contemporaines la geacuteneacuteralisation de lrsquoabondance et ses limites sont traiteacutees dans la deuxiegraveme partie La troisiegraveme srsquointeacuteresse aux effets de cette abondance sur les compor tements deacuteveloppement de la surconsommation controcircle individuel difficile du fait des sollicitations environnementales coucircts sociaux croissants injustices La derniegravere partie srsquointerroge sur les contributions possibles des approches eacuteconomiques pour reacutepondre aux deacutefis poseacutes par

les choix alimentaires des consommateurs (santeacute environnement ineacutegaliteacutes etc) Elle aborde des points cleacutes pour lrsquoaction publique et souligne que les motivations des individus sont freacutequemment sous-estimeacutees (voire ignoreacutees) par les interventions visant agrave accompagner des changements de comportements

En conclusion Pierre Combris rappelle que laquo manger a toujours un prix explicite ou implicite raquo et que la dimension eacuteconomique est omni-preacutesente dans les deacutecisions alimentaires Si les coucircts de chaque option devraient ecirctre refleacuteteacutes par le prix comme signal creacutedible il se demande au vu des impacts sanitaires et environnementaux si nous payons laquo le vrai prix de ce que nous mangeons raquo Au-delagrave il souligne que toute eacutevolution durable des comportements ne peut passer que par lrsquoadheacutesion agrave des valeurs et que ce sont laquo les preacutefeacuterences des mangeurs et les repreacutesentations symboliques de lrsquoalimentation de sa production et de sa consommation qui auront le dernier mot raquo

Julia GassieCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAjuliagassieagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 121

Note de lecture

POUZENC MichaeumllCommerce et ruraliteacute La laquorenaissance ruraleraquo drsquoun siegravecle agrave lrsquoautre Presses universitaires du Midi janvier 2019 187 pages

Cet ouvrage ducirc agrave Michaeumll Pouzenc professeur de geacuteographie agrave lrsquouniversiteacute de Toulouse analyse les rapports entre commerce alimentaire et ruraliteacute Aujourdrsquohui dire que le commerce a disparu de lrsquoespace rural est un lieu commun Agrave lrsquoencontre de ce preacutejugeacute dominant il montre que si la reacuteduction du nombre de petits magasins traditionnels est bien reacuteelle elle a eacuteteacute largement compenseacutee par lrsquoinstallation de supeacuterettes ou supermarcheacutes de la grande distribution qui certes appliquent des modegraveles identiques agrave tous les territoires qursquoils occupent mais en veillant aussi agrave srsquoadapter aux demandes speacutecifiques des consommateurs locaux Drsquoautres formes nouvelles drsquoinstallations reacutecentes (boutiques multiservices vente de plats agrave emporter ou de produits bios etc) participent de cette mecircme vitaliteacute rurale

En mecircme temps que la ruraliteacute accueille et conditionne certains types de commerce le commerce contribue agrave faccedilonner de nouveaux rapports agrave la ruraliteacute Petits magasins comme grandes enseignes mettent en avant les produits du terroir les agriculteurs des environs les partenariats locaux et la consommation citoyenne De leur cocircteacute les circuits alternatifs de vente directe (AMAP etc) amegravenent les vendeurs et acheteurs agrave construire ou reconstruire de nouvelles images de la ruraliteacute faites drsquoengagements (deacuteveloppement durable achats eacutequitables) de reacuteappropriations symboliques de nouvelles repreacutesentations des campagnes et de la nature

Au total les nombreuses eacutetudes de cas mobiliseacutees dans ce livre montrent que ni le commerce

alimentaire rural ni la ruraliteacute ne deacuteclinent Ils ne srsquoexcluent pas non plus alors mecircme que nous vivons dans une socieacuteteacute de consommation tregraves urbaniseacutee et agrave forte mobiliteacute Pour lrsquoauteur dans leur grande majoriteacute en France les zones rurales ne sont pas des lieux de crise et de releacutegation mais des espaces vivants en constante modernisation ougrave s rsquo i nventent l es nouveaux rappor t s agrave lrsquoenvironnement agrave la production alimentaire et agrave lrsquoameacutenagement des territoires Nous vivons dans une socieacuteteacute globale qui reconfigure constamment ses espaces que ceux-c i soient urbains peacuteri-urbains ou ruraux Plus geacuteneacuteralement laquolrsquourbanisation du monde nrsquoempecircche pas une omnipreacutesence de la ruraliteacute (p 132)

Fort de ces constats lrsquoauteur examine dans la derniegravere partie du livre les tendances agrave la laquo renaissance rurale raquo observeacutees ces derniegraveres deacutecennies qursquoelles soient lieacutees ou pas agrave la question du commerce Lrsquointeacuterecirct de ces pages reacuteside dans les reacuteflexions sur la transformation des laquo fonctions raquo du rural et sur lrsquoeacutevolution des valeurs et normes utiliseacutees par les diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs pour dire ce qursquoest ou ce que nrsquoest pas la laquo ruraliteacute raquo On y trouvera eacutegalement une inteacuteressante relecture critique des principaux exercices de prospective consacreacutes agrave la France rurale depuis le deacutebut des anneacutees 2000

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

122 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

PORCHER JocelyneCause animale cause du capitalEacuteditions Le Bord de lrsquoeau septembre 2019 120 pages

Depuis 2013 et la mise en scegravene de la deacutegustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur neacuteerlandais M Post des star t-up toujours plus nombreuses cherchent agrave appliquer les principes de lrsquoingeacutenierie tissulaire agrave la production alimentaire Dans un court ouvrage au ton vif voire pamphleacutetaire J Porcher (Inra) analyse les implications de lrsquoeacutemergence de ce nouveau type de produits pour lrsquoeacutelevage et nos relations avec les animaux

La viande de synthegravese et les substituts proteacuteineacutes sont preacutesenteacutes par les entrepreneurs mais aussi par certains militants veacutegans comme une reacuteponse radicale agrave quatre problegravemes lrsquoaugmentation de la demande alimentaire mondiale les impacts de la consommation de produits carneacutes sur la santeacute humaine la lutte contre les deacutegradations environnementales et les conditions de vie des animaux Cette innovation biotechnologique srsquoaccompagne drsquoune intense activiteacute de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabiliteacute sociale J Porcher considegravere que la terminologie utiliseacutee (laquo clean meat raquo ou laquo viande propre raquo laquo agriculture cellulaire raquo ou plus reacutecemment laquo viande cultiveacutee raquo) est au cœur drsquoune veacuteritable laquo bataille seacutemantique raquo et ideacuteologique orchestreacutee par des multinationales des biotechnologies et de lrsquoagroalimentaire avec le concours des associations abolitionnistes visant agrave laquo discreacutediter

tous les produits animaux sans distinction de systegravemes de production raquo et laquo agrave deacutegoucircter les consommateurs de la viande raquo

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale et en particulier les interventions tregraves meacutediatiseacutees de L214 elle passe aussi en revue une seacuterie de reacutefeacuterences theacuteoriques (Singer Francione Donaldson et Kymlicka notamment) et soutient qursquoelles occultent les relations de travail noueacutees avec les animaux de ferme ainsi que les formes drsquoexploitation et de domination qui pegravesent en commun sur les animaux et sur les humains Ce faisant les militants abolitionnistes laquo acceptent les regravegles du jeu eacuteconomique en vigueur raquo et servent degraves lors selon elle les inteacuterecircts du capitalisme et de lrsquoindustrie Le propre point drsquoappui normatif de J Porcher lrsquoeacutelevage traditionnel en petite ferme bien distinct des laquo productions animales raquo industrialiseacutees mises en place dans les anneacutees 1960 est expliciteacute seulement en ouverture du dernier chapitre avant un panorama mondial des entreprises impliqueacutees dans la recherche sur la viande in vitro

Florent BidaudCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAflorentbidaudagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 123

Note de lecture

Le rappo r t c hangean t que l es huma ins entretiennent avec la nature est scandeacute de grandes repreacutesentations mentales Apregraves la peacuteriode tregraves laquoenvironnementraquo des anneacutees 1970 il y eut des phases laquodeacuteveloppement durableraquo puis laquotransition eacutenergeacutetiqueraquo et laquoreacutechauffement climatiqueraquo Nous sommes maintenant dans une forte seacutequence laquobiodiversiteacuteraquo Utiliseacute par tous en toutes occasions ce terme galvaudeacute meacutelange craintes et espeacuterances science et ideacuteologie discours et reacutealiteacutes Le catastrophisme meacutediatique de la laquosixiegraveme grande extinctionraquo en est un bel exemple de mecircme que la perception systeacutematiquement positive drsquoune biodiversiteacute bonne laquoen soiraquo

Alain Paveacute (biomeacutetricien professeur eacutemeacuterite de lrsquouniversiteacute de Lyon) a eacutecrit ce livre pour nous aider agrave distinguer le vrai du faux Ni pessimiste ni optimiste faisant preuve de mesure et de reacutealisme critique il procircne le doute scientifique eacutevacue les ideacutees reccedilues et preacuteconise une analyse plus fine et complexe des meacutecanismes agrave lrsquoœuvre en y incluant les derniers deacuteveloppements de lrsquoeacutevolutionnisme darwinien du calcul des probabiliteacutes et des theacuteories du hasard

Le but de son ouvrage est aussi drsquoexposer de reacuteels sujets de preacuteoccupation pour les acteurs en particulier publics concernant lrsquoorigine et la mesure de la diversiteacute du vivant les beacuteneacutefices qursquoon peut en tirer son rocircle dans le fonctionnement de la biosphegravere le potentiel eacutevolutif qursquoelle repreacutesente en fonction de choix varieacutes de politiques Il insiste eacutegalement de chapitre en chapitre sur les dimensions eacuteconomiques techniques culturelles et mecircme religieuses du sujet

En faisant de la laquobiodiversiteacuteraquo (neacuteologisme creacuteeacute en 1985) un synonyme vague de la laquonatureraquo la penseacutee eacutecologique contemporaine court selon lrsquoauteur un grand risque drsquoappauvrissement et de dilution Il importe donc de revenir agrave une deacutefinition plus rigoureuse du concept si on souhaite avoir des programmes drsquointerventions plus adapteacutees et des actions correctrices plus efficaces

Plus profondeacutement encore les approches et les meacutethodes scientifiques doivent aussi se renouveler et plusieurs pistes lui semblent prioritaires cesser de penser les milieux en termes drsquoeacutequilibre et reacutevoquer en doute lrsquoexpression laquobon eacutetat eacutecologiqueraquo si priseacutee des administrations abandonner les visions finalistes et fixistes qui ceacutelegravebrent la laquoprotectionraquo la laquopreacuteservationraquo et la laquoconservationraquo admettre que comptabiliser les espegraveces est insuffisant et que si la laquoloi aire-espegravecesraquo fonctionne bien pour eacutevaluer leur nombre elle ne marche pas pour estimer leur disparition arrecircter de confondre les reacutesultats des modegraveles speacuteculatifs avec la reacutealiteacute qui adviendra reconnaicirctre que lrsquoaleacuteatoire joue un rocircle fondamental dans les dynamiques biologiques Paveacute critique eacutegalement la formule laquoservices rendus par les eacutecosystegravemesraquo pour lui soit elle veut dire que la nature nous offre des prestations ce qui est reconnu depuis lrsquoaube de lrsquohumaniteacute soit elle signifie que la nature est bien intentionneacutee en oubliant qursquoexistent au moins autant de fonctionnaliteacutes neacutegatives

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

PAVEacute AlainComprendre la biodiversiteacuteVrais problegravemes et ideacutees faussesEacuteditions du Seuil 2019 361 pages

124 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Dans cet ouvrage collectif publieacute en octobre 2019 les auteurs analysent les liens entre agriculture et qualiteacute de lrsquoair en France et en Europe de lrsquoOuest Leur but est de mettre agrave disposition de tout acteur concerneacute par ce sujet une synthegravese des connaissances actuelles Ils deacutecrivent le contexte et lrsquohistoire de cette probleacutematique et preacutesentent les diffeacuterents polluants atmospheacuteriques produits par ou impactant lrsquoagriculture ainsi que les meacutethodes permettant de les mesurer ou de modeacuteliser leur eacutemission La derniegravere partie propose une reacuteflexion sur le passage du diagnostic agrave la mise en œuvre drsquoactions de reacuteduction de ces pollutions

Lrsquoagriculture est source de nombreux polluants atmospheacuteriques par exemple 94 des eacutemissions drsquoammoniac en sont issus de mecircme que 54 des particules totales en suspension (essentiellement des PM10) Pourtant les auteurs soulignent que la prise de conscience par la socieacuteteacute de lrsquoimpact de lrsquoagriculture sur la qualiteacute de lrsquoair srsquoest seulement faite dans les anneacutees 2000 et qursquoil a fallu attendre 2010 pour que le secteur reconnaisse sa propre vulneacuterabiliteacute face agrave ces polluants Par exemple lrsquoammoniac favorise lrsquoacidification des sols ce qui diminue leur fertiliteacute et joue sur les rendements Selon eux il est probable qursquoagrave lrsquoavenir la pression

BEDOS Carole et al (coord)Agriculture et qualiteacute de lrsquoair Comprendre eacutevaluer agirEacuteditions Quaelig octobre 2019 324 pages

Niveaux drsquoaction du cadre leacutegislatif appliqueacute en France pour lutter contre les eacutemissions de polluants atmospheacuteriques drsquoorigine agricole

Source Eacuteditions Quae

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 125

de lrsquoopinion publique pour reacuteduire les eacutemissions drsquoorigine agricole srsquoaccentue parallegravelement agrave lrsquoaugmentation des aires drsquoinfluence des villes et donc des interfaces avec lrsquoagriculture

Lrsquoouvrage dresse par ailleurs un panorama du corpus reacuteglementaire relatif aux eacutemissions dues agrave lrsquoagriculture (voir figure) et alerte sur le risque drsquoincoheacuterences et drsquoinefficaciteacute ducirc agrave lrsquoempilement des textes et au manque de coordination entre ceux-ci Ainsi leur mise en œuvre srsquoavegravere difficile et la France est par exemple attaqueacutee devant la Cour de justice europeacuteenne pour non-respect des valeurs limites dans lrsquoair pour le NO2

Afin drsquoameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair les auteurs envisagent des actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation (changement de pratiques etc) mais aussi agrave des

eacutechelles plus larges On peut citer entre autres les leviers suivants modifier la mosaiumlque paysagegravere pour maximiser la recapture locale de polluants positionner les sources eacutemettrices importantes loin des zones sensibles (zones proteacutegeacutees par exemple) reacutepartir les eacutemissions dans le temps et dans lrsquoespace pour eacuteviter des pics de concentration et donc maintenir une diversiteacute des productions dans chaque bassin Ils soulignent enfin que la mise en œuvre de ces leviers devra ecirctre adapteacutee au contexte local

Aurore PayenCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

aurorepayenagriculturegouvfr

126 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

VALLAEYS AnneHautes solitudes Sur les traces des transhumants2017 reacuteeacutedition juin 2019 en version de poche Eacuteditions La Table Ronde 250 pages

Auteure de romans enquecirctes et essais remarqueacutes Anne Vallaeys raconte dans cet ouvrage-ci sa longue marche depuis Arles (plaine de Crau) jusqursquoau Laverq (haute Ubaye) sur les anciens chemins de la laquo grande transhumance raquo Au fil drsquoune vingtaine de journeacutees srsquoeacutetirant sur pregraves de quatre cents kilomegravetres agrave raison de trois kilomegravetres par heure (tempo jadis des brebis) elle livre ses reacuteflexions et eacutemotions ses eacutemerveillements ou deacuteceptions ses belles rencontres ou tristes constats Elle nrsquoa pas son pareil pour deacutecrire les paysages la veacutegeacutetation les ruisseaux la faune sauvage ou domestique le loup qui rocircde ou le chien qui veille Elle nous entraicircne dans les vastes reliefs montagneux comme dans le deacutesordre des sentiers cacheacutes entre fortes chaleurs et gros orages On se repose avec elle dans les bourgs-eacutetapes agrave la deacutecouverte des habitants et de leurs histoires familiales des speacutecialiteacutes agricoles des produits locaux et de lrsquoesprit des lieux

Aussi prenante soit-elle cette marche est aussi et surtout un preacutetexte pour deacutecrire le pastoralisme drsquohier (et drsquoaujourdrsquohui) pour conter la grande leacutegende des transhumants En suivant la routo mythique qursquoempruntaient jadis les brebis pour gagner les alpages Vallaeys fait revivre les traditions disparues Telle valleacutee tel pont telle vieille fontaine sont des accroches drsquoougrave resurgit le passeacute agrave travers photos vieux l ivres et

teacutemoignages Tout reprend alors vie par bribes la laquo peuplade timide raquo des reacutetifs bergers le rassemblement du laquogrand troupeauraquo de plusieurs dizaines de milliers de tecirctes la poussiegravere souleveacutee sur le laquo grand chemin raquo le vacarme de sonnailles et de becircleacutees les vapeurs musqueacutees du suint lrsquoaccueil festif des villages traverseacutes la fatigue des hommes et des becirctes mais aussi toute lrsquoeacuteconomie reposant sur de telles migrations annuelles Dans les anneacutees 1950 ces laquo interminables caravanes laineuses raquo ont commenceacute agrave disparaicirctre et en 1974 il fut interdit de mener les troupeaux agrave pieds Crsquoest maintenant en beacutetaillegraveres que les brouteuses gagnent les estives et en bas les parcours de plaine nrsquoont pas reacutesisteacute agrave la pression du tourisme et de lrsquoimmobilier

Tout cela est rendu dans une langue eacuteleacutegante et travailleacutee au style raffineacute mais sans affeacuteterie servie par un riche vocabulaire Cette marche de sentiers est surtout un itineacuteraire de meacutemoire que lrsquoauteure nous restitue sans miseacuterabilisme sans pantheacuteisme ni regrets inutiles

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 127

Note de lecture

Les laquo valeurs raquo sont ces ideacuteaux profonds dont les individus srsquoinspirent au quotidien pour agir et justifier leurs actions Elles renseignent sur lrsquounivers mental de tel ou tel groupe agrave un moment donneacute mais permettent aussi drsquoanticiper les opinions et comportements qursquoils adopteront dans le futur Crsquoest dire leur importance pour tous ceux qui srsquointeacuteressent agrave la prospective ou agrave la gestion des affaires publiques LrsquoEuropean Values Study (EVS) est la meilleure enquecircte internationale disponible sur le sujet Reacutealiseacutee pour la premiegravere fois en 1981 puis reconduite en 1990 1999 2008 la cinquiegraveme vague a eu lieu en 2018 et 38 pays sont doreacutenavant couverts Le preacutesent ouvrage se concentre sur les reacutesultats concernant la France

L e s v a l e u r s l i eacute e s a u x a p p a r t e n a n c e s geacuteographiques et agrave la ruraliteacute en particulier sont globalement stables En 1981 comme en 2008 les uniteacutes territoriales auxquelles les Franccedilais avaient le sentiment drsquoappartenir laquo avant tout raquo eacutetaient le laquo national raquo puis le laquo local raquo le laquo reacutegional raquo le laquo monde raquo et laquo lrsquoEurope raquo se situant en queue de peloton En 2018 le national reste premier (92 des intervieweacutes) devant la reacutegion (80 ) et la ville ou le village (77 ) Le sentiment de multi-appartenance semble srsquoaffirmer lrsquoexpression drsquoun attachement pour le laquo village raquo eacutetant de moins en moins exclusive de lrsquoidentification agrave drsquoautres eacutechelons Notons par ailleurs le maintien de clivages importants selon le niveau de diplocircme plus celui-ci baisse et plus lrsquoattachement au laquo village raquo croicirct

Le rapport agrave lrsquoenvironnement est aussi au cœur de nombreuses valeurs inteacuteressantes agrave analyser

Entre 1990 et 2018 les laquo pro -croissance eacuteconomique raquo sont resteacutes stables agrave 54 mais les laquo pro-environnement raquo sont passeacutes de 20 agrave 25 La deacutefense de lrsquoenvironnement atteint son maximum chez les plus diplocircmeacutes et ceux ayant les revenus les plus eacuteleveacutes Cette deacutefense est la plus faible pour les geacuteneacuterations 1930-39 la plus eacuteleveacutee pour les geacuteneacuterations 1970-79 puis elle baisse pour les geacuteneacuterations ulteacuterieures de plus en plus sensibles agrave la croissance La prioriteacute accordeacutee agrave lrsquoenvironnement est porteacutee par les reacutepondants se situant laquo agrave gauche raquo (60 ) et laquo tregraves agrave gauche raquo (65 ) plutocirct que par ceux laquo agrave droite raquo (46 ) et laquo tregraves agrave droite raquo (39 )

Outre les deux points sur lesquels nous venons drsquoinsister de nombreuses eacutevolutions des systegravemes de valeurs sont eacutetudieacutees dans ce livre concernant la famille la politique lrsquoeacuteconomie la culture le travail etc Apparemment eacuteloigneacutees des champs de compeacutetence du ministegravere chargeacute de lrsquoagriculture ces mutations de valeurs constituent de bonnes grilles de lecture pour comprendre cer tains enjeux au cœur de ses politiques nouveaux comportements alimentaires critique croissante du monde agricole affirmation de la laquo question animale raquo etc

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective ndash MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

BREacuteCHON Pierre GONTHIER Freacutedeacuteric ASTOR Sandrine (dir) La France des valeurs Quarante ans drsquoeacutevolutionsPresses universitaires de Grenoble 2019 382 pages

128 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Abstracts and Key Words

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 129

From declared eating behaviors to real eating behaviors measuring and understanding differences to improve public actionGabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

The sources of information that inform dietary behaviour (apparent consumption consumer amp retailer panels dietary surveys opinion surveys qualitative surveys) provide us valuable and fairly accurate information on eating behaviour However they also suffer from several biases causing occasionally gaps between the actual vs declared behaviours This problem which is not specific to food surveys is often related to the characteristics of the respondents (memory loss imperfect rationality feelings mental representations and beliefs psychic attitudes etc) and to the context (where when social situation etc) It is also linked to the procedures and methods used to collect information (questionnaire interview consumption book attitude scale mainly declarative techniques sampling etc) and to their subsequent processing methods Aware of these problems and their potential impact on the management of public action the Ministry of Agriculture and Food FranceAgriMer and ADEME commissioned a study on this complex subject Produced by the consortium CREacuteDOC NutriPsy Consult Proteacuteines and Deloitte DD it relied on a review of the scientific literature followed by three case studies These consist of identifying the omissions (food and drink) associated with the consumption reports by the diary method measuring the effect of weariness in food surveys and finally evaluating the differences between expectations expressed on social networks and buying behaviours

KeywordsEating behaviors attitudes beliefs consumption information survey methods bias declarativeConcentration of farms and jobs

Farm outsourcing and task delegation markers of changes in the organisation of agricultural productionGeneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Since the mid-1990s agricultural outsourcing has been developing steadily Between 2000 and 2016 the number of farms relying on it has doubled In response to the transmission issue of many farms or to the growth strategies of the largest ones the development of agricultural outsourcing is one of the key trends in the evolution of French agriculture This market estimated at around 4 billion euros is characterized by major changes in demand and the emergence of numerous farm contractors While most of them offer to carry out specific tasks others have developed a wide range of services from audits of agricultural properties to the complete management of the farm including technical administrative and financial management However agricultural outsourcing and in particular the integral delegation of

130 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

farming activities remains poorly documented Various questions remain which this article helps to answer by bringing together the salient results of research conducted since 2012 It follows on from the quantitative assessment of the evolution of the phenomenon carried out by the ActifrsquoAgri(1) working group led by the Centre drsquoeacutetudes et de prospective (Centre for Studies and Forecasting) of the French Ministry of Agriculture and Food The first part of the article explains the method used and the next three parts present respectively an inventory of the market then a survey of changes in practices and finally an analysis of innovative forms of organisation of service provision The conclusion deals with the issues raised by the rapid development of the phenomenon and the implications for public policy

KeywordsAgricultural outsourcing integral delegation practices organizations tertiarization agriculture

Evaluation of the agri-environment measure targeting grassland and pastoral systems in the mountain areas of Rhocircne-AlpesAnaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

In the French region of Rhocircne-Alpes the individual agri-environment-climate measure (AECM) targeting grassland and pastoral systems opened in 2014 in lowland areas It was then extended to some mountain areas in 2015 on an exploratory basis At the request of the DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes the Acteon consulting firm carried out a study to evaluate the measure in 2017 The goals of this study were twofold First they assessed the relevance of the measure for mountain areas and its coherence with other instruments ex ante Second they built a monitoring and evaluation system to assess its effectiveness and efficiency ex post ie at the end of programming This article presents this double approach as well as the first results of the ex ante evaluation

KeywordsAgri-environmental measure biodiversity Auvergne - Rhocircne-Alpes monitoring and evaluation mountain grassland and pastoral systems

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 131

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus

Retrouvez le texte inteacutegral des articles et tous les sommaires de Notes et Eacutetudes Socio- Eacuteconomiques sur internet httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Chiffres et analyses gt Collections gt Collection nationale gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

No 37 - Janvier-Juin 2013 Eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacuteconomies de gamme en production laitiegravere Changement de paradigme et creacuteation de valeur ajouteacutee en agriculture

le cas des systegravemes bovins herbagers eacuteconomes du Bocage poitevin Quelle eacutevaluation eacuteconomique pour les services eacutecosysteacutemiques rendus

par les prairies en France meacutetropolitaine Le suivi des prix et des marges pour lrsquoanalyse de la formation des prix au deacutetail

des produits alimentaires La compeacutetitiviteacute agricole du Breacutesil le cas des filiegraveres drsquoeacutelevage

No 38 - Juin 2014 Eacutemissions de gaz agrave effet de serre drsquoorigine agricole coucircts et potentiels

drsquoatteacutenuation instruments de reacutegulation et efficaciteacute Protocole de Kyoto et marcheacute carbone europeacuteen Coucircts de transaction priveacutes et adoption de mesures drsquoatteacutenuation

des eacutemissions de GES Impatcs des aleacuteas climatiques en eacutelevages bovin et ovin allaitants

et demande de couverture assurantielle

No 39 - Avril 2015 La diversification des cultures comment la promouvoir Ineacutegaliteacutes sociales et alimentation Lrsquoadaptation de lrsquoagriculture agrave la disponibiliteacute de la ressource en eau

Le cas de la Drocircme des Collines Les innovations technologiques leviers de reacuteduction du gaspillage dans

le secteur agroalimentaire Lrsquoanalyse orienteacutee objets comme outil drsquoaide agrave la gestion des risques sanitaires Flexibiliser les politiques de soutien aux biocarburants eacuteclairages theacuteoriques et

expeacuterience ameacutericaine

132 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

No 40 - Mai 2016 Les produits de stimulation en agriculture un eacutetat des connaissances Diffusion au public des reacutesultats des controcircles sanitaires officiels

comparaison internationale et acceptabiliteacute pour les parties prenantes Les deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoeacutelevage en Allemagne au Danemark et aux Pays-Bas

No 41 - Deacutecembre 2016 Transmission en agriculture quatre sceacutenarios prospectifs agrave 2025 Appariement entre le registre parcellaire graphique et le cadastre pour construire

une typologie des exploitations franccedilaises Lrsquoeacutevolution de la filiegravere bleacute tendre en France entre 1980 et 2006

quelle influence sur la diversiteacute cultiveacutee

No 42 - Novembre 2017 Observer les changements structurels des exploitations laitiegraveres franccedilaises

constitution de la base de donneacutees ADE Efficaciteacute de la protection des troupeaux contre le loup

Une eacutevaluation du dispositif franccedilais drsquoaide au financement des mesures de protection sur la peacuteriode 2009-2014

Lrsquoalternance sous statut scolaire dans lrsquoenseignement agricole une composante du service public aux multiples atouts

No 43 - Mars 2018 Anticiper les comportements alimentaires de demain un outil de sensibilisation

destineacute aux acteurs de la filiegravere alimentaire Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels

(ICHN) principaux reacutesultats et speacutecificiteacutes territoriales Diffusion des meacutelanges varieacutetaux pour la production de bleacute une comparaison entre

France et Danemark

No 44 - Deacutecembre 2018 Les deacutemarches mises en œuvre par les filiegraveres animales en France en reacuteponse

aux attentes socieacutetales en termes de bien-ecirctre animal typologie et perspectives Le systegraveme franccedilais de choix des denreacutees et la mise en oeuvre du FEAD dans

les pays europeacuteens Contribution des filiegraveres internationaliseacutees et du commerce agrave lrsquoemploi dans les

secteurs agricole et agro-alimentaire

No 45 - Septembre 2019 Emplois preacutecaires en agriculture Agro-eacutecologie et Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) Lrsquoagriculture dans les aires urbaines drsquoOccitanie agrave lrsquohorizon 2035 une prospective

participative

No 46 - Deacutecembre 2019 La coheacuterence des politiques commerciales et de deacuteveloppement le cas de lrsquoAPE

Afrique de lrsquoOuest Concentration des exploitations agricoles et emplois Rocircles des organisations de producteurs dans les filiegraveres animales neacutegociation

conseil commercialisation et creacuteation de valeur

Recommandations aux auteurs

FormatLes manuscrits sont preacutesenteacutes sous format Word ou Writer en police de taille 12 Ils ne deacutepassent pas 80 000 signes espaces inclus y compris tableaux graphiques bibliographie et annexes

Sur la premiegravere page du manuscrit doivent figurer -ensple titre de lrsquoarticle -ensples noms des auteurs et leurs institutions -ensple reacutesumeacute de lrsquoarticle (800 signes espaces compris) en franccedilais et en anglais -ensptrois agrave six mots cleacutes en franccedilais et en anglais

Toutes les sources des chiffres citeacutes doivent ecirctre preacuteciseacutees Les sigles doivent ecirctre expliciteacutes Lorsque lrsquoarticle srsquoappuie sur une enquecircte des traitements de donneacutees etc un encadreacute preacutesentant la meacutethodologie est souhaiteacute

Les reacutefeacuterences bibliographiques sont preacutesenteacutees ainsi

a - Dans le texte ou les notes chaque reacutefeacuterence citeacutee est constitueacutee du nom de lrsquoauteur et de lrsquoanneacutee de publication entre parenthegraveses renvoyant agrave la bibliographie en fin drsquoarticle Par exemple (Griffon 2004)

b - Agrave la fin de lrsquoarticle les reacutefeacuterences sont classeacutees par ordre alphabeacutetique drsquoauteurs et preacutesenteacutees selon les normes suivantes

-ensp pour un ouvrage nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee Titre drsquoouvrage ville maison drsquoeacutedition

-ensp pour un article nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee laquo Titre drsquoarticle raquo Revue ndeg de parution mois pages

Seules les reacutefeacuterences explicitement citeacutees ou mobiliseacutees dans lrsquoarticle sont reprises en fin drsquoarticle

CompleacutementspourmiseenlignedelrsquoarticleDans la perspective de la publication de lrsquoarticle sur le site internet du CEP et toujours selon leur convenance les auteurs sont par ailleurs inviteacutes agrave

-ensp adresser le lien vers leur(es) page(s) personnelle(s) agrave caractegravere laquo institutionnelle(s) raquo srsquoils en disposent et srsquoils souhaitent la(les) communiquer

-ensp communiquer une liste de reacutefeacuterences bibliographiques de leur choix utiles pour contextualiser compleacuteter ou approfondir lrsquoarticle proposeacute

-ensp proposer une liste de lien vers des sites Internet pertinents pour se renseigner sur le sujet traiteacute -ensp proposer le cas eacutecheacuteant des annexes compleacutementaires ou des deacuteveloppements utiles mais non

essentiels (preacutecisions meacutethodologiques exemples etc) reacutedigeacutes dans la phase de preacuteparation de lrsquoarticle mais qui nrsquoont pas vocation agrave inteacutegrer la version livreacutee limiteacutee agrave 50 000 caractegraveres Ces compleacutements srsquoils sont publiables viendront enrichir la version Internet de lrsquoarticle

ProceacutedureTout texte soumis est lu par au moins trois membres du comiteacute de reacutedaction et deux experts exteacuterieurs La deacutecision de publication est prise collectivement par le comiteacute de reacutedaction Tout refus est argumenteacute

Les manuscrits sont agrave envoyer en version eacutelectronique uniquement agrave -ensp Bruno Heacuterault reacutedacteur en chef brunoheraultagriculturegouvfr

DroitsEn contrepartie de la publication lrsquoauteur cegravede agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques agrave titre exclusif les droits de proprieacuteteacute pour le monde entier en tous formats et sur tous supports et notamment pour une diffusion en lrsquoeacutetat adapteacutee ou traduite Agrave la condition qursquoil demande lrsquoaccord preacutealable agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques lrsquoauteur peut publier son article dans un livre dont il est lrsquoauteur ou auquel il contribue agrave la condition de citer la source de premiegravere publication crsquoest-agrave-dire la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Tous les articles de Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques sont teacuteleacutechargeables gratuitement sur

httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Publications gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Renseignements

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective3 rue Barbet de Jouy75349 Paris 07 SP

brunoheraultagriculturegouvfr

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiquesMinistegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Secreacutetariat GeacuteneacuteralService de la Statistique et de la Prospective

Centre drsquoeacutetudes et de prospective

Page 2: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

Preacutesentation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques est une revue du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation publieacutee par son Centre drsquoEacutetudes et de Prospective Cette revue technique agrave comiteacute de reacutedaction se donne pour double objectif de valoriser des travaux conduits en interne ou des eacutetudes commanditeacutees par le ministegravere mais eacutegalement de participer au deacutebat drsquoideacutees en relayant des contributions drsquoexperts exteacuterieurs Veillant agrave la rigueur des analyses et du traitement des donneacutees elle srsquoadresse agrave un lectorat agrave la recherche drsquoeacuteclairages complets et solides sur des sujets bien deacutelimiteacutes Drsquoune peacuteriodiciteacute de deux numeacuteros par an la revue existe en version papier et en version eacutelectronique

Les articles et propos preacutesenteacutes dans cette revue nrsquoengagent que leurs auteurs

Directrice de la publication Corinne Prost MAA-SG-SSP Cheffe du Service de la Statistique et de la Prospective

Reacutedacteur en chef Bruno Heacuterault MAA-SG-SSP-CEP Chef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective

Comiteacute de reacutedaction Didier Ceacutebron MAA-SG-SSP-SDSAFA Sous-directeur de la SDSAFAJulia Gassie MAA-SG-SSP-CEP Cheffe du bureau de la veilleJulien Hardelin MAA-SG-SSP-CEP Chef du bureau de la strateacutegie et de la prospectiveVincent Heacutebrail-Muet MAA-SG-SSP-CEP Chef du bureau de lrsquoeacutevaluation et de lrsquoanalyse eacuteconomiqueBruno Heacuterault MAA-SG-SSP-CEP Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivePascale Pollet MAA-SG-SSP-SDSSR Sous-directrice de la SDSSRCorinne Prost MAA-SG-SSP Cheffe du Service de la Statistique et de la Prospective

Composition SSP Impression AIN - Ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation Deacutepocirct leacutegal agrave parution ISSN 2104-5771 (imprimeacute) ISSN 2259-4841 (en ligne) Renseignements et diffusion voir page 4 de couverture

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 3

Eacuteditorial

Dans ce 47e numeacutero la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques reacuteunit comme agrave son habitude trois articles centreacutes sur des sujets drsquointeacuterecirct pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (MAA) De tonaliteacutes diffeacuterentes ils mobilisent des meacutethodes varieacutees mais traitent tous de questions drsquoune grande actualiteacute

Le premier signeacute par Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun preacutesente les principaux enseignements drsquoune eacutetude sur les deacutecalages entre comportements alimentaires deacuteclareacutes et comportements alimentaires reacuteels Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion est important pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics

Les enquecirctes qui interrogent les consommateurs apportent de preacutecieuses informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent parfois de biais meacutethodologiques qui amegravenent certains reacutepondants agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Certains de ces biais concernent le psychisme de la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations Lrsquoarticle deacutecrit notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation

Les auteurs consacrent une premiegravere partie aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et ils exposent les conditions habituelles de reacutealisation des enquecirctes sur les conduites alimentaires leurs objectifs meacutethodes atouts et limites sont abordeacutes Au travers drsquoune revue de la litteacuterature ils srsquointeacuteressent ensuite plus speacutecifiquement aux deacutecalages entre conduites deacuteclareacutees et conduites reacuteelles La troisiegraveme partie plus empirique preacutesente des eacutetudes de cas permettant de mieux mesurer et expliquer ces deacutecalages Ils font enfin des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale pour ameacuteliorer les dispositifs drsquoenquecircte sur les comportements alimentaires

Lrsquoarticle suivant de Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux analyse la tendance croissante agrave la sous-traitance de travaux agricoles Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de ces prestations nrsquoa commenceacute qursquoau milieu des anneacutees 1990 Depuis elles se sont deacuteveloppeacutees de maniegravere soutenue et le nombre drsquoexploitations y ayant recours de maniegravere notable a eacuteteacute multiplieacute par deux entre 2000 et 2016 Parallegravelement on a observeacute la creacuteation de nombreuses socieacuteteacutes de travaux et de prestations de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchaient agrave amortir et de compeacutetences agrave moneacutetiser

Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale srsquoest amplifieacute avec transfert agrave un tiers de la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Les auteurs srsquointeacuteressent surtout agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus (ou peu) drsquoactiviteacutes agricoles et confie la conduite des travaux et le pilotage eacuteconomique de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsqursquoil deacutelegravegue lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques afin de se recentrer sur son cœur de meacutetier

4 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Malheureusement les travaux scientifiques sur la sous-traitance sont encore peu deacuteveloppeacutes et de nombreuses questions demeurent Le grand inteacuterecirct de cet article est de rassembler les reacutesultats des recherches conduites depuis 2012 par les auteurs et de nous offrir ainsi une synthegravese tregraves actuelle sur le sujet Ils prennent drsquoabord soin drsquoexpliciter leurs approches theacuteorique et empirique leurs meacutethodes et terrains Pour caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur ils font ensuite un eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance et en recensent les principales pratiques en distinguant les plus novatrices dont celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Ils considegraverent que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens plutocirct qursquoils ne les supplantent

Le troisiegraveme article est proposeacute par Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart et Estelle Midler Il deacutecrit les reacutesultats drsquoune eacutevaluation de la mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo (MAEC SHP) dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes Cette MAEC vise le maintien de pratiques preacuteservant la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Le travail reacutealiseacute avait deux objectifs eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments publics puis construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Pour restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante cet article commence par preacutesenter le dispositif eacutevaluatif et les meacutethodes utiliseacutees puis il deacutetaille les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes avant de terminer par une description des reacutesultats atteints en particulier en matiegravere de contribution au revenu des eacuteleveurs

Une dizaine de notes de lecture complegravete ce numeacutero Parmi les ouvrages mis en lumiegravere celui drsquoAntoine de Baecque particuliegraverement inteacuteressant raconte lrsquohistoire de la creacuteation et du deacuteveloppement des restaurants en France entre 1760 et 1900 De son cocircteacute Alain Paveacute propose un livre tregraves didactique sur les enjeux lieacutes agrave la biodiversiteacute en veillant agrave distinguer les problegravemes identifieacutes par la science des ideacutees fausses veacutehiculeacutees par lrsquoopinion publique Signalons enfin la reacuteeacutedition en version de poche du beau reacutecit drsquoAnne Vallaeys faisant revivre les chemins de la laquo grande transhumance raquo entre Arles (plaine de Crau) et Laverq (haute Ubaye)

Vous trouverez en troisiegraveme de couverture les recommandations aux auteurs et des consignes de preacutesentation des articles Nrsquoheacutesitez pas agrave nous soumettre vos manuscrits ou agrave nous contacter pour proposer vos ideacutees drsquoarticles

Nous vous souhaitons une bonne lecture

Bruno HeacuteraultReacutedacteur en chef

Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivebrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 5

Sommaire

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique 7Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole 43Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes 89 Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

Notes de lecture 117

Abstracts and Key Words 129

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus 131

6 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 7

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Reacutesumeacute

Les sources drsquoinformation qui renseignent sur les comportements alimentaires (consommation apparente panels de distributeurs et de consommateurs enquecirctes de suivi des achats enquecirctes drsquoopinion eacutetudes qualitatives etc) apportent souvent de preacutecieux et fidegraveles reacutesultats Neacuteanmoins elles souffrent aussi de biais creacuteant parfois des deacutecalages entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels Ce problegraveme qui nrsquoest pas propre agrave lrsquoalimentation est lieacute aux caracteacuteristiques des reacutepondants (deacutefaut de meacutemoire rationaliteacute imparfaite sentiments repreacutesentations mentales et croyances attitudes psychiques etc) et aux contextes de leurs reacuteponses (lieu moment situation sociale etc) Il est lieacute eacutegalement aux deacutemarches et meacutethodes utiliseacutees pour recueillir les informations (questionnaire entretien carnet de consommation eacutechelle drsquoattitudes techniques essentiellement deacuteclaratives eacutechantillonnage etc) et agrave leurs modaliteacutes ulteacuterieures de traitement Conscients de ces problegravemes et de leurs impacts potentiels sur le pilotage de lrsquoaction publique le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation FranceAgriMer et lrsquoADEME ont souhaiteacute commander une eacutetude sur ce sujet Reacutealiseacutee par le consortium constitueacute du CREacuteDOC de Nutri Psy Consult de Proteacuteines et de Deloitte Deacuteveloppement Durable elle a consisteacute en une revue de litteacuterature suivie de trois eacutetudes de cas5 Ces derniegraveres consistent agrave identifier les omissions (aliments et boissons) associeacutees aux deacuteclarations des consommations par la meacutethode des carnets agrave mesurer lrsquoeffet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires et enfin agrave eacutevaluer les eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat6

Mots cleacutes

Comportements alimentaires attitudes croyances consommation information meacutethodes drsquoenquecirctes biais deacuteclaratif

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC) 142 rue du Chevaleret 75013 Paris 2 Nutri Psy Consult 91 rue de la Santeacute 75013 Paris3 ProteacuteinesXTC 92 rue Reacuteaumur 75002 Paris 4 Deloitte Deacuteveloppement Durable 6 place de la Pyramide 92908 Paris-La Deacutefense Cedex5 CREacuteDOC Nutri Psy Consult Proteacuteines Deloitte Deacuteveloppement Durable 2020 Comportements alimentaires deacuteclareacutes versus reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique httpsagriculturegouvfretude-comportements-alimentaires-declares-versus-reels-mesurer-et-comprendre-les-ecarts-pour6 Nous tenons agrave remercier Julia Gassie et Bruno Heacuterault du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour leurs relectures successives de cet article et leurs contributions importantes agrave lrsquoeacutelaboration de sa version finale

Gabriel Tavoularis1 Pascale Heacutebel1 France Bellisle2 Serge Michels3 et Aude Le Rhun4

8 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion etc est drsquoimportance pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics Diverses tendances et changements drsquoattitudes marquent aujourdrsquohui ces pratiques alimentaires et renouvellent donc les questionnements sur le suivi et la connaissance de ces eacutevolutions Dans ce contexte il est indispensable de srsquointeacuteresser aux informations et donneacutees sur lrsquoalimentation des Franccedilais De nombreuses sources existent de diverses natures produites par diffeacuterents organismes et gracircce agrave des meacutethodes varieacutees

La connaissance des conduites alimentaires quotidiennes fait face agrave plusieurs difficulteacutes les comportements individuels sont influenceacutes par une diversiteacute de facteurs (biologiques sociaux eacuteconomiques environnementaux psychiques etc) De plus deacutecrire fidegravelement son comportement peut ecirctre difficile pour un individu par exemple agrave cause de la laquo rationaliteacute imparfaite raquo deacutecrite depuis longtemps par Herbert Simon (1957) Les meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees souvent appuyeacutees sur du deacuteclaratif preacutesentent elles-mecircmes diverses limites De ce fait des deacutecalages sont possibles entre les informations dont on dispose sur les comportements alimentaires deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

Les enquecirctes quantitatives et qualitatives qui interrogent les mangeurs apportent de preacutecieuses et fidegraveles informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent de plusieurs biais meacutethodologiques qui amegravenent certains consommateurs agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas reacuteellement en quantiteacute et en qualiteacute ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Identifieacutes dans la litteacuterature (en eacutepideacutemiologie sociologie psychologie psychologie sociale eacuteconomie anthropologie) certains de ces biais concernent la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations On citera notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation tous bien documenteacutes dans la litteacuterature

De tels eacutecarts posent question degraves lors qursquoil srsquoagit de comprendre et utiliser les reacutesultats de ces enquecirctes Crsquoest en particulier le cas quand les donneacutees sur les comportements alimentaires sont utiliseacutees pour eacutelaborer suivre eacutevaluer des deacutecisions strateacutegies ou interventions publiques

Dans ce contexte le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation lrsquoADEME et FranceAgriMer ont commandeacute une eacutetude pour mieux deacutecrire ces deacutecalages les mesurer et les expliquer en mobilisant les savoirs des sciences eacuteconomiques et sociales Le travail eacutetait volontairement centreacute sur les consommations individuelles et familiales Il a eacuteteacute reacutealiseacute par un consortium de quatre prestataires le Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC apportant une expertise en eacutetudes et analyses sociologiques et eacuteconomiques des comportements de consommation) Nutri Psy Consult (expertise sur le comportement alimentaire humain) Proteacuteines (expertise sur les enjeux de communication et de santeacute autour de lrsquoalimentation) et Deloitte Deacuteveloppement Durable (expertise en matiegravere drsquoeacutevaluations environnementales et drsquoeacuteconomie circulaire)

La deacutemarche drsquoeacutetude a comporteacute trois phases principales Drsquoabord en srsquoappuyant sur une revue de la litteacuterature ainsi que sur six entretiens7 avec des producteurs et utilisateurs de donneacutees

7 Les entretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec Jeacuterocircme Accardo (Insee) Pierre Combris (Inra) Carine Dubuisson (Anses) Emmanuelle Kesse-Guyot (Inra) Marie Plessz (Inra) Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Luc Volatier (Anses)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 9

sur lrsquoalimentation en France une analyse a eacuteteacute reacutealiseacutee des types de deacutecalages de leurs sources et de leurs causes et des correctifs possibles En second lieu trois eacutetudes de cas ont permis de quantifier et expliquer certains deacutecalages observeacutes en mettant en œuvre des meacutethodes varieacutees (observation par cameacutera mesure des freacutequentations des reacuteseaux sociaux etc) Enfin des preacuteconisations ont eacuteteacute formuleacutees agrave destination des commanditaires de lrsquoeacutetude

La premiegravere partie de cet article est consacreacutee aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et traitant des conditions de reacutealisation des enquecirctes sur les comportements alimentaires leurs objectifs leurs meacutethodologies leurs atouts et limites sont abordeacutes La deuxiegraveme partie preacutesente les points saillants de la litteacuterature scientifique consacreacutee aux deacutecalages entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels en distinguant les eacutecarts lieacutes aux reacutepondants de ceux lieacutes aux meacutethodes de collecte La troisiegraveme partie expose les trois eacutetudes de cas qui ont permis drsquoapprofondir la quantification et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes Enfin la quatriegraveme partie propose quelques pistes meacutethodologiques pour compleacuteter le travail reacutealiseacute et preacutesente des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale sur lrsquoameacutelioration des capaciteacutes drsquoanalyse des comportements alimentaires

1 Les diffeacuterentes sources drsquoinformations sur les comportements alimentaires

De nombreux travaux ont pour objectifs la compreacutehension et la mesure des comportements alimentaires En interpreacuteter le plus justement possible les reacutesultats neacutecessite de srsquointeacuteresser aux meacutethodes drsquoacquisition de lrsquoinformation (collecte active ou passive administration par un enquecircteur ou auto-administration etc) et aux objectifs attendus quels pheacutenomegravenes les enquecirctes permettent-elles de mesurer Srsquoagit-il drsquoopinions drsquoattitudes de comportements deacuteclareacutes de comportements reacuteels etc

Les consommations alimentaires sont approcheacutees de plusieurs maniegraveres en fonction du niveau de preuves attendu et de lrsquoeacutechelle eacutetudieacutee eacutetudes in vitro de biomarqueurs doseacutes agrave partir de preacutelegravevements sur des mangeurs (tests en tube en-dehors de lrsquoorganisme vivant) observationnelles (eacutecologiques transversales cas teacutemoins cohortes) expeacuterimentales (essai controcircleacute randomiseacute meacuteta-analyse drsquoessais controcircleacutes randomiseacutes) enquecirctes statistiques etc En France de nombreuses sources drsquoinformations de diffeacuterentes natures sont disponibles sur la consommation alimentaire (tableau 1) donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques (ex balance des imports et exports) donneacutees exhaustives ou compileacutees sur les achats (ex panels de distributeurs) donneacutees de mesure par sondage des ingestions ou des achats (ex releveacutes de consommations individuelles comptabiliteacute des meacutenages) donneacutees de mesure de lrsquoopinion et de sources meacutediatiques (ex baromegravetres drsquoopinion)

Chacune de ces meacutethodes est susceptible de comporter ou drsquoengendrer des biais lesquels peuvent ecirctre ou non corrigeacutes Il en deacutecoule des deacutecalages entre la mesure drsquoun pheacutenomegravene et le pheacutenomegravene en question De nombreux travaux scientifiques les ont eacutetudieacutes Ainsi les sources drsquoinformation identifieacutees dans le tableau 1 peuvent comporter diffeacuterents biais qui seront abordeacutes dans la suite de lrsquoarticle

10 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

B Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesure des comportements reacuteels achatsProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

IRI Panel distributeur IRI Panel de distributeurs sur les FMCG8

Achats en grande distribution

Donneacutees mensuelles sur les achats excluant de fait la restauration collective et commerciale

Nielsen Panel distributeur NIELSEN

Panel de distributeurs sur les FMCG

Achats en grande distribution

Chaque enseigne (ex CASINO)

Ventes dans le circuit CASINO (RelevanC) Ventes reacuteelles journaliegraveres

Achats dans lrsquoensemble des enseignes du groupe

C Donneacutees de mesure (par sondage) des comportements reacuteels ingestion ou achatProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

ANSES Enquecircte INCA (1999 2006 2015)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentativeAlimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

INSEE Budget des famillesComptabiliteacute des meacutenages (deacutepenses et ressources des meacutenages)

Population repreacutesentative des foyers

Donneacutees meacutenages et pas individuelles peu preacutecises agrave un niveau laquo fin raquo drsquoanalyse

Multifinancement public NUTRINET-SanteacuteReleveacutes des consommations individuelles

Personnes volontaires Enquecircte non repreacutesentative

CREacuteDOC Enquecircte CCAF (2003 2007 2010 2016 2019)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentative Alimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

Gira FoodService Enquecirctes RHF Marcheacute de la restauration

Restauration hors domicile Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTARPanel de consommateurs acheteurs

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTAR - eKommercePanel de consommateurs acheteurs e-commerce

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

D Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias (et non de comportements reacuteels)Producteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Instituts drsquoeacutetude de sondage etc(BVA CREacuteDOC CSA IPSOS KANTAR OBSOCO OPINION WAY HARRIS INTERACTIVE IPSOS etc) baromegravetres drsquoopinion

Enquecirctes et baromegravetres drsquoopinion sur les attitudes des consommateurs CAF baromegravetre de lrsquoAgence bio eacutetude Greenflex sur la consommation responsable etc

Eacutetudes et connaissance des consommateurs shoppers

Souvent France entiegravere population repreacutesentative

Preacutecautions dans lrsquoutilisation de plus en plus freacutequente des enquecirctes en ligne (fort biais de couverture avec des biais drsquoapprentissage redressement impeacuteratif sur le diplocircme car forte sous-repreacutesentation des non-diplocircmeacutes)

Plutocirct des donneacutees drsquoat t i tudes que de comportements reacuteels inteacuterecirct limiteacute pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

Reacuteseaux sociaux Twitter Instagram Facebook etcUtilisation de tracker type talkwalker

Socionautes preacutesents et laquo actifs raquo sur les reacuteseaux sociaux

Impacts tregraves faibles sur les comportements reacuteels peu drsquointeacuterecirct pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

8 FMCG (fast-moving consumer goods) sigle deacutesignant les biens de grande consommation

Lecture les sources de donneacutees priveacutees sont souligneacutees dans la premiegravere colonneSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 77-81

Tableau 1 - Principales sources drsquoinformation sur les comportements alimentaires

A Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques donneacutees nationales de contexte geacuteneacuteralProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Douanes Balanceimports-exports

Statistiques du commerce exteacuterieur France entiegravere Donneacutees eacuteconomiques de cadrage  ne

permettent pas drsquoanalyser des comportements reacuteels de consommation alimentaire INSEE Comptes de la Nation Mesure des flux moneacutetaires

repreacutesentatifs de lrsquoeacuteconomieFrance entiegravere

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 11

Cette premiegravere analyse des sources drsquoinformations sur les consommations et comportements alimentaires fait apparaicirctre une diversiteacute de meacutethodes utiliseacutees drsquoougrave la neacutecessiteacute de connaicirctre les speacutecificiteacutes atouts et limites de chacune La partie 2 va ainsi preacuteciser les connaissances actuellement disponibles dans la litteacuterature sur les deacutecalages entre deacuteclarations et reacutealiteacutes des pratiques alimentaires

2 Types de deacutecalages sources et causes

Cette partie baseacutee sur une synthegravese de la litteacuterature existante deacutecrit deux types de deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle Le premier est lieacute aux reacutepondants (21) le deuxiegraveme deacutepend des meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees (22)

21 Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants

Drsquoapregraves la litteacuterature scientifique passeacutee en revue ces deacutecalages lieacutes aux reacutepondants prennent geacuteneacuteralement deux formes Ils peuvent drsquoabord ecirctre lieacutes aux conditions de collecte des donneacutees ou deuxiegravemement deacutecouler de lrsquoattitude-behaviour gap (ou deacutecalage entre opinion et comportement) en particulier dans le cas des enquecirctes drsquoopinion

Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants dans la collecte de donneacutees

Dans les enquecirctes avec eacutechantillons repreacutesentatifs drsquoune population le niveau de participation des personnes solliciteacutees est un eacuteleacutement crucial Les taux de non-reacuteponse importants sont susceptibles de creacuteer un biais de seacutelection ou de recrutement dans les reacutesultats et les conclusions (Dubuisson 2018) surtout quand ces taux varient en fonction de critegraveres socio-eacuteconomiques ou individuels comme la corpulence le sexe ou le niveau drsquoeacuteducation Ce problegraveme se pose drsquoautant plus pour les enquecirctes sur volontaires ou les panels de consommation qui recrutent des profils speacutecifiques de reacutepondants dont les caracteacuteristiques deacutevient largement de la population geacuteneacuterale Par exemple lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude longitudinale NutriNet et dans une moindre mesure celui de lrsquoeacutetude INCA 3 comptent une proportion de femmes et de personnes diplocircmeacutees plus eacuteleveacutee que dans la population franccedilaise On sait eacutegalement que les femmes sont plus preacuteoccupeacutees que les hommes par les questions de santeacute et de bien-ecirctre (Fournier 2013) de mecircme que par lrsquoeacutecologie et le deacuteveloppement durable (Zuinen 2002) On peut donc faire lrsquohypothegravese que celles qui se portent volontaires pour participer agrave des eacutetudes concernant lrsquoalimentation et la santeacute (comme NutriNet) le soient encore davantage

Dans le cas des panels de consommateurs des biais de par ticipation et drsquoapprentissage peuvent modifier la maniegravere de renseigner ses achats certains reacutepondants (eacutegalement appeleacutes laquo paneacutelistes raquo) deviennent progressivement experts sur certains aspects de lrsquoobjet eacutetudieacute ndash les prix par exemple (Lusk et Brooks 2011) ndash distordant une fois de plus un eacutechantillon jugeacute laquo repreacutesentatif raquo au deacutepart Pour les enquecirctes alimentaires le fait de remplir de faccedilon reacutepeacuteteacutee un questionnaire peut aussi modifier sensiblement la maniegravere de reacutepondre avec par exemple une sous-deacuteclaration par effet de lassitude

12 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Toutes les enquecirctes qui interrogent directement les individus (dites laquo deacuteclaratives raquo) sont eacutegalement soumises agrave un biais drsquoobservation les participants peuvent ecirctre ameneacutes avec plus ou moins drsquointensiteacute agrave modifier leurs comportements alimentaires lorsqursquoils se savent observeacutes Par exemple un individu obegravese qui deacuteclare un nombre eacuteleveacute de consommations drsquoaliments ou de boissons hors repas pourra prendre conscience de ses excegraves par rapport aux recommandations nutritionnelles Il lui arrivera ainsi drsquoomettre par la suite certaines deacuteclarations de produits ou eacuteventuellement de modifier son comportement alimentaire durant la peacuteriode ougrave il est interrogeacute de sorte que sa consommation corresponde davantage agrave la norme dominante Ce mecircme biais drsquoobservation qui fait manger moins ou diffeacuteremment quand on se sait observeacute paraicirct affecter plus les femmes que les hommes (Stubbs 2014)

Il existe enfin des biais drsquoestimation (portions freacutequences) mecircme en se servant de photographies illustrant certains formats il est difficile drsquoestimer preacuteciseacutement la taille des portions des produits que lrsquoon consomme avec le plus souvent une sous-estimation Il en va de mecircme quand il srsquoagit drsquoappreacutecier la freacutequence drsquoun comportement inhabituel les faibles freacutequences tendant agrave ecirctre surestimeacutees

Deacutecalages opinion-comportement (attitude-behaviour gap)

Lrsquoattitude-behaviour gap deacutesigne lrsquoeacutecart entre des opinions et des comportements (Vermeir et Verbeke 2006) Ce deacutecalage est potentiellement plus important que celui eacutetudieacute preacuteceacutedemment entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels

Le laquo consommateur moyen franccedilais raquo contemporain est tregraves informeacute Il dispose drsquoun pouvoir drsquoachat important et a accegraves agrave une offre alimentaire varieacutee Il lui arrive aussi drsquoecirctre sondeacute pour connaicirctre ses attitudes et ses comportements Il exprime alors volontiers son inteacuterecirct pour la consommation durable les produits issus de lrsquoagriculture biologique la protection de lrsquoenvironnement le bien-ecirctre des animaux ou encore la protection des droits des consommateurs et lrsquoameacutelioration des conditions de vie des producteurs

Plusieurs exemples illustrent ce point Le site de lrsquoinstitut IPSOS Global Trends indique que 69 des Franccedilais souhaitent acheter local qursquoils se deacuteclarent precircts (agrave 53 ) agrave payer plus cher des produits laquo verts raquo que 51 sont drsquoaccord pour sacrifier les aspects pratiques en faveur de produits meilleurs pour la santeacute et que 33 donnent la prioriteacute aux produits biologiques De mecircme lrsquoAgence franccedilaise pour le deacuteveloppement et la promotion de lrsquoagriculture biologique (Agence Bio) a mis en place un baromegravetre depuis 2003 afin laquo drsquoobserver anneacutee apregraves anneacutee lrsquoeacutevolution des attitudes ainsi que les lieux drsquoachats  raquo en interrogeant un eacutechantillon repreacutesentatif de la population La derniegravere eacutedition nous apprend que 85 des personnes interrogeacutees estiment important de deacutevelopper lrsquoagriculture biologique que 82 font confiance aux produits biologiques que 26 ont lrsquointention drsquoaugmenter leur consommation de ces produits alors que 16 en consomment deacutejagrave tous les jours et les trois quarts au moins une fois par mois (Agence Bio 2019) Enfin dernier exemple une enquecircte de lrsquoIFOP sur un eacutechantillon repreacutesentatif de 1 001 adultes confirme que 79 des enquecircteacutes attribuent un effet positif agrave la viande bio sur le bien-ecirctre animal et 77 des beacuteneacutefices pour lrsquoenvironnement et la santeacute Alors que 71 des interrogeacutes de cet eacutechantillon deacuteclarent consommer de la viande bio agrave lrsquooccasion 48 nrsquoen consomment que rarement et 26 souhaitent augmenter leur consommation Toutes ces enquecirctes montrent lrsquointeacuterecirct porteacute par les Franccedilais aux questions alimentaires mais aussi la diversiteacute des opinions qursquoils sont ameneacutes agrave formuler

Ces enquecirctes ont le meacuterite drsquoecirctre reacutealiseacutees sur des eacutechantillons repreacutesentatifs de la population nationale Elles comportent simultaneacutement ou seacutepareacutement des questions

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 13

eacutevaluant des attitudes et des questions portant sur des freacutequences de consommation Des eacutetudes non-repreacutesentatives sont eacutegalement disponibles elles recrutent alors exclusivement des consommateurs concerneacutes par les pratiques eacutetudieacutees (ex eacutetude conjointe OpinionWaySenseva 2016 sur les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation biologique)

Le creacutedit que lrsquoon peut accorder aux deacuteclarations faites lors drsquoenquecirctes drsquoopinion a eacuteteacute lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes qui ont geacuteneacuteralement observeacute une faible correacutelation entre opinions deacuteclareacutees et consommations reacuteelles Crsquoest par exemple le cas de travaux ayant eacutetudieacute les liens entre les achats des consommateurs et leurs preacuteoccupations eacutethiques production durable soucieuse de lrsquoenvironnement protection des personnes employeacutees   rejet de lrsquoexpeacuterimentation animale pour la mise au point des produits etc (Carrigan et Attalla 2001 Devinney et al 2010 Caruana et al 2016)

Diffeacuterents facteurs contribuent agrave ces types de deacutecalages Le premier consiste en des freins physiques comme la disponibiliteacute des produits Lrsquoemplacement geacuteographique du lieu drsquoacquisition des produits le deacutecor lrsquoenvironnement sonore lrsquoeacuteclairage et tout autre eacuteleacutement physique au moment de lrsquoachat affectent les deacutecisions des consommateurs (Lombardot et Mugel 2015) Souvent les produits issus de lrsquoagriculture biologique de modes de production durables ou eacutethiques sont plus chers que les produits courants Seuls les consommateurs disposant drsquoun fort pouvoir drsquoachat pourraient alors mettre lrsquoensemble de leurs achats en conformiteacute avec les opinions qursquoils ont pu deacuteclarer lors drsquoenquecirctes De plus la disponibiliteacute de ces produits peut ecirctre plus restreinte dans certains magasins et le temps manquer non seulement pour les achats mais pour sortir des comportements routiniers (ex apprendre agrave cuisiner agrave partir drsquoaliments de base plutocirct que de consommer du precirct-agrave-manger) Il est eacutegalement possible que lrsquoinformation neacutecessaire pour guider les choix soit insuffisante ou bien trop complexe (ex contenus nutritionnels sur les emballages) voire que lrsquoaccegraves agrave cette information soit trop chronophage Agrave lrsquoinverse la sur-information parfois cacophonique agrave laquelle les consommateurs sont exposeacutes et la difficulteacute pour en extraire un sens sont drsquoautres facteurs potentiels contribuant agrave ce deacutecalage Enfin il arrive que lrsquoenvironnement social freine la mise en application des opinions par exemple le souhait de consommer laquo bio  raquo ou laquo durable raquo ou laquo sans sucre raquo ou celui de suivre les recommandations nutritionnelles peuvent se heurter aux goucircts et attentes des autres personnes preacutesentes au moment de lrsquoachat ou de lrsquoingestion agrave leurs influences et aux interactions interpersonnelles (Lombardot et Mugel 2015)

Des freins drsquoordre psychologique peuvent aussi jouer le locus of control externe crsquoest-agrave-dire lrsquoattribution des ressorts de lrsquoaction efficace agrave des facteurs exteacuterieurs agrave soi la tendance agrave la procrastination le deacuteni de lrsquoimportance de certains choix ou encore la meacutefiance envers les alleacutegations des producteurs (laquo bio raquo laquo durable raquo laquo eacutethique raquo) contribuent agrave retarder ou agrave empecirccher les changements de comportements (Lombardot et Mugel 2015   Thorslund et Lassen 2016)

Enfin une troisiegraveme source de deacutecalages reacuteside dans lrsquoeacutetat immeacutediat de la personne au moment de la consommation (fatigue eacutenervement irritation) ce qui favorise des comportements routiniers plutocirct que les investissements de temps et drsquoeacutenergie neacutecessaires agrave la mise en œuvre des intentions (Lombardot et Mugel 2015)

La consommation durable est un domaine tout particuliegraverement inteacuteressant en la matiegravere Une eacutetude reacutecente a regardeacute dans les travaux scientifiques deacutedieacutes agrave ce sujet comment le deacutecalage entre attitude et comportement se manifeste (Terlau et Hirsch 2015) Bien qursquoune proportion croissante de consommateurs se deacuteclare favorable agrave la consommation durable cela ne repreacutesente qursquoune faible part du marcheacute Ainsi en France Greenindex (2012 enquecircte eacutetudieacutee par Terlau et Hirsch) rapporte que 63 des consommateurs enquecircteacutes

14 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

deacuteclarent un inteacuterecirct pour la consommation durable alors que 31 seulement achegravetent des produits laquo verts raquo Ce deacutecalage reacutesulte de freins agrave lrsquoachat de produits issus de modes de production durables Le plus important de ces freins selon Terlau et Hirsch est le prix plus eacuteleveacute de ces produits Drsquoautres freins sont identifieacutes beacuteneacutefice jugeacute insuffisant aspect goucirct neacutecessiteacute de diversifier les lieux drsquoachat information non disponible etc

22 Deacutecalages lieacutes aux meacutethodes drsquoacquisition des informations

La validiteacute des meacutethodes drsquoenquecircte faisant intervenir la meacutemoire des reacutepondants est fortement contesteacutee depuis quelques anneacutees dans la litteacuterature scientifique internationale En 2014 un groupe de chercheurs publiait un article critique concluant que les donneacutees obtenues par auto-deacuteclaration sont si contestables qursquoil faut cesser de les utiliser pour bacirctir des politiques publiques (Dhurandhar et al 2015)

La critique des donneacutees drsquoenquecirctes nutritionnelles (qui sont des enquecirctes transversales) fait souvent reacutefeacuterence agrave la pyramide des niveaux de preuve scientifique (Lucas et Harris 2018) Cette pyramide est freacutequemment mobiliseacutee avec quelques variantes dans la litteacuterature scientifique Elle rappelle que les enquecirctes transversales si soigneacutees et compeacutetentes soient-elles occupent un niveau intermeacutediaire entre les eacutetudes animales ou in vitro et les eacutetudes randomiseacutees controcircleacutees (ERC) Les eacutetudes de cohortes repreacutesentent un niveau plus eacuteleveacute de scientificiteacute que les eacutetudes transversales Cependant les relations causales entre facteurs au-delagrave des correacutelations identifieacutees par les eacutetudes drsquoobservation ne peuvent ecirctre deacutemontreacutees que par des ERC

Les eacutecarts deacuteclaratifreacuteel et les critiques adresseacutees aux meacutethodologies drsquoenquecirctes reposent sur plusieurs constatations

- Les meacutethodologies fondeacutees sur la meacutemoire souffrent des limites mecircmes des processus mneacutesiques (Archer et al 2015 2018) Les questionnaires ne mesurent pas les comportements de consommation mais collectent des souvenirs des perceptions qui y sont associeacutees rien ne confirmant que celles-ci soient fidegraveles agrave la reacutealiteacute Bien au contraire il est eacutetabli que la meacutemoire humaine est ni exacte ni preacutecise Elle amalgame des processus constructifs et reconstructifs (dont lrsquoimagination) elle laquo oublie raquo et mecircme laquo invente raquo agrave lrsquooccasion Les omissions sont donc possibles de mecircme que des intrusions parmi les consommations reacuteellement effectueacutees Cette limite nrsquoest pas speacutecifique aux comportements alimentaires lrsquoeacutetude des auto-deacuteclarations dans divers domaines (santeacute communications justice etc) et disciplines (eacuteconomie anthropologie psychologie etc) suggegravere que la moitieacute de ces deacuteclarations sont probablement incorrectes (Bernard et al 1984) Les meacutethodes utiliseacutees pour obtenir les deacuteclarations sont du mecircme ordre que celles qui induisent de laquo faux souvenirs raquo (Archer et al 2015 Bernstein et Loftus 2009) Les questionnaires de freacutequence de consommation (FFQ) sont tregraves proches du paradigme Deese-Roediger-McDermott (DRM) qui suscite de nombreuses erreurs (plus de 75 ) dans le rappel de mots faisant partie drsquoune liste agrave meacutemoriser Dans ce paradigme DRM les reacutepondants sont plus certains des termes rappeleacutes par erreur que des mots reacuteellement inclus dans la liste (Deese 1959 Roediger et McDermott 1995 Gallo 2010) Une eacutetude deacutejagrave ancienne de psychologie sociale avait montreacute agrave la sortie drsquoun restaurant que des personnes intervieweacutees pouvaient deacutecrire la tenue du personnel masculin et la musique drsquoambiance alors que lrsquoeacutetablissement nrsquoavait ni personnel masculin ni musique drsquoambiance (Kronenfeld et al 1972 Bernard et al 1984)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 15

- Outre lrsquooubli les reacutepondants peuvent aussi mentir ou mecircme changer leurs comportements habituels lorsqursquoils doivent les deacuteclarer (Macdiarmid et Blundell 1997) Par exemple 31 des participants agrave une enquecircte alimentaire ont reconnu avoir mangeacute moins gras pendant lrsquoeacutetude et 43 avoir consommeacute davantage de fruits et leacutegumes Il srsquoagit ici drsquoune modification intentionnelle des consommations dont les effets srsquoajoutent agrave la difficulteacute intrinsegraveque de la tacircche (Mela et Aaron 1997) On peut noter que ces deacuteclarations qui concernent les changements de comportements pendant les eacutetudes reposent aussi sur la meacutemoire et sont sans doute affecteacutees par la mecircme tendance agrave la sous-deacuteclaration que celles qui concernent les ingestions elles-mecircmes Si tel est le cas la distorsion des ingestions deacuteclareacutees par rapport aux consommations reacuteelles est encore plus importante

- Les questionnaires alimentaires sont en geacuteneacuteral fastidieux agrave remplir Ils sont parfois complexes et demandent du temps Ils exigent une motivation soutenue de la part des enquecircteacutes parfois pendant plusieurs jours Lrsquoennui ou la difficulteacute peuvent contribuer agrave deacuteteacuteriorer la qualiteacute de la deacuteclaration (Scagliusi et al 2003 Lusk et Brooks 2011) Certaines eacutetudes notent une deacuteteacuterioration de la reacuteponse au cours des rappels successifs (Freedman et al 2014) Trois rappels de 24 heures non conseacutecutifs9 produisent des deacuteclarations plus complegravetes que le releveacute de 7 jours conseacutecutifs ce qui est attribueacute agrave la perte de motivation qui se deacuteveloppe apregraves plusieurs jours

- Les deacuteclarations sont tregraves influenceacutees par lrsquoinstrument et le protocole drsquoenquecircte par leurs formats formulations et contextes (Schwartz 1999) Il est bien montreacute que diffeacuterentes meacutethodes comme le rappel de 24 heures le releveacute alimentaire drsquoune semaine et les questionnaires de freacutequences de consommations donnent des deacuteclarations diffeacuterentes y compris chez le mecircme individu (Freedman et al 2014) Les hommes normo-pondeacuteraux sous-deacuteclarent leurs apports de 12 agrave 14 en utilisant des rappels de 24 heures et de 31 agrave 36 avec des questionnaires de freacutequences (id) Des recherches portant sur les meacutecanismes cognitifs et les processus de communication entre enquecircteurs et enquecircteacutes (Schwartz 1999) ont deacutemontreacute que des changements en apparence mineurs (ordre des questions questions ouvertes ou fermeacutees options de reacuteponse proposeacutees eacutechelles de rappel journeacuteeanneacutee identiteacute et motivations supposeacutees de la source de lrsquoenquecircte) peuvent conduire agrave de grandes dispariteacutes des reacuteponses Il est eacutegalement important de srsquoassurer que le questionnaire est bien compris par les enquecircteacutes Bessiegravere et al (1997) font ainsi eacutetat des malentendus qui peuvent disqualifier une eacutetude Si certaines questions se precirctent facilement aux traitements quantitatifs (eacutetat civil par exemple) drsquoautres sont susceptibles drsquointerpreacutetations infinies Par exemple qursquoest-ce que laquo souvent raquo ou qursquoest-ce qursquoune laquo grande portion raquo (Heacuteran 1984)

- La personnaliteacute de lrsquoenquecircteur peut modifier les reacuteponses des enquecircteacutes Les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves de populations noires aux Eacutetats-Unis sont plus fiables si les enquecircteurs sont noirs Dans les enquecirctes Insee les reacuteponses sont plus rigoureuses si elles sont obtenues aupregraves de femmes qursquoaupregraves de militaires agrave la retraite (entretien avec Marie Plessz) Dans certains cas lrsquoenregistrement direct sur ordinateur permet une plus grande sinceacuteriteacute des reacuteponses en particulier quand lrsquoinformation demandeacutee concerne un sujet sensible

- Les enquecirctes drsquoopinion utilisent des questionnaires trop geacuteneacuteraux et deacutetacheacutes du contexte de consommation pour vraiment fournir une information utile sur les comportements drsquoachat ou de consommation (Devinney et al 2010) Des eacutechelles simples portant sur le degreacute drsquoadheacutesion agrave certaines propositions (eacutechelles en cinq degreacutes de type Likert par exemple) tendent agrave sur-eacutevaluer lrsquoimportance de cette adheacutesion Certains auteurs ont ainsi pu parler du laquo mythe raquo du consommateur eacutethique (Devinney et al 2010 Carrigan et

9 Un rappel de 24 heures consiste agrave demander (par entretien teacuteleacutephonique) agrave lrsquoindividu lrsquoensemble de ses prises alimentaires du jour preacuteceacutedent

16 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Attalla 2001) en faisant remarquer que les preacuteoccupations pour lrsquoeacutethique deacuteclareacutees dans les enquecirctes drsquoopinions srsquoarrecirctent au moment de passer agrave la caisse Les eacutetudes de consentement agrave payer utilisant des proceacutedures de choix forceacutes dans des conditions controcircleacutees montrent que les consommateurs ne sont pas disposeacutes agrave sacrifier la qualiteacute en faveur de produits socialement acceptables (Devinney et al 2010) Les deacutecalages entre opinions et pratiques ne sont pas reacuteserveacutes agrave lrsquoalimentation et sont bien deacutecrits dans divers domaines dont la pratique culturelle (Peacutequignot 2011) la lecture (Donnat 2009) ou encore les opinions politiques et le vote (Braconnier 2010)

- Les instruments des enquecirctes alimentaires ne considegraverent et deacutefinissent souvent que certains moments de consommation au cours de la journeacutee (petit-deacutejeuner deacutejeuner goucircter etc) Or certains comportements nrsquoentrent pas dans ce cadre par exemple le grignotage est un acte drsquoingestion impliquant tregraves peu drsquoattention et pouvant se reacutepeacuteter sur plusieurs heures Il est donc difficile drsquoen rendre compte dans le cadre des cateacutegories preacute-deacutefinies drsquooccasions alimentaires

- Le biais dit de laquo mindless consumption raquo (consommation automatique sans y precircter attention) a eacuteteacute eacutetabli par des eacutetudes quantitatives Il induit geacuteneacuteralement une sous-deacuteclaration drsquoautant plus importante que les aliments concerneacutes sont faciles drsquoaccegraves (Wansink et Sobal 2007)

- Les meacutethodes drsquoenquecircte sont speacutecifiques drsquoun domaine de recherche et il faut donc eacuteviter les geacuteneacuteralisations abusives Par exemple des donneacutees concernant le budget des familles ne sont adapteacutees ni agrave lrsquoeacutetude des consommations individuelles ni aux questions nutritionnelles

- Trop souvent la validation drsquoune meacutethode drsquoenquecircte sur lrsquoalimentation se fait par correacutelation avec drsquoautres meacutethodes souffrant de limites identiques (Block 1982 Masson et al 2003) Si les sources de distorsion sont les mecircmes drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre leur correacutelation suggegravere une fausse validiteacute Seule la comparaison avec une mesure objective indeacutependante de la consommation (deacutepense eacutenergeacutetique par exemple) pourrait constituer une validation

- Il est difficile de deacutepartager la sursous deacuteclaration apparente de la sursous deacuteclaration reacuteelle Dans certaines circonstances les apports deacuteclareacutes par un individu peuvent paraicirctre tregraves bas ou tregraves eacuteleveacutes Il est difficile de savoir si ces deacuteclarations sortant de lrsquoordinaire repreacutesentent fidegravelement la consommation reacuteelle au moment de lrsquoenquecircte ou encore srsquoil srsquoagit de sur- ou de sous-deacuteclarations

- Enfin les reacuteponses obtenues lors des enquecirctes en ligne peuvent ecirctre diffeacuterentes de celles formuleacutees en face agrave face Lrsquoanonymat de lrsquoenquecircte en ligne peut donner lieu agrave plus de sinceacuteriteacute ceci est probablement vrai eacutegalement dans le cas preacutecis de lrsquoalimentation Les enquecirctes en ligne ne preacutesentent toutefois pas de difficulteacute particuliegravere degraves lors que la phase de validation a montreacute une concordance entre les reacuteponses obtenues par ce moyen et les exigences du protocole

Cette analyse de la litteacuterature scientifique met en eacutevidence divers types de deacutecalages entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes et reacuteels deacutependant tant des individus solliciteacutes que des meacutethodes de collecte des informations La partie 3 va permettre avec trois eacutetudes de cas drsquoapprofondir lrsquoanalyse de ces deacutecalages dans diffeacuterentes circonstances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 17

3 Preacuteciser la mesure et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes trois eacutetudes de cas

Trois eacutetudes de cas ont permis drsquoapprofondir la quantification de deacutecalages observeacutes soit sur des cateacutegories de produits soit lieacutes agrave des effets meacutethodologiques Ce travail vient prolonger et illustrer par lrsquoexpeacuterience les eacuteleacutements deacutecrits ci-dessus agrave partir de la revue de litteacuterature

La premiegravere eacutetude (31) porte sur la deacuteclaration des consommations par la meacutethode du carnet alimentaire Elle consiste agrave noter le deacutetail de ses consommations drsquoaliments et de boissons pendant une peacuteriode deacutetermineacutee (3 ou 4 jours ou 7 jours conseacutecutifs) en estimant geacuteneacuteralement les tailles de portion agrave lrsquoaide drsquoun cahier photographique Cette meacutethode permet drsquoobtenir des informations preacutecises sur les apports alimentaires et nutritionnels Lrsquoobjectif de cette premiegravere eacutetude de cas eacutetait de deacuteterminer quels aliments et boissons sont les plus omis dans le remplissage de ces carnets et agrave quelles occasions

La deuxiegraveme eacutetude (32) srsquointeacuteresse agrave la lassitude des enquecircteacutes dans les enquecirctes alimentaires INCA 2 (2006-2007) et INCA 3 (2013-2014) La sur-sollicitation des personnes enquecircteacutees pendant plusieurs jours entraicircne une fatigue et une banalisation pouvant causer une moins bonne deacuteclaration Il srsquoagissait ici drsquoeacutevaluer la sous-deacuteclaration au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte progresse en partant de lrsquohypothegravese que le premier jour de deacuteclaration est le plus fidegravele agrave la reacutealiteacute et que le dernier est celui ougrave lrsquoon observe la plus forte sous-deacuteclaration Notons que des changements de meacutethodes ont eacuteteacute introduits entre les deux eacuteditions de lrsquoenquecircte INCA (carnet alimentaire de 7 jours en 2006 versus rappels de 24 heures en 2013)

La troisiegraveme eacutetude de cas (33) srsquointeacuteresse agrave lrsquoactiviteacute des reacuteseaux sociaux et agrave ses implications sur les achats alimentaires De faccedilon exploratoire des correacutelations statistiques ont eacuteteacute rechercheacutees entre deux ensembles de donneacutees des donneacutees sur les discours meacutediatiques et les deacutebats sur les reacuteseaux sociaux et des donneacutees drsquoachat Ce sont ici agrave la fois des deacutecalages temporels (laquo effet retard raquo) et des deacutecalages entre discours et pratiques qui sont rechercheacutes Un mecircme protocole a eacuteteacute appliqueacute aux cas des produits biologiques et de la viande

31 Eacutetude de la deacuteclaration de consommations alimentaires (ingestion) par la meacutethode du carnet alimentaire

Les carnets alimentaires sont une meacutethode freacutequemment utiliseacutee pour deacuteterminer la consommation elle permet de mesurer les apports alimentaires et nutritionnels au niveau drsquoune population Elle est notamment utiliseacutee pour lrsquoenquecircte Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du CREacuteDOC Comme vu preacuteceacutedemment cette meacutethode de recueil drsquoinformation induit neacutecessairement des deacutecalages avec la consommation reacuteelle

Afin drsquoanalyser ces deacutecalages une expeacuterimentation avec des cameacuteras a eacuteteacute entreprise srsquoappuyant sur une meacutethode eacuteprouveacutee dans drsquoautres circonstances (Lahlou 1998 et 2006) Lrsquoobjectif est ici de deacuteterminer les deacutecalages entre les consommations deacuteclareacutees sur le carnet alimentaire et les consommations reacuteelles filmeacutees par une cameacutera porteacutee par les mangeurs en repeacuterant et traitant les omissions eacuteventuelles combien drsquoomissions Concernant quels types drsquoaliments ou de boissons Agrave quelles occasions de consommation Dans quelles circonstances   20 individus volontaires ont eacuteteacute eacutequipeacutes drsquoune cameacutera portative (voir photographie 1) et ont rempli en parallegravele pendant trois jours conseacutecutifs un carnet alimentaire (e-carnet identique agrave celui de lrsquoenquecircte CCAF) Lrsquohypothegravese faite eacutetait qursquoils oublieraient rapidement porter cette cameacutera (ce qui a eacuteteacute confirmeacute par la plupart des intervieweacutes) et que les images enregistreacutees permettraient de reacuteveacuteler des eacutecarts avec les informations inscrites sur les carnets alimentaires

18 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sou

rce

CR

EacuteD

OC

Photographie 1 ndash Dispositif de cameacutera portative fixeacutee sur un harnais utiliseacute pour cette expeacuterimentation

Les 20 individus ont eacuteteacute recruteacutes via Internet (socieacuteteacute Easypanel) en fonction de profils varieacutes preacutedeacutefinis agrave lrsquoavance lieu drsquohabitation en reacutegion parisienne (Paris petite couronne et grande couronne) sexe diplocircme (2 modaliteacutes au plus baccalaureacuteat au moins Bac+1) acircge (3 tranches 18-34 ans 35-54 ans 55 ans et plus) Ces personnes ont eacuteteacute reacutemuneacutereacutees Aucune exclusion a priori nrsquoa eacuteteacute envisageacutee (ex individu obegravese ou anorexique personne ayant preacutevu un eacuteveacutenement particulier lors des jours drsquoexpeacuterimentation etc)

La comparaison des e-carnets alimentaires avec les images obtenues gracircce aux cameacuteras a permis de deacuteceler des omissions etou des erreurs dans les informations deacuteclareacutees Tout drsquoabord sur les 18 participants pour lesquels les seacutequences filmeacutees eacutetaient exploitables un seul a correctement noteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires La plupart des individus ont omis drsquoenregistrer au moins un aliment ou une boisson En moyenne le nombre drsquoaliments ou boissons non noteacutes srsquoeacutelegraveve agrave un peu plus de 2 par individu et par jour Toutefois mecircme si la majoriteacute des personnes ne mentionne pas avec exhaustiviteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires les repas principaux sont globalement bien renseigneacutes

Lors du deacutebriefing reacutealiseacute agrave la fin de lrsquoexpeacuterimentation la quasi-totaliteacute des participants a deacuteclareacute ne pas avoir omis drsquoaliments En insistant et en donnant des exemples certains ont alors admis avoir oublieacute par exemple des consommations drsquoeau de cafeacute ou de biscuits

Nous avons identifieacute deux grandes cateacutegories drsquoomissions dans les e-carnets alimentaires des omissions lors des prises hors repas les plus importantes en nombre des omissions drsquoaliments accompagnant les plats Le tableau 2 reacutecapitule le nombre drsquoomissions (laquo cas raquo) de boissons et drsquoaliments identifieacutees parmi les 18 participants

Tableau 2 ndash Nombre total drsquoomissions identifieacutees par types de boissons et drsquoaliments pour lrsquoeacutetude de cas ndegdeg11

Lecture le nombre de cas correspond au nombre total drsquoomissions identifieacutees sur les videacuteos les parenthegraveses donnent le nombre drsquoindividus concerneacutes par ces omissionsSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 43 et 45

Eau 18 cas (9 individus sur 18)Boissons sucreacutees 7 cas (6 individus sur 18)Boissons chaudes et lait 5 cas (4 individus sur 18)

Leacutegumes (ex salade cornichon leacutegumes drsquoaccompagnement etc) 14 cas (9 individus)

Produits sucreacutes 9 cas (8 individus)Biscuits sucreacutes 8 cas (6 individus)Condiments 8 cas (3 individus)Pain-biscottes 7 cas (5 individus)Sauces 7 cas (5 individus)Matiegraveres grasses 6 cas (5 individus)Ultra-frais laitiers 4 cas (4 individus)Fruits 4 cas (4 individus)

Fromage 3 cas (3 individus)Charcuterie 1 cas (1 individu)Sandwich 1 cas (1 individu)Riz 1 cas (1 individu)Viande 1 cas (1 individu)Fruits secs 1 cas (1 individu)Pacirctes 1 cas (1 individu)Pacirctisseries 1 cas (1 individu)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 19

Voici plus en deacutetails les principales omissions repeacutereacutees

bull LrsquoeauLorsque lrsquoeau nrsquoa pas eacuteteacute inscrite dans le e-carnet alimentaire il srsquoagit en majoriteacute de

prises hors repas par ex Jonathan 30 ans boit de lrsquoeau agrave la sortie de son bureau dans la voiture ou encore devant la teacuteleacutevision le dimanche entre deux repas

Une autre cateacutegorie drsquoomission de lrsquoeau dans le e-carnet lrsquooubli systeacutematique est plus rare (1 individu sur 18) Par exemple Claude 50 ans boit de lrsquoeau au moment du petit-deacutejeuner ndash et sucircrement agrave bien drsquoautres occasions ndash mais il nrsquoa inscrit aucune de ces occasions dans le carnet

bull Les boissons sucreacutees et boissons chaudesLrsquoomission de boissons sucreacutees et de boissons chaudes est dans notre

expeacuterimentation uniquement arriveacutee lors de prises hors repas Par exemple Ingrid 31 ans boit du jus drsquoorange avant de commencer agrave preacuteparer le deacutejeuner dans sa cuisine et Virginie 51 ans oublie un cafeacute bu agrave 9h du matin sur son lieu de travail

bull Les leacutegumesIl existe 2 familles drsquoomissions concernant les leacutegumes Celles concernant les produits

utiliseacutes dans la recette drsquoun plat tels que les oignons lrsquoail et les leacutegumes accompagnant des feacuteculents ou drsquoautres aliments Par exemple Eacutelodie 31 ans qui a bien noteacute dans le e-carnet laquo la salade raquo oublie drsquoindiquer les tomates ou encore les leacutegumes qui accompagnent son riz

Le deuxiegraveme type drsquoomissions concerne des leacutegumes consommeacutes en encas par ex Virginie 51 ans mange plusieurs fois dans les 3 jours du concombre en encas La premiegravere fois lrsquoaliment est bien indiqueacute dans le e-carnet les fois suivantes il ne lrsquoest plus

bull Les produits et biscuits sucreacutesLe groupe des produits sucreacutes est constitueacute des confitures des bonbons des chocolats

et du sucre Ces produits et les biscuits sucreacutes sont parfois non deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire lors drsquoune prise hors repas Nadegravege 38 ans omet de noter dans le e-carnet un carreacute de chocolat pris avec son cafeacute apregraves son deacutejeuner vers 14h30 son cafeacute eacutetant bien indiqueacute dans son carnet mais pas le carreacute de chocolat Marvin 28 ans ne deacuteclare pas sa tartine de confiture lors de la prise drsquoun encas Ingrid 31 ans consomme un biscuit sur son lieu de travail Agrave noter que les biscuits sucreacutes ne sont pas deacuteclareacutes surtout lorsqursquoils sont pris hors repas

bull Les condiments sauces et matiegraveres grassesCes cateacutegories de produits sont des ingreacutedients de plats Annexes au plat principal leur

omission est relativement freacutequente Par exemple Christophe 50 ans oublie de mentionner qursquoil ajoute de la beacutearnaise dans son plat Rahma 32 ans oublie la vinaigrette qursquoelle ajoute agrave sa salade

bull Le painPour ce qui est du pain on observe des omissions dans le e-carnet alimentaire agrave

la fois lors de prises hors repas mais eacutegalement au sein du repas Par exemple Marvin 28 ans omet de noter ses tartines et Virginie 51 ans omet drsquoenregistrer le pain lors drsquoun dicircner en famille

bull Les ultra-frais laitiers et les fruitsCes aliments lorsqursquoils ne sont pas deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire sont des

aliments majoritairement pris hors repas Par exemple Jonathan 30 ans mange une

20 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

pomme apregraves avoir cuisineacute agrave 17h On peut aussi identifier des omissions sur des fins de repas Christophe 50 ans nrsquoindique pas dans son e-carnet alimentaire deux yaourts qursquoil consomme juste agrave la fin de son repas Agrave noter qursquoil les consomme apregraves avoir effectueacute sa vaisselle agrave la main debout dans la cuisine et non plus agrave table

Deux grandes cateacutegories drsquoomissions ont donc eacuteteacute identifieacutees dans les e-carnets alimentaires en fonction du moment de la prise les omissions lors drsquooccasions hors repas et les omissions drsquoaliments accompagnant les plats principaux

In fine il ressort de cette eacutetude de cas que la meacutethode de recueil par carnet alimentaire comporte certains eacutecueils du fait mecircme de sa conception lrsquoappel agrave la meacutemoire favorise neacutecessairement lrsquooubli drsquoaliments (de certains types ou agrave certains moments) entraicircnant une meacutesestimation (la plupart du temps une sous-estimation) des comportements alimentaires reacuteels Afin de remeacutedier agrave cet eacutecueil il serait neacutecessaire au moment du brief initial des personnes enquecircteacutees drsquoinsister davantage sur les omissions geacuteneacuteralement commises dans ce type drsquoenquecircte sur les prises hors repas etc Par ailleurs lrsquoobservation par cameacutera ouvre un large champ drsquoinvestigations pour approfondir la question des deacutecalages entre pratiques deacuteclareacutees et pratiques reacuteelles

32 Effet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires

Dans une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs les individus tendent agrave sous-deacuteclarer leurs consommations au fil des jours pheacutenomegravene appeleacute laquo effet de lassitude  raquo Cette deuxiegraveme eacutetude de cas vise agrave mettre en eacutevidence cette sous-deacuteclaration pour certaines cateacutegories de produits

Le changement de meacutethode opeacutereacute entre deux sessions de lrsquoenquecircte INCA reacutealiseacutee par lrsquoAnses (INCA 2 et INCA 3)10 est mis agrave profit pour caracteacuteriser le deacutecalage ducirc au choix de la modaliteacute pour le remplissage des carnets alimentaires Lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) a eacuteteacute reacutealiseacutee par carnets alimentaires de 7 jours conseacutecutifs alors que lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) a eacuteteacute reacutealiseacutee par le biais de trois rappels de 24 heures Dans ce cas chaque personne interrogeacutee devait renseigner ses consommations alimentaires pour trois journeacutees indeacutependantes (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) seacutelectionneacutees sur une peacuteriode de trois semaines Lrsquohypothegravese testeacutee est que lrsquoeffet de lassitude est moindre (voire nul) dans une enquecircte alimentaire par rappel de 24 heures par rapport agrave une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs

Agrave partir de lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) nous avons eacutetudieacute les diffeacuterences de deacuteclaration qui existent entre les 7 journeacutees de remplissage (jour 1 jour 2 hellip jour 7) Dans un second temps nous avons fait de mecircme sur la base de lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) Deux indicateurs ont eacuteteacute utiliseacutes les apports alimentaires (gj) les apports eacutenergeacutetiques (kcalj) La comparaison des moyennes de lrsquoeacutenergie consommeacutee en fonction des jours (jour 1 jour 2 hellip jour n) permet de deacuteterminer si le numeacutero du jour a un impact dans le remplissage du carnet Il en est de mecircme pour la comparaison des taux de consommation de certaines cateacutegories de produits

Il ressort de ces analyses (tableau 3) que dans INCA 2 les apports alimentaires (en gj) et les apports eacutenergeacutetiques (en kcalj) deacutecroissent significativement au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps de maniegravere continue (- 43 gj et - 28 kcalj par journeacutee

10 Ces analyses ont beacuteneacuteficieacute de la contribution de lrsquoAnses pour les traitements des donneacutees drsquoINCA 3

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 21

suppleacutementaire avec des reacutesultats statistiquement significatifs p lt 2e-16 dans les deux cas) Entre le 1er et le 7e jour de consommation la moyenne des apports en grammes de la population adulte acircgeacutee de 18 ans et plus a diminueacute de 10 celle des apports en eacutenergie de 8 En simulant une valeur constante de la moyenne des apports en grammes ou de lrsquoeacutenergie correspondant au jour le laquo mieux raquo rempli soit le 1er jour de consommation la quantiteacute totale sous-estimeacutee srsquoeacutetablirait agrave environ 5 pour les quantiteacutes et 4 pour lrsquoeacutenergie Agrave lrsquoinverse dans le cas drsquoINCA 3 il apparaicirct que les apports alimentaires et les apports eacutenergeacutetiques ne deacutecroissent pas (p = 01431) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps (entre le 1er et le 3e rappel de 24 heures et p lt 2e-16)

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 9711 1 0245 2 0936 8735Jour 2 2 9579 1 0445 2 0635 8764Jour 3 2 9300 1 0009 2 0393 8468Les 3 jours 2 9530 8600 2 0655 7102

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 7216 9328 2 0366 7969Jour 2 2 6737 9582 2 0161 8116Jour 3 2 6227 9934 1 9882 8084Jour 4 2 5888 9811 1 9509 8052Jour 5 2 5381 9762 1 9211 8060Jour 6 2 4944 9418 1 9014 7912Jour 7 2 4623 9551 1 8698 7746Les 7 jours 2 5859 8339 1 9549 6302

Tableau 3 - Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) et apport eacutenergeacutetique moyen par jour (kcalj) pour chaque journeacutee de consommation (enquecirctes INCA 22 et INCA 33)

Enquecircte INCA 2 (2006-2007)

Enquecircte INCA 3 (2014-2015)

Source Anses Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) et INCA 3 (calculs Anses) rapport final de lrsquoeacutetude page 52

On notera que les eacutecarts entre les apports en grammes entre les enquecirctes INCA 2 et INCA 3 sont principalement dus agrave des diffeacuterences meacutethodologiques

Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 qui utilise une meacutethode par carnet alimentaire avec un recueil des consommations sur 7 jours conseacutecutifs Cet effet est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 avec une meacutethodologie par rappel de 24 heures

Par ailleurs des analyses par cateacutegories alimentaires ont eacuteteacute conduites Elles montrent que dans lrsquoenquecircte INCA 2 un nombre important de ces cateacutegories sont de moins en moins deacuteclareacutees (indicateur gj plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 + szlig1 numeacutero du jour + ɛ) (tableau 4)

Tableau 4 ndash Cateacutegories alimentaires pour lesquelles la baisse des deacuteclarations est significative

Avec plt0001 Avec plt001

Pain et panification segraveche Pommes de terre et apparenteacutes Viande

Eaux Margarine Autres boissons chaudes

Huile Ultra-frais laitiers Soupes et bouillons

Condiments et sauces Boissons fraicircches sans alcool

Sucres et deacuteriveacutes Leacutegumes

Pacirctes

Fromages

Source auteurs rapport final de lrsquoeacutetude page 56

22 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Pour INCA 2 le tableau 5 preacutesente les reacutesultats obtenus pour les quantiteacutes moyennes consommeacutees par jour par groupe alimentaire et pour chaque journeacutee

Dans le cas de lrsquoenquecircte INCA 3 (tableau 6) seulement 2 groupes alimentaires sont de moins en moins deacuteclareacutes (indicateur gjour plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire   apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 +szlig1 numeacutero du jour + ɛ) Il srsquoagit des cateacutegories suivantes pain et panification segraveche raffineacutes plats agrave base de poisson

Un effet de lassitude est donc bien observeacute chez les reacutepondants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 et ce pour de nombreuses cateacutegories drsquoaliments Il est en revanche absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 excepteacute pour le groupe laquo pain et panification segraveche raffineacutes raquo et laquo plats agrave base de poisson  raquo Aucune surdeacuteclaration nrsquoapparaicirct significative

Cet effet de lassitude a ensuite eacuteteacute testeacute selon plusieurs critegraveres (sexe acircge diplocircme indice de masse corporelle - IMC) En voici les principaux reacutesultats et enseignements

bull Selon le sexeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavanceacutee de

lrsquoenquecircte autant chez les hommes (- 42 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) que chez les femmes (- 45 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit le sexe

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les hommes ou chez les femmes Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les hommes et chez les femmes   il est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque sexe

bull Selon lrsquoacircgeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte dans les 3 tranches drsquoacircge suivantes - 18-34 ans -60 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 35-54 ans -48 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 55-79 ans -23 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit lrsquoacircge Il est agrave noter qursquoil est plus important chez les plus jeunes (- 60 gj par journeacutee de remplissage chez les 18-34 ans contre - 48 gj chez les 35-54 ans et - 23 gj chez les 55-79 ans)

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les 18-34 ans 35-54 ans ou 55-79 ans Lrsquoeffet de lassitude est absent sur les apports en grammes quel que soit lrsquoacircge

En conclusion un effet de lassitude est observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les 18-34 ans 35-54 ans et 55-79 ans Il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque tranche drsquoacircge

bull Selon le niveau drsquoeacuteducationDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au baccalaureacuteat et chez ceux qui ont au moins le niveau du baccalaureacuteat

- niveau infeacuterieur au Bac - 38 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - niveau eacutegal ou supeacuterieur au Bac - 49 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les deux populations eacutetudieacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 23

Jour 1 Jour 2 Jour 3 Jour 4 Jour 5 Jour 6 Jour 7 (D7-D1)D1

1 Pain et panification segraveche 1088 1042 1014 988 956 959 936 - 140

2 Ceacutereacuteales pour petit deacutejeuner 46 47 41 39 41 42 42 - 87

3 Pacirctes 407 368 382 334 334 329 318 - 219

4 Riz et bleacute dur ou concasseacute 248 219 214 221 214 213 218 - 121

5 Autres ceacutereacuteales 05 05 07 07 03 05 05 00

6 Viennoiserie 108 105 110 114 104 120 115 65

7 Biscuits sucreacutes ou saleacutes et barres 82 88 86 81 80 76 70 - 146

8 Pacirctisseries et gacircteaux 315 345 388 359 365 352 331 51

9 Lait 797 785 760 740 768 747 743 - 68

10 Ultra-frais laitier 878 802 807 759 777 758 771 - 122

11 Fromages 322 313 311 306 292 289 283 - 121

12 Œufs et deacuteriveacutes 128 138 135 142 127 148 143 117

13 Beurre 108 101 100 95 97 98 99 - 83

14 Huile 108 98 94 89 86 86 88 - 185

15 Margarine 44 44 42 39 37 36 38 - 136

16 Autres graisses 01 01 01 01 01 01 01 00

17 Viande 509 482 473 413 426 447 466 - 84

18 Volaille et gibier 29 293 274 273 291 289 273 - 59

19 Abats 23 28 25 31 25 27 25 87

20 Charcuterie 342 321 318 310 330 318 295 - 137

21 Poissons 246 250 240 264 238 250 243 - 12

22 Crustaceacutes et mollusques 35 40 41 41 43 40 48 371

23 Leacutegumes (hors pommes de terre) 1312 1320 1292 1273 1203 1233 1232 - 61

24 Pommes de terre et apparenteacutes 589 556 523 551 540 498 483 - 180

25 Leacutegumes secs 95 66 79 101 94 93 95 00

26 Fruits 1339 1348 1290 1336 1284 1253 1299 - 30

27 Fruits secs et graines oleacuteagineuses 25 23 29 22 27 22 24 - 40

28 Glaces et desserts glaceacutes 67 61 71 80 74 77 71 60

29 Chocolat 53 58 54 50 50 49 47 - 113

30 Sucres et deacuteriveacutes 204 193 188 185 176 177 174 - 147

31 Eaux 8165 8024 785 7754 7566 7262 7143 - 125

32 Boissons fraicircches sans alcool 1343 1302 1258 1203 1205 1177 1132 - 157

33 Boissons alcooliseacutees 1249 1203 1255 1231 1259 1175 1162 - 70

34 Cafeacute 2717 2729 2687 2653 2577 2604 2570 - 54

35 Autres boissons chaudes 1432 1334 1327 1269 1233 1276 1238 - 135

36 Pizzas quiches et pacirctisseries saleacutees 214 236 237 225 231 190 246 150

37 Sandwichs casse-croucircte 132 164 152 154 160 177 154 167

38 Soupes et bouillons 918 904 852 854 844 822 815 - 112

39 Plats composeacutes 631 694 675 738 686 701 671 63

40 Entremets cregravemes desserts et laits geacutelifieacutes 245 249 234 237 235 199 228 - 69

41 Compotes et fruits cuits 136 147 123 138 118 139 122 - 103

42 Condiments et sauces 195 181 166 169 158 164 153 - 215

43 Aliments destineacutes agrave une alimentation particuliegravere 20 23 18 18 22 25 13 - 350

TOTAL 27216 26737 26227 25888 25381 24944 24623 - 95

Tableau 5 ndash QQuantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 22 ( (20062006--20072007 journeacutees journeacutees 11 agrave agrave 77)) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) rapport final de lrsquoeacutetude page 56

24 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 ndash Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 33 ((20142014--20152015 journeacutees 11 agrave 33) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 3 (calculs ANSES) rapport final de lrsquoeacutetude page 57

Jour 1 (1er rappel) Jour 2 (2e rappel) Jour 3 (3e rappel) (D3-D1)D1

1enspPain et panification segraveche raffineacutes 1098 1015 991 - 97

2ensp Pain et panification segraveche complets ou semi-complets 83 77 72 - 129

3ensp Ceacutereacuteales pour petit-deacutejeuner et barres ceacutereacutealiegraveres 45 49 45 01

4ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales raffineacutees 553 554 567 25

5ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales complegravetes et semi-complegravetes 22 21 23 32

6ensp Viennoiseries pacirctisseries gacircteaux et biscuits sucreacutes 576 553 558 - 32

7enspLaits 702 742 651 - 72

8enspYaourts et fromages blancs 840 770 790 - 60

9enspFromages 325 328 325 - 02

10enspEntremets et cregravemes desserts 164 159 181 104

11enspGlaces desserts glaceacutes et sorbets 53 55 55 40

12enspMatiegraveres grasses animales 93 88 87 - 63

13enspMatiegraveres grasses veacutegeacutetales 82 79 81 - 09

14enspŒufs et plats agrave base drsquoœufs 139 136 145 44

15enspViandes (hors volailles) 431 438 434 08

16enspVolailles 254 256 261 28

17enspCharcuterie 272 273 263 - 36

18enspPoissons 227 244 261 150

19enspCrustaceacutes et mollusques 32 33 39 225

20enspAbats 26 25 28 83

21enspLeacutegumes 1455 1449 1430 - 17

22enspLeacutegumineuses 71 53 63 - 107

23enspPommes de terre et autres tubercules 424 415 439 33

24enspFruits frais et secs 1455 1403 1434 - 15

25enspCompotes et fruits au sirop 154 155 166 81

26enspNoix graines et fruits oleacuteagineux 41 35 37 - 97

27enspConfiserie et chocolat 90 87 78 - 140

28enspSucre et matiegraveres sucrantes 206 199 208 06

29enspEaux embouteilleacutees 3918 4014 4004 22

30enspEau du robinet 4787 4869 4923 28

31ensp Boissons rafraicircchissantes sans alc ool (BRSA) 934 894 794 - 149

32enspJus de fruits et de leacutegumes 637 625 599 - 61

33enspBoissons alcooliseacutees 1346 1433 1399 40

34enspBoissons chaudes 5341 5186 5076 - 50

35enspSoupes et bouillons 1079 1108 989 - 83

36 Plats agrave base de viandes 135 134 127 - 59

37enspPlats agrave base de poissons 100 72 62 - 379

38enspPlats agrave base de leacutegumes 245 196 272 108

39ensp Plats agrave base de pommes de terre ceacutereacuteales ou leacutegumineuses 425 457 475 118

40ensp Sandwich pizzas tartes pacirctisseries et biscuits saleacutes 555 589 567 22

41ensp Condiments herbes eacutepices et sauces 240 243 233 - 27

42ensp Substituts de produits animaux agrave base de soja et autres veacutegeacutetaux 52 62 66 272

43enspPlats preacutepareacutes et desserts infantiles 03 04 02 - 197

TOTAL 29711 29579 29300 - 14

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 25

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac Il diminue de maniegravere significative avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont au moins le Bac (- 39 gj par journeacutee suppleacutementaire plt005)

En conclusion un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac comme chez ceux ayant au moins le Bac Il est eacutegalement observeacute en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA  3 chez les individus qui ont au moins le Bac

bull Selon lrsquoindice de masse corporelle

Dans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez les individus quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC en 4 tranches)

- individus maigres - 46 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt001) - individus normopondeacuteraux - 45 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus en surpoids - 40 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus obegraveses - 42 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les quatre sous-populations eacutetudieacutees

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte et ce quelle que soit la classe drsquoIMC des reacutepondants Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus quel que soit leur IMC il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour les quatre classes drsquoIMC

En bref cette eacutetude permet de preacuteciser les enseignements de la revue de litteacuterature quant agrave lrsquoeffet de meacutethodes de collecte de donneacutees (par recueil sur 7 jours conseacutecutifs ou par rappel de 24 heures) sur les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle en documentant et estimant lrsquoeffet de la lassitude dans le premier cas dans le cadre des eacutetudes INCA Un enregistrement de la consommation alimentaire chez les adultes sur 7 jours conseacutecutifs amegravene agrave une sous-estimation (dans le cas drsquoINCA 2) drsquoenviron 5 des quantiteacutes

Afin drsquoestimer la quantiteacute theacuteorique moyenne drsquoaliments pour laquelle il nrsquoy aurait plus drsquoeffet de lassitude nous proposons les coefficients correcteurs suivants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA  2 coef = [ max (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7) x 7 ] somme (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7)

Avec plt0001 - Pain et panification segraveche 1091- Eaux 1063- Huile 1165- Condiments et sauces 1151- Sucres et deacuteriveacutes 1101- Pacirctes 1153- Fromages 1065- Pommes de terre et apparenteacutes 1102- Margarine 1100- Ultra-frais laitiers 1107- Boissons fraicircches sans alcool 1091- Leacutegumes 1042

Avec plt001 - Viande 1108- Autres boissons chaudes 1100- Soupes et bouillons 1069

26 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

En multipliant les apports moyens par ces coefficients nous faisons comme srsquoil nrsquoy avait plus drsquoeffet de lassitude Lrsquoutilisation de ces coefficients nrsquoest pas conseilleacutee pour de futures enquecirctes sur 7 jours en effet les meacutethodes de recueil des consommations alimentaires eacutevoluent et les valeurs des coefficients ne peuvent pas ecirctre meacutecaniquement reacuteutiliseacutees La deacutemarche utiliseacutee permet drsquoestimer lrsquoampleur de la lassitude dans drsquoautres enquecirctes agrave la meacutethodologie voisine Elle a lrsquointeacuterecirct drsquoestimer la laquo perte raquo occasionneacutee agrave un instant t du fait de la lassitude des sujets mettant en exergue les cateacutegories drsquoaliments pour lesquelles elle est la plus forte On y retrouve les boissons les sauces et condiments et certains types de leacutegumes des cateacutegories que nous avions deacutejagrave identifieacutees comme eacutetant plus souvent laquo omises raquo (cf eacutetude de cas ndeg1)

Sur lrsquoensemble des groupes de produits alimentaires eacutetudieacutes ce coefficient est de 105 ce qui signifie que les apports moyens sont laquo au moins raquo de 5 au-dessus de ce qui est deacuteclareacute Cet eacutecart nrsquoest pas aussi eacuteleveacute que nous lrsquoimaginions au deacutepart Les meacutethodes par carnets alimentaires sur plusieurs jours conseacutecutifs restent ainsi des meacutethodes relativement fiables

Lrsquoidentification des cateacutegories les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait aider agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles speacutecifiques compleacutementaires de celles existant deacutejagrave afin de reacuteduire autant que possible le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

33 Eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

Dans cette troisiegraveme eacutetude de cas nous cherchons les correacutelations entre discours sur les reacuteseaux sociaux (donneacutees Talkwalker) et actes drsquoachat en grande distribution (donneacutees RelevanC-groupe Casino) Lrsquoanalyse reacutevegravele les eacutecarts entre ces deux types de donneacutees et compare leurs eacutevolutions dans le temps Deux cateacutegories de produits ont eacuteteacute choisies pour illustrer ces eacutecarts la viande et les aliments issus de lrsquoagriculture biologique La meacutethode utiliseacutee est drsquoabord preacutesenteacutee (331) puis les reacutesultats sont deacutetailleacutes (332)

331 Une meacutethode mobilisant des donneacutees sur les reacuteseaux sociaux et sur les achats en grande distribution

Les opinions eacutemises agrave propos des conduites alimentaires sont influenceacutees par divers facteurs notamment les normes sociales de plus en plus exprimeacutees et porteacutees par les meacutedias qui jouent un rocircle deacuteterminant dans la structuration de lrsquoespace mental des acheteurs Il peut srsquoagir de meacutedias traditionnels (journaux magazines teacuteleacutevision radio etc) ou de plus en plus souvent des reacuteseaux sociaux numeacuteriques La meacutethode deacuteveloppeacutee dans cette troisiegraveme eacutetude de cas vise agrave analyser sur un pas de temps court (quelques mois) les relations entre laquo bruit meacutediatique raquo et achats en grande distribution Un pic meacutediatique agrave un temps t sur un sujet donneacute et consideacutereacute comme influenccedilant potentiellement les opinions des consommateurs va-t-il se traduire par une eacutevolution (hausse baisse) des achats des produits pouvant ecirctre concerneacutes par ces informations Et ce agrave quel pas de temps et avec quelle ampleur

Cette meacutethode innovante avait deux objectifs Le premier eacutetait de mettre en eacutevidence drsquoeacuteventuelles correacutelations statistiques entre les comportements drsquoachats drsquoune part et les discours meacutediatiques et deacutebats sur les reacuteseaux sociaux drsquoautre part Nous soulignons ici que les correacutelations statistiques eacutetablissent des liens entre deux variables sans eacutemettre

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 27

drsquohypothegravese de relations de cause agrave effet Il srsquoagissait eacutegalement si de telles correacutelations sont aveacutereacutees de voir srsquoil existe un deacutecalage entre deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoalimentation (capteacutes via lrsquoactiviteacute sur les reacuteseaux sociaux) et les comportements des mangeurs

Pour ce faire deux theacutematiques ont eacuteteacute eacutetudieacutees celle de la viande (associeacutee aux thegravemes du veacuteganisme et du flexitarisme) et celle des produits biologiques Plusieurs types de donneacutees ont eacuteteacute mobiliseacutes

- Drsquoune part des donneacutees meacutediatiques ont eacuteteacute obtenues par requecirctes adapteacutees aux sujets eacutetudieacutes et adresseacutees par lrsquooutil Talkwalker Cet outil collecte trois paramegravetres (mentions audiences engagements) sur 150 millions de sites Internet et une dizaine de reacuteseaux sociaux Les laquo mentions raquo correspondent au nombre drsquoarticles pour un meacutedia ou au nombre de tweets et de partages sur les reacuteseaux sociaux Les laquo audiences raquo sont le nombre theacuteorique de personnes toucheacutees par une mention Lrsquoaudience est mesureacutee agrave partir du nombre drsquoabonneacutes agrave un meacutedia ou un compte Twitter Il ne srsquoagit pas du nombre de lecteurs reacuteels drsquoun message car les outils ne permettent pas drsquoavoir cette donneacutee mais du nombre potentiel de personnes exposeacutees agrave un message Les laquo engagements raquo reprennent le nombre de personnes qui ont interagi avec un contenu en ligne Un engagement correspond au fait drsquoaimer de partager ou de cliquer sur un message Crsquoest une mesure de la reacuteaction des membres des reacuteseaux sociaux agrave un message

Ainsi un message peut ecirctre posteacute par un meacutedia agrave tregraves forte audience mais ne geacuteneacuterer aucun engagement Inversement un message eacutemis par un acteur agrave faible audience peut se diffuser tregraves largement par viraliteacute Le nombre drsquoengagements permet de mesurer cette viraliteacute Il est important de souligner ici que le bruit meacutediatique analyseacute via les reacuteseaux sociaux est loin drsquoecirctre repreacutesentatif de lrsquoactiviteacute meacutediatique geacuteneacuterale et de lrsquoopinion de la population franccedilaise Il ne srsquoagit en effet que de lrsquoopinion des socionautes actifs sur ces reacuteseaux Toutefois par souci de simplification nous y ferons reacutefeacuterence dans la suite de cet article en parlant de laquo lrsquoopinion du grand public  raquo par distinction avec les laquo journalistes raquo et les laquo militants raquo

- Drsquoautre part des donneacutees drsquoachats en grande distribution issues de RelevanC (groupe Casino) ont eacuteteacute utiliseacutees Elles couvrent les achats des clients des enseignes du groupe Casino De maniegravere geacuteneacuterale il convient de rappeler que si les donneacutees issues directement des distributeurs sont pertinentes car mesurant reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles ne couvrent que certains circuits notamment la grande distribution Cette derniegravere repreacutesente 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les donneacutees de lrsquoInsee pour les comptes du commerce de 2017) et les deacutepenses prises en compte dans cette eacutetude de cas ne comprennent pas les prises de repas hors foyer

La peacuteriode mai 2017-mai 2019 a eacuteteacute eacutetudieacutee Des modegraveles eacuteconomeacutetriques ont eacuteteacute utiliseacutes pour mettre en eacutevidence les impacts avec effets retard des donneacutees des diffusions meacutediatiques sur des indicateurs de comportements drsquoachats (actes drsquoachats) Les donneacutees meacutediatiques correspondent agrave des releveacutes journaliers Le pas de temps des donneacutees drsquoachat est hebdomadaire

Pour eacutetablir les relations entre variables la correacutelation a eacuteteacute mesureacutee entre notre variable drsquointeacuterecirct agrave la date t (yt les achats de produits) et les variables explicatives agrave diffeacuterentes dates xt+k (les audiences mentions ou engagements) ougrave k=[minus101] Nous avons calculeacute des correacutelations simples (modegravele de reacutegression lineacuteaire) entre diffeacuterents pas de temps Pour tester la significativiteacute de la correacutelation lineacuteaire nous avons utiliseacute le test de Student

28 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Afin drsquoanalyser nos deux sujets meacutediatiques les requecirctes suivantes ont eacuteteacute effectueacutees agrave lrsquoaide de lrsquooutil Talkwalker

VeganFlexi - Grand Public (vegetar OR vegan OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima) OR abattoir OR flexitari OR speacutecis OR carnis) AND engagementgt10VeganFlexi medias titleveacutegeacutetari OR titlevegan OR titleraquoflexitariraquoViande - Grand Public viande AND engagementgt10Viande medias titleviande AND (consommat OR sante OR environnement OR reacuteduire OR laquosans vianderaquo OR laquomoins de vianderaquo OR cancer OR vegan OR flexitari OR vegetari OR veacutegeacutetal)Militants vegan (authordescriptionveacutegeacutetari OR authordescriptionvegan OR authordescriptionflexitari OR authordescriptionviande OR authordescriptionspeacutecis) AND (vegetar OR vegan OR abattoir OR viande OR flexitari OR speacutecis OR carni OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima)) AND engagementgt10 AND twitter_followersgt1000Exclusion de beauteacute OR cosmeacutetique OR hygiene OR textile OR coton OR horloge OR agriculteur OR agricultrice OR ferme OR coope OR maraicher OR paysan OR semence OR subvention OR potager OR emploi OR sponsor OR titlerappelAlimentation bio Meacutedias (titlebio OR titlebiologique) AND (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter ) Alimentation bio Grand Public ((bio OR biologique) NEAR4 (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter )) AND engagementgt10

Trois cateacutegories drsquoeacutemetteurs de discours numeacuteriques ont eacuteteacute retenues les journalistes (via les publications des meacutedias dit traditionnels sur Internet) le laquo grand public raquo (ie lrsquoensemble des socionautes) les militants (groupe adapteacute selon chaque theacutematique)

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-dessous (332) sont un preacutealable agrave lrsquoanalyse des eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution On y deacutecrit les trois meacutetriques (mentions audiences engagements) qui ont eacuteteacute mesureacutees sur les reacuteseaux sociaux pour les meacutedias dits laquo traditionnels raquo le laquo grand public raquo et les militants sur les theacutematiques laquo vegan flexitarisme raquo et laquo viande raquo drsquoune part et laquo bio raquo drsquoautre part Les principaux enseignements tireacutes sur lrsquoinfluence de ces activiteacutes numeacuteriques sur les actes drsquoachat sont eacutegalement preacutesenteacutes Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude pour en savoir plus sur les donneacutees la meacutethode et les reacutesultats complets notamment les correacutelations entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

332 Eacutecarts constateacutes sur les theacutematiques de la laquo viande raquo et des laquo produits biologiques raquo

Le cas de la viande a eacuteteacute analyseacute en lien avec les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme  raquo lesquels sont associeacutes sur la peacuteriode eacutetudieacutee agrave une activiteacute importante sur les reacuteseaux sociaux Dans un premier temps cette activiteacute est reconstitueacutee puis les reacutesultats des analyses cherchant agrave eacutetablir des correacutelations entre cette activiteacute et les achats de viande sont preacutesenteacutes

Les graphiques suivants preacutesentent lrsquoeacutevolution du volume de mentions sur ces theacutematiques venant de publics non identifieacutes comme militants (graphique 1) et de publics militants (graphique 2) Les principaux eacuteveacutenements suscitant ces publications sont indiqueacutes dans chaque figure

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 29

Graphique 1 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee pour lrsquoensemble des publics hors militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

On voit qursquoun sujet (veganisme flexitarisme) qui geacutenegravere beaucoup de mentions chez les journalistes (laquo meacutedias traditionnels raquo) nrsquoest pas preacutedictif de lrsquointeacuterecirct des socionautes (laquo grand public  raquo) Chez ces derniers il est difficile de relier des pics drsquoactiviteacute sur le sujet du flexitarisme agrave des eacuteveacutenements preacutecis il semble donc que ce sujet soit maintenu dans lrsquoactualiteacute plus par la volonteacute des journalistes que par des eacuteveacutenements exteacuterieurs

Lrsquoactiviteacute des militants sur les reacuteseaux sociaux est tregraves lieacutee aux actions ou actualiteacutes de leur communauteacute Il srsquoagit drsquoune communauteacute dynamique plus reacuteactive aux mentions des meacutedias que le grand public la correacutelation est de 02 entre les indicateurs des mentions par les meacutedias traditionnels et de lrsquoengagement des militants Cependant ce coefficient reste faible et lrsquoanalyse drsquoeacuteveacutenements geacuteneacuterant de lrsquoactiviteacute chez les militants montre qursquoils sont engageacutes avant tout aupregraves de leur communauteacute

Graphique 2 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee chez les militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

30 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Ainsi sur les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme raquo on observe trois grands types drsquoactiviteacutes sur les reacuteseaux sociaux et dans les meacutedias en ligne

- une communauteacute veacutegane minoritaire mais tregraves active qui parle essentiellement de sujets preacuteoccupant les veacuteganes

- des meacutedias qui maintiennent une forte activiteacute sur ce sujet avec des discours alternant le positif (laquo le flexitarisme serait un reacutegime drsquoavenir raquo) et la couverture drsquoactions radicales de certains militants toutefois cette activiteacute meacutediatique engage peu les socionautes sauf sur les sujets neacutegatifs

- le grand public reacuteagit majoritairement aux actualiteacutes neacutegatives sur ces sujets avec un niveau drsquoengagement 100 fois plus eacuteleveacute et qui nrsquoest pas dans un discours drsquoadheacutesion ni de proseacutelytisme sur ces sujets Il y a donc clairement une fracture entre les discours des meacutedias traditionnels et des socionautes du grand public

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le

sujet laquo veganflexitarisme raquo et les comportements drsquoachat de viande en grande distribution apparaicirct dans le tableau 7 Lorsque la consommation augmente on observe que le nombre de tweets mentionneacutes par les meacutedias (sur le sujet laquo veganflexitarisme raquo) augmentait 11 agrave 14 semaines plus tocirct Dit autrement la reacuteponse agrave une augmentation du nombre de tweets sur la consommation se fait sentir 11 agrave 14 semaines plus tard de faccedilon positive (si le nombre de tweets augmente la consommation augmente ou inversement) On voit bien lagrave lrsquoeffet des laquo opeacuterateurs retard raquo11 des tweets sur la consommation

11 Dans lrsquoanalyse des seacuteries temporelles lrsquoopeacuterateur retard associe agrave tout eacuteleacutement lrsquoobservation preacuteceacutedente

Tableau 7 - Correacutelations entre les achats totaux de viandes et les opinions sur le terme laquo vegan raquo

Lecture le test est significatif au seuil de 5 le test est significatif au seuil de 1 Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 75

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 31

Les donneacutees RelevanC fournissent le total des actes drsquoachat de viande Elles montrent lrsquoinfluence potentielle du discours produit autour des thegravemes laquo veganflexitarisme raquo sur les actes drsquoachat de viande Les correacutelations entre les opinions des meacutedias et ces actes drsquoachat dans les enseignes du groupe Casino sont positives entre 11 et 14 semaines plus tard (p=0218 agrave 0259) Les opinions des veacutegans ont eacuteteacute fortement deacutebattues et contrecarreacutees par des reacuteactions des bouchers et eacuteleveurs Ce deacutebat semble avoir eacuteteacute plutocirct favorable aux achats de viande

Apregraves la viande notre protocole drsquoeacutetude a eacuteteacute appliqueacute aux produits biologiques La preacutesence de ces produits dans lrsquoalimentation est tregraves deacutebattue dans les meacutedias traditionnels avec en moyenne 325 mentions en ligne par semaine Cette freacutequence eacuteleveacutee ne faiblit que durant la semaine du 15 aoucirct avec un minimum de 125 mentions cela est lieacute agrave la peacuteriode de vacances et agrave la faible activiteacute meacutediatique geacuteneacuterale Le graphique 3 montre les pics drsquoactiviteacute meacutediatique et le niveau drsquoengagement des socionautes par rapport agrave ces actualiteacutes

Graphique 3 - Activiteacute meacutediatique documenteacutee agrave partir des verbatims relatifs aux aliments biologiques (tweets posts commentaires etc)

Source Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 65

Fin aoucirct 2017 - Article de Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur le bio Mi-octobre 2017 - Article du journal Le Parisien intituleacute laquo Lrsquoagriculture bio peut-elle nourrir le monde raquo

Mi-novembre 2017 - Eacutetude publieacutee dans Nature montrant que lrsquoagriculture biologique pourrait nourrir la planegravete Mi-mars 2018 - 60 millions de consommateurs analyse des produits biologiques et deacutenonce des preacutesences de reacutesidus et contaminants

Mi-avril 2018 - Vote agrave lrsquoAssembleacutee nationale pour lrsquointroduction dans la restauration collective publique drsquoun seuil drsquoau moins 50 de produits biologiques ou eacutecologiques en 2022 Mi-juin 2018 - Les seacutenateurs votent agrave leur tour pour les 20 de produits biologiques agrave la cantine quasiment agrave lrsquounanimiteacute Fin octobre 2018 - Un article dans la revue JAMA montre que les mangeurs de produits biologiques preacutesentent - 25 de risque de cancer Deacutebut 2019 - Deacutebut de la campagne sur la preacutesence de glyphosate dans les urines

3

4

5

6 7

8

1

2

De faccedilon globale il apparait que ce qui engage les citoyens actifs sur les reacuteseaux sociaux ce sont les sujets qui les touchent directement dans leur vie quotidienne Nous pouvons agrave partir des donneacutees analyseacutees faire les deux hypothegraveses suivantes

- une partie (minoritaire) des socionautes est engageacutee et partage toutes les informations touchant au bio ce qui geacutenegravere une activiteacute de base sur lrsquoagriculture biologique

- la majoriteacute des socionautes reacuteagit essentiellement lors drsquoactualiteacutes qui les touchent directement dans leur quotidien soit sur le plan eacuteconomique soit sur le plan de leur santeacute

Lecture les eacutechelles diffeacuterencieacutees correspondent au nombre de mentions meacutedias agrave gauche et au nombre drsquoengagements grand public agrave droite

32 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le sujet laquo bio raquo et les comportements drsquoachat est preacutesenteacutee dans le tableau 8 pour le cas des œufs biologiques en grande distribution (Casino) Les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques ont diminueacute jusqursquoagrave la fin 2017 pour augmenter tendanciellement ensuite La tendance nrsquoeacutetant pas lineacuteaire le modegravele est appliqueacute sur la part du nombre laquo drsquoactes bio raquo Les correacutelations positives sont tregraves nombreuses sur ce produit celles entre meacutedias traditionnels et opinions du grand public drsquoabord et parts drsquoactes en bio ensuite sont significatives jusqursquoagrave 14 semaines apregraves les diffusions meacutediatiques Les messages sur lrsquoalimentation biologique sont positivement correacuteleacutes avec les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques de la date drsquoeacutemission du message meacutediatique initial jusqursquoagrave 14 semaines apregraves

Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 70

Tableau 8 - Correacutelations entre les parts drsquoactes drsquoœufs bio (en t0) et les opinions sur le terme laquo bio raquo

Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude qui approfondit la question des correacutelations entre les opinions issues des meacutedias traditionnels et les consommations de plusieurs produits de lrsquoagriculture biologique (fruits et leacutegumes viande produits de la mer œufs beurre lait et yaourts)

En conclusion de cette eacutetude des rapports entre bruit numeacuterique et conduites alimentaires on peut dire que pour la viande analyseacutee en lien avec le veacuteganisme et le flexitarisme aucune correacutelation nrsquoest observeacutee entre les messages des meacutedias traditionnels et ceux du laquo grand public raquo Les opinions exprimeacutees par le grand public nrsquoeacutevoluent pas en fonction de celles exprimeacutees par les meacutedias alors que ces derniers maintiennent une activiteacute importante sur le sujet Seuls les sujets remettant en cause le veacuteganisme suscitent un engagement important Comme il apparaicirct que le grand public nrsquoadhegravere pas aux arguments des communauteacutes veacuteganes les consommateurs ont plutocirct tendance agrave consommer plus de viande quand les deacutebats meacutediatiques sur ce sujet augmentent Il srsquoagit bien drsquoune correacutelation aucun lien de causaliteacute nrsquoayant eacuteteacute deacutemontreacute ici

Deacutecalagedans letemps

Meacutediasmentions

Meacutediasengagement

Grandpublic

mentions

Grandpublic

engage-ment

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 33

Par ailleurs lrsquoanalyse sur le thegraveme de lrsquoalimentation biologique indique que celle-ci est globalement perccedilue de faccedilon positive De plus les sujets meacutediatiques et les discussions sur les reacuteseaux sociaux les plus susceptibles de geacuteneacuterer des activiteacutes importantes sont ceux touchant agrave la santeacute Toutefois le grand public ne relaye qursquoun tiers de ce qursquoeacutemettent les meacutedias Les impacts des messages meacutediatiques positifs tels que les discours sur le lien entre consommation de produits biologiques et baisse des risques de cancers sont significatifs (par correacutelation) sur les achats de produits tels que les œufs les produits laitiers et les fruits et leacutegumes bio Le marcheacute des produits biologiques semble donc soutenu partiellement par les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public Les opinions du grand public sur le bio sont correacuteleacutees positivement avec les ventes de produits biologiques mais avec des deacutecalages de quelques semaines Ce nrsquoest pas le cas pour les produits carneacutes

Pour aller plus loin avec des donneacutees sur une peacuteriode plus importante il faudrait calculer des effets de long terme par des modegraveles autoreacutegressifs et ainsi reacutepondre agrave la question drsquoun impact peacuterenne des prises de position et analyses veacutehiculeacutees par les meacutedias

4 Recommandations

Les reacutesultats obtenus au travers de nos trois protocoles drsquoeacutetude permettent de formuler deux types de recommandations Les premiegraveres portent sur des correctifs meacutethodologiques pour lrsquoobtention de donneacutees alimentaires visant agrave reacuteduire les eacutecarts entre comportements deacuteclareacutes et ceux ensuite reacuteellement constateacutes Les secondes sont de porteacutee plus geacuteneacuterale et concernent notamment lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires

41 Correctifs meacutethodologiques

Le comportement reacuteel drsquoingestion alimentaire est difficile agrave mesurer de faccedilon objective Il est encore plus difficile de le deacuteduire des deacuteclarations des mangeurs Il est bien eacutetabli que leurs opinions motivations et croyances ne preacutedisent pas leurs actions et en particulier les comportements alimentaires La formation la diffusion lrsquoadoption de normes et de croyances relegravevent de meacutecanismes tregraves diffeacuterents de ceux qui commandent les prises alimentaires quotidiennes Le deacutecalage opinioncomportement appelle donc agrave la prudence dans lrsquointerpreacutetation des enquecirctes drsquoopinions

Mecircme en utilisant un instrument drsquoenquecircte valideacute les individus interrogeacutes ont tendance agrave meacutesestimer leur consommation reacuteelle en quantiteacute comme en qualiteacute Diverses strateacutegies pour ameacuteliorer la fiabiliteacute des deacuteclarations ou le traitement des donneacutees obtenues sont ainsi preacuteconiseacutees dans la litteacuterature scientifique Retenons notamment que plusieurs experts et organismes dont le Center for Disease Control ameacutericain (Hu et Willett 2018) preacuteconisent lrsquoutilisation de biomarqueurs approprieacutes (indicateurs objectifs de la consommation) pour valider les donneacutees obtenues par enquecircte Des biomarqueurs existent pour divers aspects des apports nutritionnels eacutenergie totale (par la meacutethode de lrsquoeau doublement marqueacutee - EDM) mesure de calorimeacutetrie indirecte permettant de deacuteterminer la deacutepense eacutenergeacutetique totale dans les conditions habituelles de vie protides (excreacutetion urinaire de nitrogegravene) fruitsleacutegumes (concentration sanguine de caroteacutenoiumldes) Mais ce nrsquoest pas le cas pour des aliments particuliers ou pour la qualiteacute de lrsquoalimentation (Pfeiffer et al 2013 Prentice et al 2009) La mesure de tels biomarqueurs est coucircteuse elle demande la collaboration des participants et

34 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

peut ecirctre difficile agrave mettre en œuvre dans de larges populations La recherche continue pour des biomarqueurs plus simples agrave utiliser moins oneacutereux et peu invasifs Rappelons toutefois que le laquo biais drsquoobservation raquo et le laquo biais de recrutement raquo affectent aussi les comportements eacutetudieacutes avec ces meacutethodes objectives

Autre piste la comparaison de deacuteclarations et de donneacutees biomeacutetriques (mesure de la deacutepense eacutenergeacutetique par la meacutethode de lrsquoEDM) permet de quantifier lrsquoerreur associeacutee agrave lrsquoauto-deacuteclaration en termes drsquoapports eacutenergeacutetiques et eacuteventuellement de recalibrer les donneacutees au moyen drsquoun ajustement statistique (Data Science Campus 2018) Puisque lrsquoerreur de mesure varie en fonction de la population observeacutee toute correction des donneacutees doit consideacuterer les facteurs agrave lrsquoorigine de la distorsion dont le sexe lrsquoindice de masse corporelle (IMC) et les caracteacuteristiques psychiques Enfin comme les normes de consommation varient parfois rapidement la constitution drsquoun panel ou drsquoun eacutechantillon doit assurer une bonne repreacutesentativiteacute des opinions et des motivations des participants

Au-delagrave des laquo bonnes pratiques raquo drsquoenquecircte et des strateacutegies visant agrave ameacuteliorer le traitement et lrsquoanalyse des donneacutees plusieurs meacutethodes innovantes de mesure des comportements drsquoingestion existent Nous preacutesentons rapidement ci-dessous les plus significatives drsquoentre elles

- Un dispositif qui ressemble agrave une montre compte les mouvements du poignet pendant un eacutepisode de consommation alimentaire Cet instrument appeleacute Automated Wrist Motion Tracking ou encore Bite Counter peut ecirctre utiliseacute dans la vie de tous les jours et il montre de bonnes sensibiliteacute et reproductibiliteacute (Dong et al 2012) La contrainte pour le participant est minimale Les donneacutees produites doivent cependant ecirctre compleacuteteacutees par la deacuteclaration du type drsquoaliments consommeacutes Cet instrument donne des informations inteacuteressantes sur le nombre de consommations quotidiennes (y compris les snacks et les consommations nocturnes) Il nrsquoest pas exempt du laquo biais drsquoobservation raquo

- La meacutethode Intelligent Food-Intake Monitor utilise plusieurs capteurs (mouvements de mastication et de deacuteglutition images de lrsquoaliment consommeacute) porteacutes par le participant pour obtenir un aperccedilu des consommations quotidiennes (Liu et al 2012) Ces capteurs de lrsquoactiviteacute de mastication et de deacuteglutition sont fixeacutes sur le volontaire (cou macircchoire) et ils fonctionnent plusieurs jours sans intervention (Fontana et al 2015) Ces meacutethodes sont sujettes au laquo biais drsquoobservation raquo On peut imaginer que le participant finit par oublier la preacutesence des capteurs et le fait qursquoil est observeacute mais cela reste cependant agrave veacuterifier

- Les consommations peuvent ecirctre eacutevalueacutees agrave partir de photographies avantapregraves chaque eacutepisode alimentaire (Ptomey et al 2015) Celles-ci peuvent ecirctre faites avec un teacuteleacutephone portable Cette meacutethode a montreacute une bonne validiteacute dans des milieux ougrave le contenu des assiettes est bien connu (cafeacuteteacuteria etc) en particulier chez des personnes en surcharge pondeacuterale En dehors de ce milieu relativement controcircleacute la validiteacute de la meacutethode repose sur la bonne volonteacute du participant qui doit photographier toutes ses consommations Une approche dite Remote Photography Method utilise une application du teacuteleacutephone portable qui teacuteleacutecharge automatiquement des photographies avantapregraves dans une base de donneacutees puis en fait lrsquoanalyse (Martin et al 2012) Lrsquoapplication donne la possibiliteacute drsquoenvoyer aux participants des rappels par SMS leur recommandant de photographier les repas principaux et les collations eacuteventuelles hors repas Cette meacutethode surtout quand elle inclut des rappels cibleacutes ameacuteliore de beaucoup lrsquoeacutevaluation de la consommation totale en comparaison de lrsquoauto-deacuteclaration Elle deacutetecte rapidement les laquo oublis raquo et peut mecircme ecirctre utiliseacutee chez les enfants Elle reste toutefois sensible au laquo biais drsquoobservation raquo

- Lrsquousage de cameacuteras dans des restaurants ou des cafeacuteteacuterias peut reacuteveacuteler la consommation au moment du repas sans deacutependre de la deacuteclaration par le mangeur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 35

Certains eacutetablissements comme le restaurant expeacuterimental de lrsquoInstitut Paul Bocuse agrave Lyon sont eacutequipeacutes de plusieurs cameacuteras qui suivent un ou plusieurs convives pendant le repas

- Au-delagrave des releveacutes drsquoachats il est envisageable de consulter les releveacutes bancaires des participants ce qui permettrait de deacuteceler des oublis ou des incoheacuterences Cette approche soulegraveve toutefois une difficulteacute particuliegravere vis-agrave-vis de la protection des donneacutees personnelles (cf Regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees - RGPD)

42 Recommandations de porteacutee geacuteneacuterale

Cinq ensembles de recommandations geacuteneacuterales sont preacutesenteacutes dans le rapport drsquoeacutetude Ils visent agrave prendre en compte dans lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires les biais et deacutecalages entre reacuteel et deacuteclareacute

Avant de preacutesenter ces recommandations rappelons qursquoil est indispensable de bien comprendre la deacutemarche drsquoune enquecircte pour lrsquoutiliser de maniegravere optimale quelles populations sont eacutetudieacutees (qui ) avec quels champs privileacutegieacutes (quoi ) selon quels modes drsquointerrogation (comment ) et avec quels biais eacuteventuels deacutejagrave connus Chaque meacutethode est construite en fonction drsquoune probleacutematique preacutecise avec des moyens permettant de reacutepondre agrave des objectifs speacutecifiques utiliser une enquecircte agrave des fins autres que celles initialement preacutevues est alors source de mauvaises interpreacutetations Par exemple il nrsquoest pas judicieux drsquoanalyser des reacutegimes alimentaires agrave partir des enquecirctes laquo Budget de famille raquo

Les recommandations ci-dessous envisagent des pistes meacutethodologiques pour reacuteduire ces deacutecalages Lrsquoencadreacute 1 eacutevoque les deacuteclinaisons possibles de ces recommandations agrave la theacutematique de laquo lrsquoalimentation durable raquo Associeacutee agrave une diversiteacute de pratiques cette theacutematique est tregraves valoriseacutee socialement et donc sujette agrave des deacutecalages importants entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

La premiegravere famille de recommandations concerne des preacutecautions drsquousage par rapport aux sources de donneacutees quantitatives Elle est deacuteclineacutee selon les grands types identifieacutes en deacutebut de cet article (tableau 1)

- Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques Avant que les donneacutees de consommation ne soient couramment produites les eacuteconomistes utilisaient surtout les donneacutees de production drsquoexport et drsquoimport pour par diffeacuterence eacutetablir la consommation apparente Ces donneacutees de cadrage ne sont pas des donneacutees de consommation reacuteelle Elles sont baseacutees sur la reconstitution de la consommation agrave partir de sources diverses et doivent ecirctre utiliseacutees avec preacutecaution souvent pour cadrer des eacuteleacutements de contexte Elles aident agrave suivre des tendances (eacutevolutions relatives) sont utiles pour reacutealiser des analyses agrave un niveau macroeacuteconomique ou macrosociologique mais restent eacuteloigneacutees de la consommation reacuteelle (niveau microeacuteconomique ou microsociologique agrave lrsquoeacutechelle drsquoun groupe particulier ou drsquoun individu)

- Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat) Des donneacutees issues directement des circuits de distribution sont plus pertinentes car elles mesurent reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles sont toutes priveacutees Ces donneacutees ne couvrent que certains circuits de distribution notamment la grande distribution qui ne repreacutesente que 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les Comptes du commerce de lrsquoInsee de 2017) Ces deacutepenses ne couvrent pas les consommations en restauration hors foyer

36 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

- Donneacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat par sondage) Les donneacutees de mesures des comportements reacuteels reposent la plupart du temps sur le remplissage de carnets alimentaires par des enquecircteacutes qui font appel agrave leur meacutemoire et occasionnent des oublis Toutefois comme montreacute gracircce agrave lrsquoexpeacuterimentation avec les cameacuteras on peut estimer que ces oublis ne repreacutesentent pas plus de 10 des cas sauf pour les consommations drsquoeau (omises dans 17 des cas) certaines denreacutees sont eacutegalement speacutecifiquement concerneacutees (environ 10 drsquooublis pour les produits sucreacutes et pour les leacutegumes souvent sous forme de condiments) Il convient drsquoavoir en tecircte ces ordres de grandeur lors de lrsquoutilisation des reacutesultats de ce type drsquoenquecirctes

- Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias Le deacutecalage entre opinions activiteacutes meacutediatiques et comportements reacuteels peut ecirctre important Les sondages drsquoopinion nrsquoapportent aucun eacuteleacutement factuel et concret mais ce sont des meacutethodes relativement faciles agrave mobiliser qui documentent des eacutevolutions drsquoopinions ou drsquoattitudes Il nrsquoest donc pas possible de deacuteduire directement des informations sur les comportements agrave partir de ces reacutesultats Toutefois ces meacutethodes coupleacutees par exemple agrave des techniques drsquoapprofondissement qualitatifs peuvent apporter des eacuteclairages inteacuteressants sur certains facteurs influenccedilant les comportements alimentaires

La deuxiegraveme recommandation preacuteconise drsquoutiliser drsquoautres sources drsquoinformation agrave commencer par celles issues drsquoapproches qualitatives (observation entretiens etc) Pour comprendre comment les individus adoptent une pratique alimentaire lrsquoapproche quantitative nrsquoest pas suffisante (entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier) Par exemple dans lrsquoadoption de nouvelles conduites de consommation les moments de bifurcation dans les trajectoires biographiques sont importants arriveacutee drsquoun enfant retraite changement de travail de domicile divorce deuil etc (Barrey et al 2012) Les pratiques alimentaires ne sont pas isoleacutees de la vie sociale et sont fortement influenceacutees par des eacutevegravenements exteacuterieurs agrave lrsquoacte drsquoalimentation Il est donc important drsquoassocier au quantitatif les apports de meacutethodes qualitatives issues de diverses disciplines (sociologie anthropologie histoire eacuteconomie psychologie psychologie sociale etc)

La troisiegraveme recommandation est de rechercher la compleacutementariteacute entre les donneacutees sur les comportements alimentaires et celles sur lrsquooffre alimentaire En effet les deacutecalages entre comportements et attitudes srsquoexpliquent aussi par lrsquoinfluence de lrsquooffre Celle-ci peut ecirctre analyseacutee du point de vue de la qualiteacute des produits (Oqali Open food facts etc) des innovations de points de vente (ONCC LSA etc) des innovations produits (XTCscan TM Mintel) ou des assortiments (IRI Kantar Nielsen) Ces eacuteleacutements apportent des eacuteclairages tant sur les possibiliteacutes offertes aux consommateurs que sur les caracteacuteristiques de la zone de chalandise drsquoun magasin Les pratiques alimentaires se construisent et eacutevoluent avec les recommandations marchandes et publiques

La quatriegraveme recommandation invite agrave faire preuve de prudence quant agrave lrsquoutilisation des sources meacutediatiques Lrsquoanalyse de ces sources (Twitter Instagram presse etc) est complexe et elle ne reflegravete pas les comportements reacuteels des mangeurs Ces sources sont difficiles agrave appreacutehender et elles ne sont pas agrave privileacutegier pour comprendre lrsquoeacutevolution des comportements alimentaires Elles sont neacuteanmoins inteacuteressantes pour comprendre les attentes drsquoune partie de la socieacuteteacute qui ne produit qursquoune partie des opinions La faccedilon meacutediatique de traiter les consommations alimentaires (amplification de pratiques tregraves valoriseacutees etc) nrsquoest pas le strict reflet des opinions et pratiques alimentaires du grand public Nos eacutetudes de cas montrent que le bruit meacutediatique nrsquoinfluence qursquoune faible part des consommateurs Par ailleurs les valeurs et prescriptions veacutehiculeacutees par les meacutedias ne repreacutesentent qursquoun des nombreux facteurs drsquoinfluence des comportements alimentaires Il y a donc bien des deacutecalages entre opinions valeurs meacutediatiquement valoriseacutees et actes quotidiens des individus

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 37

La cinquiegraveme et derniegravere recommandation est drsquoexplorer les sources de donneacutees des nouveaux acteurs digitaux notamment les applications pour smartphones de plus en plus nombreuses et largement utiliseacutees Ces applications digitales concernent des cateacutegories socio-professionnelles ayant un niveau drsquoeacuteducation plus eacuteleveacute que la moyenne (Nielsen PanelViews deacutecembre 2016) mais elles sont des sources drsquoinformations inteacuteressantes pour le suivi des comportements alimentaires Il importe toutefois de souligner les questions de confidentialiteacute et de proprieacuteteacute lieacutees agrave ces donneacutees De plus cette utilisation produit des volumes de donneacutees tregraves importants (big) qui peuvent ecirctre exploiteacutees pour mesurer lrsquoeacutevolution des attentes de populations speacutecifiques tout en les croisant avec les achats en magasin si ces applications le permettent (ex MyLabel)

Les cinq familles de recommandations preacuteceacutedentes sont tout agrave fait pertinentes en matiegravere drsquoalimentation durable12 Cette derniegravere se reacutevegravele particuliegraverement inteacuteressante dans le cadre de notre eacutetude car i) elle est tregraves deacutesirable pour de nombreux consommateurs ii) socialement et collectivement encourageacutee iii) marqueacutee par des repreacutesentations des attentes et des pratiques varieacutees iv) au cœur drsquointerventions publiques soutenues v) sujette agrave reacuteflexions et choix chez les acteurs des filiegraveres alimentaires Autant de speacutecificiteacutes qui tendent agrave accroicirctre les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle De nombreux comportements en lien avec une alimentation durable pourraient ainsi ecirctre mesureacutes en mobilisant les diffeacuterentes sources de donneacutees eacutevoqueacutees au cours de cette eacutetude Crsquoest par exemple le cas des pratiques valorisant la reacuteduction des emballages des signes de qualiteacute ou encore la proximiteacute Des indicateurs tels que la part du vrac la part de produits sous labels la part des produits locaux sont ainsi mesurables agrave partir des donneacutees exhaustives de ventes (recommandation ndeg 3) Ces donneacutees pour les circuits de grande distribution sont les plus pertinentes pour estimer les niveaux drsquoalimentation durable consommeacutee en effet les informations standardiseacutees des codes-barres (gencod) permettent de deacutefinir preacuteciseacutement quels types de produits sont acheteacutes Plus speacutecifiquement pour reacuteduire les deacutecalages entre le deacuteclaratif et le reacuteel en matiegravere de consommations de produits biologiques nous recommandons

- drsquoutiliser en prioriteacute les enquecirctes de mesure (drsquoabord des donneacutees exhaustives drsquoachat ensuite des donneacutees drsquoingestion ou drsquoachat par sondage) pour eacutetablir les volumes de bio acheteacutes

- drsquoapprofondir cette mesure par la compreacutehension du pheacutenomegravene gracircce agrave une approche qualitative

- de comptabiliser le nombre de reacutefeacuterences estampilleacutees AB dans lrsquoensemble des circuits de commercialisation (donneacutees de panel) pour eacutetudier lrsquooffre

- de ne pas privileacutegier les sources meacutedias geacuteneacuteralement peu utiles pour mesurer ou comprendre des comportements reacuteels

- drsquoeacutetudier les donneacutees reacuteelles drsquoachat de consommateurs speacutecifiques tels que ceux inscrits sur une application comme MyLabel qui aide agrave manger selon ses attentes et ses convictions La possibiliteacute pour les utilisateurs drsquoajouter les produits agrave leurs paniers drsquoachat geacutenegravere des donneacutees croisant les attentes et les acquisitions de chaque individu Elle permettrait drsquoapprofondir la connaissance des deacutecalages entre comportements reacuteels et attentes

Encadreacute 1 - Le cas embleacutematique de lrsquoalimentation durable

12 LrsquoOrganisation pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture (FAO) deacutefinit lrsquoalimentation durable comme laquo une alimentation qui protegravege la biodiversiteacute et les eacutecosystegravemes culturellement acceptable accessible eacuteconomiquement loyale et reacutealiste nutritionnellement adeacutequate et deacutepourvues de risques et saines et capable drsquooptimiser lrsquousage des ressources naturelles et humaines raquo (2010) Pour lrsquoADEME en 2018 il srsquoagit de laquo lrsquoensemble des pratiques alimentaires qui visent agrave nourrir les femmes et les hommes en qualiteacute et en quantiteacute aujourdrsquohui et demain dans le respect de lrsquoenvironnement raquo

38 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Il y aura toujours des eacutecarts entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes enregistreacutes par des enquecirctes ou des sondages et les comportements alimentaires reacuteels Des preacutecautions de meacutethode et le croisement des sources sont donc indispensables Lrsquoinexactitude des auto-deacuteclarations portant sur les consommations reacuteelles peut deacutecouler des protocoles de recueil drsquoinformations des outils de mesure ou encore de caracteacuteristiques des enquecircteacutes Une autre source drsquoerreur vient du rapprochement entre des donneacutees disparates et par exemple de conclusions abusives sur les comportements reacuteels tireacutees drsquoopinions ponctuelles Les sondages sur lrsquoalimentation souhaitable ou souhaiteacutee peuvent nrsquoavoir qursquoune faible valeur preacutedictive des ingestions et achats faits en situations reacuteelles

Plusieurs compleacutements pourraient ecirctre apporteacutes agrave ce travail Comme le montre la premiegravere eacutetude de cas pour les prochaines enquecirctes alimentaires il serait judicieux de renforcer les consignes et les rappels concernant le bon remplissage des carnets alimentaires agrave chaque nouvelle journeacutee afin de reacuteduire le risque de sous-deacuteclaration Qursquoil srsquoagisse des donneacutees CCAF ou INCA aucun ajustement nrsquoest en effet pour lrsquoinstant effectueacute pour laquo recaler raquo les donneacutees

Sur la base des reacutesultats de la deuxiegraveme eacutetude de cas lrsquoidentification des cateacutegories drsquoaliments les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait servir agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles suppleacutementaires afin de reacuteduire le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

Enfin la troisiegraveme eacutetude de cas indique qursquoil serait inteacuteressant drsquoanalyser sur un temps plus long les correacutelations entre opinions exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et donneacutees drsquoachats Le calcul drsquoeffets de longue peacuteriode avec des modegraveles autoreacutegressifs reacutepondrait agrave la question de degreacute de peacuterenniteacute des opinions diffuseacutees par les meacutedias en ligne et les reacuteseaux sociaux Il semble que les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public nrsquoinfluencent que peu les comportements alimentaires concrets

Lrsquoaction publique en matiegravere drsquoalimentation fait face agrave divers deacutefis dont celui de la connaissance de la compreacutehension des comportements des mangeurs La diversification des pratiques individuelles le deacuteveloppement de nouvelles attentes la multiplication des sources drsquoinformations sont autant drsquoeacutevolutions qui complexifient cette tacircche de suivi et drsquoanalyse de la reacutealiteacute Dans ce contexte les commanditaires de cette eacutetude souhaitaient approfondir la question des eacutecarts entre les conduites alimentaires deacuteclareacutees et les conduites effectives En proposant une synthegravese de la litteacuterature existante et en approfondissant des cas particuliers lrsquoeacutetude apporte des eacuteleacutements nouveaux sur les processus de construction et drsquoutilisation des donneacutees et sur les principales sources de deacutecalages agrave lrsquoœuvre Elle propose des pistes drsquoameacutelioration des proceacutedures de collecte et drsquointerpreacutetation des informations et montre les opportuniteacutes offertes par le croisement des meacutethodes quantitatives et qualitatives mais aussi par les outils numeacuteriques Enfin et surtout elle ouvre des perspectives pour une action publique plus cibleacutee car mieux adapteacutee agrave la reacutealiteacute des pratiques quotidiennes des consommateurs

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 39

Reacutefeacuterences bibliographiques

Agence BIO 2019 Baromegravetre de consommation et de perception des produits biologiques en France httpswwwagencebioorgwp-contentuploads201902Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019pdf

Archer E Marlow M L Lavie C J 2018 ldquoControversy and Debate Memory based methods Paper 1 The fatal flaws of food frequency questionnaires and other memory-based dietary assessment methodsrdquo J Clinical Epidemiology doi101016jjclinepi201808003

Archer E Pavela G Lavie CJ 2015 ldquoThe inadmissibility of what we eat in America and NHANES dietary data in nutrition and obesity research and the scientific formulation of national dietary guidelinesrdquo Mayo Clinic Proc doi 101016jmayocp201504009

Barrey S Dubuisson-Quellier S Gojard S Plessz M 2012 Les effets des prescriptions sur les pratiques de consommation alimentaires rocircle des positions dans la trajectoire de vie et des ressources sociales Gouverner les conduites eacuteconomiques 37 p (hal-01191182)

Bernard H R Killworth P Kronenfeld D Sailer L 1984 ldquoThe problem of informant accuracy the validity of retrospective datardquo Annual Review of Anthropology 13 495-517

Bernstein D M Loftus E F 2009 ldquoThe consequences of false memories for food preferences and choicesrdquo Perspect Psychol Sci 4 135-139

Bessiegravere C et al 1997 laquo Lrsquoenquecircte par questionnaire raquo Genegraveses 99-122

Block G 1982 ldquoA review of validations of dietary assessment methodsrdquo American Journal of Epidemiology 115(4)492-505 DOI 101093oxfordjournalsajea113331

Braconnier C 2010 Une autre sociologie du vote Les eacutelecteurs dans leurs contextes LGDJ collection LEJEP

Carrigan M Attalla A 2001 ldquoThe myth of the ethical consumer Do ethics matter in purchase behaviourrdquo Journal of Consumer Marketing 18560-578

Caruana R Carrington M J Chatzidakis A ldquolsquolsquoBeyond the Attitude-Behaviour Gap Novel Perspectives in Consumer Ethicsrsquorsquo Introduction to the Thematic Symposiumrdquo Journal of Business Ethics 136(2) DOI 101007s10551-014-2444-9

Data Science campus ldquoEvaluating Calorie Intakerdquo consulteacute en ligne le 13 janvier 2019 httpsdatasciencecampusonsgovukeclipse

Deese J 1959 ldquoOn the prediction of occurrence of particular verbal intrusions in immediate recallrdquo J Exp Psychol 58 17-22

Devinney T M Auger P Eckhardt G M 2010 The myth of the ethical consumer Cambridge University Press

Dong Y Hoover A Scisco J Muth E 2012 ldquoA new method for measuring meal intake in humans via automated wrist motion trackingrdquo Ammp Psychophysiol Biofeedback 37 205-215

40 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Donnat O 2009 Les pratiques culturelles des Franccedilais agrave lrsquoegravere numeacuterique Enquecircte 2008 La Deacutecouverteministegravere de la Culture et de la Communication

Dubuisson C Dufour A Carrillo S Drouillet-Pinard P Havard S Volatier J L 2018 ldquoThe Third French Individual and National Food Consumption (INCA3) Survey 2014-2015 method design and participation rate in the framework of a European harmonization processrdquo Pub Health Nutr doi 101017S1368980018002896

Dhurandhar N Schoeller D Brown A et al 2015 ldquoEnergy balance measurement when something is not better than nothingrdquo Int J Obes 39 1109-1113 doi101038ijo2014199

Fontana J M Higgins J A Schuckers S C Bellisle F Pan Z Melanson E L Neuman M R Sazonov E 2015 ldquoEnergy intake estimation from counts of chews and swallowsrdquo Appetite 85 14-21

Fournier M 2013 laquo La monteacutee des valeurs feacuteminines raquo Les grands dossiers des Sciences Humaines vol 33 Ndeg12

Freedman L S Moler C J Arab L Baer D Kipnis V et al 2014 ldquoPooled results from 5 validation studies of dietary self-report instruments using recovery biomarkers for energy and protein intakerdquo Am I Epidemiol 180 172-188

Gallo D A 2010 ldquoFalse memories and fantastic beliefs 15 years of the DRM illusionrdquo Mem Cognit DOI 38833-848

Heacuteran F 1984 laquo Lrsquoassise statistique de la sociologie raquo Eacuteconomie et statistique 1681 23-35

Hu F B Wilett W C 2018 ldquoCurrent and future landscape of nutritional epidemiologic researchrdquo Journal of the American Medical Association doi101001jama201816166

IFOP 2017 Les produits laitiers et la consommation de viande bio en France httpwwwproduitslaitiersetviandebiocomfilePrez_Interbev-Conf_presse_20avril17webokpdf

IPSOS Global Trends 2014 laquo Consommer local raquo ce que veulent les Franccedilais httpswwwipsoscomfr-frconsommer-local-ce-que-veulent-les-francais

Kronenfeld D B Kronenfeld J Kronenfeld J E 1972 ldquoToward a science of design for successful food servicerdquo Ins Vol Feed Manage 70 38-44

Lahlou S 1998 The subjective camera (laquo SubCam raquo) A new technique for studying representations in context Four th International Conference on social representations Mexico 81998

Lahlou S 2006 laquo Lrsquoactiviteacute du point de vue de lrsquoacteur et la question de lrsquointersubjectiviteacute   huit anneacutees drsquoexpeacuteriences avec des cameacuteras miniaturiseacutees fixeacutees au front des acteurs (subcams) raquo Communications (80) 209-234 ISSN 0588-8018

Liu J Johns E Atallah L Pettitt C Lo B Frost G Yang G Z 2012 ldquoAn intelligent food-intake monitoring system using wearable sensorsrdquo in Ninth International Conference on Wearable and Implantable Body Sensor Networks IEEE pp154-160

Lombardot E Mugel O 2015 laquo Proposition drsquoun modegravele explicatif de lrsquoeacutecart entre intention et comportement de consommer responsable inteacutegrant les facteurs situationnels une eacutetude appliqueacutee agrave lrsquoalimentation raquo 10e Journeacutee Marketing AgroAlimentaire Montpellier

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 41

Lucas R M Harris R M R 2018 ldquoOn the nature of evidence and lsquoprovingrsquo causality Smoking and lung cancer vs sun exposure vitamin D and multiple sclerosisrdquo Int J Envir Res Publ Health 151726 doi103390ijerph15081726

Lusk J L Brooks K 2011 ldquoWho participates in household scanning panelsrdquo Am J Agric Econ 93226-240

Macdiarmid J I Blundell J E 1997 ldquoDietary under-reporting what people say about recording their food intakerdquo Eur J Clin Nutr 51 199-200

Masson L F McNeill G Tomany J O Simpson J A Peace H S Wei L et al 2003 ldquoStatistical approaches for assessing the relative validity of a food-frequency questionnaire use of correlation coefficients and the kappa statisticrdquo Public health nutrition 16(03)313-21

Mela DJ Aaron JI 1997 ldquoHonest but invalid what subjects say about recording their food intakerdquo J Acad Nutr Diet 97 791-793

OpinionWaySenseva 2016 Le Profil des acheteurs et les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation bio en 2016 httpwwwthemavisionfruploaddocsapplicationpdf2016-05etude_organics_cluster_et_cosmebiopdf

Peacutequignot B 2011 laquo Speacutecificiteacute du terrain en sociologie des arts et de la culture raquo SociologieS httpjournalsopeneditionorg Sociologies3487

Pfeiffer C M Sternberg M R Schleicher R L Haynes B M Rybak M E Prikle J L 2013 ldquoThe CDCrsquos Second National Report on Biochemical Indicators of Diet and Nutrition in the US Population is a valuable tool for researchers and policy makersrdquo J Nutr 143 938S-947S

Prentice R L Huang Y Tinker L F Beresford S A Lampe J W Neuhouser M L 2009 ldquoStatistical aspects of the use of biomarkers in nutritional epidemiology researchrdquo Stat Biosci 1 112-123

Ptomey L T Willis E A Honas J J Mayo M S Washburn R A Herrmann S D Sullivan D K Donelly J E 2015 ldquoValidity of energy intake estimated by digital photography plus recall in overweight and obese young adultsrdquo J Acad Nutr Diet 115 1392-1399

Roediger H L McDermott K B 1995 ldquoCreating false memories remembering words not presented in listsrdquo J Exp Psychol Lear Mem Cogn 21 803-814

Scagliusi F B Polacow V O Artioli G G Benatti F B Lancha A H 2003 ldquoSelective underreporting of energy intake in women magnitude determinants and effect of trainingrdquo J Am Diet Assoc 1031306-1313

Schwarz N 1999 ldquoSelf-reports How the questions shape the answersrdquo American Psychologist 54(2) 93ndash105 httpsdoiorg1010370003-066X54293

Simon H 1957 Models of Man Social and Rational Mathematical Essays on Rational Behavior in a Social Setting New York Wiley

Stubbs R J OrsquoReilly L M Whybrow S Fuller Z Johnstone A M Livingstone M B E Ritz P Horgan G W 2014 ldquoMeasuring the difference between actual and reported food intakes in the context of energy balance under laboratory conditionsrdquo BJN 111 2032-2043

42 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Terlau W Hirsch D 2015 ldquoSustainable consumption and the attitude-behaviour-gap phenomenon Causes and measurements towards a sustainable developmentrdquo Journal on Food System Dynamics 6 doi doiorg1018461ijfsdv6i3634

Thorslund C A H Lassen J 2016 ldquoContext orders of worth and the justification of meat consumption practicesrdquo Sociologia Ruralis

Vermeir I Verbeke W 2006 ldquoSustainable food consumption exploring consumer ldquoattitude-behavioral intentionrdquo gaprdquo Journal of Agricultural and Environmental Ethics 19169-194

Wansink B Sobal J 2007 ldquoMindless eating The 200 daily food decisions we overlookrdquo Environment and Behavior 39106-123

Zuinen N 2002 Essai sur le rocircle des femmes et des valeurs feacuteminines Reflets et perspectives de la vie eacuteconomique tome XLI Ndeg 1 pp 109-114

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 43

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Reacutesumeacute

Depuis le milieu des anneacutees 1990 la sous-traitance agricole se deacuteveloppe de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations y ayant recours a eacuteteacute multiplieacute par deux Reacutepondant agrave la difficile transmission familiale des exploitations ou aux strateacutegies de croissance des plus grandes drsquoentre elles lrsquoessor de la prestation de services est lrsquoune des tendances marquantes de lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture franccedilaise Ce marcheacute estimeacute agrave environ 4 milliards drsquoeuros se caracteacuterise par une forte transformation de la demande et par la creacuteation de nombreuses entreprises de travaux deacutedieacutees Si la plupart drsquoentre elles proposent de reacutealiser des tacircches preacutecises drsquoautres ont deacuteveloppeacute une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale de lrsquoexploitation agrave la fois technique administrative et financiegravere La sous-traitance agricole et notamment la deacuteleacutegation inteacutegrale des activiteacutes restent pourtant peu documenteacutees Diverses questions demeurent auxquelles cet article contribue agrave reacutepondre en rassemblant les reacutesultats saillants de recherches conduites depuis 2012 Il fait suite aux eacutevaluations quantitatives de la progression du pheacutenomegravene reacutealiseacutees par le groupe de travail ActifrsquoAgri2 animeacute par le Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La premiegravere partie explicite la meacutethode utiliseacutee et les trois suivantes preacutesentent un eacutetat des lieux du marcheacute puis un recensement de lrsquoeacutevolution des pratiques et enfin une analyse des formes innovantes drsquoorganisation de la prestation de services La conclusion traite des questions souleveacutees par le deacuteveloppement rapide du pheacutenomegravene et des implications en matiegravere de politiques publiques

Mots cleacutes

Sous-traitance deacuteleacutegation inteacutegrale pratiques organisations tertiarisation agriculture

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Universiteacute feacutedeacuterale de Toulouse Institut national polytechnique Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique UMR INP-INRAE Agir Avenue de lrsquoagrobiopole BP 32607 Auzeville-Tolosane 31326 Castanet-Tolosan Cedex 2 Voir en particulier le chapitre 3 de lrsquoouvrage final tireacute de cette reacuteflexion collective Bignebat C Delame N Hugonnet  M Legagneux B Nguyen G Piet L laquo Trois tendances structurantes concentration sous-traitance et diversification des exploitations raquo dans Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective Ministegravere de lrsquoagriculture et de lrsquoalimentation Paris La Documentation franccedilaise Ouvrage teacuteleacutechargeable dans sa version inteacutegrale et par chapitre sur httpsagriculturegouvfractifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux1

44 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

La sous-traitance est un pheacutenomegravene connu surtout dans le secteur de lrsquoindustrie ougrave elle se deacuteveloppe agrave un rythme soutenu plus particuliegraverement depuis les anneacutees 1970 (Bakis 1975 Queacutelennec 1987 Perraudin et al 2013 Souquet 2016) Crsquoest un moyen essentiel pour les entreprises de reacuteorganiser leurs chaicircnes de valeur et drsquoaccroicirctre leurs avantages concurrentiels (Williamson 2008 Milberg et Winkler 2013) Dans ce secteur cette pratique fait mecircme lrsquoobjet drsquoune deacutefinition normaliseacutee elle deacutesigne laquo toutes les opeacuterations concourant pour un cycle de production deacutetermineacute agrave lrsquoune ou plusieurs des opeacuterations de conception drsquoeacutelaboration de fabrication de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause dont une entreprise dite donneur drsquoordres confie la reacutealisation agrave une entreprise dite sous-traitant ou preneur drsquoordres tenue de se conformer exactement aux directives ou speacutecifications techniques arrecircteacutees en dernier ressort par le donneur drsquoordres raquo (AFNOR 1987)

Bien que la sous-traitance ait longtemps eacuteteacute associeacutee agrave la grande entreprise inteacutegreacutee souhaitant utiliser des capaciteacutes productives exteacuterieures peu speacutecifiques et bon marcheacute et se deacutesengager de certains meacutetiers certaines formes de sous-traitance industrielle peuvent ecirctre aujourdrsquohui qualifieacutees laquo de speacutecialiteacute raquo ou laquo drsquointelligence raquo et incarneraient de nouvelles formes de relations inter-entreprises (Billaudot Julien 2003 Mariotti 2005) Ce basculement drsquoune laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo agrave une laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo opeacutereacute dans les anneacutees 1980 dans un contexte de concurrence exacerbeacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale est souvent preacutesenteacute comme devant deacuteboucher sur un partenariat inter-entreprises plus eacutequilibreacute Cependant ces mutations sont largement discuteacutees par lrsquoeacuteconomie des organisations la gestion et la sociologie eacuteconomique qui ne manquent pas de souligner une coexistence entre des formes anciennes et nouvelles de sous-traitance mais eacutegalement la persistance de rapports de force et de domination en deacutefaveur du sous-traitant (Surubaru 2014 Seiller 2014 Holcomb et Hitt 2007 Arnold 2000)

En agriculture agrave cocircteacute de lrsquoentraide la sous-traitance de certaines opeacuterations techniques par lrsquoagriculteur agrave un tiers3 comme la reacutecolte et lrsquoenrubannage est aussi une pratique ancienne Toutefois son recours est resteacute longtemps lrsquoapanage de petites ou moyennes exploitations ne posseacutedant pas le mateacuteriel ou la main-drsquoœuvre neacutecessaires Les travaux sous-traiteacutes relegravevent alors traditionnellement drsquoarrangements plus ou moins informels avec des exploitations proches cherchant agrave amortir leur mateacuteriel avec des coopeacuteratives drsquoutilisation de mateacuteriels agricoles (CUMA) ou encore avec des entreprises de travaux agricoles (ETA) Parce qursquoils sont tous les deux agriculteurs ou revendiquent le statut drsquoagriculteur quels que soient celui qui deacutelegravegue et celui qui reacutealise les travaux nous sommes ici devant des figures du laquo donneur drsquoordres raquo et du laquo sous-traitant raquo diffeacuterentes de celles de lrsquoindustrie

Nous ne traiterons ici que de la prestation de services par les ETA dans la mesure ougrave crsquoest cette forme qui domine le marcheacute ces ETA repreacutesentaient en 2016 selon les donneacutees de lrsquoenquecircte sur la structure des exploitations agricoles (ESEA 2016) 90 du volume de travail de sous-traitance agricole Nous nrsquoeacutetudierons pas non plus ici le recours agrave certaines formes de salariat temporaire aupregraves de groupements drsquoemployeurs ou drsquoagences drsquointeacuterim qui peuvent srsquoapparenter agrave de la sous-traitance partielle

3 Ce pheacutenomegravene de sous-traitance qui se limite agrave lrsquoamont productif est agrave diffeacuterencier de la sous-traitance de tacircches par une entreprise agroalimentaire de lrsquoaval agrave un agriculteur communeacutement associeacutee agrave des processus drsquointeacutegration verticale et au modegravele drsquoagriculture contractuelle Cette derniegravere forme de sous-traitance nrsquoest pas lrsquoobjet de cet article

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 45

Par laquo travaux agricoles raquo le code rural (article L722-2) deacutefinit tous les laquo travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou veacutegeacutetale les travaux drsquoameacutelioration fonciegravere agricole ainsi que les travaux accessoires neacutecessaires agrave lrsquoexeacutecution des travaux preacuteceacutedents4raquo Au-delagrave des stricts travaux agricoles la sous-traitance peut aller jusqursquoagrave inclure une tacircche administrative comme la comptabiliteacute reacutealiseacutee par des centres de gestion

La sous-traitance en agriculture donne lieu communeacutement agrave la reacutealisation et agrave lrsquoexeacutecution drsquoune ou de plusieurs opeacuterations culturales (reacutecolte travail du sol semis etc) voire plus rarement de plusieurs opeacuterations drsquoeacutelevage (retrait des animaux prophylaxie) Il faut la distinguer de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux communeacutement appeleacutee le laquo A agrave Z raquo que nous deacutefinissons comme le processus qui conduit agrave deacuteleacuteguer agrave un tiers la conduite et la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Nous nous inteacuteresserons ici agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus ou peu drsquoactiviteacute agricole et qursquoil confie la quasi-totaliteacute de la conduite des travaux mais aussi la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsque lrsquoexploitant confie lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques ou moins inteacuteressantes agrave un ou plusieurs sous-traitants afin de se recentrer sur ce qursquoil considegravere ecirctre son cœur de meacutetier5 Agrave la diffeacuterence du simple sous-traitant le deacuteleacutegataire est ici plus autonome vis-agrave-vis de son client qui nrsquoest alors pas agrave consideacuterer comme un laquo donneur drsquoordres raquo Lrsquoimplication de ce dernier varie selon les cas certains participent encore agrave lrsquoeacutelaboration du cahier des charges des opeacuterations tandis que drsquoautres confient au sous-traitant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des deacutecisions techniques voire des deacutecisions commerciales (achat des intrants et vente des reacutecoltes) Dans ces scheacutemas de deacuteleacutegation inteacutegrale il y a dissociation partielle agrave totale des droits de proprieacuteteacute et des droits de gestion Une telle deacuteleacutegation constitue une forme particuliegraverement aboutie de sous-traitance

Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de la sous-traitance en agriculture nrsquoa deacutebuteacute que vers le milieu des anneacutees 1990 (Heacutebrard 2001 Chevalier 2007) Elle nrsquoa cesseacute depuis de se deacutevelopper de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance6 a ainsi eacuteteacute multiplieacute par deux (Forget et al 2019) Parallegravelement nous observons de nombreuses creacuteations de socieacuteteacutes de travaux et de prestation de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchent agrave amortir et de compeacutetences qursquoils cherchent agrave laquo moneacutetiser raquo (expertise agronomique maicirctrise des nouvelles technologies embarqueacutees capaciteacute de collecte et de commercialisation) Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale consideacutereacute comme ineacutedit par Harff et  Lamarche (1998) srsquoest amplifieacute dans les campagnes franccedilaises (Anzalone et Purseigle 2014 Purseigle et al 2017) Ont ainsi eacuteteacute observeacutees des logiques de speacutecialisation chez des polyculteurs-eacuteleveurs qui confient la gestion et la conduite de leurs productions veacutegeacutetales agrave une entreprise deacuteleacutegataire pour mieux se recentrer sur les activiteacutes drsquoeacutelevage ou encore des exploitants aux allures de laquo proprieacutetairerentier raquo agrave la tecircte drsquolaquo exploitations en trompe-lrsquoœil raquo mus par une logique de laquo rente familiale raquo (Anzalone et Purseigle 2014 p336) Par-delagrave la dimension organisationnelle cette forme aboutie de deacuteleacutegation constituerait non seulement laquo une profonde rupture dans la conception du meacutetier drsquoagriculteur et dans la formation de lrsquoidentiteacute professionnelle raquo (Harff et Lamarche 1998 p10) mais aussi une nouvelle eacutetape dans la laquo gestionnarisation raquo des activiteacutes de deacuteleacutegation productive Relevant

4 Il inclut eacutegalement tous laquo les travaux de creacuteation restauration et entretien des parcs et jardins raquo mais il nrsquoen sera pas question dans cet article5 Un exemple communeacutement rencontreacute de deacuteleacutegation par laquo recentrage raquo est celui de lrsquoeacuteleveur qui deacutelegravegue agrave un tiers lrsquointeacutegraliteacute des travaux de culture pour se consacrer agrave lrsquoeacutelevage6 La cateacutegorie laquo exploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance raquo est deacutefinie par rapport au poids du travail apporteacute par les entreprises de travaux agricole relativement au travail permanent

46 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

parfois de nouveaux dispositifs de laquo co-pilotage raquo des exploitations agricoles porteacutes par des entreprises franccedilaises ou eacutetrangegraveres la deacuteleacutegation inteacutegrale illustrerait une laquo tertiarisation raquo des activiteacutes productives agricoles

Mais alors qursquoelles connaissent un tournant majeur la sous-traitance et la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux agricoles par des agriculteurs restent tregraves peu documenteacutees et eacutetudieacutees Un recensement de la litteacuterature scientifique sur la sous-traitance en agriculture sur les vingt derniegraveres anneacutees met en eacutevidence de nombreux travaux de recherche portant sur la sous-traitance associeacutee agrave un processus drsquointeacutegration verticale aval-amont mais agrave peine une vingtaine de reacutefeacuterences dans le monde traitent de la sous-traitance entre acteurs de la production agricole dont seulement une dizaine concernant lrsquoEurope (Harff et Lamarche 1998 Vernimmen et al 2000 Heacutebrard 2001 Picazo-Tadeo et Reig-Martiacutenez 2006 Chevalier 2007 Igata et al 2008 Anzalone et Purseigle 2014) Ainsi de nombreuses questions demeurent quelles sont les caracteacuteristiques des nouvelles pratiques de sous-traitance pouvant aller jusqursquoagrave de la complegravete deacuteleacutegation Quels sont les deacuteterminants de leur eacutemergence et de leur deacuteveloppement Quels sont les acteurs et organisations qui les portent Comment ces nouvelles pratiques coexistent-elles avec des formes plus traditionnelles de sous-traitance En quoi constituent-elles des instruments au service de relations partenariales entre des exploitations agricoles aux tailles et aux logiques eacuteconomiques diffeacuterentes Quel est leur impact sur lrsquoorganisation de lrsquoactiviteacute de production agricole sur un territoire et au-delagrave sur le meacutetier drsquoagriculteur

Cet article7 rassemble des reacutesultats saillants de travaux de recherche conduits depuis 2012 sur lrsquoeacutemergence de nouvelles pratiques et organisations de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation Il comporte quatre parties Parce que lrsquoeacutetude de la sous-traitance et en particulier celle de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles constituent un veacuteritable deacutefi meacutethodologique il nous semble important dans une premiegravere partie drsquoexpliciter notre deacutemarche sur ce plan Les trois autres parties deacutevelopperont les reacutesultats Ainsi afin de caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur nous preacutesenterons dans la deuxiegraveme partie un bref eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance puis dans la troisiegraveme partie un recensement des pratiques de sous-traitance en distinguant les plus novatrices et notamment celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Nous tracerons ensuite dans la quatriegraveme et derniegravere partie les contours de formes innovantes drsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation et commenterons leur genegravese en deacuteveloppant lrsquoideacutee que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens davantage qursquoils ne les supplantent afin de reacutepondre agrave des demandes nouvelles eacutemanant drsquoentreprises agricoles situeacutees aux franges du modegravele de lrsquoexploitation familiale Nous distinguerons notamment deux grandes trajectoires drsquoeacutevolution de lrsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation lrsquoune partant de relations traditionnelles et greffant sur ces derniegraveres des modaliteacutes nouvelles lrsquoautre plus innovante fondeacutee sur la construction drsquoune cateacutegorie sociale nouvelle celle du land manager gestionnaire de patrimoines agricoles et nouveau maicirctre drsquoœuvre de la production agricole agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Enfin nous conclurons sur les questions souleveacutees par le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale

7 Cet article prolonge les analyses relatives agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale preacutesenteacutees dans Forget et al (2019)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 47

1 Deacutemarche meacutethodologique pour lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole

Le principal deacutefi poseacute par lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole8 et notamment de ses nouvelles pratiques est le repeacuterage qualitatif et quantitatif de ce pheacutenomegravene dans la mesure ougrave il existe peu de donneacutees permettant de lrsquoeacutetudier Pour contourner ce problegraveme lrsquoeacutetude a mobiliseacute une meacutethodologie mixte (Tashakkori et Teddlie 1998) et a comporteacute quatre grands volets avec pour principe une articulation eacutetroite entre analyses qualitatives et cadrages statistiques

Le premier volet consistait en la reacutealisation drsquoenquecirctes approfondies aupregraves de personnes ressources du secteur agricole (membres de la Socieacuteteacute des agriculteurs de France - SAF repreacutesentants syndicaux repreacutesentants de la Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) et de la Feacutedeacuteration nationale des CUMA (FNCUMA) dirigeants de coopeacuteratives etc) pour preacuteciser les contours du marcheacute de la sous-traitance et en preacutesenter les caracteacuteristiques

Les reacutesultats de ces enquecirctes ont eacuteteacute exploiteacutes dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude pour construire des indicateurs clefs et tenter de quantifier9 le pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France en mobilisant des donneacutees statistiques secondaires issues de diverses sources (recensements agricoles (RA) de 2000 et 2010 enquecircte sur les structures drsquoexploitation de 2016 Mutualiteacute sociale agricole FNEDT et registre Infogreffe du commerce et des socieacuteteacutes)

La quantification du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux culturaux agrave lrsquoeacutechelle nationale et de son eacutevolution constituait un enjeu meacutethodologique majeur les donneacutees de la statistique agricole ne permettant pas avant 2016 drsquoidentifier directement les exploitations qui y avaient recours En 2010 cet aspect nrsquoa eacuteteacute abordeacute dans le RA qursquoen reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Pour estimer le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale en grandes cultures en France en 2010 la meacutethode choisie dans le cadre du projet ANR Agrifirme a consisteacute dans un premier temps agrave caracteacuteriser les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant deacuteclareacute agrave cette date avoir entiegraverement deacuteleacutegueacute la conduite de leurs cultures Lrsquoanalyse srsquoest focaliseacutee sur les exploitations speacutecialiseacutees dans la production de ceacutereacuteales et drsquooleacuteo-proteacuteagineux dont la production brute standard (PBS) est supeacuterieure agrave 5 000 euro (ces exploitations sont les plus susceptibles de recourir agrave cette forme de deacuteleacutegation) Pour lrsquoextrapolation agrave lrsquoeacutechelle nationale lrsquoanalyse statistique a conduit agrave identifier plusieurs variables disponibles nationalement permettant drsquoisoler les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant inteacutegralement deacuteleacutegueacute leurs cultures Les variables retenues eacutetaient le nombre de jours de travail drsquoETA par hectare de ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux cultiveacute le pourcentage des uniteacutes de travail agricole (UTA) apporteacutees par une ETA et le recours agrave une ETA pour les travaux phytosanitaires Pour chacune de ces trois variables des seuils au-delagrave desquels

8 Les eacuteleacutements deacuteveloppeacutes dans le preacutesent article srsquoancrent dans des travaux de recherche qui ont deacutebuteacute avec le projet ANR 1808 01 intituleacute Agrifirme (2011-2014) Lrsquoobjectif principal de ce projet eacutetait drsquoidentifier de caracteacuteriser et de quantifier de nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomique et sociale de la production agricole Ils se sont poursuivis avec lrsquoappui du programme investissements drsquoAvenir ANR-10-EQPX-17 du programme de recherche PSDR IV-ReproInnov et du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation dans le but notamment de mettre agrave jour les donneacutees statistiques Ils srsquoappuient eacutegalement sur des enquecirctes reacutealiseacutees dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin portant sur les innovations organisationnelles en eacutelevage ovin et du projet europeacuteen H2020 Agrilink portant sur les mutations du conseil agricole Ces travaux ont eacuteteacute meneacutes par une eacutequipe drsquoenseignants-chercheurs en eacuteconomie et sociologie de lrsquoInstitut national polytechnique - Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) parmi lesquels Julien Brailly Olivier Legagneux Geneviegraveve Nguyen Valeacuterie Olivier et Franccedilois Purseigle avec lrsquoappui en particulier de Guilhem Anzalone Seacutebastien Billows Perrine Fortin Eloiumlse Bergeret Olivier Pauly Joseacute Ramanantsoa et Jeacutereacutemy Andreacute 9 Sauf indication contraire de la source est indiqueacutee les chiffres mentionneacutes dans lrsquoarticle srsquoappuyant sur les donneacutees secondaires ont eacuteteacute calculeacutes par les auteurs

48 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale eacutetait statistiquement tregraves probable ont eacuteteacute calculeacutes En faisant lrsquohypothegravese ndash forte ndash que dans drsquoautres reacutegions des uniteacutes structurellement semblables au regard de ces variables utiliseraient de la mecircme faccedilon ces prestataires nous avons extrapoleacute au reste de la France le nombre drsquoexploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures ayant eu recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

En 2016 le questionnaire de lrsquoenquecircte Structures (ESA) comportait pour la premiegravere fois une question sur le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale pour lrsquoensemble des travaux culturaux Ceci a permis drsquoeacutelargir lrsquoanalyse agrave toutes les productions et de valider a posteriori les ordres de grandeur issus de lrsquoextrapolation reacutealiseacutee agrave partir des donneacutees issues du RA 2010 sur les grandes cultures Par ailleurs pour avoir une ideacutee de lrsquoeacutevolution entre 2010 et 2016 du recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale par les exploitations en grandes cultures nous avons appliqueacute la meacutethode drsquoextrapolation preacuteceacutedemment deacutecrite pour le RA aux donneacutees de lrsquoESA 201610

En parallegravele de ce repeacuterage statistique le troisiegraveme volet a consisteacute en des enquecirctes approfondies conduites aupregraves de 32 ETA et de 33 de leurs clients dans diverses reacutegions (Hauts-de-France Grand Est Centre-Val de Loire Bretagne Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie) entre 2012 et 2016 afin de reacutealiser des monographies et une typologie de prestataires de services de clients et de relations de sous-traitance et de deacuteleacutegation Ces acteurs ont eacuteteacute seacutelectionneacutes de maniegravere agrave repreacutesenter la diversiteacute des scheacutemas de sous-traitance et de deacuteleacutegation tant classiques qursquoeacutemergents Au cours de ces enquecirctes des questions ont eacuteteacute poseacutees sur les caracteacuteristiques des acteurs et leurs motivations sur lrsquoorganisation de la sous-traitance et les arrangements contractuels tant formels (contrats eacutecrits collecteacutes) qursquoinformels La compreacutehension des pratiques et des dispositifs de sous-traitance et de deacuteleacutegation permise par cette approche a ensuite orienteacute une eacutetude plus quantitative du pheacutenomegravene lors du quatriegraveme volet

Dans le cadre de ce dernier volet la focale a eacuteteacute mise sur le grand Sud-Ouest de la France reacutegion caracteacuteriseacutee par une diversiteacute des productions et des structures de production et par lrsquoimportance du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale quantifieacute dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude Au printemps 2018 des donneacutees ont eacuteteacute collecteacutees agrave lrsquoaide drsquoun questionnaire auto-administreacute aupregraves de 5 400 agriculteurs de 12 deacutepartements du Sud-Ouest Ce fichier a eacuteteacute construit agrave partir de listes drsquoagriculteurs constitueacutees dans le cadre de recherches anteacuterieures

Apregraves relances et nettoyage de la base de reacuteponses 1 247 reacuteponses ont eacuteteacute retenues pour lrsquoanalyse soit 23 de lrsquoeacutechantillon initial Ce dispositif drsquoenquecircte relatif aux recompositions en cours de lrsquoorganisation du travail dans les exploitations agricoles avait pour objectifs

- de recenser les sources de main-drsquoœuvre sur lrsquoexploitation ainsi que les pratiques et les besoins de sous-traitance

- de recueillir lrsquoopinion des agriculteurs sur la sous-traitance et plus particuliegraverement sur le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale

10 Agrave la diffeacuterence de lrsquoESA 2016 dans le recensement agricole de 2010 la question de la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux dans les exploitations en grandes cultures a eacuteteacute introduite mais seulement pour lrsquoancienne reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Une meacutethode drsquoextrapolation a donc eacuteteacute eacutelaboreacutee pour estimer ce pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France (voir lrsquoencadreacute 21 agrave la page 39 de Forget V et al 2019) Cette mecircme meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee aux donneacutees ESA 2016 afin de pouvoir comparer deux variables eacutequivalentes Il est agrave noter que le reacutesultat de lrsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2016 par la meacutethode drsquoextrapolation donne un chiffre de 8 986 exploitations de grandes cultures concerneacutees Compareacute au chiffre issu directement de la question poseacutee aux exploitations dans lrsquoESA 2016 qui est de 11 036 il y a une leacutegegravere sous-estimation du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale par la meacutethode drsquoextrapolation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 49

- de comprendre les nouvelles formes drsquoorganisation du travail et les environnements sociaux eacuteconomiques et institutionnels favorables agrave lrsquoessor du marcheacute de la sous-traitance

Des analyses statistiques ont eacuteteacute reacutealiseacutees pour deacutecrire et expliquer les pratiques de sous-traitance et de deacuteleacutegation ainsi que le choix des modaliteacutes de contractualisation en fonction de facteurs internes et externes agrave lrsquoexploitation

Cette meacutethode mixte reposant sur des allers-retours entre approches qualitatives et quantitatives a ainsi permis non seulement une compreacutehension fine des meacutecanismes sociaux et eacuteconomiques qui preacutesident aux recompositions agrave lrsquoœuvre mais aussi de leur quantification

2 Un marcheacute de la sous-traitance en forte croissance depuis 2000

En 2010 623 des exploitations franccedilaises ont fait appel agrave des ETA (Legagneux et Olivier-Salvagnac 2017) Les calculs reacutealiseacutes agrave partir des donneacutees des deux derniers recensements agricoles et de lrsquoenquecircte Structures de 2016 montrent que depuis 2000 le pheacutenomegravene de sous-traitance nrsquoa cesseacute de se deacutevelopper En effet entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant eu recours agrave la sous-traitance de maniegravere notable11 a augmenteacute agrave un rythme de 27 par an pour atteindre 25 542 exploitations en 2016 soit 55 de la PBS de la ferme franccedilaise Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations12 qui repreacutesentent 69 du total des exploitations franccedilaises et 70 des exploitants ayant recours agrave la sous-traitance Entre 2000 et 2016 leur nombre srsquoest accru de 103 alors que celui des petites a connu un leacuteger fleacutechissement de - 3 Ce sont aujourdrsquohui 17 889 moyennes et grandes exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative contre 7 653 petites alors qursquoelles eacutetaient respectivement 8 810 et 7 879 en 2000

Pour ce qui est de lrsquooffre agrave cocircteacute des donneacutees de lrsquoInsee et de la Mutualiteacute sociale agricole (MSA) une enquecircte reacutealiseacutee entre octobre 2017 et juin 2018 par lrsquoobservatoire Emploi Formation de la FNSEA confirme le rocircle preacutedominant des ETA dans la reacutealisation des travaux agricoles (FNSEA 2018) auxquelles les agriculteurs ont davantage recours qursquoaux CUMA et aux groupements drsquoemployeurs

Souvent creacuteeacutees par des exploitants agricoles dans le but de diversifier leurs activiteacutes et leurs sources de revenus les ETA relegravevent de lrsquoarticle L722-2 du Code rural et de la pecircche maritime Leurs travaux peuvent ecirctre conduits sur drsquoautres exploitations en utilisant le mateacuteriel agricole disponible sur place ou le mateacuteriel de lrsquoentreprise voire en louant ce dernier agrave un autre exploitant Immatriculeacutee au Registre du commerce et des socieacuteteacutes une ETA peut prendre la forme drsquoune entreprise individuelle simple ou agrave responsabiliteacute limiteacutee ou drsquoune socieacuteteacute (SA SAS SARL SCEA etc)

11 La focale est mise ici sur les exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative Ce pheacutenomegravene est appreacutecieacute au travers de deux ratios qui mesurent la part du travail confieacute agrave une ETA sur a) le volume drsquoheures de travail fournies par la main-drsquoœuvre permanente sur lrsquoexploitation (nombre drsquoUTA fournies par les ETA nombre drsquoUTA permanente ge 9 ) et b) sur la taille eacuteconomique de lrsquoexploitation (nombre de jours de travail drsquoune ETA keuro PBS ge 023)12 Les laquo petites exploitations raquo sont deacutefinies comme celles ayant une PBS supeacuterieure ou eacutegale agrave 5 000 euro et strictement infeacuterieure agrave 25 000 euro par an et les laquo moyennes et grandes exploitations raquo comme celles dont la PBS est supeacuterieure ou eacutegale agrave 25 000 euro par an Les tregraves petites exploitations avec une PBS infeacuterieure agrave 5 000 euro ne sont pas prises en compte dans cette eacutetude

50 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Entre 2004 et 2014 selon les donneacutees de la MSA le nombre drsquoETA et celui des salarieacutes employeacutes par ces derniegraveres ont connu une hausse de respectivement 10 et 73 (CCMSA-FNEDT 2015) Ces chiffres ont connu un leacuteger infleacutechissement pour lrsquoanneacutee 2015 mais sont de nouveau en hausse depuis 2016 avec des taux de progression annuels de 19 pour le nombre drsquoETA et de 27 pour les effectifs de salarieacutes En 2016 la MSA comptabilisait 14 022 ETA employant 96 452 salarieacutes permanents et saisonniers reacuteparties sur lrsquoensemble du territoire franccedilais en particulier dans les reacutegions de plaine autour drsquoun croissant Sud Sud-Ouest Centre Nord (figure 1)

Lorsqursquoil est replaceacute dans une perspective historique le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture apparaicirct eacutetroitement lieacute aux progregraves techniques reacutealiseacutes dans ce secteur mais eacutegalement tout comme dans lrsquoindustrie agrave la conjoncture eacuteconomique Reacutealiseacutee avec les donneacutees drsquoInfogreffe relatives agrave la creacuteation drsquoeacutetablissements depuis 1945 la figure 2 montre que lrsquoessor du recours agrave la sous-traitance dans les anneacutees 1980 pointeacute par Heacutebrard (2001) et Chevalier (2007) est alleacute de pair avec le deacuteveloppement des CUMA puis des ETA Il convient ici de rappeler que les premiegraveres ETA ont eacuteteacute creacuteeacutees dans lrsquoentre-deux-guerres avec lrsquoarriveacutee des batteuses selon une logique entrepreneuriale et de marcheacute13 et ce apregraves lrsquoeacutemergence des CUMA qui elles ont eacuteteacute creacuteeacutees dans une logique drsquoentraide et de mutualisation afin de reacutepondre aux attentes drsquoexploitations familiales appeleacutees agrave se moderniser Mais le veacuteritable deacuteveloppement du marcheacute franccedilais de la sous-traitance est concomitant du moment ougrave le secteur agricole est entreacute dans une longue peacuteriode drsquoincertitude eacuteconomique et sociale Depuis les anneacutees 1980 plusieurs faits ont selon nous contribueacute agrave faire eacutevoluer les preacutefeacuterences des acteurs de la sous-traitance qursquoils soient clients ou deacuteleacutegataires et agrave expliquer lrsquoaugmentation significative du nombre de creacuteation drsquoETA (figure 2) la baisse tendancielle du nombre drsquoactifs familiaux agricoles les reacuteformes successives

Figure 1 - Nombre drsquoETA par code postal dans un rayon de 25Km (donneacutees Infogreffe 2019)

2735544363024191270

105453122171310740

Nombre ETA par code postal dans un rayon de 25 km

Nombre CUMA par code postal dans rayon de 25 km

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs agrave partir des donneacutees Indogreffe 2019

13 Pour une histoire des entreprises de travaux agricoles voir Des entrepreneurs de battage aux entrepreneurs des territoires 85 ans de syndicalisme des entrepreneurs 1922-2007 2007 Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 51

Figure 2 - Eacutevolution du nombre de creacuteations drsquoETA et de CUMA (donneacutees Infogreffe 20192019))

Source Graphique reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees Infogreffe 2019

de la PAC et notamment celles actant le passage drsquoune logique de soutien agrave la production agrave une logique de gestion des risques et drsquoun laquo verdissement raquo relatif des aides publiques la hausse continue du prix de lrsquoeacutequipement agricole ou encore les diverses mesures de deacutefiscalisation des investissements productifs

Crsquoest cet essor reacutecent de la sous-traitance qui nous inteacuteresse plus particuliegraverement ici Si dans le secteur industriel les dirigeants drsquoentreprises ont eacuteteacute ameneacutes depuis les anneacutees 1980 agrave fortement repenser les relations de sous-traitance pour capter des ressources externes strateacutegiques et creacuteer de la valeur (Arnold 2000 Mildberg et Winkler 2013) il nous paraicirct tregraves probable que les entreprises agricoles malgreacute leurs speacutecificiteacutes aient suivi la mecircme tendance

Quelques chiffres clefs

En 2016 ce sont

  plus de 26 500 exploitations toutes OTEX confondues qui ont deacuteclareacute avoir sous-traiteacute lrsquoensemble des travaux de culture soit au moins 500 000 hectares et 55 de la PBS de la ferme franccedilaise

  70 drsquoentre elles sont des exploitations de taille moyenne agrave grande

  125 drsquoentre elles sont des exploitations en grandes cultures et autant drsquoexploitations bovin-lait et en polyculture-eacutelevage

  plus de 14 000 ETA et 96 000 salarieacutes

52 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

3 Une pluraliteacute de demandes et de pratiques en reacuteponse agrave lrsquoeacutevolution du contexte agricole

En mecircme temps qursquoil se deacuteveloppe le pheacutenomegravene de sous-traitance connaicirct deux eacutevolutions majeures La premiegravere concerne la nature des services demandeacutes et lrsquoampleur des travaux sous-traiteacutes Les agriculteurs sont non seulement plus nombreux agrave sous-traiter mais ils sous-traitent de plus en plus de tacircches La deuxiegraveme eacutevolution relegraveve de la logique mecircme de sous-traitance avec deux basculements Lrsquoun comme pour le secteur industriel voit lrsquoeacutemergence drsquoune laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo agrave cocircteacute de la classique laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo Lrsquoautre met en lumiegravere au travers du deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo lrsquoapparition drsquoune logique de gestion patrimoniale faisant des prestataires de services des gestionnaires de patrimoine agricole et leur accordant une place particuliegravere dans lrsquoorganisation et le maintien drsquoune capaciteacute productive agrave lrsquoeacutechelle des territoires Les donneacutees issues du sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest et des enquecirctes approfondies aupregraves des parties prenantes de la sous-traitance permettent de comprendre plus preacuteciseacutement les changements opeacutereacutes

31 Sous-traiter pour geacuterer des incertitudes eacuteconomiques et accompagner la gestion des contraintes reacuteglementaires environnementales

Au sein de la population des reacutepondants au sondage la prise en charge drsquoopeacuterations de culture par un tiers concerne 83 des exploitations (soit 1 027 individus) essentiellement de tailles moyenne et grande Ce ne sont plus uniquement les petites exploitations qui sous-traitent par manque de capaciteacute De plus si la reacutecolte reste la principale opeacuteration sous-traiteacutee les agriculteurs font aussi appel agrave un tiers pour la reacutealisation drsquoautres travaux de culture comme les eacutepandages drsquoengrais et de lisier les traitements phytosanitaires le travail du sol et le semis La sous-traitance relegraveve ici plutocirct des ETA qui assurent plus de la moitieacute des prestations mecircme si les enquecirctes approfondies suggegraverent que les agriculteurs peuvent avoir recours agrave la fois aux ETA et aux CUMA selon le service demandeacute plutocirct lrsquoETA pour des opeacuterations comme la reacutecolte et le semis car celles-ci doivent ecirctre faites au bon moment et dans un temps limiteacute ou encore pour des opeacuterations requeacuterant un mateacuteriel coucircteux plutocirct une CUMA pour les autres opeacuterations parce que le service est parfois moins oneacutereux Il est inteacuteressant de noter que les principales raisons avanceacutees pour sous-traiter ces opeacuterations de culture ne renvoient pas neacutecessairement agrave un deacuteficit de main-drsquoœuvre mais drsquoabord agrave des choix drsquoinvestissement et drsquoorganisation du travail sur lrsquoexploitation (encadreacute 1) Parallegravelement la compeacutetence technique (et non le prix) constitue le principal critegravere de choix des ETA (encadreacute 1) Du cocircteacute des exploitants commanditaires le recours agrave une ETA fait donc partie de strateacutegies de reacuteorganisation de leur activiteacute productive Ils sous-traitent non seulement des tacircches annexes mais eacutegalement certaines tacircches symboliques comme le semis pour se recentrer sur ce qursquoils considegraverent ecirctre leur cœur de meacutetier et leur apport strateacutegique pour le maintien de leur exploitation Cela concerne les eacuteleveurs qui deacutelegraveguent les tacircches lieacutees aux cultures pour se concentrer sur lrsquoeacutelevage mais aussi des agriculteurs en grandes cultures qui choisissent de se speacutecialiser sur certaines tacircches (surveillance des cultures et leur commercialisation) et de sous-traiter le reste Par ailleurs la lecture croiseacutee des reacutesultats du sondage et celle des entretiens reacutealiseacutes nous conduisent agrave eacutemettre lrsquohypothegravese drsquoun recours accru agrave la deacuteleacutegation pour la mise en œuvre de pratiques neacutecessitant des moyens techniques ou technologiques particuliers

Agrave la diffeacuterence drsquoautres pays europeacuteens (Angleterre Allemagne ou Espagne) la sous-traitance des travaux drsquoeacutelevage apparaicirct en France moins deacuteveloppeacutee que dans le secteur des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 53

Encadreacute 1 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations de culture par des ETA dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions veacutegeacutetales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production veacutegeacutetale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 075)

Q2 - Les raisons de la sous-traitanceQ1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q1 - Types drsquoopeacuterations sous-traiteacuteesQ1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

54 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Encadreacute 2 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations drsquoeacutelevage dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions animales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production animale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 017)

Q1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Q1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q2 - Les raisons de la sous-traitance traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Q1 - Types drsquoopeacuteration sous-traiteacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 55

Encadreacute 3 - Exemple de sous-traitance drsquoopeacuterations drsquoeacutelevage le cas de la filiegravere ovine

La Servoise1 est une socieacuteteacute de prestation de services en eacutelevage situeacutee dans le quart nord-est de la France Socieacuteteacute par actions simplifieacutee (SAS) elle rassemble agrave parts eacutegales ses fondateurs et la coopeacuterative Boviconcept speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutechographie et lrsquoinseacutemination de ruminants Ils partagent un portefeuille de clients tous eacuteleveurs de petits ruminants (ovins et caprins) et mutualisent des bureaux

Fondeacutee dans un premier temps autour de lrsquoeacutechographie et de lrsquoinseacutemination des petits ruminants la gamme des services de la Servoise srsquoest eacutetendue agrave des prestations telles la tonte le parage des onglons lrsquoaide agrave lrsquoagnelage ou encore la manipulation de troupeaux Si la tonte est une activiteacute traditionnellement deacuteleacutegueacutee les trois autres ne le sont geacuteneacuteralement pas Pour les geacuterants de cette socieacuteteacute le deacuteploiement de cette nouvelle offre de services reacutepond agrave une eacutevolution structurelle des eacutelevages En effet lrsquoeffectif des troupes ovines ne cesse de croicirctre alors que dans le mecircme temps le collectif de travail se reacutetracte du fait de la disparition massive des aides familiaux non-salarieacutes (- 137 690 depuis 2000 drsquoapregraves le RA 2010 et ESEA 2016) Lrsquoagnelage comme le parage des onglons correspondaient agrave des pics de travail saisonniers qui eacutetaient jusque-lagrave absorbeacutes par lrsquoensemble du collectif de travail familial

Le fonctionnement de la Servoise se caracteacuterise par lrsquoeacutetendue de sa zone drsquointervention et par la techniciteacute de ses salarieacutes Son activiteacute se deacuteploie sur un rayon de 200 km autour de son siegravege social pour les services en eacutelevage et srsquoeacutetend jusqursquoen Bulgarie pour les eacutechographies ou les inseacuteminations La zone drsquointervention de la Servoise ne correspond pas agrave un bassin de production deacutetermineacute par une filiegravere Elle srsquoest constitueacutee au greacute des eacutevolutions du portefeuille de clients La techniciteacute des salarieacutes est aussi une caracteacuteristique mise en avant pour justifier du modegravele eacuteconomique de la Servoise Speacutecialiseacutes sur certaines activiteacutes beacuteneacuteficiant de lrsquoeacutequipement idoine ses salarieacutes ont dans leurs champs drsquointervention respectifs un rendement plus eacuteleveacute que celui des eacuteleveurs Lagrave ougrave les activiteacutes se chevauchaient sur une mecircme peacuteriode le recours agrave la sous-traitance permet aux eacuteleveurs drsquooptimiser le calendrier de travail et de rationaliser la reacutepartition des tacircches en se gardant celles qursquoils maicirctrisent le mieux et en externalisant les autres

A contrario de ce qui peut ecirctre observeacute en grandes cultures les activiteacutes deacuteleacutegueacutees agrave la Servoise ne le sont jamais dans leur inteacutegraliteacute les eacuteleveurs ont toujours la maicirctrise technique et la gestion de lrsquoagnelage et du parage des onglons Ainsi le recours agrave la Servoise est drsquoabord motiveacute par la diminution de lrsquointensiteacute de certains pics de travail Pour lrsquoagnelage activiteacute centrale en eacutelevage ovin la deacuteleacutegation nrsquoa rien drsquoeacutevident Les eacuteleveurs ayant fait appel agrave cette entreprise pour ce service lrsquoont fait suite agrave un laquo coup dur raquo un eacuteveacutenement les mettant dans lrsquoimpossibiliteacute de faire face agrave la charge de travail Le caractegravere ponctuel des interventions de la Servoise au sein des eacutelevages se traduit dans leur offre de prestations qui se deacutecline en forfait journeacutee ou en heures factureacutees

Le recours agrave la Servoise offre aux eacuteleveurs la possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave des informations concernant les pratiques drsquoeacutelevage Certains drsquoentre eux ont modifieacute leurs proceacutedeacutes de contention ou ont revu leurs meacutethodes drsquoagnelage agrave la suite drsquoun passage de la Servoise Ainsi dans une zone (le Nord-Est de la France) qui se caracteacuterise par une faible densiteacute drsquoeacutelevages et par un eacuteloignement important entre les exploitations ovines la Servoise srsquoapparente agrave une interface diffusant de lrsquoinformation et mettant en reacuteseau des exploitations disperseacutees

1 Tous les noms drsquoentreprise ont eacuteteacute modifieacutes Source Jeacuteremy Andreacute 2019 Caracteacuterisation des innovations organisationnelles collectives et des transformations du travail dans les eacutelevages ovins franccedilais meacutemoire de master projet CASDAR intituleacute laquo Ameacuteliorer les conditions de travail en eacutelevage ovin un enjeu drsquoattractiviteacute et de dynamisation de la filiegravere (AmTravrsquoOvin)

56 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

productions veacutegeacutetales Les derniegraveres donneacutees publieacutees par lrsquoInsee agrave ce sujet montrent qursquoen 2005 les agriculteurs franccedilais nrsquoont deacutepenseacute en travaux et services agrave lrsquoeacutelevage que 07 milliard drsquoeuros contre 18 milliard drsquoeuros pour les deacutepenses lieacutees aux cultures Cependant le recours agrave la sous-traitance en eacutelevage augmente bien plus rapidement (+ 23 des deacutepenses entre 1995 et 2005) qursquoen productions veacutegeacutetales (+8 sur la mecircme peacuteriode) La mecircme tendance semble srsquoobserver dans le grand Sud-Ouest puisque seulement 23 des sondeacutes de notre eacutetude ont deacuteleacutegueacute au moins une opeacuteration drsquoeacutelevage (dont seulement 2 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 3) contre 83 pour les opeacuterations de culture (dont 12 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 2) Selon les donneacutees drsquoInfogreffe le nombre de prestataires de services en soutien aux productions animales ne repreacutesente que 10 de lrsquoensemble des prestataires Agrave la diffeacuterence des cultures les opeacuterations sous-traiteacutees en eacutelevage preacutesentent une grande diversiteacute selon le type de filiegravere (encadreacute 2) Cette pluraliteacute drsquoactiviteacutes susceptibles drsquoecirctre deacuteleacutegueacutees a pu conduire agrave une speacutecialisation des entreprises prestataires de services intervenant dans les filiegraveres drsquoeacutelevage Srsquoil est commun pour un eacuteleveur de deacuteleacuteguer des tacircches requeacuterant des compeacutetences speacutecifiques (inseacuteminations artificielles ou autres en lien avec lrsquoentretien des bacirctiments et les petits soins) afin de faciliter lrsquoorganisation du travail le choix de sous-traiter des tacircches intrinsegravequement lieacutees agrave lrsquoidentiteacute mecircme drsquoeacuteleveur (suivi du troupeau surveillance de lrsquoagnelage) semble plus rare et reacutecent Toutefois comme en attestent les travaux reacutealiseacutes par notre eacutequipe dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin (encadreacute 3) certains eacuteleveurs y ont recours depuis peu pour reacuteduire lrsquointensiteacute de certains pics de travail ou pallier un manque ponctuel de main-drsquoœuvre Les enquecirctes aupregraves drsquoeacuteleveurs suggegraverent que cette pratique pourrait se deacutevelopper dans le futur en cas de non-renouvellement des deacuteparts agrave la retraite Elle teacutemoignerait alors drsquoun changement important dans la conduite de certains troupeaux (Andreacute 2019) Ces reacutesultats illustrent un mouvement drsquoexternalisation drsquoactiviteacutes qui se geacuteneacuteralise mecircme si comme dans lrsquoindustrie il se deacutecline selon des registres diffeacuterents drsquoune filiegravere agrave lrsquoautre (Mariotti 2005)

Drsquoapregraves les enquecirctes reacutealiseacutees il semble que le contexte actuel est particuliegraverement favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance des travaux agricoles Les incitations des politiques publiques pour une agriculture agrave bas intrants le durcissement des normes environnementales les preacuteoccupations des agriculteurs pour lrsquoenvironnement et leur santeacute la multiplication des controverses et des conflits de voisinage en relation avec les travaux drsquoeacutepandage et de traitement phytosanitaire mais aussi les opportuniteacutes de marcheacute offertes par le deacuteveloppement des deacutemarches de qualiteacute officielles (agriculture biologique) comme priveacutees (cahier des charges collectif laquo Zeacutero reacutesidu de pesticides raquo par exemple) constituent autant de facteurs qui poussent aujourdrsquohui de plus en plus drsquoagriculteurs agrave deacuteleacuteguer des opeacuterations qui requiegraverent un mateacuteriel une qualification ou une techniciteacute speacutecifiques Crsquoest notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole Une concomitance srsquoobserve alors entre la monteacutee des preacuteoccupations environnementales et le deacuteveloppement de lrsquoexternalisation de tacircches comme le traitement phytosanitaire par des exploitations familiales qui ne trouvent pas toujours en leur sein les compeacutetences pour mettre en œuvre les pratiques adapteacutees Agrave lrsquoinstar de certains travaux reacutealiseacutes dans le secteur industriel on constate que certaines pratiques de sous-traitance en agriculture se singularisent par une mobilisation de ressources pouvant ecirctre tregraves speacutecifiques et neacutecessitant des investissements financiers (achat de mateacuteriels plus puissants avec des technologies performantes entretien reacuteparation assurance etc) et en temps de travail importants (formation pour lrsquoacquisition de nouvelles compeacutetences conduite des chantiers etc) Agrave lrsquoinverse de ce que lrsquoon pouvait observer dans les anneacutees 1960-90 beaucoup drsquoagriculteurs ne sont aujourdrsquohui plus precircts agrave assumer de tels investissements en raison notamment des fortes fluctuations du revenu agricole ces deux derniegraveres deacutecennies mais eacutegalement au regard des incertitudes croissantes pesant sur le renouvellement des geacuteneacuterations Ceux-ci raisonnent de plus en plus en coucircts drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement Agrave travers la sous-traitance drsquoautres par prudence vont vouloir tester un nouvel eacutequipement de preacutecision coucircteux et beacuteneacuteficier des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 57

conseils techniques du prestataire de service avant drsquoen faire lrsquoacquisition La deacutecision de faire-faire plutocirct que de faire soi-mecircme ou de faire-avec est devenue une composante agrave part entiegravere de la strateacutegie globale de lrsquoexploitation dans laquelle la deacuteleacutegation reacutepond agrave des objectifs non seulement drsquoexternalisation des coucircts et de gestion de la main-drsquoœuvre mais eacutegalement de recherche de ressources externes speacutecifiques et de gestion des risques (Nguyen et al 2019) La relation de sous-traitance peut srsquoinscrire dans le temps long lorsque lrsquoagriculteur juge le coucirct drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement trop eacuteleveacute et lrsquoopeacuteration ininteacuteressante comme elle peut nrsquoecirctre que temporaire sur une ou quelques campagnes le temps pour lrsquoagriculteur de tester une pratique nouvelle

Agrave cocircteacute de la prise en charge des opeacuterations techniques les exploitations ont aussi de plus en plus recours agrave la sous-traitance pour des tacircches administratives notamment en matiegravere de deacuteclaration PAC (29 des reacutepondants au sondage) et de deacuteclaration fiscale (26 ) On observe eacutegalement que la deacuteleacutegation concerne les fonctions de conseil puisque pregraves de 39 des sondeacutes deacuteclarent faire appel agrave des prestataires de services pour du conseil agronomique juridique et patrimonial ou encore pour les aider agrave reacutefleacutechir sur les assolements et les itineacuteraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportuniteacutes de marcheacute Comme le suggegraverent les enquecirctes approfondies aupregraves des agriculteurs la dimension laquo conseil raquo de la sous-traitance constitue une reacuteelle nouveauteacute Elle concerne notamment les ETA dont la mission eacutetait jusqursquoagrave preacutesent principalement centreacutee sur la conduite des travaux selon un cahier des charges eacutetabli par le chef drsquoexploitation seul ou avec lrsquoETA La monteacutee en compeacutetences des ETA et la speacutecialisation de certaines drsquoentre elles sur quelques opeacuterations speacutecifiques associeacutees agrave lrsquoagriculture de preacutecision et agrave bas niveau drsquointrants ont favoriseacute le deacuteveloppement de nouvelles relations de sous-traitance et de production deacuteleacutegueacutee Ce conseil qui porte sur des aspects agrave la fois techniques et strateacutegiques joue un rocircle crucial dans la construction drsquoune relation durable entre lrsquoexploitant et le prestataire de services conduisant dans un certain nombre de cas agrave un glissement progressif vers des formes de deacuteleacutegation inteacutegrale discuteacutees ci-apregraves En effet nous avons pu constater que la propension agrave deacuteleacuteguer un nombre croissant de tacircches augmente lorsque lrsquoexploitation est diversifieacutee et situeacutee agrave proximiteacute drsquoune ETA mais eacutegalement lorsque lrsquoagriculteur projette de confier dans le futur la gestion inteacutegrale de son exploitation agrave un tiers (tableau 1) Enfin comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-dessous le scheacutema de sous-traitance agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation revecirct aujourdrsquohui une certaine complexiteacute en raison de la multipliciteacute agrave la fois des relations de sous-traitance et des motivations de lrsquoagriculteur pour externaliser certaines tacircches

laquo Je fais appel agrave beaucoup de prestataires pour mes cultures pour gagner en temps parce que jrsquoai un atelier poulet Label rouge agrave cocircteacute en contrat avec la coopeacuterative et que je ne suis qursquoagrave mi-temps sur mon exploitation Et puis crsquoest pour aussi tester des pratiques parce que jrsquoessaie de passer agrave une agriculture de conservation Par exemple depuis trois ans je fais beaucoup de rotations et pour le semis je teste le semis-direct avec une ETA eacutequipeacutee en semoir direct et crsquoest aussi un ami avec qui jrsquoeacutechange beaucoup On teste des eacutecartements des semis plus ou moins denses Et puis pour lrsquoeacutepandage drsquoazote et la reacutecolte je fais appel agrave drsquoautres prestataires raquo (Agriculteur en polyculture-polyeacutelevage Pyreacuteneacutees-Atlantiques juin 2018)

32 Le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale de la gestion drsquoun patrimoine agrave la recherche de la performance globale de lrsquoexploitation

Lrsquoautre eacutevolution majeure des pratiques de sous-traitance est le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale dont les premiegraveres manifestations ont eacuteteacute releveacutees par Harff et Lamarche (1998) au deacutebut des anneacutees 1990 dans une reacutegion de grandes cultures comme la Beauce Cette forme de deacuteleacutegation concerne lrsquoensemble des opeacuterations techniques

58 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 1 - Deacuteterminants de la propension agrave sous-traiter de multiples opeacuterations de culture Modegravele de Poisson avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Nombre drsquoopeacuterations de culture sous-traiteacutees

Caracteacuteristiques de lrsquoagriculteur et de lrsquoexploitation

Age - 0003 (0002)Agriculteur agrave titre secondaire - 0047 (0035)Part du foncier en proprieacuteteacute - 0018 (0106)Seul sur lrsquoexploitation - 0008 (0038)Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 0188 (0085)Surface en grandes cultures - 0067 (0045)Surface en arboriculture - 0008 (0038)Surface en maraicircchage - 0007 (0031)Surface en vigne - 0023 (0032)Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) - 0013 (0028)Surface en cultures fourragegraveres 0041 (0033)Taille du troupeau bovin lait - 0029 (0035)Taille du troupeau bovin viande 0030 (0028)Taille du troupeau ovin 0112 (0125)Taille de lrsquoeacutelevage de volaille - 0001 (0028)Taille du troupeau caprin - 0147 (0174)Accegraves aux ETANombre drsquoETA dans un rayon de 1 km 0086 (0031)Nombre drsquoETA dans un rayon de 25 km - 0034 (0040)Nombre de CUMA dans un rayon de 1 km - 0066 (0045)Nombre de CUMA dans un rayon de 25 km 0020 (0048)

Projet drsquoentreprise et perceptions du marcheacute actuel de la sous-traitance

Projet drsquooptimisation du travail 0087 (0069)Projet de diversification des activiteacutes de production 0009 (0075)Projet drsquoactiviteacutes agritouristiques 0121 (0102)Projet drsquoaugmentation de la taille de lrsquoexploitation - 0029 (0084)Projet de maintien de la taille de lrsquoexploitation 0079 (0071)Projet de deacuteleacutegation de lrsquoexploitation agrave un tiers 0307 (0125)Pense qursquoil manque une coordination des ETA 0031 (0096)Pense que trop drsquoETA sont en concurrence - 0282 (0136)Pense que la demande est forte et qursquoil nrsquoy a pas assez drsquoETA 0281 (0101)Pense que les besoins sont diversifieacutes et que les ETA nrsquoarrivent pas agrave satisfaire certains drsquoentre eux 0123 (0091)

Constante 0401 (0141)Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

625- 8987301 857461

plt01 plt005 plt0001

Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

drsquoun ou de plusieurs ateliers de production et est nommeacutee dans le milieu professionnel laquo de A agrave Z raquo ou laquo chantier complet raquo Il convient de distinguer cette laquo deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles raquo qui concerne drsquoailleurs principalement les opeacuterations sur les systegravemes de cultures de la laquo deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole raquo qui consiste agrave confier agrave un tiers non seulement la reacutealisation de tous les travaux sur lrsquoexploitation mais eacutegalement la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoentreprise (deacutecisions drsquoassolement et drsquoitineacuteraires techniques conduite de lrsquoeacutelevage commercialisation management des eacutequipes sur les chantiers gestion comptable et deacuteclarations PAC) Cette derniegravere variante de la deacuteleacutegation inteacutegrale correspond agrave la forme la plus aboutie et la plus ineacutedite de sous-traitance car elle conduit agrave une seacuteparation totale entre les droits de proprieacuteteacute et la gestion opeacuterationnelle de lrsquoentreprise Le proprieacutetaire peut encore garder dans une certaine mesure le controcircle sur des deacutecisions strateacutegiques mais toutes les deacutecisions opeacuterationnelles sont geacuteneacuteralement transfeacutereacutees agrave un tiers connu sous le nom de laquo chef de culture raquo ou encore

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 59

laquo land manager raquo (cf section 42) Ce dernier peut ecirctre assimileacute agrave la figure du geacuterant drsquoexploitation Mais agrave la diffeacuterence de la geacuterance les arrangements mis en place dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation nrsquoimpliquent pas une embauche formelle Mateacuterialiseacutee souvent par un contrat de prestation classique annualiseacute et reconduit tacitement drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre cette relation de sous-traitance singuliegravere se caracteacuterise ainsi par sa grande flexibiliteacute

Mecircme si elle ne concernait alors que la reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees il faut attendre 2010 pour qursquoune question sur la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture soit inteacutegreacutee au questionnaire du recensement geacuteneacuteral agricole Les reacuteponses agrave cette question ont permis agrave notre eacutequipe par extrapolation des donneacutees agrave lrsquoensemble de la France drsquoestimer que 123 des exploitations en grandes cultures eacutetaient concerneacutees par cette pratique Dans le cadre de lrsquoenquecircte structures 2016 cette question a eacuteteacute eacutetendue agrave lrsquoensemble des exploitations franccedilaises Il a eacuteteacute ainsi possible drsquoobtenir une estimation plus preacutecise et de confirmer lrsquoampleur du pheacutenomegravene observeacutee en 2010 Ainsi en 2016 71 des exploitations toutes productions confondues ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euro ont deacuteclareacute avoir deacuteleacutegueacute inteacutegralement les travaux de cultures (Forget et al 2019 p39) Les exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale sont en 2010 comme en 2016 principalement localiseacutees selon un arc SudOuestNord-Est dans les reacutegions Midi-Pyreacuteneacutees Aquitaine Poitou-Charentes Centre Bretagne Basse Normandie et Champagne-Ardenne avec des taux de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures pouvant atteindre 18 (figures 3 et 4) En 2016 ce pheacutenomegravene mecircme srsquoil concerne plus particuliegraverement les exploitations en grandes cultures (125 ) est eacutegalement preacutesent dans les exploitations ayant drsquoautres orientations technico-eacuteconomiques et notamment les exploitations en bovin-lait (61 ) en bovin-viande (54 ) avec des herbivores ou granivores (54 ) et les exploitations de polyculture-polyeacutelevage (61 ) et lagrave eacutegalement plutocirct de moyenne et grande tailles (tableau 2)

Concernant plus preacuteciseacutement les exploitations en grandes cultures pour lesquelles un exercice de comparaison est possible en appliquant aux donneacutees de 2016 la mecircme meacutethode de calcul que pour les donneacutees de 2010 il apparaicirct qursquoentre 2010 et 2016 le nombre drsquoexploitations en grandes cultures en deacuteleacutegation inteacutegrale a progresseacute de 27 (tableau 3) Les calculs montrent surtout qursquoau cours de cette peacuteriode il y a eu un report du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites exploitations (- 212 ) vers les moyennes et grandes exploitations en grandes cultures (+ 276 ) En 2016 ce sont donc 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concerneacutees par la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo Les premiegraveres sont majoritairement des exploitations individuelles (479 ) mais eacutegalement sous statut de socieacuteteacute civile (271 ) et avec des chefs drsquoexploitation deacuteclarant travailler moins drsquoun quart-temps sur lrsquoexploitation (528 ) Les petites exploitations concerneacutees sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (919 ) avec lagrave encore un exploitant travaillant moins drsquoun quart-temps (742 ) Il est enfin inteacuteressant de noter lrsquoaugmentation de 5 points du nombre drsquoexploitations moyennes et grandes sous statut de socieacuteteacute civile entre 2010 et 2016

Les enquecirctes approfondies reacutealiseacutees aupregraves des exploitants et des ETA permettent de formuler une hypothegravese pour expliquer le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale Il ressort en effet que la deacuteleacutegation inteacutegrale sur les petites exploitations est un pheacutenomegravene plus ancien relevant drsquoindividus non-exploitants devenus proprieacutetaires de structures de petite taille agrave la suite drsquoheacuteritages successifs La conduite des cultures de ces petites structures est geacuteneacuteralement prise en charge par des agriculteurs-exploitants du voisinage qui ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation pour amortir leur mateacuteriel et acceptent de laquo rendre service raquo aux voisins laquo absents raquo La deacuteleacutegation au sein des moyennes et grandes exploitations serait quant agrave elle plus reacutecente et due aux difficulteacutes de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitaliseacutees Ces difficulteacutes se

60 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type socieacuteteacute civile ougrave lrsquoabsence drsquoentente entre associeacutes ne permet pas la geacuterance par un membre de la famille et conduit souvent agrave deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation agrave autrui La deacutegradation du taux de renouvellement des geacuteneacuterations associeacutee agrave la concentration des structures serait donc dans la peacuteriode reacutecente le principal moteur du glissement observeacute du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites vers des moyennes et grandes exploitations

Le choix de deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation plutocirct que de la donner en fermage est significatif de la distinction entre capital productif et patrimoine familial Mecircme si le statut du fermage autorise la reprise des terres par le proprieacutetaire en vue de les exploiter lui-mecircme (ou un membre de sa famille) il est jugeacute contraignant par les proprieacutetaires qui redoutent de perdre la maicirctrise de leur foncier laquo progressivement renforceacute depuis son instauration dans un sens favorable aux droits du fermier le reacutegime du bail rural permet agrave lrsquoexploitant locataire de disposer de droits drsquousage eacutetendus sur les terres qursquoil a en jouissance agrave tel point que sa condition a parfois eacuteteacute compareacutee agrave celle drsquoun quasi-proprieacutetaire raquo (Melot 2012) Le fait que certains fassent le choix de garder le statut drsquoexploitant tout en en deacuteleacutegant la gestion de la structure montre que dans certains cas le projet patrimonial lrsquoemporte sur la construction drsquoun projet eacuteconomique Ce nrsquoest alors plus la famille qui est mobiliseacutee au service de lrsquoexploitation mais lrsquoexploitation qui est mobiliseacutee au service de la famille

Figure 3 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2010 pour les exploitations en grandes cultures ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euroEn nombre drsquoexploitations En surface de ceacutereacuteales oleacuteagineux et proteacuteagineux

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs avec les donneacutees du RA 2010

Cette configuration permet de maintenir la valeur du foncier celle-ci eacutetant moindre lorsque les terres sont en fermage comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-apregraves

laquo Qursquoest-ce que vous feriez si vous eacutetiez trois agrave la tecircte drsquoune exploitation de 100 hectares Qursquoagrave force de pleurer dans votre foyer vous avez deacutefinitivement motiveacute aucun de vos enfants pour reprendre qursquoagrave force de dire que crsquoest un meacutetier qui gagne rien tout le monde finit par ecirctre convaincu Et que en mecircme temps agrave 59 ans la retraite agrave laquelle vous pouvez preacutetendre est franchement extrecircmement mince Il y a une partie de la population qui

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 61

Figure 4 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2016 pour lrsquoensemble des exploitations

Source cartes reacutealiseacutees par le CEP avec les donneacutees de lrsquoESEA 2016 in Forget V et al (2019) page 40

se dit lsquorsquosi jrsquoavais un prestataire de services qui tient la route ccedila me permettrait quand on calcule bien dans certains cas de figures et surtout si le gars tient la route financiegraverement et moralement je gagnerais mecircme plus que dans ma peacuteriode drsquoactiviteacute sans rien fairersquorsquo Crsquoest une manne financiegraverehellip agrave vie Vous donnez la proprieacuteteacute de vos parts mais vous gardez lrsquousufruit et vous faites faire agrave un prestataire de services Et lrsquoexploitation elle reste dans la famille chacun prend un tiers il y a pas de difficulteacute de partage Point termineacute raquo

(Prestataire de services parlant du cas drsquoun de ses clients Champagne-Ardenne feacutevrier 2013)

En parallegravele de lrsquoessor de la deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquooffre de sous-traitance se deacuteveloppe (figure 2) avec la creacuteation de nouvelles ETA leur agrandissement et la professionnalisation des plus anciennes permettant la prise en charge drsquoune surface plus importante Et parmi ces derniegraveres les plus grandes vont chercher agrave contractualiser avec les plus grandes exploitations pour reacutealiser des eacuteconomies drsquoeacutechelle

Gracircce agrave des questions portant speacutecifiquement sur la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole le sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest apporte un eacuteclairage compleacutementaire aux statistiques nationales qui sont limiteacutees agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures Dans cette reacutegion le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux concerne ainsi en 2018 54 de la population totale des reacutepondants soit 58 exploitations toutes productions confondues sur 1 075 Ce sont principalement des exploitations en grandes cultures (64 de la population en question) appartenant agrave des exploitants plutocirct pluriactifs acircgeacutes entre 35 et 55 ans Les principales raisons avanceacutees par les agriculteurs enquecircteacutes pour justifier le recours agrave cette forme aboutie de sous-traitance sont par ordre deacutecroissant drsquoimportance lrsquoabsence de mateacuteriel suite agrave un choix de non-investissement la pluriactiviteacute la possibiliteacute de simplifier lrsquoorganisation du travail lrsquoabsence de compeacutetences techniques Les entretiens approfondis reacutevegravelent eacutegalement drsquoautres motifs comme lrsquoeacuteloignement de lrsquoexploitation (ou drsquoun site de production lorsque lrsquoexploitation est eacuteclateacutee en plusieurs sites) ou encore des sorties preacutecoces du meacutetier Toujours selon cette enquecircte les agriculteurs en deacuteleacutegation inteacutegrale ont geacuteneacuteralement lrsquohabitude de sous-traiter des travaux agrave un prestataire avec lequel ils ont bacircti une relation privileacutegieacutee qui va au-delagrave drsquoune simple relation de donneur drsquoordres

62 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tabl

eau

2 - I

mpo

rtan

ce d

e la

deacutel

eacutegat

ion

inteacute

gral

e de

s tr

avau

x de

cul

ture

en

Fran

ce (e

n ef

fect

if et

en

pour

cent

age)

Effe

ctifs

et t

aux

des

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

inteacute

gral

emen

t les

trav

aux

de c

ultu

re p

ar o

rien

tatio

n te

chni

co-eacute

cono

miq

ue (O

tex)

- D

onneacute

es E

nquecirc

te

stru

ctur

e 20

16

Exp

loit

en

gran

des

cultu

res

(Ote

x 15

16)

Expl

oit

en

mar

aicircch

age

et

hort

icul

ture

(O

tex

2829

)

Exp

loit

en

vitic

ultu

re

(Ote

x 35

00)

Exp

loit

en

cultu

res

frui

tiegravere

s et

au

tres

cul

ture

s pe

rman

ente

s (O

tex

3900

)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

lait

(Ote

x 45

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

eacutelev

age

et

vian

de

(Ote

x 46

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

la

it eacute

leva

ge e

t vi

ande

com

bineacute

s (O

tex

4700

)

Exp

loit

ave

c ov

ins

cap

rins

et

aut

res

herb

ivor

es

(Ote

x 48

00)

Exp

loit

en

gran

ivor

es

(Ote

x 50

74)

Exp

loit

de

poly

cultu

re e

t po

lyeacutel

evag

e (O

tex

6184

)

Lrsquoens

embl

e de

s tra

vaux

sur

le

s cu

lture

s es

t-il

confi

eacute agrave

un

pres

tata

ire e

xteacuter

ieur

NO

N

Pet

ites

13 8

833

052

12 9

793

792

870

12 3

6944

214

739

1 32

66

493

Moy

enne

s et

gr

ande

s73

358

1093

144

469

5 96

937

715

30 3

356

006

14 4

3718

045

34 2

76

OU

IP

etite

s4

730

770

316

718

176

40

596

91

031

Moy

enne

s et

gr

ande

s7

783

197

2 11

819

22

364

1 76

219

91

103

1 11

31

606

Pas

de

reacutepo

nse

Pet

ites

350

220

1581

411

036

01

2

Moy

enne

s et

gr

ande

s63

198

4771

685

191

487

174

91

Effe

ctif

tota

l par

Ote

x99

851

14 2

0760

298

10 1

6741

861

46 8

956

848

31 7

2120

668

43 4

99

d

rsquoexp

loit

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute s

ur lrsquo

effe

ctif

tota

l12

51

44

73

56

15

42

95

45

46

1

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute62

296

575

153

492

969

810

00

649

992

609

d

e pe

tites

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

Tota

l des

pet

ites

expl

oita

tions

254

02

51

42

170

55

00

38

07

137

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

moy

enne

s et

gra

ndes

exp

loita

tions

96

18

45

31

58

53

32

69

58

45

Sou

rce

Tab

leau

reacuteal

iseacute

par l

es a

uteu

rs agrave

par

tir d

es d

onneacute

es d

e lrsquoe

nquecirc

te s

truct

ure

2016

ave

c lrsquoa

ppui

de

Joseacute

Ram

anan

tsoa

(Cen

tre d

rsquoeacutetu

des

et d

e pr

ospe

ctiv

e)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 63

Tableau 3 - Nombre et caracteacuteristiques des exploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures et avec un PBS ge 5 000 euro en deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2010 et 2016

2010 2016

PetitesMoyennes et

grandesTotal en deacuteleacutegation

inteacutegralePetites

Moyennes et grandes

Total en deacuteleacutegation inteacutegrale

Valeur absolue

Nombre drsquoexploit 4 471 4 281 8 752 3 524 5 462 8 986

PBS (millier euro) 55 107 318 103 373 210 41 590 557 463 599 053

SAU (hectares) 84 919 387 264 472 183 49 289 523 986 573 275

SCOP (hectares) 63 029 330 306 4 722 183 3 846 440 725 476 571

UTA 1 526 3 405 4 931 1 095 3 116 4 211

par rapport agrave la cateacutegorie concerneacutee

Exploitation 228 83 222 89

PBS 212 58 196 67

SAU 212 61 182 70

SCOP 218 61 197 70

UTA 146 52 128 42

des exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale 511 489 392 608

des exploitations en grandes cultures en France

Exploitation 123 116

PBS 65 70

SAU 70 74

SCOP 69 74

UTA 65 51

Source tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees RA 2010 et des donneacutees de lrsquoenquecircte structure 2016 avec lrsquoappui respectivement drsquoO Pauly (INRA-Agir) et de J Ramanantsoa (Centre drsquoeacutetudes et de prospective)

Note afin de comparer les chiffres entre les deux anneacutees les calculs ont eacuteteacute reacutealiseacutes en appliquant aux chiffres de 2016 la meacutethode drsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquopar abandonraquo utiliseacutee pour 2010

Figure 5 - Critegraveres de choix des ETA

Source figure reacutealiseacutee par les auteurs agrave partie des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Reacutesultats agrave la question du sondage OTEXA laquo Pour les activiteacutes sous-traiteacutees au sein de votre exploitation quels sont pour vous les trois critegraveres les plus importants dans le choix drsquoune ETA ou drsquoun prestataire de ce type raquo (N = nombre drsquoagriculteurs par type de sous-traitance)

64 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

et drsquoexeacutecutant Comme indiqueacute dans la figure 5 la confiance et la proximiteacute geacuteographique constituent les deux principaux critegraveres de choix drsquoune ETA pour une deacuteleacutegation inteacutegrale alors que pour la sous-traitance drsquoune ou de plusieurs tacircches lrsquoagriculteur va choisir lrsquoETA au regard de sa compeacutetence technique et de son efficaciteacute De la mecircme maniegravere lrsquoexistence drsquoun projet de deacuteleacutegation inteacutegrale a un effet positif sur la propension agrave sous-traiter un nombre plus important drsquoopeacuterations culturales drsquoougrave la progressiviteacute du passage drsquoune sous-traitance partielle agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale (tableau 1)

Ainsi sur la base de lrsquoensemble des enquecirctes (par sondage et par entretiens approfondis) il est possible drsquoeacutetablir quatre grands profils drsquoentreprises agricoles et drsquoagriculteurs ayant recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

- Des exploitations en grandes cultures avec des chefs drsquoexploitation agrave la retraite sans repreneurs qui preacutefegraverent deacuteleacuteguer inteacutegralement la gestion de leur exploitation agrave un tiers dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise Cette forme aboutie de deacuteleacutegation inteacutegrale est freacutequente dans les reacutegions de grandes cultures et notamment celles caracteacuteriseacutees par une faible preacutesence du fermage et de la coopeacuteration (CUMA groupements drsquoemployeurs) ainsi que par des problegravemes de transmission Lrsquoimportance de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour les exploitations en grandes cultures quelle que soit leur taille conduit agrave penser que cette logique serait la plus reacutepandue

- Des exploitations speacutecialiseacutees drsquoeacutelevage (bovin-lait) ou des exploitations avec une dominante viticulture avec des chefs drsquoexploitation qui cherchent agrave augmenter la performance globale de leur exploitation en se recentrant sur leur cœur de meacutetier et deacuteleacuteguant tous les travaux des cultures consideacutereacutees comme secondaires La carte de la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures reacutealiseacutee avec les donneacutees du recensement suggeacuterait deacutejagrave en 2010 (figure 3) lrsquoimportance de cette logique de laquo deacuteleacutegation inteacutegrale par recentrage raquo dans les reacutegions comme la Bretagne et la Normandie Celle eacutetablie avec les donneacutees de lrsquoenquecircte Structures 2016 confirme cette tendance (figure 4)

- Des petites exploitations dont le chef a heacuteriteacute de ses parents Ce dernier a ou non le statut laquo pluriactif raquo mais il ne souhaite pas dans tous les cas srsquoinvestir dans lrsquoactiviteacute agricole en raison de la taille de son exploitation des incertitudes pesant sur le revenu agricole ou encore du manque drsquoattrait pour le meacutetier

- Des petites exploitations en polyculture-polyeacutelevage notamment celles avec un atelier bovin-lait avec des chefs drsquoexploitation encore jeunes mais qui envisagent une sortie preacutecoce du meacutetier et pour cela commencent agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement les travaux de culture avant laquo drsquoen finir raquo avec les autres ateliers

4 De nouvelles formes drsquoorganisation de la sous-traitance

Agrave lrsquoinstar de ce que lrsquoon observe dans certains pays europeacuteens des dispositifs complexes de sous-traitance ont reacutecemment fait leur apparition en France Ils sont porteacutes tout agrave la fois par des entreprises de travaux des socieacuteteacutes de gestion voire des organisations professionnelles agricoles qui proposent une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation en passant par la mise en place de mesures agro-environnementales ou la fourniture de services juridiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 65

41 Pour reacutepondre aux nouvelles demandes des acteurs traditionnels srsquoadaptent et eacutevoluent

Tout au long de la modernisation drsquoapregraves-guerre la principale strateacutegie des chefs drsquoexploitation a eacuteteacute drsquoaccroicirctre la productiviteacute de leur travail par la speacutecialisation lrsquoagrandissement et la substitution du capital au travail (Gambino et al 2012) Malgreacute la remise en question de cette strateacutegie depuis les anneacutees 1980 lrsquoeacutevolution des investissements en mateacuteriel agricole continue sa progression de maniegravere concomitante agrave la concentration productive des exploitations (Lerbourg et Dedieu 2016) Ce pheacutenomegravene a des implications importantes sur lrsquoorganisation des chantiers agricoles puisque pour amortir un mateacuteriel toujours plus puissant mais aussi plus speacutecifique plus sophistiqueacute et donc plus coucircteux certains agriculteurs ont fait le choix de deacutevelopper des CUMA (Jeanneaux et Blasquier-Revol 2015 FNCUMA 2017) tandis que drsquoautres sureacutequipeacutes ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation de services soit en compleacutement des autres ateliers de lrsquoexploitation soit au travers drsquoune ETA (FNEDT 2019)

Pour reacutepondre agrave la nouvelle demande de sous-traitance et de deacuteleacutegation les ETA ont deacuteveloppeacute de nouveaux services de sous-traitance comme le laquo A agrave Z raquo deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus et ont fait eacutevoluer leur organisation en conseacutequence Drsquoautres acteurs traditionnels du domaine des services aux exploitations agricoles qui nrsquoeacutetaient jusqursquoagrave preacutesent pas engageacutes dans la sous-traitance comme les CUMA ou les coopeacuteratives commencent agrave peacuteneacutetrer le marcheacute Les sections suivantes preacutesentent les diffeacuterentes configurations repeacutereacutees lors de nos travaux de terrain

411 Des ETA eacutevoluent vers des ETA multiservices et organiseacutees en reacuteseaux

Parallegravelement agrave un changement dans la nature des services les observations de terrain montrent des eacutevolutions organisationnelles plus ou moins pousseacutees en ce qui concerne les ETA Dans certains cas on passe drsquoune simple ETA agrave une ETA multi-services geacuterant des exploitations pour autrui Il arrive que ces ETA multi-services entrent au capital des exploitations avec lesquelles elles travaillent ou bien srsquoorganisent en cluster drsquoETA pour travailler en reacuteseau (figure 6) La prise de participation au capital drsquoune exploitation est censeacutee reacutesoudre le problegraveme de comportements opportunistes de la part des parties prenantes14 en permettant agrave lrsquoETA de participer agrave la gouvernance de cette derniegravere et reacuteciproquement de garantir agrave lrsquoexploitant un travail bien fait de la part drsquoune ETA davantage impliqueacutee Lrsquoorganisation en reacuteseau drsquoETA a quant agrave elle pour objectif de couvrir un territoire plus eacutetendu et drsquooffrir une gamme de services speacutecifiques plus larges gracircce agrave la mutualisation des moyens Lors de nos enquecirctes nous avons ainsi rencontreacute le cas drsquoun reacuteseau creacuteeacute dans les anneacutees 2010 et reacuteunissant plus de 10 entreprises reacutecoltant plusieurs dizaines de milliers drsquohectares qui opegravere dans le nord-ouest de la France zone drsquoeacutelevage caracteacuteriseacutee par une forte demande en deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures dans une logique de recentrage Pour son fondateur lrsquoorganisation en reacuteseau permet aux ETA membres de disposer drsquoun parc important de mateacuteriels (avec technologies embarqueacutees) et drsquoun dispositif commun de formation du personnel Il peut ainsi communiquer sur leur expertise en matiegravere drsquoagriculture de preacutecision et sur la qualiteacute du travail reacutealiseacute par un personnel qualifieacute En 2013 ce reacuteseau est alleacute jusqursquoagrave

14 Ce problegraveme de comportement opportuniste qualifieacute dans la litteacuterature theacuteorique en eacuteconomie de laquo principal-agent raquo est celui qui est inheacuterent agrave toute relation contractuelle ougrave lrsquoaction de lrsquoune des parties prenantes le laquo principal raquo va ecirctre deacutetermineacutee par les informations dont elle dispose sur lrsquoautre laquo lrsquoagent raquo Par exemple dans une relation qui lie un assureur agrave un assureacute le premier est le principal Il ne dispose pas drsquoune information parfaite sur les intentions du second qui est lrsquoagent Lrsquoassureur peut subir un comportement opportuniste de la part de lrsquoassureacute et va donc inteacutegrer ce risque dans le contrat drsquoassurance Il se trouve que dans une relation de sous-traitance lrsquoagriculteur et le sous-traitant peuvent ecirctre tous les deux agrave la fois laquo principal raquo et laquo agent raquo Le sous-traitant peut ne pas apporter les efforts attendus et mal faire le travail tout comme lrsquoagriculteur-commanditaire peut ne pas payer le sous-traitant agrave temps

66 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

construire un partenariat avec une multinationale europeacuteenne drsquoagrofournitures afin de proposer agrave ses agriculteurs clients un eacutepandage drsquoazote moduleacute gracircce agrave une technologie deacuteveloppeacutee par cette derniegravere Pour son preacutesident un tel reacuteseau et un tel partenariat constituent une reacuteponse agrave la reacuteglementation et aux nouvelles attentes de la socieacuteteacute

laquo Lrsquoeacutevolution des reacuteglementations et de la socieacuteteacute nous obligent plus que jamais agrave nous adapter rapidement Toutes ces eacutevolutions entraicircnent drsquoimportantes pertes de compeacutetitiviteacute pour lrsquoagriculture franccedilaise Crsquoest dans cette logique que nous recherchons systeacutematiquement agrave notre eacutechelle les meilleures solutions qui peuvent aider nos clients agrave maintenir leur compeacutetitiviteacute Les techniques et les technologies existent aujourdrsquohui mais leur mise en œuvre et leur coucirct demeurent des freins importants agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation agricole Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rocircle et le service que les ETA de demain doivent ecirctre en mesure drsquoapporter agrave leurs clients raquo15

Qursquoelles soient multi-services ou organiseacutees en reacuteseau pour perdurer et se deacutevelopper malgreacute le niveau eacuteleveacute de leurs charges (immobiliseacutees et de fonctionnement) les ETA laquo nouvelle geacuteneacuteration raquo cherchent agrave rassembler la demande (pour tirer parti des eacuteconomies drsquoeacutechelle et reacuteduire les coucircts de production) et lrsquooffre (pour neacutegocier les deacuteboucheacutes lorsqursquoelles ont en charge la commercialisation)

412 Des CUMA deacuteveloppent la prestation de services

Agrave cocircteacute des ETA les CUMA ont aussi fait eacutevoluer leurs services et leur organisation pour reacutepondre aux besoins de leurs adheacuterents mais aussi de tiers non adheacuterents Ainsi certains reacuteseaux deacutepartementaux des CUMA de lrsquoouest et du sud-ouest proposent deacutesormais une offre nouvelle de services de prestation dits laquo complets raquo16

Le deacuteveloppement de telles activiteacutes de prestation a eacuteteacute reacutecemment faciliteacute par la loi laquo Travail raquo du 8 aoucirct 2016 qui permet aux CUMA drsquoecirctre reconnues comme groupement drsquoemployeurs Degraves lors des salarieacutes peuvent ecirctre embaucheacutes et mis agrave disposition drsquoexploitations adheacuterentes agrave la CUMA pour des prestations laquo cleacutes en main raquo Ceci marque un changement majeur pour des CUMA dans lesquelles seul le mateacuteriel eacutetait traditionnellement partageacute Mecircme si ces nouveaux dispositifs de prise en charge du travail sont le prolongement drsquoorganisations au caractegravere mutualiste ils attestent drsquoune dissociation affirmeacutee entre terre travail et capital et constituent des eacuteleacutements de deacuteplacement ou de deacutepassement du modegravele familial drsquoagriculture vers de nouvelles formes drsquoorganisation sociales et eacuteconomiques (Anzalone et Purseigle 2014)

Dans de nombreux deacutepartements le positionnement de certaines CUMA sur ce qui apparaicirct ecirctre un nouveau marcheacute ne fait plus de doute17 Si certaines srsquoemploient dans ce domaine agrave satisfaire uniquement leurs adheacuterents drsquoautres nrsquoheacutesitent pas agrave aller beaucoup plus loin dans le deacuteploiement drsquoune nouvelle offre de services aupregraves de tiers

Le cas de lrsquoentreprise Teravi18 illustre assez bien ces eacutevolutions (encadreacute 4) Nous voyons ici que de lrsquoagriculture de groupe agrave une agriculture laquo en reacuteseaux raquo il nrsquoy a souvent qursquoun pas La socieacuteteacute de conseil-geacuterance creacuteeacutee par les membres de ces deux structures

15 Guillemot T 2014 laquo Lrsquoapport moduleacute drsquoazote se preacutecise dans lrsquoOrne raquo Reacuteussir lrsquoagriculteur normand 22 mai p5-6 16 Le service dit laquo complet raquo offert par les CUMA est agrave distinguer des chantiers laquo complets raquo ou de laquo A agrave Z raquo proposeacutes par les ETA qui consistent agrave prendre en charge lrsquointeacutegraliteacute des opeacuterations techniques sur une exploitation17 Cf par exemple le dossier de la Chambre drsquoagriculture du Morbihan Terra ndeg 718 du 29 novembre 2019 laquo Et si quelqursquoun le faisait pour vous la deacuteleacutegation une solution agrave reacute-eacutevaluer raquo ou la plaquette de la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAveyron laquo Les services complets pour mieux geacuterer son travail sa meacutecanisation et sa CUMA raquo18 Les noms de toutes les entreprises citeacutees ont eacuteteacute modifieacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 67

Figure 6 - Scheacutema drsquoorganisation de la sous-traitance incluant la deacuteleacutegation inteacutegrale (ou laquo A agrave Z raquo) et relevant drsquoune ETA multi-services

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui du CEP in Forget et al (2019) ndash page 42

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

68 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Situeacutee dans le quart Nord-Est de la France cette entreprise est neacutee dans le prolongement drsquoune Socieacuteteacute en participation (SEP) reacuteunissant quatre EARL une SCEA et un GAEC2 Productrice de betteraves de luzerne de chanvre de colza de bleacute drsquoorge de printemps et de lentilles elle adhegravere agrave deux coopeacuteratives ceacutereacutealiegraveres une betteraviegravere et cultive eacutegalement des œillettes pour le compte drsquoun grand groupe pharmaceutique Lrsquoensemble des activiteacutes culturales qui srsquoeacutetend sur plus de 1 000 ha est reacutealiseacute par une CUMA inteacutegrale agrave laquelle le mateacuteriel des diffeacuterentes exploitations adheacuterentes a eacuteteacute progressivement vendu Adepte drsquoune approche taylorienne de lrsquoentreprise les exploitants vont alors chercher agrave rationnaliser au maximum le dispositif en se speacutecialisant chacun dans des activiteacutes preacutecises travail du sol pour lrsquoun reacutecolte pour un autre responsabiliteacutes professionnelles pour un autre etc Reacuteduire les charges de meacutecanisation eacutetait ici au centre des preacuteoccupations des exploitants fondateurs qui ont alors trouveacute dans la creacuteation drsquoune CUMA inteacutegrale de nombreux avantages eacuteconomiques Quelques anneacutees plus tard partant du constat qursquoune laquo ferme de 130 ha par personne deacutegage un mi-temps raquo et suffisamment de temps pour que les associeacutes puissent partir en vacances voire travailler agrave lrsquoexteacuterieur lrsquoideacutee drsquoutiliser ce temps libre pour construire un nouveau projet commun au sein du groupe a progressivement germeacute Face au vieillissement du territoire agricole sur lequel ils sont installeacutes et devant lrsquoincapaciteacute de leurs voisins agrave trouver des repreneurs ou agrave srsquoassocier comme eux dans des structures collectives les adheacuterents de cette SEP et de cette CUMA inteacutegrale perccediloivent lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau marcheacute

laquo Lrsquoideacutee de base lrsquoideacutee de postulat crsquoest de dire qursquoil y aura le papy boom qui arrive moi quand jrsquoai fait la formation jrsquoavais autant des viticoles que des agricoles donc je voyais que dans la partie viticole la majoriteacute reprennent leur patrimoine mais le gegraverent pas du tout Et il faut faire Et on sentait bien qursquoen agricole ccedila se deacutevelopperait de plus en plus Donc on srsquoest dit on va partir dans la prestation de services mais on ne veut pas du tout faire de la prestation de tracteur de tourner dans les champs avec notre tracteur crsquoest pas lrsquoobjectif du tout du groupe il y a suffisamment de mateacuteriel dans la plaine Voilagrave crsquoeacutetait le postulat de base donc on va faire sous-traiter toute la partie mateacuterielle Et donc nous on va faire tout le reste Crsquoest-agrave-dire deacutecisionnaires conseils services services crsquoest-agrave-dire suivi administratif suivi de ce que vous voulez On est un peu les donneurs drsquoordres les voilagrave crsquoeacutetait ccedila un peu lrsquoideacutee lrsquoideacutee de base de Teravi raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Forts drsquoune expeacuterience drsquoune dizaine drsquoanneacutee en agriculture dite de laquo conservation des sols raquo les sept agriculteurs de la SEP creacuteent alors une socieacuteteacute commerciale (SARL) de conseil en gestion nommeacutee Teravi Nrsquoutilisant pas le mateacuteriel de la SEP cette socieacuteteacute fait appel agrave drsquoautres sous-traitants du territoire Teravi est ici donneur drsquoordres agrave lrsquoentrepreneur Lrsquoentrepreneur exeacutecutant peut-ecirctre un agriculteur de la reacutegion disposant lui-mecircme drsquoune ETA ou une ETA traditionnelle Les entreprises laquo maicirctres drsquoœuvre raquo sont souvent speacutecialiseacutees Ainsi pour le compte drsquoun seul client Teravi peut faire appel agrave 8 agrave 10 entreprises sous-traitantes dont le choix est reacutealiseacute par Teravi puis valideacute par les clients Teravi contractualise tous les ans agrave la fois avec les ETA partenaires et ses clients Lrsquooffre proposeacutee se veut laquo claire raquo (les contrats sont deacutetailleacutes) laquo simple raquo (lrsquoentreprise est la seule interlocutrice) laquo rentable raquo (la technique ou lrsquoorganisation permettrait de proposer une offre avantageuse)3 La souplesse dans les contrats est le leitmotiv de cette entreprise le client doit pouvoir les interrompre agrave sa demande et il est preacutesenteacute comme non engageacute sur le long terme La volonteacute drsquoeacutechanger

Encadreacute 4 - Portrait de lrsquoentreprise de sous-traitance Teravi1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 69

avec le client est affirmeacutee et lrsquoentreprise ne se paie pas au reacutesultat Une facture agrave lrsquohectare est reacutealiseacutee et le paiement est eacutechelonneacute sur lrsquoanneacutee Les prix pratiqueacutes vont de 330 agrave 380 euros de lrsquohectare Afin de reacutepondre au laquo contexte juridique raquo et aux attentes de leurs clients trois contrats sont proposeacutes une convention de prestation de conseil une convention de prestation de services et un contrat de travaux drsquoentreprise agricole

laquo Nous on fait signer des contrats annuels On veut que ce soit le plus souple possible Que la personne en face nrsquoait pas lrsquoimpression drsquoecirctre bloqueacutee comme il peut ecirctre bloqueacute avec un bailhellip Le contrat on deacutetaille ce qursquoon fait On deacutetaille le coucirct on deacutetaille ce qursquoon doit faire en temps et en peacutenaliteacutes etc enfin on explique un peu les choses basiques et ce qui incombe aussi agrave la fois au client et agrave nous-mecircmes Au client il doit nous fournir tout ce qursquoil y a comme contrats particuliers si crsquoest une zone de captage tout ce qursquoon a besoin pour geacuterer une exploitation Et puis nous on transmet au fur et agrave mesure aujourdrsquohui ben les traitements Avec les nouvelles reacuteglementations etc etc on doit preacutevenir agrave chaque passage de traitement ce qursquoon fait etc raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Deux offres sont proposeacutees par lrsquoentreprise lrsquoune en laquo conseil strateacutegique raquo lrsquoautre en laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo La premiegravere relegraveve drsquoun accompagnement strateacutegique censeacute reacutepondre laquo aux deacutefis de demain raquo crsquoest-agrave-dire la recherche de rentabiliteacute de lrsquoexploitation agricole laquo dans un contexte politique et socieacutetal en grande mutation raquo Cet accompagnement peut ecirctre global ou circonscrit agrave une activiteacute particuliegravere (itineacuteraire technique reacuteglementation administratif etc) Une offre dite de laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo est eacutegalement proposeacutee Preacutesenteacutee comme permettant la conservation et la valorisation du patrimoine foncier par le proprieacutetaire elle permettrait notamment de valoriser la main-drsquoœuvre de lrsquoexploitation laquo en la rendant disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip)  raquo ou de laquo preacuteparer une transmission future raquo La laquo solution raquo proposeacutee repose sur un accompagnement dans le choix de lrsquoassolement la preacuteconisation de lrsquoitineacuteraire technique les interventions culturales adapteacutees le suivi des cultures Drsquoautres prestations optionnelles sont possibles de la reacuteception des facteurs de production (engrais semences phytosanitaires) au suivi administratif (cahier drsquoeacutepandage tenue des stocks fiches parcellaires aides agrave la deacuteclaration PAC etc) Parce que cette formule ne va pas encore compleacutetement de soi au sein de la profession il est proposeacute laquo des devis gratuits et une discreacutetion assureacutee raquo

1 Le nom de lrsquoentreprise a eacuteteacute modifieacute2 La loi drsquoorientation agricole du 5 janvier 2006 va plus loin en soulignant que laquo tout preneur quelles que soient les modaliteacutes juridiques drsquoexercice de son activiteacute peut participer agrave une opeacuteration drsquoassolement en commun raquo et laquo mettre les biens loueacutes agrave la disposition drsquoune socieacuteteacute comptant une personne morale parmi ses membres raquo (Letissier 2007 p 49) Ce nouveau dispositif juridique reconnaicirct et encourage le mouvement de dilution des entiteacutes familiales dans des groupes de grandes tailles au montage juridique complexe Au centre de ces groupes on trouve une socieacuteteacute de base la socieacuteteacute en participation (SEP) Si celle-ci garantit lrsquoautonomie juridique de chacune des exploitations constitutives de la SEP elle peut depuis 2008 se voir reconnaicirctre la qualiteacute laquo drsquoagriculteur raquo et ainsi preacutetendre aux aides directes du premier pilier de la PAC Les deacutefenseurs de ce type de dispositifs le reconnaissent eux-mecircmes ceci pose immanquablement la question de lrsquoactiviteacute censeacutee ecirctre reacutealiseacutee par les entreprises associeacutees dans cette socieacuteteacute (SAF 2012 p 204) Mecircme si la SEP nrsquoa pas de personnaliteacute morale pas de siegravege social de patrimoine social ni drsquoemprunts crsquoest bien elle qui reacutealise lrsquoactiviteacute agricole Les entreprises associeacutees se contentent tregraves souvent de participer agrave la gouvernance du groupe et ne reacutepondent plus au critegravere de maicirctrise du cycle biologique exigeacute par le Code rural (article L311-1) pour deacutefinir une activiteacute agricole (Purseigle et al 2018)3 Site internet de lrsquoentreprise

70 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ne reacutealise pas les prestations de travaux mais les organise pour le compte de ses clients   elle devient une tecircte de reacuteseau de sous-traitants agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Cette socieacuteteacute emploie un personnel posseacutedant une expertise agrave la fois agronomique et en matiegravere de gestion drsquoexploitation qui lui permet de se positionner en amont de la prise en charge des travaux agricoles sur lrsquoactiviteacute de conseil et de mise en relation clientETA qui deacutegage le plus de valeur ajouteacutee En controcirclant les deacutecisions drsquoun ensemble drsquoexploitations individuelles une telle socieacuteteacute peut avoir la main sur lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire La frontiegravere est souvent teacutenue entre la prestation de travaux agricoles et le conseil strateacutegique ou entre la gestion globale drsquoune exploitation et le controcircle strateacutegique Nous rejoignons ici Hubert Cochet qui deacutecrit laquo lrsquoeacutemergence drsquoentreprises de mateacuteriel agrave statut coopeacuteratif embauchant des salarieacutes et exploitant de tregraves grandes surfaces les agriculteurs devenant des actionnaires de ces structures veacuteritables pivots de tregraves grosses exploitations agricoles  raquo Celles-ci constituent de laquo grandes uniteacutes de production srsquoaffranchissant largement des frontiegraveres de lrsquoexploitation familiale raquo (Cochet 2008)

413 Des coopeacuteratives de collecte-approvisionnement et des CETA entrent aussi sur le marcheacute de la sous-traitance

Parmi les autres acteurs traditionnels qui entrent sur le marcheacute de la sous-traitance nous avons repeacutereacute plusieurs coopeacuteratives agricoles de collecte-approvisionnement et des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA)

Du cocircteacute des coopeacuteratives dans un contexte de baisse tendancielle du nombre drsquoexploitations agricoles le deacuteveloppement de la sous-traitance vise agrave fideacuteliser leurs adheacuterents mais surtout agrave preacuteserver une capaciteacute de collecte Les enquecirctes et observations de terrain montrent qursquoelles jouent agrave lrsquoeacutechelle de certains territoires un rocircle de plus en plus important dans lrsquoorganisation sociale et eacuteconomique de la production agricole

laquo On a beaucoup drsquoadheacuterents qui arrivent agrave la retraite mais nrsquoont pas forceacutement de successeur (hellip) Les technico-commerciaux font deacutejagrave ce travail sans que ce soit dit Ils posent les bidons et ils disent voilagrave comment il faut les utiliser raquo Cadre drsquoune coopeacuterative grand Sud-Ouest octobre 2018

Les reacutecents dispositifs leacutegislatifs instaurant agrave terme une seacuteparation des meacutetiers de la vente et du conseil semblent contribuer agrave leur repositionnement sur de nouveaux marcheacutes dont celui de la gestion des cultures Quelles que soient les reacutegions nos enquecirctes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent tregraves souvent comme intermeacutediaires entre des ETA et des membres-adheacuterents souhaitant deacuteleacuteguer tout ou partie de leurs travaux culturaux Si certains grands groupes coopeacuteratifs deacuteclarent selon les mots drsquoun preacutesident de coopeacuterative que nous avons interrogeacute ne pas rentrer laquo dans lrsquointimiteacute des exploitations  raquo et ne pas srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dont leurs adheacuterents gegraverent leurs exploitations il nrsquoen demeure pas moins que les entreprises de travaux agricoles sont pour eux comme des laquo partenaires raquo qui laquo ne doivent plus avoir peur raquo de pousser leurs portes et de venir discuter avec eux19

En raison de lrsquoincapaciteacute de certains adheacuterents agrave trouver des repreneurs ou agrave reacutesoudre des difficulteacutes technico-eacuteconomiques et face agrave de nouvelles formes de concurrence avec drsquoautres organismes stockeurs (OS) certains groupes coopeacuteratifs nrsquoheacutesitent plus agrave proposer une nouvelle offre de services laquo agrave visage deacutecouvert raquo Crsquoest le cas notamment drsquoun grand

19 Entretien avec un preacutesident de coopeacuterative le 1er feacutevrier 2019 lors du congregraves national de la FNEDT et relateacute dans laquo Les ETA sont des partenaires raquo Entrepreneurs des Territoires Magazine ndeg 120 avril p10-12

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 71

groupe coopeacuteratif du Sud-Ouest de la France qui propose un service drsquoaccompagnement de ses adheacuterents dans la gestion de chantiers de grandes cultures Le pocircle agriculture de cette coopeacuterative srsquoest doteacute drsquoun chef de projet ayant une expeacuterience dans la gestion de grands domaines dans un autre contexte agricole Ce dernier avec lrsquoappui drsquoun ingeacutenieur agronome ancien conseiller en centre de gestion et de quatre chefs de culture reacutefeacuterents supervise la gestion de chantiers reacutealiseacutes par une trentaine drsquoentreprises de travaux agricoles partenaires Ce service concerne actuellement une centaine drsquoadheacuterents Il srsquoest deacuteployeacute sur 4 000 hectares de grandes cultures et a eacuteteacute reacutecemment proposeacute pour des chantiers viticoles Pour chaque adheacuterent faisant appel agrave ce service la coopeacuterative deacutesigne un chef de culture reacutefeacuterent qui deacutecide conjointement avec lrsquoexploitant de lrsquoassolement et des productions Factureacute 50 euros de lrsquohectare auxquels srsquoajoute un pourcentage en fonction du reacutesultat de la vente ce service peut mecircme offrir une expertise en assurance pour les adheacuterents qui le souhaitent Agrave lrsquoissue de chaque campagne un reporting est reacutealiseacute afin de mieux appreacutehender les reacutesultats technico-eacuteconomiques de lrsquoexploitation20

Dans les Hauts-de-France par le biais drsquoune de ses filiales (SARL speacutecialiseacutee dans les activiteacutes de soutien aux cultures et employant six personnes) une autre coopeacuterative propose depuis 2013 une laquo solution de gestion complegravete ou agrave la carte raquo agrave ses adheacuterents Avec un chiffre drsquoaffaires de pregraves de trois millions drsquoeuros ses activiteacutes reposent principalement sur de la vente de craie des prestations drsquoeacutepandage drsquoamendement de semis et drsquoarrachage de betteraves Certaines coopeacuteratives vont mecircme jusqursquoagrave creacuteer des filiales commerciales21 qui reposent sur une alliance entre trois types de partenaires la coopeacuterative elle-mecircme un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles Ces filiales vont plus loin encore dans la construction drsquoun dispositif permettant de deacuteceler tregraves rapidement des deacutefaillances eacuteconomiques etou agronomiques Situeacutee dans lrsquoEst de la France une coopeacuterative enquecircteacutee nrsquoattend pas seulement que ses adheacuterents se tournent vers elle Elle est avec son partenaire centre de gestion en mesure de repeacuterer des situations qui neacutecessiteraient le recours agrave une prestation partielle ou totale de suivi des exploitations Alerteacutees les eacutequipes de technico-commerciaux se chargent ensuite de proposer lrsquooffre de la filiale agrave lrsquoagriculteur identifieacute Au-delagrave de la gestion technique organisationnelle administrative eacuteconomique et reacuteglementaire la coopeacuterative propose ici un controcircle de gestion et un bilan de campagne reacutealiseacutes chaque anneacutee Si ce controcircle de gestion est preacutesenteacute comme un instrument permettant drsquoappreacutecier la pertinence de la prestation il srsquoavegravere ecirctre un outil au service drsquoun suivi tregraves rapprocheacute des exploitations adheacuterentes Par le biais de sa filiale et sur la base drsquoun programme technico-eacuteconomique preacutealablement deacutefini la coopeacuterative confie alors agrave une entreprise speacutecialiseacutee en gestion drsquoexploitation et optimisation des systegravemes de production le soin de reacutealiser le suivi et la mise en œuvre opeacuterationnelle   deacutefinition des chantiers reacutealisation des travaux culturaux etc Reconnue dans la reacutegion concerneacutee pour son expertise lrsquoentreprise propose mecircme des applications web permettant drsquoentrer toutes les donneacutees de lrsquoexploitation et de les stocker Indeacutependamment de sa participation agrave hauteur de 20 dans cette filiale de coopeacuterative cette entreprise dispose drsquoun portefeuille de clients qui repreacutesente plus de 8 000 hectares de grandes cultures Elle propose eacutegalement agrave ses autres clients des outils de gestion de la collecte (gestion des productions agrave commercialiser contractualisation des volumes avec les diffeacuterents organismes stockeurs suivi des stockages et deacutestockages suivi permanent des cours accegraves aux offres de marcheacute pour ces derniers etc) Enfin agrave lrsquoinstar drsquoun groupe coopeacuteratif situeacute au sud-ouest de Paris certaines coopeacuteratives nrsquoheacutesitent plus agrave racheter des entreprises de travaux agricoles par le biais de filiales

20 Jacquemoud F 2018 laquo Un copilote pour geacuterer les cultures raquo Agrodistribution mai p 23 Jaquemond F 2018 laquo Deacuteleacuteguer la gestion de ses ceacutereacuteales raquo La France agricole ndeg 3751 8 juin p 54-55 21 Les filiales commerciales permettent aux coopeacuteratives de srsquoengager dans des activiteacutes en partenariat avec des entreprises priveacutees pouvant geacuteneacuterer drsquoimportants profits

72 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Si de telles strateacutegies sont nouvelles pour les coopeacuteratives du secteur ceacutereacutealier elles ont fait leur apparition degraves les anneacutees 1990 dans certaines reacutegions viticoles comme la Provence Confronteacutees au deacuteveloppement de lrsquourbanisation et au non-renouvellement des geacuteneacuterations certaines caves coopeacuteratives en proximiteacute de villes comme Aix-en-Provence Brignoles ou Bandol ont souhaiteacute degraves cette eacutepoque seacutecuriser leurs approvisionnements en creacuteant des socieacuteteacutes civiles drsquoexploitation agricoles ou des groupements fonciers mutuels (Le Gars et Roudieacute 1996) Dans ce secteur cette prise en charge directe des activiteacutes de production peut ecirctre peacuterenne ou temporaire Elle va parfois de pair avec la mise en place drsquooutils de reprise progressive des uniteacutes de production par de jeunes viticulteurs Comme nous lrsquoavons constateacute lors drsquoenquecirctes reacutealiseacutees en 2015 et 2016 dans le Roussillon cette strateacutegie se deacuteveloppe eacutegalement dans le secteur de la production arboricole et maraichegravere ougrave des coopeacuteratives rachegravetent des vergers drsquoarbres fruitiers dont la conduite est confieacutee agrave un chef de culture et des salarieacutes

Face agrave un manque de professionnalisation et aux difficulteacutes rencontreacutees par le modegravele familial drsquoexploitation certaines associations interprofessionnelles (par ex lrsquoAssociation franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoolive - AFIDOL France Olive) procircnent lrsquoimplication des transformateurs (moulins priveacutes etou coopeacuteratives) dans la prise en charge partielle ou totale des activiteacutes de production Cet extrait du rapport moral du preacutesident de lrsquoAFIDOL en teacutemoigne

laquo Nous devons passer drsquoune strateacutegie drsquoattente de lrsquoapprovisionnement agrave une strateacutegie drsquointeacutegration de lrsquoamont Finie lrsquoeacutepoque ougrave un transformateur se contentait drsquoattendre que lrsquooleacuteiculteur apporte ses olives au moulin Il faut inteacutegrer dans nos tecirctes que le modegravele agricole dans lequel nous vivons depuis 1945 est en train de disparaicirctre Si nous ne reacuteagissons pas nous disparaicirctrons avec lui Les nouvelles geacuteneacuterations nrsquoont plus envie de laquo srsquoemmerder raquo apregraves leur travail agrave tailler traiter reacutecolter les oliviers heacuteriteacutes de leur pegravere et de leur grand-pegravere Bien sucircr cette eacutevolution est lente pernicieuse mais elle est ineacuteluctable (hellip) la filiegravere oleacuteicole du XXIe doit se bacirctir autour drsquooliveraies meneacutees par des agriculteurs professionnels ou des prestataires de service associeacutes agrave des pools de moulins priveacutes ou coopeacuteratifs capables drsquoextraire de stocker et de mettre en bouteilles dans des conditions optimales raquo22

Plus eacutetonnant de prime abord des organismes de conseil comme des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA) fondeacutes agrave lrsquoorigine pour promouvoir une expertise agronomique et technique se sont eacutegalement positionneacutes degraves les anneacutees 2000 sur le marcheacute de la sous-traitance agricole Des exemples de ce type ont notamment eacuteteacute repeacutereacutes en Icircle-de-France et en Normandie En deacuteveloppant un service et des uniteacutes commerciales deacutedieacutees agrave la prise en charge de travaux agricoles ces CETA souhaitaient agrave lrsquoorigine reacutepondre agrave une demande drsquoadheacuterents sur le point de prendre leur retraite ou ayant subi un accident de la vie On observe habituellement deux ensembles de pratiques lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoadheacuterents au CETA (cas du CETA Agriacteacutea) et lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoETA qui ont deacutejagrave leurs clients (cas du CETA Seacutemeacuteac)

Dans le premier cas lrsquoeacutequipe est porteacutee par deux ingeacutenieurs en agriculture Creacuteeacute en 2006-2007 ce service travaille pour le compte de six exploitations pour un total de 1 500 hectares Au-delagrave du conseil et de lrsquoexpertise agronomique cette prestation a eacuteteacute creacuteeacutee pour reacutepondre agrave une demande de gestion inteacutegreacutee drsquoexploitations agricoles23 Le profil des clients est diversifieacute il srsquoagit de personnes ayant heacuteriteacute drsquoune exploitation mais qui exercent

22 Nasles O 2014 Rapport moral du Preacutesident dans Rapport drsquoactiviteacutes Association franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoOlive httpsafidolorgoleiculteurrapports-dactivite-lafidol23 Les exploitations geacutereacutees sont ici deacutenommeacutees laquo domaines agricoles raquo comme pour rappeler le caractegravere patrimonial de la deacutemarche

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 73

une autre activiteacute drsquoun client qui a deacuteveloppeacute en parallegravele une activiteacute de jardinerie et qui souhaitait se recentrer sur cette activiteacute ou drsquoun client institutionnel Il y a enfin le cas drsquoun laquo grand nom raquo (de la financeindustrie) qui nrsquoeacutetait pas satisfait des services offerts par lrsquoETA travaillant pour lui Notons que sur ces six clients la majoriteacute faisait partie du CETA

Contrairement aux coopeacuteratives agricoles qui jouent de leur capaciteacute agrave mettre en marcheacute la production pour convaincre leurs adheacuterents ou clients les CETA mettent en avant leur expertise technique Apregraves plusieurs deacutecennies drsquoexpeacuterimentations permettant drsquoameacuteliorer le rendement des parcelles cette uniteacute commerciale serait capable drsquooffrir un diagnostic plus fin sur la strateacutegie agrave suivre par lrsquoexploitation (choix des cultures assolements etc) et un service qui preacuteserverait laquo lrsquoindeacutependance raquo des exploitants Mecircme si la commercialisation des productions est ici exclue il est proposeacute aux clients et aux ETA partenaires une mutualisation de lrsquoachat des intrants afin de les faire beacuteneacuteficier de prix avantageux Deux types de contrats sont signeacutes un contrat entre lrsquoETA et lrsquoexploitant et un entre lrsquoexploitant et le service Notons cependant que les deux contrats sont reacutedigeacutes par le CETA Agriacteacutea Ces contrats courent en geacuteneacuteral sur une dureacutee de cinq ans La deacutefinition du contrat deacutebute par un audit geacuteneacuteral (de type agronomique) afin de minimiser la prise de risque pour les diffeacuterentes parties prenantes du dispositif Les tacircches associeacutees agrave ce service relegravevent drsquoune prestation de conseil et drsquoune coordination des ETA envoi des ordres drsquointervention et veacuterification que laquo le travail soit bien fait raquo Comme dans drsquoautres cas eacutetudieacutes il srsquoagit ici de geacuterer plusieurs ETA pour un client Le cahier des charges pour lrsquoETA comporte une clause drsquoexclusion et un meacutediateur peut ecirctre nommeacute (expert foncier agricole aupregraves des tribunaux dont le nom figure dans le contrat) en cas de litige de paiement entre lrsquoexploitant et lrsquoETA ou lors drsquoune accumulation de litiges techniques (eacutepandage de fongicides fait trop tard etc) Le contrat peut ecirctre reconduit pour cinq ans suite agrave une reneacutegociation Lrsquoagriculteur paie directement les ETA selon un tarif assez habituel dans la profession (environ 400 euro par hectare pour du bleacute) Il reacutemunegravere par ailleurs Agriacteacutea pour le service drsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage (entre 60 agrave 100 euro par hectare et par an) Ce tarif est calculeacute de maniegravere laquo objective raquo selon la complexiteacute de lrsquoexploitation et selon le contenu de lrsquooffre

Le deuxiegraveme cas observeacute est celui drsquoun organisme de conseil normand Seacutemeacuteac qui a mis en place reacutecemment une structure originale de prestation de services Ici le contrat lie Seacutemeacuteac agrave une ETA qui possegravede deacutejagrave son portefeuille de clients Le laquo gestionnaire salarieacute  raquo ou laquo land manager raquo est ainsi employeacute par un groupement drsquoemployeurs lieacute agrave Seacutemeacuteac et laquo confieacute raquo agrave une ETA de grande taille qui reacutealise des travaux pour six clients diffeacuterents Lrsquoideacutee pour lrsquoETA est de mutualiser un salarieacute et de se libeacuterer du risque lieacute aux deacutecisions strateacutegiques (le coucirct des assurances eacutetant pris en charge par Seacutemeacuteac)

Enfin agrave cocircteacute des CETA il est eacutegalement agrave noter que dans le sud de la France (notamment en Occitanie ou en Provence) ont eacuteteacute creacuteeacutes des cabinets drsquoexpertise agronomique ou œnologique qui accompagnent non seulement les viticulteurs et les oleacuteiculteurs dans le suivi technique mais eacutegalement dans la gestion complegravete drsquoexploitations agricoles ou domaines Lagrave aussi nous voyons que la frontiegravere entre le conseil technique et la gestion est parfois teacutenue

42 Nouveaux dispositifs nouveaux arrangements contractuels nouveaux meacutetiers

La croissance du marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation a conduit agrave la creacuteation de dispositifs et meacutetiers nouveaux adosseacutes agrave de nouveaux arrangements contractuels et reacutepondant agrave des objectifs multiples seacutecurisation drsquoun approvisionnement en matiegraveres

74 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

premiegraveres agricoles dans un contexte de diminution du nombre drsquoactifs agricoles pour les uns construction de nouveaux marcheacutes de services gracircce au numeacuterique pour les autres

421 Quand des neacutegoces et des socieacuteteacutes de gestion agricoles proposent une seacutecurisation des approvisionnements industriels

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute par ailleurs (Purseigle et al 2017) il est courant dans certaines reacutegions ceacutereacutealiegraveres ou de grandes cultures de rencontrer de tregraves grandes entreprises de travaux agricoles qui assurent et seacutecurisent la production pour le compte drsquoindustriels ne souhaitant plus contractualiser individuellement avec des exploitations agricoles Pour certaines entreprises de prestation ayant inteacutegreacute des fonctions de stockage et de neacutegoce la prise en charge de lrsquoactiviteacute de production sur plusieurs milliers drsquohectares entend permettre de faire jeu eacutegal avec les industriels de la transformation notamment sur certains marcheacutes deacuteficitaires comme celui de lrsquoagriculture biologique Le cas de lrsquoentreprise gersoise Biopresta en est une illustration Cette derniegravere produit des leacutegumineuses (notamment des lentilles) et des ceacutereacuteales en agriculture biologique Agrave lrsquoorigine adosseacutee agrave une exploitation agricole familiale elle exploite aujourdrsquohui autour de 2 000 hectares Elle compte une dizaine de salarieacutes permanents dont six chauffeurs de machines agricoles et un meacutecanicien Selon les choix culturaux et les pointes de travail des salarieacutes occasionnels ou un agriculteur laquo partenaire raquo disposant drsquoune plus petite exploitation viennent se joindre agrave cette eacutequipe de permanents Organisme stockeur et neacutegoce la socieacuteteacute de prestation de travaux Biopresta vend directement ses reacutecoltes agrave des industriels Selon le dirigeant de cette entreprise les coopeacuteratives sont incapables de fournir des lots de qualiteacute comme les siens Un autre exemple est lrsquoentreprise landaise Semeacuteis Celle-ci gegravere plusieurs milliers drsquohectares pour le compte de proprieacutetaires de foncier agricole Son cas est inteacuteressant car elle possegravede un parc de mateacuteriel speacutecialiseacute qui lui permet de contractualiser avec une industrie drsquoagrofourniture pour la production de semences certifieacutees Comme Biopresta Semeacuteis entend offrir agrave ses clients industriels franccedilais et europeacuteens un niveau de reacutegulariteacute dans lrsquoapprovisionnement une qualiteacute homogegravene des produits et une traccedilabiliteacute et surtout des volumes qursquoune exploitation de taille moyenne ne pourrait atteindre

Lrsquoeacutemergence en France de nouveaux dispositifs de sous-traitance ne correspond pas uniquement au deacuteveloppement de grandes entreprises de travaux agricoles adosseacutees agrave des exploitations des neacutegoces ou des coopeacuteratives Elle renvoie eacutegalement agrave lrsquoapparition en Europe de dispositifs complexes drsquoexternalisation des activiteacutes de production reposant sur des creacuteations ex nihilo de socieacuteteacutes de gestion drsquoexploitations agricoles Ces socieacuteteacutes aux allures de firme sont notamment preacutesentes en Belgique France et Grande- Bretagne Creacuteeacutee en 1985 en Belgique par trois amis proprieacutetaires fonciers la socieacuteteacute FarmPrest SA exploite sur le territoire national 10 000 hectares de terres dont 5 000 comme proprieacutetaire de plein droit et 5 000 selon le modegravele de lrsquoexploitation deacuteleacutegueacutee En Belgique au-delagrave des actionnaires lrsquoentreprise megravere fonctionne autour drsquoun directeur deacuteleacutegueacute ayant fait ses premiegraveres armes professionnelles dans le secteur de la laquo blanchisserie industrielle raquo de quatre personnes en charge de la gestion administrative et de six agronomes locaux reacutepartis sur lrsquoensemble du territoire (trois en Wallonie et trois en Flandre)

laquo Jrsquoai des agronomes sur le terrain Chacun a sa reacutegion Et ces agronomes sont des coordinateurs indeacutependants et ces coordinateurs indeacutependants sont responsables de la fixation de lrsquoassolement de lrsquointervention sur le terrain le suivi des interventions sur le terrain le suivi des reacutecoltes le reacuteseau dans le monde agricole et sont soutenus par une eacutequipe administrative qui srsquooccupe des diffeacuterends avec les diffeacuterents ministegraveres raquo (Directeur deacuteleacutegueacute de FarmPrest Belgique avril 2017)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 75

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

Mecircme si FarmPrest dispose en Belgique drsquoun statut drsquoexploitant agricole la socieacuteteacute ne possegravede pas pour autant un parc de mateacuteriel Comme ses clients elle confie les travaux des 5 000 hectares dont elle est proprieacutetaire agrave des entreprises de travaux ou drsquoautres agriculteurs Ce partenariat avec un ensemble drsquoETA seacutelectionneacute par elle-mecircme lui permet drsquoacqueacuterir une grande flexibiliteacute gestion relativement aiseacutee de lrsquoagenda des travaux en fonction des demandes accegraves agrave un parc de machines diversifieacutees dont certaines sont eacutequipeacutees de technologies dernier cri sans avoir agrave supporter lrsquoinvestissement etc

Depuis 2012 FarmPrest est implanteacutee dans la moitieacute nord et dans lrsquoouest de la France Coordonneacutees par un land manager reacutemuneacutereacute via des contrats de prestation de services les activiteacutes de FarmPrest se deacuteploient dans notre pays selon un modegravele diffeacuterent de celui mis en place en Belgique Ne posseacutedant pas de terres en nom propre dans lrsquoHexagone FarmPrest Belgique a creacuteeacute en France deux socieacuteteacutes Lrsquoune en association avec une coopeacuterative de lrsquoOuest dont elle deacutetient 51 du capital lrsquoautre avec un neacutegociant du Nord de la France ougrave elle deacutetient 50 des parts Agrave elles deux FarmPrest Ouest et FarmPrest Nord gegraverent actuellement 3 250 hectares pour le compte de 19 clients investisseurs proprieacutetaires ou agriculteurs qui souhaitent deacuteleacuteguer la gestion et lrsquoexercice des activiteacutes de production agricole (figure 7)

Comme on peut le lire sur son site Internet ou sa plaquette publicitaire le slogan de FarmPrest tient en une phrase laquo Exploitez vos terres autrement raquo Tout comme le font certaines grandes entreprises des secteurs industriels ou commerciaux le deacuteveloppement durable est pour FarmPrest un argument commercial de poids Si son meacutetier laquo est drsquoassurer

76 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

la rentabiliteacute et la peacuterenniteacute des exploitations agricoles raquo son objectif est drsquoatteindre laquo une triple performance eacuteconomique sociale et environnementale sur les terres raquo24 qursquoelle gegravere La question environnementale est un eacuteleacutement deacuteterminant dans la conquecircte par la firme drsquoune nouvelle clientegravele agricole FarmPrest entend laquo aborder lrsquoagriculture drsquoun œil critique avec une vision durable et une approche pratique raquo en appliquant laquo sur toutes les terres une agriculture juste et responsable raquo Elle propose en France une large gamme de services   audit drsquoexploitation agricole gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation eacutetudes environnementales recherche de partenaires industriels autres que les organismes stockeurs locaux pour assurer une valorisation supeacuterieure des productions et diversifier les assolements service notarial et juridique speacutecialiseacute en droit rural etc

Dans ces nouveaux scheacutemas de prestations lrsquooffre associeacutee drsquoun service de conseil laquo global raquo et laquo sur mesure raquo constitue un atout majeur pour se diffeacuterencier des entreprises de travaux agricoles classiques Il y a tout agrave la fois conseil strateacutegique drsquoentreprise conseil patrimonial et conseil agronomique et ce agrave diffeacuterents moments clefs du deacuteveloppement de lrsquoentreprise Tout comme en Belgique FarmPrest deacutelivre agrave ses clients franccedilais des conseils sur la strateacutegie globale agrave suivre reacutealise pour eux les achats drsquointrants et gegravere les ventes de leurs productions agricoles Drsquoautres prestataires eacutetudient avec leurs clients comment geacuterer de maniegravere optimale leur exploitation tout en reacutepondant aux nouvelles contraintes du premier pilier de la PAC Pour cette prise en charge globale des exploitations clientes sur la base drsquoune reacutemuneacuteration fixe agrave laquelle srsquoajoute une part variable (100 euroha + 5 de la marge nette) FarmPrest seacutelectionne des entreprises dont elle supervise hebdomadairement lrsquointeacutegraliteacute des travaux agricoles par le biais de land managers Dans chacune des socieacuteteacutes franccedilaises deacutetenues par FarmPrest Belgique nous retrouvons ces gestionnaires coordinateurs qui servent drsquointerface entre la socieacuteteacute de gestion les proprieacutetaires qui deacutelegraveguent totalement la gestion de leur exploitation et un ensemble drsquoETA qui interviennent sur la base drsquoun laquo bon de travail raquo

Ainsi comme dans le secteur du bacirctiment et travaux publics nous voyons apparaicirctre en agriculture un nouvel laquo ensemblier raquo reacuteunissant les figures du laquo maicirctre drsquoouvrage raquo (lrsquoagriculteur proprieacutetaire foncier) du laquo maicirctre drsquoœuvre raquo (lrsquoETA) et de laquo lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage raquo (FarmPrest) FarmPrest ne srsquoappuie pas sur un parc de mateacuteriel en propre mais sur des entreprises de travaux et de prestations agricoles Elle ne reacutealise donc pas les prestations mais les organise pour le compte de ses clients Interlocuteur unique aupregraves de ses clients FarmPrest est agrave la tecircte drsquoun reacuteseau de sous-traitants qursquoelle fait intervenir selon les besoins Comme donneuse drsquoordres elle peut ainsi mobiliser jusqursquoagrave dix entreprises speacutecialiseacutees pour le compte drsquoun seul client les semis eacutetant reacutealiseacutes par lrsquoune les traitements phytosanitaires lrsquoirrigation et la moisson par drsquoautres Disposant drsquoun laquo deacutepartement administratif raquo FarmPrest reacutedige les deacuteclarations PAC signeacutees ensuite par le proprieacutetaire ou ledit exploitant agricole Les donneacutees des fiches parcellaires des plans de fertilisation ou du suivi des mesures agro-environnementales sont enregistreacutees dans un logiciel permettant laquo de geacuterer les terres et les prairies comme un reacuteel asset financier raquo25 La maicirctrise du foncier et la valorisation de la main-drsquoœuvre familiale rendue laquo disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip) raquo sont les deux arguments avanceacutes par ces socieacuteteacutes de conseil-geacuterance

FarmPrest nrsquoest en France qursquoun exemple parmi drsquoautres Sur un modegravele eacutequivalent des socieacuteteacutes de gestion de type commercial sont creacuteeacutees dans le secteur des grandes cultures ou de la viticulture pour assurer la gestion et la geacuterance drsquoexploitations en quecircte

24 Plaquette commerciale FarmPrest France25 Plaquette commerciale FarmPrest France

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 77

de repreneurs ou racheteacutees par des investisseurs Souvent expeacuterimenteacutees dans la conduite drsquoexploitations de grande taille ces firmes parfois invisibles pour lrsquoadministration et lrsquoappareil statistique proposent drsquoaccompagner des entreprises individuelles dans lrsquoeacutelaboration de leur strateacutegie tout en mettant en place de gigantesques assolements en commun Les eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees sont preacutesenteacutees comme laquo des conditions avantageuses pour lrsquoachat des intrants et la vente des produits agricoles raquo26 Agrave lrsquoinstar des firmes de production industrielle les entreprises comme FarmPrest neacutegocient directement avec les grandes firmes de lrsquoagrofourniture ou de lrsquoindustrie agroalimentaire agrave qui elles garantissent des surfaces de production

Si dans un pays comme la France le deacuteveloppement des activiteacutes de sous-traitance et de deacuteleacutegation de lrsquoactiviteacute agricole agrave de nouveaux consortia aux allures de firmes commerciales peut surprendre ces activiteacutes sont plus anciennes et tregraves reacutepandues dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni Outre-Manche lrsquoentreprise Emilrsquos speacutecialiseacutee dans le conseil agronomique priveacute gegravere 56 000 hectares pour le compte de 160 clients et proprieacutetaires Disposant drsquoune agence deacutedieacutee aux investissements agricoles et agrave la prise en charge des travaux Emilrsquos seacutelectionne via des appels drsquooffres drsquoimportantes entreprises nationales de sous-traitance (contractors) et surveille leur performance pour le compte de ses clients Ces derniers confient la strateacutegie et le financement de leur exploitation agrave Emilrsquos qui perccediloit une reacutemuneacuteration fixe Les grandes agences de sous-traitance qursquoelle seacutelectionne supervisent les travaux reacutealiseacutes par des entreprises locales achegravetent les intrants et gegraverent les ventes Elles sont directement reacutemuneacutereacutees agrave la performance par les exploitantsproprieacutetaires

Agrave cocircteacute de ces socieacuteteacutes de gestion apparaicirct une figure ineacutedite drsquoentrepreneurs qui parallegravelement agrave leur profession principale (agriculteur conseiller-salarieacute drsquoune coopeacuterative agricole etc) offrent en freelance et agrave distance une large gamme de services Ces nouveaux types de gestionnaires travaillent principalement pour le compte de clients faisant partie de leurs reacuteseaux drsquointerconnaissance et ils adaptent au cas par cas leurs prestations Leur travail agrave distance a eacuteteacute derniegraverement faciliteacute par lrsquoarriveacutee de nouveaux outils numeacuteriques (applications pour smartphone permettant de geacuterer agrave distance certaines opeacuterations culturales) Ils peuvent ainsi prendre en charge selon la demande lrsquoensemble des opeacuterations techniques ou uniquement des tacircches administratives et de conseil (optimisation des deacutecisions techniques en fonction de la PAC etc) Certains drsquoentre eux jouent eacutegalement le rocircle de reacutegisseur drsquoune exploitation en deacuteleacutegation inteacutegrale Geacuteneacuteralement multi-compeacutetents ils peuvent aussi srsquoassocier agrave drsquoautres entreprises locales pour compleacuteter leur palette drsquoexpertises Du fait de la dissociation opeacuterationnelle entre proprieacuteteacute capital drsquoexploitation et travail ce type drsquoentreprises et drsquoentrepreneurs de services ouvrent la voie agrave des formes drsquoagricultures sans agriculteurs (Hervieu et Purseigle 2013)

422 De nouveaux arrangements contractuels

Lrsquoanalyse des arrangements contractuels entre les prestataires de services et les agriculteurs permet drsquoaller plus loin et de cerner les facteurs conduisant ces derniers agrave preacutefeacuterer la deacuteleacutegation inteacutegrale au fermage ou agrave lrsquoembauche drsquoun salarieacute (tableau 4) La propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement est drsquoautant plus forte que lrsquoexploitant exerce le meacutetier drsquoagriculteur agrave titre secondaire ou qursquoil a deacuteveloppeacute un atelier drsquoeacutelevage ou une diversification (tableau 5) Avec un contrat geacuteneacuteralement annuel reconduit tacitement la simpliciteacute et la

26 Plaquette commerciale FarmPrest France

78 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

souplesse des relations contractuelles constituent pour une majoriteacute des agriculteurs enquecircteacutes les principales raisons de lrsquoadheacutesion et ce malgreacute le coucirct relativement eacuteleveacute du service notamment lorsqursquoil engage un intermeacutediaire Le prix nrsquoarrive drsquoailleurs qursquoen sixiegraveme position des critegraveres de choix drsquoune ETA apregraves la confiance la proximiteacute la compeacutetence technique lrsquoefficaciteacute et le mateacuteriel (figure 5) Le paiement du service est deacutetermineacute agrave lrsquohectare Il comporte une part fixe (environ 75 ) et une part variable (25 ) La part fixe deacutepend des reacutegions de 400 euro agrave 500 euro par hectare en fonction du marcheacute de la sous-traitance des services fournis en suppleacutement de lrsquoexpertise agronomique et eacuteconomique (conseil drsquoun assolement et itineacuteraire technique en fonction des deacuteboucheacutes ou des incitations PAC) du suivi administratif jusqursquoagrave la gestion complegravete de lrsquoexploitation La part variable est fonction des reacutesultats de la campagne avec geacuteneacuteralement une indexation sur la marge nette de chaque culture pour la campagne concerneacutee Les achats drsquointrants ainsi que la commercialisation de la production sont souvent inclus dans le contrat de prestation car cela permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle mais aussi de faciliter lrsquoorganisation du travail puisque le prestataire peut geacuterer lrsquoensemble des exploitations-clientes comme une seule Une telle structure de paiement du service aide agrave reacutepartir le risque de production et de marcheacute entre le prestataire et le client et incite le prestataire et lrsquointermeacutediaire agrave optimiser leur performance eacuteconomique dans la conduite de lrsquoexploitation Elle facilite aussi les relations avec les acteurs en amont (agrofourniture) et en aval de la production (coopeacuteratives neacutegociants industries de transformation etc) Notons qursquoagrave cocircteacute des eacuteleacutements chiffreacutes la qualiteacute de la relation de deacuteleacutegation deacutepend eacutegalement des garanties apporteacutees par le prestataire (objectifs de moyens et aussi de reacutesultats) et de la palette de ses compeacutetences agronomiques (conventionnelles et alternatives) et de conseil (technique et strateacutegique) Agrave titre drsquoexemple dans tous les deacutepartements de la reacutegion Centre-Val de Loire la surface de grandes cultures deacuteleacutegueacutees inteacutegralement est estimeacutee agrave plus de 14 000 hectares en 2010 Ceci provient du fait que les terres y ont un potentiel de rendement eacuteleveacute permettant au proprieacutetaire foncier et au prestataire de construire une relation gagnant-gagnant venant concurrencer le fermage Cette relation est drsquoautant plus solide que le proprieacutetaire de lrsquoexploitation nrsquoa aucun investissement lourd agrave amortir qursquoil conserve son statut drsquoagriculteur et perccediloit les aides PAC tandis que le prestataire peut de son cocircteacute rationaliser le travail en pensant un assolement global pour lrsquoensemble des parcelles deacuteleacutegueacutees jouer sur les eacuteconomies drsquoeacutechelle pour neacutegocier les contrats de leasing-vente de machines agricoles et drsquoachat drsquointrants et agglomeacuterer lrsquooffre pour inteacuteresser les neacutegociants et industriels de lrsquoaval

laquo Je suis le seul maicirctre agrave bord et le gars qui vient chez moi le client qui vient me voir il faut qursquoil accepte mon mode de fonctionnement Srsquoil me dit laquomoi je veux que mon bleacute soit sur ma parcelle que mon maiumls soit sur ma parcelle raquo je lui dis laquoeacutecoutez je ne suis pas le bon fournisseur pour vousraquo Ccedila je ne saurai pas faire [hellip] et jrsquooptimise les coucircts drsquoachat parce qursquoon a un groupe donc on a une certaine surface donc on a un certain poids par rapport agrave nos fournisseurs et jrsquooptimise aussi un petit peu les prix de vente par rapport agrave la gestion enfin les interventions sur Euronext etc raquo (Prestataire opeacuterant en Champagne-Ardenne enquecircteacute en feacutevrier 2013)

laquo Creacuteer de la valeur crsquoest mon obsession Je vais reacutepondre agrave la demande fideacuteliser mes salarieacutes fideacuteliser les contrats Je ne fais pas du one shot Je fais du conventionnel je fais du bio je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopeacuterative du coin raquo (Prestataire opeacuterant dans la reacutegion Centre enquecircteacute en juin 2019)

Mais ceci nrsquoest pas toujours le cas et sur cer tains territoires comme en Haute-Garonne ougrave la concurrence est forte entre ETA ougrave les parcellaires sont morceleacutes et les rendements fortement variables drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre la rentabiliteacute de ce service nrsquoest alors garantie ni pour lrsquoETA ni pour le client

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 79

Tableau 4 - Caracteacuteristiques de deux contrats-types de deacuteleacutegation inteacutegraleContrat A Contrat B

(avec intermeacutediaire entre client et ETA)

ObjetPrestation inteacutegrale de services avec une prise de risque financier partageacutee

Reacutealisation de travaux agricoles de la preacuteparation du sol jusqursquoaux derniers travaux avant la reacutecolte

Opeacuterations concerneacutees

bullEn cours de campagne ensemble des opeacuterations culturales (travaux des sols semis traitements eacutepandages reacutecolte et transport) + tour de plaine gestion des approvisionnements gestion des emballages vides des produits phytosanitaires appui administratif PAC

bullEn fin de campagne bilan conseil et preacuteparation de la campagne suivante (choix des assolements etc)

bullPrestataire deacutecompactage deacutechaumage labour semis rouleau eacutepandages pulveacuterisations broyage moisson

bulllaquo Intermeacutediaire raquo choix des assolements suivi technique gestion de lrsquoachat des intrants et de la vente des reacutecoltes gestion administrative (deacuteclaration PAC plans drsquoeacutepandage et de traitement suivi des mesures agro-environnementales)

Dureacutee du contrat

Campagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement 2 contrats lrsquoun liant le client agrave lrsquointermeacutediaire et lrsquoautre liant le client et lrsquoETA prestataireCampagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement

Principaux engagements des parties prenantes

bullPrestataire intervenir apregraves prise de deacutecision conjointe avec le client (assolement produits et quantiteacutes) reacutealiser lrsquoensemble des opeacuterations neacutecessaires agrave lrsquoobtention drsquoune reacutecolte optimale respecter les normes en vigueur (conditionnaliteacute PAC et reacuteglementation Certiphyto) proposer des pratiques alternatives

bullClient payer la prestation srsquoengager agrave acheter les intrants preacuteconiseacutes

bullETA prestataire intervenir dans les meilleurs deacutelais selon le contrat de culture connexe agrave son compte avec son mateacuteriel et son personnel utiliser un mateacuteriel entretenu et reacutegleacute de faccedilon agrave obtenir la meilleure efficaciteacute possible et conforme agrave la reacuteglementation en vigueur

bullIntermeacutediaire geacuterer les parcelles optimiser la conduite technique et administrative

bullClient confier la gestion des parcelles agrave lrsquointermeacutediaire  payer toutes les factures lieacutees aux opeacuterations de culture et la prestation de lrsquointermeacutediaire

Modaliteacutes de paiement

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable indexeacutee sur la marge nette de lrsquoexploitation ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants et ndash les aides PAC) et calculeacutee apregraves production de lrsquoensemble des factures des produits et des charges de la culture

bullFrais de montage du dossier

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable un de la marge nette de la production ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants ndash les aides PAC ndash les frais de sous-traitance)

CommunicationbullDe bouche agrave oreille sur laquo transparence expeacuterience confiance souplesse respect de lrsquoenvironnement raquo

bullPlaquette salons professionnels sur laquo transparence discreacutetion expertise respect de lrsquoenvironnement seacutecuriteacute du revenu eacuteconomies deacutegageacutees et marge raquo

Source Tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees entre 2012 et 2017

Tableau 5 - Deacuteterminants de la propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement Reacutegression logistique avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralementAge 0003 (0004)

Agriculteur agrave titre secondaire 0501 (0254)

Part du foncier en proprieacuteteacute - 0033 (0089)

Nombre drsquoassocieacutes 0219 (0169)

Preacutesence de main-drsquoœuvre familiale 0147 (0205)

Preacutesence drsquoun geacuterant - 0018 (0324)

Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 1004 (0345)

Surface en grandes cultures - 0173 (0076)

Surface en arboriculture - 0040 (0074)

Surface en maraicircchage - 0521 (0239)

Surface en vigne 0087 (0114)

Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) 0610 (0314)

Surface en cultures fourragegraveres 0277 (0199)

Surface en prairies permanentes - 0112 (0142)

Taille du troupeau bovin lait 1631 (0670)

Taille du troupeau bovin viande 0446 (0205)

Taille du troupeau ovin 0574 (0322)

Taille de lrsquoeacutelevage de volaille 0426 (0231)

Taille du troupeau caprin - 0629 (0407)

Constante 1731 (0243)

Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

1 087

- 419542

879083plt01 plt005 plt0001Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs avec les donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

80 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

laquo Ici dans le Lauragais on ne peut pas ecirctre vraiment entrepreneur Tout le monde a ses machines mecircme ceux qui ont 20 hectares Il y a trop drsquoargent avec un mateacuteriel surdimensionneacute Tout le monde fait de la sous-traitance agrave des prix tregraves bas Je ne recrute pas de nouveaux clients en laquo A agrave Z raquo surtout srsquoils ont des petites parcelles eacuteparpilleacutees partout On rentre juste dans nos frais mais on nrsquoarrive pas agrave reacutemuneacuterer le travail Je preacutefeacutererais avoir les terres en fermage mais les gens nrsquoaiment pas le fermage par ici raquo (Agriculteur ayant une activiteacute de prestation en Occitanie enquecircteacute en avril 2017)

Par ailleurs selon les teacutemoignages des ETA et agriculteurs enquecircteacutes agrave cocircteacute des risques classiques de production et de marcheacute qui peuvent ecirctre plus ou moins pris en charge dans les termes du contrat deacuteleacuteguer inteacutegralement comporterait pour lrsquoagriculteur des risques inheacuterents agrave la nature de la transaction agrave savoir un risque de requalification du contrat en bail agrave ferme ou encore de perte du statut drsquoexploitant et donc des aides PAC Malgreacute cela en raison de la souplesse des contrats de deacuteleacutegation inteacutegrale des services connexes et des garanties qursquoelle met en avant lrsquoagriculteur proprieacutetaire des terres mais nrsquoexploitant plus preacutefeacuterera avoir recours agrave cette deacuteleacutegation inteacutegrale dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise ou drsquoune vente eacuteventuelle De fait il nrsquoest pas rare de voir dans le cadre drsquoune relation durable de deacuteleacutegation certaines grandes ETA acqueacuterir des parts dans le capital drsquoexploitations ayant un statut juridique de type socieacutetaire (SCEA notamment) et devenir un associeacute co-geacuterant de ces derniegraveres Ce faisant elles chapeautent de nouvelles entiteacutes productives laquo invisibles raquo composeacutees drsquoun ensemble drsquoexploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale (Nguyen et al 2017 Purseigle et al 2019)

423 Le numeacuterique au service de la sous-traitance

Depuis une dizaine drsquoanneacutees de nombreuses plates-formes drsquointermeacutediation des eacutechanges ont eacutemergeacute en investiguant les mecircmes champs drsquoaction que les organisations professionnelles agricoles et les entreprises classiques financement conseil et formation achat drsquointrants recrutement de main-drsquoœuvre location ou achat de mateacuteriel gestion des coproduits commercialisation et logistique mais eacutegalement prestation de services (Brailly et al 2018) Dans la grande majoriteacute des cas ces plates-formes ambitionnent de mettre en relation des agriculteurs avec drsquoautres agriculteurs (location de mateacuteriel ou eacutechange de parcelles par exemple) ou avec drsquoautres professionnels (prestataires de services)

En mars 2019 il a eacuteteacute possible de recenser 101 plates-formes de services de type B-to-B27 (Brailly et al 2018) deacutedieacutees au secteur agricole (figure 8) Bien que les premiegraveres drsquoentre elles aient eacuteteacute creacuteeacutees au tournant des anneacutees 2000 ce nrsquoest qursquoagrave compter de 2013 que leur nombre augmente significativement et que leur champ drsquoaction se diversifie consideacuterablement Par les services qursquoelles proposent elles entrent en concurrence plus ou moins frontale avec des organisations professionnelles agricoles et drsquoautres entreprises deacutejagrave en place proposant depuis longtemps des services similaires

Il existe en 2019 sept plates-formes qui proposent soit de mettre en lien prestataires et clients sur tout le territoire franccedilais soit de reacutealiser elles-mecircmes la prestation en proposant agrave la location agrave la fois le mateacuteriel et le chauffeur Comme dans lrsquoexemple ci-dessous les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves des fondateurs de ces plates-formes aident agrave mieux comprendre les jeux de concurrence et de collaboration entre plates-formes et acteurs traditionnels de la sous-traitance

27 Parce qursquoelles relegravevent drsquoune logique diffeacuterente du fait de leur orientation Business to Consumer nous avons exclu de notre analyse les plateformes de commercialisation directe aupregraves du consommateur tout comme celles reposant sur un seul vendeur et celles aux allures de blogs fondeacutees sur des eacutechanges de connaissances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 81

Creacuteeacutee en 2017 ConnectingFarm est une plate-forme dont le but est de faire le lien entre agriculteurs et prestataires de travaux agricoles (ETA) Son objectif est laquo de simplifier seacutecuriser et fiabiliser la mise en relation entre les agriculteurs et leurs prestataires de travaux raquo28 Elle srsquoadresse agrave des exploitants ne posseacutedant ni la main-drsquoœuvre formeacutee ni le mateacuteriel neacutecessaire agrave la reacutealisation de leurs travaux Tout comme drsquoautres plates-formes celle-ci permet de reacuteduire les charges mateacuterielles drsquoeacutequipement non utiliseacute Cocircteacute prestataires elle srsquoadresse particuliegraverement agrave ceux souhaitant accroicirctre leur visibiliteacute Crsquoest en effet un moyen facile pour ecirctre rapidement mis en relation avec diffeacuterents clients Les prestataires srsquoinscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils prix disponibiliteacutes) pendant que les agriculteurs agrave la recherche drsquoun prestataire indiquent les caracteacuteristiques des travaux agrave reacutealiser

28 Plaquette de publiciteacute de ConnectingFarm

Figure 8 ndash Essor des plateformes numeacuteriques agricoles

Source Brailly et al 2019 agrave partir des donneacutees Infogreffe

82 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Cette jeune start-up a eacuteteacute cofondeacutee par deux ingeacutenieurs agricoles Forts de leurs expeacuteriences respectivement dans le secteur du machinisme agricole et de directeur de projet digital au sein drsquoune entreprise internationale ils souhaitent aider les prestataires de travaux agricoles et les agriculteurs agrave laquo mieux vivre de leur meacutetier en fluidifiant leurs eacutechanges raquo (ConnectingFarm 2018) Les valeurs phares de leur entreprise seraient lrsquoesprit du collectif et le partage tant de savoirs que de machines agricoles Cette plate-forme est particuliegraverement active en Normandie reacutegion ougrave elle a vu le jour mais commence agrave deacuteployer son offre dans toute la France Apregraves avoir en 2018 remporteacute le tropheacutee de lrsquoeacuteconomie normande dans la cateacutegorie laquo innovation raquo cette plate-forme a reacutealiseacute une importante leveacutee de fonds lui permettant de poursuivre son deacuteveloppement Elle repose aujourdrsquohui sur quatre associeacutes et prend la forme drsquoune holding

La plate-forme ConnectingFarm se deacutemarque des autres gracircce agrave plusieurs fonctionnaliteacutes rendues possibles par lrsquooutil numeacuterique mais aussi par des partenariats speacutecifiques Tout drsquoabord elle permet aux agriculteurs de dessiner et circonscrire la parcelle ougrave auront lieu les travaux afin de faciliter la communication avec le prestataire Cette plate-forme entend ensuite modifier le rapport de forces entre ETA et exploitants agricoles en offrant la possibiliteacute aux clients de choisir leur prestataire au sein drsquoun reacutepertoire rassemblant plus de 14 000 ETA agrave travers la France La possibiliteacute de visualiser lrsquoensemble des prestataires agricoles et leurs caracteacuteristiques permettrait eacutegalement aux agriculteurs de mieux eacutevaluer et geacuterer les travaux agrave venir sur leur exploitation et donc de srsquoassurer de la disponibiliteacute de la main-drsquoœuvre au bon moment De la mecircme maniegravere ConnectingFarm offre aux prestataires des services de communication et un outil de gestion de leurs activiteacutes de sous-traitance (facturation automatiseacutee et suivie en temps reacuteel) Un autre objectif de la plateforme est de deacuteployer la prestation en assurant une certaine seacutecuriteacute tant pour le client que pour le prestataire Le client dispose ainsi de plusieurs options de paiement et il peut avoir accegraves agrave des precircts de campagne pour financer les travaux dans les temps gracircce agrave un partenariat avec une des banques leader sur le marcheacute agricole La derniegravere fonctionnaliteacute proposeacutee par ConnectingFarm est la gestion et la valorisation des donneacutees des parcelles et de lrsquoexploitation avec un objectif drsquooptimisation des interventions aux champs et de conseil global La proposition de valeur de ConnectingFarm croise trois registres laquo agreacutegation de donneacutees raquo laquo coordination de travaux raquo et laquo suivi administratif et technique raquo

Mecircme si leur modegravele eacuteconomique est encore agrave lrsquoeacutepreuve les plates-formes comme ConnectingFarm suggegraverent que la transition numeacuterique gagne le marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation en lui confeacuterant une nouvelle facette gracircce agrave la mise en relation directe des acteurs (et donc agrave leur mise en concurrence) et en deacuteveloppant une offre multi-services La creacuteation de systegravemes experts permettant lrsquoharmonisation des donneacutees collecteacutees par diffeacuterents types drsquoeacutequipements et personnes leur ouvre des perspectives nouvelles en matiegravere de services de conseil Toutefois des interrogations demeurent quant agrave la deacutefinition de la proprieacuteteacute des donneacutees et de leurs usages Comme pour les ETA lrsquooffre de conseil devient une composante strateacutegique de la sous-traitance gracircce agrave une meilleure valorisation du service et un renforcement de la relation clientsous-traitant

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 83

Conclusion lrsquoessor de la sous-traitance un marqueur majeur des mutations agricoles

Lrsquoeacutemergence de grandes entreprises agricoles inteacutegreacutees emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de laquo gestionnarisation raquo ineacutedites (Purseigle et al 2017) Mais agrave cocircteacute drsquoelles le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la sous-traitance ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation drsquoune partie du secteur de la production agricole et de lrsquoeacutemergence de nouveaux reacuteseaux drsquoexploitations La tertiarisation de lrsquoagriculture franccedilaise ne constituerait-elle pas un mouvement certes peu visible mais beaucoup plus profond que celui drsquoindustrialisation des uniteacutes de production deacutecrieacutee dans les meacutedias Nos travaux nous amegravenent agrave le penser Alors que le pheacutenomegravene est plus tardif en agriculture il eacutepouse des contours parfois similaires agrave ceux observeacutes dans les secteurs industriels et des services Des chefs drsquoexploitation deacutelegraveguent aujourdrsquohui de plus en plus pour creacuteer des avantages comparatifs optimisation des coucircts recentrage sur leur cœur de meacutetier accegraves agrave de nouvelles pratiques et compeacutetences etc

Pour autant la sous-traitance dans le secteur agricole preacutesente aussi des caracteacuteristiques singuliegraveres La premiegravere consiste agrave sous-traiter des opeacuterations qui engagent des actifs speacutecifiques (eacutequipements de preacutecision etou des compeacutetences speacutecialiseacutees) comme le traitement lrsquoeacutepandage le semis direct ou encore le suivi de lrsquoagnelage Il est fort probable que le contexte socio-eacuteconomique et regraveglementaire actuel du secteur agricole et le coucirct croissant des technologies aient deacuteplaceacute les seuils de rentabiliteacute de certains investissements conduisant les exploitants agrave privileacutegier la sous-traitance Transition vers une agriculture agrave bas intrants et transition numeacuterique au travers des effets indirects et non intentionnels des exigences reacuteglementaires et des politiques publiques associeacutees ne constitueraient-elles pas finalement un terreau favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance

La deuxiegraveme singulariteacute a trait aux preacutefeacuterences de lrsquoagriculteur lorsqursquoil agit selon une logique entrepreneuriale mais aussi selon une logique purement patrimoniale Crsquoest cette derniegravere qui est agrave lrsquoorigine drsquoune pratique ineacutedite dans le monde de la sous-traitance agrave savoir la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation Elle va au-delagrave drsquoune simple deacuteleacutegation des opeacuterations techniques et conduit agrave confier la gestion de lrsquoentreprise agrave un tiers La profession agricole vivrait lagrave une veacuteritable rupture non seulement dans lrsquoorganisation du travail agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation et du territoire mais eacutegalement dans lrsquoexercice du meacutetier drsquoagriculteur Ce pheacutenomegravene relativement nouveau en France lrsquoest moins dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni et la Belgique toucheacutes avant la France par le deacuteclin deacutemographique des actifs agricoles

Ces strateacutegies ne sont pas neutres au regard du renouvellement des exploitations familiales Si elles pallient des transmissions familiales incomplegravetes elles ouvrent aussi la voie agrave des formes drsquoagriculture ougrave la dimension familiale perd sa centraliteacute Les dissociations entre terre travail et capital opeacutereacutees par ces formes de deacuteleacutegation constituent des eacuteleacutements de deacutepassement de lrsquoorganisation familiale du travail en agriculture vers une agriculture de type socieacutetaire porteacutee ou opeacutereacutee par des acteurs non familiaux

Parallegravelement le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation traduit de nouvelles voies drsquoentreacutee dans le meacutetier pour des jeunes issus de familles agricoles et pour qui la transmission de pegravere en fils ne va plus de soi ou encore pour ceux qui nrsquoen sont pas issus et qui deacutecident drsquoexercer un meacutetier agricole sans pour autant vouloir ou pouvoir srsquoinstaller comme chef drsquoexploitation Pour tous ces jeunes ces voies singuliegraveres peuvent se reacuteveacuteler attractives en raison non seulement du statut de salarieacute mais aussi de la flexibiliteacute de carriegravere qursquoelles offrent mais agrave la condition qursquoelles soient accompagneacutees par des formations approprieacutees et des conditions drsquoemploi favorables

84 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Au-delagrave de la question de lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation du travail en agriculture et de leur coexistence ce nouveau contexte conditionne la mise en place des projets strateacutegiques porteacutes par les organisations professionnelles agricoles En effet il pose la question des nouvelles formes de coopeacuteration au service de projets individuels29 des formes souvent plus flexibles et plus diversifieacutees de la production agrave la commercialisation groupements fonciers agricoles investisseurs groupements drsquointeacuterecirct eacuteconomique drsquoapprovisionnement socieacuteteacute civile laitiegravere CUMA inteacutegrale assolement en commun SARL de commercialisation groupement drsquoemployeurs etc Ces formes reacutepondent agrave des objectifs multiples (eacuteconomies de gamme et drsquoeacutechelle pilotage par la valeur ajouteacutee organisation du travail conservation drsquoun patrimoine par sortie partielle ou totale du meacutetier)

Nous pensons que lrsquoexternalisation du travail agricole et le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture interagissent avec trois registres drsquoaction des organisations professionnelles agricoles Le premier est celui des relations aux adheacuterents la mise en place de nouveaux dispositifs productifs en agriculture pose la question de lrsquointerlocuteur pertinent Qui est-il Entre celui qui possegravede et celui qui fait lequel peut ecirctre encore consideacutereacute comme interlocuteur de lrsquoorganisation professionnelle (notamment les coopeacuteratives) Le deuxiegraveme registre concerne les nouvelles fonctions productives que pourraient inteacutegrer ou renforcer certains partenaires lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation de la production et lrsquooffre de conseil qui lrsquoaccompagne ne constituent-elles pas un nouveau marcheacute pour les organisations professionnelles les coopeacuteratives les firmes de lrsquoagrofourniture Enfin le dernier registre est celui de la gouvernance ces nouveaux acteurs de la production agricole peuvent-ils ecirctre inteacutegreacutes agrave la gouvernance de certaines organisations professionnelles et leurs repreacutesentants agrave celle drsquointerprofessions

La croissance de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation inteacutegrale ne bouscule pas uniquement les professionnels du secteur Alors mecircme que se discute la prochaine reacuteforme de la PAC elle interpelle eacutegalement les deacutecideurs politiques sur leur rocircle dans lrsquoeacutemergence et lrsquoaccompagnement du pheacutenomegravene Comme nous lrsquoavons souligneacute dans cet article certains dispositifs de politiques publiques sans ecirctre des causes directes semblent avoir nourri un contexte favorable au deacuteveloppement la sous-traitance

Le deacutecouplage des aides liant ces derniegraveres au foncier associeacute agrave un statut du fermage jugeacute contraignant tend aujourdrsquohui agrave inciter certains agriculteurs agrave la retraite ou enfants drsquoagriculteurs agrave avoir recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale Il srsquoagit souvent pour eux de conserver le foncier dans lrsquoattente drsquoune eacuteventuelle vente ou reprise agrave moyen ou long terme par un successeur encore non identifieacute ou tout simplement de se constituer un compleacutement de revenu sous forme de rente

Certaines reacuteglementations environnementales et une forte augmentation du prix des eacutequipements speacutecialiseacutes ont sans doute conduit de nombreux proprieacutetaires-exploitants agrave sous-traiter les traitements et ainsi externaliser les coucircts de lrsquoinvestissement Lrsquoentreacutee en vigueur du principe de seacuteparation des activiteacutes de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques conduirait certaines coopeacuteratives ou neacutegoces agrave chercher lagrave aussi de nouvelles activiteacutes de diversification et agrave offrir une palette de nouveaux services agrave des exploitations adheacuterentes ou clientes y compris en recourant agrave des creacuteations de filiales Outre la garantie drsquoune nouvelle source de profit ces nouvelles activiteacutes preacuteserveraient leur capaciteacute de collecte

29 Le nouveau slogan de lrsquoorganisation syndicale des coopeacuteratives agricoles en est une illustration laquo construisons en commun lrsquoavenir de chacun raquo

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 85

Les politiques ont sans doute contribueacute au pheacutenomegravene mais en France comme dans drsquoautres pays elles sont loin drsquoecirctre le seul deacuteterminant Le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes relegraveve avant tout drsquoun mouvement de fond qui teacutemoigne drsquoun effacement de lrsquoexercice familial du travail mais aussi de nouvelles formes drsquoarbitrage entre projet patrimonial et projet eacuteconomique au sein des familles agricoles Il atteste des profondes reconfigurations de lrsquooffre de services proposeacutee par des organisations professionnelles qui agrave lrsquoinstar des coopeacuteratives ou de CUMA sont interpelleacutees par de nouvelles attentes et de nouvelles conceptions de lrsquoaction collective porteacutees par leurs propres adheacuterents Il serait donc vain drsquoattendre drsquoune politique publique qursquoelle encadre ou controcircle une telle tendance Il convient avant tout de penser les processus sociaux et eacuteconomiques agrave lrsquoœuvre de les accompagner voire de les orienter plutocirct que de vouloir les contraindre

Ces processus neacutecessitent selon nous de mettre sur pied de nouveaux outils de portage foncier ou salarial qui ouvrent la voie agrave de nouvelles formes drsquoorganisations laquo passerelles raquo favorisant lrsquoarriveacutee dans les meacutetiers de lrsquoagriculture Lrsquoassouplissement des trajectoires professionnelles et les incertitudes qui entourent les activiteacutes agricoles appellent agrave promouvoir dans certains territoires des formes drsquoorganisation de la production moins homogegravenes Malgreacute les limites constateacutees et les interrogations souleveacutees la sous-traitance en agriculture participe de la diversification des activiteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouveaux meacutetiers Elle contribue aussi agrave lrsquoameacutelioration de la performance globale de certaines exploitations et agrave la reacuteorganisation de la production dans certaines zones intermeacutediaires ougrave le renouvellement des geacuteneacuterations de chefs drsquoexploitation semble compromis agrave court terme Sous reacuteserve de respecter des principes et comportements eacutethiques en matiegravere de droit du travail et de reacuteglementation environnementale ne peut-on pas voir dans la sous-traitance en agriculture une des composantes drsquoune veacuteritable reconfiguration strateacutegique de lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle des territoires

Pour cela il srsquoagit de ne pas abandonner les politiques en faveur de lrsquoinstallation bien au contraire Quelques pistes peuvent degraves lors ecirctre eacutevoqueacutees renforcer la performance des dispositifs drsquoaccompagnement agrave lrsquoinstallation et agrave la creacuteation drsquoactiviteacutes ameacuteliorer leur articulation en reconsideacuterant les conditions drsquoinsertion dans les meacutetiers etc En drsquoautres termes si lrsquoon admet que les contours et les statuts juridiques de lrsquoactiviteacute productive se transforment en profondeur il convient dans le mecircme temps de reconfigurer les modes de soutien agrave lrsquoentreacutee dans les meacutetiers La question ici poseacutee est celle de la maniegravere dont les politiques publiques vont accompagner un fait social et eacuteconomique pour servir lrsquoambition du maintien drsquoactifs agricoles mecircme si leurs visages diffegraverent de ceux drsquoaujourdrsquohui

86 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

Anzalone G Purseigle F 2014 laquo Deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes et sous-traitance au service de la transmission de lrsquoexploitation ou drsquoun patrimoine raquo dans P Gasselin J-P Choisis S Petit F Purseigle S Zasser (eds) Lrsquoagriculture en famille travailler reacuteinventer transmettre EDP Sciences Paris pp 327-337

Anzalone G Purseigle F Nguyen G Hervieu B 2019 laquo Chapitre 7 Des entreprises aux allures de firme Mutations des entreprises agricoles et nouveaux modes drsquoaccegraves au foncier raquo dans B Chouquer M C Maurel (eds) Normes et pratiques fonciegraveres et agricoles ndash Volume 1 Les mutations reacutecentes du foncier et des agricultures en Europe Presses universitaire de Franche-Comteacute et Presses de lrsquouniversiteacute de Sun Yat-Sen de Guanzhou pp 165-190

Arnold U 2000 ldquoNew Dimensions of Outsourcing a Combination of Transaction Cost Economics and the Core Competencies Conceptrdquo European Journal of Purchasing and Supply Management 6(1) pp 23-29

Ball RM 1987 ldquoAgricultural contractors some surveyfindingsrdquo Journal of Agricultural Economics 38(3) pp 481-488

Bakis H 1975 laquo La sous-traitance dans lrsquoindustrie raquo Annales de geacuteographie 84(463) pp 297-317

Brailly J Nguyen G et Purseigle F 2018 laquo Emergence de plateformes numeacuteriques et redeacutefinition des dynamiques de lrsquoaction collective dans le secteur agricole en France  raquo communication au colloque annuel de la chaire Villes et numeacuteriques 3 mai 2018 Sciences Po Paris

Chevalier B 2007 laquo Les agriculteurs recourent de plus en plus agrave des prestataires de service raquo INSEE-Premiegravere ndeg 1160

Cochet H 2008 laquo Vers une nouvelle relation entre la terre le capital et le travail raquo Eacutetudes fonciegraveres 134 pp 24-29

Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

FNCUMA 2019 Chiffres cleacutes Eacutedition 2017 FNCUMA Paris

FNEDT 2016 Rapport drsquoactiviteacute 2016 FNEDT Paris

FNSEA 2018 laquo Gestion preacutevisionnelle des emplois et des compeacutetences ndeg 8 Enquecircte lsquorsquoPrestataires de servicersquorsquo - Bilan final aoucirct 2018 raquo FNSEA ndash Observatoire Emploi Formation Deacutepartement des affaires sociales Paris

Gambino M Laisney C Vert J 2012 Le Monde agricole en tendances Un portrait social prospectif des agriculteurs Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 87

Guihard V Lesdos C 2007 laquo Lrsquoagriculture sur trente ans une analyse comparative avec lrsquoindustrie et les services raquo INSEE Reacutefeacuterences Lrsquoagriculture nouveaux deacutefis Eacutedition 2007 pp 47-63

Harff Y Lamarche H 1998 laquo Le travail en agriculture nouvelles demandes nouveaux enjeux raquo Eacuteconomie rurale 244(1) pp 3-11

Heacutebrard L 2001 laquo Le deacuteveloppement des services agricoles Une sous-traitance speacutecialiseacutee au service des agriculteurs raquo INSEE Premiegravere ndeg 817

Hervieu B Purseigle F 2013 Sociologie des mondes agricoles Armand Colin Paris

Holcomb TR Hitt MA 2007 laquo Toward a Model of Strategic Outsourcing raquo Journal of Operations Management 25 pp 464-481

Igata M Hendrikson A Heijman W 2008 laquo Agricultural Outsourcing a Comparison Between the Netherlands and Japan raquo Applied Studies in Agribusiness and Commerce 2(1) pp 29-33

Jeanneaux P Blasquiet-Revol H 2012 laquo La gestion des exploitations agricoles un eacutetat des lieux de la recherche en France raquo Annales des Mines-Geacuterer et comprendre 1 pp 29-40

Legagneux B Olivier-Salvagnac V 2017 laquo Quelle main-drsquoœuvre contractuelle dans les exploitations agricoles Agrave la base de lrsquoeacuteclatement du modegravele familial raquo Eacuteconomie Rurale 357-358 pp 101-116 doiorg104000economierurale5132

Le Gars C Roudieacute P (dirs) 1996 Des vignobles et des vins agrave travers le monde Hommage agrave Alain Huetz de Lemps Presses universitaires de Bordeaux

Lerbourg J Dedieu M-S 2016 laquo Lrsquoeacutequipement des exploitations agricoles Un recours agrave la proprieacuteteacute moins marqueacute pour les machines speacutecialiseacutees raquo Agreste Primeur ndeg 334

Mariotti F 2005 Qui gouverne lrsquoentreprise en reacuteseau Presses de Sciences Po Paris

Milberg W Winkler D 2013 Outsourcing Economics Global value Chains in Capitalist Development Cambridge University Press

Nguyen G Lepage F Purseigle F 2017 laquo Lrsquoentreacutee de capitaux externes dans les exploitations agricoles Une facette meacuteconnue des agricultures de firme en France  raquo dans Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris pp 65-95

Nguyen G Brailly J Purseigle F 2020 laquo Strategic Outsourcing and Precision Agriculture In France Towards a Silent Reorganization of Agricultural Production in France raquo communication agrave lrsquoAgricultural and Applied Economics Association - Allied Social Science Association Annual Meeting 2-4 janvier San-Diego Eacutetats-Unis

Perraudin C Thevenot N Valentin J 2013 laquo Sous-traitance et eacutevitement de la relation drsquoemploi les comportements de substitution des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 raquo Revue internationale du travail 152(3-4) pp 571-597

Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris

88 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Quelennec M 1987 laquo La sous-traitance industrielle gagne du terrain raquo Eacuteconomie et statistique 199(1) pp 27-42

Souquet C 2016 laquo La majoriteacute des entreprises font appel agrave des sous-traitants raquo Insee Focus 67 novembre 2016

Srnicek N 2017 Platform capitalism John Wiley amp Sons

Surubaru A 2014 La fragiliteacute des liens marchands Sociologie de la sous-traitance internationale collection laquo Europe terrains et socieacuteteacutes raquo Eacuteditions Peacutetra

Tashakkori A Teddlie C 1998 Mixed methodology Combining qualitative and quantitative approaches collection Applied Social Research Methods Series 46 Sage Publications

Williamson O E 2008 Outsourcing Transaction Cost Economics and Supply Chain Management Journal of Supply Chain Management 44(2) pp 5-16

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 89

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

Reacutesumeacute

En Rhocircne-Alpes la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) individuelle laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo a eacuteteacute ouverte en 2014 en zone de plaine avant drsquoecirctre eacutetendue en 2015 agrave titre exploratoire agrave certains territoires de montagne Agrave la demande de la DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes une eacutetude a eacuteteacute reacutealiseacutee en 2017 par le cabinet Acteon5 afin de construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments mais aussi son efficaciteacute et son efficience ex post telles que mesureacutees en fin de programmation Cet article restitue cette double deacutemarche ainsi que les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

Mots cleacutes

Mesure agro-environnementale biodiversiteacute Auvergne - Rhocircne-Alpes eacutevaluation montagne systegravemes herbagers et pastoraux

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 ACTeon environnement 5 place Sainte-Catherine 68000 Colmar2 Geacuterard Hanus consultant Le Rousset quartier drsquoArzeliers 05300 Laragne-Monteacuteglin3 Herveacute Coquillart consultant Territoire Environnement Biodiversiteacute la Brosse 42140 Virigneux4 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 3 rue Barbet-de-Jouy 75007 Paris5 ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018 Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne volets 1 et 2 httpsagriculturegouvfrmise-en-oeuvre-du-dispositif-evaluatif-de-la-mesure-agro-environnementale-individuelle-systemes

Anaiumls Hanus1 Geacuterard Hanus2 Herveacute Coquillart3 Estelle Midler4

90 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

En Rhocircne-Alpes les territoires les milieux et la biodiversiteacute de montagne sont faccedilonneacutes par lrsquoeacutelevage herbager et pastoral et peuvent donc ecirctre impacteacutes par ses eacutevolutions Pour faire face aux difficulteacutes rencontreacutees par les exploitations dans cette reacutegion les Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) preacutevoient en application de la reacuteglementation nationale et europeacuteenne un instrument speacutecifique de soutien eacuteconomique aux exploitations de montagne lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) visent quant agrave elle lrsquoeacutevolution ou le maintien de pratiques reacutepondant agrave des enjeux environnementaux territoriaux identifieacutes dans le cadre de Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC)

La MAEC laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle (SHP 01) est un dispositif de maintien de pratiques visant agrave preacuteserver la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee Elle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement repose sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Une eacutetude commandeacutee par le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour le compte de la DRAAF Auvergne - Rhocircne-Alpes a eacuteteacute lanceacutee en 2017 afin de mettre en place une deacutemarche drsquoeacutevaluation de cette strateacutegie drsquoouverture de la SHP 01 aux zones de montagne de Rhocircne-Alpes Reacutealiseacutee par le cabinet Acteon elle avait deux objectifs a) eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments (ICHN MAEC agrave enjeux localiseacutes) puis b) construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Cet article a pour objectif de restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

La premiegravere partie preacutesente la probleacutematique le dispositif eacutevaluatif mis en place et les meacutethodes utiliseacutees pour lrsquoeacutevaluation ex ante La partie suivante deacutetaille le contexte les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP 01 dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes Ensuite sont preacutesenteacutes les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence de la SHP 01 pour ces territoires de sa coheacuterence avec les autres aides (dont lrsquoICHN) et de sa contribution au revenu des eacuteleveurs condition neacutecessaire au maintien de lrsquoactiviteacute Enfin en quatriegraveme partie deux facteurs pouvant contribuer agrave renforcer lrsquoimpact de la SHP 01 sont discuteacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 91

1 Probleacutematique et meacutethodologie de lrsquoeacutetude

11 Qursquoest-ce que la MAEC SHP 01

La MAEC SHP 01 est une aide contractuelle visant agrave preacuteserver lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours et des prairies permanentes6 agrave flore diversifieacutee en particulier de certaines surfaces dites laquo surfaces cibles raquo (MAA 2017) Il srsquoagit drsquoune mesure laquo de maintien raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement se base deacutejagrave sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours (au moins 70 de surfaces en herbe et pastorales dans la SAU) et sur des pratiques favorables agrave la preacutesence drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Ainsi le contrat impose

- le maintien des couverts permanents de lrsquoexploitation ou Surfaces toujours en herbe (STH) crsquoest-agrave-dire des prairies permanentes et des parcours (figure 1)

- des reacutesultats sur des surfaces cibles (SC) choisies par lrsquoeacuteleveur parmi les couverts permanents de lrsquoexploitation avec selon les cas un accompagnement technique (opeacuterateur ou animateur) La proportion de SC dans la surface toujours en herbe (entre 20 et 50 ) deacutepend du niveau de risques de disparition ou drsquoeacutevolution des pratiques estimeacute sur le territoire Ces obligations de reacutesultats se traduisent par le respect drsquoindicateurs drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu (preacutesence de plantes indicatrices pour les prairies permanentes et utilisation annuelle minimum pour les surfaces pastorales)

- un taux de chargement animal global infeacuterieur agrave 14 UGB7ha

- la non-utilisation des produits phytosanitaires

La contractualisation de la SHP 01 vise ainsi le maintien conjoint de certaines pratiques et de la biodiversiteacute Agrave la diffeacuterence de la SHP 02 qui srsquoadresse aux entiteacutes collectives la SHP 01 srsquoadresse aux exploitations

Lecture STH Surfaces toujours en herbe PT Prairies temporaires SC surfaces cibles SCOP surfaces en ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux Source ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (2017) et groupe de travail reacutegional MAEC

Figure 1 - Critegraveres drsquoeacuteligibiliteacute et drsquoengagement de la SHP 01

6 Les laquo prairies permanentes raquo sont celles qui nrsquoont pas eacuteteacute laboureacutees dans les cinq derniegraveres anneacutees7 UGB Uniteacutes de gros beacutetail Il srsquoagit de lrsquouniteacute de reacutefeacuterence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type drsquoanimal drsquoeacutelevage Elle permet de convertir tous les types drsquoanimaux dans la mecircme uniteacute

92 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

12 Probleacutematique de lrsquoeacutetude

En Rhocircne-Alpes la SHP 01 a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine uniquement Cette deacutecision a eacuteteacute prise pour deux raisons a) il existe des risques de deacuteprise et drsquointensification dans ces zones b) en zone de montagne des dispositifs comme lrsquoICHN revaloriseacutee permettent de reacutepondre aux objectifs de maintien des systegravemes herbagers et des surfaces (Hanus et al 2017) En outre la MAE SHP 02 est mobiliseacutee en montagne ougrave les surfaces sont geacutereacutees en grande partie par des organisations collectives8

Cependant certains territoires comme le Beaujolais Vert (dont la zone de pieacutemont fait face agrave des risques de deacuteprise et drsquointensification forts) et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne argumentant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Celle-ci a donc eacuteteacute ouverte dans ces territoires de montagne agrave titre exploratoire et agrave budget constant en preacutevoyant de reacutealiser une eacutevaluation externe afin drsquointerroger la pertinence de cette deacutecision et drsquoen tirer des enseignements pour lrsquoensemble de la Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes

Trois phases ont eacuteteacute preacutevues pour cette eacutevaluation

- la premiegravere reacutesidait dans la mise en place drsquoun dispositif eacutevaluatif et drsquoune premiegravere eacutevaluation ex ante de la pertinence de la strateacutegie drsquoactivation de la SHP 01 et de sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres mesures (reacutealiseacutee en 2017 et objet de cet article)

- la deuxiegraveme phase consiste en une eacutevaluation agrave mi-parcours (201920 agrave reacutealiser)

- la troisiegraveme phase en 2022 sera deacutedieacutee agrave lrsquoeacutevaluation ex post

Agrave terme le dispositif eacutevaluatif doit permettre drsquoune part drsquoanalyser les eacutevolutions sur les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes ayant activeacute la SHP 01 et drsquoautre part de mener des comparaisons avec des territoires de plaine et des territoires nrsquoayant pas activeacute la SHP 01 de mecircme qursquoentre territoires diffeacuterents (par exemple pastoral vs herbager) et entre exploitations ayant ou non contractualiseacute la SHP 01 (au sein de territoires qui la proposaient)

13 Meacutethodologie

Lrsquoeacutetude comportait deux volets dont les objectifs sont preacutesenteacutes dans la figure 2

131 Volet 1 construction du dispositif eacutevaluatif

La reacutealisation du volet 1 srsquoest appuyeacute sur des entretiens (Reacutegions opeacuterateurs porteurs des PAEC) et sur une analyse documentaire (Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux dossiers de candidatures travaux du groupe de travail etc voir le volet 1 du rapport p 8 pour plus de deacutetails) permettant drsquoeacutetudier les strateacutegies drsquoactivation de la mesure au niveau reacutegional et celles de mise en œuvre par les territoires (mobilisation ou non de la mesure face aux enjeux identifieacutes) Ce travail a abouti agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune premiegravere version drsquoun diagramme logique drsquoimpact (DLI) de la SHP 01 puis agrave une liste de questions eacutevaluatives (encadreacute 1) discuteacutee et valideacutee par le comiteacute de pilotage de lrsquoeacutetude

8 En Auvergne la strateacutegie drsquoouverture ne diffeacuterencie pas zones de plaine et de montagne La MAE SHP 01 est mobilisable sur toutes les Zones drsquoaction prioritaires eau biodiversiteacute et une zone laquo seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 93

Source auteurs volet 1 du rapport final p5

Figure 2 - Objectifs de lrsquoeacutetude

Pour chaque question eacutevaluative des indicateurs ont eacuteteacute proposeacutes commenteacutes et valideacutes par le comiteacute de pilotage Un reacutefeacuterentiel drsquoeacutevaluation deacutetaille pour chaque indicateur

- le type drsquoindicateur (contexte reacutealisation reacutesultat impact pertinence ou coheacuterence) la nature de lrsquoindicateur (quantitatif ou qualitatif) la theacutematique agrave laquelle se reacutefegravere lrsquoindicateur (milieux systegravemes place des surfaces en herbe eacuteconomie contrats et ingeacutenierie territoriale)

- lrsquoeacutechelle (territoriale de lrsquoexploitation ou parcellaire) et le champ geacuteographique drsquoapplication de lrsquoindicateur (territoires et exploitations concerneacutees)

- la phase de la programmation pendant laquelle renseigner les indicateurs (eacutevaluation ex ante intermeacutediaire etou ex post)

- les meacutethodes de recueil (qualitatives et quantitatives) et les analyses neacutecessaires au renseignement des indicateurs

Enfin un manuel a eacuteteacute reacutedigeacute pour appuyer les eacutevaluateurs dans la reacutealisation des futures eacutevaluations intermeacutediaire et ex post (ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil 2018c)

94 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Le ou les critegraveres drsquoeacutevaluation associeacutes agrave chaque question sont preacuteciseacutes entre parenthegraveses

1 La mesure systegraveme SHP 01 est-elle adapteacutee pour reacutepondre aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres (prairies et surfaces pastorales) et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique sur les territoires PAEC concerneacutes (Pertinence)

2 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 sur ces territoires a-t-elle permis drsquoeacuteviter lrsquointensification ou lrsquoabandon des pratiques sur les surfaces cibles Comment a-t-elle impacteacute les pratiques sur le reste de la STH Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

3 Quels sont les impacts de la mesure en matiegravere de biodiversiteacute sur les surfaces cibles (Efficaciteacute)

4 En quoi la mesure SHP 01 a-t-elle pu opeacuterer un changement de regard des agriculteurs sur ces surfaces A-t-elle eacuteteacute un levier drsquoaction pour entraicircner une reacuteflexion plus globale sur la gestion de ces surfaces au-delagrave du soutien financier Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

5 La mesure a-t-elle contribueacute agrave lrsquoeacutevolution des systegravemes drsquoexploitation vers une meilleure inteacutegration et valorisation des surfaces cibles Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute et coheacuterence externe)

6 Dans quelle mesure la SHP 01 peut-elle contribuer agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits et agrave un revenu plus eacuteleveacute Comment cela srsquoarticule-t-il avec lrsquoICHN (Efficaciteacute)

7 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 a-t-elle engageacute ou renforceacute une dynamique de groupe pour la reacuteflexionformation des agriculteurs sur la theacutematique des surfaces herbagegraveres Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

8 Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle contribueacute agrave une diffusion des modegraveles de productiondes pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle assureacute un meilleur maintien des surfaces herbagegraveres sur les territoires PAEC lrsquoayant activeacutee (Efficaciteacute)

9 Les conditions de peacuterennisation des pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire sont-elles reacuteunies   Dans ce contexte une non-reconduction du soutien SHP 01 est-elle envisageable (Efficaciteacute efficience et coheacuterence externe)

10 Dans quelle mesure la SHP et les MAEC agrave enjeux localiseacutes se combinent-elles pour reacutepondre aux enjeux En quoi lrsquoactivation de la SHP peut-elle constituer un levier vers la certification en agriculture biologique (Coheacuterence externe)

Encadreacute 1 - Liste des questions eacutevaluatives ayant guideacute le travail

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 95

132 Volet 2 lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence et de la coheacuterence de la SHP 01

Lrsquoeacutevaluation ex ante constitue le second volet de lrsquoeacutetude et la premiegravere eacutetape de mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif Elle a pour objectifs a) de renseigner les indicateurs de contexte et de dresser lrsquoeacutetat de reacutefeacuterence des territoires ayant ou non activeacute la SHP 01 en montagne en Rhocircne-Alpes9 b) de renseigner certains indicateurs de reacutealisation et de reacutesultat pour les anneacutees 201516 avec pour objectif drsquoeacutetudier leur eacutevolution dans les eacutevaluations futures et c) de fournir de premiers eacuteleacutements de reacuteponse agrave des questions eacutevaluatives lieacutees agrave la pertinence de cette strateacutegie drsquoactivation et agrave sa coheacuterence vis-agrave-vis de mesures preacuteexistantes (questions 1 6 et 10)

Lrsquoeacutevaluation ex ante considegravere plusieurs eacutechelles territoriales

- huit territoires de montagne de Rhocircne-Alpes et Auvergne ont ou auraient pu activer la SHP 01 (voir carte 1) Une partie des indicateurs sont donc renseigneacutes pour ces territoires ils alimenteront un eacutetat de reacutefeacuterence neacutecessaire agrave lrsquoanalyse ulteacuterieure des eacutevolutions

- certains indicateurs sont renseigneacutes agrave lrsquoeacutechelle des PAEC drsquoautres agrave lrsquoeacutechelle des Zones drsquointervention prioritaires (ZIP) deacutefinies au sein des PAEC sur lesquelles la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee10 Cela permettra drsquoanalyser des eacutevolutions lieacutees agrave la contractualisation de la SHP 01 sur les territoires ougrave elle a effectivement eacuteteacute activeacutee ainsi que de comparer ces eacutevolutions avec celles de ZIP drsquoautres PAEC dont les enjeux sont proches mais les mesures activeacutees diffeacuterentes

- une partie des indicateurs (notamment les indicateurs de reacutesultats) sont renseigneacutes seulement pour trois territoires ayant activeacute la SHP 01 appeleacutes laquo territoires-types raquo Le choix de ces territoires-types a reposeacute sur la recherche drsquoune diversiteacute de milieux et systegravemes (tableau 1) sur le niveau de contractualisation SHP 01 et la volonteacute des opeacuterateurs de participer Au final trois territoires-types ont eacuteteacute retenus les Crecircts du Haut-Jura le Beaujolais Vert eacutelargi et les Baronnies drocircmoise

9 Les territoires de plaine ne sont pas inclus dans cette eacutetude10 Ou les mesures Herbe 07 et 09 dans le cas de lrsquoArdegraveche et des Bauges

Source auteurs drsquoapregraves Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes laquo Tout savoir sur les 10 Parcs naturels reacutegionaux drsquoAuvergne-Rhocircne-Alpes raquo httpswwwauvergnerhonealpesfrdossier824-tout-savoir-sur-les-10-parcs-naturels-regionaux-d-auvergne-rhone-alpeshtm

Carte 1 - Situation geacuteographique des territoires pris en compte dans lrsquoeacutevaluation

96 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Plusieurs meacutethodes et techniques ont eacuteteacute mobiliseacutees pour mener agrave bien lrsquoeacutevaluation ex ante

- en premier lieu un atelier a eacuteteacute organiseacute avec des acteurs de diffeacuterents territoires de Rhocircne-Alpes et de profils varieacutes acteurs institutionnels chargeacutes de mission des structures opeacuteratrices techniciens agriculture ou biodiversiteacute chercheurs etc Il a permis de consolider et de valider collectivement le diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 et de discuter la pertinence de lrsquoactivation de la SHP 01 en montagne

- des informations ont eacuteteacute recueillies via les documents produits par les opeacuterateurs des PAEC (dossiers de candidatures quelques diagnostics drsquoexploitations quelques bilans) et des entretiens reacutealiseacutes avec eux

- des entretiens semi-directifs de visu ont eacuteteacute reacutealiseacutes aupregraves de 10 agriculteurs (ayant contractualiseacute la SHP 01 ou non) sur chacun des trois territoires-types pour recueillir des informations qualitatives

- un questionnaire internet transmis agrave toutes les exploitations des ZIP des huit territoires a compleacuteteacute les entretiens Il a permis de recueillir des informations qualitatives mais moins preacutecises aupregraves drsquoun plus grand nombre drsquoexploitations (93 au total)

- des donneacutees statistiques (Reacuteseau drsquoinformation comptable agricole - RICA Recensement agricole - RA) et administratives (donneacutees PAC et registre parcellaire graphique - RPG) ont eacuteteacute mobiliseacutees pour fournir des eacuteleacutements quantitatifs

- enfin un atelier de travail (focus group) a eacuteteacute meneacute sur chaque territoire-type mobilisant des acteurs experts de leur territoire (agriculteurs techniciens agriculture et biodiversiteacute chargeacutes de mission PNR etc) afin de discuter analyser collectivement et valider les enjeux du territoire ainsi que la logique drsquoimpact locale de la SHP 01

Le tableau 1 et la figure 3 donnent des preacutecisions sur la repreacutesentativiteacute de lrsquoensemble des eacutechantillons issus agrave la fois des entretiens (pour les trois territoires-types) et de lrsquoenquecircte en ligne (pour tous les territoires) Agrave noter que les entretiens ciblaient les exploitations des ZIP ougrave la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee notamment celles ayant contractualiseacute la SHP 01 drsquoougrave des taux de couverture eacuteleveacutes Lrsquoenquecircte en ligne srsquoadressait agrave tous les exploitants des ZIP dans lesquelles soit la SHP 01 soit Herbe 07 ou 09 avait eacuteteacute activeacutee (peu importe la production lrsquoeacuteligibiliteacute aux mesures et les mesures contractualiseacutees) La derniegravere colonne compare le taux moyen de surfaces en herbe et de surfaces pastorales des exploitations agrave celui de lrsquoensemble du PAEC (voir figure 3)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 97

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les donneacutees preacutesenteacutees montrent pour le Haut-Jura la part de STH de surfaces pastorales et de surfaces en herbe dans les exploitations enquecircteacutees (soit uniquement par entretien en brun soit par entretien et par enquecircte internet en orange) et sur lrsquoensemble du PAEC Source auteurs volet 2 du rapport final p13

Figure 3 - Repreacutesentativiteacute de lrsquoeacutechantillon Haut-Jura (entretiens et lrsquoenquecircte en ligne)

Tableau 1 - Repreacutesentativiteacute des eacutechantillons pour les entretiens et lrsquoenquecircte en ligne

2 Contexte et enjeux des systegravemes herbagers et pastoraux dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes

21 Une diversiteacute de contextes et drsquoenjeux

Si les eacutelevages de montagne des huit territoires rhocircne-alpins eacutetudieacutes srsquoappuient tous sur la valorisation des surfaces herbagegraveres et pastorales ils reposent sur une varieacuteteacute de milieux et de systegravemes de production Un atelier de travail inter-territoires a permis drsquoen construire une typologie (tableau 2) Cinq grands types de systegravemes ont eacuteteacute identifieacutes Trois territoires-types ont ensuite eacuteteacute seacutelectionneacutes pour mener des analyses approfondies Ils illustrent une diversiteacute de milieuxsystegravemes et de contextes historiques territoriaux (tableau 3)

Nombre total

dexploitations enquecircteacutees

Taux de couverture des exploitations

avec un icirclot sur une ZIP SHP 01 ou

Herbe 0709

Nombre dexploitations

enquecircteacutees avec SHP 01

Taux de couverture des contrats SHP

01

Repreacutesentativiteacute du taux de surfaces en herbe et pastorales

du PAEC

Baronnies 15 6 7 100

Beaujolais Vert 15 2 10 9

Haut-Jura 14 23 4 100

Chartreuse 8 5 0 0

Pilat 17 3 2 4

Vercors 4 2 1 0

Bauges 7 6 0 Monts

dArdegraveche 13 1 0

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les cases les plus fonceacutees indiquent une plus forte repreacutesentativiteacute

98 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sur ces trois territoires les systegravemes fourragers reposent principalement sur les surfaces en herbe (stocks pour lrsquohiver et pacircturage) Lrsquoeacutelevage qui se maintient difficilement dans ces reacutegions les milieux et la biodiversiteacute font face agrave des risques de fermeture et agrave des logiques drsquointensification des pratiques

Tableau 2 - Typologie simplifieacutee des territoires milieux et systegravemes de montagne en Rhocircne-Alpes

TypeSystegravemes pastoraux

meacutediterraneacuteens speacutecialiseacutes

Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP

Systegravemes herbagers non

AOPIGP

Systegravemesherbeceacutereacuteales

Exemples de territoires Ardegraveche (pentes) Baronnies Sud Vercors

Haut-Jura Pilat Chartreuse Vercors Ardegraveche (montagne) Forez

Beaujolais Vert Pilat Haut Lignon Forez

Pilat Beaujolais Vert

Milieux

Surfaces embroussailleacutees bois landes parcours Pelouses segraveches Estives

Prairies permanentes et temporairesZones humides

Checircnaies et chacirctaigneraies(+ vergers) pacirctureacutes Estives alpages Ceacutereacuteales

Systegravemes Systegravemes extensifs ovinscaprins

Systegravemes diversifieacutes ovins+ activiteacute compleacutementaire

Bovins lait AOPIP ou allaitants

Bovins lait standard ou allaitants

Source auteurs extrait du volet 2 du rapport final p 45

Tableau 3 - Surfaces et systegravemes des trois territoires-types

Type Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP Systegravemes

herbeceacutereacuteales

Composition de la SAUGrandes culturesFourrages

Estives landes

Prairies permanentes

Prairies temporaires

Vergers

Vignes

Autres productions veacutegeacutetales

Systegravemes drsquoeacutelevage majoritaires

Eacutelevages bov ins herbagers laitiers mixtes allaitants parfois coupleacutes agrave de l rsquoeacutelevage caprin fromager ou agrave des productions veacutegeacutetales (vignes arboriculture)

Eacutelevages bovins lait herbagers valorisation sous AOP ou IGP 90 de prairies permanentes dans les surfaces en herbe

Systegravemes pastoraux ovins viande speacutecialiseacutes ou diversifieacutes (lavande noyers checircnes truffiers chegravevres tourisme) bovins (secteur de Lachau)

Perception de la biodiversiteacute

Un lien reconnu entre diversiteacute floristique et qualiteacute du fourrage donc du lait mais peu drsquointeacuterecircttemps pour lrsquoapprofondir

Des eacuteleveurs srsquointeacuteressent agrave la composition des prairies naturelles et mentionnent un inteacuterecirct pour lrsquoappeacutetence la qualiteacute et le goucirct du lait et des fromages le rendement cela influence peu les modes de gestion

La diversiteacute floristique des prairies (p reacutesence de leacutegumineuses notamment) est reconnue comme inteacuteressante pour la qualiteacute du foin et lrsquoeacutequilibre des rations et teacutemoin drsquoun travail laquo bien fait raquo

Sources RPG 2016 entretiens avec des agriculteurs et des acteurs des territoires extrait du volet 2 du rapport final p 19-30

78

8

11 1 1

1

54

1 1

44 65

8

1

8 6

5 3 4

Le travail meneacute sur les territoires-types met en eacutevidence un risque drsquoabandon des surfaces difficiles drsquoaccegraves difficiles drsquoutilisation ou peu productives entraicircnant une fermeture du milieu une perte de biodiversiteacute et de fonctionnaliteacute une modification des paysages Le risque drsquointensification de lrsquoutilisation des prairies permanentes existe sur certaines zones du Beaujolais Vert mais est plus marginal sur les autres territoires montagnards de Rhocircne-Alpes Sur certains territoires comme les Baronnies et le Beaujolais Vert eacutelargi lrsquoeacutelevage pastoral dans le premier territoire laitier geacuteneacuterique ou allaitant dans le second demeure relativement fragile Lrsquoenjeu drsquoun deacuteveloppement eacuteconomique srsquoappuyant agrave la fois sur lrsquoagriculture et le tourisme (donc le paysage) est preacutesent sur les trois territoires

1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 99

La diversiteacute des territoires concerne aussi leurs dynamiques de projet Ainsi alors que le Pilat et le Haut-Jura sont engageacutes historiquement dans des deacutemarches agro-environnementales et ont deacuteveloppeacute une animation speacutecifique les Baronnies provenccedilales Parc naturel reacutegional (PNR) reacutecent et le Beaujolais Vert cherchent agrave initier ce changement

22 Speacutecificiteacute et eacutevolution de la strateacutegie reacutegionale de Rhocircne-Alpes

Pour mieux faire ressortir les particulariteacutes de la reacutegion eacutetudieacutee les strateacutegies agro-environnementales et les objectifs des Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) de Rhocircne-Alpes et drsquoAuvergne ont eacuteteacute compareacutes (tableau 4)11 En Rhocircne-Alpes le PDR est orienteacute vers le soutien agrave lrsquoeacuteconomie agricole et aux productions geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes positives pour lrsquoenvironnement Les laquo objets raquo consideacutereacutes par les MAEC sont les systegravemes drsquoexploitation et les pratiques dont lrsquoorientation doit permettre de geacuteneacuterer des externaliteacutes positives Les MAEC reacutepondent aux besoins drsquoadaptation des systegravemes de preacuteservation des espaces agricoles de deacuteveloppement de modes de production speacutecifiques et creacuteateurs drsquoexternaliteacutes positives

En Auvergne le PDRR affiche des objectifs de diffeacuterenciation qualitative des produits en plus du soutien agrave la compeacutetitiviteacute des systegravemes de montagne En lien avec cet objectif les MAEC portent directement sur la preacuteservation de lrsquoenvironnement plutocirct que sur la fourniture drsquoexternaliteacutes par les productions agricoles Les laquo objets raquo des MAEC sont lrsquoenvironnement (eau biodiversiteacute sols) et les surfaces en herbe mais pas les systegravemes agricoles

Ces eacuteleacutements se reflegravetent dans la deacutefinition des Zones drsquoaction prioritaire (ZAP) si en Auvergne les trois ZAP portent sur des enjeux environnementaux (eau biodiversiteacute et seacutequestration du carbone) en Rhocircne-Alpes une ZAP laquo systegravemes herbagers raquo est deacutefinie

La MAEC SHP 01 nrsquoa initialement pas eacuteteacute ouverte sur tout le territoire reacutegional et les anciennes reacutegions Auvergne et Rhocircne-Alpes ont fait leurs choix de maniegraveres diffeacuterentes (figure 4)

Comme lrsquoillustre la figure 4 en Rhocircne-Alpes la strateacutegie initiale drsquoactivation de la SHP 01 en zone de plaine

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de soutien aux systegravemes herbagers majoritaires sur le territoire dans un contexte de disparition de la Prime herbagegravere agro-environnementale (PHAE) Cela srsquoest traduit par la deacutefinition drsquoune ZAP laquo systegravemes herbagers raquo

- Inteacutegrait un souci de maicirctrise budgeacutetaire qui impliquait lrsquoactivation de la SHP 01 uniquement en plaine ougrave les systegravemes ne beacuteneacuteficient pas de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicap naturel (ICHN) revaloriseacutee12

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de durabiliteacute agro-eacutecologique des zones herbagegraveres en cherchant en particulier agrave limiter lrsquointensification risque plus marqueacute en plaine qursquoen montagne Toutefois les territoires du Beaujolais Vert eacutelargi et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont par la suite plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne arguant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Elle a donc eacuteteacute ouverte agrave titre exploratoire et agrave budget constant sur ces territoires en 2015

11 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201812 En 2014 et 2015 lrsquoICHN perccedilue par les exploitations de montagne pieacutemont et zone deacutefavoriseacutee simple a eacuteteacute revaloriseacutee pour compenser lrsquoarrecirct de la PHAE

100 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 4 - Comparaison des strateacutegies agro-environnementales reacutegionales et indicateurs cleacutes

Type Rhocircne-Alpes Auvergne

Finaliteacute du PDRMaintenir et si possible deacutevelopper les potentiels productifs lieacutes agrave lrsquoagriculture et agrave la forecirct et les orienter de maniegravere agrave maximiser leurs externaliteacutes positives

Poursuite de la dif feacuterenciation qualitative du territoire geacuteneacuteratrice drsquoemploi de valeur ajouteacutee et drsquoattractiviteacute

Objectifs strateacutegiques du PDR

1 Satisfaire les besoins fondamentaux de lrsquoagriculture

2 Assurer la viabi l i teacute eacuteconomique de lrsquoagriculture et de la sylviculture

3 Faire beacuteneacuteficier les territoires de lrsquoimpact eacuteconomique de l rsquoagr i cu l tu re e t de la sylviculture

4 Maximiser leurs externaliteacutes positives sur les territoires

1 Accentuer la diffeacuterenciation qualitative des produits et des services en vue drsquoune meilleure valorisation eacuteconomique creacuteatrice de valeur ajouteacutee et drsquoemploi

2 Accompagner les changements de pratiques par lrsquoinnovation et la mobilisation des connaissances et des acquis de la recherche

3 Reacuteduire les diffeacuterentiels de compeacutetitiviteacute entre la plaine et les zones deacutefavoriseacutees

Zones drsquoaction prioritaires

- Maintenir les systegravemes agr icoles (qui ent ret iennent des ter r i to i res ouver ts favorables agrave la biodiversiteacute et aux paysages ainsi qursquoagrave la maitrise des risques concourent au stockage de carbone agrave la l imitation de lrsquousage drsquointrants et agrave la captation des polluants par ef fet tampon favorisent la permeacuteabiliteacute des espaces agrave la biodiversiteacute valorisent les eacutecosystegravemes vivants dans lrsquoacte de production) lorsqursquoils sont menaceacutes de disparition

- Construire des pratiques culturales favorables aux biens environnementaux

- Preacuteserver la biodiversiteacute ordinaire menaceacutee drsquoeacuterosion- Ameacuteliorer ou maintenir la qualiteacute de lrsquoeau- Maintenir ou eacutetendre les surfaces en herbe afin de deacutevelopper les systegravemes mixtes polyculture-eacutelevage et drsquoameacuteliorer lrsquoautonomie des exploitations- Preacuteserver la qualiteacute des sols

Objectifs des MAE et enjeux prioritaires

- Eau- Surfaces speacutecifiquement identifieacutees pour la preacuteservation de la biodiversiteacute- Zonages des speacutecificiteacutes reacutegionales des systegravemes herbagers

- Eau- Biodiversiteacute-Seacutequestration du carbone

Source PDRR des ex-reacutegions Rhocircne-Alpes et Auvergne traitement Acteacuteon volet 1 du rapport final p 9-10

Figure 4 - Logiques drsquoaction et strateacutegies initiales drsquoactivation de la SHP 01 en Rhocircne-Alpes et en Auvergne

Sources PDRR et documents annexes entretiens volet 1 du rapport final page 13

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 101

Lrsquoouverture de la SHP 01 agrave certaines zones de montagne de Rhocircne-Alpes traduit donc une eacutevolution de la logique drsquoimpact de la SHP 01 dans cette reacutegion

- la SHP 01 ne vise plus seulement agrave limiter lrsquointensification mais aussi la deacuteprise (parcelles difficiles agrave entretenir en montagne)

- lrsquoICHN seule nrsquoest plus perccedilue comme permettant de garantir le maintien et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des couverts permanents

- le caractegravere de mesure laquo systegraveme raquo peut mener agrave lrsquointeacutegration structurelle et fonctionnelle des surfaces en herbe dans les systegravemes et donc permettre la peacuterennisation des pratiques

- lrsquoouverture sur les PNR contribue au deacuteveloppement de dynamiques agro-eacutecologiques plus larges favoriseacutees par des deacutemarches territoriales deacutejagrave existantes

En Auvergne la strateacutegie portait plus clairement degraves le deacutepart sur des objectifs environnementaux a) seacutequestration du carbone en limitant le retournement des prairies et en maintenant les surfaces en herbe et b) maintien de la qualiteacute eacutecologique des prairies La mesure SHP 01 a donc eacuteteacute ouverte au sein des ZAP laquo Biodiversiteacute raquo et laquo Seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies) qursquoelles soient en plaine ou en montagne Agrave noter que le risque drsquointensification des pratiques en zone de montagne est plus eacutevident en Auvergne qursquoen Rhocircne-Alpes avec davantage de parcelles meacutecanisables (moins de pentes)

23 Une diversiteacute de strateacutegies territoriales drsquoactivation de la SHP 01

Sur les huit territoires de Rhocircne-Alpes concerneacutes13 six ont choisi drsquoactiver la SHP 01 en remplacement drsquoun ensemble de MAEC agrave enjeux localiseacutes tout en conservant une articulation avec drsquoautres MAEC permettant de reacutepondre agrave des enjeux particuliers (exemple des MAEC zones humides sur le Beaujolais Vert eacutelargi) Deux territoires (les Bauges et les Pentes et montagnes drsquoArdegraveche) ont choisi de ne pas lrsquoactiver et de conserver des MAEC agrave enjeux localiseacutes inteacutegrant les engagements unitaires Herbe 07 et Herbe 09 semblables agrave ceux imposeacutes sur les surfaces cibles dans le cas de la SHP 0114 Ces choix sont lieacutes agrave plusieurs facteurs analyse de lrsquoadaptation des mesures aux enjeux des territoires (eacutevolution ou maintien des pratiques eacutechelle du systegraveme ou gestion cibleacutee etc) mais aussi importance des zones drsquoeacuteligibiliteacute aux mesures (comme Natura 2000) contraintes budgeacutetaires et processus drsquoeacutevolution du dispositif reacutegional Les objectifs de contractualisation ont aussi varieacute selon les territoires Le tableau 5 reacutesume pour chaque territoire de Rhocircne-Alpes et deux territoires drsquoAuvergne les systegravemes preacutesents les risques identifieacutes par les opeacuterateurs ainsi que les strateacutegies mises en œuvre via les PAEC pour y reacutepondre (budgets zonages mesures mobiliseacutees dont SHP 01 animation)

13 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201814 Les MAEC agrave enjeux localiseacutes sont contractualiseacutees sur des parcelles de lrsquoexploitation concerneacutees par des enjeux speacutecifiques (on parle aussi de laquo mesures parcellaires raquo) La SHP 01 en revanche engage toute lrsquoexploitation (mesure systegraveme) mecircme si certains engagements ne concernent que les laquo surfaces cibles raquo

102 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sources entretiens avec les acteurs des territoires candidatures PAEC et documents annexes volet 1 du rapport final pp19-20

15 C

umul

impo

ssib

le e

ntre

SH

P 0

1 et

Her

be 0

7 c

umul

pos

sibl

e en

tre S

HP

01

et H

erbe

09

en z

one

Nat

ura

2000

ou

DFC

I uni

quem

ent

16

En

2017

ouv

ertu

re d

e la

SH

P 0

1 po

ur le

s laquo

zone

s so

us fo

rte

cont

rain

te raquo

Tabl

eau

5 - C

ompa

rais

on d

es s

trat

eacutegie

s te

rrito

riale

s drsquo

activ

atio

n de

la M

AE

SHP

01 (a

nneacutee

201

6)R

eacutegio

nR

hocircne

-Alp

esA

uver

gne

PAE

CC

recirct d

u H

aut J

ura

Pila

tB

eauj

olai

s Ve

rt eacute

larg

iC

hart

reus

eVe

rcor

sB

aron

nies

dr

ocircmoi

ses

Pen

tes

et m

onta

gnes

ar

deacutech

oise

sG

orge

s de

la T

ruyegrave

reA

lagn

on

Opeacute

rate

urP

NR

PN

RC

omm

unau

teacutedrsquo

ggl

omeacuter

atio

nP

NR

PN

RP

NR

PN

RC

omm

unau

teacute d

e co

mm

unes

Syn

dica

t de

riviegrave

re

Mili

eu e

t sys

tegravem

es

Eacutele

vage

laiti

er

herb

ager

(AO

P B

leu

de G

ex)

alp

ages

ave

c tra

nshu

man

ce

Eacutele

vage

div

ersi

fieacute

Pel

ouse

s segrave

ches

et

prai

ries

drsquoal

titud

e

Sys

tegravem

es h

erba

gers

bo

vins

lait

geacuteneacute

rique

et

alla

itant

s (o

vins

ca

prin

s)

Bov

ins

lait

et v

iand

e he

rbag

ers

alp

ages

Pol

ycul

ture

-eacutele

vage

bo

vins

(ov

ins

capr

ins)

A

lpag

es p

elou

ses

pr

airie

s

Eacutele

vage

pas

tora

l ov

in e

xplo

itatio

ns

dive

rsifi

eacutees

(arb

oric

ultu

re

vitic

ultu

re +

ovi

ns)

Eacutele

vage

pas

tora

l ovi

n av

ec c

hacircta

igne

s

bovi

ns a

llaita

nts

sur

le p

late

au

Eacutele

vage

he

rbag

er

bovi

ns

alla

itant

s(qu

elqu

es

mix

tes

laiti

ers)

peu

drsquo

ovin

s

Eacutele

vage

her

bage

r ex

tens

if l

aitie

rs

(Mar

gerid

e) e

t al

laita

nts

(Ceacutez

allie

r)

Ris

ques

pou

r les

cou

vert

s pe

rman

ents

Inte

nsifi

catio

n de

s pa

rcel

les

meacutec

anis

able

s (p

erte

de

la q

ualit

eacute eacutec

olog

ique

des

pra

iries

) com

bineacute

e agrave

lrsquoaba

ndon

des

zon

es n

on

meacutec

anis

able

s =gt

enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Art

ifici

alis

atio

n du

pi

eacutemon

t D

eacutepris

e de

lrsquoa

ctiv

iteacute p

asto

rale

la

itiegraver

e

Aba

ndon

des

pel

ouse

s segrave

ches

et a

lpag

es

diffi

cile

s agrave

expl

oite

rLi

gnifi

catio

n

Deacutep

rise

past

oral

e P

erte

drsquoh

abita

ts

drsquooi

seau

x

Ges

tion

non

optim

iseacutee

des

la

ndes

pel

ouse

s

deacutepr

ise

dans

les

pent

esLi

gnifi

catio

n de

s zo

nes

hum

ides

Bai

sse

de lrsquo

entre

tien

des

pent

es

Inte

nsifi

catio

n de

s pl

atea

ux

Ret

ourn

emen

t de

prai

ries

natu

relle

s et

deacute

velo

ppem

ent d

u m

aiumls

en M

arge

ride

ni

trate

s (e

au)

Mon

tant

PA

EC

not

ifieacute

2015

-201

7 (euro

)1

575

502

1 57

0 98

72

813

356

1 60

0 98

13

376

647

1 50

7 05

94

511

753

NC

NC

Stra

teacutegi

e du

PA

EC

Mai

ntie

n de

la

gest

ion

des

estiv

es

peacutere

nnis

atio

n drsquo

une

agric

ultu

re d

e va

lleacutee

prod

uctr

ice

drsquoam

eacuteniteacute

s en

viro

nnem

enta

les

eacutec

onom

ique

men

t et

soc

iale

men

t pe

rfor

man

te

Deacutev

elop

pem

ent

de lrsquo

agro

-eacuteco

logi

e et

de

lrsquoagr

icul

ture

bi

olog

ique

aj

uste

men

t de

s pr

atiq

ues

pour

preacute

serv

er la

bi

odiv

ersi

teacute l

a qu

aliteacute

de

lrsquoea

u et

les

tram

es

vert

es e

t ble

ue

Reacutefl

exio

n sy

steacutem

ique

su

r les

exp

loita

tions

dy

nam

ique

col

lect

ive

so

utie

n eacutec

onom

ique

agrave

lrsquoeacutele

vage

Preacute

serv

atio

n de

s zo

nes

hum

ides

Acc

ompa

gnem

ent d

es

dyna

miq

ues

agro

-en

viro

nnem

enta

les

en

lien

avec

les

proj

ets

de te

rrito

ire p

orteacute

s pa

r le

Par

c

Mai

ntie

n de

s su

rfac

es

herb

agegraver

es s

ur le

s zo

nes

diffi

cile

s d

e la

bio

dive

rsiteacute

des

ha

bita

ts l

utte

con

tre

la fe

rmet

ure

via

le

past

oral

ism

e

Un

1er P

AE

C tr

egraves

agric

ole

past

oral

Le

2nd

integrave

gre

les

enje

ux b

iodi

vers

iteacute

Nat

ura

2000

eau

Mai

ntie

n de

s m

ilieu

x ou

vert

s (g

estio

n ad

apteacute

e)

des

couv

erts

sur

la

zon

e laquo

eau

raquo

de la

bio

dive

rsiteacute

co

mm

e ve

cteu

r de

vale

ur a

jout

eacutee d

e lrsquoa

uton

omie

Con

serv

atio

n de

s pr

airie

s di

vers

ifieacutee

s

y co

mpr

is p

our

accu

eilli

r les

ois

eaux

en

lutta

nt c

ontre

lrsquoe

mbr

ouss

aille

men

t et

lrsquoin

tens

ifica

tion

di

spar

ition

des

hai

es

Prio

riteacute

aux

enje

ux

eau

(SA

GE

en

eacutelab

orat

ion

+ co

ntra

t ter

ritor

ial)

zo

nes

hum

ides

et

biod

iver

siteacute

(N20

00)

Nom

bre

et ty

pes

de Z

IP

(zon

es d

rsquointe

rven

tion

prio

ritai

res)

3 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

2 B

iodi

vers

iteacute2

Cou

vert

s pe

rman

ents

et z

ones

hu

mid

es

5 B

iodi

vers

iteacute p

ar ty

pe

de m

ilieu

+ N

2000

et

Teacutetra

s L

5 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

4 B

iodi

vers

iteacute

N20

00 o

u no

n e

au

3 B

iodi

vers

iteacute d

ont

land

esp

arco

urs

et

prai

ries

de fa

uche

1 B

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

3 E

au z

ones

hu

mid

es b

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

Mes

ures

act

iveacutee

s da

ns

les

ZIP

bio

dive

rsiteacute

hor

s su

rfac

es c

olle

ctiv

es15

SH

P 01

Her

be 0

9 po

ur le

s ex

ploi

tatio

ns s

itueacutee

s en

de

hors

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes

(don

t Her

be 0

7 et

09)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

+ S

HP

01

Hor

s zo

nes

hum

ides

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en z

one

hum

ide

et N

2000

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en N

2000

SH

P 0

1+

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t H

erbe

09)

en

N20

00

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t Her

be

07 e

t 09)

16

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes (d

ont H

erbe

07

)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

Zone

s co

ncer

neacutees

par

S

HP

01

Tout

le te

rrito

ireTo

ut le

terr

itoire

Tout

le te

rrito

ireN

2000

et z

ones

hu

mid

es

N20

00 e

t zon

es d

e co

heacutere

nce

agro

-en

viro

nnem

enta

le

Zone

s agrave

enje

ux d

e bi

odiv

ersi

teacute e

n et

ho

rs N

2000

Auc

une

Tout

le te

rrito

ireE

au e

t zon

es

hum

ides

Bud

get S

HP

01

(euro) n

otifi

eacute 20

15-2

017

(Fea

der +

co

ntre

part

ie n

atio

nale

)17

1 35

438

7 05

02

585

000

47 2

7564

072

128

354

0N

CN

C

Nom

bre

de c

ontra

ts S

HP

015

5711

00

17

0N

CN

C

Ani

mat

ion

et

acco

mpa

gnem

ent p

reacutevu

sD

iagn

ostic

s

acco

mpa

gnem

ent

tech

niqu

e fo

rmat

ion

pl

an d

e pr

ogregrave

s ag

ro-

eacutecol

ogiq

ue

Com

mun

icat

ion

reacute

unio

ns p

ubliq

ues

di

agno

stic

s fo

rmat

ions

Form

atio

n ob

ligat

oire

et

aut

o-di

agno

stic

s

Jour

neacutees

theacutem

atiq

ues

et

deacutem

onst

ratio

n

Dia

gnos

tic o

blig

atoi

re

pour

SH

P 01

fo

rmat

ion

et a

ccom

pagn

emen

t in

divi

duel

Dia

gnos

tic d

e ge

stio

n pa

stor

ale

prop

oseacute

Dia

gnos

tics

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ob

ligat

oire

s po

ur u

ne

MA

EC e

njeu

loca

liseacute

Fo

rmat

ions

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ag

ricol

es

et z

ones

hum

ides

fo

rmat

ions

et j

ourn

eacutees

de d

eacutemon

stra

tion

dans

le c

adre

du

cont

rat t

errit

oria

l

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 103

3 La SHP 01 une mesure pertinente pour les zones de montagne en Rhocircne-Alpes

31 Effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sur les trois territoires-types

Sur les trois territoires-types lrsquoactivation et la contractualisation de la SHP 01 visent des effets agrave lrsquoeacutechelle des couverts permanents et des surfaces cibles (SC) limitation de la fermeture du milieu et preacuteservation drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Elles visent aussi des effets agrave lrsquoeacutechelle des exploitations (contribution au revenu) et agrave celle du territoire (contribution au projet agro-eacutecologique de territoire maintien de lrsquoeacutelevage preacuteservation du paysage)

Ces effets attendus sont preacutesenteacutes dans le tableau 6 Agrave lrsquoeacutechelle des surfaces lrsquoentretien de la STH et le maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles sont pressentis dans les trois territoires Toutefois dans le Beaujolais Vert un recours plus freacutequent au non-labour et lrsquoarrecirct de lrsquoutilisation des produits phytosanitaires sont aussi anticipeacutes Agrave lrsquoeacutechelle des exploitations un soutien au revenu et donc au maintien de lrsquoactiviteacute est attendu dans le Beaujolais Vert et les Baronnies mais pas dans le Haut-Jura Dans les Baronnies la SHP est perccedilue comme un moyen de compenser la baisse des aides (lieacutee notamment agrave la proratisation) Enfin les acteurs des trois territoires pensent que la SHP favorisera lrsquoeacutemergence de deacutemarches collectives Pour le Beaujolais Vert et les Baronnies cela contribuerait agrave la mise en place drsquoune dynamique agro-environnementale nouvelle tandis que sur le Haut-Jura ces deacutemarches sont vues comme un moyen drsquoameacuteliorer la qualiteacute des produits et la gestion des systegravemes drsquoexploitation (ex autonomie)

Les diagrammes logiques drsquoimpact construits pour chaque territoire illustrent ces speacutecificiteacutes (la figure 5 donne un exemple pour le Beaujolais Vert)

32 Reacuteponse de la SHP 01 aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique

321 Pertinence de la mesure

Lrsquoanalyse de la pertinence de la mesure passe par le rapprochement des risques appreacutehendeacutes sur les territoires avec les effets attendus de la SHP 01 (illustration pour les Baronnies en tableau 7)

Cette analyse reacutealiseacutee pour les trois territoires-types montre que la SHP 01 propose des reacuteponses adapteacutees aux risques identifieacutes sur les territoires de montagne en Rhocircne-Alpes (fermeture des milieux et intensification des pratiques sur les prairies permanentes) et contribue ainsi au maintien des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique sur ces territoires La figure 6 preacutesente le diagramme logique drsquoimpact global construit agrave partir des analyses meneacutees sur les trois territoires-types

Lrsquoeffet attendu de la contractualisation de la SHP 01 sur le maintien des surfaces herbagegraveres et pastorales est particuliegraverement clair lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH de lrsquoexploitation garantit la poursuite de lrsquoentretien des surfaces menaceacutees drsquoabandon drsquoembroussaillement et de fermeture risque aveacutereacute sur lrsquoensemble des territoires pour des

104 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 - Comparaison des effets attendus de la SHP 01 sur les trois territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Effets directs attendus agrave lrsquoeacutechelle des exploitations

Surfaces

A r r ecirc t d e l rsquou t i l i s a t i o n d e s p r o d u i t s phytosanitaires sous les clocirctures X

Compensation des coucircts drsquoentretien hausse de la rentabiliteacute des parcelles X

Utilisation et entretien meacutecanique des surfaces difficiles drsquoaccegraves et dutilisation X X X

Maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles X X X

Non labour X

Exploitations

Compensation partielle de la baisse des aides

X

Contribution au revenu X X

Reconnaissance du temps investi X

Reacuteflexion systeacutemique - gestion diffeacuterencieacutee des surfaces

X

Territoire

Contractualisation large X

Deacutemarches collectives X X X

Reconnaissance du rocircle de lagriculture pour le territoire X X

Effets plus geacuteneacuteraux attendus

Surfaces

Limitation de la fermeture du milieu X X X

Preacuteservation de la biodiversiteacute des surfaces cibles X X X

Preacuteservation de la fonctionnaliteacute des milieux humides X X

ExploitationsMaintien de lrsquoactiviteacute X X

Ameacutelioration de lrsquoautonomie X

Territoire

Visibiliteacute de la politique locale de soutien agrave lagriculture X

Mise en place dune dynamique agro-environnementale nouvelle X X

Qualiteacute et valorisation des produits X

Maintien de lrsquoeacutelevage pastoral X

Source auteurs volet 2 du rapport final p55-56

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 105

Figure 5 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 pour le Beaujolais Vert eacutelargi

Lecture la case entoureacutee de pointilleacutes correspond agrave un effet non souhaiteacuteSource atelier sur le territoire sur la base des informations recueillies volet 2 du rapport final p47

surfaces eacuteloigneacutees difficiles drsquoutilisation ou peu productives Les surfaces concerneacutees peuvent ecirctre des parcours des prairies permanentes des zones humides etc Agrave noter que dans le cas de la MAEC SHP 01 lrsquoapplication de la regravegle du prorata17 pour le calcul des aides PAC agit dans le sens inverse agrave cette logique elle peut freiner la contractualisation de la SHP 01 par des systegravemes pastoraux ou conduire agrave lrsquoabandon de lrsquoutilisation de certains parcours lors de la transmission Agrave lrsquoeacutechelle territoriale le maintien des surfaces herbagegraveres ou pastorales deacutepend du niveau de contractualisation Ainsi respectivement 28 6 et 23 de la STH des zones drsquointervention prioritaires concerneacutees par la SHP 01 sur le Beaujolais Vert le Haut-Jura et les Baronnies sont engageacutes

Lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH empecircche par ailleurs le retournement des prairies permanentes Ce risque plus localiseacute dans les Alpes existe aussi dans certains territoires comme le Beaujolais Vert et reste encore tregraves preacutesent sur le Massif central (Margeride Forez Monts drsquoArdegraveche par exemple) Sur le Beaujolais Vert eacutelargi peu de prairies permanentes sont laquo encore labourables raquo mais certaines ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et on trouve de nombreuses zones humides labourables

17 La regravegle du prorata consiste agrave calculer pour chaque laquo zone de densiteacute homogegravene raquo drsquoune exploitation le taux de recouvrement au sol par des eacuteleacutements non admissibles (affleurements rocheux eacuteboulis litiegravere buissons non adapteacutes au pacircturage etc) Cela amegravene agrave reacuteduire la surface admissible aux aides

106 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 7 - Analyse de la pertinence sur les Baronnies drocircmoises contribution de la SHP 01 agrave la reacuteponse aux enjeux

Enjeux (1er niveau) Contribution de la SHP 01 pour y reacutepondre Remarques

Abandon de lrsquoutilisation des pa rc our s eacute lo i gneacutes laquo peu productifs raquo des zones tampons

Engagement au maintien de toute la STH traces de passage absence de deacutegradation et de surpacircturage =gt entretien des parcours menaceacutes dabandon

Obligations de reacutesultats sur les 50 de STH en surfaces cibles (SC) + maintien drsquoun pacircturage minimum et drsquoune gestion adapteacutee des parcours

Les SC sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) lrsquoanimation vise agrave cibler les surfaces agrave fort enjeu eacutecologique

La preacutedation par le loup pourrait amener agrave abandonner ces parcours malgreacute tout

Intensification des pratiques sur les prairies permanentes irrigueacutees

Obligations de reacutesultats sur les prairies permanentes irrigueacutees choisies comme SC (plantes indicatrices) =gt maintien drsquoune gestion adapteacutee des prairies

Ces prairies irrigueacutees sont souvent choisies comme SC par les exploitations qui en ont

Eacutevolution du systegraveme vers plusuniquement des productions veacutegeacutetales deacuteprise de lrsquoactiviteacute pastorale

M o n t a n t ( 1 2 5 9 0 euro ) = gt compensation partielle de la baisse perccedilue des aides (lieacutee au prorata) etou contribution au revenu

Environ 19 des aides 2015 et 27 du revenuLe critegravere 70 de surfaces en herbe peut ecirctre excluant pour les petites exploitations drsquoeacutelevage diversifieacutees La preacutedation par le loup constitue un frein agrave la contractualisation car elle peut conduire agrave abandonner des parcours eacuteloigneacutes Une pression de preacutedation trop forte pourrait amener agrave abandonner le pastoralisme malgreacute tout

In i t iat ion d rsquoune dynamique a g r o - e nv i r o n n e m e n t a l e affirmation du rocircle du PNR

Reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcoursAnimation =gt eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs

Le portage par le Parc constitue un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs donc agrave la contractualisation

Source auteurs volet 2 du rapport final page 52

Lrsquoeffet attendu sur lrsquoeacutequilibre eacutecologique est plus complexe Agrave lrsquoeacutechelle parcellaire les reacutesultats sur les surfaces cibles sont des indicateurs directs (diversiteacute floristique des prairies) ou indirects (taux de raclage des parcours) drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu lieacutee au maintien de pratiques adapteacutees deacutejagrave mises en œuvre par les exploitants sur ces surfaces La mesure est donc pleinement adapteacutee agrave lrsquoenjeu de preacuteservation de lrsquoeacutetat eacutecologique des surfaces cibles comme le sont aussi les mesures parcellaires Herbe 07 et 09 Si lrsquoon considegravere que lrsquoenjeu de preacuteservation est drsquoautant plus fort que le risque de deacutegradation de lrsquoeacutequilibre eacutecologique est marqueacute cette conclusion doit ecirctre nuanceacutee selon les modaliteacutes de choix des surfaces cibles Sur le Beaujolais Vert eacutelargi on constate que les surfaces cibles choisies sont souvent celles qui preacutesentent le plus de fleurs en geacuteneacuteral des surfaces non meacutecanisables et relativement peu menaceacutees drsquointensification Sur les Baronnies drocircmoises les surfaces cibles sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement les plus menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) Lrsquoanimation vise cependant agrave cibler aussi des surfaces agrave fort enjeu eacutecologique La pertinence de la mesure est donc renforceacutee par lrsquointeacutegration dans les surfaces cibles des zones les plus concerneacutees par des risques de deacutegradation (par abandon ou par intensification) Cette inteacutegration deacutepend de lrsquoimportance relative de ces surfaces agrave enjeux au sein de lrsquoexploitation agricole et de la nature du diagnostic technique reacutealiseacute sur les surfaces par le technicien et lrsquoeacuteleveur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 107

Figure 6 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 construit agrave partir des diagrammes logiques drsquoimpact des trois territoires-types

Source auteurs volet 2 du rapport final page 70

Hors surfaces cibles les effets sont plus indirects et lieacutes agrave plusieurs composantes de la mesure

- le maintien de toute la STH agit agrave un premier niveau pour les surfaces menaceacutees drsquoabandon ou de retournement En limitant lrsquoembroussaillement ou le labour il permet de conserver des milieux et une diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques de milieux ouverts Dans certains cas la diversiteacute des espegraveces peut mecircme srsquoameacuteliorer par exemple sur des prairies du Beaujolais Vert qui ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et eacutevoluent aujourdrsquohui vers des prairies naturelles

- lrsquoaccompagnement et lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation sont mobiliseacutes pour maintenir ou faire eacutevoluer des modes de gestion adapteacutes sur lrsquoensemble des surfaces Cette approche est lieacutee au caractegravere systeacutemique de la mesure agrave un plafond de chargement animal global et agrave un taux de surfaces cibles significatif dans les surfaces de lrsquoexploitation qui empecircchent une gestion des surfaces cibles deacuteconnecteacutee du reste du systegraveme

Lrsquoensemble de ces meacutecanismes (maintien de toute la STH obligation de reacutesultats sur un taux de surfaces cibles significatif pour le fonctionnement de lrsquoexploitation accompagnement et approche globale) contribuent agrave maintenir une diversiteacute de types de milieux agrave lrsquoeacutechelle du territoire Ces milieux incluent des surfaces particuliegraverement riches en matiegravere de diversiteacute

108 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

drsquoespegraveces dont lrsquoimportance deacutepend du niveau de contractualisation les surfaces cibles repreacutesentent respectivement 12 2 et 13 de la STH des ZIP du Beaujolais Vert du Haut-Jura et des Baronnies qui sont concerneacutees par la SHP 01

322 Comparaison et coheacuterence avec les MAEC agrave enjeux localiseacutes

Si lrsquoon compare la logique drsquoaction de la SHP 01 agrave celle de MAEC agrave enjeux localiseacutes (comme Herbe 07 et Herbe 09) on constate que la SHP 01 privileacutegie une entreacutee par le fonctionnement des exploitations herbagegraveres plutocirct que par les zonages environnementaux avec un objectif de changement durable plutocirct que de modification cibleacutee des modes de gestion (tableau 8) Cette approche permet donc drsquoaller au-delagrave du simple changement de pratiques permis par Herbe 07 et Herbe 09 Elle engendre eacutegalement des effets positifs indirects via lrsquoeacutevolution de lrsquoensemble du systegraveme

Drsquoautres MAEC agrave enjeux localiseacutes reacutepondant agrave des probleacutematiques speacutecifiques et demandant des modes de gestion particuliers sont cependant combineacutees agrave la SHP 01 comme crsquoest le cas de la MAEC laquo zones humides raquo dans le Beaujolais Vert qui vise la retenue et le drainage des zones humides

Tableau 8 - Comparaison des effets attendus entre SHP 01 et Herbe 0709SHP 01 Herbe 0709

Un outil agrave caractegravere laquo deacutefensif raquo (lutte contrehellip) et laquo systeacutemique raquo axeacute sur le fonctionnement global et qui integravegre lrsquoensemble des surfaces herbagegraveres

Un outil agrave caractegravere laquo parcellaire raquo et laquo offensif raquo axeacute sur la gestion cibleacutee de la biodiversiteacute

Ciblage des enjeux

Une mesure laquoinclusiveraquo qui prend en compte lrsquoensemble des surfaces pacirctureacutees et faucheacutees marginaliseacutees ou non quelle qursquoen soit la laquovaleurraquo (en particulier surfaces non classeacutees Natura 2000 mais preacutesentant des fonctionnaliteacutes inteacuteressantes en tant que milieux ouverts)

Un rocircle de lrsquoanimation neacutecessaire pour cibler les surfaces agrave enjeux

Un taux de surfaces cibles (20 agrave 50 ) qui permet drsquoinclure aussi des surfaces agrave enjeu fort drsquoembroussaillement ou drsquointensification

Un zonage possible des surfaces agrave forts enjeux de maintien de pratiques extensives agrave condition de pouvoir les deacutelimiter de maniegravere pertinente et fine

Le risque de deacutesengagement sur drsquoautres sur faces pouvant malgreacute tout ecirct re inteacuteressantes

Un r isque de non-engagement des surfaces embroussailleacutees en lien avec la regravegle de proratisation des aides surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes

Nature des effets

En plus du maintien de pratiques adapteacutees agrave une diversiteacute de surfaces cibles il y a un effet indirect sur le mode de gestion de lrsquoensemble des surfaces lieacute agrave lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation

Une mesure de laquomaint ienraquo qui ne permet pas drsquoencourager directement des eacutevolutions (ex reconquecircte de la biodiversiteacute)

Lrsquoalternative avec lrsquoagriculture biologique plus reacutemuneacuteratrice alors que les objectifs et effets attendus sont diffeacuterents et peuvent concerner drsquoautres product ions que lrsquoeacutelevage

Pas drsquoeffets a priori sur les autres parcelles de lrsquoexploitation non engageacutees

Un plan de gestion qui peut conduire agrave des eacutevolutions techniques de gestion pastorale

Cumul possible avec lrsquoagriculture biologique

Source auteurs volet 2 du rapport final page 57

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 109

Tableau 9 - Poids de lrsquoICHN et de la SHP 01 dans les aides pour les territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Cateacutegorie RICA Bovins lait Zone montagne ARA

Ovinscaprins Zone montagne ARA

Bovins lait Zone montagne ARA

Cas type

Bovin speacutecialiseacute lait dominante herbagegravere m o n t a g n e s a n s valorisation speacutecifique ndash Inosys

Preacute-alpes ovin speacutecialiseacute seacutedentaire ndash Inosys

L a i t i e r s s p eacute c i a l i s eacute s montagne foin ndash analyse d e g r o u p e c h a m b r e drsquoagriculture de lrsquoAin

Nombre de dossiers SHP 01 118 7 4

Montant SHP 01 par exploitation 5 230 euro 12 590 euro 3 520 euro

Montant de lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 36 842 euro 52 458 euro 50 553 euro 43 700 euro 36 842 euro 38 492 euro

Poids de lrsquoICHN dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 20 agrave 40 34 agrave 40 40

Poids de la SHP 01 dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 10 agrave 14 25 agrave 29 9 agrave 10

Revenu moyen drsquoapregraves les cas-types 70 072 euro 30 400 euro 60 792 euro

Poids de la SHP 01 dans le revenu 7 agrave 19 42 6 agrave 13

Source auteurs volet 2 du rapport final p 65

323 Coheacuterence de la SHP 01 avec lrsquoICHN

Les effets attendus de la SHP 01 (voir section 321) ne sont pas garantis par lrsquoICHN ce qui renforce la pertinence de la mesure en montagne Ainsi si lrsquoICHN agit indirectement sur le maintien des surfaces en herbe en soutenant lrsquoactiviteacute des eacutelevages herbagers de montagne elle ne joue pas de rocircle direct drsquoorientation des pratiques de pacircturage et de gestion des prairies agrave lrsquoeacutechelle parcellaire LrsquoICHN seule nrsquoempecircche ni le labour de prairies permanentes ni le sous ou le surpacircturage agrave lrsquoeacutechelle parcellaire ni des pratiques de fertilisation ou de fauche inadapteacutees

33 Contribution au revenu pour le maintien des eacutelevages de montagne

En montagne rhocircnalpine lrsquoICHN repreacutesente entre 20 et 40 des aides perccedilues par les eacutelevages (tableau 9) Si sur les trois territoires eacutetudieacutes le poids de la SHP 01 est moindre (entre 10 et 30 des aides) la contribution de la mesure au revenu reste significative lrsquoaide repreacutesenterait entre 7 et 20 du revenu des systegravemes bovins laitiers du Beaujolais Vert entre 6 et 13 du revenu des systegravemes laitiers AOP du Haut-Jura et 42 du revenu des systegravemes pastoraux des Baronnies Sur ce territoire ougrave le niveau de revenu est relativement bas et le poids des aides important cet effet est particuliegraverement fort Agrave noter que lrsquoapplication de la regravegle du prorata aux surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes (et donc engageacutees en SHP 01) reacuteduit le montant perccedilu sur les surfaces embroussailleacutees ce qui semble incoheacuterent avec le soutien agrave lrsquoeacutelevage pastoral

110 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Agrave lrsquoeacutechelle du territoire le soutien agrave lrsquoeacutelevage est lieacute au niveau de contractualisation de la mesure Ainsi le Beaujolais Vert eacutelargi qui affiche clairement cet objectif a deacuteployeacute une animation et des moyens importants amenant 118 agriculteurs agrave contractualiser la mesure soit 18 des exploitations eacuteligibles La contractualisation reste faible dans les Baronnies et le Haut-Jura

Lrsquoune des finaliteacutes du dispositif PAEC eacutetant de trouver des marges de peacuterennisation des pratiques lrsquoune des questions eacutevaluatives portait sur le possible effet de la SHP 01 sur la valorisation eacuteconomique Or la contribution de la SHP 01 agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits semble encore en ecirctre agrave ses balbutiements des territoires comme le Haut-Jura souhaitent renforcer la valorisation des productions AOP en mettant en valeur la preacuteservation de la biodiversiteacute des prairies via une deacutemarche collective dont la SHP 01 est un levier La SHP 01 peut aussi contribuer aux deacutemarches meneacutees par ailleurs sur la qualiteacute et la labellisation en lien avec les surfaces herbagegraveres par exemple en apportant des critegraveres pour des cahiers des charges Ce projet demande une appropriation de la composante laquo eacutecologique raquo des produits par les acteurs eacuteconomiques Neacuteanmoins il faut rappeler que le poids des facteurs exteacuterieurs (filiegraveres marcheacutes etc) est tregraves fort On peut supposer qursquoune telle valorisation est plus facile agrave envisager en circuits courts mais crsquoest une hypothegravese qui reste agrave confirmer

4 Deux facteurs renforccedilant lrsquoimpact de la SHP 01 en zone de montagne

41 Un levier pour le deacuteveloppement de lrsquoagro-eacutecologie sur les territoires de projet

La SHP 01 est perccedilue par les opeacuterateurs des PAEC comme un deacuteclencheur de deacutemarches collectives de reacuteflexion sur le systegraveme de production notamment du fait de son caractegravere systeacutemique (encadreacute 2)

Les opeacuterateurs (exemple du projet agro-eacutecologique du Pilat) mettent eacutegalement en avant un effet levier de la SHP 01 en faveur de la conversion agrave lrsquoagriculture biologique Toutefois celui-ci reste peu eacutevoqueacute par les agriculteurs ayant contractualiseacute la SHP 01 Ils ne sont que quelques-uns agrave envisager une conversion au bio laquo dans un deuxiegraveme temps raquo (la SHP 01 nrsquoest pas cumulable avec les mesures de soutien agrave lrsquoagriculture biologique) Les montants des aides agrave lrsquoagriculture biologique sont en geacuteneacuteral supeacuterieurs18 Pour eux comme pour les opeacuterateurs cette eacutevolution srsquoinscrirait dans le cadre drsquoune reacuteflexion et drsquoune volonteacute de progresser vers lrsquoagro-eacutecologie Les entretiens ont montreacute le rocircle des eacutechanges collectifs et de la deacutemonstration dans la prise de deacutecision des exploitants notamment pour des eacutevolutions telles que la conversion agrave lrsquoagriculture biologique

42 Une condition lrsquoingeacutenierie territoriale

Lrsquoanimation territoriale occupe une place deacuteterminante dans la contractualisation des MAEC mais aussi en amont et en aval de celles-ci (encadreacute 3) Les analyses montrent que les effets attendus de la SHP 01 sont drsquoautant plus marqueacutes qursquoil existe sur les territoires un

18 En Rhocircne-Alpes lrsquoaide agrave la conversion agrave lrsquoagriculture biologique va de 44 eurohaan (parcours landes estives) agrave 130 eurohaan lrsquoaide au maintien de 35 agrave 90 eurohaan le montant de la SHP 01 va de 58 agrave 147 eurohaan selon le niveau de risque (58 agrave 80 eurohaan pour les territoires eacutetudieacutes)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 111

Le Beaujolais Vert eacutelargi dont lrsquoun des objectifs est la mise en place drsquoune deacutemarche agro-environnementale nouvelle a deacuteployeacute des moyens drsquoanimation importants Deux journeacutees de formationsensibilisation ont eacuteteacute rendues obligatoires pour la contractualisation de la SHP 01 visant la sensibilisation aux enjeux du PAEC la formation agrave lrsquoautodiagnostic fourrager et agrave la reacutealisation de transects (traccedilage de lignes le long desquelles ils comptent la preacutesence de plantes indicatrices) Un accompagnement des besoins et des journeacutees drsquoeacutechange sont preacutevus La mesure est une opportuniteacute pour enclencher une dynamique agro-environnementale et lrsquoaccompagnement des agriculteurs dans un contexte ougrave le travail technique sur les prairies est tregraves peu deacuteveloppeacute contrairement aux Alpes du nord Ces formations contribuent aussi agrave favoriser une contractualisation importante le tout donnant de la visibiliteacute agrave la politique de deacuteveloppement agricole de la collectiviteacute

Le PNR du Haut-Jura mobilise la SHP 01 comme levier pour le lancement drsquoun groupe drsquoeacutechanges et de reacuteflexion sur le fonctionnement des exploitations et le progregraves vers lrsquoagro-eacutecologie Ce groupe pour lrsquoinstant organiseacute autour des agriculteurs ayant contractualiseacute est destineacute agrave accueillir les autres eacutegalement Des autodiagnostics des visites des fermes des eacutechanges des formations et tests sont preacutevus notamment autour du systegraveme fourrager et de la gestion diffeacuterencieacutee des surfaces au sein du systegraveme (surfaces difficiles drsquoutilisation embroussailleacutees prairies de fauche surfaces cibles etc) Il est envisageacute de valoriser les deacutemarches engageacutees aupregraves du grand public via le tourisme et la visibiliteacute des produits

Sur les Baronnies le PAEC permet lrsquoinstauration drsquoune dynamique agro-environnementale et lrsquoaffirmation du rocircle du PNR dans cette deacutemarche La SHP 01 contribue en particulier agrave la reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcours et doit permettre drsquoinitier des eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs Agrave noter que sur ce territoire le portage par le Parc naturel reacutegional a constitueacute un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs et donc agrave la contractualisation

Encadreacute 2 - Inteacutegration de la SHP 01 dans les projets agro-environnementaux des territoires-types

projet agro-eacutecologique assurant une coheacuterence entre le PAEC et drsquoautres deacutemarches (voir aussi Poux et al 2015 sur ces questions) Elles soulignent eacutegalement le rocircle important drsquoune ingeacutenierie territoriale adapteacutee adosseacutee agrave une volonteacute politique affirmeacutee et partageacutee Crsquoest notamment le cas des Parcs naturels reacutegionaux comme en teacutemoignent les exemples du Pilat ou du Haut-Jura porteurs historiques de projets agro-environnementaux et de nombreuses deacutemarches territoriales et aussi celui de certaines intercommunaliteacutes (Beaujolais Vert)

Dans la phase de montage du PAEC lrsquoanimation les journeacutees drsquoinformation les mailings mais aussi lrsquoimplication des eacutelus locaux facilitent lrsquoappropriation locale de la deacutemarche en srsquoappuyant sur la reconnaissance de la place drsquoune agriculture respectueuse de lrsquoenvironnement sur le territoire Ce sont lagrave des facteurs de motivation et de feacutedeacuteration des acteurs Le rocircle des groupements drsquoagriculteurs est aussi essentiel pour ancrer la dimension collective du projet (CUMA groupements lieacutes agrave des filiegraveres AOP produits labelliseacutes etc)

Dans la phase de contractualisation le multi-partenariat (opeacuterateurs structures techniques agricoles et acteurs environnementaux) permet de proposer une vision partageacutee et de multiplier les relais drsquoinformation et drsquoaccompagnement (diagnostics drsquoexploitation notamment) Des formations sur la SHP mais aussi plus cibleacutees (par exemple des formations agrave la botanique en Massif central) sont particuliegraverement utiles Agrave noter que des mesures drsquoaccompagnement ne sont pas toujours mises en place lorsque la SHP 01 est activeacutee

112 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Si les analyses restent agrave poursuivre pour eacutevaluer pleinement la strateacutegie reacutegionale drsquoactivation de la mesure SHP 01 la premiegravere eacutetape du dispositif (lrsquoeacutevaluation ex ante) permet deacutejagrave de mettre en avant plusieurs reacutesultats Tout drsquoabord la SHP 01 est adapteacutee pour reacutepondre agrave certains enjeux rencontreacutes sur les territoires de montagne (fermeture des milieux intensification et plus rarement retournement des prairies permanentes) et qui ne sont pas couverts par lrsquoICHN De plus pour des systegravemes de production fragiles etou fortement deacutependants des aides la SHP 01 contribue de maniegravere significative au revenu et au maintien de lrsquoactiviteacute en compleacutement de lrsquoICHN Le soutien de lrsquoensemble des aides agrave lrsquoeacutelevage de montagne conditionne in fine les effets environnementaux de la SHP 01 Les effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sont particuliegraverement marqueacutes sur les territoires

Sur le Beaujolais Vert eacutelargi un partenariat engage la Chambre drsquoagriculture et le Conservatoire des espaces naturels agrave accompagner la Communauteacute drsquoagglomeacuteration de lrsquoouest rhodanien dans lrsquoanimation du dispositif (14 ETP au total) Plusieurs deacutemarches existaient deacutejagrave sur le territoire dont sept contrats de riviegravere

Le PNR du Haut-Jura dispose de compeacutetences agro-environnementales en interne et drsquoun reacuteseau de partenaires historiques dont la Socieacuteteacute drsquoeacuteconomie montagnarde de lrsquoAin la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAin et la Reacuteserve naturelle national de la haute-chaicircne du Jura La deacutemarche du PAEC srsquoarticule avec les nombreux programmes deacutejagrave en place Leader Psader Interreg contrats de riviegravere Natura 2000 etc

Le PNR des Baronnies provenccedilales travaille notamment en partenariat avec les Chambres drsquoagriculture de la Drocircme et des Hautes-Alpes et lrsquoAssociation deacutepartementale drsquoeacuteconomie montagnarde (ADEM) Ce partenariat preacutevoit un accompagnement de la Chambre drsquoagriculture agrave la contractualisation des MAEC pour les eacuteleveurs individuels et de lrsquoADEM pour les Groupements pastoraux Le PNR porte lrsquoanimation du site Natura 2000 Gorges de lrsquoEygues Les actions drsquoaccompagnement srsquoinscrivent pour partie au sein du PSADER et du LEADER Des suivis appuis techniques journeacutees drsquoeacutechange tourneacutees et formations sont preacutevus

Encadreacute 3 - Lrsquoingeacutenierie territoriale sur les laquo territoires-types

Le retard pris dans la mise agrave disposition de creacutedits pour ces mesures impacte la mise en œuvre de ces actions et la dynamique partenariale donc lrsquoensemble de la logique drsquoaction en particulier pour les opeacuterateurs pouvant plus difficilement mobiliser drsquoautres sources de financement

Enfin le suivi de la mise en œuvre et lrsquoeacutevaluation demandent un processus de formation reacuteciproque et continu entre agriculteurs techniciens agricoles et acteurs de lrsquoenvironnement en particulier srsquoil y a une population cible importante et un grand nombre de contractants

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 113

porteurs de projets de type agro-eacutecologique qui peuvent se trouver en zone de montagne comme de plaine Autre reacutesultat important la plus-value de la SHP 01 provient de son approche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation de lrsquoopportuniteacute qursquoelle creacutee pour le deacuteveloppement de deacutemarches collectives et de reacuteflexions favorables agrave des changements durables via son inteacutegration agrave une strateacutegie agro-eacutecologique territoriale porteacutee et partageacutee

Lrsquoeacutetude souligne cependant la neacutecessiteacute drsquointerroger certaines modaliteacutes de mise en œuvre de la SHP 01 pour ameacuteliorer son efficaciteacute Ainsi celles portant sur le choix des surfaces cibles pourraient ecirctre discuteacutees dans le cadre drsquoun reacuteseau drsquoanimateurs des PAEC afin drsquoameacuteliorer leur adaptation aux enjeux locaux De plus les conditions drsquoapplication de la regravegle du prorata pour la mesure SHP 01 devraient ecirctre revues afin drsquoeacuteviter des effets contre-productifs

Ce travail invite eacutegalement agrave renforcer le lien entre les MAEC et les mesures drsquoaccompagnement dans le montage des dossiers de candidature des PAEC notamment en seacutecurisant des creacutedits pour le conseil et lrsquoanimation Il encourage lrsquoapproche systeacutemique et lrsquoaccompagnement pour maicirctriser les charges et le revenu notamment agrave travers une meilleure valorisation des surfaces herbagegraveres Enfin il souligne lrsquointeacuterecirct qursquoaurait une analyse preacutecise des beacuteneacutefices et des coucircts eacuteviteacutes par la preacuteservation des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique et des conditions de valorisation de ces beacuteneacutefices aupregraves des beacuteneacuteficiaires que sont les eacutelus et les habitants

114 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

ACTeon EnvironnementGeacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018a Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 1 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018b Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 2 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil 2018c Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne Manuel drsquoappui aux eacutevaluations rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Conseil r eacutegional Rhocircne-Alpes 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Rhocircne-Alpes

Conseil r eacutegional Auvergne 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Auvergne

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2014 Appel agrave candidatures Campagne 20152016 Mesure 101 Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) Cahier des charges pour la constitution drsquoun projet agroenvironnemental et climatique (PAEC)

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2015 Reacuteduire les pressions agricoles et geacuterer durablement les ressources naturelles avec les mesures agroenvironnementales et climatiques note drsquoaccompagnement de lrsquoappel agrave candidature

Feacutedeacuterati on des Parcs naturels reacutegionaux 2015 Mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle guide de recommandations

Hanus A Kervarec F Strosser P Saint-Pierre C Hanus G Forget V 2017 Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoindemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) principaux reacutesultats Analyse ndeg 106 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Ministegraver e de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 2017 Instruction technique Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides agrave lrsquoagriculture biologique de la peacuteriode 2015-2020 - Annexe 8 compilation des types drsquoopeacuterations simplifieacutes 2015

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 115

Panarin M Contou C Le Borgne G Penouilh-Suzette J Midler E Hugonnet M 2018 Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) et agro-eacutecologie Analyse ndeg 119 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Poux X Faure J-B Villien C 2015 Des projets agro-environnementaux innovants inteacutegreacutes et collectifs quelques enseignements tireacutes de lrsquoanalyse drsquoexpeacuteriences de terrain Analyse ndeg 76 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Candidature et notices du PAEC Beaujolais Vert Communauteacute de communes Ouest Rhodanien 2014 2017

Candidature et notices du PAEC Pilat PNR Pilat 20142017

Candidature et notices du PAEC Haut-Jura PNR Haut-Jura 20142017

Candidature et notices du PAEC Pentes et montagne drsquoArdegraveche PNR Ardegraveche 20142017

Candidature et notices du PAEC Vercors PNR Vercors 20142017

Candidature et notices du PAEC Chartreuse PNR Chartreuse 20142017

Candidature et notices du PAEC Baronnies drocircmoises PNR Baronnies provenccedilales 20142017

116 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 117

Note de lecture

En 1765 Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un gueacuteridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies Premier des laquo restaurateurs raquo il brave ainsi les interdits de lrsquoAncien Reacutegime empecircchant tout particulier traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermeacute pourvu de tables individuelles Ce nouveau type drsquoeacutetablissements se diffuse ensuite rapidement une clientegravele de plus en plus large appreacuteciant les plats varieacutes agrave prix fixes choisis dans un menu Avec la Reacutevolution les nombreux cuisiniers des princes eacutemigreacutes srsquoeacutetablissent agrave leur compte et acceacutelegraverent le passage de la gastronomie aristocratique codifieacutee agrave la cuisine bourgeoise plus inventive

De lrsquoEmpire jusqursquoau deacutebut des anneacutees 1820 le Palais-Royal est lrsquoeacutepicentre de cette restauration franccedilaise et mecircme mondiale associant le reacutegal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair crsquoest lagrave que se deacutecident lrsquohoraire du dicircner lrsquoordre des plats leurs preacutesentations les maniegraveres de nommer et tarifer Un trio ceacutelegravebre marque cette eacutepoque Carecircme inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de lrsquohistoire Grimod de La Reyniegravere preacutecurseur de la critique gastronomique Brillat-Savarin philosophe heacutedoniste et theacuteoricien du sensible

R ien qu rsquoagrave Par i s on c ompte t ro i s c en t s laquo restaurants raquo en 1804 un millier en 1825 deux mille en 1834 En 1835 le mot entre dans le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Durant les anneacutees 1820-1840 les eacutetablissements les plus fameux migrent sur le laquo Boulevard parisien raquo entre la Bastille et la Madeleine Cacheacute des regards exteacuterieurs dans un entre-soi eacutelitiste et mondain le luxe de la table restauratrice devient un spectacle

partageacute creacuteateur de connivences et de distinctions sociales le tout ponctueacute de notes exorbitantes

Dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes de faccedilon variable selon leurs statuts et leurs clientegraveles restaurants laquo agrave la carte raquo reacuteserveacutes aux fortuneacutes laquo agrave prix fixe raquo pour les bourses moyennes laquo bouillons raquo pour les moins argenteacutes Les laquo brasseries raquo quant agrave elles se deacuteveloppent surtout apregraves 1870 et la perte de lrsquoAlsace-Lorraine faisant revivre les provinces perdues agrave travers leurs speacutecialiteacutes culinaires arroseacutees de flots de biegravere Et alors apparaicirct Escoffier creacuteateur de la pecircche Melba ancien responsable des cuisines de lrsquoarmeacutee du Rhin qui impose une division du travail inspireacutee du fonctionnement militaire avec ses laquo chefs raquo laquo brigades raquo laquo fusils raquo et laquo coups de feu raquo Plus tard associeacute agrave Ceacutesar Ritz il introduit le restaurant dans les palaces permettant aux eacutelites internationales de venir ndash dans le confort et la discreacutetion ndash festoyer agrave la franccedilaise

Agrave la fin du XIXe siegravecle agrave Paris sur pregraves drsquoun million drsquohabitants cent mille dicircnent quotidiennement au restaurant Plus geacuteneacuteralement 130 ans seulement apregraves le coup drsquoeacuteclat de Roze de Chantoiseau la France dispose drsquoune large gamme drsquoeacutetablissements en tous lieux de tous deacutecors pour toutes cuisines ougrave lrsquoon rassasie les panses en faisant la conversation et synonymes de laquo franciteacute raquo dans le monde entier

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

DE BAECQUE AntoineLa France gastronomeComment le restaurant est entreacute dans notre histoirePayot 2019 235 pages

118 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Les eacuteditions Armand Colin sont reacuteputeacutees pour la qualiteacute de leurs manuels universitaires Celui-ci consacreacute agrave lrsquoanalyse sociologique du fait alimentaire ne ternira pas cette image Clairement reacutedigeacute tregraves documenteacute associant constamment lrsquoeacutevolution des reacutealiteacutes et celle des concepts theacuteoriques il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels

Lrsquoalimentation vue par le sociologue ce sont drsquoabord des processus de socialisation des types de consommation conditionneacutes par des styles de vie ou des budgets des normes qui reacutegulent les besoins lrsquoexpression ineacutegalitaire et genreacutee de goucircts et de deacutegoucircts Ce sont aussi des tacircches meacutenagegraveres et du travail domestique des rapports agrave la tradition et agrave la nouveauteacute des cuisines reacutegionales ou familiales lrsquoexpression drsquohabitus et de frontiegraveres qui distinguent les geacuteneacuterations les groupes sociaux ou les nations Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informeacutes critiques et meacutefiants libres mais moutonniers

Lrsquoalimentation du sociologue crsquoest aussi lrsquoinsertion du mangeur dans un vaste systegraveme culturel fait de valeurs de croyances religieuses de maniegraveres de tables de rites et de signes identitaires agrave deacutecoder Lrsquoheacuteritage historique ou les traditions inventeacutees sont une richesse patrimoniale en mecircme temps qursquoun espace symbolique assurant des revenus eacuteconomiques et des freacutequentations touristiques Loin de gommer les diffeacuterences et de conduire agrave lrsquooccidentalisation des assiettes la mondialisation a multiplieacute les transferts interculturels et les eacutechanges de recettes

La sociologie srsquointeacuteresse aussi aux politiques nutritionnelles des Eacutetats aux strateacutegies des entreprises agroalimentaires aux actions des

associations et ONG aux prises de position des chercheurs et meacutedecins Ces diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs sont en constante interaction qursquoil srsquoagisse de normer des produits drsquoencadrer les marcheacutes de reacuteguler les innovations techniques de garantir la santeacute des populations ou de preacutevenir des risques

Lrsquoouvrage nrsquooublie pas de retracer lrsquohistoire des nombreux mouvements de reacuteforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire depuis lrsquoancienne eacuteducation agrave lrsquoeacuteconomie meacutenagegravere des familles pauvres jusqursquoaux plus reacutecentes injonctions nutritionnelles et sanitaires en passant par les constantes critiques de lrsquoindustrialisation et la promot ion de modegraveles a l ternat i f s veacutegeacutetarisme veacutegeacutetalisme veacuteganisme flexitarisme instinctotheacuterapie lutte contre le gaspillage recyclage circuits courts durabiliteacute et retour agrave la nature etc

Cette lecture srsquoimpose agrave tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systegravemes et conduites alimentaires tant en France que sous drsquoautres latitudes ou dans drsquoautres egraveres culturelles Ils constateront que la sociologie de lrsquoalimentation riche de ses meacutethodes et de ses reacutesultats est aussi une excellente introduction agrave la sociologie geacuteneacuterale des socieacuteteacutes contemporaines

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

CARDON Philippe DEPECKER Thomas PLESSZ MarieSociologie de lrsquoalimentationArmand Colin 2019 234 pages

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 119

Note de lecture

POURQUERY DidierUne histoire de hamburger-fritesRobert Laffont juin 2019 172 pages

Cet essai alerte eacutecrit par lrsquoeacutecrivain et journaliste Didier Pourquery conte drsquoun humour grinccedilant lrsquoeacutepopeacutee de cette reacutefeacuterence mondiale du fast-food qursquoest le hamburger-frites Il nrsquoen propose pas une analyse ample et deacutetailleacutee mais comme le titre le suggegravere nous livre plutocirct son regard personnel et sensible Srsquoinspirant de lrsquoempilage drsquoun Big Mac son reacutecit comporte six tranches de reacuteflexions tout en restant tregraves digeste et plaisant

La premiegravere tranche faite drsquohistoire rappelle les origines puis les grandes dates du hamburger ses lieux de naissance et de diffusion ses creacuteateurs et leurs recettes ses leacutegendes doreacutees et ses eacutechecs retentissants ses cocircteacutes folkloriques ou capitalistes aux Eacutetats-unis comme en France ou ailleurs La deuxiegraveme tranche de sociologie deacutecrit les valeurs les habitudes et les comportements du fast-fooder qui commande machinalement son burger au milieu drsquoun capharnauumlm multicolore et bruyant puis commence toujours par piquer une frite avant de manger agrave pleines mains ndash reacutegression enfantine ndash son monticule instable drsquoingreacutedients tiegravedes et mous toujours fuyants La tranche suivante de geacuteographie eacutevoque les lieux de cette consommation rituelle chaicircnes internationales installeacutees pregraves des centres commerciaux et des eacutechangeurs routiers eacutetablissements franchiseacutes ou appartenant agrave leur maison-megravere ou bien restaurants de quartiers populaires ou plus chics voire tregraves chics et chers Arrive ensuite la tranche nutritionnelle qui revient sur des sujets si souvent deacutebattus qualiteacute et quantiteacute des ingreacutedients pheacutenomegravenes drsquoaddiction risque de suralimentation et surpoids pathologies associeacutees mais aussi reacuteaction rapide des grandes enseignes devant lrsquoaccumulation de critiques en supprimant les

portions super size au profit de leacutegumes fruits et eau mineacuterale Lrsquoavant-derniegravere tranche drsquoeacuteconomie nrsquooublie pas qursquoun tel succegraves mobilise de par le monde des centaines de milliers de restaurants des millions de salarieacutes des dizaines de milliards de clients annuels (22 rien que pour McDo dans 118 pays) le tout appuyeacute sur des organisations tayloriennes de travail tregraves eacuteprouveacutees et rentables qui distribuent de petits salaires en rationalisant toujours plus la logistique lrsquoespace des cuisines les machines les cadences les liens avec les clients Enfin la sixiegraveme tranche prospective reacutecense quelques unes des mutations agrave lrsquoœuvre ou promises neacuteo-burgers bio et vegan pour millennials et ensuite faits de viande artificielle recettes exotiques faccedilon world food ou au contraire adapteacutees aux gastronomies nationales robots cuiseurs-assembleurs-distributeurs permettant drsquoaugmenter encore la productiviteacute etc

Cet ouvrage montre une fois de plus que tout nrsquoest pas alimentaire dans lrsquoalimentation en mangeant le contenu de son assiette on met aussi en oeuvre des valeurs et de la culture des rites et du simulacre quelques goucircts et beaucoup drsquohabitudes Agrave lrsquoinstar de Roland Barthes (Mythologies 1957) qui voyait dans le bifteck-frites lrsquoun des plus beaux mythes de la cuisine franccedilaise Didier Pourquery juge que lrsquohamburger-frites est pour le meilleur et pour le pire au cœur des grandes leacutegendes de lrsquoalimentation mondiale contemporaine

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

120 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

COMBRIS PierreAgrave la table de lrsquoHomo economicus De la subsistance agrave lrsquoabondanceTallandier Fondation Nestleacute France juin 2019 192 pages

Dans cet ouvrage publieacute aux eacuteditions Tallandier avec le soutien de la Fondation Nestleacute France Pierre Combris directeur de recherche honoraire agrave lrsquoInra propose une lecture eacuteconomique de lrsquoalimentation Ce laquo cas drsquoeacutecole raquo est lrsquooccasion de preacutesenter les deacutemarches et eacutevolutions des analyses eacuteconomiques de citer des contributeurs majeurs (R Fogel B Popkin G Stigler notamment) et drsquoillustrer les concepts mobiliseacutes (productiviteacute surplus prix complet externaliteacutes etc) pour mettre en lumiegravere les grands deacuteterminants des eacutevolutions alimentaires leurs conseacutequences ainsi que les deacutefis actuels pour lrsquoaction publique

La premiegravere eacutetape de ce parcours montre comment la subsistance alimentaire a deacutetermineacute pendant une grande partie de lrsquohistoire humaine la seacutelection des aliments et le souci de reacuteduire leurs coucircts drsquoacquisition et de production Les transitions nutritionnelles contemporaines la geacuteneacuteralisation de lrsquoabondance et ses limites sont traiteacutees dans la deuxiegraveme partie La troisiegraveme srsquointeacuteresse aux effets de cette abondance sur les compor tements deacuteveloppement de la surconsommation controcircle individuel difficile du fait des sollicitations environnementales coucircts sociaux croissants injustices La derniegravere partie srsquointerroge sur les contributions possibles des approches eacuteconomiques pour reacutepondre aux deacutefis poseacutes par

les choix alimentaires des consommateurs (santeacute environnement ineacutegaliteacutes etc) Elle aborde des points cleacutes pour lrsquoaction publique et souligne que les motivations des individus sont freacutequemment sous-estimeacutees (voire ignoreacutees) par les interventions visant agrave accompagner des changements de comportements

En conclusion Pierre Combris rappelle que laquo manger a toujours un prix explicite ou implicite raquo et que la dimension eacuteconomique est omni-preacutesente dans les deacutecisions alimentaires Si les coucircts de chaque option devraient ecirctre refleacuteteacutes par le prix comme signal creacutedible il se demande au vu des impacts sanitaires et environnementaux si nous payons laquo le vrai prix de ce que nous mangeons raquo Au-delagrave il souligne que toute eacutevolution durable des comportements ne peut passer que par lrsquoadheacutesion agrave des valeurs et que ce sont laquo les preacutefeacuterences des mangeurs et les repreacutesentations symboliques de lrsquoalimentation de sa production et de sa consommation qui auront le dernier mot raquo

Julia GassieCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAjuliagassieagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 121

Note de lecture

POUZENC MichaeumllCommerce et ruraliteacute La laquorenaissance ruraleraquo drsquoun siegravecle agrave lrsquoautre Presses universitaires du Midi janvier 2019 187 pages

Cet ouvrage ducirc agrave Michaeumll Pouzenc professeur de geacuteographie agrave lrsquouniversiteacute de Toulouse analyse les rapports entre commerce alimentaire et ruraliteacute Aujourdrsquohui dire que le commerce a disparu de lrsquoespace rural est un lieu commun Agrave lrsquoencontre de ce preacutejugeacute dominant il montre que si la reacuteduction du nombre de petits magasins traditionnels est bien reacuteelle elle a eacuteteacute largement compenseacutee par lrsquoinstallation de supeacuterettes ou supermarcheacutes de la grande distribution qui certes appliquent des modegraveles identiques agrave tous les territoires qursquoils occupent mais en veillant aussi agrave srsquoadapter aux demandes speacutecifiques des consommateurs locaux Drsquoautres formes nouvelles drsquoinstallations reacutecentes (boutiques multiservices vente de plats agrave emporter ou de produits bios etc) participent de cette mecircme vitaliteacute rurale

En mecircme temps que la ruraliteacute accueille et conditionne certains types de commerce le commerce contribue agrave faccedilonner de nouveaux rapports agrave la ruraliteacute Petits magasins comme grandes enseignes mettent en avant les produits du terroir les agriculteurs des environs les partenariats locaux et la consommation citoyenne De leur cocircteacute les circuits alternatifs de vente directe (AMAP etc) amegravenent les vendeurs et acheteurs agrave construire ou reconstruire de nouvelles images de la ruraliteacute faites drsquoengagements (deacuteveloppement durable achats eacutequitables) de reacuteappropriations symboliques de nouvelles repreacutesentations des campagnes et de la nature

Au total les nombreuses eacutetudes de cas mobiliseacutees dans ce livre montrent que ni le commerce

alimentaire rural ni la ruraliteacute ne deacuteclinent Ils ne srsquoexcluent pas non plus alors mecircme que nous vivons dans une socieacuteteacute de consommation tregraves urbaniseacutee et agrave forte mobiliteacute Pour lrsquoauteur dans leur grande majoriteacute en France les zones rurales ne sont pas des lieux de crise et de releacutegation mais des espaces vivants en constante modernisation ougrave s rsquo i nventent l es nouveaux rappor t s agrave lrsquoenvironnement agrave la production alimentaire et agrave lrsquoameacutenagement des territoires Nous vivons dans une socieacuteteacute globale qui reconfigure constamment ses espaces que ceux-c i soient urbains peacuteri-urbains ou ruraux Plus geacuteneacuteralement laquolrsquourbanisation du monde nrsquoempecircche pas une omnipreacutesence de la ruraliteacute (p 132)

Fort de ces constats lrsquoauteur examine dans la derniegravere partie du livre les tendances agrave la laquo renaissance rurale raquo observeacutees ces derniegraveres deacutecennies qursquoelles soient lieacutees ou pas agrave la question du commerce Lrsquointeacuterecirct de ces pages reacuteside dans les reacuteflexions sur la transformation des laquo fonctions raquo du rural et sur lrsquoeacutevolution des valeurs et normes utiliseacutees par les diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs pour dire ce qursquoest ou ce que nrsquoest pas la laquo ruraliteacute raquo On y trouvera eacutegalement une inteacuteressante relecture critique des principaux exercices de prospective consacreacutes agrave la France rurale depuis le deacutebut des anneacutees 2000

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

122 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

PORCHER JocelyneCause animale cause du capitalEacuteditions Le Bord de lrsquoeau septembre 2019 120 pages

Depuis 2013 et la mise en scegravene de la deacutegustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur neacuteerlandais M Post des star t-up toujours plus nombreuses cherchent agrave appliquer les principes de lrsquoingeacutenierie tissulaire agrave la production alimentaire Dans un court ouvrage au ton vif voire pamphleacutetaire J Porcher (Inra) analyse les implications de lrsquoeacutemergence de ce nouveau type de produits pour lrsquoeacutelevage et nos relations avec les animaux

La viande de synthegravese et les substituts proteacuteineacutes sont preacutesenteacutes par les entrepreneurs mais aussi par certains militants veacutegans comme une reacuteponse radicale agrave quatre problegravemes lrsquoaugmentation de la demande alimentaire mondiale les impacts de la consommation de produits carneacutes sur la santeacute humaine la lutte contre les deacutegradations environnementales et les conditions de vie des animaux Cette innovation biotechnologique srsquoaccompagne drsquoune intense activiteacute de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabiliteacute sociale J Porcher considegravere que la terminologie utiliseacutee (laquo clean meat raquo ou laquo viande propre raquo laquo agriculture cellulaire raquo ou plus reacutecemment laquo viande cultiveacutee raquo) est au cœur drsquoune veacuteritable laquo bataille seacutemantique raquo et ideacuteologique orchestreacutee par des multinationales des biotechnologies et de lrsquoagroalimentaire avec le concours des associations abolitionnistes visant agrave laquo discreacutediter

tous les produits animaux sans distinction de systegravemes de production raquo et laquo agrave deacutegoucircter les consommateurs de la viande raquo

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale et en particulier les interventions tregraves meacutediatiseacutees de L214 elle passe aussi en revue une seacuterie de reacutefeacuterences theacuteoriques (Singer Francione Donaldson et Kymlicka notamment) et soutient qursquoelles occultent les relations de travail noueacutees avec les animaux de ferme ainsi que les formes drsquoexploitation et de domination qui pegravesent en commun sur les animaux et sur les humains Ce faisant les militants abolitionnistes laquo acceptent les regravegles du jeu eacuteconomique en vigueur raquo et servent degraves lors selon elle les inteacuterecircts du capitalisme et de lrsquoindustrie Le propre point drsquoappui normatif de J Porcher lrsquoeacutelevage traditionnel en petite ferme bien distinct des laquo productions animales raquo industrialiseacutees mises en place dans les anneacutees 1960 est expliciteacute seulement en ouverture du dernier chapitre avant un panorama mondial des entreprises impliqueacutees dans la recherche sur la viande in vitro

Florent BidaudCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAflorentbidaudagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 123

Note de lecture

Le rappo r t c hangean t que l es huma ins entretiennent avec la nature est scandeacute de grandes repreacutesentations mentales Apregraves la peacuteriode tregraves laquoenvironnementraquo des anneacutees 1970 il y eut des phases laquodeacuteveloppement durableraquo puis laquotransition eacutenergeacutetiqueraquo et laquoreacutechauffement climatiqueraquo Nous sommes maintenant dans une forte seacutequence laquobiodiversiteacuteraquo Utiliseacute par tous en toutes occasions ce terme galvaudeacute meacutelange craintes et espeacuterances science et ideacuteologie discours et reacutealiteacutes Le catastrophisme meacutediatique de la laquosixiegraveme grande extinctionraquo en est un bel exemple de mecircme que la perception systeacutematiquement positive drsquoune biodiversiteacute bonne laquoen soiraquo

Alain Paveacute (biomeacutetricien professeur eacutemeacuterite de lrsquouniversiteacute de Lyon) a eacutecrit ce livre pour nous aider agrave distinguer le vrai du faux Ni pessimiste ni optimiste faisant preuve de mesure et de reacutealisme critique il procircne le doute scientifique eacutevacue les ideacutees reccedilues et preacuteconise une analyse plus fine et complexe des meacutecanismes agrave lrsquoœuvre en y incluant les derniers deacuteveloppements de lrsquoeacutevolutionnisme darwinien du calcul des probabiliteacutes et des theacuteories du hasard

Le but de son ouvrage est aussi drsquoexposer de reacuteels sujets de preacuteoccupation pour les acteurs en particulier publics concernant lrsquoorigine et la mesure de la diversiteacute du vivant les beacuteneacutefices qursquoon peut en tirer son rocircle dans le fonctionnement de la biosphegravere le potentiel eacutevolutif qursquoelle repreacutesente en fonction de choix varieacutes de politiques Il insiste eacutegalement de chapitre en chapitre sur les dimensions eacuteconomiques techniques culturelles et mecircme religieuses du sujet

En faisant de la laquobiodiversiteacuteraquo (neacuteologisme creacuteeacute en 1985) un synonyme vague de la laquonatureraquo la penseacutee eacutecologique contemporaine court selon lrsquoauteur un grand risque drsquoappauvrissement et de dilution Il importe donc de revenir agrave une deacutefinition plus rigoureuse du concept si on souhaite avoir des programmes drsquointerventions plus adapteacutees et des actions correctrices plus efficaces

Plus profondeacutement encore les approches et les meacutethodes scientifiques doivent aussi se renouveler et plusieurs pistes lui semblent prioritaires cesser de penser les milieux en termes drsquoeacutequilibre et reacutevoquer en doute lrsquoexpression laquobon eacutetat eacutecologiqueraquo si priseacutee des administrations abandonner les visions finalistes et fixistes qui ceacutelegravebrent la laquoprotectionraquo la laquopreacuteservationraquo et la laquoconservationraquo admettre que comptabiliser les espegraveces est insuffisant et que si la laquoloi aire-espegravecesraquo fonctionne bien pour eacutevaluer leur nombre elle ne marche pas pour estimer leur disparition arrecircter de confondre les reacutesultats des modegraveles speacuteculatifs avec la reacutealiteacute qui adviendra reconnaicirctre que lrsquoaleacuteatoire joue un rocircle fondamental dans les dynamiques biologiques Paveacute critique eacutegalement la formule laquoservices rendus par les eacutecosystegravemesraquo pour lui soit elle veut dire que la nature nous offre des prestations ce qui est reconnu depuis lrsquoaube de lrsquohumaniteacute soit elle signifie que la nature est bien intentionneacutee en oubliant qursquoexistent au moins autant de fonctionnaliteacutes neacutegatives

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

PAVEacute AlainComprendre la biodiversiteacuteVrais problegravemes et ideacutees faussesEacuteditions du Seuil 2019 361 pages

124 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Dans cet ouvrage collectif publieacute en octobre 2019 les auteurs analysent les liens entre agriculture et qualiteacute de lrsquoair en France et en Europe de lrsquoOuest Leur but est de mettre agrave disposition de tout acteur concerneacute par ce sujet une synthegravese des connaissances actuelles Ils deacutecrivent le contexte et lrsquohistoire de cette probleacutematique et preacutesentent les diffeacuterents polluants atmospheacuteriques produits par ou impactant lrsquoagriculture ainsi que les meacutethodes permettant de les mesurer ou de modeacuteliser leur eacutemission La derniegravere partie propose une reacuteflexion sur le passage du diagnostic agrave la mise en œuvre drsquoactions de reacuteduction de ces pollutions

Lrsquoagriculture est source de nombreux polluants atmospheacuteriques par exemple 94 des eacutemissions drsquoammoniac en sont issus de mecircme que 54 des particules totales en suspension (essentiellement des PM10) Pourtant les auteurs soulignent que la prise de conscience par la socieacuteteacute de lrsquoimpact de lrsquoagriculture sur la qualiteacute de lrsquoair srsquoest seulement faite dans les anneacutees 2000 et qursquoil a fallu attendre 2010 pour que le secteur reconnaisse sa propre vulneacuterabiliteacute face agrave ces polluants Par exemple lrsquoammoniac favorise lrsquoacidification des sols ce qui diminue leur fertiliteacute et joue sur les rendements Selon eux il est probable qursquoagrave lrsquoavenir la pression

BEDOS Carole et al (coord)Agriculture et qualiteacute de lrsquoair Comprendre eacutevaluer agirEacuteditions Quaelig octobre 2019 324 pages

Niveaux drsquoaction du cadre leacutegislatif appliqueacute en France pour lutter contre les eacutemissions de polluants atmospheacuteriques drsquoorigine agricole

Source Eacuteditions Quae

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 125

de lrsquoopinion publique pour reacuteduire les eacutemissions drsquoorigine agricole srsquoaccentue parallegravelement agrave lrsquoaugmentation des aires drsquoinfluence des villes et donc des interfaces avec lrsquoagriculture

Lrsquoouvrage dresse par ailleurs un panorama du corpus reacuteglementaire relatif aux eacutemissions dues agrave lrsquoagriculture (voir figure) et alerte sur le risque drsquoincoheacuterences et drsquoinefficaciteacute ducirc agrave lrsquoempilement des textes et au manque de coordination entre ceux-ci Ainsi leur mise en œuvre srsquoavegravere difficile et la France est par exemple attaqueacutee devant la Cour de justice europeacuteenne pour non-respect des valeurs limites dans lrsquoair pour le NO2

Afin drsquoameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair les auteurs envisagent des actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation (changement de pratiques etc) mais aussi agrave des

eacutechelles plus larges On peut citer entre autres les leviers suivants modifier la mosaiumlque paysagegravere pour maximiser la recapture locale de polluants positionner les sources eacutemettrices importantes loin des zones sensibles (zones proteacutegeacutees par exemple) reacutepartir les eacutemissions dans le temps et dans lrsquoespace pour eacuteviter des pics de concentration et donc maintenir une diversiteacute des productions dans chaque bassin Ils soulignent enfin que la mise en œuvre de ces leviers devra ecirctre adapteacutee au contexte local

Aurore PayenCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

aurorepayenagriculturegouvfr

126 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

VALLAEYS AnneHautes solitudes Sur les traces des transhumants2017 reacuteeacutedition juin 2019 en version de poche Eacuteditions La Table Ronde 250 pages

Auteure de romans enquecirctes et essais remarqueacutes Anne Vallaeys raconte dans cet ouvrage-ci sa longue marche depuis Arles (plaine de Crau) jusqursquoau Laverq (haute Ubaye) sur les anciens chemins de la laquo grande transhumance raquo Au fil drsquoune vingtaine de journeacutees srsquoeacutetirant sur pregraves de quatre cents kilomegravetres agrave raison de trois kilomegravetres par heure (tempo jadis des brebis) elle livre ses reacuteflexions et eacutemotions ses eacutemerveillements ou deacuteceptions ses belles rencontres ou tristes constats Elle nrsquoa pas son pareil pour deacutecrire les paysages la veacutegeacutetation les ruisseaux la faune sauvage ou domestique le loup qui rocircde ou le chien qui veille Elle nous entraicircne dans les vastes reliefs montagneux comme dans le deacutesordre des sentiers cacheacutes entre fortes chaleurs et gros orages On se repose avec elle dans les bourgs-eacutetapes agrave la deacutecouverte des habitants et de leurs histoires familiales des speacutecialiteacutes agricoles des produits locaux et de lrsquoesprit des lieux

Aussi prenante soit-elle cette marche est aussi et surtout un preacutetexte pour deacutecrire le pastoralisme drsquohier (et drsquoaujourdrsquohui) pour conter la grande leacutegende des transhumants En suivant la routo mythique qursquoempruntaient jadis les brebis pour gagner les alpages Vallaeys fait revivre les traditions disparues Telle valleacutee tel pont telle vieille fontaine sont des accroches drsquoougrave resurgit le passeacute agrave travers photos vieux l ivres et

teacutemoignages Tout reprend alors vie par bribes la laquo peuplade timide raquo des reacutetifs bergers le rassemblement du laquogrand troupeauraquo de plusieurs dizaines de milliers de tecirctes la poussiegravere souleveacutee sur le laquo grand chemin raquo le vacarme de sonnailles et de becircleacutees les vapeurs musqueacutees du suint lrsquoaccueil festif des villages traverseacutes la fatigue des hommes et des becirctes mais aussi toute lrsquoeacuteconomie reposant sur de telles migrations annuelles Dans les anneacutees 1950 ces laquo interminables caravanes laineuses raquo ont commenceacute agrave disparaicirctre et en 1974 il fut interdit de mener les troupeaux agrave pieds Crsquoest maintenant en beacutetaillegraveres que les brouteuses gagnent les estives et en bas les parcours de plaine nrsquoont pas reacutesisteacute agrave la pression du tourisme et de lrsquoimmobilier

Tout cela est rendu dans une langue eacuteleacutegante et travailleacutee au style raffineacute mais sans affeacuteterie servie par un riche vocabulaire Cette marche de sentiers est surtout un itineacuteraire de meacutemoire que lrsquoauteure nous restitue sans miseacuterabilisme sans pantheacuteisme ni regrets inutiles

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 127

Note de lecture

Les laquo valeurs raquo sont ces ideacuteaux profonds dont les individus srsquoinspirent au quotidien pour agir et justifier leurs actions Elles renseignent sur lrsquounivers mental de tel ou tel groupe agrave un moment donneacute mais permettent aussi drsquoanticiper les opinions et comportements qursquoils adopteront dans le futur Crsquoest dire leur importance pour tous ceux qui srsquointeacuteressent agrave la prospective ou agrave la gestion des affaires publiques LrsquoEuropean Values Study (EVS) est la meilleure enquecircte internationale disponible sur le sujet Reacutealiseacutee pour la premiegravere fois en 1981 puis reconduite en 1990 1999 2008 la cinquiegraveme vague a eu lieu en 2018 et 38 pays sont doreacutenavant couverts Le preacutesent ouvrage se concentre sur les reacutesultats concernant la France

L e s v a l e u r s l i eacute e s a u x a p p a r t e n a n c e s geacuteographiques et agrave la ruraliteacute en particulier sont globalement stables En 1981 comme en 2008 les uniteacutes territoriales auxquelles les Franccedilais avaient le sentiment drsquoappartenir laquo avant tout raquo eacutetaient le laquo national raquo puis le laquo local raquo le laquo reacutegional raquo le laquo monde raquo et laquo lrsquoEurope raquo se situant en queue de peloton En 2018 le national reste premier (92 des intervieweacutes) devant la reacutegion (80 ) et la ville ou le village (77 ) Le sentiment de multi-appartenance semble srsquoaffirmer lrsquoexpression drsquoun attachement pour le laquo village raquo eacutetant de moins en moins exclusive de lrsquoidentification agrave drsquoautres eacutechelons Notons par ailleurs le maintien de clivages importants selon le niveau de diplocircme plus celui-ci baisse et plus lrsquoattachement au laquo village raquo croicirct

Le rapport agrave lrsquoenvironnement est aussi au cœur de nombreuses valeurs inteacuteressantes agrave analyser

Entre 1990 et 2018 les laquo pro -croissance eacuteconomique raquo sont resteacutes stables agrave 54 mais les laquo pro-environnement raquo sont passeacutes de 20 agrave 25 La deacutefense de lrsquoenvironnement atteint son maximum chez les plus diplocircmeacutes et ceux ayant les revenus les plus eacuteleveacutes Cette deacutefense est la plus faible pour les geacuteneacuterations 1930-39 la plus eacuteleveacutee pour les geacuteneacuterations 1970-79 puis elle baisse pour les geacuteneacuterations ulteacuterieures de plus en plus sensibles agrave la croissance La prioriteacute accordeacutee agrave lrsquoenvironnement est porteacutee par les reacutepondants se situant laquo agrave gauche raquo (60 ) et laquo tregraves agrave gauche raquo (65 ) plutocirct que par ceux laquo agrave droite raquo (46 ) et laquo tregraves agrave droite raquo (39 )

Outre les deux points sur lesquels nous venons drsquoinsister de nombreuses eacutevolutions des systegravemes de valeurs sont eacutetudieacutees dans ce livre concernant la famille la politique lrsquoeacuteconomie la culture le travail etc Apparemment eacuteloigneacutees des champs de compeacutetence du ministegravere chargeacute de lrsquoagriculture ces mutations de valeurs constituent de bonnes grilles de lecture pour comprendre cer tains enjeux au cœur de ses politiques nouveaux comportements alimentaires critique croissante du monde agricole affirmation de la laquo question animale raquo etc

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective ndash MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

BREacuteCHON Pierre GONTHIER Freacutedeacuteric ASTOR Sandrine (dir) La France des valeurs Quarante ans drsquoeacutevolutionsPresses universitaires de Grenoble 2019 382 pages

128 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Abstracts and Key Words

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 129

From declared eating behaviors to real eating behaviors measuring and understanding differences to improve public actionGabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

The sources of information that inform dietary behaviour (apparent consumption consumer amp retailer panels dietary surveys opinion surveys qualitative surveys) provide us valuable and fairly accurate information on eating behaviour However they also suffer from several biases causing occasionally gaps between the actual vs declared behaviours This problem which is not specific to food surveys is often related to the characteristics of the respondents (memory loss imperfect rationality feelings mental representations and beliefs psychic attitudes etc) and to the context (where when social situation etc) It is also linked to the procedures and methods used to collect information (questionnaire interview consumption book attitude scale mainly declarative techniques sampling etc) and to their subsequent processing methods Aware of these problems and their potential impact on the management of public action the Ministry of Agriculture and Food FranceAgriMer and ADEME commissioned a study on this complex subject Produced by the consortium CREacuteDOC NutriPsy Consult Proteacuteines and Deloitte DD it relied on a review of the scientific literature followed by three case studies These consist of identifying the omissions (food and drink) associated with the consumption reports by the diary method measuring the effect of weariness in food surveys and finally evaluating the differences between expectations expressed on social networks and buying behaviours

KeywordsEating behaviors attitudes beliefs consumption information survey methods bias declarativeConcentration of farms and jobs

Farm outsourcing and task delegation markers of changes in the organisation of agricultural productionGeneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Since the mid-1990s agricultural outsourcing has been developing steadily Between 2000 and 2016 the number of farms relying on it has doubled In response to the transmission issue of many farms or to the growth strategies of the largest ones the development of agricultural outsourcing is one of the key trends in the evolution of French agriculture This market estimated at around 4 billion euros is characterized by major changes in demand and the emergence of numerous farm contractors While most of them offer to carry out specific tasks others have developed a wide range of services from audits of agricultural properties to the complete management of the farm including technical administrative and financial management However agricultural outsourcing and in particular the integral delegation of

130 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

farming activities remains poorly documented Various questions remain which this article helps to answer by bringing together the salient results of research conducted since 2012 It follows on from the quantitative assessment of the evolution of the phenomenon carried out by the ActifrsquoAgri(1) working group led by the Centre drsquoeacutetudes et de prospective (Centre for Studies and Forecasting) of the French Ministry of Agriculture and Food The first part of the article explains the method used and the next three parts present respectively an inventory of the market then a survey of changes in practices and finally an analysis of innovative forms of organisation of service provision The conclusion deals with the issues raised by the rapid development of the phenomenon and the implications for public policy

KeywordsAgricultural outsourcing integral delegation practices organizations tertiarization agriculture

Evaluation of the agri-environment measure targeting grassland and pastoral systems in the mountain areas of Rhocircne-AlpesAnaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

In the French region of Rhocircne-Alpes the individual agri-environment-climate measure (AECM) targeting grassland and pastoral systems opened in 2014 in lowland areas It was then extended to some mountain areas in 2015 on an exploratory basis At the request of the DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes the Acteon consulting firm carried out a study to evaluate the measure in 2017 The goals of this study were twofold First they assessed the relevance of the measure for mountain areas and its coherence with other instruments ex ante Second they built a monitoring and evaluation system to assess its effectiveness and efficiency ex post ie at the end of programming This article presents this double approach as well as the first results of the ex ante evaluation

KeywordsAgri-environmental measure biodiversity Auvergne - Rhocircne-Alpes monitoring and evaluation mountain grassland and pastoral systems

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 131

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus

Retrouvez le texte inteacutegral des articles et tous les sommaires de Notes et Eacutetudes Socio- Eacuteconomiques sur internet httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Chiffres et analyses gt Collections gt Collection nationale gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

No 37 - Janvier-Juin 2013 Eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacuteconomies de gamme en production laitiegravere Changement de paradigme et creacuteation de valeur ajouteacutee en agriculture

le cas des systegravemes bovins herbagers eacuteconomes du Bocage poitevin Quelle eacutevaluation eacuteconomique pour les services eacutecosysteacutemiques rendus

par les prairies en France meacutetropolitaine Le suivi des prix et des marges pour lrsquoanalyse de la formation des prix au deacutetail

des produits alimentaires La compeacutetitiviteacute agricole du Breacutesil le cas des filiegraveres drsquoeacutelevage

No 38 - Juin 2014 Eacutemissions de gaz agrave effet de serre drsquoorigine agricole coucircts et potentiels

drsquoatteacutenuation instruments de reacutegulation et efficaciteacute Protocole de Kyoto et marcheacute carbone europeacuteen Coucircts de transaction priveacutes et adoption de mesures drsquoatteacutenuation

des eacutemissions de GES Impatcs des aleacuteas climatiques en eacutelevages bovin et ovin allaitants

et demande de couverture assurantielle

No 39 - Avril 2015 La diversification des cultures comment la promouvoir Ineacutegaliteacutes sociales et alimentation Lrsquoadaptation de lrsquoagriculture agrave la disponibiliteacute de la ressource en eau

Le cas de la Drocircme des Collines Les innovations technologiques leviers de reacuteduction du gaspillage dans

le secteur agroalimentaire Lrsquoanalyse orienteacutee objets comme outil drsquoaide agrave la gestion des risques sanitaires Flexibiliser les politiques de soutien aux biocarburants eacuteclairages theacuteoriques et

expeacuterience ameacutericaine

132 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

No 40 - Mai 2016 Les produits de stimulation en agriculture un eacutetat des connaissances Diffusion au public des reacutesultats des controcircles sanitaires officiels

comparaison internationale et acceptabiliteacute pour les parties prenantes Les deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoeacutelevage en Allemagne au Danemark et aux Pays-Bas

No 41 - Deacutecembre 2016 Transmission en agriculture quatre sceacutenarios prospectifs agrave 2025 Appariement entre le registre parcellaire graphique et le cadastre pour construire

une typologie des exploitations franccedilaises Lrsquoeacutevolution de la filiegravere bleacute tendre en France entre 1980 et 2006

quelle influence sur la diversiteacute cultiveacutee

No 42 - Novembre 2017 Observer les changements structurels des exploitations laitiegraveres franccedilaises

constitution de la base de donneacutees ADE Efficaciteacute de la protection des troupeaux contre le loup

Une eacutevaluation du dispositif franccedilais drsquoaide au financement des mesures de protection sur la peacuteriode 2009-2014

Lrsquoalternance sous statut scolaire dans lrsquoenseignement agricole une composante du service public aux multiples atouts

No 43 - Mars 2018 Anticiper les comportements alimentaires de demain un outil de sensibilisation

destineacute aux acteurs de la filiegravere alimentaire Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels

(ICHN) principaux reacutesultats et speacutecificiteacutes territoriales Diffusion des meacutelanges varieacutetaux pour la production de bleacute une comparaison entre

France et Danemark

No 44 - Deacutecembre 2018 Les deacutemarches mises en œuvre par les filiegraveres animales en France en reacuteponse

aux attentes socieacutetales en termes de bien-ecirctre animal typologie et perspectives Le systegraveme franccedilais de choix des denreacutees et la mise en oeuvre du FEAD dans

les pays europeacuteens Contribution des filiegraveres internationaliseacutees et du commerce agrave lrsquoemploi dans les

secteurs agricole et agro-alimentaire

No 45 - Septembre 2019 Emplois preacutecaires en agriculture Agro-eacutecologie et Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) Lrsquoagriculture dans les aires urbaines drsquoOccitanie agrave lrsquohorizon 2035 une prospective

participative

No 46 - Deacutecembre 2019 La coheacuterence des politiques commerciales et de deacuteveloppement le cas de lrsquoAPE

Afrique de lrsquoOuest Concentration des exploitations agricoles et emplois Rocircles des organisations de producteurs dans les filiegraveres animales neacutegociation

conseil commercialisation et creacuteation de valeur

Recommandations aux auteurs

FormatLes manuscrits sont preacutesenteacutes sous format Word ou Writer en police de taille 12 Ils ne deacutepassent pas 80 000 signes espaces inclus y compris tableaux graphiques bibliographie et annexes

Sur la premiegravere page du manuscrit doivent figurer -ensple titre de lrsquoarticle -ensples noms des auteurs et leurs institutions -ensple reacutesumeacute de lrsquoarticle (800 signes espaces compris) en franccedilais et en anglais -ensptrois agrave six mots cleacutes en franccedilais et en anglais

Toutes les sources des chiffres citeacutes doivent ecirctre preacuteciseacutees Les sigles doivent ecirctre expliciteacutes Lorsque lrsquoarticle srsquoappuie sur une enquecircte des traitements de donneacutees etc un encadreacute preacutesentant la meacutethodologie est souhaiteacute

Les reacutefeacuterences bibliographiques sont preacutesenteacutees ainsi

a - Dans le texte ou les notes chaque reacutefeacuterence citeacutee est constitueacutee du nom de lrsquoauteur et de lrsquoanneacutee de publication entre parenthegraveses renvoyant agrave la bibliographie en fin drsquoarticle Par exemple (Griffon 2004)

b - Agrave la fin de lrsquoarticle les reacutefeacuterences sont classeacutees par ordre alphabeacutetique drsquoauteurs et preacutesenteacutees selon les normes suivantes

-ensp pour un ouvrage nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee Titre drsquoouvrage ville maison drsquoeacutedition

-ensp pour un article nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee laquo Titre drsquoarticle raquo Revue ndeg de parution mois pages

Seules les reacutefeacuterences explicitement citeacutees ou mobiliseacutees dans lrsquoarticle sont reprises en fin drsquoarticle

CompleacutementspourmiseenlignedelrsquoarticleDans la perspective de la publication de lrsquoarticle sur le site internet du CEP et toujours selon leur convenance les auteurs sont par ailleurs inviteacutes agrave

-ensp adresser le lien vers leur(es) page(s) personnelle(s) agrave caractegravere laquo institutionnelle(s) raquo srsquoils en disposent et srsquoils souhaitent la(les) communiquer

-ensp communiquer une liste de reacutefeacuterences bibliographiques de leur choix utiles pour contextualiser compleacuteter ou approfondir lrsquoarticle proposeacute

-ensp proposer une liste de lien vers des sites Internet pertinents pour se renseigner sur le sujet traiteacute -ensp proposer le cas eacutecheacuteant des annexes compleacutementaires ou des deacuteveloppements utiles mais non

essentiels (preacutecisions meacutethodologiques exemples etc) reacutedigeacutes dans la phase de preacuteparation de lrsquoarticle mais qui nrsquoont pas vocation agrave inteacutegrer la version livreacutee limiteacutee agrave 50 000 caractegraveres Ces compleacutements srsquoils sont publiables viendront enrichir la version Internet de lrsquoarticle

ProceacutedureTout texte soumis est lu par au moins trois membres du comiteacute de reacutedaction et deux experts exteacuterieurs La deacutecision de publication est prise collectivement par le comiteacute de reacutedaction Tout refus est argumenteacute

Les manuscrits sont agrave envoyer en version eacutelectronique uniquement agrave -ensp Bruno Heacuterault reacutedacteur en chef brunoheraultagriculturegouvfr

DroitsEn contrepartie de la publication lrsquoauteur cegravede agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques agrave titre exclusif les droits de proprieacuteteacute pour le monde entier en tous formats et sur tous supports et notamment pour une diffusion en lrsquoeacutetat adapteacutee ou traduite Agrave la condition qursquoil demande lrsquoaccord preacutealable agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques lrsquoauteur peut publier son article dans un livre dont il est lrsquoauteur ou auquel il contribue agrave la condition de citer la source de premiegravere publication crsquoest-agrave-dire la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Tous les articles de Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques sont teacuteleacutechargeables gratuitement sur

httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Publications gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Renseignements

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective3 rue Barbet de Jouy75349 Paris 07 SP

brunoheraultagriculturegouvfr

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiquesMinistegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Secreacutetariat GeacuteneacuteralService de la Statistique et de la Prospective

Centre drsquoeacutetudes et de prospective

Page 3: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 3

Eacuteditorial

Dans ce 47e numeacutero la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques reacuteunit comme agrave son habitude trois articles centreacutes sur des sujets drsquointeacuterecirct pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (MAA) De tonaliteacutes diffeacuterentes ils mobilisent des meacutethodes varieacutees mais traitent tous de questions drsquoune grande actualiteacute

Le premier signeacute par Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun preacutesente les principaux enseignements drsquoune eacutetude sur les deacutecalages entre comportements alimentaires deacuteclareacutes et comportements alimentaires reacuteels Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion est important pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics

Les enquecirctes qui interrogent les consommateurs apportent de preacutecieuses informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent parfois de biais meacutethodologiques qui amegravenent certains reacutepondants agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Certains de ces biais concernent le psychisme de la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations Lrsquoarticle deacutecrit notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation

Les auteurs consacrent une premiegravere partie aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et ils exposent les conditions habituelles de reacutealisation des enquecirctes sur les conduites alimentaires leurs objectifs meacutethodes atouts et limites sont abordeacutes Au travers drsquoune revue de la litteacuterature ils srsquointeacuteressent ensuite plus speacutecifiquement aux deacutecalages entre conduites deacuteclareacutees et conduites reacuteelles La troisiegraveme partie plus empirique preacutesente des eacutetudes de cas permettant de mieux mesurer et expliquer ces deacutecalages Ils font enfin des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale pour ameacuteliorer les dispositifs drsquoenquecircte sur les comportements alimentaires

Lrsquoarticle suivant de Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux analyse la tendance croissante agrave la sous-traitance de travaux agricoles Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de ces prestations nrsquoa commenceacute qursquoau milieu des anneacutees 1990 Depuis elles se sont deacuteveloppeacutees de maniegravere soutenue et le nombre drsquoexploitations y ayant recours de maniegravere notable a eacuteteacute multiplieacute par deux entre 2000 et 2016 Parallegravelement on a observeacute la creacuteation de nombreuses socieacuteteacutes de travaux et de prestations de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchaient agrave amortir et de compeacutetences agrave moneacutetiser

Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale srsquoest amplifieacute avec transfert agrave un tiers de la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Les auteurs srsquointeacuteressent surtout agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus (ou peu) drsquoactiviteacutes agricoles et confie la conduite des travaux et le pilotage eacuteconomique de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsqursquoil deacutelegravegue lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques afin de se recentrer sur son cœur de meacutetier

4 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Malheureusement les travaux scientifiques sur la sous-traitance sont encore peu deacuteveloppeacutes et de nombreuses questions demeurent Le grand inteacuterecirct de cet article est de rassembler les reacutesultats des recherches conduites depuis 2012 par les auteurs et de nous offrir ainsi une synthegravese tregraves actuelle sur le sujet Ils prennent drsquoabord soin drsquoexpliciter leurs approches theacuteorique et empirique leurs meacutethodes et terrains Pour caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur ils font ensuite un eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance et en recensent les principales pratiques en distinguant les plus novatrices dont celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Ils considegraverent que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens plutocirct qursquoils ne les supplantent

Le troisiegraveme article est proposeacute par Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart et Estelle Midler Il deacutecrit les reacutesultats drsquoune eacutevaluation de la mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo (MAEC SHP) dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes Cette MAEC vise le maintien de pratiques preacuteservant la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Le travail reacutealiseacute avait deux objectifs eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments publics puis construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Pour restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante cet article commence par preacutesenter le dispositif eacutevaluatif et les meacutethodes utiliseacutees puis il deacutetaille les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes avant de terminer par une description des reacutesultats atteints en particulier en matiegravere de contribution au revenu des eacuteleveurs

Une dizaine de notes de lecture complegravete ce numeacutero Parmi les ouvrages mis en lumiegravere celui drsquoAntoine de Baecque particuliegraverement inteacuteressant raconte lrsquohistoire de la creacuteation et du deacuteveloppement des restaurants en France entre 1760 et 1900 De son cocircteacute Alain Paveacute propose un livre tregraves didactique sur les enjeux lieacutes agrave la biodiversiteacute en veillant agrave distinguer les problegravemes identifieacutes par la science des ideacutees fausses veacutehiculeacutees par lrsquoopinion publique Signalons enfin la reacuteeacutedition en version de poche du beau reacutecit drsquoAnne Vallaeys faisant revivre les chemins de la laquo grande transhumance raquo entre Arles (plaine de Crau) et Laverq (haute Ubaye)

Vous trouverez en troisiegraveme de couverture les recommandations aux auteurs et des consignes de preacutesentation des articles Nrsquoheacutesitez pas agrave nous soumettre vos manuscrits ou agrave nous contacter pour proposer vos ideacutees drsquoarticles

Nous vous souhaitons une bonne lecture

Bruno HeacuteraultReacutedacteur en chef

Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivebrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 5

Sommaire

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique 7Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole 43Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes 89 Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

Notes de lecture 117

Abstracts and Key Words 129

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus 131

6 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 7

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Reacutesumeacute

Les sources drsquoinformation qui renseignent sur les comportements alimentaires (consommation apparente panels de distributeurs et de consommateurs enquecirctes de suivi des achats enquecirctes drsquoopinion eacutetudes qualitatives etc) apportent souvent de preacutecieux et fidegraveles reacutesultats Neacuteanmoins elles souffrent aussi de biais creacuteant parfois des deacutecalages entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels Ce problegraveme qui nrsquoest pas propre agrave lrsquoalimentation est lieacute aux caracteacuteristiques des reacutepondants (deacutefaut de meacutemoire rationaliteacute imparfaite sentiments repreacutesentations mentales et croyances attitudes psychiques etc) et aux contextes de leurs reacuteponses (lieu moment situation sociale etc) Il est lieacute eacutegalement aux deacutemarches et meacutethodes utiliseacutees pour recueillir les informations (questionnaire entretien carnet de consommation eacutechelle drsquoattitudes techniques essentiellement deacuteclaratives eacutechantillonnage etc) et agrave leurs modaliteacutes ulteacuterieures de traitement Conscients de ces problegravemes et de leurs impacts potentiels sur le pilotage de lrsquoaction publique le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation FranceAgriMer et lrsquoADEME ont souhaiteacute commander une eacutetude sur ce sujet Reacutealiseacutee par le consortium constitueacute du CREacuteDOC de Nutri Psy Consult de Proteacuteines et de Deloitte Deacuteveloppement Durable elle a consisteacute en une revue de litteacuterature suivie de trois eacutetudes de cas5 Ces derniegraveres consistent agrave identifier les omissions (aliments et boissons) associeacutees aux deacuteclarations des consommations par la meacutethode des carnets agrave mesurer lrsquoeffet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires et enfin agrave eacutevaluer les eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat6

Mots cleacutes

Comportements alimentaires attitudes croyances consommation information meacutethodes drsquoenquecirctes biais deacuteclaratif

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC) 142 rue du Chevaleret 75013 Paris 2 Nutri Psy Consult 91 rue de la Santeacute 75013 Paris3 ProteacuteinesXTC 92 rue Reacuteaumur 75002 Paris 4 Deloitte Deacuteveloppement Durable 6 place de la Pyramide 92908 Paris-La Deacutefense Cedex5 CREacuteDOC Nutri Psy Consult Proteacuteines Deloitte Deacuteveloppement Durable 2020 Comportements alimentaires deacuteclareacutes versus reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique httpsagriculturegouvfretude-comportements-alimentaires-declares-versus-reels-mesurer-et-comprendre-les-ecarts-pour6 Nous tenons agrave remercier Julia Gassie et Bruno Heacuterault du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour leurs relectures successives de cet article et leurs contributions importantes agrave lrsquoeacutelaboration de sa version finale

Gabriel Tavoularis1 Pascale Heacutebel1 France Bellisle2 Serge Michels3 et Aude Le Rhun4

8 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion etc est drsquoimportance pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics Diverses tendances et changements drsquoattitudes marquent aujourdrsquohui ces pratiques alimentaires et renouvellent donc les questionnements sur le suivi et la connaissance de ces eacutevolutions Dans ce contexte il est indispensable de srsquointeacuteresser aux informations et donneacutees sur lrsquoalimentation des Franccedilais De nombreuses sources existent de diverses natures produites par diffeacuterents organismes et gracircce agrave des meacutethodes varieacutees

La connaissance des conduites alimentaires quotidiennes fait face agrave plusieurs difficulteacutes les comportements individuels sont influenceacutes par une diversiteacute de facteurs (biologiques sociaux eacuteconomiques environnementaux psychiques etc) De plus deacutecrire fidegravelement son comportement peut ecirctre difficile pour un individu par exemple agrave cause de la laquo rationaliteacute imparfaite raquo deacutecrite depuis longtemps par Herbert Simon (1957) Les meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees souvent appuyeacutees sur du deacuteclaratif preacutesentent elles-mecircmes diverses limites De ce fait des deacutecalages sont possibles entre les informations dont on dispose sur les comportements alimentaires deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

Les enquecirctes quantitatives et qualitatives qui interrogent les mangeurs apportent de preacutecieuses et fidegraveles informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent de plusieurs biais meacutethodologiques qui amegravenent certains consommateurs agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas reacuteellement en quantiteacute et en qualiteacute ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Identifieacutes dans la litteacuterature (en eacutepideacutemiologie sociologie psychologie psychologie sociale eacuteconomie anthropologie) certains de ces biais concernent la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations On citera notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation tous bien documenteacutes dans la litteacuterature

De tels eacutecarts posent question degraves lors qursquoil srsquoagit de comprendre et utiliser les reacutesultats de ces enquecirctes Crsquoest en particulier le cas quand les donneacutees sur les comportements alimentaires sont utiliseacutees pour eacutelaborer suivre eacutevaluer des deacutecisions strateacutegies ou interventions publiques

Dans ce contexte le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation lrsquoADEME et FranceAgriMer ont commandeacute une eacutetude pour mieux deacutecrire ces deacutecalages les mesurer et les expliquer en mobilisant les savoirs des sciences eacuteconomiques et sociales Le travail eacutetait volontairement centreacute sur les consommations individuelles et familiales Il a eacuteteacute reacutealiseacute par un consortium de quatre prestataires le Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC apportant une expertise en eacutetudes et analyses sociologiques et eacuteconomiques des comportements de consommation) Nutri Psy Consult (expertise sur le comportement alimentaire humain) Proteacuteines (expertise sur les enjeux de communication et de santeacute autour de lrsquoalimentation) et Deloitte Deacuteveloppement Durable (expertise en matiegravere drsquoeacutevaluations environnementales et drsquoeacuteconomie circulaire)

La deacutemarche drsquoeacutetude a comporteacute trois phases principales Drsquoabord en srsquoappuyant sur une revue de la litteacuterature ainsi que sur six entretiens7 avec des producteurs et utilisateurs de donneacutees

7 Les entretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec Jeacuterocircme Accardo (Insee) Pierre Combris (Inra) Carine Dubuisson (Anses) Emmanuelle Kesse-Guyot (Inra) Marie Plessz (Inra) Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Luc Volatier (Anses)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 9

sur lrsquoalimentation en France une analyse a eacuteteacute reacutealiseacutee des types de deacutecalages de leurs sources et de leurs causes et des correctifs possibles En second lieu trois eacutetudes de cas ont permis de quantifier et expliquer certains deacutecalages observeacutes en mettant en œuvre des meacutethodes varieacutees (observation par cameacutera mesure des freacutequentations des reacuteseaux sociaux etc) Enfin des preacuteconisations ont eacuteteacute formuleacutees agrave destination des commanditaires de lrsquoeacutetude

La premiegravere partie de cet article est consacreacutee aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et traitant des conditions de reacutealisation des enquecirctes sur les comportements alimentaires leurs objectifs leurs meacutethodologies leurs atouts et limites sont abordeacutes La deuxiegraveme partie preacutesente les points saillants de la litteacuterature scientifique consacreacutee aux deacutecalages entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels en distinguant les eacutecarts lieacutes aux reacutepondants de ceux lieacutes aux meacutethodes de collecte La troisiegraveme partie expose les trois eacutetudes de cas qui ont permis drsquoapprofondir la quantification et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes Enfin la quatriegraveme partie propose quelques pistes meacutethodologiques pour compleacuteter le travail reacutealiseacute et preacutesente des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale sur lrsquoameacutelioration des capaciteacutes drsquoanalyse des comportements alimentaires

1 Les diffeacuterentes sources drsquoinformations sur les comportements alimentaires

De nombreux travaux ont pour objectifs la compreacutehension et la mesure des comportements alimentaires En interpreacuteter le plus justement possible les reacutesultats neacutecessite de srsquointeacuteresser aux meacutethodes drsquoacquisition de lrsquoinformation (collecte active ou passive administration par un enquecircteur ou auto-administration etc) et aux objectifs attendus quels pheacutenomegravenes les enquecirctes permettent-elles de mesurer Srsquoagit-il drsquoopinions drsquoattitudes de comportements deacuteclareacutes de comportements reacuteels etc

Les consommations alimentaires sont approcheacutees de plusieurs maniegraveres en fonction du niveau de preuves attendu et de lrsquoeacutechelle eacutetudieacutee eacutetudes in vitro de biomarqueurs doseacutes agrave partir de preacutelegravevements sur des mangeurs (tests en tube en-dehors de lrsquoorganisme vivant) observationnelles (eacutecologiques transversales cas teacutemoins cohortes) expeacuterimentales (essai controcircleacute randomiseacute meacuteta-analyse drsquoessais controcircleacutes randomiseacutes) enquecirctes statistiques etc En France de nombreuses sources drsquoinformations de diffeacuterentes natures sont disponibles sur la consommation alimentaire (tableau 1) donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques (ex balance des imports et exports) donneacutees exhaustives ou compileacutees sur les achats (ex panels de distributeurs) donneacutees de mesure par sondage des ingestions ou des achats (ex releveacutes de consommations individuelles comptabiliteacute des meacutenages) donneacutees de mesure de lrsquoopinion et de sources meacutediatiques (ex baromegravetres drsquoopinion)

Chacune de ces meacutethodes est susceptible de comporter ou drsquoengendrer des biais lesquels peuvent ecirctre ou non corrigeacutes Il en deacutecoule des deacutecalages entre la mesure drsquoun pheacutenomegravene et le pheacutenomegravene en question De nombreux travaux scientifiques les ont eacutetudieacutes Ainsi les sources drsquoinformation identifieacutees dans le tableau 1 peuvent comporter diffeacuterents biais qui seront abordeacutes dans la suite de lrsquoarticle

10 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

B Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesure des comportements reacuteels achatsProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

IRI Panel distributeur IRI Panel de distributeurs sur les FMCG8

Achats en grande distribution

Donneacutees mensuelles sur les achats excluant de fait la restauration collective et commerciale

Nielsen Panel distributeur NIELSEN

Panel de distributeurs sur les FMCG

Achats en grande distribution

Chaque enseigne (ex CASINO)

Ventes dans le circuit CASINO (RelevanC) Ventes reacuteelles journaliegraveres

Achats dans lrsquoensemble des enseignes du groupe

C Donneacutees de mesure (par sondage) des comportements reacuteels ingestion ou achatProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

ANSES Enquecircte INCA (1999 2006 2015)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentativeAlimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

INSEE Budget des famillesComptabiliteacute des meacutenages (deacutepenses et ressources des meacutenages)

Population repreacutesentative des foyers

Donneacutees meacutenages et pas individuelles peu preacutecises agrave un niveau laquo fin raquo drsquoanalyse

Multifinancement public NUTRINET-SanteacuteReleveacutes des consommations individuelles

Personnes volontaires Enquecircte non repreacutesentative

CREacuteDOC Enquecircte CCAF (2003 2007 2010 2016 2019)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentative Alimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

Gira FoodService Enquecirctes RHF Marcheacute de la restauration

Restauration hors domicile Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTARPanel de consommateurs acheteurs

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTAR - eKommercePanel de consommateurs acheteurs e-commerce

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

D Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias (et non de comportements reacuteels)Producteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Instituts drsquoeacutetude de sondage etc(BVA CREacuteDOC CSA IPSOS KANTAR OBSOCO OPINION WAY HARRIS INTERACTIVE IPSOS etc) baromegravetres drsquoopinion

Enquecirctes et baromegravetres drsquoopinion sur les attitudes des consommateurs CAF baromegravetre de lrsquoAgence bio eacutetude Greenflex sur la consommation responsable etc

Eacutetudes et connaissance des consommateurs shoppers

Souvent France entiegravere population repreacutesentative

Preacutecautions dans lrsquoutilisation de plus en plus freacutequente des enquecirctes en ligne (fort biais de couverture avec des biais drsquoapprentissage redressement impeacuteratif sur le diplocircme car forte sous-repreacutesentation des non-diplocircmeacutes)

Plutocirct des donneacutees drsquoat t i tudes que de comportements reacuteels inteacuterecirct limiteacute pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

Reacuteseaux sociaux Twitter Instagram Facebook etcUtilisation de tracker type talkwalker

Socionautes preacutesents et laquo actifs raquo sur les reacuteseaux sociaux

Impacts tregraves faibles sur les comportements reacuteels peu drsquointeacuterecirct pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

8 FMCG (fast-moving consumer goods) sigle deacutesignant les biens de grande consommation

Lecture les sources de donneacutees priveacutees sont souligneacutees dans la premiegravere colonneSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 77-81

Tableau 1 - Principales sources drsquoinformation sur les comportements alimentaires

A Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques donneacutees nationales de contexte geacuteneacuteralProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Douanes Balanceimports-exports

Statistiques du commerce exteacuterieur France entiegravere Donneacutees eacuteconomiques de cadrage  ne

permettent pas drsquoanalyser des comportements reacuteels de consommation alimentaire INSEE Comptes de la Nation Mesure des flux moneacutetaires

repreacutesentatifs de lrsquoeacuteconomieFrance entiegravere

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 11

Cette premiegravere analyse des sources drsquoinformations sur les consommations et comportements alimentaires fait apparaicirctre une diversiteacute de meacutethodes utiliseacutees drsquoougrave la neacutecessiteacute de connaicirctre les speacutecificiteacutes atouts et limites de chacune La partie 2 va ainsi preacuteciser les connaissances actuellement disponibles dans la litteacuterature sur les deacutecalages entre deacuteclarations et reacutealiteacutes des pratiques alimentaires

2 Types de deacutecalages sources et causes

Cette partie baseacutee sur une synthegravese de la litteacuterature existante deacutecrit deux types de deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle Le premier est lieacute aux reacutepondants (21) le deuxiegraveme deacutepend des meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees (22)

21 Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants

Drsquoapregraves la litteacuterature scientifique passeacutee en revue ces deacutecalages lieacutes aux reacutepondants prennent geacuteneacuteralement deux formes Ils peuvent drsquoabord ecirctre lieacutes aux conditions de collecte des donneacutees ou deuxiegravemement deacutecouler de lrsquoattitude-behaviour gap (ou deacutecalage entre opinion et comportement) en particulier dans le cas des enquecirctes drsquoopinion

Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants dans la collecte de donneacutees

Dans les enquecirctes avec eacutechantillons repreacutesentatifs drsquoune population le niveau de participation des personnes solliciteacutees est un eacuteleacutement crucial Les taux de non-reacuteponse importants sont susceptibles de creacuteer un biais de seacutelection ou de recrutement dans les reacutesultats et les conclusions (Dubuisson 2018) surtout quand ces taux varient en fonction de critegraveres socio-eacuteconomiques ou individuels comme la corpulence le sexe ou le niveau drsquoeacuteducation Ce problegraveme se pose drsquoautant plus pour les enquecirctes sur volontaires ou les panels de consommation qui recrutent des profils speacutecifiques de reacutepondants dont les caracteacuteristiques deacutevient largement de la population geacuteneacuterale Par exemple lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude longitudinale NutriNet et dans une moindre mesure celui de lrsquoeacutetude INCA 3 comptent une proportion de femmes et de personnes diplocircmeacutees plus eacuteleveacutee que dans la population franccedilaise On sait eacutegalement que les femmes sont plus preacuteoccupeacutees que les hommes par les questions de santeacute et de bien-ecirctre (Fournier 2013) de mecircme que par lrsquoeacutecologie et le deacuteveloppement durable (Zuinen 2002) On peut donc faire lrsquohypothegravese que celles qui se portent volontaires pour participer agrave des eacutetudes concernant lrsquoalimentation et la santeacute (comme NutriNet) le soient encore davantage

Dans le cas des panels de consommateurs des biais de par ticipation et drsquoapprentissage peuvent modifier la maniegravere de renseigner ses achats certains reacutepondants (eacutegalement appeleacutes laquo paneacutelistes raquo) deviennent progressivement experts sur certains aspects de lrsquoobjet eacutetudieacute ndash les prix par exemple (Lusk et Brooks 2011) ndash distordant une fois de plus un eacutechantillon jugeacute laquo repreacutesentatif raquo au deacutepart Pour les enquecirctes alimentaires le fait de remplir de faccedilon reacutepeacuteteacutee un questionnaire peut aussi modifier sensiblement la maniegravere de reacutepondre avec par exemple une sous-deacuteclaration par effet de lassitude

12 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Toutes les enquecirctes qui interrogent directement les individus (dites laquo deacuteclaratives raquo) sont eacutegalement soumises agrave un biais drsquoobservation les participants peuvent ecirctre ameneacutes avec plus ou moins drsquointensiteacute agrave modifier leurs comportements alimentaires lorsqursquoils se savent observeacutes Par exemple un individu obegravese qui deacuteclare un nombre eacuteleveacute de consommations drsquoaliments ou de boissons hors repas pourra prendre conscience de ses excegraves par rapport aux recommandations nutritionnelles Il lui arrivera ainsi drsquoomettre par la suite certaines deacuteclarations de produits ou eacuteventuellement de modifier son comportement alimentaire durant la peacuteriode ougrave il est interrogeacute de sorte que sa consommation corresponde davantage agrave la norme dominante Ce mecircme biais drsquoobservation qui fait manger moins ou diffeacuteremment quand on se sait observeacute paraicirct affecter plus les femmes que les hommes (Stubbs 2014)

Il existe enfin des biais drsquoestimation (portions freacutequences) mecircme en se servant de photographies illustrant certains formats il est difficile drsquoestimer preacuteciseacutement la taille des portions des produits que lrsquoon consomme avec le plus souvent une sous-estimation Il en va de mecircme quand il srsquoagit drsquoappreacutecier la freacutequence drsquoun comportement inhabituel les faibles freacutequences tendant agrave ecirctre surestimeacutees

Deacutecalages opinion-comportement (attitude-behaviour gap)

Lrsquoattitude-behaviour gap deacutesigne lrsquoeacutecart entre des opinions et des comportements (Vermeir et Verbeke 2006) Ce deacutecalage est potentiellement plus important que celui eacutetudieacute preacuteceacutedemment entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels

Le laquo consommateur moyen franccedilais raquo contemporain est tregraves informeacute Il dispose drsquoun pouvoir drsquoachat important et a accegraves agrave une offre alimentaire varieacutee Il lui arrive aussi drsquoecirctre sondeacute pour connaicirctre ses attitudes et ses comportements Il exprime alors volontiers son inteacuterecirct pour la consommation durable les produits issus de lrsquoagriculture biologique la protection de lrsquoenvironnement le bien-ecirctre des animaux ou encore la protection des droits des consommateurs et lrsquoameacutelioration des conditions de vie des producteurs

Plusieurs exemples illustrent ce point Le site de lrsquoinstitut IPSOS Global Trends indique que 69 des Franccedilais souhaitent acheter local qursquoils se deacuteclarent precircts (agrave 53 ) agrave payer plus cher des produits laquo verts raquo que 51 sont drsquoaccord pour sacrifier les aspects pratiques en faveur de produits meilleurs pour la santeacute et que 33 donnent la prioriteacute aux produits biologiques De mecircme lrsquoAgence franccedilaise pour le deacuteveloppement et la promotion de lrsquoagriculture biologique (Agence Bio) a mis en place un baromegravetre depuis 2003 afin laquo drsquoobserver anneacutee apregraves anneacutee lrsquoeacutevolution des attitudes ainsi que les lieux drsquoachats  raquo en interrogeant un eacutechantillon repreacutesentatif de la population La derniegravere eacutedition nous apprend que 85 des personnes interrogeacutees estiment important de deacutevelopper lrsquoagriculture biologique que 82 font confiance aux produits biologiques que 26 ont lrsquointention drsquoaugmenter leur consommation de ces produits alors que 16 en consomment deacutejagrave tous les jours et les trois quarts au moins une fois par mois (Agence Bio 2019) Enfin dernier exemple une enquecircte de lrsquoIFOP sur un eacutechantillon repreacutesentatif de 1 001 adultes confirme que 79 des enquecircteacutes attribuent un effet positif agrave la viande bio sur le bien-ecirctre animal et 77 des beacuteneacutefices pour lrsquoenvironnement et la santeacute Alors que 71 des interrogeacutes de cet eacutechantillon deacuteclarent consommer de la viande bio agrave lrsquooccasion 48 nrsquoen consomment que rarement et 26 souhaitent augmenter leur consommation Toutes ces enquecirctes montrent lrsquointeacuterecirct porteacute par les Franccedilais aux questions alimentaires mais aussi la diversiteacute des opinions qursquoils sont ameneacutes agrave formuler

Ces enquecirctes ont le meacuterite drsquoecirctre reacutealiseacutees sur des eacutechantillons repreacutesentatifs de la population nationale Elles comportent simultaneacutement ou seacutepareacutement des questions

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 13

eacutevaluant des attitudes et des questions portant sur des freacutequences de consommation Des eacutetudes non-repreacutesentatives sont eacutegalement disponibles elles recrutent alors exclusivement des consommateurs concerneacutes par les pratiques eacutetudieacutees (ex eacutetude conjointe OpinionWaySenseva 2016 sur les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation biologique)

Le creacutedit que lrsquoon peut accorder aux deacuteclarations faites lors drsquoenquecirctes drsquoopinion a eacuteteacute lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes qui ont geacuteneacuteralement observeacute une faible correacutelation entre opinions deacuteclareacutees et consommations reacuteelles Crsquoest par exemple le cas de travaux ayant eacutetudieacute les liens entre les achats des consommateurs et leurs preacuteoccupations eacutethiques production durable soucieuse de lrsquoenvironnement protection des personnes employeacutees   rejet de lrsquoexpeacuterimentation animale pour la mise au point des produits etc (Carrigan et Attalla 2001 Devinney et al 2010 Caruana et al 2016)

Diffeacuterents facteurs contribuent agrave ces types de deacutecalages Le premier consiste en des freins physiques comme la disponibiliteacute des produits Lrsquoemplacement geacuteographique du lieu drsquoacquisition des produits le deacutecor lrsquoenvironnement sonore lrsquoeacuteclairage et tout autre eacuteleacutement physique au moment de lrsquoachat affectent les deacutecisions des consommateurs (Lombardot et Mugel 2015) Souvent les produits issus de lrsquoagriculture biologique de modes de production durables ou eacutethiques sont plus chers que les produits courants Seuls les consommateurs disposant drsquoun fort pouvoir drsquoachat pourraient alors mettre lrsquoensemble de leurs achats en conformiteacute avec les opinions qursquoils ont pu deacuteclarer lors drsquoenquecirctes De plus la disponibiliteacute de ces produits peut ecirctre plus restreinte dans certains magasins et le temps manquer non seulement pour les achats mais pour sortir des comportements routiniers (ex apprendre agrave cuisiner agrave partir drsquoaliments de base plutocirct que de consommer du precirct-agrave-manger) Il est eacutegalement possible que lrsquoinformation neacutecessaire pour guider les choix soit insuffisante ou bien trop complexe (ex contenus nutritionnels sur les emballages) voire que lrsquoaccegraves agrave cette information soit trop chronophage Agrave lrsquoinverse la sur-information parfois cacophonique agrave laquelle les consommateurs sont exposeacutes et la difficulteacute pour en extraire un sens sont drsquoautres facteurs potentiels contribuant agrave ce deacutecalage Enfin il arrive que lrsquoenvironnement social freine la mise en application des opinions par exemple le souhait de consommer laquo bio  raquo ou laquo durable raquo ou laquo sans sucre raquo ou celui de suivre les recommandations nutritionnelles peuvent se heurter aux goucircts et attentes des autres personnes preacutesentes au moment de lrsquoachat ou de lrsquoingestion agrave leurs influences et aux interactions interpersonnelles (Lombardot et Mugel 2015)

Des freins drsquoordre psychologique peuvent aussi jouer le locus of control externe crsquoest-agrave-dire lrsquoattribution des ressorts de lrsquoaction efficace agrave des facteurs exteacuterieurs agrave soi la tendance agrave la procrastination le deacuteni de lrsquoimportance de certains choix ou encore la meacutefiance envers les alleacutegations des producteurs (laquo bio raquo laquo durable raquo laquo eacutethique raquo) contribuent agrave retarder ou agrave empecirccher les changements de comportements (Lombardot et Mugel 2015   Thorslund et Lassen 2016)

Enfin une troisiegraveme source de deacutecalages reacuteside dans lrsquoeacutetat immeacutediat de la personne au moment de la consommation (fatigue eacutenervement irritation) ce qui favorise des comportements routiniers plutocirct que les investissements de temps et drsquoeacutenergie neacutecessaires agrave la mise en œuvre des intentions (Lombardot et Mugel 2015)

La consommation durable est un domaine tout particuliegraverement inteacuteressant en la matiegravere Une eacutetude reacutecente a regardeacute dans les travaux scientifiques deacutedieacutes agrave ce sujet comment le deacutecalage entre attitude et comportement se manifeste (Terlau et Hirsch 2015) Bien qursquoune proportion croissante de consommateurs se deacuteclare favorable agrave la consommation durable cela ne repreacutesente qursquoune faible part du marcheacute Ainsi en France Greenindex (2012 enquecircte eacutetudieacutee par Terlau et Hirsch) rapporte que 63 des consommateurs enquecircteacutes

14 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

deacuteclarent un inteacuterecirct pour la consommation durable alors que 31 seulement achegravetent des produits laquo verts raquo Ce deacutecalage reacutesulte de freins agrave lrsquoachat de produits issus de modes de production durables Le plus important de ces freins selon Terlau et Hirsch est le prix plus eacuteleveacute de ces produits Drsquoautres freins sont identifieacutes beacuteneacutefice jugeacute insuffisant aspect goucirct neacutecessiteacute de diversifier les lieux drsquoachat information non disponible etc

22 Deacutecalages lieacutes aux meacutethodes drsquoacquisition des informations

La validiteacute des meacutethodes drsquoenquecircte faisant intervenir la meacutemoire des reacutepondants est fortement contesteacutee depuis quelques anneacutees dans la litteacuterature scientifique internationale En 2014 un groupe de chercheurs publiait un article critique concluant que les donneacutees obtenues par auto-deacuteclaration sont si contestables qursquoil faut cesser de les utiliser pour bacirctir des politiques publiques (Dhurandhar et al 2015)

La critique des donneacutees drsquoenquecirctes nutritionnelles (qui sont des enquecirctes transversales) fait souvent reacutefeacuterence agrave la pyramide des niveaux de preuve scientifique (Lucas et Harris 2018) Cette pyramide est freacutequemment mobiliseacutee avec quelques variantes dans la litteacuterature scientifique Elle rappelle que les enquecirctes transversales si soigneacutees et compeacutetentes soient-elles occupent un niveau intermeacutediaire entre les eacutetudes animales ou in vitro et les eacutetudes randomiseacutees controcircleacutees (ERC) Les eacutetudes de cohortes repreacutesentent un niveau plus eacuteleveacute de scientificiteacute que les eacutetudes transversales Cependant les relations causales entre facteurs au-delagrave des correacutelations identifieacutees par les eacutetudes drsquoobservation ne peuvent ecirctre deacutemontreacutees que par des ERC

Les eacutecarts deacuteclaratifreacuteel et les critiques adresseacutees aux meacutethodologies drsquoenquecirctes reposent sur plusieurs constatations

- Les meacutethodologies fondeacutees sur la meacutemoire souffrent des limites mecircmes des processus mneacutesiques (Archer et al 2015 2018) Les questionnaires ne mesurent pas les comportements de consommation mais collectent des souvenirs des perceptions qui y sont associeacutees rien ne confirmant que celles-ci soient fidegraveles agrave la reacutealiteacute Bien au contraire il est eacutetabli que la meacutemoire humaine est ni exacte ni preacutecise Elle amalgame des processus constructifs et reconstructifs (dont lrsquoimagination) elle laquo oublie raquo et mecircme laquo invente raquo agrave lrsquooccasion Les omissions sont donc possibles de mecircme que des intrusions parmi les consommations reacuteellement effectueacutees Cette limite nrsquoest pas speacutecifique aux comportements alimentaires lrsquoeacutetude des auto-deacuteclarations dans divers domaines (santeacute communications justice etc) et disciplines (eacuteconomie anthropologie psychologie etc) suggegravere que la moitieacute de ces deacuteclarations sont probablement incorrectes (Bernard et al 1984) Les meacutethodes utiliseacutees pour obtenir les deacuteclarations sont du mecircme ordre que celles qui induisent de laquo faux souvenirs raquo (Archer et al 2015 Bernstein et Loftus 2009) Les questionnaires de freacutequence de consommation (FFQ) sont tregraves proches du paradigme Deese-Roediger-McDermott (DRM) qui suscite de nombreuses erreurs (plus de 75 ) dans le rappel de mots faisant partie drsquoune liste agrave meacutemoriser Dans ce paradigme DRM les reacutepondants sont plus certains des termes rappeleacutes par erreur que des mots reacuteellement inclus dans la liste (Deese 1959 Roediger et McDermott 1995 Gallo 2010) Une eacutetude deacutejagrave ancienne de psychologie sociale avait montreacute agrave la sortie drsquoun restaurant que des personnes intervieweacutees pouvaient deacutecrire la tenue du personnel masculin et la musique drsquoambiance alors que lrsquoeacutetablissement nrsquoavait ni personnel masculin ni musique drsquoambiance (Kronenfeld et al 1972 Bernard et al 1984)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 15

- Outre lrsquooubli les reacutepondants peuvent aussi mentir ou mecircme changer leurs comportements habituels lorsqursquoils doivent les deacuteclarer (Macdiarmid et Blundell 1997) Par exemple 31 des participants agrave une enquecircte alimentaire ont reconnu avoir mangeacute moins gras pendant lrsquoeacutetude et 43 avoir consommeacute davantage de fruits et leacutegumes Il srsquoagit ici drsquoune modification intentionnelle des consommations dont les effets srsquoajoutent agrave la difficulteacute intrinsegraveque de la tacircche (Mela et Aaron 1997) On peut noter que ces deacuteclarations qui concernent les changements de comportements pendant les eacutetudes reposent aussi sur la meacutemoire et sont sans doute affecteacutees par la mecircme tendance agrave la sous-deacuteclaration que celles qui concernent les ingestions elles-mecircmes Si tel est le cas la distorsion des ingestions deacuteclareacutees par rapport aux consommations reacuteelles est encore plus importante

- Les questionnaires alimentaires sont en geacuteneacuteral fastidieux agrave remplir Ils sont parfois complexes et demandent du temps Ils exigent une motivation soutenue de la part des enquecircteacutes parfois pendant plusieurs jours Lrsquoennui ou la difficulteacute peuvent contribuer agrave deacuteteacuteriorer la qualiteacute de la deacuteclaration (Scagliusi et al 2003 Lusk et Brooks 2011) Certaines eacutetudes notent une deacuteteacuterioration de la reacuteponse au cours des rappels successifs (Freedman et al 2014) Trois rappels de 24 heures non conseacutecutifs9 produisent des deacuteclarations plus complegravetes que le releveacute de 7 jours conseacutecutifs ce qui est attribueacute agrave la perte de motivation qui se deacuteveloppe apregraves plusieurs jours

- Les deacuteclarations sont tregraves influenceacutees par lrsquoinstrument et le protocole drsquoenquecircte par leurs formats formulations et contextes (Schwartz 1999) Il est bien montreacute que diffeacuterentes meacutethodes comme le rappel de 24 heures le releveacute alimentaire drsquoune semaine et les questionnaires de freacutequences de consommations donnent des deacuteclarations diffeacuterentes y compris chez le mecircme individu (Freedman et al 2014) Les hommes normo-pondeacuteraux sous-deacuteclarent leurs apports de 12 agrave 14 en utilisant des rappels de 24 heures et de 31 agrave 36 avec des questionnaires de freacutequences (id) Des recherches portant sur les meacutecanismes cognitifs et les processus de communication entre enquecircteurs et enquecircteacutes (Schwartz 1999) ont deacutemontreacute que des changements en apparence mineurs (ordre des questions questions ouvertes ou fermeacutees options de reacuteponse proposeacutees eacutechelles de rappel journeacuteeanneacutee identiteacute et motivations supposeacutees de la source de lrsquoenquecircte) peuvent conduire agrave de grandes dispariteacutes des reacuteponses Il est eacutegalement important de srsquoassurer que le questionnaire est bien compris par les enquecircteacutes Bessiegravere et al (1997) font ainsi eacutetat des malentendus qui peuvent disqualifier une eacutetude Si certaines questions se precirctent facilement aux traitements quantitatifs (eacutetat civil par exemple) drsquoautres sont susceptibles drsquointerpreacutetations infinies Par exemple qursquoest-ce que laquo souvent raquo ou qursquoest-ce qursquoune laquo grande portion raquo (Heacuteran 1984)

- La personnaliteacute de lrsquoenquecircteur peut modifier les reacuteponses des enquecircteacutes Les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves de populations noires aux Eacutetats-Unis sont plus fiables si les enquecircteurs sont noirs Dans les enquecirctes Insee les reacuteponses sont plus rigoureuses si elles sont obtenues aupregraves de femmes qursquoaupregraves de militaires agrave la retraite (entretien avec Marie Plessz) Dans certains cas lrsquoenregistrement direct sur ordinateur permet une plus grande sinceacuteriteacute des reacuteponses en particulier quand lrsquoinformation demandeacutee concerne un sujet sensible

- Les enquecirctes drsquoopinion utilisent des questionnaires trop geacuteneacuteraux et deacutetacheacutes du contexte de consommation pour vraiment fournir une information utile sur les comportements drsquoachat ou de consommation (Devinney et al 2010) Des eacutechelles simples portant sur le degreacute drsquoadheacutesion agrave certaines propositions (eacutechelles en cinq degreacutes de type Likert par exemple) tendent agrave sur-eacutevaluer lrsquoimportance de cette adheacutesion Certains auteurs ont ainsi pu parler du laquo mythe raquo du consommateur eacutethique (Devinney et al 2010 Carrigan et

9 Un rappel de 24 heures consiste agrave demander (par entretien teacuteleacutephonique) agrave lrsquoindividu lrsquoensemble de ses prises alimentaires du jour preacuteceacutedent

16 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Attalla 2001) en faisant remarquer que les preacuteoccupations pour lrsquoeacutethique deacuteclareacutees dans les enquecirctes drsquoopinions srsquoarrecirctent au moment de passer agrave la caisse Les eacutetudes de consentement agrave payer utilisant des proceacutedures de choix forceacutes dans des conditions controcircleacutees montrent que les consommateurs ne sont pas disposeacutes agrave sacrifier la qualiteacute en faveur de produits socialement acceptables (Devinney et al 2010) Les deacutecalages entre opinions et pratiques ne sont pas reacuteserveacutes agrave lrsquoalimentation et sont bien deacutecrits dans divers domaines dont la pratique culturelle (Peacutequignot 2011) la lecture (Donnat 2009) ou encore les opinions politiques et le vote (Braconnier 2010)

- Les instruments des enquecirctes alimentaires ne considegraverent et deacutefinissent souvent que certains moments de consommation au cours de la journeacutee (petit-deacutejeuner deacutejeuner goucircter etc) Or certains comportements nrsquoentrent pas dans ce cadre par exemple le grignotage est un acte drsquoingestion impliquant tregraves peu drsquoattention et pouvant se reacutepeacuteter sur plusieurs heures Il est donc difficile drsquoen rendre compte dans le cadre des cateacutegories preacute-deacutefinies drsquooccasions alimentaires

- Le biais dit de laquo mindless consumption raquo (consommation automatique sans y precircter attention) a eacuteteacute eacutetabli par des eacutetudes quantitatives Il induit geacuteneacuteralement une sous-deacuteclaration drsquoautant plus importante que les aliments concerneacutes sont faciles drsquoaccegraves (Wansink et Sobal 2007)

- Les meacutethodes drsquoenquecircte sont speacutecifiques drsquoun domaine de recherche et il faut donc eacuteviter les geacuteneacuteralisations abusives Par exemple des donneacutees concernant le budget des familles ne sont adapteacutees ni agrave lrsquoeacutetude des consommations individuelles ni aux questions nutritionnelles

- Trop souvent la validation drsquoune meacutethode drsquoenquecircte sur lrsquoalimentation se fait par correacutelation avec drsquoautres meacutethodes souffrant de limites identiques (Block 1982 Masson et al 2003) Si les sources de distorsion sont les mecircmes drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre leur correacutelation suggegravere une fausse validiteacute Seule la comparaison avec une mesure objective indeacutependante de la consommation (deacutepense eacutenergeacutetique par exemple) pourrait constituer une validation

- Il est difficile de deacutepartager la sursous deacuteclaration apparente de la sursous deacuteclaration reacuteelle Dans certaines circonstances les apports deacuteclareacutes par un individu peuvent paraicirctre tregraves bas ou tregraves eacuteleveacutes Il est difficile de savoir si ces deacuteclarations sortant de lrsquoordinaire repreacutesentent fidegravelement la consommation reacuteelle au moment de lrsquoenquecircte ou encore srsquoil srsquoagit de sur- ou de sous-deacuteclarations

- Enfin les reacuteponses obtenues lors des enquecirctes en ligne peuvent ecirctre diffeacuterentes de celles formuleacutees en face agrave face Lrsquoanonymat de lrsquoenquecircte en ligne peut donner lieu agrave plus de sinceacuteriteacute ceci est probablement vrai eacutegalement dans le cas preacutecis de lrsquoalimentation Les enquecirctes en ligne ne preacutesentent toutefois pas de difficulteacute particuliegravere degraves lors que la phase de validation a montreacute une concordance entre les reacuteponses obtenues par ce moyen et les exigences du protocole

Cette analyse de la litteacuterature scientifique met en eacutevidence divers types de deacutecalages entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes et reacuteels deacutependant tant des individus solliciteacutes que des meacutethodes de collecte des informations La partie 3 va permettre avec trois eacutetudes de cas drsquoapprofondir lrsquoanalyse de ces deacutecalages dans diffeacuterentes circonstances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 17

3 Preacuteciser la mesure et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes trois eacutetudes de cas

Trois eacutetudes de cas ont permis drsquoapprofondir la quantification de deacutecalages observeacutes soit sur des cateacutegories de produits soit lieacutes agrave des effets meacutethodologiques Ce travail vient prolonger et illustrer par lrsquoexpeacuterience les eacuteleacutements deacutecrits ci-dessus agrave partir de la revue de litteacuterature

La premiegravere eacutetude (31) porte sur la deacuteclaration des consommations par la meacutethode du carnet alimentaire Elle consiste agrave noter le deacutetail de ses consommations drsquoaliments et de boissons pendant une peacuteriode deacutetermineacutee (3 ou 4 jours ou 7 jours conseacutecutifs) en estimant geacuteneacuteralement les tailles de portion agrave lrsquoaide drsquoun cahier photographique Cette meacutethode permet drsquoobtenir des informations preacutecises sur les apports alimentaires et nutritionnels Lrsquoobjectif de cette premiegravere eacutetude de cas eacutetait de deacuteterminer quels aliments et boissons sont les plus omis dans le remplissage de ces carnets et agrave quelles occasions

La deuxiegraveme eacutetude (32) srsquointeacuteresse agrave la lassitude des enquecircteacutes dans les enquecirctes alimentaires INCA 2 (2006-2007) et INCA 3 (2013-2014) La sur-sollicitation des personnes enquecircteacutees pendant plusieurs jours entraicircne une fatigue et une banalisation pouvant causer une moins bonne deacuteclaration Il srsquoagissait ici drsquoeacutevaluer la sous-deacuteclaration au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte progresse en partant de lrsquohypothegravese que le premier jour de deacuteclaration est le plus fidegravele agrave la reacutealiteacute et que le dernier est celui ougrave lrsquoon observe la plus forte sous-deacuteclaration Notons que des changements de meacutethodes ont eacuteteacute introduits entre les deux eacuteditions de lrsquoenquecircte INCA (carnet alimentaire de 7 jours en 2006 versus rappels de 24 heures en 2013)

La troisiegraveme eacutetude de cas (33) srsquointeacuteresse agrave lrsquoactiviteacute des reacuteseaux sociaux et agrave ses implications sur les achats alimentaires De faccedilon exploratoire des correacutelations statistiques ont eacuteteacute rechercheacutees entre deux ensembles de donneacutees des donneacutees sur les discours meacutediatiques et les deacutebats sur les reacuteseaux sociaux et des donneacutees drsquoachat Ce sont ici agrave la fois des deacutecalages temporels (laquo effet retard raquo) et des deacutecalages entre discours et pratiques qui sont rechercheacutes Un mecircme protocole a eacuteteacute appliqueacute aux cas des produits biologiques et de la viande

31 Eacutetude de la deacuteclaration de consommations alimentaires (ingestion) par la meacutethode du carnet alimentaire

Les carnets alimentaires sont une meacutethode freacutequemment utiliseacutee pour deacuteterminer la consommation elle permet de mesurer les apports alimentaires et nutritionnels au niveau drsquoune population Elle est notamment utiliseacutee pour lrsquoenquecircte Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du CREacuteDOC Comme vu preacuteceacutedemment cette meacutethode de recueil drsquoinformation induit neacutecessairement des deacutecalages avec la consommation reacuteelle

Afin drsquoanalyser ces deacutecalages une expeacuterimentation avec des cameacuteras a eacuteteacute entreprise srsquoappuyant sur une meacutethode eacuteprouveacutee dans drsquoautres circonstances (Lahlou 1998 et 2006) Lrsquoobjectif est ici de deacuteterminer les deacutecalages entre les consommations deacuteclareacutees sur le carnet alimentaire et les consommations reacuteelles filmeacutees par une cameacutera porteacutee par les mangeurs en repeacuterant et traitant les omissions eacuteventuelles combien drsquoomissions Concernant quels types drsquoaliments ou de boissons Agrave quelles occasions de consommation Dans quelles circonstances   20 individus volontaires ont eacuteteacute eacutequipeacutes drsquoune cameacutera portative (voir photographie 1) et ont rempli en parallegravele pendant trois jours conseacutecutifs un carnet alimentaire (e-carnet identique agrave celui de lrsquoenquecircte CCAF) Lrsquohypothegravese faite eacutetait qursquoils oublieraient rapidement porter cette cameacutera (ce qui a eacuteteacute confirmeacute par la plupart des intervieweacutes) et que les images enregistreacutees permettraient de reacuteveacuteler des eacutecarts avec les informations inscrites sur les carnets alimentaires

18 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sou

rce

CR

EacuteD

OC

Photographie 1 ndash Dispositif de cameacutera portative fixeacutee sur un harnais utiliseacute pour cette expeacuterimentation

Les 20 individus ont eacuteteacute recruteacutes via Internet (socieacuteteacute Easypanel) en fonction de profils varieacutes preacutedeacutefinis agrave lrsquoavance lieu drsquohabitation en reacutegion parisienne (Paris petite couronne et grande couronne) sexe diplocircme (2 modaliteacutes au plus baccalaureacuteat au moins Bac+1) acircge (3 tranches 18-34 ans 35-54 ans 55 ans et plus) Ces personnes ont eacuteteacute reacutemuneacutereacutees Aucune exclusion a priori nrsquoa eacuteteacute envisageacutee (ex individu obegravese ou anorexique personne ayant preacutevu un eacuteveacutenement particulier lors des jours drsquoexpeacuterimentation etc)

La comparaison des e-carnets alimentaires avec les images obtenues gracircce aux cameacuteras a permis de deacuteceler des omissions etou des erreurs dans les informations deacuteclareacutees Tout drsquoabord sur les 18 participants pour lesquels les seacutequences filmeacutees eacutetaient exploitables un seul a correctement noteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires La plupart des individus ont omis drsquoenregistrer au moins un aliment ou une boisson En moyenne le nombre drsquoaliments ou boissons non noteacutes srsquoeacutelegraveve agrave un peu plus de 2 par individu et par jour Toutefois mecircme si la majoriteacute des personnes ne mentionne pas avec exhaustiviteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires les repas principaux sont globalement bien renseigneacutes

Lors du deacutebriefing reacutealiseacute agrave la fin de lrsquoexpeacuterimentation la quasi-totaliteacute des participants a deacuteclareacute ne pas avoir omis drsquoaliments En insistant et en donnant des exemples certains ont alors admis avoir oublieacute par exemple des consommations drsquoeau de cafeacute ou de biscuits

Nous avons identifieacute deux grandes cateacutegories drsquoomissions dans les e-carnets alimentaires des omissions lors des prises hors repas les plus importantes en nombre des omissions drsquoaliments accompagnant les plats Le tableau 2 reacutecapitule le nombre drsquoomissions (laquo cas raquo) de boissons et drsquoaliments identifieacutees parmi les 18 participants

Tableau 2 ndash Nombre total drsquoomissions identifieacutees par types de boissons et drsquoaliments pour lrsquoeacutetude de cas ndegdeg11

Lecture le nombre de cas correspond au nombre total drsquoomissions identifieacutees sur les videacuteos les parenthegraveses donnent le nombre drsquoindividus concerneacutes par ces omissionsSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 43 et 45

Eau 18 cas (9 individus sur 18)Boissons sucreacutees 7 cas (6 individus sur 18)Boissons chaudes et lait 5 cas (4 individus sur 18)

Leacutegumes (ex salade cornichon leacutegumes drsquoaccompagnement etc) 14 cas (9 individus)

Produits sucreacutes 9 cas (8 individus)Biscuits sucreacutes 8 cas (6 individus)Condiments 8 cas (3 individus)Pain-biscottes 7 cas (5 individus)Sauces 7 cas (5 individus)Matiegraveres grasses 6 cas (5 individus)Ultra-frais laitiers 4 cas (4 individus)Fruits 4 cas (4 individus)

Fromage 3 cas (3 individus)Charcuterie 1 cas (1 individu)Sandwich 1 cas (1 individu)Riz 1 cas (1 individu)Viande 1 cas (1 individu)Fruits secs 1 cas (1 individu)Pacirctes 1 cas (1 individu)Pacirctisseries 1 cas (1 individu)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 19

Voici plus en deacutetails les principales omissions repeacutereacutees

bull LrsquoeauLorsque lrsquoeau nrsquoa pas eacuteteacute inscrite dans le e-carnet alimentaire il srsquoagit en majoriteacute de

prises hors repas par ex Jonathan 30 ans boit de lrsquoeau agrave la sortie de son bureau dans la voiture ou encore devant la teacuteleacutevision le dimanche entre deux repas

Une autre cateacutegorie drsquoomission de lrsquoeau dans le e-carnet lrsquooubli systeacutematique est plus rare (1 individu sur 18) Par exemple Claude 50 ans boit de lrsquoeau au moment du petit-deacutejeuner ndash et sucircrement agrave bien drsquoautres occasions ndash mais il nrsquoa inscrit aucune de ces occasions dans le carnet

bull Les boissons sucreacutees et boissons chaudesLrsquoomission de boissons sucreacutees et de boissons chaudes est dans notre

expeacuterimentation uniquement arriveacutee lors de prises hors repas Par exemple Ingrid 31 ans boit du jus drsquoorange avant de commencer agrave preacuteparer le deacutejeuner dans sa cuisine et Virginie 51 ans oublie un cafeacute bu agrave 9h du matin sur son lieu de travail

bull Les leacutegumesIl existe 2 familles drsquoomissions concernant les leacutegumes Celles concernant les produits

utiliseacutes dans la recette drsquoun plat tels que les oignons lrsquoail et les leacutegumes accompagnant des feacuteculents ou drsquoautres aliments Par exemple Eacutelodie 31 ans qui a bien noteacute dans le e-carnet laquo la salade raquo oublie drsquoindiquer les tomates ou encore les leacutegumes qui accompagnent son riz

Le deuxiegraveme type drsquoomissions concerne des leacutegumes consommeacutes en encas par ex Virginie 51 ans mange plusieurs fois dans les 3 jours du concombre en encas La premiegravere fois lrsquoaliment est bien indiqueacute dans le e-carnet les fois suivantes il ne lrsquoest plus

bull Les produits et biscuits sucreacutesLe groupe des produits sucreacutes est constitueacute des confitures des bonbons des chocolats

et du sucre Ces produits et les biscuits sucreacutes sont parfois non deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire lors drsquoune prise hors repas Nadegravege 38 ans omet de noter dans le e-carnet un carreacute de chocolat pris avec son cafeacute apregraves son deacutejeuner vers 14h30 son cafeacute eacutetant bien indiqueacute dans son carnet mais pas le carreacute de chocolat Marvin 28 ans ne deacuteclare pas sa tartine de confiture lors de la prise drsquoun encas Ingrid 31 ans consomme un biscuit sur son lieu de travail Agrave noter que les biscuits sucreacutes ne sont pas deacuteclareacutes surtout lorsqursquoils sont pris hors repas

bull Les condiments sauces et matiegraveres grassesCes cateacutegories de produits sont des ingreacutedients de plats Annexes au plat principal leur

omission est relativement freacutequente Par exemple Christophe 50 ans oublie de mentionner qursquoil ajoute de la beacutearnaise dans son plat Rahma 32 ans oublie la vinaigrette qursquoelle ajoute agrave sa salade

bull Le painPour ce qui est du pain on observe des omissions dans le e-carnet alimentaire agrave

la fois lors de prises hors repas mais eacutegalement au sein du repas Par exemple Marvin 28 ans omet de noter ses tartines et Virginie 51 ans omet drsquoenregistrer le pain lors drsquoun dicircner en famille

bull Les ultra-frais laitiers et les fruitsCes aliments lorsqursquoils ne sont pas deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire sont des

aliments majoritairement pris hors repas Par exemple Jonathan 30 ans mange une

20 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

pomme apregraves avoir cuisineacute agrave 17h On peut aussi identifier des omissions sur des fins de repas Christophe 50 ans nrsquoindique pas dans son e-carnet alimentaire deux yaourts qursquoil consomme juste agrave la fin de son repas Agrave noter qursquoil les consomme apregraves avoir effectueacute sa vaisselle agrave la main debout dans la cuisine et non plus agrave table

Deux grandes cateacutegories drsquoomissions ont donc eacuteteacute identifieacutees dans les e-carnets alimentaires en fonction du moment de la prise les omissions lors drsquooccasions hors repas et les omissions drsquoaliments accompagnant les plats principaux

In fine il ressort de cette eacutetude de cas que la meacutethode de recueil par carnet alimentaire comporte certains eacutecueils du fait mecircme de sa conception lrsquoappel agrave la meacutemoire favorise neacutecessairement lrsquooubli drsquoaliments (de certains types ou agrave certains moments) entraicircnant une meacutesestimation (la plupart du temps une sous-estimation) des comportements alimentaires reacuteels Afin de remeacutedier agrave cet eacutecueil il serait neacutecessaire au moment du brief initial des personnes enquecircteacutees drsquoinsister davantage sur les omissions geacuteneacuteralement commises dans ce type drsquoenquecircte sur les prises hors repas etc Par ailleurs lrsquoobservation par cameacutera ouvre un large champ drsquoinvestigations pour approfondir la question des deacutecalages entre pratiques deacuteclareacutees et pratiques reacuteelles

32 Effet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires

Dans une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs les individus tendent agrave sous-deacuteclarer leurs consommations au fil des jours pheacutenomegravene appeleacute laquo effet de lassitude  raquo Cette deuxiegraveme eacutetude de cas vise agrave mettre en eacutevidence cette sous-deacuteclaration pour certaines cateacutegories de produits

Le changement de meacutethode opeacutereacute entre deux sessions de lrsquoenquecircte INCA reacutealiseacutee par lrsquoAnses (INCA 2 et INCA 3)10 est mis agrave profit pour caracteacuteriser le deacutecalage ducirc au choix de la modaliteacute pour le remplissage des carnets alimentaires Lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) a eacuteteacute reacutealiseacutee par carnets alimentaires de 7 jours conseacutecutifs alors que lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) a eacuteteacute reacutealiseacutee par le biais de trois rappels de 24 heures Dans ce cas chaque personne interrogeacutee devait renseigner ses consommations alimentaires pour trois journeacutees indeacutependantes (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) seacutelectionneacutees sur une peacuteriode de trois semaines Lrsquohypothegravese testeacutee est que lrsquoeffet de lassitude est moindre (voire nul) dans une enquecircte alimentaire par rappel de 24 heures par rapport agrave une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs

Agrave partir de lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) nous avons eacutetudieacute les diffeacuterences de deacuteclaration qui existent entre les 7 journeacutees de remplissage (jour 1 jour 2 hellip jour 7) Dans un second temps nous avons fait de mecircme sur la base de lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) Deux indicateurs ont eacuteteacute utiliseacutes les apports alimentaires (gj) les apports eacutenergeacutetiques (kcalj) La comparaison des moyennes de lrsquoeacutenergie consommeacutee en fonction des jours (jour 1 jour 2 hellip jour n) permet de deacuteterminer si le numeacutero du jour a un impact dans le remplissage du carnet Il en est de mecircme pour la comparaison des taux de consommation de certaines cateacutegories de produits

Il ressort de ces analyses (tableau 3) que dans INCA 2 les apports alimentaires (en gj) et les apports eacutenergeacutetiques (en kcalj) deacutecroissent significativement au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps de maniegravere continue (- 43 gj et - 28 kcalj par journeacutee

10 Ces analyses ont beacuteneacuteficieacute de la contribution de lrsquoAnses pour les traitements des donneacutees drsquoINCA 3

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 21

suppleacutementaire avec des reacutesultats statistiquement significatifs p lt 2e-16 dans les deux cas) Entre le 1er et le 7e jour de consommation la moyenne des apports en grammes de la population adulte acircgeacutee de 18 ans et plus a diminueacute de 10 celle des apports en eacutenergie de 8 En simulant une valeur constante de la moyenne des apports en grammes ou de lrsquoeacutenergie correspondant au jour le laquo mieux raquo rempli soit le 1er jour de consommation la quantiteacute totale sous-estimeacutee srsquoeacutetablirait agrave environ 5 pour les quantiteacutes et 4 pour lrsquoeacutenergie Agrave lrsquoinverse dans le cas drsquoINCA 3 il apparaicirct que les apports alimentaires et les apports eacutenergeacutetiques ne deacutecroissent pas (p = 01431) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps (entre le 1er et le 3e rappel de 24 heures et p lt 2e-16)

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 9711 1 0245 2 0936 8735Jour 2 2 9579 1 0445 2 0635 8764Jour 3 2 9300 1 0009 2 0393 8468Les 3 jours 2 9530 8600 2 0655 7102

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 7216 9328 2 0366 7969Jour 2 2 6737 9582 2 0161 8116Jour 3 2 6227 9934 1 9882 8084Jour 4 2 5888 9811 1 9509 8052Jour 5 2 5381 9762 1 9211 8060Jour 6 2 4944 9418 1 9014 7912Jour 7 2 4623 9551 1 8698 7746Les 7 jours 2 5859 8339 1 9549 6302

Tableau 3 - Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) et apport eacutenergeacutetique moyen par jour (kcalj) pour chaque journeacutee de consommation (enquecirctes INCA 22 et INCA 33)

Enquecircte INCA 2 (2006-2007)

Enquecircte INCA 3 (2014-2015)

Source Anses Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) et INCA 3 (calculs Anses) rapport final de lrsquoeacutetude page 52

On notera que les eacutecarts entre les apports en grammes entre les enquecirctes INCA 2 et INCA 3 sont principalement dus agrave des diffeacuterences meacutethodologiques

Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 qui utilise une meacutethode par carnet alimentaire avec un recueil des consommations sur 7 jours conseacutecutifs Cet effet est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 avec une meacutethodologie par rappel de 24 heures

Par ailleurs des analyses par cateacutegories alimentaires ont eacuteteacute conduites Elles montrent que dans lrsquoenquecircte INCA 2 un nombre important de ces cateacutegories sont de moins en moins deacuteclareacutees (indicateur gj plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 + szlig1 numeacutero du jour + ɛ) (tableau 4)

Tableau 4 ndash Cateacutegories alimentaires pour lesquelles la baisse des deacuteclarations est significative

Avec plt0001 Avec plt001

Pain et panification segraveche Pommes de terre et apparenteacutes Viande

Eaux Margarine Autres boissons chaudes

Huile Ultra-frais laitiers Soupes et bouillons

Condiments et sauces Boissons fraicircches sans alcool

Sucres et deacuteriveacutes Leacutegumes

Pacirctes

Fromages

Source auteurs rapport final de lrsquoeacutetude page 56

22 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Pour INCA 2 le tableau 5 preacutesente les reacutesultats obtenus pour les quantiteacutes moyennes consommeacutees par jour par groupe alimentaire et pour chaque journeacutee

Dans le cas de lrsquoenquecircte INCA 3 (tableau 6) seulement 2 groupes alimentaires sont de moins en moins deacuteclareacutes (indicateur gjour plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire   apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 +szlig1 numeacutero du jour + ɛ) Il srsquoagit des cateacutegories suivantes pain et panification segraveche raffineacutes plats agrave base de poisson

Un effet de lassitude est donc bien observeacute chez les reacutepondants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 et ce pour de nombreuses cateacutegories drsquoaliments Il est en revanche absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 excepteacute pour le groupe laquo pain et panification segraveche raffineacutes raquo et laquo plats agrave base de poisson  raquo Aucune surdeacuteclaration nrsquoapparaicirct significative

Cet effet de lassitude a ensuite eacuteteacute testeacute selon plusieurs critegraveres (sexe acircge diplocircme indice de masse corporelle - IMC) En voici les principaux reacutesultats et enseignements

bull Selon le sexeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavanceacutee de

lrsquoenquecircte autant chez les hommes (- 42 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) que chez les femmes (- 45 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit le sexe

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les hommes ou chez les femmes Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les hommes et chez les femmes   il est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque sexe

bull Selon lrsquoacircgeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte dans les 3 tranches drsquoacircge suivantes - 18-34 ans -60 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 35-54 ans -48 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 55-79 ans -23 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit lrsquoacircge Il est agrave noter qursquoil est plus important chez les plus jeunes (- 60 gj par journeacutee de remplissage chez les 18-34 ans contre - 48 gj chez les 35-54 ans et - 23 gj chez les 55-79 ans)

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les 18-34 ans 35-54 ans ou 55-79 ans Lrsquoeffet de lassitude est absent sur les apports en grammes quel que soit lrsquoacircge

En conclusion un effet de lassitude est observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les 18-34 ans 35-54 ans et 55-79 ans Il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque tranche drsquoacircge

bull Selon le niveau drsquoeacuteducationDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au baccalaureacuteat et chez ceux qui ont au moins le niveau du baccalaureacuteat

- niveau infeacuterieur au Bac - 38 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - niveau eacutegal ou supeacuterieur au Bac - 49 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les deux populations eacutetudieacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 23

Jour 1 Jour 2 Jour 3 Jour 4 Jour 5 Jour 6 Jour 7 (D7-D1)D1

1 Pain et panification segraveche 1088 1042 1014 988 956 959 936 - 140

2 Ceacutereacuteales pour petit deacutejeuner 46 47 41 39 41 42 42 - 87

3 Pacirctes 407 368 382 334 334 329 318 - 219

4 Riz et bleacute dur ou concasseacute 248 219 214 221 214 213 218 - 121

5 Autres ceacutereacuteales 05 05 07 07 03 05 05 00

6 Viennoiserie 108 105 110 114 104 120 115 65

7 Biscuits sucreacutes ou saleacutes et barres 82 88 86 81 80 76 70 - 146

8 Pacirctisseries et gacircteaux 315 345 388 359 365 352 331 51

9 Lait 797 785 760 740 768 747 743 - 68

10 Ultra-frais laitier 878 802 807 759 777 758 771 - 122

11 Fromages 322 313 311 306 292 289 283 - 121

12 Œufs et deacuteriveacutes 128 138 135 142 127 148 143 117

13 Beurre 108 101 100 95 97 98 99 - 83

14 Huile 108 98 94 89 86 86 88 - 185

15 Margarine 44 44 42 39 37 36 38 - 136

16 Autres graisses 01 01 01 01 01 01 01 00

17 Viande 509 482 473 413 426 447 466 - 84

18 Volaille et gibier 29 293 274 273 291 289 273 - 59

19 Abats 23 28 25 31 25 27 25 87

20 Charcuterie 342 321 318 310 330 318 295 - 137

21 Poissons 246 250 240 264 238 250 243 - 12

22 Crustaceacutes et mollusques 35 40 41 41 43 40 48 371

23 Leacutegumes (hors pommes de terre) 1312 1320 1292 1273 1203 1233 1232 - 61

24 Pommes de terre et apparenteacutes 589 556 523 551 540 498 483 - 180

25 Leacutegumes secs 95 66 79 101 94 93 95 00

26 Fruits 1339 1348 1290 1336 1284 1253 1299 - 30

27 Fruits secs et graines oleacuteagineuses 25 23 29 22 27 22 24 - 40

28 Glaces et desserts glaceacutes 67 61 71 80 74 77 71 60

29 Chocolat 53 58 54 50 50 49 47 - 113

30 Sucres et deacuteriveacutes 204 193 188 185 176 177 174 - 147

31 Eaux 8165 8024 785 7754 7566 7262 7143 - 125

32 Boissons fraicircches sans alcool 1343 1302 1258 1203 1205 1177 1132 - 157

33 Boissons alcooliseacutees 1249 1203 1255 1231 1259 1175 1162 - 70

34 Cafeacute 2717 2729 2687 2653 2577 2604 2570 - 54

35 Autres boissons chaudes 1432 1334 1327 1269 1233 1276 1238 - 135

36 Pizzas quiches et pacirctisseries saleacutees 214 236 237 225 231 190 246 150

37 Sandwichs casse-croucircte 132 164 152 154 160 177 154 167

38 Soupes et bouillons 918 904 852 854 844 822 815 - 112

39 Plats composeacutes 631 694 675 738 686 701 671 63

40 Entremets cregravemes desserts et laits geacutelifieacutes 245 249 234 237 235 199 228 - 69

41 Compotes et fruits cuits 136 147 123 138 118 139 122 - 103

42 Condiments et sauces 195 181 166 169 158 164 153 - 215

43 Aliments destineacutes agrave une alimentation particuliegravere 20 23 18 18 22 25 13 - 350

TOTAL 27216 26737 26227 25888 25381 24944 24623 - 95

Tableau 5 ndash QQuantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 22 ( (20062006--20072007 journeacutees journeacutees 11 agrave agrave 77)) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) rapport final de lrsquoeacutetude page 56

24 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 ndash Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 33 ((20142014--20152015 journeacutees 11 agrave 33) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 3 (calculs ANSES) rapport final de lrsquoeacutetude page 57

Jour 1 (1er rappel) Jour 2 (2e rappel) Jour 3 (3e rappel) (D3-D1)D1

1enspPain et panification segraveche raffineacutes 1098 1015 991 - 97

2ensp Pain et panification segraveche complets ou semi-complets 83 77 72 - 129

3ensp Ceacutereacuteales pour petit-deacutejeuner et barres ceacutereacutealiegraveres 45 49 45 01

4ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales raffineacutees 553 554 567 25

5ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales complegravetes et semi-complegravetes 22 21 23 32

6ensp Viennoiseries pacirctisseries gacircteaux et biscuits sucreacutes 576 553 558 - 32

7enspLaits 702 742 651 - 72

8enspYaourts et fromages blancs 840 770 790 - 60

9enspFromages 325 328 325 - 02

10enspEntremets et cregravemes desserts 164 159 181 104

11enspGlaces desserts glaceacutes et sorbets 53 55 55 40

12enspMatiegraveres grasses animales 93 88 87 - 63

13enspMatiegraveres grasses veacutegeacutetales 82 79 81 - 09

14enspŒufs et plats agrave base drsquoœufs 139 136 145 44

15enspViandes (hors volailles) 431 438 434 08

16enspVolailles 254 256 261 28

17enspCharcuterie 272 273 263 - 36

18enspPoissons 227 244 261 150

19enspCrustaceacutes et mollusques 32 33 39 225

20enspAbats 26 25 28 83

21enspLeacutegumes 1455 1449 1430 - 17

22enspLeacutegumineuses 71 53 63 - 107

23enspPommes de terre et autres tubercules 424 415 439 33

24enspFruits frais et secs 1455 1403 1434 - 15

25enspCompotes et fruits au sirop 154 155 166 81

26enspNoix graines et fruits oleacuteagineux 41 35 37 - 97

27enspConfiserie et chocolat 90 87 78 - 140

28enspSucre et matiegraveres sucrantes 206 199 208 06

29enspEaux embouteilleacutees 3918 4014 4004 22

30enspEau du robinet 4787 4869 4923 28

31ensp Boissons rafraicircchissantes sans alc ool (BRSA) 934 894 794 - 149

32enspJus de fruits et de leacutegumes 637 625 599 - 61

33enspBoissons alcooliseacutees 1346 1433 1399 40

34enspBoissons chaudes 5341 5186 5076 - 50

35enspSoupes et bouillons 1079 1108 989 - 83

36 Plats agrave base de viandes 135 134 127 - 59

37enspPlats agrave base de poissons 100 72 62 - 379

38enspPlats agrave base de leacutegumes 245 196 272 108

39ensp Plats agrave base de pommes de terre ceacutereacuteales ou leacutegumineuses 425 457 475 118

40ensp Sandwich pizzas tartes pacirctisseries et biscuits saleacutes 555 589 567 22

41ensp Condiments herbes eacutepices et sauces 240 243 233 - 27

42ensp Substituts de produits animaux agrave base de soja et autres veacutegeacutetaux 52 62 66 272

43enspPlats preacutepareacutes et desserts infantiles 03 04 02 - 197

TOTAL 29711 29579 29300 - 14

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 25

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac Il diminue de maniegravere significative avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont au moins le Bac (- 39 gj par journeacutee suppleacutementaire plt005)

En conclusion un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac comme chez ceux ayant au moins le Bac Il est eacutegalement observeacute en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA  3 chez les individus qui ont au moins le Bac

bull Selon lrsquoindice de masse corporelle

Dans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez les individus quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC en 4 tranches)

- individus maigres - 46 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt001) - individus normopondeacuteraux - 45 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus en surpoids - 40 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus obegraveses - 42 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les quatre sous-populations eacutetudieacutees

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte et ce quelle que soit la classe drsquoIMC des reacutepondants Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus quel que soit leur IMC il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour les quatre classes drsquoIMC

En bref cette eacutetude permet de preacuteciser les enseignements de la revue de litteacuterature quant agrave lrsquoeffet de meacutethodes de collecte de donneacutees (par recueil sur 7 jours conseacutecutifs ou par rappel de 24 heures) sur les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle en documentant et estimant lrsquoeffet de la lassitude dans le premier cas dans le cadre des eacutetudes INCA Un enregistrement de la consommation alimentaire chez les adultes sur 7 jours conseacutecutifs amegravene agrave une sous-estimation (dans le cas drsquoINCA 2) drsquoenviron 5 des quantiteacutes

Afin drsquoestimer la quantiteacute theacuteorique moyenne drsquoaliments pour laquelle il nrsquoy aurait plus drsquoeffet de lassitude nous proposons les coefficients correcteurs suivants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA  2 coef = [ max (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7) x 7 ] somme (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7)

Avec plt0001 - Pain et panification segraveche 1091- Eaux 1063- Huile 1165- Condiments et sauces 1151- Sucres et deacuteriveacutes 1101- Pacirctes 1153- Fromages 1065- Pommes de terre et apparenteacutes 1102- Margarine 1100- Ultra-frais laitiers 1107- Boissons fraicircches sans alcool 1091- Leacutegumes 1042

Avec plt001 - Viande 1108- Autres boissons chaudes 1100- Soupes et bouillons 1069

26 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

En multipliant les apports moyens par ces coefficients nous faisons comme srsquoil nrsquoy avait plus drsquoeffet de lassitude Lrsquoutilisation de ces coefficients nrsquoest pas conseilleacutee pour de futures enquecirctes sur 7 jours en effet les meacutethodes de recueil des consommations alimentaires eacutevoluent et les valeurs des coefficients ne peuvent pas ecirctre meacutecaniquement reacuteutiliseacutees La deacutemarche utiliseacutee permet drsquoestimer lrsquoampleur de la lassitude dans drsquoautres enquecirctes agrave la meacutethodologie voisine Elle a lrsquointeacuterecirct drsquoestimer la laquo perte raquo occasionneacutee agrave un instant t du fait de la lassitude des sujets mettant en exergue les cateacutegories drsquoaliments pour lesquelles elle est la plus forte On y retrouve les boissons les sauces et condiments et certains types de leacutegumes des cateacutegories que nous avions deacutejagrave identifieacutees comme eacutetant plus souvent laquo omises raquo (cf eacutetude de cas ndeg1)

Sur lrsquoensemble des groupes de produits alimentaires eacutetudieacutes ce coefficient est de 105 ce qui signifie que les apports moyens sont laquo au moins raquo de 5 au-dessus de ce qui est deacuteclareacute Cet eacutecart nrsquoest pas aussi eacuteleveacute que nous lrsquoimaginions au deacutepart Les meacutethodes par carnets alimentaires sur plusieurs jours conseacutecutifs restent ainsi des meacutethodes relativement fiables

Lrsquoidentification des cateacutegories les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait aider agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles speacutecifiques compleacutementaires de celles existant deacutejagrave afin de reacuteduire autant que possible le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

33 Eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

Dans cette troisiegraveme eacutetude de cas nous cherchons les correacutelations entre discours sur les reacuteseaux sociaux (donneacutees Talkwalker) et actes drsquoachat en grande distribution (donneacutees RelevanC-groupe Casino) Lrsquoanalyse reacutevegravele les eacutecarts entre ces deux types de donneacutees et compare leurs eacutevolutions dans le temps Deux cateacutegories de produits ont eacuteteacute choisies pour illustrer ces eacutecarts la viande et les aliments issus de lrsquoagriculture biologique La meacutethode utiliseacutee est drsquoabord preacutesenteacutee (331) puis les reacutesultats sont deacutetailleacutes (332)

331 Une meacutethode mobilisant des donneacutees sur les reacuteseaux sociaux et sur les achats en grande distribution

Les opinions eacutemises agrave propos des conduites alimentaires sont influenceacutees par divers facteurs notamment les normes sociales de plus en plus exprimeacutees et porteacutees par les meacutedias qui jouent un rocircle deacuteterminant dans la structuration de lrsquoespace mental des acheteurs Il peut srsquoagir de meacutedias traditionnels (journaux magazines teacuteleacutevision radio etc) ou de plus en plus souvent des reacuteseaux sociaux numeacuteriques La meacutethode deacuteveloppeacutee dans cette troisiegraveme eacutetude de cas vise agrave analyser sur un pas de temps court (quelques mois) les relations entre laquo bruit meacutediatique raquo et achats en grande distribution Un pic meacutediatique agrave un temps t sur un sujet donneacute et consideacutereacute comme influenccedilant potentiellement les opinions des consommateurs va-t-il se traduire par une eacutevolution (hausse baisse) des achats des produits pouvant ecirctre concerneacutes par ces informations Et ce agrave quel pas de temps et avec quelle ampleur

Cette meacutethode innovante avait deux objectifs Le premier eacutetait de mettre en eacutevidence drsquoeacuteventuelles correacutelations statistiques entre les comportements drsquoachats drsquoune part et les discours meacutediatiques et deacutebats sur les reacuteseaux sociaux drsquoautre part Nous soulignons ici que les correacutelations statistiques eacutetablissent des liens entre deux variables sans eacutemettre

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 27

drsquohypothegravese de relations de cause agrave effet Il srsquoagissait eacutegalement si de telles correacutelations sont aveacutereacutees de voir srsquoil existe un deacutecalage entre deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoalimentation (capteacutes via lrsquoactiviteacute sur les reacuteseaux sociaux) et les comportements des mangeurs

Pour ce faire deux theacutematiques ont eacuteteacute eacutetudieacutees celle de la viande (associeacutee aux thegravemes du veacuteganisme et du flexitarisme) et celle des produits biologiques Plusieurs types de donneacutees ont eacuteteacute mobiliseacutes

- Drsquoune part des donneacutees meacutediatiques ont eacuteteacute obtenues par requecirctes adapteacutees aux sujets eacutetudieacutes et adresseacutees par lrsquooutil Talkwalker Cet outil collecte trois paramegravetres (mentions audiences engagements) sur 150 millions de sites Internet et une dizaine de reacuteseaux sociaux Les laquo mentions raquo correspondent au nombre drsquoarticles pour un meacutedia ou au nombre de tweets et de partages sur les reacuteseaux sociaux Les laquo audiences raquo sont le nombre theacuteorique de personnes toucheacutees par une mention Lrsquoaudience est mesureacutee agrave partir du nombre drsquoabonneacutes agrave un meacutedia ou un compte Twitter Il ne srsquoagit pas du nombre de lecteurs reacuteels drsquoun message car les outils ne permettent pas drsquoavoir cette donneacutee mais du nombre potentiel de personnes exposeacutees agrave un message Les laquo engagements raquo reprennent le nombre de personnes qui ont interagi avec un contenu en ligne Un engagement correspond au fait drsquoaimer de partager ou de cliquer sur un message Crsquoest une mesure de la reacuteaction des membres des reacuteseaux sociaux agrave un message

Ainsi un message peut ecirctre posteacute par un meacutedia agrave tregraves forte audience mais ne geacuteneacuterer aucun engagement Inversement un message eacutemis par un acteur agrave faible audience peut se diffuser tregraves largement par viraliteacute Le nombre drsquoengagements permet de mesurer cette viraliteacute Il est important de souligner ici que le bruit meacutediatique analyseacute via les reacuteseaux sociaux est loin drsquoecirctre repreacutesentatif de lrsquoactiviteacute meacutediatique geacuteneacuterale et de lrsquoopinion de la population franccedilaise Il ne srsquoagit en effet que de lrsquoopinion des socionautes actifs sur ces reacuteseaux Toutefois par souci de simplification nous y ferons reacutefeacuterence dans la suite de cet article en parlant de laquo lrsquoopinion du grand public  raquo par distinction avec les laquo journalistes raquo et les laquo militants raquo

- Drsquoautre part des donneacutees drsquoachats en grande distribution issues de RelevanC (groupe Casino) ont eacuteteacute utiliseacutees Elles couvrent les achats des clients des enseignes du groupe Casino De maniegravere geacuteneacuterale il convient de rappeler que si les donneacutees issues directement des distributeurs sont pertinentes car mesurant reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles ne couvrent que certains circuits notamment la grande distribution Cette derniegravere repreacutesente 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les donneacutees de lrsquoInsee pour les comptes du commerce de 2017) et les deacutepenses prises en compte dans cette eacutetude de cas ne comprennent pas les prises de repas hors foyer

La peacuteriode mai 2017-mai 2019 a eacuteteacute eacutetudieacutee Des modegraveles eacuteconomeacutetriques ont eacuteteacute utiliseacutes pour mettre en eacutevidence les impacts avec effets retard des donneacutees des diffusions meacutediatiques sur des indicateurs de comportements drsquoachats (actes drsquoachats) Les donneacutees meacutediatiques correspondent agrave des releveacutes journaliers Le pas de temps des donneacutees drsquoachat est hebdomadaire

Pour eacutetablir les relations entre variables la correacutelation a eacuteteacute mesureacutee entre notre variable drsquointeacuterecirct agrave la date t (yt les achats de produits) et les variables explicatives agrave diffeacuterentes dates xt+k (les audiences mentions ou engagements) ougrave k=[minus101] Nous avons calculeacute des correacutelations simples (modegravele de reacutegression lineacuteaire) entre diffeacuterents pas de temps Pour tester la significativiteacute de la correacutelation lineacuteaire nous avons utiliseacute le test de Student

28 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Afin drsquoanalyser nos deux sujets meacutediatiques les requecirctes suivantes ont eacuteteacute effectueacutees agrave lrsquoaide de lrsquooutil Talkwalker

VeganFlexi - Grand Public (vegetar OR vegan OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima) OR abattoir OR flexitari OR speacutecis OR carnis) AND engagementgt10VeganFlexi medias titleveacutegeacutetari OR titlevegan OR titleraquoflexitariraquoViande - Grand Public viande AND engagementgt10Viande medias titleviande AND (consommat OR sante OR environnement OR reacuteduire OR laquosans vianderaquo OR laquomoins de vianderaquo OR cancer OR vegan OR flexitari OR vegetari OR veacutegeacutetal)Militants vegan (authordescriptionveacutegeacutetari OR authordescriptionvegan OR authordescriptionflexitari OR authordescriptionviande OR authordescriptionspeacutecis) AND (vegetar OR vegan OR abattoir OR viande OR flexitari OR speacutecis OR carni OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima)) AND engagementgt10 AND twitter_followersgt1000Exclusion de beauteacute OR cosmeacutetique OR hygiene OR textile OR coton OR horloge OR agriculteur OR agricultrice OR ferme OR coope OR maraicher OR paysan OR semence OR subvention OR potager OR emploi OR sponsor OR titlerappelAlimentation bio Meacutedias (titlebio OR titlebiologique) AND (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter ) Alimentation bio Grand Public ((bio OR biologique) NEAR4 (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter )) AND engagementgt10

Trois cateacutegories drsquoeacutemetteurs de discours numeacuteriques ont eacuteteacute retenues les journalistes (via les publications des meacutedias dit traditionnels sur Internet) le laquo grand public raquo (ie lrsquoensemble des socionautes) les militants (groupe adapteacute selon chaque theacutematique)

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-dessous (332) sont un preacutealable agrave lrsquoanalyse des eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution On y deacutecrit les trois meacutetriques (mentions audiences engagements) qui ont eacuteteacute mesureacutees sur les reacuteseaux sociaux pour les meacutedias dits laquo traditionnels raquo le laquo grand public raquo et les militants sur les theacutematiques laquo vegan flexitarisme raquo et laquo viande raquo drsquoune part et laquo bio raquo drsquoautre part Les principaux enseignements tireacutes sur lrsquoinfluence de ces activiteacutes numeacuteriques sur les actes drsquoachat sont eacutegalement preacutesenteacutes Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude pour en savoir plus sur les donneacutees la meacutethode et les reacutesultats complets notamment les correacutelations entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

332 Eacutecarts constateacutes sur les theacutematiques de la laquo viande raquo et des laquo produits biologiques raquo

Le cas de la viande a eacuteteacute analyseacute en lien avec les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme  raquo lesquels sont associeacutes sur la peacuteriode eacutetudieacutee agrave une activiteacute importante sur les reacuteseaux sociaux Dans un premier temps cette activiteacute est reconstitueacutee puis les reacutesultats des analyses cherchant agrave eacutetablir des correacutelations entre cette activiteacute et les achats de viande sont preacutesenteacutes

Les graphiques suivants preacutesentent lrsquoeacutevolution du volume de mentions sur ces theacutematiques venant de publics non identifieacutes comme militants (graphique 1) et de publics militants (graphique 2) Les principaux eacuteveacutenements suscitant ces publications sont indiqueacutes dans chaque figure

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 29

Graphique 1 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee pour lrsquoensemble des publics hors militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

On voit qursquoun sujet (veganisme flexitarisme) qui geacutenegravere beaucoup de mentions chez les journalistes (laquo meacutedias traditionnels raquo) nrsquoest pas preacutedictif de lrsquointeacuterecirct des socionautes (laquo grand public  raquo) Chez ces derniers il est difficile de relier des pics drsquoactiviteacute sur le sujet du flexitarisme agrave des eacuteveacutenements preacutecis il semble donc que ce sujet soit maintenu dans lrsquoactualiteacute plus par la volonteacute des journalistes que par des eacuteveacutenements exteacuterieurs

Lrsquoactiviteacute des militants sur les reacuteseaux sociaux est tregraves lieacutee aux actions ou actualiteacutes de leur communauteacute Il srsquoagit drsquoune communauteacute dynamique plus reacuteactive aux mentions des meacutedias que le grand public la correacutelation est de 02 entre les indicateurs des mentions par les meacutedias traditionnels et de lrsquoengagement des militants Cependant ce coefficient reste faible et lrsquoanalyse drsquoeacuteveacutenements geacuteneacuterant de lrsquoactiviteacute chez les militants montre qursquoils sont engageacutes avant tout aupregraves de leur communauteacute

Graphique 2 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee chez les militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

30 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Ainsi sur les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme raquo on observe trois grands types drsquoactiviteacutes sur les reacuteseaux sociaux et dans les meacutedias en ligne

- une communauteacute veacutegane minoritaire mais tregraves active qui parle essentiellement de sujets preacuteoccupant les veacuteganes

- des meacutedias qui maintiennent une forte activiteacute sur ce sujet avec des discours alternant le positif (laquo le flexitarisme serait un reacutegime drsquoavenir raquo) et la couverture drsquoactions radicales de certains militants toutefois cette activiteacute meacutediatique engage peu les socionautes sauf sur les sujets neacutegatifs

- le grand public reacuteagit majoritairement aux actualiteacutes neacutegatives sur ces sujets avec un niveau drsquoengagement 100 fois plus eacuteleveacute et qui nrsquoest pas dans un discours drsquoadheacutesion ni de proseacutelytisme sur ces sujets Il y a donc clairement une fracture entre les discours des meacutedias traditionnels et des socionautes du grand public

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le

sujet laquo veganflexitarisme raquo et les comportements drsquoachat de viande en grande distribution apparaicirct dans le tableau 7 Lorsque la consommation augmente on observe que le nombre de tweets mentionneacutes par les meacutedias (sur le sujet laquo veganflexitarisme raquo) augmentait 11 agrave 14 semaines plus tocirct Dit autrement la reacuteponse agrave une augmentation du nombre de tweets sur la consommation se fait sentir 11 agrave 14 semaines plus tard de faccedilon positive (si le nombre de tweets augmente la consommation augmente ou inversement) On voit bien lagrave lrsquoeffet des laquo opeacuterateurs retard raquo11 des tweets sur la consommation

11 Dans lrsquoanalyse des seacuteries temporelles lrsquoopeacuterateur retard associe agrave tout eacuteleacutement lrsquoobservation preacuteceacutedente

Tableau 7 - Correacutelations entre les achats totaux de viandes et les opinions sur le terme laquo vegan raquo

Lecture le test est significatif au seuil de 5 le test est significatif au seuil de 1 Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 75

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 31

Les donneacutees RelevanC fournissent le total des actes drsquoachat de viande Elles montrent lrsquoinfluence potentielle du discours produit autour des thegravemes laquo veganflexitarisme raquo sur les actes drsquoachat de viande Les correacutelations entre les opinions des meacutedias et ces actes drsquoachat dans les enseignes du groupe Casino sont positives entre 11 et 14 semaines plus tard (p=0218 agrave 0259) Les opinions des veacutegans ont eacuteteacute fortement deacutebattues et contrecarreacutees par des reacuteactions des bouchers et eacuteleveurs Ce deacutebat semble avoir eacuteteacute plutocirct favorable aux achats de viande

Apregraves la viande notre protocole drsquoeacutetude a eacuteteacute appliqueacute aux produits biologiques La preacutesence de ces produits dans lrsquoalimentation est tregraves deacutebattue dans les meacutedias traditionnels avec en moyenne 325 mentions en ligne par semaine Cette freacutequence eacuteleveacutee ne faiblit que durant la semaine du 15 aoucirct avec un minimum de 125 mentions cela est lieacute agrave la peacuteriode de vacances et agrave la faible activiteacute meacutediatique geacuteneacuterale Le graphique 3 montre les pics drsquoactiviteacute meacutediatique et le niveau drsquoengagement des socionautes par rapport agrave ces actualiteacutes

Graphique 3 - Activiteacute meacutediatique documenteacutee agrave partir des verbatims relatifs aux aliments biologiques (tweets posts commentaires etc)

Source Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 65

Fin aoucirct 2017 - Article de Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur le bio Mi-octobre 2017 - Article du journal Le Parisien intituleacute laquo Lrsquoagriculture bio peut-elle nourrir le monde raquo

Mi-novembre 2017 - Eacutetude publieacutee dans Nature montrant que lrsquoagriculture biologique pourrait nourrir la planegravete Mi-mars 2018 - 60 millions de consommateurs analyse des produits biologiques et deacutenonce des preacutesences de reacutesidus et contaminants

Mi-avril 2018 - Vote agrave lrsquoAssembleacutee nationale pour lrsquointroduction dans la restauration collective publique drsquoun seuil drsquoau moins 50 de produits biologiques ou eacutecologiques en 2022 Mi-juin 2018 - Les seacutenateurs votent agrave leur tour pour les 20 de produits biologiques agrave la cantine quasiment agrave lrsquounanimiteacute Fin octobre 2018 - Un article dans la revue JAMA montre que les mangeurs de produits biologiques preacutesentent - 25 de risque de cancer Deacutebut 2019 - Deacutebut de la campagne sur la preacutesence de glyphosate dans les urines

3

4

5

6 7

8

1

2

De faccedilon globale il apparait que ce qui engage les citoyens actifs sur les reacuteseaux sociaux ce sont les sujets qui les touchent directement dans leur vie quotidienne Nous pouvons agrave partir des donneacutees analyseacutees faire les deux hypothegraveses suivantes

- une partie (minoritaire) des socionautes est engageacutee et partage toutes les informations touchant au bio ce qui geacutenegravere une activiteacute de base sur lrsquoagriculture biologique

- la majoriteacute des socionautes reacuteagit essentiellement lors drsquoactualiteacutes qui les touchent directement dans leur quotidien soit sur le plan eacuteconomique soit sur le plan de leur santeacute

Lecture les eacutechelles diffeacuterencieacutees correspondent au nombre de mentions meacutedias agrave gauche et au nombre drsquoengagements grand public agrave droite

32 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le sujet laquo bio raquo et les comportements drsquoachat est preacutesenteacutee dans le tableau 8 pour le cas des œufs biologiques en grande distribution (Casino) Les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques ont diminueacute jusqursquoagrave la fin 2017 pour augmenter tendanciellement ensuite La tendance nrsquoeacutetant pas lineacuteaire le modegravele est appliqueacute sur la part du nombre laquo drsquoactes bio raquo Les correacutelations positives sont tregraves nombreuses sur ce produit celles entre meacutedias traditionnels et opinions du grand public drsquoabord et parts drsquoactes en bio ensuite sont significatives jusqursquoagrave 14 semaines apregraves les diffusions meacutediatiques Les messages sur lrsquoalimentation biologique sont positivement correacuteleacutes avec les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques de la date drsquoeacutemission du message meacutediatique initial jusqursquoagrave 14 semaines apregraves

Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 70

Tableau 8 - Correacutelations entre les parts drsquoactes drsquoœufs bio (en t0) et les opinions sur le terme laquo bio raquo

Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude qui approfondit la question des correacutelations entre les opinions issues des meacutedias traditionnels et les consommations de plusieurs produits de lrsquoagriculture biologique (fruits et leacutegumes viande produits de la mer œufs beurre lait et yaourts)

En conclusion de cette eacutetude des rapports entre bruit numeacuterique et conduites alimentaires on peut dire que pour la viande analyseacutee en lien avec le veacuteganisme et le flexitarisme aucune correacutelation nrsquoest observeacutee entre les messages des meacutedias traditionnels et ceux du laquo grand public raquo Les opinions exprimeacutees par le grand public nrsquoeacutevoluent pas en fonction de celles exprimeacutees par les meacutedias alors que ces derniers maintiennent une activiteacute importante sur le sujet Seuls les sujets remettant en cause le veacuteganisme suscitent un engagement important Comme il apparaicirct que le grand public nrsquoadhegravere pas aux arguments des communauteacutes veacuteganes les consommateurs ont plutocirct tendance agrave consommer plus de viande quand les deacutebats meacutediatiques sur ce sujet augmentent Il srsquoagit bien drsquoune correacutelation aucun lien de causaliteacute nrsquoayant eacuteteacute deacutemontreacute ici

Deacutecalagedans letemps

Meacutediasmentions

Meacutediasengagement

Grandpublic

mentions

Grandpublic

engage-ment

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 33

Par ailleurs lrsquoanalyse sur le thegraveme de lrsquoalimentation biologique indique que celle-ci est globalement perccedilue de faccedilon positive De plus les sujets meacutediatiques et les discussions sur les reacuteseaux sociaux les plus susceptibles de geacuteneacuterer des activiteacutes importantes sont ceux touchant agrave la santeacute Toutefois le grand public ne relaye qursquoun tiers de ce qursquoeacutemettent les meacutedias Les impacts des messages meacutediatiques positifs tels que les discours sur le lien entre consommation de produits biologiques et baisse des risques de cancers sont significatifs (par correacutelation) sur les achats de produits tels que les œufs les produits laitiers et les fruits et leacutegumes bio Le marcheacute des produits biologiques semble donc soutenu partiellement par les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public Les opinions du grand public sur le bio sont correacuteleacutees positivement avec les ventes de produits biologiques mais avec des deacutecalages de quelques semaines Ce nrsquoest pas le cas pour les produits carneacutes

Pour aller plus loin avec des donneacutees sur une peacuteriode plus importante il faudrait calculer des effets de long terme par des modegraveles autoreacutegressifs et ainsi reacutepondre agrave la question drsquoun impact peacuterenne des prises de position et analyses veacutehiculeacutees par les meacutedias

4 Recommandations

Les reacutesultats obtenus au travers de nos trois protocoles drsquoeacutetude permettent de formuler deux types de recommandations Les premiegraveres portent sur des correctifs meacutethodologiques pour lrsquoobtention de donneacutees alimentaires visant agrave reacuteduire les eacutecarts entre comportements deacuteclareacutes et ceux ensuite reacuteellement constateacutes Les secondes sont de porteacutee plus geacuteneacuterale et concernent notamment lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires

41 Correctifs meacutethodologiques

Le comportement reacuteel drsquoingestion alimentaire est difficile agrave mesurer de faccedilon objective Il est encore plus difficile de le deacuteduire des deacuteclarations des mangeurs Il est bien eacutetabli que leurs opinions motivations et croyances ne preacutedisent pas leurs actions et en particulier les comportements alimentaires La formation la diffusion lrsquoadoption de normes et de croyances relegravevent de meacutecanismes tregraves diffeacuterents de ceux qui commandent les prises alimentaires quotidiennes Le deacutecalage opinioncomportement appelle donc agrave la prudence dans lrsquointerpreacutetation des enquecirctes drsquoopinions

Mecircme en utilisant un instrument drsquoenquecircte valideacute les individus interrogeacutes ont tendance agrave meacutesestimer leur consommation reacuteelle en quantiteacute comme en qualiteacute Diverses strateacutegies pour ameacuteliorer la fiabiliteacute des deacuteclarations ou le traitement des donneacutees obtenues sont ainsi preacuteconiseacutees dans la litteacuterature scientifique Retenons notamment que plusieurs experts et organismes dont le Center for Disease Control ameacutericain (Hu et Willett 2018) preacuteconisent lrsquoutilisation de biomarqueurs approprieacutes (indicateurs objectifs de la consommation) pour valider les donneacutees obtenues par enquecircte Des biomarqueurs existent pour divers aspects des apports nutritionnels eacutenergie totale (par la meacutethode de lrsquoeau doublement marqueacutee - EDM) mesure de calorimeacutetrie indirecte permettant de deacuteterminer la deacutepense eacutenergeacutetique totale dans les conditions habituelles de vie protides (excreacutetion urinaire de nitrogegravene) fruitsleacutegumes (concentration sanguine de caroteacutenoiumldes) Mais ce nrsquoest pas le cas pour des aliments particuliers ou pour la qualiteacute de lrsquoalimentation (Pfeiffer et al 2013 Prentice et al 2009) La mesure de tels biomarqueurs est coucircteuse elle demande la collaboration des participants et

34 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

peut ecirctre difficile agrave mettre en œuvre dans de larges populations La recherche continue pour des biomarqueurs plus simples agrave utiliser moins oneacutereux et peu invasifs Rappelons toutefois que le laquo biais drsquoobservation raquo et le laquo biais de recrutement raquo affectent aussi les comportements eacutetudieacutes avec ces meacutethodes objectives

Autre piste la comparaison de deacuteclarations et de donneacutees biomeacutetriques (mesure de la deacutepense eacutenergeacutetique par la meacutethode de lrsquoEDM) permet de quantifier lrsquoerreur associeacutee agrave lrsquoauto-deacuteclaration en termes drsquoapports eacutenergeacutetiques et eacuteventuellement de recalibrer les donneacutees au moyen drsquoun ajustement statistique (Data Science Campus 2018) Puisque lrsquoerreur de mesure varie en fonction de la population observeacutee toute correction des donneacutees doit consideacuterer les facteurs agrave lrsquoorigine de la distorsion dont le sexe lrsquoindice de masse corporelle (IMC) et les caracteacuteristiques psychiques Enfin comme les normes de consommation varient parfois rapidement la constitution drsquoun panel ou drsquoun eacutechantillon doit assurer une bonne repreacutesentativiteacute des opinions et des motivations des participants

Au-delagrave des laquo bonnes pratiques raquo drsquoenquecircte et des strateacutegies visant agrave ameacuteliorer le traitement et lrsquoanalyse des donneacutees plusieurs meacutethodes innovantes de mesure des comportements drsquoingestion existent Nous preacutesentons rapidement ci-dessous les plus significatives drsquoentre elles

- Un dispositif qui ressemble agrave une montre compte les mouvements du poignet pendant un eacutepisode de consommation alimentaire Cet instrument appeleacute Automated Wrist Motion Tracking ou encore Bite Counter peut ecirctre utiliseacute dans la vie de tous les jours et il montre de bonnes sensibiliteacute et reproductibiliteacute (Dong et al 2012) La contrainte pour le participant est minimale Les donneacutees produites doivent cependant ecirctre compleacuteteacutees par la deacuteclaration du type drsquoaliments consommeacutes Cet instrument donne des informations inteacuteressantes sur le nombre de consommations quotidiennes (y compris les snacks et les consommations nocturnes) Il nrsquoest pas exempt du laquo biais drsquoobservation raquo

- La meacutethode Intelligent Food-Intake Monitor utilise plusieurs capteurs (mouvements de mastication et de deacuteglutition images de lrsquoaliment consommeacute) porteacutes par le participant pour obtenir un aperccedilu des consommations quotidiennes (Liu et al 2012) Ces capteurs de lrsquoactiviteacute de mastication et de deacuteglutition sont fixeacutes sur le volontaire (cou macircchoire) et ils fonctionnent plusieurs jours sans intervention (Fontana et al 2015) Ces meacutethodes sont sujettes au laquo biais drsquoobservation raquo On peut imaginer que le participant finit par oublier la preacutesence des capteurs et le fait qursquoil est observeacute mais cela reste cependant agrave veacuterifier

- Les consommations peuvent ecirctre eacutevalueacutees agrave partir de photographies avantapregraves chaque eacutepisode alimentaire (Ptomey et al 2015) Celles-ci peuvent ecirctre faites avec un teacuteleacutephone portable Cette meacutethode a montreacute une bonne validiteacute dans des milieux ougrave le contenu des assiettes est bien connu (cafeacuteteacuteria etc) en particulier chez des personnes en surcharge pondeacuterale En dehors de ce milieu relativement controcircleacute la validiteacute de la meacutethode repose sur la bonne volonteacute du participant qui doit photographier toutes ses consommations Une approche dite Remote Photography Method utilise une application du teacuteleacutephone portable qui teacuteleacutecharge automatiquement des photographies avantapregraves dans une base de donneacutees puis en fait lrsquoanalyse (Martin et al 2012) Lrsquoapplication donne la possibiliteacute drsquoenvoyer aux participants des rappels par SMS leur recommandant de photographier les repas principaux et les collations eacuteventuelles hors repas Cette meacutethode surtout quand elle inclut des rappels cibleacutes ameacuteliore de beaucoup lrsquoeacutevaluation de la consommation totale en comparaison de lrsquoauto-deacuteclaration Elle deacutetecte rapidement les laquo oublis raquo et peut mecircme ecirctre utiliseacutee chez les enfants Elle reste toutefois sensible au laquo biais drsquoobservation raquo

- Lrsquousage de cameacuteras dans des restaurants ou des cafeacuteteacuterias peut reacuteveacuteler la consommation au moment du repas sans deacutependre de la deacuteclaration par le mangeur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 35

Certains eacutetablissements comme le restaurant expeacuterimental de lrsquoInstitut Paul Bocuse agrave Lyon sont eacutequipeacutes de plusieurs cameacuteras qui suivent un ou plusieurs convives pendant le repas

- Au-delagrave des releveacutes drsquoachats il est envisageable de consulter les releveacutes bancaires des participants ce qui permettrait de deacuteceler des oublis ou des incoheacuterences Cette approche soulegraveve toutefois une difficulteacute particuliegravere vis-agrave-vis de la protection des donneacutees personnelles (cf Regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees - RGPD)

42 Recommandations de porteacutee geacuteneacuterale

Cinq ensembles de recommandations geacuteneacuterales sont preacutesenteacutes dans le rapport drsquoeacutetude Ils visent agrave prendre en compte dans lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires les biais et deacutecalages entre reacuteel et deacuteclareacute

Avant de preacutesenter ces recommandations rappelons qursquoil est indispensable de bien comprendre la deacutemarche drsquoune enquecircte pour lrsquoutiliser de maniegravere optimale quelles populations sont eacutetudieacutees (qui ) avec quels champs privileacutegieacutes (quoi ) selon quels modes drsquointerrogation (comment ) et avec quels biais eacuteventuels deacutejagrave connus Chaque meacutethode est construite en fonction drsquoune probleacutematique preacutecise avec des moyens permettant de reacutepondre agrave des objectifs speacutecifiques utiliser une enquecircte agrave des fins autres que celles initialement preacutevues est alors source de mauvaises interpreacutetations Par exemple il nrsquoest pas judicieux drsquoanalyser des reacutegimes alimentaires agrave partir des enquecirctes laquo Budget de famille raquo

Les recommandations ci-dessous envisagent des pistes meacutethodologiques pour reacuteduire ces deacutecalages Lrsquoencadreacute 1 eacutevoque les deacuteclinaisons possibles de ces recommandations agrave la theacutematique de laquo lrsquoalimentation durable raquo Associeacutee agrave une diversiteacute de pratiques cette theacutematique est tregraves valoriseacutee socialement et donc sujette agrave des deacutecalages importants entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

La premiegravere famille de recommandations concerne des preacutecautions drsquousage par rapport aux sources de donneacutees quantitatives Elle est deacuteclineacutee selon les grands types identifieacutes en deacutebut de cet article (tableau 1)

- Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques Avant que les donneacutees de consommation ne soient couramment produites les eacuteconomistes utilisaient surtout les donneacutees de production drsquoexport et drsquoimport pour par diffeacuterence eacutetablir la consommation apparente Ces donneacutees de cadrage ne sont pas des donneacutees de consommation reacuteelle Elles sont baseacutees sur la reconstitution de la consommation agrave partir de sources diverses et doivent ecirctre utiliseacutees avec preacutecaution souvent pour cadrer des eacuteleacutements de contexte Elles aident agrave suivre des tendances (eacutevolutions relatives) sont utiles pour reacutealiser des analyses agrave un niveau macroeacuteconomique ou macrosociologique mais restent eacuteloigneacutees de la consommation reacuteelle (niveau microeacuteconomique ou microsociologique agrave lrsquoeacutechelle drsquoun groupe particulier ou drsquoun individu)

- Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat) Des donneacutees issues directement des circuits de distribution sont plus pertinentes car elles mesurent reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles sont toutes priveacutees Ces donneacutees ne couvrent que certains circuits de distribution notamment la grande distribution qui ne repreacutesente que 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les Comptes du commerce de lrsquoInsee de 2017) Ces deacutepenses ne couvrent pas les consommations en restauration hors foyer

36 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

- Donneacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat par sondage) Les donneacutees de mesures des comportements reacuteels reposent la plupart du temps sur le remplissage de carnets alimentaires par des enquecircteacutes qui font appel agrave leur meacutemoire et occasionnent des oublis Toutefois comme montreacute gracircce agrave lrsquoexpeacuterimentation avec les cameacuteras on peut estimer que ces oublis ne repreacutesentent pas plus de 10 des cas sauf pour les consommations drsquoeau (omises dans 17 des cas) certaines denreacutees sont eacutegalement speacutecifiquement concerneacutees (environ 10 drsquooublis pour les produits sucreacutes et pour les leacutegumes souvent sous forme de condiments) Il convient drsquoavoir en tecircte ces ordres de grandeur lors de lrsquoutilisation des reacutesultats de ce type drsquoenquecirctes

- Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias Le deacutecalage entre opinions activiteacutes meacutediatiques et comportements reacuteels peut ecirctre important Les sondages drsquoopinion nrsquoapportent aucun eacuteleacutement factuel et concret mais ce sont des meacutethodes relativement faciles agrave mobiliser qui documentent des eacutevolutions drsquoopinions ou drsquoattitudes Il nrsquoest donc pas possible de deacuteduire directement des informations sur les comportements agrave partir de ces reacutesultats Toutefois ces meacutethodes coupleacutees par exemple agrave des techniques drsquoapprofondissement qualitatifs peuvent apporter des eacuteclairages inteacuteressants sur certains facteurs influenccedilant les comportements alimentaires

La deuxiegraveme recommandation preacuteconise drsquoutiliser drsquoautres sources drsquoinformation agrave commencer par celles issues drsquoapproches qualitatives (observation entretiens etc) Pour comprendre comment les individus adoptent une pratique alimentaire lrsquoapproche quantitative nrsquoest pas suffisante (entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier) Par exemple dans lrsquoadoption de nouvelles conduites de consommation les moments de bifurcation dans les trajectoires biographiques sont importants arriveacutee drsquoun enfant retraite changement de travail de domicile divorce deuil etc (Barrey et al 2012) Les pratiques alimentaires ne sont pas isoleacutees de la vie sociale et sont fortement influenceacutees par des eacutevegravenements exteacuterieurs agrave lrsquoacte drsquoalimentation Il est donc important drsquoassocier au quantitatif les apports de meacutethodes qualitatives issues de diverses disciplines (sociologie anthropologie histoire eacuteconomie psychologie psychologie sociale etc)

La troisiegraveme recommandation est de rechercher la compleacutementariteacute entre les donneacutees sur les comportements alimentaires et celles sur lrsquooffre alimentaire En effet les deacutecalages entre comportements et attitudes srsquoexpliquent aussi par lrsquoinfluence de lrsquooffre Celle-ci peut ecirctre analyseacutee du point de vue de la qualiteacute des produits (Oqali Open food facts etc) des innovations de points de vente (ONCC LSA etc) des innovations produits (XTCscan TM Mintel) ou des assortiments (IRI Kantar Nielsen) Ces eacuteleacutements apportent des eacuteclairages tant sur les possibiliteacutes offertes aux consommateurs que sur les caracteacuteristiques de la zone de chalandise drsquoun magasin Les pratiques alimentaires se construisent et eacutevoluent avec les recommandations marchandes et publiques

La quatriegraveme recommandation invite agrave faire preuve de prudence quant agrave lrsquoutilisation des sources meacutediatiques Lrsquoanalyse de ces sources (Twitter Instagram presse etc) est complexe et elle ne reflegravete pas les comportements reacuteels des mangeurs Ces sources sont difficiles agrave appreacutehender et elles ne sont pas agrave privileacutegier pour comprendre lrsquoeacutevolution des comportements alimentaires Elles sont neacuteanmoins inteacuteressantes pour comprendre les attentes drsquoune partie de la socieacuteteacute qui ne produit qursquoune partie des opinions La faccedilon meacutediatique de traiter les consommations alimentaires (amplification de pratiques tregraves valoriseacutees etc) nrsquoest pas le strict reflet des opinions et pratiques alimentaires du grand public Nos eacutetudes de cas montrent que le bruit meacutediatique nrsquoinfluence qursquoune faible part des consommateurs Par ailleurs les valeurs et prescriptions veacutehiculeacutees par les meacutedias ne repreacutesentent qursquoun des nombreux facteurs drsquoinfluence des comportements alimentaires Il y a donc bien des deacutecalages entre opinions valeurs meacutediatiquement valoriseacutees et actes quotidiens des individus

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 37

La cinquiegraveme et derniegravere recommandation est drsquoexplorer les sources de donneacutees des nouveaux acteurs digitaux notamment les applications pour smartphones de plus en plus nombreuses et largement utiliseacutees Ces applications digitales concernent des cateacutegories socio-professionnelles ayant un niveau drsquoeacuteducation plus eacuteleveacute que la moyenne (Nielsen PanelViews deacutecembre 2016) mais elles sont des sources drsquoinformations inteacuteressantes pour le suivi des comportements alimentaires Il importe toutefois de souligner les questions de confidentialiteacute et de proprieacuteteacute lieacutees agrave ces donneacutees De plus cette utilisation produit des volumes de donneacutees tregraves importants (big) qui peuvent ecirctre exploiteacutees pour mesurer lrsquoeacutevolution des attentes de populations speacutecifiques tout en les croisant avec les achats en magasin si ces applications le permettent (ex MyLabel)

Les cinq familles de recommandations preacuteceacutedentes sont tout agrave fait pertinentes en matiegravere drsquoalimentation durable12 Cette derniegravere se reacutevegravele particuliegraverement inteacuteressante dans le cadre de notre eacutetude car i) elle est tregraves deacutesirable pour de nombreux consommateurs ii) socialement et collectivement encourageacutee iii) marqueacutee par des repreacutesentations des attentes et des pratiques varieacutees iv) au cœur drsquointerventions publiques soutenues v) sujette agrave reacuteflexions et choix chez les acteurs des filiegraveres alimentaires Autant de speacutecificiteacutes qui tendent agrave accroicirctre les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle De nombreux comportements en lien avec une alimentation durable pourraient ainsi ecirctre mesureacutes en mobilisant les diffeacuterentes sources de donneacutees eacutevoqueacutees au cours de cette eacutetude Crsquoest par exemple le cas des pratiques valorisant la reacuteduction des emballages des signes de qualiteacute ou encore la proximiteacute Des indicateurs tels que la part du vrac la part de produits sous labels la part des produits locaux sont ainsi mesurables agrave partir des donneacutees exhaustives de ventes (recommandation ndeg 3) Ces donneacutees pour les circuits de grande distribution sont les plus pertinentes pour estimer les niveaux drsquoalimentation durable consommeacutee en effet les informations standardiseacutees des codes-barres (gencod) permettent de deacutefinir preacuteciseacutement quels types de produits sont acheteacutes Plus speacutecifiquement pour reacuteduire les deacutecalages entre le deacuteclaratif et le reacuteel en matiegravere de consommations de produits biologiques nous recommandons

- drsquoutiliser en prioriteacute les enquecirctes de mesure (drsquoabord des donneacutees exhaustives drsquoachat ensuite des donneacutees drsquoingestion ou drsquoachat par sondage) pour eacutetablir les volumes de bio acheteacutes

- drsquoapprofondir cette mesure par la compreacutehension du pheacutenomegravene gracircce agrave une approche qualitative

- de comptabiliser le nombre de reacutefeacuterences estampilleacutees AB dans lrsquoensemble des circuits de commercialisation (donneacutees de panel) pour eacutetudier lrsquooffre

- de ne pas privileacutegier les sources meacutedias geacuteneacuteralement peu utiles pour mesurer ou comprendre des comportements reacuteels

- drsquoeacutetudier les donneacutees reacuteelles drsquoachat de consommateurs speacutecifiques tels que ceux inscrits sur une application comme MyLabel qui aide agrave manger selon ses attentes et ses convictions La possibiliteacute pour les utilisateurs drsquoajouter les produits agrave leurs paniers drsquoachat geacutenegravere des donneacutees croisant les attentes et les acquisitions de chaque individu Elle permettrait drsquoapprofondir la connaissance des deacutecalages entre comportements reacuteels et attentes

Encadreacute 1 - Le cas embleacutematique de lrsquoalimentation durable

12 LrsquoOrganisation pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture (FAO) deacutefinit lrsquoalimentation durable comme laquo une alimentation qui protegravege la biodiversiteacute et les eacutecosystegravemes culturellement acceptable accessible eacuteconomiquement loyale et reacutealiste nutritionnellement adeacutequate et deacutepourvues de risques et saines et capable drsquooptimiser lrsquousage des ressources naturelles et humaines raquo (2010) Pour lrsquoADEME en 2018 il srsquoagit de laquo lrsquoensemble des pratiques alimentaires qui visent agrave nourrir les femmes et les hommes en qualiteacute et en quantiteacute aujourdrsquohui et demain dans le respect de lrsquoenvironnement raquo

38 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Il y aura toujours des eacutecarts entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes enregistreacutes par des enquecirctes ou des sondages et les comportements alimentaires reacuteels Des preacutecautions de meacutethode et le croisement des sources sont donc indispensables Lrsquoinexactitude des auto-deacuteclarations portant sur les consommations reacuteelles peut deacutecouler des protocoles de recueil drsquoinformations des outils de mesure ou encore de caracteacuteristiques des enquecircteacutes Une autre source drsquoerreur vient du rapprochement entre des donneacutees disparates et par exemple de conclusions abusives sur les comportements reacuteels tireacutees drsquoopinions ponctuelles Les sondages sur lrsquoalimentation souhaitable ou souhaiteacutee peuvent nrsquoavoir qursquoune faible valeur preacutedictive des ingestions et achats faits en situations reacuteelles

Plusieurs compleacutements pourraient ecirctre apporteacutes agrave ce travail Comme le montre la premiegravere eacutetude de cas pour les prochaines enquecirctes alimentaires il serait judicieux de renforcer les consignes et les rappels concernant le bon remplissage des carnets alimentaires agrave chaque nouvelle journeacutee afin de reacuteduire le risque de sous-deacuteclaration Qursquoil srsquoagisse des donneacutees CCAF ou INCA aucun ajustement nrsquoest en effet pour lrsquoinstant effectueacute pour laquo recaler raquo les donneacutees

Sur la base des reacutesultats de la deuxiegraveme eacutetude de cas lrsquoidentification des cateacutegories drsquoaliments les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait servir agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles suppleacutementaires afin de reacuteduire le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

Enfin la troisiegraveme eacutetude de cas indique qursquoil serait inteacuteressant drsquoanalyser sur un temps plus long les correacutelations entre opinions exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et donneacutees drsquoachats Le calcul drsquoeffets de longue peacuteriode avec des modegraveles autoreacutegressifs reacutepondrait agrave la question de degreacute de peacuterenniteacute des opinions diffuseacutees par les meacutedias en ligne et les reacuteseaux sociaux Il semble que les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public nrsquoinfluencent que peu les comportements alimentaires concrets

Lrsquoaction publique en matiegravere drsquoalimentation fait face agrave divers deacutefis dont celui de la connaissance de la compreacutehension des comportements des mangeurs La diversification des pratiques individuelles le deacuteveloppement de nouvelles attentes la multiplication des sources drsquoinformations sont autant drsquoeacutevolutions qui complexifient cette tacircche de suivi et drsquoanalyse de la reacutealiteacute Dans ce contexte les commanditaires de cette eacutetude souhaitaient approfondir la question des eacutecarts entre les conduites alimentaires deacuteclareacutees et les conduites effectives En proposant une synthegravese de la litteacuterature existante et en approfondissant des cas particuliers lrsquoeacutetude apporte des eacuteleacutements nouveaux sur les processus de construction et drsquoutilisation des donneacutees et sur les principales sources de deacutecalages agrave lrsquoœuvre Elle propose des pistes drsquoameacutelioration des proceacutedures de collecte et drsquointerpreacutetation des informations et montre les opportuniteacutes offertes par le croisement des meacutethodes quantitatives et qualitatives mais aussi par les outils numeacuteriques Enfin et surtout elle ouvre des perspectives pour une action publique plus cibleacutee car mieux adapteacutee agrave la reacutealiteacute des pratiques quotidiennes des consommateurs

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 39

Reacutefeacuterences bibliographiques

Agence BIO 2019 Baromegravetre de consommation et de perception des produits biologiques en France httpswwwagencebioorgwp-contentuploads201902Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019pdf

Archer E Marlow M L Lavie C J 2018 ldquoControversy and Debate Memory based methods Paper 1 The fatal flaws of food frequency questionnaires and other memory-based dietary assessment methodsrdquo J Clinical Epidemiology doi101016jjclinepi201808003

Archer E Pavela G Lavie CJ 2015 ldquoThe inadmissibility of what we eat in America and NHANES dietary data in nutrition and obesity research and the scientific formulation of national dietary guidelinesrdquo Mayo Clinic Proc doi 101016jmayocp201504009

Barrey S Dubuisson-Quellier S Gojard S Plessz M 2012 Les effets des prescriptions sur les pratiques de consommation alimentaires rocircle des positions dans la trajectoire de vie et des ressources sociales Gouverner les conduites eacuteconomiques 37 p (hal-01191182)

Bernard H R Killworth P Kronenfeld D Sailer L 1984 ldquoThe problem of informant accuracy the validity of retrospective datardquo Annual Review of Anthropology 13 495-517

Bernstein D M Loftus E F 2009 ldquoThe consequences of false memories for food preferences and choicesrdquo Perspect Psychol Sci 4 135-139

Bessiegravere C et al 1997 laquo Lrsquoenquecircte par questionnaire raquo Genegraveses 99-122

Block G 1982 ldquoA review of validations of dietary assessment methodsrdquo American Journal of Epidemiology 115(4)492-505 DOI 101093oxfordjournalsajea113331

Braconnier C 2010 Une autre sociologie du vote Les eacutelecteurs dans leurs contextes LGDJ collection LEJEP

Carrigan M Attalla A 2001 ldquoThe myth of the ethical consumer Do ethics matter in purchase behaviourrdquo Journal of Consumer Marketing 18560-578

Caruana R Carrington M J Chatzidakis A ldquolsquolsquoBeyond the Attitude-Behaviour Gap Novel Perspectives in Consumer Ethicsrsquorsquo Introduction to the Thematic Symposiumrdquo Journal of Business Ethics 136(2) DOI 101007s10551-014-2444-9

Data Science campus ldquoEvaluating Calorie Intakerdquo consulteacute en ligne le 13 janvier 2019 httpsdatasciencecampusonsgovukeclipse

Deese J 1959 ldquoOn the prediction of occurrence of particular verbal intrusions in immediate recallrdquo J Exp Psychol 58 17-22

Devinney T M Auger P Eckhardt G M 2010 The myth of the ethical consumer Cambridge University Press

Dong Y Hoover A Scisco J Muth E 2012 ldquoA new method for measuring meal intake in humans via automated wrist motion trackingrdquo Ammp Psychophysiol Biofeedback 37 205-215

40 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Donnat O 2009 Les pratiques culturelles des Franccedilais agrave lrsquoegravere numeacuterique Enquecircte 2008 La Deacutecouverteministegravere de la Culture et de la Communication

Dubuisson C Dufour A Carrillo S Drouillet-Pinard P Havard S Volatier J L 2018 ldquoThe Third French Individual and National Food Consumption (INCA3) Survey 2014-2015 method design and participation rate in the framework of a European harmonization processrdquo Pub Health Nutr doi 101017S1368980018002896

Dhurandhar N Schoeller D Brown A et al 2015 ldquoEnergy balance measurement when something is not better than nothingrdquo Int J Obes 39 1109-1113 doi101038ijo2014199

Fontana J M Higgins J A Schuckers S C Bellisle F Pan Z Melanson E L Neuman M R Sazonov E 2015 ldquoEnergy intake estimation from counts of chews and swallowsrdquo Appetite 85 14-21

Fournier M 2013 laquo La monteacutee des valeurs feacuteminines raquo Les grands dossiers des Sciences Humaines vol 33 Ndeg12

Freedman L S Moler C J Arab L Baer D Kipnis V et al 2014 ldquoPooled results from 5 validation studies of dietary self-report instruments using recovery biomarkers for energy and protein intakerdquo Am I Epidemiol 180 172-188

Gallo D A 2010 ldquoFalse memories and fantastic beliefs 15 years of the DRM illusionrdquo Mem Cognit DOI 38833-848

Heacuteran F 1984 laquo Lrsquoassise statistique de la sociologie raquo Eacuteconomie et statistique 1681 23-35

Hu F B Wilett W C 2018 ldquoCurrent and future landscape of nutritional epidemiologic researchrdquo Journal of the American Medical Association doi101001jama201816166

IFOP 2017 Les produits laitiers et la consommation de viande bio en France httpwwwproduitslaitiersetviandebiocomfilePrez_Interbev-Conf_presse_20avril17webokpdf

IPSOS Global Trends 2014 laquo Consommer local raquo ce que veulent les Franccedilais httpswwwipsoscomfr-frconsommer-local-ce-que-veulent-les-francais

Kronenfeld D B Kronenfeld J Kronenfeld J E 1972 ldquoToward a science of design for successful food servicerdquo Ins Vol Feed Manage 70 38-44

Lahlou S 1998 The subjective camera (laquo SubCam raquo) A new technique for studying representations in context Four th International Conference on social representations Mexico 81998

Lahlou S 2006 laquo Lrsquoactiviteacute du point de vue de lrsquoacteur et la question de lrsquointersubjectiviteacute   huit anneacutees drsquoexpeacuteriences avec des cameacuteras miniaturiseacutees fixeacutees au front des acteurs (subcams) raquo Communications (80) 209-234 ISSN 0588-8018

Liu J Johns E Atallah L Pettitt C Lo B Frost G Yang G Z 2012 ldquoAn intelligent food-intake monitoring system using wearable sensorsrdquo in Ninth International Conference on Wearable and Implantable Body Sensor Networks IEEE pp154-160

Lombardot E Mugel O 2015 laquo Proposition drsquoun modegravele explicatif de lrsquoeacutecart entre intention et comportement de consommer responsable inteacutegrant les facteurs situationnels une eacutetude appliqueacutee agrave lrsquoalimentation raquo 10e Journeacutee Marketing AgroAlimentaire Montpellier

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 41

Lucas R M Harris R M R 2018 ldquoOn the nature of evidence and lsquoprovingrsquo causality Smoking and lung cancer vs sun exposure vitamin D and multiple sclerosisrdquo Int J Envir Res Publ Health 151726 doi103390ijerph15081726

Lusk J L Brooks K 2011 ldquoWho participates in household scanning panelsrdquo Am J Agric Econ 93226-240

Macdiarmid J I Blundell J E 1997 ldquoDietary under-reporting what people say about recording their food intakerdquo Eur J Clin Nutr 51 199-200

Masson L F McNeill G Tomany J O Simpson J A Peace H S Wei L et al 2003 ldquoStatistical approaches for assessing the relative validity of a food-frequency questionnaire use of correlation coefficients and the kappa statisticrdquo Public health nutrition 16(03)313-21

Mela DJ Aaron JI 1997 ldquoHonest but invalid what subjects say about recording their food intakerdquo J Acad Nutr Diet 97 791-793

OpinionWaySenseva 2016 Le Profil des acheteurs et les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation bio en 2016 httpwwwthemavisionfruploaddocsapplicationpdf2016-05etude_organics_cluster_et_cosmebiopdf

Peacutequignot B 2011 laquo Speacutecificiteacute du terrain en sociologie des arts et de la culture raquo SociologieS httpjournalsopeneditionorg Sociologies3487

Pfeiffer C M Sternberg M R Schleicher R L Haynes B M Rybak M E Prikle J L 2013 ldquoThe CDCrsquos Second National Report on Biochemical Indicators of Diet and Nutrition in the US Population is a valuable tool for researchers and policy makersrdquo J Nutr 143 938S-947S

Prentice R L Huang Y Tinker L F Beresford S A Lampe J W Neuhouser M L 2009 ldquoStatistical aspects of the use of biomarkers in nutritional epidemiology researchrdquo Stat Biosci 1 112-123

Ptomey L T Willis E A Honas J J Mayo M S Washburn R A Herrmann S D Sullivan D K Donelly J E 2015 ldquoValidity of energy intake estimated by digital photography plus recall in overweight and obese young adultsrdquo J Acad Nutr Diet 115 1392-1399

Roediger H L McDermott K B 1995 ldquoCreating false memories remembering words not presented in listsrdquo J Exp Psychol Lear Mem Cogn 21 803-814

Scagliusi F B Polacow V O Artioli G G Benatti F B Lancha A H 2003 ldquoSelective underreporting of energy intake in women magnitude determinants and effect of trainingrdquo J Am Diet Assoc 1031306-1313

Schwarz N 1999 ldquoSelf-reports How the questions shape the answersrdquo American Psychologist 54(2) 93ndash105 httpsdoiorg1010370003-066X54293

Simon H 1957 Models of Man Social and Rational Mathematical Essays on Rational Behavior in a Social Setting New York Wiley

Stubbs R J OrsquoReilly L M Whybrow S Fuller Z Johnstone A M Livingstone M B E Ritz P Horgan G W 2014 ldquoMeasuring the difference between actual and reported food intakes in the context of energy balance under laboratory conditionsrdquo BJN 111 2032-2043

42 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Terlau W Hirsch D 2015 ldquoSustainable consumption and the attitude-behaviour-gap phenomenon Causes and measurements towards a sustainable developmentrdquo Journal on Food System Dynamics 6 doi doiorg1018461ijfsdv6i3634

Thorslund C A H Lassen J 2016 ldquoContext orders of worth and the justification of meat consumption practicesrdquo Sociologia Ruralis

Vermeir I Verbeke W 2006 ldquoSustainable food consumption exploring consumer ldquoattitude-behavioral intentionrdquo gaprdquo Journal of Agricultural and Environmental Ethics 19169-194

Wansink B Sobal J 2007 ldquoMindless eating The 200 daily food decisions we overlookrdquo Environment and Behavior 39106-123

Zuinen N 2002 Essai sur le rocircle des femmes et des valeurs feacuteminines Reflets et perspectives de la vie eacuteconomique tome XLI Ndeg 1 pp 109-114

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 43

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Reacutesumeacute

Depuis le milieu des anneacutees 1990 la sous-traitance agricole se deacuteveloppe de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations y ayant recours a eacuteteacute multiplieacute par deux Reacutepondant agrave la difficile transmission familiale des exploitations ou aux strateacutegies de croissance des plus grandes drsquoentre elles lrsquoessor de la prestation de services est lrsquoune des tendances marquantes de lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture franccedilaise Ce marcheacute estimeacute agrave environ 4 milliards drsquoeuros se caracteacuterise par une forte transformation de la demande et par la creacuteation de nombreuses entreprises de travaux deacutedieacutees Si la plupart drsquoentre elles proposent de reacutealiser des tacircches preacutecises drsquoautres ont deacuteveloppeacute une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale de lrsquoexploitation agrave la fois technique administrative et financiegravere La sous-traitance agricole et notamment la deacuteleacutegation inteacutegrale des activiteacutes restent pourtant peu documenteacutees Diverses questions demeurent auxquelles cet article contribue agrave reacutepondre en rassemblant les reacutesultats saillants de recherches conduites depuis 2012 Il fait suite aux eacutevaluations quantitatives de la progression du pheacutenomegravene reacutealiseacutees par le groupe de travail ActifrsquoAgri2 animeacute par le Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La premiegravere partie explicite la meacutethode utiliseacutee et les trois suivantes preacutesentent un eacutetat des lieux du marcheacute puis un recensement de lrsquoeacutevolution des pratiques et enfin une analyse des formes innovantes drsquoorganisation de la prestation de services La conclusion traite des questions souleveacutees par le deacuteveloppement rapide du pheacutenomegravene et des implications en matiegravere de politiques publiques

Mots cleacutes

Sous-traitance deacuteleacutegation inteacutegrale pratiques organisations tertiarisation agriculture

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Universiteacute feacutedeacuterale de Toulouse Institut national polytechnique Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique UMR INP-INRAE Agir Avenue de lrsquoagrobiopole BP 32607 Auzeville-Tolosane 31326 Castanet-Tolosan Cedex 2 Voir en particulier le chapitre 3 de lrsquoouvrage final tireacute de cette reacuteflexion collective Bignebat C Delame N Hugonnet  M Legagneux B Nguyen G Piet L laquo Trois tendances structurantes concentration sous-traitance et diversification des exploitations raquo dans Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective Ministegravere de lrsquoagriculture et de lrsquoalimentation Paris La Documentation franccedilaise Ouvrage teacuteleacutechargeable dans sa version inteacutegrale et par chapitre sur httpsagriculturegouvfractifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux1

44 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

La sous-traitance est un pheacutenomegravene connu surtout dans le secteur de lrsquoindustrie ougrave elle se deacuteveloppe agrave un rythme soutenu plus particuliegraverement depuis les anneacutees 1970 (Bakis 1975 Queacutelennec 1987 Perraudin et al 2013 Souquet 2016) Crsquoest un moyen essentiel pour les entreprises de reacuteorganiser leurs chaicircnes de valeur et drsquoaccroicirctre leurs avantages concurrentiels (Williamson 2008 Milberg et Winkler 2013) Dans ce secteur cette pratique fait mecircme lrsquoobjet drsquoune deacutefinition normaliseacutee elle deacutesigne laquo toutes les opeacuterations concourant pour un cycle de production deacutetermineacute agrave lrsquoune ou plusieurs des opeacuterations de conception drsquoeacutelaboration de fabrication de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause dont une entreprise dite donneur drsquoordres confie la reacutealisation agrave une entreprise dite sous-traitant ou preneur drsquoordres tenue de se conformer exactement aux directives ou speacutecifications techniques arrecircteacutees en dernier ressort par le donneur drsquoordres raquo (AFNOR 1987)

Bien que la sous-traitance ait longtemps eacuteteacute associeacutee agrave la grande entreprise inteacutegreacutee souhaitant utiliser des capaciteacutes productives exteacuterieures peu speacutecifiques et bon marcheacute et se deacutesengager de certains meacutetiers certaines formes de sous-traitance industrielle peuvent ecirctre aujourdrsquohui qualifieacutees laquo de speacutecialiteacute raquo ou laquo drsquointelligence raquo et incarneraient de nouvelles formes de relations inter-entreprises (Billaudot Julien 2003 Mariotti 2005) Ce basculement drsquoune laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo agrave une laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo opeacutereacute dans les anneacutees 1980 dans un contexte de concurrence exacerbeacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale est souvent preacutesenteacute comme devant deacuteboucher sur un partenariat inter-entreprises plus eacutequilibreacute Cependant ces mutations sont largement discuteacutees par lrsquoeacuteconomie des organisations la gestion et la sociologie eacuteconomique qui ne manquent pas de souligner une coexistence entre des formes anciennes et nouvelles de sous-traitance mais eacutegalement la persistance de rapports de force et de domination en deacutefaveur du sous-traitant (Surubaru 2014 Seiller 2014 Holcomb et Hitt 2007 Arnold 2000)

En agriculture agrave cocircteacute de lrsquoentraide la sous-traitance de certaines opeacuterations techniques par lrsquoagriculteur agrave un tiers3 comme la reacutecolte et lrsquoenrubannage est aussi une pratique ancienne Toutefois son recours est resteacute longtemps lrsquoapanage de petites ou moyennes exploitations ne posseacutedant pas le mateacuteriel ou la main-drsquoœuvre neacutecessaires Les travaux sous-traiteacutes relegravevent alors traditionnellement drsquoarrangements plus ou moins informels avec des exploitations proches cherchant agrave amortir leur mateacuteriel avec des coopeacuteratives drsquoutilisation de mateacuteriels agricoles (CUMA) ou encore avec des entreprises de travaux agricoles (ETA) Parce qursquoils sont tous les deux agriculteurs ou revendiquent le statut drsquoagriculteur quels que soient celui qui deacutelegravegue et celui qui reacutealise les travaux nous sommes ici devant des figures du laquo donneur drsquoordres raquo et du laquo sous-traitant raquo diffeacuterentes de celles de lrsquoindustrie

Nous ne traiterons ici que de la prestation de services par les ETA dans la mesure ougrave crsquoest cette forme qui domine le marcheacute ces ETA repreacutesentaient en 2016 selon les donneacutees de lrsquoenquecircte sur la structure des exploitations agricoles (ESEA 2016) 90 du volume de travail de sous-traitance agricole Nous nrsquoeacutetudierons pas non plus ici le recours agrave certaines formes de salariat temporaire aupregraves de groupements drsquoemployeurs ou drsquoagences drsquointeacuterim qui peuvent srsquoapparenter agrave de la sous-traitance partielle

3 Ce pheacutenomegravene de sous-traitance qui se limite agrave lrsquoamont productif est agrave diffeacuterencier de la sous-traitance de tacircches par une entreprise agroalimentaire de lrsquoaval agrave un agriculteur communeacutement associeacutee agrave des processus drsquointeacutegration verticale et au modegravele drsquoagriculture contractuelle Cette derniegravere forme de sous-traitance nrsquoest pas lrsquoobjet de cet article

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 45

Par laquo travaux agricoles raquo le code rural (article L722-2) deacutefinit tous les laquo travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou veacutegeacutetale les travaux drsquoameacutelioration fonciegravere agricole ainsi que les travaux accessoires neacutecessaires agrave lrsquoexeacutecution des travaux preacuteceacutedents4raquo Au-delagrave des stricts travaux agricoles la sous-traitance peut aller jusqursquoagrave inclure une tacircche administrative comme la comptabiliteacute reacutealiseacutee par des centres de gestion

La sous-traitance en agriculture donne lieu communeacutement agrave la reacutealisation et agrave lrsquoexeacutecution drsquoune ou de plusieurs opeacuterations culturales (reacutecolte travail du sol semis etc) voire plus rarement de plusieurs opeacuterations drsquoeacutelevage (retrait des animaux prophylaxie) Il faut la distinguer de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux communeacutement appeleacutee le laquo A agrave Z raquo que nous deacutefinissons comme le processus qui conduit agrave deacuteleacuteguer agrave un tiers la conduite et la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Nous nous inteacuteresserons ici agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus ou peu drsquoactiviteacute agricole et qursquoil confie la quasi-totaliteacute de la conduite des travaux mais aussi la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsque lrsquoexploitant confie lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques ou moins inteacuteressantes agrave un ou plusieurs sous-traitants afin de se recentrer sur ce qursquoil considegravere ecirctre son cœur de meacutetier5 Agrave la diffeacuterence du simple sous-traitant le deacuteleacutegataire est ici plus autonome vis-agrave-vis de son client qui nrsquoest alors pas agrave consideacuterer comme un laquo donneur drsquoordres raquo Lrsquoimplication de ce dernier varie selon les cas certains participent encore agrave lrsquoeacutelaboration du cahier des charges des opeacuterations tandis que drsquoautres confient au sous-traitant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des deacutecisions techniques voire des deacutecisions commerciales (achat des intrants et vente des reacutecoltes) Dans ces scheacutemas de deacuteleacutegation inteacutegrale il y a dissociation partielle agrave totale des droits de proprieacuteteacute et des droits de gestion Une telle deacuteleacutegation constitue une forme particuliegraverement aboutie de sous-traitance

Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de la sous-traitance en agriculture nrsquoa deacutebuteacute que vers le milieu des anneacutees 1990 (Heacutebrard 2001 Chevalier 2007) Elle nrsquoa cesseacute depuis de se deacutevelopper de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance6 a ainsi eacuteteacute multiplieacute par deux (Forget et al 2019) Parallegravelement nous observons de nombreuses creacuteations de socieacuteteacutes de travaux et de prestation de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchent agrave amortir et de compeacutetences qursquoils cherchent agrave laquo moneacutetiser raquo (expertise agronomique maicirctrise des nouvelles technologies embarqueacutees capaciteacute de collecte et de commercialisation) Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale consideacutereacute comme ineacutedit par Harff et  Lamarche (1998) srsquoest amplifieacute dans les campagnes franccedilaises (Anzalone et Purseigle 2014 Purseigle et al 2017) Ont ainsi eacuteteacute observeacutees des logiques de speacutecialisation chez des polyculteurs-eacuteleveurs qui confient la gestion et la conduite de leurs productions veacutegeacutetales agrave une entreprise deacuteleacutegataire pour mieux se recentrer sur les activiteacutes drsquoeacutelevage ou encore des exploitants aux allures de laquo proprieacutetairerentier raquo agrave la tecircte drsquolaquo exploitations en trompe-lrsquoœil raquo mus par une logique de laquo rente familiale raquo (Anzalone et Purseigle 2014 p336) Par-delagrave la dimension organisationnelle cette forme aboutie de deacuteleacutegation constituerait non seulement laquo une profonde rupture dans la conception du meacutetier drsquoagriculteur et dans la formation de lrsquoidentiteacute professionnelle raquo (Harff et Lamarche 1998 p10) mais aussi une nouvelle eacutetape dans la laquo gestionnarisation raquo des activiteacutes de deacuteleacutegation productive Relevant

4 Il inclut eacutegalement tous laquo les travaux de creacuteation restauration et entretien des parcs et jardins raquo mais il nrsquoen sera pas question dans cet article5 Un exemple communeacutement rencontreacute de deacuteleacutegation par laquo recentrage raquo est celui de lrsquoeacuteleveur qui deacutelegravegue agrave un tiers lrsquointeacutegraliteacute des travaux de culture pour se consacrer agrave lrsquoeacutelevage6 La cateacutegorie laquo exploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance raquo est deacutefinie par rapport au poids du travail apporteacute par les entreprises de travaux agricole relativement au travail permanent

46 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

parfois de nouveaux dispositifs de laquo co-pilotage raquo des exploitations agricoles porteacutes par des entreprises franccedilaises ou eacutetrangegraveres la deacuteleacutegation inteacutegrale illustrerait une laquo tertiarisation raquo des activiteacutes productives agricoles

Mais alors qursquoelles connaissent un tournant majeur la sous-traitance et la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux agricoles par des agriculteurs restent tregraves peu documenteacutees et eacutetudieacutees Un recensement de la litteacuterature scientifique sur la sous-traitance en agriculture sur les vingt derniegraveres anneacutees met en eacutevidence de nombreux travaux de recherche portant sur la sous-traitance associeacutee agrave un processus drsquointeacutegration verticale aval-amont mais agrave peine une vingtaine de reacutefeacuterences dans le monde traitent de la sous-traitance entre acteurs de la production agricole dont seulement une dizaine concernant lrsquoEurope (Harff et Lamarche 1998 Vernimmen et al 2000 Heacutebrard 2001 Picazo-Tadeo et Reig-Martiacutenez 2006 Chevalier 2007 Igata et al 2008 Anzalone et Purseigle 2014) Ainsi de nombreuses questions demeurent quelles sont les caracteacuteristiques des nouvelles pratiques de sous-traitance pouvant aller jusqursquoagrave de la complegravete deacuteleacutegation Quels sont les deacuteterminants de leur eacutemergence et de leur deacuteveloppement Quels sont les acteurs et organisations qui les portent Comment ces nouvelles pratiques coexistent-elles avec des formes plus traditionnelles de sous-traitance En quoi constituent-elles des instruments au service de relations partenariales entre des exploitations agricoles aux tailles et aux logiques eacuteconomiques diffeacuterentes Quel est leur impact sur lrsquoorganisation de lrsquoactiviteacute de production agricole sur un territoire et au-delagrave sur le meacutetier drsquoagriculteur

Cet article7 rassemble des reacutesultats saillants de travaux de recherche conduits depuis 2012 sur lrsquoeacutemergence de nouvelles pratiques et organisations de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation Il comporte quatre parties Parce que lrsquoeacutetude de la sous-traitance et en particulier celle de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles constituent un veacuteritable deacutefi meacutethodologique il nous semble important dans une premiegravere partie drsquoexpliciter notre deacutemarche sur ce plan Les trois autres parties deacutevelopperont les reacutesultats Ainsi afin de caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur nous preacutesenterons dans la deuxiegraveme partie un bref eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance puis dans la troisiegraveme partie un recensement des pratiques de sous-traitance en distinguant les plus novatrices et notamment celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Nous tracerons ensuite dans la quatriegraveme et derniegravere partie les contours de formes innovantes drsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation et commenterons leur genegravese en deacuteveloppant lrsquoideacutee que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens davantage qursquoils ne les supplantent afin de reacutepondre agrave des demandes nouvelles eacutemanant drsquoentreprises agricoles situeacutees aux franges du modegravele de lrsquoexploitation familiale Nous distinguerons notamment deux grandes trajectoires drsquoeacutevolution de lrsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation lrsquoune partant de relations traditionnelles et greffant sur ces derniegraveres des modaliteacutes nouvelles lrsquoautre plus innovante fondeacutee sur la construction drsquoune cateacutegorie sociale nouvelle celle du land manager gestionnaire de patrimoines agricoles et nouveau maicirctre drsquoœuvre de la production agricole agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Enfin nous conclurons sur les questions souleveacutees par le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale

7 Cet article prolonge les analyses relatives agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale preacutesenteacutees dans Forget et al (2019)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 47

1 Deacutemarche meacutethodologique pour lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole

Le principal deacutefi poseacute par lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole8 et notamment de ses nouvelles pratiques est le repeacuterage qualitatif et quantitatif de ce pheacutenomegravene dans la mesure ougrave il existe peu de donneacutees permettant de lrsquoeacutetudier Pour contourner ce problegraveme lrsquoeacutetude a mobiliseacute une meacutethodologie mixte (Tashakkori et Teddlie 1998) et a comporteacute quatre grands volets avec pour principe une articulation eacutetroite entre analyses qualitatives et cadrages statistiques

Le premier volet consistait en la reacutealisation drsquoenquecirctes approfondies aupregraves de personnes ressources du secteur agricole (membres de la Socieacuteteacute des agriculteurs de France - SAF repreacutesentants syndicaux repreacutesentants de la Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) et de la Feacutedeacuteration nationale des CUMA (FNCUMA) dirigeants de coopeacuteratives etc) pour preacuteciser les contours du marcheacute de la sous-traitance et en preacutesenter les caracteacuteristiques

Les reacutesultats de ces enquecirctes ont eacuteteacute exploiteacutes dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude pour construire des indicateurs clefs et tenter de quantifier9 le pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France en mobilisant des donneacutees statistiques secondaires issues de diverses sources (recensements agricoles (RA) de 2000 et 2010 enquecircte sur les structures drsquoexploitation de 2016 Mutualiteacute sociale agricole FNEDT et registre Infogreffe du commerce et des socieacuteteacutes)

La quantification du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux culturaux agrave lrsquoeacutechelle nationale et de son eacutevolution constituait un enjeu meacutethodologique majeur les donneacutees de la statistique agricole ne permettant pas avant 2016 drsquoidentifier directement les exploitations qui y avaient recours En 2010 cet aspect nrsquoa eacuteteacute abordeacute dans le RA qursquoen reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Pour estimer le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale en grandes cultures en France en 2010 la meacutethode choisie dans le cadre du projet ANR Agrifirme a consisteacute dans un premier temps agrave caracteacuteriser les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant deacuteclareacute agrave cette date avoir entiegraverement deacuteleacutegueacute la conduite de leurs cultures Lrsquoanalyse srsquoest focaliseacutee sur les exploitations speacutecialiseacutees dans la production de ceacutereacuteales et drsquooleacuteo-proteacuteagineux dont la production brute standard (PBS) est supeacuterieure agrave 5 000 euro (ces exploitations sont les plus susceptibles de recourir agrave cette forme de deacuteleacutegation) Pour lrsquoextrapolation agrave lrsquoeacutechelle nationale lrsquoanalyse statistique a conduit agrave identifier plusieurs variables disponibles nationalement permettant drsquoisoler les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant inteacutegralement deacuteleacutegueacute leurs cultures Les variables retenues eacutetaient le nombre de jours de travail drsquoETA par hectare de ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux cultiveacute le pourcentage des uniteacutes de travail agricole (UTA) apporteacutees par une ETA et le recours agrave une ETA pour les travaux phytosanitaires Pour chacune de ces trois variables des seuils au-delagrave desquels

8 Les eacuteleacutements deacuteveloppeacutes dans le preacutesent article srsquoancrent dans des travaux de recherche qui ont deacutebuteacute avec le projet ANR 1808 01 intituleacute Agrifirme (2011-2014) Lrsquoobjectif principal de ce projet eacutetait drsquoidentifier de caracteacuteriser et de quantifier de nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomique et sociale de la production agricole Ils se sont poursuivis avec lrsquoappui du programme investissements drsquoAvenir ANR-10-EQPX-17 du programme de recherche PSDR IV-ReproInnov et du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation dans le but notamment de mettre agrave jour les donneacutees statistiques Ils srsquoappuient eacutegalement sur des enquecirctes reacutealiseacutees dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin portant sur les innovations organisationnelles en eacutelevage ovin et du projet europeacuteen H2020 Agrilink portant sur les mutations du conseil agricole Ces travaux ont eacuteteacute meneacutes par une eacutequipe drsquoenseignants-chercheurs en eacuteconomie et sociologie de lrsquoInstitut national polytechnique - Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) parmi lesquels Julien Brailly Olivier Legagneux Geneviegraveve Nguyen Valeacuterie Olivier et Franccedilois Purseigle avec lrsquoappui en particulier de Guilhem Anzalone Seacutebastien Billows Perrine Fortin Eloiumlse Bergeret Olivier Pauly Joseacute Ramanantsoa et Jeacutereacutemy Andreacute 9 Sauf indication contraire de la source est indiqueacutee les chiffres mentionneacutes dans lrsquoarticle srsquoappuyant sur les donneacutees secondaires ont eacuteteacute calculeacutes par les auteurs

48 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale eacutetait statistiquement tregraves probable ont eacuteteacute calculeacutes En faisant lrsquohypothegravese ndash forte ndash que dans drsquoautres reacutegions des uniteacutes structurellement semblables au regard de ces variables utiliseraient de la mecircme faccedilon ces prestataires nous avons extrapoleacute au reste de la France le nombre drsquoexploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures ayant eu recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

En 2016 le questionnaire de lrsquoenquecircte Structures (ESA) comportait pour la premiegravere fois une question sur le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale pour lrsquoensemble des travaux culturaux Ceci a permis drsquoeacutelargir lrsquoanalyse agrave toutes les productions et de valider a posteriori les ordres de grandeur issus de lrsquoextrapolation reacutealiseacutee agrave partir des donneacutees issues du RA 2010 sur les grandes cultures Par ailleurs pour avoir une ideacutee de lrsquoeacutevolution entre 2010 et 2016 du recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale par les exploitations en grandes cultures nous avons appliqueacute la meacutethode drsquoextrapolation preacuteceacutedemment deacutecrite pour le RA aux donneacutees de lrsquoESA 201610

En parallegravele de ce repeacuterage statistique le troisiegraveme volet a consisteacute en des enquecirctes approfondies conduites aupregraves de 32 ETA et de 33 de leurs clients dans diverses reacutegions (Hauts-de-France Grand Est Centre-Val de Loire Bretagne Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie) entre 2012 et 2016 afin de reacutealiser des monographies et une typologie de prestataires de services de clients et de relations de sous-traitance et de deacuteleacutegation Ces acteurs ont eacuteteacute seacutelectionneacutes de maniegravere agrave repreacutesenter la diversiteacute des scheacutemas de sous-traitance et de deacuteleacutegation tant classiques qursquoeacutemergents Au cours de ces enquecirctes des questions ont eacuteteacute poseacutees sur les caracteacuteristiques des acteurs et leurs motivations sur lrsquoorganisation de la sous-traitance et les arrangements contractuels tant formels (contrats eacutecrits collecteacutes) qursquoinformels La compreacutehension des pratiques et des dispositifs de sous-traitance et de deacuteleacutegation permise par cette approche a ensuite orienteacute une eacutetude plus quantitative du pheacutenomegravene lors du quatriegraveme volet

Dans le cadre de ce dernier volet la focale a eacuteteacute mise sur le grand Sud-Ouest de la France reacutegion caracteacuteriseacutee par une diversiteacute des productions et des structures de production et par lrsquoimportance du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale quantifieacute dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude Au printemps 2018 des donneacutees ont eacuteteacute collecteacutees agrave lrsquoaide drsquoun questionnaire auto-administreacute aupregraves de 5 400 agriculteurs de 12 deacutepartements du Sud-Ouest Ce fichier a eacuteteacute construit agrave partir de listes drsquoagriculteurs constitueacutees dans le cadre de recherches anteacuterieures

Apregraves relances et nettoyage de la base de reacuteponses 1 247 reacuteponses ont eacuteteacute retenues pour lrsquoanalyse soit 23 de lrsquoeacutechantillon initial Ce dispositif drsquoenquecircte relatif aux recompositions en cours de lrsquoorganisation du travail dans les exploitations agricoles avait pour objectifs

- de recenser les sources de main-drsquoœuvre sur lrsquoexploitation ainsi que les pratiques et les besoins de sous-traitance

- de recueillir lrsquoopinion des agriculteurs sur la sous-traitance et plus particuliegraverement sur le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale

10 Agrave la diffeacuterence de lrsquoESA 2016 dans le recensement agricole de 2010 la question de la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux dans les exploitations en grandes cultures a eacuteteacute introduite mais seulement pour lrsquoancienne reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Une meacutethode drsquoextrapolation a donc eacuteteacute eacutelaboreacutee pour estimer ce pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France (voir lrsquoencadreacute 21 agrave la page 39 de Forget V et al 2019) Cette mecircme meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee aux donneacutees ESA 2016 afin de pouvoir comparer deux variables eacutequivalentes Il est agrave noter que le reacutesultat de lrsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2016 par la meacutethode drsquoextrapolation donne un chiffre de 8 986 exploitations de grandes cultures concerneacutees Compareacute au chiffre issu directement de la question poseacutee aux exploitations dans lrsquoESA 2016 qui est de 11 036 il y a une leacutegegravere sous-estimation du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale par la meacutethode drsquoextrapolation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 49

- de comprendre les nouvelles formes drsquoorganisation du travail et les environnements sociaux eacuteconomiques et institutionnels favorables agrave lrsquoessor du marcheacute de la sous-traitance

Des analyses statistiques ont eacuteteacute reacutealiseacutees pour deacutecrire et expliquer les pratiques de sous-traitance et de deacuteleacutegation ainsi que le choix des modaliteacutes de contractualisation en fonction de facteurs internes et externes agrave lrsquoexploitation

Cette meacutethode mixte reposant sur des allers-retours entre approches qualitatives et quantitatives a ainsi permis non seulement une compreacutehension fine des meacutecanismes sociaux et eacuteconomiques qui preacutesident aux recompositions agrave lrsquoœuvre mais aussi de leur quantification

2 Un marcheacute de la sous-traitance en forte croissance depuis 2000

En 2010 623 des exploitations franccedilaises ont fait appel agrave des ETA (Legagneux et Olivier-Salvagnac 2017) Les calculs reacutealiseacutes agrave partir des donneacutees des deux derniers recensements agricoles et de lrsquoenquecircte Structures de 2016 montrent que depuis 2000 le pheacutenomegravene de sous-traitance nrsquoa cesseacute de se deacutevelopper En effet entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant eu recours agrave la sous-traitance de maniegravere notable11 a augmenteacute agrave un rythme de 27 par an pour atteindre 25 542 exploitations en 2016 soit 55 de la PBS de la ferme franccedilaise Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations12 qui repreacutesentent 69 du total des exploitations franccedilaises et 70 des exploitants ayant recours agrave la sous-traitance Entre 2000 et 2016 leur nombre srsquoest accru de 103 alors que celui des petites a connu un leacuteger fleacutechissement de - 3 Ce sont aujourdrsquohui 17 889 moyennes et grandes exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative contre 7 653 petites alors qursquoelles eacutetaient respectivement 8 810 et 7 879 en 2000

Pour ce qui est de lrsquooffre agrave cocircteacute des donneacutees de lrsquoInsee et de la Mutualiteacute sociale agricole (MSA) une enquecircte reacutealiseacutee entre octobre 2017 et juin 2018 par lrsquoobservatoire Emploi Formation de la FNSEA confirme le rocircle preacutedominant des ETA dans la reacutealisation des travaux agricoles (FNSEA 2018) auxquelles les agriculteurs ont davantage recours qursquoaux CUMA et aux groupements drsquoemployeurs

Souvent creacuteeacutees par des exploitants agricoles dans le but de diversifier leurs activiteacutes et leurs sources de revenus les ETA relegravevent de lrsquoarticle L722-2 du Code rural et de la pecircche maritime Leurs travaux peuvent ecirctre conduits sur drsquoautres exploitations en utilisant le mateacuteriel agricole disponible sur place ou le mateacuteriel de lrsquoentreprise voire en louant ce dernier agrave un autre exploitant Immatriculeacutee au Registre du commerce et des socieacuteteacutes une ETA peut prendre la forme drsquoune entreprise individuelle simple ou agrave responsabiliteacute limiteacutee ou drsquoune socieacuteteacute (SA SAS SARL SCEA etc)

11 La focale est mise ici sur les exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative Ce pheacutenomegravene est appreacutecieacute au travers de deux ratios qui mesurent la part du travail confieacute agrave une ETA sur a) le volume drsquoheures de travail fournies par la main-drsquoœuvre permanente sur lrsquoexploitation (nombre drsquoUTA fournies par les ETA nombre drsquoUTA permanente ge 9 ) et b) sur la taille eacuteconomique de lrsquoexploitation (nombre de jours de travail drsquoune ETA keuro PBS ge 023)12 Les laquo petites exploitations raquo sont deacutefinies comme celles ayant une PBS supeacuterieure ou eacutegale agrave 5 000 euro et strictement infeacuterieure agrave 25 000 euro par an et les laquo moyennes et grandes exploitations raquo comme celles dont la PBS est supeacuterieure ou eacutegale agrave 25 000 euro par an Les tregraves petites exploitations avec une PBS infeacuterieure agrave 5 000 euro ne sont pas prises en compte dans cette eacutetude

50 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Entre 2004 et 2014 selon les donneacutees de la MSA le nombre drsquoETA et celui des salarieacutes employeacutes par ces derniegraveres ont connu une hausse de respectivement 10 et 73 (CCMSA-FNEDT 2015) Ces chiffres ont connu un leacuteger infleacutechissement pour lrsquoanneacutee 2015 mais sont de nouveau en hausse depuis 2016 avec des taux de progression annuels de 19 pour le nombre drsquoETA et de 27 pour les effectifs de salarieacutes En 2016 la MSA comptabilisait 14 022 ETA employant 96 452 salarieacutes permanents et saisonniers reacuteparties sur lrsquoensemble du territoire franccedilais en particulier dans les reacutegions de plaine autour drsquoun croissant Sud Sud-Ouest Centre Nord (figure 1)

Lorsqursquoil est replaceacute dans une perspective historique le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture apparaicirct eacutetroitement lieacute aux progregraves techniques reacutealiseacutes dans ce secteur mais eacutegalement tout comme dans lrsquoindustrie agrave la conjoncture eacuteconomique Reacutealiseacutee avec les donneacutees drsquoInfogreffe relatives agrave la creacuteation drsquoeacutetablissements depuis 1945 la figure 2 montre que lrsquoessor du recours agrave la sous-traitance dans les anneacutees 1980 pointeacute par Heacutebrard (2001) et Chevalier (2007) est alleacute de pair avec le deacuteveloppement des CUMA puis des ETA Il convient ici de rappeler que les premiegraveres ETA ont eacuteteacute creacuteeacutees dans lrsquoentre-deux-guerres avec lrsquoarriveacutee des batteuses selon une logique entrepreneuriale et de marcheacute13 et ce apregraves lrsquoeacutemergence des CUMA qui elles ont eacuteteacute creacuteeacutees dans une logique drsquoentraide et de mutualisation afin de reacutepondre aux attentes drsquoexploitations familiales appeleacutees agrave se moderniser Mais le veacuteritable deacuteveloppement du marcheacute franccedilais de la sous-traitance est concomitant du moment ougrave le secteur agricole est entreacute dans une longue peacuteriode drsquoincertitude eacuteconomique et sociale Depuis les anneacutees 1980 plusieurs faits ont selon nous contribueacute agrave faire eacutevoluer les preacutefeacuterences des acteurs de la sous-traitance qursquoils soient clients ou deacuteleacutegataires et agrave expliquer lrsquoaugmentation significative du nombre de creacuteation drsquoETA (figure 2) la baisse tendancielle du nombre drsquoactifs familiaux agricoles les reacuteformes successives

Figure 1 - Nombre drsquoETA par code postal dans un rayon de 25Km (donneacutees Infogreffe 2019)

2735544363024191270

105453122171310740

Nombre ETA par code postal dans un rayon de 25 km

Nombre CUMA par code postal dans rayon de 25 km

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs agrave partir des donneacutees Indogreffe 2019

13 Pour une histoire des entreprises de travaux agricoles voir Des entrepreneurs de battage aux entrepreneurs des territoires 85 ans de syndicalisme des entrepreneurs 1922-2007 2007 Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 51

Figure 2 - Eacutevolution du nombre de creacuteations drsquoETA et de CUMA (donneacutees Infogreffe 20192019))

Source Graphique reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees Infogreffe 2019

de la PAC et notamment celles actant le passage drsquoune logique de soutien agrave la production agrave une logique de gestion des risques et drsquoun laquo verdissement raquo relatif des aides publiques la hausse continue du prix de lrsquoeacutequipement agricole ou encore les diverses mesures de deacutefiscalisation des investissements productifs

Crsquoest cet essor reacutecent de la sous-traitance qui nous inteacuteresse plus particuliegraverement ici Si dans le secteur industriel les dirigeants drsquoentreprises ont eacuteteacute ameneacutes depuis les anneacutees 1980 agrave fortement repenser les relations de sous-traitance pour capter des ressources externes strateacutegiques et creacuteer de la valeur (Arnold 2000 Mildberg et Winkler 2013) il nous paraicirct tregraves probable que les entreprises agricoles malgreacute leurs speacutecificiteacutes aient suivi la mecircme tendance

Quelques chiffres clefs

En 2016 ce sont

  plus de 26 500 exploitations toutes OTEX confondues qui ont deacuteclareacute avoir sous-traiteacute lrsquoensemble des travaux de culture soit au moins 500 000 hectares et 55 de la PBS de la ferme franccedilaise

  70 drsquoentre elles sont des exploitations de taille moyenne agrave grande

  125 drsquoentre elles sont des exploitations en grandes cultures et autant drsquoexploitations bovin-lait et en polyculture-eacutelevage

  plus de 14 000 ETA et 96 000 salarieacutes

52 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

3 Une pluraliteacute de demandes et de pratiques en reacuteponse agrave lrsquoeacutevolution du contexte agricole

En mecircme temps qursquoil se deacuteveloppe le pheacutenomegravene de sous-traitance connaicirct deux eacutevolutions majeures La premiegravere concerne la nature des services demandeacutes et lrsquoampleur des travaux sous-traiteacutes Les agriculteurs sont non seulement plus nombreux agrave sous-traiter mais ils sous-traitent de plus en plus de tacircches La deuxiegraveme eacutevolution relegraveve de la logique mecircme de sous-traitance avec deux basculements Lrsquoun comme pour le secteur industriel voit lrsquoeacutemergence drsquoune laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo agrave cocircteacute de la classique laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo Lrsquoautre met en lumiegravere au travers du deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo lrsquoapparition drsquoune logique de gestion patrimoniale faisant des prestataires de services des gestionnaires de patrimoine agricole et leur accordant une place particuliegravere dans lrsquoorganisation et le maintien drsquoune capaciteacute productive agrave lrsquoeacutechelle des territoires Les donneacutees issues du sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest et des enquecirctes approfondies aupregraves des parties prenantes de la sous-traitance permettent de comprendre plus preacuteciseacutement les changements opeacutereacutes

31 Sous-traiter pour geacuterer des incertitudes eacuteconomiques et accompagner la gestion des contraintes reacuteglementaires environnementales

Au sein de la population des reacutepondants au sondage la prise en charge drsquoopeacuterations de culture par un tiers concerne 83 des exploitations (soit 1 027 individus) essentiellement de tailles moyenne et grande Ce ne sont plus uniquement les petites exploitations qui sous-traitent par manque de capaciteacute De plus si la reacutecolte reste la principale opeacuteration sous-traiteacutee les agriculteurs font aussi appel agrave un tiers pour la reacutealisation drsquoautres travaux de culture comme les eacutepandages drsquoengrais et de lisier les traitements phytosanitaires le travail du sol et le semis La sous-traitance relegraveve ici plutocirct des ETA qui assurent plus de la moitieacute des prestations mecircme si les enquecirctes approfondies suggegraverent que les agriculteurs peuvent avoir recours agrave la fois aux ETA et aux CUMA selon le service demandeacute plutocirct lrsquoETA pour des opeacuterations comme la reacutecolte et le semis car celles-ci doivent ecirctre faites au bon moment et dans un temps limiteacute ou encore pour des opeacuterations requeacuterant un mateacuteriel coucircteux plutocirct une CUMA pour les autres opeacuterations parce que le service est parfois moins oneacutereux Il est inteacuteressant de noter que les principales raisons avanceacutees pour sous-traiter ces opeacuterations de culture ne renvoient pas neacutecessairement agrave un deacuteficit de main-drsquoœuvre mais drsquoabord agrave des choix drsquoinvestissement et drsquoorganisation du travail sur lrsquoexploitation (encadreacute 1) Parallegravelement la compeacutetence technique (et non le prix) constitue le principal critegravere de choix des ETA (encadreacute 1) Du cocircteacute des exploitants commanditaires le recours agrave une ETA fait donc partie de strateacutegies de reacuteorganisation de leur activiteacute productive Ils sous-traitent non seulement des tacircches annexes mais eacutegalement certaines tacircches symboliques comme le semis pour se recentrer sur ce qursquoils considegraverent ecirctre leur cœur de meacutetier et leur apport strateacutegique pour le maintien de leur exploitation Cela concerne les eacuteleveurs qui deacutelegraveguent les tacircches lieacutees aux cultures pour se concentrer sur lrsquoeacutelevage mais aussi des agriculteurs en grandes cultures qui choisissent de se speacutecialiser sur certaines tacircches (surveillance des cultures et leur commercialisation) et de sous-traiter le reste Par ailleurs la lecture croiseacutee des reacutesultats du sondage et celle des entretiens reacutealiseacutes nous conduisent agrave eacutemettre lrsquohypothegravese drsquoun recours accru agrave la deacuteleacutegation pour la mise en œuvre de pratiques neacutecessitant des moyens techniques ou technologiques particuliers

Agrave la diffeacuterence drsquoautres pays europeacuteens (Angleterre Allemagne ou Espagne) la sous-traitance des travaux drsquoeacutelevage apparaicirct en France moins deacuteveloppeacutee que dans le secteur des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 53

Encadreacute 1 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations de culture par des ETA dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions veacutegeacutetales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production veacutegeacutetale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 075)

Q2 - Les raisons de la sous-traitanceQ1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q1 - Types drsquoopeacuterations sous-traiteacuteesQ1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

54 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Encadreacute 2 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations drsquoeacutelevage dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions animales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production animale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 017)

Q1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Q1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q2 - Les raisons de la sous-traitance traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Q1 - Types drsquoopeacuteration sous-traiteacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 55

Encadreacute 3 - Exemple de sous-traitance drsquoopeacuterations drsquoeacutelevage le cas de la filiegravere ovine

La Servoise1 est une socieacuteteacute de prestation de services en eacutelevage situeacutee dans le quart nord-est de la France Socieacuteteacute par actions simplifieacutee (SAS) elle rassemble agrave parts eacutegales ses fondateurs et la coopeacuterative Boviconcept speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutechographie et lrsquoinseacutemination de ruminants Ils partagent un portefeuille de clients tous eacuteleveurs de petits ruminants (ovins et caprins) et mutualisent des bureaux

Fondeacutee dans un premier temps autour de lrsquoeacutechographie et de lrsquoinseacutemination des petits ruminants la gamme des services de la Servoise srsquoest eacutetendue agrave des prestations telles la tonte le parage des onglons lrsquoaide agrave lrsquoagnelage ou encore la manipulation de troupeaux Si la tonte est une activiteacute traditionnellement deacuteleacutegueacutee les trois autres ne le sont geacuteneacuteralement pas Pour les geacuterants de cette socieacuteteacute le deacuteploiement de cette nouvelle offre de services reacutepond agrave une eacutevolution structurelle des eacutelevages En effet lrsquoeffectif des troupes ovines ne cesse de croicirctre alors que dans le mecircme temps le collectif de travail se reacutetracte du fait de la disparition massive des aides familiaux non-salarieacutes (- 137 690 depuis 2000 drsquoapregraves le RA 2010 et ESEA 2016) Lrsquoagnelage comme le parage des onglons correspondaient agrave des pics de travail saisonniers qui eacutetaient jusque-lagrave absorbeacutes par lrsquoensemble du collectif de travail familial

Le fonctionnement de la Servoise se caracteacuterise par lrsquoeacutetendue de sa zone drsquointervention et par la techniciteacute de ses salarieacutes Son activiteacute se deacuteploie sur un rayon de 200 km autour de son siegravege social pour les services en eacutelevage et srsquoeacutetend jusqursquoen Bulgarie pour les eacutechographies ou les inseacuteminations La zone drsquointervention de la Servoise ne correspond pas agrave un bassin de production deacutetermineacute par une filiegravere Elle srsquoest constitueacutee au greacute des eacutevolutions du portefeuille de clients La techniciteacute des salarieacutes est aussi une caracteacuteristique mise en avant pour justifier du modegravele eacuteconomique de la Servoise Speacutecialiseacutes sur certaines activiteacutes beacuteneacuteficiant de lrsquoeacutequipement idoine ses salarieacutes ont dans leurs champs drsquointervention respectifs un rendement plus eacuteleveacute que celui des eacuteleveurs Lagrave ougrave les activiteacutes se chevauchaient sur une mecircme peacuteriode le recours agrave la sous-traitance permet aux eacuteleveurs drsquooptimiser le calendrier de travail et de rationaliser la reacutepartition des tacircches en se gardant celles qursquoils maicirctrisent le mieux et en externalisant les autres

A contrario de ce qui peut ecirctre observeacute en grandes cultures les activiteacutes deacuteleacutegueacutees agrave la Servoise ne le sont jamais dans leur inteacutegraliteacute les eacuteleveurs ont toujours la maicirctrise technique et la gestion de lrsquoagnelage et du parage des onglons Ainsi le recours agrave la Servoise est drsquoabord motiveacute par la diminution de lrsquointensiteacute de certains pics de travail Pour lrsquoagnelage activiteacute centrale en eacutelevage ovin la deacuteleacutegation nrsquoa rien drsquoeacutevident Les eacuteleveurs ayant fait appel agrave cette entreprise pour ce service lrsquoont fait suite agrave un laquo coup dur raquo un eacuteveacutenement les mettant dans lrsquoimpossibiliteacute de faire face agrave la charge de travail Le caractegravere ponctuel des interventions de la Servoise au sein des eacutelevages se traduit dans leur offre de prestations qui se deacutecline en forfait journeacutee ou en heures factureacutees

Le recours agrave la Servoise offre aux eacuteleveurs la possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave des informations concernant les pratiques drsquoeacutelevage Certains drsquoentre eux ont modifieacute leurs proceacutedeacutes de contention ou ont revu leurs meacutethodes drsquoagnelage agrave la suite drsquoun passage de la Servoise Ainsi dans une zone (le Nord-Est de la France) qui se caracteacuterise par une faible densiteacute drsquoeacutelevages et par un eacuteloignement important entre les exploitations ovines la Servoise srsquoapparente agrave une interface diffusant de lrsquoinformation et mettant en reacuteseau des exploitations disperseacutees

1 Tous les noms drsquoentreprise ont eacuteteacute modifieacutes Source Jeacuteremy Andreacute 2019 Caracteacuterisation des innovations organisationnelles collectives et des transformations du travail dans les eacutelevages ovins franccedilais meacutemoire de master projet CASDAR intituleacute laquo Ameacuteliorer les conditions de travail en eacutelevage ovin un enjeu drsquoattractiviteacute et de dynamisation de la filiegravere (AmTravrsquoOvin)

56 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

productions veacutegeacutetales Les derniegraveres donneacutees publieacutees par lrsquoInsee agrave ce sujet montrent qursquoen 2005 les agriculteurs franccedilais nrsquoont deacutepenseacute en travaux et services agrave lrsquoeacutelevage que 07 milliard drsquoeuros contre 18 milliard drsquoeuros pour les deacutepenses lieacutees aux cultures Cependant le recours agrave la sous-traitance en eacutelevage augmente bien plus rapidement (+ 23 des deacutepenses entre 1995 et 2005) qursquoen productions veacutegeacutetales (+8 sur la mecircme peacuteriode) La mecircme tendance semble srsquoobserver dans le grand Sud-Ouest puisque seulement 23 des sondeacutes de notre eacutetude ont deacuteleacutegueacute au moins une opeacuteration drsquoeacutelevage (dont seulement 2 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 3) contre 83 pour les opeacuterations de culture (dont 12 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 2) Selon les donneacutees drsquoInfogreffe le nombre de prestataires de services en soutien aux productions animales ne repreacutesente que 10 de lrsquoensemble des prestataires Agrave la diffeacuterence des cultures les opeacuterations sous-traiteacutees en eacutelevage preacutesentent une grande diversiteacute selon le type de filiegravere (encadreacute 2) Cette pluraliteacute drsquoactiviteacutes susceptibles drsquoecirctre deacuteleacutegueacutees a pu conduire agrave une speacutecialisation des entreprises prestataires de services intervenant dans les filiegraveres drsquoeacutelevage Srsquoil est commun pour un eacuteleveur de deacuteleacuteguer des tacircches requeacuterant des compeacutetences speacutecifiques (inseacuteminations artificielles ou autres en lien avec lrsquoentretien des bacirctiments et les petits soins) afin de faciliter lrsquoorganisation du travail le choix de sous-traiter des tacircches intrinsegravequement lieacutees agrave lrsquoidentiteacute mecircme drsquoeacuteleveur (suivi du troupeau surveillance de lrsquoagnelage) semble plus rare et reacutecent Toutefois comme en attestent les travaux reacutealiseacutes par notre eacutequipe dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin (encadreacute 3) certains eacuteleveurs y ont recours depuis peu pour reacuteduire lrsquointensiteacute de certains pics de travail ou pallier un manque ponctuel de main-drsquoœuvre Les enquecirctes aupregraves drsquoeacuteleveurs suggegraverent que cette pratique pourrait se deacutevelopper dans le futur en cas de non-renouvellement des deacuteparts agrave la retraite Elle teacutemoignerait alors drsquoun changement important dans la conduite de certains troupeaux (Andreacute 2019) Ces reacutesultats illustrent un mouvement drsquoexternalisation drsquoactiviteacutes qui se geacuteneacuteralise mecircme si comme dans lrsquoindustrie il se deacutecline selon des registres diffeacuterents drsquoune filiegravere agrave lrsquoautre (Mariotti 2005)

Drsquoapregraves les enquecirctes reacutealiseacutees il semble que le contexte actuel est particuliegraverement favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance des travaux agricoles Les incitations des politiques publiques pour une agriculture agrave bas intrants le durcissement des normes environnementales les preacuteoccupations des agriculteurs pour lrsquoenvironnement et leur santeacute la multiplication des controverses et des conflits de voisinage en relation avec les travaux drsquoeacutepandage et de traitement phytosanitaire mais aussi les opportuniteacutes de marcheacute offertes par le deacuteveloppement des deacutemarches de qualiteacute officielles (agriculture biologique) comme priveacutees (cahier des charges collectif laquo Zeacutero reacutesidu de pesticides raquo par exemple) constituent autant de facteurs qui poussent aujourdrsquohui de plus en plus drsquoagriculteurs agrave deacuteleacuteguer des opeacuterations qui requiegraverent un mateacuteriel une qualification ou une techniciteacute speacutecifiques Crsquoest notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole Une concomitance srsquoobserve alors entre la monteacutee des preacuteoccupations environnementales et le deacuteveloppement de lrsquoexternalisation de tacircches comme le traitement phytosanitaire par des exploitations familiales qui ne trouvent pas toujours en leur sein les compeacutetences pour mettre en œuvre les pratiques adapteacutees Agrave lrsquoinstar de certains travaux reacutealiseacutes dans le secteur industriel on constate que certaines pratiques de sous-traitance en agriculture se singularisent par une mobilisation de ressources pouvant ecirctre tregraves speacutecifiques et neacutecessitant des investissements financiers (achat de mateacuteriels plus puissants avec des technologies performantes entretien reacuteparation assurance etc) et en temps de travail importants (formation pour lrsquoacquisition de nouvelles compeacutetences conduite des chantiers etc) Agrave lrsquoinverse de ce que lrsquoon pouvait observer dans les anneacutees 1960-90 beaucoup drsquoagriculteurs ne sont aujourdrsquohui plus precircts agrave assumer de tels investissements en raison notamment des fortes fluctuations du revenu agricole ces deux derniegraveres deacutecennies mais eacutegalement au regard des incertitudes croissantes pesant sur le renouvellement des geacuteneacuterations Ceux-ci raisonnent de plus en plus en coucircts drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement Agrave travers la sous-traitance drsquoautres par prudence vont vouloir tester un nouvel eacutequipement de preacutecision coucircteux et beacuteneacuteficier des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 57

conseils techniques du prestataire de service avant drsquoen faire lrsquoacquisition La deacutecision de faire-faire plutocirct que de faire soi-mecircme ou de faire-avec est devenue une composante agrave part entiegravere de la strateacutegie globale de lrsquoexploitation dans laquelle la deacuteleacutegation reacutepond agrave des objectifs non seulement drsquoexternalisation des coucircts et de gestion de la main-drsquoœuvre mais eacutegalement de recherche de ressources externes speacutecifiques et de gestion des risques (Nguyen et al 2019) La relation de sous-traitance peut srsquoinscrire dans le temps long lorsque lrsquoagriculteur juge le coucirct drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement trop eacuteleveacute et lrsquoopeacuteration ininteacuteressante comme elle peut nrsquoecirctre que temporaire sur une ou quelques campagnes le temps pour lrsquoagriculteur de tester une pratique nouvelle

Agrave cocircteacute de la prise en charge des opeacuterations techniques les exploitations ont aussi de plus en plus recours agrave la sous-traitance pour des tacircches administratives notamment en matiegravere de deacuteclaration PAC (29 des reacutepondants au sondage) et de deacuteclaration fiscale (26 ) On observe eacutegalement que la deacuteleacutegation concerne les fonctions de conseil puisque pregraves de 39 des sondeacutes deacuteclarent faire appel agrave des prestataires de services pour du conseil agronomique juridique et patrimonial ou encore pour les aider agrave reacutefleacutechir sur les assolements et les itineacuteraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportuniteacutes de marcheacute Comme le suggegraverent les enquecirctes approfondies aupregraves des agriculteurs la dimension laquo conseil raquo de la sous-traitance constitue une reacuteelle nouveauteacute Elle concerne notamment les ETA dont la mission eacutetait jusqursquoagrave preacutesent principalement centreacutee sur la conduite des travaux selon un cahier des charges eacutetabli par le chef drsquoexploitation seul ou avec lrsquoETA La monteacutee en compeacutetences des ETA et la speacutecialisation de certaines drsquoentre elles sur quelques opeacuterations speacutecifiques associeacutees agrave lrsquoagriculture de preacutecision et agrave bas niveau drsquointrants ont favoriseacute le deacuteveloppement de nouvelles relations de sous-traitance et de production deacuteleacutegueacutee Ce conseil qui porte sur des aspects agrave la fois techniques et strateacutegiques joue un rocircle crucial dans la construction drsquoune relation durable entre lrsquoexploitant et le prestataire de services conduisant dans un certain nombre de cas agrave un glissement progressif vers des formes de deacuteleacutegation inteacutegrale discuteacutees ci-apregraves En effet nous avons pu constater que la propension agrave deacuteleacuteguer un nombre croissant de tacircches augmente lorsque lrsquoexploitation est diversifieacutee et situeacutee agrave proximiteacute drsquoune ETA mais eacutegalement lorsque lrsquoagriculteur projette de confier dans le futur la gestion inteacutegrale de son exploitation agrave un tiers (tableau 1) Enfin comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-dessous le scheacutema de sous-traitance agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation revecirct aujourdrsquohui une certaine complexiteacute en raison de la multipliciteacute agrave la fois des relations de sous-traitance et des motivations de lrsquoagriculteur pour externaliser certaines tacircches

laquo Je fais appel agrave beaucoup de prestataires pour mes cultures pour gagner en temps parce que jrsquoai un atelier poulet Label rouge agrave cocircteacute en contrat avec la coopeacuterative et que je ne suis qursquoagrave mi-temps sur mon exploitation Et puis crsquoest pour aussi tester des pratiques parce que jrsquoessaie de passer agrave une agriculture de conservation Par exemple depuis trois ans je fais beaucoup de rotations et pour le semis je teste le semis-direct avec une ETA eacutequipeacutee en semoir direct et crsquoest aussi un ami avec qui jrsquoeacutechange beaucoup On teste des eacutecartements des semis plus ou moins denses Et puis pour lrsquoeacutepandage drsquoazote et la reacutecolte je fais appel agrave drsquoautres prestataires raquo (Agriculteur en polyculture-polyeacutelevage Pyreacuteneacutees-Atlantiques juin 2018)

32 Le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale de la gestion drsquoun patrimoine agrave la recherche de la performance globale de lrsquoexploitation

Lrsquoautre eacutevolution majeure des pratiques de sous-traitance est le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale dont les premiegraveres manifestations ont eacuteteacute releveacutees par Harff et Lamarche (1998) au deacutebut des anneacutees 1990 dans une reacutegion de grandes cultures comme la Beauce Cette forme de deacuteleacutegation concerne lrsquoensemble des opeacuterations techniques

58 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 1 - Deacuteterminants de la propension agrave sous-traiter de multiples opeacuterations de culture Modegravele de Poisson avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Nombre drsquoopeacuterations de culture sous-traiteacutees

Caracteacuteristiques de lrsquoagriculteur et de lrsquoexploitation

Age - 0003 (0002)Agriculteur agrave titre secondaire - 0047 (0035)Part du foncier en proprieacuteteacute - 0018 (0106)Seul sur lrsquoexploitation - 0008 (0038)Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 0188 (0085)Surface en grandes cultures - 0067 (0045)Surface en arboriculture - 0008 (0038)Surface en maraicircchage - 0007 (0031)Surface en vigne - 0023 (0032)Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) - 0013 (0028)Surface en cultures fourragegraveres 0041 (0033)Taille du troupeau bovin lait - 0029 (0035)Taille du troupeau bovin viande 0030 (0028)Taille du troupeau ovin 0112 (0125)Taille de lrsquoeacutelevage de volaille - 0001 (0028)Taille du troupeau caprin - 0147 (0174)Accegraves aux ETANombre drsquoETA dans un rayon de 1 km 0086 (0031)Nombre drsquoETA dans un rayon de 25 km - 0034 (0040)Nombre de CUMA dans un rayon de 1 km - 0066 (0045)Nombre de CUMA dans un rayon de 25 km 0020 (0048)

Projet drsquoentreprise et perceptions du marcheacute actuel de la sous-traitance

Projet drsquooptimisation du travail 0087 (0069)Projet de diversification des activiteacutes de production 0009 (0075)Projet drsquoactiviteacutes agritouristiques 0121 (0102)Projet drsquoaugmentation de la taille de lrsquoexploitation - 0029 (0084)Projet de maintien de la taille de lrsquoexploitation 0079 (0071)Projet de deacuteleacutegation de lrsquoexploitation agrave un tiers 0307 (0125)Pense qursquoil manque une coordination des ETA 0031 (0096)Pense que trop drsquoETA sont en concurrence - 0282 (0136)Pense que la demande est forte et qursquoil nrsquoy a pas assez drsquoETA 0281 (0101)Pense que les besoins sont diversifieacutes et que les ETA nrsquoarrivent pas agrave satisfaire certains drsquoentre eux 0123 (0091)

Constante 0401 (0141)Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

625- 8987301 857461

plt01 plt005 plt0001

Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

drsquoun ou de plusieurs ateliers de production et est nommeacutee dans le milieu professionnel laquo de A agrave Z raquo ou laquo chantier complet raquo Il convient de distinguer cette laquo deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles raquo qui concerne drsquoailleurs principalement les opeacuterations sur les systegravemes de cultures de la laquo deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole raquo qui consiste agrave confier agrave un tiers non seulement la reacutealisation de tous les travaux sur lrsquoexploitation mais eacutegalement la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoentreprise (deacutecisions drsquoassolement et drsquoitineacuteraires techniques conduite de lrsquoeacutelevage commercialisation management des eacutequipes sur les chantiers gestion comptable et deacuteclarations PAC) Cette derniegravere variante de la deacuteleacutegation inteacutegrale correspond agrave la forme la plus aboutie et la plus ineacutedite de sous-traitance car elle conduit agrave une seacuteparation totale entre les droits de proprieacuteteacute et la gestion opeacuterationnelle de lrsquoentreprise Le proprieacutetaire peut encore garder dans une certaine mesure le controcircle sur des deacutecisions strateacutegiques mais toutes les deacutecisions opeacuterationnelles sont geacuteneacuteralement transfeacutereacutees agrave un tiers connu sous le nom de laquo chef de culture raquo ou encore

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 59

laquo land manager raquo (cf section 42) Ce dernier peut ecirctre assimileacute agrave la figure du geacuterant drsquoexploitation Mais agrave la diffeacuterence de la geacuterance les arrangements mis en place dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation nrsquoimpliquent pas une embauche formelle Mateacuterialiseacutee souvent par un contrat de prestation classique annualiseacute et reconduit tacitement drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre cette relation de sous-traitance singuliegravere se caracteacuterise ainsi par sa grande flexibiliteacute

Mecircme si elle ne concernait alors que la reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees il faut attendre 2010 pour qursquoune question sur la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture soit inteacutegreacutee au questionnaire du recensement geacuteneacuteral agricole Les reacuteponses agrave cette question ont permis agrave notre eacutequipe par extrapolation des donneacutees agrave lrsquoensemble de la France drsquoestimer que 123 des exploitations en grandes cultures eacutetaient concerneacutees par cette pratique Dans le cadre de lrsquoenquecircte structures 2016 cette question a eacuteteacute eacutetendue agrave lrsquoensemble des exploitations franccedilaises Il a eacuteteacute ainsi possible drsquoobtenir une estimation plus preacutecise et de confirmer lrsquoampleur du pheacutenomegravene observeacutee en 2010 Ainsi en 2016 71 des exploitations toutes productions confondues ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euro ont deacuteclareacute avoir deacuteleacutegueacute inteacutegralement les travaux de cultures (Forget et al 2019 p39) Les exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale sont en 2010 comme en 2016 principalement localiseacutees selon un arc SudOuestNord-Est dans les reacutegions Midi-Pyreacuteneacutees Aquitaine Poitou-Charentes Centre Bretagne Basse Normandie et Champagne-Ardenne avec des taux de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures pouvant atteindre 18 (figures 3 et 4) En 2016 ce pheacutenomegravene mecircme srsquoil concerne plus particuliegraverement les exploitations en grandes cultures (125 ) est eacutegalement preacutesent dans les exploitations ayant drsquoautres orientations technico-eacuteconomiques et notamment les exploitations en bovin-lait (61 ) en bovin-viande (54 ) avec des herbivores ou granivores (54 ) et les exploitations de polyculture-polyeacutelevage (61 ) et lagrave eacutegalement plutocirct de moyenne et grande tailles (tableau 2)

Concernant plus preacuteciseacutement les exploitations en grandes cultures pour lesquelles un exercice de comparaison est possible en appliquant aux donneacutees de 2016 la mecircme meacutethode de calcul que pour les donneacutees de 2010 il apparaicirct qursquoentre 2010 et 2016 le nombre drsquoexploitations en grandes cultures en deacuteleacutegation inteacutegrale a progresseacute de 27 (tableau 3) Les calculs montrent surtout qursquoau cours de cette peacuteriode il y a eu un report du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites exploitations (- 212 ) vers les moyennes et grandes exploitations en grandes cultures (+ 276 ) En 2016 ce sont donc 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concerneacutees par la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo Les premiegraveres sont majoritairement des exploitations individuelles (479 ) mais eacutegalement sous statut de socieacuteteacute civile (271 ) et avec des chefs drsquoexploitation deacuteclarant travailler moins drsquoun quart-temps sur lrsquoexploitation (528 ) Les petites exploitations concerneacutees sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (919 ) avec lagrave encore un exploitant travaillant moins drsquoun quart-temps (742 ) Il est enfin inteacuteressant de noter lrsquoaugmentation de 5 points du nombre drsquoexploitations moyennes et grandes sous statut de socieacuteteacute civile entre 2010 et 2016

Les enquecirctes approfondies reacutealiseacutees aupregraves des exploitants et des ETA permettent de formuler une hypothegravese pour expliquer le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale Il ressort en effet que la deacuteleacutegation inteacutegrale sur les petites exploitations est un pheacutenomegravene plus ancien relevant drsquoindividus non-exploitants devenus proprieacutetaires de structures de petite taille agrave la suite drsquoheacuteritages successifs La conduite des cultures de ces petites structures est geacuteneacuteralement prise en charge par des agriculteurs-exploitants du voisinage qui ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation pour amortir leur mateacuteriel et acceptent de laquo rendre service raquo aux voisins laquo absents raquo La deacuteleacutegation au sein des moyennes et grandes exploitations serait quant agrave elle plus reacutecente et due aux difficulteacutes de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitaliseacutees Ces difficulteacutes se

60 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type socieacuteteacute civile ougrave lrsquoabsence drsquoentente entre associeacutes ne permet pas la geacuterance par un membre de la famille et conduit souvent agrave deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation agrave autrui La deacutegradation du taux de renouvellement des geacuteneacuterations associeacutee agrave la concentration des structures serait donc dans la peacuteriode reacutecente le principal moteur du glissement observeacute du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites vers des moyennes et grandes exploitations

Le choix de deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation plutocirct que de la donner en fermage est significatif de la distinction entre capital productif et patrimoine familial Mecircme si le statut du fermage autorise la reprise des terres par le proprieacutetaire en vue de les exploiter lui-mecircme (ou un membre de sa famille) il est jugeacute contraignant par les proprieacutetaires qui redoutent de perdre la maicirctrise de leur foncier laquo progressivement renforceacute depuis son instauration dans un sens favorable aux droits du fermier le reacutegime du bail rural permet agrave lrsquoexploitant locataire de disposer de droits drsquousage eacutetendus sur les terres qursquoil a en jouissance agrave tel point que sa condition a parfois eacuteteacute compareacutee agrave celle drsquoun quasi-proprieacutetaire raquo (Melot 2012) Le fait que certains fassent le choix de garder le statut drsquoexploitant tout en en deacuteleacutegant la gestion de la structure montre que dans certains cas le projet patrimonial lrsquoemporte sur la construction drsquoun projet eacuteconomique Ce nrsquoest alors plus la famille qui est mobiliseacutee au service de lrsquoexploitation mais lrsquoexploitation qui est mobiliseacutee au service de la famille

Figure 3 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2010 pour les exploitations en grandes cultures ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euroEn nombre drsquoexploitations En surface de ceacutereacuteales oleacuteagineux et proteacuteagineux

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs avec les donneacutees du RA 2010

Cette configuration permet de maintenir la valeur du foncier celle-ci eacutetant moindre lorsque les terres sont en fermage comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-apregraves

laquo Qursquoest-ce que vous feriez si vous eacutetiez trois agrave la tecircte drsquoune exploitation de 100 hectares Qursquoagrave force de pleurer dans votre foyer vous avez deacutefinitivement motiveacute aucun de vos enfants pour reprendre qursquoagrave force de dire que crsquoest un meacutetier qui gagne rien tout le monde finit par ecirctre convaincu Et que en mecircme temps agrave 59 ans la retraite agrave laquelle vous pouvez preacutetendre est franchement extrecircmement mince Il y a une partie de la population qui

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 61

Figure 4 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2016 pour lrsquoensemble des exploitations

Source cartes reacutealiseacutees par le CEP avec les donneacutees de lrsquoESEA 2016 in Forget V et al (2019) page 40

se dit lsquorsquosi jrsquoavais un prestataire de services qui tient la route ccedila me permettrait quand on calcule bien dans certains cas de figures et surtout si le gars tient la route financiegraverement et moralement je gagnerais mecircme plus que dans ma peacuteriode drsquoactiviteacute sans rien fairersquorsquo Crsquoest une manne financiegraverehellip agrave vie Vous donnez la proprieacuteteacute de vos parts mais vous gardez lrsquousufruit et vous faites faire agrave un prestataire de services Et lrsquoexploitation elle reste dans la famille chacun prend un tiers il y a pas de difficulteacute de partage Point termineacute raquo

(Prestataire de services parlant du cas drsquoun de ses clients Champagne-Ardenne feacutevrier 2013)

En parallegravele de lrsquoessor de la deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquooffre de sous-traitance se deacuteveloppe (figure 2) avec la creacuteation de nouvelles ETA leur agrandissement et la professionnalisation des plus anciennes permettant la prise en charge drsquoune surface plus importante Et parmi ces derniegraveres les plus grandes vont chercher agrave contractualiser avec les plus grandes exploitations pour reacutealiser des eacuteconomies drsquoeacutechelle

Gracircce agrave des questions portant speacutecifiquement sur la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole le sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest apporte un eacuteclairage compleacutementaire aux statistiques nationales qui sont limiteacutees agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures Dans cette reacutegion le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux concerne ainsi en 2018 54 de la population totale des reacutepondants soit 58 exploitations toutes productions confondues sur 1 075 Ce sont principalement des exploitations en grandes cultures (64 de la population en question) appartenant agrave des exploitants plutocirct pluriactifs acircgeacutes entre 35 et 55 ans Les principales raisons avanceacutees par les agriculteurs enquecircteacutes pour justifier le recours agrave cette forme aboutie de sous-traitance sont par ordre deacutecroissant drsquoimportance lrsquoabsence de mateacuteriel suite agrave un choix de non-investissement la pluriactiviteacute la possibiliteacute de simplifier lrsquoorganisation du travail lrsquoabsence de compeacutetences techniques Les entretiens approfondis reacutevegravelent eacutegalement drsquoautres motifs comme lrsquoeacuteloignement de lrsquoexploitation (ou drsquoun site de production lorsque lrsquoexploitation est eacuteclateacutee en plusieurs sites) ou encore des sorties preacutecoces du meacutetier Toujours selon cette enquecircte les agriculteurs en deacuteleacutegation inteacutegrale ont geacuteneacuteralement lrsquohabitude de sous-traiter des travaux agrave un prestataire avec lequel ils ont bacircti une relation privileacutegieacutee qui va au-delagrave drsquoune simple relation de donneur drsquoordres

62 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tabl

eau

2 - I

mpo

rtan

ce d

e la

deacutel

eacutegat

ion

inteacute

gral

e de

s tr

avau

x de

cul

ture

en

Fran

ce (e

n ef

fect

if et

en

pour

cent

age)

Effe

ctifs

et t

aux

des

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

inteacute

gral

emen

t les

trav

aux

de c

ultu

re p

ar o

rien

tatio

n te

chni

co-eacute

cono

miq

ue (O

tex)

- D

onneacute

es E

nquecirc

te

stru

ctur

e 20

16

Exp

loit

en

gran

des

cultu

res

(Ote

x 15

16)

Expl

oit

en

mar

aicircch

age

et

hort

icul

ture

(O

tex

2829

)

Exp

loit

en

vitic

ultu

re

(Ote

x 35

00)

Exp

loit

en

cultu

res

frui

tiegravere

s et

au

tres

cul

ture

s pe

rman

ente

s (O

tex

3900

)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

lait

(Ote

x 45

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

eacutelev

age

et

vian

de

(Ote

x 46

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

la

it eacute

leva

ge e

t vi

ande

com

bineacute

s (O

tex

4700

)

Exp

loit

ave

c ov

ins

cap

rins

et

aut

res

herb

ivor

es

(Ote

x 48

00)

Exp

loit

en

gran

ivor

es

(Ote

x 50

74)

Exp

loit

de

poly

cultu

re e

t po

lyeacutel

evag

e (O

tex

6184

)

Lrsquoens

embl

e de

s tra

vaux

sur

le

s cu

lture

s es

t-il

confi

eacute agrave

un

pres

tata

ire e

xteacuter

ieur

NO

N

Pet

ites

13 8

833

052

12 9

793

792

870

12 3

6944

214

739

1 32

66

493

Moy

enne

s et

gr

ande

s73

358

1093

144

469

5 96

937

715

30 3

356

006

14 4

3718

045

34 2

76

OU

IP

etite

s4

730

770

316

718

176

40

596

91

031

Moy

enne

s et

gr

ande

s7

783

197

2 11

819

22

364

1 76

219

91

103

1 11

31

606

Pas

de

reacutepo

nse

Pet

ites

350

220

1581

411

036

01

2

Moy

enne

s et

gr

ande

s63

198

4771

685

191

487

174

91

Effe

ctif

tota

l par

Ote

x99

851

14 2

0760

298

10 1

6741

861

46 8

956

848

31 7

2120

668

43 4

99

d

rsquoexp

loit

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute s

ur lrsquo

effe

ctif

tota

l12

51

44

73

56

15

42

95

45

46

1

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute62

296

575

153

492

969

810

00

649

992

609

d

e pe

tites

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

Tota

l des

pet

ites

expl

oita

tions

254

02

51

42

170

55

00

38

07

137

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

moy

enne

s et

gra

ndes

exp

loita

tions

96

18

45

31

58

53

32

69

58

45

Sou

rce

Tab

leau

reacuteal

iseacute

par l

es a

uteu

rs agrave

par

tir d

es d

onneacute

es d

e lrsquoe

nquecirc

te s

truct

ure

2016

ave

c lrsquoa

ppui

de

Joseacute

Ram

anan

tsoa

(Cen

tre d

rsquoeacutetu

des

et d

e pr

ospe

ctiv

e)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 63

Tableau 3 - Nombre et caracteacuteristiques des exploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures et avec un PBS ge 5 000 euro en deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2010 et 2016

2010 2016

PetitesMoyennes et

grandesTotal en deacuteleacutegation

inteacutegralePetites

Moyennes et grandes

Total en deacuteleacutegation inteacutegrale

Valeur absolue

Nombre drsquoexploit 4 471 4 281 8 752 3 524 5 462 8 986

PBS (millier euro) 55 107 318 103 373 210 41 590 557 463 599 053

SAU (hectares) 84 919 387 264 472 183 49 289 523 986 573 275

SCOP (hectares) 63 029 330 306 4 722 183 3 846 440 725 476 571

UTA 1 526 3 405 4 931 1 095 3 116 4 211

par rapport agrave la cateacutegorie concerneacutee

Exploitation 228 83 222 89

PBS 212 58 196 67

SAU 212 61 182 70

SCOP 218 61 197 70

UTA 146 52 128 42

des exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale 511 489 392 608

des exploitations en grandes cultures en France

Exploitation 123 116

PBS 65 70

SAU 70 74

SCOP 69 74

UTA 65 51

Source tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees RA 2010 et des donneacutees de lrsquoenquecircte structure 2016 avec lrsquoappui respectivement drsquoO Pauly (INRA-Agir) et de J Ramanantsoa (Centre drsquoeacutetudes et de prospective)

Note afin de comparer les chiffres entre les deux anneacutees les calculs ont eacuteteacute reacutealiseacutes en appliquant aux chiffres de 2016 la meacutethode drsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquopar abandonraquo utiliseacutee pour 2010

Figure 5 - Critegraveres de choix des ETA

Source figure reacutealiseacutee par les auteurs agrave partie des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Reacutesultats agrave la question du sondage OTEXA laquo Pour les activiteacutes sous-traiteacutees au sein de votre exploitation quels sont pour vous les trois critegraveres les plus importants dans le choix drsquoune ETA ou drsquoun prestataire de ce type raquo (N = nombre drsquoagriculteurs par type de sous-traitance)

64 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

et drsquoexeacutecutant Comme indiqueacute dans la figure 5 la confiance et la proximiteacute geacuteographique constituent les deux principaux critegraveres de choix drsquoune ETA pour une deacuteleacutegation inteacutegrale alors que pour la sous-traitance drsquoune ou de plusieurs tacircches lrsquoagriculteur va choisir lrsquoETA au regard de sa compeacutetence technique et de son efficaciteacute De la mecircme maniegravere lrsquoexistence drsquoun projet de deacuteleacutegation inteacutegrale a un effet positif sur la propension agrave sous-traiter un nombre plus important drsquoopeacuterations culturales drsquoougrave la progressiviteacute du passage drsquoune sous-traitance partielle agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale (tableau 1)

Ainsi sur la base de lrsquoensemble des enquecirctes (par sondage et par entretiens approfondis) il est possible drsquoeacutetablir quatre grands profils drsquoentreprises agricoles et drsquoagriculteurs ayant recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

- Des exploitations en grandes cultures avec des chefs drsquoexploitation agrave la retraite sans repreneurs qui preacutefegraverent deacuteleacuteguer inteacutegralement la gestion de leur exploitation agrave un tiers dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise Cette forme aboutie de deacuteleacutegation inteacutegrale est freacutequente dans les reacutegions de grandes cultures et notamment celles caracteacuteriseacutees par une faible preacutesence du fermage et de la coopeacuteration (CUMA groupements drsquoemployeurs) ainsi que par des problegravemes de transmission Lrsquoimportance de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour les exploitations en grandes cultures quelle que soit leur taille conduit agrave penser que cette logique serait la plus reacutepandue

- Des exploitations speacutecialiseacutees drsquoeacutelevage (bovin-lait) ou des exploitations avec une dominante viticulture avec des chefs drsquoexploitation qui cherchent agrave augmenter la performance globale de leur exploitation en se recentrant sur leur cœur de meacutetier et deacuteleacuteguant tous les travaux des cultures consideacutereacutees comme secondaires La carte de la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures reacutealiseacutee avec les donneacutees du recensement suggeacuterait deacutejagrave en 2010 (figure 3) lrsquoimportance de cette logique de laquo deacuteleacutegation inteacutegrale par recentrage raquo dans les reacutegions comme la Bretagne et la Normandie Celle eacutetablie avec les donneacutees de lrsquoenquecircte Structures 2016 confirme cette tendance (figure 4)

- Des petites exploitations dont le chef a heacuteriteacute de ses parents Ce dernier a ou non le statut laquo pluriactif raquo mais il ne souhaite pas dans tous les cas srsquoinvestir dans lrsquoactiviteacute agricole en raison de la taille de son exploitation des incertitudes pesant sur le revenu agricole ou encore du manque drsquoattrait pour le meacutetier

- Des petites exploitations en polyculture-polyeacutelevage notamment celles avec un atelier bovin-lait avec des chefs drsquoexploitation encore jeunes mais qui envisagent une sortie preacutecoce du meacutetier et pour cela commencent agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement les travaux de culture avant laquo drsquoen finir raquo avec les autres ateliers

4 De nouvelles formes drsquoorganisation de la sous-traitance

Agrave lrsquoinstar de ce que lrsquoon observe dans certains pays europeacuteens des dispositifs complexes de sous-traitance ont reacutecemment fait leur apparition en France Ils sont porteacutes tout agrave la fois par des entreprises de travaux des socieacuteteacutes de gestion voire des organisations professionnelles agricoles qui proposent une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation en passant par la mise en place de mesures agro-environnementales ou la fourniture de services juridiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 65

41 Pour reacutepondre aux nouvelles demandes des acteurs traditionnels srsquoadaptent et eacutevoluent

Tout au long de la modernisation drsquoapregraves-guerre la principale strateacutegie des chefs drsquoexploitation a eacuteteacute drsquoaccroicirctre la productiviteacute de leur travail par la speacutecialisation lrsquoagrandissement et la substitution du capital au travail (Gambino et al 2012) Malgreacute la remise en question de cette strateacutegie depuis les anneacutees 1980 lrsquoeacutevolution des investissements en mateacuteriel agricole continue sa progression de maniegravere concomitante agrave la concentration productive des exploitations (Lerbourg et Dedieu 2016) Ce pheacutenomegravene a des implications importantes sur lrsquoorganisation des chantiers agricoles puisque pour amortir un mateacuteriel toujours plus puissant mais aussi plus speacutecifique plus sophistiqueacute et donc plus coucircteux certains agriculteurs ont fait le choix de deacutevelopper des CUMA (Jeanneaux et Blasquier-Revol 2015 FNCUMA 2017) tandis que drsquoautres sureacutequipeacutes ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation de services soit en compleacutement des autres ateliers de lrsquoexploitation soit au travers drsquoune ETA (FNEDT 2019)

Pour reacutepondre agrave la nouvelle demande de sous-traitance et de deacuteleacutegation les ETA ont deacuteveloppeacute de nouveaux services de sous-traitance comme le laquo A agrave Z raquo deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus et ont fait eacutevoluer leur organisation en conseacutequence Drsquoautres acteurs traditionnels du domaine des services aux exploitations agricoles qui nrsquoeacutetaient jusqursquoagrave preacutesent pas engageacutes dans la sous-traitance comme les CUMA ou les coopeacuteratives commencent agrave peacuteneacutetrer le marcheacute Les sections suivantes preacutesentent les diffeacuterentes configurations repeacutereacutees lors de nos travaux de terrain

411 Des ETA eacutevoluent vers des ETA multiservices et organiseacutees en reacuteseaux

Parallegravelement agrave un changement dans la nature des services les observations de terrain montrent des eacutevolutions organisationnelles plus ou moins pousseacutees en ce qui concerne les ETA Dans certains cas on passe drsquoune simple ETA agrave une ETA multi-services geacuterant des exploitations pour autrui Il arrive que ces ETA multi-services entrent au capital des exploitations avec lesquelles elles travaillent ou bien srsquoorganisent en cluster drsquoETA pour travailler en reacuteseau (figure 6) La prise de participation au capital drsquoune exploitation est censeacutee reacutesoudre le problegraveme de comportements opportunistes de la part des parties prenantes14 en permettant agrave lrsquoETA de participer agrave la gouvernance de cette derniegravere et reacuteciproquement de garantir agrave lrsquoexploitant un travail bien fait de la part drsquoune ETA davantage impliqueacutee Lrsquoorganisation en reacuteseau drsquoETA a quant agrave elle pour objectif de couvrir un territoire plus eacutetendu et drsquooffrir une gamme de services speacutecifiques plus larges gracircce agrave la mutualisation des moyens Lors de nos enquecirctes nous avons ainsi rencontreacute le cas drsquoun reacuteseau creacuteeacute dans les anneacutees 2010 et reacuteunissant plus de 10 entreprises reacutecoltant plusieurs dizaines de milliers drsquohectares qui opegravere dans le nord-ouest de la France zone drsquoeacutelevage caracteacuteriseacutee par une forte demande en deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures dans une logique de recentrage Pour son fondateur lrsquoorganisation en reacuteseau permet aux ETA membres de disposer drsquoun parc important de mateacuteriels (avec technologies embarqueacutees) et drsquoun dispositif commun de formation du personnel Il peut ainsi communiquer sur leur expertise en matiegravere drsquoagriculture de preacutecision et sur la qualiteacute du travail reacutealiseacute par un personnel qualifieacute En 2013 ce reacuteseau est alleacute jusqursquoagrave

14 Ce problegraveme de comportement opportuniste qualifieacute dans la litteacuterature theacuteorique en eacuteconomie de laquo principal-agent raquo est celui qui est inheacuterent agrave toute relation contractuelle ougrave lrsquoaction de lrsquoune des parties prenantes le laquo principal raquo va ecirctre deacutetermineacutee par les informations dont elle dispose sur lrsquoautre laquo lrsquoagent raquo Par exemple dans une relation qui lie un assureur agrave un assureacute le premier est le principal Il ne dispose pas drsquoune information parfaite sur les intentions du second qui est lrsquoagent Lrsquoassureur peut subir un comportement opportuniste de la part de lrsquoassureacute et va donc inteacutegrer ce risque dans le contrat drsquoassurance Il se trouve que dans une relation de sous-traitance lrsquoagriculteur et le sous-traitant peuvent ecirctre tous les deux agrave la fois laquo principal raquo et laquo agent raquo Le sous-traitant peut ne pas apporter les efforts attendus et mal faire le travail tout comme lrsquoagriculteur-commanditaire peut ne pas payer le sous-traitant agrave temps

66 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

construire un partenariat avec une multinationale europeacuteenne drsquoagrofournitures afin de proposer agrave ses agriculteurs clients un eacutepandage drsquoazote moduleacute gracircce agrave une technologie deacuteveloppeacutee par cette derniegravere Pour son preacutesident un tel reacuteseau et un tel partenariat constituent une reacuteponse agrave la reacuteglementation et aux nouvelles attentes de la socieacuteteacute

laquo Lrsquoeacutevolution des reacuteglementations et de la socieacuteteacute nous obligent plus que jamais agrave nous adapter rapidement Toutes ces eacutevolutions entraicircnent drsquoimportantes pertes de compeacutetitiviteacute pour lrsquoagriculture franccedilaise Crsquoest dans cette logique que nous recherchons systeacutematiquement agrave notre eacutechelle les meilleures solutions qui peuvent aider nos clients agrave maintenir leur compeacutetitiviteacute Les techniques et les technologies existent aujourdrsquohui mais leur mise en œuvre et leur coucirct demeurent des freins importants agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation agricole Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rocircle et le service que les ETA de demain doivent ecirctre en mesure drsquoapporter agrave leurs clients raquo15

Qursquoelles soient multi-services ou organiseacutees en reacuteseau pour perdurer et se deacutevelopper malgreacute le niveau eacuteleveacute de leurs charges (immobiliseacutees et de fonctionnement) les ETA laquo nouvelle geacuteneacuteration raquo cherchent agrave rassembler la demande (pour tirer parti des eacuteconomies drsquoeacutechelle et reacuteduire les coucircts de production) et lrsquooffre (pour neacutegocier les deacuteboucheacutes lorsqursquoelles ont en charge la commercialisation)

412 Des CUMA deacuteveloppent la prestation de services

Agrave cocircteacute des ETA les CUMA ont aussi fait eacutevoluer leurs services et leur organisation pour reacutepondre aux besoins de leurs adheacuterents mais aussi de tiers non adheacuterents Ainsi certains reacuteseaux deacutepartementaux des CUMA de lrsquoouest et du sud-ouest proposent deacutesormais une offre nouvelle de services de prestation dits laquo complets raquo16

Le deacuteveloppement de telles activiteacutes de prestation a eacuteteacute reacutecemment faciliteacute par la loi laquo Travail raquo du 8 aoucirct 2016 qui permet aux CUMA drsquoecirctre reconnues comme groupement drsquoemployeurs Degraves lors des salarieacutes peuvent ecirctre embaucheacutes et mis agrave disposition drsquoexploitations adheacuterentes agrave la CUMA pour des prestations laquo cleacutes en main raquo Ceci marque un changement majeur pour des CUMA dans lesquelles seul le mateacuteriel eacutetait traditionnellement partageacute Mecircme si ces nouveaux dispositifs de prise en charge du travail sont le prolongement drsquoorganisations au caractegravere mutualiste ils attestent drsquoune dissociation affirmeacutee entre terre travail et capital et constituent des eacuteleacutements de deacuteplacement ou de deacutepassement du modegravele familial drsquoagriculture vers de nouvelles formes drsquoorganisation sociales et eacuteconomiques (Anzalone et Purseigle 2014)

Dans de nombreux deacutepartements le positionnement de certaines CUMA sur ce qui apparaicirct ecirctre un nouveau marcheacute ne fait plus de doute17 Si certaines srsquoemploient dans ce domaine agrave satisfaire uniquement leurs adheacuterents drsquoautres nrsquoheacutesitent pas agrave aller beaucoup plus loin dans le deacuteploiement drsquoune nouvelle offre de services aupregraves de tiers

Le cas de lrsquoentreprise Teravi18 illustre assez bien ces eacutevolutions (encadreacute 4) Nous voyons ici que de lrsquoagriculture de groupe agrave une agriculture laquo en reacuteseaux raquo il nrsquoy a souvent qursquoun pas La socieacuteteacute de conseil-geacuterance creacuteeacutee par les membres de ces deux structures

15 Guillemot T 2014 laquo Lrsquoapport moduleacute drsquoazote se preacutecise dans lrsquoOrne raquo Reacuteussir lrsquoagriculteur normand 22 mai p5-6 16 Le service dit laquo complet raquo offert par les CUMA est agrave distinguer des chantiers laquo complets raquo ou de laquo A agrave Z raquo proposeacutes par les ETA qui consistent agrave prendre en charge lrsquointeacutegraliteacute des opeacuterations techniques sur une exploitation17 Cf par exemple le dossier de la Chambre drsquoagriculture du Morbihan Terra ndeg 718 du 29 novembre 2019 laquo Et si quelqursquoun le faisait pour vous la deacuteleacutegation une solution agrave reacute-eacutevaluer raquo ou la plaquette de la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAveyron laquo Les services complets pour mieux geacuterer son travail sa meacutecanisation et sa CUMA raquo18 Les noms de toutes les entreprises citeacutees ont eacuteteacute modifieacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 67

Figure 6 - Scheacutema drsquoorganisation de la sous-traitance incluant la deacuteleacutegation inteacutegrale (ou laquo A agrave Z raquo) et relevant drsquoune ETA multi-services

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui du CEP in Forget et al (2019) ndash page 42

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

68 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Situeacutee dans le quart Nord-Est de la France cette entreprise est neacutee dans le prolongement drsquoune Socieacuteteacute en participation (SEP) reacuteunissant quatre EARL une SCEA et un GAEC2 Productrice de betteraves de luzerne de chanvre de colza de bleacute drsquoorge de printemps et de lentilles elle adhegravere agrave deux coopeacuteratives ceacutereacutealiegraveres une betteraviegravere et cultive eacutegalement des œillettes pour le compte drsquoun grand groupe pharmaceutique Lrsquoensemble des activiteacutes culturales qui srsquoeacutetend sur plus de 1 000 ha est reacutealiseacute par une CUMA inteacutegrale agrave laquelle le mateacuteriel des diffeacuterentes exploitations adheacuterentes a eacuteteacute progressivement vendu Adepte drsquoune approche taylorienne de lrsquoentreprise les exploitants vont alors chercher agrave rationnaliser au maximum le dispositif en se speacutecialisant chacun dans des activiteacutes preacutecises travail du sol pour lrsquoun reacutecolte pour un autre responsabiliteacutes professionnelles pour un autre etc Reacuteduire les charges de meacutecanisation eacutetait ici au centre des preacuteoccupations des exploitants fondateurs qui ont alors trouveacute dans la creacuteation drsquoune CUMA inteacutegrale de nombreux avantages eacuteconomiques Quelques anneacutees plus tard partant du constat qursquoune laquo ferme de 130 ha par personne deacutegage un mi-temps raquo et suffisamment de temps pour que les associeacutes puissent partir en vacances voire travailler agrave lrsquoexteacuterieur lrsquoideacutee drsquoutiliser ce temps libre pour construire un nouveau projet commun au sein du groupe a progressivement germeacute Face au vieillissement du territoire agricole sur lequel ils sont installeacutes et devant lrsquoincapaciteacute de leurs voisins agrave trouver des repreneurs ou agrave srsquoassocier comme eux dans des structures collectives les adheacuterents de cette SEP et de cette CUMA inteacutegrale perccediloivent lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau marcheacute

laquo Lrsquoideacutee de base lrsquoideacutee de postulat crsquoest de dire qursquoil y aura le papy boom qui arrive moi quand jrsquoai fait la formation jrsquoavais autant des viticoles que des agricoles donc je voyais que dans la partie viticole la majoriteacute reprennent leur patrimoine mais le gegraverent pas du tout Et il faut faire Et on sentait bien qursquoen agricole ccedila se deacutevelopperait de plus en plus Donc on srsquoest dit on va partir dans la prestation de services mais on ne veut pas du tout faire de la prestation de tracteur de tourner dans les champs avec notre tracteur crsquoest pas lrsquoobjectif du tout du groupe il y a suffisamment de mateacuteriel dans la plaine Voilagrave crsquoeacutetait le postulat de base donc on va faire sous-traiter toute la partie mateacuterielle Et donc nous on va faire tout le reste Crsquoest-agrave-dire deacutecisionnaires conseils services services crsquoest-agrave-dire suivi administratif suivi de ce que vous voulez On est un peu les donneurs drsquoordres les voilagrave crsquoeacutetait ccedila un peu lrsquoideacutee lrsquoideacutee de base de Teravi raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Forts drsquoune expeacuterience drsquoune dizaine drsquoanneacutee en agriculture dite de laquo conservation des sols raquo les sept agriculteurs de la SEP creacuteent alors une socieacuteteacute commerciale (SARL) de conseil en gestion nommeacutee Teravi Nrsquoutilisant pas le mateacuteriel de la SEP cette socieacuteteacute fait appel agrave drsquoautres sous-traitants du territoire Teravi est ici donneur drsquoordres agrave lrsquoentrepreneur Lrsquoentrepreneur exeacutecutant peut-ecirctre un agriculteur de la reacutegion disposant lui-mecircme drsquoune ETA ou une ETA traditionnelle Les entreprises laquo maicirctres drsquoœuvre raquo sont souvent speacutecialiseacutees Ainsi pour le compte drsquoun seul client Teravi peut faire appel agrave 8 agrave 10 entreprises sous-traitantes dont le choix est reacutealiseacute par Teravi puis valideacute par les clients Teravi contractualise tous les ans agrave la fois avec les ETA partenaires et ses clients Lrsquooffre proposeacutee se veut laquo claire raquo (les contrats sont deacutetailleacutes) laquo simple raquo (lrsquoentreprise est la seule interlocutrice) laquo rentable raquo (la technique ou lrsquoorganisation permettrait de proposer une offre avantageuse)3 La souplesse dans les contrats est le leitmotiv de cette entreprise le client doit pouvoir les interrompre agrave sa demande et il est preacutesenteacute comme non engageacute sur le long terme La volonteacute drsquoeacutechanger

Encadreacute 4 - Portrait de lrsquoentreprise de sous-traitance Teravi1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 69

avec le client est affirmeacutee et lrsquoentreprise ne se paie pas au reacutesultat Une facture agrave lrsquohectare est reacutealiseacutee et le paiement est eacutechelonneacute sur lrsquoanneacutee Les prix pratiqueacutes vont de 330 agrave 380 euros de lrsquohectare Afin de reacutepondre au laquo contexte juridique raquo et aux attentes de leurs clients trois contrats sont proposeacutes une convention de prestation de conseil une convention de prestation de services et un contrat de travaux drsquoentreprise agricole

laquo Nous on fait signer des contrats annuels On veut que ce soit le plus souple possible Que la personne en face nrsquoait pas lrsquoimpression drsquoecirctre bloqueacutee comme il peut ecirctre bloqueacute avec un bailhellip Le contrat on deacutetaille ce qursquoon fait On deacutetaille le coucirct on deacutetaille ce qursquoon doit faire en temps et en peacutenaliteacutes etc enfin on explique un peu les choses basiques et ce qui incombe aussi agrave la fois au client et agrave nous-mecircmes Au client il doit nous fournir tout ce qursquoil y a comme contrats particuliers si crsquoest une zone de captage tout ce qursquoon a besoin pour geacuterer une exploitation Et puis nous on transmet au fur et agrave mesure aujourdrsquohui ben les traitements Avec les nouvelles reacuteglementations etc etc on doit preacutevenir agrave chaque passage de traitement ce qursquoon fait etc raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Deux offres sont proposeacutees par lrsquoentreprise lrsquoune en laquo conseil strateacutegique raquo lrsquoautre en laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo La premiegravere relegraveve drsquoun accompagnement strateacutegique censeacute reacutepondre laquo aux deacutefis de demain raquo crsquoest-agrave-dire la recherche de rentabiliteacute de lrsquoexploitation agricole laquo dans un contexte politique et socieacutetal en grande mutation raquo Cet accompagnement peut ecirctre global ou circonscrit agrave une activiteacute particuliegravere (itineacuteraire technique reacuteglementation administratif etc) Une offre dite de laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo est eacutegalement proposeacutee Preacutesenteacutee comme permettant la conservation et la valorisation du patrimoine foncier par le proprieacutetaire elle permettrait notamment de valoriser la main-drsquoœuvre de lrsquoexploitation laquo en la rendant disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip)  raquo ou de laquo preacuteparer une transmission future raquo La laquo solution raquo proposeacutee repose sur un accompagnement dans le choix de lrsquoassolement la preacuteconisation de lrsquoitineacuteraire technique les interventions culturales adapteacutees le suivi des cultures Drsquoautres prestations optionnelles sont possibles de la reacuteception des facteurs de production (engrais semences phytosanitaires) au suivi administratif (cahier drsquoeacutepandage tenue des stocks fiches parcellaires aides agrave la deacuteclaration PAC etc) Parce que cette formule ne va pas encore compleacutetement de soi au sein de la profession il est proposeacute laquo des devis gratuits et une discreacutetion assureacutee raquo

1 Le nom de lrsquoentreprise a eacuteteacute modifieacute2 La loi drsquoorientation agricole du 5 janvier 2006 va plus loin en soulignant que laquo tout preneur quelles que soient les modaliteacutes juridiques drsquoexercice de son activiteacute peut participer agrave une opeacuteration drsquoassolement en commun raquo et laquo mettre les biens loueacutes agrave la disposition drsquoune socieacuteteacute comptant une personne morale parmi ses membres raquo (Letissier 2007 p 49) Ce nouveau dispositif juridique reconnaicirct et encourage le mouvement de dilution des entiteacutes familiales dans des groupes de grandes tailles au montage juridique complexe Au centre de ces groupes on trouve une socieacuteteacute de base la socieacuteteacute en participation (SEP) Si celle-ci garantit lrsquoautonomie juridique de chacune des exploitations constitutives de la SEP elle peut depuis 2008 se voir reconnaicirctre la qualiteacute laquo drsquoagriculteur raquo et ainsi preacutetendre aux aides directes du premier pilier de la PAC Les deacutefenseurs de ce type de dispositifs le reconnaissent eux-mecircmes ceci pose immanquablement la question de lrsquoactiviteacute censeacutee ecirctre reacutealiseacutee par les entreprises associeacutees dans cette socieacuteteacute (SAF 2012 p 204) Mecircme si la SEP nrsquoa pas de personnaliteacute morale pas de siegravege social de patrimoine social ni drsquoemprunts crsquoest bien elle qui reacutealise lrsquoactiviteacute agricole Les entreprises associeacutees se contentent tregraves souvent de participer agrave la gouvernance du groupe et ne reacutepondent plus au critegravere de maicirctrise du cycle biologique exigeacute par le Code rural (article L311-1) pour deacutefinir une activiteacute agricole (Purseigle et al 2018)3 Site internet de lrsquoentreprise

70 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ne reacutealise pas les prestations de travaux mais les organise pour le compte de ses clients   elle devient une tecircte de reacuteseau de sous-traitants agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Cette socieacuteteacute emploie un personnel posseacutedant une expertise agrave la fois agronomique et en matiegravere de gestion drsquoexploitation qui lui permet de se positionner en amont de la prise en charge des travaux agricoles sur lrsquoactiviteacute de conseil et de mise en relation clientETA qui deacutegage le plus de valeur ajouteacutee En controcirclant les deacutecisions drsquoun ensemble drsquoexploitations individuelles une telle socieacuteteacute peut avoir la main sur lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire La frontiegravere est souvent teacutenue entre la prestation de travaux agricoles et le conseil strateacutegique ou entre la gestion globale drsquoune exploitation et le controcircle strateacutegique Nous rejoignons ici Hubert Cochet qui deacutecrit laquo lrsquoeacutemergence drsquoentreprises de mateacuteriel agrave statut coopeacuteratif embauchant des salarieacutes et exploitant de tregraves grandes surfaces les agriculteurs devenant des actionnaires de ces structures veacuteritables pivots de tregraves grosses exploitations agricoles  raquo Celles-ci constituent de laquo grandes uniteacutes de production srsquoaffranchissant largement des frontiegraveres de lrsquoexploitation familiale raquo (Cochet 2008)

413 Des coopeacuteratives de collecte-approvisionnement et des CETA entrent aussi sur le marcheacute de la sous-traitance

Parmi les autres acteurs traditionnels qui entrent sur le marcheacute de la sous-traitance nous avons repeacutereacute plusieurs coopeacuteratives agricoles de collecte-approvisionnement et des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA)

Du cocircteacute des coopeacuteratives dans un contexte de baisse tendancielle du nombre drsquoexploitations agricoles le deacuteveloppement de la sous-traitance vise agrave fideacuteliser leurs adheacuterents mais surtout agrave preacuteserver une capaciteacute de collecte Les enquecirctes et observations de terrain montrent qursquoelles jouent agrave lrsquoeacutechelle de certains territoires un rocircle de plus en plus important dans lrsquoorganisation sociale et eacuteconomique de la production agricole

laquo On a beaucoup drsquoadheacuterents qui arrivent agrave la retraite mais nrsquoont pas forceacutement de successeur (hellip) Les technico-commerciaux font deacutejagrave ce travail sans que ce soit dit Ils posent les bidons et ils disent voilagrave comment il faut les utiliser raquo Cadre drsquoune coopeacuterative grand Sud-Ouest octobre 2018

Les reacutecents dispositifs leacutegislatifs instaurant agrave terme une seacuteparation des meacutetiers de la vente et du conseil semblent contribuer agrave leur repositionnement sur de nouveaux marcheacutes dont celui de la gestion des cultures Quelles que soient les reacutegions nos enquecirctes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent tregraves souvent comme intermeacutediaires entre des ETA et des membres-adheacuterents souhaitant deacuteleacuteguer tout ou partie de leurs travaux culturaux Si certains grands groupes coopeacuteratifs deacuteclarent selon les mots drsquoun preacutesident de coopeacuterative que nous avons interrogeacute ne pas rentrer laquo dans lrsquointimiteacute des exploitations  raquo et ne pas srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dont leurs adheacuterents gegraverent leurs exploitations il nrsquoen demeure pas moins que les entreprises de travaux agricoles sont pour eux comme des laquo partenaires raquo qui laquo ne doivent plus avoir peur raquo de pousser leurs portes et de venir discuter avec eux19

En raison de lrsquoincapaciteacute de certains adheacuterents agrave trouver des repreneurs ou agrave reacutesoudre des difficulteacutes technico-eacuteconomiques et face agrave de nouvelles formes de concurrence avec drsquoautres organismes stockeurs (OS) certains groupes coopeacuteratifs nrsquoheacutesitent plus agrave proposer une nouvelle offre de services laquo agrave visage deacutecouvert raquo Crsquoest le cas notamment drsquoun grand

19 Entretien avec un preacutesident de coopeacuterative le 1er feacutevrier 2019 lors du congregraves national de la FNEDT et relateacute dans laquo Les ETA sont des partenaires raquo Entrepreneurs des Territoires Magazine ndeg 120 avril p10-12

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 71

groupe coopeacuteratif du Sud-Ouest de la France qui propose un service drsquoaccompagnement de ses adheacuterents dans la gestion de chantiers de grandes cultures Le pocircle agriculture de cette coopeacuterative srsquoest doteacute drsquoun chef de projet ayant une expeacuterience dans la gestion de grands domaines dans un autre contexte agricole Ce dernier avec lrsquoappui drsquoun ingeacutenieur agronome ancien conseiller en centre de gestion et de quatre chefs de culture reacutefeacuterents supervise la gestion de chantiers reacutealiseacutes par une trentaine drsquoentreprises de travaux agricoles partenaires Ce service concerne actuellement une centaine drsquoadheacuterents Il srsquoest deacuteployeacute sur 4 000 hectares de grandes cultures et a eacuteteacute reacutecemment proposeacute pour des chantiers viticoles Pour chaque adheacuterent faisant appel agrave ce service la coopeacuterative deacutesigne un chef de culture reacutefeacuterent qui deacutecide conjointement avec lrsquoexploitant de lrsquoassolement et des productions Factureacute 50 euros de lrsquohectare auxquels srsquoajoute un pourcentage en fonction du reacutesultat de la vente ce service peut mecircme offrir une expertise en assurance pour les adheacuterents qui le souhaitent Agrave lrsquoissue de chaque campagne un reporting est reacutealiseacute afin de mieux appreacutehender les reacutesultats technico-eacuteconomiques de lrsquoexploitation20

Dans les Hauts-de-France par le biais drsquoune de ses filiales (SARL speacutecialiseacutee dans les activiteacutes de soutien aux cultures et employant six personnes) une autre coopeacuterative propose depuis 2013 une laquo solution de gestion complegravete ou agrave la carte raquo agrave ses adheacuterents Avec un chiffre drsquoaffaires de pregraves de trois millions drsquoeuros ses activiteacutes reposent principalement sur de la vente de craie des prestations drsquoeacutepandage drsquoamendement de semis et drsquoarrachage de betteraves Certaines coopeacuteratives vont mecircme jusqursquoagrave creacuteer des filiales commerciales21 qui reposent sur une alliance entre trois types de partenaires la coopeacuterative elle-mecircme un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles Ces filiales vont plus loin encore dans la construction drsquoun dispositif permettant de deacuteceler tregraves rapidement des deacutefaillances eacuteconomiques etou agronomiques Situeacutee dans lrsquoEst de la France une coopeacuterative enquecircteacutee nrsquoattend pas seulement que ses adheacuterents se tournent vers elle Elle est avec son partenaire centre de gestion en mesure de repeacuterer des situations qui neacutecessiteraient le recours agrave une prestation partielle ou totale de suivi des exploitations Alerteacutees les eacutequipes de technico-commerciaux se chargent ensuite de proposer lrsquooffre de la filiale agrave lrsquoagriculteur identifieacute Au-delagrave de la gestion technique organisationnelle administrative eacuteconomique et reacuteglementaire la coopeacuterative propose ici un controcircle de gestion et un bilan de campagne reacutealiseacutes chaque anneacutee Si ce controcircle de gestion est preacutesenteacute comme un instrument permettant drsquoappreacutecier la pertinence de la prestation il srsquoavegravere ecirctre un outil au service drsquoun suivi tregraves rapprocheacute des exploitations adheacuterentes Par le biais de sa filiale et sur la base drsquoun programme technico-eacuteconomique preacutealablement deacutefini la coopeacuterative confie alors agrave une entreprise speacutecialiseacutee en gestion drsquoexploitation et optimisation des systegravemes de production le soin de reacutealiser le suivi et la mise en œuvre opeacuterationnelle   deacutefinition des chantiers reacutealisation des travaux culturaux etc Reconnue dans la reacutegion concerneacutee pour son expertise lrsquoentreprise propose mecircme des applications web permettant drsquoentrer toutes les donneacutees de lrsquoexploitation et de les stocker Indeacutependamment de sa participation agrave hauteur de 20 dans cette filiale de coopeacuterative cette entreprise dispose drsquoun portefeuille de clients qui repreacutesente plus de 8 000 hectares de grandes cultures Elle propose eacutegalement agrave ses autres clients des outils de gestion de la collecte (gestion des productions agrave commercialiser contractualisation des volumes avec les diffeacuterents organismes stockeurs suivi des stockages et deacutestockages suivi permanent des cours accegraves aux offres de marcheacute pour ces derniers etc) Enfin agrave lrsquoinstar drsquoun groupe coopeacuteratif situeacute au sud-ouest de Paris certaines coopeacuteratives nrsquoheacutesitent plus agrave racheter des entreprises de travaux agricoles par le biais de filiales

20 Jacquemoud F 2018 laquo Un copilote pour geacuterer les cultures raquo Agrodistribution mai p 23 Jaquemond F 2018 laquo Deacuteleacuteguer la gestion de ses ceacutereacuteales raquo La France agricole ndeg 3751 8 juin p 54-55 21 Les filiales commerciales permettent aux coopeacuteratives de srsquoengager dans des activiteacutes en partenariat avec des entreprises priveacutees pouvant geacuteneacuterer drsquoimportants profits

72 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Si de telles strateacutegies sont nouvelles pour les coopeacuteratives du secteur ceacutereacutealier elles ont fait leur apparition degraves les anneacutees 1990 dans certaines reacutegions viticoles comme la Provence Confronteacutees au deacuteveloppement de lrsquourbanisation et au non-renouvellement des geacuteneacuterations certaines caves coopeacuteratives en proximiteacute de villes comme Aix-en-Provence Brignoles ou Bandol ont souhaiteacute degraves cette eacutepoque seacutecuriser leurs approvisionnements en creacuteant des socieacuteteacutes civiles drsquoexploitation agricoles ou des groupements fonciers mutuels (Le Gars et Roudieacute 1996) Dans ce secteur cette prise en charge directe des activiteacutes de production peut ecirctre peacuterenne ou temporaire Elle va parfois de pair avec la mise en place drsquooutils de reprise progressive des uniteacutes de production par de jeunes viticulteurs Comme nous lrsquoavons constateacute lors drsquoenquecirctes reacutealiseacutees en 2015 et 2016 dans le Roussillon cette strateacutegie se deacuteveloppe eacutegalement dans le secteur de la production arboricole et maraichegravere ougrave des coopeacuteratives rachegravetent des vergers drsquoarbres fruitiers dont la conduite est confieacutee agrave un chef de culture et des salarieacutes

Face agrave un manque de professionnalisation et aux difficulteacutes rencontreacutees par le modegravele familial drsquoexploitation certaines associations interprofessionnelles (par ex lrsquoAssociation franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoolive - AFIDOL France Olive) procircnent lrsquoimplication des transformateurs (moulins priveacutes etou coopeacuteratives) dans la prise en charge partielle ou totale des activiteacutes de production Cet extrait du rapport moral du preacutesident de lrsquoAFIDOL en teacutemoigne

laquo Nous devons passer drsquoune strateacutegie drsquoattente de lrsquoapprovisionnement agrave une strateacutegie drsquointeacutegration de lrsquoamont Finie lrsquoeacutepoque ougrave un transformateur se contentait drsquoattendre que lrsquooleacuteiculteur apporte ses olives au moulin Il faut inteacutegrer dans nos tecirctes que le modegravele agricole dans lequel nous vivons depuis 1945 est en train de disparaicirctre Si nous ne reacuteagissons pas nous disparaicirctrons avec lui Les nouvelles geacuteneacuterations nrsquoont plus envie de laquo srsquoemmerder raquo apregraves leur travail agrave tailler traiter reacutecolter les oliviers heacuteriteacutes de leur pegravere et de leur grand-pegravere Bien sucircr cette eacutevolution est lente pernicieuse mais elle est ineacuteluctable (hellip) la filiegravere oleacuteicole du XXIe doit se bacirctir autour drsquooliveraies meneacutees par des agriculteurs professionnels ou des prestataires de service associeacutes agrave des pools de moulins priveacutes ou coopeacuteratifs capables drsquoextraire de stocker et de mettre en bouteilles dans des conditions optimales raquo22

Plus eacutetonnant de prime abord des organismes de conseil comme des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA) fondeacutes agrave lrsquoorigine pour promouvoir une expertise agronomique et technique se sont eacutegalement positionneacutes degraves les anneacutees 2000 sur le marcheacute de la sous-traitance agricole Des exemples de ce type ont notamment eacuteteacute repeacutereacutes en Icircle-de-France et en Normandie En deacuteveloppant un service et des uniteacutes commerciales deacutedieacutees agrave la prise en charge de travaux agricoles ces CETA souhaitaient agrave lrsquoorigine reacutepondre agrave une demande drsquoadheacuterents sur le point de prendre leur retraite ou ayant subi un accident de la vie On observe habituellement deux ensembles de pratiques lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoadheacuterents au CETA (cas du CETA Agriacteacutea) et lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoETA qui ont deacutejagrave leurs clients (cas du CETA Seacutemeacuteac)

Dans le premier cas lrsquoeacutequipe est porteacutee par deux ingeacutenieurs en agriculture Creacuteeacute en 2006-2007 ce service travaille pour le compte de six exploitations pour un total de 1 500 hectares Au-delagrave du conseil et de lrsquoexpertise agronomique cette prestation a eacuteteacute creacuteeacutee pour reacutepondre agrave une demande de gestion inteacutegreacutee drsquoexploitations agricoles23 Le profil des clients est diversifieacute il srsquoagit de personnes ayant heacuteriteacute drsquoune exploitation mais qui exercent

22 Nasles O 2014 Rapport moral du Preacutesident dans Rapport drsquoactiviteacutes Association franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoOlive httpsafidolorgoleiculteurrapports-dactivite-lafidol23 Les exploitations geacutereacutees sont ici deacutenommeacutees laquo domaines agricoles raquo comme pour rappeler le caractegravere patrimonial de la deacutemarche

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 73

une autre activiteacute drsquoun client qui a deacuteveloppeacute en parallegravele une activiteacute de jardinerie et qui souhaitait se recentrer sur cette activiteacute ou drsquoun client institutionnel Il y a enfin le cas drsquoun laquo grand nom raquo (de la financeindustrie) qui nrsquoeacutetait pas satisfait des services offerts par lrsquoETA travaillant pour lui Notons que sur ces six clients la majoriteacute faisait partie du CETA

Contrairement aux coopeacuteratives agricoles qui jouent de leur capaciteacute agrave mettre en marcheacute la production pour convaincre leurs adheacuterents ou clients les CETA mettent en avant leur expertise technique Apregraves plusieurs deacutecennies drsquoexpeacuterimentations permettant drsquoameacuteliorer le rendement des parcelles cette uniteacute commerciale serait capable drsquooffrir un diagnostic plus fin sur la strateacutegie agrave suivre par lrsquoexploitation (choix des cultures assolements etc) et un service qui preacuteserverait laquo lrsquoindeacutependance raquo des exploitants Mecircme si la commercialisation des productions est ici exclue il est proposeacute aux clients et aux ETA partenaires une mutualisation de lrsquoachat des intrants afin de les faire beacuteneacuteficier de prix avantageux Deux types de contrats sont signeacutes un contrat entre lrsquoETA et lrsquoexploitant et un entre lrsquoexploitant et le service Notons cependant que les deux contrats sont reacutedigeacutes par le CETA Agriacteacutea Ces contrats courent en geacuteneacuteral sur une dureacutee de cinq ans La deacutefinition du contrat deacutebute par un audit geacuteneacuteral (de type agronomique) afin de minimiser la prise de risque pour les diffeacuterentes parties prenantes du dispositif Les tacircches associeacutees agrave ce service relegravevent drsquoune prestation de conseil et drsquoune coordination des ETA envoi des ordres drsquointervention et veacuterification que laquo le travail soit bien fait raquo Comme dans drsquoautres cas eacutetudieacutes il srsquoagit ici de geacuterer plusieurs ETA pour un client Le cahier des charges pour lrsquoETA comporte une clause drsquoexclusion et un meacutediateur peut ecirctre nommeacute (expert foncier agricole aupregraves des tribunaux dont le nom figure dans le contrat) en cas de litige de paiement entre lrsquoexploitant et lrsquoETA ou lors drsquoune accumulation de litiges techniques (eacutepandage de fongicides fait trop tard etc) Le contrat peut ecirctre reconduit pour cinq ans suite agrave une reneacutegociation Lrsquoagriculteur paie directement les ETA selon un tarif assez habituel dans la profession (environ 400 euro par hectare pour du bleacute) Il reacutemunegravere par ailleurs Agriacteacutea pour le service drsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage (entre 60 agrave 100 euro par hectare et par an) Ce tarif est calculeacute de maniegravere laquo objective raquo selon la complexiteacute de lrsquoexploitation et selon le contenu de lrsquooffre

Le deuxiegraveme cas observeacute est celui drsquoun organisme de conseil normand Seacutemeacuteac qui a mis en place reacutecemment une structure originale de prestation de services Ici le contrat lie Seacutemeacuteac agrave une ETA qui possegravede deacutejagrave son portefeuille de clients Le laquo gestionnaire salarieacute  raquo ou laquo land manager raquo est ainsi employeacute par un groupement drsquoemployeurs lieacute agrave Seacutemeacuteac et laquo confieacute raquo agrave une ETA de grande taille qui reacutealise des travaux pour six clients diffeacuterents Lrsquoideacutee pour lrsquoETA est de mutualiser un salarieacute et de se libeacuterer du risque lieacute aux deacutecisions strateacutegiques (le coucirct des assurances eacutetant pris en charge par Seacutemeacuteac)

Enfin agrave cocircteacute des CETA il est eacutegalement agrave noter que dans le sud de la France (notamment en Occitanie ou en Provence) ont eacuteteacute creacuteeacutes des cabinets drsquoexpertise agronomique ou œnologique qui accompagnent non seulement les viticulteurs et les oleacuteiculteurs dans le suivi technique mais eacutegalement dans la gestion complegravete drsquoexploitations agricoles ou domaines Lagrave aussi nous voyons que la frontiegravere entre le conseil technique et la gestion est parfois teacutenue

42 Nouveaux dispositifs nouveaux arrangements contractuels nouveaux meacutetiers

La croissance du marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation a conduit agrave la creacuteation de dispositifs et meacutetiers nouveaux adosseacutes agrave de nouveaux arrangements contractuels et reacutepondant agrave des objectifs multiples seacutecurisation drsquoun approvisionnement en matiegraveres

74 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

premiegraveres agricoles dans un contexte de diminution du nombre drsquoactifs agricoles pour les uns construction de nouveaux marcheacutes de services gracircce au numeacuterique pour les autres

421 Quand des neacutegoces et des socieacuteteacutes de gestion agricoles proposent une seacutecurisation des approvisionnements industriels

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute par ailleurs (Purseigle et al 2017) il est courant dans certaines reacutegions ceacutereacutealiegraveres ou de grandes cultures de rencontrer de tregraves grandes entreprises de travaux agricoles qui assurent et seacutecurisent la production pour le compte drsquoindustriels ne souhaitant plus contractualiser individuellement avec des exploitations agricoles Pour certaines entreprises de prestation ayant inteacutegreacute des fonctions de stockage et de neacutegoce la prise en charge de lrsquoactiviteacute de production sur plusieurs milliers drsquohectares entend permettre de faire jeu eacutegal avec les industriels de la transformation notamment sur certains marcheacutes deacuteficitaires comme celui de lrsquoagriculture biologique Le cas de lrsquoentreprise gersoise Biopresta en est une illustration Cette derniegravere produit des leacutegumineuses (notamment des lentilles) et des ceacutereacuteales en agriculture biologique Agrave lrsquoorigine adosseacutee agrave une exploitation agricole familiale elle exploite aujourdrsquohui autour de 2 000 hectares Elle compte une dizaine de salarieacutes permanents dont six chauffeurs de machines agricoles et un meacutecanicien Selon les choix culturaux et les pointes de travail des salarieacutes occasionnels ou un agriculteur laquo partenaire raquo disposant drsquoune plus petite exploitation viennent se joindre agrave cette eacutequipe de permanents Organisme stockeur et neacutegoce la socieacuteteacute de prestation de travaux Biopresta vend directement ses reacutecoltes agrave des industriels Selon le dirigeant de cette entreprise les coopeacuteratives sont incapables de fournir des lots de qualiteacute comme les siens Un autre exemple est lrsquoentreprise landaise Semeacuteis Celle-ci gegravere plusieurs milliers drsquohectares pour le compte de proprieacutetaires de foncier agricole Son cas est inteacuteressant car elle possegravede un parc de mateacuteriel speacutecialiseacute qui lui permet de contractualiser avec une industrie drsquoagrofourniture pour la production de semences certifieacutees Comme Biopresta Semeacuteis entend offrir agrave ses clients industriels franccedilais et europeacuteens un niveau de reacutegulariteacute dans lrsquoapprovisionnement une qualiteacute homogegravene des produits et une traccedilabiliteacute et surtout des volumes qursquoune exploitation de taille moyenne ne pourrait atteindre

Lrsquoeacutemergence en France de nouveaux dispositifs de sous-traitance ne correspond pas uniquement au deacuteveloppement de grandes entreprises de travaux agricoles adosseacutees agrave des exploitations des neacutegoces ou des coopeacuteratives Elle renvoie eacutegalement agrave lrsquoapparition en Europe de dispositifs complexes drsquoexternalisation des activiteacutes de production reposant sur des creacuteations ex nihilo de socieacuteteacutes de gestion drsquoexploitations agricoles Ces socieacuteteacutes aux allures de firme sont notamment preacutesentes en Belgique France et Grande- Bretagne Creacuteeacutee en 1985 en Belgique par trois amis proprieacutetaires fonciers la socieacuteteacute FarmPrest SA exploite sur le territoire national 10 000 hectares de terres dont 5 000 comme proprieacutetaire de plein droit et 5 000 selon le modegravele de lrsquoexploitation deacuteleacutegueacutee En Belgique au-delagrave des actionnaires lrsquoentreprise megravere fonctionne autour drsquoun directeur deacuteleacutegueacute ayant fait ses premiegraveres armes professionnelles dans le secteur de la laquo blanchisserie industrielle raquo de quatre personnes en charge de la gestion administrative et de six agronomes locaux reacutepartis sur lrsquoensemble du territoire (trois en Wallonie et trois en Flandre)

laquo Jrsquoai des agronomes sur le terrain Chacun a sa reacutegion Et ces agronomes sont des coordinateurs indeacutependants et ces coordinateurs indeacutependants sont responsables de la fixation de lrsquoassolement de lrsquointervention sur le terrain le suivi des interventions sur le terrain le suivi des reacutecoltes le reacuteseau dans le monde agricole et sont soutenus par une eacutequipe administrative qui srsquooccupe des diffeacuterends avec les diffeacuterents ministegraveres raquo (Directeur deacuteleacutegueacute de FarmPrest Belgique avril 2017)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 75

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

Mecircme si FarmPrest dispose en Belgique drsquoun statut drsquoexploitant agricole la socieacuteteacute ne possegravede pas pour autant un parc de mateacuteriel Comme ses clients elle confie les travaux des 5 000 hectares dont elle est proprieacutetaire agrave des entreprises de travaux ou drsquoautres agriculteurs Ce partenariat avec un ensemble drsquoETA seacutelectionneacute par elle-mecircme lui permet drsquoacqueacuterir une grande flexibiliteacute gestion relativement aiseacutee de lrsquoagenda des travaux en fonction des demandes accegraves agrave un parc de machines diversifieacutees dont certaines sont eacutequipeacutees de technologies dernier cri sans avoir agrave supporter lrsquoinvestissement etc

Depuis 2012 FarmPrest est implanteacutee dans la moitieacute nord et dans lrsquoouest de la France Coordonneacutees par un land manager reacutemuneacutereacute via des contrats de prestation de services les activiteacutes de FarmPrest se deacuteploient dans notre pays selon un modegravele diffeacuterent de celui mis en place en Belgique Ne posseacutedant pas de terres en nom propre dans lrsquoHexagone FarmPrest Belgique a creacuteeacute en France deux socieacuteteacutes Lrsquoune en association avec une coopeacuterative de lrsquoOuest dont elle deacutetient 51 du capital lrsquoautre avec un neacutegociant du Nord de la France ougrave elle deacutetient 50 des parts Agrave elles deux FarmPrest Ouest et FarmPrest Nord gegraverent actuellement 3 250 hectares pour le compte de 19 clients investisseurs proprieacutetaires ou agriculteurs qui souhaitent deacuteleacuteguer la gestion et lrsquoexercice des activiteacutes de production agricole (figure 7)

Comme on peut le lire sur son site Internet ou sa plaquette publicitaire le slogan de FarmPrest tient en une phrase laquo Exploitez vos terres autrement raquo Tout comme le font certaines grandes entreprises des secteurs industriels ou commerciaux le deacuteveloppement durable est pour FarmPrest un argument commercial de poids Si son meacutetier laquo est drsquoassurer

76 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

la rentabiliteacute et la peacuterenniteacute des exploitations agricoles raquo son objectif est drsquoatteindre laquo une triple performance eacuteconomique sociale et environnementale sur les terres raquo24 qursquoelle gegravere La question environnementale est un eacuteleacutement deacuteterminant dans la conquecircte par la firme drsquoune nouvelle clientegravele agricole FarmPrest entend laquo aborder lrsquoagriculture drsquoun œil critique avec une vision durable et une approche pratique raquo en appliquant laquo sur toutes les terres une agriculture juste et responsable raquo Elle propose en France une large gamme de services   audit drsquoexploitation agricole gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation eacutetudes environnementales recherche de partenaires industriels autres que les organismes stockeurs locaux pour assurer une valorisation supeacuterieure des productions et diversifier les assolements service notarial et juridique speacutecialiseacute en droit rural etc

Dans ces nouveaux scheacutemas de prestations lrsquooffre associeacutee drsquoun service de conseil laquo global raquo et laquo sur mesure raquo constitue un atout majeur pour se diffeacuterencier des entreprises de travaux agricoles classiques Il y a tout agrave la fois conseil strateacutegique drsquoentreprise conseil patrimonial et conseil agronomique et ce agrave diffeacuterents moments clefs du deacuteveloppement de lrsquoentreprise Tout comme en Belgique FarmPrest deacutelivre agrave ses clients franccedilais des conseils sur la strateacutegie globale agrave suivre reacutealise pour eux les achats drsquointrants et gegravere les ventes de leurs productions agricoles Drsquoautres prestataires eacutetudient avec leurs clients comment geacuterer de maniegravere optimale leur exploitation tout en reacutepondant aux nouvelles contraintes du premier pilier de la PAC Pour cette prise en charge globale des exploitations clientes sur la base drsquoune reacutemuneacuteration fixe agrave laquelle srsquoajoute une part variable (100 euroha + 5 de la marge nette) FarmPrest seacutelectionne des entreprises dont elle supervise hebdomadairement lrsquointeacutegraliteacute des travaux agricoles par le biais de land managers Dans chacune des socieacuteteacutes franccedilaises deacutetenues par FarmPrest Belgique nous retrouvons ces gestionnaires coordinateurs qui servent drsquointerface entre la socieacuteteacute de gestion les proprieacutetaires qui deacutelegraveguent totalement la gestion de leur exploitation et un ensemble drsquoETA qui interviennent sur la base drsquoun laquo bon de travail raquo

Ainsi comme dans le secteur du bacirctiment et travaux publics nous voyons apparaicirctre en agriculture un nouvel laquo ensemblier raquo reacuteunissant les figures du laquo maicirctre drsquoouvrage raquo (lrsquoagriculteur proprieacutetaire foncier) du laquo maicirctre drsquoœuvre raquo (lrsquoETA) et de laquo lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage raquo (FarmPrest) FarmPrest ne srsquoappuie pas sur un parc de mateacuteriel en propre mais sur des entreprises de travaux et de prestations agricoles Elle ne reacutealise donc pas les prestations mais les organise pour le compte de ses clients Interlocuteur unique aupregraves de ses clients FarmPrest est agrave la tecircte drsquoun reacuteseau de sous-traitants qursquoelle fait intervenir selon les besoins Comme donneuse drsquoordres elle peut ainsi mobiliser jusqursquoagrave dix entreprises speacutecialiseacutees pour le compte drsquoun seul client les semis eacutetant reacutealiseacutes par lrsquoune les traitements phytosanitaires lrsquoirrigation et la moisson par drsquoautres Disposant drsquoun laquo deacutepartement administratif raquo FarmPrest reacutedige les deacuteclarations PAC signeacutees ensuite par le proprieacutetaire ou ledit exploitant agricole Les donneacutees des fiches parcellaires des plans de fertilisation ou du suivi des mesures agro-environnementales sont enregistreacutees dans un logiciel permettant laquo de geacuterer les terres et les prairies comme un reacuteel asset financier raquo25 La maicirctrise du foncier et la valorisation de la main-drsquoœuvre familiale rendue laquo disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip) raquo sont les deux arguments avanceacutes par ces socieacuteteacutes de conseil-geacuterance

FarmPrest nrsquoest en France qursquoun exemple parmi drsquoautres Sur un modegravele eacutequivalent des socieacuteteacutes de gestion de type commercial sont creacuteeacutees dans le secteur des grandes cultures ou de la viticulture pour assurer la gestion et la geacuterance drsquoexploitations en quecircte

24 Plaquette commerciale FarmPrest France25 Plaquette commerciale FarmPrest France

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 77

de repreneurs ou racheteacutees par des investisseurs Souvent expeacuterimenteacutees dans la conduite drsquoexploitations de grande taille ces firmes parfois invisibles pour lrsquoadministration et lrsquoappareil statistique proposent drsquoaccompagner des entreprises individuelles dans lrsquoeacutelaboration de leur strateacutegie tout en mettant en place de gigantesques assolements en commun Les eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees sont preacutesenteacutees comme laquo des conditions avantageuses pour lrsquoachat des intrants et la vente des produits agricoles raquo26 Agrave lrsquoinstar des firmes de production industrielle les entreprises comme FarmPrest neacutegocient directement avec les grandes firmes de lrsquoagrofourniture ou de lrsquoindustrie agroalimentaire agrave qui elles garantissent des surfaces de production

Si dans un pays comme la France le deacuteveloppement des activiteacutes de sous-traitance et de deacuteleacutegation de lrsquoactiviteacute agricole agrave de nouveaux consortia aux allures de firmes commerciales peut surprendre ces activiteacutes sont plus anciennes et tregraves reacutepandues dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni Outre-Manche lrsquoentreprise Emilrsquos speacutecialiseacutee dans le conseil agronomique priveacute gegravere 56 000 hectares pour le compte de 160 clients et proprieacutetaires Disposant drsquoune agence deacutedieacutee aux investissements agricoles et agrave la prise en charge des travaux Emilrsquos seacutelectionne via des appels drsquooffres drsquoimportantes entreprises nationales de sous-traitance (contractors) et surveille leur performance pour le compte de ses clients Ces derniers confient la strateacutegie et le financement de leur exploitation agrave Emilrsquos qui perccediloit une reacutemuneacuteration fixe Les grandes agences de sous-traitance qursquoelle seacutelectionne supervisent les travaux reacutealiseacutes par des entreprises locales achegravetent les intrants et gegraverent les ventes Elles sont directement reacutemuneacutereacutees agrave la performance par les exploitantsproprieacutetaires

Agrave cocircteacute de ces socieacuteteacutes de gestion apparaicirct une figure ineacutedite drsquoentrepreneurs qui parallegravelement agrave leur profession principale (agriculteur conseiller-salarieacute drsquoune coopeacuterative agricole etc) offrent en freelance et agrave distance une large gamme de services Ces nouveaux types de gestionnaires travaillent principalement pour le compte de clients faisant partie de leurs reacuteseaux drsquointerconnaissance et ils adaptent au cas par cas leurs prestations Leur travail agrave distance a eacuteteacute derniegraverement faciliteacute par lrsquoarriveacutee de nouveaux outils numeacuteriques (applications pour smartphone permettant de geacuterer agrave distance certaines opeacuterations culturales) Ils peuvent ainsi prendre en charge selon la demande lrsquoensemble des opeacuterations techniques ou uniquement des tacircches administratives et de conseil (optimisation des deacutecisions techniques en fonction de la PAC etc) Certains drsquoentre eux jouent eacutegalement le rocircle de reacutegisseur drsquoune exploitation en deacuteleacutegation inteacutegrale Geacuteneacuteralement multi-compeacutetents ils peuvent aussi srsquoassocier agrave drsquoautres entreprises locales pour compleacuteter leur palette drsquoexpertises Du fait de la dissociation opeacuterationnelle entre proprieacuteteacute capital drsquoexploitation et travail ce type drsquoentreprises et drsquoentrepreneurs de services ouvrent la voie agrave des formes drsquoagricultures sans agriculteurs (Hervieu et Purseigle 2013)

422 De nouveaux arrangements contractuels

Lrsquoanalyse des arrangements contractuels entre les prestataires de services et les agriculteurs permet drsquoaller plus loin et de cerner les facteurs conduisant ces derniers agrave preacutefeacuterer la deacuteleacutegation inteacutegrale au fermage ou agrave lrsquoembauche drsquoun salarieacute (tableau 4) La propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement est drsquoautant plus forte que lrsquoexploitant exerce le meacutetier drsquoagriculteur agrave titre secondaire ou qursquoil a deacuteveloppeacute un atelier drsquoeacutelevage ou une diversification (tableau 5) Avec un contrat geacuteneacuteralement annuel reconduit tacitement la simpliciteacute et la

26 Plaquette commerciale FarmPrest France

78 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

souplesse des relations contractuelles constituent pour une majoriteacute des agriculteurs enquecircteacutes les principales raisons de lrsquoadheacutesion et ce malgreacute le coucirct relativement eacuteleveacute du service notamment lorsqursquoil engage un intermeacutediaire Le prix nrsquoarrive drsquoailleurs qursquoen sixiegraveme position des critegraveres de choix drsquoune ETA apregraves la confiance la proximiteacute la compeacutetence technique lrsquoefficaciteacute et le mateacuteriel (figure 5) Le paiement du service est deacutetermineacute agrave lrsquohectare Il comporte une part fixe (environ 75 ) et une part variable (25 ) La part fixe deacutepend des reacutegions de 400 euro agrave 500 euro par hectare en fonction du marcheacute de la sous-traitance des services fournis en suppleacutement de lrsquoexpertise agronomique et eacuteconomique (conseil drsquoun assolement et itineacuteraire technique en fonction des deacuteboucheacutes ou des incitations PAC) du suivi administratif jusqursquoagrave la gestion complegravete de lrsquoexploitation La part variable est fonction des reacutesultats de la campagne avec geacuteneacuteralement une indexation sur la marge nette de chaque culture pour la campagne concerneacutee Les achats drsquointrants ainsi que la commercialisation de la production sont souvent inclus dans le contrat de prestation car cela permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle mais aussi de faciliter lrsquoorganisation du travail puisque le prestataire peut geacuterer lrsquoensemble des exploitations-clientes comme une seule Une telle structure de paiement du service aide agrave reacutepartir le risque de production et de marcheacute entre le prestataire et le client et incite le prestataire et lrsquointermeacutediaire agrave optimiser leur performance eacuteconomique dans la conduite de lrsquoexploitation Elle facilite aussi les relations avec les acteurs en amont (agrofourniture) et en aval de la production (coopeacuteratives neacutegociants industries de transformation etc) Notons qursquoagrave cocircteacute des eacuteleacutements chiffreacutes la qualiteacute de la relation de deacuteleacutegation deacutepend eacutegalement des garanties apporteacutees par le prestataire (objectifs de moyens et aussi de reacutesultats) et de la palette de ses compeacutetences agronomiques (conventionnelles et alternatives) et de conseil (technique et strateacutegique) Agrave titre drsquoexemple dans tous les deacutepartements de la reacutegion Centre-Val de Loire la surface de grandes cultures deacuteleacutegueacutees inteacutegralement est estimeacutee agrave plus de 14 000 hectares en 2010 Ceci provient du fait que les terres y ont un potentiel de rendement eacuteleveacute permettant au proprieacutetaire foncier et au prestataire de construire une relation gagnant-gagnant venant concurrencer le fermage Cette relation est drsquoautant plus solide que le proprieacutetaire de lrsquoexploitation nrsquoa aucun investissement lourd agrave amortir qursquoil conserve son statut drsquoagriculteur et perccediloit les aides PAC tandis que le prestataire peut de son cocircteacute rationaliser le travail en pensant un assolement global pour lrsquoensemble des parcelles deacuteleacutegueacutees jouer sur les eacuteconomies drsquoeacutechelle pour neacutegocier les contrats de leasing-vente de machines agricoles et drsquoachat drsquointrants et agglomeacuterer lrsquooffre pour inteacuteresser les neacutegociants et industriels de lrsquoaval

laquo Je suis le seul maicirctre agrave bord et le gars qui vient chez moi le client qui vient me voir il faut qursquoil accepte mon mode de fonctionnement Srsquoil me dit laquomoi je veux que mon bleacute soit sur ma parcelle que mon maiumls soit sur ma parcelle raquo je lui dis laquoeacutecoutez je ne suis pas le bon fournisseur pour vousraquo Ccedila je ne saurai pas faire [hellip] et jrsquooptimise les coucircts drsquoachat parce qursquoon a un groupe donc on a une certaine surface donc on a un certain poids par rapport agrave nos fournisseurs et jrsquooptimise aussi un petit peu les prix de vente par rapport agrave la gestion enfin les interventions sur Euronext etc raquo (Prestataire opeacuterant en Champagne-Ardenne enquecircteacute en feacutevrier 2013)

laquo Creacuteer de la valeur crsquoest mon obsession Je vais reacutepondre agrave la demande fideacuteliser mes salarieacutes fideacuteliser les contrats Je ne fais pas du one shot Je fais du conventionnel je fais du bio je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopeacuterative du coin raquo (Prestataire opeacuterant dans la reacutegion Centre enquecircteacute en juin 2019)

Mais ceci nrsquoest pas toujours le cas et sur cer tains territoires comme en Haute-Garonne ougrave la concurrence est forte entre ETA ougrave les parcellaires sont morceleacutes et les rendements fortement variables drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre la rentabiliteacute de ce service nrsquoest alors garantie ni pour lrsquoETA ni pour le client

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 79

Tableau 4 - Caracteacuteristiques de deux contrats-types de deacuteleacutegation inteacutegraleContrat A Contrat B

(avec intermeacutediaire entre client et ETA)

ObjetPrestation inteacutegrale de services avec une prise de risque financier partageacutee

Reacutealisation de travaux agricoles de la preacuteparation du sol jusqursquoaux derniers travaux avant la reacutecolte

Opeacuterations concerneacutees

bullEn cours de campagne ensemble des opeacuterations culturales (travaux des sols semis traitements eacutepandages reacutecolte et transport) + tour de plaine gestion des approvisionnements gestion des emballages vides des produits phytosanitaires appui administratif PAC

bullEn fin de campagne bilan conseil et preacuteparation de la campagne suivante (choix des assolements etc)

bullPrestataire deacutecompactage deacutechaumage labour semis rouleau eacutepandages pulveacuterisations broyage moisson

bulllaquo Intermeacutediaire raquo choix des assolements suivi technique gestion de lrsquoachat des intrants et de la vente des reacutecoltes gestion administrative (deacuteclaration PAC plans drsquoeacutepandage et de traitement suivi des mesures agro-environnementales)

Dureacutee du contrat

Campagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement 2 contrats lrsquoun liant le client agrave lrsquointermeacutediaire et lrsquoautre liant le client et lrsquoETA prestataireCampagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement

Principaux engagements des parties prenantes

bullPrestataire intervenir apregraves prise de deacutecision conjointe avec le client (assolement produits et quantiteacutes) reacutealiser lrsquoensemble des opeacuterations neacutecessaires agrave lrsquoobtention drsquoune reacutecolte optimale respecter les normes en vigueur (conditionnaliteacute PAC et reacuteglementation Certiphyto) proposer des pratiques alternatives

bullClient payer la prestation srsquoengager agrave acheter les intrants preacuteconiseacutes

bullETA prestataire intervenir dans les meilleurs deacutelais selon le contrat de culture connexe agrave son compte avec son mateacuteriel et son personnel utiliser un mateacuteriel entretenu et reacutegleacute de faccedilon agrave obtenir la meilleure efficaciteacute possible et conforme agrave la reacuteglementation en vigueur

bullIntermeacutediaire geacuterer les parcelles optimiser la conduite technique et administrative

bullClient confier la gestion des parcelles agrave lrsquointermeacutediaire  payer toutes les factures lieacutees aux opeacuterations de culture et la prestation de lrsquointermeacutediaire

Modaliteacutes de paiement

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable indexeacutee sur la marge nette de lrsquoexploitation ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants et ndash les aides PAC) et calculeacutee apregraves production de lrsquoensemble des factures des produits et des charges de la culture

bullFrais de montage du dossier

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable un de la marge nette de la production ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants ndash les aides PAC ndash les frais de sous-traitance)

CommunicationbullDe bouche agrave oreille sur laquo transparence expeacuterience confiance souplesse respect de lrsquoenvironnement raquo

bullPlaquette salons professionnels sur laquo transparence discreacutetion expertise respect de lrsquoenvironnement seacutecuriteacute du revenu eacuteconomies deacutegageacutees et marge raquo

Source Tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees entre 2012 et 2017

Tableau 5 - Deacuteterminants de la propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement Reacutegression logistique avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralementAge 0003 (0004)

Agriculteur agrave titre secondaire 0501 (0254)

Part du foncier en proprieacuteteacute - 0033 (0089)

Nombre drsquoassocieacutes 0219 (0169)

Preacutesence de main-drsquoœuvre familiale 0147 (0205)

Preacutesence drsquoun geacuterant - 0018 (0324)

Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 1004 (0345)

Surface en grandes cultures - 0173 (0076)

Surface en arboriculture - 0040 (0074)

Surface en maraicircchage - 0521 (0239)

Surface en vigne 0087 (0114)

Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) 0610 (0314)

Surface en cultures fourragegraveres 0277 (0199)

Surface en prairies permanentes - 0112 (0142)

Taille du troupeau bovin lait 1631 (0670)

Taille du troupeau bovin viande 0446 (0205)

Taille du troupeau ovin 0574 (0322)

Taille de lrsquoeacutelevage de volaille 0426 (0231)

Taille du troupeau caprin - 0629 (0407)

Constante 1731 (0243)

Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

1 087

- 419542

879083plt01 plt005 plt0001Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs avec les donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

80 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

laquo Ici dans le Lauragais on ne peut pas ecirctre vraiment entrepreneur Tout le monde a ses machines mecircme ceux qui ont 20 hectares Il y a trop drsquoargent avec un mateacuteriel surdimensionneacute Tout le monde fait de la sous-traitance agrave des prix tregraves bas Je ne recrute pas de nouveaux clients en laquo A agrave Z raquo surtout srsquoils ont des petites parcelles eacuteparpilleacutees partout On rentre juste dans nos frais mais on nrsquoarrive pas agrave reacutemuneacuterer le travail Je preacutefeacutererais avoir les terres en fermage mais les gens nrsquoaiment pas le fermage par ici raquo (Agriculteur ayant une activiteacute de prestation en Occitanie enquecircteacute en avril 2017)

Par ailleurs selon les teacutemoignages des ETA et agriculteurs enquecircteacutes agrave cocircteacute des risques classiques de production et de marcheacute qui peuvent ecirctre plus ou moins pris en charge dans les termes du contrat deacuteleacuteguer inteacutegralement comporterait pour lrsquoagriculteur des risques inheacuterents agrave la nature de la transaction agrave savoir un risque de requalification du contrat en bail agrave ferme ou encore de perte du statut drsquoexploitant et donc des aides PAC Malgreacute cela en raison de la souplesse des contrats de deacuteleacutegation inteacutegrale des services connexes et des garanties qursquoelle met en avant lrsquoagriculteur proprieacutetaire des terres mais nrsquoexploitant plus preacutefeacuterera avoir recours agrave cette deacuteleacutegation inteacutegrale dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise ou drsquoune vente eacuteventuelle De fait il nrsquoest pas rare de voir dans le cadre drsquoune relation durable de deacuteleacutegation certaines grandes ETA acqueacuterir des parts dans le capital drsquoexploitations ayant un statut juridique de type socieacutetaire (SCEA notamment) et devenir un associeacute co-geacuterant de ces derniegraveres Ce faisant elles chapeautent de nouvelles entiteacutes productives laquo invisibles raquo composeacutees drsquoun ensemble drsquoexploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale (Nguyen et al 2017 Purseigle et al 2019)

423 Le numeacuterique au service de la sous-traitance

Depuis une dizaine drsquoanneacutees de nombreuses plates-formes drsquointermeacutediation des eacutechanges ont eacutemergeacute en investiguant les mecircmes champs drsquoaction que les organisations professionnelles agricoles et les entreprises classiques financement conseil et formation achat drsquointrants recrutement de main-drsquoœuvre location ou achat de mateacuteriel gestion des coproduits commercialisation et logistique mais eacutegalement prestation de services (Brailly et al 2018) Dans la grande majoriteacute des cas ces plates-formes ambitionnent de mettre en relation des agriculteurs avec drsquoautres agriculteurs (location de mateacuteriel ou eacutechange de parcelles par exemple) ou avec drsquoautres professionnels (prestataires de services)

En mars 2019 il a eacuteteacute possible de recenser 101 plates-formes de services de type B-to-B27 (Brailly et al 2018) deacutedieacutees au secteur agricole (figure 8) Bien que les premiegraveres drsquoentre elles aient eacuteteacute creacuteeacutees au tournant des anneacutees 2000 ce nrsquoest qursquoagrave compter de 2013 que leur nombre augmente significativement et que leur champ drsquoaction se diversifie consideacuterablement Par les services qursquoelles proposent elles entrent en concurrence plus ou moins frontale avec des organisations professionnelles agricoles et drsquoautres entreprises deacutejagrave en place proposant depuis longtemps des services similaires

Il existe en 2019 sept plates-formes qui proposent soit de mettre en lien prestataires et clients sur tout le territoire franccedilais soit de reacutealiser elles-mecircmes la prestation en proposant agrave la location agrave la fois le mateacuteriel et le chauffeur Comme dans lrsquoexemple ci-dessous les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves des fondateurs de ces plates-formes aident agrave mieux comprendre les jeux de concurrence et de collaboration entre plates-formes et acteurs traditionnels de la sous-traitance

27 Parce qursquoelles relegravevent drsquoune logique diffeacuterente du fait de leur orientation Business to Consumer nous avons exclu de notre analyse les plateformes de commercialisation directe aupregraves du consommateur tout comme celles reposant sur un seul vendeur et celles aux allures de blogs fondeacutees sur des eacutechanges de connaissances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 81

Creacuteeacutee en 2017 ConnectingFarm est une plate-forme dont le but est de faire le lien entre agriculteurs et prestataires de travaux agricoles (ETA) Son objectif est laquo de simplifier seacutecuriser et fiabiliser la mise en relation entre les agriculteurs et leurs prestataires de travaux raquo28 Elle srsquoadresse agrave des exploitants ne posseacutedant ni la main-drsquoœuvre formeacutee ni le mateacuteriel neacutecessaire agrave la reacutealisation de leurs travaux Tout comme drsquoautres plates-formes celle-ci permet de reacuteduire les charges mateacuterielles drsquoeacutequipement non utiliseacute Cocircteacute prestataires elle srsquoadresse particuliegraverement agrave ceux souhaitant accroicirctre leur visibiliteacute Crsquoest en effet un moyen facile pour ecirctre rapidement mis en relation avec diffeacuterents clients Les prestataires srsquoinscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils prix disponibiliteacutes) pendant que les agriculteurs agrave la recherche drsquoun prestataire indiquent les caracteacuteristiques des travaux agrave reacutealiser

28 Plaquette de publiciteacute de ConnectingFarm

Figure 8 ndash Essor des plateformes numeacuteriques agricoles

Source Brailly et al 2019 agrave partir des donneacutees Infogreffe

82 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Cette jeune start-up a eacuteteacute cofondeacutee par deux ingeacutenieurs agricoles Forts de leurs expeacuteriences respectivement dans le secteur du machinisme agricole et de directeur de projet digital au sein drsquoune entreprise internationale ils souhaitent aider les prestataires de travaux agricoles et les agriculteurs agrave laquo mieux vivre de leur meacutetier en fluidifiant leurs eacutechanges raquo (ConnectingFarm 2018) Les valeurs phares de leur entreprise seraient lrsquoesprit du collectif et le partage tant de savoirs que de machines agricoles Cette plate-forme est particuliegraverement active en Normandie reacutegion ougrave elle a vu le jour mais commence agrave deacuteployer son offre dans toute la France Apregraves avoir en 2018 remporteacute le tropheacutee de lrsquoeacuteconomie normande dans la cateacutegorie laquo innovation raquo cette plate-forme a reacutealiseacute une importante leveacutee de fonds lui permettant de poursuivre son deacuteveloppement Elle repose aujourdrsquohui sur quatre associeacutes et prend la forme drsquoune holding

La plate-forme ConnectingFarm se deacutemarque des autres gracircce agrave plusieurs fonctionnaliteacutes rendues possibles par lrsquooutil numeacuterique mais aussi par des partenariats speacutecifiques Tout drsquoabord elle permet aux agriculteurs de dessiner et circonscrire la parcelle ougrave auront lieu les travaux afin de faciliter la communication avec le prestataire Cette plate-forme entend ensuite modifier le rapport de forces entre ETA et exploitants agricoles en offrant la possibiliteacute aux clients de choisir leur prestataire au sein drsquoun reacutepertoire rassemblant plus de 14 000 ETA agrave travers la France La possibiliteacute de visualiser lrsquoensemble des prestataires agricoles et leurs caracteacuteristiques permettrait eacutegalement aux agriculteurs de mieux eacutevaluer et geacuterer les travaux agrave venir sur leur exploitation et donc de srsquoassurer de la disponibiliteacute de la main-drsquoœuvre au bon moment De la mecircme maniegravere ConnectingFarm offre aux prestataires des services de communication et un outil de gestion de leurs activiteacutes de sous-traitance (facturation automatiseacutee et suivie en temps reacuteel) Un autre objectif de la plateforme est de deacuteployer la prestation en assurant une certaine seacutecuriteacute tant pour le client que pour le prestataire Le client dispose ainsi de plusieurs options de paiement et il peut avoir accegraves agrave des precircts de campagne pour financer les travaux dans les temps gracircce agrave un partenariat avec une des banques leader sur le marcheacute agricole La derniegravere fonctionnaliteacute proposeacutee par ConnectingFarm est la gestion et la valorisation des donneacutees des parcelles et de lrsquoexploitation avec un objectif drsquooptimisation des interventions aux champs et de conseil global La proposition de valeur de ConnectingFarm croise trois registres laquo agreacutegation de donneacutees raquo laquo coordination de travaux raquo et laquo suivi administratif et technique raquo

Mecircme si leur modegravele eacuteconomique est encore agrave lrsquoeacutepreuve les plates-formes comme ConnectingFarm suggegraverent que la transition numeacuterique gagne le marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation en lui confeacuterant une nouvelle facette gracircce agrave la mise en relation directe des acteurs (et donc agrave leur mise en concurrence) et en deacuteveloppant une offre multi-services La creacuteation de systegravemes experts permettant lrsquoharmonisation des donneacutees collecteacutees par diffeacuterents types drsquoeacutequipements et personnes leur ouvre des perspectives nouvelles en matiegravere de services de conseil Toutefois des interrogations demeurent quant agrave la deacutefinition de la proprieacuteteacute des donneacutees et de leurs usages Comme pour les ETA lrsquooffre de conseil devient une composante strateacutegique de la sous-traitance gracircce agrave une meilleure valorisation du service et un renforcement de la relation clientsous-traitant

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 83

Conclusion lrsquoessor de la sous-traitance un marqueur majeur des mutations agricoles

Lrsquoeacutemergence de grandes entreprises agricoles inteacutegreacutees emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de laquo gestionnarisation raquo ineacutedites (Purseigle et al 2017) Mais agrave cocircteacute drsquoelles le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la sous-traitance ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation drsquoune partie du secteur de la production agricole et de lrsquoeacutemergence de nouveaux reacuteseaux drsquoexploitations La tertiarisation de lrsquoagriculture franccedilaise ne constituerait-elle pas un mouvement certes peu visible mais beaucoup plus profond que celui drsquoindustrialisation des uniteacutes de production deacutecrieacutee dans les meacutedias Nos travaux nous amegravenent agrave le penser Alors que le pheacutenomegravene est plus tardif en agriculture il eacutepouse des contours parfois similaires agrave ceux observeacutes dans les secteurs industriels et des services Des chefs drsquoexploitation deacutelegraveguent aujourdrsquohui de plus en plus pour creacuteer des avantages comparatifs optimisation des coucircts recentrage sur leur cœur de meacutetier accegraves agrave de nouvelles pratiques et compeacutetences etc

Pour autant la sous-traitance dans le secteur agricole preacutesente aussi des caracteacuteristiques singuliegraveres La premiegravere consiste agrave sous-traiter des opeacuterations qui engagent des actifs speacutecifiques (eacutequipements de preacutecision etou des compeacutetences speacutecialiseacutees) comme le traitement lrsquoeacutepandage le semis direct ou encore le suivi de lrsquoagnelage Il est fort probable que le contexte socio-eacuteconomique et regraveglementaire actuel du secteur agricole et le coucirct croissant des technologies aient deacuteplaceacute les seuils de rentabiliteacute de certains investissements conduisant les exploitants agrave privileacutegier la sous-traitance Transition vers une agriculture agrave bas intrants et transition numeacuterique au travers des effets indirects et non intentionnels des exigences reacuteglementaires et des politiques publiques associeacutees ne constitueraient-elles pas finalement un terreau favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance

La deuxiegraveme singulariteacute a trait aux preacutefeacuterences de lrsquoagriculteur lorsqursquoil agit selon une logique entrepreneuriale mais aussi selon une logique purement patrimoniale Crsquoest cette derniegravere qui est agrave lrsquoorigine drsquoune pratique ineacutedite dans le monde de la sous-traitance agrave savoir la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation Elle va au-delagrave drsquoune simple deacuteleacutegation des opeacuterations techniques et conduit agrave confier la gestion de lrsquoentreprise agrave un tiers La profession agricole vivrait lagrave une veacuteritable rupture non seulement dans lrsquoorganisation du travail agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation et du territoire mais eacutegalement dans lrsquoexercice du meacutetier drsquoagriculteur Ce pheacutenomegravene relativement nouveau en France lrsquoest moins dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni et la Belgique toucheacutes avant la France par le deacuteclin deacutemographique des actifs agricoles

Ces strateacutegies ne sont pas neutres au regard du renouvellement des exploitations familiales Si elles pallient des transmissions familiales incomplegravetes elles ouvrent aussi la voie agrave des formes drsquoagriculture ougrave la dimension familiale perd sa centraliteacute Les dissociations entre terre travail et capital opeacutereacutees par ces formes de deacuteleacutegation constituent des eacuteleacutements de deacutepassement de lrsquoorganisation familiale du travail en agriculture vers une agriculture de type socieacutetaire porteacutee ou opeacutereacutee par des acteurs non familiaux

Parallegravelement le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation traduit de nouvelles voies drsquoentreacutee dans le meacutetier pour des jeunes issus de familles agricoles et pour qui la transmission de pegravere en fils ne va plus de soi ou encore pour ceux qui nrsquoen sont pas issus et qui deacutecident drsquoexercer un meacutetier agricole sans pour autant vouloir ou pouvoir srsquoinstaller comme chef drsquoexploitation Pour tous ces jeunes ces voies singuliegraveres peuvent se reacuteveacuteler attractives en raison non seulement du statut de salarieacute mais aussi de la flexibiliteacute de carriegravere qursquoelles offrent mais agrave la condition qursquoelles soient accompagneacutees par des formations approprieacutees et des conditions drsquoemploi favorables

84 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Au-delagrave de la question de lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation du travail en agriculture et de leur coexistence ce nouveau contexte conditionne la mise en place des projets strateacutegiques porteacutes par les organisations professionnelles agricoles En effet il pose la question des nouvelles formes de coopeacuteration au service de projets individuels29 des formes souvent plus flexibles et plus diversifieacutees de la production agrave la commercialisation groupements fonciers agricoles investisseurs groupements drsquointeacuterecirct eacuteconomique drsquoapprovisionnement socieacuteteacute civile laitiegravere CUMA inteacutegrale assolement en commun SARL de commercialisation groupement drsquoemployeurs etc Ces formes reacutepondent agrave des objectifs multiples (eacuteconomies de gamme et drsquoeacutechelle pilotage par la valeur ajouteacutee organisation du travail conservation drsquoun patrimoine par sortie partielle ou totale du meacutetier)

Nous pensons que lrsquoexternalisation du travail agricole et le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture interagissent avec trois registres drsquoaction des organisations professionnelles agricoles Le premier est celui des relations aux adheacuterents la mise en place de nouveaux dispositifs productifs en agriculture pose la question de lrsquointerlocuteur pertinent Qui est-il Entre celui qui possegravede et celui qui fait lequel peut ecirctre encore consideacutereacute comme interlocuteur de lrsquoorganisation professionnelle (notamment les coopeacuteratives) Le deuxiegraveme registre concerne les nouvelles fonctions productives que pourraient inteacutegrer ou renforcer certains partenaires lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation de la production et lrsquooffre de conseil qui lrsquoaccompagne ne constituent-elles pas un nouveau marcheacute pour les organisations professionnelles les coopeacuteratives les firmes de lrsquoagrofourniture Enfin le dernier registre est celui de la gouvernance ces nouveaux acteurs de la production agricole peuvent-ils ecirctre inteacutegreacutes agrave la gouvernance de certaines organisations professionnelles et leurs repreacutesentants agrave celle drsquointerprofessions

La croissance de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation inteacutegrale ne bouscule pas uniquement les professionnels du secteur Alors mecircme que se discute la prochaine reacuteforme de la PAC elle interpelle eacutegalement les deacutecideurs politiques sur leur rocircle dans lrsquoeacutemergence et lrsquoaccompagnement du pheacutenomegravene Comme nous lrsquoavons souligneacute dans cet article certains dispositifs de politiques publiques sans ecirctre des causes directes semblent avoir nourri un contexte favorable au deacuteveloppement la sous-traitance

Le deacutecouplage des aides liant ces derniegraveres au foncier associeacute agrave un statut du fermage jugeacute contraignant tend aujourdrsquohui agrave inciter certains agriculteurs agrave la retraite ou enfants drsquoagriculteurs agrave avoir recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale Il srsquoagit souvent pour eux de conserver le foncier dans lrsquoattente drsquoune eacuteventuelle vente ou reprise agrave moyen ou long terme par un successeur encore non identifieacute ou tout simplement de se constituer un compleacutement de revenu sous forme de rente

Certaines reacuteglementations environnementales et une forte augmentation du prix des eacutequipements speacutecialiseacutes ont sans doute conduit de nombreux proprieacutetaires-exploitants agrave sous-traiter les traitements et ainsi externaliser les coucircts de lrsquoinvestissement Lrsquoentreacutee en vigueur du principe de seacuteparation des activiteacutes de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques conduirait certaines coopeacuteratives ou neacutegoces agrave chercher lagrave aussi de nouvelles activiteacutes de diversification et agrave offrir une palette de nouveaux services agrave des exploitations adheacuterentes ou clientes y compris en recourant agrave des creacuteations de filiales Outre la garantie drsquoune nouvelle source de profit ces nouvelles activiteacutes preacuteserveraient leur capaciteacute de collecte

29 Le nouveau slogan de lrsquoorganisation syndicale des coopeacuteratives agricoles en est une illustration laquo construisons en commun lrsquoavenir de chacun raquo

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 85

Les politiques ont sans doute contribueacute au pheacutenomegravene mais en France comme dans drsquoautres pays elles sont loin drsquoecirctre le seul deacuteterminant Le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes relegraveve avant tout drsquoun mouvement de fond qui teacutemoigne drsquoun effacement de lrsquoexercice familial du travail mais aussi de nouvelles formes drsquoarbitrage entre projet patrimonial et projet eacuteconomique au sein des familles agricoles Il atteste des profondes reconfigurations de lrsquooffre de services proposeacutee par des organisations professionnelles qui agrave lrsquoinstar des coopeacuteratives ou de CUMA sont interpelleacutees par de nouvelles attentes et de nouvelles conceptions de lrsquoaction collective porteacutees par leurs propres adheacuterents Il serait donc vain drsquoattendre drsquoune politique publique qursquoelle encadre ou controcircle une telle tendance Il convient avant tout de penser les processus sociaux et eacuteconomiques agrave lrsquoœuvre de les accompagner voire de les orienter plutocirct que de vouloir les contraindre

Ces processus neacutecessitent selon nous de mettre sur pied de nouveaux outils de portage foncier ou salarial qui ouvrent la voie agrave de nouvelles formes drsquoorganisations laquo passerelles raquo favorisant lrsquoarriveacutee dans les meacutetiers de lrsquoagriculture Lrsquoassouplissement des trajectoires professionnelles et les incertitudes qui entourent les activiteacutes agricoles appellent agrave promouvoir dans certains territoires des formes drsquoorganisation de la production moins homogegravenes Malgreacute les limites constateacutees et les interrogations souleveacutees la sous-traitance en agriculture participe de la diversification des activiteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouveaux meacutetiers Elle contribue aussi agrave lrsquoameacutelioration de la performance globale de certaines exploitations et agrave la reacuteorganisation de la production dans certaines zones intermeacutediaires ougrave le renouvellement des geacuteneacuterations de chefs drsquoexploitation semble compromis agrave court terme Sous reacuteserve de respecter des principes et comportements eacutethiques en matiegravere de droit du travail et de reacuteglementation environnementale ne peut-on pas voir dans la sous-traitance en agriculture une des composantes drsquoune veacuteritable reconfiguration strateacutegique de lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle des territoires

Pour cela il srsquoagit de ne pas abandonner les politiques en faveur de lrsquoinstallation bien au contraire Quelques pistes peuvent degraves lors ecirctre eacutevoqueacutees renforcer la performance des dispositifs drsquoaccompagnement agrave lrsquoinstallation et agrave la creacuteation drsquoactiviteacutes ameacuteliorer leur articulation en reconsideacuterant les conditions drsquoinsertion dans les meacutetiers etc En drsquoautres termes si lrsquoon admet que les contours et les statuts juridiques de lrsquoactiviteacute productive se transforment en profondeur il convient dans le mecircme temps de reconfigurer les modes de soutien agrave lrsquoentreacutee dans les meacutetiers La question ici poseacutee est celle de la maniegravere dont les politiques publiques vont accompagner un fait social et eacuteconomique pour servir lrsquoambition du maintien drsquoactifs agricoles mecircme si leurs visages diffegraverent de ceux drsquoaujourdrsquohui

86 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

Anzalone G Purseigle F 2014 laquo Deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes et sous-traitance au service de la transmission de lrsquoexploitation ou drsquoun patrimoine raquo dans P Gasselin J-P Choisis S Petit F Purseigle S Zasser (eds) Lrsquoagriculture en famille travailler reacuteinventer transmettre EDP Sciences Paris pp 327-337

Anzalone G Purseigle F Nguyen G Hervieu B 2019 laquo Chapitre 7 Des entreprises aux allures de firme Mutations des entreprises agricoles et nouveaux modes drsquoaccegraves au foncier raquo dans B Chouquer M C Maurel (eds) Normes et pratiques fonciegraveres et agricoles ndash Volume 1 Les mutations reacutecentes du foncier et des agricultures en Europe Presses universitaire de Franche-Comteacute et Presses de lrsquouniversiteacute de Sun Yat-Sen de Guanzhou pp 165-190

Arnold U 2000 ldquoNew Dimensions of Outsourcing a Combination of Transaction Cost Economics and the Core Competencies Conceptrdquo European Journal of Purchasing and Supply Management 6(1) pp 23-29

Ball RM 1987 ldquoAgricultural contractors some surveyfindingsrdquo Journal of Agricultural Economics 38(3) pp 481-488

Bakis H 1975 laquo La sous-traitance dans lrsquoindustrie raquo Annales de geacuteographie 84(463) pp 297-317

Brailly J Nguyen G et Purseigle F 2018 laquo Emergence de plateformes numeacuteriques et redeacutefinition des dynamiques de lrsquoaction collective dans le secteur agricole en France  raquo communication au colloque annuel de la chaire Villes et numeacuteriques 3 mai 2018 Sciences Po Paris

Chevalier B 2007 laquo Les agriculteurs recourent de plus en plus agrave des prestataires de service raquo INSEE-Premiegravere ndeg 1160

Cochet H 2008 laquo Vers une nouvelle relation entre la terre le capital et le travail raquo Eacutetudes fonciegraveres 134 pp 24-29

Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

FNCUMA 2019 Chiffres cleacutes Eacutedition 2017 FNCUMA Paris

FNEDT 2016 Rapport drsquoactiviteacute 2016 FNEDT Paris

FNSEA 2018 laquo Gestion preacutevisionnelle des emplois et des compeacutetences ndeg 8 Enquecircte lsquorsquoPrestataires de servicersquorsquo - Bilan final aoucirct 2018 raquo FNSEA ndash Observatoire Emploi Formation Deacutepartement des affaires sociales Paris

Gambino M Laisney C Vert J 2012 Le Monde agricole en tendances Un portrait social prospectif des agriculteurs Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 87

Guihard V Lesdos C 2007 laquo Lrsquoagriculture sur trente ans une analyse comparative avec lrsquoindustrie et les services raquo INSEE Reacutefeacuterences Lrsquoagriculture nouveaux deacutefis Eacutedition 2007 pp 47-63

Harff Y Lamarche H 1998 laquo Le travail en agriculture nouvelles demandes nouveaux enjeux raquo Eacuteconomie rurale 244(1) pp 3-11

Heacutebrard L 2001 laquo Le deacuteveloppement des services agricoles Une sous-traitance speacutecialiseacutee au service des agriculteurs raquo INSEE Premiegravere ndeg 817

Hervieu B Purseigle F 2013 Sociologie des mondes agricoles Armand Colin Paris

Holcomb TR Hitt MA 2007 laquo Toward a Model of Strategic Outsourcing raquo Journal of Operations Management 25 pp 464-481

Igata M Hendrikson A Heijman W 2008 laquo Agricultural Outsourcing a Comparison Between the Netherlands and Japan raquo Applied Studies in Agribusiness and Commerce 2(1) pp 29-33

Jeanneaux P Blasquiet-Revol H 2012 laquo La gestion des exploitations agricoles un eacutetat des lieux de la recherche en France raquo Annales des Mines-Geacuterer et comprendre 1 pp 29-40

Legagneux B Olivier-Salvagnac V 2017 laquo Quelle main-drsquoœuvre contractuelle dans les exploitations agricoles Agrave la base de lrsquoeacuteclatement du modegravele familial raquo Eacuteconomie Rurale 357-358 pp 101-116 doiorg104000economierurale5132

Le Gars C Roudieacute P (dirs) 1996 Des vignobles et des vins agrave travers le monde Hommage agrave Alain Huetz de Lemps Presses universitaires de Bordeaux

Lerbourg J Dedieu M-S 2016 laquo Lrsquoeacutequipement des exploitations agricoles Un recours agrave la proprieacuteteacute moins marqueacute pour les machines speacutecialiseacutees raquo Agreste Primeur ndeg 334

Mariotti F 2005 Qui gouverne lrsquoentreprise en reacuteseau Presses de Sciences Po Paris

Milberg W Winkler D 2013 Outsourcing Economics Global value Chains in Capitalist Development Cambridge University Press

Nguyen G Lepage F Purseigle F 2017 laquo Lrsquoentreacutee de capitaux externes dans les exploitations agricoles Une facette meacuteconnue des agricultures de firme en France  raquo dans Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris pp 65-95

Nguyen G Brailly J Purseigle F 2020 laquo Strategic Outsourcing and Precision Agriculture In France Towards a Silent Reorganization of Agricultural Production in France raquo communication agrave lrsquoAgricultural and Applied Economics Association - Allied Social Science Association Annual Meeting 2-4 janvier San-Diego Eacutetats-Unis

Perraudin C Thevenot N Valentin J 2013 laquo Sous-traitance et eacutevitement de la relation drsquoemploi les comportements de substitution des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 raquo Revue internationale du travail 152(3-4) pp 571-597

Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris

88 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Quelennec M 1987 laquo La sous-traitance industrielle gagne du terrain raquo Eacuteconomie et statistique 199(1) pp 27-42

Souquet C 2016 laquo La majoriteacute des entreprises font appel agrave des sous-traitants raquo Insee Focus 67 novembre 2016

Srnicek N 2017 Platform capitalism John Wiley amp Sons

Surubaru A 2014 La fragiliteacute des liens marchands Sociologie de la sous-traitance internationale collection laquo Europe terrains et socieacuteteacutes raquo Eacuteditions Peacutetra

Tashakkori A Teddlie C 1998 Mixed methodology Combining qualitative and quantitative approaches collection Applied Social Research Methods Series 46 Sage Publications

Williamson O E 2008 Outsourcing Transaction Cost Economics and Supply Chain Management Journal of Supply Chain Management 44(2) pp 5-16

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 89

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

Reacutesumeacute

En Rhocircne-Alpes la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) individuelle laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo a eacuteteacute ouverte en 2014 en zone de plaine avant drsquoecirctre eacutetendue en 2015 agrave titre exploratoire agrave certains territoires de montagne Agrave la demande de la DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes une eacutetude a eacuteteacute reacutealiseacutee en 2017 par le cabinet Acteon5 afin de construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments mais aussi son efficaciteacute et son efficience ex post telles que mesureacutees en fin de programmation Cet article restitue cette double deacutemarche ainsi que les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

Mots cleacutes

Mesure agro-environnementale biodiversiteacute Auvergne - Rhocircne-Alpes eacutevaluation montagne systegravemes herbagers et pastoraux

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 ACTeon environnement 5 place Sainte-Catherine 68000 Colmar2 Geacuterard Hanus consultant Le Rousset quartier drsquoArzeliers 05300 Laragne-Monteacuteglin3 Herveacute Coquillart consultant Territoire Environnement Biodiversiteacute la Brosse 42140 Virigneux4 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 3 rue Barbet-de-Jouy 75007 Paris5 ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018 Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne volets 1 et 2 httpsagriculturegouvfrmise-en-oeuvre-du-dispositif-evaluatif-de-la-mesure-agro-environnementale-individuelle-systemes

Anaiumls Hanus1 Geacuterard Hanus2 Herveacute Coquillart3 Estelle Midler4

90 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

En Rhocircne-Alpes les territoires les milieux et la biodiversiteacute de montagne sont faccedilonneacutes par lrsquoeacutelevage herbager et pastoral et peuvent donc ecirctre impacteacutes par ses eacutevolutions Pour faire face aux difficulteacutes rencontreacutees par les exploitations dans cette reacutegion les Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) preacutevoient en application de la reacuteglementation nationale et europeacuteenne un instrument speacutecifique de soutien eacuteconomique aux exploitations de montagne lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) visent quant agrave elle lrsquoeacutevolution ou le maintien de pratiques reacutepondant agrave des enjeux environnementaux territoriaux identifieacutes dans le cadre de Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC)

La MAEC laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle (SHP 01) est un dispositif de maintien de pratiques visant agrave preacuteserver la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee Elle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement repose sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Une eacutetude commandeacutee par le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour le compte de la DRAAF Auvergne - Rhocircne-Alpes a eacuteteacute lanceacutee en 2017 afin de mettre en place une deacutemarche drsquoeacutevaluation de cette strateacutegie drsquoouverture de la SHP 01 aux zones de montagne de Rhocircne-Alpes Reacutealiseacutee par le cabinet Acteon elle avait deux objectifs a) eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments (ICHN MAEC agrave enjeux localiseacutes) puis b) construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Cet article a pour objectif de restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

La premiegravere partie preacutesente la probleacutematique le dispositif eacutevaluatif mis en place et les meacutethodes utiliseacutees pour lrsquoeacutevaluation ex ante La partie suivante deacutetaille le contexte les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP 01 dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes Ensuite sont preacutesenteacutes les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence de la SHP 01 pour ces territoires de sa coheacuterence avec les autres aides (dont lrsquoICHN) et de sa contribution au revenu des eacuteleveurs condition neacutecessaire au maintien de lrsquoactiviteacute Enfin en quatriegraveme partie deux facteurs pouvant contribuer agrave renforcer lrsquoimpact de la SHP 01 sont discuteacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 91

1 Probleacutematique et meacutethodologie de lrsquoeacutetude

11 Qursquoest-ce que la MAEC SHP 01

La MAEC SHP 01 est une aide contractuelle visant agrave preacuteserver lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours et des prairies permanentes6 agrave flore diversifieacutee en particulier de certaines surfaces dites laquo surfaces cibles raquo (MAA 2017) Il srsquoagit drsquoune mesure laquo de maintien raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement se base deacutejagrave sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours (au moins 70 de surfaces en herbe et pastorales dans la SAU) et sur des pratiques favorables agrave la preacutesence drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Ainsi le contrat impose

- le maintien des couverts permanents de lrsquoexploitation ou Surfaces toujours en herbe (STH) crsquoest-agrave-dire des prairies permanentes et des parcours (figure 1)

- des reacutesultats sur des surfaces cibles (SC) choisies par lrsquoeacuteleveur parmi les couverts permanents de lrsquoexploitation avec selon les cas un accompagnement technique (opeacuterateur ou animateur) La proportion de SC dans la surface toujours en herbe (entre 20 et 50 ) deacutepend du niveau de risques de disparition ou drsquoeacutevolution des pratiques estimeacute sur le territoire Ces obligations de reacutesultats se traduisent par le respect drsquoindicateurs drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu (preacutesence de plantes indicatrices pour les prairies permanentes et utilisation annuelle minimum pour les surfaces pastorales)

- un taux de chargement animal global infeacuterieur agrave 14 UGB7ha

- la non-utilisation des produits phytosanitaires

La contractualisation de la SHP 01 vise ainsi le maintien conjoint de certaines pratiques et de la biodiversiteacute Agrave la diffeacuterence de la SHP 02 qui srsquoadresse aux entiteacutes collectives la SHP 01 srsquoadresse aux exploitations

Lecture STH Surfaces toujours en herbe PT Prairies temporaires SC surfaces cibles SCOP surfaces en ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux Source ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (2017) et groupe de travail reacutegional MAEC

Figure 1 - Critegraveres drsquoeacuteligibiliteacute et drsquoengagement de la SHP 01

6 Les laquo prairies permanentes raquo sont celles qui nrsquoont pas eacuteteacute laboureacutees dans les cinq derniegraveres anneacutees7 UGB Uniteacutes de gros beacutetail Il srsquoagit de lrsquouniteacute de reacutefeacuterence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type drsquoanimal drsquoeacutelevage Elle permet de convertir tous les types drsquoanimaux dans la mecircme uniteacute

92 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

12 Probleacutematique de lrsquoeacutetude

En Rhocircne-Alpes la SHP 01 a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine uniquement Cette deacutecision a eacuteteacute prise pour deux raisons a) il existe des risques de deacuteprise et drsquointensification dans ces zones b) en zone de montagne des dispositifs comme lrsquoICHN revaloriseacutee permettent de reacutepondre aux objectifs de maintien des systegravemes herbagers et des surfaces (Hanus et al 2017) En outre la MAE SHP 02 est mobiliseacutee en montagne ougrave les surfaces sont geacutereacutees en grande partie par des organisations collectives8

Cependant certains territoires comme le Beaujolais Vert (dont la zone de pieacutemont fait face agrave des risques de deacuteprise et drsquointensification forts) et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne argumentant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Celle-ci a donc eacuteteacute ouverte dans ces territoires de montagne agrave titre exploratoire et agrave budget constant en preacutevoyant de reacutealiser une eacutevaluation externe afin drsquointerroger la pertinence de cette deacutecision et drsquoen tirer des enseignements pour lrsquoensemble de la Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes

Trois phases ont eacuteteacute preacutevues pour cette eacutevaluation

- la premiegravere reacutesidait dans la mise en place drsquoun dispositif eacutevaluatif et drsquoune premiegravere eacutevaluation ex ante de la pertinence de la strateacutegie drsquoactivation de la SHP 01 et de sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres mesures (reacutealiseacutee en 2017 et objet de cet article)

- la deuxiegraveme phase consiste en une eacutevaluation agrave mi-parcours (201920 agrave reacutealiser)

- la troisiegraveme phase en 2022 sera deacutedieacutee agrave lrsquoeacutevaluation ex post

Agrave terme le dispositif eacutevaluatif doit permettre drsquoune part drsquoanalyser les eacutevolutions sur les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes ayant activeacute la SHP 01 et drsquoautre part de mener des comparaisons avec des territoires de plaine et des territoires nrsquoayant pas activeacute la SHP 01 de mecircme qursquoentre territoires diffeacuterents (par exemple pastoral vs herbager) et entre exploitations ayant ou non contractualiseacute la SHP 01 (au sein de territoires qui la proposaient)

13 Meacutethodologie

Lrsquoeacutetude comportait deux volets dont les objectifs sont preacutesenteacutes dans la figure 2

131 Volet 1 construction du dispositif eacutevaluatif

La reacutealisation du volet 1 srsquoest appuyeacute sur des entretiens (Reacutegions opeacuterateurs porteurs des PAEC) et sur une analyse documentaire (Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux dossiers de candidatures travaux du groupe de travail etc voir le volet 1 du rapport p 8 pour plus de deacutetails) permettant drsquoeacutetudier les strateacutegies drsquoactivation de la mesure au niveau reacutegional et celles de mise en œuvre par les territoires (mobilisation ou non de la mesure face aux enjeux identifieacutes) Ce travail a abouti agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune premiegravere version drsquoun diagramme logique drsquoimpact (DLI) de la SHP 01 puis agrave une liste de questions eacutevaluatives (encadreacute 1) discuteacutee et valideacutee par le comiteacute de pilotage de lrsquoeacutetude

8 En Auvergne la strateacutegie drsquoouverture ne diffeacuterencie pas zones de plaine et de montagne La MAE SHP 01 est mobilisable sur toutes les Zones drsquoaction prioritaires eau biodiversiteacute et une zone laquo seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 93

Source auteurs volet 1 du rapport final p5

Figure 2 - Objectifs de lrsquoeacutetude

Pour chaque question eacutevaluative des indicateurs ont eacuteteacute proposeacutes commenteacutes et valideacutes par le comiteacute de pilotage Un reacutefeacuterentiel drsquoeacutevaluation deacutetaille pour chaque indicateur

- le type drsquoindicateur (contexte reacutealisation reacutesultat impact pertinence ou coheacuterence) la nature de lrsquoindicateur (quantitatif ou qualitatif) la theacutematique agrave laquelle se reacutefegravere lrsquoindicateur (milieux systegravemes place des surfaces en herbe eacuteconomie contrats et ingeacutenierie territoriale)

- lrsquoeacutechelle (territoriale de lrsquoexploitation ou parcellaire) et le champ geacuteographique drsquoapplication de lrsquoindicateur (territoires et exploitations concerneacutees)

- la phase de la programmation pendant laquelle renseigner les indicateurs (eacutevaluation ex ante intermeacutediaire etou ex post)

- les meacutethodes de recueil (qualitatives et quantitatives) et les analyses neacutecessaires au renseignement des indicateurs

Enfin un manuel a eacuteteacute reacutedigeacute pour appuyer les eacutevaluateurs dans la reacutealisation des futures eacutevaluations intermeacutediaire et ex post (ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil 2018c)

94 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Le ou les critegraveres drsquoeacutevaluation associeacutes agrave chaque question sont preacuteciseacutes entre parenthegraveses

1 La mesure systegraveme SHP 01 est-elle adapteacutee pour reacutepondre aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres (prairies et surfaces pastorales) et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique sur les territoires PAEC concerneacutes (Pertinence)

2 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 sur ces territoires a-t-elle permis drsquoeacuteviter lrsquointensification ou lrsquoabandon des pratiques sur les surfaces cibles Comment a-t-elle impacteacute les pratiques sur le reste de la STH Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

3 Quels sont les impacts de la mesure en matiegravere de biodiversiteacute sur les surfaces cibles (Efficaciteacute)

4 En quoi la mesure SHP 01 a-t-elle pu opeacuterer un changement de regard des agriculteurs sur ces surfaces A-t-elle eacuteteacute un levier drsquoaction pour entraicircner une reacuteflexion plus globale sur la gestion de ces surfaces au-delagrave du soutien financier Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

5 La mesure a-t-elle contribueacute agrave lrsquoeacutevolution des systegravemes drsquoexploitation vers une meilleure inteacutegration et valorisation des surfaces cibles Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute et coheacuterence externe)

6 Dans quelle mesure la SHP 01 peut-elle contribuer agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits et agrave un revenu plus eacuteleveacute Comment cela srsquoarticule-t-il avec lrsquoICHN (Efficaciteacute)

7 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 a-t-elle engageacute ou renforceacute une dynamique de groupe pour la reacuteflexionformation des agriculteurs sur la theacutematique des surfaces herbagegraveres Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

8 Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle contribueacute agrave une diffusion des modegraveles de productiondes pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle assureacute un meilleur maintien des surfaces herbagegraveres sur les territoires PAEC lrsquoayant activeacutee (Efficaciteacute)

9 Les conditions de peacuterennisation des pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire sont-elles reacuteunies   Dans ce contexte une non-reconduction du soutien SHP 01 est-elle envisageable (Efficaciteacute efficience et coheacuterence externe)

10 Dans quelle mesure la SHP et les MAEC agrave enjeux localiseacutes se combinent-elles pour reacutepondre aux enjeux En quoi lrsquoactivation de la SHP peut-elle constituer un levier vers la certification en agriculture biologique (Coheacuterence externe)

Encadreacute 1 - Liste des questions eacutevaluatives ayant guideacute le travail

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 95

132 Volet 2 lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence et de la coheacuterence de la SHP 01

Lrsquoeacutevaluation ex ante constitue le second volet de lrsquoeacutetude et la premiegravere eacutetape de mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif Elle a pour objectifs a) de renseigner les indicateurs de contexte et de dresser lrsquoeacutetat de reacutefeacuterence des territoires ayant ou non activeacute la SHP 01 en montagne en Rhocircne-Alpes9 b) de renseigner certains indicateurs de reacutealisation et de reacutesultat pour les anneacutees 201516 avec pour objectif drsquoeacutetudier leur eacutevolution dans les eacutevaluations futures et c) de fournir de premiers eacuteleacutements de reacuteponse agrave des questions eacutevaluatives lieacutees agrave la pertinence de cette strateacutegie drsquoactivation et agrave sa coheacuterence vis-agrave-vis de mesures preacuteexistantes (questions 1 6 et 10)

Lrsquoeacutevaluation ex ante considegravere plusieurs eacutechelles territoriales

- huit territoires de montagne de Rhocircne-Alpes et Auvergne ont ou auraient pu activer la SHP 01 (voir carte 1) Une partie des indicateurs sont donc renseigneacutes pour ces territoires ils alimenteront un eacutetat de reacutefeacuterence neacutecessaire agrave lrsquoanalyse ulteacuterieure des eacutevolutions

- certains indicateurs sont renseigneacutes agrave lrsquoeacutechelle des PAEC drsquoautres agrave lrsquoeacutechelle des Zones drsquointervention prioritaires (ZIP) deacutefinies au sein des PAEC sur lesquelles la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee10 Cela permettra drsquoanalyser des eacutevolutions lieacutees agrave la contractualisation de la SHP 01 sur les territoires ougrave elle a effectivement eacuteteacute activeacutee ainsi que de comparer ces eacutevolutions avec celles de ZIP drsquoautres PAEC dont les enjeux sont proches mais les mesures activeacutees diffeacuterentes

- une partie des indicateurs (notamment les indicateurs de reacutesultats) sont renseigneacutes seulement pour trois territoires ayant activeacute la SHP 01 appeleacutes laquo territoires-types raquo Le choix de ces territoires-types a reposeacute sur la recherche drsquoune diversiteacute de milieux et systegravemes (tableau 1) sur le niveau de contractualisation SHP 01 et la volonteacute des opeacuterateurs de participer Au final trois territoires-types ont eacuteteacute retenus les Crecircts du Haut-Jura le Beaujolais Vert eacutelargi et les Baronnies drocircmoise

9 Les territoires de plaine ne sont pas inclus dans cette eacutetude10 Ou les mesures Herbe 07 et 09 dans le cas de lrsquoArdegraveche et des Bauges

Source auteurs drsquoapregraves Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes laquo Tout savoir sur les 10 Parcs naturels reacutegionaux drsquoAuvergne-Rhocircne-Alpes raquo httpswwwauvergnerhonealpesfrdossier824-tout-savoir-sur-les-10-parcs-naturels-regionaux-d-auvergne-rhone-alpeshtm

Carte 1 - Situation geacuteographique des territoires pris en compte dans lrsquoeacutevaluation

96 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Plusieurs meacutethodes et techniques ont eacuteteacute mobiliseacutees pour mener agrave bien lrsquoeacutevaluation ex ante

- en premier lieu un atelier a eacuteteacute organiseacute avec des acteurs de diffeacuterents territoires de Rhocircne-Alpes et de profils varieacutes acteurs institutionnels chargeacutes de mission des structures opeacuteratrices techniciens agriculture ou biodiversiteacute chercheurs etc Il a permis de consolider et de valider collectivement le diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 et de discuter la pertinence de lrsquoactivation de la SHP 01 en montagne

- des informations ont eacuteteacute recueillies via les documents produits par les opeacuterateurs des PAEC (dossiers de candidatures quelques diagnostics drsquoexploitations quelques bilans) et des entretiens reacutealiseacutes avec eux

- des entretiens semi-directifs de visu ont eacuteteacute reacutealiseacutes aupregraves de 10 agriculteurs (ayant contractualiseacute la SHP 01 ou non) sur chacun des trois territoires-types pour recueillir des informations qualitatives

- un questionnaire internet transmis agrave toutes les exploitations des ZIP des huit territoires a compleacuteteacute les entretiens Il a permis de recueillir des informations qualitatives mais moins preacutecises aupregraves drsquoun plus grand nombre drsquoexploitations (93 au total)

- des donneacutees statistiques (Reacuteseau drsquoinformation comptable agricole - RICA Recensement agricole - RA) et administratives (donneacutees PAC et registre parcellaire graphique - RPG) ont eacuteteacute mobiliseacutees pour fournir des eacuteleacutements quantitatifs

- enfin un atelier de travail (focus group) a eacuteteacute meneacute sur chaque territoire-type mobilisant des acteurs experts de leur territoire (agriculteurs techniciens agriculture et biodiversiteacute chargeacutes de mission PNR etc) afin de discuter analyser collectivement et valider les enjeux du territoire ainsi que la logique drsquoimpact locale de la SHP 01

Le tableau 1 et la figure 3 donnent des preacutecisions sur la repreacutesentativiteacute de lrsquoensemble des eacutechantillons issus agrave la fois des entretiens (pour les trois territoires-types) et de lrsquoenquecircte en ligne (pour tous les territoires) Agrave noter que les entretiens ciblaient les exploitations des ZIP ougrave la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee notamment celles ayant contractualiseacute la SHP 01 drsquoougrave des taux de couverture eacuteleveacutes Lrsquoenquecircte en ligne srsquoadressait agrave tous les exploitants des ZIP dans lesquelles soit la SHP 01 soit Herbe 07 ou 09 avait eacuteteacute activeacutee (peu importe la production lrsquoeacuteligibiliteacute aux mesures et les mesures contractualiseacutees) La derniegravere colonne compare le taux moyen de surfaces en herbe et de surfaces pastorales des exploitations agrave celui de lrsquoensemble du PAEC (voir figure 3)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 97

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les donneacutees preacutesenteacutees montrent pour le Haut-Jura la part de STH de surfaces pastorales et de surfaces en herbe dans les exploitations enquecircteacutees (soit uniquement par entretien en brun soit par entretien et par enquecircte internet en orange) et sur lrsquoensemble du PAEC Source auteurs volet 2 du rapport final p13

Figure 3 - Repreacutesentativiteacute de lrsquoeacutechantillon Haut-Jura (entretiens et lrsquoenquecircte en ligne)

Tableau 1 - Repreacutesentativiteacute des eacutechantillons pour les entretiens et lrsquoenquecircte en ligne

2 Contexte et enjeux des systegravemes herbagers et pastoraux dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes

21 Une diversiteacute de contextes et drsquoenjeux

Si les eacutelevages de montagne des huit territoires rhocircne-alpins eacutetudieacutes srsquoappuient tous sur la valorisation des surfaces herbagegraveres et pastorales ils reposent sur une varieacuteteacute de milieux et de systegravemes de production Un atelier de travail inter-territoires a permis drsquoen construire une typologie (tableau 2) Cinq grands types de systegravemes ont eacuteteacute identifieacutes Trois territoires-types ont ensuite eacuteteacute seacutelectionneacutes pour mener des analyses approfondies Ils illustrent une diversiteacute de milieuxsystegravemes et de contextes historiques territoriaux (tableau 3)

Nombre total

dexploitations enquecircteacutees

Taux de couverture des exploitations

avec un icirclot sur une ZIP SHP 01 ou

Herbe 0709

Nombre dexploitations

enquecircteacutees avec SHP 01

Taux de couverture des contrats SHP

01

Repreacutesentativiteacute du taux de surfaces en herbe et pastorales

du PAEC

Baronnies 15 6 7 100

Beaujolais Vert 15 2 10 9

Haut-Jura 14 23 4 100

Chartreuse 8 5 0 0

Pilat 17 3 2 4

Vercors 4 2 1 0

Bauges 7 6 0 Monts

dArdegraveche 13 1 0

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les cases les plus fonceacutees indiquent une plus forte repreacutesentativiteacute

98 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sur ces trois territoires les systegravemes fourragers reposent principalement sur les surfaces en herbe (stocks pour lrsquohiver et pacircturage) Lrsquoeacutelevage qui se maintient difficilement dans ces reacutegions les milieux et la biodiversiteacute font face agrave des risques de fermeture et agrave des logiques drsquointensification des pratiques

Tableau 2 - Typologie simplifieacutee des territoires milieux et systegravemes de montagne en Rhocircne-Alpes

TypeSystegravemes pastoraux

meacutediterraneacuteens speacutecialiseacutes

Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP

Systegravemes herbagers non

AOPIGP

Systegravemesherbeceacutereacuteales

Exemples de territoires Ardegraveche (pentes) Baronnies Sud Vercors

Haut-Jura Pilat Chartreuse Vercors Ardegraveche (montagne) Forez

Beaujolais Vert Pilat Haut Lignon Forez

Pilat Beaujolais Vert

Milieux

Surfaces embroussailleacutees bois landes parcours Pelouses segraveches Estives

Prairies permanentes et temporairesZones humides

Checircnaies et chacirctaigneraies(+ vergers) pacirctureacutes Estives alpages Ceacutereacuteales

Systegravemes Systegravemes extensifs ovinscaprins

Systegravemes diversifieacutes ovins+ activiteacute compleacutementaire

Bovins lait AOPIP ou allaitants

Bovins lait standard ou allaitants

Source auteurs extrait du volet 2 du rapport final p 45

Tableau 3 - Surfaces et systegravemes des trois territoires-types

Type Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP Systegravemes

herbeceacutereacuteales

Composition de la SAUGrandes culturesFourrages

Estives landes

Prairies permanentes

Prairies temporaires

Vergers

Vignes

Autres productions veacutegeacutetales

Systegravemes drsquoeacutelevage majoritaires

Eacutelevages bov ins herbagers laitiers mixtes allaitants parfois coupleacutes agrave de l rsquoeacutelevage caprin fromager ou agrave des productions veacutegeacutetales (vignes arboriculture)

Eacutelevages bovins lait herbagers valorisation sous AOP ou IGP 90 de prairies permanentes dans les surfaces en herbe

Systegravemes pastoraux ovins viande speacutecialiseacutes ou diversifieacutes (lavande noyers checircnes truffiers chegravevres tourisme) bovins (secteur de Lachau)

Perception de la biodiversiteacute

Un lien reconnu entre diversiteacute floristique et qualiteacute du fourrage donc du lait mais peu drsquointeacuterecircttemps pour lrsquoapprofondir

Des eacuteleveurs srsquointeacuteressent agrave la composition des prairies naturelles et mentionnent un inteacuterecirct pour lrsquoappeacutetence la qualiteacute et le goucirct du lait et des fromages le rendement cela influence peu les modes de gestion

La diversiteacute floristique des prairies (p reacutesence de leacutegumineuses notamment) est reconnue comme inteacuteressante pour la qualiteacute du foin et lrsquoeacutequilibre des rations et teacutemoin drsquoun travail laquo bien fait raquo

Sources RPG 2016 entretiens avec des agriculteurs et des acteurs des territoires extrait du volet 2 du rapport final p 19-30

78

8

11 1 1

1

54

1 1

44 65

8

1

8 6

5 3 4

Le travail meneacute sur les territoires-types met en eacutevidence un risque drsquoabandon des surfaces difficiles drsquoaccegraves difficiles drsquoutilisation ou peu productives entraicircnant une fermeture du milieu une perte de biodiversiteacute et de fonctionnaliteacute une modification des paysages Le risque drsquointensification de lrsquoutilisation des prairies permanentes existe sur certaines zones du Beaujolais Vert mais est plus marginal sur les autres territoires montagnards de Rhocircne-Alpes Sur certains territoires comme les Baronnies et le Beaujolais Vert eacutelargi lrsquoeacutelevage pastoral dans le premier territoire laitier geacuteneacuterique ou allaitant dans le second demeure relativement fragile Lrsquoenjeu drsquoun deacuteveloppement eacuteconomique srsquoappuyant agrave la fois sur lrsquoagriculture et le tourisme (donc le paysage) est preacutesent sur les trois territoires

1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 99

La diversiteacute des territoires concerne aussi leurs dynamiques de projet Ainsi alors que le Pilat et le Haut-Jura sont engageacutes historiquement dans des deacutemarches agro-environnementales et ont deacuteveloppeacute une animation speacutecifique les Baronnies provenccedilales Parc naturel reacutegional (PNR) reacutecent et le Beaujolais Vert cherchent agrave initier ce changement

22 Speacutecificiteacute et eacutevolution de la strateacutegie reacutegionale de Rhocircne-Alpes

Pour mieux faire ressortir les particulariteacutes de la reacutegion eacutetudieacutee les strateacutegies agro-environnementales et les objectifs des Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) de Rhocircne-Alpes et drsquoAuvergne ont eacuteteacute compareacutes (tableau 4)11 En Rhocircne-Alpes le PDR est orienteacute vers le soutien agrave lrsquoeacuteconomie agricole et aux productions geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes positives pour lrsquoenvironnement Les laquo objets raquo consideacutereacutes par les MAEC sont les systegravemes drsquoexploitation et les pratiques dont lrsquoorientation doit permettre de geacuteneacuterer des externaliteacutes positives Les MAEC reacutepondent aux besoins drsquoadaptation des systegravemes de preacuteservation des espaces agricoles de deacuteveloppement de modes de production speacutecifiques et creacuteateurs drsquoexternaliteacutes positives

En Auvergne le PDRR affiche des objectifs de diffeacuterenciation qualitative des produits en plus du soutien agrave la compeacutetitiviteacute des systegravemes de montagne En lien avec cet objectif les MAEC portent directement sur la preacuteservation de lrsquoenvironnement plutocirct que sur la fourniture drsquoexternaliteacutes par les productions agricoles Les laquo objets raquo des MAEC sont lrsquoenvironnement (eau biodiversiteacute sols) et les surfaces en herbe mais pas les systegravemes agricoles

Ces eacuteleacutements se reflegravetent dans la deacutefinition des Zones drsquoaction prioritaire (ZAP) si en Auvergne les trois ZAP portent sur des enjeux environnementaux (eau biodiversiteacute et seacutequestration du carbone) en Rhocircne-Alpes une ZAP laquo systegravemes herbagers raquo est deacutefinie

La MAEC SHP 01 nrsquoa initialement pas eacuteteacute ouverte sur tout le territoire reacutegional et les anciennes reacutegions Auvergne et Rhocircne-Alpes ont fait leurs choix de maniegraveres diffeacuterentes (figure 4)

Comme lrsquoillustre la figure 4 en Rhocircne-Alpes la strateacutegie initiale drsquoactivation de la SHP 01 en zone de plaine

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de soutien aux systegravemes herbagers majoritaires sur le territoire dans un contexte de disparition de la Prime herbagegravere agro-environnementale (PHAE) Cela srsquoest traduit par la deacutefinition drsquoune ZAP laquo systegravemes herbagers raquo

- Inteacutegrait un souci de maicirctrise budgeacutetaire qui impliquait lrsquoactivation de la SHP 01 uniquement en plaine ougrave les systegravemes ne beacuteneacuteficient pas de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicap naturel (ICHN) revaloriseacutee12

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de durabiliteacute agro-eacutecologique des zones herbagegraveres en cherchant en particulier agrave limiter lrsquointensification risque plus marqueacute en plaine qursquoen montagne Toutefois les territoires du Beaujolais Vert eacutelargi et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont par la suite plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne arguant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Elle a donc eacuteteacute ouverte agrave titre exploratoire et agrave budget constant sur ces territoires en 2015

11 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201812 En 2014 et 2015 lrsquoICHN perccedilue par les exploitations de montagne pieacutemont et zone deacutefavoriseacutee simple a eacuteteacute revaloriseacutee pour compenser lrsquoarrecirct de la PHAE

100 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 4 - Comparaison des strateacutegies agro-environnementales reacutegionales et indicateurs cleacutes

Type Rhocircne-Alpes Auvergne

Finaliteacute du PDRMaintenir et si possible deacutevelopper les potentiels productifs lieacutes agrave lrsquoagriculture et agrave la forecirct et les orienter de maniegravere agrave maximiser leurs externaliteacutes positives

Poursuite de la dif feacuterenciation qualitative du territoire geacuteneacuteratrice drsquoemploi de valeur ajouteacutee et drsquoattractiviteacute

Objectifs strateacutegiques du PDR

1 Satisfaire les besoins fondamentaux de lrsquoagriculture

2 Assurer la viabi l i teacute eacuteconomique de lrsquoagriculture et de la sylviculture

3 Faire beacuteneacuteficier les territoires de lrsquoimpact eacuteconomique de l rsquoagr i cu l tu re e t de la sylviculture

4 Maximiser leurs externaliteacutes positives sur les territoires

1 Accentuer la diffeacuterenciation qualitative des produits et des services en vue drsquoune meilleure valorisation eacuteconomique creacuteatrice de valeur ajouteacutee et drsquoemploi

2 Accompagner les changements de pratiques par lrsquoinnovation et la mobilisation des connaissances et des acquis de la recherche

3 Reacuteduire les diffeacuterentiels de compeacutetitiviteacute entre la plaine et les zones deacutefavoriseacutees

Zones drsquoaction prioritaires

- Maintenir les systegravemes agr icoles (qui ent ret iennent des ter r i to i res ouver ts favorables agrave la biodiversiteacute et aux paysages ainsi qursquoagrave la maitrise des risques concourent au stockage de carbone agrave la l imitation de lrsquousage drsquointrants et agrave la captation des polluants par ef fet tampon favorisent la permeacuteabiliteacute des espaces agrave la biodiversiteacute valorisent les eacutecosystegravemes vivants dans lrsquoacte de production) lorsqursquoils sont menaceacutes de disparition

- Construire des pratiques culturales favorables aux biens environnementaux

- Preacuteserver la biodiversiteacute ordinaire menaceacutee drsquoeacuterosion- Ameacuteliorer ou maintenir la qualiteacute de lrsquoeau- Maintenir ou eacutetendre les surfaces en herbe afin de deacutevelopper les systegravemes mixtes polyculture-eacutelevage et drsquoameacuteliorer lrsquoautonomie des exploitations- Preacuteserver la qualiteacute des sols

Objectifs des MAE et enjeux prioritaires

- Eau- Surfaces speacutecifiquement identifieacutees pour la preacuteservation de la biodiversiteacute- Zonages des speacutecificiteacutes reacutegionales des systegravemes herbagers

- Eau- Biodiversiteacute-Seacutequestration du carbone

Source PDRR des ex-reacutegions Rhocircne-Alpes et Auvergne traitement Acteacuteon volet 1 du rapport final p 9-10

Figure 4 - Logiques drsquoaction et strateacutegies initiales drsquoactivation de la SHP 01 en Rhocircne-Alpes et en Auvergne

Sources PDRR et documents annexes entretiens volet 1 du rapport final page 13

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 101

Lrsquoouverture de la SHP 01 agrave certaines zones de montagne de Rhocircne-Alpes traduit donc une eacutevolution de la logique drsquoimpact de la SHP 01 dans cette reacutegion

- la SHP 01 ne vise plus seulement agrave limiter lrsquointensification mais aussi la deacuteprise (parcelles difficiles agrave entretenir en montagne)

- lrsquoICHN seule nrsquoest plus perccedilue comme permettant de garantir le maintien et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des couverts permanents

- le caractegravere de mesure laquo systegraveme raquo peut mener agrave lrsquointeacutegration structurelle et fonctionnelle des surfaces en herbe dans les systegravemes et donc permettre la peacuterennisation des pratiques

- lrsquoouverture sur les PNR contribue au deacuteveloppement de dynamiques agro-eacutecologiques plus larges favoriseacutees par des deacutemarches territoriales deacutejagrave existantes

En Auvergne la strateacutegie portait plus clairement degraves le deacutepart sur des objectifs environnementaux a) seacutequestration du carbone en limitant le retournement des prairies et en maintenant les surfaces en herbe et b) maintien de la qualiteacute eacutecologique des prairies La mesure SHP 01 a donc eacuteteacute ouverte au sein des ZAP laquo Biodiversiteacute raquo et laquo Seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies) qursquoelles soient en plaine ou en montagne Agrave noter que le risque drsquointensification des pratiques en zone de montagne est plus eacutevident en Auvergne qursquoen Rhocircne-Alpes avec davantage de parcelles meacutecanisables (moins de pentes)

23 Une diversiteacute de strateacutegies territoriales drsquoactivation de la SHP 01

Sur les huit territoires de Rhocircne-Alpes concerneacutes13 six ont choisi drsquoactiver la SHP 01 en remplacement drsquoun ensemble de MAEC agrave enjeux localiseacutes tout en conservant une articulation avec drsquoautres MAEC permettant de reacutepondre agrave des enjeux particuliers (exemple des MAEC zones humides sur le Beaujolais Vert eacutelargi) Deux territoires (les Bauges et les Pentes et montagnes drsquoArdegraveche) ont choisi de ne pas lrsquoactiver et de conserver des MAEC agrave enjeux localiseacutes inteacutegrant les engagements unitaires Herbe 07 et Herbe 09 semblables agrave ceux imposeacutes sur les surfaces cibles dans le cas de la SHP 0114 Ces choix sont lieacutes agrave plusieurs facteurs analyse de lrsquoadaptation des mesures aux enjeux des territoires (eacutevolution ou maintien des pratiques eacutechelle du systegraveme ou gestion cibleacutee etc) mais aussi importance des zones drsquoeacuteligibiliteacute aux mesures (comme Natura 2000) contraintes budgeacutetaires et processus drsquoeacutevolution du dispositif reacutegional Les objectifs de contractualisation ont aussi varieacute selon les territoires Le tableau 5 reacutesume pour chaque territoire de Rhocircne-Alpes et deux territoires drsquoAuvergne les systegravemes preacutesents les risques identifieacutes par les opeacuterateurs ainsi que les strateacutegies mises en œuvre via les PAEC pour y reacutepondre (budgets zonages mesures mobiliseacutees dont SHP 01 animation)

13 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201814 Les MAEC agrave enjeux localiseacutes sont contractualiseacutees sur des parcelles de lrsquoexploitation concerneacutees par des enjeux speacutecifiques (on parle aussi de laquo mesures parcellaires raquo) La SHP 01 en revanche engage toute lrsquoexploitation (mesure systegraveme) mecircme si certains engagements ne concernent que les laquo surfaces cibles raquo

102 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sources entretiens avec les acteurs des territoires candidatures PAEC et documents annexes volet 1 du rapport final pp19-20

15 C

umul

impo

ssib

le e

ntre

SH

P 0

1 et

Her

be 0

7 c

umul

pos

sibl

e en

tre S

HP

01

et H

erbe

09

en z

one

Nat

ura

2000

ou

DFC

I uni

quem

ent

16

En

2017

ouv

ertu

re d

e la

SH

P 0

1 po

ur le

s laquo

zone

s so

us fo

rte

cont

rain

te raquo

Tabl

eau

5 - C

ompa

rais

on d

es s

trat

eacutegie

s te

rrito

riale

s drsquo

activ

atio

n de

la M

AE

SHP

01 (a

nneacutee

201

6)R

eacutegio

nR

hocircne

-Alp

esA

uver

gne

PAE

CC

recirct d

u H

aut J

ura

Pila

tB

eauj

olai

s Ve

rt eacute

larg

iC

hart

reus

eVe

rcor

sB

aron

nies

dr

ocircmoi

ses

Pen

tes

et m

onta

gnes

ar

deacutech

oise

sG

orge

s de

la T

ruyegrave

reA

lagn

on

Opeacute

rate

urP

NR

PN

RC

omm

unau

teacutedrsquo

ggl

omeacuter

atio

nP

NR

PN

RP

NR

PN

RC

omm

unau

teacute d

e co

mm

unes

Syn

dica

t de

riviegrave

re

Mili

eu e

t sys

tegravem

es

Eacutele

vage

laiti

er

herb

ager

(AO

P B

leu

de G

ex)

alp

ages

ave

c tra

nshu

man

ce

Eacutele

vage

div

ersi

fieacute

Pel

ouse

s segrave

ches

et

prai

ries

drsquoal

titud

e

Sys

tegravem

es h

erba

gers

bo

vins

lait

geacuteneacute

rique

et

alla

itant

s (o

vins

ca

prin

s)

Bov

ins

lait

et v

iand

e he

rbag

ers

alp

ages

Pol

ycul

ture

-eacutele

vage

bo

vins

(ov

ins

capr

ins)

A

lpag

es p

elou

ses

pr

airie

s

Eacutele

vage

pas

tora

l ov

in e

xplo

itatio

ns

dive

rsifi

eacutees

(arb

oric

ultu

re

vitic

ultu

re +

ovi

ns)

Eacutele

vage

pas

tora

l ovi

n av

ec c

hacircta

igne

s

bovi

ns a

llaita

nts

sur

le p

late

au

Eacutele

vage

he

rbag

er

bovi

ns

alla

itant

s(qu

elqu

es

mix

tes

laiti

ers)

peu

drsquo

ovin

s

Eacutele

vage

her

bage

r ex

tens

if l

aitie

rs

(Mar

gerid

e) e

t al

laita

nts

(Ceacutez

allie

r)

Ris

ques

pou

r les

cou

vert

s pe

rman

ents

Inte

nsifi

catio

n de

s pa

rcel

les

meacutec

anis

able

s (p

erte

de

la q

ualit

eacute eacutec

olog

ique

des

pra

iries

) com

bineacute

e agrave

lrsquoaba

ndon

des

zon

es n

on

meacutec

anis

able

s =gt

enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Art

ifici

alis

atio

n du

pi

eacutemon

t D

eacutepris

e de

lrsquoa

ctiv

iteacute p

asto

rale

la

itiegraver

e

Aba

ndon

des

pel

ouse

s segrave

ches

et a

lpag

es

diffi

cile

s agrave

expl

oite

rLi

gnifi

catio

n

Deacutep

rise

past

oral

e P

erte

drsquoh

abita

ts

drsquooi

seau

x

Ges

tion

non

optim

iseacutee

des

la

ndes

pel

ouse

s

deacutepr

ise

dans

les

pent

esLi

gnifi

catio

n de

s zo

nes

hum

ides

Bai

sse

de lrsquo

entre

tien

des

pent

es

Inte

nsifi

catio

n de

s pl

atea

ux

Ret

ourn

emen

t de

prai

ries

natu

relle

s et

deacute

velo

ppem

ent d

u m

aiumls

en M

arge

ride

ni

trate

s (e

au)

Mon

tant

PA

EC

not

ifieacute

2015

-201

7 (euro

)1

575

502

1 57

0 98

72

813

356

1 60

0 98

13

376

647

1 50

7 05

94

511

753

NC

NC

Stra

teacutegi

e du

PA

EC

Mai

ntie

n de

la

gest

ion

des

estiv

es

peacutere

nnis

atio

n drsquo

une

agric

ultu

re d

e va

lleacutee

prod

uctr

ice

drsquoam

eacuteniteacute

s en

viro

nnem

enta

les

eacutec

onom

ique

men

t et

soc

iale

men

t pe

rfor

man

te

Deacutev

elop

pem

ent

de lrsquo

agro

-eacuteco

logi

e et

de

lrsquoagr

icul

ture

bi

olog

ique

aj

uste

men

t de

s pr

atiq

ues

pour

preacute

serv

er la

bi

odiv

ersi

teacute l

a qu

aliteacute

de

lrsquoea

u et

les

tram

es

vert

es e

t ble

ue

Reacutefl

exio

n sy

steacutem

ique

su

r les

exp

loita

tions

dy

nam

ique

col

lect

ive

so

utie

n eacutec

onom

ique

agrave

lrsquoeacutele

vage

Preacute

serv

atio

n de

s zo

nes

hum

ides

Acc

ompa

gnem

ent d

es

dyna

miq

ues

agro

-en

viro

nnem

enta

les

en

lien

avec

les

proj

ets

de te

rrito

ire p

orteacute

s pa

r le

Par

c

Mai

ntie

n de

s su

rfac

es

herb

agegraver

es s

ur le

s zo

nes

diffi

cile

s d

e la

bio

dive

rsiteacute

des

ha

bita

ts l

utte

con

tre

la fe

rmet

ure

via

le

past

oral

ism

e

Un

1er P

AE

C tr

egraves

agric

ole

past

oral

Le

2nd

integrave

gre

les

enje

ux b

iodi

vers

iteacute

Nat

ura

2000

eau

Mai

ntie

n de

s m

ilieu

x ou

vert

s (g

estio

n ad

apteacute

e)

des

couv

erts

sur

la

zon

e laquo

eau

raquo

de la

bio

dive

rsiteacute

co

mm

e ve

cteu

r de

vale

ur a

jout

eacutee d

e lrsquoa

uton

omie

Con

serv

atio

n de

s pr

airie

s di

vers

ifieacutee

s

y co

mpr

is p

our

accu

eilli

r les

ois

eaux

en

lutta

nt c

ontre

lrsquoe

mbr

ouss

aille

men

t et

lrsquoin

tens

ifica

tion

di

spar

ition

des

hai

es

Prio

riteacute

aux

enje

ux

eau

(SA

GE

en

eacutelab

orat

ion

+ co

ntra

t ter

ritor

ial)

zo

nes

hum

ides

et

biod

iver

siteacute

(N20

00)

Nom

bre

et ty

pes

de Z

IP

(zon

es d

rsquointe

rven

tion

prio

ritai

res)

3 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

2 B

iodi

vers

iteacute2

Cou

vert

s pe

rman

ents

et z

ones

hu

mid

es

5 B

iodi

vers

iteacute p

ar ty

pe

de m

ilieu

+ N

2000

et

Teacutetra

s L

5 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

4 B

iodi

vers

iteacute

N20

00 o

u no

n e

au

3 B

iodi

vers

iteacute d

ont

land

esp

arco

urs

et

prai

ries

de fa

uche

1 B

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

3 E

au z

ones

hu

mid

es b

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

Mes

ures

act

iveacutee

s da

ns

les

ZIP

bio

dive

rsiteacute

hor

s su

rfac

es c

olle

ctiv

es15

SH

P 01

Her

be 0

9 po

ur le

s ex

ploi

tatio

ns s

itueacutee

s en

de

hors

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes

(don

t Her

be 0

7 et

09)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

+ S

HP

01

Hor

s zo

nes

hum

ides

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en z

one

hum

ide

et N

2000

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en N

2000

SH

P 0

1+

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t H

erbe

09)

en

N20

00

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t Her

be

07 e

t 09)

16

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes (d

ont H

erbe

07

)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

Zone

s co

ncer

neacutees

par

S

HP

01

Tout

le te

rrito

ireTo

ut le

terr

itoire

Tout

le te

rrito

ireN

2000

et z

ones

hu

mid

es

N20

00 e

t zon

es d

e co

heacutere

nce

agro

-en

viro

nnem

enta

le

Zone

s agrave

enje

ux d

e bi

odiv

ersi

teacute e

n et

ho

rs N

2000

Auc

une

Tout

le te

rrito

ireE

au e

t zon

es

hum

ides

Bud

get S

HP

01

(euro) n

otifi

eacute 20

15-2

017

(Fea

der +

co

ntre

part

ie n

atio

nale

)17

1 35

438

7 05

02

585

000

47 2

7564

072

128

354

0N

CN

C

Nom

bre

de c

ontra

ts S

HP

015

5711

00

17

0N

CN

C

Ani

mat

ion

et

acco

mpa

gnem

ent p

reacutevu

sD

iagn

ostic

s

acco

mpa

gnem

ent

tech

niqu

e fo

rmat

ion

pl

an d

e pr

ogregrave

s ag

ro-

eacutecol

ogiq

ue

Com

mun

icat

ion

reacute

unio

ns p

ubliq

ues

di

agno

stic

s fo

rmat

ions

Form

atio

n ob

ligat

oire

et

aut

o-di

agno

stic

s

Jour

neacutees

theacutem

atiq

ues

et

deacutem

onst

ratio

n

Dia

gnos

tic o

blig

atoi

re

pour

SH

P 01

fo

rmat

ion

et a

ccom

pagn

emen

t in

divi

duel

Dia

gnos

tic d

e ge

stio

n pa

stor

ale

prop

oseacute

Dia

gnos

tics

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ob

ligat

oire

s po

ur u

ne

MA

EC e

njeu

loca

liseacute

Fo

rmat

ions

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ag

ricol

es

et z

ones

hum

ides

fo

rmat

ions

et j

ourn

eacutees

de d

eacutemon

stra

tion

dans

le c

adre

du

cont

rat t

errit

oria

l

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 103

3 La SHP 01 une mesure pertinente pour les zones de montagne en Rhocircne-Alpes

31 Effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sur les trois territoires-types

Sur les trois territoires-types lrsquoactivation et la contractualisation de la SHP 01 visent des effets agrave lrsquoeacutechelle des couverts permanents et des surfaces cibles (SC) limitation de la fermeture du milieu et preacuteservation drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Elles visent aussi des effets agrave lrsquoeacutechelle des exploitations (contribution au revenu) et agrave celle du territoire (contribution au projet agro-eacutecologique de territoire maintien de lrsquoeacutelevage preacuteservation du paysage)

Ces effets attendus sont preacutesenteacutes dans le tableau 6 Agrave lrsquoeacutechelle des surfaces lrsquoentretien de la STH et le maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles sont pressentis dans les trois territoires Toutefois dans le Beaujolais Vert un recours plus freacutequent au non-labour et lrsquoarrecirct de lrsquoutilisation des produits phytosanitaires sont aussi anticipeacutes Agrave lrsquoeacutechelle des exploitations un soutien au revenu et donc au maintien de lrsquoactiviteacute est attendu dans le Beaujolais Vert et les Baronnies mais pas dans le Haut-Jura Dans les Baronnies la SHP est perccedilue comme un moyen de compenser la baisse des aides (lieacutee notamment agrave la proratisation) Enfin les acteurs des trois territoires pensent que la SHP favorisera lrsquoeacutemergence de deacutemarches collectives Pour le Beaujolais Vert et les Baronnies cela contribuerait agrave la mise en place drsquoune dynamique agro-environnementale nouvelle tandis que sur le Haut-Jura ces deacutemarches sont vues comme un moyen drsquoameacuteliorer la qualiteacute des produits et la gestion des systegravemes drsquoexploitation (ex autonomie)

Les diagrammes logiques drsquoimpact construits pour chaque territoire illustrent ces speacutecificiteacutes (la figure 5 donne un exemple pour le Beaujolais Vert)

32 Reacuteponse de la SHP 01 aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique

321 Pertinence de la mesure

Lrsquoanalyse de la pertinence de la mesure passe par le rapprochement des risques appreacutehendeacutes sur les territoires avec les effets attendus de la SHP 01 (illustration pour les Baronnies en tableau 7)

Cette analyse reacutealiseacutee pour les trois territoires-types montre que la SHP 01 propose des reacuteponses adapteacutees aux risques identifieacutes sur les territoires de montagne en Rhocircne-Alpes (fermeture des milieux et intensification des pratiques sur les prairies permanentes) et contribue ainsi au maintien des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique sur ces territoires La figure 6 preacutesente le diagramme logique drsquoimpact global construit agrave partir des analyses meneacutees sur les trois territoires-types

Lrsquoeffet attendu de la contractualisation de la SHP 01 sur le maintien des surfaces herbagegraveres et pastorales est particuliegraverement clair lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH de lrsquoexploitation garantit la poursuite de lrsquoentretien des surfaces menaceacutees drsquoabandon drsquoembroussaillement et de fermeture risque aveacutereacute sur lrsquoensemble des territoires pour des

104 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 - Comparaison des effets attendus de la SHP 01 sur les trois territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Effets directs attendus agrave lrsquoeacutechelle des exploitations

Surfaces

A r r ecirc t d e l rsquou t i l i s a t i o n d e s p r o d u i t s phytosanitaires sous les clocirctures X

Compensation des coucircts drsquoentretien hausse de la rentabiliteacute des parcelles X

Utilisation et entretien meacutecanique des surfaces difficiles drsquoaccegraves et dutilisation X X X

Maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles X X X

Non labour X

Exploitations

Compensation partielle de la baisse des aides

X

Contribution au revenu X X

Reconnaissance du temps investi X

Reacuteflexion systeacutemique - gestion diffeacuterencieacutee des surfaces

X

Territoire

Contractualisation large X

Deacutemarches collectives X X X

Reconnaissance du rocircle de lagriculture pour le territoire X X

Effets plus geacuteneacuteraux attendus

Surfaces

Limitation de la fermeture du milieu X X X

Preacuteservation de la biodiversiteacute des surfaces cibles X X X

Preacuteservation de la fonctionnaliteacute des milieux humides X X

ExploitationsMaintien de lrsquoactiviteacute X X

Ameacutelioration de lrsquoautonomie X

Territoire

Visibiliteacute de la politique locale de soutien agrave lagriculture X

Mise en place dune dynamique agro-environnementale nouvelle X X

Qualiteacute et valorisation des produits X

Maintien de lrsquoeacutelevage pastoral X

Source auteurs volet 2 du rapport final p55-56

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 105

Figure 5 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 pour le Beaujolais Vert eacutelargi

Lecture la case entoureacutee de pointilleacutes correspond agrave un effet non souhaiteacuteSource atelier sur le territoire sur la base des informations recueillies volet 2 du rapport final p47

surfaces eacuteloigneacutees difficiles drsquoutilisation ou peu productives Les surfaces concerneacutees peuvent ecirctre des parcours des prairies permanentes des zones humides etc Agrave noter que dans le cas de la MAEC SHP 01 lrsquoapplication de la regravegle du prorata17 pour le calcul des aides PAC agit dans le sens inverse agrave cette logique elle peut freiner la contractualisation de la SHP 01 par des systegravemes pastoraux ou conduire agrave lrsquoabandon de lrsquoutilisation de certains parcours lors de la transmission Agrave lrsquoeacutechelle territoriale le maintien des surfaces herbagegraveres ou pastorales deacutepend du niveau de contractualisation Ainsi respectivement 28 6 et 23 de la STH des zones drsquointervention prioritaires concerneacutees par la SHP 01 sur le Beaujolais Vert le Haut-Jura et les Baronnies sont engageacutes

Lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH empecircche par ailleurs le retournement des prairies permanentes Ce risque plus localiseacute dans les Alpes existe aussi dans certains territoires comme le Beaujolais Vert et reste encore tregraves preacutesent sur le Massif central (Margeride Forez Monts drsquoArdegraveche par exemple) Sur le Beaujolais Vert eacutelargi peu de prairies permanentes sont laquo encore labourables raquo mais certaines ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et on trouve de nombreuses zones humides labourables

17 La regravegle du prorata consiste agrave calculer pour chaque laquo zone de densiteacute homogegravene raquo drsquoune exploitation le taux de recouvrement au sol par des eacuteleacutements non admissibles (affleurements rocheux eacuteboulis litiegravere buissons non adapteacutes au pacircturage etc) Cela amegravene agrave reacuteduire la surface admissible aux aides

106 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 7 - Analyse de la pertinence sur les Baronnies drocircmoises contribution de la SHP 01 agrave la reacuteponse aux enjeux

Enjeux (1er niveau) Contribution de la SHP 01 pour y reacutepondre Remarques

Abandon de lrsquoutilisation des pa rc our s eacute lo i gneacutes laquo peu productifs raquo des zones tampons

Engagement au maintien de toute la STH traces de passage absence de deacutegradation et de surpacircturage =gt entretien des parcours menaceacutes dabandon

Obligations de reacutesultats sur les 50 de STH en surfaces cibles (SC) + maintien drsquoun pacircturage minimum et drsquoune gestion adapteacutee des parcours

Les SC sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) lrsquoanimation vise agrave cibler les surfaces agrave fort enjeu eacutecologique

La preacutedation par le loup pourrait amener agrave abandonner ces parcours malgreacute tout

Intensification des pratiques sur les prairies permanentes irrigueacutees

Obligations de reacutesultats sur les prairies permanentes irrigueacutees choisies comme SC (plantes indicatrices) =gt maintien drsquoune gestion adapteacutee des prairies

Ces prairies irrigueacutees sont souvent choisies comme SC par les exploitations qui en ont

Eacutevolution du systegraveme vers plusuniquement des productions veacutegeacutetales deacuteprise de lrsquoactiviteacute pastorale

M o n t a n t ( 1 2 5 9 0 euro ) = gt compensation partielle de la baisse perccedilue des aides (lieacutee au prorata) etou contribution au revenu

Environ 19 des aides 2015 et 27 du revenuLe critegravere 70 de surfaces en herbe peut ecirctre excluant pour les petites exploitations drsquoeacutelevage diversifieacutees La preacutedation par le loup constitue un frein agrave la contractualisation car elle peut conduire agrave abandonner des parcours eacuteloigneacutes Une pression de preacutedation trop forte pourrait amener agrave abandonner le pastoralisme malgreacute tout

In i t iat ion d rsquoune dynamique a g r o - e nv i r o n n e m e n t a l e affirmation du rocircle du PNR

Reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcoursAnimation =gt eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs

Le portage par le Parc constitue un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs donc agrave la contractualisation

Source auteurs volet 2 du rapport final page 52

Lrsquoeffet attendu sur lrsquoeacutequilibre eacutecologique est plus complexe Agrave lrsquoeacutechelle parcellaire les reacutesultats sur les surfaces cibles sont des indicateurs directs (diversiteacute floristique des prairies) ou indirects (taux de raclage des parcours) drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu lieacutee au maintien de pratiques adapteacutees deacutejagrave mises en œuvre par les exploitants sur ces surfaces La mesure est donc pleinement adapteacutee agrave lrsquoenjeu de preacuteservation de lrsquoeacutetat eacutecologique des surfaces cibles comme le sont aussi les mesures parcellaires Herbe 07 et 09 Si lrsquoon considegravere que lrsquoenjeu de preacuteservation est drsquoautant plus fort que le risque de deacutegradation de lrsquoeacutequilibre eacutecologique est marqueacute cette conclusion doit ecirctre nuanceacutee selon les modaliteacutes de choix des surfaces cibles Sur le Beaujolais Vert eacutelargi on constate que les surfaces cibles choisies sont souvent celles qui preacutesentent le plus de fleurs en geacuteneacuteral des surfaces non meacutecanisables et relativement peu menaceacutees drsquointensification Sur les Baronnies drocircmoises les surfaces cibles sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement les plus menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) Lrsquoanimation vise cependant agrave cibler aussi des surfaces agrave fort enjeu eacutecologique La pertinence de la mesure est donc renforceacutee par lrsquointeacutegration dans les surfaces cibles des zones les plus concerneacutees par des risques de deacutegradation (par abandon ou par intensification) Cette inteacutegration deacutepend de lrsquoimportance relative de ces surfaces agrave enjeux au sein de lrsquoexploitation agricole et de la nature du diagnostic technique reacutealiseacute sur les surfaces par le technicien et lrsquoeacuteleveur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 107

Figure 6 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 construit agrave partir des diagrammes logiques drsquoimpact des trois territoires-types

Source auteurs volet 2 du rapport final page 70

Hors surfaces cibles les effets sont plus indirects et lieacutes agrave plusieurs composantes de la mesure

- le maintien de toute la STH agit agrave un premier niveau pour les surfaces menaceacutees drsquoabandon ou de retournement En limitant lrsquoembroussaillement ou le labour il permet de conserver des milieux et une diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques de milieux ouverts Dans certains cas la diversiteacute des espegraveces peut mecircme srsquoameacuteliorer par exemple sur des prairies du Beaujolais Vert qui ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et eacutevoluent aujourdrsquohui vers des prairies naturelles

- lrsquoaccompagnement et lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation sont mobiliseacutes pour maintenir ou faire eacutevoluer des modes de gestion adapteacutes sur lrsquoensemble des surfaces Cette approche est lieacutee au caractegravere systeacutemique de la mesure agrave un plafond de chargement animal global et agrave un taux de surfaces cibles significatif dans les surfaces de lrsquoexploitation qui empecircchent une gestion des surfaces cibles deacuteconnecteacutee du reste du systegraveme

Lrsquoensemble de ces meacutecanismes (maintien de toute la STH obligation de reacutesultats sur un taux de surfaces cibles significatif pour le fonctionnement de lrsquoexploitation accompagnement et approche globale) contribuent agrave maintenir une diversiteacute de types de milieux agrave lrsquoeacutechelle du territoire Ces milieux incluent des surfaces particuliegraverement riches en matiegravere de diversiteacute

108 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

drsquoespegraveces dont lrsquoimportance deacutepend du niveau de contractualisation les surfaces cibles repreacutesentent respectivement 12 2 et 13 de la STH des ZIP du Beaujolais Vert du Haut-Jura et des Baronnies qui sont concerneacutees par la SHP 01

322 Comparaison et coheacuterence avec les MAEC agrave enjeux localiseacutes

Si lrsquoon compare la logique drsquoaction de la SHP 01 agrave celle de MAEC agrave enjeux localiseacutes (comme Herbe 07 et Herbe 09) on constate que la SHP 01 privileacutegie une entreacutee par le fonctionnement des exploitations herbagegraveres plutocirct que par les zonages environnementaux avec un objectif de changement durable plutocirct que de modification cibleacutee des modes de gestion (tableau 8) Cette approche permet donc drsquoaller au-delagrave du simple changement de pratiques permis par Herbe 07 et Herbe 09 Elle engendre eacutegalement des effets positifs indirects via lrsquoeacutevolution de lrsquoensemble du systegraveme

Drsquoautres MAEC agrave enjeux localiseacutes reacutepondant agrave des probleacutematiques speacutecifiques et demandant des modes de gestion particuliers sont cependant combineacutees agrave la SHP 01 comme crsquoest le cas de la MAEC laquo zones humides raquo dans le Beaujolais Vert qui vise la retenue et le drainage des zones humides

Tableau 8 - Comparaison des effets attendus entre SHP 01 et Herbe 0709SHP 01 Herbe 0709

Un outil agrave caractegravere laquo deacutefensif raquo (lutte contrehellip) et laquo systeacutemique raquo axeacute sur le fonctionnement global et qui integravegre lrsquoensemble des surfaces herbagegraveres

Un outil agrave caractegravere laquo parcellaire raquo et laquo offensif raquo axeacute sur la gestion cibleacutee de la biodiversiteacute

Ciblage des enjeux

Une mesure laquoinclusiveraquo qui prend en compte lrsquoensemble des surfaces pacirctureacutees et faucheacutees marginaliseacutees ou non quelle qursquoen soit la laquovaleurraquo (en particulier surfaces non classeacutees Natura 2000 mais preacutesentant des fonctionnaliteacutes inteacuteressantes en tant que milieux ouverts)

Un rocircle de lrsquoanimation neacutecessaire pour cibler les surfaces agrave enjeux

Un taux de surfaces cibles (20 agrave 50 ) qui permet drsquoinclure aussi des surfaces agrave enjeu fort drsquoembroussaillement ou drsquointensification

Un zonage possible des surfaces agrave forts enjeux de maintien de pratiques extensives agrave condition de pouvoir les deacutelimiter de maniegravere pertinente et fine

Le risque de deacutesengagement sur drsquoautres sur faces pouvant malgreacute tout ecirct re inteacuteressantes

Un r isque de non-engagement des surfaces embroussailleacutees en lien avec la regravegle de proratisation des aides surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes

Nature des effets

En plus du maintien de pratiques adapteacutees agrave une diversiteacute de surfaces cibles il y a un effet indirect sur le mode de gestion de lrsquoensemble des surfaces lieacute agrave lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation

Une mesure de laquomaint ienraquo qui ne permet pas drsquoencourager directement des eacutevolutions (ex reconquecircte de la biodiversiteacute)

Lrsquoalternative avec lrsquoagriculture biologique plus reacutemuneacuteratrice alors que les objectifs et effets attendus sont diffeacuterents et peuvent concerner drsquoautres product ions que lrsquoeacutelevage

Pas drsquoeffets a priori sur les autres parcelles de lrsquoexploitation non engageacutees

Un plan de gestion qui peut conduire agrave des eacutevolutions techniques de gestion pastorale

Cumul possible avec lrsquoagriculture biologique

Source auteurs volet 2 du rapport final page 57

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 109

Tableau 9 - Poids de lrsquoICHN et de la SHP 01 dans les aides pour les territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Cateacutegorie RICA Bovins lait Zone montagne ARA

Ovinscaprins Zone montagne ARA

Bovins lait Zone montagne ARA

Cas type

Bovin speacutecialiseacute lait dominante herbagegravere m o n t a g n e s a n s valorisation speacutecifique ndash Inosys

Preacute-alpes ovin speacutecialiseacute seacutedentaire ndash Inosys

L a i t i e r s s p eacute c i a l i s eacute s montagne foin ndash analyse d e g r o u p e c h a m b r e drsquoagriculture de lrsquoAin

Nombre de dossiers SHP 01 118 7 4

Montant SHP 01 par exploitation 5 230 euro 12 590 euro 3 520 euro

Montant de lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 36 842 euro 52 458 euro 50 553 euro 43 700 euro 36 842 euro 38 492 euro

Poids de lrsquoICHN dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 20 agrave 40 34 agrave 40 40

Poids de la SHP 01 dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 10 agrave 14 25 agrave 29 9 agrave 10

Revenu moyen drsquoapregraves les cas-types 70 072 euro 30 400 euro 60 792 euro

Poids de la SHP 01 dans le revenu 7 agrave 19 42 6 agrave 13

Source auteurs volet 2 du rapport final p 65

323 Coheacuterence de la SHP 01 avec lrsquoICHN

Les effets attendus de la SHP 01 (voir section 321) ne sont pas garantis par lrsquoICHN ce qui renforce la pertinence de la mesure en montagne Ainsi si lrsquoICHN agit indirectement sur le maintien des surfaces en herbe en soutenant lrsquoactiviteacute des eacutelevages herbagers de montagne elle ne joue pas de rocircle direct drsquoorientation des pratiques de pacircturage et de gestion des prairies agrave lrsquoeacutechelle parcellaire LrsquoICHN seule nrsquoempecircche ni le labour de prairies permanentes ni le sous ou le surpacircturage agrave lrsquoeacutechelle parcellaire ni des pratiques de fertilisation ou de fauche inadapteacutees

33 Contribution au revenu pour le maintien des eacutelevages de montagne

En montagne rhocircnalpine lrsquoICHN repreacutesente entre 20 et 40 des aides perccedilues par les eacutelevages (tableau 9) Si sur les trois territoires eacutetudieacutes le poids de la SHP 01 est moindre (entre 10 et 30 des aides) la contribution de la mesure au revenu reste significative lrsquoaide repreacutesenterait entre 7 et 20 du revenu des systegravemes bovins laitiers du Beaujolais Vert entre 6 et 13 du revenu des systegravemes laitiers AOP du Haut-Jura et 42 du revenu des systegravemes pastoraux des Baronnies Sur ce territoire ougrave le niveau de revenu est relativement bas et le poids des aides important cet effet est particuliegraverement fort Agrave noter que lrsquoapplication de la regravegle du prorata aux surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes (et donc engageacutees en SHP 01) reacuteduit le montant perccedilu sur les surfaces embroussailleacutees ce qui semble incoheacuterent avec le soutien agrave lrsquoeacutelevage pastoral

110 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Agrave lrsquoeacutechelle du territoire le soutien agrave lrsquoeacutelevage est lieacute au niveau de contractualisation de la mesure Ainsi le Beaujolais Vert eacutelargi qui affiche clairement cet objectif a deacuteployeacute une animation et des moyens importants amenant 118 agriculteurs agrave contractualiser la mesure soit 18 des exploitations eacuteligibles La contractualisation reste faible dans les Baronnies et le Haut-Jura

Lrsquoune des finaliteacutes du dispositif PAEC eacutetant de trouver des marges de peacuterennisation des pratiques lrsquoune des questions eacutevaluatives portait sur le possible effet de la SHP 01 sur la valorisation eacuteconomique Or la contribution de la SHP 01 agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits semble encore en ecirctre agrave ses balbutiements des territoires comme le Haut-Jura souhaitent renforcer la valorisation des productions AOP en mettant en valeur la preacuteservation de la biodiversiteacute des prairies via une deacutemarche collective dont la SHP 01 est un levier La SHP 01 peut aussi contribuer aux deacutemarches meneacutees par ailleurs sur la qualiteacute et la labellisation en lien avec les surfaces herbagegraveres par exemple en apportant des critegraveres pour des cahiers des charges Ce projet demande une appropriation de la composante laquo eacutecologique raquo des produits par les acteurs eacuteconomiques Neacuteanmoins il faut rappeler que le poids des facteurs exteacuterieurs (filiegraveres marcheacutes etc) est tregraves fort On peut supposer qursquoune telle valorisation est plus facile agrave envisager en circuits courts mais crsquoest une hypothegravese qui reste agrave confirmer

4 Deux facteurs renforccedilant lrsquoimpact de la SHP 01 en zone de montagne

41 Un levier pour le deacuteveloppement de lrsquoagro-eacutecologie sur les territoires de projet

La SHP 01 est perccedilue par les opeacuterateurs des PAEC comme un deacuteclencheur de deacutemarches collectives de reacuteflexion sur le systegraveme de production notamment du fait de son caractegravere systeacutemique (encadreacute 2)

Les opeacuterateurs (exemple du projet agro-eacutecologique du Pilat) mettent eacutegalement en avant un effet levier de la SHP 01 en faveur de la conversion agrave lrsquoagriculture biologique Toutefois celui-ci reste peu eacutevoqueacute par les agriculteurs ayant contractualiseacute la SHP 01 Ils ne sont que quelques-uns agrave envisager une conversion au bio laquo dans un deuxiegraveme temps raquo (la SHP 01 nrsquoest pas cumulable avec les mesures de soutien agrave lrsquoagriculture biologique) Les montants des aides agrave lrsquoagriculture biologique sont en geacuteneacuteral supeacuterieurs18 Pour eux comme pour les opeacuterateurs cette eacutevolution srsquoinscrirait dans le cadre drsquoune reacuteflexion et drsquoune volonteacute de progresser vers lrsquoagro-eacutecologie Les entretiens ont montreacute le rocircle des eacutechanges collectifs et de la deacutemonstration dans la prise de deacutecision des exploitants notamment pour des eacutevolutions telles que la conversion agrave lrsquoagriculture biologique

42 Une condition lrsquoingeacutenierie territoriale

Lrsquoanimation territoriale occupe une place deacuteterminante dans la contractualisation des MAEC mais aussi en amont et en aval de celles-ci (encadreacute 3) Les analyses montrent que les effets attendus de la SHP 01 sont drsquoautant plus marqueacutes qursquoil existe sur les territoires un

18 En Rhocircne-Alpes lrsquoaide agrave la conversion agrave lrsquoagriculture biologique va de 44 eurohaan (parcours landes estives) agrave 130 eurohaan lrsquoaide au maintien de 35 agrave 90 eurohaan le montant de la SHP 01 va de 58 agrave 147 eurohaan selon le niveau de risque (58 agrave 80 eurohaan pour les territoires eacutetudieacutes)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 111

Le Beaujolais Vert eacutelargi dont lrsquoun des objectifs est la mise en place drsquoune deacutemarche agro-environnementale nouvelle a deacuteployeacute des moyens drsquoanimation importants Deux journeacutees de formationsensibilisation ont eacuteteacute rendues obligatoires pour la contractualisation de la SHP 01 visant la sensibilisation aux enjeux du PAEC la formation agrave lrsquoautodiagnostic fourrager et agrave la reacutealisation de transects (traccedilage de lignes le long desquelles ils comptent la preacutesence de plantes indicatrices) Un accompagnement des besoins et des journeacutees drsquoeacutechange sont preacutevus La mesure est une opportuniteacute pour enclencher une dynamique agro-environnementale et lrsquoaccompagnement des agriculteurs dans un contexte ougrave le travail technique sur les prairies est tregraves peu deacuteveloppeacute contrairement aux Alpes du nord Ces formations contribuent aussi agrave favoriser une contractualisation importante le tout donnant de la visibiliteacute agrave la politique de deacuteveloppement agricole de la collectiviteacute

Le PNR du Haut-Jura mobilise la SHP 01 comme levier pour le lancement drsquoun groupe drsquoeacutechanges et de reacuteflexion sur le fonctionnement des exploitations et le progregraves vers lrsquoagro-eacutecologie Ce groupe pour lrsquoinstant organiseacute autour des agriculteurs ayant contractualiseacute est destineacute agrave accueillir les autres eacutegalement Des autodiagnostics des visites des fermes des eacutechanges des formations et tests sont preacutevus notamment autour du systegraveme fourrager et de la gestion diffeacuterencieacutee des surfaces au sein du systegraveme (surfaces difficiles drsquoutilisation embroussailleacutees prairies de fauche surfaces cibles etc) Il est envisageacute de valoriser les deacutemarches engageacutees aupregraves du grand public via le tourisme et la visibiliteacute des produits

Sur les Baronnies le PAEC permet lrsquoinstauration drsquoune dynamique agro-environnementale et lrsquoaffirmation du rocircle du PNR dans cette deacutemarche La SHP 01 contribue en particulier agrave la reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcours et doit permettre drsquoinitier des eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs Agrave noter que sur ce territoire le portage par le Parc naturel reacutegional a constitueacute un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs et donc agrave la contractualisation

Encadreacute 2 - Inteacutegration de la SHP 01 dans les projets agro-environnementaux des territoires-types

projet agro-eacutecologique assurant une coheacuterence entre le PAEC et drsquoautres deacutemarches (voir aussi Poux et al 2015 sur ces questions) Elles soulignent eacutegalement le rocircle important drsquoune ingeacutenierie territoriale adapteacutee adosseacutee agrave une volonteacute politique affirmeacutee et partageacutee Crsquoest notamment le cas des Parcs naturels reacutegionaux comme en teacutemoignent les exemples du Pilat ou du Haut-Jura porteurs historiques de projets agro-environnementaux et de nombreuses deacutemarches territoriales et aussi celui de certaines intercommunaliteacutes (Beaujolais Vert)

Dans la phase de montage du PAEC lrsquoanimation les journeacutees drsquoinformation les mailings mais aussi lrsquoimplication des eacutelus locaux facilitent lrsquoappropriation locale de la deacutemarche en srsquoappuyant sur la reconnaissance de la place drsquoune agriculture respectueuse de lrsquoenvironnement sur le territoire Ce sont lagrave des facteurs de motivation et de feacutedeacuteration des acteurs Le rocircle des groupements drsquoagriculteurs est aussi essentiel pour ancrer la dimension collective du projet (CUMA groupements lieacutes agrave des filiegraveres AOP produits labelliseacutes etc)

Dans la phase de contractualisation le multi-partenariat (opeacuterateurs structures techniques agricoles et acteurs environnementaux) permet de proposer une vision partageacutee et de multiplier les relais drsquoinformation et drsquoaccompagnement (diagnostics drsquoexploitation notamment) Des formations sur la SHP mais aussi plus cibleacutees (par exemple des formations agrave la botanique en Massif central) sont particuliegraverement utiles Agrave noter que des mesures drsquoaccompagnement ne sont pas toujours mises en place lorsque la SHP 01 est activeacutee

112 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Si les analyses restent agrave poursuivre pour eacutevaluer pleinement la strateacutegie reacutegionale drsquoactivation de la mesure SHP 01 la premiegravere eacutetape du dispositif (lrsquoeacutevaluation ex ante) permet deacutejagrave de mettre en avant plusieurs reacutesultats Tout drsquoabord la SHP 01 est adapteacutee pour reacutepondre agrave certains enjeux rencontreacutes sur les territoires de montagne (fermeture des milieux intensification et plus rarement retournement des prairies permanentes) et qui ne sont pas couverts par lrsquoICHN De plus pour des systegravemes de production fragiles etou fortement deacutependants des aides la SHP 01 contribue de maniegravere significative au revenu et au maintien de lrsquoactiviteacute en compleacutement de lrsquoICHN Le soutien de lrsquoensemble des aides agrave lrsquoeacutelevage de montagne conditionne in fine les effets environnementaux de la SHP 01 Les effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sont particuliegraverement marqueacutes sur les territoires

Sur le Beaujolais Vert eacutelargi un partenariat engage la Chambre drsquoagriculture et le Conservatoire des espaces naturels agrave accompagner la Communauteacute drsquoagglomeacuteration de lrsquoouest rhodanien dans lrsquoanimation du dispositif (14 ETP au total) Plusieurs deacutemarches existaient deacutejagrave sur le territoire dont sept contrats de riviegravere

Le PNR du Haut-Jura dispose de compeacutetences agro-environnementales en interne et drsquoun reacuteseau de partenaires historiques dont la Socieacuteteacute drsquoeacuteconomie montagnarde de lrsquoAin la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAin et la Reacuteserve naturelle national de la haute-chaicircne du Jura La deacutemarche du PAEC srsquoarticule avec les nombreux programmes deacutejagrave en place Leader Psader Interreg contrats de riviegravere Natura 2000 etc

Le PNR des Baronnies provenccedilales travaille notamment en partenariat avec les Chambres drsquoagriculture de la Drocircme et des Hautes-Alpes et lrsquoAssociation deacutepartementale drsquoeacuteconomie montagnarde (ADEM) Ce partenariat preacutevoit un accompagnement de la Chambre drsquoagriculture agrave la contractualisation des MAEC pour les eacuteleveurs individuels et de lrsquoADEM pour les Groupements pastoraux Le PNR porte lrsquoanimation du site Natura 2000 Gorges de lrsquoEygues Les actions drsquoaccompagnement srsquoinscrivent pour partie au sein du PSADER et du LEADER Des suivis appuis techniques journeacutees drsquoeacutechange tourneacutees et formations sont preacutevus

Encadreacute 3 - Lrsquoingeacutenierie territoriale sur les laquo territoires-types

Le retard pris dans la mise agrave disposition de creacutedits pour ces mesures impacte la mise en œuvre de ces actions et la dynamique partenariale donc lrsquoensemble de la logique drsquoaction en particulier pour les opeacuterateurs pouvant plus difficilement mobiliser drsquoautres sources de financement

Enfin le suivi de la mise en œuvre et lrsquoeacutevaluation demandent un processus de formation reacuteciproque et continu entre agriculteurs techniciens agricoles et acteurs de lrsquoenvironnement en particulier srsquoil y a une population cible importante et un grand nombre de contractants

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 113

porteurs de projets de type agro-eacutecologique qui peuvent se trouver en zone de montagne comme de plaine Autre reacutesultat important la plus-value de la SHP 01 provient de son approche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation de lrsquoopportuniteacute qursquoelle creacutee pour le deacuteveloppement de deacutemarches collectives et de reacuteflexions favorables agrave des changements durables via son inteacutegration agrave une strateacutegie agro-eacutecologique territoriale porteacutee et partageacutee

Lrsquoeacutetude souligne cependant la neacutecessiteacute drsquointerroger certaines modaliteacutes de mise en œuvre de la SHP 01 pour ameacuteliorer son efficaciteacute Ainsi celles portant sur le choix des surfaces cibles pourraient ecirctre discuteacutees dans le cadre drsquoun reacuteseau drsquoanimateurs des PAEC afin drsquoameacuteliorer leur adaptation aux enjeux locaux De plus les conditions drsquoapplication de la regravegle du prorata pour la mesure SHP 01 devraient ecirctre revues afin drsquoeacuteviter des effets contre-productifs

Ce travail invite eacutegalement agrave renforcer le lien entre les MAEC et les mesures drsquoaccompagnement dans le montage des dossiers de candidature des PAEC notamment en seacutecurisant des creacutedits pour le conseil et lrsquoanimation Il encourage lrsquoapproche systeacutemique et lrsquoaccompagnement pour maicirctriser les charges et le revenu notamment agrave travers une meilleure valorisation des surfaces herbagegraveres Enfin il souligne lrsquointeacuterecirct qursquoaurait une analyse preacutecise des beacuteneacutefices et des coucircts eacuteviteacutes par la preacuteservation des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique et des conditions de valorisation de ces beacuteneacutefices aupregraves des beacuteneacuteficiaires que sont les eacutelus et les habitants

114 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

ACTeon EnvironnementGeacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018a Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 1 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018b Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 2 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil 2018c Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne Manuel drsquoappui aux eacutevaluations rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Conseil r eacutegional Rhocircne-Alpes 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Rhocircne-Alpes

Conseil r eacutegional Auvergne 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Auvergne

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2014 Appel agrave candidatures Campagne 20152016 Mesure 101 Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) Cahier des charges pour la constitution drsquoun projet agroenvironnemental et climatique (PAEC)

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2015 Reacuteduire les pressions agricoles et geacuterer durablement les ressources naturelles avec les mesures agroenvironnementales et climatiques note drsquoaccompagnement de lrsquoappel agrave candidature

Feacutedeacuterati on des Parcs naturels reacutegionaux 2015 Mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle guide de recommandations

Hanus A Kervarec F Strosser P Saint-Pierre C Hanus G Forget V 2017 Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoindemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) principaux reacutesultats Analyse ndeg 106 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Ministegraver e de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 2017 Instruction technique Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides agrave lrsquoagriculture biologique de la peacuteriode 2015-2020 - Annexe 8 compilation des types drsquoopeacuterations simplifieacutes 2015

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 115

Panarin M Contou C Le Borgne G Penouilh-Suzette J Midler E Hugonnet M 2018 Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) et agro-eacutecologie Analyse ndeg 119 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Poux X Faure J-B Villien C 2015 Des projets agro-environnementaux innovants inteacutegreacutes et collectifs quelques enseignements tireacutes de lrsquoanalyse drsquoexpeacuteriences de terrain Analyse ndeg 76 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Candidature et notices du PAEC Beaujolais Vert Communauteacute de communes Ouest Rhodanien 2014 2017

Candidature et notices du PAEC Pilat PNR Pilat 20142017

Candidature et notices du PAEC Haut-Jura PNR Haut-Jura 20142017

Candidature et notices du PAEC Pentes et montagne drsquoArdegraveche PNR Ardegraveche 20142017

Candidature et notices du PAEC Vercors PNR Vercors 20142017

Candidature et notices du PAEC Chartreuse PNR Chartreuse 20142017

Candidature et notices du PAEC Baronnies drocircmoises PNR Baronnies provenccedilales 20142017

116 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 117

Note de lecture

En 1765 Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un gueacuteridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies Premier des laquo restaurateurs raquo il brave ainsi les interdits de lrsquoAncien Reacutegime empecircchant tout particulier traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermeacute pourvu de tables individuelles Ce nouveau type drsquoeacutetablissements se diffuse ensuite rapidement une clientegravele de plus en plus large appreacuteciant les plats varieacutes agrave prix fixes choisis dans un menu Avec la Reacutevolution les nombreux cuisiniers des princes eacutemigreacutes srsquoeacutetablissent agrave leur compte et acceacutelegraverent le passage de la gastronomie aristocratique codifieacutee agrave la cuisine bourgeoise plus inventive

De lrsquoEmpire jusqursquoau deacutebut des anneacutees 1820 le Palais-Royal est lrsquoeacutepicentre de cette restauration franccedilaise et mecircme mondiale associant le reacutegal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair crsquoest lagrave que se deacutecident lrsquohoraire du dicircner lrsquoordre des plats leurs preacutesentations les maniegraveres de nommer et tarifer Un trio ceacutelegravebre marque cette eacutepoque Carecircme inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de lrsquohistoire Grimod de La Reyniegravere preacutecurseur de la critique gastronomique Brillat-Savarin philosophe heacutedoniste et theacuteoricien du sensible

R ien qu rsquoagrave Par i s on c ompte t ro i s c en t s laquo restaurants raquo en 1804 un millier en 1825 deux mille en 1834 En 1835 le mot entre dans le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Durant les anneacutees 1820-1840 les eacutetablissements les plus fameux migrent sur le laquo Boulevard parisien raquo entre la Bastille et la Madeleine Cacheacute des regards exteacuterieurs dans un entre-soi eacutelitiste et mondain le luxe de la table restauratrice devient un spectacle

partageacute creacuteateur de connivences et de distinctions sociales le tout ponctueacute de notes exorbitantes

Dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes de faccedilon variable selon leurs statuts et leurs clientegraveles restaurants laquo agrave la carte raquo reacuteserveacutes aux fortuneacutes laquo agrave prix fixe raquo pour les bourses moyennes laquo bouillons raquo pour les moins argenteacutes Les laquo brasseries raquo quant agrave elles se deacuteveloppent surtout apregraves 1870 et la perte de lrsquoAlsace-Lorraine faisant revivre les provinces perdues agrave travers leurs speacutecialiteacutes culinaires arroseacutees de flots de biegravere Et alors apparaicirct Escoffier creacuteateur de la pecircche Melba ancien responsable des cuisines de lrsquoarmeacutee du Rhin qui impose une division du travail inspireacutee du fonctionnement militaire avec ses laquo chefs raquo laquo brigades raquo laquo fusils raquo et laquo coups de feu raquo Plus tard associeacute agrave Ceacutesar Ritz il introduit le restaurant dans les palaces permettant aux eacutelites internationales de venir ndash dans le confort et la discreacutetion ndash festoyer agrave la franccedilaise

Agrave la fin du XIXe siegravecle agrave Paris sur pregraves drsquoun million drsquohabitants cent mille dicircnent quotidiennement au restaurant Plus geacuteneacuteralement 130 ans seulement apregraves le coup drsquoeacuteclat de Roze de Chantoiseau la France dispose drsquoune large gamme drsquoeacutetablissements en tous lieux de tous deacutecors pour toutes cuisines ougrave lrsquoon rassasie les panses en faisant la conversation et synonymes de laquo franciteacute raquo dans le monde entier

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

DE BAECQUE AntoineLa France gastronomeComment le restaurant est entreacute dans notre histoirePayot 2019 235 pages

118 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Les eacuteditions Armand Colin sont reacuteputeacutees pour la qualiteacute de leurs manuels universitaires Celui-ci consacreacute agrave lrsquoanalyse sociologique du fait alimentaire ne ternira pas cette image Clairement reacutedigeacute tregraves documenteacute associant constamment lrsquoeacutevolution des reacutealiteacutes et celle des concepts theacuteoriques il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels

Lrsquoalimentation vue par le sociologue ce sont drsquoabord des processus de socialisation des types de consommation conditionneacutes par des styles de vie ou des budgets des normes qui reacutegulent les besoins lrsquoexpression ineacutegalitaire et genreacutee de goucircts et de deacutegoucircts Ce sont aussi des tacircches meacutenagegraveres et du travail domestique des rapports agrave la tradition et agrave la nouveauteacute des cuisines reacutegionales ou familiales lrsquoexpression drsquohabitus et de frontiegraveres qui distinguent les geacuteneacuterations les groupes sociaux ou les nations Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informeacutes critiques et meacutefiants libres mais moutonniers

Lrsquoalimentation du sociologue crsquoest aussi lrsquoinsertion du mangeur dans un vaste systegraveme culturel fait de valeurs de croyances religieuses de maniegraveres de tables de rites et de signes identitaires agrave deacutecoder Lrsquoheacuteritage historique ou les traditions inventeacutees sont une richesse patrimoniale en mecircme temps qursquoun espace symbolique assurant des revenus eacuteconomiques et des freacutequentations touristiques Loin de gommer les diffeacuterences et de conduire agrave lrsquooccidentalisation des assiettes la mondialisation a multiplieacute les transferts interculturels et les eacutechanges de recettes

La sociologie srsquointeacuteresse aussi aux politiques nutritionnelles des Eacutetats aux strateacutegies des entreprises agroalimentaires aux actions des

associations et ONG aux prises de position des chercheurs et meacutedecins Ces diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs sont en constante interaction qursquoil srsquoagisse de normer des produits drsquoencadrer les marcheacutes de reacuteguler les innovations techniques de garantir la santeacute des populations ou de preacutevenir des risques

Lrsquoouvrage nrsquooublie pas de retracer lrsquohistoire des nombreux mouvements de reacuteforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire depuis lrsquoancienne eacuteducation agrave lrsquoeacuteconomie meacutenagegravere des familles pauvres jusqursquoaux plus reacutecentes injonctions nutritionnelles et sanitaires en passant par les constantes critiques de lrsquoindustrialisation et la promot ion de modegraveles a l ternat i f s veacutegeacutetarisme veacutegeacutetalisme veacuteganisme flexitarisme instinctotheacuterapie lutte contre le gaspillage recyclage circuits courts durabiliteacute et retour agrave la nature etc

Cette lecture srsquoimpose agrave tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systegravemes et conduites alimentaires tant en France que sous drsquoautres latitudes ou dans drsquoautres egraveres culturelles Ils constateront que la sociologie de lrsquoalimentation riche de ses meacutethodes et de ses reacutesultats est aussi une excellente introduction agrave la sociologie geacuteneacuterale des socieacuteteacutes contemporaines

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

CARDON Philippe DEPECKER Thomas PLESSZ MarieSociologie de lrsquoalimentationArmand Colin 2019 234 pages

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 119

Note de lecture

POURQUERY DidierUne histoire de hamburger-fritesRobert Laffont juin 2019 172 pages

Cet essai alerte eacutecrit par lrsquoeacutecrivain et journaliste Didier Pourquery conte drsquoun humour grinccedilant lrsquoeacutepopeacutee de cette reacutefeacuterence mondiale du fast-food qursquoest le hamburger-frites Il nrsquoen propose pas une analyse ample et deacutetailleacutee mais comme le titre le suggegravere nous livre plutocirct son regard personnel et sensible Srsquoinspirant de lrsquoempilage drsquoun Big Mac son reacutecit comporte six tranches de reacuteflexions tout en restant tregraves digeste et plaisant

La premiegravere tranche faite drsquohistoire rappelle les origines puis les grandes dates du hamburger ses lieux de naissance et de diffusion ses creacuteateurs et leurs recettes ses leacutegendes doreacutees et ses eacutechecs retentissants ses cocircteacutes folkloriques ou capitalistes aux Eacutetats-unis comme en France ou ailleurs La deuxiegraveme tranche de sociologie deacutecrit les valeurs les habitudes et les comportements du fast-fooder qui commande machinalement son burger au milieu drsquoun capharnauumlm multicolore et bruyant puis commence toujours par piquer une frite avant de manger agrave pleines mains ndash reacutegression enfantine ndash son monticule instable drsquoingreacutedients tiegravedes et mous toujours fuyants La tranche suivante de geacuteographie eacutevoque les lieux de cette consommation rituelle chaicircnes internationales installeacutees pregraves des centres commerciaux et des eacutechangeurs routiers eacutetablissements franchiseacutes ou appartenant agrave leur maison-megravere ou bien restaurants de quartiers populaires ou plus chics voire tregraves chics et chers Arrive ensuite la tranche nutritionnelle qui revient sur des sujets si souvent deacutebattus qualiteacute et quantiteacute des ingreacutedients pheacutenomegravenes drsquoaddiction risque de suralimentation et surpoids pathologies associeacutees mais aussi reacuteaction rapide des grandes enseignes devant lrsquoaccumulation de critiques en supprimant les

portions super size au profit de leacutegumes fruits et eau mineacuterale Lrsquoavant-derniegravere tranche drsquoeacuteconomie nrsquooublie pas qursquoun tel succegraves mobilise de par le monde des centaines de milliers de restaurants des millions de salarieacutes des dizaines de milliards de clients annuels (22 rien que pour McDo dans 118 pays) le tout appuyeacute sur des organisations tayloriennes de travail tregraves eacuteprouveacutees et rentables qui distribuent de petits salaires en rationalisant toujours plus la logistique lrsquoespace des cuisines les machines les cadences les liens avec les clients Enfin la sixiegraveme tranche prospective reacutecense quelques unes des mutations agrave lrsquoœuvre ou promises neacuteo-burgers bio et vegan pour millennials et ensuite faits de viande artificielle recettes exotiques faccedilon world food ou au contraire adapteacutees aux gastronomies nationales robots cuiseurs-assembleurs-distributeurs permettant drsquoaugmenter encore la productiviteacute etc

Cet ouvrage montre une fois de plus que tout nrsquoest pas alimentaire dans lrsquoalimentation en mangeant le contenu de son assiette on met aussi en oeuvre des valeurs et de la culture des rites et du simulacre quelques goucircts et beaucoup drsquohabitudes Agrave lrsquoinstar de Roland Barthes (Mythologies 1957) qui voyait dans le bifteck-frites lrsquoun des plus beaux mythes de la cuisine franccedilaise Didier Pourquery juge que lrsquohamburger-frites est pour le meilleur et pour le pire au cœur des grandes leacutegendes de lrsquoalimentation mondiale contemporaine

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

120 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

COMBRIS PierreAgrave la table de lrsquoHomo economicus De la subsistance agrave lrsquoabondanceTallandier Fondation Nestleacute France juin 2019 192 pages

Dans cet ouvrage publieacute aux eacuteditions Tallandier avec le soutien de la Fondation Nestleacute France Pierre Combris directeur de recherche honoraire agrave lrsquoInra propose une lecture eacuteconomique de lrsquoalimentation Ce laquo cas drsquoeacutecole raquo est lrsquooccasion de preacutesenter les deacutemarches et eacutevolutions des analyses eacuteconomiques de citer des contributeurs majeurs (R Fogel B Popkin G Stigler notamment) et drsquoillustrer les concepts mobiliseacutes (productiviteacute surplus prix complet externaliteacutes etc) pour mettre en lumiegravere les grands deacuteterminants des eacutevolutions alimentaires leurs conseacutequences ainsi que les deacutefis actuels pour lrsquoaction publique

La premiegravere eacutetape de ce parcours montre comment la subsistance alimentaire a deacutetermineacute pendant une grande partie de lrsquohistoire humaine la seacutelection des aliments et le souci de reacuteduire leurs coucircts drsquoacquisition et de production Les transitions nutritionnelles contemporaines la geacuteneacuteralisation de lrsquoabondance et ses limites sont traiteacutees dans la deuxiegraveme partie La troisiegraveme srsquointeacuteresse aux effets de cette abondance sur les compor tements deacuteveloppement de la surconsommation controcircle individuel difficile du fait des sollicitations environnementales coucircts sociaux croissants injustices La derniegravere partie srsquointerroge sur les contributions possibles des approches eacuteconomiques pour reacutepondre aux deacutefis poseacutes par

les choix alimentaires des consommateurs (santeacute environnement ineacutegaliteacutes etc) Elle aborde des points cleacutes pour lrsquoaction publique et souligne que les motivations des individus sont freacutequemment sous-estimeacutees (voire ignoreacutees) par les interventions visant agrave accompagner des changements de comportements

En conclusion Pierre Combris rappelle que laquo manger a toujours un prix explicite ou implicite raquo et que la dimension eacuteconomique est omni-preacutesente dans les deacutecisions alimentaires Si les coucircts de chaque option devraient ecirctre refleacuteteacutes par le prix comme signal creacutedible il se demande au vu des impacts sanitaires et environnementaux si nous payons laquo le vrai prix de ce que nous mangeons raquo Au-delagrave il souligne que toute eacutevolution durable des comportements ne peut passer que par lrsquoadheacutesion agrave des valeurs et que ce sont laquo les preacutefeacuterences des mangeurs et les repreacutesentations symboliques de lrsquoalimentation de sa production et de sa consommation qui auront le dernier mot raquo

Julia GassieCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAjuliagassieagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 121

Note de lecture

POUZENC MichaeumllCommerce et ruraliteacute La laquorenaissance ruraleraquo drsquoun siegravecle agrave lrsquoautre Presses universitaires du Midi janvier 2019 187 pages

Cet ouvrage ducirc agrave Michaeumll Pouzenc professeur de geacuteographie agrave lrsquouniversiteacute de Toulouse analyse les rapports entre commerce alimentaire et ruraliteacute Aujourdrsquohui dire que le commerce a disparu de lrsquoespace rural est un lieu commun Agrave lrsquoencontre de ce preacutejugeacute dominant il montre que si la reacuteduction du nombre de petits magasins traditionnels est bien reacuteelle elle a eacuteteacute largement compenseacutee par lrsquoinstallation de supeacuterettes ou supermarcheacutes de la grande distribution qui certes appliquent des modegraveles identiques agrave tous les territoires qursquoils occupent mais en veillant aussi agrave srsquoadapter aux demandes speacutecifiques des consommateurs locaux Drsquoautres formes nouvelles drsquoinstallations reacutecentes (boutiques multiservices vente de plats agrave emporter ou de produits bios etc) participent de cette mecircme vitaliteacute rurale

En mecircme temps que la ruraliteacute accueille et conditionne certains types de commerce le commerce contribue agrave faccedilonner de nouveaux rapports agrave la ruraliteacute Petits magasins comme grandes enseignes mettent en avant les produits du terroir les agriculteurs des environs les partenariats locaux et la consommation citoyenne De leur cocircteacute les circuits alternatifs de vente directe (AMAP etc) amegravenent les vendeurs et acheteurs agrave construire ou reconstruire de nouvelles images de la ruraliteacute faites drsquoengagements (deacuteveloppement durable achats eacutequitables) de reacuteappropriations symboliques de nouvelles repreacutesentations des campagnes et de la nature

Au total les nombreuses eacutetudes de cas mobiliseacutees dans ce livre montrent que ni le commerce

alimentaire rural ni la ruraliteacute ne deacuteclinent Ils ne srsquoexcluent pas non plus alors mecircme que nous vivons dans une socieacuteteacute de consommation tregraves urbaniseacutee et agrave forte mobiliteacute Pour lrsquoauteur dans leur grande majoriteacute en France les zones rurales ne sont pas des lieux de crise et de releacutegation mais des espaces vivants en constante modernisation ougrave s rsquo i nventent l es nouveaux rappor t s agrave lrsquoenvironnement agrave la production alimentaire et agrave lrsquoameacutenagement des territoires Nous vivons dans une socieacuteteacute globale qui reconfigure constamment ses espaces que ceux-c i soient urbains peacuteri-urbains ou ruraux Plus geacuteneacuteralement laquolrsquourbanisation du monde nrsquoempecircche pas une omnipreacutesence de la ruraliteacute (p 132)

Fort de ces constats lrsquoauteur examine dans la derniegravere partie du livre les tendances agrave la laquo renaissance rurale raquo observeacutees ces derniegraveres deacutecennies qursquoelles soient lieacutees ou pas agrave la question du commerce Lrsquointeacuterecirct de ces pages reacuteside dans les reacuteflexions sur la transformation des laquo fonctions raquo du rural et sur lrsquoeacutevolution des valeurs et normes utiliseacutees par les diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs pour dire ce qursquoest ou ce que nrsquoest pas la laquo ruraliteacute raquo On y trouvera eacutegalement une inteacuteressante relecture critique des principaux exercices de prospective consacreacutes agrave la France rurale depuis le deacutebut des anneacutees 2000

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

122 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

PORCHER JocelyneCause animale cause du capitalEacuteditions Le Bord de lrsquoeau septembre 2019 120 pages

Depuis 2013 et la mise en scegravene de la deacutegustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur neacuteerlandais M Post des star t-up toujours plus nombreuses cherchent agrave appliquer les principes de lrsquoingeacutenierie tissulaire agrave la production alimentaire Dans un court ouvrage au ton vif voire pamphleacutetaire J Porcher (Inra) analyse les implications de lrsquoeacutemergence de ce nouveau type de produits pour lrsquoeacutelevage et nos relations avec les animaux

La viande de synthegravese et les substituts proteacuteineacutes sont preacutesenteacutes par les entrepreneurs mais aussi par certains militants veacutegans comme une reacuteponse radicale agrave quatre problegravemes lrsquoaugmentation de la demande alimentaire mondiale les impacts de la consommation de produits carneacutes sur la santeacute humaine la lutte contre les deacutegradations environnementales et les conditions de vie des animaux Cette innovation biotechnologique srsquoaccompagne drsquoune intense activiteacute de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabiliteacute sociale J Porcher considegravere que la terminologie utiliseacutee (laquo clean meat raquo ou laquo viande propre raquo laquo agriculture cellulaire raquo ou plus reacutecemment laquo viande cultiveacutee raquo) est au cœur drsquoune veacuteritable laquo bataille seacutemantique raquo et ideacuteologique orchestreacutee par des multinationales des biotechnologies et de lrsquoagroalimentaire avec le concours des associations abolitionnistes visant agrave laquo discreacutediter

tous les produits animaux sans distinction de systegravemes de production raquo et laquo agrave deacutegoucircter les consommateurs de la viande raquo

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale et en particulier les interventions tregraves meacutediatiseacutees de L214 elle passe aussi en revue une seacuterie de reacutefeacuterences theacuteoriques (Singer Francione Donaldson et Kymlicka notamment) et soutient qursquoelles occultent les relations de travail noueacutees avec les animaux de ferme ainsi que les formes drsquoexploitation et de domination qui pegravesent en commun sur les animaux et sur les humains Ce faisant les militants abolitionnistes laquo acceptent les regravegles du jeu eacuteconomique en vigueur raquo et servent degraves lors selon elle les inteacuterecircts du capitalisme et de lrsquoindustrie Le propre point drsquoappui normatif de J Porcher lrsquoeacutelevage traditionnel en petite ferme bien distinct des laquo productions animales raquo industrialiseacutees mises en place dans les anneacutees 1960 est expliciteacute seulement en ouverture du dernier chapitre avant un panorama mondial des entreprises impliqueacutees dans la recherche sur la viande in vitro

Florent BidaudCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAflorentbidaudagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 123

Note de lecture

Le rappo r t c hangean t que l es huma ins entretiennent avec la nature est scandeacute de grandes repreacutesentations mentales Apregraves la peacuteriode tregraves laquoenvironnementraquo des anneacutees 1970 il y eut des phases laquodeacuteveloppement durableraquo puis laquotransition eacutenergeacutetiqueraquo et laquoreacutechauffement climatiqueraquo Nous sommes maintenant dans une forte seacutequence laquobiodiversiteacuteraquo Utiliseacute par tous en toutes occasions ce terme galvaudeacute meacutelange craintes et espeacuterances science et ideacuteologie discours et reacutealiteacutes Le catastrophisme meacutediatique de la laquosixiegraveme grande extinctionraquo en est un bel exemple de mecircme que la perception systeacutematiquement positive drsquoune biodiversiteacute bonne laquoen soiraquo

Alain Paveacute (biomeacutetricien professeur eacutemeacuterite de lrsquouniversiteacute de Lyon) a eacutecrit ce livre pour nous aider agrave distinguer le vrai du faux Ni pessimiste ni optimiste faisant preuve de mesure et de reacutealisme critique il procircne le doute scientifique eacutevacue les ideacutees reccedilues et preacuteconise une analyse plus fine et complexe des meacutecanismes agrave lrsquoœuvre en y incluant les derniers deacuteveloppements de lrsquoeacutevolutionnisme darwinien du calcul des probabiliteacutes et des theacuteories du hasard

Le but de son ouvrage est aussi drsquoexposer de reacuteels sujets de preacuteoccupation pour les acteurs en particulier publics concernant lrsquoorigine et la mesure de la diversiteacute du vivant les beacuteneacutefices qursquoon peut en tirer son rocircle dans le fonctionnement de la biosphegravere le potentiel eacutevolutif qursquoelle repreacutesente en fonction de choix varieacutes de politiques Il insiste eacutegalement de chapitre en chapitre sur les dimensions eacuteconomiques techniques culturelles et mecircme religieuses du sujet

En faisant de la laquobiodiversiteacuteraquo (neacuteologisme creacuteeacute en 1985) un synonyme vague de la laquonatureraquo la penseacutee eacutecologique contemporaine court selon lrsquoauteur un grand risque drsquoappauvrissement et de dilution Il importe donc de revenir agrave une deacutefinition plus rigoureuse du concept si on souhaite avoir des programmes drsquointerventions plus adapteacutees et des actions correctrices plus efficaces

Plus profondeacutement encore les approches et les meacutethodes scientifiques doivent aussi se renouveler et plusieurs pistes lui semblent prioritaires cesser de penser les milieux en termes drsquoeacutequilibre et reacutevoquer en doute lrsquoexpression laquobon eacutetat eacutecologiqueraquo si priseacutee des administrations abandonner les visions finalistes et fixistes qui ceacutelegravebrent la laquoprotectionraquo la laquopreacuteservationraquo et la laquoconservationraquo admettre que comptabiliser les espegraveces est insuffisant et que si la laquoloi aire-espegravecesraquo fonctionne bien pour eacutevaluer leur nombre elle ne marche pas pour estimer leur disparition arrecircter de confondre les reacutesultats des modegraveles speacuteculatifs avec la reacutealiteacute qui adviendra reconnaicirctre que lrsquoaleacuteatoire joue un rocircle fondamental dans les dynamiques biologiques Paveacute critique eacutegalement la formule laquoservices rendus par les eacutecosystegravemesraquo pour lui soit elle veut dire que la nature nous offre des prestations ce qui est reconnu depuis lrsquoaube de lrsquohumaniteacute soit elle signifie que la nature est bien intentionneacutee en oubliant qursquoexistent au moins autant de fonctionnaliteacutes neacutegatives

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

PAVEacute AlainComprendre la biodiversiteacuteVrais problegravemes et ideacutees faussesEacuteditions du Seuil 2019 361 pages

124 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Dans cet ouvrage collectif publieacute en octobre 2019 les auteurs analysent les liens entre agriculture et qualiteacute de lrsquoair en France et en Europe de lrsquoOuest Leur but est de mettre agrave disposition de tout acteur concerneacute par ce sujet une synthegravese des connaissances actuelles Ils deacutecrivent le contexte et lrsquohistoire de cette probleacutematique et preacutesentent les diffeacuterents polluants atmospheacuteriques produits par ou impactant lrsquoagriculture ainsi que les meacutethodes permettant de les mesurer ou de modeacuteliser leur eacutemission La derniegravere partie propose une reacuteflexion sur le passage du diagnostic agrave la mise en œuvre drsquoactions de reacuteduction de ces pollutions

Lrsquoagriculture est source de nombreux polluants atmospheacuteriques par exemple 94 des eacutemissions drsquoammoniac en sont issus de mecircme que 54 des particules totales en suspension (essentiellement des PM10) Pourtant les auteurs soulignent que la prise de conscience par la socieacuteteacute de lrsquoimpact de lrsquoagriculture sur la qualiteacute de lrsquoair srsquoest seulement faite dans les anneacutees 2000 et qursquoil a fallu attendre 2010 pour que le secteur reconnaisse sa propre vulneacuterabiliteacute face agrave ces polluants Par exemple lrsquoammoniac favorise lrsquoacidification des sols ce qui diminue leur fertiliteacute et joue sur les rendements Selon eux il est probable qursquoagrave lrsquoavenir la pression

BEDOS Carole et al (coord)Agriculture et qualiteacute de lrsquoair Comprendre eacutevaluer agirEacuteditions Quaelig octobre 2019 324 pages

Niveaux drsquoaction du cadre leacutegislatif appliqueacute en France pour lutter contre les eacutemissions de polluants atmospheacuteriques drsquoorigine agricole

Source Eacuteditions Quae

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 125

de lrsquoopinion publique pour reacuteduire les eacutemissions drsquoorigine agricole srsquoaccentue parallegravelement agrave lrsquoaugmentation des aires drsquoinfluence des villes et donc des interfaces avec lrsquoagriculture

Lrsquoouvrage dresse par ailleurs un panorama du corpus reacuteglementaire relatif aux eacutemissions dues agrave lrsquoagriculture (voir figure) et alerte sur le risque drsquoincoheacuterences et drsquoinefficaciteacute ducirc agrave lrsquoempilement des textes et au manque de coordination entre ceux-ci Ainsi leur mise en œuvre srsquoavegravere difficile et la France est par exemple attaqueacutee devant la Cour de justice europeacuteenne pour non-respect des valeurs limites dans lrsquoair pour le NO2

Afin drsquoameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair les auteurs envisagent des actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation (changement de pratiques etc) mais aussi agrave des

eacutechelles plus larges On peut citer entre autres les leviers suivants modifier la mosaiumlque paysagegravere pour maximiser la recapture locale de polluants positionner les sources eacutemettrices importantes loin des zones sensibles (zones proteacutegeacutees par exemple) reacutepartir les eacutemissions dans le temps et dans lrsquoespace pour eacuteviter des pics de concentration et donc maintenir une diversiteacute des productions dans chaque bassin Ils soulignent enfin que la mise en œuvre de ces leviers devra ecirctre adapteacutee au contexte local

Aurore PayenCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

aurorepayenagriculturegouvfr

126 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

VALLAEYS AnneHautes solitudes Sur les traces des transhumants2017 reacuteeacutedition juin 2019 en version de poche Eacuteditions La Table Ronde 250 pages

Auteure de romans enquecirctes et essais remarqueacutes Anne Vallaeys raconte dans cet ouvrage-ci sa longue marche depuis Arles (plaine de Crau) jusqursquoau Laverq (haute Ubaye) sur les anciens chemins de la laquo grande transhumance raquo Au fil drsquoune vingtaine de journeacutees srsquoeacutetirant sur pregraves de quatre cents kilomegravetres agrave raison de trois kilomegravetres par heure (tempo jadis des brebis) elle livre ses reacuteflexions et eacutemotions ses eacutemerveillements ou deacuteceptions ses belles rencontres ou tristes constats Elle nrsquoa pas son pareil pour deacutecrire les paysages la veacutegeacutetation les ruisseaux la faune sauvage ou domestique le loup qui rocircde ou le chien qui veille Elle nous entraicircne dans les vastes reliefs montagneux comme dans le deacutesordre des sentiers cacheacutes entre fortes chaleurs et gros orages On se repose avec elle dans les bourgs-eacutetapes agrave la deacutecouverte des habitants et de leurs histoires familiales des speacutecialiteacutes agricoles des produits locaux et de lrsquoesprit des lieux

Aussi prenante soit-elle cette marche est aussi et surtout un preacutetexte pour deacutecrire le pastoralisme drsquohier (et drsquoaujourdrsquohui) pour conter la grande leacutegende des transhumants En suivant la routo mythique qursquoempruntaient jadis les brebis pour gagner les alpages Vallaeys fait revivre les traditions disparues Telle valleacutee tel pont telle vieille fontaine sont des accroches drsquoougrave resurgit le passeacute agrave travers photos vieux l ivres et

teacutemoignages Tout reprend alors vie par bribes la laquo peuplade timide raquo des reacutetifs bergers le rassemblement du laquogrand troupeauraquo de plusieurs dizaines de milliers de tecirctes la poussiegravere souleveacutee sur le laquo grand chemin raquo le vacarme de sonnailles et de becircleacutees les vapeurs musqueacutees du suint lrsquoaccueil festif des villages traverseacutes la fatigue des hommes et des becirctes mais aussi toute lrsquoeacuteconomie reposant sur de telles migrations annuelles Dans les anneacutees 1950 ces laquo interminables caravanes laineuses raquo ont commenceacute agrave disparaicirctre et en 1974 il fut interdit de mener les troupeaux agrave pieds Crsquoest maintenant en beacutetaillegraveres que les brouteuses gagnent les estives et en bas les parcours de plaine nrsquoont pas reacutesisteacute agrave la pression du tourisme et de lrsquoimmobilier

Tout cela est rendu dans une langue eacuteleacutegante et travailleacutee au style raffineacute mais sans affeacuteterie servie par un riche vocabulaire Cette marche de sentiers est surtout un itineacuteraire de meacutemoire que lrsquoauteure nous restitue sans miseacuterabilisme sans pantheacuteisme ni regrets inutiles

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 127

Note de lecture

Les laquo valeurs raquo sont ces ideacuteaux profonds dont les individus srsquoinspirent au quotidien pour agir et justifier leurs actions Elles renseignent sur lrsquounivers mental de tel ou tel groupe agrave un moment donneacute mais permettent aussi drsquoanticiper les opinions et comportements qursquoils adopteront dans le futur Crsquoest dire leur importance pour tous ceux qui srsquointeacuteressent agrave la prospective ou agrave la gestion des affaires publiques LrsquoEuropean Values Study (EVS) est la meilleure enquecircte internationale disponible sur le sujet Reacutealiseacutee pour la premiegravere fois en 1981 puis reconduite en 1990 1999 2008 la cinquiegraveme vague a eu lieu en 2018 et 38 pays sont doreacutenavant couverts Le preacutesent ouvrage se concentre sur les reacutesultats concernant la France

L e s v a l e u r s l i eacute e s a u x a p p a r t e n a n c e s geacuteographiques et agrave la ruraliteacute en particulier sont globalement stables En 1981 comme en 2008 les uniteacutes territoriales auxquelles les Franccedilais avaient le sentiment drsquoappartenir laquo avant tout raquo eacutetaient le laquo national raquo puis le laquo local raquo le laquo reacutegional raquo le laquo monde raquo et laquo lrsquoEurope raquo se situant en queue de peloton En 2018 le national reste premier (92 des intervieweacutes) devant la reacutegion (80 ) et la ville ou le village (77 ) Le sentiment de multi-appartenance semble srsquoaffirmer lrsquoexpression drsquoun attachement pour le laquo village raquo eacutetant de moins en moins exclusive de lrsquoidentification agrave drsquoautres eacutechelons Notons par ailleurs le maintien de clivages importants selon le niveau de diplocircme plus celui-ci baisse et plus lrsquoattachement au laquo village raquo croicirct

Le rapport agrave lrsquoenvironnement est aussi au cœur de nombreuses valeurs inteacuteressantes agrave analyser

Entre 1990 et 2018 les laquo pro -croissance eacuteconomique raquo sont resteacutes stables agrave 54 mais les laquo pro-environnement raquo sont passeacutes de 20 agrave 25 La deacutefense de lrsquoenvironnement atteint son maximum chez les plus diplocircmeacutes et ceux ayant les revenus les plus eacuteleveacutes Cette deacutefense est la plus faible pour les geacuteneacuterations 1930-39 la plus eacuteleveacutee pour les geacuteneacuterations 1970-79 puis elle baisse pour les geacuteneacuterations ulteacuterieures de plus en plus sensibles agrave la croissance La prioriteacute accordeacutee agrave lrsquoenvironnement est porteacutee par les reacutepondants se situant laquo agrave gauche raquo (60 ) et laquo tregraves agrave gauche raquo (65 ) plutocirct que par ceux laquo agrave droite raquo (46 ) et laquo tregraves agrave droite raquo (39 )

Outre les deux points sur lesquels nous venons drsquoinsister de nombreuses eacutevolutions des systegravemes de valeurs sont eacutetudieacutees dans ce livre concernant la famille la politique lrsquoeacuteconomie la culture le travail etc Apparemment eacuteloigneacutees des champs de compeacutetence du ministegravere chargeacute de lrsquoagriculture ces mutations de valeurs constituent de bonnes grilles de lecture pour comprendre cer tains enjeux au cœur de ses politiques nouveaux comportements alimentaires critique croissante du monde agricole affirmation de la laquo question animale raquo etc

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective ndash MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

BREacuteCHON Pierre GONTHIER Freacutedeacuteric ASTOR Sandrine (dir) La France des valeurs Quarante ans drsquoeacutevolutionsPresses universitaires de Grenoble 2019 382 pages

128 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Abstracts and Key Words

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 129

From declared eating behaviors to real eating behaviors measuring and understanding differences to improve public actionGabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

The sources of information that inform dietary behaviour (apparent consumption consumer amp retailer panels dietary surveys opinion surveys qualitative surveys) provide us valuable and fairly accurate information on eating behaviour However they also suffer from several biases causing occasionally gaps between the actual vs declared behaviours This problem which is not specific to food surveys is often related to the characteristics of the respondents (memory loss imperfect rationality feelings mental representations and beliefs psychic attitudes etc) and to the context (where when social situation etc) It is also linked to the procedures and methods used to collect information (questionnaire interview consumption book attitude scale mainly declarative techniques sampling etc) and to their subsequent processing methods Aware of these problems and their potential impact on the management of public action the Ministry of Agriculture and Food FranceAgriMer and ADEME commissioned a study on this complex subject Produced by the consortium CREacuteDOC NutriPsy Consult Proteacuteines and Deloitte DD it relied on a review of the scientific literature followed by three case studies These consist of identifying the omissions (food and drink) associated with the consumption reports by the diary method measuring the effect of weariness in food surveys and finally evaluating the differences between expectations expressed on social networks and buying behaviours

KeywordsEating behaviors attitudes beliefs consumption information survey methods bias declarativeConcentration of farms and jobs

Farm outsourcing and task delegation markers of changes in the organisation of agricultural productionGeneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Since the mid-1990s agricultural outsourcing has been developing steadily Between 2000 and 2016 the number of farms relying on it has doubled In response to the transmission issue of many farms or to the growth strategies of the largest ones the development of agricultural outsourcing is one of the key trends in the evolution of French agriculture This market estimated at around 4 billion euros is characterized by major changes in demand and the emergence of numerous farm contractors While most of them offer to carry out specific tasks others have developed a wide range of services from audits of agricultural properties to the complete management of the farm including technical administrative and financial management However agricultural outsourcing and in particular the integral delegation of

130 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

farming activities remains poorly documented Various questions remain which this article helps to answer by bringing together the salient results of research conducted since 2012 It follows on from the quantitative assessment of the evolution of the phenomenon carried out by the ActifrsquoAgri(1) working group led by the Centre drsquoeacutetudes et de prospective (Centre for Studies and Forecasting) of the French Ministry of Agriculture and Food The first part of the article explains the method used and the next three parts present respectively an inventory of the market then a survey of changes in practices and finally an analysis of innovative forms of organisation of service provision The conclusion deals with the issues raised by the rapid development of the phenomenon and the implications for public policy

KeywordsAgricultural outsourcing integral delegation practices organizations tertiarization agriculture

Evaluation of the agri-environment measure targeting grassland and pastoral systems in the mountain areas of Rhocircne-AlpesAnaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

In the French region of Rhocircne-Alpes the individual agri-environment-climate measure (AECM) targeting grassland and pastoral systems opened in 2014 in lowland areas It was then extended to some mountain areas in 2015 on an exploratory basis At the request of the DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes the Acteon consulting firm carried out a study to evaluate the measure in 2017 The goals of this study were twofold First they assessed the relevance of the measure for mountain areas and its coherence with other instruments ex ante Second they built a monitoring and evaluation system to assess its effectiveness and efficiency ex post ie at the end of programming This article presents this double approach as well as the first results of the ex ante evaluation

KeywordsAgri-environmental measure biodiversity Auvergne - Rhocircne-Alpes monitoring and evaluation mountain grassland and pastoral systems

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 131

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus

Retrouvez le texte inteacutegral des articles et tous les sommaires de Notes et Eacutetudes Socio- Eacuteconomiques sur internet httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Chiffres et analyses gt Collections gt Collection nationale gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

No 37 - Janvier-Juin 2013 Eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacuteconomies de gamme en production laitiegravere Changement de paradigme et creacuteation de valeur ajouteacutee en agriculture

le cas des systegravemes bovins herbagers eacuteconomes du Bocage poitevin Quelle eacutevaluation eacuteconomique pour les services eacutecosysteacutemiques rendus

par les prairies en France meacutetropolitaine Le suivi des prix et des marges pour lrsquoanalyse de la formation des prix au deacutetail

des produits alimentaires La compeacutetitiviteacute agricole du Breacutesil le cas des filiegraveres drsquoeacutelevage

No 38 - Juin 2014 Eacutemissions de gaz agrave effet de serre drsquoorigine agricole coucircts et potentiels

drsquoatteacutenuation instruments de reacutegulation et efficaciteacute Protocole de Kyoto et marcheacute carbone europeacuteen Coucircts de transaction priveacutes et adoption de mesures drsquoatteacutenuation

des eacutemissions de GES Impatcs des aleacuteas climatiques en eacutelevages bovin et ovin allaitants

et demande de couverture assurantielle

No 39 - Avril 2015 La diversification des cultures comment la promouvoir Ineacutegaliteacutes sociales et alimentation Lrsquoadaptation de lrsquoagriculture agrave la disponibiliteacute de la ressource en eau

Le cas de la Drocircme des Collines Les innovations technologiques leviers de reacuteduction du gaspillage dans

le secteur agroalimentaire Lrsquoanalyse orienteacutee objets comme outil drsquoaide agrave la gestion des risques sanitaires Flexibiliser les politiques de soutien aux biocarburants eacuteclairages theacuteoriques et

expeacuterience ameacutericaine

132 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

No 40 - Mai 2016 Les produits de stimulation en agriculture un eacutetat des connaissances Diffusion au public des reacutesultats des controcircles sanitaires officiels

comparaison internationale et acceptabiliteacute pour les parties prenantes Les deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoeacutelevage en Allemagne au Danemark et aux Pays-Bas

No 41 - Deacutecembre 2016 Transmission en agriculture quatre sceacutenarios prospectifs agrave 2025 Appariement entre le registre parcellaire graphique et le cadastre pour construire

une typologie des exploitations franccedilaises Lrsquoeacutevolution de la filiegravere bleacute tendre en France entre 1980 et 2006

quelle influence sur la diversiteacute cultiveacutee

No 42 - Novembre 2017 Observer les changements structurels des exploitations laitiegraveres franccedilaises

constitution de la base de donneacutees ADE Efficaciteacute de la protection des troupeaux contre le loup

Une eacutevaluation du dispositif franccedilais drsquoaide au financement des mesures de protection sur la peacuteriode 2009-2014

Lrsquoalternance sous statut scolaire dans lrsquoenseignement agricole une composante du service public aux multiples atouts

No 43 - Mars 2018 Anticiper les comportements alimentaires de demain un outil de sensibilisation

destineacute aux acteurs de la filiegravere alimentaire Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels

(ICHN) principaux reacutesultats et speacutecificiteacutes territoriales Diffusion des meacutelanges varieacutetaux pour la production de bleacute une comparaison entre

France et Danemark

No 44 - Deacutecembre 2018 Les deacutemarches mises en œuvre par les filiegraveres animales en France en reacuteponse

aux attentes socieacutetales en termes de bien-ecirctre animal typologie et perspectives Le systegraveme franccedilais de choix des denreacutees et la mise en oeuvre du FEAD dans

les pays europeacuteens Contribution des filiegraveres internationaliseacutees et du commerce agrave lrsquoemploi dans les

secteurs agricole et agro-alimentaire

No 45 - Septembre 2019 Emplois preacutecaires en agriculture Agro-eacutecologie et Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) Lrsquoagriculture dans les aires urbaines drsquoOccitanie agrave lrsquohorizon 2035 une prospective

participative

No 46 - Deacutecembre 2019 La coheacuterence des politiques commerciales et de deacuteveloppement le cas de lrsquoAPE

Afrique de lrsquoOuest Concentration des exploitations agricoles et emplois Rocircles des organisations de producteurs dans les filiegraveres animales neacutegociation

conseil commercialisation et creacuteation de valeur

Recommandations aux auteurs

FormatLes manuscrits sont preacutesenteacutes sous format Word ou Writer en police de taille 12 Ils ne deacutepassent pas 80 000 signes espaces inclus y compris tableaux graphiques bibliographie et annexes

Sur la premiegravere page du manuscrit doivent figurer -ensple titre de lrsquoarticle -ensples noms des auteurs et leurs institutions -ensple reacutesumeacute de lrsquoarticle (800 signes espaces compris) en franccedilais et en anglais -ensptrois agrave six mots cleacutes en franccedilais et en anglais

Toutes les sources des chiffres citeacutes doivent ecirctre preacuteciseacutees Les sigles doivent ecirctre expliciteacutes Lorsque lrsquoarticle srsquoappuie sur une enquecircte des traitements de donneacutees etc un encadreacute preacutesentant la meacutethodologie est souhaiteacute

Les reacutefeacuterences bibliographiques sont preacutesenteacutees ainsi

a - Dans le texte ou les notes chaque reacutefeacuterence citeacutee est constitueacutee du nom de lrsquoauteur et de lrsquoanneacutee de publication entre parenthegraveses renvoyant agrave la bibliographie en fin drsquoarticle Par exemple (Griffon 2004)

b - Agrave la fin de lrsquoarticle les reacutefeacuterences sont classeacutees par ordre alphabeacutetique drsquoauteurs et preacutesenteacutees selon les normes suivantes

-ensp pour un ouvrage nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee Titre drsquoouvrage ville maison drsquoeacutedition

-ensp pour un article nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee laquo Titre drsquoarticle raquo Revue ndeg de parution mois pages

Seules les reacutefeacuterences explicitement citeacutees ou mobiliseacutees dans lrsquoarticle sont reprises en fin drsquoarticle

CompleacutementspourmiseenlignedelrsquoarticleDans la perspective de la publication de lrsquoarticle sur le site internet du CEP et toujours selon leur convenance les auteurs sont par ailleurs inviteacutes agrave

-ensp adresser le lien vers leur(es) page(s) personnelle(s) agrave caractegravere laquo institutionnelle(s) raquo srsquoils en disposent et srsquoils souhaitent la(les) communiquer

-ensp communiquer une liste de reacutefeacuterences bibliographiques de leur choix utiles pour contextualiser compleacuteter ou approfondir lrsquoarticle proposeacute

-ensp proposer une liste de lien vers des sites Internet pertinents pour se renseigner sur le sujet traiteacute -ensp proposer le cas eacutecheacuteant des annexes compleacutementaires ou des deacuteveloppements utiles mais non

essentiels (preacutecisions meacutethodologiques exemples etc) reacutedigeacutes dans la phase de preacuteparation de lrsquoarticle mais qui nrsquoont pas vocation agrave inteacutegrer la version livreacutee limiteacutee agrave 50 000 caractegraveres Ces compleacutements srsquoils sont publiables viendront enrichir la version Internet de lrsquoarticle

ProceacutedureTout texte soumis est lu par au moins trois membres du comiteacute de reacutedaction et deux experts exteacuterieurs La deacutecision de publication est prise collectivement par le comiteacute de reacutedaction Tout refus est argumenteacute

Les manuscrits sont agrave envoyer en version eacutelectronique uniquement agrave -ensp Bruno Heacuterault reacutedacteur en chef brunoheraultagriculturegouvfr

DroitsEn contrepartie de la publication lrsquoauteur cegravede agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques agrave titre exclusif les droits de proprieacuteteacute pour le monde entier en tous formats et sur tous supports et notamment pour une diffusion en lrsquoeacutetat adapteacutee ou traduite Agrave la condition qursquoil demande lrsquoaccord preacutealable agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques lrsquoauteur peut publier son article dans un livre dont il est lrsquoauteur ou auquel il contribue agrave la condition de citer la source de premiegravere publication crsquoest-agrave-dire la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Tous les articles de Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques sont teacuteleacutechargeables gratuitement sur

httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Publications gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Renseignements

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective3 rue Barbet de Jouy75349 Paris 07 SP

brunoheraultagriculturegouvfr

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiquesMinistegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Secreacutetariat GeacuteneacuteralService de la Statistique et de la Prospective

Centre drsquoeacutetudes et de prospective

Page 4: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

4 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Malheureusement les travaux scientifiques sur la sous-traitance sont encore peu deacuteveloppeacutes et de nombreuses questions demeurent Le grand inteacuterecirct de cet article est de rassembler les reacutesultats des recherches conduites depuis 2012 par les auteurs et de nous offrir ainsi une synthegravese tregraves actuelle sur le sujet Ils prennent drsquoabord soin drsquoexpliciter leurs approches theacuteorique et empirique leurs meacutethodes et terrains Pour caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur ils font ensuite un eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance et en recensent les principales pratiques en distinguant les plus novatrices dont celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Ils considegraverent que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens plutocirct qursquoils ne les supplantent

Le troisiegraveme article est proposeacute par Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart et Estelle Midler Il deacutecrit les reacutesultats drsquoune eacutevaluation de la mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo (MAEC SHP) dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes Cette MAEC vise le maintien de pratiques preacuteservant la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Le travail reacutealiseacute avait deux objectifs eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments publics puis construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Pour restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante cet article commence par preacutesenter le dispositif eacutevaluatif et les meacutethodes utiliseacutees puis il deacutetaille les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes avant de terminer par une description des reacutesultats atteints en particulier en matiegravere de contribution au revenu des eacuteleveurs

Une dizaine de notes de lecture complegravete ce numeacutero Parmi les ouvrages mis en lumiegravere celui drsquoAntoine de Baecque particuliegraverement inteacuteressant raconte lrsquohistoire de la creacuteation et du deacuteveloppement des restaurants en France entre 1760 et 1900 De son cocircteacute Alain Paveacute propose un livre tregraves didactique sur les enjeux lieacutes agrave la biodiversiteacute en veillant agrave distinguer les problegravemes identifieacutes par la science des ideacutees fausses veacutehiculeacutees par lrsquoopinion publique Signalons enfin la reacuteeacutedition en version de poche du beau reacutecit drsquoAnne Vallaeys faisant revivre les chemins de la laquo grande transhumance raquo entre Arles (plaine de Crau) et Laverq (haute Ubaye)

Vous trouverez en troisiegraveme de couverture les recommandations aux auteurs et des consignes de preacutesentation des articles Nrsquoheacutesitez pas agrave nous soumettre vos manuscrits ou agrave nous contacter pour proposer vos ideacutees drsquoarticles

Nous vous souhaitons une bonne lecture

Bruno HeacuteraultReacutedacteur en chef

Chef du Centre drsquoeacutetudes et de prospectivebrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 5

Sommaire

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique 7Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole 43Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes 89 Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

Notes de lecture 117

Abstracts and Key Words 129

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus 131

6 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 7

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Reacutesumeacute

Les sources drsquoinformation qui renseignent sur les comportements alimentaires (consommation apparente panels de distributeurs et de consommateurs enquecirctes de suivi des achats enquecirctes drsquoopinion eacutetudes qualitatives etc) apportent souvent de preacutecieux et fidegraveles reacutesultats Neacuteanmoins elles souffrent aussi de biais creacuteant parfois des deacutecalages entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels Ce problegraveme qui nrsquoest pas propre agrave lrsquoalimentation est lieacute aux caracteacuteristiques des reacutepondants (deacutefaut de meacutemoire rationaliteacute imparfaite sentiments repreacutesentations mentales et croyances attitudes psychiques etc) et aux contextes de leurs reacuteponses (lieu moment situation sociale etc) Il est lieacute eacutegalement aux deacutemarches et meacutethodes utiliseacutees pour recueillir les informations (questionnaire entretien carnet de consommation eacutechelle drsquoattitudes techniques essentiellement deacuteclaratives eacutechantillonnage etc) et agrave leurs modaliteacutes ulteacuterieures de traitement Conscients de ces problegravemes et de leurs impacts potentiels sur le pilotage de lrsquoaction publique le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation FranceAgriMer et lrsquoADEME ont souhaiteacute commander une eacutetude sur ce sujet Reacutealiseacutee par le consortium constitueacute du CREacuteDOC de Nutri Psy Consult de Proteacuteines et de Deloitte Deacuteveloppement Durable elle a consisteacute en une revue de litteacuterature suivie de trois eacutetudes de cas5 Ces derniegraveres consistent agrave identifier les omissions (aliments et boissons) associeacutees aux deacuteclarations des consommations par la meacutethode des carnets agrave mesurer lrsquoeffet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires et enfin agrave eacutevaluer les eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat6

Mots cleacutes

Comportements alimentaires attitudes croyances consommation information meacutethodes drsquoenquecirctes biais deacuteclaratif

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC) 142 rue du Chevaleret 75013 Paris 2 Nutri Psy Consult 91 rue de la Santeacute 75013 Paris3 ProteacuteinesXTC 92 rue Reacuteaumur 75002 Paris 4 Deloitte Deacuteveloppement Durable 6 place de la Pyramide 92908 Paris-La Deacutefense Cedex5 CREacuteDOC Nutri Psy Consult Proteacuteines Deloitte Deacuteveloppement Durable 2020 Comportements alimentaires deacuteclareacutes versus reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique httpsagriculturegouvfretude-comportements-alimentaires-declares-versus-reels-mesurer-et-comprendre-les-ecarts-pour6 Nous tenons agrave remercier Julia Gassie et Bruno Heacuterault du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour leurs relectures successives de cet article et leurs contributions importantes agrave lrsquoeacutelaboration de sa version finale

Gabriel Tavoularis1 Pascale Heacutebel1 France Bellisle2 Serge Michels3 et Aude Le Rhun4

8 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion etc est drsquoimportance pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics Diverses tendances et changements drsquoattitudes marquent aujourdrsquohui ces pratiques alimentaires et renouvellent donc les questionnements sur le suivi et la connaissance de ces eacutevolutions Dans ce contexte il est indispensable de srsquointeacuteresser aux informations et donneacutees sur lrsquoalimentation des Franccedilais De nombreuses sources existent de diverses natures produites par diffeacuterents organismes et gracircce agrave des meacutethodes varieacutees

La connaissance des conduites alimentaires quotidiennes fait face agrave plusieurs difficulteacutes les comportements individuels sont influenceacutes par une diversiteacute de facteurs (biologiques sociaux eacuteconomiques environnementaux psychiques etc) De plus deacutecrire fidegravelement son comportement peut ecirctre difficile pour un individu par exemple agrave cause de la laquo rationaliteacute imparfaite raquo deacutecrite depuis longtemps par Herbert Simon (1957) Les meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees souvent appuyeacutees sur du deacuteclaratif preacutesentent elles-mecircmes diverses limites De ce fait des deacutecalages sont possibles entre les informations dont on dispose sur les comportements alimentaires deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

Les enquecirctes quantitatives et qualitatives qui interrogent les mangeurs apportent de preacutecieuses et fidegraveles informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent de plusieurs biais meacutethodologiques qui amegravenent certains consommateurs agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas reacuteellement en quantiteacute et en qualiteacute ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Identifieacutes dans la litteacuterature (en eacutepideacutemiologie sociologie psychologie psychologie sociale eacuteconomie anthropologie) certains de ces biais concernent la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations On citera notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation tous bien documenteacutes dans la litteacuterature

De tels eacutecarts posent question degraves lors qursquoil srsquoagit de comprendre et utiliser les reacutesultats de ces enquecirctes Crsquoest en particulier le cas quand les donneacutees sur les comportements alimentaires sont utiliseacutees pour eacutelaborer suivre eacutevaluer des deacutecisions strateacutegies ou interventions publiques

Dans ce contexte le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation lrsquoADEME et FranceAgriMer ont commandeacute une eacutetude pour mieux deacutecrire ces deacutecalages les mesurer et les expliquer en mobilisant les savoirs des sciences eacuteconomiques et sociales Le travail eacutetait volontairement centreacute sur les consommations individuelles et familiales Il a eacuteteacute reacutealiseacute par un consortium de quatre prestataires le Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC apportant une expertise en eacutetudes et analyses sociologiques et eacuteconomiques des comportements de consommation) Nutri Psy Consult (expertise sur le comportement alimentaire humain) Proteacuteines (expertise sur les enjeux de communication et de santeacute autour de lrsquoalimentation) et Deloitte Deacuteveloppement Durable (expertise en matiegravere drsquoeacutevaluations environnementales et drsquoeacuteconomie circulaire)

La deacutemarche drsquoeacutetude a comporteacute trois phases principales Drsquoabord en srsquoappuyant sur une revue de la litteacuterature ainsi que sur six entretiens7 avec des producteurs et utilisateurs de donneacutees

7 Les entretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec Jeacuterocircme Accardo (Insee) Pierre Combris (Inra) Carine Dubuisson (Anses) Emmanuelle Kesse-Guyot (Inra) Marie Plessz (Inra) Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Luc Volatier (Anses)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 9

sur lrsquoalimentation en France une analyse a eacuteteacute reacutealiseacutee des types de deacutecalages de leurs sources et de leurs causes et des correctifs possibles En second lieu trois eacutetudes de cas ont permis de quantifier et expliquer certains deacutecalages observeacutes en mettant en œuvre des meacutethodes varieacutees (observation par cameacutera mesure des freacutequentations des reacuteseaux sociaux etc) Enfin des preacuteconisations ont eacuteteacute formuleacutees agrave destination des commanditaires de lrsquoeacutetude

La premiegravere partie de cet article est consacreacutee aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et traitant des conditions de reacutealisation des enquecirctes sur les comportements alimentaires leurs objectifs leurs meacutethodologies leurs atouts et limites sont abordeacutes La deuxiegraveme partie preacutesente les points saillants de la litteacuterature scientifique consacreacutee aux deacutecalages entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels en distinguant les eacutecarts lieacutes aux reacutepondants de ceux lieacutes aux meacutethodes de collecte La troisiegraveme partie expose les trois eacutetudes de cas qui ont permis drsquoapprofondir la quantification et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes Enfin la quatriegraveme partie propose quelques pistes meacutethodologiques pour compleacuteter le travail reacutealiseacute et preacutesente des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale sur lrsquoameacutelioration des capaciteacutes drsquoanalyse des comportements alimentaires

1 Les diffeacuterentes sources drsquoinformations sur les comportements alimentaires

De nombreux travaux ont pour objectifs la compreacutehension et la mesure des comportements alimentaires En interpreacuteter le plus justement possible les reacutesultats neacutecessite de srsquointeacuteresser aux meacutethodes drsquoacquisition de lrsquoinformation (collecte active ou passive administration par un enquecircteur ou auto-administration etc) et aux objectifs attendus quels pheacutenomegravenes les enquecirctes permettent-elles de mesurer Srsquoagit-il drsquoopinions drsquoattitudes de comportements deacuteclareacutes de comportements reacuteels etc

Les consommations alimentaires sont approcheacutees de plusieurs maniegraveres en fonction du niveau de preuves attendu et de lrsquoeacutechelle eacutetudieacutee eacutetudes in vitro de biomarqueurs doseacutes agrave partir de preacutelegravevements sur des mangeurs (tests en tube en-dehors de lrsquoorganisme vivant) observationnelles (eacutecologiques transversales cas teacutemoins cohortes) expeacuterimentales (essai controcircleacute randomiseacute meacuteta-analyse drsquoessais controcircleacutes randomiseacutes) enquecirctes statistiques etc En France de nombreuses sources drsquoinformations de diffeacuterentes natures sont disponibles sur la consommation alimentaire (tableau 1) donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques (ex balance des imports et exports) donneacutees exhaustives ou compileacutees sur les achats (ex panels de distributeurs) donneacutees de mesure par sondage des ingestions ou des achats (ex releveacutes de consommations individuelles comptabiliteacute des meacutenages) donneacutees de mesure de lrsquoopinion et de sources meacutediatiques (ex baromegravetres drsquoopinion)

Chacune de ces meacutethodes est susceptible de comporter ou drsquoengendrer des biais lesquels peuvent ecirctre ou non corrigeacutes Il en deacutecoule des deacutecalages entre la mesure drsquoun pheacutenomegravene et le pheacutenomegravene en question De nombreux travaux scientifiques les ont eacutetudieacutes Ainsi les sources drsquoinformation identifieacutees dans le tableau 1 peuvent comporter diffeacuterents biais qui seront abordeacutes dans la suite de lrsquoarticle

10 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

B Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesure des comportements reacuteels achatsProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

IRI Panel distributeur IRI Panel de distributeurs sur les FMCG8

Achats en grande distribution

Donneacutees mensuelles sur les achats excluant de fait la restauration collective et commerciale

Nielsen Panel distributeur NIELSEN

Panel de distributeurs sur les FMCG

Achats en grande distribution

Chaque enseigne (ex CASINO)

Ventes dans le circuit CASINO (RelevanC) Ventes reacuteelles journaliegraveres

Achats dans lrsquoensemble des enseignes du groupe

C Donneacutees de mesure (par sondage) des comportements reacuteels ingestion ou achatProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

ANSES Enquecircte INCA (1999 2006 2015)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentativeAlimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

INSEE Budget des famillesComptabiliteacute des meacutenages (deacutepenses et ressources des meacutenages)

Population repreacutesentative des foyers

Donneacutees meacutenages et pas individuelles peu preacutecises agrave un niveau laquo fin raquo drsquoanalyse

Multifinancement public NUTRINET-SanteacuteReleveacutes des consommations individuelles

Personnes volontaires Enquecircte non repreacutesentative

CREacuteDOC Enquecircte CCAF (2003 2007 2010 2016 2019)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentative Alimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

Gira FoodService Enquecirctes RHF Marcheacute de la restauration

Restauration hors domicile Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTARPanel de consommateurs acheteurs

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTAR - eKommercePanel de consommateurs acheteurs e-commerce

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

D Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias (et non de comportements reacuteels)Producteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Instituts drsquoeacutetude de sondage etc(BVA CREacuteDOC CSA IPSOS KANTAR OBSOCO OPINION WAY HARRIS INTERACTIVE IPSOS etc) baromegravetres drsquoopinion

Enquecirctes et baromegravetres drsquoopinion sur les attitudes des consommateurs CAF baromegravetre de lrsquoAgence bio eacutetude Greenflex sur la consommation responsable etc

Eacutetudes et connaissance des consommateurs shoppers

Souvent France entiegravere population repreacutesentative

Preacutecautions dans lrsquoutilisation de plus en plus freacutequente des enquecirctes en ligne (fort biais de couverture avec des biais drsquoapprentissage redressement impeacuteratif sur le diplocircme car forte sous-repreacutesentation des non-diplocircmeacutes)

Plutocirct des donneacutees drsquoat t i tudes que de comportements reacuteels inteacuterecirct limiteacute pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

Reacuteseaux sociaux Twitter Instagram Facebook etcUtilisation de tracker type talkwalker

Socionautes preacutesents et laquo actifs raquo sur les reacuteseaux sociaux

Impacts tregraves faibles sur les comportements reacuteels peu drsquointeacuterecirct pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

8 FMCG (fast-moving consumer goods) sigle deacutesignant les biens de grande consommation

Lecture les sources de donneacutees priveacutees sont souligneacutees dans la premiegravere colonneSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 77-81

Tableau 1 - Principales sources drsquoinformation sur les comportements alimentaires

A Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques donneacutees nationales de contexte geacuteneacuteralProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Douanes Balanceimports-exports

Statistiques du commerce exteacuterieur France entiegravere Donneacutees eacuteconomiques de cadrage  ne

permettent pas drsquoanalyser des comportements reacuteels de consommation alimentaire INSEE Comptes de la Nation Mesure des flux moneacutetaires

repreacutesentatifs de lrsquoeacuteconomieFrance entiegravere

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 11

Cette premiegravere analyse des sources drsquoinformations sur les consommations et comportements alimentaires fait apparaicirctre une diversiteacute de meacutethodes utiliseacutees drsquoougrave la neacutecessiteacute de connaicirctre les speacutecificiteacutes atouts et limites de chacune La partie 2 va ainsi preacuteciser les connaissances actuellement disponibles dans la litteacuterature sur les deacutecalages entre deacuteclarations et reacutealiteacutes des pratiques alimentaires

2 Types de deacutecalages sources et causes

Cette partie baseacutee sur une synthegravese de la litteacuterature existante deacutecrit deux types de deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle Le premier est lieacute aux reacutepondants (21) le deuxiegraveme deacutepend des meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees (22)

21 Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants

Drsquoapregraves la litteacuterature scientifique passeacutee en revue ces deacutecalages lieacutes aux reacutepondants prennent geacuteneacuteralement deux formes Ils peuvent drsquoabord ecirctre lieacutes aux conditions de collecte des donneacutees ou deuxiegravemement deacutecouler de lrsquoattitude-behaviour gap (ou deacutecalage entre opinion et comportement) en particulier dans le cas des enquecirctes drsquoopinion

Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants dans la collecte de donneacutees

Dans les enquecirctes avec eacutechantillons repreacutesentatifs drsquoune population le niveau de participation des personnes solliciteacutees est un eacuteleacutement crucial Les taux de non-reacuteponse importants sont susceptibles de creacuteer un biais de seacutelection ou de recrutement dans les reacutesultats et les conclusions (Dubuisson 2018) surtout quand ces taux varient en fonction de critegraveres socio-eacuteconomiques ou individuels comme la corpulence le sexe ou le niveau drsquoeacuteducation Ce problegraveme se pose drsquoautant plus pour les enquecirctes sur volontaires ou les panels de consommation qui recrutent des profils speacutecifiques de reacutepondants dont les caracteacuteristiques deacutevient largement de la population geacuteneacuterale Par exemple lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude longitudinale NutriNet et dans une moindre mesure celui de lrsquoeacutetude INCA 3 comptent une proportion de femmes et de personnes diplocircmeacutees plus eacuteleveacutee que dans la population franccedilaise On sait eacutegalement que les femmes sont plus preacuteoccupeacutees que les hommes par les questions de santeacute et de bien-ecirctre (Fournier 2013) de mecircme que par lrsquoeacutecologie et le deacuteveloppement durable (Zuinen 2002) On peut donc faire lrsquohypothegravese que celles qui se portent volontaires pour participer agrave des eacutetudes concernant lrsquoalimentation et la santeacute (comme NutriNet) le soient encore davantage

Dans le cas des panels de consommateurs des biais de par ticipation et drsquoapprentissage peuvent modifier la maniegravere de renseigner ses achats certains reacutepondants (eacutegalement appeleacutes laquo paneacutelistes raquo) deviennent progressivement experts sur certains aspects de lrsquoobjet eacutetudieacute ndash les prix par exemple (Lusk et Brooks 2011) ndash distordant une fois de plus un eacutechantillon jugeacute laquo repreacutesentatif raquo au deacutepart Pour les enquecirctes alimentaires le fait de remplir de faccedilon reacutepeacuteteacutee un questionnaire peut aussi modifier sensiblement la maniegravere de reacutepondre avec par exemple une sous-deacuteclaration par effet de lassitude

12 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Toutes les enquecirctes qui interrogent directement les individus (dites laquo deacuteclaratives raquo) sont eacutegalement soumises agrave un biais drsquoobservation les participants peuvent ecirctre ameneacutes avec plus ou moins drsquointensiteacute agrave modifier leurs comportements alimentaires lorsqursquoils se savent observeacutes Par exemple un individu obegravese qui deacuteclare un nombre eacuteleveacute de consommations drsquoaliments ou de boissons hors repas pourra prendre conscience de ses excegraves par rapport aux recommandations nutritionnelles Il lui arrivera ainsi drsquoomettre par la suite certaines deacuteclarations de produits ou eacuteventuellement de modifier son comportement alimentaire durant la peacuteriode ougrave il est interrogeacute de sorte que sa consommation corresponde davantage agrave la norme dominante Ce mecircme biais drsquoobservation qui fait manger moins ou diffeacuteremment quand on se sait observeacute paraicirct affecter plus les femmes que les hommes (Stubbs 2014)

Il existe enfin des biais drsquoestimation (portions freacutequences) mecircme en se servant de photographies illustrant certains formats il est difficile drsquoestimer preacuteciseacutement la taille des portions des produits que lrsquoon consomme avec le plus souvent une sous-estimation Il en va de mecircme quand il srsquoagit drsquoappreacutecier la freacutequence drsquoun comportement inhabituel les faibles freacutequences tendant agrave ecirctre surestimeacutees

Deacutecalages opinion-comportement (attitude-behaviour gap)

Lrsquoattitude-behaviour gap deacutesigne lrsquoeacutecart entre des opinions et des comportements (Vermeir et Verbeke 2006) Ce deacutecalage est potentiellement plus important que celui eacutetudieacute preacuteceacutedemment entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels

Le laquo consommateur moyen franccedilais raquo contemporain est tregraves informeacute Il dispose drsquoun pouvoir drsquoachat important et a accegraves agrave une offre alimentaire varieacutee Il lui arrive aussi drsquoecirctre sondeacute pour connaicirctre ses attitudes et ses comportements Il exprime alors volontiers son inteacuterecirct pour la consommation durable les produits issus de lrsquoagriculture biologique la protection de lrsquoenvironnement le bien-ecirctre des animaux ou encore la protection des droits des consommateurs et lrsquoameacutelioration des conditions de vie des producteurs

Plusieurs exemples illustrent ce point Le site de lrsquoinstitut IPSOS Global Trends indique que 69 des Franccedilais souhaitent acheter local qursquoils se deacuteclarent precircts (agrave 53 ) agrave payer plus cher des produits laquo verts raquo que 51 sont drsquoaccord pour sacrifier les aspects pratiques en faveur de produits meilleurs pour la santeacute et que 33 donnent la prioriteacute aux produits biologiques De mecircme lrsquoAgence franccedilaise pour le deacuteveloppement et la promotion de lrsquoagriculture biologique (Agence Bio) a mis en place un baromegravetre depuis 2003 afin laquo drsquoobserver anneacutee apregraves anneacutee lrsquoeacutevolution des attitudes ainsi que les lieux drsquoachats  raquo en interrogeant un eacutechantillon repreacutesentatif de la population La derniegravere eacutedition nous apprend que 85 des personnes interrogeacutees estiment important de deacutevelopper lrsquoagriculture biologique que 82 font confiance aux produits biologiques que 26 ont lrsquointention drsquoaugmenter leur consommation de ces produits alors que 16 en consomment deacutejagrave tous les jours et les trois quarts au moins une fois par mois (Agence Bio 2019) Enfin dernier exemple une enquecircte de lrsquoIFOP sur un eacutechantillon repreacutesentatif de 1 001 adultes confirme que 79 des enquecircteacutes attribuent un effet positif agrave la viande bio sur le bien-ecirctre animal et 77 des beacuteneacutefices pour lrsquoenvironnement et la santeacute Alors que 71 des interrogeacutes de cet eacutechantillon deacuteclarent consommer de la viande bio agrave lrsquooccasion 48 nrsquoen consomment que rarement et 26 souhaitent augmenter leur consommation Toutes ces enquecirctes montrent lrsquointeacuterecirct porteacute par les Franccedilais aux questions alimentaires mais aussi la diversiteacute des opinions qursquoils sont ameneacutes agrave formuler

Ces enquecirctes ont le meacuterite drsquoecirctre reacutealiseacutees sur des eacutechantillons repreacutesentatifs de la population nationale Elles comportent simultaneacutement ou seacutepareacutement des questions

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 13

eacutevaluant des attitudes et des questions portant sur des freacutequences de consommation Des eacutetudes non-repreacutesentatives sont eacutegalement disponibles elles recrutent alors exclusivement des consommateurs concerneacutes par les pratiques eacutetudieacutees (ex eacutetude conjointe OpinionWaySenseva 2016 sur les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation biologique)

Le creacutedit que lrsquoon peut accorder aux deacuteclarations faites lors drsquoenquecirctes drsquoopinion a eacuteteacute lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes qui ont geacuteneacuteralement observeacute une faible correacutelation entre opinions deacuteclareacutees et consommations reacuteelles Crsquoest par exemple le cas de travaux ayant eacutetudieacute les liens entre les achats des consommateurs et leurs preacuteoccupations eacutethiques production durable soucieuse de lrsquoenvironnement protection des personnes employeacutees   rejet de lrsquoexpeacuterimentation animale pour la mise au point des produits etc (Carrigan et Attalla 2001 Devinney et al 2010 Caruana et al 2016)

Diffeacuterents facteurs contribuent agrave ces types de deacutecalages Le premier consiste en des freins physiques comme la disponibiliteacute des produits Lrsquoemplacement geacuteographique du lieu drsquoacquisition des produits le deacutecor lrsquoenvironnement sonore lrsquoeacuteclairage et tout autre eacuteleacutement physique au moment de lrsquoachat affectent les deacutecisions des consommateurs (Lombardot et Mugel 2015) Souvent les produits issus de lrsquoagriculture biologique de modes de production durables ou eacutethiques sont plus chers que les produits courants Seuls les consommateurs disposant drsquoun fort pouvoir drsquoachat pourraient alors mettre lrsquoensemble de leurs achats en conformiteacute avec les opinions qursquoils ont pu deacuteclarer lors drsquoenquecirctes De plus la disponibiliteacute de ces produits peut ecirctre plus restreinte dans certains magasins et le temps manquer non seulement pour les achats mais pour sortir des comportements routiniers (ex apprendre agrave cuisiner agrave partir drsquoaliments de base plutocirct que de consommer du precirct-agrave-manger) Il est eacutegalement possible que lrsquoinformation neacutecessaire pour guider les choix soit insuffisante ou bien trop complexe (ex contenus nutritionnels sur les emballages) voire que lrsquoaccegraves agrave cette information soit trop chronophage Agrave lrsquoinverse la sur-information parfois cacophonique agrave laquelle les consommateurs sont exposeacutes et la difficulteacute pour en extraire un sens sont drsquoautres facteurs potentiels contribuant agrave ce deacutecalage Enfin il arrive que lrsquoenvironnement social freine la mise en application des opinions par exemple le souhait de consommer laquo bio  raquo ou laquo durable raquo ou laquo sans sucre raquo ou celui de suivre les recommandations nutritionnelles peuvent se heurter aux goucircts et attentes des autres personnes preacutesentes au moment de lrsquoachat ou de lrsquoingestion agrave leurs influences et aux interactions interpersonnelles (Lombardot et Mugel 2015)

Des freins drsquoordre psychologique peuvent aussi jouer le locus of control externe crsquoest-agrave-dire lrsquoattribution des ressorts de lrsquoaction efficace agrave des facteurs exteacuterieurs agrave soi la tendance agrave la procrastination le deacuteni de lrsquoimportance de certains choix ou encore la meacutefiance envers les alleacutegations des producteurs (laquo bio raquo laquo durable raquo laquo eacutethique raquo) contribuent agrave retarder ou agrave empecirccher les changements de comportements (Lombardot et Mugel 2015   Thorslund et Lassen 2016)

Enfin une troisiegraveme source de deacutecalages reacuteside dans lrsquoeacutetat immeacutediat de la personne au moment de la consommation (fatigue eacutenervement irritation) ce qui favorise des comportements routiniers plutocirct que les investissements de temps et drsquoeacutenergie neacutecessaires agrave la mise en œuvre des intentions (Lombardot et Mugel 2015)

La consommation durable est un domaine tout particuliegraverement inteacuteressant en la matiegravere Une eacutetude reacutecente a regardeacute dans les travaux scientifiques deacutedieacutes agrave ce sujet comment le deacutecalage entre attitude et comportement se manifeste (Terlau et Hirsch 2015) Bien qursquoune proportion croissante de consommateurs se deacuteclare favorable agrave la consommation durable cela ne repreacutesente qursquoune faible part du marcheacute Ainsi en France Greenindex (2012 enquecircte eacutetudieacutee par Terlau et Hirsch) rapporte que 63 des consommateurs enquecircteacutes

14 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

deacuteclarent un inteacuterecirct pour la consommation durable alors que 31 seulement achegravetent des produits laquo verts raquo Ce deacutecalage reacutesulte de freins agrave lrsquoachat de produits issus de modes de production durables Le plus important de ces freins selon Terlau et Hirsch est le prix plus eacuteleveacute de ces produits Drsquoautres freins sont identifieacutes beacuteneacutefice jugeacute insuffisant aspect goucirct neacutecessiteacute de diversifier les lieux drsquoachat information non disponible etc

22 Deacutecalages lieacutes aux meacutethodes drsquoacquisition des informations

La validiteacute des meacutethodes drsquoenquecircte faisant intervenir la meacutemoire des reacutepondants est fortement contesteacutee depuis quelques anneacutees dans la litteacuterature scientifique internationale En 2014 un groupe de chercheurs publiait un article critique concluant que les donneacutees obtenues par auto-deacuteclaration sont si contestables qursquoil faut cesser de les utiliser pour bacirctir des politiques publiques (Dhurandhar et al 2015)

La critique des donneacutees drsquoenquecirctes nutritionnelles (qui sont des enquecirctes transversales) fait souvent reacutefeacuterence agrave la pyramide des niveaux de preuve scientifique (Lucas et Harris 2018) Cette pyramide est freacutequemment mobiliseacutee avec quelques variantes dans la litteacuterature scientifique Elle rappelle que les enquecirctes transversales si soigneacutees et compeacutetentes soient-elles occupent un niveau intermeacutediaire entre les eacutetudes animales ou in vitro et les eacutetudes randomiseacutees controcircleacutees (ERC) Les eacutetudes de cohortes repreacutesentent un niveau plus eacuteleveacute de scientificiteacute que les eacutetudes transversales Cependant les relations causales entre facteurs au-delagrave des correacutelations identifieacutees par les eacutetudes drsquoobservation ne peuvent ecirctre deacutemontreacutees que par des ERC

Les eacutecarts deacuteclaratifreacuteel et les critiques adresseacutees aux meacutethodologies drsquoenquecirctes reposent sur plusieurs constatations

- Les meacutethodologies fondeacutees sur la meacutemoire souffrent des limites mecircmes des processus mneacutesiques (Archer et al 2015 2018) Les questionnaires ne mesurent pas les comportements de consommation mais collectent des souvenirs des perceptions qui y sont associeacutees rien ne confirmant que celles-ci soient fidegraveles agrave la reacutealiteacute Bien au contraire il est eacutetabli que la meacutemoire humaine est ni exacte ni preacutecise Elle amalgame des processus constructifs et reconstructifs (dont lrsquoimagination) elle laquo oublie raquo et mecircme laquo invente raquo agrave lrsquooccasion Les omissions sont donc possibles de mecircme que des intrusions parmi les consommations reacuteellement effectueacutees Cette limite nrsquoest pas speacutecifique aux comportements alimentaires lrsquoeacutetude des auto-deacuteclarations dans divers domaines (santeacute communications justice etc) et disciplines (eacuteconomie anthropologie psychologie etc) suggegravere que la moitieacute de ces deacuteclarations sont probablement incorrectes (Bernard et al 1984) Les meacutethodes utiliseacutees pour obtenir les deacuteclarations sont du mecircme ordre que celles qui induisent de laquo faux souvenirs raquo (Archer et al 2015 Bernstein et Loftus 2009) Les questionnaires de freacutequence de consommation (FFQ) sont tregraves proches du paradigme Deese-Roediger-McDermott (DRM) qui suscite de nombreuses erreurs (plus de 75 ) dans le rappel de mots faisant partie drsquoune liste agrave meacutemoriser Dans ce paradigme DRM les reacutepondants sont plus certains des termes rappeleacutes par erreur que des mots reacuteellement inclus dans la liste (Deese 1959 Roediger et McDermott 1995 Gallo 2010) Une eacutetude deacutejagrave ancienne de psychologie sociale avait montreacute agrave la sortie drsquoun restaurant que des personnes intervieweacutees pouvaient deacutecrire la tenue du personnel masculin et la musique drsquoambiance alors que lrsquoeacutetablissement nrsquoavait ni personnel masculin ni musique drsquoambiance (Kronenfeld et al 1972 Bernard et al 1984)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 15

- Outre lrsquooubli les reacutepondants peuvent aussi mentir ou mecircme changer leurs comportements habituels lorsqursquoils doivent les deacuteclarer (Macdiarmid et Blundell 1997) Par exemple 31 des participants agrave une enquecircte alimentaire ont reconnu avoir mangeacute moins gras pendant lrsquoeacutetude et 43 avoir consommeacute davantage de fruits et leacutegumes Il srsquoagit ici drsquoune modification intentionnelle des consommations dont les effets srsquoajoutent agrave la difficulteacute intrinsegraveque de la tacircche (Mela et Aaron 1997) On peut noter que ces deacuteclarations qui concernent les changements de comportements pendant les eacutetudes reposent aussi sur la meacutemoire et sont sans doute affecteacutees par la mecircme tendance agrave la sous-deacuteclaration que celles qui concernent les ingestions elles-mecircmes Si tel est le cas la distorsion des ingestions deacuteclareacutees par rapport aux consommations reacuteelles est encore plus importante

- Les questionnaires alimentaires sont en geacuteneacuteral fastidieux agrave remplir Ils sont parfois complexes et demandent du temps Ils exigent une motivation soutenue de la part des enquecircteacutes parfois pendant plusieurs jours Lrsquoennui ou la difficulteacute peuvent contribuer agrave deacuteteacuteriorer la qualiteacute de la deacuteclaration (Scagliusi et al 2003 Lusk et Brooks 2011) Certaines eacutetudes notent une deacuteteacuterioration de la reacuteponse au cours des rappels successifs (Freedman et al 2014) Trois rappels de 24 heures non conseacutecutifs9 produisent des deacuteclarations plus complegravetes que le releveacute de 7 jours conseacutecutifs ce qui est attribueacute agrave la perte de motivation qui se deacuteveloppe apregraves plusieurs jours

- Les deacuteclarations sont tregraves influenceacutees par lrsquoinstrument et le protocole drsquoenquecircte par leurs formats formulations et contextes (Schwartz 1999) Il est bien montreacute que diffeacuterentes meacutethodes comme le rappel de 24 heures le releveacute alimentaire drsquoune semaine et les questionnaires de freacutequences de consommations donnent des deacuteclarations diffeacuterentes y compris chez le mecircme individu (Freedman et al 2014) Les hommes normo-pondeacuteraux sous-deacuteclarent leurs apports de 12 agrave 14 en utilisant des rappels de 24 heures et de 31 agrave 36 avec des questionnaires de freacutequences (id) Des recherches portant sur les meacutecanismes cognitifs et les processus de communication entre enquecircteurs et enquecircteacutes (Schwartz 1999) ont deacutemontreacute que des changements en apparence mineurs (ordre des questions questions ouvertes ou fermeacutees options de reacuteponse proposeacutees eacutechelles de rappel journeacuteeanneacutee identiteacute et motivations supposeacutees de la source de lrsquoenquecircte) peuvent conduire agrave de grandes dispariteacutes des reacuteponses Il est eacutegalement important de srsquoassurer que le questionnaire est bien compris par les enquecircteacutes Bessiegravere et al (1997) font ainsi eacutetat des malentendus qui peuvent disqualifier une eacutetude Si certaines questions se precirctent facilement aux traitements quantitatifs (eacutetat civil par exemple) drsquoautres sont susceptibles drsquointerpreacutetations infinies Par exemple qursquoest-ce que laquo souvent raquo ou qursquoest-ce qursquoune laquo grande portion raquo (Heacuteran 1984)

- La personnaliteacute de lrsquoenquecircteur peut modifier les reacuteponses des enquecircteacutes Les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves de populations noires aux Eacutetats-Unis sont plus fiables si les enquecircteurs sont noirs Dans les enquecirctes Insee les reacuteponses sont plus rigoureuses si elles sont obtenues aupregraves de femmes qursquoaupregraves de militaires agrave la retraite (entretien avec Marie Plessz) Dans certains cas lrsquoenregistrement direct sur ordinateur permet une plus grande sinceacuteriteacute des reacuteponses en particulier quand lrsquoinformation demandeacutee concerne un sujet sensible

- Les enquecirctes drsquoopinion utilisent des questionnaires trop geacuteneacuteraux et deacutetacheacutes du contexte de consommation pour vraiment fournir une information utile sur les comportements drsquoachat ou de consommation (Devinney et al 2010) Des eacutechelles simples portant sur le degreacute drsquoadheacutesion agrave certaines propositions (eacutechelles en cinq degreacutes de type Likert par exemple) tendent agrave sur-eacutevaluer lrsquoimportance de cette adheacutesion Certains auteurs ont ainsi pu parler du laquo mythe raquo du consommateur eacutethique (Devinney et al 2010 Carrigan et

9 Un rappel de 24 heures consiste agrave demander (par entretien teacuteleacutephonique) agrave lrsquoindividu lrsquoensemble de ses prises alimentaires du jour preacuteceacutedent

16 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Attalla 2001) en faisant remarquer que les preacuteoccupations pour lrsquoeacutethique deacuteclareacutees dans les enquecirctes drsquoopinions srsquoarrecirctent au moment de passer agrave la caisse Les eacutetudes de consentement agrave payer utilisant des proceacutedures de choix forceacutes dans des conditions controcircleacutees montrent que les consommateurs ne sont pas disposeacutes agrave sacrifier la qualiteacute en faveur de produits socialement acceptables (Devinney et al 2010) Les deacutecalages entre opinions et pratiques ne sont pas reacuteserveacutes agrave lrsquoalimentation et sont bien deacutecrits dans divers domaines dont la pratique culturelle (Peacutequignot 2011) la lecture (Donnat 2009) ou encore les opinions politiques et le vote (Braconnier 2010)

- Les instruments des enquecirctes alimentaires ne considegraverent et deacutefinissent souvent que certains moments de consommation au cours de la journeacutee (petit-deacutejeuner deacutejeuner goucircter etc) Or certains comportements nrsquoentrent pas dans ce cadre par exemple le grignotage est un acte drsquoingestion impliquant tregraves peu drsquoattention et pouvant se reacutepeacuteter sur plusieurs heures Il est donc difficile drsquoen rendre compte dans le cadre des cateacutegories preacute-deacutefinies drsquooccasions alimentaires

- Le biais dit de laquo mindless consumption raquo (consommation automatique sans y precircter attention) a eacuteteacute eacutetabli par des eacutetudes quantitatives Il induit geacuteneacuteralement une sous-deacuteclaration drsquoautant plus importante que les aliments concerneacutes sont faciles drsquoaccegraves (Wansink et Sobal 2007)

- Les meacutethodes drsquoenquecircte sont speacutecifiques drsquoun domaine de recherche et il faut donc eacuteviter les geacuteneacuteralisations abusives Par exemple des donneacutees concernant le budget des familles ne sont adapteacutees ni agrave lrsquoeacutetude des consommations individuelles ni aux questions nutritionnelles

- Trop souvent la validation drsquoune meacutethode drsquoenquecircte sur lrsquoalimentation se fait par correacutelation avec drsquoautres meacutethodes souffrant de limites identiques (Block 1982 Masson et al 2003) Si les sources de distorsion sont les mecircmes drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre leur correacutelation suggegravere une fausse validiteacute Seule la comparaison avec une mesure objective indeacutependante de la consommation (deacutepense eacutenergeacutetique par exemple) pourrait constituer une validation

- Il est difficile de deacutepartager la sursous deacuteclaration apparente de la sursous deacuteclaration reacuteelle Dans certaines circonstances les apports deacuteclareacutes par un individu peuvent paraicirctre tregraves bas ou tregraves eacuteleveacutes Il est difficile de savoir si ces deacuteclarations sortant de lrsquoordinaire repreacutesentent fidegravelement la consommation reacuteelle au moment de lrsquoenquecircte ou encore srsquoil srsquoagit de sur- ou de sous-deacuteclarations

- Enfin les reacuteponses obtenues lors des enquecirctes en ligne peuvent ecirctre diffeacuterentes de celles formuleacutees en face agrave face Lrsquoanonymat de lrsquoenquecircte en ligne peut donner lieu agrave plus de sinceacuteriteacute ceci est probablement vrai eacutegalement dans le cas preacutecis de lrsquoalimentation Les enquecirctes en ligne ne preacutesentent toutefois pas de difficulteacute particuliegravere degraves lors que la phase de validation a montreacute une concordance entre les reacuteponses obtenues par ce moyen et les exigences du protocole

Cette analyse de la litteacuterature scientifique met en eacutevidence divers types de deacutecalages entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes et reacuteels deacutependant tant des individus solliciteacutes que des meacutethodes de collecte des informations La partie 3 va permettre avec trois eacutetudes de cas drsquoapprofondir lrsquoanalyse de ces deacutecalages dans diffeacuterentes circonstances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 17

3 Preacuteciser la mesure et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes trois eacutetudes de cas

Trois eacutetudes de cas ont permis drsquoapprofondir la quantification de deacutecalages observeacutes soit sur des cateacutegories de produits soit lieacutes agrave des effets meacutethodologiques Ce travail vient prolonger et illustrer par lrsquoexpeacuterience les eacuteleacutements deacutecrits ci-dessus agrave partir de la revue de litteacuterature

La premiegravere eacutetude (31) porte sur la deacuteclaration des consommations par la meacutethode du carnet alimentaire Elle consiste agrave noter le deacutetail de ses consommations drsquoaliments et de boissons pendant une peacuteriode deacutetermineacutee (3 ou 4 jours ou 7 jours conseacutecutifs) en estimant geacuteneacuteralement les tailles de portion agrave lrsquoaide drsquoun cahier photographique Cette meacutethode permet drsquoobtenir des informations preacutecises sur les apports alimentaires et nutritionnels Lrsquoobjectif de cette premiegravere eacutetude de cas eacutetait de deacuteterminer quels aliments et boissons sont les plus omis dans le remplissage de ces carnets et agrave quelles occasions

La deuxiegraveme eacutetude (32) srsquointeacuteresse agrave la lassitude des enquecircteacutes dans les enquecirctes alimentaires INCA 2 (2006-2007) et INCA 3 (2013-2014) La sur-sollicitation des personnes enquecircteacutees pendant plusieurs jours entraicircne une fatigue et une banalisation pouvant causer une moins bonne deacuteclaration Il srsquoagissait ici drsquoeacutevaluer la sous-deacuteclaration au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte progresse en partant de lrsquohypothegravese que le premier jour de deacuteclaration est le plus fidegravele agrave la reacutealiteacute et que le dernier est celui ougrave lrsquoon observe la plus forte sous-deacuteclaration Notons que des changements de meacutethodes ont eacuteteacute introduits entre les deux eacuteditions de lrsquoenquecircte INCA (carnet alimentaire de 7 jours en 2006 versus rappels de 24 heures en 2013)

La troisiegraveme eacutetude de cas (33) srsquointeacuteresse agrave lrsquoactiviteacute des reacuteseaux sociaux et agrave ses implications sur les achats alimentaires De faccedilon exploratoire des correacutelations statistiques ont eacuteteacute rechercheacutees entre deux ensembles de donneacutees des donneacutees sur les discours meacutediatiques et les deacutebats sur les reacuteseaux sociaux et des donneacutees drsquoachat Ce sont ici agrave la fois des deacutecalages temporels (laquo effet retard raquo) et des deacutecalages entre discours et pratiques qui sont rechercheacutes Un mecircme protocole a eacuteteacute appliqueacute aux cas des produits biologiques et de la viande

31 Eacutetude de la deacuteclaration de consommations alimentaires (ingestion) par la meacutethode du carnet alimentaire

Les carnets alimentaires sont une meacutethode freacutequemment utiliseacutee pour deacuteterminer la consommation elle permet de mesurer les apports alimentaires et nutritionnels au niveau drsquoune population Elle est notamment utiliseacutee pour lrsquoenquecircte Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du CREacuteDOC Comme vu preacuteceacutedemment cette meacutethode de recueil drsquoinformation induit neacutecessairement des deacutecalages avec la consommation reacuteelle

Afin drsquoanalyser ces deacutecalages une expeacuterimentation avec des cameacuteras a eacuteteacute entreprise srsquoappuyant sur une meacutethode eacuteprouveacutee dans drsquoautres circonstances (Lahlou 1998 et 2006) Lrsquoobjectif est ici de deacuteterminer les deacutecalages entre les consommations deacuteclareacutees sur le carnet alimentaire et les consommations reacuteelles filmeacutees par une cameacutera porteacutee par les mangeurs en repeacuterant et traitant les omissions eacuteventuelles combien drsquoomissions Concernant quels types drsquoaliments ou de boissons Agrave quelles occasions de consommation Dans quelles circonstances   20 individus volontaires ont eacuteteacute eacutequipeacutes drsquoune cameacutera portative (voir photographie 1) et ont rempli en parallegravele pendant trois jours conseacutecutifs un carnet alimentaire (e-carnet identique agrave celui de lrsquoenquecircte CCAF) Lrsquohypothegravese faite eacutetait qursquoils oublieraient rapidement porter cette cameacutera (ce qui a eacuteteacute confirmeacute par la plupart des intervieweacutes) et que les images enregistreacutees permettraient de reacuteveacuteler des eacutecarts avec les informations inscrites sur les carnets alimentaires

18 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sou

rce

CR

EacuteD

OC

Photographie 1 ndash Dispositif de cameacutera portative fixeacutee sur un harnais utiliseacute pour cette expeacuterimentation

Les 20 individus ont eacuteteacute recruteacutes via Internet (socieacuteteacute Easypanel) en fonction de profils varieacutes preacutedeacutefinis agrave lrsquoavance lieu drsquohabitation en reacutegion parisienne (Paris petite couronne et grande couronne) sexe diplocircme (2 modaliteacutes au plus baccalaureacuteat au moins Bac+1) acircge (3 tranches 18-34 ans 35-54 ans 55 ans et plus) Ces personnes ont eacuteteacute reacutemuneacutereacutees Aucune exclusion a priori nrsquoa eacuteteacute envisageacutee (ex individu obegravese ou anorexique personne ayant preacutevu un eacuteveacutenement particulier lors des jours drsquoexpeacuterimentation etc)

La comparaison des e-carnets alimentaires avec les images obtenues gracircce aux cameacuteras a permis de deacuteceler des omissions etou des erreurs dans les informations deacuteclareacutees Tout drsquoabord sur les 18 participants pour lesquels les seacutequences filmeacutees eacutetaient exploitables un seul a correctement noteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires La plupart des individus ont omis drsquoenregistrer au moins un aliment ou une boisson En moyenne le nombre drsquoaliments ou boissons non noteacutes srsquoeacutelegraveve agrave un peu plus de 2 par individu et par jour Toutefois mecircme si la majoriteacute des personnes ne mentionne pas avec exhaustiviteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires les repas principaux sont globalement bien renseigneacutes

Lors du deacutebriefing reacutealiseacute agrave la fin de lrsquoexpeacuterimentation la quasi-totaliteacute des participants a deacuteclareacute ne pas avoir omis drsquoaliments En insistant et en donnant des exemples certains ont alors admis avoir oublieacute par exemple des consommations drsquoeau de cafeacute ou de biscuits

Nous avons identifieacute deux grandes cateacutegories drsquoomissions dans les e-carnets alimentaires des omissions lors des prises hors repas les plus importantes en nombre des omissions drsquoaliments accompagnant les plats Le tableau 2 reacutecapitule le nombre drsquoomissions (laquo cas raquo) de boissons et drsquoaliments identifieacutees parmi les 18 participants

Tableau 2 ndash Nombre total drsquoomissions identifieacutees par types de boissons et drsquoaliments pour lrsquoeacutetude de cas ndegdeg11

Lecture le nombre de cas correspond au nombre total drsquoomissions identifieacutees sur les videacuteos les parenthegraveses donnent le nombre drsquoindividus concerneacutes par ces omissionsSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 43 et 45

Eau 18 cas (9 individus sur 18)Boissons sucreacutees 7 cas (6 individus sur 18)Boissons chaudes et lait 5 cas (4 individus sur 18)

Leacutegumes (ex salade cornichon leacutegumes drsquoaccompagnement etc) 14 cas (9 individus)

Produits sucreacutes 9 cas (8 individus)Biscuits sucreacutes 8 cas (6 individus)Condiments 8 cas (3 individus)Pain-biscottes 7 cas (5 individus)Sauces 7 cas (5 individus)Matiegraveres grasses 6 cas (5 individus)Ultra-frais laitiers 4 cas (4 individus)Fruits 4 cas (4 individus)

Fromage 3 cas (3 individus)Charcuterie 1 cas (1 individu)Sandwich 1 cas (1 individu)Riz 1 cas (1 individu)Viande 1 cas (1 individu)Fruits secs 1 cas (1 individu)Pacirctes 1 cas (1 individu)Pacirctisseries 1 cas (1 individu)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 19

Voici plus en deacutetails les principales omissions repeacutereacutees

bull LrsquoeauLorsque lrsquoeau nrsquoa pas eacuteteacute inscrite dans le e-carnet alimentaire il srsquoagit en majoriteacute de

prises hors repas par ex Jonathan 30 ans boit de lrsquoeau agrave la sortie de son bureau dans la voiture ou encore devant la teacuteleacutevision le dimanche entre deux repas

Une autre cateacutegorie drsquoomission de lrsquoeau dans le e-carnet lrsquooubli systeacutematique est plus rare (1 individu sur 18) Par exemple Claude 50 ans boit de lrsquoeau au moment du petit-deacutejeuner ndash et sucircrement agrave bien drsquoautres occasions ndash mais il nrsquoa inscrit aucune de ces occasions dans le carnet

bull Les boissons sucreacutees et boissons chaudesLrsquoomission de boissons sucreacutees et de boissons chaudes est dans notre

expeacuterimentation uniquement arriveacutee lors de prises hors repas Par exemple Ingrid 31 ans boit du jus drsquoorange avant de commencer agrave preacuteparer le deacutejeuner dans sa cuisine et Virginie 51 ans oublie un cafeacute bu agrave 9h du matin sur son lieu de travail

bull Les leacutegumesIl existe 2 familles drsquoomissions concernant les leacutegumes Celles concernant les produits

utiliseacutes dans la recette drsquoun plat tels que les oignons lrsquoail et les leacutegumes accompagnant des feacuteculents ou drsquoautres aliments Par exemple Eacutelodie 31 ans qui a bien noteacute dans le e-carnet laquo la salade raquo oublie drsquoindiquer les tomates ou encore les leacutegumes qui accompagnent son riz

Le deuxiegraveme type drsquoomissions concerne des leacutegumes consommeacutes en encas par ex Virginie 51 ans mange plusieurs fois dans les 3 jours du concombre en encas La premiegravere fois lrsquoaliment est bien indiqueacute dans le e-carnet les fois suivantes il ne lrsquoest plus

bull Les produits et biscuits sucreacutesLe groupe des produits sucreacutes est constitueacute des confitures des bonbons des chocolats

et du sucre Ces produits et les biscuits sucreacutes sont parfois non deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire lors drsquoune prise hors repas Nadegravege 38 ans omet de noter dans le e-carnet un carreacute de chocolat pris avec son cafeacute apregraves son deacutejeuner vers 14h30 son cafeacute eacutetant bien indiqueacute dans son carnet mais pas le carreacute de chocolat Marvin 28 ans ne deacuteclare pas sa tartine de confiture lors de la prise drsquoun encas Ingrid 31 ans consomme un biscuit sur son lieu de travail Agrave noter que les biscuits sucreacutes ne sont pas deacuteclareacutes surtout lorsqursquoils sont pris hors repas

bull Les condiments sauces et matiegraveres grassesCes cateacutegories de produits sont des ingreacutedients de plats Annexes au plat principal leur

omission est relativement freacutequente Par exemple Christophe 50 ans oublie de mentionner qursquoil ajoute de la beacutearnaise dans son plat Rahma 32 ans oublie la vinaigrette qursquoelle ajoute agrave sa salade

bull Le painPour ce qui est du pain on observe des omissions dans le e-carnet alimentaire agrave

la fois lors de prises hors repas mais eacutegalement au sein du repas Par exemple Marvin 28 ans omet de noter ses tartines et Virginie 51 ans omet drsquoenregistrer le pain lors drsquoun dicircner en famille

bull Les ultra-frais laitiers et les fruitsCes aliments lorsqursquoils ne sont pas deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire sont des

aliments majoritairement pris hors repas Par exemple Jonathan 30 ans mange une

20 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

pomme apregraves avoir cuisineacute agrave 17h On peut aussi identifier des omissions sur des fins de repas Christophe 50 ans nrsquoindique pas dans son e-carnet alimentaire deux yaourts qursquoil consomme juste agrave la fin de son repas Agrave noter qursquoil les consomme apregraves avoir effectueacute sa vaisselle agrave la main debout dans la cuisine et non plus agrave table

Deux grandes cateacutegories drsquoomissions ont donc eacuteteacute identifieacutees dans les e-carnets alimentaires en fonction du moment de la prise les omissions lors drsquooccasions hors repas et les omissions drsquoaliments accompagnant les plats principaux

In fine il ressort de cette eacutetude de cas que la meacutethode de recueil par carnet alimentaire comporte certains eacutecueils du fait mecircme de sa conception lrsquoappel agrave la meacutemoire favorise neacutecessairement lrsquooubli drsquoaliments (de certains types ou agrave certains moments) entraicircnant une meacutesestimation (la plupart du temps une sous-estimation) des comportements alimentaires reacuteels Afin de remeacutedier agrave cet eacutecueil il serait neacutecessaire au moment du brief initial des personnes enquecircteacutees drsquoinsister davantage sur les omissions geacuteneacuteralement commises dans ce type drsquoenquecircte sur les prises hors repas etc Par ailleurs lrsquoobservation par cameacutera ouvre un large champ drsquoinvestigations pour approfondir la question des deacutecalages entre pratiques deacuteclareacutees et pratiques reacuteelles

32 Effet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires

Dans une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs les individus tendent agrave sous-deacuteclarer leurs consommations au fil des jours pheacutenomegravene appeleacute laquo effet de lassitude  raquo Cette deuxiegraveme eacutetude de cas vise agrave mettre en eacutevidence cette sous-deacuteclaration pour certaines cateacutegories de produits

Le changement de meacutethode opeacutereacute entre deux sessions de lrsquoenquecircte INCA reacutealiseacutee par lrsquoAnses (INCA 2 et INCA 3)10 est mis agrave profit pour caracteacuteriser le deacutecalage ducirc au choix de la modaliteacute pour le remplissage des carnets alimentaires Lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) a eacuteteacute reacutealiseacutee par carnets alimentaires de 7 jours conseacutecutifs alors que lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) a eacuteteacute reacutealiseacutee par le biais de trois rappels de 24 heures Dans ce cas chaque personne interrogeacutee devait renseigner ses consommations alimentaires pour trois journeacutees indeacutependantes (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) seacutelectionneacutees sur une peacuteriode de trois semaines Lrsquohypothegravese testeacutee est que lrsquoeffet de lassitude est moindre (voire nul) dans une enquecircte alimentaire par rappel de 24 heures par rapport agrave une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs

Agrave partir de lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) nous avons eacutetudieacute les diffeacuterences de deacuteclaration qui existent entre les 7 journeacutees de remplissage (jour 1 jour 2 hellip jour 7) Dans un second temps nous avons fait de mecircme sur la base de lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) Deux indicateurs ont eacuteteacute utiliseacutes les apports alimentaires (gj) les apports eacutenergeacutetiques (kcalj) La comparaison des moyennes de lrsquoeacutenergie consommeacutee en fonction des jours (jour 1 jour 2 hellip jour n) permet de deacuteterminer si le numeacutero du jour a un impact dans le remplissage du carnet Il en est de mecircme pour la comparaison des taux de consommation de certaines cateacutegories de produits

Il ressort de ces analyses (tableau 3) que dans INCA 2 les apports alimentaires (en gj) et les apports eacutenergeacutetiques (en kcalj) deacutecroissent significativement au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps de maniegravere continue (- 43 gj et - 28 kcalj par journeacutee

10 Ces analyses ont beacuteneacuteficieacute de la contribution de lrsquoAnses pour les traitements des donneacutees drsquoINCA 3

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 21

suppleacutementaire avec des reacutesultats statistiquement significatifs p lt 2e-16 dans les deux cas) Entre le 1er et le 7e jour de consommation la moyenne des apports en grammes de la population adulte acircgeacutee de 18 ans et plus a diminueacute de 10 celle des apports en eacutenergie de 8 En simulant une valeur constante de la moyenne des apports en grammes ou de lrsquoeacutenergie correspondant au jour le laquo mieux raquo rempli soit le 1er jour de consommation la quantiteacute totale sous-estimeacutee srsquoeacutetablirait agrave environ 5 pour les quantiteacutes et 4 pour lrsquoeacutenergie Agrave lrsquoinverse dans le cas drsquoINCA 3 il apparaicirct que les apports alimentaires et les apports eacutenergeacutetiques ne deacutecroissent pas (p = 01431) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps (entre le 1er et le 3e rappel de 24 heures et p lt 2e-16)

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 9711 1 0245 2 0936 8735Jour 2 2 9579 1 0445 2 0635 8764Jour 3 2 9300 1 0009 2 0393 8468Les 3 jours 2 9530 8600 2 0655 7102

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 7216 9328 2 0366 7969Jour 2 2 6737 9582 2 0161 8116Jour 3 2 6227 9934 1 9882 8084Jour 4 2 5888 9811 1 9509 8052Jour 5 2 5381 9762 1 9211 8060Jour 6 2 4944 9418 1 9014 7912Jour 7 2 4623 9551 1 8698 7746Les 7 jours 2 5859 8339 1 9549 6302

Tableau 3 - Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) et apport eacutenergeacutetique moyen par jour (kcalj) pour chaque journeacutee de consommation (enquecirctes INCA 22 et INCA 33)

Enquecircte INCA 2 (2006-2007)

Enquecircte INCA 3 (2014-2015)

Source Anses Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) et INCA 3 (calculs Anses) rapport final de lrsquoeacutetude page 52

On notera que les eacutecarts entre les apports en grammes entre les enquecirctes INCA 2 et INCA 3 sont principalement dus agrave des diffeacuterences meacutethodologiques

Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 qui utilise une meacutethode par carnet alimentaire avec un recueil des consommations sur 7 jours conseacutecutifs Cet effet est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 avec une meacutethodologie par rappel de 24 heures

Par ailleurs des analyses par cateacutegories alimentaires ont eacuteteacute conduites Elles montrent que dans lrsquoenquecircte INCA 2 un nombre important de ces cateacutegories sont de moins en moins deacuteclareacutees (indicateur gj plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 + szlig1 numeacutero du jour + ɛ) (tableau 4)

Tableau 4 ndash Cateacutegories alimentaires pour lesquelles la baisse des deacuteclarations est significative

Avec plt0001 Avec plt001

Pain et panification segraveche Pommes de terre et apparenteacutes Viande

Eaux Margarine Autres boissons chaudes

Huile Ultra-frais laitiers Soupes et bouillons

Condiments et sauces Boissons fraicircches sans alcool

Sucres et deacuteriveacutes Leacutegumes

Pacirctes

Fromages

Source auteurs rapport final de lrsquoeacutetude page 56

22 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Pour INCA 2 le tableau 5 preacutesente les reacutesultats obtenus pour les quantiteacutes moyennes consommeacutees par jour par groupe alimentaire et pour chaque journeacutee

Dans le cas de lrsquoenquecircte INCA 3 (tableau 6) seulement 2 groupes alimentaires sont de moins en moins deacuteclareacutes (indicateur gjour plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire   apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 +szlig1 numeacutero du jour + ɛ) Il srsquoagit des cateacutegories suivantes pain et panification segraveche raffineacutes plats agrave base de poisson

Un effet de lassitude est donc bien observeacute chez les reacutepondants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 et ce pour de nombreuses cateacutegories drsquoaliments Il est en revanche absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 excepteacute pour le groupe laquo pain et panification segraveche raffineacutes raquo et laquo plats agrave base de poisson  raquo Aucune surdeacuteclaration nrsquoapparaicirct significative

Cet effet de lassitude a ensuite eacuteteacute testeacute selon plusieurs critegraveres (sexe acircge diplocircme indice de masse corporelle - IMC) En voici les principaux reacutesultats et enseignements

bull Selon le sexeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavanceacutee de

lrsquoenquecircte autant chez les hommes (- 42 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) que chez les femmes (- 45 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit le sexe

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les hommes ou chez les femmes Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les hommes et chez les femmes   il est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque sexe

bull Selon lrsquoacircgeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte dans les 3 tranches drsquoacircge suivantes - 18-34 ans -60 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 35-54 ans -48 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 55-79 ans -23 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit lrsquoacircge Il est agrave noter qursquoil est plus important chez les plus jeunes (- 60 gj par journeacutee de remplissage chez les 18-34 ans contre - 48 gj chez les 35-54 ans et - 23 gj chez les 55-79 ans)

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les 18-34 ans 35-54 ans ou 55-79 ans Lrsquoeffet de lassitude est absent sur les apports en grammes quel que soit lrsquoacircge

En conclusion un effet de lassitude est observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les 18-34 ans 35-54 ans et 55-79 ans Il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque tranche drsquoacircge

bull Selon le niveau drsquoeacuteducationDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au baccalaureacuteat et chez ceux qui ont au moins le niveau du baccalaureacuteat

- niveau infeacuterieur au Bac - 38 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - niveau eacutegal ou supeacuterieur au Bac - 49 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les deux populations eacutetudieacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 23

Jour 1 Jour 2 Jour 3 Jour 4 Jour 5 Jour 6 Jour 7 (D7-D1)D1

1 Pain et panification segraveche 1088 1042 1014 988 956 959 936 - 140

2 Ceacutereacuteales pour petit deacutejeuner 46 47 41 39 41 42 42 - 87

3 Pacirctes 407 368 382 334 334 329 318 - 219

4 Riz et bleacute dur ou concasseacute 248 219 214 221 214 213 218 - 121

5 Autres ceacutereacuteales 05 05 07 07 03 05 05 00

6 Viennoiserie 108 105 110 114 104 120 115 65

7 Biscuits sucreacutes ou saleacutes et barres 82 88 86 81 80 76 70 - 146

8 Pacirctisseries et gacircteaux 315 345 388 359 365 352 331 51

9 Lait 797 785 760 740 768 747 743 - 68

10 Ultra-frais laitier 878 802 807 759 777 758 771 - 122

11 Fromages 322 313 311 306 292 289 283 - 121

12 Œufs et deacuteriveacutes 128 138 135 142 127 148 143 117

13 Beurre 108 101 100 95 97 98 99 - 83

14 Huile 108 98 94 89 86 86 88 - 185

15 Margarine 44 44 42 39 37 36 38 - 136

16 Autres graisses 01 01 01 01 01 01 01 00

17 Viande 509 482 473 413 426 447 466 - 84

18 Volaille et gibier 29 293 274 273 291 289 273 - 59

19 Abats 23 28 25 31 25 27 25 87

20 Charcuterie 342 321 318 310 330 318 295 - 137

21 Poissons 246 250 240 264 238 250 243 - 12

22 Crustaceacutes et mollusques 35 40 41 41 43 40 48 371

23 Leacutegumes (hors pommes de terre) 1312 1320 1292 1273 1203 1233 1232 - 61

24 Pommes de terre et apparenteacutes 589 556 523 551 540 498 483 - 180

25 Leacutegumes secs 95 66 79 101 94 93 95 00

26 Fruits 1339 1348 1290 1336 1284 1253 1299 - 30

27 Fruits secs et graines oleacuteagineuses 25 23 29 22 27 22 24 - 40

28 Glaces et desserts glaceacutes 67 61 71 80 74 77 71 60

29 Chocolat 53 58 54 50 50 49 47 - 113

30 Sucres et deacuteriveacutes 204 193 188 185 176 177 174 - 147

31 Eaux 8165 8024 785 7754 7566 7262 7143 - 125

32 Boissons fraicircches sans alcool 1343 1302 1258 1203 1205 1177 1132 - 157

33 Boissons alcooliseacutees 1249 1203 1255 1231 1259 1175 1162 - 70

34 Cafeacute 2717 2729 2687 2653 2577 2604 2570 - 54

35 Autres boissons chaudes 1432 1334 1327 1269 1233 1276 1238 - 135

36 Pizzas quiches et pacirctisseries saleacutees 214 236 237 225 231 190 246 150

37 Sandwichs casse-croucircte 132 164 152 154 160 177 154 167

38 Soupes et bouillons 918 904 852 854 844 822 815 - 112

39 Plats composeacutes 631 694 675 738 686 701 671 63

40 Entremets cregravemes desserts et laits geacutelifieacutes 245 249 234 237 235 199 228 - 69

41 Compotes et fruits cuits 136 147 123 138 118 139 122 - 103

42 Condiments et sauces 195 181 166 169 158 164 153 - 215

43 Aliments destineacutes agrave une alimentation particuliegravere 20 23 18 18 22 25 13 - 350

TOTAL 27216 26737 26227 25888 25381 24944 24623 - 95

Tableau 5 ndash QQuantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 22 ( (20062006--20072007 journeacutees journeacutees 11 agrave agrave 77)) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) rapport final de lrsquoeacutetude page 56

24 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 ndash Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 33 ((20142014--20152015 journeacutees 11 agrave 33) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 3 (calculs ANSES) rapport final de lrsquoeacutetude page 57

Jour 1 (1er rappel) Jour 2 (2e rappel) Jour 3 (3e rappel) (D3-D1)D1

1enspPain et panification segraveche raffineacutes 1098 1015 991 - 97

2ensp Pain et panification segraveche complets ou semi-complets 83 77 72 - 129

3ensp Ceacutereacuteales pour petit-deacutejeuner et barres ceacutereacutealiegraveres 45 49 45 01

4ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales raffineacutees 553 554 567 25

5ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales complegravetes et semi-complegravetes 22 21 23 32

6ensp Viennoiseries pacirctisseries gacircteaux et biscuits sucreacutes 576 553 558 - 32

7enspLaits 702 742 651 - 72

8enspYaourts et fromages blancs 840 770 790 - 60

9enspFromages 325 328 325 - 02

10enspEntremets et cregravemes desserts 164 159 181 104

11enspGlaces desserts glaceacutes et sorbets 53 55 55 40

12enspMatiegraveres grasses animales 93 88 87 - 63

13enspMatiegraveres grasses veacutegeacutetales 82 79 81 - 09

14enspŒufs et plats agrave base drsquoœufs 139 136 145 44

15enspViandes (hors volailles) 431 438 434 08

16enspVolailles 254 256 261 28

17enspCharcuterie 272 273 263 - 36

18enspPoissons 227 244 261 150

19enspCrustaceacutes et mollusques 32 33 39 225

20enspAbats 26 25 28 83

21enspLeacutegumes 1455 1449 1430 - 17

22enspLeacutegumineuses 71 53 63 - 107

23enspPommes de terre et autres tubercules 424 415 439 33

24enspFruits frais et secs 1455 1403 1434 - 15

25enspCompotes et fruits au sirop 154 155 166 81

26enspNoix graines et fruits oleacuteagineux 41 35 37 - 97

27enspConfiserie et chocolat 90 87 78 - 140

28enspSucre et matiegraveres sucrantes 206 199 208 06

29enspEaux embouteilleacutees 3918 4014 4004 22

30enspEau du robinet 4787 4869 4923 28

31ensp Boissons rafraicircchissantes sans alc ool (BRSA) 934 894 794 - 149

32enspJus de fruits et de leacutegumes 637 625 599 - 61

33enspBoissons alcooliseacutees 1346 1433 1399 40

34enspBoissons chaudes 5341 5186 5076 - 50

35enspSoupes et bouillons 1079 1108 989 - 83

36 Plats agrave base de viandes 135 134 127 - 59

37enspPlats agrave base de poissons 100 72 62 - 379

38enspPlats agrave base de leacutegumes 245 196 272 108

39ensp Plats agrave base de pommes de terre ceacutereacuteales ou leacutegumineuses 425 457 475 118

40ensp Sandwich pizzas tartes pacirctisseries et biscuits saleacutes 555 589 567 22

41ensp Condiments herbes eacutepices et sauces 240 243 233 - 27

42ensp Substituts de produits animaux agrave base de soja et autres veacutegeacutetaux 52 62 66 272

43enspPlats preacutepareacutes et desserts infantiles 03 04 02 - 197

TOTAL 29711 29579 29300 - 14

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 25

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac Il diminue de maniegravere significative avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont au moins le Bac (- 39 gj par journeacutee suppleacutementaire plt005)

En conclusion un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac comme chez ceux ayant au moins le Bac Il est eacutegalement observeacute en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA  3 chez les individus qui ont au moins le Bac

bull Selon lrsquoindice de masse corporelle

Dans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez les individus quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC en 4 tranches)

- individus maigres - 46 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt001) - individus normopondeacuteraux - 45 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus en surpoids - 40 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus obegraveses - 42 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les quatre sous-populations eacutetudieacutees

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte et ce quelle que soit la classe drsquoIMC des reacutepondants Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus quel que soit leur IMC il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour les quatre classes drsquoIMC

En bref cette eacutetude permet de preacuteciser les enseignements de la revue de litteacuterature quant agrave lrsquoeffet de meacutethodes de collecte de donneacutees (par recueil sur 7 jours conseacutecutifs ou par rappel de 24 heures) sur les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle en documentant et estimant lrsquoeffet de la lassitude dans le premier cas dans le cadre des eacutetudes INCA Un enregistrement de la consommation alimentaire chez les adultes sur 7 jours conseacutecutifs amegravene agrave une sous-estimation (dans le cas drsquoINCA 2) drsquoenviron 5 des quantiteacutes

Afin drsquoestimer la quantiteacute theacuteorique moyenne drsquoaliments pour laquelle il nrsquoy aurait plus drsquoeffet de lassitude nous proposons les coefficients correcteurs suivants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA  2 coef = [ max (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7) x 7 ] somme (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7)

Avec plt0001 - Pain et panification segraveche 1091- Eaux 1063- Huile 1165- Condiments et sauces 1151- Sucres et deacuteriveacutes 1101- Pacirctes 1153- Fromages 1065- Pommes de terre et apparenteacutes 1102- Margarine 1100- Ultra-frais laitiers 1107- Boissons fraicircches sans alcool 1091- Leacutegumes 1042

Avec plt001 - Viande 1108- Autres boissons chaudes 1100- Soupes et bouillons 1069

26 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

En multipliant les apports moyens par ces coefficients nous faisons comme srsquoil nrsquoy avait plus drsquoeffet de lassitude Lrsquoutilisation de ces coefficients nrsquoest pas conseilleacutee pour de futures enquecirctes sur 7 jours en effet les meacutethodes de recueil des consommations alimentaires eacutevoluent et les valeurs des coefficients ne peuvent pas ecirctre meacutecaniquement reacuteutiliseacutees La deacutemarche utiliseacutee permet drsquoestimer lrsquoampleur de la lassitude dans drsquoautres enquecirctes agrave la meacutethodologie voisine Elle a lrsquointeacuterecirct drsquoestimer la laquo perte raquo occasionneacutee agrave un instant t du fait de la lassitude des sujets mettant en exergue les cateacutegories drsquoaliments pour lesquelles elle est la plus forte On y retrouve les boissons les sauces et condiments et certains types de leacutegumes des cateacutegories que nous avions deacutejagrave identifieacutees comme eacutetant plus souvent laquo omises raquo (cf eacutetude de cas ndeg1)

Sur lrsquoensemble des groupes de produits alimentaires eacutetudieacutes ce coefficient est de 105 ce qui signifie que les apports moyens sont laquo au moins raquo de 5 au-dessus de ce qui est deacuteclareacute Cet eacutecart nrsquoest pas aussi eacuteleveacute que nous lrsquoimaginions au deacutepart Les meacutethodes par carnets alimentaires sur plusieurs jours conseacutecutifs restent ainsi des meacutethodes relativement fiables

Lrsquoidentification des cateacutegories les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait aider agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles speacutecifiques compleacutementaires de celles existant deacutejagrave afin de reacuteduire autant que possible le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

33 Eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

Dans cette troisiegraveme eacutetude de cas nous cherchons les correacutelations entre discours sur les reacuteseaux sociaux (donneacutees Talkwalker) et actes drsquoachat en grande distribution (donneacutees RelevanC-groupe Casino) Lrsquoanalyse reacutevegravele les eacutecarts entre ces deux types de donneacutees et compare leurs eacutevolutions dans le temps Deux cateacutegories de produits ont eacuteteacute choisies pour illustrer ces eacutecarts la viande et les aliments issus de lrsquoagriculture biologique La meacutethode utiliseacutee est drsquoabord preacutesenteacutee (331) puis les reacutesultats sont deacutetailleacutes (332)

331 Une meacutethode mobilisant des donneacutees sur les reacuteseaux sociaux et sur les achats en grande distribution

Les opinions eacutemises agrave propos des conduites alimentaires sont influenceacutees par divers facteurs notamment les normes sociales de plus en plus exprimeacutees et porteacutees par les meacutedias qui jouent un rocircle deacuteterminant dans la structuration de lrsquoespace mental des acheteurs Il peut srsquoagir de meacutedias traditionnels (journaux magazines teacuteleacutevision radio etc) ou de plus en plus souvent des reacuteseaux sociaux numeacuteriques La meacutethode deacuteveloppeacutee dans cette troisiegraveme eacutetude de cas vise agrave analyser sur un pas de temps court (quelques mois) les relations entre laquo bruit meacutediatique raquo et achats en grande distribution Un pic meacutediatique agrave un temps t sur un sujet donneacute et consideacutereacute comme influenccedilant potentiellement les opinions des consommateurs va-t-il se traduire par une eacutevolution (hausse baisse) des achats des produits pouvant ecirctre concerneacutes par ces informations Et ce agrave quel pas de temps et avec quelle ampleur

Cette meacutethode innovante avait deux objectifs Le premier eacutetait de mettre en eacutevidence drsquoeacuteventuelles correacutelations statistiques entre les comportements drsquoachats drsquoune part et les discours meacutediatiques et deacutebats sur les reacuteseaux sociaux drsquoautre part Nous soulignons ici que les correacutelations statistiques eacutetablissent des liens entre deux variables sans eacutemettre

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 27

drsquohypothegravese de relations de cause agrave effet Il srsquoagissait eacutegalement si de telles correacutelations sont aveacutereacutees de voir srsquoil existe un deacutecalage entre deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoalimentation (capteacutes via lrsquoactiviteacute sur les reacuteseaux sociaux) et les comportements des mangeurs

Pour ce faire deux theacutematiques ont eacuteteacute eacutetudieacutees celle de la viande (associeacutee aux thegravemes du veacuteganisme et du flexitarisme) et celle des produits biologiques Plusieurs types de donneacutees ont eacuteteacute mobiliseacutes

- Drsquoune part des donneacutees meacutediatiques ont eacuteteacute obtenues par requecirctes adapteacutees aux sujets eacutetudieacutes et adresseacutees par lrsquooutil Talkwalker Cet outil collecte trois paramegravetres (mentions audiences engagements) sur 150 millions de sites Internet et une dizaine de reacuteseaux sociaux Les laquo mentions raquo correspondent au nombre drsquoarticles pour un meacutedia ou au nombre de tweets et de partages sur les reacuteseaux sociaux Les laquo audiences raquo sont le nombre theacuteorique de personnes toucheacutees par une mention Lrsquoaudience est mesureacutee agrave partir du nombre drsquoabonneacutes agrave un meacutedia ou un compte Twitter Il ne srsquoagit pas du nombre de lecteurs reacuteels drsquoun message car les outils ne permettent pas drsquoavoir cette donneacutee mais du nombre potentiel de personnes exposeacutees agrave un message Les laquo engagements raquo reprennent le nombre de personnes qui ont interagi avec un contenu en ligne Un engagement correspond au fait drsquoaimer de partager ou de cliquer sur un message Crsquoest une mesure de la reacuteaction des membres des reacuteseaux sociaux agrave un message

Ainsi un message peut ecirctre posteacute par un meacutedia agrave tregraves forte audience mais ne geacuteneacuterer aucun engagement Inversement un message eacutemis par un acteur agrave faible audience peut se diffuser tregraves largement par viraliteacute Le nombre drsquoengagements permet de mesurer cette viraliteacute Il est important de souligner ici que le bruit meacutediatique analyseacute via les reacuteseaux sociaux est loin drsquoecirctre repreacutesentatif de lrsquoactiviteacute meacutediatique geacuteneacuterale et de lrsquoopinion de la population franccedilaise Il ne srsquoagit en effet que de lrsquoopinion des socionautes actifs sur ces reacuteseaux Toutefois par souci de simplification nous y ferons reacutefeacuterence dans la suite de cet article en parlant de laquo lrsquoopinion du grand public  raquo par distinction avec les laquo journalistes raquo et les laquo militants raquo

- Drsquoautre part des donneacutees drsquoachats en grande distribution issues de RelevanC (groupe Casino) ont eacuteteacute utiliseacutees Elles couvrent les achats des clients des enseignes du groupe Casino De maniegravere geacuteneacuterale il convient de rappeler que si les donneacutees issues directement des distributeurs sont pertinentes car mesurant reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles ne couvrent que certains circuits notamment la grande distribution Cette derniegravere repreacutesente 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les donneacutees de lrsquoInsee pour les comptes du commerce de 2017) et les deacutepenses prises en compte dans cette eacutetude de cas ne comprennent pas les prises de repas hors foyer

La peacuteriode mai 2017-mai 2019 a eacuteteacute eacutetudieacutee Des modegraveles eacuteconomeacutetriques ont eacuteteacute utiliseacutes pour mettre en eacutevidence les impacts avec effets retard des donneacutees des diffusions meacutediatiques sur des indicateurs de comportements drsquoachats (actes drsquoachats) Les donneacutees meacutediatiques correspondent agrave des releveacutes journaliers Le pas de temps des donneacutees drsquoachat est hebdomadaire

Pour eacutetablir les relations entre variables la correacutelation a eacuteteacute mesureacutee entre notre variable drsquointeacuterecirct agrave la date t (yt les achats de produits) et les variables explicatives agrave diffeacuterentes dates xt+k (les audiences mentions ou engagements) ougrave k=[minus101] Nous avons calculeacute des correacutelations simples (modegravele de reacutegression lineacuteaire) entre diffeacuterents pas de temps Pour tester la significativiteacute de la correacutelation lineacuteaire nous avons utiliseacute le test de Student

28 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Afin drsquoanalyser nos deux sujets meacutediatiques les requecirctes suivantes ont eacuteteacute effectueacutees agrave lrsquoaide de lrsquooutil Talkwalker

VeganFlexi - Grand Public (vegetar OR vegan OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima) OR abattoir OR flexitari OR speacutecis OR carnis) AND engagementgt10VeganFlexi medias titleveacutegeacutetari OR titlevegan OR titleraquoflexitariraquoViande - Grand Public viande AND engagementgt10Viande medias titleviande AND (consommat OR sante OR environnement OR reacuteduire OR laquosans vianderaquo OR laquomoins de vianderaquo OR cancer OR vegan OR flexitari OR vegetari OR veacutegeacutetal)Militants vegan (authordescriptionveacutegeacutetari OR authordescriptionvegan OR authordescriptionflexitari OR authordescriptionviande OR authordescriptionspeacutecis) AND (vegetar OR vegan OR abattoir OR viande OR flexitari OR speacutecis OR carni OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima)) AND engagementgt10 AND twitter_followersgt1000Exclusion de beauteacute OR cosmeacutetique OR hygiene OR textile OR coton OR horloge OR agriculteur OR agricultrice OR ferme OR coope OR maraicher OR paysan OR semence OR subvention OR potager OR emploi OR sponsor OR titlerappelAlimentation bio Meacutedias (titlebio OR titlebiologique) AND (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter ) Alimentation bio Grand Public ((bio OR biologique) NEAR4 (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter )) AND engagementgt10

Trois cateacutegories drsquoeacutemetteurs de discours numeacuteriques ont eacuteteacute retenues les journalistes (via les publications des meacutedias dit traditionnels sur Internet) le laquo grand public raquo (ie lrsquoensemble des socionautes) les militants (groupe adapteacute selon chaque theacutematique)

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-dessous (332) sont un preacutealable agrave lrsquoanalyse des eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution On y deacutecrit les trois meacutetriques (mentions audiences engagements) qui ont eacuteteacute mesureacutees sur les reacuteseaux sociaux pour les meacutedias dits laquo traditionnels raquo le laquo grand public raquo et les militants sur les theacutematiques laquo vegan flexitarisme raquo et laquo viande raquo drsquoune part et laquo bio raquo drsquoautre part Les principaux enseignements tireacutes sur lrsquoinfluence de ces activiteacutes numeacuteriques sur les actes drsquoachat sont eacutegalement preacutesenteacutes Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude pour en savoir plus sur les donneacutees la meacutethode et les reacutesultats complets notamment les correacutelations entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

332 Eacutecarts constateacutes sur les theacutematiques de la laquo viande raquo et des laquo produits biologiques raquo

Le cas de la viande a eacuteteacute analyseacute en lien avec les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme  raquo lesquels sont associeacutes sur la peacuteriode eacutetudieacutee agrave une activiteacute importante sur les reacuteseaux sociaux Dans un premier temps cette activiteacute est reconstitueacutee puis les reacutesultats des analyses cherchant agrave eacutetablir des correacutelations entre cette activiteacute et les achats de viande sont preacutesenteacutes

Les graphiques suivants preacutesentent lrsquoeacutevolution du volume de mentions sur ces theacutematiques venant de publics non identifieacutes comme militants (graphique 1) et de publics militants (graphique 2) Les principaux eacuteveacutenements suscitant ces publications sont indiqueacutes dans chaque figure

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 29

Graphique 1 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee pour lrsquoensemble des publics hors militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

On voit qursquoun sujet (veganisme flexitarisme) qui geacutenegravere beaucoup de mentions chez les journalistes (laquo meacutedias traditionnels raquo) nrsquoest pas preacutedictif de lrsquointeacuterecirct des socionautes (laquo grand public  raquo) Chez ces derniers il est difficile de relier des pics drsquoactiviteacute sur le sujet du flexitarisme agrave des eacuteveacutenements preacutecis il semble donc que ce sujet soit maintenu dans lrsquoactualiteacute plus par la volonteacute des journalistes que par des eacuteveacutenements exteacuterieurs

Lrsquoactiviteacute des militants sur les reacuteseaux sociaux est tregraves lieacutee aux actions ou actualiteacutes de leur communauteacute Il srsquoagit drsquoune communauteacute dynamique plus reacuteactive aux mentions des meacutedias que le grand public la correacutelation est de 02 entre les indicateurs des mentions par les meacutedias traditionnels et de lrsquoengagement des militants Cependant ce coefficient reste faible et lrsquoanalyse drsquoeacuteveacutenements geacuteneacuterant de lrsquoactiviteacute chez les militants montre qursquoils sont engageacutes avant tout aupregraves de leur communauteacute

Graphique 2 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee chez les militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

30 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Ainsi sur les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme raquo on observe trois grands types drsquoactiviteacutes sur les reacuteseaux sociaux et dans les meacutedias en ligne

- une communauteacute veacutegane minoritaire mais tregraves active qui parle essentiellement de sujets preacuteoccupant les veacuteganes

- des meacutedias qui maintiennent une forte activiteacute sur ce sujet avec des discours alternant le positif (laquo le flexitarisme serait un reacutegime drsquoavenir raquo) et la couverture drsquoactions radicales de certains militants toutefois cette activiteacute meacutediatique engage peu les socionautes sauf sur les sujets neacutegatifs

- le grand public reacuteagit majoritairement aux actualiteacutes neacutegatives sur ces sujets avec un niveau drsquoengagement 100 fois plus eacuteleveacute et qui nrsquoest pas dans un discours drsquoadheacutesion ni de proseacutelytisme sur ces sujets Il y a donc clairement une fracture entre les discours des meacutedias traditionnels et des socionautes du grand public

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le

sujet laquo veganflexitarisme raquo et les comportements drsquoachat de viande en grande distribution apparaicirct dans le tableau 7 Lorsque la consommation augmente on observe que le nombre de tweets mentionneacutes par les meacutedias (sur le sujet laquo veganflexitarisme raquo) augmentait 11 agrave 14 semaines plus tocirct Dit autrement la reacuteponse agrave une augmentation du nombre de tweets sur la consommation se fait sentir 11 agrave 14 semaines plus tard de faccedilon positive (si le nombre de tweets augmente la consommation augmente ou inversement) On voit bien lagrave lrsquoeffet des laquo opeacuterateurs retard raquo11 des tweets sur la consommation

11 Dans lrsquoanalyse des seacuteries temporelles lrsquoopeacuterateur retard associe agrave tout eacuteleacutement lrsquoobservation preacuteceacutedente

Tableau 7 - Correacutelations entre les achats totaux de viandes et les opinions sur le terme laquo vegan raquo

Lecture le test est significatif au seuil de 5 le test est significatif au seuil de 1 Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 75

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 31

Les donneacutees RelevanC fournissent le total des actes drsquoachat de viande Elles montrent lrsquoinfluence potentielle du discours produit autour des thegravemes laquo veganflexitarisme raquo sur les actes drsquoachat de viande Les correacutelations entre les opinions des meacutedias et ces actes drsquoachat dans les enseignes du groupe Casino sont positives entre 11 et 14 semaines plus tard (p=0218 agrave 0259) Les opinions des veacutegans ont eacuteteacute fortement deacutebattues et contrecarreacutees par des reacuteactions des bouchers et eacuteleveurs Ce deacutebat semble avoir eacuteteacute plutocirct favorable aux achats de viande

Apregraves la viande notre protocole drsquoeacutetude a eacuteteacute appliqueacute aux produits biologiques La preacutesence de ces produits dans lrsquoalimentation est tregraves deacutebattue dans les meacutedias traditionnels avec en moyenne 325 mentions en ligne par semaine Cette freacutequence eacuteleveacutee ne faiblit que durant la semaine du 15 aoucirct avec un minimum de 125 mentions cela est lieacute agrave la peacuteriode de vacances et agrave la faible activiteacute meacutediatique geacuteneacuterale Le graphique 3 montre les pics drsquoactiviteacute meacutediatique et le niveau drsquoengagement des socionautes par rapport agrave ces actualiteacutes

Graphique 3 - Activiteacute meacutediatique documenteacutee agrave partir des verbatims relatifs aux aliments biologiques (tweets posts commentaires etc)

Source Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 65

Fin aoucirct 2017 - Article de Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur le bio Mi-octobre 2017 - Article du journal Le Parisien intituleacute laquo Lrsquoagriculture bio peut-elle nourrir le monde raquo

Mi-novembre 2017 - Eacutetude publieacutee dans Nature montrant que lrsquoagriculture biologique pourrait nourrir la planegravete Mi-mars 2018 - 60 millions de consommateurs analyse des produits biologiques et deacutenonce des preacutesences de reacutesidus et contaminants

Mi-avril 2018 - Vote agrave lrsquoAssembleacutee nationale pour lrsquointroduction dans la restauration collective publique drsquoun seuil drsquoau moins 50 de produits biologiques ou eacutecologiques en 2022 Mi-juin 2018 - Les seacutenateurs votent agrave leur tour pour les 20 de produits biologiques agrave la cantine quasiment agrave lrsquounanimiteacute Fin octobre 2018 - Un article dans la revue JAMA montre que les mangeurs de produits biologiques preacutesentent - 25 de risque de cancer Deacutebut 2019 - Deacutebut de la campagne sur la preacutesence de glyphosate dans les urines

3

4

5

6 7

8

1

2

De faccedilon globale il apparait que ce qui engage les citoyens actifs sur les reacuteseaux sociaux ce sont les sujets qui les touchent directement dans leur vie quotidienne Nous pouvons agrave partir des donneacutees analyseacutees faire les deux hypothegraveses suivantes

- une partie (minoritaire) des socionautes est engageacutee et partage toutes les informations touchant au bio ce qui geacutenegravere une activiteacute de base sur lrsquoagriculture biologique

- la majoriteacute des socionautes reacuteagit essentiellement lors drsquoactualiteacutes qui les touchent directement dans leur quotidien soit sur le plan eacuteconomique soit sur le plan de leur santeacute

Lecture les eacutechelles diffeacuterencieacutees correspondent au nombre de mentions meacutedias agrave gauche et au nombre drsquoengagements grand public agrave droite

32 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le sujet laquo bio raquo et les comportements drsquoachat est preacutesenteacutee dans le tableau 8 pour le cas des œufs biologiques en grande distribution (Casino) Les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques ont diminueacute jusqursquoagrave la fin 2017 pour augmenter tendanciellement ensuite La tendance nrsquoeacutetant pas lineacuteaire le modegravele est appliqueacute sur la part du nombre laquo drsquoactes bio raquo Les correacutelations positives sont tregraves nombreuses sur ce produit celles entre meacutedias traditionnels et opinions du grand public drsquoabord et parts drsquoactes en bio ensuite sont significatives jusqursquoagrave 14 semaines apregraves les diffusions meacutediatiques Les messages sur lrsquoalimentation biologique sont positivement correacuteleacutes avec les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques de la date drsquoeacutemission du message meacutediatique initial jusqursquoagrave 14 semaines apregraves

Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 70

Tableau 8 - Correacutelations entre les parts drsquoactes drsquoœufs bio (en t0) et les opinions sur le terme laquo bio raquo

Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude qui approfondit la question des correacutelations entre les opinions issues des meacutedias traditionnels et les consommations de plusieurs produits de lrsquoagriculture biologique (fruits et leacutegumes viande produits de la mer œufs beurre lait et yaourts)

En conclusion de cette eacutetude des rapports entre bruit numeacuterique et conduites alimentaires on peut dire que pour la viande analyseacutee en lien avec le veacuteganisme et le flexitarisme aucune correacutelation nrsquoest observeacutee entre les messages des meacutedias traditionnels et ceux du laquo grand public raquo Les opinions exprimeacutees par le grand public nrsquoeacutevoluent pas en fonction de celles exprimeacutees par les meacutedias alors que ces derniers maintiennent une activiteacute importante sur le sujet Seuls les sujets remettant en cause le veacuteganisme suscitent un engagement important Comme il apparaicirct que le grand public nrsquoadhegravere pas aux arguments des communauteacutes veacuteganes les consommateurs ont plutocirct tendance agrave consommer plus de viande quand les deacutebats meacutediatiques sur ce sujet augmentent Il srsquoagit bien drsquoune correacutelation aucun lien de causaliteacute nrsquoayant eacuteteacute deacutemontreacute ici

Deacutecalagedans letemps

Meacutediasmentions

Meacutediasengagement

Grandpublic

mentions

Grandpublic

engage-ment

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 33

Par ailleurs lrsquoanalyse sur le thegraveme de lrsquoalimentation biologique indique que celle-ci est globalement perccedilue de faccedilon positive De plus les sujets meacutediatiques et les discussions sur les reacuteseaux sociaux les plus susceptibles de geacuteneacuterer des activiteacutes importantes sont ceux touchant agrave la santeacute Toutefois le grand public ne relaye qursquoun tiers de ce qursquoeacutemettent les meacutedias Les impacts des messages meacutediatiques positifs tels que les discours sur le lien entre consommation de produits biologiques et baisse des risques de cancers sont significatifs (par correacutelation) sur les achats de produits tels que les œufs les produits laitiers et les fruits et leacutegumes bio Le marcheacute des produits biologiques semble donc soutenu partiellement par les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public Les opinions du grand public sur le bio sont correacuteleacutees positivement avec les ventes de produits biologiques mais avec des deacutecalages de quelques semaines Ce nrsquoest pas le cas pour les produits carneacutes

Pour aller plus loin avec des donneacutees sur une peacuteriode plus importante il faudrait calculer des effets de long terme par des modegraveles autoreacutegressifs et ainsi reacutepondre agrave la question drsquoun impact peacuterenne des prises de position et analyses veacutehiculeacutees par les meacutedias

4 Recommandations

Les reacutesultats obtenus au travers de nos trois protocoles drsquoeacutetude permettent de formuler deux types de recommandations Les premiegraveres portent sur des correctifs meacutethodologiques pour lrsquoobtention de donneacutees alimentaires visant agrave reacuteduire les eacutecarts entre comportements deacuteclareacutes et ceux ensuite reacuteellement constateacutes Les secondes sont de porteacutee plus geacuteneacuterale et concernent notamment lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires

41 Correctifs meacutethodologiques

Le comportement reacuteel drsquoingestion alimentaire est difficile agrave mesurer de faccedilon objective Il est encore plus difficile de le deacuteduire des deacuteclarations des mangeurs Il est bien eacutetabli que leurs opinions motivations et croyances ne preacutedisent pas leurs actions et en particulier les comportements alimentaires La formation la diffusion lrsquoadoption de normes et de croyances relegravevent de meacutecanismes tregraves diffeacuterents de ceux qui commandent les prises alimentaires quotidiennes Le deacutecalage opinioncomportement appelle donc agrave la prudence dans lrsquointerpreacutetation des enquecirctes drsquoopinions

Mecircme en utilisant un instrument drsquoenquecircte valideacute les individus interrogeacutes ont tendance agrave meacutesestimer leur consommation reacuteelle en quantiteacute comme en qualiteacute Diverses strateacutegies pour ameacuteliorer la fiabiliteacute des deacuteclarations ou le traitement des donneacutees obtenues sont ainsi preacuteconiseacutees dans la litteacuterature scientifique Retenons notamment que plusieurs experts et organismes dont le Center for Disease Control ameacutericain (Hu et Willett 2018) preacuteconisent lrsquoutilisation de biomarqueurs approprieacutes (indicateurs objectifs de la consommation) pour valider les donneacutees obtenues par enquecircte Des biomarqueurs existent pour divers aspects des apports nutritionnels eacutenergie totale (par la meacutethode de lrsquoeau doublement marqueacutee - EDM) mesure de calorimeacutetrie indirecte permettant de deacuteterminer la deacutepense eacutenergeacutetique totale dans les conditions habituelles de vie protides (excreacutetion urinaire de nitrogegravene) fruitsleacutegumes (concentration sanguine de caroteacutenoiumldes) Mais ce nrsquoest pas le cas pour des aliments particuliers ou pour la qualiteacute de lrsquoalimentation (Pfeiffer et al 2013 Prentice et al 2009) La mesure de tels biomarqueurs est coucircteuse elle demande la collaboration des participants et

34 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

peut ecirctre difficile agrave mettre en œuvre dans de larges populations La recherche continue pour des biomarqueurs plus simples agrave utiliser moins oneacutereux et peu invasifs Rappelons toutefois que le laquo biais drsquoobservation raquo et le laquo biais de recrutement raquo affectent aussi les comportements eacutetudieacutes avec ces meacutethodes objectives

Autre piste la comparaison de deacuteclarations et de donneacutees biomeacutetriques (mesure de la deacutepense eacutenergeacutetique par la meacutethode de lrsquoEDM) permet de quantifier lrsquoerreur associeacutee agrave lrsquoauto-deacuteclaration en termes drsquoapports eacutenergeacutetiques et eacuteventuellement de recalibrer les donneacutees au moyen drsquoun ajustement statistique (Data Science Campus 2018) Puisque lrsquoerreur de mesure varie en fonction de la population observeacutee toute correction des donneacutees doit consideacuterer les facteurs agrave lrsquoorigine de la distorsion dont le sexe lrsquoindice de masse corporelle (IMC) et les caracteacuteristiques psychiques Enfin comme les normes de consommation varient parfois rapidement la constitution drsquoun panel ou drsquoun eacutechantillon doit assurer une bonne repreacutesentativiteacute des opinions et des motivations des participants

Au-delagrave des laquo bonnes pratiques raquo drsquoenquecircte et des strateacutegies visant agrave ameacuteliorer le traitement et lrsquoanalyse des donneacutees plusieurs meacutethodes innovantes de mesure des comportements drsquoingestion existent Nous preacutesentons rapidement ci-dessous les plus significatives drsquoentre elles

- Un dispositif qui ressemble agrave une montre compte les mouvements du poignet pendant un eacutepisode de consommation alimentaire Cet instrument appeleacute Automated Wrist Motion Tracking ou encore Bite Counter peut ecirctre utiliseacute dans la vie de tous les jours et il montre de bonnes sensibiliteacute et reproductibiliteacute (Dong et al 2012) La contrainte pour le participant est minimale Les donneacutees produites doivent cependant ecirctre compleacuteteacutees par la deacuteclaration du type drsquoaliments consommeacutes Cet instrument donne des informations inteacuteressantes sur le nombre de consommations quotidiennes (y compris les snacks et les consommations nocturnes) Il nrsquoest pas exempt du laquo biais drsquoobservation raquo

- La meacutethode Intelligent Food-Intake Monitor utilise plusieurs capteurs (mouvements de mastication et de deacuteglutition images de lrsquoaliment consommeacute) porteacutes par le participant pour obtenir un aperccedilu des consommations quotidiennes (Liu et al 2012) Ces capteurs de lrsquoactiviteacute de mastication et de deacuteglutition sont fixeacutes sur le volontaire (cou macircchoire) et ils fonctionnent plusieurs jours sans intervention (Fontana et al 2015) Ces meacutethodes sont sujettes au laquo biais drsquoobservation raquo On peut imaginer que le participant finit par oublier la preacutesence des capteurs et le fait qursquoil est observeacute mais cela reste cependant agrave veacuterifier

- Les consommations peuvent ecirctre eacutevalueacutees agrave partir de photographies avantapregraves chaque eacutepisode alimentaire (Ptomey et al 2015) Celles-ci peuvent ecirctre faites avec un teacuteleacutephone portable Cette meacutethode a montreacute une bonne validiteacute dans des milieux ougrave le contenu des assiettes est bien connu (cafeacuteteacuteria etc) en particulier chez des personnes en surcharge pondeacuterale En dehors de ce milieu relativement controcircleacute la validiteacute de la meacutethode repose sur la bonne volonteacute du participant qui doit photographier toutes ses consommations Une approche dite Remote Photography Method utilise une application du teacuteleacutephone portable qui teacuteleacutecharge automatiquement des photographies avantapregraves dans une base de donneacutees puis en fait lrsquoanalyse (Martin et al 2012) Lrsquoapplication donne la possibiliteacute drsquoenvoyer aux participants des rappels par SMS leur recommandant de photographier les repas principaux et les collations eacuteventuelles hors repas Cette meacutethode surtout quand elle inclut des rappels cibleacutes ameacuteliore de beaucoup lrsquoeacutevaluation de la consommation totale en comparaison de lrsquoauto-deacuteclaration Elle deacutetecte rapidement les laquo oublis raquo et peut mecircme ecirctre utiliseacutee chez les enfants Elle reste toutefois sensible au laquo biais drsquoobservation raquo

- Lrsquousage de cameacuteras dans des restaurants ou des cafeacuteteacuterias peut reacuteveacuteler la consommation au moment du repas sans deacutependre de la deacuteclaration par le mangeur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 35

Certains eacutetablissements comme le restaurant expeacuterimental de lrsquoInstitut Paul Bocuse agrave Lyon sont eacutequipeacutes de plusieurs cameacuteras qui suivent un ou plusieurs convives pendant le repas

- Au-delagrave des releveacutes drsquoachats il est envisageable de consulter les releveacutes bancaires des participants ce qui permettrait de deacuteceler des oublis ou des incoheacuterences Cette approche soulegraveve toutefois une difficulteacute particuliegravere vis-agrave-vis de la protection des donneacutees personnelles (cf Regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees - RGPD)

42 Recommandations de porteacutee geacuteneacuterale

Cinq ensembles de recommandations geacuteneacuterales sont preacutesenteacutes dans le rapport drsquoeacutetude Ils visent agrave prendre en compte dans lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires les biais et deacutecalages entre reacuteel et deacuteclareacute

Avant de preacutesenter ces recommandations rappelons qursquoil est indispensable de bien comprendre la deacutemarche drsquoune enquecircte pour lrsquoutiliser de maniegravere optimale quelles populations sont eacutetudieacutees (qui ) avec quels champs privileacutegieacutes (quoi ) selon quels modes drsquointerrogation (comment ) et avec quels biais eacuteventuels deacutejagrave connus Chaque meacutethode est construite en fonction drsquoune probleacutematique preacutecise avec des moyens permettant de reacutepondre agrave des objectifs speacutecifiques utiliser une enquecircte agrave des fins autres que celles initialement preacutevues est alors source de mauvaises interpreacutetations Par exemple il nrsquoest pas judicieux drsquoanalyser des reacutegimes alimentaires agrave partir des enquecirctes laquo Budget de famille raquo

Les recommandations ci-dessous envisagent des pistes meacutethodologiques pour reacuteduire ces deacutecalages Lrsquoencadreacute 1 eacutevoque les deacuteclinaisons possibles de ces recommandations agrave la theacutematique de laquo lrsquoalimentation durable raquo Associeacutee agrave une diversiteacute de pratiques cette theacutematique est tregraves valoriseacutee socialement et donc sujette agrave des deacutecalages importants entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

La premiegravere famille de recommandations concerne des preacutecautions drsquousage par rapport aux sources de donneacutees quantitatives Elle est deacuteclineacutee selon les grands types identifieacutes en deacutebut de cet article (tableau 1)

- Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques Avant que les donneacutees de consommation ne soient couramment produites les eacuteconomistes utilisaient surtout les donneacutees de production drsquoexport et drsquoimport pour par diffeacuterence eacutetablir la consommation apparente Ces donneacutees de cadrage ne sont pas des donneacutees de consommation reacuteelle Elles sont baseacutees sur la reconstitution de la consommation agrave partir de sources diverses et doivent ecirctre utiliseacutees avec preacutecaution souvent pour cadrer des eacuteleacutements de contexte Elles aident agrave suivre des tendances (eacutevolutions relatives) sont utiles pour reacutealiser des analyses agrave un niveau macroeacuteconomique ou macrosociologique mais restent eacuteloigneacutees de la consommation reacuteelle (niveau microeacuteconomique ou microsociologique agrave lrsquoeacutechelle drsquoun groupe particulier ou drsquoun individu)

- Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat) Des donneacutees issues directement des circuits de distribution sont plus pertinentes car elles mesurent reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles sont toutes priveacutees Ces donneacutees ne couvrent que certains circuits de distribution notamment la grande distribution qui ne repreacutesente que 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les Comptes du commerce de lrsquoInsee de 2017) Ces deacutepenses ne couvrent pas les consommations en restauration hors foyer

36 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

- Donneacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat par sondage) Les donneacutees de mesures des comportements reacuteels reposent la plupart du temps sur le remplissage de carnets alimentaires par des enquecircteacutes qui font appel agrave leur meacutemoire et occasionnent des oublis Toutefois comme montreacute gracircce agrave lrsquoexpeacuterimentation avec les cameacuteras on peut estimer que ces oublis ne repreacutesentent pas plus de 10 des cas sauf pour les consommations drsquoeau (omises dans 17 des cas) certaines denreacutees sont eacutegalement speacutecifiquement concerneacutees (environ 10 drsquooublis pour les produits sucreacutes et pour les leacutegumes souvent sous forme de condiments) Il convient drsquoavoir en tecircte ces ordres de grandeur lors de lrsquoutilisation des reacutesultats de ce type drsquoenquecirctes

- Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias Le deacutecalage entre opinions activiteacutes meacutediatiques et comportements reacuteels peut ecirctre important Les sondages drsquoopinion nrsquoapportent aucun eacuteleacutement factuel et concret mais ce sont des meacutethodes relativement faciles agrave mobiliser qui documentent des eacutevolutions drsquoopinions ou drsquoattitudes Il nrsquoest donc pas possible de deacuteduire directement des informations sur les comportements agrave partir de ces reacutesultats Toutefois ces meacutethodes coupleacutees par exemple agrave des techniques drsquoapprofondissement qualitatifs peuvent apporter des eacuteclairages inteacuteressants sur certains facteurs influenccedilant les comportements alimentaires

La deuxiegraveme recommandation preacuteconise drsquoutiliser drsquoautres sources drsquoinformation agrave commencer par celles issues drsquoapproches qualitatives (observation entretiens etc) Pour comprendre comment les individus adoptent une pratique alimentaire lrsquoapproche quantitative nrsquoest pas suffisante (entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier) Par exemple dans lrsquoadoption de nouvelles conduites de consommation les moments de bifurcation dans les trajectoires biographiques sont importants arriveacutee drsquoun enfant retraite changement de travail de domicile divorce deuil etc (Barrey et al 2012) Les pratiques alimentaires ne sont pas isoleacutees de la vie sociale et sont fortement influenceacutees par des eacutevegravenements exteacuterieurs agrave lrsquoacte drsquoalimentation Il est donc important drsquoassocier au quantitatif les apports de meacutethodes qualitatives issues de diverses disciplines (sociologie anthropologie histoire eacuteconomie psychologie psychologie sociale etc)

La troisiegraveme recommandation est de rechercher la compleacutementariteacute entre les donneacutees sur les comportements alimentaires et celles sur lrsquooffre alimentaire En effet les deacutecalages entre comportements et attitudes srsquoexpliquent aussi par lrsquoinfluence de lrsquooffre Celle-ci peut ecirctre analyseacutee du point de vue de la qualiteacute des produits (Oqali Open food facts etc) des innovations de points de vente (ONCC LSA etc) des innovations produits (XTCscan TM Mintel) ou des assortiments (IRI Kantar Nielsen) Ces eacuteleacutements apportent des eacuteclairages tant sur les possibiliteacutes offertes aux consommateurs que sur les caracteacuteristiques de la zone de chalandise drsquoun magasin Les pratiques alimentaires se construisent et eacutevoluent avec les recommandations marchandes et publiques

La quatriegraveme recommandation invite agrave faire preuve de prudence quant agrave lrsquoutilisation des sources meacutediatiques Lrsquoanalyse de ces sources (Twitter Instagram presse etc) est complexe et elle ne reflegravete pas les comportements reacuteels des mangeurs Ces sources sont difficiles agrave appreacutehender et elles ne sont pas agrave privileacutegier pour comprendre lrsquoeacutevolution des comportements alimentaires Elles sont neacuteanmoins inteacuteressantes pour comprendre les attentes drsquoune partie de la socieacuteteacute qui ne produit qursquoune partie des opinions La faccedilon meacutediatique de traiter les consommations alimentaires (amplification de pratiques tregraves valoriseacutees etc) nrsquoest pas le strict reflet des opinions et pratiques alimentaires du grand public Nos eacutetudes de cas montrent que le bruit meacutediatique nrsquoinfluence qursquoune faible part des consommateurs Par ailleurs les valeurs et prescriptions veacutehiculeacutees par les meacutedias ne repreacutesentent qursquoun des nombreux facteurs drsquoinfluence des comportements alimentaires Il y a donc bien des deacutecalages entre opinions valeurs meacutediatiquement valoriseacutees et actes quotidiens des individus

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 37

La cinquiegraveme et derniegravere recommandation est drsquoexplorer les sources de donneacutees des nouveaux acteurs digitaux notamment les applications pour smartphones de plus en plus nombreuses et largement utiliseacutees Ces applications digitales concernent des cateacutegories socio-professionnelles ayant un niveau drsquoeacuteducation plus eacuteleveacute que la moyenne (Nielsen PanelViews deacutecembre 2016) mais elles sont des sources drsquoinformations inteacuteressantes pour le suivi des comportements alimentaires Il importe toutefois de souligner les questions de confidentialiteacute et de proprieacuteteacute lieacutees agrave ces donneacutees De plus cette utilisation produit des volumes de donneacutees tregraves importants (big) qui peuvent ecirctre exploiteacutees pour mesurer lrsquoeacutevolution des attentes de populations speacutecifiques tout en les croisant avec les achats en magasin si ces applications le permettent (ex MyLabel)

Les cinq familles de recommandations preacuteceacutedentes sont tout agrave fait pertinentes en matiegravere drsquoalimentation durable12 Cette derniegravere se reacutevegravele particuliegraverement inteacuteressante dans le cadre de notre eacutetude car i) elle est tregraves deacutesirable pour de nombreux consommateurs ii) socialement et collectivement encourageacutee iii) marqueacutee par des repreacutesentations des attentes et des pratiques varieacutees iv) au cœur drsquointerventions publiques soutenues v) sujette agrave reacuteflexions et choix chez les acteurs des filiegraveres alimentaires Autant de speacutecificiteacutes qui tendent agrave accroicirctre les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle De nombreux comportements en lien avec une alimentation durable pourraient ainsi ecirctre mesureacutes en mobilisant les diffeacuterentes sources de donneacutees eacutevoqueacutees au cours de cette eacutetude Crsquoest par exemple le cas des pratiques valorisant la reacuteduction des emballages des signes de qualiteacute ou encore la proximiteacute Des indicateurs tels que la part du vrac la part de produits sous labels la part des produits locaux sont ainsi mesurables agrave partir des donneacutees exhaustives de ventes (recommandation ndeg 3) Ces donneacutees pour les circuits de grande distribution sont les plus pertinentes pour estimer les niveaux drsquoalimentation durable consommeacutee en effet les informations standardiseacutees des codes-barres (gencod) permettent de deacutefinir preacuteciseacutement quels types de produits sont acheteacutes Plus speacutecifiquement pour reacuteduire les deacutecalages entre le deacuteclaratif et le reacuteel en matiegravere de consommations de produits biologiques nous recommandons

- drsquoutiliser en prioriteacute les enquecirctes de mesure (drsquoabord des donneacutees exhaustives drsquoachat ensuite des donneacutees drsquoingestion ou drsquoachat par sondage) pour eacutetablir les volumes de bio acheteacutes

- drsquoapprofondir cette mesure par la compreacutehension du pheacutenomegravene gracircce agrave une approche qualitative

- de comptabiliser le nombre de reacutefeacuterences estampilleacutees AB dans lrsquoensemble des circuits de commercialisation (donneacutees de panel) pour eacutetudier lrsquooffre

- de ne pas privileacutegier les sources meacutedias geacuteneacuteralement peu utiles pour mesurer ou comprendre des comportements reacuteels

- drsquoeacutetudier les donneacutees reacuteelles drsquoachat de consommateurs speacutecifiques tels que ceux inscrits sur une application comme MyLabel qui aide agrave manger selon ses attentes et ses convictions La possibiliteacute pour les utilisateurs drsquoajouter les produits agrave leurs paniers drsquoachat geacutenegravere des donneacutees croisant les attentes et les acquisitions de chaque individu Elle permettrait drsquoapprofondir la connaissance des deacutecalages entre comportements reacuteels et attentes

Encadreacute 1 - Le cas embleacutematique de lrsquoalimentation durable

12 LrsquoOrganisation pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture (FAO) deacutefinit lrsquoalimentation durable comme laquo une alimentation qui protegravege la biodiversiteacute et les eacutecosystegravemes culturellement acceptable accessible eacuteconomiquement loyale et reacutealiste nutritionnellement adeacutequate et deacutepourvues de risques et saines et capable drsquooptimiser lrsquousage des ressources naturelles et humaines raquo (2010) Pour lrsquoADEME en 2018 il srsquoagit de laquo lrsquoensemble des pratiques alimentaires qui visent agrave nourrir les femmes et les hommes en qualiteacute et en quantiteacute aujourdrsquohui et demain dans le respect de lrsquoenvironnement raquo

38 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Il y aura toujours des eacutecarts entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes enregistreacutes par des enquecirctes ou des sondages et les comportements alimentaires reacuteels Des preacutecautions de meacutethode et le croisement des sources sont donc indispensables Lrsquoinexactitude des auto-deacuteclarations portant sur les consommations reacuteelles peut deacutecouler des protocoles de recueil drsquoinformations des outils de mesure ou encore de caracteacuteristiques des enquecircteacutes Une autre source drsquoerreur vient du rapprochement entre des donneacutees disparates et par exemple de conclusions abusives sur les comportements reacuteels tireacutees drsquoopinions ponctuelles Les sondages sur lrsquoalimentation souhaitable ou souhaiteacutee peuvent nrsquoavoir qursquoune faible valeur preacutedictive des ingestions et achats faits en situations reacuteelles

Plusieurs compleacutements pourraient ecirctre apporteacutes agrave ce travail Comme le montre la premiegravere eacutetude de cas pour les prochaines enquecirctes alimentaires il serait judicieux de renforcer les consignes et les rappels concernant le bon remplissage des carnets alimentaires agrave chaque nouvelle journeacutee afin de reacuteduire le risque de sous-deacuteclaration Qursquoil srsquoagisse des donneacutees CCAF ou INCA aucun ajustement nrsquoest en effet pour lrsquoinstant effectueacute pour laquo recaler raquo les donneacutees

Sur la base des reacutesultats de la deuxiegraveme eacutetude de cas lrsquoidentification des cateacutegories drsquoaliments les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait servir agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles suppleacutementaires afin de reacuteduire le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

Enfin la troisiegraveme eacutetude de cas indique qursquoil serait inteacuteressant drsquoanalyser sur un temps plus long les correacutelations entre opinions exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et donneacutees drsquoachats Le calcul drsquoeffets de longue peacuteriode avec des modegraveles autoreacutegressifs reacutepondrait agrave la question de degreacute de peacuterenniteacute des opinions diffuseacutees par les meacutedias en ligne et les reacuteseaux sociaux Il semble que les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public nrsquoinfluencent que peu les comportements alimentaires concrets

Lrsquoaction publique en matiegravere drsquoalimentation fait face agrave divers deacutefis dont celui de la connaissance de la compreacutehension des comportements des mangeurs La diversification des pratiques individuelles le deacuteveloppement de nouvelles attentes la multiplication des sources drsquoinformations sont autant drsquoeacutevolutions qui complexifient cette tacircche de suivi et drsquoanalyse de la reacutealiteacute Dans ce contexte les commanditaires de cette eacutetude souhaitaient approfondir la question des eacutecarts entre les conduites alimentaires deacuteclareacutees et les conduites effectives En proposant une synthegravese de la litteacuterature existante et en approfondissant des cas particuliers lrsquoeacutetude apporte des eacuteleacutements nouveaux sur les processus de construction et drsquoutilisation des donneacutees et sur les principales sources de deacutecalages agrave lrsquoœuvre Elle propose des pistes drsquoameacutelioration des proceacutedures de collecte et drsquointerpreacutetation des informations et montre les opportuniteacutes offertes par le croisement des meacutethodes quantitatives et qualitatives mais aussi par les outils numeacuteriques Enfin et surtout elle ouvre des perspectives pour une action publique plus cibleacutee car mieux adapteacutee agrave la reacutealiteacute des pratiques quotidiennes des consommateurs

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 39

Reacutefeacuterences bibliographiques

Agence BIO 2019 Baromegravetre de consommation et de perception des produits biologiques en France httpswwwagencebioorgwp-contentuploads201902Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019pdf

Archer E Marlow M L Lavie C J 2018 ldquoControversy and Debate Memory based methods Paper 1 The fatal flaws of food frequency questionnaires and other memory-based dietary assessment methodsrdquo J Clinical Epidemiology doi101016jjclinepi201808003

Archer E Pavela G Lavie CJ 2015 ldquoThe inadmissibility of what we eat in America and NHANES dietary data in nutrition and obesity research and the scientific formulation of national dietary guidelinesrdquo Mayo Clinic Proc doi 101016jmayocp201504009

Barrey S Dubuisson-Quellier S Gojard S Plessz M 2012 Les effets des prescriptions sur les pratiques de consommation alimentaires rocircle des positions dans la trajectoire de vie et des ressources sociales Gouverner les conduites eacuteconomiques 37 p (hal-01191182)

Bernard H R Killworth P Kronenfeld D Sailer L 1984 ldquoThe problem of informant accuracy the validity of retrospective datardquo Annual Review of Anthropology 13 495-517

Bernstein D M Loftus E F 2009 ldquoThe consequences of false memories for food preferences and choicesrdquo Perspect Psychol Sci 4 135-139

Bessiegravere C et al 1997 laquo Lrsquoenquecircte par questionnaire raquo Genegraveses 99-122

Block G 1982 ldquoA review of validations of dietary assessment methodsrdquo American Journal of Epidemiology 115(4)492-505 DOI 101093oxfordjournalsajea113331

Braconnier C 2010 Une autre sociologie du vote Les eacutelecteurs dans leurs contextes LGDJ collection LEJEP

Carrigan M Attalla A 2001 ldquoThe myth of the ethical consumer Do ethics matter in purchase behaviourrdquo Journal of Consumer Marketing 18560-578

Caruana R Carrington M J Chatzidakis A ldquolsquolsquoBeyond the Attitude-Behaviour Gap Novel Perspectives in Consumer Ethicsrsquorsquo Introduction to the Thematic Symposiumrdquo Journal of Business Ethics 136(2) DOI 101007s10551-014-2444-9

Data Science campus ldquoEvaluating Calorie Intakerdquo consulteacute en ligne le 13 janvier 2019 httpsdatasciencecampusonsgovukeclipse

Deese J 1959 ldquoOn the prediction of occurrence of particular verbal intrusions in immediate recallrdquo J Exp Psychol 58 17-22

Devinney T M Auger P Eckhardt G M 2010 The myth of the ethical consumer Cambridge University Press

Dong Y Hoover A Scisco J Muth E 2012 ldquoA new method for measuring meal intake in humans via automated wrist motion trackingrdquo Ammp Psychophysiol Biofeedback 37 205-215

40 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Donnat O 2009 Les pratiques culturelles des Franccedilais agrave lrsquoegravere numeacuterique Enquecircte 2008 La Deacutecouverteministegravere de la Culture et de la Communication

Dubuisson C Dufour A Carrillo S Drouillet-Pinard P Havard S Volatier J L 2018 ldquoThe Third French Individual and National Food Consumption (INCA3) Survey 2014-2015 method design and participation rate in the framework of a European harmonization processrdquo Pub Health Nutr doi 101017S1368980018002896

Dhurandhar N Schoeller D Brown A et al 2015 ldquoEnergy balance measurement when something is not better than nothingrdquo Int J Obes 39 1109-1113 doi101038ijo2014199

Fontana J M Higgins J A Schuckers S C Bellisle F Pan Z Melanson E L Neuman M R Sazonov E 2015 ldquoEnergy intake estimation from counts of chews and swallowsrdquo Appetite 85 14-21

Fournier M 2013 laquo La monteacutee des valeurs feacuteminines raquo Les grands dossiers des Sciences Humaines vol 33 Ndeg12

Freedman L S Moler C J Arab L Baer D Kipnis V et al 2014 ldquoPooled results from 5 validation studies of dietary self-report instruments using recovery biomarkers for energy and protein intakerdquo Am I Epidemiol 180 172-188

Gallo D A 2010 ldquoFalse memories and fantastic beliefs 15 years of the DRM illusionrdquo Mem Cognit DOI 38833-848

Heacuteran F 1984 laquo Lrsquoassise statistique de la sociologie raquo Eacuteconomie et statistique 1681 23-35

Hu F B Wilett W C 2018 ldquoCurrent and future landscape of nutritional epidemiologic researchrdquo Journal of the American Medical Association doi101001jama201816166

IFOP 2017 Les produits laitiers et la consommation de viande bio en France httpwwwproduitslaitiersetviandebiocomfilePrez_Interbev-Conf_presse_20avril17webokpdf

IPSOS Global Trends 2014 laquo Consommer local raquo ce que veulent les Franccedilais httpswwwipsoscomfr-frconsommer-local-ce-que-veulent-les-francais

Kronenfeld D B Kronenfeld J Kronenfeld J E 1972 ldquoToward a science of design for successful food servicerdquo Ins Vol Feed Manage 70 38-44

Lahlou S 1998 The subjective camera (laquo SubCam raquo) A new technique for studying representations in context Four th International Conference on social representations Mexico 81998

Lahlou S 2006 laquo Lrsquoactiviteacute du point de vue de lrsquoacteur et la question de lrsquointersubjectiviteacute   huit anneacutees drsquoexpeacuteriences avec des cameacuteras miniaturiseacutees fixeacutees au front des acteurs (subcams) raquo Communications (80) 209-234 ISSN 0588-8018

Liu J Johns E Atallah L Pettitt C Lo B Frost G Yang G Z 2012 ldquoAn intelligent food-intake monitoring system using wearable sensorsrdquo in Ninth International Conference on Wearable and Implantable Body Sensor Networks IEEE pp154-160

Lombardot E Mugel O 2015 laquo Proposition drsquoun modegravele explicatif de lrsquoeacutecart entre intention et comportement de consommer responsable inteacutegrant les facteurs situationnels une eacutetude appliqueacutee agrave lrsquoalimentation raquo 10e Journeacutee Marketing AgroAlimentaire Montpellier

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 41

Lucas R M Harris R M R 2018 ldquoOn the nature of evidence and lsquoprovingrsquo causality Smoking and lung cancer vs sun exposure vitamin D and multiple sclerosisrdquo Int J Envir Res Publ Health 151726 doi103390ijerph15081726

Lusk J L Brooks K 2011 ldquoWho participates in household scanning panelsrdquo Am J Agric Econ 93226-240

Macdiarmid J I Blundell J E 1997 ldquoDietary under-reporting what people say about recording their food intakerdquo Eur J Clin Nutr 51 199-200

Masson L F McNeill G Tomany J O Simpson J A Peace H S Wei L et al 2003 ldquoStatistical approaches for assessing the relative validity of a food-frequency questionnaire use of correlation coefficients and the kappa statisticrdquo Public health nutrition 16(03)313-21

Mela DJ Aaron JI 1997 ldquoHonest but invalid what subjects say about recording their food intakerdquo J Acad Nutr Diet 97 791-793

OpinionWaySenseva 2016 Le Profil des acheteurs et les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation bio en 2016 httpwwwthemavisionfruploaddocsapplicationpdf2016-05etude_organics_cluster_et_cosmebiopdf

Peacutequignot B 2011 laquo Speacutecificiteacute du terrain en sociologie des arts et de la culture raquo SociologieS httpjournalsopeneditionorg Sociologies3487

Pfeiffer C M Sternberg M R Schleicher R L Haynes B M Rybak M E Prikle J L 2013 ldquoThe CDCrsquos Second National Report on Biochemical Indicators of Diet and Nutrition in the US Population is a valuable tool for researchers and policy makersrdquo J Nutr 143 938S-947S

Prentice R L Huang Y Tinker L F Beresford S A Lampe J W Neuhouser M L 2009 ldquoStatistical aspects of the use of biomarkers in nutritional epidemiology researchrdquo Stat Biosci 1 112-123

Ptomey L T Willis E A Honas J J Mayo M S Washburn R A Herrmann S D Sullivan D K Donelly J E 2015 ldquoValidity of energy intake estimated by digital photography plus recall in overweight and obese young adultsrdquo J Acad Nutr Diet 115 1392-1399

Roediger H L McDermott K B 1995 ldquoCreating false memories remembering words not presented in listsrdquo J Exp Psychol Lear Mem Cogn 21 803-814

Scagliusi F B Polacow V O Artioli G G Benatti F B Lancha A H 2003 ldquoSelective underreporting of energy intake in women magnitude determinants and effect of trainingrdquo J Am Diet Assoc 1031306-1313

Schwarz N 1999 ldquoSelf-reports How the questions shape the answersrdquo American Psychologist 54(2) 93ndash105 httpsdoiorg1010370003-066X54293

Simon H 1957 Models of Man Social and Rational Mathematical Essays on Rational Behavior in a Social Setting New York Wiley

Stubbs R J OrsquoReilly L M Whybrow S Fuller Z Johnstone A M Livingstone M B E Ritz P Horgan G W 2014 ldquoMeasuring the difference between actual and reported food intakes in the context of energy balance under laboratory conditionsrdquo BJN 111 2032-2043

42 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Terlau W Hirsch D 2015 ldquoSustainable consumption and the attitude-behaviour-gap phenomenon Causes and measurements towards a sustainable developmentrdquo Journal on Food System Dynamics 6 doi doiorg1018461ijfsdv6i3634

Thorslund C A H Lassen J 2016 ldquoContext orders of worth and the justification of meat consumption practicesrdquo Sociologia Ruralis

Vermeir I Verbeke W 2006 ldquoSustainable food consumption exploring consumer ldquoattitude-behavioral intentionrdquo gaprdquo Journal of Agricultural and Environmental Ethics 19169-194

Wansink B Sobal J 2007 ldquoMindless eating The 200 daily food decisions we overlookrdquo Environment and Behavior 39106-123

Zuinen N 2002 Essai sur le rocircle des femmes et des valeurs feacuteminines Reflets et perspectives de la vie eacuteconomique tome XLI Ndeg 1 pp 109-114

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 43

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Reacutesumeacute

Depuis le milieu des anneacutees 1990 la sous-traitance agricole se deacuteveloppe de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations y ayant recours a eacuteteacute multiplieacute par deux Reacutepondant agrave la difficile transmission familiale des exploitations ou aux strateacutegies de croissance des plus grandes drsquoentre elles lrsquoessor de la prestation de services est lrsquoune des tendances marquantes de lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture franccedilaise Ce marcheacute estimeacute agrave environ 4 milliards drsquoeuros se caracteacuterise par une forte transformation de la demande et par la creacuteation de nombreuses entreprises de travaux deacutedieacutees Si la plupart drsquoentre elles proposent de reacutealiser des tacircches preacutecises drsquoautres ont deacuteveloppeacute une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale de lrsquoexploitation agrave la fois technique administrative et financiegravere La sous-traitance agricole et notamment la deacuteleacutegation inteacutegrale des activiteacutes restent pourtant peu documenteacutees Diverses questions demeurent auxquelles cet article contribue agrave reacutepondre en rassemblant les reacutesultats saillants de recherches conduites depuis 2012 Il fait suite aux eacutevaluations quantitatives de la progression du pheacutenomegravene reacutealiseacutees par le groupe de travail ActifrsquoAgri2 animeacute par le Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La premiegravere partie explicite la meacutethode utiliseacutee et les trois suivantes preacutesentent un eacutetat des lieux du marcheacute puis un recensement de lrsquoeacutevolution des pratiques et enfin une analyse des formes innovantes drsquoorganisation de la prestation de services La conclusion traite des questions souleveacutees par le deacuteveloppement rapide du pheacutenomegravene et des implications en matiegravere de politiques publiques

Mots cleacutes

Sous-traitance deacuteleacutegation inteacutegrale pratiques organisations tertiarisation agriculture

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Universiteacute feacutedeacuterale de Toulouse Institut national polytechnique Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique UMR INP-INRAE Agir Avenue de lrsquoagrobiopole BP 32607 Auzeville-Tolosane 31326 Castanet-Tolosan Cedex 2 Voir en particulier le chapitre 3 de lrsquoouvrage final tireacute de cette reacuteflexion collective Bignebat C Delame N Hugonnet  M Legagneux B Nguyen G Piet L laquo Trois tendances structurantes concentration sous-traitance et diversification des exploitations raquo dans Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective Ministegravere de lrsquoagriculture et de lrsquoalimentation Paris La Documentation franccedilaise Ouvrage teacuteleacutechargeable dans sa version inteacutegrale et par chapitre sur httpsagriculturegouvfractifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux1

44 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

La sous-traitance est un pheacutenomegravene connu surtout dans le secteur de lrsquoindustrie ougrave elle se deacuteveloppe agrave un rythme soutenu plus particuliegraverement depuis les anneacutees 1970 (Bakis 1975 Queacutelennec 1987 Perraudin et al 2013 Souquet 2016) Crsquoest un moyen essentiel pour les entreprises de reacuteorganiser leurs chaicircnes de valeur et drsquoaccroicirctre leurs avantages concurrentiels (Williamson 2008 Milberg et Winkler 2013) Dans ce secteur cette pratique fait mecircme lrsquoobjet drsquoune deacutefinition normaliseacutee elle deacutesigne laquo toutes les opeacuterations concourant pour un cycle de production deacutetermineacute agrave lrsquoune ou plusieurs des opeacuterations de conception drsquoeacutelaboration de fabrication de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause dont une entreprise dite donneur drsquoordres confie la reacutealisation agrave une entreprise dite sous-traitant ou preneur drsquoordres tenue de se conformer exactement aux directives ou speacutecifications techniques arrecircteacutees en dernier ressort par le donneur drsquoordres raquo (AFNOR 1987)

Bien que la sous-traitance ait longtemps eacuteteacute associeacutee agrave la grande entreprise inteacutegreacutee souhaitant utiliser des capaciteacutes productives exteacuterieures peu speacutecifiques et bon marcheacute et se deacutesengager de certains meacutetiers certaines formes de sous-traitance industrielle peuvent ecirctre aujourdrsquohui qualifieacutees laquo de speacutecialiteacute raquo ou laquo drsquointelligence raquo et incarneraient de nouvelles formes de relations inter-entreprises (Billaudot Julien 2003 Mariotti 2005) Ce basculement drsquoune laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo agrave une laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo opeacutereacute dans les anneacutees 1980 dans un contexte de concurrence exacerbeacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale est souvent preacutesenteacute comme devant deacuteboucher sur un partenariat inter-entreprises plus eacutequilibreacute Cependant ces mutations sont largement discuteacutees par lrsquoeacuteconomie des organisations la gestion et la sociologie eacuteconomique qui ne manquent pas de souligner une coexistence entre des formes anciennes et nouvelles de sous-traitance mais eacutegalement la persistance de rapports de force et de domination en deacutefaveur du sous-traitant (Surubaru 2014 Seiller 2014 Holcomb et Hitt 2007 Arnold 2000)

En agriculture agrave cocircteacute de lrsquoentraide la sous-traitance de certaines opeacuterations techniques par lrsquoagriculteur agrave un tiers3 comme la reacutecolte et lrsquoenrubannage est aussi une pratique ancienne Toutefois son recours est resteacute longtemps lrsquoapanage de petites ou moyennes exploitations ne posseacutedant pas le mateacuteriel ou la main-drsquoœuvre neacutecessaires Les travaux sous-traiteacutes relegravevent alors traditionnellement drsquoarrangements plus ou moins informels avec des exploitations proches cherchant agrave amortir leur mateacuteriel avec des coopeacuteratives drsquoutilisation de mateacuteriels agricoles (CUMA) ou encore avec des entreprises de travaux agricoles (ETA) Parce qursquoils sont tous les deux agriculteurs ou revendiquent le statut drsquoagriculteur quels que soient celui qui deacutelegravegue et celui qui reacutealise les travaux nous sommes ici devant des figures du laquo donneur drsquoordres raquo et du laquo sous-traitant raquo diffeacuterentes de celles de lrsquoindustrie

Nous ne traiterons ici que de la prestation de services par les ETA dans la mesure ougrave crsquoest cette forme qui domine le marcheacute ces ETA repreacutesentaient en 2016 selon les donneacutees de lrsquoenquecircte sur la structure des exploitations agricoles (ESEA 2016) 90 du volume de travail de sous-traitance agricole Nous nrsquoeacutetudierons pas non plus ici le recours agrave certaines formes de salariat temporaire aupregraves de groupements drsquoemployeurs ou drsquoagences drsquointeacuterim qui peuvent srsquoapparenter agrave de la sous-traitance partielle

3 Ce pheacutenomegravene de sous-traitance qui se limite agrave lrsquoamont productif est agrave diffeacuterencier de la sous-traitance de tacircches par une entreprise agroalimentaire de lrsquoaval agrave un agriculteur communeacutement associeacutee agrave des processus drsquointeacutegration verticale et au modegravele drsquoagriculture contractuelle Cette derniegravere forme de sous-traitance nrsquoest pas lrsquoobjet de cet article

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 45

Par laquo travaux agricoles raquo le code rural (article L722-2) deacutefinit tous les laquo travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou veacutegeacutetale les travaux drsquoameacutelioration fonciegravere agricole ainsi que les travaux accessoires neacutecessaires agrave lrsquoexeacutecution des travaux preacuteceacutedents4raquo Au-delagrave des stricts travaux agricoles la sous-traitance peut aller jusqursquoagrave inclure une tacircche administrative comme la comptabiliteacute reacutealiseacutee par des centres de gestion

La sous-traitance en agriculture donne lieu communeacutement agrave la reacutealisation et agrave lrsquoexeacutecution drsquoune ou de plusieurs opeacuterations culturales (reacutecolte travail du sol semis etc) voire plus rarement de plusieurs opeacuterations drsquoeacutelevage (retrait des animaux prophylaxie) Il faut la distinguer de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux communeacutement appeleacutee le laquo A agrave Z raquo que nous deacutefinissons comme le processus qui conduit agrave deacuteleacuteguer agrave un tiers la conduite et la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Nous nous inteacuteresserons ici agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus ou peu drsquoactiviteacute agricole et qursquoil confie la quasi-totaliteacute de la conduite des travaux mais aussi la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsque lrsquoexploitant confie lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques ou moins inteacuteressantes agrave un ou plusieurs sous-traitants afin de se recentrer sur ce qursquoil considegravere ecirctre son cœur de meacutetier5 Agrave la diffeacuterence du simple sous-traitant le deacuteleacutegataire est ici plus autonome vis-agrave-vis de son client qui nrsquoest alors pas agrave consideacuterer comme un laquo donneur drsquoordres raquo Lrsquoimplication de ce dernier varie selon les cas certains participent encore agrave lrsquoeacutelaboration du cahier des charges des opeacuterations tandis que drsquoautres confient au sous-traitant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des deacutecisions techniques voire des deacutecisions commerciales (achat des intrants et vente des reacutecoltes) Dans ces scheacutemas de deacuteleacutegation inteacutegrale il y a dissociation partielle agrave totale des droits de proprieacuteteacute et des droits de gestion Une telle deacuteleacutegation constitue une forme particuliegraverement aboutie de sous-traitance

Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de la sous-traitance en agriculture nrsquoa deacutebuteacute que vers le milieu des anneacutees 1990 (Heacutebrard 2001 Chevalier 2007) Elle nrsquoa cesseacute depuis de se deacutevelopper de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance6 a ainsi eacuteteacute multiplieacute par deux (Forget et al 2019) Parallegravelement nous observons de nombreuses creacuteations de socieacuteteacutes de travaux et de prestation de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchent agrave amortir et de compeacutetences qursquoils cherchent agrave laquo moneacutetiser raquo (expertise agronomique maicirctrise des nouvelles technologies embarqueacutees capaciteacute de collecte et de commercialisation) Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale consideacutereacute comme ineacutedit par Harff et  Lamarche (1998) srsquoest amplifieacute dans les campagnes franccedilaises (Anzalone et Purseigle 2014 Purseigle et al 2017) Ont ainsi eacuteteacute observeacutees des logiques de speacutecialisation chez des polyculteurs-eacuteleveurs qui confient la gestion et la conduite de leurs productions veacutegeacutetales agrave une entreprise deacuteleacutegataire pour mieux se recentrer sur les activiteacutes drsquoeacutelevage ou encore des exploitants aux allures de laquo proprieacutetairerentier raquo agrave la tecircte drsquolaquo exploitations en trompe-lrsquoœil raquo mus par une logique de laquo rente familiale raquo (Anzalone et Purseigle 2014 p336) Par-delagrave la dimension organisationnelle cette forme aboutie de deacuteleacutegation constituerait non seulement laquo une profonde rupture dans la conception du meacutetier drsquoagriculteur et dans la formation de lrsquoidentiteacute professionnelle raquo (Harff et Lamarche 1998 p10) mais aussi une nouvelle eacutetape dans la laquo gestionnarisation raquo des activiteacutes de deacuteleacutegation productive Relevant

4 Il inclut eacutegalement tous laquo les travaux de creacuteation restauration et entretien des parcs et jardins raquo mais il nrsquoen sera pas question dans cet article5 Un exemple communeacutement rencontreacute de deacuteleacutegation par laquo recentrage raquo est celui de lrsquoeacuteleveur qui deacutelegravegue agrave un tiers lrsquointeacutegraliteacute des travaux de culture pour se consacrer agrave lrsquoeacutelevage6 La cateacutegorie laquo exploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance raquo est deacutefinie par rapport au poids du travail apporteacute par les entreprises de travaux agricole relativement au travail permanent

46 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

parfois de nouveaux dispositifs de laquo co-pilotage raquo des exploitations agricoles porteacutes par des entreprises franccedilaises ou eacutetrangegraveres la deacuteleacutegation inteacutegrale illustrerait une laquo tertiarisation raquo des activiteacutes productives agricoles

Mais alors qursquoelles connaissent un tournant majeur la sous-traitance et la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux agricoles par des agriculteurs restent tregraves peu documenteacutees et eacutetudieacutees Un recensement de la litteacuterature scientifique sur la sous-traitance en agriculture sur les vingt derniegraveres anneacutees met en eacutevidence de nombreux travaux de recherche portant sur la sous-traitance associeacutee agrave un processus drsquointeacutegration verticale aval-amont mais agrave peine une vingtaine de reacutefeacuterences dans le monde traitent de la sous-traitance entre acteurs de la production agricole dont seulement une dizaine concernant lrsquoEurope (Harff et Lamarche 1998 Vernimmen et al 2000 Heacutebrard 2001 Picazo-Tadeo et Reig-Martiacutenez 2006 Chevalier 2007 Igata et al 2008 Anzalone et Purseigle 2014) Ainsi de nombreuses questions demeurent quelles sont les caracteacuteristiques des nouvelles pratiques de sous-traitance pouvant aller jusqursquoagrave de la complegravete deacuteleacutegation Quels sont les deacuteterminants de leur eacutemergence et de leur deacuteveloppement Quels sont les acteurs et organisations qui les portent Comment ces nouvelles pratiques coexistent-elles avec des formes plus traditionnelles de sous-traitance En quoi constituent-elles des instruments au service de relations partenariales entre des exploitations agricoles aux tailles et aux logiques eacuteconomiques diffeacuterentes Quel est leur impact sur lrsquoorganisation de lrsquoactiviteacute de production agricole sur un territoire et au-delagrave sur le meacutetier drsquoagriculteur

Cet article7 rassemble des reacutesultats saillants de travaux de recherche conduits depuis 2012 sur lrsquoeacutemergence de nouvelles pratiques et organisations de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation Il comporte quatre parties Parce que lrsquoeacutetude de la sous-traitance et en particulier celle de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles constituent un veacuteritable deacutefi meacutethodologique il nous semble important dans une premiegravere partie drsquoexpliciter notre deacutemarche sur ce plan Les trois autres parties deacutevelopperont les reacutesultats Ainsi afin de caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur nous preacutesenterons dans la deuxiegraveme partie un bref eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance puis dans la troisiegraveme partie un recensement des pratiques de sous-traitance en distinguant les plus novatrices et notamment celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Nous tracerons ensuite dans la quatriegraveme et derniegravere partie les contours de formes innovantes drsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation et commenterons leur genegravese en deacuteveloppant lrsquoideacutee que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens davantage qursquoils ne les supplantent afin de reacutepondre agrave des demandes nouvelles eacutemanant drsquoentreprises agricoles situeacutees aux franges du modegravele de lrsquoexploitation familiale Nous distinguerons notamment deux grandes trajectoires drsquoeacutevolution de lrsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation lrsquoune partant de relations traditionnelles et greffant sur ces derniegraveres des modaliteacutes nouvelles lrsquoautre plus innovante fondeacutee sur la construction drsquoune cateacutegorie sociale nouvelle celle du land manager gestionnaire de patrimoines agricoles et nouveau maicirctre drsquoœuvre de la production agricole agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Enfin nous conclurons sur les questions souleveacutees par le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale

7 Cet article prolonge les analyses relatives agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale preacutesenteacutees dans Forget et al (2019)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 47

1 Deacutemarche meacutethodologique pour lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole

Le principal deacutefi poseacute par lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole8 et notamment de ses nouvelles pratiques est le repeacuterage qualitatif et quantitatif de ce pheacutenomegravene dans la mesure ougrave il existe peu de donneacutees permettant de lrsquoeacutetudier Pour contourner ce problegraveme lrsquoeacutetude a mobiliseacute une meacutethodologie mixte (Tashakkori et Teddlie 1998) et a comporteacute quatre grands volets avec pour principe une articulation eacutetroite entre analyses qualitatives et cadrages statistiques

Le premier volet consistait en la reacutealisation drsquoenquecirctes approfondies aupregraves de personnes ressources du secteur agricole (membres de la Socieacuteteacute des agriculteurs de France - SAF repreacutesentants syndicaux repreacutesentants de la Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) et de la Feacutedeacuteration nationale des CUMA (FNCUMA) dirigeants de coopeacuteratives etc) pour preacuteciser les contours du marcheacute de la sous-traitance et en preacutesenter les caracteacuteristiques

Les reacutesultats de ces enquecirctes ont eacuteteacute exploiteacutes dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude pour construire des indicateurs clefs et tenter de quantifier9 le pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France en mobilisant des donneacutees statistiques secondaires issues de diverses sources (recensements agricoles (RA) de 2000 et 2010 enquecircte sur les structures drsquoexploitation de 2016 Mutualiteacute sociale agricole FNEDT et registre Infogreffe du commerce et des socieacuteteacutes)

La quantification du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux culturaux agrave lrsquoeacutechelle nationale et de son eacutevolution constituait un enjeu meacutethodologique majeur les donneacutees de la statistique agricole ne permettant pas avant 2016 drsquoidentifier directement les exploitations qui y avaient recours En 2010 cet aspect nrsquoa eacuteteacute abordeacute dans le RA qursquoen reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Pour estimer le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale en grandes cultures en France en 2010 la meacutethode choisie dans le cadre du projet ANR Agrifirme a consisteacute dans un premier temps agrave caracteacuteriser les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant deacuteclareacute agrave cette date avoir entiegraverement deacuteleacutegueacute la conduite de leurs cultures Lrsquoanalyse srsquoest focaliseacutee sur les exploitations speacutecialiseacutees dans la production de ceacutereacuteales et drsquooleacuteo-proteacuteagineux dont la production brute standard (PBS) est supeacuterieure agrave 5 000 euro (ces exploitations sont les plus susceptibles de recourir agrave cette forme de deacuteleacutegation) Pour lrsquoextrapolation agrave lrsquoeacutechelle nationale lrsquoanalyse statistique a conduit agrave identifier plusieurs variables disponibles nationalement permettant drsquoisoler les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant inteacutegralement deacuteleacutegueacute leurs cultures Les variables retenues eacutetaient le nombre de jours de travail drsquoETA par hectare de ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux cultiveacute le pourcentage des uniteacutes de travail agricole (UTA) apporteacutees par une ETA et le recours agrave une ETA pour les travaux phytosanitaires Pour chacune de ces trois variables des seuils au-delagrave desquels

8 Les eacuteleacutements deacuteveloppeacutes dans le preacutesent article srsquoancrent dans des travaux de recherche qui ont deacutebuteacute avec le projet ANR 1808 01 intituleacute Agrifirme (2011-2014) Lrsquoobjectif principal de ce projet eacutetait drsquoidentifier de caracteacuteriser et de quantifier de nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomique et sociale de la production agricole Ils se sont poursuivis avec lrsquoappui du programme investissements drsquoAvenir ANR-10-EQPX-17 du programme de recherche PSDR IV-ReproInnov et du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation dans le but notamment de mettre agrave jour les donneacutees statistiques Ils srsquoappuient eacutegalement sur des enquecirctes reacutealiseacutees dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin portant sur les innovations organisationnelles en eacutelevage ovin et du projet europeacuteen H2020 Agrilink portant sur les mutations du conseil agricole Ces travaux ont eacuteteacute meneacutes par une eacutequipe drsquoenseignants-chercheurs en eacuteconomie et sociologie de lrsquoInstitut national polytechnique - Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) parmi lesquels Julien Brailly Olivier Legagneux Geneviegraveve Nguyen Valeacuterie Olivier et Franccedilois Purseigle avec lrsquoappui en particulier de Guilhem Anzalone Seacutebastien Billows Perrine Fortin Eloiumlse Bergeret Olivier Pauly Joseacute Ramanantsoa et Jeacutereacutemy Andreacute 9 Sauf indication contraire de la source est indiqueacutee les chiffres mentionneacutes dans lrsquoarticle srsquoappuyant sur les donneacutees secondaires ont eacuteteacute calculeacutes par les auteurs

48 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale eacutetait statistiquement tregraves probable ont eacuteteacute calculeacutes En faisant lrsquohypothegravese ndash forte ndash que dans drsquoautres reacutegions des uniteacutes structurellement semblables au regard de ces variables utiliseraient de la mecircme faccedilon ces prestataires nous avons extrapoleacute au reste de la France le nombre drsquoexploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures ayant eu recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

En 2016 le questionnaire de lrsquoenquecircte Structures (ESA) comportait pour la premiegravere fois une question sur le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale pour lrsquoensemble des travaux culturaux Ceci a permis drsquoeacutelargir lrsquoanalyse agrave toutes les productions et de valider a posteriori les ordres de grandeur issus de lrsquoextrapolation reacutealiseacutee agrave partir des donneacutees issues du RA 2010 sur les grandes cultures Par ailleurs pour avoir une ideacutee de lrsquoeacutevolution entre 2010 et 2016 du recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale par les exploitations en grandes cultures nous avons appliqueacute la meacutethode drsquoextrapolation preacuteceacutedemment deacutecrite pour le RA aux donneacutees de lrsquoESA 201610

En parallegravele de ce repeacuterage statistique le troisiegraveme volet a consisteacute en des enquecirctes approfondies conduites aupregraves de 32 ETA et de 33 de leurs clients dans diverses reacutegions (Hauts-de-France Grand Est Centre-Val de Loire Bretagne Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie) entre 2012 et 2016 afin de reacutealiser des monographies et une typologie de prestataires de services de clients et de relations de sous-traitance et de deacuteleacutegation Ces acteurs ont eacuteteacute seacutelectionneacutes de maniegravere agrave repreacutesenter la diversiteacute des scheacutemas de sous-traitance et de deacuteleacutegation tant classiques qursquoeacutemergents Au cours de ces enquecirctes des questions ont eacuteteacute poseacutees sur les caracteacuteristiques des acteurs et leurs motivations sur lrsquoorganisation de la sous-traitance et les arrangements contractuels tant formels (contrats eacutecrits collecteacutes) qursquoinformels La compreacutehension des pratiques et des dispositifs de sous-traitance et de deacuteleacutegation permise par cette approche a ensuite orienteacute une eacutetude plus quantitative du pheacutenomegravene lors du quatriegraveme volet

Dans le cadre de ce dernier volet la focale a eacuteteacute mise sur le grand Sud-Ouest de la France reacutegion caracteacuteriseacutee par une diversiteacute des productions et des structures de production et par lrsquoimportance du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale quantifieacute dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude Au printemps 2018 des donneacutees ont eacuteteacute collecteacutees agrave lrsquoaide drsquoun questionnaire auto-administreacute aupregraves de 5 400 agriculteurs de 12 deacutepartements du Sud-Ouest Ce fichier a eacuteteacute construit agrave partir de listes drsquoagriculteurs constitueacutees dans le cadre de recherches anteacuterieures

Apregraves relances et nettoyage de la base de reacuteponses 1 247 reacuteponses ont eacuteteacute retenues pour lrsquoanalyse soit 23 de lrsquoeacutechantillon initial Ce dispositif drsquoenquecircte relatif aux recompositions en cours de lrsquoorganisation du travail dans les exploitations agricoles avait pour objectifs

- de recenser les sources de main-drsquoœuvre sur lrsquoexploitation ainsi que les pratiques et les besoins de sous-traitance

- de recueillir lrsquoopinion des agriculteurs sur la sous-traitance et plus particuliegraverement sur le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale

10 Agrave la diffeacuterence de lrsquoESA 2016 dans le recensement agricole de 2010 la question de la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux dans les exploitations en grandes cultures a eacuteteacute introduite mais seulement pour lrsquoancienne reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Une meacutethode drsquoextrapolation a donc eacuteteacute eacutelaboreacutee pour estimer ce pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France (voir lrsquoencadreacute 21 agrave la page 39 de Forget V et al 2019) Cette mecircme meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee aux donneacutees ESA 2016 afin de pouvoir comparer deux variables eacutequivalentes Il est agrave noter que le reacutesultat de lrsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2016 par la meacutethode drsquoextrapolation donne un chiffre de 8 986 exploitations de grandes cultures concerneacutees Compareacute au chiffre issu directement de la question poseacutee aux exploitations dans lrsquoESA 2016 qui est de 11 036 il y a une leacutegegravere sous-estimation du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale par la meacutethode drsquoextrapolation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 49

- de comprendre les nouvelles formes drsquoorganisation du travail et les environnements sociaux eacuteconomiques et institutionnels favorables agrave lrsquoessor du marcheacute de la sous-traitance

Des analyses statistiques ont eacuteteacute reacutealiseacutees pour deacutecrire et expliquer les pratiques de sous-traitance et de deacuteleacutegation ainsi que le choix des modaliteacutes de contractualisation en fonction de facteurs internes et externes agrave lrsquoexploitation

Cette meacutethode mixte reposant sur des allers-retours entre approches qualitatives et quantitatives a ainsi permis non seulement une compreacutehension fine des meacutecanismes sociaux et eacuteconomiques qui preacutesident aux recompositions agrave lrsquoœuvre mais aussi de leur quantification

2 Un marcheacute de la sous-traitance en forte croissance depuis 2000

En 2010 623 des exploitations franccedilaises ont fait appel agrave des ETA (Legagneux et Olivier-Salvagnac 2017) Les calculs reacutealiseacutes agrave partir des donneacutees des deux derniers recensements agricoles et de lrsquoenquecircte Structures de 2016 montrent que depuis 2000 le pheacutenomegravene de sous-traitance nrsquoa cesseacute de se deacutevelopper En effet entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant eu recours agrave la sous-traitance de maniegravere notable11 a augmenteacute agrave un rythme de 27 par an pour atteindre 25 542 exploitations en 2016 soit 55 de la PBS de la ferme franccedilaise Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations12 qui repreacutesentent 69 du total des exploitations franccedilaises et 70 des exploitants ayant recours agrave la sous-traitance Entre 2000 et 2016 leur nombre srsquoest accru de 103 alors que celui des petites a connu un leacuteger fleacutechissement de - 3 Ce sont aujourdrsquohui 17 889 moyennes et grandes exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative contre 7 653 petites alors qursquoelles eacutetaient respectivement 8 810 et 7 879 en 2000

Pour ce qui est de lrsquooffre agrave cocircteacute des donneacutees de lrsquoInsee et de la Mutualiteacute sociale agricole (MSA) une enquecircte reacutealiseacutee entre octobre 2017 et juin 2018 par lrsquoobservatoire Emploi Formation de la FNSEA confirme le rocircle preacutedominant des ETA dans la reacutealisation des travaux agricoles (FNSEA 2018) auxquelles les agriculteurs ont davantage recours qursquoaux CUMA et aux groupements drsquoemployeurs

Souvent creacuteeacutees par des exploitants agricoles dans le but de diversifier leurs activiteacutes et leurs sources de revenus les ETA relegravevent de lrsquoarticle L722-2 du Code rural et de la pecircche maritime Leurs travaux peuvent ecirctre conduits sur drsquoautres exploitations en utilisant le mateacuteriel agricole disponible sur place ou le mateacuteriel de lrsquoentreprise voire en louant ce dernier agrave un autre exploitant Immatriculeacutee au Registre du commerce et des socieacuteteacutes une ETA peut prendre la forme drsquoune entreprise individuelle simple ou agrave responsabiliteacute limiteacutee ou drsquoune socieacuteteacute (SA SAS SARL SCEA etc)

11 La focale est mise ici sur les exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative Ce pheacutenomegravene est appreacutecieacute au travers de deux ratios qui mesurent la part du travail confieacute agrave une ETA sur a) le volume drsquoheures de travail fournies par la main-drsquoœuvre permanente sur lrsquoexploitation (nombre drsquoUTA fournies par les ETA nombre drsquoUTA permanente ge 9 ) et b) sur la taille eacuteconomique de lrsquoexploitation (nombre de jours de travail drsquoune ETA keuro PBS ge 023)12 Les laquo petites exploitations raquo sont deacutefinies comme celles ayant une PBS supeacuterieure ou eacutegale agrave 5 000 euro et strictement infeacuterieure agrave 25 000 euro par an et les laquo moyennes et grandes exploitations raquo comme celles dont la PBS est supeacuterieure ou eacutegale agrave 25 000 euro par an Les tregraves petites exploitations avec une PBS infeacuterieure agrave 5 000 euro ne sont pas prises en compte dans cette eacutetude

50 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Entre 2004 et 2014 selon les donneacutees de la MSA le nombre drsquoETA et celui des salarieacutes employeacutes par ces derniegraveres ont connu une hausse de respectivement 10 et 73 (CCMSA-FNEDT 2015) Ces chiffres ont connu un leacuteger infleacutechissement pour lrsquoanneacutee 2015 mais sont de nouveau en hausse depuis 2016 avec des taux de progression annuels de 19 pour le nombre drsquoETA et de 27 pour les effectifs de salarieacutes En 2016 la MSA comptabilisait 14 022 ETA employant 96 452 salarieacutes permanents et saisonniers reacuteparties sur lrsquoensemble du territoire franccedilais en particulier dans les reacutegions de plaine autour drsquoun croissant Sud Sud-Ouest Centre Nord (figure 1)

Lorsqursquoil est replaceacute dans une perspective historique le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture apparaicirct eacutetroitement lieacute aux progregraves techniques reacutealiseacutes dans ce secteur mais eacutegalement tout comme dans lrsquoindustrie agrave la conjoncture eacuteconomique Reacutealiseacutee avec les donneacutees drsquoInfogreffe relatives agrave la creacuteation drsquoeacutetablissements depuis 1945 la figure 2 montre que lrsquoessor du recours agrave la sous-traitance dans les anneacutees 1980 pointeacute par Heacutebrard (2001) et Chevalier (2007) est alleacute de pair avec le deacuteveloppement des CUMA puis des ETA Il convient ici de rappeler que les premiegraveres ETA ont eacuteteacute creacuteeacutees dans lrsquoentre-deux-guerres avec lrsquoarriveacutee des batteuses selon une logique entrepreneuriale et de marcheacute13 et ce apregraves lrsquoeacutemergence des CUMA qui elles ont eacuteteacute creacuteeacutees dans une logique drsquoentraide et de mutualisation afin de reacutepondre aux attentes drsquoexploitations familiales appeleacutees agrave se moderniser Mais le veacuteritable deacuteveloppement du marcheacute franccedilais de la sous-traitance est concomitant du moment ougrave le secteur agricole est entreacute dans une longue peacuteriode drsquoincertitude eacuteconomique et sociale Depuis les anneacutees 1980 plusieurs faits ont selon nous contribueacute agrave faire eacutevoluer les preacutefeacuterences des acteurs de la sous-traitance qursquoils soient clients ou deacuteleacutegataires et agrave expliquer lrsquoaugmentation significative du nombre de creacuteation drsquoETA (figure 2) la baisse tendancielle du nombre drsquoactifs familiaux agricoles les reacuteformes successives

Figure 1 - Nombre drsquoETA par code postal dans un rayon de 25Km (donneacutees Infogreffe 2019)

2735544363024191270

105453122171310740

Nombre ETA par code postal dans un rayon de 25 km

Nombre CUMA par code postal dans rayon de 25 km

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs agrave partir des donneacutees Indogreffe 2019

13 Pour une histoire des entreprises de travaux agricoles voir Des entrepreneurs de battage aux entrepreneurs des territoires 85 ans de syndicalisme des entrepreneurs 1922-2007 2007 Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 51

Figure 2 - Eacutevolution du nombre de creacuteations drsquoETA et de CUMA (donneacutees Infogreffe 20192019))

Source Graphique reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees Infogreffe 2019

de la PAC et notamment celles actant le passage drsquoune logique de soutien agrave la production agrave une logique de gestion des risques et drsquoun laquo verdissement raquo relatif des aides publiques la hausse continue du prix de lrsquoeacutequipement agricole ou encore les diverses mesures de deacutefiscalisation des investissements productifs

Crsquoest cet essor reacutecent de la sous-traitance qui nous inteacuteresse plus particuliegraverement ici Si dans le secteur industriel les dirigeants drsquoentreprises ont eacuteteacute ameneacutes depuis les anneacutees 1980 agrave fortement repenser les relations de sous-traitance pour capter des ressources externes strateacutegiques et creacuteer de la valeur (Arnold 2000 Mildberg et Winkler 2013) il nous paraicirct tregraves probable que les entreprises agricoles malgreacute leurs speacutecificiteacutes aient suivi la mecircme tendance

Quelques chiffres clefs

En 2016 ce sont

  plus de 26 500 exploitations toutes OTEX confondues qui ont deacuteclareacute avoir sous-traiteacute lrsquoensemble des travaux de culture soit au moins 500 000 hectares et 55 de la PBS de la ferme franccedilaise

  70 drsquoentre elles sont des exploitations de taille moyenne agrave grande

  125 drsquoentre elles sont des exploitations en grandes cultures et autant drsquoexploitations bovin-lait et en polyculture-eacutelevage

  plus de 14 000 ETA et 96 000 salarieacutes

52 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

3 Une pluraliteacute de demandes et de pratiques en reacuteponse agrave lrsquoeacutevolution du contexte agricole

En mecircme temps qursquoil se deacuteveloppe le pheacutenomegravene de sous-traitance connaicirct deux eacutevolutions majeures La premiegravere concerne la nature des services demandeacutes et lrsquoampleur des travaux sous-traiteacutes Les agriculteurs sont non seulement plus nombreux agrave sous-traiter mais ils sous-traitent de plus en plus de tacircches La deuxiegraveme eacutevolution relegraveve de la logique mecircme de sous-traitance avec deux basculements Lrsquoun comme pour le secteur industriel voit lrsquoeacutemergence drsquoune laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo agrave cocircteacute de la classique laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo Lrsquoautre met en lumiegravere au travers du deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo lrsquoapparition drsquoune logique de gestion patrimoniale faisant des prestataires de services des gestionnaires de patrimoine agricole et leur accordant une place particuliegravere dans lrsquoorganisation et le maintien drsquoune capaciteacute productive agrave lrsquoeacutechelle des territoires Les donneacutees issues du sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest et des enquecirctes approfondies aupregraves des parties prenantes de la sous-traitance permettent de comprendre plus preacuteciseacutement les changements opeacutereacutes

31 Sous-traiter pour geacuterer des incertitudes eacuteconomiques et accompagner la gestion des contraintes reacuteglementaires environnementales

Au sein de la population des reacutepondants au sondage la prise en charge drsquoopeacuterations de culture par un tiers concerne 83 des exploitations (soit 1 027 individus) essentiellement de tailles moyenne et grande Ce ne sont plus uniquement les petites exploitations qui sous-traitent par manque de capaciteacute De plus si la reacutecolte reste la principale opeacuteration sous-traiteacutee les agriculteurs font aussi appel agrave un tiers pour la reacutealisation drsquoautres travaux de culture comme les eacutepandages drsquoengrais et de lisier les traitements phytosanitaires le travail du sol et le semis La sous-traitance relegraveve ici plutocirct des ETA qui assurent plus de la moitieacute des prestations mecircme si les enquecirctes approfondies suggegraverent que les agriculteurs peuvent avoir recours agrave la fois aux ETA et aux CUMA selon le service demandeacute plutocirct lrsquoETA pour des opeacuterations comme la reacutecolte et le semis car celles-ci doivent ecirctre faites au bon moment et dans un temps limiteacute ou encore pour des opeacuterations requeacuterant un mateacuteriel coucircteux plutocirct une CUMA pour les autres opeacuterations parce que le service est parfois moins oneacutereux Il est inteacuteressant de noter que les principales raisons avanceacutees pour sous-traiter ces opeacuterations de culture ne renvoient pas neacutecessairement agrave un deacuteficit de main-drsquoœuvre mais drsquoabord agrave des choix drsquoinvestissement et drsquoorganisation du travail sur lrsquoexploitation (encadreacute 1) Parallegravelement la compeacutetence technique (et non le prix) constitue le principal critegravere de choix des ETA (encadreacute 1) Du cocircteacute des exploitants commanditaires le recours agrave une ETA fait donc partie de strateacutegies de reacuteorganisation de leur activiteacute productive Ils sous-traitent non seulement des tacircches annexes mais eacutegalement certaines tacircches symboliques comme le semis pour se recentrer sur ce qursquoils considegraverent ecirctre leur cœur de meacutetier et leur apport strateacutegique pour le maintien de leur exploitation Cela concerne les eacuteleveurs qui deacutelegraveguent les tacircches lieacutees aux cultures pour se concentrer sur lrsquoeacutelevage mais aussi des agriculteurs en grandes cultures qui choisissent de se speacutecialiser sur certaines tacircches (surveillance des cultures et leur commercialisation) et de sous-traiter le reste Par ailleurs la lecture croiseacutee des reacutesultats du sondage et celle des entretiens reacutealiseacutes nous conduisent agrave eacutemettre lrsquohypothegravese drsquoun recours accru agrave la deacuteleacutegation pour la mise en œuvre de pratiques neacutecessitant des moyens techniques ou technologiques particuliers

Agrave la diffeacuterence drsquoautres pays europeacuteens (Angleterre Allemagne ou Espagne) la sous-traitance des travaux drsquoeacutelevage apparaicirct en France moins deacuteveloppeacutee que dans le secteur des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 53

Encadreacute 1 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations de culture par des ETA dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions veacutegeacutetales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production veacutegeacutetale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 075)

Q2 - Les raisons de la sous-traitanceQ1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q1 - Types drsquoopeacuterations sous-traiteacuteesQ1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

54 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Encadreacute 2 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations drsquoeacutelevage dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions animales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production animale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 017)

Q1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Q1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q2 - Les raisons de la sous-traitance traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Q1 - Types drsquoopeacuteration sous-traiteacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 55

Encadreacute 3 - Exemple de sous-traitance drsquoopeacuterations drsquoeacutelevage le cas de la filiegravere ovine

La Servoise1 est une socieacuteteacute de prestation de services en eacutelevage situeacutee dans le quart nord-est de la France Socieacuteteacute par actions simplifieacutee (SAS) elle rassemble agrave parts eacutegales ses fondateurs et la coopeacuterative Boviconcept speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutechographie et lrsquoinseacutemination de ruminants Ils partagent un portefeuille de clients tous eacuteleveurs de petits ruminants (ovins et caprins) et mutualisent des bureaux

Fondeacutee dans un premier temps autour de lrsquoeacutechographie et de lrsquoinseacutemination des petits ruminants la gamme des services de la Servoise srsquoest eacutetendue agrave des prestations telles la tonte le parage des onglons lrsquoaide agrave lrsquoagnelage ou encore la manipulation de troupeaux Si la tonte est une activiteacute traditionnellement deacuteleacutegueacutee les trois autres ne le sont geacuteneacuteralement pas Pour les geacuterants de cette socieacuteteacute le deacuteploiement de cette nouvelle offre de services reacutepond agrave une eacutevolution structurelle des eacutelevages En effet lrsquoeffectif des troupes ovines ne cesse de croicirctre alors que dans le mecircme temps le collectif de travail se reacutetracte du fait de la disparition massive des aides familiaux non-salarieacutes (- 137 690 depuis 2000 drsquoapregraves le RA 2010 et ESEA 2016) Lrsquoagnelage comme le parage des onglons correspondaient agrave des pics de travail saisonniers qui eacutetaient jusque-lagrave absorbeacutes par lrsquoensemble du collectif de travail familial

Le fonctionnement de la Servoise se caracteacuterise par lrsquoeacutetendue de sa zone drsquointervention et par la techniciteacute de ses salarieacutes Son activiteacute se deacuteploie sur un rayon de 200 km autour de son siegravege social pour les services en eacutelevage et srsquoeacutetend jusqursquoen Bulgarie pour les eacutechographies ou les inseacuteminations La zone drsquointervention de la Servoise ne correspond pas agrave un bassin de production deacutetermineacute par une filiegravere Elle srsquoest constitueacutee au greacute des eacutevolutions du portefeuille de clients La techniciteacute des salarieacutes est aussi une caracteacuteristique mise en avant pour justifier du modegravele eacuteconomique de la Servoise Speacutecialiseacutes sur certaines activiteacutes beacuteneacuteficiant de lrsquoeacutequipement idoine ses salarieacutes ont dans leurs champs drsquointervention respectifs un rendement plus eacuteleveacute que celui des eacuteleveurs Lagrave ougrave les activiteacutes se chevauchaient sur une mecircme peacuteriode le recours agrave la sous-traitance permet aux eacuteleveurs drsquooptimiser le calendrier de travail et de rationaliser la reacutepartition des tacircches en se gardant celles qursquoils maicirctrisent le mieux et en externalisant les autres

A contrario de ce qui peut ecirctre observeacute en grandes cultures les activiteacutes deacuteleacutegueacutees agrave la Servoise ne le sont jamais dans leur inteacutegraliteacute les eacuteleveurs ont toujours la maicirctrise technique et la gestion de lrsquoagnelage et du parage des onglons Ainsi le recours agrave la Servoise est drsquoabord motiveacute par la diminution de lrsquointensiteacute de certains pics de travail Pour lrsquoagnelage activiteacute centrale en eacutelevage ovin la deacuteleacutegation nrsquoa rien drsquoeacutevident Les eacuteleveurs ayant fait appel agrave cette entreprise pour ce service lrsquoont fait suite agrave un laquo coup dur raquo un eacuteveacutenement les mettant dans lrsquoimpossibiliteacute de faire face agrave la charge de travail Le caractegravere ponctuel des interventions de la Servoise au sein des eacutelevages se traduit dans leur offre de prestations qui se deacutecline en forfait journeacutee ou en heures factureacutees

Le recours agrave la Servoise offre aux eacuteleveurs la possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave des informations concernant les pratiques drsquoeacutelevage Certains drsquoentre eux ont modifieacute leurs proceacutedeacutes de contention ou ont revu leurs meacutethodes drsquoagnelage agrave la suite drsquoun passage de la Servoise Ainsi dans une zone (le Nord-Est de la France) qui se caracteacuterise par une faible densiteacute drsquoeacutelevages et par un eacuteloignement important entre les exploitations ovines la Servoise srsquoapparente agrave une interface diffusant de lrsquoinformation et mettant en reacuteseau des exploitations disperseacutees

1 Tous les noms drsquoentreprise ont eacuteteacute modifieacutes Source Jeacuteremy Andreacute 2019 Caracteacuterisation des innovations organisationnelles collectives et des transformations du travail dans les eacutelevages ovins franccedilais meacutemoire de master projet CASDAR intituleacute laquo Ameacuteliorer les conditions de travail en eacutelevage ovin un enjeu drsquoattractiviteacute et de dynamisation de la filiegravere (AmTravrsquoOvin)

56 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

productions veacutegeacutetales Les derniegraveres donneacutees publieacutees par lrsquoInsee agrave ce sujet montrent qursquoen 2005 les agriculteurs franccedilais nrsquoont deacutepenseacute en travaux et services agrave lrsquoeacutelevage que 07 milliard drsquoeuros contre 18 milliard drsquoeuros pour les deacutepenses lieacutees aux cultures Cependant le recours agrave la sous-traitance en eacutelevage augmente bien plus rapidement (+ 23 des deacutepenses entre 1995 et 2005) qursquoen productions veacutegeacutetales (+8 sur la mecircme peacuteriode) La mecircme tendance semble srsquoobserver dans le grand Sud-Ouest puisque seulement 23 des sondeacutes de notre eacutetude ont deacuteleacutegueacute au moins une opeacuteration drsquoeacutelevage (dont seulement 2 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 3) contre 83 pour les opeacuterations de culture (dont 12 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 2) Selon les donneacutees drsquoInfogreffe le nombre de prestataires de services en soutien aux productions animales ne repreacutesente que 10 de lrsquoensemble des prestataires Agrave la diffeacuterence des cultures les opeacuterations sous-traiteacutees en eacutelevage preacutesentent une grande diversiteacute selon le type de filiegravere (encadreacute 2) Cette pluraliteacute drsquoactiviteacutes susceptibles drsquoecirctre deacuteleacutegueacutees a pu conduire agrave une speacutecialisation des entreprises prestataires de services intervenant dans les filiegraveres drsquoeacutelevage Srsquoil est commun pour un eacuteleveur de deacuteleacuteguer des tacircches requeacuterant des compeacutetences speacutecifiques (inseacuteminations artificielles ou autres en lien avec lrsquoentretien des bacirctiments et les petits soins) afin de faciliter lrsquoorganisation du travail le choix de sous-traiter des tacircches intrinsegravequement lieacutees agrave lrsquoidentiteacute mecircme drsquoeacuteleveur (suivi du troupeau surveillance de lrsquoagnelage) semble plus rare et reacutecent Toutefois comme en attestent les travaux reacutealiseacutes par notre eacutequipe dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin (encadreacute 3) certains eacuteleveurs y ont recours depuis peu pour reacuteduire lrsquointensiteacute de certains pics de travail ou pallier un manque ponctuel de main-drsquoœuvre Les enquecirctes aupregraves drsquoeacuteleveurs suggegraverent que cette pratique pourrait se deacutevelopper dans le futur en cas de non-renouvellement des deacuteparts agrave la retraite Elle teacutemoignerait alors drsquoun changement important dans la conduite de certains troupeaux (Andreacute 2019) Ces reacutesultats illustrent un mouvement drsquoexternalisation drsquoactiviteacutes qui se geacuteneacuteralise mecircme si comme dans lrsquoindustrie il se deacutecline selon des registres diffeacuterents drsquoune filiegravere agrave lrsquoautre (Mariotti 2005)

Drsquoapregraves les enquecirctes reacutealiseacutees il semble que le contexte actuel est particuliegraverement favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance des travaux agricoles Les incitations des politiques publiques pour une agriculture agrave bas intrants le durcissement des normes environnementales les preacuteoccupations des agriculteurs pour lrsquoenvironnement et leur santeacute la multiplication des controverses et des conflits de voisinage en relation avec les travaux drsquoeacutepandage et de traitement phytosanitaire mais aussi les opportuniteacutes de marcheacute offertes par le deacuteveloppement des deacutemarches de qualiteacute officielles (agriculture biologique) comme priveacutees (cahier des charges collectif laquo Zeacutero reacutesidu de pesticides raquo par exemple) constituent autant de facteurs qui poussent aujourdrsquohui de plus en plus drsquoagriculteurs agrave deacuteleacuteguer des opeacuterations qui requiegraverent un mateacuteriel une qualification ou une techniciteacute speacutecifiques Crsquoest notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole Une concomitance srsquoobserve alors entre la monteacutee des preacuteoccupations environnementales et le deacuteveloppement de lrsquoexternalisation de tacircches comme le traitement phytosanitaire par des exploitations familiales qui ne trouvent pas toujours en leur sein les compeacutetences pour mettre en œuvre les pratiques adapteacutees Agrave lrsquoinstar de certains travaux reacutealiseacutes dans le secteur industriel on constate que certaines pratiques de sous-traitance en agriculture se singularisent par une mobilisation de ressources pouvant ecirctre tregraves speacutecifiques et neacutecessitant des investissements financiers (achat de mateacuteriels plus puissants avec des technologies performantes entretien reacuteparation assurance etc) et en temps de travail importants (formation pour lrsquoacquisition de nouvelles compeacutetences conduite des chantiers etc) Agrave lrsquoinverse de ce que lrsquoon pouvait observer dans les anneacutees 1960-90 beaucoup drsquoagriculteurs ne sont aujourdrsquohui plus precircts agrave assumer de tels investissements en raison notamment des fortes fluctuations du revenu agricole ces deux derniegraveres deacutecennies mais eacutegalement au regard des incertitudes croissantes pesant sur le renouvellement des geacuteneacuterations Ceux-ci raisonnent de plus en plus en coucircts drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement Agrave travers la sous-traitance drsquoautres par prudence vont vouloir tester un nouvel eacutequipement de preacutecision coucircteux et beacuteneacuteficier des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 57

conseils techniques du prestataire de service avant drsquoen faire lrsquoacquisition La deacutecision de faire-faire plutocirct que de faire soi-mecircme ou de faire-avec est devenue une composante agrave part entiegravere de la strateacutegie globale de lrsquoexploitation dans laquelle la deacuteleacutegation reacutepond agrave des objectifs non seulement drsquoexternalisation des coucircts et de gestion de la main-drsquoœuvre mais eacutegalement de recherche de ressources externes speacutecifiques et de gestion des risques (Nguyen et al 2019) La relation de sous-traitance peut srsquoinscrire dans le temps long lorsque lrsquoagriculteur juge le coucirct drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement trop eacuteleveacute et lrsquoopeacuteration ininteacuteressante comme elle peut nrsquoecirctre que temporaire sur une ou quelques campagnes le temps pour lrsquoagriculteur de tester une pratique nouvelle

Agrave cocircteacute de la prise en charge des opeacuterations techniques les exploitations ont aussi de plus en plus recours agrave la sous-traitance pour des tacircches administratives notamment en matiegravere de deacuteclaration PAC (29 des reacutepondants au sondage) et de deacuteclaration fiscale (26 ) On observe eacutegalement que la deacuteleacutegation concerne les fonctions de conseil puisque pregraves de 39 des sondeacutes deacuteclarent faire appel agrave des prestataires de services pour du conseil agronomique juridique et patrimonial ou encore pour les aider agrave reacutefleacutechir sur les assolements et les itineacuteraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportuniteacutes de marcheacute Comme le suggegraverent les enquecirctes approfondies aupregraves des agriculteurs la dimension laquo conseil raquo de la sous-traitance constitue une reacuteelle nouveauteacute Elle concerne notamment les ETA dont la mission eacutetait jusqursquoagrave preacutesent principalement centreacutee sur la conduite des travaux selon un cahier des charges eacutetabli par le chef drsquoexploitation seul ou avec lrsquoETA La monteacutee en compeacutetences des ETA et la speacutecialisation de certaines drsquoentre elles sur quelques opeacuterations speacutecifiques associeacutees agrave lrsquoagriculture de preacutecision et agrave bas niveau drsquointrants ont favoriseacute le deacuteveloppement de nouvelles relations de sous-traitance et de production deacuteleacutegueacutee Ce conseil qui porte sur des aspects agrave la fois techniques et strateacutegiques joue un rocircle crucial dans la construction drsquoune relation durable entre lrsquoexploitant et le prestataire de services conduisant dans un certain nombre de cas agrave un glissement progressif vers des formes de deacuteleacutegation inteacutegrale discuteacutees ci-apregraves En effet nous avons pu constater que la propension agrave deacuteleacuteguer un nombre croissant de tacircches augmente lorsque lrsquoexploitation est diversifieacutee et situeacutee agrave proximiteacute drsquoune ETA mais eacutegalement lorsque lrsquoagriculteur projette de confier dans le futur la gestion inteacutegrale de son exploitation agrave un tiers (tableau 1) Enfin comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-dessous le scheacutema de sous-traitance agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation revecirct aujourdrsquohui une certaine complexiteacute en raison de la multipliciteacute agrave la fois des relations de sous-traitance et des motivations de lrsquoagriculteur pour externaliser certaines tacircches

laquo Je fais appel agrave beaucoup de prestataires pour mes cultures pour gagner en temps parce que jrsquoai un atelier poulet Label rouge agrave cocircteacute en contrat avec la coopeacuterative et que je ne suis qursquoagrave mi-temps sur mon exploitation Et puis crsquoest pour aussi tester des pratiques parce que jrsquoessaie de passer agrave une agriculture de conservation Par exemple depuis trois ans je fais beaucoup de rotations et pour le semis je teste le semis-direct avec une ETA eacutequipeacutee en semoir direct et crsquoest aussi un ami avec qui jrsquoeacutechange beaucoup On teste des eacutecartements des semis plus ou moins denses Et puis pour lrsquoeacutepandage drsquoazote et la reacutecolte je fais appel agrave drsquoautres prestataires raquo (Agriculteur en polyculture-polyeacutelevage Pyreacuteneacutees-Atlantiques juin 2018)

32 Le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale de la gestion drsquoun patrimoine agrave la recherche de la performance globale de lrsquoexploitation

Lrsquoautre eacutevolution majeure des pratiques de sous-traitance est le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale dont les premiegraveres manifestations ont eacuteteacute releveacutees par Harff et Lamarche (1998) au deacutebut des anneacutees 1990 dans une reacutegion de grandes cultures comme la Beauce Cette forme de deacuteleacutegation concerne lrsquoensemble des opeacuterations techniques

58 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 1 - Deacuteterminants de la propension agrave sous-traiter de multiples opeacuterations de culture Modegravele de Poisson avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Nombre drsquoopeacuterations de culture sous-traiteacutees

Caracteacuteristiques de lrsquoagriculteur et de lrsquoexploitation

Age - 0003 (0002)Agriculteur agrave titre secondaire - 0047 (0035)Part du foncier en proprieacuteteacute - 0018 (0106)Seul sur lrsquoexploitation - 0008 (0038)Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 0188 (0085)Surface en grandes cultures - 0067 (0045)Surface en arboriculture - 0008 (0038)Surface en maraicircchage - 0007 (0031)Surface en vigne - 0023 (0032)Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) - 0013 (0028)Surface en cultures fourragegraveres 0041 (0033)Taille du troupeau bovin lait - 0029 (0035)Taille du troupeau bovin viande 0030 (0028)Taille du troupeau ovin 0112 (0125)Taille de lrsquoeacutelevage de volaille - 0001 (0028)Taille du troupeau caprin - 0147 (0174)Accegraves aux ETANombre drsquoETA dans un rayon de 1 km 0086 (0031)Nombre drsquoETA dans un rayon de 25 km - 0034 (0040)Nombre de CUMA dans un rayon de 1 km - 0066 (0045)Nombre de CUMA dans un rayon de 25 km 0020 (0048)

Projet drsquoentreprise et perceptions du marcheacute actuel de la sous-traitance

Projet drsquooptimisation du travail 0087 (0069)Projet de diversification des activiteacutes de production 0009 (0075)Projet drsquoactiviteacutes agritouristiques 0121 (0102)Projet drsquoaugmentation de la taille de lrsquoexploitation - 0029 (0084)Projet de maintien de la taille de lrsquoexploitation 0079 (0071)Projet de deacuteleacutegation de lrsquoexploitation agrave un tiers 0307 (0125)Pense qursquoil manque une coordination des ETA 0031 (0096)Pense que trop drsquoETA sont en concurrence - 0282 (0136)Pense que la demande est forte et qursquoil nrsquoy a pas assez drsquoETA 0281 (0101)Pense que les besoins sont diversifieacutes et que les ETA nrsquoarrivent pas agrave satisfaire certains drsquoentre eux 0123 (0091)

Constante 0401 (0141)Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

625- 8987301 857461

plt01 plt005 plt0001

Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

drsquoun ou de plusieurs ateliers de production et est nommeacutee dans le milieu professionnel laquo de A agrave Z raquo ou laquo chantier complet raquo Il convient de distinguer cette laquo deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles raquo qui concerne drsquoailleurs principalement les opeacuterations sur les systegravemes de cultures de la laquo deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole raquo qui consiste agrave confier agrave un tiers non seulement la reacutealisation de tous les travaux sur lrsquoexploitation mais eacutegalement la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoentreprise (deacutecisions drsquoassolement et drsquoitineacuteraires techniques conduite de lrsquoeacutelevage commercialisation management des eacutequipes sur les chantiers gestion comptable et deacuteclarations PAC) Cette derniegravere variante de la deacuteleacutegation inteacutegrale correspond agrave la forme la plus aboutie et la plus ineacutedite de sous-traitance car elle conduit agrave une seacuteparation totale entre les droits de proprieacuteteacute et la gestion opeacuterationnelle de lrsquoentreprise Le proprieacutetaire peut encore garder dans une certaine mesure le controcircle sur des deacutecisions strateacutegiques mais toutes les deacutecisions opeacuterationnelles sont geacuteneacuteralement transfeacutereacutees agrave un tiers connu sous le nom de laquo chef de culture raquo ou encore

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 59

laquo land manager raquo (cf section 42) Ce dernier peut ecirctre assimileacute agrave la figure du geacuterant drsquoexploitation Mais agrave la diffeacuterence de la geacuterance les arrangements mis en place dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation nrsquoimpliquent pas une embauche formelle Mateacuterialiseacutee souvent par un contrat de prestation classique annualiseacute et reconduit tacitement drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre cette relation de sous-traitance singuliegravere se caracteacuterise ainsi par sa grande flexibiliteacute

Mecircme si elle ne concernait alors que la reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees il faut attendre 2010 pour qursquoune question sur la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture soit inteacutegreacutee au questionnaire du recensement geacuteneacuteral agricole Les reacuteponses agrave cette question ont permis agrave notre eacutequipe par extrapolation des donneacutees agrave lrsquoensemble de la France drsquoestimer que 123 des exploitations en grandes cultures eacutetaient concerneacutees par cette pratique Dans le cadre de lrsquoenquecircte structures 2016 cette question a eacuteteacute eacutetendue agrave lrsquoensemble des exploitations franccedilaises Il a eacuteteacute ainsi possible drsquoobtenir une estimation plus preacutecise et de confirmer lrsquoampleur du pheacutenomegravene observeacutee en 2010 Ainsi en 2016 71 des exploitations toutes productions confondues ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euro ont deacuteclareacute avoir deacuteleacutegueacute inteacutegralement les travaux de cultures (Forget et al 2019 p39) Les exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale sont en 2010 comme en 2016 principalement localiseacutees selon un arc SudOuestNord-Est dans les reacutegions Midi-Pyreacuteneacutees Aquitaine Poitou-Charentes Centre Bretagne Basse Normandie et Champagne-Ardenne avec des taux de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures pouvant atteindre 18 (figures 3 et 4) En 2016 ce pheacutenomegravene mecircme srsquoil concerne plus particuliegraverement les exploitations en grandes cultures (125 ) est eacutegalement preacutesent dans les exploitations ayant drsquoautres orientations technico-eacuteconomiques et notamment les exploitations en bovin-lait (61 ) en bovin-viande (54 ) avec des herbivores ou granivores (54 ) et les exploitations de polyculture-polyeacutelevage (61 ) et lagrave eacutegalement plutocirct de moyenne et grande tailles (tableau 2)

Concernant plus preacuteciseacutement les exploitations en grandes cultures pour lesquelles un exercice de comparaison est possible en appliquant aux donneacutees de 2016 la mecircme meacutethode de calcul que pour les donneacutees de 2010 il apparaicirct qursquoentre 2010 et 2016 le nombre drsquoexploitations en grandes cultures en deacuteleacutegation inteacutegrale a progresseacute de 27 (tableau 3) Les calculs montrent surtout qursquoau cours de cette peacuteriode il y a eu un report du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites exploitations (- 212 ) vers les moyennes et grandes exploitations en grandes cultures (+ 276 ) En 2016 ce sont donc 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concerneacutees par la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo Les premiegraveres sont majoritairement des exploitations individuelles (479 ) mais eacutegalement sous statut de socieacuteteacute civile (271 ) et avec des chefs drsquoexploitation deacuteclarant travailler moins drsquoun quart-temps sur lrsquoexploitation (528 ) Les petites exploitations concerneacutees sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (919 ) avec lagrave encore un exploitant travaillant moins drsquoun quart-temps (742 ) Il est enfin inteacuteressant de noter lrsquoaugmentation de 5 points du nombre drsquoexploitations moyennes et grandes sous statut de socieacuteteacute civile entre 2010 et 2016

Les enquecirctes approfondies reacutealiseacutees aupregraves des exploitants et des ETA permettent de formuler une hypothegravese pour expliquer le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale Il ressort en effet que la deacuteleacutegation inteacutegrale sur les petites exploitations est un pheacutenomegravene plus ancien relevant drsquoindividus non-exploitants devenus proprieacutetaires de structures de petite taille agrave la suite drsquoheacuteritages successifs La conduite des cultures de ces petites structures est geacuteneacuteralement prise en charge par des agriculteurs-exploitants du voisinage qui ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation pour amortir leur mateacuteriel et acceptent de laquo rendre service raquo aux voisins laquo absents raquo La deacuteleacutegation au sein des moyennes et grandes exploitations serait quant agrave elle plus reacutecente et due aux difficulteacutes de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitaliseacutees Ces difficulteacutes se

60 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type socieacuteteacute civile ougrave lrsquoabsence drsquoentente entre associeacutes ne permet pas la geacuterance par un membre de la famille et conduit souvent agrave deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation agrave autrui La deacutegradation du taux de renouvellement des geacuteneacuterations associeacutee agrave la concentration des structures serait donc dans la peacuteriode reacutecente le principal moteur du glissement observeacute du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites vers des moyennes et grandes exploitations

Le choix de deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation plutocirct que de la donner en fermage est significatif de la distinction entre capital productif et patrimoine familial Mecircme si le statut du fermage autorise la reprise des terres par le proprieacutetaire en vue de les exploiter lui-mecircme (ou un membre de sa famille) il est jugeacute contraignant par les proprieacutetaires qui redoutent de perdre la maicirctrise de leur foncier laquo progressivement renforceacute depuis son instauration dans un sens favorable aux droits du fermier le reacutegime du bail rural permet agrave lrsquoexploitant locataire de disposer de droits drsquousage eacutetendus sur les terres qursquoil a en jouissance agrave tel point que sa condition a parfois eacuteteacute compareacutee agrave celle drsquoun quasi-proprieacutetaire raquo (Melot 2012) Le fait que certains fassent le choix de garder le statut drsquoexploitant tout en en deacuteleacutegant la gestion de la structure montre que dans certains cas le projet patrimonial lrsquoemporte sur la construction drsquoun projet eacuteconomique Ce nrsquoest alors plus la famille qui est mobiliseacutee au service de lrsquoexploitation mais lrsquoexploitation qui est mobiliseacutee au service de la famille

Figure 3 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2010 pour les exploitations en grandes cultures ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euroEn nombre drsquoexploitations En surface de ceacutereacuteales oleacuteagineux et proteacuteagineux

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs avec les donneacutees du RA 2010

Cette configuration permet de maintenir la valeur du foncier celle-ci eacutetant moindre lorsque les terres sont en fermage comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-apregraves

laquo Qursquoest-ce que vous feriez si vous eacutetiez trois agrave la tecircte drsquoune exploitation de 100 hectares Qursquoagrave force de pleurer dans votre foyer vous avez deacutefinitivement motiveacute aucun de vos enfants pour reprendre qursquoagrave force de dire que crsquoest un meacutetier qui gagne rien tout le monde finit par ecirctre convaincu Et que en mecircme temps agrave 59 ans la retraite agrave laquelle vous pouvez preacutetendre est franchement extrecircmement mince Il y a une partie de la population qui

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 61

Figure 4 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2016 pour lrsquoensemble des exploitations

Source cartes reacutealiseacutees par le CEP avec les donneacutees de lrsquoESEA 2016 in Forget V et al (2019) page 40

se dit lsquorsquosi jrsquoavais un prestataire de services qui tient la route ccedila me permettrait quand on calcule bien dans certains cas de figures et surtout si le gars tient la route financiegraverement et moralement je gagnerais mecircme plus que dans ma peacuteriode drsquoactiviteacute sans rien fairersquorsquo Crsquoest une manne financiegraverehellip agrave vie Vous donnez la proprieacuteteacute de vos parts mais vous gardez lrsquousufruit et vous faites faire agrave un prestataire de services Et lrsquoexploitation elle reste dans la famille chacun prend un tiers il y a pas de difficulteacute de partage Point termineacute raquo

(Prestataire de services parlant du cas drsquoun de ses clients Champagne-Ardenne feacutevrier 2013)

En parallegravele de lrsquoessor de la deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquooffre de sous-traitance se deacuteveloppe (figure 2) avec la creacuteation de nouvelles ETA leur agrandissement et la professionnalisation des plus anciennes permettant la prise en charge drsquoune surface plus importante Et parmi ces derniegraveres les plus grandes vont chercher agrave contractualiser avec les plus grandes exploitations pour reacutealiser des eacuteconomies drsquoeacutechelle

Gracircce agrave des questions portant speacutecifiquement sur la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole le sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest apporte un eacuteclairage compleacutementaire aux statistiques nationales qui sont limiteacutees agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures Dans cette reacutegion le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux concerne ainsi en 2018 54 de la population totale des reacutepondants soit 58 exploitations toutes productions confondues sur 1 075 Ce sont principalement des exploitations en grandes cultures (64 de la population en question) appartenant agrave des exploitants plutocirct pluriactifs acircgeacutes entre 35 et 55 ans Les principales raisons avanceacutees par les agriculteurs enquecircteacutes pour justifier le recours agrave cette forme aboutie de sous-traitance sont par ordre deacutecroissant drsquoimportance lrsquoabsence de mateacuteriel suite agrave un choix de non-investissement la pluriactiviteacute la possibiliteacute de simplifier lrsquoorganisation du travail lrsquoabsence de compeacutetences techniques Les entretiens approfondis reacutevegravelent eacutegalement drsquoautres motifs comme lrsquoeacuteloignement de lrsquoexploitation (ou drsquoun site de production lorsque lrsquoexploitation est eacuteclateacutee en plusieurs sites) ou encore des sorties preacutecoces du meacutetier Toujours selon cette enquecircte les agriculteurs en deacuteleacutegation inteacutegrale ont geacuteneacuteralement lrsquohabitude de sous-traiter des travaux agrave un prestataire avec lequel ils ont bacircti une relation privileacutegieacutee qui va au-delagrave drsquoune simple relation de donneur drsquoordres

62 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tabl

eau

2 - I

mpo

rtan

ce d

e la

deacutel

eacutegat

ion

inteacute

gral

e de

s tr

avau

x de

cul

ture

en

Fran

ce (e

n ef

fect

if et

en

pour

cent

age)

Effe

ctifs

et t

aux

des

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

inteacute

gral

emen

t les

trav

aux

de c

ultu

re p

ar o

rien

tatio

n te

chni

co-eacute

cono

miq

ue (O

tex)

- D

onneacute

es E

nquecirc

te

stru

ctur

e 20

16

Exp

loit

en

gran

des

cultu

res

(Ote

x 15

16)

Expl

oit

en

mar

aicircch

age

et

hort

icul

ture

(O

tex

2829

)

Exp

loit

en

vitic

ultu

re

(Ote

x 35

00)

Exp

loit

en

cultu

res

frui

tiegravere

s et

au

tres

cul

ture

s pe

rman

ente

s (O

tex

3900

)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

lait

(Ote

x 45

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

eacutelev

age

et

vian

de

(Ote

x 46

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

la

it eacute

leva

ge e

t vi

ande

com

bineacute

s (O

tex

4700

)

Exp

loit

ave

c ov

ins

cap

rins

et

aut

res

herb

ivor

es

(Ote

x 48

00)

Exp

loit

en

gran

ivor

es

(Ote

x 50

74)

Exp

loit

de

poly

cultu

re e

t po

lyeacutel

evag

e (O

tex

6184

)

Lrsquoens

embl

e de

s tra

vaux

sur

le

s cu

lture

s es

t-il

confi

eacute agrave

un

pres

tata

ire e

xteacuter

ieur

NO

N

Pet

ites

13 8

833

052

12 9

793

792

870

12 3

6944

214

739

1 32

66

493

Moy

enne

s et

gr

ande

s73

358

1093

144

469

5 96

937

715

30 3

356

006

14 4

3718

045

34 2

76

OU

IP

etite

s4

730

770

316

718

176

40

596

91

031

Moy

enne

s et

gr

ande

s7

783

197

2 11

819

22

364

1 76

219

91

103

1 11

31

606

Pas

de

reacutepo

nse

Pet

ites

350

220

1581

411

036

01

2

Moy

enne

s et

gr

ande

s63

198

4771

685

191

487

174

91

Effe

ctif

tota

l par

Ote

x99

851

14 2

0760

298

10 1

6741

861

46 8

956

848

31 7

2120

668

43 4

99

d

rsquoexp

loit

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute s

ur lrsquo

effe

ctif

tota

l12

51

44

73

56

15

42

95

45

46

1

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute62

296

575

153

492

969

810

00

649

992

609

d

e pe

tites

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

Tota

l des

pet

ites

expl

oita

tions

254

02

51

42

170

55

00

38

07

137

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

moy

enne

s et

gra

ndes

exp

loita

tions

96

18

45

31

58

53

32

69

58

45

Sou

rce

Tab

leau

reacuteal

iseacute

par l

es a

uteu

rs agrave

par

tir d

es d

onneacute

es d

e lrsquoe

nquecirc

te s

truct

ure

2016

ave

c lrsquoa

ppui

de

Joseacute

Ram

anan

tsoa

(Cen

tre d

rsquoeacutetu

des

et d

e pr

ospe

ctiv

e)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 63

Tableau 3 - Nombre et caracteacuteristiques des exploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures et avec un PBS ge 5 000 euro en deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2010 et 2016

2010 2016

PetitesMoyennes et

grandesTotal en deacuteleacutegation

inteacutegralePetites

Moyennes et grandes

Total en deacuteleacutegation inteacutegrale

Valeur absolue

Nombre drsquoexploit 4 471 4 281 8 752 3 524 5 462 8 986

PBS (millier euro) 55 107 318 103 373 210 41 590 557 463 599 053

SAU (hectares) 84 919 387 264 472 183 49 289 523 986 573 275

SCOP (hectares) 63 029 330 306 4 722 183 3 846 440 725 476 571

UTA 1 526 3 405 4 931 1 095 3 116 4 211

par rapport agrave la cateacutegorie concerneacutee

Exploitation 228 83 222 89

PBS 212 58 196 67

SAU 212 61 182 70

SCOP 218 61 197 70

UTA 146 52 128 42

des exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale 511 489 392 608

des exploitations en grandes cultures en France

Exploitation 123 116

PBS 65 70

SAU 70 74

SCOP 69 74

UTA 65 51

Source tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees RA 2010 et des donneacutees de lrsquoenquecircte structure 2016 avec lrsquoappui respectivement drsquoO Pauly (INRA-Agir) et de J Ramanantsoa (Centre drsquoeacutetudes et de prospective)

Note afin de comparer les chiffres entre les deux anneacutees les calculs ont eacuteteacute reacutealiseacutes en appliquant aux chiffres de 2016 la meacutethode drsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquopar abandonraquo utiliseacutee pour 2010

Figure 5 - Critegraveres de choix des ETA

Source figure reacutealiseacutee par les auteurs agrave partie des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Reacutesultats agrave la question du sondage OTEXA laquo Pour les activiteacutes sous-traiteacutees au sein de votre exploitation quels sont pour vous les trois critegraveres les plus importants dans le choix drsquoune ETA ou drsquoun prestataire de ce type raquo (N = nombre drsquoagriculteurs par type de sous-traitance)

64 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

et drsquoexeacutecutant Comme indiqueacute dans la figure 5 la confiance et la proximiteacute geacuteographique constituent les deux principaux critegraveres de choix drsquoune ETA pour une deacuteleacutegation inteacutegrale alors que pour la sous-traitance drsquoune ou de plusieurs tacircches lrsquoagriculteur va choisir lrsquoETA au regard de sa compeacutetence technique et de son efficaciteacute De la mecircme maniegravere lrsquoexistence drsquoun projet de deacuteleacutegation inteacutegrale a un effet positif sur la propension agrave sous-traiter un nombre plus important drsquoopeacuterations culturales drsquoougrave la progressiviteacute du passage drsquoune sous-traitance partielle agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale (tableau 1)

Ainsi sur la base de lrsquoensemble des enquecirctes (par sondage et par entretiens approfondis) il est possible drsquoeacutetablir quatre grands profils drsquoentreprises agricoles et drsquoagriculteurs ayant recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

- Des exploitations en grandes cultures avec des chefs drsquoexploitation agrave la retraite sans repreneurs qui preacutefegraverent deacuteleacuteguer inteacutegralement la gestion de leur exploitation agrave un tiers dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise Cette forme aboutie de deacuteleacutegation inteacutegrale est freacutequente dans les reacutegions de grandes cultures et notamment celles caracteacuteriseacutees par une faible preacutesence du fermage et de la coopeacuteration (CUMA groupements drsquoemployeurs) ainsi que par des problegravemes de transmission Lrsquoimportance de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour les exploitations en grandes cultures quelle que soit leur taille conduit agrave penser que cette logique serait la plus reacutepandue

- Des exploitations speacutecialiseacutees drsquoeacutelevage (bovin-lait) ou des exploitations avec une dominante viticulture avec des chefs drsquoexploitation qui cherchent agrave augmenter la performance globale de leur exploitation en se recentrant sur leur cœur de meacutetier et deacuteleacuteguant tous les travaux des cultures consideacutereacutees comme secondaires La carte de la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures reacutealiseacutee avec les donneacutees du recensement suggeacuterait deacutejagrave en 2010 (figure 3) lrsquoimportance de cette logique de laquo deacuteleacutegation inteacutegrale par recentrage raquo dans les reacutegions comme la Bretagne et la Normandie Celle eacutetablie avec les donneacutees de lrsquoenquecircte Structures 2016 confirme cette tendance (figure 4)

- Des petites exploitations dont le chef a heacuteriteacute de ses parents Ce dernier a ou non le statut laquo pluriactif raquo mais il ne souhaite pas dans tous les cas srsquoinvestir dans lrsquoactiviteacute agricole en raison de la taille de son exploitation des incertitudes pesant sur le revenu agricole ou encore du manque drsquoattrait pour le meacutetier

- Des petites exploitations en polyculture-polyeacutelevage notamment celles avec un atelier bovin-lait avec des chefs drsquoexploitation encore jeunes mais qui envisagent une sortie preacutecoce du meacutetier et pour cela commencent agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement les travaux de culture avant laquo drsquoen finir raquo avec les autres ateliers

4 De nouvelles formes drsquoorganisation de la sous-traitance

Agrave lrsquoinstar de ce que lrsquoon observe dans certains pays europeacuteens des dispositifs complexes de sous-traitance ont reacutecemment fait leur apparition en France Ils sont porteacutes tout agrave la fois par des entreprises de travaux des socieacuteteacutes de gestion voire des organisations professionnelles agricoles qui proposent une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation en passant par la mise en place de mesures agro-environnementales ou la fourniture de services juridiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 65

41 Pour reacutepondre aux nouvelles demandes des acteurs traditionnels srsquoadaptent et eacutevoluent

Tout au long de la modernisation drsquoapregraves-guerre la principale strateacutegie des chefs drsquoexploitation a eacuteteacute drsquoaccroicirctre la productiviteacute de leur travail par la speacutecialisation lrsquoagrandissement et la substitution du capital au travail (Gambino et al 2012) Malgreacute la remise en question de cette strateacutegie depuis les anneacutees 1980 lrsquoeacutevolution des investissements en mateacuteriel agricole continue sa progression de maniegravere concomitante agrave la concentration productive des exploitations (Lerbourg et Dedieu 2016) Ce pheacutenomegravene a des implications importantes sur lrsquoorganisation des chantiers agricoles puisque pour amortir un mateacuteriel toujours plus puissant mais aussi plus speacutecifique plus sophistiqueacute et donc plus coucircteux certains agriculteurs ont fait le choix de deacutevelopper des CUMA (Jeanneaux et Blasquier-Revol 2015 FNCUMA 2017) tandis que drsquoautres sureacutequipeacutes ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation de services soit en compleacutement des autres ateliers de lrsquoexploitation soit au travers drsquoune ETA (FNEDT 2019)

Pour reacutepondre agrave la nouvelle demande de sous-traitance et de deacuteleacutegation les ETA ont deacuteveloppeacute de nouveaux services de sous-traitance comme le laquo A agrave Z raquo deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus et ont fait eacutevoluer leur organisation en conseacutequence Drsquoautres acteurs traditionnels du domaine des services aux exploitations agricoles qui nrsquoeacutetaient jusqursquoagrave preacutesent pas engageacutes dans la sous-traitance comme les CUMA ou les coopeacuteratives commencent agrave peacuteneacutetrer le marcheacute Les sections suivantes preacutesentent les diffeacuterentes configurations repeacutereacutees lors de nos travaux de terrain

411 Des ETA eacutevoluent vers des ETA multiservices et organiseacutees en reacuteseaux

Parallegravelement agrave un changement dans la nature des services les observations de terrain montrent des eacutevolutions organisationnelles plus ou moins pousseacutees en ce qui concerne les ETA Dans certains cas on passe drsquoune simple ETA agrave une ETA multi-services geacuterant des exploitations pour autrui Il arrive que ces ETA multi-services entrent au capital des exploitations avec lesquelles elles travaillent ou bien srsquoorganisent en cluster drsquoETA pour travailler en reacuteseau (figure 6) La prise de participation au capital drsquoune exploitation est censeacutee reacutesoudre le problegraveme de comportements opportunistes de la part des parties prenantes14 en permettant agrave lrsquoETA de participer agrave la gouvernance de cette derniegravere et reacuteciproquement de garantir agrave lrsquoexploitant un travail bien fait de la part drsquoune ETA davantage impliqueacutee Lrsquoorganisation en reacuteseau drsquoETA a quant agrave elle pour objectif de couvrir un territoire plus eacutetendu et drsquooffrir une gamme de services speacutecifiques plus larges gracircce agrave la mutualisation des moyens Lors de nos enquecirctes nous avons ainsi rencontreacute le cas drsquoun reacuteseau creacuteeacute dans les anneacutees 2010 et reacuteunissant plus de 10 entreprises reacutecoltant plusieurs dizaines de milliers drsquohectares qui opegravere dans le nord-ouest de la France zone drsquoeacutelevage caracteacuteriseacutee par une forte demande en deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures dans une logique de recentrage Pour son fondateur lrsquoorganisation en reacuteseau permet aux ETA membres de disposer drsquoun parc important de mateacuteriels (avec technologies embarqueacutees) et drsquoun dispositif commun de formation du personnel Il peut ainsi communiquer sur leur expertise en matiegravere drsquoagriculture de preacutecision et sur la qualiteacute du travail reacutealiseacute par un personnel qualifieacute En 2013 ce reacuteseau est alleacute jusqursquoagrave

14 Ce problegraveme de comportement opportuniste qualifieacute dans la litteacuterature theacuteorique en eacuteconomie de laquo principal-agent raquo est celui qui est inheacuterent agrave toute relation contractuelle ougrave lrsquoaction de lrsquoune des parties prenantes le laquo principal raquo va ecirctre deacutetermineacutee par les informations dont elle dispose sur lrsquoautre laquo lrsquoagent raquo Par exemple dans une relation qui lie un assureur agrave un assureacute le premier est le principal Il ne dispose pas drsquoune information parfaite sur les intentions du second qui est lrsquoagent Lrsquoassureur peut subir un comportement opportuniste de la part de lrsquoassureacute et va donc inteacutegrer ce risque dans le contrat drsquoassurance Il se trouve que dans une relation de sous-traitance lrsquoagriculteur et le sous-traitant peuvent ecirctre tous les deux agrave la fois laquo principal raquo et laquo agent raquo Le sous-traitant peut ne pas apporter les efforts attendus et mal faire le travail tout comme lrsquoagriculteur-commanditaire peut ne pas payer le sous-traitant agrave temps

66 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

construire un partenariat avec une multinationale europeacuteenne drsquoagrofournitures afin de proposer agrave ses agriculteurs clients un eacutepandage drsquoazote moduleacute gracircce agrave une technologie deacuteveloppeacutee par cette derniegravere Pour son preacutesident un tel reacuteseau et un tel partenariat constituent une reacuteponse agrave la reacuteglementation et aux nouvelles attentes de la socieacuteteacute

laquo Lrsquoeacutevolution des reacuteglementations et de la socieacuteteacute nous obligent plus que jamais agrave nous adapter rapidement Toutes ces eacutevolutions entraicircnent drsquoimportantes pertes de compeacutetitiviteacute pour lrsquoagriculture franccedilaise Crsquoest dans cette logique que nous recherchons systeacutematiquement agrave notre eacutechelle les meilleures solutions qui peuvent aider nos clients agrave maintenir leur compeacutetitiviteacute Les techniques et les technologies existent aujourdrsquohui mais leur mise en œuvre et leur coucirct demeurent des freins importants agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation agricole Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rocircle et le service que les ETA de demain doivent ecirctre en mesure drsquoapporter agrave leurs clients raquo15

Qursquoelles soient multi-services ou organiseacutees en reacuteseau pour perdurer et se deacutevelopper malgreacute le niveau eacuteleveacute de leurs charges (immobiliseacutees et de fonctionnement) les ETA laquo nouvelle geacuteneacuteration raquo cherchent agrave rassembler la demande (pour tirer parti des eacuteconomies drsquoeacutechelle et reacuteduire les coucircts de production) et lrsquooffre (pour neacutegocier les deacuteboucheacutes lorsqursquoelles ont en charge la commercialisation)

412 Des CUMA deacuteveloppent la prestation de services

Agrave cocircteacute des ETA les CUMA ont aussi fait eacutevoluer leurs services et leur organisation pour reacutepondre aux besoins de leurs adheacuterents mais aussi de tiers non adheacuterents Ainsi certains reacuteseaux deacutepartementaux des CUMA de lrsquoouest et du sud-ouest proposent deacutesormais une offre nouvelle de services de prestation dits laquo complets raquo16

Le deacuteveloppement de telles activiteacutes de prestation a eacuteteacute reacutecemment faciliteacute par la loi laquo Travail raquo du 8 aoucirct 2016 qui permet aux CUMA drsquoecirctre reconnues comme groupement drsquoemployeurs Degraves lors des salarieacutes peuvent ecirctre embaucheacutes et mis agrave disposition drsquoexploitations adheacuterentes agrave la CUMA pour des prestations laquo cleacutes en main raquo Ceci marque un changement majeur pour des CUMA dans lesquelles seul le mateacuteriel eacutetait traditionnellement partageacute Mecircme si ces nouveaux dispositifs de prise en charge du travail sont le prolongement drsquoorganisations au caractegravere mutualiste ils attestent drsquoune dissociation affirmeacutee entre terre travail et capital et constituent des eacuteleacutements de deacuteplacement ou de deacutepassement du modegravele familial drsquoagriculture vers de nouvelles formes drsquoorganisation sociales et eacuteconomiques (Anzalone et Purseigle 2014)

Dans de nombreux deacutepartements le positionnement de certaines CUMA sur ce qui apparaicirct ecirctre un nouveau marcheacute ne fait plus de doute17 Si certaines srsquoemploient dans ce domaine agrave satisfaire uniquement leurs adheacuterents drsquoautres nrsquoheacutesitent pas agrave aller beaucoup plus loin dans le deacuteploiement drsquoune nouvelle offre de services aupregraves de tiers

Le cas de lrsquoentreprise Teravi18 illustre assez bien ces eacutevolutions (encadreacute 4) Nous voyons ici que de lrsquoagriculture de groupe agrave une agriculture laquo en reacuteseaux raquo il nrsquoy a souvent qursquoun pas La socieacuteteacute de conseil-geacuterance creacuteeacutee par les membres de ces deux structures

15 Guillemot T 2014 laquo Lrsquoapport moduleacute drsquoazote se preacutecise dans lrsquoOrne raquo Reacuteussir lrsquoagriculteur normand 22 mai p5-6 16 Le service dit laquo complet raquo offert par les CUMA est agrave distinguer des chantiers laquo complets raquo ou de laquo A agrave Z raquo proposeacutes par les ETA qui consistent agrave prendre en charge lrsquointeacutegraliteacute des opeacuterations techniques sur une exploitation17 Cf par exemple le dossier de la Chambre drsquoagriculture du Morbihan Terra ndeg 718 du 29 novembre 2019 laquo Et si quelqursquoun le faisait pour vous la deacuteleacutegation une solution agrave reacute-eacutevaluer raquo ou la plaquette de la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAveyron laquo Les services complets pour mieux geacuterer son travail sa meacutecanisation et sa CUMA raquo18 Les noms de toutes les entreprises citeacutees ont eacuteteacute modifieacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 67

Figure 6 - Scheacutema drsquoorganisation de la sous-traitance incluant la deacuteleacutegation inteacutegrale (ou laquo A agrave Z raquo) et relevant drsquoune ETA multi-services

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui du CEP in Forget et al (2019) ndash page 42

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

68 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Situeacutee dans le quart Nord-Est de la France cette entreprise est neacutee dans le prolongement drsquoune Socieacuteteacute en participation (SEP) reacuteunissant quatre EARL une SCEA et un GAEC2 Productrice de betteraves de luzerne de chanvre de colza de bleacute drsquoorge de printemps et de lentilles elle adhegravere agrave deux coopeacuteratives ceacutereacutealiegraveres une betteraviegravere et cultive eacutegalement des œillettes pour le compte drsquoun grand groupe pharmaceutique Lrsquoensemble des activiteacutes culturales qui srsquoeacutetend sur plus de 1 000 ha est reacutealiseacute par une CUMA inteacutegrale agrave laquelle le mateacuteriel des diffeacuterentes exploitations adheacuterentes a eacuteteacute progressivement vendu Adepte drsquoune approche taylorienne de lrsquoentreprise les exploitants vont alors chercher agrave rationnaliser au maximum le dispositif en se speacutecialisant chacun dans des activiteacutes preacutecises travail du sol pour lrsquoun reacutecolte pour un autre responsabiliteacutes professionnelles pour un autre etc Reacuteduire les charges de meacutecanisation eacutetait ici au centre des preacuteoccupations des exploitants fondateurs qui ont alors trouveacute dans la creacuteation drsquoune CUMA inteacutegrale de nombreux avantages eacuteconomiques Quelques anneacutees plus tard partant du constat qursquoune laquo ferme de 130 ha par personne deacutegage un mi-temps raquo et suffisamment de temps pour que les associeacutes puissent partir en vacances voire travailler agrave lrsquoexteacuterieur lrsquoideacutee drsquoutiliser ce temps libre pour construire un nouveau projet commun au sein du groupe a progressivement germeacute Face au vieillissement du territoire agricole sur lequel ils sont installeacutes et devant lrsquoincapaciteacute de leurs voisins agrave trouver des repreneurs ou agrave srsquoassocier comme eux dans des structures collectives les adheacuterents de cette SEP et de cette CUMA inteacutegrale perccediloivent lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau marcheacute

laquo Lrsquoideacutee de base lrsquoideacutee de postulat crsquoest de dire qursquoil y aura le papy boom qui arrive moi quand jrsquoai fait la formation jrsquoavais autant des viticoles que des agricoles donc je voyais que dans la partie viticole la majoriteacute reprennent leur patrimoine mais le gegraverent pas du tout Et il faut faire Et on sentait bien qursquoen agricole ccedila se deacutevelopperait de plus en plus Donc on srsquoest dit on va partir dans la prestation de services mais on ne veut pas du tout faire de la prestation de tracteur de tourner dans les champs avec notre tracteur crsquoest pas lrsquoobjectif du tout du groupe il y a suffisamment de mateacuteriel dans la plaine Voilagrave crsquoeacutetait le postulat de base donc on va faire sous-traiter toute la partie mateacuterielle Et donc nous on va faire tout le reste Crsquoest-agrave-dire deacutecisionnaires conseils services services crsquoest-agrave-dire suivi administratif suivi de ce que vous voulez On est un peu les donneurs drsquoordres les voilagrave crsquoeacutetait ccedila un peu lrsquoideacutee lrsquoideacutee de base de Teravi raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Forts drsquoune expeacuterience drsquoune dizaine drsquoanneacutee en agriculture dite de laquo conservation des sols raquo les sept agriculteurs de la SEP creacuteent alors une socieacuteteacute commerciale (SARL) de conseil en gestion nommeacutee Teravi Nrsquoutilisant pas le mateacuteriel de la SEP cette socieacuteteacute fait appel agrave drsquoautres sous-traitants du territoire Teravi est ici donneur drsquoordres agrave lrsquoentrepreneur Lrsquoentrepreneur exeacutecutant peut-ecirctre un agriculteur de la reacutegion disposant lui-mecircme drsquoune ETA ou une ETA traditionnelle Les entreprises laquo maicirctres drsquoœuvre raquo sont souvent speacutecialiseacutees Ainsi pour le compte drsquoun seul client Teravi peut faire appel agrave 8 agrave 10 entreprises sous-traitantes dont le choix est reacutealiseacute par Teravi puis valideacute par les clients Teravi contractualise tous les ans agrave la fois avec les ETA partenaires et ses clients Lrsquooffre proposeacutee se veut laquo claire raquo (les contrats sont deacutetailleacutes) laquo simple raquo (lrsquoentreprise est la seule interlocutrice) laquo rentable raquo (la technique ou lrsquoorganisation permettrait de proposer une offre avantageuse)3 La souplesse dans les contrats est le leitmotiv de cette entreprise le client doit pouvoir les interrompre agrave sa demande et il est preacutesenteacute comme non engageacute sur le long terme La volonteacute drsquoeacutechanger

Encadreacute 4 - Portrait de lrsquoentreprise de sous-traitance Teravi1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 69

avec le client est affirmeacutee et lrsquoentreprise ne se paie pas au reacutesultat Une facture agrave lrsquohectare est reacutealiseacutee et le paiement est eacutechelonneacute sur lrsquoanneacutee Les prix pratiqueacutes vont de 330 agrave 380 euros de lrsquohectare Afin de reacutepondre au laquo contexte juridique raquo et aux attentes de leurs clients trois contrats sont proposeacutes une convention de prestation de conseil une convention de prestation de services et un contrat de travaux drsquoentreprise agricole

laquo Nous on fait signer des contrats annuels On veut que ce soit le plus souple possible Que la personne en face nrsquoait pas lrsquoimpression drsquoecirctre bloqueacutee comme il peut ecirctre bloqueacute avec un bailhellip Le contrat on deacutetaille ce qursquoon fait On deacutetaille le coucirct on deacutetaille ce qursquoon doit faire en temps et en peacutenaliteacutes etc enfin on explique un peu les choses basiques et ce qui incombe aussi agrave la fois au client et agrave nous-mecircmes Au client il doit nous fournir tout ce qursquoil y a comme contrats particuliers si crsquoest une zone de captage tout ce qursquoon a besoin pour geacuterer une exploitation Et puis nous on transmet au fur et agrave mesure aujourdrsquohui ben les traitements Avec les nouvelles reacuteglementations etc etc on doit preacutevenir agrave chaque passage de traitement ce qursquoon fait etc raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Deux offres sont proposeacutees par lrsquoentreprise lrsquoune en laquo conseil strateacutegique raquo lrsquoautre en laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo La premiegravere relegraveve drsquoun accompagnement strateacutegique censeacute reacutepondre laquo aux deacutefis de demain raquo crsquoest-agrave-dire la recherche de rentabiliteacute de lrsquoexploitation agricole laquo dans un contexte politique et socieacutetal en grande mutation raquo Cet accompagnement peut ecirctre global ou circonscrit agrave une activiteacute particuliegravere (itineacuteraire technique reacuteglementation administratif etc) Une offre dite de laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo est eacutegalement proposeacutee Preacutesenteacutee comme permettant la conservation et la valorisation du patrimoine foncier par le proprieacutetaire elle permettrait notamment de valoriser la main-drsquoœuvre de lrsquoexploitation laquo en la rendant disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip)  raquo ou de laquo preacuteparer une transmission future raquo La laquo solution raquo proposeacutee repose sur un accompagnement dans le choix de lrsquoassolement la preacuteconisation de lrsquoitineacuteraire technique les interventions culturales adapteacutees le suivi des cultures Drsquoautres prestations optionnelles sont possibles de la reacuteception des facteurs de production (engrais semences phytosanitaires) au suivi administratif (cahier drsquoeacutepandage tenue des stocks fiches parcellaires aides agrave la deacuteclaration PAC etc) Parce que cette formule ne va pas encore compleacutetement de soi au sein de la profession il est proposeacute laquo des devis gratuits et une discreacutetion assureacutee raquo

1 Le nom de lrsquoentreprise a eacuteteacute modifieacute2 La loi drsquoorientation agricole du 5 janvier 2006 va plus loin en soulignant que laquo tout preneur quelles que soient les modaliteacutes juridiques drsquoexercice de son activiteacute peut participer agrave une opeacuteration drsquoassolement en commun raquo et laquo mettre les biens loueacutes agrave la disposition drsquoune socieacuteteacute comptant une personne morale parmi ses membres raquo (Letissier 2007 p 49) Ce nouveau dispositif juridique reconnaicirct et encourage le mouvement de dilution des entiteacutes familiales dans des groupes de grandes tailles au montage juridique complexe Au centre de ces groupes on trouve une socieacuteteacute de base la socieacuteteacute en participation (SEP) Si celle-ci garantit lrsquoautonomie juridique de chacune des exploitations constitutives de la SEP elle peut depuis 2008 se voir reconnaicirctre la qualiteacute laquo drsquoagriculteur raquo et ainsi preacutetendre aux aides directes du premier pilier de la PAC Les deacutefenseurs de ce type de dispositifs le reconnaissent eux-mecircmes ceci pose immanquablement la question de lrsquoactiviteacute censeacutee ecirctre reacutealiseacutee par les entreprises associeacutees dans cette socieacuteteacute (SAF 2012 p 204) Mecircme si la SEP nrsquoa pas de personnaliteacute morale pas de siegravege social de patrimoine social ni drsquoemprunts crsquoest bien elle qui reacutealise lrsquoactiviteacute agricole Les entreprises associeacutees se contentent tregraves souvent de participer agrave la gouvernance du groupe et ne reacutepondent plus au critegravere de maicirctrise du cycle biologique exigeacute par le Code rural (article L311-1) pour deacutefinir une activiteacute agricole (Purseigle et al 2018)3 Site internet de lrsquoentreprise

70 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ne reacutealise pas les prestations de travaux mais les organise pour le compte de ses clients   elle devient une tecircte de reacuteseau de sous-traitants agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Cette socieacuteteacute emploie un personnel posseacutedant une expertise agrave la fois agronomique et en matiegravere de gestion drsquoexploitation qui lui permet de se positionner en amont de la prise en charge des travaux agricoles sur lrsquoactiviteacute de conseil et de mise en relation clientETA qui deacutegage le plus de valeur ajouteacutee En controcirclant les deacutecisions drsquoun ensemble drsquoexploitations individuelles une telle socieacuteteacute peut avoir la main sur lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire La frontiegravere est souvent teacutenue entre la prestation de travaux agricoles et le conseil strateacutegique ou entre la gestion globale drsquoune exploitation et le controcircle strateacutegique Nous rejoignons ici Hubert Cochet qui deacutecrit laquo lrsquoeacutemergence drsquoentreprises de mateacuteriel agrave statut coopeacuteratif embauchant des salarieacutes et exploitant de tregraves grandes surfaces les agriculteurs devenant des actionnaires de ces structures veacuteritables pivots de tregraves grosses exploitations agricoles  raquo Celles-ci constituent de laquo grandes uniteacutes de production srsquoaffranchissant largement des frontiegraveres de lrsquoexploitation familiale raquo (Cochet 2008)

413 Des coopeacuteratives de collecte-approvisionnement et des CETA entrent aussi sur le marcheacute de la sous-traitance

Parmi les autres acteurs traditionnels qui entrent sur le marcheacute de la sous-traitance nous avons repeacutereacute plusieurs coopeacuteratives agricoles de collecte-approvisionnement et des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA)

Du cocircteacute des coopeacuteratives dans un contexte de baisse tendancielle du nombre drsquoexploitations agricoles le deacuteveloppement de la sous-traitance vise agrave fideacuteliser leurs adheacuterents mais surtout agrave preacuteserver une capaciteacute de collecte Les enquecirctes et observations de terrain montrent qursquoelles jouent agrave lrsquoeacutechelle de certains territoires un rocircle de plus en plus important dans lrsquoorganisation sociale et eacuteconomique de la production agricole

laquo On a beaucoup drsquoadheacuterents qui arrivent agrave la retraite mais nrsquoont pas forceacutement de successeur (hellip) Les technico-commerciaux font deacutejagrave ce travail sans que ce soit dit Ils posent les bidons et ils disent voilagrave comment il faut les utiliser raquo Cadre drsquoune coopeacuterative grand Sud-Ouest octobre 2018

Les reacutecents dispositifs leacutegislatifs instaurant agrave terme une seacuteparation des meacutetiers de la vente et du conseil semblent contribuer agrave leur repositionnement sur de nouveaux marcheacutes dont celui de la gestion des cultures Quelles que soient les reacutegions nos enquecirctes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent tregraves souvent comme intermeacutediaires entre des ETA et des membres-adheacuterents souhaitant deacuteleacuteguer tout ou partie de leurs travaux culturaux Si certains grands groupes coopeacuteratifs deacuteclarent selon les mots drsquoun preacutesident de coopeacuterative que nous avons interrogeacute ne pas rentrer laquo dans lrsquointimiteacute des exploitations  raquo et ne pas srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dont leurs adheacuterents gegraverent leurs exploitations il nrsquoen demeure pas moins que les entreprises de travaux agricoles sont pour eux comme des laquo partenaires raquo qui laquo ne doivent plus avoir peur raquo de pousser leurs portes et de venir discuter avec eux19

En raison de lrsquoincapaciteacute de certains adheacuterents agrave trouver des repreneurs ou agrave reacutesoudre des difficulteacutes technico-eacuteconomiques et face agrave de nouvelles formes de concurrence avec drsquoautres organismes stockeurs (OS) certains groupes coopeacuteratifs nrsquoheacutesitent plus agrave proposer une nouvelle offre de services laquo agrave visage deacutecouvert raquo Crsquoest le cas notamment drsquoun grand

19 Entretien avec un preacutesident de coopeacuterative le 1er feacutevrier 2019 lors du congregraves national de la FNEDT et relateacute dans laquo Les ETA sont des partenaires raquo Entrepreneurs des Territoires Magazine ndeg 120 avril p10-12

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 71

groupe coopeacuteratif du Sud-Ouest de la France qui propose un service drsquoaccompagnement de ses adheacuterents dans la gestion de chantiers de grandes cultures Le pocircle agriculture de cette coopeacuterative srsquoest doteacute drsquoun chef de projet ayant une expeacuterience dans la gestion de grands domaines dans un autre contexte agricole Ce dernier avec lrsquoappui drsquoun ingeacutenieur agronome ancien conseiller en centre de gestion et de quatre chefs de culture reacutefeacuterents supervise la gestion de chantiers reacutealiseacutes par une trentaine drsquoentreprises de travaux agricoles partenaires Ce service concerne actuellement une centaine drsquoadheacuterents Il srsquoest deacuteployeacute sur 4 000 hectares de grandes cultures et a eacuteteacute reacutecemment proposeacute pour des chantiers viticoles Pour chaque adheacuterent faisant appel agrave ce service la coopeacuterative deacutesigne un chef de culture reacutefeacuterent qui deacutecide conjointement avec lrsquoexploitant de lrsquoassolement et des productions Factureacute 50 euros de lrsquohectare auxquels srsquoajoute un pourcentage en fonction du reacutesultat de la vente ce service peut mecircme offrir une expertise en assurance pour les adheacuterents qui le souhaitent Agrave lrsquoissue de chaque campagne un reporting est reacutealiseacute afin de mieux appreacutehender les reacutesultats technico-eacuteconomiques de lrsquoexploitation20

Dans les Hauts-de-France par le biais drsquoune de ses filiales (SARL speacutecialiseacutee dans les activiteacutes de soutien aux cultures et employant six personnes) une autre coopeacuterative propose depuis 2013 une laquo solution de gestion complegravete ou agrave la carte raquo agrave ses adheacuterents Avec un chiffre drsquoaffaires de pregraves de trois millions drsquoeuros ses activiteacutes reposent principalement sur de la vente de craie des prestations drsquoeacutepandage drsquoamendement de semis et drsquoarrachage de betteraves Certaines coopeacuteratives vont mecircme jusqursquoagrave creacuteer des filiales commerciales21 qui reposent sur une alliance entre trois types de partenaires la coopeacuterative elle-mecircme un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles Ces filiales vont plus loin encore dans la construction drsquoun dispositif permettant de deacuteceler tregraves rapidement des deacutefaillances eacuteconomiques etou agronomiques Situeacutee dans lrsquoEst de la France une coopeacuterative enquecircteacutee nrsquoattend pas seulement que ses adheacuterents se tournent vers elle Elle est avec son partenaire centre de gestion en mesure de repeacuterer des situations qui neacutecessiteraient le recours agrave une prestation partielle ou totale de suivi des exploitations Alerteacutees les eacutequipes de technico-commerciaux se chargent ensuite de proposer lrsquooffre de la filiale agrave lrsquoagriculteur identifieacute Au-delagrave de la gestion technique organisationnelle administrative eacuteconomique et reacuteglementaire la coopeacuterative propose ici un controcircle de gestion et un bilan de campagne reacutealiseacutes chaque anneacutee Si ce controcircle de gestion est preacutesenteacute comme un instrument permettant drsquoappreacutecier la pertinence de la prestation il srsquoavegravere ecirctre un outil au service drsquoun suivi tregraves rapprocheacute des exploitations adheacuterentes Par le biais de sa filiale et sur la base drsquoun programme technico-eacuteconomique preacutealablement deacutefini la coopeacuterative confie alors agrave une entreprise speacutecialiseacutee en gestion drsquoexploitation et optimisation des systegravemes de production le soin de reacutealiser le suivi et la mise en œuvre opeacuterationnelle   deacutefinition des chantiers reacutealisation des travaux culturaux etc Reconnue dans la reacutegion concerneacutee pour son expertise lrsquoentreprise propose mecircme des applications web permettant drsquoentrer toutes les donneacutees de lrsquoexploitation et de les stocker Indeacutependamment de sa participation agrave hauteur de 20 dans cette filiale de coopeacuterative cette entreprise dispose drsquoun portefeuille de clients qui repreacutesente plus de 8 000 hectares de grandes cultures Elle propose eacutegalement agrave ses autres clients des outils de gestion de la collecte (gestion des productions agrave commercialiser contractualisation des volumes avec les diffeacuterents organismes stockeurs suivi des stockages et deacutestockages suivi permanent des cours accegraves aux offres de marcheacute pour ces derniers etc) Enfin agrave lrsquoinstar drsquoun groupe coopeacuteratif situeacute au sud-ouest de Paris certaines coopeacuteratives nrsquoheacutesitent plus agrave racheter des entreprises de travaux agricoles par le biais de filiales

20 Jacquemoud F 2018 laquo Un copilote pour geacuterer les cultures raquo Agrodistribution mai p 23 Jaquemond F 2018 laquo Deacuteleacuteguer la gestion de ses ceacutereacuteales raquo La France agricole ndeg 3751 8 juin p 54-55 21 Les filiales commerciales permettent aux coopeacuteratives de srsquoengager dans des activiteacutes en partenariat avec des entreprises priveacutees pouvant geacuteneacuterer drsquoimportants profits

72 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Si de telles strateacutegies sont nouvelles pour les coopeacuteratives du secteur ceacutereacutealier elles ont fait leur apparition degraves les anneacutees 1990 dans certaines reacutegions viticoles comme la Provence Confronteacutees au deacuteveloppement de lrsquourbanisation et au non-renouvellement des geacuteneacuterations certaines caves coopeacuteratives en proximiteacute de villes comme Aix-en-Provence Brignoles ou Bandol ont souhaiteacute degraves cette eacutepoque seacutecuriser leurs approvisionnements en creacuteant des socieacuteteacutes civiles drsquoexploitation agricoles ou des groupements fonciers mutuels (Le Gars et Roudieacute 1996) Dans ce secteur cette prise en charge directe des activiteacutes de production peut ecirctre peacuterenne ou temporaire Elle va parfois de pair avec la mise en place drsquooutils de reprise progressive des uniteacutes de production par de jeunes viticulteurs Comme nous lrsquoavons constateacute lors drsquoenquecirctes reacutealiseacutees en 2015 et 2016 dans le Roussillon cette strateacutegie se deacuteveloppe eacutegalement dans le secteur de la production arboricole et maraichegravere ougrave des coopeacuteratives rachegravetent des vergers drsquoarbres fruitiers dont la conduite est confieacutee agrave un chef de culture et des salarieacutes

Face agrave un manque de professionnalisation et aux difficulteacutes rencontreacutees par le modegravele familial drsquoexploitation certaines associations interprofessionnelles (par ex lrsquoAssociation franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoolive - AFIDOL France Olive) procircnent lrsquoimplication des transformateurs (moulins priveacutes etou coopeacuteratives) dans la prise en charge partielle ou totale des activiteacutes de production Cet extrait du rapport moral du preacutesident de lrsquoAFIDOL en teacutemoigne

laquo Nous devons passer drsquoune strateacutegie drsquoattente de lrsquoapprovisionnement agrave une strateacutegie drsquointeacutegration de lrsquoamont Finie lrsquoeacutepoque ougrave un transformateur se contentait drsquoattendre que lrsquooleacuteiculteur apporte ses olives au moulin Il faut inteacutegrer dans nos tecirctes que le modegravele agricole dans lequel nous vivons depuis 1945 est en train de disparaicirctre Si nous ne reacuteagissons pas nous disparaicirctrons avec lui Les nouvelles geacuteneacuterations nrsquoont plus envie de laquo srsquoemmerder raquo apregraves leur travail agrave tailler traiter reacutecolter les oliviers heacuteriteacutes de leur pegravere et de leur grand-pegravere Bien sucircr cette eacutevolution est lente pernicieuse mais elle est ineacuteluctable (hellip) la filiegravere oleacuteicole du XXIe doit se bacirctir autour drsquooliveraies meneacutees par des agriculteurs professionnels ou des prestataires de service associeacutes agrave des pools de moulins priveacutes ou coopeacuteratifs capables drsquoextraire de stocker et de mettre en bouteilles dans des conditions optimales raquo22

Plus eacutetonnant de prime abord des organismes de conseil comme des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA) fondeacutes agrave lrsquoorigine pour promouvoir une expertise agronomique et technique se sont eacutegalement positionneacutes degraves les anneacutees 2000 sur le marcheacute de la sous-traitance agricole Des exemples de ce type ont notamment eacuteteacute repeacutereacutes en Icircle-de-France et en Normandie En deacuteveloppant un service et des uniteacutes commerciales deacutedieacutees agrave la prise en charge de travaux agricoles ces CETA souhaitaient agrave lrsquoorigine reacutepondre agrave une demande drsquoadheacuterents sur le point de prendre leur retraite ou ayant subi un accident de la vie On observe habituellement deux ensembles de pratiques lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoadheacuterents au CETA (cas du CETA Agriacteacutea) et lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoETA qui ont deacutejagrave leurs clients (cas du CETA Seacutemeacuteac)

Dans le premier cas lrsquoeacutequipe est porteacutee par deux ingeacutenieurs en agriculture Creacuteeacute en 2006-2007 ce service travaille pour le compte de six exploitations pour un total de 1 500 hectares Au-delagrave du conseil et de lrsquoexpertise agronomique cette prestation a eacuteteacute creacuteeacutee pour reacutepondre agrave une demande de gestion inteacutegreacutee drsquoexploitations agricoles23 Le profil des clients est diversifieacute il srsquoagit de personnes ayant heacuteriteacute drsquoune exploitation mais qui exercent

22 Nasles O 2014 Rapport moral du Preacutesident dans Rapport drsquoactiviteacutes Association franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoOlive httpsafidolorgoleiculteurrapports-dactivite-lafidol23 Les exploitations geacutereacutees sont ici deacutenommeacutees laquo domaines agricoles raquo comme pour rappeler le caractegravere patrimonial de la deacutemarche

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 73

une autre activiteacute drsquoun client qui a deacuteveloppeacute en parallegravele une activiteacute de jardinerie et qui souhaitait se recentrer sur cette activiteacute ou drsquoun client institutionnel Il y a enfin le cas drsquoun laquo grand nom raquo (de la financeindustrie) qui nrsquoeacutetait pas satisfait des services offerts par lrsquoETA travaillant pour lui Notons que sur ces six clients la majoriteacute faisait partie du CETA

Contrairement aux coopeacuteratives agricoles qui jouent de leur capaciteacute agrave mettre en marcheacute la production pour convaincre leurs adheacuterents ou clients les CETA mettent en avant leur expertise technique Apregraves plusieurs deacutecennies drsquoexpeacuterimentations permettant drsquoameacuteliorer le rendement des parcelles cette uniteacute commerciale serait capable drsquooffrir un diagnostic plus fin sur la strateacutegie agrave suivre par lrsquoexploitation (choix des cultures assolements etc) et un service qui preacuteserverait laquo lrsquoindeacutependance raquo des exploitants Mecircme si la commercialisation des productions est ici exclue il est proposeacute aux clients et aux ETA partenaires une mutualisation de lrsquoachat des intrants afin de les faire beacuteneacuteficier de prix avantageux Deux types de contrats sont signeacutes un contrat entre lrsquoETA et lrsquoexploitant et un entre lrsquoexploitant et le service Notons cependant que les deux contrats sont reacutedigeacutes par le CETA Agriacteacutea Ces contrats courent en geacuteneacuteral sur une dureacutee de cinq ans La deacutefinition du contrat deacutebute par un audit geacuteneacuteral (de type agronomique) afin de minimiser la prise de risque pour les diffeacuterentes parties prenantes du dispositif Les tacircches associeacutees agrave ce service relegravevent drsquoune prestation de conseil et drsquoune coordination des ETA envoi des ordres drsquointervention et veacuterification que laquo le travail soit bien fait raquo Comme dans drsquoautres cas eacutetudieacutes il srsquoagit ici de geacuterer plusieurs ETA pour un client Le cahier des charges pour lrsquoETA comporte une clause drsquoexclusion et un meacutediateur peut ecirctre nommeacute (expert foncier agricole aupregraves des tribunaux dont le nom figure dans le contrat) en cas de litige de paiement entre lrsquoexploitant et lrsquoETA ou lors drsquoune accumulation de litiges techniques (eacutepandage de fongicides fait trop tard etc) Le contrat peut ecirctre reconduit pour cinq ans suite agrave une reneacutegociation Lrsquoagriculteur paie directement les ETA selon un tarif assez habituel dans la profession (environ 400 euro par hectare pour du bleacute) Il reacutemunegravere par ailleurs Agriacteacutea pour le service drsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage (entre 60 agrave 100 euro par hectare et par an) Ce tarif est calculeacute de maniegravere laquo objective raquo selon la complexiteacute de lrsquoexploitation et selon le contenu de lrsquooffre

Le deuxiegraveme cas observeacute est celui drsquoun organisme de conseil normand Seacutemeacuteac qui a mis en place reacutecemment une structure originale de prestation de services Ici le contrat lie Seacutemeacuteac agrave une ETA qui possegravede deacutejagrave son portefeuille de clients Le laquo gestionnaire salarieacute  raquo ou laquo land manager raquo est ainsi employeacute par un groupement drsquoemployeurs lieacute agrave Seacutemeacuteac et laquo confieacute raquo agrave une ETA de grande taille qui reacutealise des travaux pour six clients diffeacuterents Lrsquoideacutee pour lrsquoETA est de mutualiser un salarieacute et de se libeacuterer du risque lieacute aux deacutecisions strateacutegiques (le coucirct des assurances eacutetant pris en charge par Seacutemeacuteac)

Enfin agrave cocircteacute des CETA il est eacutegalement agrave noter que dans le sud de la France (notamment en Occitanie ou en Provence) ont eacuteteacute creacuteeacutes des cabinets drsquoexpertise agronomique ou œnologique qui accompagnent non seulement les viticulteurs et les oleacuteiculteurs dans le suivi technique mais eacutegalement dans la gestion complegravete drsquoexploitations agricoles ou domaines Lagrave aussi nous voyons que la frontiegravere entre le conseil technique et la gestion est parfois teacutenue

42 Nouveaux dispositifs nouveaux arrangements contractuels nouveaux meacutetiers

La croissance du marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation a conduit agrave la creacuteation de dispositifs et meacutetiers nouveaux adosseacutes agrave de nouveaux arrangements contractuels et reacutepondant agrave des objectifs multiples seacutecurisation drsquoun approvisionnement en matiegraveres

74 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

premiegraveres agricoles dans un contexte de diminution du nombre drsquoactifs agricoles pour les uns construction de nouveaux marcheacutes de services gracircce au numeacuterique pour les autres

421 Quand des neacutegoces et des socieacuteteacutes de gestion agricoles proposent une seacutecurisation des approvisionnements industriels

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute par ailleurs (Purseigle et al 2017) il est courant dans certaines reacutegions ceacutereacutealiegraveres ou de grandes cultures de rencontrer de tregraves grandes entreprises de travaux agricoles qui assurent et seacutecurisent la production pour le compte drsquoindustriels ne souhaitant plus contractualiser individuellement avec des exploitations agricoles Pour certaines entreprises de prestation ayant inteacutegreacute des fonctions de stockage et de neacutegoce la prise en charge de lrsquoactiviteacute de production sur plusieurs milliers drsquohectares entend permettre de faire jeu eacutegal avec les industriels de la transformation notamment sur certains marcheacutes deacuteficitaires comme celui de lrsquoagriculture biologique Le cas de lrsquoentreprise gersoise Biopresta en est une illustration Cette derniegravere produit des leacutegumineuses (notamment des lentilles) et des ceacutereacuteales en agriculture biologique Agrave lrsquoorigine adosseacutee agrave une exploitation agricole familiale elle exploite aujourdrsquohui autour de 2 000 hectares Elle compte une dizaine de salarieacutes permanents dont six chauffeurs de machines agricoles et un meacutecanicien Selon les choix culturaux et les pointes de travail des salarieacutes occasionnels ou un agriculteur laquo partenaire raquo disposant drsquoune plus petite exploitation viennent se joindre agrave cette eacutequipe de permanents Organisme stockeur et neacutegoce la socieacuteteacute de prestation de travaux Biopresta vend directement ses reacutecoltes agrave des industriels Selon le dirigeant de cette entreprise les coopeacuteratives sont incapables de fournir des lots de qualiteacute comme les siens Un autre exemple est lrsquoentreprise landaise Semeacuteis Celle-ci gegravere plusieurs milliers drsquohectares pour le compte de proprieacutetaires de foncier agricole Son cas est inteacuteressant car elle possegravede un parc de mateacuteriel speacutecialiseacute qui lui permet de contractualiser avec une industrie drsquoagrofourniture pour la production de semences certifieacutees Comme Biopresta Semeacuteis entend offrir agrave ses clients industriels franccedilais et europeacuteens un niveau de reacutegulariteacute dans lrsquoapprovisionnement une qualiteacute homogegravene des produits et une traccedilabiliteacute et surtout des volumes qursquoune exploitation de taille moyenne ne pourrait atteindre

Lrsquoeacutemergence en France de nouveaux dispositifs de sous-traitance ne correspond pas uniquement au deacuteveloppement de grandes entreprises de travaux agricoles adosseacutees agrave des exploitations des neacutegoces ou des coopeacuteratives Elle renvoie eacutegalement agrave lrsquoapparition en Europe de dispositifs complexes drsquoexternalisation des activiteacutes de production reposant sur des creacuteations ex nihilo de socieacuteteacutes de gestion drsquoexploitations agricoles Ces socieacuteteacutes aux allures de firme sont notamment preacutesentes en Belgique France et Grande- Bretagne Creacuteeacutee en 1985 en Belgique par trois amis proprieacutetaires fonciers la socieacuteteacute FarmPrest SA exploite sur le territoire national 10 000 hectares de terres dont 5 000 comme proprieacutetaire de plein droit et 5 000 selon le modegravele de lrsquoexploitation deacuteleacutegueacutee En Belgique au-delagrave des actionnaires lrsquoentreprise megravere fonctionne autour drsquoun directeur deacuteleacutegueacute ayant fait ses premiegraveres armes professionnelles dans le secteur de la laquo blanchisserie industrielle raquo de quatre personnes en charge de la gestion administrative et de six agronomes locaux reacutepartis sur lrsquoensemble du territoire (trois en Wallonie et trois en Flandre)

laquo Jrsquoai des agronomes sur le terrain Chacun a sa reacutegion Et ces agronomes sont des coordinateurs indeacutependants et ces coordinateurs indeacutependants sont responsables de la fixation de lrsquoassolement de lrsquointervention sur le terrain le suivi des interventions sur le terrain le suivi des reacutecoltes le reacuteseau dans le monde agricole et sont soutenus par une eacutequipe administrative qui srsquooccupe des diffeacuterends avec les diffeacuterents ministegraveres raquo (Directeur deacuteleacutegueacute de FarmPrest Belgique avril 2017)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 75

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

Mecircme si FarmPrest dispose en Belgique drsquoun statut drsquoexploitant agricole la socieacuteteacute ne possegravede pas pour autant un parc de mateacuteriel Comme ses clients elle confie les travaux des 5 000 hectares dont elle est proprieacutetaire agrave des entreprises de travaux ou drsquoautres agriculteurs Ce partenariat avec un ensemble drsquoETA seacutelectionneacute par elle-mecircme lui permet drsquoacqueacuterir une grande flexibiliteacute gestion relativement aiseacutee de lrsquoagenda des travaux en fonction des demandes accegraves agrave un parc de machines diversifieacutees dont certaines sont eacutequipeacutees de technologies dernier cri sans avoir agrave supporter lrsquoinvestissement etc

Depuis 2012 FarmPrest est implanteacutee dans la moitieacute nord et dans lrsquoouest de la France Coordonneacutees par un land manager reacutemuneacutereacute via des contrats de prestation de services les activiteacutes de FarmPrest se deacuteploient dans notre pays selon un modegravele diffeacuterent de celui mis en place en Belgique Ne posseacutedant pas de terres en nom propre dans lrsquoHexagone FarmPrest Belgique a creacuteeacute en France deux socieacuteteacutes Lrsquoune en association avec une coopeacuterative de lrsquoOuest dont elle deacutetient 51 du capital lrsquoautre avec un neacutegociant du Nord de la France ougrave elle deacutetient 50 des parts Agrave elles deux FarmPrest Ouest et FarmPrest Nord gegraverent actuellement 3 250 hectares pour le compte de 19 clients investisseurs proprieacutetaires ou agriculteurs qui souhaitent deacuteleacuteguer la gestion et lrsquoexercice des activiteacutes de production agricole (figure 7)

Comme on peut le lire sur son site Internet ou sa plaquette publicitaire le slogan de FarmPrest tient en une phrase laquo Exploitez vos terres autrement raquo Tout comme le font certaines grandes entreprises des secteurs industriels ou commerciaux le deacuteveloppement durable est pour FarmPrest un argument commercial de poids Si son meacutetier laquo est drsquoassurer

76 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

la rentabiliteacute et la peacuterenniteacute des exploitations agricoles raquo son objectif est drsquoatteindre laquo une triple performance eacuteconomique sociale et environnementale sur les terres raquo24 qursquoelle gegravere La question environnementale est un eacuteleacutement deacuteterminant dans la conquecircte par la firme drsquoune nouvelle clientegravele agricole FarmPrest entend laquo aborder lrsquoagriculture drsquoun œil critique avec une vision durable et une approche pratique raquo en appliquant laquo sur toutes les terres une agriculture juste et responsable raquo Elle propose en France une large gamme de services   audit drsquoexploitation agricole gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation eacutetudes environnementales recherche de partenaires industriels autres que les organismes stockeurs locaux pour assurer une valorisation supeacuterieure des productions et diversifier les assolements service notarial et juridique speacutecialiseacute en droit rural etc

Dans ces nouveaux scheacutemas de prestations lrsquooffre associeacutee drsquoun service de conseil laquo global raquo et laquo sur mesure raquo constitue un atout majeur pour se diffeacuterencier des entreprises de travaux agricoles classiques Il y a tout agrave la fois conseil strateacutegique drsquoentreprise conseil patrimonial et conseil agronomique et ce agrave diffeacuterents moments clefs du deacuteveloppement de lrsquoentreprise Tout comme en Belgique FarmPrest deacutelivre agrave ses clients franccedilais des conseils sur la strateacutegie globale agrave suivre reacutealise pour eux les achats drsquointrants et gegravere les ventes de leurs productions agricoles Drsquoautres prestataires eacutetudient avec leurs clients comment geacuterer de maniegravere optimale leur exploitation tout en reacutepondant aux nouvelles contraintes du premier pilier de la PAC Pour cette prise en charge globale des exploitations clientes sur la base drsquoune reacutemuneacuteration fixe agrave laquelle srsquoajoute une part variable (100 euroha + 5 de la marge nette) FarmPrest seacutelectionne des entreprises dont elle supervise hebdomadairement lrsquointeacutegraliteacute des travaux agricoles par le biais de land managers Dans chacune des socieacuteteacutes franccedilaises deacutetenues par FarmPrest Belgique nous retrouvons ces gestionnaires coordinateurs qui servent drsquointerface entre la socieacuteteacute de gestion les proprieacutetaires qui deacutelegraveguent totalement la gestion de leur exploitation et un ensemble drsquoETA qui interviennent sur la base drsquoun laquo bon de travail raquo

Ainsi comme dans le secteur du bacirctiment et travaux publics nous voyons apparaicirctre en agriculture un nouvel laquo ensemblier raquo reacuteunissant les figures du laquo maicirctre drsquoouvrage raquo (lrsquoagriculteur proprieacutetaire foncier) du laquo maicirctre drsquoœuvre raquo (lrsquoETA) et de laquo lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage raquo (FarmPrest) FarmPrest ne srsquoappuie pas sur un parc de mateacuteriel en propre mais sur des entreprises de travaux et de prestations agricoles Elle ne reacutealise donc pas les prestations mais les organise pour le compte de ses clients Interlocuteur unique aupregraves de ses clients FarmPrest est agrave la tecircte drsquoun reacuteseau de sous-traitants qursquoelle fait intervenir selon les besoins Comme donneuse drsquoordres elle peut ainsi mobiliser jusqursquoagrave dix entreprises speacutecialiseacutees pour le compte drsquoun seul client les semis eacutetant reacutealiseacutes par lrsquoune les traitements phytosanitaires lrsquoirrigation et la moisson par drsquoautres Disposant drsquoun laquo deacutepartement administratif raquo FarmPrest reacutedige les deacuteclarations PAC signeacutees ensuite par le proprieacutetaire ou ledit exploitant agricole Les donneacutees des fiches parcellaires des plans de fertilisation ou du suivi des mesures agro-environnementales sont enregistreacutees dans un logiciel permettant laquo de geacuterer les terres et les prairies comme un reacuteel asset financier raquo25 La maicirctrise du foncier et la valorisation de la main-drsquoœuvre familiale rendue laquo disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip) raquo sont les deux arguments avanceacutes par ces socieacuteteacutes de conseil-geacuterance

FarmPrest nrsquoest en France qursquoun exemple parmi drsquoautres Sur un modegravele eacutequivalent des socieacuteteacutes de gestion de type commercial sont creacuteeacutees dans le secteur des grandes cultures ou de la viticulture pour assurer la gestion et la geacuterance drsquoexploitations en quecircte

24 Plaquette commerciale FarmPrest France25 Plaquette commerciale FarmPrest France

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 77

de repreneurs ou racheteacutees par des investisseurs Souvent expeacuterimenteacutees dans la conduite drsquoexploitations de grande taille ces firmes parfois invisibles pour lrsquoadministration et lrsquoappareil statistique proposent drsquoaccompagner des entreprises individuelles dans lrsquoeacutelaboration de leur strateacutegie tout en mettant en place de gigantesques assolements en commun Les eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees sont preacutesenteacutees comme laquo des conditions avantageuses pour lrsquoachat des intrants et la vente des produits agricoles raquo26 Agrave lrsquoinstar des firmes de production industrielle les entreprises comme FarmPrest neacutegocient directement avec les grandes firmes de lrsquoagrofourniture ou de lrsquoindustrie agroalimentaire agrave qui elles garantissent des surfaces de production

Si dans un pays comme la France le deacuteveloppement des activiteacutes de sous-traitance et de deacuteleacutegation de lrsquoactiviteacute agricole agrave de nouveaux consortia aux allures de firmes commerciales peut surprendre ces activiteacutes sont plus anciennes et tregraves reacutepandues dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni Outre-Manche lrsquoentreprise Emilrsquos speacutecialiseacutee dans le conseil agronomique priveacute gegravere 56 000 hectares pour le compte de 160 clients et proprieacutetaires Disposant drsquoune agence deacutedieacutee aux investissements agricoles et agrave la prise en charge des travaux Emilrsquos seacutelectionne via des appels drsquooffres drsquoimportantes entreprises nationales de sous-traitance (contractors) et surveille leur performance pour le compte de ses clients Ces derniers confient la strateacutegie et le financement de leur exploitation agrave Emilrsquos qui perccediloit une reacutemuneacuteration fixe Les grandes agences de sous-traitance qursquoelle seacutelectionne supervisent les travaux reacutealiseacutes par des entreprises locales achegravetent les intrants et gegraverent les ventes Elles sont directement reacutemuneacutereacutees agrave la performance par les exploitantsproprieacutetaires

Agrave cocircteacute de ces socieacuteteacutes de gestion apparaicirct une figure ineacutedite drsquoentrepreneurs qui parallegravelement agrave leur profession principale (agriculteur conseiller-salarieacute drsquoune coopeacuterative agricole etc) offrent en freelance et agrave distance une large gamme de services Ces nouveaux types de gestionnaires travaillent principalement pour le compte de clients faisant partie de leurs reacuteseaux drsquointerconnaissance et ils adaptent au cas par cas leurs prestations Leur travail agrave distance a eacuteteacute derniegraverement faciliteacute par lrsquoarriveacutee de nouveaux outils numeacuteriques (applications pour smartphone permettant de geacuterer agrave distance certaines opeacuterations culturales) Ils peuvent ainsi prendre en charge selon la demande lrsquoensemble des opeacuterations techniques ou uniquement des tacircches administratives et de conseil (optimisation des deacutecisions techniques en fonction de la PAC etc) Certains drsquoentre eux jouent eacutegalement le rocircle de reacutegisseur drsquoune exploitation en deacuteleacutegation inteacutegrale Geacuteneacuteralement multi-compeacutetents ils peuvent aussi srsquoassocier agrave drsquoautres entreprises locales pour compleacuteter leur palette drsquoexpertises Du fait de la dissociation opeacuterationnelle entre proprieacuteteacute capital drsquoexploitation et travail ce type drsquoentreprises et drsquoentrepreneurs de services ouvrent la voie agrave des formes drsquoagricultures sans agriculteurs (Hervieu et Purseigle 2013)

422 De nouveaux arrangements contractuels

Lrsquoanalyse des arrangements contractuels entre les prestataires de services et les agriculteurs permet drsquoaller plus loin et de cerner les facteurs conduisant ces derniers agrave preacutefeacuterer la deacuteleacutegation inteacutegrale au fermage ou agrave lrsquoembauche drsquoun salarieacute (tableau 4) La propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement est drsquoautant plus forte que lrsquoexploitant exerce le meacutetier drsquoagriculteur agrave titre secondaire ou qursquoil a deacuteveloppeacute un atelier drsquoeacutelevage ou une diversification (tableau 5) Avec un contrat geacuteneacuteralement annuel reconduit tacitement la simpliciteacute et la

26 Plaquette commerciale FarmPrest France

78 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

souplesse des relations contractuelles constituent pour une majoriteacute des agriculteurs enquecircteacutes les principales raisons de lrsquoadheacutesion et ce malgreacute le coucirct relativement eacuteleveacute du service notamment lorsqursquoil engage un intermeacutediaire Le prix nrsquoarrive drsquoailleurs qursquoen sixiegraveme position des critegraveres de choix drsquoune ETA apregraves la confiance la proximiteacute la compeacutetence technique lrsquoefficaciteacute et le mateacuteriel (figure 5) Le paiement du service est deacutetermineacute agrave lrsquohectare Il comporte une part fixe (environ 75 ) et une part variable (25 ) La part fixe deacutepend des reacutegions de 400 euro agrave 500 euro par hectare en fonction du marcheacute de la sous-traitance des services fournis en suppleacutement de lrsquoexpertise agronomique et eacuteconomique (conseil drsquoun assolement et itineacuteraire technique en fonction des deacuteboucheacutes ou des incitations PAC) du suivi administratif jusqursquoagrave la gestion complegravete de lrsquoexploitation La part variable est fonction des reacutesultats de la campagne avec geacuteneacuteralement une indexation sur la marge nette de chaque culture pour la campagne concerneacutee Les achats drsquointrants ainsi que la commercialisation de la production sont souvent inclus dans le contrat de prestation car cela permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle mais aussi de faciliter lrsquoorganisation du travail puisque le prestataire peut geacuterer lrsquoensemble des exploitations-clientes comme une seule Une telle structure de paiement du service aide agrave reacutepartir le risque de production et de marcheacute entre le prestataire et le client et incite le prestataire et lrsquointermeacutediaire agrave optimiser leur performance eacuteconomique dans la conduite de lrsquoexploitation Elle facilite aussi les relations avec les acteurs en amont (agrofourniture) et en aval de la production (coopeacuteratives neacutegociants industries de transformation etc) Notons qursquoagrave cocircteacute des eacuteleacutements chiffreacutes la qualiteacute de la relation de deacuteleacutegation deacutepend eacutegalement des garanties apporteacutees par le prestataire (objectifs de moyens et aussi de reacutesultats) et de la palette de ses compeacutetences agronomiques (conventionnelles et alternatives) et de conseil (technique et strateacutegique) Agrave titre drsquoexemple dans tous les deacutepartements de la reacutegion Centre-Val de Loire la surface de grandes cultures deacuteleacutegueacutees inteacutegralement est estimeacutee agrave plus de 14 000 hectares en 2010 Ceci provient du fait que les terres y ont un potentiel de rendement eacuteleveacute permettant au proprieacutetaire foncier et au prestataire de construire une relation gagnant-gagnant venant concurrencer le fermage Cette relation est drsquoautant plus solide que le proprieacutetaire de lrsquoexploitation nrsquoa aucun investissement lourd agrave amortir qursquoil conserve son statut drsquoagriculteur et perccediloit les aides PAC tandis que le prestataire peut de son cocircteacute rationaliser le travail en pensant un assolement global pour lrsquoensemble des parcelles deacuteleacutegueacutees jouer sur les eacuteconomies drsquoeacutechelle pour neacutegocier les contrats de leasing-vente de machines agricoles et drsquoachat drsquointrants et agglomeacuterer lrsquooffre pour inteacuteresser les neacutegociants et industriels de lrsquoaval

laquo Je suis le seul maicirctre agrave bord et le gars qui vient chez moi le client qui vient me voir il faut qursquoil accepte mon mode de fonctionnement Srsquoil me dit laquomoi je veux que mon bleacute soit sur ma parcelle que mon maiumls soit sur ma parcelle raquo je lui dis laquoeacutecoutez je ne suis pas le bon fournisseur pour vousraquo Ccedila je ne saurai pas faire [hellip] et jrsquooptimise les coucircts drsquoachat parce qursquoon a un groupe donc on a une certaine surface donc on a un certain poids par rapport agrave nos fournisseurs et jrsquooptimise aussi un petit peu les prix de vente par rapport agrave la gestion enfin les interventions sur Euronext etc raquo (Prestataire opeacuterant en Champagne-Ardenne enquecircteacute en feacutevrier 2013)

laquo Creacuteer de la valeur crsquoest mon obsession Je vais reacutepondre agrave la demande fideacuteliser mes salarieacutes fideacuteliser les contrats Je ne fais pas du one shot Je fais du conventionnel je fais du bio je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopeacuterative du coin raquo (Prestataire opeacuterant dans la reacutegion Centre enquecircteacute en juin 2019)

Mais ceci nrsquoest pas toujours le cas et sur cer tains territoires comme en Haute-Garonne ougrave la concurrence est forte entre ETA ougrave les parcellaires sont morceleacutes et les rendements fortement variables drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre la rentabiliteacute de ce service nrsquoest alors garantie ni pour lrsquoETA ni pour le client

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 79

Tableau 4 - Caracteacuteristiques de deux contrats-types de deacuteleacutegation inteacutegraleContrat A Contrat B

(avec intermeacutediaire entre client et ETA)

ObjetPrestation inteacutegrale de services avec une prise de risque financier partageacutee

Reacutealisation de travaux agricoles de la preacuteparation du sol jusqursquoaux derniers travaux avant la reacutecolte

Opeacuterations concerneacutees

bullEn cours de campagne ensemble des opeacuterations culturales (travaux des sols semis traitements eacutepandages reacutecolte et transport) + tour de plaine gestion des approvisionnements gestion des emballages vides des produits phytosanitaires appui administratif PAC

bullEn fin de campagne bilan conseil et preacuteparation de la campagne suivante (choix des assolements etc)

bullPrestataire deacutecompactage deacutechaumage labour semis rouleau eacutepandages pulveacuterisations broyage moisson

bulllaquo Intermeacutediaire raquo choix des assolements suivi technique gestion de lrsquoachat des intrants et de la vente des reacutecoltes gestion administrative (deacuteclaration PAC plans drsquoeacutepandage et de traitement suivi des mesures agro-environnementales)

Dureacutee du contrat

Campagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement 2 contrats lrsquoun liant le client agrave lrsquointermeacutediaire et lrsquoautre liant le client et lrsquoETA prestataireCampagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement

Principaux engagements des parties prenantes

bullPrestataire intervenir apregraves prise de deacutecision conjointe avec le client (assolement produits et quantiteacutes) reacutealiser lrsquoensemble des opeacuterations neacutecessaires agrave lrsquoobtention drsquoune reacutecolte optimale respecter les normes en vigueur (conditionnaliteacute PAC et reacuteglementation Certiphyto) proposer des pratiques alternatives

bullClient payer la prestation srsquoengager agrave acheter les intrants preacuteconiseacutes

bullETA prestataire intervenir dans les meilleurs deacutelais selon le contrat de culture connexe agrave son compte avec son mateacuteriel et son personnel utiliser un mateacuteriel entretenu et reacutegleacute de faccedilon agrave obtenir la meilleure efficaciteacute possible et conforme agrave la reacuteglementation en vigueur

bullIntermeacutediaire geacuterer les parcelles optimiser la conduite technique et administrative

bullClient confier la gestion des parcelles agrave lrsquointermeacutediaire  payer toutes les factures lieacutees aux opeacuterations de culture et la prestation de lrsquointermeacutediaire

Modaliteacutes de paiement

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable indexeacutee sur la marge nette de lrsquoexploitation ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants et ndash les aides PAC) et calculeacutee apregraves production de lrsquoensemble des factures des produits et des charges de la culture

bullFrais de montage du dossier

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable un de la marge nette de la production ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants ndash les aides PAC ndash les frais de sous-traitance)

CommunicationbullDe bouche agrave oreille sur laquo transparence expeacuterience confiance souplesse respect de lrsquoenvironnement raquo

bullPlaquette salons professionnels sur laquo transparence discreacutetion expertise respect de lrsquoenvironnement seacutecuriteacute du revenu eacuteconomies deacutegageacutees et marge raquo

Source Tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees entre 2012 et 2017

Tableau 5 - Deacuteterminants de la propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement Reacutegression logistique avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralementAge 0003 (0004)

Agriculteur agrave titre secondaire 0501 (0254)

Part du foncier en proprieacuteteacute - 0033 (0089)

Nombre drsquoassocieacutes 0219 (0169)

Preacutesence de main-drsquoœuvre familiale 0147 (0205)

Preacutesence drsquoun geacuterant - 0018 (0324)

Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 1004 (0345)

Surface en grandes cultures - 0173 (0076)

Surface en arboriculture - 0040 (0074)

Surface en maraicircchage - 0521 (0239)

Surface en vigne 0087 (0114)

Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) 0610 (0314)

Surface en cultures fourragegraveres 0277 (0199)

Surface en prairies permanentes - 0112 (0142)

Taille du troupeau bovin lait 1631 (0670)

Taille du troupeau bovin viande 0446 (0205)

Taille du troupeau ovin 0574 (0322)

Taille de lrsquoeacutelevage de volaille 0426 (0231)

Taille du troupeau caprin - 0629 (0407)

Constante 1731 (0243)

Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

1 087

- 419542

879083plt01 plt005 plt0001Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs avec les donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

80 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

laquo Ici dans le Lauragais on ne peut pas ecirctre vraiment entrepreneur Tout le monde a ses machines mecircme ceux qui ont 20 hectares Il y a trop drsquoargent avec un mateacuteriel surdimensionneacute Tout le monde fait de la sous-traitance agrave des prix tregraves bas Je ne recrute pas de nouveaux clients en laquo A agrave Z raquo surtout srsquoils ont des petites parcelles eacuteparpilleacutees partout On rentre juste dans nos frais mais on nrsquoarrive pas agrave reacutemuneacuterer le travail Je preacutefeacutererais avoir les terres en fermage mais les gens nrsquoaiment pas le fermage par ici raquo (Agriculteur ayant une activiteacute de prestation en Occitanie enquecircteacute en avril 2017)

Par ailleurs selon les teacutemoignages des ETA et agriculteurs enquecircteacutes agrave cocircteacute des risques classiques de production et de marcheacute qui peuvent ecirctre plus ou moins pris en charge dans les termes du contrat deacuteleacuteguer inteacutegralement comporterait pour lrsquoagriculteur des risques inheacuterents agrave la nature de la transaction agrave savoir un risque de requalification du contrat en bail agrave ferme ou encore de perte du statut drsquoexploitant et donc des aides PAC Malgreacute cela en raison de la souplesse des contrats de deacuteleacutegation inteacutegrale des services connexes et des garanties qursquoelle met en avant lrsquoagriculteur proprieacutetaire des terres mais nrsquoexploitant plus preacutefeacuterera avoir recours agrave cette deacuteleacutegation inteacutegrale dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise ou drsquoune vente eacuteventuelle De fait il nrsquoest pas rare de voir dans le cadre drsquoune relation durable de deacuteleacutegation certaines grandes ETA acqueacuterir des parts dans le capital drsquoexploitations ayant un statut juridique de type socieacutetaire (SCEA notamment) et devenir un associeacute co-geacuterant de ces derniegraveres Ce faisant elles chapeautent de nouvelles entiteacutes productives laquo invisibles raquo composeacutees drsquoun ensemble drsquoexploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale (Nguyen et al 2017 Purseigle et al 2019)

423 Le numeacuterique au service de la sous-traitance

Depuis une dizaine drsquoanneacutees de nombreuses plates-formes drsquointermeacutediation des eacutechanges ont eacutemergeacute en investiguant les mecircmes champs drsquoaction que les organisations professionnelles agricoles et les entreprises classiques financement conseil et formation achat drsquointrants recrutement de main-drsquoœuvre location ou achat de mateacuteriel gestion des coproduits commercialisation et logistique mais eacutegalement prestation de services (Brailly et al 2018) Dans la grande majoriteacute des cas ces plates-formes ambitionnent de mettre en relation des agriculteurs avec drsquoautres agriculteurs (location de mateacuteriel ou eacutechange de parcelles par exemple) ou avec drsquoautres professionnels (prestataires de services)

En mars 2019 il a eacuteteacute possible de recenser 101 plates-formes de services de type B-to-B27 (Brailly et al 2018) deacutedieacutees au secteur agricole (figure 8) Bien que les premiegraveres drsquoentre elles aient eacuteteacute creacuteeacutees au tournant des anneacutees 2000 ce nrsquoest qursquoagrave compter de 2013 que leur nombre augmente significativement et que leur champ drsquoaction se diversifie consideacuterablement Par les services qursquoelles proposent elles entrent en concurrence plus ou moins frontale avec des organisations professionnelles agricoles et drsquoautres entreprises deacutejagrave en place proposant depuis longtemps des services similaires

Il existe en 2019 sept plates-formes qui proposent soit de mettre en lien prestataires et clients sur tout le territoire franccedilais soit de reacutealiser elles-mecircmes la prestation en proposant agrave la location agrave la fois le mateacuteriel et le chauffeur Comme dans lrsquoexemple ci-dessous les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves des fondateurs de ces plates-formes aident agrave mieux comprendre les jeux de concurrence et de collaboration entre plates-formes et acteurs traditionnels de la sous-traitance

27 Parce qursquoelles relegravevent drsquoune logique diffeacuterente du fait de leur orientation Business to Consumer nous avons exclu de notre analyse les plateformes de commercialisation directe aupregraves du consommateur tout comme celles reposant sur un seul vendeur et celles aux allures de blogs fondeacutees sur des eacutechanges de connaissances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 81

Creacuteeacutee en 2017 ConnectingFarm est une plate-forme dont le but est de faire le lien entre agriculteurs et prestataires de travaux agricoles (ETA) Son objectif est laquo de simplifier seacutecuriser et fiabiliser la mise en relation entre les agriculteurs et leurs prestataires de travaux raquo28 Elle srsquoadresse agrave des exploitants ne posseacutedant ni la main-drsquoœuvre formeacutee ni le mateacuteriel neacutecessaire agrave la reacutealisation de leurs travaux Tout comme drsquoautres plates-formes celle-ci permet de reacuteduire les charges mateacuterielles drsquoeacutequipement non utiliseacute Cocircteacute prestataires elle srsquoadresse particuliegraverement agrave ceux souhaitant accroicirctre leur visibiliteacute Crsquoest en effet un moyen facile pour ecirctre rapidement mis en relation avec diffeacuterents clients Les prestataires srsquoinscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils prix disponibiliteacutes) pendant que les agriculteurs agrave la recherche drsquoun prestataire indiquent les caracteacuteristiques des travaux agrave reacutealiser

28 Plaquette de publiciteacute de ConnectingFarm

Figure 8 ndash Essor des plateformes numeacuteriques agricoles

Source Brailly et al 2019 agrave partir des donneacutees Infogreffe

82 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Cette jeune start-up a eacuteteacute cofondeacutee par deux ingeacutenieurs agricoles Forts de leurs expeacuteriences respectivement dans le secteur du machinisme agricole et de directeur de projet digital au sein drsquoune entreprise internationale ils souhaitent aider les prestataires de travaux agricoles et les agriculteurs agrave laquo mieux vivre de leur meacutetier en fluidifiant leurs eacutechanges raquo (ConnectingFarm 2018) Les valeurs phares de leur entreprise seraient lrsquoesprit du collectif et le partage tant de savoirs que de machines agricoles Cette plate-forme est particuliegraverement active en Normandie reacutegion ougrave elle a vu le jour mais commence agrave deacuteployer son offre dans toute la France Apregraves avoir en 2018 remporteacute le tropheacutee de lrsquoeacuteconomie normande dans la cateacutegorie laquo innovation raquo cette plate-forme a reacutealiseacute une importante leveacutee de fonds lui permettant de poursuivre son deacuteveloppement Elle repose aujourdrsquohui sur quatre associeacutes et prend la forme drsquoune holding

La plate-forme ConnectingFarm se deacutemarque des autres gracircce agrave plusieurs fonctionnaliteacutes rendues possibles par lrsquooutil numeacuterique mais aussi par des partenariats speacutecifiques Tout drsquoabord elle permet aux agriculteurs de dessiner et circonscrire la parcelle ougrave auront lieu les travaux afin de faciliter la communication avec le prestataire Cette plate-forme entend ensuite modifier le rapport de forces entre ETA et exploitants agricoles en offrant la possibiliteacute aux clients de choisir leur prestataire au sein drsquoun reacutepertoire rassemblant plus de 14 000 ETA agrave travers la France La possibiliteacute de visualiser lrsquoensemble des prestataires agricoles et leurs caracteacuteristiques permettrait eacutegalement aux agriculteurs de mieux eacutevaluer et geacuterer les travaux agrave venir sur leur exploitation et donc de srsquoassurer de la disponibiliteacute de la main-drsquoœuvre au bon moment De la mecircme maniegravere ConnectingFarm offre aux prestataires des services de communication et un outil de gestion de leurs activiteacutes de sous-traitance (facturation automatiseacutee et suivie en temps reacuteel) Un autre objectif de la plateforme est de deacuteployer la prestation en assurant une certaine seacutecuriteacute tant pour le client que pour le prestataire Le client dispose ainsi de plusieurs options de paiement et il peut avoir accegraves agrave des precircts de campagne pour financer les travaux dans les temps gracircce agrave un partenariat avec une des banques leader sur le marcheacute agricole La derniegravere fonctionnaliteacute proposeacutee par ConnectingFarm est la gestion et la valorisation des donneacutees des parcelles et de lrsquoexploitation avec un objectif drsquooptimisation des interventions aux champs et de conseil global La proposition de valeur de ConnectingFarm croise trois registres laquo agreacutegation de donneacutees raquo laquo coordination de travaux raquo et laquo suivi administratif et technique raquo

Mecircme si leur modegravele eacuteconomique est encore agrave lrsquoeacutepreuve les plates-formes comme ConnectingFarm suggegraverent que la transition numeacuterique gagne le marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation en lui confeacuterant une nouvelle facette gracircce agrave la mise en relation directe des acteurs (et donc agrave leur mise en concurrence) et en deacuteveloppant une offre multi-services La creacuteation de systegravemes experts permettant lrsquoharmonisation des donneacutees collecteacutees par diffeacuterents types drsquoeacutequipements et personnes leur ouvre des perspectives nouvelles en matiegravere de services de conseil Toutefois des interrogations demeurent quant agrave la deacutefinition de la proprieacuteteacute des donneacutees et de leurs usages Comme pour les ETA lrsquooffre de conseil devient une composante strateacutegique de la sous-traitance gracircce agrave une meilleure valorisation du service et un renforcement de la relation clientsous-traitant

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 83

Conclusion lrsquoessor de la sous-traitance un marqueur majeur des mutations agricoles

Lrsquoeacutemergence de grandes entreprises agricoles inteacutegreacutees emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de laquo gestionnarisation raquo ineacutedites (Purseigle et al 2017) Mais agrave cocircteacute drsquoelles le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la sous-traitance ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation drsquoune partie du secteur de la production agricole et de lrsquoeacutemergence de nouveaux reacuteseaux drsquoexploitations La tertiarisation de lrsquoagriculture franccedilaise ne constituerait-elle pas un mouvement certes peu visible mais beaucoup plus profond que celui drsquoindustrialisation des uniteacutes de production deacutecrieacutee dans les meacutedias Nos travaux nous amegravenent agrave le penser Alors que le pheacutenomegravene est plus tardif en agriculture il eacutepouse des contours parfois similaires agrave ceux observeacutes dans les secteurs industriels et des services Des chefs drsquoexploitation deacutelegraveguent aujourdrsquohui de plus en plus pour creacuteer des avantages comparatifs optimisation des coucircts recentrage sur leur cœur de meacutetier accegraves agrave de nouvelles pratiques et compeacutetences etc

Pour autant la sous-traitance dans le secteur agricole preacutesente aussi des caracteacuteristiques singuliegraveres La premiegravere consiste agrave sous-traiter des opeacuterations qui engagent des actifs speacutecifiques (eacutequipements de preacutecision etou des compeacutetences speacutecialiseacutees) comme le traitement lrsquoeacutepandage le semis direct ou encore le suivi de lrsquoagnelage Il est fort probable que le contexte socio-eacuteconomique et regraveglementaire actuel du secteur agricole et le coucirct croissant des technologies aient deacuteplaceacute les seuils de rentabiliteacute de certains investissements conduisant les exploitants agrave privileacutegier la sous-traitance Transition vers une agriculture agrave bas intrants et transition numeacuterique au travers des effets indirects et non intentionnels des exigences reacuteglementaires et des politiques publiques associeacutees ne constitueraient-elles pas finalement un terreau favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance

La deuxiegraveme singulariteacute a trait aux preacutefeacuterences de lrsquoagriculteur lorsqursquoil agit selon une logique entrepreneuriale mais aussi selon une logique purement patrimoniale Crsquoest cette derniegravere qui est agrave lrsquoorigine drsquoune pratique ineacutedite dans le monde de la sous-traitance agrave savoir la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation Elle va au-delagrave drsquoune simple deacuteleacutegation des opeacuterations techniques et conduit agrave confier la gestion de lrsquoentreprise agrave un tiers La profession agricole vivrait lagrave une veacuteritable rupture non seulement dans lrsquoorganisation du travail agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation et du territoire mais eacutegalement dans lrsquoexercice du meacutetier drsquoagriculteur Ce pheacutenomegravene relativement nouveau en France lrsquoest moins dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni et la Belgique toucheacutes avant la France par le deacuteclin deacutemographique des actifs agricoles

Ces strateacutegies ne sont pas neutres au regard du renouvellement des exploitations familiales Si elles pallient des transmissions familiales incomplegravetes elles ouvrent aussi la voie agrave des formes drsquoagriculture ougrave la dimension familiale perd sa centraliteacute Les dissociations entre terre travail et capital opeacutereacutees par ces formes de deacuteleacutegation constituent des eacuteleacutements de deacutepassement de lrsquoorganisation familiale du travail en agriculture vers une agriculture de type socieacutetaire porteacutee ou opeacutereacutee par des acteurs non familiaux

Parallegravelement le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation traduit de nouvelles voies drsquoentreacutee dans le meacutetier pour des jeunes issus de familles agricoles et pour qui la transmission de pegravere en fils ne va plus de soi ou encore pour ceux qui nrsquoen sont pas issus et qui deacutecident drsquoexercer un meacutetier agricole sans pour autant vouloir ou pouvoir srsquoinstaller comme chef drsquoexploitation Pour tous ces jeunes ces voies singuliegraveres peuvent se reacuteveacuteler attractives en raison non seulement du statut de salarieacute mais aussi de la flexibiliteacute de carriegravere qursquoelles offrent mais agrave la condition qursquoelles soient accompagneacutees par des formations approprieacutees et des conditions drsquoemploi favorables

84 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Au-delagrave de la question de lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation du travail en agriculture et de leur coexistence ce nouveau contexte conditionne la mise en place des projets strateacutegiques porteacutes par les organisations professionnelles agricoles En effet il pose la question des nouvelles formes de coopeacuteration au service de projets individuels29 des formes souvent plus flexibles et plus diversifieacutees de la production agrave la commercialisation groupements fonciers agricoles investisseurs groupements drsquointeacuterecirct eacuteconomique drsquoapprovisionnement socieacuteteacute civile laitiegravere CUMA inteacutegrale assolement en commun SARL de commercialisation groupement drsquoemployeurs etc Ces formes reacutepondent agrave des objectifs multiples (eacuteconomies de gamme et drsquoeacutechelle pilotage par la valeur ajouteacutee organisation du travail conservation drsquoun patrimoine par sortie partielle ou totale du meacutetier)

Nous pensons que lrsquoexternalisation du travail agricole et le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture interagissent avec trois registres drsquoaction des organisations professionnelles agricoles Le premier est celui des relations aux adheacuterents la mise en place de nouveaux dispositifs productifs en agriculture pose la question de lrsquointerlocuteur pertinent Qui est-il Entre celui qui possegravede et celui qui fait lequel peut ecirctre encore consideacutereacute comme interlocuteur de lrsquoorganisation professionnelle (notamment les coopeacuteratives) Le deuxiegraveme registre concerne les nouvelles fonctions productives que pourraient inteacutegrer ou renforcer certains partenaires lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation de la production et lrsquooffre de conseil qui lrsquoaccompagne ne constituent-elles pas un nouveau marcheacute pour les organisations professionnelles les coopeacuteratives les firmes de lrsquoagrofourniture Enfin le dernier registre est celui de la gouvernance ces nouveaux acteurs de la production agricole peuvent-ils ecirctre inteacutegreacutes agrave la gouvernance de certaines organisations professionnelles et leurs repreacutesentants agrave celle drsquointerprofessions

La croissance de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation inteacutegrale ne bouscule pas uniquement les professionnels du secteur Alors mecircme que se discute la prochaine reacuteforme de la PAC elle interpelle eacutegalement les deacutecideurs politiques sur leur rocircle dans lrsquoeacutemergence et lrsquoaccompagnement du pheacutenomegravene Comme nous lrsquoavons souligneacute dans cet article certains dispositifs de politiques publiques sans ecirctre des causes directes semblent avoir nourri un contexte favorable au deacuteveloppement la sous-traitance

Le deacutecouplage des aides liant ces derniegraveres au foncier associeacute agrave un statut du fermage jugeacute contraignant tend aujourdrsquohui agrave inciter certains agriculteurs agrave la retraite ou enfants drsquoagriculteurs agrave avoir recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale Il srsquoagit souvent pour eux de conserver le foncier dans lrsquoattente drsquoune eacuteventuelle vente ou reprise agrave moyen ou long terme par un successeur encore non identifieacute ou tout simplement de se constituer un compleacutement de revenu sous forme de rente

Certaines reacuteglementations environnementales et une forte augmentation du prix des eacutequipements speacutecialiseacutes ont sans doute conduit de nombreux proprieacutetaires-exploitants agrave sous-traiter les traitements et ainsi externaliser les coucircts de lrsquoinvestissement Lrsquoentreacutee en vigueur du principe de seacuteparation des activiteacutes de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques conduirait certaines coopeacuteratives ou neacutegoces agrave chercher lagrave aussi de nouvelles activiteacutes de diversification et agrave offrir une palette de nouveaux services agrave des exploitations adheacuterentes ou clientes y compris en recourant agrave des creacuteations de filiales Outre la garantie drsquoune nouvelle source de profit ces nouvelles activiteacutes preacuteserveraient leur capaciteacute de collecte

29 Le nouveau slogan de lrsquoorganisation syndicale des coopeacuteratives agricoles en est une illustration laquo construisons en commun lrsquoavenir de chacun raquo

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 85

Les politiques ont sans doute contribueacute au pheacutenomegravene mais en France comme dans drsquoautres pays elles sont loin drsquoecirctre le seul deacuteterminant Le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes relegraveve avant tout drsquoun mouvement de fond qui teacutemoigne drsquoun effacement de lrsquoexercice familial du travail mais aussi de nouvelles formes drsquoarbitrage entre projet patrimonial et projet eacuteconomique au sein des familles agricoles Il atteste des profondes reconfigurations de lrsquooffre de services proposeacutee par des organisations professionnelles qui agrave lrsquoinstar des coopeacuteratives ou de CUMA sont interpelleacutees par de nouvelles attentes et de nouvelles conceptions de lrsquoaction collective porteacutees par leurs propres adheacuterents Il serait donc vain drsquoattendre drsquoune politique publique qursquoelle encadre ou controcircle une telle tendance Il convient avant tout de penser les processus sociaux et eacuteconomiques agrave lrsquoœuvre de les accompagner voire de les orienter plutocirct que de vouloir les contraindre

Ces processus neacutecessitent selon nous de mettre sur pied de nouveaux outils de portage foncier ou salarial qui ouvrent la voie agrave de nouvelles formes drsquoorganisations laquo passerelles raquo favorisant lrsquoarriveacutee dans les meacutetiers de lrsquoagriculture Lrsquoassouplissement des trajectoires professionnelles et les incertitudes qui entourent les activiteacutes agricoles appellent agrave promouvoir dans certains territoires des formes drsquoorganisation de la production moins homogegravenes Malgreacute les limites constateacutees et les interrogations souleveacutees la sous-traitance en agriculture participe de la diversification des activiteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouveaux meacutetiers Elle contribue aussi agrave lrsquoameacutelioration de la performance globale de certaines exploitations et agrave la reacuteorganisation de la production dans certaines zones intermeacutediaires ougrave le renouvellement des geacuteneacuterations de chefs drsquoexploitation semble compromis agrave court terme Sous reacuteserve de respecter des principes et comportements eacutethiques en matiegravere de droit du travail et de reacuteglementation environnementale ne peut-on pas voir dans la sous-traitance en agriculture une des composantes drsquoune veacuteritable reconfiguration strateacutegique de lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle des territoires

Pour cela il srsquoagit de ne pas abandonner les politiques en faveur de lrsquoinstallation bien au contraire Quelques pistes peuvent degraves lors ecirctre eacutevoqueacutees renforcer la performance des dispositifs drsquoaccompagnement agrave lrsquoinstallation et agrave la creacuteation drsquoactiviteacutes ameacuteliorer leur articulation en reconsideacuterant les conditions drsquoinsertion dans les meacutetiers etc En drsquoautres termes si lrsquoon admet que les contours et les statuts juridiques de lrsquoactiviteacute productive se transforment en profondeur il convient dans le mecircme temps de reconfigurer les modes de soutien agrave lrsquoentreacutee dans les meacutetiers La question ici poseacutee est celle de la maniegravere dont les politiques publiques vont accompagner un fait social et eacuteconomique pour servir lrsquoambition du maintien drsquoactifs agricoles mecircme si leurs visages diffegraverent de ceux drsquoaujourdrsquohui

86 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

Anzalone G Purseigle F 2014 laquo Deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes et sous-traitance au service de la transmission de lrsquoexploitation ou drsquoun patrimoine raquo dans P Gasselin J-P Choisis S Petit F Purseigle S Zasser (eds) Lrsquoagriculture en famille travailler reacuteinventer transmettre EDP Sciences Paris pp 327-337

Anzalone G Purseigle F Nguyen G Hervieu B 2019 laquo Chapitre 7 Des entreprises aux allures de firme Mutations des entreprises agricoles et nouveaux modes drsquoaccegraves au foncier raquo dans B Chouquer M C Maurel (eds) Normes et pratiques fonciegraveres et agricoles ndash Volume 1 Les mutations reacutecentes du foncier et des agricultures en Europe Presses universitaire de Franche-Comteacute et Presses de lrsquouniversiteacute de Sun Yat-Sen de Guanzhou pp 165-190

Arnold U 2000 ldquoNew Dimensions of Outsourcing a Combination of Transaction Cost Economics and the Core Competencies Conceptrdquo European Journal of Purchasing and Supply Management 6(1) pp 23-29

Ball RM 1987 ldquoAgricultural contractors some surveyfindingsrdquo Journal of Agricultural Economics 38(3) pp 481-488

Bakis H 1975 laquo La sous-traitance dans lrsquoindustrie raquo Annales de geacuteographie 84(463) pp 297-317

Brailly J Nguyen G et Purseigle F 2018 laquo Emergence de plateformes numeacuteriques et redeacutefinition des dynamiques de lrsquoaction collective dans le secteur agricole en France  raquo communication au colloque annuel de la chaire Villes et numeacuteriques 3 mai 2018 Sciences Po Paris

Chevalier B 2007 laquo Les agriculteurs recourent de plus en plus agrave des prestataires de service raquo INSEE-Premiegravere ndeg 1160

Cochet H 2008 laquo Vers une nouvelle relation entre la terre le capital et le travail raquo Eacutetudes fonciegraveres 134 pp 24-29

Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

FNCUMA 2019 Chiffres cleacutes Eacutedition 2017 FNCUMA Paris

FNEDT 2016 Rapport drsquoactiviteacute 2016 FNEDT Paris

FNSEA 2018 laquo Gestion preacutevisionnelle des emplois et des compeacutetences ndeg 8 Enquecircte lsquorsquoPrestataires de servicersquorsquo - Bilan final aoucirct 2018 raquo FNSEA ndash Observatoire Emploi Formation Deacutepartement des affaires sociales Paris

Gambino M Laisney C Vert J 2012 Le Monde agricole en tendances Un portrait social prospectif des agriculteurs Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 87

Guihard V Lesdos C 2007 laquo Lrsquoagriculture sur trente ans une analyse comparative avec lrsquoindustrie et les services raquo INSEE Reacutefeacuterences Lrsquoagriculture nouveaux deacutefis Eacutedition 2007 pp 47-63

Harff Y Lamarche H 1998 laquo Le travail en agriculture nouvelles demandes nouveaux enjeux raquo Eacuteconomie rurale 244(1) pp 3-11

Heacutebrard L 2001 laquo Le deacuteveloppement des services agricoles Une sous-traitance speacutecialiseacutee au service des agriculteurs raquo INSEE Premiegravere ndeg 817

Hervieu B Purseigle F 2013 Sociologie des mondes agricoles Armand Colin Paris

Holcomb TR Hitt MA 2007 laquo Toward a Model of Strategic Outsourcing raquo Journal of Operations Management 25 pp 464-481

Igata M Hendrikson A Heijman W 2008 laquo Agricultural Outsourcing a Comparison Between the Netherlands and Japan raquo Applied Studies in Agribusiness and Commerce 2(1) pp 29-33

Jeanneaux P Blasquiet-Revol H 2012 laquo La gestion des exploitations agricoles un eacutetat des lieux de la recherche en France raquo Annales des Mines-Geacuterer et comprendre 1 pp 29-40

Legagneux B Olivier-Salvagnac V 2017 laquo Quelle main-drsquoœuvre contractuelle dans les exploitations agricoles Agrave la base de lrsquoeacuteclatement du modegravele familial raquo Eacuteconomie Rurale 357-358 pp 101-116 doiorg104000economierurale5132

Le Gars C Roudieacute P (dirs) 1996 Des vignobles et des vins agrave travers le monde Hommage agrave Alain Huetz de Lemps Presses universitaires de Bordeaux

Lerbourg J Dedieu M-S 2016 laquo Lrsquoeacutequipement des exploitations agricoles Un recours agrave la proprieacuteteacute moins marqueacute pour les machines speacutecialiseacutees raquo Agreste Primeur ndeg 334

Mariotti F 2005 Qui gouverne lrsquoentreprise en reacuteseau Presses de Sciences Po Paris

Milberg W Winkler D 2013 Outsourcing Economics Global value Chains in Capitalist Development Cambridge University Press

Nguyen G Lepage F Purseigle F 2017 laquo Lrsquoentreacutee de capitaux externes dans les exploitations agricoles Une facette meacuteconnue des agricultures de firme en France  raquo dans Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris pp 65-95

Nguyen G Brailly J Purseigle F 2020 laquo Strategic Outsourcing and Precision Agriculture In France Towards a Silent Reorganization of Agricultural Production in France raquo communication agrave lrsquoAgricultural and Applied Economics Association - Allied Social Science Association Annual Meeting 2-4 janvier San-Diego Eacutetats-Unis

Perraudin C Thevenot N Valentin J 2013 laquo Sous-traitance et eacutevitement de la relation drsquoemploi les comportements de substitution des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 raquo Revue internationale du travail 152(3-4) pp 571-597

Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris

88 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Quelennec M 1987 laquo La sous-traitance industrielle gagne du terrain raquo Eacuteconomie et statistique 199(1) pp 27-42

Souquet C 2016 laquo La majoriteacute des entreprises font appel agrave des sous-traitants raquo Insee Focus 67 novembre 2016

Srnicek N 2017 Platform capitalism John Wiley amp Sons

Surubaru A 2014 La fragiliteacute des liens marchands Sociologie de la sous-traitance internationale collection laquo Europe terrains et socieacuteteacutes raquo Eacuteditions Peacutetra

Tashakkori A Teddlie C 1998 Mixed methodology Combining qualitative and quantitative approaches collection Applied Social Research Methods Series 46 Sage Publications

Williamson O E 2008 Outsourcing Transaction Cost Economics and Supply Chain Management Journal of Supply Chain Management 44(2) pp 5-16

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 89

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

Reacutesumeacute

En Rhocircne-Alpes la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) individuelle laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo a eacuteteacute ouverte en 2014 en zone de plaine avant drsquoecirctre eacutetendue en 2015 agrave titre exploratoire agrave certains territoires de montagne Agrave la demande de la DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes une eacutetude a eacuteteacute reacutealiseacutee en 2017 par le cabinet Acteon5 afin de construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments mais aussi son efficaciteacute et son efficience ex post telles que mesureacutees en fin de programmation Cet article restitue cette double deacutemarche ainsi que les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

Mots cleacutes

Mesure agro-environnementale biodiversiteacute Auvergne - Rhocircne-Alpes eacutevaluation montagne systegravemes herbagers et pastoraux

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 ACTeon environnement 5 place Sainte-Catherine 68000 Colmar2 Geacuterard Hanus consultant Le Rousset quartier drsquoArzeliers 05300 Laragne-Monteacuteglin3 Herveacute Coquillart consultant Territoire Environnement Biodiversiteacute la Brosse 42140 Virigneux4 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 3 rue Barbet-de-Jouy 75007 Paris5 ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018 Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne volets 1 et 2 httpsagriculturegouvfrmise-en-oeuvre-du-dispositif-evaluatif-de-la-mesure-agro-environnementale-individuelle-systemes

Anaiumls Hanus1 Geacuterard Hanus2 Herveacute Coquillart3 Estelle Midler4

90 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

En Rhocircne-Alpes les territoires les milieux et la biodiversiteacute de montagne sont faccedilonneacutes par lrsquoeacutelevage herbager et pastoral et peuvent donc ecirctre impacteacutes par ses eacutevolutions Pour faire face aux difficulteacutes rencontreacutees par les exploitations dans cette reacutegion les Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) preacutevoient en application de la reacuteglementation nationale et europeacuteenne un instrument speacutecifique de soutien eacuteconomique aux exploitations de montagne lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) visent quant agrave elle lrsquoeacutevolution ou le maintien de pratiques reacutepondant agrave des enjeux environnementaux territoriaux identifieacutes dans le cadre de Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC)

La MAEC laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle (SHP 01) est un dispositif de maintien de pratiques visant agrave preacuteserver la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee Elle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement repose sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Une eacutetude commandeacutee par le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour le compte de la DRAAF Auvergne - Rhocircne-Alpes a eacuteteacute lanceacutee en 2017 afin de mettre en place une deacutemarche drsquoeacutevaluation de cette strateacutegie drsquoouverture de la SHP 01 aux zones de montagne de Rhocircne-Alpes Reacutealiseacutee par le cabinet Acteon elle avait deux objectifs a) eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments (ICHN MAEC agrave enjeux localiseacutes) puis b) construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Cet article a pour objectif de restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

La premiegravere partie preacutesente la probleacutematique le dispositif eacutevaluatif mis en place et les meacutethodes utiliseacutees pour lrsquoeacutevaluation ex ante La partie suivante deacutetaille le contexte les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP 01 dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes Ensuite sont preacutesenteacutes les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence de la SHP 01 pour ces territoires de sa coheacuterence avec les autres aides (dont lrsquoICHN) et de sa contribution au revenu des eacuteleveurs condition neacutecessaire au maintien de lrsquoactiviteacute Enfin en quatriegraveme partie deux facteurs pouvant contribuer agrave renforcer lrsquoimpact de la SHP 01 sont discuteacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 91

1 Probleacutematique et meacutethodologie de lrsquoeacutetude

11 Qursquoest-ce que la MAEC SHP 01

La MAEC SHP 01 est une aide contractuelle visant agrave preacuteserver lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours et des prairies permanentes6 agrave flore diversifieacutee en particulier de certaines surfaces dites laquo surfaces cibles raquo (MAA 2017) Il srsquoagit drsquoune mesure laquo de maintien raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement se base deacutejagrave sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours (au moins 70 de surfaces en herbe et pastorales dans la SAU) et sur des pratiques favorables agrave la preacutesence drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Ainsi le contrat impose

- le maintien des couverts permanents de lrsquoexploitation ou Surfaces toujours en herbe (STH) crsquoest-agrave-dire des prairies permanentes et des parcours (figure 1)

- des reacutesultats sur des surfaces cibles (SC) choisies par lrsquoeacuteleveur parmi les couverts permanents de lrsquoexploitation avec selon les cas un accompagnement technique (opeacuterateur ou animateur) La proportion de SC dans la surface toujours en herbe (entre 20 et 50 ) deacutepend du niveau de risques de disparition ou drsquoeacutevolution des pratiques estimeacute sur le territoire Ces obligations de reacutesultats se traduisent par le respect drsquoindicateurs drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu (preacutesence de plantes indicatrices pour les prairies permanentes et utilisation annuelle minimum pour les surfaces pastorales)

- un taux de chargement animal global infeacuterieur agrave 14 UGB7ha

- la non-utilisation des produits phytosanitaires

La contractualisation de la SHP 01 vise ainsi le maintien conjoint de certaines pratiques et de la biodiversiteacute Agrave la diffeacuterence de la SHP 02 qui srsquoadresse aux entiteacutes collectives la SHP 01 srsquoadresse aux exploitations

Lecture STH Surfaces toujours en herbe PT Prairies temporaires SC surfaces cibles SCOP surfaces en ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux Source ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (2017) et groupe de travail reacutegional MAEC

Figure 1 - Critegraveres drsquoeacuteligibiliteacute et drsquoengagement de la SHP 01

6 Les laquo prairies permanentes raquo sont celles qui nrsquoont pas eacuteteacute laboureacutees dans les cinq derniegraveres anneacutees7 UGB Uniteacutes de gros beacutetail Il srsquoagit de lrsquouniteacute de reacutefeacuterence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type drsquoanimal drsquoeacutelevage Elle permet de convertir tous les types drsquoanimaux dans la mecircme uniteacute

92 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

12 Probleacutematique de lrsquoeacutetude

En Rhocircne-Alpes la SHP 01 a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine uniquement Cette deacutecision a eacuteteacute prise pour deux raisons a) il existe des risques de deacuteprise et drsquointensification dans ces zones b) en zone de montagne des dispositifs comme lrsquoICHN revaloriseacutee permettent de reacutepondre aux objectifs de maintien des systegravemes herbagers et des surfaces (Hanus et al 2017) En outre la MAE SHP 02 est mobiliseacutee en montagne ougrave les surfaces sont geacutereacutees en grande partie par des organisations collectives8

Cependant certains territoires comme le Beaujolais Vert (dont la zone de pieacutemont fait face agrave des risques de deacuteprise et drsquointensification forts) et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne argumentant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Celle-ci a donc eacuteteacute ouverte dans ces territoires de montagne agrave titre exploratoire et agrave budget constant en preacutevoyant de reacutealiser une eacutevaluation externe afin drsquointerroger la pertinence de cette deacutecision et drsquoen tirer des enseignements pour lrsquoensemble de la Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes

Trois phases ont eacuteteacute preacutevues pour cette eacutevaluation

- la premiegravere reacutesidait dans la mise en place drsquoun dispositif eacutevaluatif et drsquoune premiegravere eacutevaluation ex ante de la pertinence de la strateacutegie drsquoactivation de la SHP 01 et de sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres mesures (reacutealiseacutee en 2017 et objet de cet article)

- la deuxiegraveme phase consiste en une eacutevaluation agrave mi-parcours (201920 agrave reacutealiser)

- la troisiegraveme phase en 2022 sera deacutedieacutee agrave lrsquoeacutevaluation ex post

Agrave terme le dispositif eacutevaluatif doit permettre drsquoune part drsquoanalyser les eacutevolutions sur les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes ayant activeacute la SHP 01 et drsquoautre part de mener des comparaisons avec des territoires de plaine et des territoires nrsquoayant pas activeacute la SHP 01 de mecircme qursquoentre territoires diffeacuterents (par exemple pastoral vs herbager) et entre exploitations ayant ou non contractualiseacute la SHP 01 (au sein de territoires qui la proposaient)

13 Meacutethodologie

Lrsquoeacutetude comportait deux volets dont les objectifs sont preacutesenteacutes dans la figure 2

131 Volet 1 construction du dispositif eacutevaluatif

La reacutealisation du volet 1 srsquoest appuyeacute sur des entretiens (Reacutegions opeacuterateurs porteurs des PAEC) et sur une analyse documentaire (Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux dossiers de candidatures travaux du groupe de travail etc voir le volet 1 du rapport p 8 pour plus de deacutetails) permettant drsquoeacutetudier les strateacutegies drsquoactivation de la mesure au niveau reacutegional et celles de mise en œuvre par les territoires (mobilisation ou non de la mesure face aux enjeux identifieacutes) Ce travail a abouti agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune premiegravere version drsquoun diagramme logique drsquoimpact (DLI) de la SHP 01 puis agrave une liste de questions eacutevaluatives (encadreacute 1) discuteacutee et valideacutee par le comiteacute de pilotage de lrsquoeacutetude

8 En Auvergne la strateacutegie drsquoouverture ne diffeacuterencie pas zones de plaine et de montagne La MAE SHP 01 est mobilisable sur toutes les Zones drsquoaction prioritaires eau biodiversiteacute et une zone laquo seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 93

Source auteurs volet 1 du rapport final p5

Figure 2 - Objectifs de lrsquoeacutetude

Pour chaque question eacutevaluative des indicateurs ont eacuteteacute proposeacutes commenteacutes et valideacutes par le comiteacute de pilotage Un reacutefeacuterentiel drsquoeacutevaluation deacutetaille pour chaque indicateur

- le type drsquoindicateur (contexte reacutealisation reacutesultat impact pertinence ou coheacuterence) la nature de lrsquoindicateur (quantitatif ou qualitatif) la theacutematique agrave laquelle se reacutefegravere lrsquoindicateur (milieux systegravemes place des surfaces en herbe eacuteconomie contrats et ingeacutenierie territoriale)

- lrsquoeacutechelle (territoriale de lrsquoexploitation ou parcellaire) et le champ geacuteographique drsquoapplication de lrsquoindicateur (territoires et exploitations concerneacutees)

- la phase de la programmation pendant laquelle renseigner les indicateurs (eacutevaluation ex ante intermeacutediaire etou ex post)

- les meacutethodes de recueil (qualitatives et quantitatives) et les analyses neacutecessaires au renseignement des indicateurs

Enfin un manuel a eacuteteacute reacutedigeacute pour appuyer les eacutevaluateurs dans la reacutealisation des futures eacutevaluations intermeacutediaire et ex post (ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil 2018c)

94 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Le ou les critegraveres drsquoeacutevaluation associeacutes agrave chaque question sont preacuteciseacutes entre parenthegraveses

1 La mesure systegraveme SHP 01 est-elle adapteacutee pour reacutepondre aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres (prairies et surfaces pastorales) et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique sur les territoires PAEC concerneacutes (Pertinence)

2 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 sur ces territoires a-t-elle permis drsquoeacuteviter lrsquointensification ou lrsquoabandon des pratiques sur les surfaces cibles Comment a-t-elle impacteacute les pratiques sur le reste de la STH Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

3 Quels sont les impacts de la mesure en matiegravere de biodiversiteacute sur les surfaces cibles (Efficaciteacute)

4 En quoi la mesure SHP 01 a-t-elle pu opeacuterer un changement de regard des agriculteurs sur ces surfaces A-t-elle eacuteteacute un levier drsquoaction pour entraicircner une reacuteflexion plus globale sur la gestion de ces surfaces au-delagrave du soutien financier Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

5 La mesure a-t-elle contribueacute agrave lrsquoeacutevolution des systegravemes drsquoexploitation vers une meilleure inteacutegration et valorisation des surfaces cibles Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute et coheacuterence externe)

6 Dans quelle mesure la SHP 01 peut-elle contribuer agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits et agrave un revenu plus eacuteleveacute Comment cela srsquoarticule-t-il avec lrsquoICHN (Efficaciteacute)

7 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 a-t-elle engageacute ou renforceacute une dynamique de groupe pour la reacuteflexionformation des agriculteurs sur la theacutematique des surfaces herbagegraveres Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

8 Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle contribueacute agrave une diffusion des modegraveles de productiondes pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle assureacute un meilleur maintien des surfaces herbagegraveres sur les territoires PAEC lrsquoayant activeacutee (Efficaciteacute)

9 Les conditions de peacuterennisation des pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire sont-elles reacuteunies   Dans ce contexte une non-reconduction du soutien SHP 01 est-elle envisageable (Efficaciteacute efficience et coheacuterence externe)

10 Dans quelle mesure la SHP et les MAEC agrave enjeux localiseacutes se combinent-elles pour reacutepondre aux enjeux En quoi lrsquoactivation de la SHP peut-elle constituer un levier vers la certification en agriculture biologique (Coheacuterence externe)

Encadreacute 1 - Liste des questions eacutevaluatives ayant guideacute le travail

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 95

132 Volet 2 lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence et de la coheacuterence de la SHP 01

Lrsquoeacutevaluation ex ante constitue le second volet de lrsquoeacutetude et la premiegravere eacutetape de mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif Elle a pour objectifs a) de renseigner les indicateurs de contexte et de dresser lrsquoeacutetat de reacutefeacuterence des territoires ayant ou non activeacute la SHP 01 en montagne en Rhocircne-Alpes9 b) de renseigner certains indicateurs de reacutealisation et de reacutesultat pour les anneacutees 201516 avec pour objectif drsquoeacutetudier leur eacutevolution dans les eacutevaluations futures et c) de fournir de premiers eacuteleacutements de reacuteponse agrave des questions eacutevaluatives lieacutees agrave la pertinence de cette strateacutegie drsquoactivation et agrave sa coheacuterence vis-agrave-vis de mesures preacuteexistantes (questions 1 6 et 10)

Lrsquoeacutevaluation ex ante considegravere plusieurs eacutechelles territoriales

- huit territoires de montagne de Rhocircne-Alpes et Auvergne ont ou auraient pu activer la SHP 01 (voir carte 1) Une partie des indicateurs sont donc renseigneacutes pour ces territoires ils alimenteront un eacutetat de reacutefeacuterence neacutecessaire agrave lrsquoanalyse ulteacuterieure des eacutevolutions

- certains indicateurs sont renseigneacutes agrave lrsquoeacutechelle des PAEC drsquoautres agrave lrsquoeacutechelle des Zones drsquointervention prioritaires (ZIP) deacutefinies au sein des PAEC sur lesquelles la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee10 Cela permettra drsquoanalyser des eacutevolutions lieacutees agrave la contractualisation de la SHP 01 sur les territoires ougrave elle a effectivement eacuteteacute activeacutee ainsi que de comparer ces eacutevolutions avec celles de ZIP drsquoautres PAEC dont les enjeux sont proches mais les mesures activeacutees diffeacuterentes

- une partie des indicateurs (notamment les indicateurs de reacutesultats) sont renseigneacutes seulement pour trois territoires ayant activeacute la SHP 01 appeleacutes laquo territoires-types raquo Le choix de ces territoires-types a reposeacute sur la recherche drsquoune diversiteacute de milieux et systegravemes (tableau 1) sur le niveau de contractualisation SHP 01 et la volonteacute des opeacuterateurs de participer Au final trois territoires-types ont eacuteteacute retenus les Crecircts du Haut-Jura le Beaujolais Vert eacutelargi et les Baronnies drocircmoise

9 Les territoires de plaine ne sont pas inclus dans cette eacutetude10 Ou les mesures Herbe 07 et 09 dans le cas de lrsquoArdegraveche et des Bauges

Source auteurs drsquoapregraves Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes laquo Tout savoir sur les 10 Parcs naturels reacutegionaux drsquoAuvergne-Rhocircne-Alpes raquo httpswwwauvergnerhonealpesfrdossier824-tout-savoir-sur-les-10-parcs-naturels-regionaux-d-auvergne-rhone-alpeshtm

Carte 1 - Situation geacuteographique des territoires pris en compte dans lrsquoeacutevaluation

96 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Plusieurs meacutethodes et techniques ont eacuteteacute mobiliseacutees pour mener agrave bien lrsquoeacutevaluation ex ante

- en premier lieu un atelier a eacuteteacute organiseacute avec des acteurs de diffeacuterents territoires de Rhocircne-Alpes et de profils varieacutes acteurs institutionnels chargeacutes de mission des structures opeacuteratrices techniciens agriculture ou biodiversiteacute chercheurs etc Il a permis de consolider et de valider collectivement le diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 et de discuter la pertinence de lrsquoactivation de la SHP 01 en montagne

- des informations ont eacuteteacute recueillies via les documents produits par les opeacuterateurs des PAEC (dossiers de candidatures quelques diagnostics drsquoexploitations quelques bilans) et des entretiens reacutealiseacutes avec eux

- des entretiens semi-directifs de visu ont eacuteteacute reacutealiseacutes aupregraves de 10 agriculteurs (ayant contractualiseacute la SHP 01 ou non) sur chacun des trois territoires-types pour recueillir des informations qualitatives

- un questionnaire internet transmis agrave toutes les exploitations des ZIP des huit territoires a compleacuteteacute les entretiens Il a permis de recueillir des informations qualitatives mais moins preacutecises aupregraves drsquoun plus grand nombre drsquoexploitations (93 au total)

- des donneacutees statistiques (Reacuteseau drsquoinformation comptable agricole - RICA Recensement agricole - RA) et administratives (donneacutees PAC et registre parcellaire graphique - RPG) ont eacuteteacute mobiliseacutees pour fournir des eacuteleacutements quantitatifs

- enfin un atelier de travail (focus group) a eacuteteacute meneacute sur chaque territoire-type mobilisant des acteurs experts de leur territoire (agriculteurs techniciens agriculture et biodiversiteacute chargeacutes de mission PNR etc) afin de discuter analyser collectivement et valider les enjeux du territoire ainsi que la logique drsquoimpact locale de la SHP 01

Le tableau 1 et la figure 3 donnent des preacutecisions sur la repreacutesentativiteacute de lrsquoensemble des eacutechantillons issus agrave la fois des entretiens (pour les trois territoires-types) et de lrsquoenquecircte en ligne (pour tous les territoires) Agrave noter que les entretiens ciblaient les exploitations des ZIP ougrave la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee notamment celles ayant contractualiseacute la SHP 01 drsquoougrave des taux de couverture eacuteleveacutes Lrsquoenquecircte en ligne srsquoadressait agrave tous les exploitants des ZIP dans lesquelles soit la SHP 01 soit Herbe 07 ou 09 avait eacuteteacute activeacutee (peu importe la production lrsquoeacuteligibiliteacute aux mesures et les mesures contractualiseacutees) La derniegravere colonne compare le taux moyen de surfaces en herbe et de surfaces pastorales des exploitations agrave celui de lrsquoensemble du PAEC (voir figure 3)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 97

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les donneacutees preacutesenteacutees montrent pour le Haut-Jura la part de STH de surfaces pastorales et de surfaces en herbe dans les exploitations enquecircteacutees (soit uniquement par entretien en brun soit par entretien et par enquecircte internet en orange) et sur lrsquoensemble du PAEC Source auteurs volet 2 du rapport final p13

Figure 3 - Repreacutesentativiteacute de lrsquoeacutechantillon Haut-Jura (entretiens et lrsquoenquecircte en ligne)

Tableau 1 - Repreacutesentativiteacute des eacutechantillons pour les entretiens et lrsquoenquecircte en ligne

2 Contexte et enjeux des systegravemes herbagers et pastoraux dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes

21 Une diversiteacute de contextes et drsquoenjeux

Si les eacutelevages de montagne des huit territoires rhocircne-alpins eacutetudieacutes srsquoappuient tous sur la valorisation des surfaces herbagegraveres et pastorales ils reposent sur une varieacuteteacute de milieux et de systegravemes de production Un atelier de travail inter-territoires a permis drsquoen construire une typologie (tableau 2) Cinq grands types de systegravemes ont eacuteteacute identifieacutes Trois territoires-types ont ensuite eacuteteacute seacutelectionneacutes pour mener des analyses approfondies Ils illustrent une diversiteacute de milieuxsystegravemes et de contextes historiques territoriaux (tableau 3)

Nombre total

dexploitations enquecircteacutees

Taux de couverture des exploitations

avec un icirclot sur une ZIP SHP 01 ou

Herbe 0709

Nombre dexploitations

enquecircteacutees avec SHP 01

Taux de couverture des contrats SHP

01

Repreacutesentativiteacute du taux de surfaces en herbe et pastorales

du PAEC

Baronnies 15 6 7 100

Beaujolais Vert 15 2 10 9

Haut-Jura 14 23 4 100

Chartreuse 8 5 0 0

Pilat 17 3 2 4

Vercors 4 2 1 0

Bauges 7 6 0 Monts

dArdegraveche 13 1 0

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les cases les plus fonceacutees indiquent une plus forte repreacutesentativiteacute

98 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sur ces trois territoires les systegravemes fourragers reposent principalement sur les surfaces en herbe (stocks pour lrsquohiver et pacircturage) Lrsquoeacutelevage qui se maintient difficilement dans ces reacutegions les milieux et la biodiversiteacute font face agrave des risques de fermeture et agrave des logiques drsquointensification des pratiques

Tableau 2 - Typologie simplifieacutee des territoires milieux et systegravemes de montagne en Rhocircne-Alpes

TypeSystegravemes pastoraux

meacutediterraneacuteens speacutecialiseacutes

Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP

Systegravemes herbagers non

AOPIGP

Systegravemesherbeceacutereacuteales

Exemples de territoires Ardegraveche (pentes) Baronnies Sud Vercors

Haut-Jura Pilat Chartreuse Vercors Ardegraveche (montagne) Forez

Beaujolais Vert Pilat Haut Lignon Forez

Pilat Beaujolais Vert

Milieux

Surfaces embroussailleacutees bois landes parcours Pelouses segraveches Estives

Prairies permanentes et temporairesZones humides

Checircnaies et chacirctaigneraies(+ vergers) pacirctureacutes Estives alpages Ceacutereacuteales

Systegravemes Systegravemes extensifs ovinscaprins

Systegravemes diversifieacutes ovins+ activiteacute compleacutementaire

Bovins lait AOPIP ou allaitants

Bovins lait standard ou allaitants

Source auteurs extrait du volet 2 du rapport final p 45

Tableau 3 - Surfaces et systegravemes des trois territoires-types

Type Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP Systegravemes

herbeceacutereacuteales

Composition de la SAUGrandes culturesFourrages

Estives landes

Prairies permanentes

Prairies temporaires

Vergers

Vignes

Autres productions veacutegeacutetales

Systegravemes drsquoeacutelevage majoritaires

Eacutelevages bov ins herbagers laitiers mixtes allaitants parfois coupleacutes agrave de l rsquoeacutelevage caprin fromager ou agrave des productions veacutegeacutetales (vignes arboriculture)

Eacutelevages bovins lait herbagers valorisation sous AOP ou IGP 90 de prairies permanentes dans les surfaces en herbe

Systegravemes pastoraux ovins viande speacutecialiseacutes ou diversifieacutes (lavande noyers checircnes truffiers chegravevres tourisme) bovins (secteur de Lachau)

Perception de la biodiversiteacute

Un lien reconnu entre diversiteacute floristique et qualiteacute du fourrage donc du lait mais peu drsquointeacuterecircttemps pour lrsquoapprofondir

Des eacuteleveurs srsquointeacuteressent agrave la composition des prairies naturelles et mentionnent un inteacuterecirct pour lrsquoappeacutetence la qualiteacute et le goucirct du lait et des fromages le rendement cela influence peu les modes de gestion

La diversiteacute floristique des prairies (p reacutesence de leacutegumineuses notamment) est reconnue comme inteacuteressante pour la qualiteacute du foin et lrsquoeacutequilibre des rations et teacutemoin drsquoun travail laquo bien fait raquo

Sources RPG 2016 entretiens avec des agriculteurs et des acteurs des territoires extrait du volet 2 du rapport final p 19-30

78

8

11 1 1

1

54

1 1

44 65

8

1

8 6

5 3 4

Le travail meneacute sur les territoires-types met en eacutevidence un risque drsquoabandon des surfaces difficiles drsquoaccegraves difficiles drsquoutilisation ou peu productives entraicircnant une fermeture du milieu une perte de biodiversiteacute et de fonctionnaliteacute une modification des paysages Le risque drsquointensification de lrsquoutilisation des prairies permanentes existe sur certaines zones du Beaujolais Vert mais est plus marginal sur les autres territoires montagnards de Rhocircne-Alpes Sur certains territoires comme les Baronnies et le Beaujolais Vert eacutelargi lrsquoeacutelevage pastoral dans le premier territoire laitier geacuteneacuterique ou allaitant dans le second demeure relativement fragile Lrsquoenjeu drsquoun deacuteveloppement eacuteconomique srsquoappuyant agrave la fois sur lrsquoagriculture et le tourisme (donc le paysage) est preacutesent sur les trois territoires

1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 99

La diversiteacute des territoires concerne aussi leurs dynamiques de projet Ainsi alors que le Pilat et le Haut-Jura sont engageacutes historiquement dans des deacutemarches agro-environnementales et ont deacuteveloppeacute une animation speacutecifique les Baronnies provenccedilales Parc naturel reacutegional (PNR) reacutecent et le Beaujolais Vert cherchent agrave initier ce changement

22 Speacutecificiteacute et eacutevolution de la strateacutegie reacutegionale de Rhocircne-Alpes

Pour mieux faire ressortir les particulariteacutes de la reacutegion eacutetudieacutee les strateacutegies agro-environnementales et les objectifs des Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) de Rhocircne-Alpes et drsquoAuvergne ont eacuteteacute compareacutes (tableau 4)11 En Rhocircne-Alpes le PDR est orienteacute vers le soutien agrave lrsquoeacuteconomie agricole et aux productions geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes positives pour lrsquoenvironnement Les laquo objets raquo consideacutereacutes par les MAEC sont les systegravemes drsquoexploitation et les pratiques dont lrsquoorientation doit permettre de geacuteneacuterer des externaliteacutes positives Les MAEC reacutepondent aux besoins drsquoadaptation des systegravemes de preacuteservation des espaces agricoles de deacuteveloppement de modes de production speacutecifiques et creacuteateurs drsquoexternaliteacutes positives

En Auvergne le PDRR affiche des objectifs de diffeacuterenciation qualitative des produits en plus du soutien agrave la compeacutetitiviteacute des systegravemes de montagne En lien avec cet objectif les MAEC portent directement sur la preacuteservation de lrsquoenvironnement plutocirct que sur la fourniture drsquoexternaliteacutes par les productions agricoles Les laquo objets raquo des MAEC sont lrsquoenvironnement (eau biodiversiteacute sols) et les surfaces en herbe mais pas les systegravemes agricoles

Ces eacuteleacutements se reflegravetent dans la deacutefinition des Zones drsquoaction prioritaire (ZAP) si en Auvergne les trois ZAP portent sur des enjeux environnementaux (eau biodiversiteacute et seacutequestration du carbone) en Rhocircne-Alpes une ZAP laquo systegravemes herbagers raquo est deacutefinie

La MAEC SHP 01 nrsquoa initialement pas eacuteteacute ouverte sur tout le territoire reacutegional et les anciennes reacutegions Auvergne et Rhocircne-Alpes ont fait leurs choix de maniegraveres diffeacuterentes (figure 4)

Comme lrsquoillustre la figure 4 en Rhocircne-Alpes la strateacutegie initiale drsquoactivation de la SHP 01 en zone de plaine

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de soutien aux systegravemes herbagers majoritaires sur le territoire dans un contexte de disparition de la Prime herbagegravere agro-environnementale (PHAE) Cela srsquoest traduit par la deacutefinition drsquoune ZAP laquo systegravemes herbagers raquo

- Inteacutegrait un souci de maicirctrise budgeacutetaire qui impliquait lrsquoactivation de la SHP 01 uniquement en plaine ougrave les systegravemes ne beacuteneacuteficient pas de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicap naturel (ICHN) revaloriseacutee12

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de durabiliteacute agro-eacutecologique des zones herbagegraveres en cherchant en particulier agrave limiter lrsquointensification risque plus marqueacute en plaine qursquoen montagne Toutefois les territoires du Beaujolais Vert eacutelargi et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont par la suite plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne arguant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Elle a donc eacuteteacute ouverte agrave titre exploratoire et agrave budget constant sur ces territoires en 2015

11 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201812 En 2014 et 2015 lrsquoICHN perccedilue par les exploitations de montagne pieacutemont et zone deacutefavoriseacutee simple a eacuteteacute revaloriseacutee pour compenser lrsquoarrecirct de la PHAE

100 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 4 - Comparaison des strateacutegies agro-environnementales reacutegionales et indicateurs cleacutes

Type Rhocircne-Alpes Auvergne

Finaliteacute du PDRMaintenir et si possible deacutevelopper les potentiels productifs lieacutes agrave lrsquoagriculture et agrave la forecirct et les orienter de maniegravere agrave maximiser leurs externaliteacutes positives

Poursuite de la dif feacuterenciation qualitative du territoire geacuteneacuteratrice drsquoemploi de valeur ajouteacutee et drsquoattractiviteacute

Objectifs strateacutegiques du PDR

1 Satisfaire les besoins fondamentaux de lrsquoagriculture

2 Assurer la viabi l i teacute eacuteconomique de lrsquoagriculture et de la sylviculture

3 Faire beacuteneacuteficier les territoires de lrsquoimpact eacuteconomique de l rsquoagr i cu l tu re e t de la sylviculture

4 Maximiser leurs externaliteacutes positives sur les territoires

1 Accentuer la diffeacuterenciation qualitative des produits et des services en vue drsquoune meilleure valorisation eacuteconomique creacuteatrice de valeur ajouteacutee et drsquoemploi

2 Accompagner les changements de pratiques par lrsquoinnovation et la mobilisation des connaissances et des acquis de la recherche

3 Reacuteduire les diffeacuterentiels de compeacutetitiviteacute entre la plaine et les zones deacutefavoriseacutees

Zones drsquoaction prioritaires

- Maintenir les systegravemes agr icoles (qui ent ret iennent des ter r i to i res ouver ts favorables agrave la biodiversiteacute et aux paysages ainsi qursquoagrave la maitrise des risques concourent au stockage de carbone agrave la l imitation de lrsquousage drsquointrants et agrave la captation des polluants par ef fet tampon favorisent la permeacuteabiliteacute des espaces agrave la biodiversiteacute valorisent les eacutecosystegravemes vivants dans lrsquoacte de production) lorsqursquoils sont menaceacutes de disparition

- Construire des pratiques culturales favorables aux biens environnementaux

- Preacuteserver la biodiversiteacute ordinaire menaceacutee drsquoeacuterosion- Ameacuteliorer ou maintenir la qualiteacute de lrsquoeau- Maintenir ou eacutetendre les surfaces en herbe afin de deacutevelopper les systegravemes mixtes polyculture-eacutelevage et drsquoameacuteliorer lrsquoautonomie des exploitations- Preacuteserver la qualiteacute des sols

Objectifs des MAE et enjeux prioritaires

- Eau- Surfaces speacutecifiquement identifieacutees pour la preacuteservation de la biodiversiteacute- Zonages des speacutecificiteacutes reacutegionales des systegravemes herbagers

- Eau- Biodiversiteacute-Seacutequestration du carbone

Source PDRR des ex-reacutegions Rhocircne-Alpes et Auvergne traitement Acteacuteon volet 1 du rapport final p 9-10

Figure 4 - Logiques drsquoaction et strateacutegies initiales drsquoactivation de la SHP 01 en Rhocircne-Alpes et en Auvergne

Sources PDRR et documents annexes entretiens volet 1 du rapport final page 13

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 101

Lrsquoouverture de la SHP 01 agrave certaines zones de montagne de Rhocircne-Alpes traduit donc une eacutevolution de la logique drsquoimpact de la SHP 01 dans cette reacutegion

- la SHP 01 ne vise plus seulement agrave limiter lrsquointensification mais aussi la deacuteprise (parcelles difficiles agrave entretenir en montagne)

- lrsquoICHN seule nrsquoest plus perccedilue comme permettant de garantir le maintien et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des couverts permanents

- le caractegravere de mesure laquo systegraveme raquo peut mener agrave lrsquointeacutegration structurelle et fonctionnelle des surfaces en herbe dans les systegravemes et donc permettre la peacuterennisation des pratiques

- lrsquoouverture sur les PNR contribue au deacuteveloppement de dynamiques agro-eacutecologiques plus larges favoriseacutees par des deacutemarches territoriales deacutejagrave existantes

En Auvergne la strateacutegie portait plus clairement degraves le deacutepart sur des objectifs environnementaux a) seacutequestration du carbone en limitant le retournement des prairies et en maintenant les surfaces en herbe et b) maintien de la qualiteacute eacutecologique des prairies La mesure SHP 01 a donc eacuteteacute ouverte au sein des ZAP laquo Biodiversiteacute raquo et laquo Seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies) qursquoelles soient en plaine ou en montagne Agrave noter que le risque drsquointensification des pratiques en zone de montagne est plus eacutevident en Auvergne qursquoen Rhocircne-Alpes avec davantage de parcelles meacutecanisables (moins de pentes)

23 Une diversiteacute de strateacutegies territoriales drsquoactivation de la SHP 01

Sur les huit territoires de Rhocircne-Alpes concerneacutes13 six ont choisi drsquoactiver la SHP 01 en remplacement drsquoun ensemble de MAEC agrave enjeux localiseacutes tout en conservant une articulation avec drsquoautres MAEC permettant de reacutepondre agrave des enjeux particuliers (exemple des MAEC zones humides sur le Beaujolais Vert eacutelargi) Deux territoires (les Bauges et les Pentes et montagnes drsquoArdegraveche) ont choisi de ne pas lrsquoactiver et de conserver des MAEC agrave enjeux localiseacutes inteacutegrant les engagements unitaires Herbe 07 et Herbe 09 semblables agrave ceux imposeacutes sur les surfaces cibles dans le cas de la SHP 0114 Ces choix sont lieacutes agrave plusieurs facteurs analyse de lrsquoadaptation des mesures aux enjeux des territoires (eacutevolution ou maintien des pratiques eacutechelle du systegraveme ou gestion cibleacutee etc) mais aussi importance des zones drsquoeacuteligibiliteacute aux mesures (comme Natura 2000) contraintes budgeacutetaires et processus drsquoeacutevolution du dispositif reacutegional Les objectifs de contractualisation ont aussi varieacute selon les territoires Le tableau 5 reacutesume pour chaque territoire de Rhocircne-Alpes et deux territoires drsquoAuvergne les systegravemes preacutesents les risques identifieacutes par les opeacuterateurs ainsi que les strateacutegies mises en œuvre via les PAEC pour y reacutepondre (budgets zonages mesures mobiliseacutees dont SHP 01 animation)

13 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201814 Les MAEC agrave enjeux localiseacutes sont contractualiseacutees sur des parcelles de lrsquoexploitation concerneacutees par des enjeux speacutecifiques (on parle aussi de laquo mesures parcellaires raquo) La SHP 01 en revanche engage toute lrsquoexploitation (mesure systegraveme) mecircme si certains engagements ne concernent que les laquo surfaces cibles raquo

102 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sources entretiens avec les acteurs des territoires candidatures PAEC et documents annexes volet 1 du rapport final pp19-20

15 C

umul

impo

ssib

le e

ntre

SH

P 0

1 et

Her

be 0

7 c

umul

pos

sibl

e en

tre S

HP

01

et H

erbe

09

en z

one

Nat

ura

2000

ou

DFC

I uni

quem

ent

16

En

2017

ouv

ertu

re d

e la

SH

P 0

1 po

ur le

s laquo

zone

s so

us fo

rte

cont

rain

te raquo

Tabl

eau

5 - C

ompa

rais

on d

es s

trat

eacutegie

s te

rrito

riale

s drsquo

activ

atio

n de

la M

AE

SHP

01 (a

nneacutee

201

6)R

eacutegio

nR

hocircne

-Alp

esA

uver

gne

PAE

CC

recirct d

u H

aut J

ura

Pila

tB

eauj

olai

s Ve

rt eacute

larg

iC

hart

reus

eVe

rcor

sB

aron

nies

dr

ocircmoi

ses

Pen

tes

et m

onta

gnes

ar

deacutech

oise

sG

orge

s de

la T

ruyegrave

reA

lagn

on

Opeacute

rate

urP

NR

PN

RC

omm

unau

teacutedrsquo

ggl

omeacuter

atio

nP

NR

PN

RP

NR

PN

RC

omm

unau

teacute d

e co

mm

unes

Syn

dica

t de

riviegrave

re

Mili

eu e

t sys

tegravem

es

Eacutele

vage

laiti

er

herb

ager

(AO

P B

leu

de G

ex)

alp

ages

ave

c tra

nshu

man

ce

Eacutele

vage

div

ersi

fieacute

Pel

ouse

s segrave

ches

et

prai

ries

drsquoal

titud

e

Sys

tegravem

es h

erba

gers

bo

vins

lait

geacuteneacute

rique

et

alla

itant

s (o

vins

ca

prin

s)

Bov

ins

lait

et v

iand

e he

rbag

ers

alp

ages

Pol

ycul

ture

-eacutele

vage

bo

vins

(ov

ins

capr

ins)

A

lpag

es p

elou

ses

pr

airie

s

Eacutele

vage

pas

tora

l ov

in e

xplo

itatio

ns

dive

rsifi

eacutees

(arb

oric

ultu

re

vitic

ultu

re +

ovi

ns)

Eacutele

vage

pas

tora

l ovi

n av

ec c

hacircta

igne

s

bovi

ns a

llaita

nts

sur

le p

late

au

Eacutele

vage

he

rbag

er

bovi

ns

alla

itant

s(qu

elqu

es

mix

tes

laiti

ers)

peu

drsquo

ovin

s

Eacutele

vage

her

bage

r ex

tens

if l

aitie

rs

(Mar

gerid

e) e

t al

laita

nts

(Ceacutez

allie

r)

Ris

ques

pou

r les

cou

vert

s pe

rman

ents

Inte

nsifi

catio

n de

s pa

rcel

les

meacutec

anis

able

s (p

erte

de

la q

ualit

eacute eacutec

olog

ique

des

pra

iries

) com

bineacute

e agrave

lrsquoaba

ndon

des

zon

es n

on

meacutec

anis

able

s =gt

enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Art

ifici

alis

atio

n du

pi

eacutemon

t D

eacutepris

e de

lrsquoa

ctiv

iteacute p

asto

rale

la

itiegraver

e

Aba

ndon

des

pel

ouse

s segrave

ches

et a

lpag

es

diffi

cile

s agrave

expl

oite

rLi

gnifi

catio

n

Deacutep

rise

past

oral

e P

erte

drsquoh

abita

ts

drsquooi

seau

x

Ges

tion

non

optim

iseacutee

des

la

ndes

pel

ouse

s

deacutepr

ise

dans

les

pent

esLi

gnifi

catio

n de

s zo

nes

hum

ides

Bai

sse

de lrsquo

entre

tien

des

pent

es

Inte

nsifi

catio

n de

s pl

atea

ux

Ret

ourn

emen

t de

prai

ries

natu

relle

s et

deacute

velo

ppem

ent d

u m

aiumls

en M

arge

ride

ni

trate

s (e

au)

Mon

tant

PA

EC

not

ifieacute

2015

-201

7 (euro

)1

575

502

1 57

0 98

72

813

356

1 60

0 98

13

376

647

1 50

7 05

94

511

753

NC

NC

Stra

teacutegi

e du

PA

EC

Mai

ntie

n de

la

gest

ion

des

estiv

es

peacutere

nnis

atio

n drsquo

une

agric

ultu

re d

e va

lleacutee

prod

uctr

ice

drsquoam

eacuteniteacute

s en

viro

nnem

enta

les

eacutec

onom

ique

men

t et

soc

iale

men

t pe

rfor

man

te

Deacutev

elop

pem

ent

de lrsquo

agro

-eacuteco

logi

e et

de

lrsquoagr

icul

ture

bi

olog

ique

aj

uste

men

t de

s pr

atiq

ues

pour

preacute

serv

er la

bi

odiv

ersi

teacute l

a qu

aliteacute

de

lrsquoea

u et

les

tram

es

vert

es e

t ble

ue

Reacutefl

exio

n sy

steacutem

ique

su

r les

exp

loita

tions

dy

nam

ique

col

lect

ive

so

utie

n eacutec

onom

ique

agrave

lrsquoeacutele

vage

Preacute

serv

atio

n de

s zo

nes

hum

ides

Acc

ompa

gnem

ent d

es

dyna

miq

ues

agro

-en

viro

nnem

enta

les

en

lien

avec

les

proj

ets

de te

rrito

ire p

orteacute

s pa

r le

Par

c

Mai

ntie

n de

s su

rfac

es

herb

agegraver

es s

ur le

s zo

nes

diffi

cile

s d

e la

bio

dive

rsiteacute

des

ha

bita

ts l

utte

con

tre

la fe

rmet

ure

via

le

past

oral

ism

e

Un

1er P

AE

C tr

egraves

agric

ole

past

oral

Le

2nd

integrave

gre

les

enje

ux b

iodi

vers

iteacute

Nat

ura

2000

eau

Mai

ntie

n de

s m

ilieu

x ou

vert

s (g

estio

n ad

apteacute

e)

des

couv

erts

sur

la

zon

e laquo

eau

raquo

de la

bio

dive

rsiteacute

co

mm

e ve

cteu

r de

vale

ur a

jout

eacutee d

e lrsquoa

uton

omie

Con

serv

atio

n de

s pr

airie

s di

vers

ifieacutee

s

y co

mpr

is p

our

accu

eilli

r les

ois

eaux

en

lutta

nt c

ontre

lrsquoe

mbr

ouss

aille

men

t et

lrsquoin

tens

ifica

tion

di

spar

ition

des

hai

es

Prio

riteacute

aux

enje

ux

eau

(SA

GE

en

eacutelab

orat

ion

+ co

ntra

t ter

ritor

ial)

zo

nes

hum

ides

et

biod

iver

siteacute

(N20

00)

Nom

bre

et ty

pes

de Z

IP

(zon

es d

rsquointe

rven

tion

prio

ritai

res)

3 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

2 B

iodi

vers

iteacute2

Cou

vert

s pe

rman

ents

et z

ones

hu

mid

es

5 B

iodi

vers

iteacute p

ar ty

pe

de m

ilieu

+ N

2000

et

Teacutetra

s L

5 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

4 B

iodi

vers

iteacute

N20

00 o

u no

n e

au

3 B

iodi

vers

iteacute d

ont

land

esp

arco

urs

et

prai

ries

de fa

uche

1 B

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

3 E

au z

ones

hu

mid

es b

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

Mes

ures

act

iveacutee

s da

ns

les

ZIP

bio

dive

rsiteacute

hor

s su

rfac

es c

olle

ctiv

es15

SH

P 01

Her

be 0

9 po

ur le

s ex

ploi

tatio

ns s

itueacutee

s en

de

hors

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes

(don

t Her

be 0

7 et

09)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

+ S

HP

01

Hor

s zo

nes

hum

ides

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en z

one

hum

ide

et N

2000

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en N

2000

SH

P 0

1+

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t H

erbe

09)

en

N20

00

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t Her

be

07 e

t 09)

16

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes (d

ont H

erbe

07

)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

Zone

s co

ncer

neacutees

par

S

HP

01

Tout

le te

rrito

ireTo

ut le

terr

itoire

Tout

le te

rrito

ireN

2000

et z

ones

hu

mid

es

N20

00 e

t zon

es d

e co

heacutere

nce

agro

-en

viro

nnem

enta

le

Zone

s agrave

enje

ux d

e bi

odiv

ersi

teacute e

n et

ho

rs N

2000

Auc

une

Tout

le te

rrito

ireE

au e

t zon

es

hum

ides

Bud

get S

HP

01

(euro) n

otifi

eacute 20

15-2

017

(Fea

der +

co

ntre

part

ie n

atio

nale

)17

1 35

438

7 05

02

585

000

47 2

7564

072

128

354

0N

CN

C

Nom

bre

de c

ontra

ts S

HP

015

5711

00

17

0N

CN

C

Ani

mat

ion

et

acco

mpa

gnem

ent p

reacutevu

sD

iagn

ostic

s

acco

mpa

gnem

ent

tech

niqu

e fo

rmat

ion

pl

an d

e pr

ogregrave

s ag

ro-

eacutecol

ogiq

ue

Com

mun

icat

ion

reacute

unio

ns p

ubliq

ues

di

agno

stic

s fo

rmat

ions

Form

atio

n ob

ligat

oire

et

aut

o-di

agno

stic

s

Jour

neacutees

theacutem

atiq

ues

et

deacutem

onst

ratio

n

Dia

gnos

tic o

blig

atoi

re

pour

SH

P 01

fo

rmat

ion

et a

ccom

pagn

emen

t in

divi

duel

Dia

gnos

tic d

e ge

stio

n pa

stor

ale

prop

oseacute

Dia

gnos

tics

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ob

ligat

oire

s po

ur u

ne

MA

EC e

njeu

loca

liseacute

Fo

rmat

ions

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ag

ricol

es

et z

ones

hum

ides

fo

rmat

ions

et j

ourn

eacutees

de d

eacutemon

stra

tion

dans

le c

adre

du

cont

rat t

errit

oria

l

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 103

3 La SHP 01 une mesure pertinente pour les zones de montagne en Rhocircne-Alpes

31 Effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sur les trois territoires-types

Sur les trois territoires-types lrsquoactivation et la contractualisation de la SHP 01 visent des effets agrave lrsquoeacutechelle des couverts permanents et des surfaces cibles (SC) limitation de la fermeture du milieu et preacuteservation drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Elles visent aussi des effets agrave lrsquoeacutechelle des exploitations (contribution au revenu) et agrave celle du territoire (contribution au projet agro-eacutecologique de territoire maintien de lrsquoeacutelevage preacuteservation du paysage)

Ces effets attendus sont preacutesenteacutes dans le tableau 6 Agrave lrsquoeacutechelle des surfaces lrsquoentretien de la STH et le maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles sont pressentis dans les trois territoires Toutefois dans le Beaujolais Vert un recours plus freacutequent au non-labour et lrsquoarrecirct de lrsquoutilisation des produits phytosanitaires sont aussi anticipeacutes Agrave lrsquoeacutechelle des exploitations un soutien au revenu et donc au maintien de lrsquoactiviteacute est attendu dans le Beaujolais Vert et les Baronnies mais pas dans le Haut-Jura Dans les Baronnies la SHP est perccedilue comme un moyen de compenser la baisse des aides (lieacutee notamment agrave la proratisation) Enfin les acteurs des trois territoires pensent que la SHP favorisera lrsquoeacutemergence de deacutemarches collectives Pour le Beaujolais Vert et les Baronnies cela contribuerait agrave la mise en place drsquoune dynamique agro-environnementale nouvelle tandis que sur le Haut-Jura ces deacutemarches sont vues comme un moyen drsquoameacuteliorer la qualiteacute des produits et la gestion des systegravemes drsquoexploitation (ex autonomie)

Les diagrammes logiques drsquoimpact construits pour chaque territoire illustrent ces speacutecificiteacutes (la figure 5 donne un exemple pour le Beaujolais Vert)

32 Reacuteponse de la SHP 01 aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique

321 Pertinence de la mesure

Lrsquoanalyse de la pertinence de la mesure passe par le rapprochement des risques appreacutehendeacutes sur les territoires avec les effets attendus de la SHP 01 (illustration pour les Baronnies en tableau 7)

Cette analyse reacutealiseacutee pour les trois territoires-types montre que la SHP 01 propose des reacuteponses adapteacutees aux risques identifieacutes sur les territoires de montagne en Rhocircne-Alpes (fermeture des milieux et intensification des pratiques sur les prairies permanentes) et contribue ainsi au maintien des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique sur ces territoires La figure 6 preacutesente le diagramme logique drsquoimpact global construit agrave partir des analyses meneacutees sur les trois territoires-types

Lrsquoeffet attendu de la contractualisation de la SHP 01 sur le maintien des surfaces herbagegraveres et pastorales est particuliegraverement clair lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH de lrsquoexploitation garantit la poursuite de lrsquoentretien des surfaces menaceacutees drsquoabandon drsquoembroussaillement et de fermeture risque aveacutereacute sur lrsquoensemble des territoires pour des

104 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 - Comparaison des effets attendus de la SHP 01 sur les trois territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Effets directs attendus agrave lrsquoeacutechelle des exploitations

Surfaces

A r r ecirc t d e l rsquou t i l i s a t i o n d e s p r o d u i t s phytosanitaires sous les clocirctures X

Compensation des coucircts drsquoentretien hausse de la rentabiliteacute des parcelles X

Utilisation et entretien meacutecanique des surfaces difficiles drsquoaccegraves et dutilisation X X X

Maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles X X X

Non labour X

Exploitations

Compensation partielle de la baisse des aides

X

Contribution au revenu X X

Reconnaissance du temps investi X

Reacuteflexion systeacutemique - gestion diffeacuterencieacutee des surfaces

X

Territoire

Contractualisation large X

Deacutemarches collectives X X X

Reconnaissance du rocircle de lagriculture pour le territoire X X

Effets plus geacuteneacuteraux attendus

Surfaces

Limitation de la fermeture du milieu X X X

Preacuteservation de la biodiversiteacute des surfaces cibles X X X

Preacuteservation de la fonctionnaliteacute des milieux humides X X

ExploitationsMaintien de lrsquoactiviteacute X X

Ameacutelioration de lrsquoautonomie X

Territoire

Visibiliteacute de la politique locale de soutien agrave lagriculture X

Mise en place dune dynamique agro-environnementale nouvelle X X

Qualiteacute et valorisation des produits X

Maintien de lrsquoeacutelevage pastoral X

Source auteurs volet 2 du rapport final p55-56

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 105

Figure 5 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 pour le Beaujolais Vert eacutelargi

Lecture la case entoureacutee de pointilleacutes correspond agrave un effet non souhaiteacuteSource atelier sur le territoire sur la base des informations recueillies volet 2 du rapport final p47

surfaces eacuteloigneacutees difficiles drsquoutilisation ou peu productives Les surfaces concerneacutees peuvent ecirctre des parcours des prairies permanentes des zones humides etc Agrave noter que dans le cas de la MAEC SHP 01 lrsquoapplication de la regravegle du prorata17 pour le calcul des aides PAC agit dans le sens inverse agrave cette logique elle peut freiner la contractualisation de la SHP 01 par des systegravemes pastoraux ou conduire agrave lrsquoabandon de lrsquoutilisation de certains parcours lors de la transmission Agrave lrsquoeacutechelle territoriale le maintien des surfaces herbagegraveres ou pastorales deacutepend du niveau de contractualisation Ainsi respectivement 28 6 et 23 de la STH des zones drsquointervention prioritaires concerneacutees par la SHP 01 sur le Beaujolais Vert le Haut-Jura et les Baronnies sont engageacutes

Lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH empecircche par ailleurs le retournement des prairies permanentes Ce risque plus localiseacute dans les Alpes existe aussi dans certains territoires comme le Beaujolais Vert et reste encore tregraves preacutesent sur le Massif central (Margeride Forez Monts drsquoArdegraveche par exemple) Sur le Beaujolais Vert eacutelargi peu de prairies permanentes sont laquo encore labourables raquo mais certaines ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et on trouve de nombreuses zones humides labourables

17 La regravegle du prorata consiste agrave calculer pour chaque laquo zone de densiteacute homogegravene raquo drsquoune exploitation le taux de recouvrement au sol par des eacuteleacutements non admissibles (affleurements rocheux eacuteboulis litiegravere buissons non adapteacutes au pacircturage etc) Cela amegravene agrave reacuteduire la surface admissible aux aides

106 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 7 - Analyse de la pertinence sur les Baronnies drocircmoises contribution de la SHP 01 agrave la reacuteponse aux enjeux

Enjeux (1er niveau) Contribution de la SHP 01 pour y reacutepondre Remarques

Abandon de lrsquoutilisation des pa rc our s eacute lo i gneacutes laquo peu productifs raquo des zones tampons

Engagement au maintien de toute la STH traces de passage absence de deacutegradation et de surpacircturage =gt entretien des parcours menaceacutes dabandon

Obligations de reacutesultats sur les 50 de STH en surfaces cibles (SC) + maintien drsquoun pacircturage minimum et drsquoune gestion adapteacutee des parcours

Les SC sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) lrsquoanimation vise agrave cibler les surfaces agrave fort enjeu eacutecologique

La preacutedation par le loup pourrait amener agrave abandonner ces parcours malgreacute tout

Intensification des pratiques sur les prairies permanentes irrigueacutees

Obligations de reacutesultats sur les prairies permanentes irrigueacutees choisies comme SC (plantes indicatrices) =gt maintien drsquoune gestion adapteacutee des prairies

Ces prairies irrigueacutees sont souvent choisies comme SC par les exploitations qui en ont

Eacutevolution du systegraveme vers plusuniquement des productions veacutegeacutetales deacuteprise de lrsquoactiviteacute pastorale

M o n t a n t ( 1 2 5 9 0 euro ) = gt compensation partielle de la baisse perccedilue des aides (lieacutee au prorata) etou contribution au revenu

Environ 19 des aides 2015 et 27 du revenuLe critegravere 70 de surfaces en herbe peut ecirctre excluant pour les petites exploitations drsquoeacutelevage diversifieacutees La preacutedation par le loup constitue un frein agrave la contractualisation car elle peut conduire agrave abandonner des parcours eacuteloigneacutes Une pression de preacutedation trop forte pourrait amener agrave abandonner le pastoralisme malgreacute tout

In i t iat ion d rsquoune dynamique a g r o - e nv i r o n n e m e n t a l e affirmation du rocircle du PNR

Reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcoursAnimation =gt eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs

Le portage par le Parc constitue un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs donc agrave la contractualisation

Source auteurs volet 2 du rapport final page 52

Lrsquoeffet attendu sur lrsquoeacutequilibre eacutecologique est plus complexe Agrave lrsquoeacutechelle parcellaire les reacutesultats sur les surfaces cibles sont des indicateurs directs (diversiteacute floristique des prairies) ou indirects (taux de raclage des parcours) drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu lieacutee au maintien de pratiques adapteacutees deacutejagrave mises en œuvre par les exploitants sur ces surfaces La mesure est donc pleinement adapteacutee agrave lrsquoenjeu de preacuteservation de lrsquoeacutetat eacutecologique des surfaces cibles comme le sont aussi les mesures parcellaires Herbe 07 et 09 Si lrsquoon considegravere que lrsquoenjeu de preacuteservation est drsquoautant plus fort que le risque de deacutegradation de lrsquoeacutequilibre eacutecologique est marqueacute cette conclusion doit ecirctre nuanceacutee selon les modaliteacutes de choix des surfaces cibles Sur le Beaujolais Vert eacutelargi on constate que les surfaces cibles choisies sont souvent celles qui preacutesentent le plus de fleurs en geacuteneacuteral des surfaces non meacutecanisables et relativement peu menaceacutees drsquointensification Sur les Baronnies drocircmoises les surfaces cibles sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement les plus menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) Lrsquoanimation vise cependant agrave cibler aussi des surfaces agrave fort enjeu eacutecologique La pertinence de la mesure est donc renforceacutee par lrsquointeacutegration dans les surfaces cibles des zones les plus concerneacutees par des risques de deacutegradation (par abandon ou par intensification) Cette inteacutegration deacutepend de lrsquoimportance relative de ces surfaces agrave enjeux au sein de lrsquoexploitation agricole et de la nature du diagnostic technique reacutealiseacute sur les surfaces par le technicien et lrsquoeacuteleveur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 107

Figure 6 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 construit agrave partir des diagrammes logiques drsquoimpact des trois territoires-types

Source auteurs volet 2 du rapport final page 70

Hors surfaces cibles les effets sont plus indirects et lieacutes agrave plusieurs composantes de la mesure

- le maintien de toute la STH agit agrave un premier niveau pour les surfaces menaceacutees drsquoabandon ou de retournement En limitant lrsquoembroussaillement ou le labour il permet de conserver des milieux et une diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques de milieux ouverts Dans certains cas la diversiteacute des espegraveces peut mecircme srsquoameacuteliorer par exemple sur des prairies du Beaujolais Vert qui ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et eacutevoluent aujourdrsquohui vers des prairies naturelles

- lrsquoaccompagnement et lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation sont mobiliseacutes pour maintenir ou faire eacutevoluer des modes de gestion adapteacutes sur lrsquoensemble des surfaces Cette approche est lieacutee au caractegravere systeacutemique de la mesure agrave un plafond de chargement animal global et agrave un taux de surfaces cibles significatif dans les surfaces de lrsquoexploitation qui empecircchent une gestion des surfaces cibles deacuteconnecteacutee du reste du systegraveme

Lrsquoensemble de ces meacutecanismes (maintien de toute la STH obligation de reacutesultats sur un taux de surfaces cibles significatif pour le fonctionnement de lrsquoexploitation accompagnement et approche globale) contribuent agrave maintenir une diversiteacute de types de milieux agrave lrsquoeacutechelle du territoire Ces milieux incluent des surfaces particuliegraverement riches en matiegravere de diversiteacute

108 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

drsquoespegraveces dont lrsquoimportance deacutepend du niveau de contractualisation les surfaces cibles repreacutesentent respectivement 12 2 et 13 de la STH des ZIP du Beaujolais Vert du Haut-Jura et des Baronnies qui sont concerneacutees par la SHP 01

322 Comparaison et coheacuterence avec les MAEC agrave enjeux localiseacutes

Si lrsquoon compare la logique drsquoaction de la SHP 01 agrave celle de MAEC agrave enjeux localiseacutes (comme Herbe 07 et Herbe 09) on constate que la SHP 01 privileacutegie une entreacutee par le fonctionnement des exploitations herbagegraveres plutocirct que par les zonages environnementaux avec un objectif de changement durable plutocirct que de modification cibleacutee des modes de gestion (tableau 8) Cette approche permet donc drsquoaller au-delagrave du simple changement de pratiques permis par Herbe 07 et Herbe 09 Elle engendre eacutegalement des effets positifs indirects via lrsquoeacutevolution de lrsquoensemble du systegraveme

Drsquoautres MAEC agrave enjeux localiseacutes reacutepondant agrave des probleacutematiques speacutecifiques et demandant des modes de gestion particuliers sont cependant combineacutees agrave la SHP 01 comme crsquoest le cas de la MAEC laquo zones humides raquo dans le Beaujolais Vert qui vise la retenue et le drainage des zones humides

Tableau 8 - Comparaison des effets attendus entre SHP 01 et Herbe 0709SHP 01 Herbe 0709

Un outil agrave caractegravere laquo deacutefensif raquo (lutte contrehellip) et laquo systeacutemique raquo axeacute sur le fonctionnement global et qui integravegre lrsquoensemble des surfaces herbagegraveres

Un outil agrave caractegravere laquo parcellaire raquo et laquo offensif raquo axeacute sur la gestion cibleacutee de la biodiversiteacute

Ciblage des enjeux

Une mesure laquoinclusiveraquo qui prend en compte lrsquoensemble des surfaces pacirctureacutees et faucheacutees marginaliseacutees ou non quelle qursquoen soit la laquovaleurraquo (en particulier surfaces non classeacutees Natura 2000 mais preacutesentant des fonctionnaliteacutes inteacuteressantes en tant que milieux ouverts)

Un rocircle de lrsquoanimation neacutecessaire pour cibler les surfaces agrave enjeux

Un taux de surfaces cibles (20 agrave 50 ) qui permet drsquoinclure aussi des surfaces agrave enjeu fort drsquoembroussaillement ou drsquointensification

Un zonage possible des surfaces agrave forts enjeux de maintien de pratiques extensives agrave condition de pouvoir les deacutelimiter de maniegravere pertinente et fine

Le risque de deacutesengagement sur drsquoautres sur faces pouvant malgreacute tout ecirct re inteacuteressantes

Un r isque de non-engagement des surfaces embroussailleacutees en lien avec la regravegle de proratisation des aides surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes

Nature des effets

En plus du maintien de pratiques adapteacutees agrave une diversiteacute de surfaces cibles il y a un effet indirect sur le mode de gestion de lrsquoensemble des surfaces lieacute agrave lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation

Une mesure de laquomaint ienraquo qui ne permet pas drsquoencourager directement des eacutevolutions (ex reconquecircte de la biodiversiteacute)

Lrsquoalternative avec lrsquoagriculture biologique plus reacutemuneacuteratrice alors que les objectifs et effets attendus sont diffeacuterents et peuvent concerner drsquoautres product ions que lrsquoeacutelevage

Pas drsquoeffets a priori sur les autres parcelles de lrsquoexploitation non engageacutees

Un plan de gestion qui peut conduire agrave des eacutevolutions techniques de gestion pastorale

Cumul possible avec lrsquoagriculture biologique

Source auteurs volet 2 du rapport final page 57

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 109

Tableau 9 - Poids de lrsquoICHN et de la SHP 01 dans les aides pour les territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Cateacutegorie RICA Bovins lait Zone montagne ARA

Ovinscaprins Zone montagne ARA

Bovins lait Zone montagne ARA

Cas type

Bovin speacutecialiseacute lait dominante herbagegravere m o n t a g n e s a n s valorisation speacutecifique ndash Inosys

Preacute-alpes ovin speacutecialiseacute seacutedentaire ndash Inosys

L a i t i e r s s p eacute c i a l i s eacute s montagne foin ndash analyse d e g r o u p e c h a m b r e drsquoagriculture de lrsquoAin

Nombre de dossiers SHP 01 118 7 4

Montant SHP 01 par exploitation 5 230 euro 12 590 euro 3 520 euro

Montant de lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 36 842 euro 52 458 euro 50 553 euro 43 700 euro 36 842 euro 38 492 euro

Poids de lrsquoICHN dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 20 agrave 40 34 agrave 40 40

Poids de la SHP 01 dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 10 agrave 14 25 agrave 29 9 agrave 10

Revenu moyen drsquoapregraves les cas-types 70 072 euro 30 400 euro 60 792 euro

Poids de la SHP 01 dans le revenu 7 agrave 19 42 6 agrave 13

Source auteurs volet 2 du rapport final p 65

323 Coheacuterence de la SHP 01 avec lrsquoICHN

Les effets attendus de la SHP 01 (voir section 321) ne sont pas garantis par lrsquoICHN ce qui renforce la pertinence de la mesure en montagne Ainsi si lrsquoICHN agit indirectement sur le maintien des surfaces en herbe en soutenant lrsquoactiviteacute des eacutelevages herbagers de montagne elle ne joue pas de rocircle direct drsquoorientation des pratiques de pacircturage et de gestion des prairies agrave lrsquoeacutechelle parcellaire LrsquoICHN seule nrsquoempecircche ni le labour de prairies permanentes ni le sous ou le surpacircturage agrave lrsquoeacutechelle parcellaire ni des pratiques de fertilisation ou de fauche inadapteacutees

33 Contribution au revenu pour le maintien des eacutelevages de montagne

En montagne rhocircnalpine lrsquoICHN repreacutesente entre 20 et 40 des aides perccedilues par les eacutelevages (tableau 9) Si sur les trois territoires eacutetudieacutes le poids de la SHP 01 est moindre (entre 10 et 30 des aides) la contribution de la mesure au revenu reste significative lrsquoaide repreacutesenterait entre 7 et 20 du revenu des systegravemes bovins laitiers du Beaujolais Vert entre 6 et 13 du revenu des systegravemes laitiers AOP du Haut-Jura et 42 du revenu des systegravemes pastoraux des Baronnies Sur ce territoire ougrave le niveau de revenu est relativement bas et le poids des aides important cet effet est particuliegraverement fort Agrave noter que lrsquoapplication de la regravegle du prorata aux surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes (et donc engageacutees en SHP 01) reacuteduit le montant perccedilu sur les surfaces embroussailleacutees ce qui semble incoheacuterent avec le soutien agrave lrsquoeacutelevage pastoral

110 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Agrave lrsquoeacutechelle du territoire le soutien agrave lrsquoeacutelevage est lieacute au niveau de contractualisation de la mesure Ainsi le Beaujolais Vert eacutelargi qui affiche clairement cet objectif a deacuteployeacute une animation et des moyens importants amenant 118 agriculteurs agrave contractualiser la mesure soit 18 des exploitations eacuteligibles La contractualisation reste faible dans les Baronnies et le Haut-Jura

Lrsquoune des finaliteacutes du dispositif PAEC eacutetant de trouver des marges de peacuterennisation des pratiques lrsquoune des questions eacutevaluatives portait sur le possible effet de la SHP 01 sur la valorisation eacuteconomique Or la contribution de la SHP 01 agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits semble encore en ecirctre agrave ses balbutiements des territoires comme le Haut-Jura souhaitent renforcer la valorisation des productions AOP en mettant en valeur la preacuteservation de la biodiversiteacute des prairies via une deacutemarche collective dont la SHP 01 est un levier La SHP 01 peut aussi contribuer aux deacutemarches meneacutees par ailleurs sur la qualiteacute et la labellisation en lien avec les surfaces herbagegraveres par exemple en apportant des critegraveres pour des cahiers des charges Ce projet demande une appropriation de la composante laquo eacutecologique raquo des produits par les acteurs eacuteconomiques Neacuteanmoins il faut rappeler que le poids des facteurs exteacuterieurs (filiegraveres marcheacutes etc) est tregraves fort On peut supposer qursquoune telle valorisation est plus facile agrave envisager en circuits courts mais crsquoest une hypothegravese qui reste agrave confirmer

4 Deux facteurs renforccedilant lrsquoimpact de la SHP 01 en zone de montagne

41 Un levier pour le deacuteveloppement de lrsquoagro-eacutecologie sur les territoires de projet

La SHP 01 est perccedilue par les opeacuterateurs des PAEC comme un deacuteclencheur de deacutemarches collectives de reacuteflexion sur le systegraveme de production notamment du fait de son caractegravere systeacutemique (encadreacute 2)

Les opeacuterateurs (exemple du projet agro-eacutecologique du Pilat) mettent eacutegalement en avant un effet levier de la SHP 01 en faveur de la conversion agrave lrsquoagriculture biologique Toutefois celui-ci reste peu eacutevoqueacute par les agriculteurs ayant contractualiseacute la SHP 01 Ils ne sont que quelques-uns agrave envisager une conversion au bio laquo dans un deuxiegraveme temps raquo (la SHP 01 nrsquoest pas cumulable avec les mesures de soutien agrave lrsquoagriculture biologique) Les montants des aides agrave lrsquoagriculture biologique sont en geacuteneacuteral supeacuterieurs18 Pour eux comme pour les opeacuterateurs cette eacutevolution srsquoinscrirait dans le cadre drsquoune reacuteflexion et drsquoune volonteacute de progresser vers lrsquoagro-eacutecologie Les entretiens ont montreacute le rocircle des eacutechanges collectifs et de la deacutemonstration dans la prise de deacutecision des exploitants notamment pour des eacutevolutions telles que la conversion agrave lrsquoagriculture biologique

42 Une condition lrsquoingeacutenierie territoriale

Lrsquoanimation territoriale occupe une place deacuteterminante dans la contractualisation des MAEC mais aussi en amont et en aval de celles-ci (encadreacute 3) Les analyses montrent que les effets attendus de la SHP 01 sont drsquoautant plus marqueacutes qursquoil existe sur les territoires un

18 En Rhocircne-Alpes lrsquoaide agrave la conversion agrave lrsquoagriculture biologique va de 44 eurohaan (parcours landes estives) agrave 130 eurohaan lrsquoaide au maintien de 35 agrave 90 eurohaan le montant de la SHP 01 va de 58 agrave 147 eurohaan selon le niveau de risque (58 agrave 80 eurohaan pour les territoires eacutetudieacutes)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 111

Le Beaujolais Vert eacutelargi dont lrsquoun des objectifs est la mise en place drsquoune deacutemarche agro-environnementale nouvelle a deacuteployeacute des moyens drsquoanimation importants Deux journeacutees de formationsensibilisation ont eacuteteacute rendues obligatoires pour la contractualisation de la SHP 01 visant la sensibilisation aux enjeux du PAEC la formation agrave lrsquoautodiagnostic fourrager et agrave la reacutealisation de transects (traccedilage de lignes le long desquelles ils comptent la preacutesence de plantes indicatrices) Un accompagnement des besoins et des journeacutees drsquoeacutechange sont preacutevus La mesure est une opportuniteacute pour enclencher une dynamique agro-environnementale et lrsquoaccompagnement des agriculteurs dans un contexte ougrave le travail technique sur les prairies est tregraves peu deacuteveloppeacute contrairement aux Alpes du nord Ces formations contribuent aussi agrave favoriser une contractualisation importante le tout donnant de la visibiliteacute agrave la politique de deacuteveloppement agricole de la collectiviteacute

Le PNR du Haut-Jura mobilise la SHP 01 comme levier pour le lancement drsquoun groupe drsquoeacutechanges et de reacuteflexion sur le fonctionnement des exploitations et le progregraves vers lrsquoagro-eacutecologie Ce groupe pour lrsquoinstant organiseacute autour des agriculteurs ayant contractualiseacute est destineacute agrave accueillir les autres eacutegalement Des autodiagnostics des visites des fermes des eacutechanges des formations et tests sont preacutevus notamment autour du systegraveme fourrager et de la gestion diffeacuterencieacutee des surfaces au sein du systegraveme (surfaces difficiles drsquoutilisation embroussailleacutees prairies de fauche surfaces cibles etc) Il est envisageacute de valoriser les deacutemarches engageacutees aupregraves du grand public via le tourisme et la visibiliteacute des produits

Sur les Baronnies le PAEC permet lrsquoinstauration drsquoune dynamique agro-environnementale et lrsquoaffirmation du rocircle du PNR dans cette deacutemarche La SHP 01 contribue en particulier agrave la reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcours et doit permettre drsquoinitier des eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs Agrave noter que sur ce territoire le portage par le Parc naturel reacutegional a constitueacute un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs et donc agrave la contractualisation

Encadreacute 2 - Inteacutegration de la SHP 01 dans les projets agro-environnementaux des territoires-types

projet agro-eacutecologique assurant une coheacuterence entre le PAEC et drsquoautres deacutemarches (voir aussi Poux et al 2015 sur ces questions) Elles soulignent eacutegalement le rocircle important drsquoune ingeacutenierie territoriale adapteacutee adosseacutee agrave une volonteacute politique affirmeacutee et partageacutee Crsquoest notamment le cas des Parcs naturels reacutegionaux comme en teacutemoignent les exemples du Pilat ou du Haut-Jura porteurs historiques de projets agro-environnementaux et de nombreuses deacutemarches territoriales et aussi celui de certaines intercommunaliteacutes (Beaujolais Vert)

Dans la phase de montage du PAEC lrsquoanimation les journeacutees drsquoinformation les mailings mais aussi lrsquoimplication des eacutelus locaux facilitent lrsquoappropriation locale de la deacutemarche en srsquoappuyant sur la reconnaissance de la place drsquoune agriculture respectueuse de lrsquoenvironnement sur le territoire Ce sont lagrave des facteurs de motivation et de feacutedeacuteration des acteurs Le rocircle des groupements drsquoagriculteurs est aussi essentiel pour ancrer la dimension collective du projet (CUMA groupements lieacutes agrave des filiegraveres AOP produits labelliseacutes etc)

Dans la phase de contractualisation le multi-partenariat (opeacuterateurs structures techniques agricoles et acteurs environnementaux) permet de proposer une vision partageacutee et de multiplier les relais drsquoinformation et drsquoaccompagnement (diagnostics drsquoexploitation notamment) Des formations sur la SHP mais aussi plus cibleacutees (par exemple des formations agrave la botanique en Massif central) sont particuliegraverement utiles Agrave noter que des mesures drsquoaccompagnement ne sont pas toujours mises en place lorsque la SHP 01 est activeacutee

112 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Si les analyses restent agrave poursuivre pour eacutevaluer pleinement la strateacutegie reacutegionale drsquoactivation de la mesure SHP 01 la premiegravere eacutetape du dispositif (lrsquoeacutevaluation ex ante) permet deacutejagrave de mettre en avant plusieurs reacutesultats Tout drsquoabord la SHP 01 est adapteacutee pour reacutepondre agrave certains enjeux rencontreacutes sur les territoires de montagne (fermeture des milieux intensification et plus rarement retournement des prairies permanentes) et qui ne sont pas couverts par lrsquoICHN De plus pour des systegravemes de production fragiles etou fortement deacutependants des aides la SHP 01 contribue de maniegravere significative au revenu et au maintien de lrsquoactiviteacute en compleacutement de lrsquoICHN Le soutien de lrsquoensemble des aides agrave lrsquoeacutelevage de montagne conditionne in fine les effets environnementaux de la SHP 01 Les effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sont particuliegraverement marqueacutes sur les territoires

Sur le Beaujolais Vert eacutelargi un partenariat engage la Chambre drsquoagriculture et le Conservatoire des espaces naturels agrave accompagner la Communauteacute drsquoagglomeacuteration de lrsquoouest rhodanien dans lrsquoanimation du dispositif (14 ETP au total) Plusieurs deacutemarches existaient deacutejagrave sur le territoire dont sept contrats de riviegravere

Le PNR du Haut-Jura dispose de compeacutetences agro-environnementales en interne et drsquoun reacuteseau de partenaires historiques dont la Socieacuteteacute drsquoeacuteconomie montagnarde de lrsquoAin la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAin et la Reacuteserve naturelle national de la haute-chaicircne du Jura La deacutemarche du PAEC srsquoarticule avec les nombreux programmes deacutejagrave en place Leader Psader Interreg contrats de riviegravere Natura 2000 etc

Le PNR des Baronnies provenccedilales travaille notamment en partenariat avec les Chambres drsquoagriculture de la Drocircme et des Hautes-Alpes et lrsquoAssociation deacutepartementale drsquoeacuteconomie montagnarde (ADEM) Ce partenariat preacutevoit un accompagnement de la Chambre drsquoagriculture agrave la contractualisation des MAEC pour les eacuteleveurs individuels et de lrsquoADEM pour les Groupements pastoraux Le PNR porte lrsquoanimation du site Natura 2000 Gorges de lrsquoEygues Les actions drsquoaccompagnement srsquoinscrivent pour partie au sein du PSADER et du LEADER Des suivis appuis techniques journeacutees drsquoeacutechange tourneacutees et formations sont preacutevus

Encadreacute 3 - Lrsquoingeacutenierie territoriale sur les laquo territoires-types

Le retard pris dans la mise agrave disposition de creacutedits pour ces mesures impacte la mise en œuvre de ces actions et la dynamique partenariale donc lrsquoensemble de la logique drsquoaction en particulier pour les opeacuterateurs pouvant plus difficilement mobiliser drsquoautres sources de financement

Enfin le suivi de la mise en œuvre et lrsquoeacutevaluation demandent un processus de formation reacuteciproque et continu entre agriculteurs techniciens agricoles et acteurs de lrsquoenvironnement en particulier srsquoil y a une population cible importante et un grand nombre de contractants

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 113

porteurs de projets de type agro-eacutecologique qui peuvent se trouver en zone de montagne comme de plaine Autre reacutesultat important la plus-value de la SHP 01 provient de son approche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation de lrsquoopportuniteacute qursquoelle creacutee pour le deacuteveloppement de deacutemarches collectives et de reacuteflexions favorables agrave des changements durables via son inteacutegration agrave une strateacutegie agro-eacutecologique territoriale porteacutee et partageacutee

Lrsquoeacutetude souligne cependant la neacutecessiteacute drsquointerroger certaines modaliteacutes de mise en œuvre de la SHP 01 pour ameacuteliorer son efficaciteacute Ainsi celles portant sur le choix des surfaces cibles pourraient ecirctre discuteacutees dans le cadre drsquoun reacuteseau drsquoanimateurs des PAEC afin drsquoameacuteliorer leur adaptation aux enjeux locaux De plus les conditions drsquoapplication de la regravegle du prorata pour la mesure SHP 01 devraient ecirctre revues afin drsquoeacuteviter des effets contre-productifs

Ce travail invite eacutegalement agrave renforcer le lien entre les MAEC et les mesures drsquoaccompagnement dans le montage des dossiers de candidature des PAEC notamment en seacutecurisant des creacutedits pour le conseil et lrsquoanimation Il encourage lrsquoapproche systeacutemique et lrsquoaccompagnement pour maicirctriser les charges et le revenu notamment agrave travers une meilleure valorisation des surfaces herbagegraveres Enfin il souligne lrsquointeacuterecirct qursquoaurait une analyse preacutecise des beacuteneacutefices et des coucircts eacuteviteacutes par la preacuteservation des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique et des conditions de valorisation de ces beacuteneacutefices aupregraves des beacuteneacuteficiaires que sont les eacutelus et les habitants

114 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

ACTeon EnvironnementGeacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018a Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 1 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018b Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 2 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil 2018c Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne Manuel drsquoappui aux eacutevaluations rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Conseil r eacutegional Rhocircne-Alpes 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Rhocircne-Alpes

Conseil r eacutegional Auvergne 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Auvergne

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2014 Appel agrave candidatures Campagne 20152016 Mesure 101 Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) Cahier des charges pour la constitution drsquoun projet agroenvironnemental et climatique (PAEC)

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2015 Reacuteduire les pressions agricoles et geacuterer durablement les ressources naturelles avec les mesures agroenvironnementales et climatiques note drsquoaccompagnement de lrsquoappel agrave candidature

Feacutedeacuterati on des Parcs naturels reacutegionaux 2015 Mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle guide de recommandations

Hanus A Kervarec F Strosser P Saint-Pierre C Hanus G Forget V 2017 Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoindemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) principaux reacutesultats Analyse ndeg 106 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Ministegraver e de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 2017 Instruction technique Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides agrave lrsquoagriculture biologique de la peacuteriode 2015-2020 - Annexe 8 compilation des types drsquoopeacuterations simplifieacutes 2015

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 115

Panarin M Contou C Le Borgne G Penouilh-Suzette J Midler E Hugonnet M 2018 Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) et agro-eacutecologie Analyse ndeg 119 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Poux X Faure J-B Villien C 2015 Des projets agro-environnementaux innovants inteacutegreacutes et collectifs quelques enseignements tireacutes de lrsquoanalyse drsquoexpeacuteriences de terrain Analyse ndeg 76 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Candidature et notices du PAEC Beaujolais Vert Communauteacute de communes Ouest Rhodanien 2014 2017

Candidature et notices du PAEC Pilat PNR Pilat 20142017

Candidature et notices du PAEC Haut-Jura PNR Haut-Jura 20142017

Candidature et notices du PAEC Pentes et montagne drsquoArdegraveche PNR Ardegraveche 20142017

Candidature et notices du PAEC Vercors PNR Vercors 20142017

Candidature et notices du PAEC Chartreuse PNR Chartreuse 20142017

Candidature et notices du PAEC Baronnies drocircmoises PNR Baronnies provenccedilales 20142017

116 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 117

Note de lecture

En 1765 Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un gueacuteridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies Premier des laquo restaurateurs raquo il brave ainsi les interdits de lrsquoAncien Reacutegime empecircchant tout particulier traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermeacute pourvu de tables individuelles Ce nouveau type drsquoeacutetablissements se diffuse ensuite rapidement une clientegravele de plus en plus large appreacuteciant les plats varieacutes agrave prix fixes choisis dans un menu Avec la Reacutevolution les nombreux cuisiniers des princes eacutemigreacutes srsquoeacutetablissent agrave leur compte et acceacutelegraverent le passage de la gastronomie aristocratique codifieacutee agrave la cuisine bourgeoise plus inventive

De lrsquoEmpire jusqursquoau deacutebut des anneacutees 1820 le Palais-Royal est lrsquoeacutepicentre de cette restauration franccedilaise et mecircme mondiale associant le reacutegal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair crsquoest lagrave que se deacutecident lrsquohoraire du dicircner lrsquoordre des plats leurs preacutesentations les maniegraveres de nommer et tarifer Un trio ceacutelegravebre marque cette eacutepoque Carecircme inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de lrsquohistoire Grimod de La Reyniegravere preacutecurseur de la critique gastronomique Brillat-Savarin philosophe heacutedoniste et theacuteoricien du sensible

R ien qu rsquoagrave Par i s on c ompte t ro i s c en t s laquo restaurants raquo en 1804 un millier en 1825 deux mille en 1834 En 1835 le mot entre dans le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Durant les anneacutees 1820-1840 les eacutetablissements les plus fameux migrent sur le laquo Boulevard parisien raquo entre la Bastille et la Madeleine Cacheacute des regards exteacuterieurs dans un entre-soi eacutelitiste et mondain le luxe de la table restauratrice devient un spectacle

partageacute creacuteateur de connivences et de distinctions sociales le tout ponctueacute de notes exorbitantes

Dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes de faccedilon variable selon leurs statuts et leurs clientegraveles restaurants laquo agrave la carte raquo reacuteserveacutes aux fortuneacutes laquo agrave prix fixe raquo pour les bourses moyennes laquo bouillons raquo pour les moins argenteacutes Les laquo brasseries raquo quant agrave elles se deacuteveloppent surtout apregraves 1870 et la perte de lrsquoAlsace-Lorraine faisant revivre les provinces perdues agrave travers leurs speacutecialiteacutes culinaires arroseacutees de flots de biegravere Et alors apparaicirct Escoffier creacuteateur de la pecircche Melba ancien responsable des cuisines de lrsquoarmeacutee du Rhin qui impose une division du travail inspireacutee du fonctionnement militaire avec ses laquo chefs raquo laquo brigades raquo laquo fusils raquo et laquo coups de feu raquo Plus tard associeacute agrave Ceacutesar Ritz il introduit le restaurant dans les palaces permettant aux eacutelites internationales de venir ndash dans le confort et la discreacutetion ndash festoyer agrave la franccedilaise

Agrave la fin du XIXe siegravecle agrave Paris sur pregraves drsquoun million drsquohabitants cent mille dicircnent quotidiennement au restaurant Plus geacuteneacuteralement 130 ans seulement apregraves le coup drsquoeacuteclat de Roze de Chantoiseau la France dispose drsquoune large gamme drsquoeacutetablissements en tous lieux de tous deacutecors pour toutes cuisines ougrave lrsquoon rassasie les panses en faisant la conversation et synonymes de laquo franciteacute raquo dans le monde entier

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

DE BAECQUE AntoineLa France gastronomeComment le restaurant est entreacute dans notre histoirePayot 2019 235 pages

118 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Les eacuteditions Armand Colin sont reacuteputeacutees pour la qualiteacute de leurs manuels universitaires Celui-ci consacreacute agrave lrsquoanalyse sociologique du fait alimentaire ne ternira pas cette image Clairement reacutedigeacute tregraves documenteacute associant constamment lrsquoeacutevolution des reacutealiteacutes et celle des concepts theacuteoriques il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels

Lrsquoalimentation vue par le sociologue ce sont drsquoabord des processus de socialisation des types de consommation conditionneacutes par des styles de vie ou des budgets des normes qui reacutegulent les besoins lrsquoexpression ineacutegalitaire et genreacutee de goucircts et de deacutegoucircts Ce sont aussi des tacircches meacutenagegraveres et du travail domestique des rapports agrave la tradition et agrave la nouveauteacute des cuisines reacutegionales ou familiales lrsquoexpression drsquohabitus et de frontiegraveres qui distinguent les geacuteneacuterations les groupes sociaux ou les nations Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informeacutes critiques et meacutefiants libres mais moutonniers

Lrsquoalimentation du sociologue crsquoest aussi lrsquoinsertion du mangeur dans un vaste systegraveme culturel fait de valeurs de croyances religieuses de maniegraveres de tables de rites et de signes identitaires agrave deacutecoder Lrsquoheacuteritage historique ou les traditions inventeacutees sont une richesse patrimoniale en mecircme temps qursquoun espace symbolique assurant des revenus eacuteconomiques et des freacutequentations touristiques Loin de gommer les diffeacuterences et de conduire agrave lrsquooccidentalisation des assiettes la mondialisation a multiplieacute les transferts interculturels et les eacutechanges de recettes

La sociologie srsquointeacuteresse aussi aux politiques nutritionnelles des Eacutetats aux strateacutegies des entreprises agroalimentaires aux actions des

associations et ONG aux prises de position des chercheurs et meacutedecins Ces diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs sont en constante interaction qursquoil srsquoagisse de normer des produits drsquoencadrer les marcheacutes de reacuteguler les innovations techniques de garantir la santeacute des populations ou de preacutevenir des risques

Lrsquoouvrage nrsquooublie pas de retracer lrsquohistoire des nombreux mouvements de reacuteforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire depuis lrsquoancienne eacuteducation agrave lrsquoeacuteconomie meacutenagegravere des familles pauvres jusqursquoaux plus reacutecentes injonctions nutritionnelles et sanitaires en passant par les constantes critiques de lrsquoindustrialisation et la promot ion de modegraveles a l ternat i f s veacutegeacutetarisme veacutegeacutetalisme veacuteganisme flexitarisme instinctotheacuterapie lutte contre le gaspillage recyclage circuits courts durabiliteacute et retour agrave la nature etc

Cette lecture srsquoimpose agrave tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systegravemes et conduites alimentaires tant en France que sous drsquoautres latitudes ou dans drsquoautres egraveres culturelles Ils constateront que la sociologie de lrsquoalimentation riche de ses meacutethodes et de ses reacutesultats est aussi une excellente introduction agrave la sociologie geacuteneacuterale des socieacuteteacutes contemporaines

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

CARDON Philippe DEPECKER Thomas PLESSZ MarieSociologie de lrsquoalimentationArmand Colin 2019 234 pages

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 119

Note de lecture

POURQUERY DidierUne histoire de hamburger-fritesRobert Laffont juin 2019 172 pages

Cet essai alerte eacutecrit par lrsquoeacutecrivain et journaliste Didier Pourquery conte drsquoun humour grinccedilant lrsquoeacutepopeacutee de cette reacutefeacuterence mondiale du fast-food qursquoest le hamburger-frites Il nrsquoen propose pas une analyse ample et deacutetailleacutee mais comme le titre le suggegravere nous livre plutocirct son regard personnel et sensible Srsquoinspirant de lrsquoempilage drsquoun Big Mac son reacutecit comporte six tranches de reacuteflexions tout en restant tregraves digeste et plaisant

La premiegravere tranche faite drsquohistoire rappelle les origines puis les grandes dates du hamburger ses lieux de naissance et de diffusion ses creacuteateurs et leurs recettes ses leacutegendes doreacutees et ses eacutechecs retentissants ses cocircteacutes folkloriques ou capitalistes aux Eacutetats-unis comme en France ou ailleurs La deuxiegraveme tranche de sociologie deacutecrit les valeurs les habitudes et les comportements du fast-fooder qui commande machinalement son burger au milieu drsquoun capharnauumlm multicolore et bruyant puis commence toujours par piquer une frite avant de manger agrave pleines mains ndash reacutegression enfantine ndash son monticule instable drsquoingreacutedients tiegravedes et mous toujours fuyants La tranche suivante de geacuteographie eacutevoque les lieux de cette consommation rituelle chaicircnes internationales installeacutees pregraves des centres commerciaux et des eacutechangeurs routiers eacutetablissements franchiseacutes ou appartenant agrave leur maison-megravere ou bien restaurants de quartiers populaires ou plus chics voire tregraves chics et chers Arrive ensuite la tranche nutritionnelle qui revient sur des sujets si souvent deacutebattus qualiteacute et quantiteacute des ingreacutedients pheacutenomegravenes drsquoaddiction risque de suralimentation et surpoids pathologies associeacutees mais aussi reacuteaction rapide des grandes enseignes devant lrsquoaccumulation de critiques en supprimant les

portions super size au profit de leacutegumes fruits et eau mineacuterale Lrsquoavant-derniegravere tranche drsquoeacuteconomie nrsquooublie pas qursquoun tel succegraves mobilise de par le monde des centaines de milliers de restaurants des millions de salarieacutes des dizaines de milliards de clients annuels (22 rien que pour McDo dans 118 pays) le tout appuyeacute sur des organisations tayloriennes de travail tregraves eacuteprouveacutees et rentables qui distribuent de petits salaires en rationalisant toujours plus la logistique lrsquoespace des cuisines les machines les cadences les liens avec les clients Enfin la sixiegraveme tranche prospective reacutecense quelques unes des mutations agrave lrsquoœuvre ou promises neacuteo-burgers bio et vegan pour millennials et ensuite faits de viande artificielle recettes exotiques faccedilon world food ou au contraire adapteacutees aux gastronomies nationales robots cuiseurs-assembleurs-distributeurs permettant drsquoaugmenter encore la productiviteacute etc

Cet ouvrage montre une fois de plus que tout nrsquoest pas alimentaire dans lrsquoalimentation en mangeant le contenu de son assiette on met aussi en oeuvre des valeurs et de la culture des rites et du simulacre quelques goucircts et beaucoup drsquohabitudes Agrave lrsquoinstar de Roland Barthes (Mythologies 1957) qui voyait dans le bifteck-frites lrsquoun des plus beaux mythes de la cuisine franccedilaise Didier Pourquery juge que lrsquohamburger-frites est pour le meilleur et pour le pire au cœur des grandes leacutegendes de lrsquoalimentation mondiale contemporaine

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

120 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

COMBRIS PierreAgrave la table de lrsquoHomo economicus De la subsistance agrave lrsquoabondanceTallandier Fondation Nestleacute France juin 2019 192 pages

Dans cet ouvrage publieacute aux eacuteditions Tallandier avec le soutien de la Fondation Nestleacute France Pierre Combris directeur de recherche honoraire agrave lrsquoInra propose une lecture eacuteconomique de lrsquoalimentation Ce laquo cas drsquoeacutecole raquo est lrsquooccasion de preacutesenter les deacutemarches et eacutevolutions des analyses eacuteconomiques de citer des contributeurs majeurs (R Fogel B Popkin G Stigler notamment) et drsquoillustrer les concepts mobiliseacutes (productiviteacute surplus prix complet externaliteacutes etc) pour mettre en lumiegravere les grands deacuteterminants des eacutevolutions alimentaires leurs conseacutequences ainsi que les deacutefis actuels pour lrsquoaction publique

La premiegravere eacutetape de ce parcours montre comment la subsistance alimentaire a deacutetermineacute pendant une grande partie de lrsquohistoire humaine la seacutelection des aliments et le souci de reacuteduire leurs coucircts drsquoacquisition et de production Les transitions nutritionnelles contemporaines la geacuteneacuteralisation de lrsquoabondance et ses limites sont traiteacutees dans la deuxiegraveme partie La troisiegraveme srsquointeacuteresse aux effets de cette abondance sur les compor tements deacuteveloppement de la surconsommation controcircle individuel difficile du fait des sollicitations environnementales coucircts sociaux croissants injustices La derniegravere partie srsquointerroge sur les contributions possibles des approches eacuteconomiques pour reacutepondre aux deacutefis poseacutes par

les choix alimentaires des consommateurs (santeacute environnement ineacutegaliteacutes etc) Elle aborde des points cleacutes pour lrsquoaction publique et souligne que les motivations des individus sont freacutequemment sous-estimeacutees (voire ignoreacutees) par les interventions visant agrave accompagner des changements de comportements

En conclusion Pierre Combris rappelle que laquo manger a toujours un prix explicite ou implicite raquo et que la dimension eacuteconomique est omni-preacutesente dans les deacutecisions alimentaires Si les coucircts de chaque option devraient ecirctre refleacuteteacutes par le prix comme signal creacutedible il se demande au vu des impacts sanitaires et environnementaux si nous payons laquo le vrai prix de ce que nous mangeons raquo Au-delagrave il souligne que toute eacutevolution durable des comportements ne peut passer que par lrsquoadheacutesion agrave des valeurs et que ce sont laquo les preacutefeacuterences des mangeurs et les repreacutesentations symboliques de lrsquoalimentation de sa production et de sa consommation qui auront le dernier mot raquo

Julia GassieCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAjuliagassieagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 121

Note de lecture

POUZENC MichaeumllCommerce et ruraliteacute La laquorenaissance ruraleraquo drsquoun siegravecle agrave lrsquoautre Presses universitaires du Midi janvier 2019 187 pages

Cet ouvrage ducirc agrave Michaeumll Pouzenc professeur de geacuteographie agrave lrsquouniversiteacute de Toulouse analyse les rapports entre commerce alimentaire et ruraliteacute Aujourdrsquohui dire que le commerce a disparu de lrsquoespace rural est un lieu commun Agrave lrsquoencontre de ce preacutejugeacute dominant il montre que si la reacuteduction du nombre de petits magasins traditionnels est bien reacuteelle elle a eacuteteacute largement compenseacutee par lrsquoinstallation de supeacuterettes ou supermarcheacutes de la grande distribution qui certes appliquent des modegraveles identiques agrave tous les territoires qursquoils occupent mais en veillant aussi agrave srsquoadapter aux demandes speacutecifiques des consommateurs locaux Drsquoautres formes nouvelles drsquoinstallations reacutecentes (boutiques multiservices vente de plats agrave emporter ou de produits bios etc) participent de cette mecircme vitaliteacute rurale

En mecircme temps que la ruraliteacute accueille et conditionne certains types de commerce le commerce contribue agrave faccedilonner de nouveaux rapports agrave la ruraliteacute Petits magasins comme grandes enseignes mettent en avant les produits du terroir les agriculteurs des environs les partenariats locaux et la consommation citoyenne De leur cocircteacute les circuits alternatifs de vente directe (AMAP etc) amegravenent les vendeurs et acheteurs agrave construire ou reconstruire de nouvelles images de la ruraliteacute faites drsquoengagements (deacuteveloppement durable achats eacutequitables) de reacuteappropriations symboliques de nouvelles repreacutesentations des campagnes et de la nature

Au total les nombreuses eacutetudes de cas mobiliseacutees dans ce livre montrent que ni le commerce

alimentaire rural ni la ruraliteacute ne deacuteclinent Ils ne srsquoexcluent pas non plus alors mecircme que nous vivons dans une socieacuteteacute de consommation tregraves urbaniseacutee et agrave forte mobiliteacute Pour lrsquoauteur dans leur grande majoriteacute en France les zones rurales ne sont pas des lieux de crise et de releacutegation mais des espaces vivants en constante modernisation ougrave s rsquo i nventent l es nouveaux rappor t s agrave lrsquoenvironnement agrave la production alimentaire et agrave lrsquoameacutenagement des territoires Nous vivons dans une socieacuteteacute globale qui reconfigure constamment ses espaces que ceux-c i soient urbains peacuteri-urbains ou ruraux Plus geacuteneacuteralement laquolrsquourbanisation du monde nrsquoempecircche pas une omnipreacutesence de la ruraliteacute (p 132)

Fort de ces constats lrsquoauteur examine dans la derniegravere partie du livre les tendances agrave la laquo renaissance rurale raquo observeacutees ces derniegraveres deacutecennies qursquoelles soient lieacutees ou pas agrave la question du commerce Lrsquointeacuterecirct de ces pages reacuteside dans les reacuteflexions sur la transformation des laquo fonctions raquo du rural et sur lrsquoeacutevolution des valeurs et normes utiliseacutees par les diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs pour dire ce qursquoest ou ce que nrsquoest pas la laquo ruraliteacute raquo On y trouvera eacutegalement une inteacuteressante relecture critique des principaux exercices de prospective consacreacutes agrave la France rurale depuis le deacutebut des anneacutees 2000

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

122 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

PORCHER JocelyneCause animale cause du capitalEacuteditions Le Bord de lrsquoeau septembre 2019 120 pages

Depuis 2013 et la mise en scegravene de la deacutegustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur neacuteerlandais M Post des star t-up toujours plus nombreuses cherchent agrave appliquer les principes de lrsquoingeacutenierie tissulaire agrave la production alimentaire Dans un court ouvrage au ton vif voire pamphleacutetaire J Porcher (Inra) analyse les implications de lrsquoeacutemergence de ce nouveau type de produits pour lrsquoeacutelevage et nos relations avec les animaux

La viande de synthegravese et les substituts proteacuteineacutes sont preacutesenteacutes par les entrepreneurs mais aussi par certains militants veacutegans comme une reacuteponse radicale agrave quatre problegravemes lrsquoaugmentation de la demande alimentaire mondiale les impacts de la consommation de produits carneacutes sur la santeacute humaine la lutte contre les deacutegradations environnementales et les conditions de vie des animaux Cette innovation biotechnologique srsquoaccompagne drsquoune intense activiteacute de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabiliteacute sociale J Porcher considegravere que la terminologie utiliseacutee (laquo clean meat raquo ou laquo viande propre raquo laquo agriculture cellulaire raquo ou plus reacutecemment laquo viande cultiveacutee raquo) est au cœur drsquoune veacuteritable laquo bataille seacutemantique raquo et ideacuteologique orchestreacutee par des multinationales des biotechnologies et de lrsquoagroalimentaire avec le concours des associations abolitionnistes visant agrave laquo discreacutediter

tous les produits animaux sans distinction de systegravemes de production raquo et laquo agrave deacutegoucircter les consommateurs de la viande raquo

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale et en particulier les interventions tregraves meacutediatiseacutees de L214 elle passe aussi en revue une seacuterie de reacutefeacuterences theacuteoriques (Singer Francione Donaldson et Kymlicka notamment) et soutient qursquoelles occultent les relations de travail noueacutees avec les animaux de ferme ainsi que les formes drsquoexploitation et de domination qui pegravesent en commun sur les animaux et sur les humains Ce faisant les militants abolitionnistes laquo acceptent les regravegles du jeu eacuteconomique en vigueur raquo et servent degraves lors selon elle les inteacuterecircts du capitalisme et de lrsquoindustrie Le propre point drsquoappui normatif de J Porcher lrsquoeacutelevage traditionnel en petite ferme bien distinct des laquo productions animales raquo industrialiseacutees mises en place dans les anneacutees 1960 est expliciteacute seulement en ouverture du dernier chapitre avant un panorama mondial des entreprises impliqueacutees dans la recherche sur la viande in vitro

Florent BidaudCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAflorentbidaudagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 123

Note de lecture

Le rappo r t c hangean t que l es huma ins entretiennent avec la nature est scandeacute de grandes repreacutesentations mentales Apregraves la peacuteriode tregraves laquoenvironnementraquo des anneacutees 1970 il y eut des phases laquodeacuteveloppement durableraquo puis laquotransition eacutenergeacutetiqueraquo et laquoreacutechauffement climatiqueraquo Nous sommes maintenant dans une forte seacutequence laquobiodiversiteacuteraquo Utiliseacute par tous en toutes occasions ce terme galvaudeacute meacutelange craintes et espeacuterances science et ideacuteologie discours et reacutealiteacutes Le catastrophisme meacutediatique de la laquosixiegraveme grande extinctionraquo en est un bel exemple de mecircme que la perception systeacutematiquement positive drsquoune biodiversiteacute bonne laquoen soiraquo

Alain Paveacute (biomeacutetricien professeur eacutemeacuterite de lrsquouniversiteacute de Lyon) a eacutecrit ce livre pour nous aider agrave distinguer le vrai du faux Ni pessimiste ni optimiste faisant preuve de mesure et de reacutealisme critique il procircne le doute scientifique eacutevacue les ideacutees reccedilues et preacuteconise une analyse plus fine et complexe des meacutecanismes agrave lrsquoœuvre en y incluant les derniers deacuteveloppements de lrsquoeacutevolutionnisme darwinien du calcul des probabiliteacutes et des theacuteories du hasard

Le but de son ouvrage est aussi drsquoexposer de reacuteels sujets de preacuteoccupation pour les acteurs en particulier publics concernant lrsquoorigine et la mesure de la diversiteacute du vivant les beacuteneacutefices qursquoon peut en tirer son rocircle dans le fonctionnement de la biosphegravere le potentiel eacutevolutif qursquoelle repreacutesente en fonction de choix varieacutes de politiques Il insiste eacutegalement de chapitre en chapitre sur les dimensions eacuteconomiques techniques culturelles et mecircme religieuses du sujet

En faisant de la laquobiodiversiteacuteraquo (neacuteologisme creacuteeacute en 1985) un synonyme vague de la laquonatureraquo la penseacutee eacutecologique contemporaine court selon lrsquoauteur un grand risque drsquoappauvrissement et de dilution Il importe donc de revenir agrave une deacutefinition plus rigoureuse du concept si on souhaite avoir des programmes drsquointerventions plus adapteacutees et des actions correctrices plus efficaces

Plus profondeacutement encore les approches et les meacutethodes scientifiques doivent aussi se renouveler et plusieurs pistes lui semblent prioritaires cesser de penser les milieux en termes drsquoeacutequilibre et reacutevoquer en doute lrsquoexpression laquobon eacutetat eacutecologiqueraquo si priseacutee des administrations abandonner les visions finalistes et fixistes qui ceacutelegravebrent la laquoprotectionraquo la laquopreacuteservationraquo et la laquoconservationraquo admettre que comptabiliser les espegraveces est insuffisant et que si la laquoloi aire-espegravecesraquo fonctionne bien pour eacutevaluer leur nombre elle ne marche pas pour estimer leur disparition arrecircter de confondre les reacutesultats des modegraveles speacuteculatifs avec la reacutealiteacute qui adviendra reconnaicirctre que lrsquoaleacuteatoire joue un rocircle fondamental dans les dynamiques biologiques Paveacute critique eacutegalement la formule laquoservices rendus par les eacutecosystegravemesraquo pour lui soit elle veut dire que la nature nous offre des prestations ce qui est reconnu depuis lrsquoaube de lrsquohumaniteacute soit elle signifie que la nature est bien intentionneacutee en oubliant qursquoexistent au moins autant de fonctionnaliteacutes neacutegatives

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

PAVEacute AlainComprendre la biodiversiteacuteVrais problegravemes et ideacutees faussesEacuteditions du Seuil 2019 361 pages

124 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Dans cet ouvrage collectif publieacute en octobre 2019 les auteurs analysent les liens entre agriculture et qualiteacute de lrsquoair en France et en Europe de lrsquoOuest Leur but est de mettre agrave disposition de tout acteur concerneacute par ce sujet une synthegravese des connaissances actuelles Ils deacutecrivent le contexte et lrsquohistoire de cette probleacutematique et preacutesentent les diffeacuterents polluants atmospheacuteriques produits par ou impactant lrsquoagriculture ainsi que les meacutethodes permettant de les mesurer ou de modeacuteliser leur eacutemission La derniegravere partie propose une reacuteflexion sur le passage du diagnostic agrave la mise en œuvre drsquoactions de reacuteduction de ces pollutions

Lrsquoagriculture est source de nombreux polluants atmospheacuteriques par exemple 94 des eacutemissions drsquoammoniac en sont issus de mecircme que 54 des particules totales en suspension (essentiellement des PM10) Pourtant les auteurs soulignent que la prise de conscience par la socieacuteteacute de lrsquoimpact de lrsquoagriculture sur la qualiteacute de lrsquoair srsquoest seulement faite dans les anneacutees 2000 et qursquoil a fallu attendre 2010 pour que le secteur reconnaisse sa propre vulneacuterabiliteacute face agrave ces polluants Par exemple lrsquoammoniac favorise lrsquoacidification des sols ce qui diminue leur fertiliteacute et joue sur les rendements Selon eux il est probable qursquoagrave lrsquoavenir la pression

BEDOS Carole et al (coord)Agriculture et qualiteacute de lrsquoair Comprendre eacutevaluer agirEacuteditions Quaelig octobre 2019 324 pages

Niveaux drsquoaction du cadre leacutegislatif appliqueacute en France pour lutter contre les eacutemissions de polluants atmospheacuteriques drsquoorigine agricole

Source Eacuteditions Quae

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 125

de lrsquoopinion publique pour reacuteduire les eacutemissions drsquoorigine agricole srsquoaccentue parallegravelement agrave lrsquoaugmentation des aires drsquoinfluence des villes et donc des interfaces avec lrsquoagriculture

Lrsquoouvrage dresse par ailleurs un panorama du corpus reacuteglementaire relatif aux eacutemissions dues agrave lrsquoagriculture (voir figure) et alerte sur le risque drsquoincoheacuterences et drsquoinefficaciteacute ducirc agrave lrsquoempilement des textes et au manque de coordination entre ceux-ci Ainsi leur mise en œuvre srsquoavegravere difficile et la France est par exemple attaqueacutee devant la Cour de justice europeacuteenne pour non-respect des valeurs limites dans lrsquoair pour le NO2

Afin drsquoameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair les auteurs envisagent des actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation (changement de pratiques etc) mais aussi agrave des

eacutechelles plus larges On peut citer entre autres les leviers suivants modifier la mosaiumlque paysagegravere pour maximiser la recapture locale de polluants positionner les sources eacutemettrices importantes loin des zones sensibles (zones proteacutegeacutees par exemple) reacutepartir les eacutemissions dans le temps et dans lrsquoespace pour eacuteviter des pics de concentration et donc maintenir une diversiteacute des productions dans chaque bassin Ils soulignent enfin que la mise en œuvre de ces leviers devra ecirctre adapteacutee au contexte local

Aurore PayenCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

aurorepayenagriculturegouvfr

126 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

VALLAEYS AnneHautes solitudes Sur les traces des transhumants2017 reacuteeacutedition juin 2019 en version de poche Eacuteditions La Table Ronde 250 pages

Auteure de romans enquecirctes et essais remarqueacutes Anne Vallaeys raconte dans cet ouvrage-ci sa longue marche depuis Arles (plaine de Crau) jusqursquoau Laverq (haute Ubaye) sur les anciens chemins de la laquo grande transhumance raquo Au fil drsquoune vingtaine de journeacutees srsquoeacutetirant sur pregraves de quatre cents kilomegravetres agrave raison de trois kilomegravetres par heure (tempo jadis des brebis) elle livre ses reacuteflexions et eacutemotions ses eacutemerveillements ou deacuteceptions ses belles rencontres ou tristes constats Elle nrsquoa pas son pareil pour deacutecrire les paysages la veacutegeacutetation les ruisseaux la faune sauvage ou domestique le loup qui rocircde ou le chien qui veille Elle nous entraicircne dans les vastes reliefs montagneux comme dans le deacutesordre des sentiers cacheacutes entre fortes chaleurs et gros orages On se repose avec elle dans les bourgs-eacutetapes agrave la deacutecouverte des habitants et de leurs histoires familiales des speacutecialiteacutes agricoles des produits locaux et de lrsquoesprit des lieux

Aussi prenante soit-elle cette marche est aussi et surtout un preacutetexte pour deacutecrire le pastoralisme drsquohier (et drsquoaujourdrsquohui) pour conter la grande leacutegende des transhumants En suivant la routo mythique qursquoempruntaient jadis les brebis pour gagner les alpages Vallaeys fait revivre les traditions disparues Telle valleacutee tel pont telle vieille fontaine sont des accroches drsquoougrave resurgit le passeacute agrave travers photos vieux l ivres et

teacutemoignages Tout reprend alors vie par bribes la laquo peuplade timide raquo des reacutetifs bergers le rassemblement du laquogrand troupeauraquo de plusieurs dizaines de milliers de tecirctes la poussiegravere souleveacutee sur le laquo grand chemin raquo le vacarme de sonnailles et de becircleacutees les vapeurs musqueacutees du suint lrsquoaccueil festif des villages traverseacutes la fatigue des hommes et des becirctes mais aussi toute lrsquoeacuteconomie reposant sur de telles migrations annuelles Dans les anneacutees 1950 ces laquo interminables caravanes laineuses raquo ont commenceacute agrave disparaicirctre et en 1974 il fut interdit de mener les troupeaux agrave pieds Crsquoest maintenant en beacutetaillegraveres que les brouteuses gagnent les estives et en bas les parcours de plaine nrsquoont pas reacutesisteacute agrave la pression du tourisme et de lrsquoimmobilier

Tout cela est rendu dans une langue eacuteleacutegante et travailleacutee au style raffineacute mais sans affeacuteterie servie par un riche vocabulaire Cette marche de sentiers est surtout un itineacuteraire de meacutemoire que lrsquoauteure nous restitue sans miseacuterabilisme sans pantheacuteisme ni regrets inutiles

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 127

Note de lecture

Les laquo valeurs raquo sont ces ideacuteaux profonds dont les individus srsquoinspirent au quotidien pour agir et justifier leurs actions Elles renseignent sur lrsquounivers mental de tel ou tel groupe agrave un moment donneacute mais permettent aussi drsquoanticiper les opinions et comportements qursquoils adopteront dans le futur Crsquoest dire leur importance pour tous ceux qui srsquointeacuteressent agrave la prospective ou agrave la gestion des affaires publiques LrsquoEuropean Values Study (EVS) est la meilleure enquecircte internationale disponible sur le sujet Reacutealiseacutee pour la premiegravere fois en 1981 puis reconduite en 1990 1999 2008 la cinquiegraveme vague a eu lieu en 2018 et 38 pays sont doreacutenavant couverts Le preacutesent ouvrage se concentre sur les reacutesultats concernant la France

L e s v a l e u r s l i eacute e s a u x a p p a r t e n a n c e s geacuteographiques et agrave la ruraliteacute en particulier sont globalement stables En 1981 comme en 2008 les uniteacutes territoriales auxquelles les Franccedilais avaient le sentiment drsquoappartenir laquo avant tout raquo eacutetaient le laquo national raquo puis le laquo local raquo le laquo reacutegional raquo le laquo monde raquo et laquo lrsquoEurope raquo se situant en queue de peloton En 2018 le national reste premier (92 des intervieweacutes) devant la reacutegion (80 ) et la ville ou le village (77 ) Le sentiment de multi-appartenance semble srsquoaffirmer lrsquoexpression drsquoun attachement pour le laquo village raquo eacutetant de moins en moins exclusive de lrsquoidentification agrave drsquoautres eacutechelons Notons par ailleurs le maintien de clivages importants selon le niveau de diplocircme plus celui-ci baisse et plus lrsquoattachement au laquo village raquo croicirct

Le rapport agrave lrsquoenvironnement est aussi au cœur de nombreuses valeurs inteacuteressantes agrave analyser

Entre 1990 et 2018 les laquo pro -croissance eacuteconomique raquo sont resteacutes stables agrave 54 mais les laquo pro-environnement raquo sont passeacutes de 20 agrave 25 La deacutefense de lrsquoenvironnement atteint son maximum chez les plus diplocircmeacutes et ceux ayant les revenus les plus eacuteleveacutes Cette deacutefense est la plus faible pour les geacuteneacuterations 1930-39 la plus eacuteleveacutee pour les geacuteneacuterations 1970-79 puis elle baisse pour les geacuteneacuterations ulteacuterieures de plus en plus sensibles agrave la croissance La prioriteacute accordeacutee agrave lrsquoenvironnement est porteacutee par les reacutepondants se situant laquo agrave gauche raquo (60 ) et laquo tregraves agrave gauche raquo (65 ) plutocirct que par ceux laquo agrave droite raquo (46 ) et laquo tregraves agrave droite raquo (39 )

Outre les deux points sur lesquels nous venons drsquoinsister de nombreuses eacutevolutions des systegravemes de valeurs sont eacutetudieacutees dans ce livre concernant la famille la politique lrsquoeacuteconomie la culture le travail etc Apparemment eacuteloigneacutees des champs de compeacutetence du ministegravere chargeacute de lrsquoagriculture ces mutations de valeurs constituent de bonnes grilles de lecture pour comprendre cer tains enjeux au cœur de ses politiques nouveaux comportements alimentaires critique croissante du monde agricole affirmation de la laquo question animale raquo etc

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective ndash MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

BREacuteCHON Pierre GONTHIER Freacutedeacuteric ASTOR Sandrine (dir) La France des valeurs Quarante ans drsquoeacutevolutionsPresses universitaires de Grenoble 2019 382 pages

128 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Abstracts and Key Words

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 129

From declared eating behaviors to real eating behaviors measuring and understanding differences to improve public actionGabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

The sources of information that inform dietary behaviour (apparent consumption consumer amp retailer panels dietary surveys opinion surveys qualitative surveys) provide us valuable and fairly accurate information on eating behaviour However they also suffer from several biases causing occasionally gaps between the actual vs declared behaviours This problem which is not specific to food surveys is often related to the characteristics of the respondents (memory loss imperfect rationality feelings mental representations and beliefs psychic attitudes etc) and to the context (where when social situation etc) It is also linked to the procedures and methods used to collect information (questionnaire interview consumption book attitude scale mainly declarative techniques sampling etc) and to their subsequent processing methods Aware of these problems and their potential impact on the management of public action the Ministry of Agriculture and Food FranceAgriMer and ADEME commissioned a study on this complex subject Produced by the consortium CREacuteDOC NutriPsy Consult Proteacuteines and Deloitte DD it relied on a review of the scientific literature followed by three case studies These consist of identifying the omissions (food and drink) associated with the consumption reports by the diary method measuring the effect of weariness in food surveys and finally evaluating the differences between expectations expressed on social networks and buying behaviours

KeywordsEating behaviors attitudes beliefs consumption information survey methods bias declarativeConcentration of farms and jobs

Farm outsourcing and task delegation markers of changes in the organisation of agricultural productionGeneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Since the mid-1990s agricultural outsourcing has been developing steadily Between 2000 and 2016 the number of farms relying on it has doubled In response to the transmission issue of many farms or to the growth strategies of the largest ones the development of agricultural outsourcing is one of the key trends in the evolution of French agriculture This market estimated at around 4 billion euros is characterized by major changes in demand and the emergence of numerous farm contractors While most of them offer to carry out specific tasks others have developed a wide range of services from audits of agricultural properties to the complete management of the farm including technical administrative and financial management However agricultural outsourcing and in particular the integral delegation of

130 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

farming activities remains poorly documented Various questions remain which this article helps to answer by bringing together the salient results of research conducted since 2012 It follows on from the quantitative assessment of the evolution of the phenomenon carried out by the ActifrsquoAgri(1) working group led by the Centre drsquoeacutetudes et de prospective (Centre for Studies and Forecasting) of the French Ministry of Agriculture and Food The first part of the article explains the method used and the next three parts present respectively an inventory of the market then a survey of changes in practices and finally an analysis of innovative forms of organisation of service provision The conclusion deals with the issues raised by the rapid development of the phenomenon and the implications for public policy

KeywordsAgricultural outsourcing integral delegation practices organizations tertiarization agriculture

Evaluation of the agri-environment measure targeting grassland and pastoral systems in the mountain areas of Rhocircne-AlpesAnaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

In the French region of Rhocircne-Alpes the individual agri-environment-climate measure (AECM) targeting grassland and pastoral systems opened in 2014 in lowland areas It was then extended to some mountain areas in 2015 on an exploratory basis At the request of the DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes the Acteon consulting firm carried out a study to evaluate the measure in 2017 The goals of this study were twofold First they assessed the relevance of the measure for mountain areas and its coherence with other instruments ex ante Second they built a monitoring and evaluation system to assess its effectiveness and efficiency ex post ie at the end of programming This article presents this double approach as well as the first results of the ex ante evaluation

KeywordsAgri-environmental measure biodiversity Auvergne - Rhocircne-Alpes monitoring and evaluation mountain grassland and pastoral systems

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 131

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus

Retrouvez le texte inteacutegral des articles et tous les sommaires de Notes et Eacutetudes Socio- Eacuteconomiques sur internet httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Chiffres et analyses gt Collections gt Collection nationale gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

No 37 - Janvier-Juin 2013 Eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacuteconomies de gamme en production laitiegravere Changement de paradigme et creacuteation de valeur ajouteacutee en agriculture

le cas des systegravemes bovins herbagers eacuteconomes du Bocage poitevin Quelle eacutevaluation eacuteconomique pour les services eacutecosysteacutemiques rendus

par les prairies en France meacutetropolitaine Le suivi des prix et des marges pour lrsquoanalyse de la formation des prix au deacutetail

des produits alimentaires La compeacutetitiviteacute agricole du Breacutesil le cas des filiegraveres drsquoeacutelevage

No 38 - Juin 2014 Eacutemissions de gaz agrave effet de serre drsquoorigine agricole coucircts et potentiels

drsquoatteacutenuation instruments de reacutegulation et efficaciteacute Protocole de Kyoto et marcheacute carbone europeacuteen Coucircts de transaction priveacutes et adoption de mesures drsquoatteacutenuation

des eacutemissions de GES Impatcs des aleacuteas climatiques en eacutelevages bovin et ovin allaitants

et demande de couverture assurantielle

No 39 - Avril 2015 La diversification des cultures comment la promouvoir Ineacutegaliteacutes sociales et alimentation Lrsquoadaptation de lrsquoagriculture agrave la disponibiliteacute de la ressource en eau

Le cas de la Drocircme des Collines Les innovations technologiques leviers de reacuteduction du gaspillage dans

le secteur agroalimentaire Lrsquoanalyse orienteacutee objets comme outil drsquoaide agrave la gestion des risques sanitaires Flexibiliser les politiques de soutien aux biocarburants eacuteclairages theacuteoriques et

expeacuterience ameacutericaine

132 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

No 40 - Mai 2016 Les produits de stimulation en agriculture un eacutetat des connaissances Diffusion au public des reacutesultats des controcircles sanitaires officiels

comparaison internationale et acceptabiliteacute pour les parties prenantes Les deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoeacutelevage en Allemagne au Danemark et aux Pays-Bas

No 41 - Deacutecembre 2016 Transmission en agriculture quatre sceacutenarios prospectifs agrave 2025 Appariement entre le registre parcellaire graphique et le cadastre pour construire

une typologie des exploitations franccedilaises Lrsquoeacutevolution de la filiegravere bleacute tendre en France entre 1980 et 2006

quelle influence sur la diversiteacute cultiveacutee

No 42 - Novembre 2017 Observer les changements structurels des exploitations laitiegraveres franccedilaises

constitution de la base de donneacutees ADE Efficaciteacute de la protection des troupeaux contre le loup

Une eacutevaluation du dispositif franccedilais drsquoaide au financement des mesures de protection sur la peacuteriode 2009-2014

Lrsquoalternance sous statut scolaire dans lrsquoenseignement agricole une composante du service public aux multiples atouts

No 43 - Mars 2018 Anticiper les comportements alimentaires de demain un outil de sensibilisation

destineacute aux acteurs de la filiegravere alimentaire Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels

(ICHN) principaux reacutesultats et speacutecificiteacutes territoriales Diffusion des meacutelanges varieacutetaux pour la production de bleacute une comparaison entre

France et Danemark

No 44 - Deacutecembre 2018 Les deacutemarches mises en œuvre par les filiegraveres animales en France en reacuteponse

aux attentes socieacutetales en termes de bien-ecirctre animal typologie et perspectives Le systegraveme franccedilais de choix des denreacutees et la mise en oeuvre du FEAD dans

les pays europeacuteens Contribution des filiegraveres internationaliseacutees et du commerce agrave lrsquoemploi dans les

secteurs agricole et agro-alimentaire

No 45 - Septembre 2019 Emplois preacutecaires en agriculture Agro-eacutecologie et Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) Lrsquoagriculture dans les aires urbaines drsquoOccitanie agrave lrsquohorizon 2035 une prospective

participative

No 46 - Deacutecembre 2019 La coheacuterence des politiques commerciales et de deacuteveloppement le cas de lrsquoAPE

Afrique de lrsquoOuest Concentration des exploitations agricoles et emplois Rocircles des organisations de producteurs dans les filiegraveres animales neacutegociation

conseil commercialisation et creacuteation de valeur

Recommandations aux auteurs

FormatLes manuscrits sont preacutesenteacutes sous format Word ou Writer en police de taille 12 Ils ne deacutepassent pas 80 000 signes espaces inclus y compris tableaux graphiques bibliographie et annexes

Sur la premiegravere page du manuscrit doivent figurer -ensple titre de lrsquoarticle -ensples noms des auteurs et leurs institutions -ensple reacutesumeacute de lrsquoarticle (800 signes espaces compris) en franccedilais et en anglais -ensptrois agrave six mots cleacutes en franccedilais et en anglais

Toutes les sources des chiffres citeacutes doivent ecirctre preacuteciseacutees Les sigles doivent ecirctre expliciteacutes Lorsque lrsquoarticle srsquoappuie sur une enquecircte des traitements de donneacutees etc un encadreacute preacutesentant la meacutethodologie est souhaiteacute

Les reacutefeacuterences bibliographiques sont preacutesenteacutees ainsi

a - Dans le texte ou les notes chaque reacutefeacuterence citeacutee est constitueacutee du nom de lrsquoauteur et de lrsquoanneacutee de publication entre parenthegraveses renvoyant agrave la bibliographie en fin drsquoarticle Par exemple (Griffon 2004)

b - Agrave la fin de lrsquoarticle les reacutefeacuterences sont classeacutees par ordre alphabeacutetique drsquoauteurs et preacutesenteacutees selon les normes suivantes

-ensp pour un ouvrage nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee Titre drsquoouvrage ville maison drsquoeacutedition

-ensp pour un article nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee laquo Titre drsquoarticle raquo Revue ndeg de parution mois pages

Seules les reacutefeacuterences explicitement citeacutees ou mobiliseacutees dans lrsquoarticle sont reprises en fin drsquoarticle

CompleacutementspourmiseenlignedelrsquoarticleDans la perspective de la publication de lrsquoarticle sur le site internet du CEP et toujours selon leur convenance les auteurs sont par ailleurs inviteacutes agrave

-ensp adresser le lien vers leur(es) page(s) personnelle(s) agrave caractegravere laquo institutionnelle(s) raquo srsquoils en disposent et srsquoils souhaitent la(les) communiquer

-ensp communiquer une liste de reacutefeacuterences bibliographiques de leur choix utiles pour contextualiser compleacuteter ou approfondir lrsquoarticle proposeacute

-ensp proposer une liste de lien vers des sites Internet pertinents pour se renseigner sur le sujet traiteacute -ensp proposer le cas eacutecheacuteant des annexes compleacutementaires ou des deacuteveloppements utiles mais non

essentiels (preacutecisions meacutethodologiques exemples etc) reacutedigeacutes dans la phase de preacuteparation de lrsquoarticle mais qui nrsquoont pas vocation agrave inteacutegrer la version livreacutee limiteacutee agrave 50 000 caractegraveres Ces compleacutements srsquoils sont publiables viendront enrichir la version Internet de lrsquoarticle

ProceacutedureTout texte soumis est lu par au moins trois membres du comiteacute de reacutedaction et deux experts exteacuterieurs La deacutecision de publication est prise collectivement par le comiteacute de reacutedaction Tout refus est argumenteacute

Les manuscrits sont agrave envoyer en version eacutelectronique uniquement agrave -ensp Bruno Heacuterault reacutedacteur en chef brunoheraultagriculturegouvfr

DroitsEn contrepartie de la publication lrsquoauteur cegravede agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques agrave titre exclusif les droits de proprieacuteteacute pour le monde entier en tous formats et sur tous supports et notamment pour une diffusion en lrsquoeacutetat adapteacutee ou traduite Agrave la condition qursquoil demande lrsquoaccord preacutealable agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques lrsquoauteur peut publier son article dans un livre dont il est lrsquoauteur ou auquel il contribue agrave la condition de citer la source de premiegravere publication crsquoest-agrave-dire la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Tous les articles de Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques sont teacuteleacutechargeables gratuitement sur

httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Publications gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Renseignements

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective3 rue Barbet de Jouy75349 Paris 07 SP

brunoheraultagriculturegouvfr

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiquesMinistegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Secreacutetariat GeacuteneacuteralService de la Statistique et de la Prospective

Centre drsquoeacutetudes et de prospective

Page 5: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 5

Sommaire

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique 7Gabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole 43Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes 89 Anaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

Notes de lecture 117

Abstracts and Key Words 129

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus 131

6 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 7

Des comportements alimentaires deacuteclareacutes aux comportements alimentaires reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique

Reacutesumeacute

Les sources drsquoinformation qui renseignent sur les comportements alimentaires (consommation apparente panels de distributeurs et de consommateurs enquecirctes de suivi des achats enquecirctes drsquoopinion eacutetudes qualitatives etc) apportent souvent de preacutecieux et fidegraveles reacutesultats Neacuteanmoins elles souffrent aussi de biais creacuteant parfois des deacutecalages entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels Ce problegraveme qui nrsquoest pas propre agrave lrsquoalimentation est lieacute aux caracteacuteristiques des reacutepondants (deacutefaut de meacutemoire rationaliteacute imparfaite sentiments repreacutesentations mentales et croyances attitudes psychiques etc) et aux contextes de leurs reacuteponses (lieu moment situation sociale etc) Il est lieacute eacutegalement aux deacutemarches et meacutethodes utiliseacutees pour recueillir les informations (questionnaire entretien carnet de consommation eacutechelle drsquoattitudes techniques essentiellement deacuteclaratives eacutechantillonnage etc) et agrave leurs modaliteacutes ulteacuterieures de traitement Conscients de ces problegravemes et de leurs impacts potentiels sur le pilotage de lrsquoaction publique le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation FranceAgriMer et lrsquoADEME ont souhaiteacute commander une eacutetude sur ce sujet Reacutealiseacutee par le consortium constitueacute du CREacuteDOC de Nutri Psy Consult de Proteacuteines et de Deloitte Deacuteveloppement Durable elle a consisteacute en une revue de litteacuterature suivie de trois eacutetudes de cas5 Ces derniegraveres consistent agrave identifier les omissions (aliments et boissons) associeacutees aux deacuteclarations des consommations par la meacutethode des carnets agrave mesurer lrsquoeffet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires et enfin agrave eacutevaluer les eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat6

Mots cleacutes

Comportements alimentaires attitudes croyances consommation information meacutethodes drsquoenquecirctes biais deacuteclaratif

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC) 142 rue du Chevaleret 75013 Paris 2 Nutri Psy Consult 91 rue de la Santeacute 75013 Paris3 ProteacuteinesXTC 92 rue Reacuteaumur 75002 Paris 4 Deloitte Deacuteveloppement Durable 6 place de la Pyramide 92908 Paris-La Deacutefense Cedex5 CREacuteDOC Nutri Psy Consult Proteacuteines Deloitte Deacuteveloppement Durable 2020 Comportements alimentaires deacuteclareacutes versus reacuteels mesurer et comprendre les eacutecarts pour ameacuteliorer lrsquoaction publique httpsagriculturegouvfretude-comportements-alimentaires-declares-versus-reels-mesurer-et-comprendre-les-ecarts-pour6 Nous tenons agrave remercier Julia Gassie et Bruno Heacuterault du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour leurs relectures successives de cet article et leurs contributions importantes agrave lrsquoeacutelaboration de sa version finale

Gabriel Tavoularis1 Pascale Heacutebel1 France Bellisle2 Serge Michels3 et Aude Le Rhun4

8 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

Connaicirctre les conduites des mangeurs franccedilais les produits consommeacutes leurs qualiteacutes et quantiteacutes les circonstances drsquoachat et drsquoingestion etc est drsquoimportance pour les acteurs des systegravemes alimentaires et au premier chef pour les organismes publics Diverses tendances et changements drsquoattitudes marquent aujourdrsquohui ces pratiques alimentaires et renouvellent donc les questionnements sur le suivi et la connaissance de ces eacutevolutions Dans ce contexte il est indispensable de srsquointeacuteresser aux informations et donneacutees sur lrsquoalimentation des Franccedilais De nombreuses sources existent de diverses natures produites par diffeacuterents organismes et gracircce agrave des meacutethodes varieacutees

La connaissance des conduites alimentaires quotidiennes fait face agrave plusieurs difficulteacutes les comportements individuels sont influenceacutes par une diversiteacute de facteurs (biologiques sociaux eacuteconomiques environnementaux psychiques etc) De plus deacutecrire fidegravelement son comportement peut ecirctre difficile pour un individu par exemple agrave cause de la laquo rationaliteacute imparfaite raquo deacutecrite depuis longtemps par Herbert Simon (1957) Les meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees souvent appuyeacutees sur du deacuteclaratif preacutesentent elles-mecircmes diverses limites De ce fait des deacutecalages sont possibles entre les informations dont on dispose sur les comportements alimentaires deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

Les enquecirctes quantitatives et qualitatives qui interrogent les mangeurs apportent de preacutecieuses et fidegraveles informations sur leurs comportements Cependant elles souffrent de plusieurs biais meacutethodologiques qui amegravenent certains consommateurs agrave dire qursquoils mangent des aliments qursquoils ne mangent pas reacuteellement en quantiteacute et en qualiteacute ou au contraire agrave ne pas dire ce qursquoils mangent reacuteellement Identifieacutes dans la litteacuterature (en eacutepideacutemiologie sociologie psychologie psychologie sociale eacuteconomie anthropologie) certains de ces biais concernent la personne interrogeacutee drsquoautres les outils de recueil drsquoinformations On citera notamment les biais de seacutelection ou de recrutement drsquoobservation de participation drsquoapprentissage ou encore drsquoestimation tous bien documenteacutes dans la litteacuterature

De tels eacutecarts posent question degraves lors qursquoil srsquoagit de comprendre et utiliser les reacutesultats de ces enquecirctes Crsquoest en particulier le cas quand les donneacutees sur les comportements alimentaires sont utiliseacutees pour eacutelaborer suivre eacutevaluer des deacutecisions strateacutegies ou interventions publiques

Dans ce contexte le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation lrsquoADEME et FranceAgriMer ont commandeacute une eacutetude pour mieux deacutecrire ces deacutecalages les mesurer et les expliquer en mobilisant les savoirs des sciences eacuteconomiques et sociales Le travail eacutetait volontairement centreacute sur les consommations individuelles et familiales Il a eacuteteacute reacutealiseacute par un consortium de quatre prestataires le Centre de recherche pour lrsquoeacutetude et lrsquoobservation des conditions de vie (CREacuteDOC apportant une expertise en eacutetudes et analyses sociologiques et eacuteconomiques des comportements de consommation) Nutri Psy Consult (expertise sur le comportement alimentaire humain) Proteacuteines (expertise sur les enjeux de communication et de santeacute autour de lrsquoalimentation) et Deloitte Deacuteveloppement Durable (expertise en matiegravere drsquoeacutevaluations environnementales et drsquoeacuteconomie circulaire)

La deacutemarche drsquoeacutetude a comporteacute trois phases principales Drsquoabord en srsquoappuyant sur une revue de la litteacuterature ainsi que sur six entretiens7 avec des producteurs et utilisateurs de donneacutees

7 Les entretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec Jeacuterocircme Accardo (Insee) Pierre Combris (Inra) Carine Dubuisson (Anses) Emmanuelle Kesse-Guyot (Inra) Marie Plessz (Inra) Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Luc Volatier (Anses)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 9

sur lrsquoalimentation en France une analyse a eacuteteacute reacutealiseacutee des types de deacutecalages de leurs sources et de leurs causes et des correctifs possibles En second lieu trois eacutetudes de cas ont permis de quantifier et expliquer certains deacutecalages observeacutes en mettant en œuvre des meacutethodes varieacutees (observation par cameacutera mesure des freacutequentations des reacuteseaux sociaux etc) Enfin des preacuteconisations ont eacuteteacute formuleacutees agrave destination des commanditaires de lrsquoeacutetude

La premiegravere partie de cet article est consacreacutee aux diffeacuterentes sources drsquoinformations disponibles en France et traitant des conditions de reacutealisation des enquecirctes sur les comportements alimentaires leurs objectifs leurs meacutethodologies leurs atouts et limites sont abordeacutes La deuxiegraveme partie preacutesente les points saillants de la litteacuterature scientifique consacreacutee aux deacutecalages entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels en distinguant les eacutecarts lieacutes aux reacutepondants de ceux lieacutes aux meacutethodes de collecte La troisiegraveme partie expose les trois eacutetudes de cas qui ont permis drsquoapprofondir la quantification et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes Enfin la quatriegraveme partie propose quelques pistes meacutethodologiques pour compleacuteter le travail reacutealiseacute et preacutesente des recommandations de porteacutee geacuteneacuterale sur lrsquoameacutelioration des capaciteacutes drsquoanalyse des comportements alimentaires

1 Les diffeacuterentes sources drsquoinformations sur les comportements alimentaires

De nombreux travaux ont pour objectifs la compreacutehension et la mesure des comportements alimentaires En interpreacuteter le plus justement possible les reacutesultats neacutecessite de srsquointeacuteresser aux meacutethodes drsquoacquisition de lrsquoinformation (collecte active ou passive administration par un enquecircteur ou auto-administration etc) et aux objectifs attendus quels pheacutenomegravenes les enquecirctes permettent-elles de mesurer Srsquoagit-il drsquoopinions drsquoattitudes de comportements deacuteclareacutes de comportements reacuteels etc

Les consommations alimentaires sont approcheacutees de plusieurs maniegraveres en fonction du niveau de preuves attendu et de lrsquoeacutechelle eacutetudieacutee eacutetudes in vitro de biomarqueurs doseacutes agrave partir de preacutelegravevements sur des mangeurs (tests en tube en-dehors de lrsquoorganisme vivant) observationnelles (eacutecologiques transversales cas teacutemoins cohortes) expeacuterimentales (essai controcircleacute randomiseacute meacuteta-analyse drsquoessais controcircleacutes randomiseacutes) enquecirctes statistiques etc En France de nombreuses sources drsquoinformations de diffeacuterentes natures sont disponibles sur la consommation alimentaire (tableau 1) donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques (ex balance des imports et exports) donneacutees exhaustives ou compileacutees sur les achats (ex panels de distributeurs) donneacutees de mesure par sondage des ingestions ou des achats (ex releveacutes de consommations individuelles comptabiliteacute des meacutenages) donneacutees de mesure de lrsquoopinion et de sources meacutediatiques (ex baromegravetres drsquoopinion)

Chacune de ces meacutethodes est susceptible de comporter ou drsquoengendrer des biais lesquels peuvent ecirctre ou non corrigeacutes Il en deacutecoule des deacutecalages entre la mesure drsquoun pheacutenomegravene et le pheacutenomegravene en question De nombreux travaux scientifiques les ont eacutetudieacutes Ainsi les sources drsquoinformation identifieacutees dans le tableau 1 peuvent comporter diffeacuterents biais qui seront abordeacutes dans la suite de lrsquoarticle

10 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

B Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesure des comportements reacuteels achatsProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

IRI Panel distributeur IRI Panel de distributeurs sur les FMCG8

Achats en grande distribution

Donneacutees mensuelles sur les achats excluant de fait la restauration collective et commerciale

Nielsen Panel distributeur NIELSEN

Panel de distributeurs sur les FMCG

Achats en grande distribution

Chaque enseigne (ex CASINO)

Ventes dans le circuit CASINO (RelevanC) Ventes reacuteelles journaliegraveres

Achats dans lrsquoensemble des enseignes du groupe

C Donneacutees de mesure (par sondage) des comportements reacuteels ingestion ou achatProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

ANSES Enquecircte INCA (1999 2006 2015)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentativeAlimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

INSEE Budget des famillesComptabiliteacute des meacutenages (deacutepenses et ressources des meacutenages)

Population repreacutesentative des foyers

Donneacutees meacutenages et pas individuelles peu preacutecises agrave un niveau laquo fin raquo drsquoanalyse

Multifinancement public NUTRINET-SanteacuteReleveacutes des consommations individuelles

Personnes volontaires Enquecircte non repreacutesentative

CREacuteDOC Enquecircte CCAF (2003 2007 2010 2016 2019)

Releveacutes des consommations individuelles

Population repreacutesentative Alimentation agrave et hors domicile

Donneacutees individuelles estimant lrsquoingestion nette (grammes jour) uniquement ce qui est comestible et ingeacutereacute excluant la perte et le gaspillage

Gira FoodService Enquecirctes RHF Marcheacute de la restauration

Restauration hors domicile Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTARPanel de consommateurs acheteurs

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

KANTAR Panel KANTAR - eKommercePanel de consommateurs acheteurs e-commerce

MeacutenagesAchats pour une consommation agrave domicile

Meacutethodologie peu accessible

D Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias (et non de comportements reacuteels)Producteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Instituts drsquoeacutetude de sondage etc(BVA CREacuteDOC CSA IPSOS KANTAR OBSOCO OPINION WAY HARRIS INTERACTIVE IPSOS etc) baromegravetres drsquoopinion

Enquecirctes et baromegravetres drsquoopinion sur les attitudes des consommateurs CAF baromegravetre de lrsquoAgence bio eacutetude Greenflex sur la consommation responsable etc

Eacutetudes et connaissance des consommateurs shoppers

Souvent France entiegravere population repreacutesentative

Preacutecautions dans lrsquoutilisation de plus en plus freacutequente des enquecirctes en ligne (fort biais de couverture avec des biais drsquoapprentissage redressement impeacuteratif sur le diplocircme car forte sous-repreacutesentation des non-diplocircmeacutes)

Plutocirct des donneacutees drsquoat t i tudes que de comportements reacuteels inteacuterecirct limiteacute pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

Reacuteseaux sociaux Twitter Instagram Facebook etcUtilisation de tracker type talkwalker

Socionautes preacutesents et laquo actifs raquo sur les reacuteseaux sociaux

Impacts tregraves faibles sur les comportements reacuteels peu drsquointeacuterecirct pour la mesure de comportements alimentaires reacuteels

8 FMCG (fast-moving consumer goods) sigle deacutesignant les biens de grande consommation

Lecture les sources de donneacutees priveacutees sont souligneacutees dans la premiegravere colonneSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 77-81

Tableau 1 - Principales sources drsquoinformation sur les comportements alimentaires

A Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques donneacutees nationales de contexte geacuteneacuteralProducteur des

donneacutees Nom de lrsquoenquecircte Descriptif Champ Analyse et preacutecautions drsquousage

Douanes Balanceimports-exports

Statistiques du commerce exteacuterieur France entiegravere Donneacutees eacuteconomiques de cadrage  ne

permettent pas drsquoanalyser des comportements reacuteels de consommation alimentaire INSEE Comptes de la Nation Mesure des flux moneacutetaires

repreacutesentatifs de lrsquoeacuteconomieFrance entiegravere

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 11

Cette premiegravere analyse des sources drsquoinformations sur les consommations et comportements alimentaires fait apparaicirctre une diversiteacute de meacutethodes utiliseacutees drsquoougrave la neacutecessiteacute de connaicirctre les speacutecificiteacutes atouts et limites de chacune La partie 2 va ainsi preacuteciser les connaissances actuellement disponibles dans la litteacuterature sur les deacutecalages entre deacuteclarations et reacutealiteacutes des pratiques alimentaires

2 Types de deacutecalages sources et causes

Cette partie baseacutee sur une synthegravese de la litteacuterature existante deacutecrit deux types de deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle Le premier est lieacute aux reacutepondants (21) le deuxiegraveme deacutepend des meacutethodes drsquoacquisition des donneacutees (22)

21 Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants

Drsquoapregraves la litteacuterature scientifique passeacutee en revue ces deacutecalages lieacutes aux reacutepondants prennent geacuteneacuteralement deux formes Ils peuvent drsquoabord ecirctre lieacutes aux conditions de collecte des donneacutees ou deuxiegravemement deacutecouler de lrsquoattitude-behaviour gap (ou deacutecalage entre opinion et comportement) en particulier dans le cas des enquecirctes drsquoopinion

Deacutecalages lieacutes aux reacutepondants dans la collecte de donneacutees

Dans les enquecirctes avec eacutechantillons repreacutesentatifs drsquoune population le niveau de participation des personnes solliciteacutees est un eacuteleacutement crucial Les taux de non-reacuteponse importants sont susceptibles de creacuteer un biais de seacutelection ou de recrutement dans les reacutesultats et les conclusions (Dubuisson 2018) surtout quand ces taux varient en fonction de critegraveres socio-eacuteconomiques ou individuels comme la corpulence le sexe ou le niveau drsquoeacuteducation Ce problegraveme se pose drsquoautant plus pour les enquecirctes sur volontaires ou les panels de consommation qui recrutent des profils speacutecifiques de reacutepondants dont les caracteacuteristiques deacutevient largement de la population geacuteneacuterale Par exemple lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude longitudinale NutriNet et dans une moindre mesure celui de lrsquoeacutetude INCA 3 comptent une proportion de femmes et de personnes diplocircmeacutees plus eacuteleveacutee que dans la population franccedilaise On sait eacutegalement que les femmes sont plus preacuteoccupeacutees que les hommes par les questions de santeacute et de bien-ecirctre (Fournier 2013) de mecircme que par lrsquoeacutecologie et le deacuteveloppement durable (Zuinen 2002) On peut donc faire lrsquohypothegravese que celles qui se portent volontaires pour participer agrave des eacutetudes concernant lrsquoalimentation et la santeacute (comme NutriNet) le soient encore davantage

Dans le cas des panels de consommateurs des biais de par ticipation et drsquoapprentissage peuvent modifier la maniegravere de renseigner ses achats certains reacutepondants (eacutegalement appeleacutes laquo paneacutelistes raquo) deviennent progressivement experts sur certains aspects de lrsquoobjet eacutetudieacute ndash les prix par exemple (Lusk et Brooks 2011) ndash distordant une fois de plus un eacutechantillon jugeacute laquo repreacutesentatif raquo au deacutepart Pour les enquecirctes alimentaires le fait de remplir de faccedilon reacutepeacuteteacutee un questionnaire peut aussi modifier sensiblement la maniegravere de reacutepondre avec par exemple une sous-deacuteclaration par effet de lassitude

12 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Toutes les enquecirctes qui interrogent directement les individus (dites laquo deacuteclaratives raquo) sont eacutegalement soumises agrave un biais drsquoobservation les participants peuvent ecirctre ameneacutes avec plus ou moins drsquointensiteacute agrave modifier leurs comportements alimentaires lorsqursquoils se savent observeacutes Par exemple un individu obegravese qui deacuteclare un nombre eacuteleveacute de consommations drsquoaliments ou de boissons hors repas pourra prendre conscience de ses excegraves par rapport aux recommandations nutritionnelles Il lui arrivera ainsi drsquoomettre par la suite certaines deacuteclarations de produits ou eacuteventuellement de modifier son comportement alimentaire durant la peacuteriode ougrave il est interrogeacute de sorte que sa consommation corresponde davantage agrave la norme dominante Ce mecircme biais drsquoobservation qui fait manger moins ou diffeacuteremment quand on se sait observeacute paraicirct affecter plus les femmes que les hommes (Stubbs 2014)

Il existe enfin des biais drsquoestimation (portions freacutequences) mecircme en se servant de photographies illustrant certains formats il est difficile drsquoestimer preacuteciseacutement la taille des portions des produits que lrsquoon consomme avec le plus souvent une sous-estimation Il en va de mecircme quand il srsquoagit drsquoappreacutecier la freacutequence drsquoun comportement inhabituel les faibles freacutequences tendant agrave ecirctre surestimeacutees

Deacutecalages opinion-comportement (attitude-behaviour gap)

Lrsquoattitude-behaviour gap deacutesigne lrsquoeacutecart entre des opinions et des comportements (Vermeir et Verbeke 2006) Ce deacutecalage est potentiellement plus important que celui eacutetudieacute preacuteceacutedemment entre comportements deacuteclareacutes et comportements reacuteels

Le laquo consommateur moyen franccedilais raquo contemporain est tregraves informeacute Il dispose drsquoun pouvoir drsquoachat important et a accegraves agrave une offre alimentaire varieacutee Il lui arrive aussi drsquoecirctre sondeacute pour connaicirctre ses attitudes et ses comportements Il exprime alors volontiers son inteacuterecirct pour la consommation durable les produits issus de lrsquoagriculture biologique la protection de lrsquoenvironnement le bien-ecirctre des animaux ou encore la protection des droits des consommateurs et lrsquoameacutelioration des conditions de vie des producteurs

Plusieurs exemples illustrent ce point Le site de lrsquoinstitut IPSOS Global Trends indique que 69 des Franccedilais souhaitent acheter local qursquoils se deacuteclarent precircts (agrave 53 ) agrave payer plus cher des produits laquo verts raquo que 51 sont drsquoaccord pour sacrifier les aspects pratiques en faveur de produits meilleurs pour la santeacute et que 33 donnent la prioriteacute aux produits biologiques De mecircme lrsquoAgence franccedilaise pour le deacuteveloppement et la promotion de lrsquoagriculture biologique (Agence Bio) a mis en place un baromegravetre depuis 2003 afin laquo drsquoobserver anneacutee apregraves anneacutee lrsquoeacutevolution des attitudes ainsi que les lieux drsquoachats  raquo en interrogeant un eacutechantillon repreacutesentatif de la population La derniegravere eacutedition nous apprend que 85 des personnes interrogeacutees estiment important de deacutevelopper lrsquoagriculture biologique que 82 font confiance aux produits biologiques que 26 ont lrsquointention drsquoaugmenter leur consommation de ces produits alors que 16 en consomment deacutejagrave tous les jours et les trois quarts au moins une fois par mois (Agence Bio 2019) Enfin dernier exemple une enquecircte de lrsquoIFOP sur un eacutechantillon repreacutesentatif de 1 001 adultes confirme que 79 des enquecircteacutes attribuent un effet positif agrave la viande bio sur le bien-ecirctre animal et 77 des beacuteneacutefices pour lrsquoenvironnement et la santeacute Alors que 71 des interrogeacutes de cet eacutechantillon deacuteclarent consommer de la viande bio agrave lrsquooccasion 48 nrsquoen consomment que rarement et 26 souhaitent augmenter leur consommation Toutes ces enquecirctes montrent lrsquointeacuterecirct porteacute par les Franccedilais aux questions alimentaires mais aussi la diversiteacute des opinions qursquoils sont ameneacutes agrave formuler

Ces enquecirctes ont le meacuterite drsquoecirctre reacutealiseacutees sur des eacutechantillons repreacutesentatifs de la population nationale Elles comportent simultaneacutement ou seacutepareacutement des questions

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 13

eacutevaluant des attitudes et des questions portant sur des freacutequences de consommation Des eacutetudes non-repreacutesentatives sont eacutegalement disponibles elles recrutent alors exclusivement des consommateurs concerneacutes par les pratiques eacutetudieacutees (ex eacutetude conjointe OpinionWaySenseva 2016 sur les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation biologique)

Le creacutedit que lrsquoon peut accorder aux deacuteclarations faites lors drsquoenquecirctes drsquoopinion a eacuteteacute lrsquoobjet de nombreuses eacutetudes qui ont geacuteneacuteralement observeacute une faible correacutelation entre opinions deacuteclareacutees et consommations reacuteelles Crsquoest par exemple le cas de travaux ayant eacutetudieacute les liens entre les achats des consommateurs et leurs preacuteoccupations eacutethiques production durable soucieuse de lrsquoenvironnement protection des personnes employeacutees   rejet de lrsquoexpeacuterimentation animale pour la mise au point des produits etc (Carrigan et Attalla 2001 Devinney et al 2010 Caruana et al 2016)

Diffeacuterents facteurs contribuent agrave ces types de deacutecalages Le premier consiste en des freins physiques comme la disponibiliteacute des produits Lrsquoemplacement geacuteographique du lieu drsquoacquisition des produits le deacutecor lrsquoenvironnement sonore lrsquoeacuteclairage et tout autre eacuteleacutement physique au moment de lrsquoachat affectent les deacutecisions des consommateurs (Lombardot et Mugel 2015) Souvent les produits issus de lrsquoagriculture biologique de modes de production durables ou eacutethiques sont plus chers que les produits courants Seuls les consommateurs disposant drsquoun fort pouvoir drsquoachat pourraient alors mettre lrsquoensemble de leurs achats en conformiteacute avec les opinions qursquoils ont pu deacuteclarer lors drsquoenquecirctes De plus la disponibiliteacute de ces produits peut ecirctre plus restreinte dans certains magasins et le temps manquer non seulement pour les achats mais pour sortir des comportements routiniers (ex apprendre agrave cuisiner agrave partir drsquoaliments de base plutocirct que de consommer du precirct-agrave-manger) Il est eacutegalement possible que lrsquoinformation neacutecessaire pour guider les choix soit insuffisante ou bien trop complexe (ex contenus nutritionnels sur les emballages) voire que lrsquoaccegraves agrave cette information soit trop chronophage Agrave lrsquoinverse la sur-information parfois cacophonique agrave laquelle les consommateurs sont exposeacutes et la difficulteacute pour en extraire un sens sont drsquoautres facteurs potentiels contribuant agrave ce deacutecalage Enfin il arrive que lrsquoenvironnement social freine la mise en application des opinions par exemple le souhait de consommer laquo bio  raquo ou laquo durable raquo ou laquo sans sucre raquo ou celui de suivre les recommandations nutritionnelles peuvent se heurter aux goucircts et attentes des autres personnes preacutesentes au moment de lrsquoachat ou de lrsquoingestion agrave leurs influences et aux interactions interpersonnelles (Lombardot et Mugel 2015)

Des freins drsquoordre psychologique peuvent aussi jouer le locus of control externe crsquoest-agrave-dire lrsquoattribution des ressorts de lrsquoaction efficace agrave des facteurs exteacuterieurs agrave soi la tendance agrave la procrastination le deacuteni de lrsquoimportance de certains choix ou encore la meacutefiance envers les alleacutegations des producteurs (laquo bio raquo laquo durable raquo laquo eacutethique raquo) contribuent agrave retarder ou agrave empecirccher les changements de comportements (Lombardot et Mugel 2015   Thorslund et Lassen 2016)

Enfin une troisiegraveme source de deacutecalages reacuteside dans lrsquoeacutetat immeacutediat de la personne au moment de la consommation (fatigue eacutenervement irritation) ce qui favorise des comportements routiniers plutocirct que les investissements de temps et drsquoeacutenergie neacutecessaires agrave la mise en œuvre des intentions (Lombardot et Mugel 2015)

La consommation durable est un domaine tout particuliegraverement inteacuteressant en la matiegravere Une eacutetude reacutecente a regardeacute dans les travaux scientifiques deacutedieacutes agrave ce sujet comment le deacutecalage entre attitude et comportement se manifeste (Terlau et Hirsch 2015) Bien qursquoune proportion croissante de consommateurs se deacuteclare favorable agrave la consommation durable cela ne repreacutesente qursquoune faible part du marcheacute Ainsi en France Greenindex (2012 enquecircte eacutetudieacutee par Terlau et Hirsch) rapporte que 63 des consommateurs enquecircteacutes

14 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

deacuteclarent un inteacuterecirct pour la consommation durable alors que 31 seulement achegravetent des produits laquo verts raquo Ce deacutecalage reacutesulte de freins agrave lrsquoachat de produits issus de modes de production durables Le plus important de ces freins selon Terlau et Hirsch est le prix plus eacuteleveacute de ces produits Drsquoautres freins sont identifieacutes beacuteneacutefice jugeacute insuffisant aspect goucirct neacutecessiteacute de diversifier les lieux drsquoachat information non disponible etc

22 Deacutecalages lieacutes aux meacutethodes drsquoacquisition des informations

La validiteacute des meacutethodes drsquoenquecircte faisant intervenir la meacutemoire des reacutepondants est fortement contesteacutee depuis quelques anneacutees dans la litteacuterature scientifique internationale En 2014 un groupe de chercheurs publiait un article critique concluant que les donneacutees obtenues par auto-deacuteclaration sont si contestables qursquoil faut cesser de les utiliser pour bacirctir des politiques publiques (Dhurandhar et al 2015)

La critique des donneacutees drsquoenquecirctes nutritionnelles (qui sont des enquecirctes transversales) fait souvent reacutefeacuterence agrave la pyramide des niveaux de preuve scientifique (Lucas et Harris 2018) Cette pyramide est freacutequemment mobiliseacutee avec quelques variantes dans la litteacuterature scientifique Elle rappelle que les enquecirctes transversales si soigneacutees et compeacutetentes soient-elles occupent un niveau intermeacutediaire entre les eacutetudes animales ou in vitro et les eacutetudes randomiseacutees controcircleacutees (ERC) Les eacutetudes de cohortes repreacutesentent un niveau plus eacuteleveacute de scientificiteacute que les eacutetudes transversales Cependant les relations causales entre facteurs au-delagrave des correacutelations identifieacutees par les eacutetudes drsquoobservation ne peuvent ecirctre deacutemontreacutees que par des ERC

Les eacutecarts deacuteclaratifreacuteel et les critiques adresseacutees aux meacutethodologies drsquoenquecirctes reposent sur plusieurs constatations

- Les meacutethodologies fondeacutees sur la meacutemoire souffrent des limites mecircmes des processus mneacutesiques (Archer et al 2015 2018) Les questionnaires ne mesurent pas les comportements de consommation mais collectent des souvenirs des perceptions qui y sont associeacutees rien ne confirmant que celles-ci soient fidegraveles agrave la reacutealiteacute Bien au contraire il est eacutetabli que la meacutemoire humaine est ni exacte ni preacutecise Elle amalgame des processus constructifs et reconstructifs (dont lrsquoimagination) elle laquo oublie raquo et mecircme laquo invente raquo agrave lrsquooccasion Les omissions sont donc possibles de mecircme que des intrusions parmi les consommations reacuteellement effectueacutees Cette limite nrsquoest pas speacutecifique aux comportements alimentaires lrsquoeacutetude des auto-deacuteclarations dans divers domaines (santeacute communications justice etc) et disciplines (eacuteconomie anthropologie psychologie etc) suggegravere que la moitieacute de ces deacuteclarations sont probablement incorrectes (Bernard et al 1984) Les meacutethodes utiliseacutees pour obtenir les deacuteclarations sont du mecircme ordre que celles qui induisent de laquo faux souvenirs raquo (Archer et al 2015 Bernstein et Loftus 2009) Les questionnaires de freacutequence de consommation (FFQ) sont tregraves proches du paradigme Deese-Roediger-McDermott (DRM) qui suscite de nombreuses erreurs (plus de 75 ) dans le rappel de mots faisant partie drsquoune liste agrave meacutemoriser Dans ce paradigme DRM les reacutepondants sont plus certains des termes rappeleacutes par erreur que des mots reacuteellement inclus dans la liste (Deese 1959 Roediger et McDermott 1995 Gallo 2010) Une eacutetude deacutejagrave ancienne de psychologie sociale avait montreacute agrave la sortie drsquoun restaurant que des personnes intervieweacutees pouvaient deacutecrire la tenue du personnel masculin et la musique drsquoambiance alors que lrsquoeacutetablissement nrsquoavait ni personnel masculin ni musique drsquoambiance (Kronenfeld et al 1972 Bernard et al 1984)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 15

- Outre lrsquooubli les reacutepondants peuvent aussi mentir ou mecircme changer leurs comportements habituels lorsqursquoils doivent les deacuteclarer (Macdiarmid et Blundell 1997) Par exemple 31 des participants agrave une enquecircte alimentaire ont reconnu avoir mangeacute moins gras pendant lrsquoeacutetude et 43 avoir consommeacute davantage de fruits et leacutegumes Il srsquoagit ici drsquoune modification intentionnelle des consommations dont les effets srsquoajoutent agrave la difficulteacute intrinsegraveque de la tacircche (Mela et Aaron 1997) On peut noter que ces deacuteclarations qui concernent les changements de comportements pendant les eacutetudes reposent aussi sur la meacutemoire et sont sans doute affecteacutees par la mecircme tendance agrave la sous-deacuteclaration que celles qui concernent les ingestions elles-mecircmes Si tel est le cas la distorsion des ingestions deacuteclareacutees par rapport aux consommations reacuteelles est encore plus importante

- Les questionnaires alimentaires sont en geacuteneacuteral fastidieux agrave remplir Ils sont parfois complexes et demandent du temps Ils exigent une motivation soutenue de la part des enquecircteacutes parfois pendant plusieurs jours Lrsquoennui ou la difficulteacute peuvent contribuer agrave deacuteteacuteriorer la qualiteacute de la deacuteclaration (Scagliusi et al 2003 Lusk et Brooks 2011) Certaines eacutetudes notent une deacuteteacuterioration de la reacuteponse au cours des rappels successifs (Freedman et al 2014) Trois rappels de 24 heures non conseacutecutifs9 produisent des deacuteclarations plus complegravetes que le releveacute de 7 jours conseacutecutifs ce qui est attribueacute agrave la perte de motivation qui se deacuteveloppe apregraves plusieurs jours

- Les deacuteclarations sont tregraves influenceacutees par lrsquoinstrument et le protocole drsquoenquecircte par leurs formats formulations et contextes (Schwartz 1999) Il est bien montreacute que diffeacuterentes meacutethodes comme le rappel de 24 heures le releveacute alimentaire drsquoune semaine et les questionnaires de freacutequences de consommations donnent des deacuteclarations diffeacuterentes y compris chez le mecircme individu (Freedman et al 2014) Les hommes normo-pondeacuteraux sous-deacuteclarent leurs apports de 12 agrave 14 en utilisant des rappels de 24 heures et de 31 agrave 36 avec des questionnaires de freacutequences (id) Des recherches portant sur les meacutecanismes cognitifs et les processus de communication entre enquecircteurs et enquecircteacutes (Schwartz 1999) ont deacutemontreacute que des changements en apparence mineurs (ordre des questions questions ouvertes ou fermeacutees options de reacuteponse proposeacutees eacutechelles de rappel journeacuteeanneacutee identiteacute et motivations supposeacutees de la source de lrsquoenquecircte) peuvent conduire agrave de grandes dispariteacutes des reacuteponses Il est eacutegalement important de srsquoassurer que le questionnaire est bien compris par les enquecircteacutes Bessiegravere et al (1997) font ainsi eacutetat des malentendus qui peuvent disqualifier une eacutetude Si certaines questions se precirctent facilement aux traitements quantitatifs (eacutetat civil par exemple) drsquoautres sont susceptibles drsquointerpreacutetations infinies Par exemple qursquoest-ce que laquo souvent raquo ou qursquoest-ce qursquoune laquo grande portion raquo (Heacuteran 1984)

- La personnaliteacute de lrsquoenquecircteur peut modifier les reacuteponses des enquecircteacutes Les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves de populations noires aux Eacutetats-Unis sont plus fiables si les enquecircteurs sont noirs Dans les enquecirctes Insee les reacuteponses sont plus rigoureuses si elles sont obtenues aupregraves de femmes qursquoaupregraves de militaires agrave la retraite (entretien avec Marie Plessz) Dans certains cas lrsquoenregistrement direct sur ordinateur permet une plus grande sinceacuteriteacute des reacuteponses en particulier quand lrsquoinformation demandeacutee concerne un sujet sensible

- Les enquecirctes drsquoopinion utilisent des questionnaires trop geacuteneacuteraux et deacutetacheacutes du contexte de consommation pour vraiment fournir une information utile sur les comportements drsquoachat ou de consommation (Devinney et al 2010) Des eacutechelles simples portant sur le degreacute drsquoadheacutesion agrave certaines propositions (eacutechelles en cinq degreacutes de type Likert par exemple) tendent agrave sur-eacutevaluer lrsquoimportance de cette adheacutesion Certains auteurs ont ainsi pu parler du laquo mythe raquo du consommateur eacutethique (Devinney et al 2010 Carrigan et

9 Un rappel de 24 heures consiste agrave demander (par entretien teacuteleacutephonique) agrave lrsquoindividu lrsquoensemble de ses prises alimentaires du jour preacuteceacutedent

16 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Attalla 2001) en faisant remarquer que les preacuteoccupations pour lrsquoeacutethique deacuteclareacutees dans les enquecirctes drsquoopinions srsquoarrecirctent au moment de passer agrave la caisse Les eacutetudes de consentement agrave payer utilisant des proceacutedures de choix forceacutes dans des conditions controcircleacutees montrent que les consommateurs ne sont pas disposeacutes agrave sacrifier la qualiteacute en faveur de produits socialement acceptables (Devinney et al 2010) Les deacutecalages entre opinions et pratiques ne sont pas reacuteserveacutes agrave lrsquoalimentation et sont bien deacutecrits dans divers domaines dont la pratique culturelle (Peacutequignot 2011) la lecture (Donnat 2009) ou encore les opinions politiques et le vote (Braconnier 2010)

- Les instruments des enquecirctes alimentaires ne considegraverent et deacutefinissent souvent que certains moments de consommation au cours de la journeacutee (petit-deacutejeuner deacutejeuner goucircter etc) Or certains comportements nrsquoentrent pas dans ce cadre par exemple le grignotage est un acte drsquoingestion impliquant tregraves peu drsquoattention et pouvant se reacutepeacuteter sur plusieurs heures Il est donc difficile drsquoen rendre compte dans le cadre des cateacutegories preacute-deacutefinies drsquooccasions alimentaires

- Le biais dit de laquo mindless consumption raquo (consommation automatique sans y precircter attention) a eacuteteacute eacutetabli par des eacutetudes quantitatives Il induit geacuteneacuteralement une sous-deacuteclaration drsquoautant plus importante que les aliments concerneacutes sont faciles drsquoaccegraves (Wansink et Sobal 2007)

- Les meacutethodes drsquoenquecircte sont speacutecifiques drsquoun domaine de recherche et il faut donc eacuteviter les geacuteneacuteralisations abusives Par exemple des donneacutees concernant le budget des familles ne sont adapteacutees ni agrave lrsquoeacutetude des consommations individuelles ni aux questions nutritionnelles

- Trop souvent la validation drsquoune meacutethode drsquoenquecircte sur lrsquoalimentation se fait par correacutelation avec drsquoautres meacutethodes souffrant de limites identiques (Block 1982 Masson et al 2003) Si les sources de distorsion sont les mecircmes drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre leur correacutelation suggegravere une fausse validiteacute Seule la comparaison avec une mesure objective indeacutependante de la consommation (deacutepense eacutenergeacutetique par exemple) pourrait constituer une validation

- Il est difficile de deacutepartager la sursous deacuteclaration apparente de la sursous deacuteclaration reacuteelle Dans certaines circonstances les apports deacuteclareacutes par un individu peuvent paraicirctre tregraves bas ou tregraves eacuteleveacutes Il est difficile de savoir si ces deacuteclarations sortant de lrsquoordinaire repreacutesentent fidegravelement la consommation reacuteelle au moment de lrsquoenquecircte ou encore srsquoil srsquoagit de sur- ou de sous-deacuteclarations

- Enfin les reacuteponses obtenues lors des enquecirctes en ligne peuvent ecirctre diffeacuterentes de celles formuleacutees en face agrave face Lrsquoanonymat de lrsquoenquecircte en ligne peut donner lieu agrave plus de sinceacuteriteacute ceci est probablement vrai eacutegalement dans le cas preacutecis de lrsquoalimentation Les enquecirctes en ligne ne preacutesentent toutefois pas de difficulteacute particuliegravere degraves lors que la phase de validation a montreacute une concordance entre les reacuteponses obtenues par ce moyen et les exigences du protocole

Cette analyse de la litteacuterature scientifique met en eacutevidence divers types de deacutecalages entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes et reacuteels deacutependant tant des individus solliciteacutes que des meacutethodes de collecte des informations La partie 3 va permettre avec trois eacutetudes de cas drsquoapprofondir lrsquoanalyse de ces deacutecalages dans diffeacuterentes circonstances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 17

3 Preacuteciser la mesure et lrsquoexplication des deacutecalages observeacutes trois eacutetudes de cas

Trois eacutetudes de cas ont permis drsquoapprofondir la quantification de deacutecalages observeacutes soit sur des cateacutegories de produits soit lieacutes agrave des effets meacutethodologiques Ce travail vient prolonger et illustrer par lrsquoexpeacuterience les eacuteleacutements deacutecrits ci-dessus agrave partir de la revue de litteacuterature

La premiegravere eacutetude (31) porte sur la deacuteclaration des consommations par la meacutethode du carnet alimentaire Elle consiste agrave noter le deacutetail de ses consommations drsquoaliments et de boissons pendant une peacuteriode deacutetermineacutee (3 ou 4 jours ou 7 jours conseacutecutifs) en estimant geacuteneacuteralement les tailles de portion agrave lrsquoaide drsquoun cahier photographique Cette meacutethode permet drsquoobtenir des informations preacutecises sur les apports alimentaires et nutritionnels Lrsquoobjectif de cette premiegravere eacutetude de cas eacutetait de deacuteterminer quels aliments et boissons sont les plus omis dans le remplissage de ces carnets et agrave quelles occasions

La deuxiegraveme eacutetude (32) srsquointeacuteresse agrave la lassitude des enquecircteacutes dans les enquecirctes alimentaires INCA 2 (2006-2007) et INCA 3 (2013-2014) La sur-sollicitation des personnes enquecircteacutees pendant plusieurs jours entraicircne une fatigue et une banalisation pouvant causer une moins bonne deacuteclaration Il srsquoagissait ici drsquoeacutevaluer la sous-deacuteclaration au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte progresse en partant de lrsquohypothegravese que le premier jour de deacuteclaration est le plus fidegravele agrave la reacutealiteacute et que le dernier est celui ougrave lrsquoon observe la plus forte sous-deacuteclaration Notons que des changements de meacutethodes ont eacuteteacute introduits entre les deux eacuteditions de lrsquoenquecircte INCA (carnet alimentaire de 7 jours en 2006 versus rappels de 24 heures en 2013)

La troisiegraveme eacutetude de cas (33) srsquointeacuteresse agrave lrsquoactiviteacute des reacuteseaux sociaux et agrave ses implications sur les achats alimentaires De faccedilon exploratoire des correacutelations statistiques ont eacuteteacute rechercheacutees entre deux ensembles de donneacutees des donneacutees sur les discours meacutediatiques et les deacutebats sur les reacuteseaux sociaux et des donneacutees drsquoachat Ce sont ici agrave la fois des deacutecalages temporels (laquo effet retard raquo) et des deacutecalages entre discours et pratiques qui sont rechercheacutes Un mecircme protocole a eacuteteacute appliqueacute aux cas des produits biologiques et de la viande

31 Eacutetude de la deacuteclaration de consommations alimentaires (ingestion) par la meacutethode du carnet alimentaire

Les carnets alimentaires sont une meacutethode freacutequemment utiliseacutee pour deacuteterminer la consommation elle permet de mesurer les apports alimentaires et nutritionnels au niveau drsquoune population Elle est notamment utiliseacutee pour lrsquoenquecircte Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) du CREacuteDOC Comme vu preacuteceacutedemment cette meacutethode de recueil drsquoinformation induit neacutecessairement des deacutecalages avec la consommation reacuteelle

Afin drsquoanalyser ces deacutecalages une expeacuterimentation avec des cameacuteras a eacuteteacute entreprise srsquoappuyant sur une meacutethode eacuteprouveacutee dans drsquoautres circonstances (Lahlou 1998 et 2006) Lrsquoobjectif est ici de deacuteterminer les deacutecalages entre les consommations deacuteclareacutees sur le carnet alimentaire et les consommations reacuteelles filmeacutees par une cameacutera porteacutee par les mangeurs en repeacuterant et traitant les omissions eacuteventuelles combien drsquoomissions Concernant quels types drsquoaliments ou de boissons Agrave quelles occasions de consommation Dans quelles circonstances   20 individus volontaires ont eacuteteacute eacutequipeacutes drsquoune cameacutera portative (voir photographie 1) et ont rempli en parallegravele pendant trois jours conseacutecutifs un carnet alimentaire (e-carnet identique agrave celui de lrsquoenquecircte CCAF) Lrsquohypothegravese faite eacutetait qursquoils oublieraient rapidement porter cette cameacutera (ce qui a eacuteteacute confirmeacute par la plupart des intervieweacutes) et que les images enregistreacutees permettraient de reacuteveacuteler des eacutecarts avec les informations inscrites sur les carnets alimentaires

18 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sou

rce

CR

EacuteD

OC

Photographie 1 ndash Dispositif de cameacutera portative fixeacutee sur un harnais utiliseacute pour cette expeacuterimentation

Les 20 individus ont eacuteteacute recruteacutes via Internet (socieacuteteacute Easypanel) en fonction de profils varieacutes preacutedeacutefinis agrave lrsquoavance lieu drsquohabitation en reacutegion parisienne (Paris petite couronne et grande couronne) sexe diplocircme (2 modaliteacutes au plus baccalaureacuteat au moins Bac+1) acircge (3 tranches 18-34 ans 35-54 ans 55 ans et plus) Ces personnes ont eacuteteacute reacutemuneacutereacutees Aucune exclusion a priori nrsquoa eacuteteacute envisageacutee (ex individu obegravese ou anorexique personne ayant preacutevu un eacuteveacutenement particulier lors des jours drsquoexpeacuterimentation etc)

La comparaison des e-carnets alimentaires avec les images obtenues gracircce aux cameacuteras a permis de deacuteceler des omissions etou des erreurs dans les informations deacuteclareacutees Tout drsquoabord sur les 18 participants pour lesquels les seacutequences filmeacutees eacutetaient exploitables un seul a correctement noteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires La plupart des individus ont omis drsquoenregistrer au moins un aliment ou une boisson En moyenne le nombre drsquoaliments ou boissons non noteacutes srsquoeacutelegraveve agrave un peu plus de 2 par individu et par jour Toutefois mecircme si la majoriteacute des personnes ne mentionne pas avec exhaustiviteacute lrsquoensemble de ses consommations alimentaires les repas principaux sont globalement bien renseigneacutes

Lors du deacutebriefing reacutealiseacute agrave la fin de lrsquoexpeacuterimentation la quasi-totaliteacute des participants a deacuteclareacute ne pas avoir omis drsquoaliments En insistant et en donnant des exemples certains ont alors admis avoir oublieacute par exemple des consommations drsquoeau de cafeacute ou de biscuits

Nous avons identifieacute deux grandes cateacutegories drsquoomissions dans les e-carnets alimentaires des omissions lors des prises hors repas les plus importantes en nombre des omissions drsquoaliments accompagnant les plats Le tableau 2 reacutecapitule le nombre drsquoomissions (laquo cas raquo) de boissons et drsquoaliments identifieacutees parmi les 18 participants

Tableau 2 ndash Nombre total drsquoomissions identifieacutees par types de boissons et drsquoaliments pour lrsquoeacutetude de cas ndegdeg11

Lecture le nombre de cas correspond au nombre total drsquoomissions identifieacutees sur les videacuteos les parenthegraveses donnent le nombre drsquoindividus concerneacutes par ces omissionsSource auteurs rapport final de lrsquoeacutetude pages 43 et 45

Eau 18 cas (9 individus sur 18)Boissons sucreacutees 7 cas (6 individus sur 18)Boissons chaudes et lait 5 cas (4 individus sur 18)

Leacutegumes (ex salade cornichon leacutegumes drsquoaccompagnement etc) 14 cas (9 individus)

Produits sucreacutes 9 cas (8 individus)Biscuits sucreacutes 8 cas (6 individus)Condiments 8 cas (3 individus)Pain-biscottes 7 cas (5 individus)Sauces 7 cas (5 individus)Matiegraveres grasses 6 cas (5 individus)Ultra-frais laitiers 4 cas (4 individus)Fruits 4 cas (4 individus)

Fromage 3 cas (3 individus)Charcuterie 1 cas (1 individu)Sandwich 1 cas (1 individu)Riz 1 cas (1 individu)Viande 1 cas (1 individu)Fruits secs 1 cas (1 individu)Pacirctes 1 cas (1 individu)Pacirctisseries 1 cas (1 individu)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 19

Voici plus en deacutetails les principales omissions repeacutereacutees

bull LrsquoeauLorsque lrsquoeau nrsquoa pas eacuteteacute inscrite dans le e-carnet alimentaire il srsquoagit en majoriteacute de

prises hors repas par ex Jonathan 30 ans boit de lrsquoeau agrave la sortie de son bureau dans la voiture ou encore devant la teacuteleacutevision le dimanche entre deux repas

Une autre cateacutegorie drsquoomission de lrsquoeau dans le e-carnet lrsquooubli systeacutematique est plus rare (1 individu sur 18) Par exemple Claude 50 ans boit de lrsquoeau au moment du petit-deacutejeuner ndash et sucircrement agrave bien drsquoautres occasions ndash mais il nrsquoa inscrit aucune de ces occasions dans le carnet

bull Les boissons sucreacutees et boissons chaudesLrsquoomission de boissons sucreacutees et de boissons chaudes est dans notre

expeacuterimentation uniquement arriveacutee lors de prises hors repas Par exemple Ingrid 31 ans boit du jus drsquoorange avant de commencer agrave preacuteparer le deacutejeuner dans sa cuisine et Virginie 51 ans oublie un cafeacute bu agrave 9h du matin sur son lieu de travail

bull Les leacutegumesIl existe 2 familles drsquoomissions concernant les leacutegumes Celles concernant les produits

utiliseacutes dans la recette drsquoun plat tels que les oignons lrsquoail et les leacutegumes accompagnant des feacuteculents ou drsquoautres aliments Par exemple Eacutelodie 31 ans qui a bien noteacute dans le e-carnet laquo la salade raquo oublie drsquoindiquer les tomates ou encore les leacutegumes qui accompagnent son riz

Le deuxiegraveme type drsquoomissions concerne des leacutegumes consommeacutes en encas par ex Virginie 51 ans mange plusieurs fois dans les 3 jours du concombre en encas La premiegravere fois lrsquoaliment est bien indiqueacute dans le e-carnet les fois suivantes il ne lrsquoest plus

bull Les produits et biscuits sucreacutesLe groupe des produits sucreacutes est constitueacute des confitures des bonbons des chocolats

et du sucre Ces produits et les biscuits sucreacutes sont parfois non deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire lors drsquoune prise hors repas Nadegravege 38 ans omet de noter dans le e-carnet un carreacute de chocolat pris avec son cafeacute apregraves son deacutejeuner vers 14h30 son cafeacute eacutetant bien indiqueacute dans son carnet mais pas le carreacute de chocolat Marvin 28 ans ne deacuteclare pas sa tartine de confiture lors de la prise drsquoun encas Ingrid 31 ans consomme un biscuit sur son lieu de travail Agrave noter que les biscuits sucreacutes ne sont pas deacuteclareacutes surtout lorsqursquoils sont pris hors repas

bull Les condiments sauces et matiegraveres grassesCes cateacutegories de produits sont des ingreacutedients de plats Annexes au plat principal leur

omission est relativement freacutequente Par exemple Christophe 50 ans oublie de mentionner qursquoil ajoute de la beacutearnaise dans son plat Rahma 32 ans oublie la vinaigrette qursquoelle ajoute agrave sa salade

bull Le painPour ce qui est du pain on observe des omissions dans le e-carnet alimentaire agrave

la fois lors de prises hors repas mais eacutegalement au sein du repas Par exemple Marvin 28 ans omet de noter ses tartines et Virginie 51 ans omet drsquoenregistrer le pain lors drsquoun dicircner en famille

bull Les ultra-frais laitiers et les fruitsCes aliments lorsqursquoils ne sont pas deacuteclareacutes dans le e-carnet alimentaire sont des

aliments majoritairement pris hors repas Par exemple Jonathan 30 ans mange une

20 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

pomme apregraves avoir cuisineacute agrave 17h On peut aussi identifier des omissions sur des fins de repas Christophe 50 ans nrsquoindique pas dans son e-carnet alimentaire deux yaourts qursquoil consomme juste agrave la fin de son repas Agrave noter qursquoil les consomme apregraves avoir effectueacute sa vaisselle agrave la main debout dans la cuisine et non plus agrave table

Deux grandes cateacutegories drsquoomissions ont donc eacuteteacute identifieacutees dans les e-carnets alimentaires en fonction du moment de la prise les omissions lors drsquooccasions hors repas et les omissions drsquoaliments accompagnant les plats principaux

In fine il ressort de cette eacutetude de cas que la meacutethode de recueil par carnet alimentaire comporte certains eacutecueils du fait mecircme de sa conception lrsquoappel agrave la meacutemoire favorise neacutecessairement lrsquooubli drsquoaliments (de certains types ou agrave certains moments) entraicircnant une meacutesestimation (la plupart du temps une sous-estimation) des comportements alimentaires reacuteels Afin de remeacutedier agrave cet eacutecueil il serait neacutecessaire au moment du brief initial des personnes enquecircteacutees drsquoinsister davantage sur les omissions geacuteneacuteralement commises dans ce type drsquoenquecircte sur les prises hors repas etc Par ailleurs lrsquoobservation par cameacutera ouvre un large champ drsquoinvestigations pour approfondir la question des deacutecalages entre pratiques deacuteclareacutees et pratiques reacuteelles

32 Effet de lassitude dans les enquecirctes alimentaires

Dans une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs les individus tendent agrave sous-deacuteclarer leurs consommations au fil des jours pheacutenomegravene appeleacute laquo effet de lassitude  raquo Cette deuxiegraveme eacutetude de cas vise agrave mettre en eacutevidence cette sous-deacuteclaration pour certaines cateacutegories de produits

Le changement de meacutethode opeacutereacute entre deux sessions de lrsquoenquecircte INCA reacutealiseacutee par lrsquoAnses (INCA 2 et INCA 3)10 est mis agrave profit pour caracteacuteriser le deacutecalage ducirc au choix de la modaliteacute pour le remplissage des carnets alimentaires Lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) a eacuteteacute reacutealiseacutee par carnets alimentaires de 7 jours conseacutecutifs alors que lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) a eacuteteacute reacutealiseacutee par le biais de trois rappels de 24 heures Dans ce cas chaque personne interrogeacutee devait renseigner ses consommations alimentaires pour trois journeacutees indeacutependantes (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) seacutelectionneacutees sur une peacuteriode de trois semaines Lrsquohypothegravese testeacutee est que lrsquoeffet de lassitude est moindre (voire nul) dans une enquecircte alimentaire par rappel de 24 heures par rapport agrave une enquecircte alimentaire par carnet de 7 jours conseacutecutifs

Agrave partir de lrsquoenquecircte INCA 2 (2006-2007) nous avons eacutetudieacute les diffeacuterences de deacuteclaration qui existent entre les 7 journeacutees de remplissage (jour 1 jour 2 hellip jour 7) Dans un second temps nous avons fait de mecircme sur la base de lrsquoenquecircte INCA 3 (2015-2016) Deux indicateurs ont eacuteteacute utiliseacutes les apports alimentaires (gj) les apports eacutenergeacutetiques (kcalj) La comparaison des moyennes de lrsquoeacutenergie consommeacutee en fonction des jours (jour 1 jour 2 hellip jour n) permet de deacuteterminer si le numeacutero du jour a un impact dans le remplissage du carnet Il en est de mecircme pour la comparaison des taux de consommation de certaines cateacutegories de produits

Il ressort de ces analyses (tableau 3) que dans INCA 2 les apports alimentaires (en gj) et les apports eacutenergeacutetiques (en kcalj) deacutecroissent significativement au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps de maniegravere continue (- 43 gj et - 28 kcalj par journeacutee

10 Ces analyses ont beacuteneacuteficieacute de la contribution de lrsquoAnses pour les traitements des donneacutees drsquoINCA 3

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 21

suppleacutementaire avec des reacutesultats statistiquement significatifs p lt 2e-16 dans les deux cas) Entre le 1er et le 7e jour de consommation la moyenne des apports en grammes de la population adulte acircgeacutee de 18 ans et plus a diminueacute de 10 celle des apports en eacutenergie de 8 En simulant une valeur constante de la moyenne des apports en grammes ou de lrsquoeacutenergie correspondant au jour le laquo mieux raquo rempli soit le 1er jour de consommation la quantiteacute totale sous-estimeacutee srsquoeacutetablirait agrave environ 5 pour les quantiteacutes et 4 pour lrsquoeacutenergie Agrave lrsquoinverse dans le cas drsquoINCA 3 il apparaicirct que les apports alimentaires et les apports eacutenergeacutetiques ne deacutecroissent pas (p = 01431) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance dans le temps (entre le 1er et le 3e rappel de 24 heures et p lt 2e-16)

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 9711 1 0245 2 0936 8735Jour 2 2 9579 1 0445 2 0635 8764Jour 3 2 9300 1 0009 2 0393 8468Les 3 jours 2 9530 8600 2 0655 7102

Quantiteacute consommeacutee (gjour)

Apport eacutenergeacutetique (kcaljour)

Moyenne Erreur-type Moyenne Erreur-typeJour 1 2 7216 9328 2 0366 7969Jour 2 2 6737 9582 2 0161 8116Jour 3 2 6227 9934 1 9882 8084Jour 4 2 5888 9811 1 9509 8052Jour 5 2 5381 9762 1 9211 8060Jour 6 2 4944 9418 1 9014 7912Jour 7 2 4623 9551 1 8698 7746Les 7 jours 2 5859 8339 1 9549 6302

Tableau 3 - Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) et apport eacutenergeacutetique moyen par jour (kcalj) pour chaque journeacutee de consommation (enquecirctes INCA 22 et INCA 33)

Enquecircte INCA 2 (2006-2007)

Enquecircte INCA 3 (2014-2015)

Source Anses Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) et INCA 3 (calculs Anses) rapport final de lrsquoeacutetude page 52

On notera que les eacutecarts entre les apports en grammes entre les enquecirctes INCA 2 et INCA 3 sont principalement dus agrave des diffeacuterences meacutethodologiques

Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 qui utilise une meacutethode par carnet alimentaire avec un recueil des consommations sur 7 jours conseacutecutifs Cet effet est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 avec une meacutethodologie par rappel de 24 heures

Par ailleurs des analyses par cateacutegories alimentaires ont eacuteteacute conduites Elles montrent que dans lrsquoenquecircte INCA 2 un nombre important de ces cateacutegories sont de moins en moins deacuteclareacutees (indicateur gj plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 + szlig1 numeacutero du jour + ɛ) (tableau 4)

Tableau 4 ndash Cateacutegories alimentaires pour lesquelles la baisse des deacuteclarations est significative

Avec plt0001 Avec plt001

Pain et panification segraveche Pommes de terre et apparenteacutes Viande

Eaux Margarine Autres boissons chaudes

Huile Ultra-frais laitiers Soupes et bouillons

Condiments et sauces Boissons fraicircches sans alcool

Sucres et deacuteriveacutes Leacutegumes

Pacirctes

Fromages

Source auteurs rapport final de lrsquoeacutetude page 56

22 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Pour INCA 2 le tableau 5 preacutesente les reacutesultats obtenus pour les quantiteacutes moyennes consommeacutees par jour par groupe alimentaire et pour chaque journeacutee

Dans le cas de lrsquoenquecircte INCA 3 (tableau 6) seulement 2 groupes alimentaires sont de moins en moins deacuteclareacutes (indicateur gjour plt001) au fur et agrave mesure que lrsquoenquecircte avance Une reacutegression lineacuteaire simple a mis en eacutevidence cette baisse (reacutegression lineacuteaire   apport de la cateacutegorie alimentaire = szlig0 +szlig1 numeacutero du jour + ɛ) Il srsquoagit des cateacutegories suivantes pain et panification segraveche raffineacutes plats agrave base de poisson

Un effet de lassitude est donc bien observeacute chez les reacutepondants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 et ce pour de nombreuses cateacutegories drsquoaliments Il est en revanche absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 excepteacute pour le groupe laquo pain et panification segraveche raffineacutes raquo et laquo plats agrave base de poisson  raquo Aucune surdeacuteclaration nrsquoapparaicirct significative

Cet effet de lassitude a ensuite eacuteteacute testeacute selon plusieurs critegraveres (sexe acircge diplocircme indice de masse corporelle - IMC) En voici les principaux reacutesultats et enseignements

bull Selon le sexeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavanceacutee de

lrsquoenquecircte autant chez les hommes (- 42 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) que chez les femmes (- 45 gj par journeacutee suppleacutementaire plt0001) Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit le sexe

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les hommes ou chez les femmes Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les hommes et chez les femmes   il est absent pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque sexe

bull Selon lrsquoacircgeDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte dans les 3 tranches drsquoacircge suivantes - 18-34 ans -60 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 35-54 ans -48 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - 55-79 ans -23 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent quel que soit lrsquoacircge Il est agrave noter qursquoil est plus important chez les plus jeunes (- 60 gj par journeacutee de remplissage chez les 18-34 ans contre - 48 gj chez les 35-54 ans et - 23 gj chez les 55-79 ans)

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte que ce soit chez les 18-34 ans 35-54 ans ou 55-79 ans Lrsquoeffet de lassitude est absent sur les apports en grammes quel que soit lrsquoacircge

En conclusion un effet de lassitude est observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les 18-34 ans 35-54 ans et 55-79 ans Il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour chaque tranche drsquoacircge

bull Selon le niveau drsquoeacuteducationDans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de

lrsquoenquecircte chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au baccalaureacuteat et chez ceux qui ont au moins le niveau du baccalaureacuteat

- niveau infeacuterieur au Bac - 38 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - niveau eacutegal ou supeacuterieur au Bac - 49 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)

Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les deux populations eacutetudieacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 23

Jour 1 Jour 2 Jour 3 Jour 4 Jour 5 Jour 6 Jour 7 (D7-D1)D1

1 Pain et panification segraveche 1088 1042 1014 988 956 959 936 - 140

2 Ceacutereacuteales pour petit deacutejeuner 46 47 41 39 41 42 42 - 87

3 Pacirctes 407 368 382 334 334 329 318 - 219

4 Riz et bleacute dur ou concasseacute 248 219 214 221 214 213 218 - 121

5 Autres ceacutereacuteales 05 05 07 07 03 05 05 00

6 Viennoiserie 108 105 110 114 104 120 115 65

7 Biscuits sucreacutes ou saleacutes et barres 82 88 86 81 80 76 70 - 146

8 Pacirctisseries et gacircteaux 315 345 388 359 365 352 331 51

9 Lait 797 785 760 740 768 747 743 - 68

10 Ultra-frais laitier 878 802 807 759 777 758 771 - 122

11 Fromages 322 313 311 306 292 289 283 - 121

12 Œufs et deacuteriveacutes 128 138 135 142 127 148 143 117

13 Beurre 108 101 100 95 97 98 99 - 83

14 Huile 108 98 94 89 86 86 88 - 185

15 Margarine 44 44 42 39 37 36 38 - 136

16 Autres graisses 01 01 01 01 01 01 01 00

17 Viande 509 482 473 413 426 447 466 - 84

18 Volaille et gibier 29 293 274 273 291 289 273 - 59

19 Abats 23 28 25 31 25 27 25 87

20 Charcuterie 342 321 318 310 330 318 295 - 137

21 Poissons 246 250 240 264 238 250 243 - 12

22 Crustaceacutes et mollusques 35 40 41 41 43 40 48 371

23 Leacutegumes (hors pommes de terre) 1312 1320 1292 1273 1203 1233 1232 - 61

24 Pommes de terre et apparenteacutes 589 556 523 551 540 498 483 - 180

25 Leacutegumes secs 95 66 79 101 94 93 95 00

26 Fruits 1339 1348 1290 1336 1284 1253 1299 - 30

27 Fruits secs et graines oleacuteagineuses 25 23 29 22 27 22 24 - 40

28 Glaces et desserts glaceacutes 67 61 71 80 74 77 71 60

29 Chocolat 53 58 54 50 50 49 47 - 113

30 Sucres et deacuteriveacutes 204 193 188 185 176 177 174 - 147

31 Eaux 8165 8024 785 7754 7566 7262 7143 - 125

32 Boissons fraicircches sans alcool 1343 1302 1258 1203 1205 1177 1132 - 157

33 Boissons alcooliseacutees 1249 1203 1255 1231 1259 1175 1162 - 70

34 Cafeacute 2717 2729 2687 2653 2577 2604 2570 - 54

35 Autres boissons chaudes 1432 1334 1327 1269 1233 1276 1238 - 135

36 Pizzas quiches et pacirctisseries saleacutees 214 236 237 225 231 190 246 150

37 Sandwichs casse-croucircte 132 164 152 154 160 177 154 167

38 Soupes et bouillons 918 904 852 854 844 822 815 - 112

39 Plats composeacutes 631 694 675 738 686 701 671 63

40 Entremets cregravemes desserts et laits geacutelifieacutes 245 249 234 237 235 199 228 - 69

41 Compotes et fruits cuits 136 147 123 138 118 139 122 - 103

42 Condiments et sauces 195 181 166 169 158 164 153 - 215

43 Aliments destineacutes agrave une alimentation particuliegravere 20 23 18 18 22 25 13 - 350

TOTAL 27216 26737 26227 25888 25381 24944 24623 - 95

Tableau 5 ndash QQuantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 22 ( (20062006--20072007 journeacutees journeacutees 11 agrave agrave 77)) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 2 (calculs CREacuteDOC) rapport final de lrsquoeacutetude page 56

24 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 ndash Quantiteacute moyenne consommeacutee par jour (gj) par groupe alimentaire pour chaque journeacutee de consommation pour INCA 33 ((20142014--20152015 journeacutees 11 agrave 33) chez les adultes

Lecture groupe alimentaire en gras lorsque le test de la reacutegression est significatif agrave au moins 1 Source ANSES Enquecirctes INCA 3 (calculs ANSES) rapport final de lrsquoeacutetude page 57

Jour 1 (1er rappel) Jour 2 (2e rappel) Jour 3 (3e rappel) (D3-D1)D1

1enspPain et panification segraveche raffineacutes 1098 1015 991 - 97

2ensp Pain et panification segraveche complets ou semi-complets 83 77 72 - 129

3ensp Ceacutereacuteales pour petit-deacutejeuner et barres ceacutereacutealiegraveres 45 49 45 01

4ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales raffineacutees 553 554 567 25

5ensp Pacirctes riz bleacute et autres ceacutereacuteales complegravetes et semi-complegravetes 22 21 23 32

6ensp Viennoiseries pacirctisseries gacircteaux et biscuits sucreacutes 576 553 558 - 32

7enspLaits 702 742 651 - 72

8enspYaourts et fromages blancs 840 770 790 - 60

9enspFromages 325 328 325 - 02

10enspEntremets et cregravemes desserts 164 159 181 104

11enspGlaces desserts glaceacutes et sorbets 53 55 55 40

12enspMatiegraveres grasses animales 93 88 87 - 63

13enspMatiegraveres grasses veacutegeacutetales 82 79 81 - 09

14enspŒufs et plats agrave base drsquoœufs 139 136 145 44

15enspViandes (hors volailles) 431 438 434 08

16enspVolailles 254 256 261 28

17enspCharcuterie 272 273 263 - 36

18enspPoissons 227 244 261 150

19enspCrustaceacutes et mollusques 32 33 39 225

20enspAbats 26 25 28 83

21enspLeacutegumes 1455 1449 1430 - 17

22enspLeacutegumineuses 71 53 63 - 107

23enspPommes de terre et autres tubercules 424 415 439 33

24enspFruits frais et secs 1455 1403 1434 - 15

25enspCompotes et fruits au sirop 154 155 166 81

26enspNoix graines et fruits oleacuteagineux 41 35 37 - 97

27enspConfiserie et chocolat 90 87 78 - 140

28enspSucre et matiegraveres sucrantes 206 199 208 06

29enspEaux embouteilleacutees 3918 4014 4004 22

30enspEau du robinet 4787 4869 4923 28

31ensp Boissons rafraicircchissantes sans alc ool (BRSA) 934 894 794 - 149

32enspJus de fruits et de leacutegumes 637 625 599 - 61

33enspBoissons alcooliseacutees 1346 1433 1399 40

34enspBoissons chaudes 5341 5186 5076 - 50

35enspSoupes et bouillons 1079 1108 989 - 83

36 Plats agrave base de viandes 135 134 127 - 59

37enspPlats agrave base de poissons 100 72 62 - 379

38enspPlats agrave base de leacutegumes 245 196 272 108

39ensp Plats agrave base de pommes de terre ceacutereacuteales ou leacutegumineuses 425 457 475 118

40ensp Sandwich pizzas tartes pacirctisseries et biscuits saleacutes 555 589 567 22

41ensp Condiments herbes eacutepices et sauces 240 243 233 - 27

42ensp Substituts de produits animaux agrave base de soja et autres veacutegeacutetaux 52 62 66 272

43enspPlats preacutepareacutes et desserts infantiles 03 04 02 - 197

TOTAL 29711 29579 29300 - 14

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 25

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac Il diminue de maniegravere significative avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez ceux qui ont au moins le Bac (- 39 gj par journeacutee suppleacutementaire plt005)

En conclusion un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus ayant un niveau drsquoeacutetude infeacuterieur au Bac comme chez ceux ayant au moins le Bac Il est eacutegalement observeacute en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA  3 chez les individus qui ont au moins le Bac

bull Selon lrsquoindice de masse corporelle

Dans INCA 2 lrsquoapport moyen en grammes diminue significativement avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte chez les individus quel que soit leur indice de masse corporelle (IMC en 4 tranches)

- individus maigres - 46 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt001) - individus normopondeacuteraux - 45 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus en surpoids - 40 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001) - individus obegraveses - 42 gj par journeacutee suppleacutementaire (plt0001)Lrsquoeffet de lassitude est bien preacutesent dans les quatre sous-populations eacutetudieacutees

Dans INCA 3 lrsquoapport moyen en grammes nrsquoest pas significativement diffeacuterent avec lrsquoavancement de lrsquoenquecircte et ce quelle que soit la classe drsquoIMC des reacutepondants Ainsi un effet de lassitude est bien observeacute pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA 2 chez les individus quel que soit leur IMC il est absent en ce qui concerne les apports en grammes pour lrsquoenquecircte INCA 3 pour les quatre classes drsquoIMC

En bref cette eacutetude permet de preacuteciser les enseignements de la revue de litteacuterature quant agrave lrsquoeffet de meacutethodes de collecte de donneacutees (par recueil sur 7 jours conseacutecutifs ou par rappel de 24 heures) sur les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle en documentant et estimant lrsquoeffet de la lassitude dans le premier cas dans le cadre des eacutetudes INCA Un enregistrement de la consommation alimentaire chez les adultes sur 7 jours conseacutecutifs amegravene agrave une sous-estimation (dans le cas drsquoINCA 2) drsquoenviron 5 des quantiteacutes

Afin drsquoestimer la quantiteacute theacuteorique moyenne drsquoaliments pour laquelle il nrsquoy aurait plus drsquoeffet de lassitude nous proposons les coefficients correcteurs suivants pour lrsquoenquecircte alimentaire INCA  2 coef = [ max (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7) x 7 ] somme (q1 q2 q3 q4 q5 q6 q7)

Avec plt0001 - Pain et panification segraveche 1091- Eaux 1063- Huile 1165- Condiments et sauces 1151- Sucres et deacuteriveacutes 1101- Pacirctes 1153- Fromages 1065- Pommes de terre et apparenteacutes 1102- Margarine 1100- Ultra-frais laitiers 1107- Boissons fraicircches sans alcool 1091- Leacutegumes 1042

Avec plt001 - Viande 1108- Autres boissons chaudes 1100- Soupes et bouillons 1069

26 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

En multipliant les apports moyens par ces coefficients nous faisons comme srsquoil nrsquoy avait plus drsquoeffet de lassitude Lrsquoutilisation de ces coefficients nrsquoest pas conseilleacutee pour de futures enquecirctes sur 7 jours en effet les meacutethodes de recueil des consommations alimentaires eacutevoluent et les valeurs des coefficients ne peuvent pas ecirctre meacutecaniquement reacuteutiliseacutees La deacutemarche utiliseacutee permet drsquoestimer lrsquoampleur de la lassitude dans drsquoautres enquecirctes agrave la meacutethodologie voisine Elle a lrsquointeacuterecirct drsquoestimer la laquo perte raquo occasionneacutee agrave un instant t du fait de la lassitude des sujets mettant en exergue les cateacutegories drsquoaliments pour lesquelles elle est la plus forte On y retrouve les boissons les sauces et condiments et certains types de leacutegumes des cateacutegories que nous avions deacutejagrave identifieacutees comme eacutetant plus souvent laquo omises raquo (cf eacutetude de cas ndeg1)

Sur lrsquoensemble des groupes de produits alimentaires eacutetudieacutes ce coefficient est de 105 ce qui signifie que les apports moyens sont laquo au moins raquo de 5 au-dessus de ce qui est deacuteclareacute Cet eacutecart nrsquoest pas aussi eacuteleveacute que nous lrsquoimaginions au deacutepart Les meacutethodes par carnets alimentaires sur plusieurs jours conseacutecutifs restent ainsi des meacutethodes relativement fiables

Lrsquoidentification des cateacutegories les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait aider agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles speacutecifiques compleacutementaires de celles existant deacutejagrave afin de reacuteduire autant que possible le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

33 Eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

Dans cette troisiegraveme eacutetude de cas nous cherchons les correacutelations entre discours sur les reacuteseaux sociaux (donneacutees Talkwalker) et actes drsquoachat en grande distribution (donneacutees RelevanC-groupe Casino) Lrsquoanalyse reacutevegravele les eacutecarts entre ces deux types de donneacutees et compare leurs eacutevolutions dans le temps Deux cateacutegories de produits ont eacuteteacute choisies pour illustrer ces eacutecarts la viande et les aliments issus de lrsquoagriculture biologique La meacutethode utiliseacutee est drsquoabord preacutesenteacutee (331) puis les reacutesultats sont deacutetailleacutes (332)

331 Une meacutethode mobilisant des donneacutees sur les reacuteseaux sociaux et sur les achats en grande distribution

Les opinions eacutemises agrave propos des conduites alimentaires sont influenceacutees par divers facteurs notamment les normes sociales de plus en plus exprimeacutees et porteacutees par les meacutedias qui jouent un rocircle deacuteterminant dans la structuration de lrsquoespace mental des acheteurs Il peut srsquoagir de meacutedias traditionnels (journaux magazines teacuteleacutevision radio etc) ou de plus en plus souvent des reacuteseaux sociaux numeacuteriques La meacutethode deacuteveloppeacutee dans cette troisiegraveme eacutetude de cas vise agrave analyser sur un pas de temps court (quelques mois) les relations entre laquo bruit meacutediatique raquo et achats en grande distribution Un pic meacutediatique agrave un temps t sur un sujet donneacute et consideacutereacute comme influenccedilant potentiellement les opinions des consommateurs va-t-il se traduire par une eacutevolution (hausse baisse) des achats des produits pouvant ecirctre concerneacutes par ces informations Et ce agrave quel pas de temps et avec quelle ampleur

Cette meacutethode innovante avait deux objectifs Le premier eacutetait de mettre en eacutevidence drsquoeacuteventuelles correacutelations statistiques entre les comportements drsquoachats drsquoune part et les discours meacutediatiques et deacutebats sur les reacuteseaux sociaux drsquoautre part Nous soulignons ici que les correacutelations statistiques eacutetablissent des liens entre deux variables sans eacutemettre

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 27

drsquohypothegravese de relations de cause agrave effet Il srsquoagissait eacutegalement si de telles correacutelations sont aveacutereacutees de voir srsquoil existe un deacutecalage entre deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoalimentation (capteacutes via lrsquoactiviteacute sur les reacuteseaux sociaux) et les comportements des mangeurs

Pour ce faire deux theacutematiques ont eacuteteacute eacutetudieacutees celle de la viande (associeacutee aux thegravemes du veacuteganisme et du flexitarisme) et celle des produits biologiques Plusieurs types de donneacutees ont eacuteteacute mobiliseacutes

- Drsquoune part des donneacutees meacutediatiques ont eacuteteacute obtenues par requecirctes adapteacutees aux sujets eacutetudieacutes et adresseacutees par lrsquooutil Talkwalker Cet outil collecte trois paramegravetres (mentions audiences engagements) sur 150 millions de sites Internet et une dizaine de reacuteseaux sociaux Les laquo mentions raquo correspondent au nombre drsquoarticles pour un meacutedia ou au nombre de tweets et de partages sur les reacuteseaux sociaux Les laquo audiences raquo sont le nombre theacuteorique de personnes toucheacutees par une mention Lrsquoaudience est mesureacutee agrave partir du nombre drsquoabonneacutes agrave un meacutedia ou un compte Twitter Il ne srsquoagit pas du nombre de lecteurs reacuteels drsquoun message car les outils ne permettent pas drsquoavoir cette donneacutee mais du nombre potentiel de personnes exposeacutees agrave un message Les laquo engagements raquo reprennent le nombre de personnes qui ont interagi avec un contenu en ligne Un engagement correspond au fait drsquoaimer de partager ou de cliquer sur un message Crsquoest une mesure de la reacuteaction des membres des reacuteseaux sociaux agrave un message

Ainsi un message peut ecirctre posteacute par un meacutedia agrave tregraves forte audience mais ne geacuteneacuterer aucun engagement Inversement un message eacutemis par un acteur agrave faible audience peut se diffuser tregraves largement par viraliteacute Le nombre drsquoengagements permet de mesurer cette viraliteacute Il est important de souligner ici que le bruit meacutediatique analyseacute via les reacuteseaux sociaux est loin drsquoecirctre repreacutesentatif de lrsquoactiviteacute meacutediatique geacuteneacuterale et de lrsquoopinion de la population franccedilaise Il ne srsquoagit en effet que de lrsquoopinion des socionautes actifs sur ces reacuteseaux Toutefois par souci de simplification nous y ferons reacutefeacuterence dans la suite de cet article en parlant de laquo lrsquoopinion du grand public  raquo par distinction avec les laquo journalistes raquo et les laquo militants raquo

- Drsquoautre part des donneacutees drsquoachats en grande distribution issues de RelevanC (groupe Casino) ont eacuteteacute utiliseacutees Elles couvrent les achats des clients des enseignes du groupe Casino De maniegravere geacuteneacuterale il convient de rappeler que si les donneacutees issues directement des distributeurs sont pertinentes car mesurant reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles ne couvrent que certains circuits notamment la grande distribution Cette derniegravere repreacutesente 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les donneacutees de lrsquoInsee pour les comptes du commerce de 2017) et les deacutepenses prises en compte dans cette eacutetude de cas ne comprennent pas les prises de repas hors foyer

La peacuteriode mai 2017-mai 2019 a eacuteteacute eacutetudieacutee Des modegraveles eacuteconomeacutetriques ont eacuteteacute utiliseacutes pour mettre en eacutevidence les impacts avec effets retard des donneacutees des diffusions meacutediatiques sur des indicateurs de comportements drsquoachats (actes drsquoachats) Les donneacutees meacutediatiques correspondent agrave des releveacutes journaliers Le pas de temps des donneacutees drsquoachat est hebdomadaire

Pour eacutetablir les relations entre variables la correacutelation a eacuteteacute mesureacutee entre notre variable drsquointeacuterecirct agrave la date t (yt les achats de produits) et les variables explicatives agrave diffeacuterentes dates xt+k (les audiences mentions ou engagements) ougrave k=[minus101] Nous avons calculeacute des correacutelations simples (modegravele de reacutegression lineacuteaire) entre diffeacuterents pas de temps Pour tester la significativiteacute de la correacutelation lineacuteaire nous avons utiliseacute le test de Student

28 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Afin drsquoanalyser nos deux sujets meacutediatiques les requecirctes suivantes ont eacuteteacute effectueacutees agrave lrsquoaide de lrsquooutil Talkwalker

VeganFlexi - Grand Public (vegetar OR vegan OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima) OR abattoir OR flexitari OR speacutecis OR carnis) AND engagementgt10VeganFlexi medias titleveacutegeacutetari OR titlevegan OR titleraquoflexitariraquoViande - Grand Public viande AND engagementgt10Viande medias titleviande AND (consommat OR sante OR environnement OR reacuteduire OR laquosans vianderaquo OR laquomoins de vianderaquo OR cancer OR vegan OR flexitari OR vegetari OR veacutegeacutetal)Militants vegan (authordescriptionveacutegeacutetari OR authordescriptionvegan OR authordescriptionflexitari OR authordescriptionviande OR authordescriptionspeacutecis) AND (vegetar OR vegan OR abattoir OR viande OR flexitari OR speacutecis OR carni OR ((bienetre~ OR cruauteacute OR exploitation OR souffrance)NEAR3 anima)) AND engagementgt10 AND twitter_followersgt1000Exclusion de beauteacute OR cosmeacutetique OR hygiene OR textile OR coton OR horloge OR agriculteur OR agricultrice OR ferme OR coope OR maraicher OR paysan OR semence OR subvention OR potager OR emploi OR sponsor OR titlerappelAlimentation bio Meacutedias (titlebio OR titlebiologique) AND (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter ) Alimentation bio Grand Public ((bio OR biologique) NEAR4 (aliment OR mange OR fruit OR leacutegume OR lait OR viande OR plat OR repas OR consommation OR regime OR cantine OR boire OR aliment OR acheter )) AND engagementgt10

Trois cateacutegories drsquoeacutemetteurs de discours numeacuteriques ont eacuteteacute retenues les journalistes (via les publications des meacutedias dit traditionnels sur Internet) le laquo grand public raquo (ie lrsquoensemble des socionautes) les militants (groupe adapteacute selon chaque theacutematique)

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-dessous (332) sont un preacutealable agrave lrsquoanalyse des eacutecarts entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution On y deacutecrit les trois meacutetriques (mentions audiences engagements) qui ont eacuteteacute mesureacutees sur les reacuteseaux sociaux pour les meacutedias dits laquo traditionnels raquo le laquo grand public raquo et les militants sur les theacutematiques laquo vegan flexitarisme raquo et laquo viande raquo drsquoune part et laquo bio raquo drsquoautre part Les principaux enseignements tireacutes sur lrsquoinfluence de ces activiteacutes numeacuteriques sur les actes drsquoachat sont eacutegalement preacutesenteacutes Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude pour en savoir plus sur les donneacutees la meacutethode et les reacutesultats complets notamment les correacutelations entre attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et comportements drsquoachat en grande distribution

332 Eacutecarts constateacutes sur les theacutematiques de la laquo viande raquo et des laquo produits biologiques raquo

Le cas de la viande a eacuteteacute analyseacute en lien avec les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme  raquo lesquels sont associeacutes sur la peacuteriode eacutetudieacutee agrave une activiteacute importante sur les reacuteseaux sociaux Dans un premier temps cette activiteacute est reconstitueacutee puis les reacutesultats des analyses cherchant agrave eacutetablir des correacutelations entre cette activiteacute et les achats de viande sont preacutesenteacutes

Les graphiques suivants preacutesentent lrsquoeacutevolution du volume de mentions sur ces theacutematiques venant de publics non identifieacutes comme militants (graphique 1) et de publics militants (graphique 2) Les principaux eacuteveacutenements suscitant ces publications sont indiqueacutes dans chaque figure

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 29

Graphique 1 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee pour lrsquoensemble des publics hors militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

On voit qursquoun sujet (veganisme flexitarisme) qui geacutenegravere beaucoup de mentions chez les journalistes (laquo meacutedias traditionnels raquo) nrsquoest pas preacutedictif de lrsquointeacuterecirct des socionautes (laquo grand public  raquo) Chez ces derniers il est difficile de relier des pics drsquoactiviteacute sur le sujet du flexitarisme agrave des eacuteveacutenements preacutecis il semble donc que ce sujet soit maintenu dans lrsquoactualiteacute plus par la volonteacute des journalistes que par des eacuteveacutenements exteacuterieurs

Lrsquoactiviteacute des militants sur les reacuteseaux sociaux est tregraves lieacutee aux actions ou actualiteacutes de leur communauteacute Il srsquoagit drsquoune communauteacute dynamique plus reacuteactive aux mentions des meacutedias que le grand public la correacutelation est de 02 entre les indicateurs des mentions par les meacutedias traditionnels et de lrsquoengagement des militants Cependant ce coefficient reste faible et lrsquoanalyse drsquoeacuteveacutenements geacuteneacuterant de lrsquoactiviteacute chez les militants montre qursquoils sont engageacutes avant tout aupregraves de leur communauteacute

Graphique 2 - Chronologie des mentions sur la peacuteriode eacutetudieacutee chez les militants

Lecture en ordonneacutees nombre de mentions quotidiennesSource Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 73

30 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Ainsi sur les sujets laquo flexitarisme raquo et laquo veacuteganisme raquo on observe trois grands types drsquoactiviteacutes sur les reacuteseaux sociaux et dans les meacutedias en ligne

- une communauteacute veacutegane minoritaire mais tregraves active qui parle essentiellement de sujets preacuteoccupant les veacuteganes

- des meacutedias qui maintiennent une forte activiteacute sur ce sujet avec des discours alternant le positif (laquo le flexitarisme serait un reacutegime drsquoavenir raquo) et la couverture drsquoactions radicales de certains militants toutefois cette activiteacute meacutediatique engage peu les socionautes sauf sur les sujets neacutegatifs

- le grand public reacuteagit majoritairement aux actualiteacutes neacutegatives sur ces sujets avec un niveau drsquoengagement 100 fois plus eacuteleveacute et qui nrsquoest pas dans un discours drsquoadheacutesion ni de proseacutelytisme sur ces sujets Il y a donc clairement une fracture entre les discours des meacutedias traditionnels et des socionautes du grand public

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le

sujet laquo veganflexitarisme raquo et les comportements drsquoachat de viande en grande distribution apparaicirct dans le tableau 7 Lorsque la consommation augmente on observe que le nombre de tweets mentionneacutes par les meacutedias (sur le sujet laquo veganflexitarisme raquo) augmentait 11 agrave 14 semaines plus tocirct Dit autrement la reacuteponse agrave une augmentation du nombre de tweets sur la consommation se fait sentir 11 agrave 14 semaines plus tard de faccedilon positive (si le nombre de tweets augmente la consommation augmente ou inversement) On voit bien lagrave lrsquoeffet des laquo opeacuterateurs retard raquo11 des tweets sur la consommation

11 Dans lrsquoanalyse des seacuteries temporelles lrsquoopeacuterateur retard associe agrave tout eacuteleacutement lrsquoobservation preacuteceacutedente

Tableau 7 - Correacutelations entre les achats totaux de viandes et les opinions sur le terme laquo vegan raquo

Lecture le test est significatif au seuil de 5 le test est significatif au seuil de 1 Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 75

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 31

Les donneacutees RelevanC fournissent le total des actes drsquoachat de viande Elles montrent lrsquoinfluence potentielle du discours produit autour des thegravemes laquo veganflexitarisme raquo sur les actes drsquoachat de viande Les correacutelations entre les opinions des meacutedias et ces actes drsquoachat dans les enseignes du groupe Casino sont positives entre 11 et 14 semaines plus tard (p=0218 agrave 0259) Les opinions des veacutegans ont eacuteteacute fortement deacutebattues et contrecarreacutees par des reacuteactions des bouchers et eacuteleveurs Ce deacutebat semble avoir eacuteteacute plutocirct favorable aux achats de viande

Apregraves la viande notre protocole drsquoeacutetude a eacuteteacute appliqueacute aux produits biologiques La preacutesence de ces produits dans lrsquoalimentation est tregraves deacutebattue dans les meacutedias traditionnels avec en moyenne 325 mentions en ligne par semaine Cette freacutequence eacuteleveacutee ne faiblit que durant la semaine du 15 aoucirct avec un minimum de 125 mentions cela est lieacute agrave la peacuteriode de vacances et agrave la faible activiteacute meacutediatique geacuteneacuterale Le graphique 3 montre les pics drsquoactiviteacute meacutediatique et le niveau drsquoengagement des socionautes par rapport agrave ces actualiteacutes

Graphique 3 - Activiteacute meacutediatique documenteacutee agrave partir des verbatims relatifs aux aliments biologiques (tweets posts commentaires etc)

Source Talkwalker calculs Agence Proteacuteine rapport drsquoeacutetude page 65

Fin aoucirct 2017 - Article de Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur le bio Mi-octobre 2017 - Article du journal Le Parisien intituleacute laquo Lrsquoagriculture bio peut-elle nourrir le monde raquo

Mi-novembre 2017 - Eacutetude publieacutee dans Nature montrant que lrsquoagriculture biologique pourrait nourrir la planegravete Mi-mars 2018 - 60 millions de consommateurs analyse des produits biologiques et deacutenonce des preacutesences de reacutesidus et contaminants

Mi-avril 2018 - Vote agrave lrsquoAssembleacutee nationale pour lrsquointroduction dans la restauration collective publique drsquoun seuil drsquoau moins 50 de produits biologiques ou eacutecologiques en 2022 Mi-juin 2018 - Les seacutenateurs votent agrave leur tour pour les 20 de produits biologiques agrave la cantine quasiment agrave lrsquounanimiteacute Fin octobre 2018 - Un article dans la revue JAMA montre que les mangeurs de produits biologiques preacutesentent - 25 de risque de cancer Deacutebut 2019 - Deacutebut de la campagne sur la preacutesence de glyphosate dans les urines

3

4

5

6 7

8

1

2

De faccedilon globale il apparait que ce qui engage les citoyens actifs sur les reacuteseaux sociaux ce sont les sujets qui les touchent directement dans leur vie quotidienne Nous pouvons agrave partir des donneacutees analyseacutees faire les deux hypothegraveses suivantes

- une partie (minoritaire) des socionautes est engageacutee et partage toutes les informations touchant au bio ce qui geacutenegravere une activiteacute de base sur lrsquoagriculture biologique

- la majoriteacute des socionautes reacuteagit essentiellement lors drsquoactualiteacutes qui les touchent directement dans leur quotidien soit sur le plan eacuteconomique soit sur le plan de leur santeacute

Lecture les eacutechelles diffeacuterencieacutees correspondent au nombre de mentions meacutedias agrave gauche et au nombre drsquoengagements grand public agrave droite

32 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Lrsquoanalyse des eacutecarts entre les attentes exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux sur le sujet laquo bio raquo et les comportements drsquoachat est preacutesenteacutee dans le tableau 8 pour le cas des œufs biologiques en grande distribution (Casino) Les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques ont diminueacute jusqursquoagrave la fin 2017 pour augmenter tendanciellement ensuite La tendance nrsquoeacutetant pas lineacuteaire le modegravele est appliqueacute sur la part du nombre laquo drsquoactes bio raquo Les correacutelations positives sont tregraves nombreuses sur ce produit celles entre meacutedias traditionnels et opinions du grand public drsquoabord et parts drsquoactes en bio ensuite sont significatives jusqursquoagrave 14 semaines apregraves les diffusions meacutediatiques Les messages sur lrsquoalimentation biologique sont positivement correacuteleacutes avec les parts drsquoactes drsquoachat drsquoœufs biologiques de la date drsquoeacutemission du message meacutediatique initial jusqursquoagrave 14 semaines apregraves

Source RelevanC Talkwalker calculs CREacuteDOC rapport drsquoeacutetude page 70

Tableau 8 - Correacutelations entre les parts drsquoactes drsquoœufs bio (en t0) et les opinions sur le terme laquo bio raquo

Les lecteurs inteacuteresseacutes pourront se reporter au rapport de lrsquoeacutetude qui approfondit la question des correacutelations entre les opinions issues des meacutedias traditionnels et les consommations de plusieurs produits de lrsquoagriculture biologique (fruits et leacutegumes viande produits de la mer œufs beurre lait et yaourts)

En conclusion de cette eacutetude des rapports entre bruit numeacuterique et conduites alimentaires on peut dire que pour la viande analyseacutee en lien avec le veacuteganisme et le flexitarisme aucune correacutelation nrsquoest observeacutee entre les messages des meacutedias traditionnels et ceux du laquo grand public raquo Les opinions exprimeacutees par le grand public nrsquoeacutevoluent pas en fonction de celles exprimeacutees par les meacutedias alors que ces derniers maintiennent une activiteacute importante sur le sujet Seuls les sujets remettant en cause le veacuteganisme suscitent un engagement important Comme il apparaicirct que le grand public nrsquoadhegravere pas aux arguments des communauteacutes veacuteganes les consommateurs ont plutocirct tendance agrave consommer plus de viande quand les deacutebats meacutediatiques sur ce sujet augmentent Il srsquoagit bien drsquoune correacutelation aucun lien de causaliteacute nrsquoayant eacuteteacute deacutemontreacute ici

Deacutecalagedans letemps

Meacutediasmentions

Meacutediasengagement

Grandpublic

mentions

Grandpublic

engage-ment

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 33

Par ailleurs lrsquoanalyse sur le thegraveme de lrsquoalimentation biologique indique que celle-ci est globalement perccedilue de faccedilon positive De plus les sujets meacutediatiques et les discussions sur les reacuteseaux sociaux les plus susceptibles de geacuteneacuterer des activiteacutes importantes sont ceux touchant agrave la santeacute Toutefois le grand public ne relaye qursquoun tiers de ce qursquoeacutemettent les meacutedias Les impacts des messages meacutediatiques positifs tels que les discours sur le lien entre consommation de produits biologiques et baisse des risques de cancers sont significatifs (par correacutelation) sur les achats de produits tels que les œufs les produits laitiers et les fruits et leacutegumes bio Le marcheacute des produits biologiques semble donc soutenu partiellement par les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public Les opinions du grand public sur le bio sont correacuteleacutees positivement avec les ventes de produits biologiques mais avec des deacutecalages de quelques semaines Ce nrsquoest pas le cas pour les produits carneacutes

Pour aller plus loin avec des donneacutees sur une peacuteriode plus importante il faudrait calculer des effets de long terme par des modegraveles autoreacutegressifs et ainsi reacutepondre agrave la question drsquoun impact peacuterenne des prises de position et analyses veacutehiculeacutees par les meacutedias

4 Recommandations

Les reacutesultats obtenus au travers de nos trois protocoles drsquoeacutetude permettent de formuler deux types de recommandations Les premiegraveres portent sur des correctifs meacutethodologiques pour lrsquoobtention de donneacutees alimentaires visant agrave reacuteduire les eacutecarts entre comportements deacuteclareacutes et ceux ensuite reacuteellement constateacutes Les secondes sont de porteacutee plus geacuteneacuterale et concernent notamment lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires

41 Correctifs meacutethodologiques

Le comportement reacuteel drsquoingestion alimentaire est difficile agrave mesurer de faccedilon objective Il est encore plus difficile de le deacuteduire des deacuteclarations des mangeurs Il est bien eacutetabli que leurs opinions motivations et croyances ne preacutedisent pas leurs actions et en particulier les comportements alimentaires La formation la diffusion lrsquoadoption de normes et de croyances relegravevent de meacutecanismes tregraves diffeacuterents de ceux qui commandent les prises alimentaires quotidiennes Le deacutecalage opinioncomportement appelle donc agrave la prudence dans lrsquointerpreacutetation des enquecirctes drsquoopinions

Mecircme en utilisant un instrument drsquoenquecircte valideacute les individus interrogeacutes ont tendance agrave meacutesestimer leur consommation reacuteelle en quantiteacute comme en qualiteacute Diverses strateacutegies pour ameacuteliorer la fiabiliteacute des deacuteclarations ou le traitement des donneacutees obtenues sont ainsi preacuteconiseacutees dans la litteacuterature scientifique Retenons notamment que plusieurs experts et organismes dont le Center for Disease Control ameacutericain (Hu et Willett 2018) preacuteconisent lrsquoutilisation de biomarqueurs approprieacutes (indicateurs objectifs de la consommation) pour valider les donneacutees obtenues par enquecircte Des biomarqueurs existent pour divers aspects des apports nutritionnels eacutenergie totale (par la meacutethode de lrsquoeau doublement marqueacutee - EDM) mesure de calorimeacutetrie indirecte permettant de deacuteterminer la deacutepense eacutenergeacutetique totale dans les conditions habituelles de vie protides (excreacutetion urinaire de nitrogegravene) fruitsleacutegumes (concentration sanguine de caroteacutenoiumldes) Mais ce nrsquoest pas le cas pour des aliments particuliers ou pour la qualiteacute de lrsquoalimentation (Pfeiffer et al 2013 Prentice et al 2009) La mesure de tels biomarqueurs est coucircteuse elle demande la collaboration des participants et

34 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

peut ecirctre difficile agrave mettre en œuvre dans de larges populations La recherche continue pour des biomarqueurs plus simples agrave utiliser moins oneacutereux et peu invasifs Rappelons toutefois que le laquo biais drsquoobservation raquo et le laquo biais de recrutement raquo affectent aussi les comportements eacutetudieacutes avec ces meacutethodes objectives

Autre piste la comparaison de deacuteclarations et de donneacutees biomeacutetriques (mesure de la deacutepense eacutenergeacutetique par la meacutethode de lrsquoEDM) permet de quantifier lrsquoerreur associeacutee agrave lrsquoauto-deacuteclaration en termes drsquoapports eacutenergeacutetiques et eacuteventuellement de recalibrer les donneacutees au moyen drsquoun ajustement statistique (Data Science Campus 2018) Puisque lrsquoerreur de mesure varie en fonction de la population observeacutee toute correction des donneacutees doit consideacuterer les facteurs agrave lrsquoorigine de la distorsion dont le sexe lrsquoindice de masse corporelle (IMC) et les caracteacuteristiques psychiques Enfin comme les normes de consommation varient parfois rapidement la constitution drsquoun panel ou drsquoun eacutechantillon doit assurer une bonne repreacutesentativiteacute des opinions et des motivations des participants

Au-delagrave des laquo bonnes pratiques raquo drsquoenquecircte et des strateacutegies visant agrave ameacuteliorer le traitement et lrsquoanalyse des donneacutees plusieurs meacutethodes innovantes de mesure des comportements drsquoingestion existent Nous preacutesentons rapidement ci-dessous les plus significatives drsquoentre elles

- Un dispositif qui ressemble agrave une montre compte les mouvements du poignet pendant un eacutepisode de consommation alimentaire Cet instrument appeleacute Automated Wrist Motion Tracking ou encore Bite Counter peut ecirctre utiliseacute dans la vie de tous les jours et il montre de bonnes sensibiliteacute et reproductibiliteacute (Dong et al 2012) La contrainte pour le participant est minimale Les donneacutees produites doivent cependant ecirctre compleacuteteacutees par la deacuteclaration du type drsquoaliments consommeacutes Cet instrument donne des informations inteacuteressantes sur le nombre de consommations quotidiennes (y compris les snacks et les consommations nocturnes) Il nrsquoest pas exempt du laquo biais drsquoobservation raquo

- La meacutethode Intelligent Food-Intake Monitor utilise plusieurs capteurs (mouvements de mastication et de deacuteglutition images de lrsquoaliment consommeacute) porteacutes par le participant pour obtenir un aperccedilu des consommations quotidiennes (Liu et al 2012) Ces capteurs de lrsquoactiviteacute de mastication et de deacuteglutition sont fixeacutes sur le volontaire (cou macircchoire) et ils fonctionnent plusieurs jours sans intervention (Fontana et al 2015) Ces meacutethodes sont sujettes au laquo biais drsquoobservation raquo On peut imaginer que le participant finit par oublier la preacutesence des capteurs et le fait qursquoil est observeacute mais cela reste cependant agrave veacuterifier

- Les consommations peuvent ecirctre eacutevalueacutees agrave partir de photographies avantapregraves chaque eacutepisode alimentaire (Ptomey et al 2015) Celles-ci peuvent ecirctre faites avec un teacuteleacutephone portable Cette meacutethode a montreacute une bonne validiteacute dans des milieux ougrave le contenu des assiettes est bien connu (cafeacuteteacuteria etc) en particulier chez des personnes en surcharge pondeacuterale En dehors de ce milieu relativement controcircleacute la validiteacute de la meacutethode repose sur la bonne volonteacute du participant qui doit photographier toutes ses consommations Une approche dite Remote Photography Method utilise une application du teacuteleacutephone portable qui teacuteleacutecharge automatiquement des photographies avantapregraves dans une base de donneacutees puis en fait lrsquoanalyse (Martin et al 2012) Lrsquoapplication donne la possibiliteacute drsquoenvoyer aux participants des rappels par SMS leur recommandant de photographier les repas principaux et les collations eacuteventuelles hors repas Cette meacutethode surtout quand elle inclut des rappels cibleacutes ameacuteliore de beaucoup lrsquoeacutevaluation de la consommation totale en comparaison de lrsquoauto-deacuteclaration Elle deacutetecte rapidement les laquo oublis raquo et peut mecircme ecirctre utiliseacutee chez les enfants Elle reste toutefois sensible au laquo biais drsquoobservation raquo

- Lrsquousage de cameacuteras dans des restaurants ou des cafeacuteteacuterias peut reacuteveacuteler la consommation au moment du repas sans deacutependre de la deacuteclaration par le mangeur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 35

Certains eacutetablissements comme le restaurant expeacuterimental de lrsquoInstitut Paul Bocuse agrave Lyon sont eacutequipeacutes de plusieurs cameacuteras qui suivent un ou plusieurs convives pendant le repas

- Au-delagrave des releveacutes drsquoachats il est envisageable de consulter les releveacutes bancaires des participants ce qui permettrait de deacuteceler des oublis ou des incoheacuterences Cette approche soulegraveve toutefois une difficulteacute particuliegravere vis-agrave-vis de la protection des donneacutees personnelles (cf Regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees - RGPD)

42 Recommandations de porteacutee geacuteneacuterale

Cinq ensembles de recommandations geacuteneacuterales sont preacutesenteacutes dans le rapport drsquoeacutetude Ils visent agrave prendre en compte dans lrsquoutilisation des donneacutees sur les comportements alimentaires les biais et deacutecalages entre reacuteel et deacuteclareacute

Avant de preacutesenter ces recommandations rappelons qursquoil est indispensable de bien comprendre la deacutemarche drsquoune enquecircte pour lrsquoutiliser de maniegravere optimale quelles populations sont eacutetudieacutees (qui ) avec quels champs privileacutegieacutes (quoi ) selon quels modes drsquointerrogation (comment ) et avec quels biais eacuteventuels deacutejagrave connus Chaque meacutethode est construite en fonction drsquoune probleacutematique preacutecise avec des moyens permettant de reacutepondre agrave des objectifs speacutecifiques utiliser une enquecircte agrave des fins autres que celles initialement preacutevues est alors source de mauvaises interpreacutetations Par exemple il nrsquoest pas judicieux drsquoanalyser des reacutegimes alimentaires agrave partir des enquecirctes laquo Budget de famille raquo

Les recommandations ci-dessous envisagent des pistes meacutethodologiques pour reacuteduire ces deacutecalages Lrsquoencadreacute 1 eacutevoque les deacuteclinaisons possibles de ces recommandations agrave la theacutematique de laquo lrsquoalimentation durable raquo Associeacutee agrave une diversiteacute de pratiques cette theacutematique est tregraves valoriseacutee socialement et donc sujette agrave des deacutecalages importants entre les comportements deacuteclareacutes et les comportements reacuteels

La premiegravere famille de recommandations concerne des preacutecautions drsquousage par rapport aux sources de donneacutees quantitatives Elle est deacuteclineacutee selon les grands types identifieacutes en deacutebut de cet article (tableau 1)

- Donneacutees statistiques eacuteconomiques publiques Avant que les donneacutees de consommation ne soient couramment produites les eacuteconomistes utilisaient surtout les donneacutees de production drsquoexport et drsquoimport pour par diffeacuterence eacutetablir la consommation apparente Ces donneacutees de cadrage ne sont pas des donneacutees de consommation reacuteelle Elles sont baseacutees sur la reconstitution de la consommation agrave partir de sources diverses et doivent ecirctre utiliseacutees avec preacutecaution souvent pour cadrer des eacuteleacutements de contexte Elles aident agrave suivre des tendances (eacutevolutions relatives) sont utiles pour reacutealiser des analyses agrave un niveau macroeacuteconomique ou macrosociologique mais restent eacuteloigneacutees de la consommation reacuteelle (niveau microeacuteconomique ou microsociologique agrave lrsquoeacutechelle drsquoun groupe particulier ou drsquoun individu)

- Donneacutees exhaustives ou compileacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat) Des donneacutees issues directement des circuits de distribution sont plus pertinentes car elles mesurent reacuteellement les ventes de produits pour lrsquoalimentation agrave domicile elles sont toutes priveacutees Ces donneacutees ne couvrent que certains circuits de distribution notamment la grande distribution qui ne repreacutesente que 64 des achats totaux de lrsquoalimentation agrave domicile (selon les Comptes du commerce de lrsquoInsee de 2017) Ces deacutepenses ne couvrent pas les consommations en restauration hors foyer

36 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

- Donneacutees de mesures des comportements reacuteels (ingestion ou achat par sondage) Les donneacutees de mesures des comportements reacuteels reposent la plupart du temps sur le remplissage de carnets alimentaires par des enquecircteacutes qui font appel agrave leur meacutemoire et occasionnent des oublis Toutefois comme montreacute gracircce agrave lrsquoexpeacuterimentation avec les cameacuteras on peut estimer que ces oublis ne repreacutesentent pas plus de 10 des cas sauf pour les consommations drsquoeau (omises dans 17 des cas) certaines denreacutees sont eacutegalement speacutecifiquement concerneacutees (environ 10 drsquooublis pour les produits sucreacutes et pour les leacutegumes souvent sous forme de condiments) Il convient drsquoavoir en tecircte ces ordres de grandeur lors de lrsquoutilisation des reacutesultats de ce type drsquoenquecirctes

- Donneacutees de mesure de lrsquoopinion et des meacutedias Le deacutecalage entre opinions activiteacutes meacutediatiques et comportements reacuteels peut ecirctre important Les sondages drsquoopinion nrsquoapportent aucun eacuteleacutement factuel et concret mais ce sont des meacutethodes relativement faciles agrave mobiliser qui documentent des eacutevolutions drsquoopinions ou drsquoattitudes Il nrsquoest donc pas possible de deacuteduire directement des informations sur les comportements agrave partir de ces reacutesultats Toutefois ces meacutethodes coupleacutees par exemple agrave des techniques drsquoapprofondissement qualitatifs peuvent apporter des eacuteclairages inteacuteressants sur certains facteurs influenccedilant les comportements alimentaires

La deuxiegraveme recommandation preacuteconise drsquoutiliser drsquoautres sources drsquoinformation agrave commencer par celles issues drsquoapproches qualitatives (observation entretiens etc) Pour comprendre comment les individus adoptent une pratique alimentaire lrsquoapproche quantitative nrsquoest pas suffisante (entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier) Par exemple dans lrsquoadoption de nouvelles conduites de consommation les moments de bifurcation dans les trajectoires biographiques sont importants arriveacutee drsquoun enfant retraite changement de travail de domicile divorce deuil etc (Barrey et al 2012) Les pratiques alimentaires ne sont pas isoleacutees de la vie sociale et sont fortement influenceacutees par des eacutevegravenements exteacuterieurs agrave lrsquoacte drsquoalimentation Il est donc important drsquoassocier au quantitatif les apports de meacutethodes qualitatives issues de diverses disciplines (sociologie anthropologie histoire eacuteconomie psychologie psychologie sociale etc)

La troisiegraveme recommandation est de rechercher la compleacutementariteacute entre les donneacutees sur les comportements alimentaires et celles sur lrsquooffre alimentaire En effet les deacutecalages entre comportements et attitudes srsquoexpliquent aussi par lrsquoinfluence de lrsquooffre Celle-ci peut ecirctre analyseacutee du point de vue de la qualiteacute des produits (Oqali Open food facts etc) des innovations de points de vente (ONCC LSA etc) des innovations produits (XTCscan TM Mintel) ou des assortiments (IRI Kantar Nielsen) Ces eacuteleacutements apportent des eacuteclairages tant sur les possibiliteacutes offertes aux consommateurs que sur les caracteacuteristiques de la zone de chalandise drsquoun magasin Les pratiques alimentaires se construisent et eacutevoluent avec les recommandations marchandes et publiques

La quatriegraveme recommandation invite agrave faire preuve de prudence quant agrave lrsquoutilisation des sources meacutediatiques Lrsquoanalyse de ces sources (Twitter Instagram presse etc) est complexe et elle ne reflegravete pas les comportements reacuteels des mangeurs Ces sources sont difficiles agrave appreacutehender et elles ne sont pas agrave privileacutegier pour comprendre lrsquoeacutevolution des comportements alimentaires Elles sont neacuteanmoins inteacuteressantes pour comprendre les attentes drsquoune partie de la socieacuteteacute qui ne produit qursquoune partie des opinions La faccedilon meacutediatique de traiter les consommations alimentaires (amplification de pratiques tregraves valoriseacutees etc) nrsquoest pas le strict reflet des opinions et pratiques alimentaires du grand public Nos eacutetudes de cas montrent que le bruit meacutediatique nrsquoinfluence qursquoune faible part des consommateurs Par ailleurs les valeurs et prescriptions veacutehiculeacutees par les meacutedias ne repreacutesentent qursquoun des nombreux facteurs drsquoinfluence des comportements alimentaires Il y a donc bien des deacutecalages entre opinions valeurs meacutediatiquement valoriseacutees et actes quotidiens des individus

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 37

La cinquiegraveme et derniegravere recommandation est drsquoexplorer les sources de donneacutees des nouveaux acteurs digitaux notamment les applications pour smartphones de plus en plus nombreuses et largement utiliseacutees Ces applications digitales concernent des cateacutegories socio-professionnelles ayant un niveau drsquoeacuteducation plus eacuteleveacute que la moyenne (Nielsen PanelViews deacutecembre 2016) mais elles sont des sources drsquoinformations inteacuteressantes pour le suivi des comportements alimentaires Il importe toutefois de souligner les questions de confidentialiteacute et de proprieacuteteacute lieacutees agrave ces donneacutees De plus cette utilisation produit des volumes de donneacutees tregraves importants (big) qui peuvent ecirctre exploiteacutees pour mesurer lrsquoeacutevolution des attentes de populations speacutecifiques tout en les croisant avec les achats en magasin si ces applications le permettent (ex MyLabel)

Les cinq familles de recommandations preacuteceacutedentes sont tout agrave fait pertinentes en matiegravere drsquoalimentation durable12 Cette derniegravere se reacutevegravele particuliegraverement inteacuteressante dans le cadre de notre eacutetude car i) elle est tregraves deacutesirable pour de nombreux consommateurs ii) socialement et collectivement encourageacutee iii) marqueacutee par des repreacutesentations des attentes et des pratiques varieacutees iv) au cœur drsquointerventions publiques soutenues v) sujette agrave reacuteflexions et choix chez les acteurs des filiegraveres alimentaires Autant de speacutecificiteacutes qui tendent agrave accroicirctre les deacutecalages entre alimentation deacuteclareacutee et alimentation reacuteelle De nombreux comportements en lien avec une alimentation durable pourraient ainsi ecirctre mesureacutes en mobilisant les diffeacuterentes sources de donneacutees eacutevoqueacutees au cours de cette eacutetude Crsquoest par exemple le cas des pratiques valorisant la reacuteduction des emballages des signes de qualiteacute ou encore la proximiteacute Des indicateurs tels que la part du vrac la part de produits sous labels la part des produits locaux sont ainsi mesurables agrave partir des donneacutees exhaustives de ventes (recommandation ndeg 3) Ces donneacutees pour les circuits de grande distribution sont les plus pertinentes pour estimer les niveaux drsquoalimentation durable consommeacutee en effet les informations standardiseacutees des codes-barres (gencod) permettent de deacutefinir preacuteciseacutement quels types de produits sont acheteacutes Plus speacutecifiquement pour reacuteduire les deacutecalages entre le deacuteclaratif et le reacuteel en matiegravere de consommations de produits biologiques nous recommandons

- drsquoutiliser en prioriteacute les enquecirctes de mesure (drsquoabord des donneacutees exhaustives drsquoachat ensuite des donneacutees drsquoingestion ou drsquoachat par sondage) pour eacutetablir les volumes de bio acheteacutes

- drsquoapprofondir cette mesure par la compreacutehension du pheacutenomegravene gracircce agrave une approche qualitative

- de comptabiliser le nombre de reacutefeacuterences estampilleacutees AB dans lrsquoensemble des circuits de commercialisation (donneacutees de panel) pour eacutetudier lrsquooffre

- de ne pas privileacutegier les sources meacutedias geacuteneacuteralement peu utiles pour mesurer ou comprendre des comportements reacuteels

- drsquoeacutetudier les donneacutees reacuteelles drsquoachat de consommateurs speacutecifiques tels que ceux inscrits sur une application comme MyLabel qui aide agrave manger selon ses attentes et ses convictions La possibiliteacute pour les utilisateurs drsquoajouter les produits agrave leurs paniers drsquoachat geacutenegravere des donneacutees croisant les attentes et les acquisitions de chaque individu Elle permettrait drsquoapprofondir la connaissance des deacutecalages entre comportements reacuteels et attentes

Encadreacute 1 - Le cas embleacutematique de lrsquoalimentation durable

12 LrsquoOrganisation pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture (FAO) deacutefinit lrsquoalimentation durable comme laquo une alimentation qui protegravege la biodiversiteacute et les eacutecosystegravemes culturellement acceptable accessible eacuteconomiquement loyale et reacutealiste nutritionnellement adeacutequate et deacutepourvues de risques et saines et capable drsquooptimiser lrsquousage des ressources naturelles et humaines raquo (2010) Pour lrsquoADEME en 2018 il srsquoagit de laquo lrsquoensemble des pratiques alimentaires qui visent agrave nourrir les femmes et les hommes en qualiteacute et en quantiteacute aujourdrsquohui et demain dans le respect de lrsquoenvironnement raquo

38 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Il y aura toujours des eacutecarts entre les comportements alimentaires deacuteclareacutes enregistreacutes par des enquecirctes ou des sondages et les comportements alimentaires reacuteels Des preacutecautions de meacutethode et le croisement des sources sont donc indispensables Lrsquoinexactitude des auto-deacuteclarations portant sur les consommations reacuteelles peut deacutecouler des protocoles de recueil drsquoinformations des outils de mesure ou encore de caracteacuteristiques des enquecircteacutes Une autre source drsquoerreur vient du rapprochement entre des donneacutees disparates et par exemple de conclusions abusives sur les comportements reacuteels tireacutees drsquoopinions ponctuelles Les sondages sur lrsquoalimentation souhaitable ou souhaiteacutee peuvent nrsquoavoir qursquoune faible valeur preacutedictive des ingestions et achats faits en situations reacuteelles

Plusieurs compleacutements pourraient ecirctre apporteacutes agrave ce travail Comme le montre la premiegravere eacutetude de cas pour les prochaines enquecirctes alimentaires il serait judicieux de renforcer les consignes et les rappels concernant le bon remplissage des carnets alimentaires agrave chaque nouvelle journeacutee afin de reacuteduire le risque de sous-deacuteclaration Qursquoil srsquoagisse des donneacutees CCAF ou INCA aucun ajustement nrsquoest en effet pour lrsquoinstant effectueacute pour laquo recaler raquo les donneacutees

Sur la base des reacutesultats de la deuxiegraveme eacutetude de cas lrsquoidentification des cateacutegories drsquoaliments les plus sous-deacuteclareacutees jour apregraves jour pourrait servir agrave imaginer des proceacutedures de rappels et de controcircles suppleacutementaires afin de reacuteduire le biais lieacute agrave la sur-sollicitation des enquecircteacutes

Enfin la troisiegraveme eacutetude de cas indique qursquoil serait inteacuteressant drsquoanalyser sur un temps plus long les correacutelations entre opinions exprimeacutees sur les reacuteseaux sociaux et donneacutees drsquoachats Le calcul drsquoeffets de longue peacuteriode avec des modegraveles autoreacutegressifs reacutepondrait agrave la question de degreacute de peacuterenniteacute des opinions diffuseacutees par les meacutedias en ligne et les reacuteseaux sociaux Il semble que les bruits meacutediatiques relayeacutes par le grand public nrsquoinfluencent que peu les comportements alimentaires concrets

Lrsquoaction publique en matiegravere drsquoalimentation fait face agrave divers deacutefis dont celui de la connaissance de la compreacutehension des comportements des mangeurs La diversification des pratiques individuelles le deacuteveloppement de nouvelles attentes la multiplication des sources drsquoinformations sont autant drsquoeacutevolutions qui complexifient cette tacircche de suivi et drsquoanalyse de la reacutealiteacute Dans ce contexte les commanditaires de cette eacutetude souhaitaient approfondir la question des eacutecarts entre les conduites alimentaires deacuteclareacutees et les conduites effectives En proposant une synthegravese de la litteacuterature existante et en approfondissant des cas particuliers lrsquoeacutetude apporte des eacuteleacutements nouveaux sur les processus de construction et drsquoutilisation des donneacutees et sur les principales sources de deacutecalages agrave lrsquoœuvre Elle propose des pistes drsquoameacutelioration des proceacutedures de collecte et drsquointerpreacutetation des informations et montre les opportuniteacutes offertes par le croisement des meacutethodes quantitatives et qualitatives mais aussi par les outils numeacuteriques Enfin et surtout elle ouvre des perspectives pour une action publique plus cibleacutee car mieux adapteacutee agrave la reacutealiteacute des pratiques quotidiennes des consommateurs

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 39

Reacutefeacuterences bibliographiques

Agence BIO 2019 Baromegravetre de consommation et de perception des produits biologiques en France httpswwwagencebioorgwp-contentuploads201902Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019pdf

Archer E Marlow M L Lavie C J 2018 ldquoControversy and Debate Memory based methods Paper 1 The fatal flaws of food frequency questionnaires and other memory-based dietary assessment methodsrdquo J Clinical Epidemiology doi101016jjclinepi201808003

Archer E Pavela G Lavie CJ 2015 ldquoThe inadmissibility of what we eat in America and NHANES dietary data in nutrition and obesity research and the scientific formulation of national dietary guidelinesrdquo Mayo Clinic Proc doi 101016jmayocp201504009

Barrey S Dubuisson-Quellier S Gojard S Plessz M 2012 Les effets des prescriptions sur les pratiques de consommation alimentaires rocircle des positions dans la trajectoire de vie et des ressources sociales Gouverner les conduites eacuteconomiques 37 p (hal-01191182)

Bernard H R Killworth P Kronenfeld D Sailer L 1984 ldquoThe problem of informant accuracy the validity of retrospective datardquo Annual Review of Anthropology 13 495-517

Bernstein D M Loftus E F 2009 ldquoThe consequences of false memories for food preferences and choicesrdquo Perspect Psychol Sci 4 135-139

Bessiegravere C et al 1997 laquo Lrsquoenquecircte par questionnaire raquo Genegraveses 99-122

Block G 1982 ldquoA review of validations of dietary assessment methodsrdquo American Journal of Epidemiology 115(4)492-505 DOI 101093oxfordjournalsajea113331

Braconnier C 2010 Une autre sociologie du vote Les eacutelecteurs dans leurs contextes LGDJ collection LEJEP

Carrigan M Attalla A 2001 ldquoThe myth of the ethical consumer Do ethics matter in purchase behaviourrdquo Journal of Consumer Marketing 18560-578

Caruana R Carrington M J Chatzidakis A ldquolsquolsquoBeyond the Attitude-Behaviour Gap Novel Perspectives in Consumer Ethicsrsquorsquo Introduction to the Thematic Symposiumrdquo Journal of Business Ethics 136(2) DOI 101007s10551-014-2444-9

Data Science campus ldquoEvaluating Calorie Intakerdquo consulteacute en ligne le 13 janvier 2019 httpsdatasciencecampusonsgovukeclipse

Deese J 1959 ldquoOn the prediction of occurrence of particular verbal intrusions in immediate recallrdquo J Exp Psychol 58 17-22

Devinney T M Auger P Eckhardt G M 2010 The myth of the ethical consumer Cambridge University Press

Dong Y Hoover A Scisco J Muth E 2012 ldquoA new method for measuring meal intake in humans via automated wrist motion trackingrdquo Ammp Psychophysiol Biofeedback 37 205-215

40 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Donnat O 2009 Les pratiques culturelles des Franccedilais agrave lrsquoegravere numeacuterique Enquecircte 2008 La Deacutecouverteministegravere de la Culture et de la Communication

Dubuisson C Dufour A Carrillo S Drouillet-Pinard P Havard S Volatier J L 2018 ldquoThe Third French Individual and National Food Consumption (INCA3) Survey 2014-2015 method design and participation rate in the framework of a European harmonization processrdquo Pub Health Nutr doi 101017S1368980018002896

Dhurandhar N Schoeller D Brown A et al 2015 ldquoEnergy balance measurement when something is not better than nothingrdquo Int J Obes 39 1109-1113 doi101038ijo2014199

Fontana J M Higgins J A Schuckers S C Bellisle F Pan Z Melanson E L Neuman M R Sazonov E 2015 ldquoEnergy intake estimation from counts of chews and swallowsrdquo Appetite 85 14-21

Fournier M 2013 laquo La monteacutee des valeurs feacuteminines raquo Les grands dossiers des Sciences Humaines vol 33 Ndeg12

Freedman L S Moler C J Arab L Baer D Kipnis V et al 2014 ldquoPooled results from 5 validation studies of dietary self-report instruments using recovery biomarkers for energy and protein intakerdquo Am I Epidemiol 180 172-188

Gallo D A 2010 ldquoFalse memories and fantastic beliefs 15 years of the DRM illusionrdquo Mem Cognit DOI 38833-848

Heacuteran F 1984 laquo Lrsquoassise statistique de la sociologie raquo Eacuteconomie et statistique 1681 23-35

Hu F B Wilett W C 2018 ldquoCurrent and future landscape of nutritional epidemiologic researchrdquo Journal of the American Medical Association doi101001jama201816166

IFOP 2017 Les produits laitiers et la consommation de viande bio en France httpwwwproduitslaitiersetviandebiocomfilePrez_Interbev-Conf_presse_20avril17webokpdf

IPSOS Global Trends 2014 laquo Consommer local raquo ce que veulent les Franccedilais httpswwwipsoscomfr-frconsommer-local-ce-que-veulent-les-francais

Kronenfeld D B Kronenfeld J Kronenfeld J E 1972 ldquoToward a science of design for successful food servicerdquo Ins Vol Feed Manage 70 38-44

Lahlou S 1998 The subjective camera (laquo SubCam raquo) A new technique for studying representations in context Four th International Conference on social representations Mexico 81998

Lahlou S 2006 laquo Lrsquoactiviteacute du point de vue de lrsquoacteur et la question de lrsquointersubjectiviteacute   huit anneacutees drsquoexpeacuteriences avec des cameacuteras miniaturiseacutees fixeacutees au front des acteurs (subcams) raquo Communications (80) 209-234 ISSN 0588-8018

Liu J Johns E Atallah L Pettitt C Lo B Frost G Yang G Z 2012 ldquoAn intelligent food-intake monitoring system using wearable sensorsrdquo in Ninth International Conference on Wearable and Implantable Body Sensor Networks IEEE pp154-160

Lombardot E Mugel O 2015 laquo Proposition drsquoun modegravele explicatif de lrsquoeacutecart entre intention et comportement de consommer responsable inteacutegrant les facteurs situationnels une eacutetude appliqueacutee agrave lrsquoalimentation raquo 10e Journeacutee Marketing AgroAlimentaire Montpellier

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 41

Lucas R M Harris R M R 2018 ldquoOn the nature of evidence and lsquoprovingrsquo causality Smoking and lung cancer vs sun exposure vitamin D and multiple sclerosisrdquo Int J Envir Res Publ Health 151726 doi103390ijerph15081726

Lusk J L Brooks K 2011 ldquoWho participates in household scanning panelsrdquo Am J Agric Econ 93226-240

Macdiarmid J I Blundell J E 1997 ldquoDietary under-reporting what people say about recording their food intakerdquo Eur J Clin Nutr 51 199-200

Masson L F McNeill G Tomany J O Simpson J A Peace H S Wei L et al 2003 ldquoStatistical approaches for assessing the relative validity of a food-frequency questionnaire use of correlation coefficients and the kappa statisticrdquo Public health nutrition 16(03)313-21

Mela DJ Aaron JI 1997 ldquoHonest but invalid what subjects say about recording their food intakerdquo J Acad Nutr Diet 97 791-793

OpinionWaySenseva 2016 Le Profil des acheteurs et les pratiques drsquoachats en cosmeacutetique et en alimentation bio en 2016 httpwwwthemavisionfruploaddocsapplicationpdf2016-05etude_organics_cluster_et_cosmebiopdf

Peacutequignot B 2011 laquo Speacutecificiteacute du terrain en sociologie des arts et de la culture raquo SociologieS httpjournalsopeneditionorg Sociologies3487

Pfeiffer C M Sternberg M R Schleicher R L Haynes B M Rybak M E Prikle J L 2013 ldquoThe CDCrsquos Second National Report on Biochemical Indicators of Diet and Nutrition in the US Population is a valuable tool for researchers and policy makersrdquo J Nutr 143 938S-947S

Prentice R L Huang Y Tinker L F Beresford S A Lampe J W Neuhouser M L 2009 ldquoStatistical aspects of the use of biomarkers in nutritional epidemiology researchrdquo Stat Biosci 1 112-123

Ptomey L T Willis E A Honas J J Mayo M S Washburn R A Herrmann S D Sullivan D K Donelly J E 2015 ldquoValidity of energy intake estimated by digital photography plus recall in overweight and obese young adultsrdquo J Acad Nutr Diet 115 1392-1399

Roediger H L McDermott K B 1995 ldquoCreating false memories remembering words not presented in listsrdquo J Exp Psychol Lear Mem Cogn 21 803-814

Scagliusi F B Polacow V O Artioli G G Benatti F B Lancha A H 2003 ldquoSelective underreporting of energy intake in women magnitude determinants and effect of trainingrdquo J Am Diet Assoc 1031306-1313

Schwarz N 1999 ldquoSelf-reports How the questions shape the answersrdquo American Psychologist 54(2) 93ndash105 httpsdoiorg1010370003-066X54293

Simon H 1957 Models of Man Social and Rational Mathematical Essays on Rational Behavior in a Social Setting New York Wiley

Stubbs R J OrsquoReilly L M Whybrow S Fuller Z Johnstone A M Livingstone M B E Ritz P Horgan G W 2014 ldquoMeasuring the difference between actual and reported food intakes in the context of energy balance under laboratory conditionsrdquo BJN 111 2032-2043

42 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Terlau W Hirsch D 2015 ldquoSustainable consumption and the attitude-behaviour-gap phenomenon Causes and measurements towards a sustainable developmentrdquo Journal on Food System Dynamics 6 doi doiorg1018461ijfsdv6i3634

Thorslund C A H Lassen J 2016 ldquoContext orders of worth and the justification of meat consumption practicesrdquo Sociologia Ruralis

Vermeir I Verbeke W 2006 ldquoSustainable food consumption exploring consumer ldquoattitude-behavioral intentionrdquo gaprdquo Journal of Agricultural and Environmental Ethics 19169-194

Wansink B Sobal J 2007 ldquoMindless eating The 200 daily food decisions we overlookrdquo Environment and Behavior 39106-123

Zuinen N 2002 Essai sur le rocircle des femmes et des valeurs feacuteminines Reflets et perspectives de la vie eacuteconomique tome XLI Ndeg 1 pp 109-114

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 43

Sous-traitance et deacuteleacutegation du travail marqueurs des mutations de lrsquoorganisation de la production agricole

Reacutesumeacute

Depuis le milieu des anneacutees 1990 la sous-traitance agricole se deacuteveloppe de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations y ayant recours a eacuteteacute multiplieacute par deux Reacutepondant agrave la difficile transmission familiale des exploitations ou aux strateacutegies de croissance des plus grandes drsquoentre elles lrsquoessor de la prestation de services est lrsquoune des tendances marquantes de lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture franccedilaise Ce marcheacute estimeacute agrave environ 4 milliards drsquoeuros se caracteacuterise par une forte transformation de la demande et par la creacuteation de nombreuses entreprises de travaux deacutedieacutees Si la plupart drsquoentre elles proposent de reacutealiser des tacircches preacutecises drsquoautres ont deacuteveloppeacute une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale de lrsquoexploitation agrave la fois technique administrative et financiegravere La sous-traitance agricole et notamment la deacuteleacutegation inteacutegrale des activiteacutes restent pourtant peu documenteacutees Diverses questions demeurent auxquelles cet article contribue agrave reacutepondre en rassemblant les reacutesultats saillants de recherches conduites depuis 2012 Il fait suite aux eacutevaluations quantitatives de la progression du pheacutenomegravene reacutealiseacutees par le groupe de travail ActifrsquoAgri2 animeacute par le Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La premiegravere partie explicite la meacutethode utiliseacutee et les trois suivantes preacutesentent un eacutetat des lieux du marcheacute puis un recensement de lrsquoeacutevolution des pratiques et enfin une analyse des formes innovantes drsquoorganisation de la prestation de services La conclusion traite des questions souleveacutees par le deacuteveloppement rapide du pheacutenomegravene et des implications en matiegravere de politiques publiques

Mots cleacutes

Sous-traitance deacuteleacutegation inteacutegrale pratiques organisations tertiarisation agriculture

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 Universiteacute feacutedeacuterale de Toulouse Institut national polytechnique Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique UMR INP-INRAE Agir Avenue de lrsquoagrobiopole BP 32607 Auzeville-Tolosane 31326 Castanet-Tolosan Cedex 2 Voir en particulier le chapitre 3 de lrsquoouvrage final tireacute de cette reacuteflexion collective Bignebat C Delame N Hugonnet  M Legagneux B Nguyen G Piet L laquo Trois tendances structurantes concentration sous-traitance et diversification des exploitations raquo dans Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective Ministegravere de lrsquoagriculture et de lrsquoalimentation Paris La Documentation franccedilaise Ouvrage teacuteleacutechargeable dans sa version inteacutegrale et par chapitre sur httpsagriculturegouvfractifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

Geneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux1

44 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

La sous-traitance est un pheacutenomegravene connu surtout dans le secteur de lrsquoindustrie ougrave elle se deacuteveloppe agrave un rythme soutenu plus particuliegraverement depuis les anneacutees 1970 (Bakis 1975 Queacutelennec 1987 Perraudin et al 2013 Souquet 2016) Crsquoest un moyen essentiel pour les entreprises de reacuteorganiser leurs chaicircnes de valeur et drsquoaccroicirctre leurs avantages concurrentiels (Williamson 2008 Milberg et Winkler 2013) Dans ce secteur cette pratique fait mecircme lrsquoobjet drsquoune deacutefinition normaliseacutee elle deacutesigne laquo toutes les opeacuterations concourant pour un cycle de production deacutetermineacute agrave lrsquoune ou plusieurs des opeacuterations de conception drsquoeacutelaboration de fabrication de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause dont une entreprise dite donneur drsquoordres confie la reacutealisation agrave une entreprise dite sous-traitant ou preneur drsquoordres tenue de se conformer exactement aux directives ou speacutecifications techniques arrecircteacutees en dernier ressort par le donneur drsquoordres raquo (AFNOR 1987)

Bien que la sous-traitance ait longtemps eacuteteacute associeacutee agrave la grande entreprise inteacutegreacutee souhaitant utiliser des capaciteacutes productives exteacuterieures peu speacutecifiques et bon marcheacute et se deacutesengager de certains meacutetiers certaines formes de sous-traitance industrielle peuvent ecirctre aujourdrsquohui qualifieacutees laquo de speacutecialiteacute raquo ou laquo drsquointelligence raquo et incarneraient de nouvelles formes de relations inter-entreprises (Billaudot Julien 2003 Mariotti 2005) Ce basculement drsquoune laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo agrave une laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo opeacutereacute dans les anneacutees 1980 dans un contexte de concurrence exacerbeacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale est souvent preacutesenteacute comme devant deacuteboucher sur un partenariat inter-entreprises plus eacutequilibreacute Cependant ces mutations sont largement discuteacutees par lrsquoeacuteconomie des organisations la gestion et la sociologie eacuteconomique qui ne manquent pas de souligner une coexistence entre des formes anciennes et nouvelles de sous-traitance mais eacutegalement la persistance de rapports de force et de domination en deacutefaveur du sous-traitant (Surubaru 2014 Seiller 2014 Holcomb et Hitt 2007 Arnold 2000)

En agriculture agrave cocircteacute de lrsquoentraide la sous-traitance de certaines opeacuterations techniques par lrsquoagriculteur agrave un tiers3 comme la reacutecolte et lrsquoenrubannage est aussi une pratique ancienne Toutefois son recours est resteacute longtemps lrsquoapanage de petites ou moyennes exploitations ne posseacutedant pas le mateacuteriel ou la main-drsquoœuvre neacutecessaires Les travaux sous-traiteacutes relegravevent alors traditionnellement drsquoarrangements plus ou moins informels avec des exploitations proches cherchant agrave amortir leur mateacuteriel avec des coopeacuteratives drsquoutilisation de mateacuteriels agricoles (CUMA) ou encore avec des entreprises de travaux agricoles (ETA) Parce qursquoils sont tous les deux agriculteurs ou revendiquent le statut drsquoagriculteur quels que soient celui qui deacutelegravegue et celui qui reacutealise les travaux nous sommes ici devant des figures du laquo donneur drsquoordres raquo et du laquo sous-traitant raquo diffeacuterentes de celles de lrsquoindustrie

Nous ne traiterons ici que de la prestation de services par les ETA dans la mesure ougrave crsquoest cette forme qui domine le marcheacute ces ETA repreacutesentaient en 2016 selon les donneacutees de lrsquoenquecircte sur la structure des exploitations agricoles (ESEA 2016) 90 du volume de travail de sous-traitance agricole Nous nrsquoeacutetudierons pas non plus ici le recours agrave certaines formes de salariat temporaire aupregraves de groupements drsquoemployeurs ou drsquoagences drsquointeacuterim qui peuvent srsquoapparenter agrave de la sous-traitance partielle

3 Ce pheacutenomegravene de sous-traitance qui se limite agrave lrsquoamont productif est agrave diffeacuterencier de la sous-traitance de tacircches par une entreprise agroalimentaire de lrsquoaval agrave un agriculteur communeacutement associeacutee agrave des processus drsquointeacutegration verticale et au modegravele drsquoagriculture contractuelle Cette derniegravere forme de sous-traitance nrsquoest pas lrsquoobjet de cet article

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 45

Par laquo travaux agricoles raquo le code rural (article L722-2) deacutefinit tous les laquo travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou veacutegeacutetale les travaux drsquoameacutelioration fonciegravere agricole ainsi que les travaux accessoires neacutecessaires agrave lrsquoexeacutecution des travaux preacuteceacutedents4raquo Au-delagrave des stricts travaux agricoles la sous-traitance peut aller jusqursquoagrave inclure une tacircche administrative comme la comptabiliteacute reacutealiseacutee par des centres de gestion

La sous-traitance en agriculture donne lieu communeacutement agrave la reacutealisation et agrave lrsquoexeacutecution drsquoune ou de plusieurs opeacuterations culturales (reacutecolte travail du sol semis etc) voire plus rarement de plusieurs opeacuterations drsquoeacutelevage (retrait des animaux prophylaxie) Il faut la distinguer de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux communeacutement appeleacutee le laquo A agrave Z raquo que nous deacutefinissons comme le processus qui conduit agrave deacuteleacuteguer agrave un tiers la conduite et la gestion de lrsquoensemble des opeacuterations drsquoun atelier voire de lrsquoensemble des travaux sur une exploitation y compris la commercialisation Nous nous inteacuteresserons ici agrave deux formes de deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquoune laquo par abandon raquo quand lrsquoexploitant nrsquoexerce plus ou peu drsquoactiviteacute agricole et qursquoil confie la quasi-totaliteacute de la conduite des travaux mais aussi la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoexploitation agrave un ou plusieurs sous-traitants deacuteleacutegataires lrsquoautre laquo par recentrage raquo lorsque lrsquoexploitant confie lrsquoensemble des productions jugeacutees moins strateacutegiques ou moins inteacuteressantes agrave un ou plusieurs sous-traitants afin de se recentrer sur ce qursquoil considegravere ecirctre son cœur de meacutetier5 Agrave la diffeacuterence du simple sous-traitant le deacuteleacutegataire est ici plus autonome vis-agrave-vis de son client qui nrsquoest alors pas agrave consideacuterer comme un laquo donneur drsquoordres raquo Lrsquoimplication de ce dernier varie selon les cas certains participent encore agrave lrsquoeacutelaboration du cahier des charges des opeacuterations tandis que drsquoautres confient au sous-traitant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des deacutecisions techniques voire des deacutecisions commerciales (achat des intrants et vente des reacutecoltes) Dans ces scheacutemas de deacuteleacutegation inteacutegrale il y a dissociation partielle agrave totale des droits de proprieacuteteacute et des droits de gestion Une telle deacuteleacutegation constitue une forme particuliegraverement aboutie de sous-traitance

Contrairement au secteur industriel lrsquoessor de la sous-traitance en agriculture nrsquoa deacutebuteacute que vers le milieu des anneacutees 1990 (Heacutebrard 2001 Chevalier 2007) Elle nrsquoa cesseacute depuis de se deacutevelopper de maniegravere soutenue Entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance6 a ainsi eacuteteacute multiplieacute par deux (Forget et al 2019) Parallegravelement nous observons de nombreuses creacuteations de socieacuteteacutes de travaux et de prestation de services porteacutees par des agriculteurs doteacutes de mateacuteriel qursquoils cherchent agrave amortir et de compeacutetences qursquoils cherchent agrave laquo moneacutetiser raquo (expertise agronomique maicirctrise des nouvelles technologies embarqueacutees capaciteacute de collecte et de commercialisation) Sur la mecircme peacuteriode le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale consideacutereacute comme ineacutedit par Harff et  Lamarche (1998) srsquoest amplifieacute dans les campagnes franccedilaises (Anzalone et Purseigle 2014 Purseigle et al 2017) Ont ainsi eacuteteacute observeacutees des logiques de speacutecialisation chez des polyculteurs-eacuteleveurs qui confient la gestion et la conduite de leurs productions veacutegeacutetales agrave une entreprise deacuteleacutegataire pour mieux se recentrer sur les activiteacutes drsquoeacutelevage ou encore des exploitants aux allures de laquo proprieacutetairerentier raquo agrave la tecircte drsquolaquo exploitations en trompe-lrsquoœil raquo mus par une logique de laquo rente familiale raquo (Anzalone et Purseigle 2014 p336) Par-delagrave la dimension organisationnelle cette forme aboutie de deacuteleacutegation constituerait non seulement laquo une profonde rupture dans la conception du meacutetier drsquoagriculteur et dans la formation de lrsquoidentiteacute professionnelle raquo (Harff et Lamarche 1998 p10) mais aussi une nouvelle eacutetape dans la laquo gestionnarisation raquo des activiteacutes de deacuteleacutegation productive Relevant

4 Il inclut eacutegalement tous laquo les travaux de creacuteation restauration et entretien des parcs et jardins raquo mais il nrsquoen sera pas question dans cet article5 Un exemple communeacutement rencontreacute de deacuteleacutegation par laquo recentrage raquo est celui de lrsquoeacuteleveur qui deacutelegravegue agrave un tiers lrsquointeacutegraliteacute des travaux de culture pour se consacrer agrave lrsquoeacutelevage6 La cateacutegorie laquo exploitations ayant recours de maniegravere notable agrave la sous-traitance raquo est deacutefinie par rapport au poids du travail apporteacute par les entreprises de travaux agricole relativement au travail permanent

46 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

parfois de nouveaux dispositifs de laquo co-pilotage raquo des exploitations agricoles porteacutes par des entreprises franccedilaises ou eacutetrangegraveres la deacuteleacutegation inteacutegrale illustrerait une laquo tertiarisation raquo des activiteacutes productives agricoles

Mais alors qursquoelles connaissent un tournant majeur la sous-traitance et la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux agricoles par des agriculteurs restent tregraves peu documenteacutees et eacutetudieacutees Un recensement de la litteacuterature scientifique sur la sous-traitance en agriculture sur les vingt derniegraveres anneacutees met en eacutevidence de nombreux travaux de recherche portant sur la sous-traitance associeacutee agrave un processus drsquointeacutegration verticale aval-amont mais agrave peine une vingtaine de reacutefeacuterences dans le monde traitent de la sous-traitance entre acteurs de la production agricole dont seulement une dizaine concernant lrsquoEurope (Harff et Lamarche 1998 Vernimmen et al 2000 Heacutebrard 2001 Picazo-Tadeo et Reig-Martiacutenez 2006 Chevalier 2007 Igata et al 2008 Anzalone et Purseigle 2014) Ainsi de nombreuses questions demeurent quelles sont les caracteacuteristiques des nouvelles pratiques de sous-traitance pouvant aller jusqursquoagrave de la complegravete deacuteleacutegation Quels sont les deacuteterminants de leur eacutemergence et de leur deacuteveloppement Quels sont les acteurs et organisations qui les portent Comment ces nouvelles pratiques coexistent-elles avec des formes plus traditionnelles de sous-traitance En quoi constituent-elles des instruments au service de relations partenariales entre des exploitations agricoles aux tailles et aux logiques eacuteconomiques diffeacuterentes Quel est leur impact sur lrsquoorganisation de lrsquoactiviteacute de production agricole sur un territoire et au-delagrave sur le meacutetier drsquoagriculteur

Cet article7 rassemble des reacutesultats saillants de travaux de recherche conduits depuis 2012 sur lrsquoeacutemergence de nouvelles pratiques et organisations de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation Il comporte quatre parties Parce que lrsquoeacutetude de la sous-traitance et en particulier celle de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles constituent un veacuteritable deacutefi meacutethodologique il nous semble important dans une premiegravere partie drsquoexpliciter notre deacutemarche sur ce plan Les trois autres parties deacutevelopperont les reacutesultats Ainsi afin de caracteacuteriser les recompositions en cours et leur ampleur nous preacutesenterons dans la deuxiegraveme partie un bref eacutetat des lieux du marcheacute de la sous-traitance puis dans la troisiegraveme partie un recensement des pratiques de sous-traitance en distinguant les plus novatrices et notamment celles relevant de la deacuteleacutegation inteacutegrale Nous tracerons ensuite dans la quatriegraveme et derniegravere partie les contours de formes innovantes drsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation et commenterons leur genegravese en deacuteveloppant lrsquoideacutee que les nouveaux dispositifs srsquoappuient sur les anciens davantage qursquoils ne les supplantent afin de reacutepondre agrave des demandes nouvelles eacutemanant drsquoentreprises agricoles situeacutees aux franges du modegravele de lrsquoexploitation familiale Nous distinguerons notamment deux grandes trajectoires drsquoeacutevolution de lrsquoorganisation de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation lrsquoune partant de relations traditionnelles et greffant sur ces derniegraveres des modaliteacutes nouvelles lrsquoautre plus innovante fondeacutee sur la construction drsquoune cateacutegorie sociale nouvelle celle du land manager gestionnaire de patrimoines agricoles et nouveau maicirctre drsquoœuvre de la production agricole agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Enfin nous conclurons sur les questions souleveacutees par le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale

7 Cet article prolonge les analyses relatives agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale preacutesenteacutees dans Forget et al (2019)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 47

1 Deacutemarche meacutethodologique pour lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole

Le principal deacutefi poseacute par lrsquoeacutetude de la sous-traitance agricole8 et notamment de ses nouvelles pratiques est le repeacuterage qualitatif et quantitatif de ce pheacutenomegravene dans la mesure ougrave il existe peu de donneacutees permettant de lrsquoeacutetudier Pour contourner ce problegraveme lrsquoeacutetude a mobiliseacute une meacutethodologie mixte (Tashakkori et Teddlie 1998) et a comporteacute quatre grands volets avec pour principe une articulation eacutetroite entre analyses qualitatives et cadrages statistiques

Le premier volet consistait en la reacutealisation drsquoenquecirctes approfondies aupregraves de personnes ressources du secteur agricole (membres de la Socieacuteteacute des agriculteurs de France - SAF repreacutesentants syndicaux repreacutesentants de la Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) et de la Feacutedeacuteration nationale des CUMA (FNCUMA) dirigeants de coopeacuteratives etc) pour preacuteciser les contours du marcheacute de la sous-traitance et en preacutesenter les caracteacuteristiques

Les reacutesultats de ces enquecirctes ont eacuteteacute exploiteacutes dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude pour construire des indicateurs clefs et tenter de quantifier9 le pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France en mobilisant des donneacutees statistiques secondaires issues de diverses sources (recensements agricoles (RA) de 2000 et 2010 enquecircte sur les structures drsquoexploitation de 2016 Mutualiteacute sociale agricole FNEDT et registre Infogreffe du commerce et des socieacuteteacutes)

La quantification du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux culturaux agrave lrsquoeacutechelle nationale et de son eacutevolution constituait un enjeu meacutethodologique majeur les donneacutees de la statistique agricole ne permettant pas avant 2016 drsquoidentifier directement les exploitations qui y avaient recours En 2010 cet aspect nrsquoa eacuteteacute abordeacute dans le RA qursquoen reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Pour estimer le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale en grandes cultures en France en 2010 la meacutethode choisie dans le cadre du projet ANR Agrifirme a consisteacute dans un premier temps agrave caracteacuteriser les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant deacuteclareacute agrave cette date avoir entiegraverement deacuteleacutegueacute la conduite de leurs cultures Lrsquoanalyse srsquoest focaliseacutee sur les exploitations speacutecialiseacutees dans la production de ceacutereacuteales et drsquooleacuteo-proteacuteagineux dont la production brute standard (PBS) est supeacuterieure agrave 5 000 euro (ces exploitations sont les plus susceptibles de recourir agrave cette forme de deacuteleacutegation) Pour lrsquoextrapolation agrave lrsquoeacutechelle nationale lrsquoanalyse statistique a conduit agrave identifier plusieurs variables disponibles nationalement permettant drsquoisoler les exploitations de Midi-Pyreacuteneacutees ayant inteacutegralement deacuteleacutegueacute leurs cultures Les variables retenues eacutetaient le nombre de jours de travail drsquoETA par hectare de ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux cultiveacute le pourcentage des uniteacutes de travail agricole (UTA) apporteacutees par une ETA et le recours agrave une ETA pour les travaux phytosanitaires Pour chacune de ces trois variables des seuils au-delagrave desquels

8 Les eacuteleacutements deacuteveloppeacutes dans le preacutesent article srsquoancrent dans des travaux de recherche qui ont deacutebuteacute avec le projet ANR 1808 01 intituleacute Agrifirme (2011-2014) Lrsquoobjectif principal de ce projet eacutetait drsquoidentifier de caracteacuteriser et de quantifier de nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomique et sociale de la production agricole Ils se sont poursuivis avec lrsquoappui du programme investissements drsquoAvenir ANR-10-EQPX-17 du programme de recherche PSDR IV-ReproInnov et du Centre drsquoeacutetudes et de prospective du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation dans le but notamment de mettre agrave jour les donneacutees statistiques Ils srsquoappuient eacutegalement sur des enquecirctes reacutealiseacutees dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin portant sur les innovations organisationnelles en eacutelevage ovin et du projet europeacuteen H2020 Agrilink portant sur les mutations du conseil agricole Ces travaux ont eacuteteacute meneacutes par une eacutequipe drsquoenseignants-chercheurs en eacuteconomie et sociologie de lrsquoInstitut national polytechnique - Eacutecole nationale supeacuterieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT) parmi lesquels Julien Brailly Olivier Legagneux Geneviegraveve Nguyen Valeacuterie Olivier et Franccedilois Purseigle avec lrsquoappui en particulier de Guilhem Anzalone Seacutebastien Billows Perrine Fortin Eloiumlse Bergeret Olivier Pauly Joseacute Ramanantsoa et Jeacutereacutemy Andreacute 9 Sauf indication contraire de la source est indiqueacutee les chiffres mentionneacutes dans lrsquoarticle srsquoappuyant sur les donneacutees secondaires ont eacuteteacute calculeacutes par les auteurs

48 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale eacutetait statistiquement tregraves probable ont eacuteteacute calculeacutes En faisant lrsquohypothegravese ndash forte ndash que dans drsquoautres reacutegions des uniteacutes structurellement semblables au regard de ces variables utiliseraient de la mecircme faccedilon ces prestataires nous avons extrapoleacute au reste de la France le nombre drsquoexploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures ayant eu recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

En 2016 le questionnaire de lrsquoenquecircte Structures (ESA) comportait pour la premiegravere fois une question sur le recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale pour lrsquoensemble des travaux culturaux Ceci a permis drsquoeacutelargir lrsquoanalyse agrave toutes les productions et de valider a posteriori les ordres de grandeur issus de lrsquoextrapolation reacutealiseacutee agrave partir des donneacutees issues du RA 2010 sur les grandes cultures Par ailleurs pour avoir une ideacutee de lrsquoeacutevolution entre 2010 et 2016 du recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale par les exploitations en grandes cultures nous avons appliqueacute la meacutethode drsquoextrapolation preacuteceacutedemment deacutecrite pour le RA aux donneacutees de lrsquoESA 201610

En parallegravele de ce repeacuterage statistique le troisiegraveme volet a consisteacute en des enquecirctes approfondies conduites aupregraves de 32 ETA et de 33 de leurs clients dans diverses reacutegions (Hauts-de-France Grand Est Centre-Val de Loire Bretagne Normandie Nouvelle-Aquitaine Occitanie) entre 2012 et 2016 afin de reacutealiser des monographies et une typologie de prestataires de services de clients et de relations de sous-traitance et de deacuteleacutegation Ces acteurs ont eacuteteacute seacutelectionneacutes de maniegravere agrave repreacutesenter la diversiteacute des scheacutemas de sous-traitance et de deacuteleacutegation tant classiques qursquoeacutemergents Au cours de ces enquecirctes des questions ont eacuteteacute poseacutees sur les caracteacuteristiques des acteurs et leurs motivations sur lrsquoorganisation de la sous-traitance et les arrangements contractuels tant formels (contrats eacutecrits collecteacutes) qursquoinformels La compreacutehension des pratiques et des dispositifs de sous-traitance et de deacuteleacutegation permise par cette approche a ensuite orienteacute une eacutetude plus quantitative du pheacutenomegravene lors du quatriegraveme volet

Dans le cadre de ce dernier volet la focale a eacuteteacute mise sur le grand Sud-Ouest de la France reacutegion caracteacuteriseacutee par une diversiteacute des productions et des structures de production et par lrsquoimportance du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale quantifieacute dans le deuxiegraveme volet de lrsquoeacutetude Au printemps 2018 des donneacutees ont eacuteteacute collecteacutees agrave lrsquoaide drsquoun questionnaire auto-administreacute aupregraves de 5 400 agriculteurs de 12 deacutepartements du Sud-Ouest Ce fichier a eacuteteacute construit agrave partir de listes drsquoagriculteurs constitueacutees dans le cadre de recherches anteacuterieures

Apregraves relances et nettoyage de la base de reacuteponses 1 247 reacuteponses ont eacuteteacute retenues pour lrsquoanalyse soit 23 de lrsquoeacutechantillon initial Ce dispositif drsquoenquecircte relatif aux recompositions en cours de lrsquoorganisation du travail dans les exploitations agricoles avait pour objectifs

- de recenser les sources de main-drsquoœuvre sur lrsquoexploitation ainsi que les pratiques et les besoins de sous-traitance

- de recueillir lrsquoopinion des agriculteurs sur la sous-traitance et plus particuliegraverement sur le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale

10 Agrave la diffeacuterence de lrsquoESA 2016 dans le recensement agricole de 2010 la question de la deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux dans les exploitations en grandes cultures a eacuteteacute introduite mais seulement pour lrsquoancienne reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees Une meacutethode drsquoextrapolation a donc eacuteteacute eacutelaboreacutee pour estimer ce pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutechelle de la France (voir lrsquoencadreacute 21 agrave la page 39 de Forget V et al 2019) Cette mecircme meacutethode a eacuteteacute appliqueacutee aux donneacutees ESA 2016 afin de pouvoir comparer deux variables eacutequivalentes Il est agrave noter que le reacutesultat de lrsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2016 par la meacutethode drsquoextrapolation donne un chiffre de 8 986 exploitations de grandes cultures concerneacutees Compareacute au chiffre issu directement de la question poseacutee aux exploitations dans lrsquoESA 2016 qui est de 11 036 il y a une leacutegegravere sous-estimation du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale par la meacutethode drsquoextrapolation

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 49

- de comprendre les nouvelles formes drsquoorganisation du travail et les environnements sociaux eacuteconomiques et institutionnels favorables agrave lrsquoessor du marcheacute de la sous-traitance

Des analyses statistiques ont eacuteteacute reacutealiseacutees pour deacutecrire et expliquer les pratiques de sous-traitance et de deacuteleacutegation ainsi que le choix des modaliteacutes de contractualisation en fonction de facteurs internes et externes agrave lrsquoexploitation

Cette meacutethode mixte reposant sur des allers-retours entre approches qualitatives et quantitatives a ainsi permis non seulement une compreacutehension fine des meacutecanismes sociaux et eacuteconomiques qui preacutesident aux recompositions agrave lrsquoœuvre mais aussi de leur quantification

2 Un marcheacute de la sous-traitance en forte croissance depuis 2000

En 2010 623 des exploitations franccedilaises ont fait appel agrave des ETA (Legagneux et Olivier-Salvagnac 2017) Les calculs reacutealiseacutes agrave partir des donneacutees des deux derniers recensements agricoles et de lrsquoenquecircte Structures de 2016 montrent que depuis 2000 le pheacutenomegravene de sous-traitance nrsquoa cesseacute de se deacutevelopper En effet entre 2000 et 2016 le nombre drsquoexploitations ayant eu recours agrave la sous-traitance de maniegravere notable11 a augmenteacute agrave un rythme de 27 par an pour atteindre 25 542 exploitations en 2016 soit 55 de la PBS de la ferme franccedilaise Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations12 qui repreacutesentent 69 du total des exploitations franccedilaises et 70 des exploitants ayant recours agrave la sous-traitance Entre 2000 et 2016 leur nombre srsquoest accru de 103 alors que celui des petites a connu un leacuteger fleacutechissement de - 3 Ce sont aujourdrsquohui 17 889 moyennes et grandes exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative contre 7 653 petites alors qursquoelles eacutetaient respectivement 8 810 et 7 879 en 2000

Pour ce qui est de lrsquooffre agrave cocircteacute des donneacutees de lrsquoInsee et de la Mutualiteacute sociale agricole (MSA) une enquecircte reacutealiseacutee entre octobre 2017 et juin 2018 par lrsquoobservatoire Emploi Formation de la FNSEA confirme le rocircle preacutedominant des ETA dans la reacutealisation des travaux agricoles (FNSEA 2018) auxquelles les agriculteurs ont davantage recours qursquoaux CUMA et aux groupements drsquoemployeurs

Souvent creacuteeacutees par des exploitants agricoles dans le but de diversifier leurs activiteacutes et leurs sources de revenus les ETA relegravevent de lrsquoarticle L722-2 du Code rural et de la pecircche maritime Leurs travaux peuvent ecirctre conduits sur drsquoautres exploitations en utilisant le mateacuteriel agricole disponible sur place ou le mateacuteriel de lrsquoentreprise voire en louant ce dernier agrave un autre exploitant Immatriculeacutee au Registre du commerce et des socieacuteteacutes une ETA peut prendre la forme drsquoune entreprise individuelle simple ou agrave responsabiliteacute limiteacutee ou drsquoune socieacuteteacute (SA SAS SARL SCEA etc)

11 La focale est mise ici sur les exploitations qui sous-traitent de maniegravere significative Ce pheacutenomegravene est appreacutecieacute au travers de deux ratios qui mesurent la part du travail confieacute agrave une ETA sur a) le volume drsquoheures de travail fournies par la main-drsquoœuvre permanente sur lrsquoexploitation (nombre drsquoUTA fournies par les ETA nombre drsquoUTA permanente ge 9 ) et b) sur la taille eacuteconomique de lrsquoexploitation (nombre de jours de travail drsquoune ETA keuro PBS ge 023)12 Les laquo petites exploitations raquo sont deacutefinies comme celles ayant une PBS supeacuterieure ou eacutegale agrave 5 000 euro et strictement infeacuterieure agrave 25 000 euro par an et les laquo moyennes et grandes exploitations raquo comme celles dont la PBS est supeacuterieure ou eacutegale agrave 25 000 euro par an Les tregraves petites exploitations avec une PBS infeacuterieure agrave 5 000 euro ne sont pas prises en compte dans cette eacutetude

50 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Entre 2004 et 2014 selon les donneacutees de la MSA le nombre drsquoETA et celui des salarieacutes employeacutes par ces derniegraveres ont connu une hausse de respectivement 10 et 73 (CCMSA-FNEDT 2015) Ces chiffres ont connu un leacuteger infleacutechissement pour lrsquoanneacutee 2015 mais sont de nouveau en hausse depuis 2016 avec des taux de progression annuels de 19 pour le nombre drsquoETA et de 27 pour les effectifs de salarieacutes En 2016 la MSA comptabilisait 14 022 ETA employant 96 452 salarieacutes permanents et saisonniers reacuteparties sur lrsquoensemble du territoire franccedilais en particulier dans les reacutegions de plaine autour drsquoun croissant Sud Sud-Ouest Centre Nord (figure 1)

Lorsqursquoil est replaceacute dans une perspective historique le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture apparaicirct eacutetroitement lieacute aux progregraves techniques reacutealiseacutes dans ce secteur mais eacutegalement tout comme dans lrsquoindustrie agrave la conjoncture eacuteconomique Reacutealiseacutee avec les donneacutees drsquoInfogreffe relatives agrave la creacuteation drsquoeacutetablissements depuis 1945 la figure 2 montre que lrsquoessor du recours agrave la sous-traitance dans les anneacutees 1980 pointeacute par Heacutebrard (2001) et Chevalier (2007) est alleacute de pair avec le deacuteveloppement des CUMA puis des ETA Il convient ici de rappeler que les premiegraveres ETA ont eacuteteacute creacuteeacutees dans lrsquoentre-deux-guerres avec lrsquoarriveacutee des batteuses selon une logique entrepreneuriale et de marcheacute13 et ce apregraves lrsquoeacutemergence des CUMA qui elles ont eacuteteacute creacuteeacutees dans une logique drsquoentraide et de mutualisation afin de reacutepondre aux attentes drsquoexploitations familiales appeleacutees agrave se moderniser Mais le veacuteritable deacuteveloppement du marcheacute franccedilais de la sous-traitance est concomitant du moment ougrave le secteur agricole est entreacute dans une longue peacuteriode drsquoincertitude eacuteconomique et sociale Depuis les anneacutees 1980 plusieurs faits ont selon nous contribueacute agrave faire eacutevoluer les preacutefeacuterences des acteurs de la sous-traitance qursquoils soient clients ou deacuteleacutegataires et agrave expliquer lrsquoaugmentation significative du nombre de creacuteation drsquoETA (figure 2) la baisse tendancielle du nombre drsquoactifs familiaux agricoles les reacuteformes successives

Figure 1 - Nombre drsquoETA par code postal dans un rayon de 25Km (donneacutees Infogreffe 2019)

2735544363024191270

105453122171310740

Nombre ETA par code postal dans un rayon de 25 km

Nombre CUMA par code postal dans rayon de 25 km

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs agrave partir des donneacutees Indogreffe 2019

13 Pour une histoire des entreprises de travaux agricoles voir Des entrepreneurs de battage aux entrepreneurs des territoires 85 ans de syndicalisme des entrepreneurs 1922-2007 2007 Feacutedeacuteration nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 51

Figure 2 - Eacutevolution du nombre de creacuteations drsquoETA et de CUMA (donneacutees Infogreffe 20192019))

Source Graphique reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees Infogreffe 2019

de la PAC et notamment celles actant le passage drsquoune logique de soutien agrave la production agrave une logique de gestion des risques et drsquoun laquo verdissement raquo relatif des aides publiques la hausse continue du prix de lrsquoeacutequipement agricole ou encore les diverses mesures de deacutefiscalisation des investissements productifs

Crsquoest cet essor reacutecent de la sous-traitance qui nous inteacuteresse plus particuliegraverement ici Si dans le secteur industriel les dirigeants drsquoentreprises ont eacuteteacute ameneacutes depuis les anneacutees 1980 agrave fortement repenser les relations de sous-traitance pour capter des ressources externes strateacutegiques et creacuteer de la valeur (Arnold 2000 Mildberg et Winkler 2013) il nous paraicirct tregraves probable que les entreprises agricoles malgreacute leurs speacutecificiteacutes aient suivi la mecircme tendance

Quelques chiffres clefs

En 2016 ce sont

  plus de 26 500 exploitations toutes OTEX confondues qui ont deacuteclareacute avoir sous-traiteacute lrsquoensemble des travaux de culture soit au moins 500 000 hectares et 55 de la PBS de la ferme franccedilaise

  70 drsquoentre elles sont des exploitations de taille moyenne agrave grande

  125 drsquoentre elles sont des exploitations en grandes cultures et autant drsquoexploitations bovin-lait et en polyculture-eacutelevage

  plus de 14 000 ETA et 96 000 salarieacutes

52 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

3 Une pluraliteacute de demandes et de pratiques en reacuteponse agrave lrsquoeacutevolution du contexte agricole

En mecircme temps qursquoil se deacuteveloppe le pheacutenomegravene de sous-traitance connaicirct deux eacutevolutions majeures La premiegravere concerne la nature des services demandeacutes et lrsquoampleur des travaux sous-traiteacutes Les agriculteurs sont non seulement plus nombreux agrave sous-traiter mais ils sous-traitent de plus en plus de tacircches La deuxiegraveme eacutevolution relegraveve de la logique mecircme de sous-traitance avec deux basculements Lrsquoun comme pour le secteur industriel voit lrsquoeacutemergence drsquoune laquo sous-traitance de speacutecialiteacute ou strateacutegique raquo agrave cocircteacute de la classique laquo sous-traitance de capaciteacute ou eacuteconomique raquo Lrsquoautre met en lumiegravere au travers du deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo lrsquoapparition drsquoune logique de gestion patrimoniale faisant des prestataires de services des gestionnaires de patrimoine agricole et leur accordant une place particuliegravere dans lrsquoorganisation et le maintien drsquoune capaciteacute productive agrave lrsquoeacutechelle des territoires Les donneacutees issues du sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest et des enquecirctes approfondies aupregraves des parties prenantes de la sous-traitance permettent de comprendre plus preacuteciseacutement les changements opeacutereacutes

31 Sous-traiter pour geacuterer des incertitudes eacuteconomiques et accompagner la gestion des contraintes reacuteglementaires environnementales

Au sein de la population des reacutepondants au sondage la prise en charge drsquoopeacuterations de culture par un tiers concerne 83 des exploitations (soit 1 027 individus) essentiellement de tailles moyenne et grande Ce ne sont plus uniquement les petites exploitations qui sous-traitent par manque de capaciteacute De plus si la reacutecolte reste la principale opeacuteration sous-traiteacutee les agriculteurs font aussi appel agrave un tiers pour la reacutealisation drsquoautres travaux de culture comme les eacutepandages drsquoengrais et de lisier les traitements phytosanitaires le travail du sol et le semis La sous-traitance relegraveve ici plutocirct des ETA qui assurent plus de la moitieacute des prestations mecircme si les enquecirctes approfondies suggegraverent que les agriculteurs peuvent avoir recours agrave la fois aux ETA et aux CUMA selon le service demandeacute plutocirct lrsquoETA pour des opeacuterations comme la reacutecolte et le semis car celles-ci doivent ecirctre faites au bon moment et dans un temps limiteacute ou encore pour des opeacuterations requeacuterant un mateacuteriel coucircteux plutocirct une CUMA pour les autres opeacuterations parce que le service est parfois moins oneacutereux Il est inteacuteressant de noter que les principales raisons avanceacutees pour sous-traiter ces opeacuterations de culture ne renvoient pas neacutecessairement agrave un deacuteficit de main-drsquoœuvre mais drsquoabord agrave des choix drsquoinvestissement et drsquoorganisation du travail sur lrsquoexploitation (encadreacute 1) Parallegravelement la compeacutetence technique (et non le prix) constitue le principal critegravere de choix des ETA (encadreacute 1) Du cocircteacute des exploitants commanditaires le recours agrave une ETA fait donc partie de strateacutegies de reacuteorganisation de leur activiteacute productive Ils sous-traitent non seulement des tacircches annexes mais eacutegalement certaines tacircches symboliques comme le semis pour se recentrer sur ce qursquoils considegraverent ecirctre leur cœur de meacutetier et leur apport strateacutegique pour le maintien de leur exploitation Cela concerne les eacuteleveurs qui deacutelegraveguent les tacircches lieacutees aux cultures pour se concentrer sur lrsquoeacutelevage mais aussi des agriculteurs en grandes cultures qui choisissent de se speacutecialiser sur certaines tacircches (surveillance des cultures et leur commercialisation) et de sous-traiter le reste Par ailleurs la lecture croiseacutee des reacutesultats du sondage et celle des entretiens reacutealiseacutes nous conduisent agrave eacutemettre lrsquohypothegravese drsquoun recours accru agrave la deacuteleacutegation pour la mise en œuvre de pratiques neacutecessitant des moyens techniques ou technologiques particuliers

Agrave la diffeacuterence drsquoautres pays europeacuteens (Angleterre Allemagne ou Espagne) la sous-traitance des travaux drsquoeacutelevage apparaicirct en France moins deacuteveloppeacutee que dans le secteur des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 53

Encadreacute 1 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations de culture par des ETA dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions veacutegeacutetales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production veacutegeacutetale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 075)

Q2 - Les raisons de la sous-traitanceQ1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q1 - Types drsquoopeacuterations sous-traiteacuteesQ1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

54 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Encadreacute 2 - Caracteacuteristiques de la sous-traitance des opeacuterations drsquoeacutelevage dans le grand Sud-Ouest

Les reacutesultats preacutesenteacutes ci-apregraves sont issus du sondage OTEXA reacutealiseacute en 2018 Ils correspondent aux questions suivantes

Q1 - En matiegravere de productions animales en dehors des prestations reacutealiseacutees par une CUMA agrave laquelle vous adheacuterez quelles tacircches ou activiteacutes sous-traitez-vous agrave une entreprise (plusieurs reacuteponses possibles)

Q2 - Pourquoi avez-vous choisi de sous-traiter cette ou ces activiteacute(s) de production animale (plusieurs reacuteponses possibles)

(Nombre de reacutepondants aux deux questions = 1 017)

Q1 - Nb de reacutepondants en fonction du nb de tacircches sous-traiteacutees

Q1 - Les combinaisons drsquoopeacuterations sous-traiteacutees

Q2 - Les raisons de la sous-traitance traiteacutees

Source graphiques reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Q1 - Types drsquoopeacuteration sous-traiteacutees

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 55

Encadreacute 3 - Exemple de sous-traitance drsquoopeacuterations drsquoeacutelevage le cas de la filiegravere ovine

La Servoise1 est une socieacuteteacute de prestation de services en eacutelevage situeacutee dans le quart nord-est de la France Socieacuteteacute par actions simplifieacutee (SAS) elle rassemble agrave parts eacutegales ses fondateurs et la coopeacuterative Boviconcept speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutechographie et lrsquoinseacutemination de ruminants Ils partagent un portefeuille de clients tous eacuteleveurs de petits ruminants (ovins et caprins) et mutualisent des bureaux

Fondeacutee dans un premier temps autour de lrsquoeacutechographie et de lrsquoinseacutemination des petits ruminants la gamme des services de la Servoise srsquoest eacutetendue agrave des prestations telles la tonte le parage des onglons lrsquoaide agrave lrsquoagnelage ou encore la manipulation de troupeaux Si la tonte est une activiteacute traditionnellement deacuteleacutegueacutee les trois autres ne le sont geacuteneacuteralement pas Pour les geacuterants de cette socieacuteteacute le deacuteploiement de cette nouvelle offre de services reacutepond agrave une eacutevolution structurelle des eacutelevages En effet lrsquoeffectif des troupes ovines ne cesse de croicirctre alors que dans le mecircme temps le collectif de travail se reacutetracte du fait de la disparition massive des aides familiaux non-salarieacutes (- 137 690 depuis 2000 drsquoapregraves le RA 2010 et ESEA 2016) Lrsquoagnelage comme le parage des onglons correspondaient agrave des pics de travail saisonniers qui eacutetaient jusque-lagrave absorbeacutes par lrsquoensemble du collectif de travail familial

Le fonctionnement de la Servoise se caracteacuterise par lrsquoeacutetendue de sa zone drsquointervention et par la techniciteacute de ses salarieacutes Son activiteacute se deacuteploie sur un rayon de 200 km autour de son siegravege social pour les services en eacutelevage et srsquoeacutetend jusqursquoen Bulgarie pour les eacutechographies ou les inseacuteminations La zone drsquointervention de la Servoise ne correspond pas agrave un bassin de production deacutetermineacute par une filiegravere Elle srsquoest constitueacutee au greacute des eacutevolutions du portefeuille de clients La techniciteacute des salarieacutes est aussi une caracteacuteristique mise en avant pour justifier du modegravele eacuteconomique de la Servoise Speacutecialiseacutes sur certaines activiteacutes beacuteneacuteficiant de lrsquoeacutequipement idoine ses salarieacutes ont dans leurs champs drsquointervention respectifs un rendement plus eacuteleveacute que celui des eacuteleveurs Lagrave ougrave les activiteacutes se chevauchaient sur une mecircme peacuteriode le recours agrave la sous-traitance permet aux eacuteleveurs drsquooptimiser le calendrier de travail et de rationaliser la reacutepartition des tacircches en se gardant celles qursquoils maicirctrisent le mieux et en externalisant les autres

A contrario de ce qui peut ecirctre observeacute en grandes cultures les activiteacutes deacuteleacutegueacutees agrave la Servoise ne le sont jamais dans leur inteacutegraliteacute les eacuteleveurs ont toujours la maicirctrise technique et la gestion de lrsquoagnelage et du parage des onglons Ainsi le recours agrave la Servoise est drsquoabord motiveacute par la diminution de lrsquointensiteacute de certains pics de travail Pour lrsquoagnelage activiteacute centrale en eacutelevage ovin la deacuteleacutegation nrsquoa rien drsquoeacutevident Les eacuteleveurs ayant fait appel agrave cette entreprise pour ce service lrsquoont fait suite agrave un laquo coup dur raquo un eacuteveacutenement les mettant dans lrsquoimpossibiliteacute de faire face agrave la charge de travail Le caractegravere ponctuel des interventions de la Servoise au sein des eacutelevages se traduit dans leur offre de prestations qui se deacutecline en forfait journeacutee ou en heures factureacutees

Le recours agrave la Servoise offre aux eacuteleveurs la possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave des informations concernant les pratiques drsquoeacutelevage Certains drsquoentre eux ont modifieacute leurs proceacutedeacutes de contention ou ont revu leurs meacutethodes drsquoagnelage agrave la suite drsquoun passage de la Servoise Ainsi dans une zone (le Nord-Est de la France) qui se caracteacuterise par une faible densiteacute drsquoeacutelevages et par un eacuteloignement important entre les exploitations ovines la Servoise srsquoapparente agrave une interface diffusant de lrsquoinformation et mettant en reacuteseau des exploitations disperseacutees

1 Tous les noms drsquoentreprise ont eacuteteacute modifieacutes Source Jeacuteremy Andreacute 2019 Caracteacuterisation des innovations organisationnelles collectives et des transformations du travail dans les eacutelevages ovins franccedilais meacutemoire de master projet CASDAR intituleacute laquo Ameacuteliorer les conditions de travail en eacutelevage ovin un enjeu drsquoattractiviteacute et de dynamisation de la filiegravere (AmTravrsquoOvin)

56 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

productions veacutegeacutetales Les derniegraveres donneacutees publieacutees par lrsquoInsee agrave ce sujet montrent qursquoen 2005 les agriculteurs franccedilais nrsquoont deacutepenseacute en travaux et services agrave lrsquoeacutelevage que 07 milliard drsquoeuros contre 18 milliard drsquoeuros pour les deacutepenses lieacutees aux cultures Cependant le recours agrave la sous-traitance en eacutelevage augmente bien plus rapidement (+ 23 des deacutepenses entre 1995 et 2005) qursquoen productions veacutegeacutetales (+8 sur la mecircme peacuteriode) La mecircme tendance semble srsquoobserver dans le grand Sud-Ouest puisque seulement 23 des sondeacutes de notre eacutetude ont deacuteleacutegueacute au moins une opeacuteration drsquoeacutelevage (dont seulement 2 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 3) contre 83 pour les opeacuterations de culture (dont 12 allant jusqursquoagrave trois opeacuterations encadreacute 2) Selon les donneacutees drsquoInfogreffe le nombre de prestataires de services en soutien aux productions animales ne repreacutesente que 10 de lrsquoensemble des prestataires Agrave la diffeacuterence des cultures les opeacuterations sous-traiteacutees en eacutelevage preacutesentent une grande diversiteacute selon le type de filiegravere (encadreacute 2) Cette pluraliteacute drsquoactiviteacutes susceptibles drsquoecirctre deacuteleacutegueacutees a pu conduire agrave une speacutecialisation des entreprises prestataires de services intervenant dans les filiegraveres drsquoeacutelevage Srsquoil est commun pour un eacuteleveur de deacuteleacuteguer des tacircches requeacuterant des compeacutetences speacutecifiques (inseacuteminations artificielles ou autres en lien avec lrsquoentretien des bacirctiments et les petits soins) afin de faciliter lrsquoorganisation du travail le choix de sous-traiter des tacircches intrinsegravequement lieacutees agrave lrsquoidentiteacute mecircme drsquoeacuteleveur (suivi du troupeau surveillance de lrsquoagnelage) semble plus rare et reacutecent Toutefois comme en attestent les travaux reacutealiseacutes par notre eacutequipe dans le cadre du projet CASDAR AmTravrsquoOvin (encadreacute 3) certains eacuteleveurs y ont recours depuis peu pour reacuteduire lrsquointensiteacute de certains pics de travail ou pallier un manque ponctuel de main-drsquoœuvre Les enquecirctes aupregraves drsquoeacuteleveurs suggegraverent que cette pratique pourrait se deacutevelopper dans le futur en cas de non-renouvellement des deacuteparts agrave la retraite Elle teacutemoignerait alors drsquoun changement important dans la conduite de certains troupeaux (Andreacute 2019) Ces reacutesultats illustrent un mouvement drsquoexternalisation drsquoactiviteacutes qui se geacuteneacuteralise mecircme si comme dans lrsquoindustrie il se deacutecline selon des registres diffeacuterents drsquoune filiegravere agrave lrsquoautre (Mariotti 2005)

Drsquoapregraves les enquecirctes reacutealiseacutees il semble que le contexte actuel est particuliegraverement favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance des travaux agricoles Les incitations des politiques publiques pour une agriculture agrave bas intrants le durcissement des normes environnementales les preacuteoccupations des agriculteurs pour lrsquoenvironnement et leur santeacute la multiplication des controverses et des conflits de voisinage en relation avec les travaux drsquoeacutepandage et de traitement phytosanitaire mais aussi les opportuniteacutes de marcheacute offertes par le deacuteveloppement des deacutemarches de qualiteacute officielles (agriculture biologique) comme priveacutees (cahier des charges collectif laquo Zeacutero reacutesidu de pesticides raquo par exemple) constituent autant de facteurs qui poussent aujourdrsquohui de plus en plus drsquoagriculteurs agrave deacuteleacuteguer des opeacuterations qui requiegraverent un mateacuteriel une qualification ou une techniciteacute speacutecifiques Crsquoest notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole Une concomitance srsquoobserve alors entre la monteacutee des preacuteoccupations environnementales et le deacuteveloppement de lrsquoexternalisation de tacircches comme le traitement phytosanitaire par des exploitations familiales qui ne trouvent pas toujours en leur sein les compeacutetences pour mettre en œuvre les pratiques adapteacutees Agrave lrsquoinstar de certains travaux reacutealiseacutes dans le secteur industriel on constate que certaines pratiques de sous-traitance en agriculture se singularisent par une mobilisation de ressources pouvant ecirctre tregraves speacutecifiques et neacutecessitant des investissements financiers (achat de mateacuteriels plus puissants avec des technologies performantes entretien reacuteparation assurance etc) et en temps de travail importants (formation pour lrsquoacquisition de nouvelles compeacutetences conduite des chantiers etc) Agrave lrsquoinverse de ce que lrsquoon pouvait observer dans les anneacutees 1960-90 beaucoup drsquoagriculteurs ne sont aujourdrsquohui plus precircts agrave assumer de tels investissements en raison notamment des fortes fluctuations du revenu agricole ces deux derniegraveres deacutecennies mais eacutegalement au regard des incertitudes croissantes pesant sur le renouvellement des geacuteneacuterations Ceux-ci raisonnent de plus en plus en coucircts drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement Agrave travers la sous-traitance drsquoautres par prudence vont vouloir tester un nouvel eacutequipement de preacutecision coucircteux et beacuteneacuteficier des

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 57

conseils techniques du prestataire de service avant drsquoen faire lrsquoacquisition La deacutecision de faire-faire plutocirct que de faire soi-mecircme ou de faire-avec est devenue une composante agrave part entiegravere de la strateacutegie globale de lrsquoexploitation dans laquelle la deacuteleacutegation reacutepond agrave des objectifs non seulement drsquoexternalisation des coucircts et de gestion de la main-drsquoœuvre mais eacutegalement de recherche de ressources externes speacutecifiques et de gestion des risques (Nguyen et al 2019) La relation de sous-traitance peut srsquoinscrire dans le temps long lorsque lrsquoagriculteur juge le coucirct drsquoopportuniteacute de lrsquoinvestissement trop eacuteleveacute et lrsquoopeacuteration ininteacuteressante comme elle peut nrsquoecirctre que temporaire sur une ou quelques campagnes le temps pour lrsquoagriculteur de tester une pratique nouvelle

Agrave cocircteacute de la prise en charge des opeacuterations techniques les exploitations ont aussi de plus en plus recours agrave la sous-traitance pour des tacircches administratives notamment en matiegravere de deacuteclaration PAC (29 des reacutepondants au sondage) et de deacuteclaration fiscale (26 ) On observe eacutegalement que la deacuteleacutegation concerne les fonctions de conseil puisque pregraves de 39 des sondeacutes deacuteclarent faire appel agrave des prestataires de services pour du conseil agronomique juridique et patrimonial ou encore pour les aider agrave reacutefleacutechir sur les assolements et les itineacuteraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportuniteacutes de marcheacute Comme le suggegraverent les enquecirctes approfondies aupregraves des agriculteurs la dimension laquo conseil raquo de la sous-traitance constitue une reacuteelle nouveauteacute Elle concerne notamment les ETA dont la mission eacutetait jusqursquoagrave preacutesent principalement centreacutee sur la conduite des travaux selon un cahier des charges eacutetabli par le chef drsquoexploitation seul ou avec lrsquoETA La monteacutee en compeacutetences des ETA et la speacutecialisation de certaines drsquoentre elles sur quelques opeacuterations speacutecifiques associeacutees agrave lrsquoagriculture de preacutecision et agrave bas niveau drsquointrants ont favoriseacute le deacuteveloppement de nouvelles relations de sous-traitance et de production deacuteleacutegueacutee Ce conseil qui porte sur des aspects agrave la fois techniques et strateacutegiques joue un rocircle crucial dans la construction drsquoune relation durable entre lrsquoexploitant et le prestataire de services conduisant dans un certain nombre de cas agrave un glissement progressif vers des formes de deacuteleacutegation inteacutegrale discuteacutees ci-apregraves En effet nous avons pu constater que la propension agrave deacuteleacuteguer un nombre croissant de tacircches augmente lorsque lrsquoexploitation est diversifieacutee et situeacutee agrave proximiteacute drsquoune ETA mais eacutegalement lorsque lrsquoagriculteur projette de confier dans le futur la gestion inteacutegrale de son exploitation agrave un tiers (tableau 1) Enfin comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-dessous le scheacutema de sous-traitance agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation revecirct aujourdrsquohui une certaine complexiteacute en raison de la multipliciteacute agrave la fois des relations de sous-traitance et des motivations de lrsquoagriculteur pour externaliser certaines tacircches

laquo Je fais appel agrave beaucoup de prestataires pour mes cultures pour gagner en temps parce que jrsquoai un atelier poulet Label rouge agrave cocircteacute en contrat avec la coopeacuterative et que je ne suis qursquoagrave mi-temps sur mon exploitation Et puis crsquoest pour aussi tester des pratiques parce que jrsquoessaie de passer agrave une agriculture de conservation Par exemple depuis trois ans je fais beaucoup de rotations et pour le semis je teste le semis-direct avec une ETA eacutequipeacutee en semoir direct et crsquoest aussi un ami avec qui jrsquoeacutechange beaucoup On teste des eacutecartements des semis plus ou moins denses Et puis pour lrsquoeacutepandage drsquoazote et la reacutecolte je fais appel agrave drsquoautres prestataires raquo (Agriculteur en polyculture-polyeacutelevage Pyreacuteneacutees-Atlantiques juin 2018)

32 Le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale de la gestion drsquoun patrimoine agrave la recherche de la performance globale de lrsquoexploitation

Lrsquoautre eacutevolution majeure des pratiques de sous-traitance est le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la deacuteleacutegation inteacutegrale dont les premiegraveres manifestations ont eacuteteacute releveacutees par Harff et Lamarche (1998) au deacutebut des anneacutees 1990 dans une reacutegion de grandes cultures comme la Beauce Cette forme de deacuteleacutegation concerne lrsquoensemble des opeacuterations techniques

58 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 1 - Deacuteterminants de la propension agrave sous-traiter de multiples opeacuterations de culture Modegravele de Poisson avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Nombre drsquoopeacuterations de culture sous-traiteacutees

Caracteacuteristiques de lrsquoagriculteur et de lrsquoexploitation

Age - 0003 (0002)Agriculteur agrave titre secondaire - 0047 (0035)Part du foncier en proprieacuteteacute - 0018 (0106)Seul sur lrsquoexploitation - 0008 (0038)Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 0188 (0085)Surface en grandes cultures - 0067 (0045)Surface en arboriculture - 0008 (0038)Surface en maraicircchage - 0007 (0031)Surface en vigne - 0023 (0032)Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) - 0013 (0028)Surface en cultures fourragegraveres 0041 (0033)Taille du troupeau bovin lait - 0029 (0035)Taille du troupeau bovin viande 0030 (0028)Taille du troupeau ovin 0112 (0125)Taille de lrsquoeacutelevage de volaille - 0001 (0028)Taille du troupeau caprin - 0147 (0174)Accegraves aux ETANombre drsquoETA dans un rayon de 1 km 0086 (0031)Nombre drsquoETA dans un rayon de 25 km - 0034 (0040)Nombre de CUMA dans un rayon de 1 km - 0066 (0045)Nombre de CUMA dans un rayon de 25 km 0020 (0048)

Projet drsquoentreprise et perceptions du marcheacute actuel de la sous-traitance

Projet drsquooptimisation du travail 0087 (0069)Projet de diversification des activiteacutes de production 0009 (0075)Projet drsquoactiviteacutes agritouristiques 0121 (0102)Projet drsquoaugmentation de la taille de lrsquoexploitation - 0029 (0084)Projet de maintien de la taille de lrsquoexploitation 0079 (0071)Projet de deacuteleacutegation de lrsquoexploitation agrave un tiers 0307 (0125)Pense qursquoil manque une coordination des ETA 0031 (0096)Pense que trop drsquoETA sont en concurrence - 0282 (0136)Pense que la demande est forte et qursquoil nrsquoy a pas assez drsquoETA 0281 (0101)Pense que les besoins sont diversifieacutes et que les ETA nrsquoarrivent pas agrave satisfaire certains drsquoentre eux 0123 (0091)

Constante 0401 (0141)Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

625- 8987301 857461

plt01 plt005 plt0001

Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

drsquoun ou de plusieurs ateliers de production et est nommeacutee dans le milieu professionnel laquo de A agrave Z raquo ou laquo chantier complet raquo Il convient de distinguer cette laquo deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux agricoles raquo qui concerne drsquoailleurs principalement les opeacuterations sur les systegravemes de cultures de la laquo deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole raquo qui consiste agrave confier agrave un tiers non seulement la reacutealisation de tous les travaux sur lrsquoexploitation mais eacutegalement la gestion eacuteconomique et administrative de lrsquoentreprise (deacutecisions drsquoassolement et drsquoitineacuteraires techniques conduite de lrsquoeacutelevage commercialisation management des eacutequipes sur les chantiers gestion comptable et deacuteclarations PAC) Cette derniegravere variante de la deacuteleacutegation inteacutegrale correspond agrave la forme la plus aboutie et la plus ineacutedite de sous-traitance car elle conduit agrave une seacuteparation totale entre les droits de proprieacuteteacute et la gestion opeacuterationnelle de lrsquoentreprise Le proprieacutetaire peut encore garder dans une certaine mesure le controcircle sur des deacutecisions strateacutegiques mais toutes les deacutecisions opeacuterationnelles sont geacuteneacuteralement transfeacutereacutees agrave un tiers connu sous le nom de laquo chef de culture raquo ou encore

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 59

laquo land manager raquo (cf section 42) Ce dernier peut ecirctre assimileacute agrave la figure du geacuterant drsquoexploitation Mais agrave la diffeacuterence de la geacuterance les arrangements mis en place dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation nrsquoimpliquent pas une embauche formelle Mateacuterialiseacutee souvent par un contrat de prestation classique annualiseacute et reconduit tacitement drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre cette relation de sous-traitance singuliegravere se caracteacuterise ainsi par sa grande flexibiliteacute

Mecircme si elle ne concernait alors que la reacutegion Midi-Pyreacuteneacutees il faut attendre 2010 pour qursquoune question sur la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture soit inteacutegreacutee au questionnaire du recensement geacuteneacuteral agricole Les reacuteponses agrave cette question ont permis agrave notre eacutequipe par extrapolation des donneacutees agrave lrsquoensemble de la France drsquoestimer que 123 des exploitations en grandes cultures eacutetaient concerneacutees par cette pratique Dans le cadre de lrsquoenquecircte structures 2016 cette question a eacuteteacute eacutetendue agrave lrsquoensemble des exploitations franccedilaises Il a eacuteteacute ainsi possible drsquoobtenir une estimation plus preacutecise et de confirmer lrsquoampleur du pheacutenomegravene observeacutee en 2010 Ainsi en 2016 71 des exploitations toutes productions confondues ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euro ont deacuteclareacute avoir deacuteleacutegueacute inteacutegralement les travaux de cultures (Forget et al 2019 p39) Les exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale sont en 2010 comme en 2016 principalement localiseacutees selon un arc SudOuestNord-Est dans les reacutegions Midi-Pyreacuteneacutees Aquitaine Poitou-Charentes Centre Bretagne Basse Normandie et Champagne-Ardenne avec des taux de deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures pouvant atteindre 18 (figures 3 et 4) En 2016 ce pheacutenomegravene mecircme srsquoil concerne plus particuliegraverement les exploitations en grandes cultures (125 ) est eacutegalement preacutesent dans les exploitations ayant drsquoautres orientations technico-eacuteconomiques et notamment les exploitations en bovin-lait (61 ) en bovin-viande (54 ) avec des herbivores ou granivores (54 ) et les exploitations de polyculture-polyeacutelevage (61 ) et lagrave eacutegalement plutocirct de moyenne et grande tailles (tableau 2)

Concernant plus preacuteciseacutement les exploitations en grandes cultures pour lesquelles un exercice de comparaison est possible en appliquant aux donneacutees de 2016 la mecircme meacutethode de calcul que pour les donneacutees de 2010 il apparaicirct qursquoentre 2010 et 2016 le nombre drsquoexploitations en grandes cultures en deacuteleacutegation inteacutegrale a progresseacute de 27 (tableau 3) Les calculs montrent surtout qursquoau cours de cette peacuteriode il y a eu un report du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites exploitations (- 212 ) vers les moyennes et grandes exploitations en grandes cultures (+ 276 ) En 2016 ce sont donc 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concerneacutees par la deacuteleacutegation inteacutegrale laquo par abandon raquo Les premiegraveres sont majoritairement des exploitations individuelles (479 ) mais eacutegalement sous statut de socieacuteteacute civile (271 ) et avec des chefs drsquoexploitation deacuteclarant travailler moins drsquoun quart-temps sur lrsquoexploitation (528 ) Les petites exploitations concerneacutees sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (919 ) avec lagrave encore un exploitant travaillant moins drsquoun quart-temps (742 ) Il est enfin inteacuteressant de noter lrsquoaugmentation de 5 points du nombre drsquoexploitations moyennes et grandes sous statut de socieacuteteacute civile entre 2010 et 2016

Les enquecirctes approfondies reacutealiseacutees aupregraves des exploitants et des ETA permettent de formuler une hypothegravese pour expliquer le deacuteveloppement de la deacuteleacutegation inteacutegrale Il ressort en effet que la deacuteleacutegation inteacutegrale sur les petites exploitations est un pheacutenomegravene plus ancien relevant drsquoindividus non-exploitants devenus proprieacutetaires de structures de petite taille agrave la suite drsquoheacuteritages successifs La conduite des cultures de ces petites structures est geacuteneacuteralement prise en charge par des agriculteurs-exploitants du voisinage qui ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation pour amortir leur mateacuteriel et acceptent de laquo rendre service raquo aux voisins laquo absents raquo La deacuteleacutegation au sein des moyennes et grandes exploitations serait quant agrave elle plus reacutecente et due aux difficulteacutes de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitaliseacutees Ces difficulteacutes se

60 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type socieacuteteacute civile ougrave lrsquoabsence drsquoentente entre associeacutes ne permet pas la geacuterance par un membre de la famille et conduit souvent agrave deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation agrave autrui La deacutegradation du taux de renouvellement des geacuteneacuterations associeacutee agrave la concentration des structures serait donc dans la peacuteriode reacutecente le principal moteur du glissement observeacute du pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale des petites vers des moyennes et grandes exploitations

Le choix de deacuteleacuteguer la gestion de lrsquoexploitation plutocirct que de la donner en fermage est significatif de la distinction entre capital productif et patrimoine familial Mecircme si le statut du fermage autorise la reprise des terres par le proprieacutetaire en vue de les exploiter lui-mecircme (ou un membre de sa famille) il est jugeacute contraignant par les proprieacutetaires qui redoutent de perdre la maicirctrise de leur foncier laquo progressivement renforceacute depuis son instauration dans un sens favorable aux droits du fermier le reacutegime du bail rural permet agrave lrsquoexploitant locataire de disposer de droits drsquousage eacutetendus sur les terres qursquoil a en jouissance agrave tel point que sa condition a parfois eacuteteacute compareacutee agrave celle drsquoun quasi-proprieacutetaire raquo (Melot 2012) Le fait que certains fassent le choix de garder le statut drsquoexploitant tout en en deacuteleacutegant la gestion de la structure montre que dans certains cas le projet patrimonial lrsquoemporte sur la construction drsquoun projet eacuteconomique Ce nrsquoest alors plus la famille qui est mobiliseacutee au service de lrsquoexploitation mais lrsquoexploitation qui est mobiliseacutee au service de la famille

Figure 3 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2010 pour les exploitations en grandes cultures ayant une PBS supeacuterieure agrave 5 000 euroEn nombre drsquoexploitations En surface de ceacutereacuteales oleacuteagineux et proteacuteagineux

Source cartes reacutealiseacutees par les auteurs avec les donneacutees du RA 2010

Cette configuration permet de maintenir la valeur du foncier celle-ci eacutetant moindre lorsque les terres sont en fermage comme en teacutemoigne lrsquoextrait drsquoentretien ci-apregraves

laquo Qursquoest-ce que vous feriez si vous eacutetiez trois agrave la tecircte drsquoune exploitation de 100 hectares Qursquoagrave force de pleurer dans votre foyer vous avez deacutefinitivement motiveacute aucun de vos enfants pour reprendre qursquoagrave force de dire que crsquoest un meacutetier qui gagne rien tout le monde finit par ecirctre convaincu Et que en mecircme temps agrave 59 ans la retraite agrave laquelle vous pouvez preacutetendre est franchement extrecircmement mince Il y a une partie de la population qui

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 61

Figure 4 - Cartes de la deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de culture en 2016 pour lrsquoensemble des exploitations

Source cartes reacutealiseacutees par le CEP avec les donneacutees de lrsquoESEA 2016 in Forget V et al (2019) page 40

se dit lsquorsquosi jrsquoavais un prestataire de services qui tient la route ccedila me permettrait quand on calcule bien dans certains cas de figures et surtout si le gars tient la route financiegraverement et moralement je gagnerais mecircme plus que dans ma peacuteriode drsquoactiviteacute sans rien fairersquorsquo Crsquoest une manne financiegraverehellip agrave vie Vous donnez la proprieacuteteacute de vos parts mais vous gardez lrsquousufruit et vous faites faire agrave un prestataire de services Et lrsquoexploitation elle reste dans la famille chacun prend un tiers il y a pas de difficulteacute de partage Point termineacute raquo

(Prestataire de services parlant du cas drsquoun de ses clients Champagne-Ardenne feacutevrier 2013)

En parallegravele de lrsquoessor de la deacuteleacutegation inteacutegrale lrsquooffre de sous-traitance se deacuteveloppe (figure 2) avec la creacuteation de nouvelles ETA leur agrandissement et la professionnalisation des plus anciennes permettant la prise en charge drsquoune surface plus importante Et parmi ces derniegraveres les plus grandes vont chercher agrave contractualiser avec les plus grandes exploitations pour reacutealiser des eacuteconomies drsquoeacutechelle

Gracircce agrave des questions portant speacutecifiquement sur la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoentreprise agricole le sondage reacutealiseacute dans le grand Sud-Ouest apporte un eacuteclairage compleacutementaire aux statistiques nationales qui sont limiteacutees agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures Dans cette reacutegion le pheacutenomegravene de deacuteleacutegation inteacutegrale de travaux concerne ainsi en 2018 54 de la population totale des reacutepondants soit 58 exploitations toutes productions confondues sur 1 075 Ce sont principalement des exploitations en grandes cultures (64 de la population en question) appartenant agrave des exploitants plutocirct pluriactifs acircgeacutes entre 35 et 55 ans Les principales raisons avanceacutees par les agriculteurs enquecircteacutes pour justifier le recours agrave cette forme aboutie de sous-traitance sont par ordre deacutecroissant drsquoimportance lrsquoabsence de mateacuteriel suite agrave un choix de non-investissement la pluriactiviteacute la possibiliteacute de simplifier lrsquoorganisation du travail lrsquoabsence de compeacutetences techniques Les entretiens approfondis reacutevegravelent eacutegalement drsquoautres motifs comme lrsquoeacuteloignement de lrsquoexploitation (ou drsquoun site de production lorsque lrsquoexploitation est eacuteclateacutee en plusieurs sites) ou encore des sorties preacutecoces du meacutetier Toujours selon cette enquecircte les agriculteurs en deacuteleacutegation inteacutegrale ont geacuteneacuteralement lrsquohabitude de sous-traiter des travaux agrave un prestataire avec lequel ils ont bacircti une relation privileacutegieacutee qui va au-delagrave drsquoune simple relation de donneur drsquoordres

62 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tabl

eau

2 - I

mpo

rtan

ce d

e la

deacutel

eacutegat

ion

inteacute

gral

e de

s tr

avau

x de

cul

ture

en

Fran

ce (e

n ef

fect

if et

en

pour

cent

age)

Effe

ctifs

et t

aux

des

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

inteacute

gral

emen

t les

trav

aux

de c

ultu

re p

ar o

rien

tatio

n te

chni

co-eacute

cono

miq

ue (O

tex)

- D

onneacute

es E

nquecirc

te

stru

ctur

e 20

16

Exp

loit

en

gran

des

cultu

res

(Ote

x 15

16)

Expl

oit

en

mar

aicircch

age

et

hort

icul

ture

(O

tex

2829

)

Exp

loit

en

vitic

ultu

re

(Ote

x 35

00)

Exp

loit

en

cultu

res

frui

tiegravere

s et

au

tres

cul

ture

s pe

rman

ente

s (O

tex

3900

)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

lait

(Ote

x 45

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

ori

enta

tion

eacutelev

age

et

vian

de

(Ote

x 46

00)

Exp

loit

bov

ines

mdash

la

it eacute

leva

ge e

t vi

ande

com

bineacute

s (O

tex

4700

)

Exp

loit

ave

c ov

ins

cap

rins

et

aut

res

herb

ivor

es

(Ote

x 48

00)

Exp

loit

en

gran

ivor

es

(Ote

x 50

74)

Exp

loit

de

poly

cultu

re e

t po

lyeacutel

evag

e (O

tex

6184

)

Lrsquoens

embl

e de

s tra

vaux

sur

le

s cu

lture

s es

t-il

confi

eacute agrave

un

pres

tata

ire e

xteacuter

ieur

NO

N

Pet

ites

13 8

833

052

12 9

793

792

870

12 3

6944

214

739

1 32

66

493

Moy

enne

s et

gr

ande

s73

358

1093

144

469

5 96

937

715

30 3

356

006

14 4

3718

045

34 2

76

OU

IP

etite

s4

730

770

316

718

176

40

596

91

031

Moy

enne

s et

gr

ande

s7

783

197

2 11

819

22

364

1 76

219

91

103

1 11

31

606

Pas

de

reacutepo

nse

Pet

ites

350

220

1581

411

036

01

2

Moy

enne

s et

gr

ande

s63

198

4771

685

191

487

174

91

Effe

ctif

tota

l par

Ote

x99

851

14 2

0760

298

10 1

6741

861

46 8

956

848

31 7

2120

668

43 4

99

d

rsquoexp

loit

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute s

ur lrsquo

effe

ctif

tota

l12

51

44

73

56

15

42

95

45

46

1

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

expl

oita

tions

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute62

296

575

153

492

969

810

00

649

992

609

d

e pe

tites

aya

nt d

eacuteleacuteg

ueacute

Tota

l des

pet

ites

expl

oita

tions

254

02

51

42

170

55

00

38

07

137

d

e m

oyen

nes

et g

rand

es a

yant

deacutel

eacutegueacute

To

tal d

es

moy

enne

s et

gra

ndes

exp

loita

tions

96

18

45

31

58

53

32

69

58

45

Sou

rce

Tab

leau

reacuteal

iseacute

par l

es a

uteu

rs agrave

par

tir d

es d

onneacute

es d

e lrsquoe

nquecirc

te s

truct

ure

2016

ave

c lrsquoa

ppui

de

Joseacute

Ram

anan

tsoa

(Cen

tre d

rsquoeacutetu

des

et d

e pr

ospe

ctiv

e)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 63

Tableau 3 - Nombre et caracteacuteristiques des exploitations speacutecialiseacutees en grandes cultures et avec un PBS ge 5 000 euro en deacuteleacutegation inteacutegrale pour 2010 et 2016

2010 2016

PetitesMoyennes et

grandesTotal en deacuteleacutegation

inteacutegralePetites

Moyennes et grandes

Total en deacuteleacutegation inteacutegrale

Valeur absolue

Nombre drsquoexploit 4 471 4 281 8 752 3 524 5 462 8 986

PBS (millier euro) 55 107 318 103 373 210 41 590 557 463 599 053

SAU (hectares) 84 919 387 264 472 183 49 289 523 986 573 275

SCOP (hectares) 63 029 330 306 4 722 183 3 846 440 725 476 571

UTA 1 526 3 405 4 931 1 095 3 116 4 211

par rapport agrave la cateacutegorie concerneacutee

Exploitation 228 83 222 89

PBS 212 58 196 67

SAU 212 61 182 70

SCOP 218 61 197 70

UTA 146 52 128 42

des exploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale 511 489 392 608

des exploitations en grandes cultures en France

Exploitation 123 116

PBS 65 70

SAU 70 74

SCOP 69 74

UTA 65 51

Source tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees RA 2010 et des donneacutees de lrsquoenquecircte structure 2016 avec lrsquoappui respectivement drsquoO Pauly (INRA-Agir) et de J Ramanantsoa (Centre drsquoeacutetudes et de prospective)

Note afin de comparer les chiffres entre les deux anneacutees les calculs ont eacuteteacute reacutealiseacutes en appliquant aux chiffres de 2016 la meacutethode drsquoestimation de la deacuteleacutegation inteacutegrale laquopar abandonraquo utiliseacutee pour 2010

Figure 5 - Critegraveres de choix des ETA

Source figure reacutealiseacutee par les auteurs agrave partie des donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

Reacutesultats agrave la question du sondage OTEXA laquo Pour les activiteacutes sous-traiteacutees au sein de votre exploitation quels sont pour vous les trois critegraveres les plus importants dans le choix drsquoune ETA ou drsquoun prestataire de ce type raquo (N = nombre drsquoagriculteurs par type de sous-traitance)

64 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

et drsquoexeacutecutant Comme indiqueacute dans la figure 5 la confiance et la proximiteacute geacuteographique constituent les deux principaux critegraveres de choix drsquoune ETA pour une deacuteleacutegation inteacutegrale alors que pour la sous-traitance drsquoune ou de plusieurs tacircches lrsquoagriculteur va choisir lrsquoETA au regard de sa compeacutetence technique et de son efficaciteacute De la mecircme maniegravere lrsquoexistence drsquoun projet de deacuteleacutegation inteacutegrale a un effet positif sur la propension agrave sous-traiter un nombre plus important drsquoopeacuterations culturales drsquoougrave la progressiviteacute du passage drsquoune sous-traitance partielle agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale (tableau 1)

Ainsi sur la base de lrsquoensemble des enquecirctes (par sondage et par entretiens approfondis) il est possible drsquoeacutetablir quatre grands profils drsquoentreprises agricoles et drsquoagriculteurs ayant recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale

- Des exploitations en grandes cultures avec des chefs drsquoexploitation agrave la retraite sans repreneurs qui preacutefegraverent deacuteleacuteguer inteacutegralement la gestion de leur exploitation agrave un tiers dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise Cette forme aboutie de deacuteleacutegation inteacutegrale est freacutequente dans les reacutegions de grandes cultures et notamment celles caracteacuteriseacutees par une faible preacutesence du fermage et de la coopeacuteration (CUMA groupements drsquoemployeurs) ainsi que par des problegravemes de transmission Lrsquoimportance de la deacuteleacutegation inteacutegrale pour les exploitations en grandes cultures quelle que soit leur taille conduit agrave penser que cette logique serait la plus reacutepandue

- Des exploitations speacutecialiseacutees drsquoeacutelevage (bovin-lait) ou des exploitations avec une dominante viticulture avec des chefs drsquoexploitation qui cherchent agrave augmenter la performance globale de leur exploitation en se recentrant sur leur cœur de meacutetier et deacuteleacuteguant tous les travaux des cultures consideacutereacutees comme secondaires La carte de la deacuteleacutegation inteacutegrale des cultures reacutealiseacutee avec les donneacutees du recensement suggeacuterait deacutejagrave en 2010 (figure 3) lrsquoimportance de cette logique de laquo deacuteleacutegation inteacutegrale par recentrage raquo dans les reacutegions comme la Bretagne et la Normandie Celle eacutetablie avec les donneacutees de lrsquoenquecircte Structures 2016 confirme cette tendance (figure 4)

- Des petites exploitations dont le chef a heacuteriteacute de ses parents Ce dernier a ou non le statut laquo pluriactif raquo mais il ne souhaite pas dans tous les cas srsquoinvestir dans lrsquoactiviteacute agricole en raison de la taille de son exploitation des incertitudes pesant sur le revenu agricole ou encore du manque drsquoattrait pour le meacutetier

- Des petites exploitations en polyculture-polyeacutelevage notamment celles avec un atelier bovin-lait avec des chefs drsquoexploitation encore jeunes mais qui envisagent une sortie preacutecoce du meacutetier et pour cela commencent agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement les travaux de culture avant laquo drsquoen finir raquo avec les autres ateliers

4 De nouvelles formes drsquoorganisation de la sous-traitance

Agrave lrsquoinstar de ce que lrsquoon observe dans certains pays europeacuteens des dispositifs complexes de sous-traitance ont reacutecemment fait leur apparition en France Ils sont porteacutes tout agrave la fois par des entreprises de travaux des socieacuteteacutes de gestion voire des organisations professionnelles agricoles qui proposent une large gamme de services allant de lrsquoaudit de proprieacuteteacutes agricoles agrave la gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation en passant par la mise en place de mesures agro-environnementales ou la fourniture de services juridiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 65

41 Pour reacutepondre aux nouvelles demandes des acteurs traditionnels srsquoadaptent et eacutevoluent

Tout au long de la modernisation drsquoapregraves-guerre la principale strateacutegie des chefs drsquoexploitation a eacuteteacute drsquoaccroicirctre la productiviteacute de leur travail par la speacutecialisation lrsquoagrandissement et la substitution du capital au travail (Gambino et al 2012) Malgreacute la remise en question de cette strateacutegie depuis les anneacutees 1980 lrsquoeacutevolution des investissements en mateacuteriel agricole continue sa progression de maniegravere concomitante agrave la concentration productive des exploitations (Lerbourg et Dedieu 2016) Ce pheacutenomegravene a des implications importantes sur lrsquoorganisation des chantiers agricoles puisque pour amortir un mateacuteriel toujours plus puissant mais aussi plus speacutecifique plus sophistiqueacute et donc plus coucircteux certains agriculteurs ont fait le choix de deacutevelopper des CUMA (Jeanneaux et Blasquier-Revol 2015 FNCUMA 2017) tandis que drsquoautres sureacutequipeacutes ont deacuteveloppeacute une activiteacute de prestation de services soit en compleacutement des autres ateliers de lrsquoexploitation soit au travers drsquoune ETA (FNEDT 2019)

Pour reacutepondre agrave la nouvelle demande de sous-traitance et de deacuteleacutegation les ETA ont deacuteveloppeacute de nouveaux services de sous-traitance comme le laquo A agrave Z raquo deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus et ont fait eacutevoluer leur organisation en conseacutequence Drsquoautres acteurs traditionnels du domaine des services aux exploitations agricoles qui nrsquoeacutetaient jusqursquoagrave preacutesent pas engageacutes dans la sous-traitance comme les CUMA ou les coopeacuteratives commencent agrave peacuteneacutetrer le marcheacute Les sections suivantes preacutesentent les diffeacuterentes configurations repeacutereacutees lors de nos travaux de terrain

411 Des ETA eacutevoluent vers des ETA multiservices et organiseacutees en reacuteseaux

Parallegravelement agrave un changement dans la nature des services les observations de terrain montrent des eacutevolutions organisationnelles plus ou moins pousseacutees en ce qui concerne les ETA Dans certains cas on passe drsquoune simple ETA agrave une ETA multi-services geacuterant des exploitations pour autrui Il arrive que ces ETA multi-services entrent au capital des exploitations avec lesquelles elles travaillent ou bien srsquoorganisent en cluster drsquoETA pour travailler en reacuteseau (figure 6) La prise de participation au capital drsquoune exploitation est censeacutee reacutesoudre le problegraveme de comportements opportunistes de la part des parties prenantes14 en permettant agrave lrsquoETA de participer agrave la gouvernance de cette derniegravere et reacuteciproquement de garantir agrave lrsquoexploitant un travail bien fait de la part drsquoune ETA davantage impliqueacutee Lrsquoorganisation en reacuteseau drsquoETA a quant agrave elle pour objectif de couvrir un territoire plus eacutetendu et drsquooffrir une gamme de services speacutecifiques plus larges gracircce agrave la mutualisation des moyens Lors de nos enquecirctes nous avons ainsi rencontreacute le cas drsquoun reacuteseau creacuteeacute dans les anneacutees 2010 et reacuteunissant plus de 10 entreprises reacutecoltant plusieurs dizaines de milliers drsquohectares qui opegravere dans le nord-ouest de la France zone drsquoeacutelevage caracteacuteriseacutee par une forte demande en deacuteleacutegation inteacutegrale des travaux de cultures dans une logique de recentrage Pour son fondateur lrsquoorganisation en reacuteseau permet aux ETA membres de disposer drsquoun parc important de mateacuteriels (avec technologies embarqueacutees) et drsquoun dispositif commun de formation du personnel Il peut ainsi communiquer sur leur expertise en matiegravere drsquoagriculture de preacutecision et sur la qualiteacute du travail reacutealiseacute par un personnel qualifieacute En 2013 ce reacuteseau est alleacute jusqursquoagrave

14 Ce problegraveme de comportement opportuniste qualifieacute dans la litteacuterature theacuteorique en eacuteconomie de laquo principal-agent raquo est celui qui est inheacuterent agrave toute relation contractuelle ougrave lrsquoaction de lrsquoune des parties prenantes le laquo principal raquo va ecirctre deacutetermineacutee par les informations dont elle dispose sur lrsquoautre laquo lrsquoagent raquo Par exemple dans une relation qui lie un assureur agrave un assureacute le premier est le principal Il ne dispose pas drsquoune information parfaite sur les intentions du second qui est lrsquoagent Lrsquoassureur peut subir un comportement opportuniste de la part de lrsquoassureacute et va donc inteacutegrer ce risque dans le contrat drsquoassurance Il se trouve que dans une relation de sous-traitance lrsquoagriculteur et le sous-traitant peuvent ecirctre tous les deux agrave la fois laquo principal raquo et laquo agent raquo Le sous-traitant peut ne pas apporter les efforts attendus et mal faire le travail tout comme lrsquoagriculteur-commanditaire peut ne pas payer le sous-traitant agrave temps

66 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

construire un partenariat avec une multinationale europeacuteenne drsquoagrofournitures afin de proposer agrave ses agriculteurs clients un eacutepandage drsquoazote moduleacute gracircce agrave une technologie deacuteveloppeacutee par cette derniegravere Pour son preacutesident un tel reacuteseau et un tel partenariat constituent une reacuteponse agrave la reacuteglementation et aux nouvelles attentes de la socieacuteteacute

laquo Lrsquoeacutevolution des reacuteglementations et de la socieacuteteacute nous obligent plus que jamais agrave nous adapter rapidement Toutes ces eacutevolutions entraicircnent drsquoimportantes pertes de compeacutetitiviteacute pour lrsquoagriculture franccedilaise Crsquoest dans cette logique que nous recherchons systeacutematiquement agrave notre eacutechelle les meilleures solutions qui peuvent aider nos clients agrave maintenir leur compeacutetitiviteacute Les techniques et les technologies existent aujourdrsquohui mais leur mise en œuvre et leur coucirct demeurent des freins importants agrave lrsquoeacutechelle drsquoune exploitation agricole Nous pensons que ce type de solutions entre pleinement dans le rocircle et le service que les ETA de demain doivent ecirctre en mesure drsquoapporter agrave leurs clients raquo15

Qursquoelles soient multi-services ou organiseacutees en reacuteseau pour perdurer et se deacutevelopper malgreacute le niveau eacuteleveacute de leurs charges (immobiliseacutees et de fonctionnement) les ETA laquo nouvelle geacuteneacuteration raquo cherchent agrave rassembler la demande (pour tirer parti des eacuteconomies drsquoeacutechelle et reacuteduire les coucircts de production) et lrsquooffre (pour neacutegocier les deacuteboucheacutes lorsqursquoelles ont en charge la commercialisation)

412 Des CUMA deacuteveloppent la prestation de services

Agrave cocircteacute des ETA les CUMA ont aussi fait eacutevoluer leurs services et leur organisation pour reacutepondre aux besoins de leurs adheacuterents mais aussi de tiers non adheacuterents Ainsi certains reacuteseaux deacutepartementaux des CUMA de lrsquoouest et du sud-ouest proposent deacutesormais une offre nouvelle de services de prestation dits laquo complets raquo16

Le deacuteveloppement de telles activiteacutes de prestation a eacuteteacute reacutecemment faciliteacute par la loi laquo Travail raquo du 8 aoucirct 2016 qui permet aux CUMA drsquoecirctre reconnues comme groupement drsquoemployeurs Degraves lors des salarieacutes peuvent ecirctre embaucheacutes et mis agrave disposition drsquoexploitations adheacuterentes agrave la CUMA pour des prestations laquo cleacutes en main raquo Ceci marque un changement majeur pour des CUMA dans lesquelles seul le mateacuteriel eacutetait traditionnellement partageacute Mecircme si ces nouveaux dispositifs de prise en charge du travail sont le prolongement drsquoorganisations au caractegravere mutualiste ils attestent drsquoune dissociation affirmeacutee entre terre travail et capital et constituent des eacuteleacutements de deacuteplacement ou de deacutepassement du modegravele familial drsquoagriculture vers de nouvelles formes drsquoorganisation sociales et eacuteconomiques (Anzalone et Purseigle 2014)

Dans de nombreux deacutepartements le positionnement de certaines CUMA sur ce qui apparaicirct ecirctre un nouveau marcheacute ne fait plus de doute17 Si certaines srsquoemploient dans ce domaine agrave satisfaire uniquement leurs adheacuterents drsquoautres nrsquoheacutesitent pas agrave aller beaucoup plus loin dans le deacuteploiement drsquoune nouvelle offre de services aupregraves de tiers

Le cas de lrsquoentreprise Teravi18 illustre assez bien ces eacutevolutions (encadreacute 4) Nous voyons ici que de lrsquoagriculture de groupe agrave une agriculture laquo en reacuteseaux raquo il nrsquoy a souvent qursquoun pas La socieacuteteacute de conseil-geacuterance creacuteeacutee par les membres de ces deux structures

15 Guillemot T 2014 laquo Lrsquoapport moduleacute drsquoazote se preacutecise dans lrsquoOrne raquo Reacuteussir lrsquoagriculteur normand 22 mai p5-6 16 Le service dit laquo complet raquo offert par les CUMA est agrave distinguer des chantiers laquo complets raquo ou de laquo A agrave Z raquo proposeacutes par les ETA qui consistent agrave prendre en charge lrsquointeacutegraliteacute des opeacuterations techniques sur une exploitation17 Cf par exemple le dossier de la Chambre drsquoagriculture du Morbihan Terra ndeg 718 du 29 novembre 2019 laquo Et si quelqursquoun le faisait pour vous la deacuteleacutegation une solution agrave reacute-eacutevaluer raquo ou la plaquette de la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAveyron laquo Les services complets pour mieux geacuterer son travail sa meacutecanisation et sa CUMA raquo18 Les noms de toutes les entreprises citeacutees ont eacuteteacute modifieacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 67

Figure 6 - Scheacutema drsquoorganisation de la sous-traitance incluant la deacuteleacutegation inteacutegrale (ou laquo A agrave Z raquo) et relevant drsquoune ETA multi-services

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui du CEP in Forget et al (2019) ndash page 42

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source Scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

68 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Situeacutee dans le quart Nord-Est de la France cette entreprise est neacutee dans le prolongement drsquoune Socieacuteteacute en participation (SEP) reacuteunissant quatre EARL une SCEA et un GAEC2 Productrice de betteraves de luzerne de chanvre de colza de bleacute drsquoorge de printemps et de lentilles elle adhegravere agrave deux coopeacuteratives ceacutereacutealiegraveres une betteraviegravere et cultive eacutegalement des œillettes pour le compte drsquoun grand groupe pharmaceutique Lrsquoensemble des activiteacutes culturales qui srsquoeacutetend sur plus de 1 000 ha est reacutealiseacute par une CUMA inteacutegrale agrave laquelle le mateacuteriel des diffeacuterentes exploitations adheacuterentes a eacuteteacute progressivement vendu Adepte drsquoune approche taylorienne de lrsquoentreprise les exploitants vont alors chercher agrave rationnaliser au maximum le dispositif en se speacutecialisant chacun dans des activiteacutes preacutecises travail du sol pour lrsquoun reacutecolte pour un autre responsabiliteacutes professionnelles pour un autre etc Reacuteduire les charges de meacutecanisation eacutetait ici au centre des preacuteoccupations des exploitants fondateurs qui ont alors trouveacute dans la creacuteation drsquoune CUMA inteacutegrale de nombreux avantages eacuteconomiques Quelques anneacutees plus tard partant du constat qursquoune laquo ferme de 130 ha par personne deacutegage un mi-temps raquo et suffisamment de temps pour que les associeacutes puissent partir en vacances voire travailler agrave lrsquoexteacuterieur lrsquoideacutee drsquoutiliser ce temps libre pour construire un nouveau projet commun au sein du groupe a progressivement germeacute Face au vieillissement du territoire agricole sur lequel ils sont installeacutes et devant lrsquoincapaciteacute de leurs voisins agrave trouver des repreneurs ou agrave srsquoassocier comme eux dans des structures collectives les adheacuterents de cette SEP et de cette CUMA inteacutegrale perccediloivent lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau marcheacute

laquo Lrsquoideacutee de base lrsquoideacutee de postulat crsquoest de dire qursquoil y aura le papy boom qui arrive moi quand jrsquoai fait la formation jrsquoavais autant des viticoles que des agricoles donc je voyais que dans la partie viticole la majoriteacute reprennent leur patrimoine mais le gegraverent pas du tout Et il faut faire Et on sentait bien qursquoen agricole ccedila se deacutevelopperait de plus en plus Donc on srsquoest dit on va partir dans la prestation de services mais on ne veut pas du tout faire de la prestation de tracteur de tourner dans les champs avec notre tracteur crsquoest pas lrsquoobjectif du tout du groupe il y a suffisamment de mateacuteriel dans la plaine Voilagrave crsquoeacutetait le postulat de base donc on va faire sous-traiter toute la partie mateacuterielle Et donc nous on va faire tout le reste Crsquoest-agrave-dire deacutecisionnaires conseils services services crsquoest-agrave-dire suivi administratif suivi de ce que vous voulez On est un peu les donneurs drsquoordres les voilagrave crsquoeacutetait ccedila un peu lrsquoideacutee lrsquoideacutee de base de Teravi raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Forts drsquoune expeacuterience drsquoune dizaine drsquoanneacutee en agriculture dite de laquo conservation des sols raquo les sept agriculteurs de la SEP creacuteent alors une socieacuteteacute commerciale (SARL) de conseil en gestion nommeacutee Teravi Nrsquoutilisant pas le mateacuteriel de la SEP cette socieacuteteacute fait appel agrave drsquoautres sous-traitants du territoire Teravi est ici donneur drsquoordres agrave lrsquoentrepreneur Lrsquoentrepreneur exeacutecutant peut-ecirctre un agriculteur de la reacutegion disposant lui-mecircme drsquoune ETA ou une ETA traditionnelle Les entreprises laquo maicirctres drsquoœuvre raquo sont souvent speacutecialiseacutees Ainsi pour le compte drsquoun seul client Teravi peut faire appel agrave 8 agrave 10 entreprises sous-traitantes dont le choix est reacutealiseacute par Teravi puis valideacute par les clients Teravi contractualise tous les ans agrave la fois avec les ETA partenaires et ses clients Lrsquooffre proposeacutee se veut laquo claire raquo (les contrats sont deacutetailleacutes) laquo simple raquo (lrsquoentreprise est la seule interlocutrice) laquo rentable raquo (la technique ou lrsquoorganisation permettrait de proposer une offre avantageuse)3 La souplesse dans les contrats est le leitmotiv de cette entreprise le client doit pouvoir les interrompre agrave sa demande et il est preacutesenteacute comme non engageacute sur le long terme La volonteacute drsquoeacutechanger

Encadreacute 4 - Portrait de lrsquoentreprise de sous-traitance Teravi1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 69

avec le client est affirmeacutee et lrsquoentreprise ne se paie pas au reacutesultat Une facture agrave lrsquohectare est reacutealiseacutee et le paiement est eacutechelonneacute sur lrsquoanneacutee Les prix pratiqueacutes vont de 330 agrave 380 euros de lrsquohectare Afin de reacutepondre au laquo contexte juridique raquo et aux attentes de leurs clients trois contrats sont proposeacutes une convention de prestation de conseil une convention de prestation de services et un contrat de travaux drsquoentreprise agricole

laquo Nous on fait signer des contrats annuels On veut que ce soit le plus souple possible Que la personne en face nrsquoait pas lrsquoimpression drsquoecirctre bloqueacutee comme il peut ecirctre bloqueacute avec un bailhellip Le contrat on deacutetaille ce qursquoon fait On deacutetaille le coucirct on deacutetaille ce qursquoon doit faire en temps et en peacutenaliteacutes etc enfin on explique un peu les choses basiques et ce qui incombe aussi agrave la fois au client et agrave nous-mecircmes Au client il doit nous fournir tout ce qursquoil y a comme contrats particuliers si crsquoest une zone de captage tout ce qursquoon a besoin pour geacuterer une exploitation Et puis nous on transmet au fur et agrave mesure aujourdrsquohui ben les traitements Avec les nouvelles reacuteglementations etc etc on doit preacutevenir agrave chaque passage de traitement ce qursquoon fait etc raquo (Dirigeant de lrsquoentreprise entretien reacutealiseacute en juillet 2013)

Deux offres sont proposeacutees par lrsquoentreprise lrsquoune en laquo conseil strateacutegique raquo lrsquoautre en laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo La premiegravere relegraveve drsquoun accompagnement strateacutegique censeacute reacutepondre laquo aux deacutefis de demain raquo crsquoest-agrave-dire la recherche de rentabiliteacute de lrsquoexploitation agricole laquo dans un contexte politique et socieacutetal en grande mutation raquo Cet accompagnement peut ecirctre global ou circonscrit agrave une activiteacute particuliegravere (itineacuteraire technique reacuteglementation administratif etc) Une offre dite de laquo gestion drsquoexploitation agricole raquo est eacutegalement proposeacutee Preacutesenteacutee comme permettant la conservation et la valorisation du patrimoine foncier par le proprieacutetaire elle permettrait notamment de valoriser la main-drsquoœuvre de lrsquoexploitation laquo en la rendant disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip)  raquo ou de laquo preacuteparer une transmission future raquo La laquo solution raquo proposeacutee repose sur un accompagnement dans le choix de lrsquoassolement la preacuteconisation de lrsquoitineacuteraire technique les interventions culturales adapteacutees le suivi des cultures Drsquoautres prestations optionnelles sont possibles de la reacuteception des facteurs de production (engrais semences phytosanitaires) au suivi administratif (cahier drsquoeacutepandage tenue des stocks fiches parcellaires aides agrave la deacuteclaration PAC etc) Parce que cette formule ne va pas encore compleacutetement de soi au sein de la profession il est proposeacute laquo des devis gratuits et une discreacutetion assureacutee raquo

1 Le nom de lrsquoentreprise a eacuteteacute modifieacute2 La loi drsquoorientation agricole du 5 janvier 2006 va plus loin en soulignant que laquo tout preneur quelles que soient les modaliteacutes juridiques drsquoexercice de son activiteacute peut participer agrave une opeacuteration drsquoassolement en commun raquo et laquo mettre les biens loueacutes agrave la disposition drsquoune socieacuteteacute comptant une personne morale parmi ses membres raquo (Letissier 2007 p 49) Ce nouveau dispositif juridique reconnaicirct et encourage le mouvement de dilution des entiteacutes familiales dans des groupes de grandes tailles au montage juridique complexe Au centre de ces groupes on trouve une socieacuteteacute de base la socieacuteteacute en participation (SEP) Si celle-ci garantit lrsquoautonomie juridique de chacune des exploitations constitutives de la SEP elle peut depuis 2008 se voir reconnaicirctre la qualiteacute laquo drsquoagriculteur raquo et ainsi preacutetendre aux aides directes du premier pilier de la PAC Les deacutefenseurs de ce type de dispositifs le reconnaissent eux-mecircmes ceci pose immanquablement la question de lrsquoactiviteacute censeacutee ecirctre reacutealiseacutee par les entreprises associeacutees dans cette socieacuteteacute (SAF 2012 p 204) Mecircme si la SEP nrsquoa pas de personnaliteacute morale pas de siegravege social de patrimoine social ni drsquoemprunts crsquoest bien elle qui reacutealise lrsquoactiviteacute agricole Les entreprises associeacutees se contentent tregraves souvent de participer agrave la gouvernance du groupe et ne reacutepondent plus au critegravere de maicirctrise du cycle biologique exigeacute par le Code rural (article L311-1) pour deacutefinir une activiteacute agricole (Purseigle et al 2018)3 Site internet de lrsquoentreprise

70 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

ne reacutealise pas les prestations de travaux mais les organise pour le compte de ses clients   elle devient une tecircte de reacuteseau de sous-traitants agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire Cette socieacuteteacute emploie un personnel posseacutedant une expertise agrave la fois agronomique et en matiegravere de gestion drsquoexploitation qui lui permet de se positionner en amont de la prise en charge des travaux agricoles sur lrsquoactiviteacute de conseil et de mise en relation clientETA qui deacutegage le plus de valeur ajouteacutee En controcirclant les deacutecisions drsquoun ensemble drsquoexploitations individuelles une telle socieacuteteacute peut avoir la main sur lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle drsquoun territoire La frontiegravere est souvent teacutenue entre la prestation de travaux agricoles et le conseil strateacutegique ou entre la gestion globale drsquoune exploitation et le controcircle strateacutegique Nous rejoignons ici Hubert Cochet qui deacutecrit laquo lrsquoeacutemergence drsquoentreprises de mateacuteriel agrave statut coopeacuteratif embauchant des salarieacutes et exploitant de tregraves grandes surfaces les agriculteurs devenant des actionnaires de ces structures veacuteritables pivots de tregraves grosses exploitations agricoles  raquo Celles-ci constituent de laquo grandes uniteacutes de production srsquoaffranchissant largement des frontiegraveres de lrsquoexploitation familiale raquo (Cochet 2008)

413 Des coopeacuteratives de collecte-approvisionnement et des CETA entrent aussi sur le marcheacute de la sous-traitance

Parmi les autres acteurs traditionnels qui entrent sur le marcheacute de la sous-traitance nous avons repeacutereacute plusieurs coopeacuteratives agricoles de collecte-approvisionnement et des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA)

Du cocircteacute des coopeacuteratives dans un contexte de baisse tendancielle du nombre drsquoexploitations agricoles le deacuteveloppement de la sous-traitance vise agrave fideacuteliser leurs adheacuterents mais surtout agrave preacuteserver une capaciteacute de collecte Les enquecirctes et observations de terrain montrent qursquoelles jouent agrave lrsquoeacutechelle de certains territoires un rocircle de plus en plus important dans lrsquoorganisation sociale et eacuteconomique de la production agricole

laquo On a beaucoup drsquoadheacuterents qui arrivent agrave la retraite mais nrsquoont pas forceacutement de successeur (hellip) Les technico-commerciaux font deacutejagrave ce travail sans que ce soit dit Ils posent les bidons et ils disent voilagrave comment il faut les utiliser raquo Cadre drsquoune coopeacuterative grand Sud-Ouest octobre 2018

Les reacutecents dispositifs leacutegislatifs instaurant agrave terme une seacuteparation des meacutetiers de la vente et du conseil semblent contribuer agrave leur repositionnement sur de nouveaux marcheacutes dont celui de la gestion des cultures Quelles que soient les reacutegions nos enquecirctes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent tregraves souvent comme intermeacutediaires entre des ETA et des membres-adheacuterents souhaitant deacuteleacuteguer tout ou partie de leurs travaux culturaux Si certains grands groupes coopeacuteratifs deacuteclarent selon les mots drsquoun preacutesident de coopeacuterative que nous avons interrogeacute ne pas rentrer laquo dans lrsquointimiteacute des exploitations  raquo et ne pas srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dont leurs adheacuterents gegraverent leurs exploitations il nrsquoen demeure pas moins que les entreprises de travaux agricoles sont pour eux comme des laquo partenaires raquo qui laquo ne doivent plus avoir peur raquo de pousser leurs portes et de venir discuter avec eux19

En raison de lrsquoincapaciteacute de certains adheacuterents agrave trouver des repreneurs ou agrave reacutesoudre des difficulteacutes technico-eacuteconomiques et face agrave de nouvelles formes de concurrence avec drsquoautres organismes stockeurs (OS) certains groupes coopeacuteratifs nrsquoheacutesitent plus agrave proposer une nouvelle offre de services laquo agrave visage deacutecouvert raquo Crsquoest le cas notamment drsquoun grand

19 Entretien avec un preacutesident de coopeacuterative le 1er feacutevrier 2019 lors du congregraves national de la FNEDT et relateacute dans laquo Les ETA sont des partenaires raquo Entrepreneurs des Territoires Magazine ndeg 120 avril p10-12

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 71

groupe coopeacuteratif du Sud-Ouest de la France qui propose un service drsquoaccompagnement de ses adheacuterents dans la gestion de chantiers de grandes cultures Le pocircle agriculture de cette coopeacuterative srsquoest doteacute drsquoun chef de projet ayant une expeacuterience dans la gestion de grands domaines dans un autre contexte agricole Ce dernier avec lrsquoappui drsquoun ingeacutenieur agronome ancien conseiller en centre de gestion et de quatre chefs de culture reacutefeacuterents supervise la gestion de chantiers reacutealiseacutes par une trentaine drsquoentreprises de travaux agricoles partenaires Ce service concerne actuellement une centaine drsquoadheacuterents Il srsquoest deacuteployeacute sur 4 000 hectares de grandes cultures et a eacuteteacute reacutecemment proposeacute pour des chantiers viticoles Pour chaque adheacuterent faisant appel agrave ce service la coopeacuterative deacutesigne un chef de culture reacutefeacuterent qui deacutecide conjointement avec lrsquoexploitant de lrsquoassolement et des productions Factureacute 50 euros de lrsquohectare auxquels srsquoajoute un pourcentage en fonction du reacutesultat de la vente ce service peut mecircme offrir une expertise en assurance pour les adheacuterents qui le souhaitent Agrave lrsquoissue de chaque campagne un reporting est reacutealiseacute afin de mieux appreacutehender les reacutesultats technico-eacuteconomiques de lrsquoexploitation20

Dans les Hauts-de-France par le biais drsquoune de ses filiales (SARL speacutecialiseacutee dans les activiteacutes de soutien aux cultures et employant six personnes) une autre coopeacuterative propose depuis 2013 une laquo solution de gestion complegravete ou agrave la carte raquo agrave ses adheacuterents Avec un chiffre drsquoaffaires de pregraves de trois millions drsquoeuros ses activiteacutes reposent principalement sur de la vente de craie des prestations drsquoeacutepandage drsquoamendement de semis et drsquoarrachage de betteraves Certaines coopeacuteratives vont mecircme jusqursquoagrave creacuteer des filiales commerciales21 qui reposent sur une alliance entre trois types de partenaires la coopeacuterative elle-mecircme un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles Ces filiales vont plus loin encore dans la construction drsquoun dispositif permettant de deacuteceler tregraves rapidement des deacutefaillances eacuteconomiques etou agronomiques Situeacutee dans lrsquoEst de la France une coopeacuterative enquecircteacutee nrsquoattend pas seulement que ses adheacuterents se tournent vers elle Elle est avec son partenaire centre de gestion en mesure de repeacuterer des situations qui neacutecessiteraient le recours agrave une prestation partielle ou totale de suivi des exploitations Alerteacutees les eacutequipes de technico-commerciaux se chargent ensuite de proposer lrsquooffre de la filiale agrave lrsquoagriculteur identifieacute Au-delagrave de la gestion technique organisationnelle administrative eacuteconomique et reacuteglementaire la coopeacuterative propose ici un controcircle de gestion et un bilan de campagne reacutealiseacutes chaque anneacutee Si ce controcircle de gestion est preacutesenteacute comme un instrument permettant drsquoappreacutecier la pertinence de la prestation il srsquoavegravere ecirctre un outil au service drsquoun suivi tregraves rapprocheacute des exploitations adheacuterentes Par le biais de sa filiale et sur la base drsquoun programme technico-eacuteconomique preacutealablement deacutefini la coopeacuterative confie alors agrave une entreprise speacutecialiseacutee en gestion drsquoexploitation et optimisation des systegravemes de production le soin de reacutealiser le suivi et la mise en œuvre opeacuterationnelle   deacutefinition des chantiers reacutealisation des travaux culturaux etc Reconnue dans la reacutegion concerneacutee pour son expertise lrsquoentreprise propose mecircme des applications web permettant drsquoentrer toutes les donneacutees de lrsquoexploitation et de les stocker Indeacutependamment de sa participation agrave hauteur de 20 dans cette filiale de coopeacuterative cette entreprise dispose drsquoun portefeuille de clients qui repreacutesente plus de 8 000 hectares de grandes cultures Elle propose eacutegalement agrave ses autres clients des outils de gestion de la collecte (gestion des productions agrave commercialiser contractualisation des volumes avec les diffeacuterents organismes stockeurs suivi des stockages et deacutestockages suivi permanent des cours accegraves aux offres de marcheacute pour ces derniers etc) Enfin agrave lrsquoinstar drsquoun groupe coopeacuteratif situeacute au sud-ouest de Paris certaines coopeacuteratives nrsquoheacutesitent plus agrave racheter des entreprises de travaux agricoles par le biais de filiales

20 Jacquemoud F 2018 laquo Un copilote pour geacuterer les cultures raquo Agrodistribution mai p 23 Jaquemond F 2018 laquo Deacuteleacuteguer la gestion de ses ceacutereacuteales raquo La France agricole ndeg 3751 8 juin p 54-55 21 Les filiales commerciales permettent aux coopeacuteratives de srsquoengager dans des activiteacutes en partenariat avec des entreprises priveacutees pouvant geacuteneacuterer drsquoimportants profits

72 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Si de telles strateacutegies sont nouvelles pour les coopeacuteratives du secteur ceacutereacutealier elles ont fait leur apparition degraves les anneacutees 1990 dans certaines reacutegions viticoles comme la Provence Confronteacutees au deacuteveloppement de lrsquourbanisation et au non-renouvellement des geacuteneacuterations certaines caves coopeacuteratives en proximiteacute de villes comme Aix-en-Provence Brignoles ou Bandol ont souhaiteacute degraves cette eacutepoque seacutecuriser leurs approvisionnements en creacuteant des socieacuteteacutes civiles drsquoexploitation agricoles ou des groupements fonciers mutuels (Le Gars et Roudieacute 1996) Dans ce secteur cette prise en charge directe des activiteacutes de production peut ecirctre peacuterenne ou temporaire Elle va parfois de pair avec la mise en place drsquooutils de reprise progressive des uniteacutes de production par de jeunes viticulteurs Comme nous lrsquoavons constateacute lors drsquoenquecirctes reacutealiseacutees en 2015 et 2016 dans le Roussillon cette strateacutegie se deacuteveloppe eacutegalement dans le secteur de la production arboricole et maraichegravere ougrave des coopeacuteratives rachegravetent des vergers drsquoarbres fruitiers dont la conduite est confieacutee agrave un chef de culture et des salarieacutes

Face agrave un manque de professionnalisation et aux difficulteacutes rencontreacutees par le modegravele familial drsquoexploitation certaines associations interprofessionnelles (par ex lrsquoAssociation franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoolive - AFIDOL France Olive) procircnent lrsquoimplication des transformateurs (moulins priveacutes etou coopeacuteratives) dans la prise en charge partielle ou totale des activiteacutes de production Cet extrait du rapport moral du preacutesident de lrsquoAFIDOL en teacutemoigne

laquo Nous devons passer drsquoune strateacutegie drsquoattente de lrsquoapprovisionnement agrave une strateacutegie drsquointeacutegration de lrsquoamont Finie lrsquoeacutepoque ougrave un transformateur se contentait drsquoattendre que lrsquooleacuteiculteur apporte ses olives au moulin Il faut inteacutegrer dans nos tecirctes que le modegravele agricole dans lequel nous vivons depuis 1945 est en train de disparaicirctre Si nous ne reacuteagissons pas nous disparaicirctrons avec lui Les nouvelles geacuteneacuterations nrsquoont plus envie de laquo srsquoemmerder raquo apregraves leur travail agrave tailler traiter reacutecolter les oliviers heacuteriteacutes de leur pegravere et de leur grand-pegravere Bien sucircr cette eacutevolution est lente pernicieuse mais elle est ineacuteluctable (hellip) la filiegravere oleacuteicole du XXIe doit se bacirctir autour drsquooliveraies meneacutees par des agriculteurs professionnels ou des prestataires de service associeacutes agrave des pools de moulins priveacutes ou coopeacuteratifs capables drsquoextraire de stocker et de mettre en bouteilles dans des conditions optimales raquo22

Plus eacutetonnant de prime abord des organismes de conseil comme des Centres drsquoeacutetudes et de techniques agricoles (CETA) fondeacutes agrave lrsquoorigine pour promouvoir une expertise agronomique et technique se sont eacutegalement positionneacutes degraves les anneacutees 2000 sur le marcheacute de la sous-traitance agricole Des exemples de ce type ont notamment eacuteteacute repeacutereacutes en Icircle-de-France et en Normandie En deacuteveloppant un service et des uniteacutes commerciales deacutedieacutees agrave la prise en charge de travaux agricoles ces CETA souhaitaient agrave lrsquoorigine reacutepondre agrave une demande drsquoadheacuterents sur le point de prendre leur retraite ou ayant subi un accident de la vie On observe habituellement deux ensembles de pratiques lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoadheacuterents au CETA (cas du CETA Agriacteacutea) et lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage pour le compte drsquoETA qui ont deacutejagrave leurs clients (cas du CETA Seacutemeacuteac)

Dans le premier cas lrsquoeacutequipe est porteacutee par deux ingeacutenieurs en agriculture Creacuteeacute en 2006-2007 ce service travaille pour le compte de six exploitations pour un total de 1 500 hectares Au-delagrave du conseil et de lrsquoexpertise agronomique cette prestation a eacuteteacute creacuteeacutee pour reacutepondre agrave une demande de gestion inteacutegreacutee drsquoexploitations agricoles23 Le profil des clients est diversifieacute il srsquoagit de personnes ayant heacuteriteacute drsquoune exploitation mais qui exercent

22 Nasles O 2014 Rapport moral du Preacutesident dans Rapport drsquoactiviteacutes Association franccedilaise interprofessionnelle de lrsquoOlive httpsafidolorgoleiculteurrapports-dactivite-lafidol23 Les exploitations geacutereacutees sont ici deacutenommeacutees laquo domaines agricoles raquo comme pour rappeler le caractegravere patrimonial de la deacutemarche

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 73

une autre activiteacute drsquoun client qui a deacuteveloppeacute en parallegravele une activiteacute de jardinerie et qui souhaitait se recentrer sur cette activiteacute ou drsquoun client institutionnel Il y a enfin le cas drsquoun laquo grand nom raquo (de la financeindustrie) qui nrsquoeacutetait pas satisfait des services offerts par lrsquoETA travaillant pour lui Notons que sur ces six clients la majoriteacute faisait partie du CETA

Contrairement aux coopeacuteratives agricoles qui jouent de leur capaciteacute agrave mettre en marcheacute la production pour convaincre leurs adheacuterents ou clients les CETA mettent en avant leur expertise technique Apregraves plusieurs deacutecennies drsquoexpeacuterimentations permettant drsquoameacuteliorer le rendement des parcelles cette uniteacute commerciale serait capable drsquooffrir un diagnostic plus fin sur la strateacutegie agrave suivre par lrsquoexploitation (choix des cultures assolements etc) et un service qui preacuteserverait laquo lrsquoindeacutependance raquo des exploitants Mecircme si la commercialisation des productions est ici exclue il est proposeacute aux clients et aux ETA partenaires une mutualisation de lrsquoachat des intrants afin de les faire beacuteneacuteficier de prix avantageux Deux types de contrats sont signeacutes un contrat entre lrsquoETA et lrsquoexploitant et un entre lrsquoexploitant et le service Notons cependant que les deux contrats sont reacutedigeacutes par le CETA Agriacteacutea Ces contrats courent en geacuteneacuteral sur une dureacutee de cinq ans La deacutefinition du contrat deacutebute par un audit geacuteneacuteral (de type agronomique) afin de minimiser la prise de risque pour les diffeacuterentes parties prenantes du dispositif Les tacircches associeacutees agrave ce service relegravevent drsquoune prestation de conseil et drsquoune coordination des ETA envoi des ordres drsquointervention et veacuterification que laquo le travail soit bien fait raquo Comme dans drsquoautres cas eacutetudieacutes il srsquoagit ici de geacuterer plusieurs ETA pour un client Le cahier des charges pour lrsquoETA comporte une clause drsquoexclusion et un meacutediateur peut ecirctre nommeacute (expert foncier agricole aupregraves des tribunaux dont le nom figure dans le contrat) en cas de litige de paiement entre lrsquoexploitant et lrsquoETA ou lors drsquoune accumulation de litiges techniques (eacutepandage de fongicides fait trop tard etc) Le contrat peut ecirctre reconduit pour cinq ans suite agrave une reneacutegociation Lrsquoagriculteur paie directement les ETA selon un tarif assez habituel dans la profession (environ 400 euro par hectare pour du bleacute) Il reacutemunegravere par ailleurs Agriacteacutea pour le service drsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage (entre 60 agrave 100 euro par hectare et par an) Ce tarif est calculeacute de maniegravere laquo objective raquo selon la complexiteacute de lrsquoexploitation et selon le contenu de lrsquooffre

Le deuxiegraveme cas observeacute est celui drsquoun organisme de conseil normand Seacutemeacuteac qui a mis en place reacutecemment une structure originale de prestation de services Ici le contrat lie Seacutemeacuteac agrave une ETA qui possegravede deacutejagrave son portefeuille de clients Le laquo gestionnaire salarieacute  raquo ou laquo land manager raquo est ainsi employeacute par un groupement drsquoemployeurs lieacute agrave Seacutemeacuteac et laquo confieacute raquo agrave une ETA de grande taille qui reacutealise des travaux pour six clients diffeacuterents Lrsquoideacutee pour lrsquoETA est de mutualiser un salarieacute et de se libeacuterer du risque lieacute aux deacutecisions strateacutegiques (le coucirct des assurances eacutetant pris en charge par Seacutemeacuteac)

Enfin agrave cocircteacute des CETA il est eacutegalement agrave noter que dans le sud de la France (notamment en Occitanie ou en Provence) ont eacuteteacute creacuteeacutes des cabinets drsquoexpertise agronomique ou œnologique qui accompagnent non seulement les viticulteurs et les oleacuteiculteurs dans le suivi technique mais eacutegalement dans la gestion complegravete drsquoexploitations agricoles ou domaines Lagrave aussi nous voyons que la frontiegravere entre le conseil technique et la gestion est parfois teacutenue

42 Nouveaux dispositifs nouveaux arrangements contractuels nouveaux meacutetiers

La croissance du marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation a conduit agrave la creacuteation de dispositifs et meacutetiers nouveaux adosseacutes agrave de nouveaux arrangements contractuels et reacutepondant agrave des objectifs multiples seacutecurisation drsquoun approvisionnement en matiegraveres

74 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

premiegraveres agricoles dans un contexte de diminution du nombre drsquoactifs agricoles pour les uns construction de nouveaux marcheacutes de services gracircce au numeacuterique pour les autres

421 Quand des neacutegoces et des socieacuteteacutes de gestion agricoles proposent une seacutecurisation des approvisionnements industriels

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute par ailleurs (Purseigle et al 2017) il est courant dans certaines reacutegions ceacutereacutealiegraveres ou de grandes cultures de rencontrer de tregraves grandes entreprises de travaux agricoles qui assurent et seacutecurisent la production pour le compte drsquoindustriels ne souhaitant plus contractualiser individuellement avec des exploitations agricoles Pour certaines entreprises de prestation ayant inteacutegreacute des fonctions de stockage et de neacutegoce la prise en charge de lrsquoactiviteacute de production sur plusieurs milliers drsquohectares entend permettre de faire jeu eacutegal avec les industriels de la transformation notamment sur certains marcheacutes deacuteficitaires comme celui de lrsquoagriculture biologique Le cas de lrsquoentreprise gersoise Biopresta en est une illustration Cette derniegravere produit des leacutegumineuses (notamment des lentilles) et des ceacutereacuteales en agriculture biologique Agrave lrsquoorigine adosseacutee agrave une exploitation agricole familiale elle exploite aujourdrsquohui autour de 2 000 hectares Elle compte une dizaine de salarieacutes permanents dont six chauffeurs de machines agricoles et un meacutecanicien Selon les choix culturaux et les pointes de travail des salarieacutes occasionnels ou un agriculteur laquo partenaire raquo disposant drsquoune plus petite exploitation viennent se joindre agrave cette eacutequipe de permanents Organisme stockeur et neacutegoce la socieacuteteacute de prestation de travaux Biopresta vend directement ses reacutecoltes agrave des industriels Selon le dirigeant de cette entreprise les coopeacuteratives sont incapables de fournir des lots de qualiteacute comme les siens Un autre exemple est lrsquoentreprise landaise Semeacuteis Celle-ci gegravere plusieurs milliers drsquohectares pour le compte de proprieacutetaires de foncier agricole Son cas est inteacuteressant car elle possegravede un parc de mateacuteriel speacutecialiseacute qui lui permet de contractualiser avec une industrie drsquoagrofourniture pour la production de semences certifieacutees Comme Biopresta Semeacuteis entend offrir agrave ses clients industriels franccedilais et europeacuteens un niveau de reacutegulariteacute dans lrsquoapprovisionnement une qualiteacute homogegravene des produits et une traccedilabiliteacute et surtout des volumes qursquoune exploitation de taille moyenne ne pourrait atteindre

Lrsquoeacutemergence en France de nouveaux dispositifs de sous-traitance ne correspond pas uniquement au deacuteveloppement de grandes entreprises de travaux agricoles adosseacutees agrave des exploitations des neacutegoces ou des coopeacuteratives Elle renvoie eacutegalement agrave lrsquoapparition en Europe de dispositifs complexes drsquoexternalisation des activiteacutes de production reposant sur des creacuteations ex nihilo de socieacuteteacutes de gestion drsquoexploitations agricoles Ces socieacuteteacutes aux allures de firme sont notamment preacutesentes en Belgique France et Grande- Bretagne Creacuteeacutee en 1985 en Belgique par trois amis proprieacutetaires fonciers la socieacuteteacute FarmPrest SA exploite sur le territoire national 10 000 hectares de terres dont 5 000 comme proprieacutetaire de plein droit et 5 000 selon le modegravele de lrsquoexploitation deacuteleacutegueacutee En Belgique au-delagrave des actionnaires lrsquoentreprise megravere fonctionne autour drsquoun directeur deacuteleacutegueacute ayant fait ses premiegraveres armes professionnelles dans le secteur de la laquo blanchisserie industrielle raquo de quatre personnes en charge de la gestion administrative et de six agronomes locaux reacutepartis sur lrsquoensemble du territoire (trois en Wallonie et trois en Flandre)

laquo Jrsquoai des agronomes sur le terrain Chacun a sa reacutegion Et ces agronomes sont des coordinateurs indeacutependants et ces coordinateurs indeacutependants sont responsables de la fixation de lrsquoassolement de lrsquointervention sur le terrain le suivi des interventions sur le terrain le suivi des reacutecoltes le reacuteseau dans le monde agricole et sont soutenus par une eacutequipe administrative qui srsquooccupe des diffeacuterends avec les diffeacuterents ministegraveres raquo (Directeur deacuteleacutegueacute de FarmPrest Belgique avril 2017)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 75

Figure 7 - Scheacutema organisationnel drsquoun nouveau dispositif de prestation FarmPresta

Source scheacutema reacutealiseacute par les auteurs avec lrsquoappui de Seacutebastien Billows agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees en 2012 et 2017

Mecircme si FarmPrest dispose en Belgique drsquoun statut drsquoexploitant agricole la socieacuteteacute ne possegravede pas pour autant un parc de mateacuteriel Comme ses clients elle confie les travaux des 5 000 hectares dont elle est proprieacutetaire agrave des entreprises de travaux ou drsquoautres agriculteurs Ce partenariat avec un ensemble drsquoETA seacutelectionneacute par elle-mecircme lui permet drsquoacqueacuterir une grande flexibiliteacute gestion relativement aiseacutee de lrsquoagenda des travaux en fonction des demandes accegraves agrave un parc de machines diversifieacutees dont certaines sont eacutequipeacutees de technologies dernier cri sans avoir agrave supporter lrsquoinvestissement etc

Depuis 2012 FarmPrest est implanteacutee dans la moitieacute nord et dans lrsquoouest de la France Coordonneacutees par un land manager reacutemuneacutereacute via des contrats de prestation de services les activiteacutes de FarmPrest se deacuteploient dans notre pays selon un modegravele diffeacuterent de celui mis en place en Belgique Ne posseacutedant pas de terres en nom propre dans lrsquoHexagone FarmPrest Belgique a creacuteeacute en France deux socieacuteteacutes Lrsquoune en association avec une coopeacuterative de lrsquoOuest dont elle deacutetient 51 du capital lrsquoautre avec un neacutegociant du Nord de la France ougrave elle deacutetient 50 des parts Agrave elles deux FarmPrest Ouest et FarmPrest Nord gegraverent actuellement 3 250 hectares pour le compte de 19 clients investisseurs proprieacutetaires ou agriculteurs qui souhaitent deacuteleacuteguer la gestion et lrsquoexercice des activiteacutes de production agricole (figure 7)

Comme on peut le lire sur son site Internet ou sa plaquette publicitaire le slogan de FarmPrest tient en une phrase laquo Exploitez vos terres autrement raquo Tout comme le font certaines grandes entreprises des secteurs industriels ou commerciaux le deacuteveloppement durable est pour FarmPrest un argument commercial de poids Si son meacutetier laquo est drsquoassurer

76 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

la rentabiliteacute et la peacuterenniteacute des exploitations agricoles raquo son objectif est drsquoatteindre laquo une triple performance eacuteconomique sociale et environnementale sur les terres raquo24 qursquoelle gegravere La question environnementale est un eacuteleacutement deacuteterminant dans la conquecircte par la firme drsquoune nouvelle clientegravele agricole FarmPrest entend laquo aborder lrsquoagriculture drsquoun œil critique avec une vision durable et une approche pratique raquo en appliquant laquo sur toutes les terres une agriculture juste et responsable raquo Elle propose en France une large gamme de services   audit drsquoexploitation agricole gestion inteacutegrale (technique administrative et financiegravere) de lrsquoexploitation eacutetudes environnementales recherche de partenaires industriels autres que les organismes stockeurs locaux pour assurer une valorisation supeacuterieure des productions et diversifier les assolements service notarial et juridique speacutecialiseacute en droit rural etc

Dans ces nouveaux scheacutemas de prestations lrsquooffre associeacutee drsquoun service de conseil laquo global raquo et laquo sur mesure raquo constitue un atout majeur pour se diffeacuterencier des entreprises de travaux agricoles classiques Il y a tout agrave la fois conseil strateacutegique drsquoentreprise conseil patrimonial et conseil agronomique et ce agrave diffeacuterents moments clefs du deacuteveloppement de lrsquoentreprise Tout comme en Belgique FarmPrest deacutelivre agrave ses clients franccedilais des conseils sur la strateacutegie globale agrave suivre reacutealise pour eux les achats drsquointrants et gegravere les ventes de leurs productions agricoles Drsquoautres prestataires eacutetudient avec leurs clients comment geacuterer de maniegravere optimale leur exploitation tout en reacutepondant aux nouvelles contraintes du premier pilier de la PAC Pour cette prise en charge globale des exploitations clientes sur la base drsquoune reacutemuneacuteration fixe agrave laquelle srsquoajoute une part variable (100 euroha + 5 de la marge nette) FarmPrest seacutelectionne des entreprises dont elle supervise hebdomadairement lrsquointeacutegraliteacute des travaux agricoles par le biais de land managers Dans chacune des socieacuteteacutes franccedilaises deacutetenues par FarmPrest Belgique nous retrouvons ces gestionnaires coordinateurs qui servent drsquointerface entre la socieacuteteacute de gestion les proprieacutetaires qui deacutelegraveguent totalement la gestion de leur exploitation et un ensemble drsquoETA qui interviennent sur la base drsquoun laquo bon de travail raquo

Ainsi comme dans le secteur du bacirctiment et travaux publics nous voyons apparaicirctre en agriculture un nouvel laquo ensemblier raquo reacuteunissant les figures du laquo maicirctre drsquoouvrage raquo (lrsquoagriculteur proprieacutetaire foncier) du laquo maicirctre drsquoœuvre raquo (lrsquoETA) et de laquo lrsquoassistance agrave maicirctrise drsquoouvrage raquo (FarmPrest) FarmPrest ne srsquoappuie pas sur un parc de mateacuteriel en propre mais sur des entreprises de travaux et de prestations agricoles Elle ne reacutealise donc pas les prestations mais les organise pour le compte de ses clients Interlocuteur unique aupregraves de ses clients FarmPrest est agrave la tecircte drsquoun reacuteseau de sous-traitants qursquoelle fait intervenir selon les besoins Comme donneuse drsquoordres elle peut ainsi mobiliser jusqursquoagrave dix entreprises speacutecialiseacutees pour le compte drsquoun seul client les semis eacutetant reacutealiseacutes par lrsquoune les traitements phytosanitaires lrsquoirrigation et la moisson par drsquoautres Disposant drsquoun laquo deacutepartement administratif raquo FarmPrest reacutedige les deacuteclarations PAC signeacutees ensuite par le proprieacutetaire ou ledit exploitant agricole Les donneacutees des fiches parcellaires des plans de fertilisation ou du suivi des mesures agro-environnementales sont enregistreacutees dans un logiciel permettant laquo de geacuterer les terres et les prairies comme un reacuteel asset financier raquo25 La maicirctrise du foncier et la valorisation de la main-drsquoœuvre familiale rendue laquo disponible pour drsquoautres projets (diversification commercialisation projet personnelhellip) raquo sont les deux arguments avanceacutes par ces socieacuteteacutes de conseil-geacuterance

FarmPrest nrsquoest en France qursquoun exemple parmi drsquoautres Sur un modegravele eacutequivalent des socieacuteteacutes de gestion de type commercial sont creacuteeacutees dans le secteur des grandes cultures ou de la viticulture pour assurer la gestion et la geacuterance drsquoexploitations en quecircte

24 Plaquette commerciale FarmPrest France25 Plaquette commerciale FarmPrest France

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 77

de repreneurs ou racheteacutees par des investisseurs Souvent expeacuterimenteacutees dans la conduite drsquoexploitations de grande taille ces firmes parfois invisibles pour lrsquoadministration et lrsquoappareil statistique proposent drsquoaccompagner des entreprises individuelles dans lrsquoeacutelaboration de leur strateacutegie tout en mettant en place de gigantesques assolements en commun Les eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees sont preacutesenteacutees comme laquo des conditions avantageuses pour lrsquoachat des intrants et la vente des produits agricoles raquo26 Agrave lrsquoinstar des firmes de production industrielle les entreprises comme FarmPrest neacutegocient directement avec les grandes firmes de lrsquoagrofourniture ou de lrsquoindustrie agroalimentaire agrave qui elles garantissent des surfaces de production

Si dans un pays comme la France le deacuteveloppement des activiteacutes de sous-traitance et de deacuteleacutegation de lrsquoactiviteacute agricole agrave de nouveaux consortia aux allures de firmes commerciales peut surprendre ces activiteacutes sont plus anciennes et tregraves reacutepandues dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni Outre-Manche lrsquoentreprise Emilrsquos speacutecialiseacutee dans le conseil agronomique priveacute gegravere 56 000 hectares pour le compte de 160 clients et proprieacutetaires Disposant drsquoune agence deacutedieacutee aux investissements agricoles et agrave la prise en charge des travaux Emilrsquos seacutelectionne via des appels drsquooffres drsquoimportantes entreprises nationales de sous-traitance (contractors) et surveille leur performance pour le compte de ses clients Ces derniers confient la strateacutegie et le financement de leur exploitation agrave Emilrsquos qui perccediloit une reacutemuneacuteration fixe Les grandes agences de sous-traitance qursquoelle seacutelectionne supervisent les travaux reacutealiseacutes par des entreprises locales achegravetent les intrants et gegraverent les ventes Elles sont directement reacutemuneacutereacutees agrave la performance par les exploitantsproprieacutetaires

Agrave cocircteacute de ces socieacuteteacutes de gestion apparaicirct une figure ineacutedite drsquoentrepreneurs qui parallegravelement agrave leur profession principale (agriculteur conseiller-salarieacute drsquoune coopeacuterative agricole etc) offrent en freelance et agrave distance une large gamme de services Ces nouveaux types de gestionnaires travaillent principalement pour le compte de clients faisant partie de leurs reacuteseaux drsquointerconnaissance et ils adaptent au cas par cas leurs prestations Leur travail agrave distance a eacuteteacute derniegraverement faciliteacute par lrsquoarriveacutee de nouveaux outils numeacuteriques (applications pour smartphone permettant de geacuterer agrave distance certaines opeacuterations culturales) Ils peuvent ainsi prendre en charge selon la demande lrsquoensemble des opeacuterations techniques ou uniquement des tacircches administratives et de conseil (optimisation des deacutecisions techniques en fonction de la PAC etc) Certains drsquoentre eux jouent eacutegalement le rocircle de reacutegisseur drsquoune exploitation en deacuteleacutegation inteacutegrale Geacuteneacuteralement multi-compeacutetents ils peuvent aussi srsquoassocier agrave drsquoautres entreprises locales pour compleacuteter leur palette drsquoexpertises Du fait de la dissociation opeacuterationnelle entre proprieacuteteacute capital drsquoexploitation et travail ce type drsquoentreprises et drsquoentrepreneurs de services ouvrent la voie agrave des formes drsquoagricultures sans agriculteurs (Hervieu et Purseigle 2013)

422 De nouveaux arrangements contractuels

Lrsquoanalyse des arrangements contractuels entre les prestataires de services et les agriculteurs permet drsquoaller plus loin et de cerner les facteurs conduisant ces derniers agrave preacutefeacuterer la deacuteleacutegation inteacutegrale au fermage ou agrave lrsquoembauche drsquoun salarieacute (tableau 4) La propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement est drsquoautant plus forte que lrsquoexploitant exerce le meacutetier drsquoagriculteur agrave titre secondaire ou qursquoil a deacuteveloppeacute un atelier drsquoeacutelevage ou une diversification (tableau 5) Avec un contrat geacuteneacuteralement annuel reconduit tacitement la simpliciteacute et la

26 Plaquette commerciale FarmPrest France

78 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

souplesse des relations contractuelles constituent pour une majoriteacute des agriculteurs enquecircteacutes les principales raisons de lrsquoadheacutesion et ce malgreacute le coucirct relativement eacuteleveacute du service notamment lorsqursquoil engage un intermeacutediaire Le prix nrsquoarrive drsquoailleurs qursquoen sixiegraveme position des critegraveres de choix drsquoune ETA apregraves la confiance la proximiteacute la compeacutetence technique lrsquoefficaciteacute et le mateacuteriel (figure 5) Le paiement du service est deacutetermineacute agrave lrsquohectare Il comporte une part fixe (environ 75 ) et une part variable (25 ) La part fixe deacutepend des reacutegions de 400 euro agrave 500 euro par hectare en fonction du marcheacute de la sous-traitance des services fournis en suppleacutement de lrsquoexpertise agronomique et eacuteconomique (conseil drsquoun assolement et itineacuteraire technique en fonction des deacuteboucheacutes ou des incitations PAC) du suivi administratif jusqursquoagrave la gestion complegravete de lrsquoexploitation La part variable est fonction des reacutesultats de la campagne avec geacuteneacuteralement une indexation sur la marge nette de chaque culture pour la campagne concerneacutee Les achats drsquointrants ainsi que la commercialisation de la production sont souvent inclus dans le contrat de prestation car cela permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle mais aussi de faciliter lrsquoorganisation du travail puisque le prestataire peut geacuterer lrsquoensemble des exploitations-clientes comme une seule Une telle structure de paiement du service aide agrave reacutepartir le risque de production et de marcheacute entre le prestataire et le client et incite le prestataire et lrsquointermeacutediaire agrave optimiser leur performance eacuteconomique dans la conduite de lrsquoexploitation Elle facilite aussi les relations avec les acteurs en amont (agrofourniture) et en aval de la production (coopeacuteratives neacutegociants industries de transformation etc) Notons qursquoagrave cocircteacute des eacuteleacutements chiffreacutes la qualiteacute de la relation de deacuteleacutegation deacutepend eacutegalement des garanties apporteacutees par le prestataire (objectifs de moyens et aussi de reacutesultats) et de la palette de ses compeacutetences agronomiques (conventionnelles et alternatives) et de conseil (technique et strateacutegique) Agrave titre drsquoexemple dans tous les deacutepartements de la reacutegion Centre-Val de Loire la surface de grandes cultures deacuteleacutegueacutees inteacutegralement est estimeacutee agrave plus de 14 000 hectares en 2010 Ceci provient du fait que les terres y ont un potentiel de rendement eacuteleveacute permettant au proprieacutetaire foncier et au prestataire de construire une relation gagnant-gagnant venant concurrencer le fermage Cette relation est drsquoautant plus solide que le proprieacutetaire de lrsquoexploitation nrsquoa aucun investissement lourd agrave amortir qursquoil conserve son statut drsquoagriculteur et perccediloit les aides PAC tandis que le prestataire peut de son cocircteacute rationaliser le travail en pensant un assolement global pour lrsquoensemble des parcelles deacuteleacutegueacutees jouer sur les eacuteconomies drsquoeacutechelle pour neacutegocier les contrats de leasing-vente de machines agricoles et drsquoachat drsquointrants et agglomeacuterer lrsquooffre pour inteacuteresser les neacutegociants et industriels de lrsquoaval

laquo Je suis le seul maicirctre agrave bord et le gars qui vient chez moi le client qui vient me voir il faut qursquoil accepte mon mode de fonctionnement Srsquoil me dit laquomoi je veux que mon bleacute soit sur ma parcelle que mon maiumls soit sur ma parcelle raquo je lui dis laquoeacutecoutez je ne suis pas le bon fournisseur pour vousraquo Ccedila je ne saurai pas faire [hellip] et jrsquooptimise les coucircts drsquoachat parce qursquoon a un groupe donc on a une certaine surface donc on a un certain poids par rapport agrave nos fournisseurs et jrsquooptimise aussi un petit peu les prix de vente par rapport agrave la gestion enfin les interventions sur Euronext etc raquo (Prestataire opeacuterant en Champagne-Ardenne enquecircteacute en feacutevrier 2013)

laquo Creacuteer de la valeur crsquoest mon obsession Je vais reacutepondre agrave la demande fideacuteliser mes salarieacutes fideacuteliser les contrats Je ne fais pas du one shot Je fais du conventionnel je fais du bio je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopeacuterative du coin raquo (Prestataire opeacuterant dans la reacutegion Centre enquecircteacute en juin 2019)

Mais ceci nrsquoest pas toujours le cas et sur cer tains territoires comme en Haute-Garonne ougrave la concurrence est forte entre ETA ougrave les parcellaires sont morceleacutes et les rendements fortement variables drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre la rentabiliteacute de ce service nrsquoest alors garantie ni pour lrsquoETA ni pour le client

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 79

Tableau 4 - Caracteacuteristiques de deux contrats-types de deacuteleacutegation inteacutegraleContrat A Contrat B

(avec intermeacutediaire entre client et ETA)

ObjetPrestation inteacutegrale de services avec une prise de risque financier partageacutee

Reacutealisation de travaux agricoles de la preacuteparation du sol jusqursquoaux derniers travaux avant la reacutecolte

Opeacuterations concerneacutees

bullEn cours de campagne ensemble des opeacuterations culturales (travaux des sols semis traitements eacutepandages reacutecolte et transport) + tour de plaine gestion des approvisionnements gestion des emballages vides des produits phytosanitaires appui administratif PAC

bullEn fin de campagne bilan conseil et preacuteparation de la campagne suivante (choix des assolements etc)

bullPrestataire deacutecompactage deacutechaumage labour semis rouleau eacutepandages pulveacuterisations broyage moisson

bulllaquo Intermeacutediaire raquo choix des assolements suivi technique gestion de lrsquoachat des intrants et de la vente des reacutecoltes gestion administrative (deacuteclaration PAC plans drsquoeacutepandage et de traitement suivi des mesures agro-environnementales)

Dureacutee du contrat

Campagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement 2 contrats lrsquoun liant le client agrave lrsquointermeacutediaire et lrsquoautre liant le client et lrsquoETA prestataireCampagne de lrsquoanneacutee n reconductible tacitement

Principaux engagements des parties prenantes

bullPrestataire intervenir apregraves prise de deacutecision conjointe avec le client (assolement produits et quantiteacutes) reacutealiser lrsquoensemble des opeacuterations neacutecessaires agrave lrsquoobtention drsquoune reacutecolte optimale respecter les normes en vigueur (conditionnaliteacute PAC et reacuteglementation Certiphyto) proposer des pratiques alternatives

bullClient payer la prestation srsquoengager agrave acheter les intrants preacuteconiseacutes

bullETA prestataire intervenir dans les meilleurs deacutelais selon le contrat de culture connexe agrave son compte avec son mateacuteriel et son personnel utiliser un mateacuteriel entretenu et reacutegleacute de faccedilon agrave obtenir la meilleure efficaciteacute possible et conforme agrave la reacuteglementation en vigueur

bullIntermeacutediaire geacuterer les parcelles optimiser la conduite technique et administrative

bullClient confier la gestion des parcelles agrave lrsquointermeacutediaire  payer toutes les factures lieacutees aux opeacuterations de culture et la prestation de lrsquointermeacutediaire

Modaliteacutes de paiement

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable indexeacutee sur la marge nette de lrsquoexploitation ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants et ndash les aides PAC) et calculeacutee apregraves production de lrsquoensemble des factures des produits et des charges de la culture

bullFrais de montage du dossier

bullPart fixe tarif forfaitaire par hectare

bullPart variable un de la marge nette de la production ( = produits des reacutecoltes ndash les coucircts intrants ndash les aides PAC ndash les frais de sous-traitance)

CommunicationbullDe bouche agrave oreille sur laquo transparence expeacuterience confiance souplesse respect de lrsquoenvironnement raquo

bullPlaquette salons professionnels sur laquo transparence discreacutetion expertise respect de lrsquoenvironnement seacutecuriteacute du revenu eacuteconomies deacutegageacutees et marge raquo

Source Tableau reacutealiseacute par les auteurs agrave partir des donneacutees drsquoenquecirctes de terrain reacutealiseacutees entre 2012 et 2017

Tableau 5 - Deacuteterminants de la propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralement Reacutegression logistique avec R agrave partir des donneacutees du sondage OTEXA

Propension agrave deacuteleacuteguer inteacutegralementAge 0003 (0004)

Agriculteur agrave titre secondaire 0501 (0254)

Part du foncier en proprieacuteteacute - 0033 (0089)

Nombre drsquoassocieacutes 0219 (0169)

Preacutesence de main-drsquoœuvre familiale 0147 (0205)

Preacutesence drsquoun geacuterant - 0018 (0324)

Preacutesence drsquoactiviteacutes de diversification 1004 (0345)

Surface en grandes cultures - 0173 (0076)

Surface en arboriculture - 0040 (0074)

Surface en maraicircchage - 0521 (0239)

Surface en vigne 0087 (0114)

Surface en cultures speacuteciales (plantes aromatiques semences etc) 0610 (0314)

Surface en cultures fourragegraveres 0277 (0199)

Surface en prairies permanentes - 0112 (0142)

Taille du troupeau bovin lait 1631 (0670)

Taille du troupeau bovin viande 0446 (0205)

Taille du troupeau ovin 0574 (0322)

Taille de lrsquoeacutelevage de volaille 0426 (0231)

Taille du troupeau caprin - 0629 (0407)

Constante 1731 (0243)

Nombre drsquoobservationsLog LikehoodAkaike Inf Crit

1 087

- 419542

879083plt01 plt005 plt0001Source calculs reacutealiseacutes par les auteurs avec les donneacutees du sondage OTEXA (2018-19)

80 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

laquo Ici dans le Lauragais on ne peut pas ecirctre vraiment entrepreneur Tout le monde a ses machines mecircme ceux qui ont 20 hectares Il y a trop drsquoargent avec un mateacuteriel surdimensionneacute Tout le monde fait de la sous-traitance agrave des prix tregraves bas Je ne recrute pas de nouveaux clients en laquo A agrave Z raquo surtout srsquoils ont des petites parcelles eacuteparpilleacutees partout On rentre juste dans nos frais mais on nrsquoarrive pas agrave reacutemuneacuterer le travail Je preacutefeacutererais avoir les terres en fermage mais les gens nrsquoaiment pas le fermage par ici raquo (Agriculteur ayant une activiteacute de prestation en Occitanie enquecircteacute en avril 2017)

Par ailleurs selon les teacutemoignages des ETA et agriculteurs enquecircteacutes agrave cocircteacute des risques classiques de production et de marcheacute qui peuvent ecirctre plus ou moins pris en charge dans les termes du contrat deacuteleacuteguer inteacutegralement comporterait pour lrsquoagriculteur des risques inheacuterents agrave la nature de la transaction agrave savoir un risque de requalification du contrat en bail agrave ferme ou encore de perte du statut drsquoexploitant et donc des aides PAC Malgreacute cela en raison de la souplesse des contrats de deacuteleacutegation inteacutegrale des services connexes et des garanties qursquoelle met en avant lrsquoagriculteur proprieacutetaire des terres mais nrsquoexploitant plus preacutefeacuterera avoir recours agrave cette deacuteleacutegation inteacutegrale dans lrsquoattente drsquoune hypotheacutetique reprise ou drsquoune vente eacuteventuelle De fait il nrsquoest pas rare de voir dans le cadre drsquoune relation durable de deacuteleacutegation certaines grandes ETA acqueacuterir des parts dans le capital drsquoexploitations ayant un statut juridique de type socieacutetaire (SCEA notamment) et devenir un associeacute co-geacuterant de ces derniegraveres Ce faisant elles chapeautent de nouvelles entiteacutes productives laquo invisibles raquo composeacutees drsquoun ensemble drsquoexploitations en deacuteleacutegation inteacutegrale (Nguyen et al 2017 Purseigle et al 2019)

423 Le numeacuterique au service de la sous-traitance

Depuis une dizaine drsquoanneacutees de nombreuses plates-formes drsquointermeacutediation des eacutechanges ont eacutemergeacute en investiguant les mecircmes champs drsquoaction que les organisations professionnelles agricoles et les entreprises classiques financement conseil et formation achat drsquointrants recrutement de main-drsquoœuvre location ou achat de mateacuteriel gestion des coproduits commercialisation et logistique mais eacutegalement prestation de services (Brailly et al 2018) Dans la grande majoriteacute des cas ces plates-formes ambitionnent de mettre en relation des agriculteurs avec drsquoautres agriculteurs (location de mateacuteriel ou eacutechange de parcelles par exemple) ou avec drsquoautres professionnels (prestataires de services)

En mars 2019 il a eacuteteacute possible de recenser 101 plates-formes de services de type B-to-B27 (Brailly et al 2018) deacutedieacutees au secteur agricole (figure 8) Bien que les premiegraveres drsquoentre elles aient eacuteteacute creacuteeacutees au tournant des anneacutees 2000 ce nrsquoest qursquoagrave compter de 2013 que leur nombre augmente significativement et que leur champ drsquoaction se diversifie consideacuterablement Par les services qursquoelles proposent elles entrent en concurrence plus ou moins frontale avec des organisations professionnelles agricoles et drsquoautres entreprises deacutejagrave en place proposant depuis longtemps des services similaires

Il existe en 2019 sept plates-formes qui proposent soit de mettre en lien prestataires et clients sur tout le territoire franccedilais soit de reacutealiser elles-mecircmes la prestation en proposant agrave la location agrave la fois le mateacuteriel et le chauffeur Comme dans lrsquoexemple ci-dessous les enquecirctes reacutealiseacutees aupregraves des fondateurs de ces plates-formes aident agrave mieux comprendre les jeux de concurrence et de collaboration entre plates-formes et acteurs traditionnels de la sous-traitance

27 Parce qursquoelles relegravevent drsquoune logique diffeacuterente du fait de leur orientation Business to Consumer nous avons exclu de notre analyse les plateformes de commercialisation directe aupregraves du consommateur tout comme celles reposant sur un seul vendeur et celles aux allures de blogs fondeacutees sur des eacutechanges de connaissances

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 81

Creacuteeacutee en 2017 ConnectingFarm est une plate-forme dont le but est de faire le lien entre agriculteurs et prestataires de travaux agricoles (ETA) Son objectif est laquo de simplifier seacutecuriser et fiabiliser la mise en relation entre les agriculteurs et leurs prestataires de travaux raquo28 Elle srsquoadresse agrave des exploitants ne posseacutedant ni la main-drsquoœuvre formeacutee ni le mateacuteriel neacutecessaire agrave la reacutealisation de leurs travaux Tout comme drsquoautres plates-formes celle-ci permet de reacuteduire les charges mateacuterielles drsquoeacutequipement non utiliseacute Cocircteacute prestataires elle srsquoadresse particuliegraverement agrave ceux souhaitant accroicirctre leur visibiliteacute Crsquoest en effet un moyen facile pour ecirctre rapidement mis en relation avec diffeacuterents clients Les prestataires srsquoinscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils prix disponibiliteacutes) pendant que les agriculteurs agrave la recherche drsquoun prestataire indiquent les caracteacuteristiques des travaux agrave reacutealiser

28 Plaquette de publiciteacute de ConnectingFarm

Figure 8 ndash Essor des plateformes numeacuteriques agricoles

Source Brailly et al 2019 agrave partir des donneacutees Infogreffe

82 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Cette jeune start-up a eacuteteacute cofondeacutee par deux ingeacutenieurs agricoles Forts de leurs expeacuteriences respectivement dans le secteur du machinisme agricole et de directeur de projet digital au sein drsquoune entreprise internationale ils souhaitent aider les prestataires de travaux agricoles et les agriculteurs agrave laquo mieux vivre de leur meacutetier en fluidifiant leurs eacutechanges raquo (ConnectingFarm 2018) Les valeurs phares de leur entreprise seraient lrsquoesprit du collectif et le partage tant de savoirs que de machines agricoles Cette plate-forme est particuliegraverement active en Normandie reacutegion ougrave elle a vu le jour mais commence agrave deacuteployer son offre dans toute la France Apregraves avoir en 2018 remporteacute le tropheacutee de lrsquoeacuteconomie normande dans la cateacutegorie laquo innovation raquo cette plate-forme a reacutealiseacute une importante leveacutee de fonds lui permettant de poursuivre son deacuteveloppement Elle repose aujourdrsquohui sur quatre associeacutes et prend la forme drsquoune holding

La plate-forme ConnectingFarm se deacutemarque des autres gracircce agrave plusieurs fonctionnaliteacutes rendues possibles par lrsquooutil numeacuterique mais aussi par des partenariats speacutecifiques Tout drsquoabord elle permet aux agriculteurs de dessiner et circonscrire la parcelle ougrave auront lieu les travaux afin de faciliter la communication avec le prestataire Cette plate-forme entend ensuite modifier le rapport de forces entre ETA et exploitants agricoles en offrant la possibiliteacute aux clients de choisir leur prestataire au sein drsquoun reacutepertoire rassemblant plus de 14 000 ETA agrave travers la France La possibiliteacute de visualiser lrsquoensemble des prestataires agricoles et leurs caracteacuteristiques permettrait eacutegalement aux agriculteurs de mieux eacutevaluer et geacuterer les travaux agrave venir sur leur exploitation et donc de srsquoassurer de la disponibiliteacute de la main-drsquoœuvre au bon moment De la mecircme maniegravere ConnectingFarm offre aux prestataires des services de communication et un outil de gestion de leurs activiteacutes de sous-traitance (facturation automatiseacutee et suivie en temps reacuteel) Un autre objectif de la plateforme est de deacuteployer la prestation en assurant une certaine seacutecuriteacute tant pour le client que pour le prestataire Le client dispose ainsi de plusieurs options de paiement et il peut avoir accegraves agrave des precircts de campagne pour financer les travaux dans les temps gracircce agrave un partenariat avec une des banques leader sur le marcheacute agricole La derniegravere fonctionnaliteacute proposeacutee par ConnectingFarm est la gestion et la valorisation des donneacutees des parcelles et de lrsquoexploitation avec un objectif drsquooptimisation des interventions aux champs et de conseil global La proposition de valeur de ConnectingFarm croise trois registres laquo agreacutegation de donneacutees raquo laquo coordination de travaux raquo et laquo suivi administratif et technique raquo

Mecircme si leur modegravele eacuteconomique est encore agrave lrsquoeacutepreuve les plates-formes comme ConnectingFarm suggegraverent que la transition numeacuterique gagne le marcheacute de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation en lui confeacuterant une nouvelle facette gracircce agrave la mise en relation directe des acteurs (et donc agrave leur mise en concurrence) et en deacuteveloppant une offre multi-services La creacuteation de systegravemes experts permettant lrsquoharmonisation des donneacutees collecteacutees par diffeacuterents types drsquoeacutequipements et personnes leur ouvre des perspectives nouvelles en matiegravere de services de conseil Toutefois des interrogations demeurent quant agrave la deacutefinition de la proprieacuteteacute des donneacutees et de leurs usages Comme pour les ETA lrsquooffre de conseil devient une composante strateacutegique de la sous-traitance gracircce agrave une meilleure valorisation du service et un renforcement de la relation clientsous-traitant

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 83

Conclusion lrsquoessor de la sous-traitance un marqueur majeur des mutations agricoles

Lrsquoeacutemergence de grandes entreprises agricoles inteacutegreacutees emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de laquo gestionnarisation raquo ineacutedites (Purseigle et al 2017) Mais agrave cocircteacute drsquoelles le deacuteveloppement acceacuteleacutereacute de la sous-traitance ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation drsquoune partie du secteur de la production agricole et de lrsquoeacutemergence de nouveaux reacuteseaux drsquoexploitations La tertiarisation de lrsquoagriculture franccedilaise ne constituerait-elle pas un mouvement certes peu visible mais beaucoup plus profond que celui drsquoindustrialisation des uniteacutes de production deacutecrieacutee dans les meacutedias Nos travaux nous amegravenent agrave le penser Alors que le pheacutenomegravene est plus tardif en agriculture il eacutepouse des contours parfois similaires agrave ceux observeacutes dans les secteurs industriels et des services Des chefs drsquoexploitation deacutelegraveguent aujourdrsquohui de plus en plus pour creacuteer des avantages comparatifs optimisation des coucircts recentrage sur leur cœur de meacutetier accegraves agrave de nouvelles pratiques et compeacutetences etc

Pour autant la sous-traitance dans le secteur agricole preacutesente aussi des caracteacuteristiques singuliegraveres La premiegravere consiste agrave sous-traiter des opeacuterations qui engagent des actifs speacutecifiques (eacutequipements de preacutecision etou des compeacutetences speacutecialiseacutees) comme le traitement lrsquoeacutepandage le semis direct ou encore le suivi de lrsquoagnelage Il est fort probable que le contexte socio-eacuteconomique et regraveglementaire actuel du secteur agricole et le coucirct croissant des technologies aient deacuteplaceacute les seuils de rentabiliteacute de certains investissements conduisant les exploitants agrave privileacutegier la sous-traitance Transition vers une agriculture agrave bas intrants et transition numeacuterique au travers des effets indirects et non intentionnels des exigences reacuteglementaires et des politiques publiques associeacutees ne constitueraient-elles pas finalement un terreau favorable au deacuteveloppement de la sous-traitance

La deuxiegraveme singulariteacute a trait aux preacutefeacuterences de lrsquoagriculteur lorsqursquoil agit selon une logique entrepreneuriale mais aussi selon une logique purement patrimoniale Crsquoest cette derniegravere qui est agrave lrsquoorigine drsquoune pratique ineacutedite dans le monde de la sous-traitance agrave savoir la deacuteleacutegation inteacutegrale de lrsquoexploitation Elle va au-delagrave drsquoune simple deacuteleacutegation des opeacuterations techniques et conduit agrave confier la gestion de lrsquoentreprise agrave un tiers La profession agricole vivrait lagrave une veacuteritable rupture non seulement dans lrsquoorganisation du travail agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation et du territoire mais eacutegalement dans lrsquoexercice du meacutetier drsquoagriculteur Ce pheacutenomegravene relativement nouveau en France lrsquoest moins dans drsquoautres pays europeacuteens comme le Royaume-Uni et la Belgique toucheacutes avant la France par le deacuteclin deacutemographique des actifs agricoles

Ces strateacutegies ne sont pas neutres au regard du renouvellement des exploitations familiales Si elles pallient des transmissions familiales incomplegravetes elles ouvrent aussi la voie agrave des formes drsquoagriculture ougrave la dimension familiale perd sa centraliteacute Les dissociations entre terre travail et capital opeacutereacutees par ces formes de deacuteleacutegation constituent des eacuteleacutements de deacutepassement de lrsquoorganisation familiale du travail en agriculture vers une agriculture de type socieacutetaire porteacutee ou opeacutereacutee par des acteurs non familiaux

Parallegravelement le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation traduit de nouvelles voies drsquoentreacutee dans le meacutetier pour des jeunes issus de familles agricoles et pour qui la transmission de pegravere en fils ne va plus de soi ou encore pour ceux qui nrsquoen sont pas issus et qui deacutecident drsquoexercer un meacutetier agricole sans pour autant vouloir ou pouvoir srsquoinstaller comme chef drsquoexploitation Pour tous ces jeunes ces voies singuliegraveres peuvent se reacuteveacuteler attractives en raison non seulement du statut de salarieacute mais aussi de la flexibiliteacute de carriegravere qursquoelles offrent mais agrave la condition qursquoelles soient accompagneacutees par des formations approprieacutees et des conditions drsquoemploi favorables

84 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Au-delagrave de la question de lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation du travail en agriculture et de leur coexistence ce nouveau contexte conditionne la mise en place des projets strateacutegiques porteacutes par les organisations professionnelles agricoles En effet il pose la question des nouvelles formes de coopeacuteration au service de projets individuels29 des formes souvent plus flexibles et plus diversifieacutees de la production agrave la commercialisation groupements fonciers agricoles investisseurs groupements drsquointeacuterecirct eacuteconomique drsquoapprovisionnement socieacuteteacute civile laitiegravere CUMA inteacutegrale assolement en commun SARL de commercialisation groupement drsquoemployeurs etc Ces formes reacutepondent agrave des objectifs multiples (eacuteconomies de gamme et drsquoeacutechelle pilotage par la valeur ajouteacutee organisation du travail conservation drsquoun patrimoine par sortie partielle ou totale du meacutetier)

Nous pensons que lrsquoexternalisation du travail agricole et le deacuteveloppement de la sous-traitance en agriculture interagissent avec trois registres drsquoaction des organisations professionnelles agricoles Le premier est celui des relations aux adheacuterents la mise en place de nouveaux dispositifs productifs en agriculture pose la question de lrsquointerlocuteur pertinent Qui est-il Entre celui qui possegravede et celui qui fait lequel peut ecirctre encore consideacutereacute comme interlocuteur de lrsquoorganisation professionnelle (notamment les coopeacuteratives) Le deuxiegraveme registre concerne les nouvelles fonctions productives que pourraient inteacutegrer ou renforcer certains partenaires lrsquoeacutevolution des formes drsquoorganisation de la production et lrsquooffre de conseil qui lrsquoaccompagne ne constituent-elles pas un nouveau marcheacute pour les organisations professionnelles les coopeacuteratives les firmes de lrsquoagrofourniture Enfin le dernier registre est celui de la gouvernance ces nouveaux acteurs de la production agricole peuvent-ils ecirctre inteacutegreacutes agrave la gouvernance de certaines organisations professionnelles et leurs repreacutesentants agrave celle drsquointerprofessions

La croissance de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation inteacutegrale ne bouscule pas uniquement les professionnels du secteur Alors mecircme que se discute la prochaine reacuteforme de la PAC elle interpelle eacutegalement les deacutecideurs politiques sur leur rocircle dans lrsquoeacutemergence et lrsquoaccompagnement du pheacutenomegravene Comme nous lrsquoavons souligneacute dans cet article certains dispositifs de politiques publiques sans ecirctre des causes directes semblent avoir nourri un contexte favorable au deacuteveloppement la sous-traitance

Le deacutecouplage des aides liant ces derniegraveres au foncier associeacute agrave un statut du fermage jugeacute contraignant tend aujourdrsquohui agrave inciter certains agriculteurs agrave la retraite ou enfants drsquoagriculteurs agrave avoir recours agrave la deacuteleacutegation inteacutegrale Il srsquoagit souvent pour eux de conserver le foncier dans lrsquoattente drsquoune eacuteventuelle vente ou reprise agrave moyen ou long terme par un successeur encore non identifieacute ou tout simplement de se constituer un compleacutement de revenu sous forme de rente

Certaines reacuteglementations environnementales et une forte augmentation du prix des eacutequipements speacutecialiseacutes ont sans doute conduit de nombreux proprieacutetaires-exploitants agrave sous-traiter les traitements et ainsi externaliser les coucircts de lrsquoinvestissement Lrsquoentreacutee en vigueur du principe de seacuteparation des activiteacutes de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques conduirait certaines coopeacuteratives ou neacutegoces agrave chercher lagrave aussi de nouvelles activiteacutes de diversification et agrave offrir une palette de nouveaux services agrave des exploitations adheacuterentes ou clientes y compris en recourant agrave des creacuteations de filiales Outre la garantie drsquoune nouvelle source de profit ces nouvelles activiteacutes preacuteserveraient leur capaciteacute de collecte

29 Le nouveau slogan de lrsquoorganisation syndicale des coopeacuteratives agricoles en est une illustration laquo construisons en commun lrsquoavenir de chacun raquo

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 85

Les politiques ont sans doute contribueacute au pheacutenomegravene mais en France comme dans drsquoautres pays elles sont loin drsquoecirctre le seul deacuteterminant Le deacuteveloppement de la sous-traitance et de la deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes relegraveve avant tout drsquoun mouvement de fond qui teacutemoigne drsquoun effacement de lrsquoexercice familial du travail mais aussi de nouvelles formes drsquoarbitrage entre projet patrimonial et projet eacuteconomique au sein des familles agricoles Il atteste des profondes reconfigurations de lrsquooffre de services proposeacutee par des organisations professionnelles qui agrave lrsquoinstar des coopeacuteratives ou de CUMA sont interpelleacutees par de nouvelles attentes et de nouvelles conceptions de lrsquoaction collective porteacutees par leurs propres adheacuterents Il serait donc vain drsquoattendre drsquoune politique publique qursquoelle encadre ou controcircle une telle tendance Il convient avant tout de penser les processus sociaux et eacuteconomiques agrave lrsquoœuvre de les accompagner voire de les orienter plutocirct que de vouloir les contraindre

Ces processus neacutecessitent selon nous de mettre sur pied de nouveaux outils de portage foncier ou salarial qui ouvrent la voie agrave de nouvelles formes drsquoorganisations laquo passerelles raquo favorisant lrsquoarriveacutee dans les meacutetiers de lrsquoagriculture Lrsquoassouplissement des trajectoires professionnelles et les incertitudes qui entourent les activiteacutes agricoles appellent agrave promouvoir dans certains territoires des formes drsquoorganisation de la production moins homogegravenes Malgreacute les limites constateacutees et les interrogations souleveacutees la sous-traitance en agriculture participe de la diversification des activiteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouveaux meacutetiers Elle contribue aussi agrave lrsquoameacutelioration de la performance globale de certaines exploitations et agrave la reacuteorganisation de la production dans certaines zones intermeacutediaires ougrave le renouvellement des geacuteneacuterations de chefs drsquoexploitation semble compromis agrave court terme Sous reacuteserve de respecter des principes et comportements eacutethiques en matiegravere de droit du travail et de reacuteglementation environnementale ne peut-on pas voir dans la sous-traitance en agriculture une des composantes drsquoune veacuteritable reconfiguration strateacutegique de lrsquoorganisation de la production agrave lrsquoeacutechelle des territoires

Pour cela il srsquoagit de ne pas abandonner les politiques en faveur de lrsquoinstallation bien au contraire Quelques pistes peuvent degraves lors ecirctre eacutevoqueacutees renforcer la performance des dispositifs drsquoaccompagnement agrave lrsquoinstallation et agrave la creacuteation drsquoactiviteacutes ameacuteliorer leur articulation en reconsideacuterant les conditions drsquoinsertion dans les meacutetiers etc En drsquoautres termes si lrsquoon admet que les contours et les statuts juridiques de lrsquoactiviteacute productive se transforment en profondeur il convient dans le mecircme temps de reconfigurer les modes de soutien agrave lrsquoentreacutee dans les meacutetiers La question ici poseacutee est celle de la maniegravere dont les politiques publiques vont accompagner un fait social et eacuteconomique pour servir lrsquoambition du maintien drsquoactifs agricoles mecircme si leurs visages diffegraverent de ceux drsquoaujourdrsquohui

86 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

Anzalone G Purseigle F 2014 laquo Deacuteleacutegation drsquoactiviteacutes et sous-traitance au service de la transmission de lrsquoexploitation ou drsquoun patrimoine raquo dans P Gasselin J-P Choisis S Petit F Purseigle S Zasser (eds) Lrsquoagriculture en famille travailler reacuteinventer transmettre EDP Sciences Paris pp 327-337

Anzalone G Purseigle F Nguyen G Hervieu B 2019 laquo Chapitre 7 Des entreprises aux allures de firme Mutations des entreprises agricoles et nouveaux modes drsquoaccegraves au foncier raquo dans B Chouquer M C Maurel (eds) Normes et pratiques fonciegraveres et agricoles ndash Volume 1 Les mutations reacutecentes du foncier et des agricultures en Europe Presses universitaire de Franche-Comteacute et Presses de lrsquouniversiteacute de Sun Yat-Sen de Guanzhou pp 165-190

Arnold U 2000 ldquoNew Dimensions of Outsourcing a Combination of Transaction Cost Economics and the Core Competencies Conceptrdquo European Journal of Purchasing and Supply Management 6(1) pp 23-29

Ball RM 1987 ldquoAgricultural contractors some surveyfindingsrdquo Journal of Agricultural Economics 38(3) pp 481-488

Bakis H 1975 laquo La sous-traitance dans lrsquoindustrie raquo Annales de geacuteographie 84(463) pp 297-317

Brailly J Nguyen G et Purseigle F 2018 laquo Emergence de plateformes numeacuteriques et redeacutefinition des dynamiques de lrsquoaction collective dans le secteur agricole en France  raquo communication au colloque annuel de la chaire Villes et numeacuteriques 3 mai 2018 Sciences Po Paris

Chevalier B 2007 laquo Les agriculteurs recourent de plus en plus agrave des prestataires de service raquo INSEE-Premiegravere ndeg 1160

Cochet H 2008 laquo Vers une nouvelle relation entre la terre le capital et le travail raquo Eacutetudes fonciegraveres 134 pp 24-29

Forget V Depeyrot J-N Maheacute M Midler E Hugonnet M Beaujeu R Grandjean A Heacuterault B 2019 ActifrsquoAgri Transformations des emplois et des activiteacutes en agriculture Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

FNCUMA 2019 Chiffres cleacutes Eacutedition 2017 FNCUMA Paris

FNEDT 2016 Rapport drsquoactiviteacute 2016 FNEDT Paris

FNSEA 2018 laquo Gestion preacutevisionnelle des emplois et des compeacutetences ndeg 8 Enquecircte lsquorsquoPrestataires de servicersquorsquo - Bilan final aoucirct 2018 raquo FNSEA ndash Observatoire Emploi Formation Deacutepartement des affaires sociales Paris

Gambino M Laisney C Vert J 2012 Le Monde agricole en tendances Un portrait social prospectif des agriculteurs Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation La Documentation franccedilaise Paris

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 87

Guihard V Lesdos C 2007 laquo Lrsquoagriculture sur trente ans une analyse comparative avec lrsquoindustrie et les services raquo INSEE Reacutefeacuterences Lrsquoagriculture nouveaux deacutefis Eacutedition 2007 pp 47-63

Harff Y Lamarche H 1998 laquo Le travail en agriculture nouvelles demandes nouveaux enjeux raquo Eacuteconomie rurale 244(1) pp 3-11

Heacutebrard L 2001 laquo Le deacuteveloppement des services agricoles Une sous-traitance speacutecialiseacutee au service des agriculteurs raquo INSEE Premiegravere ndeg 817

Hervieu B Purseigle F 2013 Sociologie des mondes agricoles Armand Colin Paris

Holcomb TR Hitt MA 2007 laquo Toward a Model of Strategic Outsourcing raquo Journal of Operations Management 25 pp 464-481

Igata M Hendrikson A Heijman W 2008 laquo Agricultural Outsourcing a Comparison Between the Netherlands and Japan raquo Applied Studies in Agribusiness and Commerce 2(1) pp 29-33

Jeanneaux P Blasquiet-Revol H 2012 laquo La gestion des exploitations agricoles un eacutetat des lieux de la recherche en France raquo Annales des Mines-Geacuterer et comprendre 1 pp 29-40

Legagneux B Olivier-Salvagnac V 2017 laquo Quelle main-drsquoœuvre contractuelle dans les exploitations agricoles Agrave la base de lrsquoeacuteclatement du modegravele familial raquo Eacuteconomie Rurale 357-358 pp 101-116 doiorg104000economierurale5132

Le Gars C Roudieacute P (dirs) 1996 Des vignobles et des vins agrave travers le monde Hommage agrave Alain Huetz de Lemps Presses universitaires de Bordeaux

Lerbourg J Dedieu M-S 2016 laquo Lrsquoeacutequipement des exploitations agricoles Un recours agrave la proprieacuteteacute moins marqueacute pour les machines speacutecialiseacutees raquo Agreste Primeur ndeg 334

Mariotti F 2005 Qui gouverne lrsquoentreprise en reacuteseau Presses de Sciences Po Paris

Milberg W Winkler D 2013 Outsourcing Economics Global value Chains in Capitalist Development Cambridge University Press

Nguyen G Lepage F Purseigle F 2017 laquo Lrsquoentreacutee de capitaux externes dans les exploitations agricoles Une facette meacuteconnue des agricultures de firme en France  raquo dans Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris pp 65-95

Nguyen G Brailly J Purseigle F 2020 laquo Strategic Outsourcing and Precision Agriculture In France Towards a Silent Reorganization of Agricultural Production in France raquo communication agrave lrsquoAgricultural and Applied Economics Association - Allied Social Science Association Annual Meeting 2-4 janvier San-Diego Eacutetats-Unis

Perraudin C Thevenot N Valentin J 2013 laquo Sous-traitance et eacutevitement de la relation drsquoemploi les comportements de substitution des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 raquo Revue internationale du travail 152(3-4) pp 571-597

Purseigle F Nguyen G Blanc P 2017 Le nouveau capitalisme agricole De la ferme agrave la firme Presses de Sciences Po Paris

88 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Quelennec M 1987 laquo La sous-traitance industrielle gagne du terrain raquo Eacuteconomie et statistique 199(1) pp 27-42

Souquet C 2016 laquo La majoriteacute des entreprises font appel agrave des sous-traitants raquo Insee Focus 67 novembre 2016

Srnicek N 2017 Platform capitalism John Wiley amp Sons

Surubaru A 2014 La fragiliteacute des liens marchands Sociologie de la sous-traitance internationale collection laquo Europe terrains et socieacuteteacutes raquo Eacuteditions Peacutetra

Tashakkori A Teddlie C 1998 Mixed methodology Combining qualitative and quantitative approaches collection Applied Social Research Methods Series 46 Sage Publications

Williamson O E 2008 Outsourcing Transaction Cost Economics and Supply Chain Management Journal of Supply Chain Management 44(2) pp 5-16

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 89

Eacutevaluation de la mesure agro-environnementale laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo dans les zones de montagne de Rhocircne-Alpes

Reacutesumeacute

En Rhocircne-Alpes la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) individuelle laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo a eacuteteacute ouverte en 2014 en zone de plaine avant drsquoecirctre eacutetendue en 2015 agrave titre exploratoire agrave certains territoires de montagne Agrave la demande de la DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes une eacutetude a eacuteteacute reacutealiseacutee en 2017 par le cabinet Acteon5 afin de construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments mais aussi son efficaciteacute et son efficience ex post telles que mesureacutees en fin de programmation Cet article restitue cette double deacutemarche ainsi que les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

Mots cleacutes

Mesure agro-environnementale biodiversiteacute Auvergne - Rhocircne-Alpes eacutevaluation montagne systegravemes herbagers et pastoraux

Le texte ci-apregraves ne repreacutesente pas neacutecessairement les positions officielles du ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Il nrsquoengage que ses auteurs

1 ACTeon environnement 5 place Sainte-Catherine 68000 Colmar2 Geacuterard Hanus consultant Le Rousset quartier drsquoArzeliers 05300 Laragne-Monteacuteglin3 Herveacute Coquillart consultant Territoire Environnement Biodiversiteacute la Brosse 42140 Virigneux4 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 3 rue Barbet-de-Jouy 75007 Paris5 ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018 Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne volets 1 et 2 httpsagriculturegouvfrmise-en-oeuvre-du-dispositif-evaluatif-de-la-mesure-agro-environnementale-individuelle-systemes

Anaiumls Hanus1 Geacuterard Hanus2 Herveacute Coquillart3 Estelle Midler4

90 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Introduction

En Rhocircne-Alpes les territoires les milieux et la biodiversiteacute de montagne sont faccedilonneacutes par lrsquoeacutelevage herbager et pastoral et peuvent donc ecirctre impacteacutes par ses eacutevolutions Pour faire face aux difficulteacutes rencontreacutees par les exploitations dans cette reacutegion les Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) preacutevoient en application de la reacuteglementation nationale et europeacuteenne un instrument speacutecifique de soutien eacuteconomique aux exploitations de montagne lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) visent quant agrave elle lrsquoeacutevolution ou le maintien de pratiques reacutepondant agrave des enjeux environnementaux territoriaux identifieacutes dans le cadre de Projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC)

La MAEC laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle (SHP 01) est un dispositif de maintien de pratiques visant agrave preacuteserver la durabiliteacute et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours (lieux de pacircturage) et des prairies permanentes agrave flore diversifieacutee Elle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement repose sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours En Rhocircne-Alpes elle a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine puis agrave titre exploratoire sur certains territoires de montagne

Une eacutetude commandeacutee par le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation pour le compte de la DRAAF Auvergne - Rhocircne-Alpes a eacuteteacute lanceacutee en 2017 afin de mettre en place une deacutemarche drsquoeacutevaluation de cette strateacutegie drsquoouverture de la SHP 01 aux zones de montagne de Rhocircne-Alpes Reacutealiseacutee par le cabinet Acteon elle avait deux objectifs a) eacutevaluer ex ante la pertinence de la mesure pour les zones de montagne et sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres instruments (ICHN MAEC agrave enjeux localiseacutes) puis b) construire un dispositif permettant drsquoeacutevaluer son efficaciteacute et son efficience ex post crsquoest-agrave-dire en fin de programmation Cet article a pour objectif de restituer cette double deacutemarche et les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante

La premiegravere partie preacutesente la probleacutematique le dispositif eacutevaluatif mis en place et les meacutethodes utiliseacutees pour lrsquoeacutevaluation ex ante La partie suivante deacutetaille le contexte les enjeux locaux et les strateacutegies drsquoactivation de la MAEC SHP 01 dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes Ensuite sont preacutesenteacutes les premiers reacutesultats de lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence de la SHP 01 pour ces territoires de sa coheacuterence avec les autres aides (dont lrsquoICHN) et de sa contribution au revenu des eacuteleveurs condition neacutecessaire au maintien de lrsquoactiviteacute Enfin en quatriegraveme partie deux facteurs pouvant contribuer agrave renforcer lrsquoimpact de la SHP 01 sont discuteacutes

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 91

1 Probleacutematique et meacutethodologie de lrsquoeacutetude

11 Qursquoest-ce que la MAEC SHP 01

La MAEC SHP 01 est une aide contractuelle visant agrave preacuteserver lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des parcours et des prairies permanentes6 agrave flore diversifieacutee en particulier de certaines surfaces dites laquo surfaces cibles raquo (MAA 2017) Il srsquoagit drsquoune mesure laquo de maintien raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle srsquoadresse aux exploitations dont le fonctionnement se base deacutejagrave sur la valorisation de lrsquoherbe et des parcours (au moins 70 de surfaces en herbe et pastorales dans la SAU) et sur des pratiques favorables agrave la preacutesence drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Ainsi le contrat impose

- le maintien des couverts permanents de lrsquoexploitation ou Surfaces toujours en herbe (STH) crsquoest-agrave-dire des prairies permanentes et des parcours (figure 1)

- des reacutesultats sur des surfaces cibles (SC) choisies par lrsquoeacuteleveur parmi les couverts permanents de lrsquoexploitation avec selon les cas un accompagnement technique (opeacuterateur ou animateur) La proportion de SC dans la surface toujours en herbe (entre 20 et 50 ) deacutepend du niveau de risques de disparition ou drsquoeacutevolution des pratiques estimeacute sur le territoire Ces obligations de reacutesultats se traduisent par le respect drsquoindicateurs drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu (preacutesence de plantes indicatrices pour les prairies permanentes et utilisation annuelle minimum pour les surfaces pastorales)

- un taux de chargement animal global infeacuterieur agrave 14 UGB7ha

- la non-utilisation des produits phytosanitaires

La contractualisation de la SHP 01 vise ainsi le maintien conjoint de certaines pratiques et de la biodiversiteacute Agrave la diffeacuterence de la SHP 02 qui srsquoadresse aux entiteacutes collectives la SHP 01 srsquoadresse aux exploitations

Lecture STH Surfaces toujours en herbe PT Prairies temporaires SC surfaces cibles SCOP surfaces en ceacutereacuteales et oleacuteo-proteacuteagineux Source ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation (2017) et groupe de travail reacutegional MAEC

Figure 1 - Critegraveres drsquoeacuteligibiliteacute et drsquoengagement de la SHP 01

6 Les laquo prairies permanentes raquo sont celles qui nrsquoont pas eacuteteacute laboureacutees dans les cinq derniegraveres anneacutees7 UGB Uniteacutes de gros beacutetail Il srsquoagit de lrsquouniteacute de reacutefeacuterence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type drsquoanimal drsquoeacutelevage Elle permet de convertir tous les types drsquoanimaux dans la mecircme uniteacute

92 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

12 Probleacutematique de lrsquoeacutetude

En Rhocircne-Alpes la SHP 01 a drsquoabord eacuteteacute ouverte en zone de plaine uniquement Cette deacutecision a eacuteteacute prise pour deux raisons a) il existe des risques de deacuteprise et drsquointensification dans ces zones b) en zone de montagne des dispositifs comme lrsquoICHN revaloriseacutee permettent de reacutepondre aux objectifs de maintien des systegravemes herbagers et des surfaces (Hanus et al 2017) En outre la MAE SHP 02 est mobiliseacutee en montagne ougrave les surfaces sont geacutereacutees en grande partie par des organisations collectives8

Cependant certains territoires comme le Beaujolais Vert (dont la zone de pieacutemont fait face agrave des risques de deacuteprise et drsquointensification forts) et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne argumentant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Celle-ci a donc eacuteteacute ouverte dans ces territoires de montagne agrave titre exploratoire et agrave budget constant en preacutevoyant de reacutealiser une eacutevaluation externe afin drsquointerroger la pertinence de cette deacutecision et drsquoen tirer des enseignements pour lrsquoensemble de la Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes

Trois phases ont eacuteteacute preacutevues pour cette eacutevaluation

- la premiegravere reacutesidait dans la mise en place drsquoun dispositif eacutevaluatif et drsquoune premiegravere eacutevaluation ex ante de la pertinence de la strateacutegie drsquoactivation de la SHP 01 et de sa coheacuterence par rapport agrave drsquoautres mesures (reacutealiseacutee en 2017 et objet de cet article)

- la deuxiegraveme phase consiste en une eacutevaluation agrave mi-parcours (201920 agrave reacutealiser)

- la troisiegraveme phase en 2022 sera deacutedieacutee agrave lrsquoeacutevaluation ex post

Agrave terme le dispositif eacutevaluatif doit permettre drsquoune part drsquoanalyser les eacutevolutions sur les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes ayant activeacute la SHP 01 et drsquoautre part de mener des comparaisons avec des territoires de plaine et des territoires nrsquoayant pas activeacute la SHP 01 de mecircme qursquoentre territoires diffeacuterents (par exemple pastoral vs herbager) et entre exploitations ayant ou non contractualiseacute la SHP 01 (au sein de territoires qui la proposaient)

13 Meacutethodologie

Lrsquoeacutetude comportait deux volets dont les objectifs sont preacutesenteacutes dans la figure 2

131 Volet 1 construction du dispositif eacutevaluatif

La reacutealisation du volet 1 srsquoest appuyeacute sur des entretiens (Reacutegions opeacuterateurs porteurs des PAEC) et sur une analyse documentaire (Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux dossiers de candidatures travaux du groupe de travail etc voir le volet 1 du rapport p 8 pour plus de deacutetails) permettant drsquoeacutetudier les strateacutegies drsquoactivation de la mesure au niveau reacutegional et celles de mise en œuvre par les territoires (mobilisation ou non de la mesure face aux enjeux identifieacutes) Ce travail a abouti agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune premiegravere version drsquoun diagramme logique drsquoimpact (DLI) de la SHP 01 puis agrave une liste de questions eacutevaluatives (encadreacute 1) discuteacutee et valideacutee par le comiteacute de pilotage de lrsquoeacutetude

8 En Auvergne la strateacutegie drsquoouverture ne diffeacuterencie pas zones de plaine et de montagne La MAE SHP 01 est mobilisable sur toutes les Zones drsquoaction prioritaires eau biodiversiteacute et une zone laquo seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 93

Source auteurs volet 1 du rapport final p5

Figure 2 - Objectifs de lrsquoeacutetude

Pour chaque question eacutevaluative des indicateurs ont eacuteteacute proposeacutes commenteacutes et valideacutes par le comiteacute de pilotage Un reacutefeacuterentiel drsquoeacutevaluation deacutetaille pour chaque indicateur

- le type drsquoindicateur (contexte reacutealisation reacutesultat impact pertinence ou coheacuterence) la nature de lrsquoindicateur (quantitatif ou qualitatif) la theacutematique agrave laquelle se reacutefegravere lrsquoindicateur (milieux systegravemes place des surfaces en herbe eacuteconomie contrats et ingeacutenierie territoriale)

- lrsquoeacutechelle (territoriale de lrsquoexploitation ou parcellaire) et le champ geacuteographique drsquoapplication de lrsquoindicateur (territoires et exploitations concerneacutees)

- la phase de la programmation pendant laquelle renseigner les indicateurs (eacutevaluation ex ante intermeacutediaire etou ex post)

- les meacutethodes de recueil (qualitatives et quantitatives) et les analyses neacutecessaires au renseignement des indicateurs

Enfin un manuel a eacuteteacute reacutedigeacute pour appuyer les eacutevaluateurs dans la reacutealisation des futures eacutevaluations intermeacutediaire et ex post (ACTeon Environnement et Geacuterard Hanus Conseil 2018c)

94 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Le ou les critegraveres drsquoeacutevaluation associeacutes agrave chaque question sont preacuteciseacutes entre parenthegraveses

1 La mesure systegraveme SHP 01 est-elle adapteacutee pour reacutepondre aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres (prairies et surfaces pastorales) et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique sur les territoires PAEC concerneacutes (Pertinence)

2 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 sur ces territoires a-t-elle permis drsquoeacuteviter lrsquointensification ou lrsquoabandon des pratiques sur les surfaces cibles Comment a-t-elle impacteacute les pratiques sur le reste de la STH Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

3 Quels sont les impacts de la mesure en matiegravere de biodiversiteacute sur les surfaces cibles (Efficaciteacute)

4 En quoi la mesure SHP 01 a-t-elle pu opeacuterer un changement de regard des agriculteurs sur ces surfaces A-t-elle eacuteteacute un levier drsquoaction pour entraicircner une reacuteflexion plus globale sur la gestion de ces surfaces au-delagrave du soutien financier Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

5 La mesure a-t-elle contribueacute agrave lrsquoeacutevolution des systegravemes drsquoexploitation vers une meilleure inteacutegration et valorisation des surfaces cibles Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute et coheacuterence externe)

6 Dans quelle mesure la SHP 01 peut-elle contribuer agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits et agrave un revenu plus eacuteleveacute Comment cela srsquoarticule-t-il avec lrsquoICHN (Efficaciteacute)

7 Dans quelle mesure lrsquoactivation de la SHP 01 a-t-elle engageacute ou renforceacute une dynamique de groupe pour la reacuteflexionformation des agriculteurs sur la theacutematique des surfaces herbagegraveres Quel rocircle a joueacute lrsquoanimation mise en œuvre pour cela (Efficaciteacute)

8 Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle contribueacute agrave une diffusion des modegraveles de productiondes pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire Dans quelle mesure la SHP 01 a-t-elle assureacute un meilleur maintien des surfaces herbagegraveres sur les territoires PAEC lrsquoayant activeacutee (Efficaciteacute)

9 Les conditions de peacuterennisation des pratiques agrave lrsquoeacutechelle du territoire sont-elles reacuteunies   Dans ce contexte une non-reconduction du soutien SHP 01 est-elle envisageable (Efficaciteacute efficience et coheacuterence externe)

10 Dans quelle mesure la SHP et les MAEC agrave enjeux localiseacutes se combinent-elles pour reacutepondre aux enjeux En quoi lrsquoactivation de la SHP peut-elle constituer un levier vers la certification en agriculture biologique (Coheacuterence externe)

Encadreacute 1 - Liste des questions eacutevaluatives ayant guideacute le travail

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 95

132 Volet 2 lrsquoeacutevaluation ex ante de la pertinence et de la coheacuterence de la SHP 01

Lrsquoeacutevaluation ex ante constitue le second volet de lrsquoeacutetude et la premiegravere eacutetape de mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif Elle a pour objectifs a) de renseigner les indicateurs de contexte et de dresser lrsquoeacutetat de reacutefeacuterence des territoires ayant ou non activeacute la SHP 01 en montagne en Rhocircne-Alpes9 b) de renseigner certains indicateurs de reacutealisation et de reacutesultat pour les anneacutees 201516 avec pour objectif drsquoeacutetudier leur eacutevolution dans les eacutevaluations futures et c) de fournir de premiers eacuteleacutements de reacuteponse agrave des questions eacutevaluatives lieacutees agrave la pertinence de cette strateacutegie drsquoactivation et agrave sa coheacuterence vis-agrave-vis de mesures preacuteexistantes (questions 1 6 et 10)

Lrsquoeacutevaluation ex ante considegravere plusieurs eacutechelles territoriales

- huit territoires de montagne de Rhocircne-Alpes et Auvergne ont ou auraient pu activer la SHP 01 (voir carte 1) Une partie des indicateurs sont donc renseigneacutes pour ces territoires ils alimenteront un eacutetat de reacutefeacuterence neacutecessaire agrave lrsquoanalyse ulteacuterieure des eacutevolutions

- certains indicateurs sont renseigneacutes agrave lrsquoeacutechelle des PAEC drsquoautres agrave lrsquoeacutechelle des Zones drsquointervention prioritaires (ZIP) deacutefinies au sein des PAEC sur lesquelles la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee10 Cela permettra drsquoanalyser des eacutevolutions lieacutees agrave la contractualisation de la SHP 01 sur les territoires ougrave elle a effectivement eacuteteacute activeacutee ainsi que de comparer ces eacutevolutions avec celles de ZIP drsquoautres PAEC dont les enjeux sont proches mais les mesures activeacutees diffeacuterentes

- une partie des indicateurs (notamment les indicateurs de reacutesultats) sont renseigneacutes seulement pour trois territoires ayant activeacute la SHP 01 appeleacutes laquo territoires-types raquo Le choix de ces territoires-types a reposeacute sur la recherche drsquoune diversiteacute de milieux et systegravemes (tableau 1) sur le niveau de contractualisation SHP 01 et la volonteacute des opeacuterateurs de participer Au final trois territoires-types ont eacuteteacute retenus les Crecircts du Haut-Jura le Beaujolais Vert eacutelargi et les Baronnies drocircmoise

9 Les territoires de plaine ne sont pas inclus dans cette eacutetude10 Ou les mesures Herbe 07 et 09 dans le cas de lrsquoArdegraveche et des Bauges

Source auteurs drsquoapregraves Reacutegion Auvergne - Rhocircne-Alpes laquo Tout savoir sur les 10 Parcs naturels reacutegionaux drsquoAuvergne-Rhocircne-Alpes raquo httpswwwauvergnerhonealpesfrdossier824-tout-savoir-sur-les-10-parcs-naturels-regionaux-d-auvergne-rhone-alpeshtm

Carte 1 - Situation geacuteographique des territoires pris en compte dans lrsquoeacutevaluation

96 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Plusieurs meacutethodes et techniques ont eacuteteacute mobiliseacutees pour mener agrave bien lrsquoeacutevaluation ex ante

- en premier lieu un atelier a eacuteteacute organiseacute avec des acteurs de diffeacuterents territoires de Rhocircne-Alpes et de profils varieacutes acteurs institutionnels chargeacutes de mission des structures opeacuteratrices techniciens agriculture ou biodiversiteacute chercheurs etc Il a permis de consolider et de valider collectivement le diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 et de discuter la pertinence de lrsquoactivation de la SHP 01 en montagne

- des informations ont eacuteteacute recueillies via les documents produits par les opeacuterateurs des PAEC (dossiers de candidatures quelques diagnostics drsquoexploitations quelques bilans) et des entretiens reacutealiseacutes avec eux

- des entretiens semi-directifs de visu ont eacuteteacute reacutealiseacutes aupregraves de 10 agriculteurs (ayant contractualiseacute la SHP 01 ou non) sur chacun des trois territoires-types pour recueillir des informations qualitatives

- un questionnaire internet transmis agrave toutes les exploitations des ZIP des huit territoires a compleacuteteacute les entretiens Il a permis de recueillir des informations qualitatives mais moins preacutecises aupregraves drsquoun plus grand nombre drsquoexploitations (93 au total)

- des donneacutees statistiques (Reacuteseau drsquoinformation comptable agricole - RICA Recensement agricole - RA) et administratives (donneacutees PAC et registre parcellaire graphique - RPG) ont eacuteteacute mobiliseacutees pour fournir des eacuteleacutements quantitatifs

- enfin un atelier de travail (focus group) a eacuteteacute meneacute sur chaque territoire-type mobilisant des acteurs experts de leur territoire (agriculteurs techniciens agriculture et biodiversiteacute chargeacutes de mission PNR etc) afin de discuter analyser collectivement et valider les enjeux du territoire ainsi que la logique drsquoimpact locale de la SHP 01

Le tableau 1 et la figure 3 donnent des preacutecisions sur la repreacutesentativiteacute de lrsquoensemble des eacutechantillons issus agrave la fois des entretiens (pour les trois territoires-types) et de lrsquoenquecircte en ligne (pour tous les territoires) Agrave noter que les entretiens ciblaient les exploitations des ZIP ougrave la SHP 01 a eacuteteacute activeacutee notamment celles ayant contractualiseacute la SHP 01 drsquoougrave des taux de couverture eacuteleveacutes Lrsquoenquecircte en ligne srsquoadressait agrave tous les exploitants des ZIP dans lesquelles soit la SHP 01 soit Herbe 07 ou 09 avait eacuteteacute activeacutee (peu importe la production lrsquoeacuteligibiliteacute aux mesures et les mesures contractualiseacutees) La derniegravere colonne compare le taux moyen de surfaces en herbe et de surfaces pastorales des exploitations agrave celui de lrsquoensemble du PAEC (voir figure 3)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 97

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les donneacutees preacutesenteacutees montrent pour le Haut-Jura la part de STH de surfaces pastorales et de surfaces en herbe dans les exploitations enquecircteacutees (soit uniquement par entretien en brun soit par entretien et par enquecircte internet en orange) et sur lrsquoensemble du PAEC Source auteurs volet 2 du rapport final p13

Figure 3 - Repreacutesentativiteacute de lrsquoeacutechantillon Haut-Jura (entretiens et lrsquoenquecircte en ligne)

Tableau 1 - Repreacutesentativiteacute des eacutechantillons pour les entretiens et lrsquoenquecircte en ligne

2 Contexte et enjeux des systegravemes herbagers et pastoraux dans les territoires de montagne de Rhocircne-Alpes

21 Une diversiteacute de contextes et drsquoenjeux

Si les eacutelevages de montagne des huit territoires rhocircne-alpins eacutetudieacutes srsquoappuient tous sur la valorisation des surfaces herbagegraveres et pastorales ils reposent sur une varieacuteteacute de milieux et de systegravemes de production Un atelier de travail inter-territoires a permis drsquoen construire une typologie (tableau 2) Cinq grands types de systegravemes ont eacuteteacute identifieacutes Trois territoires-types ont ensuite eacuteteacute seacutelectionneacutes pour mener des analyses approfondies Ils illustrent une diversiteacute de milieuxsystegravemes et de contextes historiques territoriaux (tableau 3)

Nombre total

dexploitations enquecircteacutees

Taux de couverture des exploitations

avec un icirclot sur une ZIP SHP 01 ou

Herbe 0709

Nombre dexploitations

enquecircteacutees avec SHP 01

Taux de couverture des contrats SHP

01

Repreacutesentativiteacute du taux de surfaces en herbe et pastorales

du PAEC

Baronnies 15 6 7 100

Beaujolais Vert 15 2 10 9

Haut-Jura 14 23 4 100

Chartreuse 8 5 0 0

Pilat 17 3 2 4

Vercors 4 2 1 0

Bauges 7 6 0 Monts

dArdegraveche 13 1 0

Source auteurs volet 2 du rapport final p13Lecture les cases les plus fonceacutees indiquent une plus forte repreacutesentativiteacute

98 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sur ces trois territoires les systegravemes fourragers reposent principalement sur les surfaces en herbe (stocks pour lrsquohiver et pacircturage) Lrsquoeacutelevage qui se maintient difficilement dans ces reacutegions les milieux et la biodiversiteacute font face agrave des risques de fermeture et agrave des logiques drsquointensification des pratiques

Tableau 2 - Typologie simplifieacutee des territoires milieux et systegravemes de montagne en Rhocircne-Alpes

TypeSystegravemes pastoraux

meacutediterraneacuteens speacutecialiseacutes

Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP

Systegravemes herbagers non

AOPIGP

Systegravemesherbeceacutereacuteales

Exemples de territoires Ardegraveche (pentes) Baronnies Sud Vercors

Haut-Jura Pilat Chartreuse Vercors Ardegraveche (montagne) Forez

Beaujolais Vert Pilat Haut Lignon Forez

Pilat Beaujolais Vert

Milieux

Surfaces embroussailleacutees bois landes parcours Pelouses segraveches Estives

Prairies permanentes et temporairesZones humides

Checircnaies et chacirctaigneraies(+ vergers) pacirctureacutes Estives alpages Ceacutereacuteales

Systegravemes Systegravemes extensifs ovinscaprins

Systegravemes diversifieacutes ovins+ activiteacute compleacutementaire

Bovins lait AOPIP ou allaitants

Bovins lait standard ou allaitants

Source auteurs extrait du volet 2 du rapport final p 45

Tableau 3 - Surfaces et systegravemes des trois territoires-types

Type Systegravemes pastoraux meacutediterraneacuteens diversifieacutes Systegravemes herbagers AOPIGP Systegravemes

herbeceacutereacuteales

Composition de la SAUGrandes culturesFourrages

Estives landes

Prairies permanentes

Prairies temporaires

Vergers

Vignes

Autres productions veacutegeacutetales

Systegravemes drsquoeacutelevage majoritaires

Eacutelevages bov ins herbagers laitiers mixtes allaitants parfois coupleacutes agrave de l rsquoeacutelevage caprin fromager ou agrave des productions veacutegeacutetales (vignes arboriculture)

Eacutelevages bovins lait herbagers valorisation sous AOP ou IGP 90 de prairies permanentes dans les surfaces en herbe

Systegravemes pastoraux ovins viande speacutecialiseacutes ou diversifieacutes (lavande noyers checircnes truffiers chegravevres tourisme) bovins (secteur de Lachau)

Perception de la biodiversiteacute

Un lien reconnu entre diversiteacute floristique et qualiteacute du fourrage donc du lait mais peu drsquointeacuterecircttemps pour lrsquoapprofondir

Des eacuteleveurs srsquointeacuteressent agrave la composition des prairies naturelles et mentionnent un inteacuterecirct pour lrsquoappeacutetence la qualiteacute et le goucirct du lait et des fromages le rendement cela influence peu les modes de gestion

La diversiteacute floristique des prairies (p reacutesence de leacutegumineuses notamment) est reconnue comme inteacuteressante pour la qualiteacute du foin et lrsquoeacutequilibre des rations et teacutemoin drsquoun travail laquo bien fait raquo

Sources RPG 2016 entretiens avec des agriculteurs et des acteurs des territoires extrait du volet 2 du rapport final p 19-30

78

8

11 1 1

1

54

1 1

44 65

8

1

8 6

5 3 4

Le travail meneacute sur les territoires-types met en eacutevidence un risque drsquoabandon des surfaces difficiles drsquoaccegraves difficiles drsquoutilisation ou peu productives entraicircnant une fermeture du milieu une perte de biodiversiteacute et de fonctionnaliteacute une modification des paysages Le risque drsquointensification de lrsquoutilisation des prairies permanentes existe sur certaines zones du Beaujolais Vert mais est plus marginal sur les autres territoires montagnards de Rhocircne-Alpes Sur certains territoires comme les Baronnies et le Beaujolais Vert eacutelargi lrsquoeacutelevage pastoral dans le premier territoire laitier geacuteneacuterique ou allaitant dans le second demeure relativement fragile Lrsquoenjeu drsquoun deacuteveloppement eacuteconomique srsquoappuyant agrave la fois sur lrsquoagriculture et le tourisme (donc le paysage) est preacutesent sur les trois territoires

1

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 99

La diversiteacute des territoires concerne aussi leurs dynamiques de projet Ainsi alors que le Pilat et le Haut-Jura sont engageacutes historiquement dans des deacutemarches agro-environnementales et ont deacuteveloppeacute une animation speacutecifique les Baronnies provenccedilales Parc naturel reacutegional (PNR) reacutecent et le Beaujolais Vert cherchent agrave initier ce changement

22 Speacutecificiteacute et eacutevolution de la strateacutegie reacutegionale de Rhocircne-Alpes

Pour mieux faire ressortir les particulariteacutes de la reacutegion eacutetudieacutee les strateacutegies agro-environnementales et les objectifs des Programmes reacutegionaux de deacuteveloppement rural (PDRR) de Rhocircne-Alpes et drsquoAuvergne ont eacuteteacute compareacutes (tableau 4)11 En Rhocircne-Alpes le PDR est orienteacute vers le soutien agrave lrsquoeacuteconomie agricole et aux productions geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes positives pour lrsquoenvironnement Les laquo objets raquo consideacutereacutes par les MAEC sont les systegravemes drsquoexploitation et les pratiques dont lrsquoorientation doit permettre de geacuteneacuterer des externaliteacutes positives Les MAEC reacutepondent aux besoins drsquoadaptation des systegravemes de preacuteservation des espaces agricoles de deacuteveloppement de modes de production speacutecifiques et creacuteateurs drsquoexternaliteacutes positives

En Auvergne le PDRR affiche des objectifs de diffeacuterenciation qualitative des produits en plus du soutien agrave la compeacutetitiviteacute des systegravemes de montagne En lien avec cet objectif les MAEC portent directement sur la preacuteservation de lrsquoenvironnement plutocirct que sur la fourniture drsquoexternaliteacutes par les productions agricoles Les laquo objets raquo des MAEC sont lrsquoenvironnement (eau biodiversiteacute sols) et les surfaces en herbe mais pas les systegravemes agricoles

Ces eacuteleacutements se reflegravetent dans la deacutefinition des Zones drsquoaction prioritaire (ZAP) si en Auvergne les trois ZAP portent sur des enjeux environnementaux (eau biodiversiteacute et seacutequestration du carbone) en Rhocircne-Alpes une ZAP laquo systegravemes herbagers raquo est deacutefinie

La MAEC SHP 01 nrsquoa initialement pas eacuteteacute ouverte sur tout le territoire reacutegional et les anciennes reacutegions Auvergne et Rhocircne-Alpes ont fait leurs choix de maniegraveres diffeacuterentes (figure 4)

Comme lrsquoillustre la figure 4 en Rhocircne-Alpes la strateacutegie initiale drsquoactivation de la SHP 01 en zone de plaine

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de soutien aux systegravemes herbagers majoritaires sur le territoire dans un contexte de disparition de la Prime herbagegravere agro-environnementale (PHAE) Cela srsquoest traduit par la deacutefinition drsquoune ZAP laquo systegravemes herbagers raquo

- Inteacutegrait un souci de maicirctrise budgeacutetaire qui impliquait lrsquoactivation de la SHP 01 uniquement en plaine ougrave les systegravemes ne beacuteneacuteficient pas de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicap naturel (ICHN) revaloriseacutee12

- Contribuait agrave reacutepondre agrave lrsquoobjectif de durabiliteacute agro-eacutecologique des zones herbagegraveres en cherchant en particulier agrave limiter lrsquointensification risque plus marqueacute en plaine qursquoen montagne Toutefois les territoires du Beaujolais Vert eacutelargi et les Parcs naturels reacutegionaux (PNR) ont par la suite plaideacute en faveur de lrsquoouverture de la SHP 01 en montagne arguant que la mesure ne reacutepondait pas aux mecircmes objectifs que lrsquoICHN mais agrave drsquoautres enjeux rencontreacutes en montagne Elle a donc eacuteteacute ouverte agrave titre exploratoire et agrave budget constant sur ces territoires en 2015

11 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201812 En 2014 et 2015 lrsquoICHN perccedilue par les exploitations de montagne pieacutemont et zone deacutefavoriseacutee simple a eacuteteacute revaloriseacutee pour compenser lrsquoarrecirct de la PHAE

100 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 4 - Comparaison des strateacutegies agro-environnementales reacutegionales et indicateurs cleacutes

Type Rhocircne-Alpes Auvergne

Finaliteacute du PDRMaintenir et si possible deacutevelopper les potentiels productifs lieacutes agrave lrsquoagriculture et agrave la forecirct et les orienter de maniegravere agrave maximiser leurs externaliteacutes positives

Poursuite de la dif feacuterenciation qualitative du territoire geacuteneacuteratrice drsquoemploi de valeur ajouteacutee et drsquoattractiviteacute

Objectifs strateacutegiques du PDR

1 Satisfaire les besoins fondamentaux de lrsquoagriculture

2 Assurer la viabi l i teacute eacuteconomique de lrsquoagriculture et de la sylviculture

3 Faire beacuteneacuteficier les territoires de lrsquoimpact eacuteconomique de l rsquoagr i cu l tu re e t de la sylviculture

4 Maximiser leurs externaliteacutes positives sur les territoires

1 Accentuer la diffeacuterenciation qualitative des produits et des services en vue drsquoune meilleure valorisation eacuteconomique creacuteatrice de valeur ajouteacutee et drsquoemploi

2 Accompagner les changements de pratiques par lrsquoinnovation et la mobilisation des connaissances et des acquis de la recherche

3 Reacuteduire les diffeacuterentiels de compeacutetitiviteacute entre la plaine et les zones deacutefavoriseacutees

Zones drsquoaction prioritaires

- Maintenir les systegravemes agr icoles (qui ent ret iennent des ter r i to i res ouver ts favorables agrave la biodiversiteacute et aux paysages ainsi qursquoagrave la maitrise des risques concourent au stockage de carbone agrave la l imitation de lrsquousage drsquointrants et agrave la captation des polluants par ef fet tampon favorisent la permeacuteabiliteacute des espaces agrave la biodiversiteacute valorisent les eacutecosystegravemes vivants dans lrsquoacte de production) lorsqursquoils sont menaceacutes de disparition

- Construire des pratiques culturales favorables aux biens environnementaux

- Preacuteserver la biodiversiteacute ordinaire menaceacutee drsquoeacuterosion- Ameacuteliorer ou maintenir la qualiteacute de lrsquoeau- Maintenir ou eacutetendre les surfaces en herbe afin de deacutevelopper les systegravemes mixtes polyculture-eacutelevage et drsquoameacuteliorer lrsquoautonomie des exploitations- Preacuteserver la qualiteacute des sols

Objectifs des MAE et enjeux prioritaires

- Eau- Surfaces speacutecifiquement identifieacutees pour la preacuteservation de la biodiversiteacute- Zonages des speacutecificiteacutes reacutegionales des systegravemes herbagers

- Eau- Biodiversiteacute-Seacutequestration du carbone

Source PDRR des ex-reacutegions Rhocircne-Alpes et Auvergne traitement Acteacuteon volet 1 du rapport final p 9-10

Figure 4 - Logiques drsquoaction et strateacutegies initiales drsquoactivation de la SHP 01 en Rhocircne-Alpes et en Auvergne

Sources PDRR et documents annexes entretiens volet 1 du rapport final page 13

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 101

Lrsquoouverture de la SHP 01 agrave certaines zones de montagne de Rhocircne-Alpes traduit donc une eacutevolution de la logique drsquoimpact de la SHP 01 dans cette reacutegion

- la SHP 01 ne vise plus seulement agrave limiter lrsquointensification mais aussi la deacuteprise (parcelles difficiles agrave entretenir en montagne)

- lrsquoICHN seule nrsquoest plus perccedilue comme permettant de garantir le maintien et lrsquoeacutequilibre agro-eacutecologique des couverts permanents

- le caractegravere de mesure laquo systegraveme raquo peut mener agrave lrsquointeacutegration structurelle et fonctionnelle des surfaces en herbe dans les systegravemes et donc permettre la peacuterennisation des pratiques

- lrsquoouverture sur les PNR contribue au deacuteveloppement de dynamiques agro-eacutecologiques plus larges favoriseacutees par des deacutemarches territoriales deacutejagrave existantes

En Auvergne la strateacutegie portait plus clairement degraves le deacutepart sur des objectifs environnementaux a) seacutequestration du carbone en limitant le retournement des prairies et en maintenant les surfaces en herbe et b) maintien de la qualiteacute eacutecologique des prairies La mesure SHP 01 a donc eacuteteacute ouverte au sein des ZAP laquo Biodiversiteacute raquo et laquo Seacutequestration carbone raquo (deacutefinie sur la base du taux de retournement des prairies) qursquoelles soient en plaine ou en montagne Agrave noter que le risque drsquointensification des pratiques en zone de montagne est plus eacutevident en Auvergne qursquoen Rhocircne-Alpes avec davantage de parcelles meacutecanisables (moins de pentes)

23 Une diversiteacute de strateacutegies territoriales drsquoactivation de la SHP 01

Sur les huit territoires de Rhocircne-Alpes concerneacutes13 six ont choisi drsquoactiver la SHP 01 en remplacement drsquoun ensemble de MAEC agrave enjeux localiseacutes tout en conservant une articulation avec drsquoautres MAEC permettant de reacutepondre agrave des enjeux particuliers (exemple des MAEC zones humides sur le Beaujolais Vert eacutelargi) Deux territoires (les Bauges et les Pentes et montagnes drsquoArdegraveche) ont choisi de ne pas lrsquoactiver et de conserver des MAEC agrave enjeux localiseacutes inteacutegrant les engagements unitaires Herbe 07 et Herbe 09 semblables agrave ceux imposeacutes sur les surfaces cibles dans le cas de la SHP 0114 Ces choix sont lieacutes agrave plusieurs facteurs analyse de lrsquoadaptation des mesures aux enjeux des territoires (eacutevolution ou maintien des pratiques eacutechelle du systegraveme ou gestion cibleacutee etc) mais aussi importance des zones drsquoeacuteligibiliteacute aux mesures (comme Natura 2000) contraintes budgeacutetaires et processus drsquoeacutevolution du dispositif reacutegional Les objectifs de contractualisation ont aussi varieacute selon les territoires Le tableau 5 reacutesume pour chaque territoire de Rhocircne-Alpes et deux territoires drsquoAuvergne les systegravemes preacutesents les risques identifieacutes par les opeacuterateurs ainsi que les strateacutegies mises en œuvre via les PAEC pour y reacutepondre (budgets zonages mesures mobiliseacutees dont SHP 01 animation)

13 Sur ce sujet voir aussi Panarin et al 201814 Les MAEC agrave enjeux localiseacutes sont contractualiseacutees sur des parcelles de lrsquoexploitation concerneacutees par des enjeux speacutecifiques (on parle aussi de laquo mesures parcellaires raquo) La SHP 01 en revanche engage toute lrsquoexploitation (mesure systegraveme) mecircme si certains engagements ne concernent que les laquo surfaces cibles raquo

102 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Sources entretiens avec les acteurs des territoires candidatures PAEC et documents annexes volet 1 du rapport final pp19-20

15 C

umul

impo

ssib

le e

ntre

SH

P 0

1 et

Her

be 0

7 c

umul

pos

sibl

e en

tre S

HP

01

et H

erbe

09

en z

one

Nat

ura

2000

ou

DFC

I uni

quem

ent

16

En

2017

ouv

ertu

re d

e la

SH

P 0

1 po

ur le

s laquo

zone

s so

us fo

rte

cont

rain

te raquo

Tabl

eau

5 - C

ompa

rais

on d

es s

trat

eacutegie

s te

rrito

riale

s drsquo

activ

atio

n de

la M

AE

SHP

01 (a

nneacutee

201

6)R

eacutegio

nR

hocircne

-Alp

esA

uver

gne

PAE

CC

recirct d

u H

aut J

ura

Pila

tB

eauj

olai

s Ve

rt eacute

larg

iC

hart

reus

eVe

rcor

sB

aron

nies

dr

ocircmoi

ses

Pen

tes

et m

onta

gnes

ar

deacutech

oise

sG

orge

s de

la T

ruyegrave

reA

lagn

on

Opeacute

rate

urP

NR

PN

RC

omm

unau

teacutedrsquo

ggl

omeacuter

atio

nP

NR

PN

RP

NR

PN

RC

omm

unau

teacute d

e co

mm

unes

Syn

dica

t de

riviegrave

re

Mili

eu e

t sys

tegravem

es

Eacutele

vage

laiti

er

herb

ager

(AO

P B

leu

de G

ex)

alp

ages

ave

c tra

nshu

man

ce

Eacutele

vage

div

ersi

fieacute

Pel

ouse

s segrave

ches

et

prai

ries

drsquoal

titud

e

Sys

tegravem

es h

erba

gers

bo

vins

lait

geacuteneacute

rique

et

alla

itant

s (o

vins

ca

prin

s)

Bov

ins

lait

et v

iand

e he

rbag

ers

alp

ages

Pol

ycul

ture

-eacutele

vage

bo

vins

(ov

ins

capr

ins)

A

lpag

es p

elou

ses

pr

airie

s

Eacutele

vage

pas

tora

l ov

in e

xplo

itatio

ns

dive

rsifi

eacutees

(arb

oric

ultu

re

vitic

ultu

re +

ovi

ns)

Eacutele

vage

pas

tora

l ovi

n av

ec c

hacircta

igne

s

bovi

ns a

llaita

nts

sur

le p

late

au

Eacutele

vage

he

rbag

er

bovi

ns

alla

itant

s(qu

elqu

es

mix

tes

laiti

ers)

peu

drsquo

ovin

s

Eacutele

vage

her

bage

r ex

tens

if l

aitie

rs

(Mar

gerid

e) e

t al

laita

nts

(Ceacutez

allie

r)

Ris

ques

pou

r les

cou

vert

s pe

rman

ents

Inte

nsifi

catio

n de

s pa

rcel

les

meacutec

anis

able

s (p

erte

de

la q

ualit

eacute eacutec

olog

ique

des

pra

iries

) com

bineacute

e agrave

lrsquoaba

ndon

des

zon

es n

on

meacutec

anis

able

s =gt

enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Enf

riche

men

t fe

rmet

ure

du m

ilieu

et p

erte

de

biod

iver

siteacute

et d

rsquohab

itats

Art

ifici

alis

atio

n du

pi

eacutemon

t D

eacutepris

e de

lrsquoa

ctiv

iteacute p

asto

rale

la

itiegraver

e

Aba

ndon

des

pel

ouse

s segrave

ches

et a

lpag

es

diffi

cile

s agrave

expl

oite

rLi

gnifi

catio

n

Deacutep

rise

past

oral

e P

erte

drsquoh

abita

ts

drsquooi

seau

x

Ges

tion

non

optim

iseacutee

des

la

ndes

pel

ouse

s

deacutepr

ise

dans

les

pent

esLi

gnifi

catio

n de

s zo

nes

hum

ides

Bai

sse

de lrsquo

entre

tien

des

pent

es

Inte

nsifi

catio

n de

s pl

atea

ux

Ret

ourn

emen

t de

prai

ries

natu

relle

s et

deacute

velo

ppem

ent d

u m

aiumls

en M

arge

ride

ni

trate

s (e

au)

Mon

tant

PA

EC

not

ifieacute

2015

-201

7 (euro

)1

575

502

1 57

0 98

72

813

356

1 60

0 98

13

376

647

1 50

7 05

94

511

753

NC

NC

Stra

teacutegi

e du

PA

EC

Mai

ntie

n de

la

gest

ion

des

estiv

es

peacutere

nnis

atio

n drsquo

une

agric

ultu

re d

e va

lleacutee

prod

uctr

ice

drsquoam

eacuteniteacute

s en

viro

nnem

enta

les

eacutec

onom

ique

men

t et

soc

iale

men

t pe

rfor

man

te

Deacutev

elop

pem

ent

de lrsquo

agro

-eacuteco

logi

e et

de

lrsquoagr

icul

ture

bi

olog

ique

aj

uste

men

t de

s pr

atiq

ues

pour

preacute

serv

er la

bi

odiv

ersi

teacute l

a qu

aliteacute

de

lrsquoea

u et

les

tram

es

vert

es e

t ble

ue

Reacutefl

exio

n sy

steacutem

ique

su

r les

exp

loita

tions

dy

nam

ique

col

lect

ive

so

utie

n eacutec

onom

ique

agrave

lrsquoeacutele

vage

Preacute

serv

atio

n de

s zo

nes

hum

ides

Acc

ompa

gnem

ent d

es

dyna

miq

ues

agro

-en

viro

nnem

enta

les

en

lien

avec

les

proj

ets

de te

rrito

ire p

orteacute

s pa

r le

Par

c

Mai

ntie

n de

s su

rfac

es

herb

agegraver

es s

ur le

s zo

nes

diffi

cile

s d

e la

bio

dive

rsiteacute

des

ha

bita

ts l

utte

con

tre

la fe

rmet

ure

via

le

past

oral

ism

e

Un

1er P

AE

C tr

egraves

agric

ole

past

oral

Le

2nd

integrave

gre

les

enje

ux b

iodi

vers

iteacute

Nat

ura

2000

eau

Mai

ntie

n de

s m

ilieu

x ou

vert

s (g

estio

n ad

apteacute

e)

des

couv

erts

sur

la

zon

e laquo

eau

raquo

de la

bio

dive

rsiteacute

co

mm

e ve

cteu

r de

vale

ur a

jout

eacutee d

e lrsquoa

uton

omie

Con

serv

atio

n de

s pr

airie

s di

vers

ifieacutee

s

y co

mpr

is p

our

accu

eilli

r les

ois

eaux

en

lutta

nt c

ontre

lrsquoe

mbr

ouss

aille

men

t et

lrsquoin

tens

ifica

tion

di

spar

ition

des

hai

es

Prio

riteacute

aux

enje

ux

eau

(SA

GE

en

eacutelab

orat

ion

+ co

ntra

t ter

ritor

ial)

zo

nes

hum

ides

et

biod

iver

siteacute

(N20

00)

Nom

bre

et ty

pes

de Z

IP

(zon

es d

rsquointe

rven

tion

prio

ritai

res)

3 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

2 B

iodi

vers

iteacute2

Cou

vert

s pe

rman

ents

et z

ones

hu

mid

es

5 B

iodi

vers

iteacute p

ar ty

pe

de m

ilieu

+ N

2000

et

Teacutetra

s L

5 B

iodi

vers

iteacute a

lpag

es

ou n

on N

2000

ou

non

4 B

iodi

vers

iteacute

N20

00 o

u no

n e

au

3 B

iodi

vers

iteacute d

ont

land

esp

arco

urs

et

prai

ries

de fa

uche

1 B

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

3 E

au z

ones

hu

mid

es b

iodi

vers

iteacute

(N20

00)

Mes

ures

act

iveacutee

s da

ns

les

ZIP

bio

dive

rsiteacute

hor

s su

rfac

es c

olle

ctiv

es15

SH

P 01

Her

be 0

9 po

ur le

s ex

ploi

tatio

ns s

itueacutee

s en

de

hors

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes

(don

t Her

be 0

7 et

09)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

+ S

HP

01

Hor

s zo

nes

hum

ides

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en z

one

hum

ide

et N

2000

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(d

ont H

erbe

07

et 0

9) +

S

HP

01

en N

2000

SH

P 0

1+

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t H

erbe

09)

en

N20

00

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

(don

t Her

be

07 e

t 09)

16

SH

P 0

1M

AE

C e

njeu

x lo

calis

eacutes (d

ont H

erbe

07

)

MA

EC

enj

eux

loca

liseacutes

Zone

s co

ncer

neacutees

par

S

HP

01

Tout

le te

rrito

ireTo

ut le

terr

itoire

Tout

le te

rrito

ireN

2000

et z

ones

hu

mid

es

N20

00 e

t zon

es d

e co

heacutere

nce

agro

-en

viro

nnem

enta

le

Zone

s agrave

enje

ux d

e bi

odiv

ersi

teacute e

n et

ho

rs N

2000

Auc

une

Tout

le te

rrito

ireE

au e

t zon

es

hum

ides

Bud

get S

HP

01

(euro) n

otifi

eacute 20

15-2

017

(Fea

der +

co

ntre

part

ie n

atio

nale

)17

1 35

438

7 05

02

585

000

47 2

7564

072

128

354

0N

CN

C

Nom

bre

de c

ontra

ts S

HP

015

5711

00

17

0N

CN

C

Ani

mat

ion

et

acco

mpa

gnem

ent p

reacutevu

sD

iagn

ostic

s

acco

mpa

gnem

ent

tech

niqu

e fo

rmat

ion

pl

an d

e pr

ogregrave

s ag

ro-

eacutecol

ogiq

ue

Com

mun

icat

ion

reacute

unio

ns p

ubliq

ues

di

agno

stic

s fo

rmat

ions

Form

atio

n ob

ligat

oire

et

aut

o-di

agno

stic

s

Jour

neacutees

theacutem

atiq

ues

et

deacutem

onst

ratio

n

Dia

gnos

tic o

blig

atoi

re

pour

SH

P 01

fo

rmat

ion

et a

ccom

pagn

emen

t in

divi

duel

Dia

gnos

tic d

e ge

stio

n pa

stor

ale

prop

oseacute

Dia

gnos

tics

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ob

ligat

oire

s po

ur u

ne

MA

EC e

njeu

loca

liseacute

Fo

rmat

ions

Reacuteu

nion

s drsquo

info

rmat

ion

D

iagn

ostic

s ag

ricol

es

et z

ones

hum

ides

fo

rmat

ions

et j

ourn

eacutees

de d

eacutemon

stra

tion

dans

le c

adre

du

cont

rat t

errit

oria

l

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 103

3 La SHP 01 une mesure pertinente pour les zones de montagne en Rhocircne-Alpes

31 Effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sur les trois territoires-types

Sur les trois territoires-types lrsquoactivation et la contractualisation de la SHP 01 visent des effets agrave lrsquoeacutechelle des couverts permanents et des surfaces cibles (SC) limitation de la fermeture du milieu et preacuteservation drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques des milieux ouverts naturels Elles visent aussi des effets agrave lrsquoeacutechelle des exploitations (contribution au revenu) et agrave celle du territoire (contribution au projet agro-eacutecologique de territoire maintien de lrsquoeacutelevage preacuteservation du paysage)

Ces effets attendus sont preacutesenteacutes dans le tableau 6 Agrave lrsquoeacutechelle des surfaces lrsquoentretien de la STH et le maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles sont pressentis dans les trois territoires Toutefois dans le Beaujolais Vert un recours plus freacutequent au non-labour et lrsquoarrecirct de lrsquoutilisation des produits phytosanitaires sont aussi anticipeacutes Agrave lrsquoeacutechelle des exploitations un soutien au revenu et donc au maintien de lrsquoactiviteacute est attendu dans le Beaujolais Vert et les Baronnies mais pas dans le Haut-Jura Dans les Baronnies la SHP est perccedilue comme un moyen de compenser la baisse des aides (lieacutee notamment agrave la proratisation) Enfin les acteurs des trois territoires pensent que la SHP favorisera lrsquoeacutemergence de deacutemarches collectives Pour le Beaujolais Vert et les Baronnies cela contribuerait agrave la mise en place drsquoune dynamique agro-environnementale nouvelle tandis que sur le Haut-Jura ces deacutemarches sont vues comme un moyen drsquoameacuteliorer la qualiteacute des produits et la gestion des systegravemes drsquoexploitation (ex autonomie)

Les diagrammes logiques drsquoimpact construits pour chaque territoire illustrent ces speacutecificiteacutes (la figure 5 donne un exemple pour le Beaujolais Vert)

32 Reacuteponse de la SHP 01 aux enjeux de maintien des surfaces herbagegraveres et de preacuteservation de leur eacutequilibre eacutecologique

321 Pertinence de la mesure

Lrsquoanalyse de la pertinence de la mesure passe par le rapprochement des risques appreacutehendeacutes sur les territoires avec les effets attendus de la SHP 01 (illustration pour les Baronnies en tableau 7)

Cette analyse reacutealiseacutee pour les trois territoires-types montre que la SHP 01 propose des reacuteponses adapteacutees aux risques identifieacutes sur les territoires de montagne en Rhocircne-Alpes (fermeture des milieux et intensification des pratiques sur les prairies permanentes) et contribue ainsi au maintien des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique sur ces territoires La figure 6 preacutesente le diagramme logique drsquoimpact global construit agrave partir des analyses meneacutees sur les trois territoires-types

Lrsquoeffet attendu de la contractualisation de la SHP 01 sur le maintien des surfaces herbagegraveres et pastorales est particuliegraverement clair lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH de lrsquoexploitation garantit la poursuite de lrsquoentretien des surfaces menaceacutees drsquoabandon drsquoembroussaillement et de fermeture risque aveacutereacute sur lrsquoensemble des territoires pour des

104 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 6 - Comparaison des effets attendus de la SHP 01 sur les trois territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Effets directs attendus agrave lrsquoeacutechelle des exploitations

Surfaces

A r r ecirc t d e l rsquou t i l i s a t i o n d e s p r o d u i t s phytosanitaires sous les clocirctures X

Compensation des coucircts drsquoentretien hausse de la rentabiliteacute des parcelles X

Utilisation et entretien meacutecanique des surfaces difficiles drsquoaccegraves et dutilisation X X X

Maintien de pratiques extensives sur les surfaces cibles X X X

Non labour X

Exploitations

Compensation partielle de la baisse des aides

X

Contribution au revenu X X

Reconnaissance du temps investi X

Reacuteflexion systeacutemique - gestion diffeacuterencieacutee des surfaces

X

Territoire

Contractualisation large X

Deacutemarches collectives X X X

Reconnaissance du rocircle de lagriculture pour le territoire X X

Effets plus geacuteneacuteraux attendus

Surfaces

Limitation de la fermeture du milieu X X X

Preacuteservation de la biodiversiteacute des surfaces cibles X X X

Preacuteservation de la fonctionnaliteacute des milieux humides X X

ExploitationsMaintien de lrsquoactiviteacute X X

Ameacutelioration de lrsquoautonomie X

Territoire

Visibiliteacute de la politique locale de soutien agrave lagriculture X

Mise en place dune dynamique agro-environnementale nouvelle X X

Qualiteacute et valorisation des produits X

Maintien de lrsquoeacutelevage pastoral X

Source auteurs volet 2 du rapport final p55-56

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 105

Figure 5 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 pour le Beaujolais Vert eacutelargi

Lecture la case entoureacutee de pointilleacutes correspond agrave un effet non souhaiteacuteSource atelier sur le territoire sur la base des informations recueillies volet 2 du rapport final p47

surfaces eacuteloigneacutees difficiles drsquoutilisation ou peu productives Les surfaces concerneacutees peuvent ecirctre des parcours des prairies permanentes des zones humides etc Agrave noter que dans le cas de la MAEC SHP 01 lrsquoapplication de la regravegle du prorata17 pour le calcul des aides PAC agit dans le sens inverse agrave cette logique elle peut freiner la contractualisation de la SHP 01 par des systegravemes pastoraux ou conduire agrave lrsquoabandon de lrsquoutilisation de certains parcours lors de la transmission Agrave lrsquoeacutechelle territoriale le maintien des surfaces herbagegraveres ou pastorales deacutepend du niveau de contractualisation Ainsi respectivement 28 6 et 23 de la STH des zones drsquointervention prioritaires concerneacutees par la SHP 01 sur le Beaujolais Vert le Haut-Jura et les Baronnies sont engageacutes

Lrsquoengagement de maintenir lrsquoensemble de la STH empecircche par ailleurs le retournement des prairies permanentes Ce risque plus localiseacute dans les Alpes existe aussi dans certains territoires comme le Beaujolais Vert et reste encore tregraves preacutesent sur le Massif central (Margeride Forez Monts drsquoArdegraveche par exemple) Sur le Beaujolais Vert eacutelargi peu de prairies permanentes sont laquo encore labourables raquo mais certaines ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et on trouve de nombreuses zones humides labourables

17 La regravegle du prorata consiste agrave calculer pour chaque laquo zone de densiteacute homogegravene raquo drsquoune exploitation le taux de recouvrement au sol par des eacuteleacutements non admissibles (affleurements rocheux eacuteboulis litiegravere buissons non adapteacutes au pacircturage etc) Cela amegravene agrave reacuteduire la surface admissible aux aides

106 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Tableau 7 - Analyse de la pertinence sur les Baronnies drocircmoises contribution de la SHP 01 agrave la reacuteponse aux enjeux

Enjeux (1er niveau) Contribution de la SHP 01 pour y reacutepondre Remarques

Abandon de lrsquoutilisation des pa rc our s eacute lo i gneacutes laquo peu productifs raquo des zones tampons

Engagement au maintien de toute la STH traces de passage absence de deacutegradation et de surpacircturage =gt entretien des parcours menaceacutes dabandon

Obligations de reacutesultats sur les 50 de STH en surfaces cibles (SC) + maintien drsquoun pacircturage minimum et drsquoune gestion adapteacutee des parcours

Les SC sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) lrsquoanimation vise agrave cibler les surfaces agrave fort enjeu eacutecologique

La preacutedation par le loup pourrait amener agrave abandonner ces parcours malgreacute tout

Intensification des pratiques sur les prairies permanentes irrigueacutees

Obligations de reacutesultats sur les prairies permanentes irrigueacutees choisies comme SC (plantes indicatrices) =gt maintien drsquoune gestion adapteacutee des prairies

Ces prairies irrigueacutees sont souvent choisies comme SC par les exploitations qui en ont

Eacutevolution du systegraveme vers plusuniquement des productions veacutegeacutetales deacuteprise de lrsquoactiviteacute pastorale

M o n t a n t ( 1 2 5 9 0 euro ) = gt compensation partielle de la baisse perccedilue des aides (lieacutee au prorata) etou contribution au revenu

Environ 19 des aides 2015 et 27 du revenuLe critegravere 70 de surfaces en herbe peut ecirctre excluant pour les petites exploitations drsquoeacutelevage diversifieacutees La preacutedation par le loup constitue un frein agrave la contractualisation car elle peut conduire agrave abandonner des parcours eacuteloigneacutes Une pression de preacutedation trop forte pourrait amener agrave abandonner le pastoralisme malgreacute tout

In i t iat ion d rsquoune dynamique a g r o - e nv i r o n n e m e n t a l e affirmation du rocircle du PNR

Reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcoursAnimation =gt eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs

Le portage par le Parc constitue un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs donc agrave la contractualisation

Source auteurs volet 2 du rapport final page 52

Lrsquoeffet attendu sur lrsquoeacutequilibre eacutecologique est plus complexe Agrave lrsquoeacutechelle parcellaire les reacutesultats sur les surfaces cibles sont des indicateurs directs (diversiteacute floristique des prairies) ou indirects (taux de raclage des parcours) drsquoune diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques du milieu lieacutee au maintien de pratiques adapteacutees deacutejagrave mises en œuvre par les exploitants sur ces surfaces La mesure est donc pleinement adapteacutee agrave lrsquoenjeu de preacuteservation de lrsquoeacutetat eacutecologique des surfaces cibles comme le sont aussi les mesures parcellaires Herbe 07 et 09 Si lrsquoon considegravere que lrsquoenjeu de preacuteservation est drsquoautant plus fort que le risque de deacutegradation de lrsquoeacutequilibre eacutecologique est marqueacute cette conclusion doit ecirctre nuanceacutee selon les modaliteacutes de choix des surfaces cibles Sur le Beaujolais Vert eacutelargi on constate que les surfaces cibles choisies sont souvent celles qui preacutesentent le plus de fleurs en geacuteneacuteral des surfaces non meacutecanisables et relativement peu menaceacutees drsquointensification Sur les Baronnies drocircmoises les surfaces cibles sont drsquoabord les laquobons parcoursraquo qui forment la base du systegraveme pas forceacutement les plus menaceacutes drsquoabandon (notamment car la SHP 01 est concerneacutee par la proratisation) Lrsquoanimation vise cependant agrave cibler aussi des surfaces agrave fort enjeu eacutecologique La pertinence de la mesure est donc renforceacutee par lrsquointeacutegration dans les surfaces cibles des zones les plus concerneacutees par des risques de deacutegradation (par abandon ou par intensification) Cette inteacutegration deacutepend de lrsquoimportance relative de ces surfaces agrave enjeux au sein de lrsquoexploitation agricole et de la nature du diagnostic technique reacutealiseacute sur les surfaces par le technicien et lrsquoeacuteleveur

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 107

Figure 6 - Diagramme logique drsquoimpact de la SHP 01 construit agrave partir des diagrammes logiques drsquoimpact des trois territoires-types

Source auteurs volet 2 du rapport final page 70

Hors surfaces cibles les effets sont plus indirects et lieacutes agrave plusieurs composantes de la mesure

- le maintien de toute la STH agit agrave un premier niveau pour les surfaces menaceacutees drsquoabandon ou de retournement En limitant lrsquoembroussaillement ou le labour il permet de conserver des milieux et une diversiteacute drsquoespegraveces caracteacuteristiques de milieux ouverts Dans certains cas la diversiteacute des espegraveces peut mecircme srsquoameacuteliorer par exemple sur des prairies du Beaujolais Vert qui ont eacuteteacute laboureacutees par le passeacute et eacutevoluent aujourdrsquohui vers des prairies naturelles

- lrsquoaccompagnement et lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation sont mobiliseacutes pour maintenir ou faire eacutevoluer des modes de gestion adapteacutes sur lrsquoensemble des surfaces Cette approche est lieacutee au caractegravere systeacutemique de la mesure agrave un plafond de chargement animal global et agrave un taux de surfaces cibles significatif dans les surfaces de lrsquoexploitation qui empecircchent une gestion des surfaces cibles deacuteconnecteacutee du reste du systegraveme

Lrsquoensemble de ces meacutecanismes (maintien de toute la STH obligation de reacutesultats sur un taux de surfaces cibles significatif pour le fonctionnement de lrsquoexploitation accompagnement et approche globale) contribuent agrave maintenir une diversiteacute de types de milieux agrave lrsquoeacutechelle du territoire Ces milieux incluent des surfaces particuliegraverement riches en matiegravere de diversiteacute

108 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

drsquoespegraveces dont lrsquoimportance deacutepend du niveau de contractualisation les surfaces cibles repreacutesentent respectivement 12 2 et 13 de la STH des ZIP du Beaujolais Vert du Haut-Jura et des Baronnies qui sont concerneacutees par la SHP 01

322 Comparaison et coheacuterence avec les MAEC agrave enjeux localiseacutes

Si lrsquoon compare la logique drsquoaction de la SHP 01 agrave celle de MAEC agrave enjeux localiseacutes (comme Herbe 07 et Herbe 09) on constate que la SHP 01 privileacutegie une entreacutee par le fonctionnement des exploitations herbagegraveres plutocirct que par les zonages environnementaux avec un objectif de changement durable plutocirct que de modification cibleacutee des modes de gestion (tableau 8) Cette approche permet donc drsquoaller au-delagrave du simple changement de pratiques permis par Herbe 07 et Herbe 09 Elle engendre eacutegalement des effets positifs indirects via lrsquoeacutevolution de lrsquoensemble du systegraveme

Drsquoautres MAEC agrave enjeux localiseacutes reacutepondant agrave des probleacutematiques speacutecifiques et demandant des modes de gestion particuliers sont cependant combineacutees agrave la SHP 01 comme crsquoest le cas de la MAEC laquo zones humides raquo dans le Beaujolais Vert qui vise la retenue et le drainage des zones humides

Tableau 8 - Comparaison des effets attendus entre SHP 01 et Herbe 0709SHP 01 Herbe 0709

Un outil agrave caractegravere laquo deacutefensif raquo (lutte contrehellip) et laquo systeacutemique raquo axeacute sur le fonctionnement global et qui integravegre lrsquoensemble des surfaces herbagegraveres

Un outil agrave caractegravere laquo parcellaire raquo et laquo offensif raquo axeacute sur la gestion cibleacutee de la biodiversiteacute

Ciblage des enjeux

Une mesure laquoinclusiveraquo qui prend en compte lrsquoensemble des surfaces pacirctureacutees et faucheacutees marginaliseacutees ou non quelle qursquoen soit la laquovaleurraquo (en particulier surfaces non classeacutees Natura 2000 mais preacutesentant des fonctionnaliteacutes inteacuteressantes en tant que milieux ouverts)

Un rocircle de lrsquoanimation neacutecessaire pour cibler les surfaces agrave enjeux

Un taux de surfaces cibles (20 agrave 50 ) qui permet drsquoinclure aussi des surfaces agrave enjeu fort drsquoembroussaillement ou drsquointensification

Un zonage possible des surfaces agrave forts enjeux de maintien de pratiques extensives agrave condition de pouvoir les deacutelimiter de maniegravere pertinente et fine

Le risque de deacutesengagement sur drsquoautres sur faces pouvant malgreacute tout ecirct re inteacuteressantes

Un r isque de non-engagement des surfaces embroussailleacutees en lien avec la regravegle de proratisation des aides surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes

Nature des effets

En plus du maintien de pratiques adapteacutees agrave une diversiteacute de surfaces cibles il y a un effet indirect sur le mode de gestion de lrsquoensemble des surfaces lieacute agrave lrsquoapproche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation

Une mesure de laquomaint ienraquo qui ne permet pas drsquoencourager directement des eacutevolutions (ex reconquecircte de la biodiversiteacute)

Lrsquoalternative avec lrsquoagriculture biologique plus reacutemuneacuteratrice alors que les objectifs et effets attendus sont diffeacuterents et peuvent concerner drsquoautres product ions que lrsquoeacutelevage

Pas drsquoeffets a priori sur les autres parcelles de lrsquoexploitation non engageacutees

Un plan de gestion qui peut conduire agrave des eacutevolutions techniques de gestion pastorale

Cumul possible avec lrsquoagriculture biologique

Source auteurs volet 2 du rapport final page 57

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 109

Tableau 9 - Poids de lrsquoICHN et de la SHP 01 dans les aides pour les territoires-typesBeaujolais Vert Baronnies Haut-Jura

Cateacutegorie RICA Bovins lait Zone montagne ARA

Ovinscaprins Zone montagne ARA

Bovins lait Zone montagne ARA

Cas type

Bovin speacutecialiseacute lait dominante herbagegravere m o n t a g n e s a n s valorisation speacutecifique ndash Inosys

Preacute-alpes ovin speacutecialiseacute seacutedentaire ndash Inosys

L a i t i e r s s p eacute c i a l i s eacute s montagne foin ndash analyse d e g r o u p e c h a m b r e drsquoagriculture de lrsquoAin

Nombre de dossiers SHP 01 118 7 4

Montant SHP 01 par exploitation 5 230 euro 12 590 euro 3 520 euro

Montant de lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 36 842 euro 52 458 euro 50 553 euro 43 700 euro 36 842 euro 38 492 euro

Poids de lrsquoICHN dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 20 agrave 40 34 agrave 40 40

Poids de la SHP 01 dans lrsquoensemble des aides drsquoapregraves le RICA et les cas-types 10 agrave 14 25 agrave 29 9 agrave 10

Revenu moyen drsquoapregraves les cas-types 70 072 euro 30 400 euro 60 792 euro

Poids de la SHP 01 dans le revenu 7 agrave 19 42 6 agrave 13

Source auteurs volet 2 du rapport final p 65

323 Coheacuterence de la SHP 01 avec lrsquoICHN

Les effets attendus de la SHP 01 (voir section 321) ne sont pas garantis par lrsquoICHN ce qui renforce la pertinence de la mesure en montagne Ainsi si lrsquoICHN agit indirectement sur le maintien des surfaces en herbe en soutenant lrsquoactiviteacute des eacutelevages herbagers de montagne elle ne joue pas de rocircle direct drsquoorientation des pratiques de pacircturage et de gestion des prairies agrave lrsquoeacutechelle parcellaire LrsquoICHN seule nrsquoempecircche ni le labour de prairies permanentes ni le sous ou le surpacircturage agrave lrsquoeacutechelle parcellaire ni des pratiques de fertilisation ou de fauche inadapteacutees

33 Contribution au revenu pour le maintien des eacutelevages de montagne

En montagne rhocircnalpine lrsquoICHN repreacutesente entre 20 et 40 des aides perccedilues par les eacutelevages (tableau 9) Si sur les trois territoires eacutetudieacutes le poids de la SHP 01 est moindre (entre 10 et 30 des aides) la contribution de la mesure au revenu reste significative lrsquoaide repreacutesenterait entre 7 et 20 du revenu des systegravemes bovins laitiers du Beaujolais Vert entre 6 et 13 du revenu des systegravemes laitiers AOP du Haut-Jura et 42 du revenu des systegravemes pastoraux des Baronnies Sur ce territoire ougrave le niveau de revenu est relativement bas et le poids des aides important cet effet est particuliegraverement fort Agrave noter que lrsquoapplication de la regravegle du prorata aux surfaces deacuteclareacutees en prairies permanentes (et donc engageacutees en SHP 01) reacuteduit le montant perccedilu sur les surfaces embroussailleacutees ce qui semble incoheacuterent avec le soutien agrave lrsquoeacutelevage pastoral

110 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Agrave lrsquoeacutechelle du territoire le soutien agrave lrsquoeacutelevage est lieacute au niveau de contractualisation de la mesure Ainsi le Beaujolais Vert eacutelargi qui affiche clairement cet objectif a deacuteployeacute une animation et des moyens importants amenant 118 agriculteurs agrave contractualiser la mesure soit 18 des exploitations eacuteligibles La contractualisation reste faible dans les Baronnies et le Haut-Jura

Lrsquoune des finaliteacutes du dispositif PAEC eacutetant de trouver des marges de peacuterennisation des pratiques lrsquoune des questions eacutevaluatives portait sur le possible effet de la SHP 01 sur la valorisation eacuteconomique Or la contribution de la SHP 01 agrave une meilleure valorisation eacuteconomique des produits semble encore en ecirctre agrave ses balbutiements des territoires comme le Haut-Jura souhaitent renforcer la valorisation des productions AOP en mettant en valeur la preacuteservation de la biodiversiteacute des prairies via une deacutemarche collective dont la SHP 01 est un levier La SHP 01 peut aussi contribuer aux deacutemarches meneacutees par ailleurs sur la qualiteacute et la labellisation en lien avec les surfaces herbagegraveres par exemple en apportant des critegraveres pour des cahiers des charges Ce projet demande une appropriation de la composante laquo eacutecologique raquo des produits par les acteurs eacuteconomiques Neacuteanmoins il faut rappeler que le poids des facteurs exteacuterieurs (filiegraveres marcheacutes etc) est tregraves fort On peut supposer qursquoune telle valorisation est plus facile agrave envisager en circuits courts mais crsquoest une hypothegravese qui reste agrave confirmer

4 Deux facteurs renforccedilant lrsquoimpact de la SHP 01 en zone de montagne

41 Un levier pour le deacuteveloppement de lrsquoagro-eacutecologie sur les territoires de projet

La SHP 01 est perccedilue par les opeacuterateurs des PAEC comme un deacuteclencheur de deacutemarches collectives de reacuteflexion sur le systegraveme de production notamment du fait de son caractegravere systeacutemique (encadreacute 2)

Les opeacuterateurs (exemple du projet agro-eacutecologique du Pilat) mettent eacutegalement en avant un effet levier de la SHP 01 en faveur de la conversion agrave lrsquoagriculture biologique Toutefois celui-ci reste peu eacutevoqueacute par les agriculteurs ayant contractualiseacute la SHP 01 Ils ne sont que quelques-uns agrave envisager une conversion au bio laquo dans un deuxiegraveme temps raquo (la SHP 01 nrsquoest pas cumulable avec les mesures de soutien agrave lrsquoagriculture biologique) Les montants des aides agrave lrsquoagriculture biologique sont en geacuteneacuteral supeacuterieurs18 Pour eux comme pour les opeacuterateurs cette eacutevolution srsquoinscrirait dans le cadre drsquoune reacuteflexion et drsquoune volonteacute de progresser vers lrsquoagro-eacutecologie Les entretiens ont montreacute le rocircle des eacutechanges collectifs et de la deacutemonstration dans la prise de deacutecision des exploitants notamment pour des eacutevolutions telles que la conversion agrave lrsquoagriculture biologique

42 Une condition lrsquoingeacutenierie territoriale

Lrsquoanimation territoriale occupe une place deacuteterminante dans la contractualisation des MAEC mais aussi en amont et en aval de celles-ci (encadreacute 3) Les analyses montrent que les effets attendus de la SHP 01 sont drsquoautant plus marqueacutes qursquoil existe sur les territoires un

18 En Rhocircne-Alpes lrsquoaide agrave la conversion agrave lrsquoagriculture biologique va de 44 eurohaan (parcours landes estives) agrave 130 eurohaan lrsquoaide au maintien de 35 agrave 90 eurohaan le montant de la SHP 01 va de 58 agrave 147 eurohaan selon le niveau de risque (58 agrave 80 eurohaan pour les territoires eacutetudieacutes)

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 111

Le Beaujolais Vert eacutelargi dont lrsquoun des objectifs est la mise en place drsquoune deacutemarche agro-environnementale nouvelle a deacuteployeacute des moyens drsquoanimation importants Deux journeacutees de formationsensibilisation ont eacuteteacute rendues obligatoires pour la contractualisation de la SHP 01 visant la sensibilisation aux enjeux du PAEC la formation agrave lrsquoautodiagnostic fourrager et agrave la reacutealisation de transects (traccedilage de lignes le long desquelles ils comptent la preacutesence de plantes indicatrices) Un accompagnement des besoins et des journeacutees drsquoeacutechange sont preacutevus La mesure est une opportuniteacute pour enclencher une dynamique agro-environnementale et lrsquoaccompagnement des agriculteurs dans un contexte ougrave le travail technique sur les prairies est tregraves peu deacuteveloppeacute contrairement aux Alpes du nord Ces formations contribuent aussi agrave favoriser une contractualisation importante le tout donnant de la visibiliteacute agrave la politique de deacuteveloppement agricole de la collectiviteacute

Le PNR du Haut-Jura mobilise la SHP 01 comme levier pour le lancement drsquoun groupe drsquoeacutechanges et de reacuteflexion sur le fonctionnement des exploitations et le progregraves vers lrsquoagro-eacutecologie Ce groupe pour lrsquoinstant organiseacute autour des agriculteurs ayant contractualiseacute est destineacute agrave accueillir les autres eacutegalement Des autodiagnostics des visites des fermes des eacutechanges des formations et tests sont preacutevus notamment autour du systegraveme fourrager et de la gestion diffeacuterencieacutee des surfaces au sein du systegraveme (surfaces difficiles drsquoutilisation embroussailleacutees prairies de fauche surfaces cibles etc) Il est envisageacute de valoriser les deacutemarches engageacutees aupregraves du grand public via le tourisme et la visibiliteacute des produits

Sur les Baronnies le PAEC permet lrsquoinstauration drsquoune dynamique agro-environnementale et lrsquoaffirmation du rocircle du PNR dans cette deacutemarche La SHP 01 contribue en particulier agrave la reconnaissance du rocircle drsquoentretien et de la valeur environnementale des parcours et doit permettre drsquoinitier des eacutechanges techniques au sein drsquoun noyau drsquoeacuteleveurs Agrave noter que sur ce territoire le portage par le Parc naturel reacutegional a constitueacute un frein agrave la rencontre avec les eacuteleveurs et donc agrave la contractualisation

Encadreacute 2 - Inteacutegration de la SHP 01 dans les projets agro-environnementaux des territoires-types

projet agro-eacutecologique assurant une coheacuterence entre le PAEC et drsquoautres deacutemarches (voir aussi Poux et al 2015 sur ces questions) Elles soulignent eacutegalement le rocircle important drsquoune ingeacutenierie territoriale adapteacutee adosseacutee agrave une volonteacute politique affirmeacutee et partageacutee Crsquoest notamment le cas des Parcs naturels reacutegionaux comme en teacutemoignent les exemples du Pilat ou du Haut-Jura porteurs historiques de projets agro-environnementaux et de nombreuses deacutemarches territoriales et aussi celui de certaines intercommunaliteacutes (Beaujolais Vert)

Dans la phase de montage du PAEC lrsquoanimation les journeacutees drsquoinformation les mailings mais aussi lrsquoimplication des eacutelus locaux facilitent lrsquoappropriation locale de la deacutemarche en srsquoappuyant sur la reconnaissance de la place drsquoune agriculture respectueuse de lrsquoenvironnement sur le territoire Ce sont lagrave des facteurs de motivation et de feacutedeacuteration des acteurs Le rocircle des groupements drsquoagriculteurs est aussi essentiel pour ancrer la dimension collective du projet (CUMA groupements lieacutes agrave des filiegraveres AOP produits labelliseacutes etc)

Dans la phase de contractualisation le multi-partenariat (opeacuterateurs structures techniques agricoles et acteurs environnementaux) permet de proposer une vision partageacutee et de multiplier les relais drsquoinformation et drsquoaccompagnement (diagnostics drsquoexploitation notamment) Des formations sur la SHP mais aussi plus cibleacutees (par exemple des formations agrave la botanique en Massif central) sont particuliegraverement utiles Agrave noter que des mesures drsquoaccompagnement ne sont pas toujours mises en place lorsque la SHP 01 est activeacutee

112 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Conclusion

Si les analyses restent agrave poursuivre pour eacutevaluer pleinement la strateacutegie reacutegionale drsquoactivation de la mesure SHP 01 la premiegravere eacutetape du dispositif (lrsquoeacutevaluation ex ante) permet deacutejagrave de mettre en avant plusieurs reacutesultats Tout drsquoabord la SHP 01 est adapteacutee pour reacutepondre agrave certains enjeux rencontreacutes sur les territoires de montagne (fermeture des milieux intensification et plus rarement retournement des prairies permanentes) et qui ne sont pas couverts par lrsquoICHN De plus pour des systegravemes de production fragiles etou fortement deacutependants des aides la SHP 01 contribue de maniegravere significative au revenu et au maintien de lrsquoactiviteacute en compleacutement de lrsquoICHN Le soutien de lrsquoensemble des aides agrave lrsquoeacutelevage de montagne conditionne in fine les effets environnementaux de la SHP 01 Les effets attendus de lrsquoactivation de la SHP 01 sont particuliegraverement marqueacutes sur les territoires

Sur le Beaujolais Vert eacutelargi un partenariat engage la Chambre drsquoagriculture et le Conservatoire des espaces naturels agrave accompagner la Communauteacute drsquoagglomeacuteration de lrsquoouest rhodanien dans lrsquoanimation du dispositif (14 ETP au total) Plusieurs deacutemarches existaient deacutejagrave sur le territoire dont sept contrats de riviegravere

Le PNR du Haut-Jura dispose de compeacutetences agro-environnementales en interne et drsquoun reacuteseau de partenaires historiques dont la Socieacuteteacute drsquoeacuteconomie montagnarde de lrsquoAin la Chambre drsquoagriculture de lrsquoAin et la Reacuteserve naturelle national de la haute-chaicircne du Jura La deacutemarche du PAEC srsquoarticule avec les nombreux programmes deacutejagrave en place Leader Psader Interreg contrats de riviegravere Natura 2000 etc

Le PNR des Baronnies provenccedilales travaille notamment en partenariat avec les Chambres drsquoagriculture de la Drocircme et des Hautes-Alpes et lrsquoAssociation deacutepartementale drsquoeacuteconomie montagnarde (ADEM) Ce partenariat preacutevoit un accompagnement de la Chambre drsquoagriculture agrave la contractualisation des MAEC pour les eacuteleveurs individuels et de lrsquoADEM pour les Groupements pastoraux Le PNR porte lrsquoanimation du site Natura 2000 Gorges de lrsquoEygues Les actions drsquoaccompagnement srsquoinscrivent pour partie au sein du PSADER et du LEADER Des suivis appuis techniques journeacutees drsquoeacutechange tourneacutees et formations sont preacutevus

Encadreacute 3 - Lrsquoingeacutenierie territoriale sur les laquo territoires-types

Le retard pris dans la mise agrave disposition de creacutedits pour ces mesures impacte la mise en œuvre de ces actions et la dynamique partenariale donc lrsquoensemble de la logique drsquoaction en particulier pour les opeacuterateurs pouvant plus difficilement mobiliser drsquoautres sources de financement

Enfin le suivi de la mise en œuvre et lrsquoeacutevaluation demandent un processus de formation reacuteciproque et continu entre agriculteurs techniciens agricoles et acteurs de lrsquoenvironnement en particulier srsquoil y a une population cible importante et un grand nombre de contractants

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 113

porteurs de projets de type agro-eacutecologique qui peuvent se trouver en zone de montagne comme de plaine Autre reacutesultat important la plus-value de la SHP 01 provient de son approche globale du fonctionnement de lrsquoexploitation de lrsquoopportuniteacute qursquoelle creacutee pour le deacuteveloppement de deacutemarches collectives et de reacuteflexions favorables agrave des changements durables via son inteacutegration agrave une strateacutegie agro-eacutecologique territoriale porteacutee et partageacutee

Lrsquoeacutetude souligne cependant la neacutecessiteacute drsquointerroger certaines modaliteacutes de mise en œuvre de la SHP 01 pour ameacuteliorer son efficaciteacute Ainsi celles portant sur le choix des surfaces cibles pourraient ecirctre discuteacutees dans le cadre drsquoun reacuteseau drsquoanimateurs des PAEC afin drsquoameacuteliorer leur adaptation aux enjeux locaux De plus les conditions drsquoapplication de la regravegle du prorata pour la mesure SHP 01 devraient ecirctre revues afin drsquoeacuteviter des effets contre-productifs

Ce travail invite eacutegalement agrave renforcer le lien entre les MAEC et les mesures drsquoaccompagnement dans le montage des dossiers de candidature des PAEC notamment en seacutecurisant des creacutedits pour le conseil et lrsquoanimation Il encourage lrsquoapproche systeacutemique et lrsquoaccompagnement pour maicirctriser les charges et le revenu notamment agrave travers une meilleure valorisation des surfaces herbagegraveres Enfin il souligne lrsquointeacuterecirct qursquoaurait une analyse preacutecise des beacuteneacutefices et des coucircts eacuteviteacutes par la preacuteservation des surfaces herbagegraveres et de leur eacutequilibre eacutecologique et des conditions de valorisation de ces beacuteneacutefices aupregraves des beacuteneacuteficiaires que sont les eacutelus et les habitants

114 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Reacutefeacuterences bibliographiques

ACTeon EnvironnementGeacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018a Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 1 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil Herveacute Coquillart TEB 2018b Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne - volet 2 rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

ACTeon Environnement Geacuterard Hanus Conseil 2018c Mise en œuvre du dispositif eacutevaluatif de la mesure agro-environnementale individuelle systegravemes herbagers et pastoraux en zone de montagne Manuel drsquoappui aux eacutevaluations rapport pour le ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Conseil r eacutegional Rhocircne-Alpes 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Rhocircne-Alpes

Conseil r eacutegional Auvergne 2016 Programme de deacuteveloppement rural reacutegional de la reacutegion Auvergne

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2014 Appel agrave candidatures Campagne 20152016 Mesure 101 Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) Cahier des charges pour la constitution drsquoun projet agroenvironnemental et climatique (PAEC)

DRAAF - Conseil reacutegional Rhocircne-Alpes 2015 Reacuteduire les pressions agricoles et geacuterer durablement les ressources naturelles avec les mesures agroenvironnementales et climatiques note drsquoaccompagnement de lrsquoappel agrave candidature

Feacutedeacuterati on des Parcs naturels reacutegionaux 2015 Mesure agro-environnementale et climatique laquo systegravemes herbagers et pastoraux raquo individuelle guide de recommandations

Hanus A Kervarec F Strosser P Saint-Pierre C Hanus G Forget V 2017 Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoindemniteacute compensatoire de handicaps naturels (ICHN) principaux reacutesultats Analyse ndeg 106 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Ministegraver e de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation 2017 Instruction technique Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides agrave lrsquoagriculture biologique de la peacuteriode 2015-2020 - Annexe 8 compilation des types drsquoopeacuterations simplifieacutes 2015

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 115

Panarin M Contou C Le Borgne G Penouilh-Suzette J Midler E Hugonnet M 2018 Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) et agro-eacutecologie Analyse ndeg 119 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Poux X Faure J-B Villien C 2015 Des projets agro-environnementaux innovants inteacutegreacutes et collectifs quelques enseignements tireacutes de lrsquoanalyse drsquoexpeacuteriences de terrain Analyse ndeg 76 Centre drsquoeacutetudes et de prospective ministegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Candidature et notices du PAEC Beaujolais Vert Communauteacute de communes Ouest Rhodanien 2014 2017

Candidature et notices du PAEC Pilat PNR Pilat 20142017

Candidature et notices du PAEC Haut-Jura PNR Haut-Jura 20142017

Candidature et notices du PAEC Pentes et montagne drsquoArdegraveche PNR Ardegraveche 20142017

Candidature et notices du PAEC Vercors PNR Vercors 20142017

Candidature et notices du PAEC Chartreuse PNR Chartreuse 20142017

Candidature et notices du PAEC Baronnies drocircmoises PNR Baronnies provenccedilales 20142017

116 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 117

Note de lecture

En 1765 Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un gueacuteridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies Premier des laquo restaurateurs raquo il brave ainsi les interdits de lrsquoAncien Reacutegime empecircchant tout particulier traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermeacute pourvu de tables individuelles Ce nouveau type drsquoeacutetablissements se diffuse ensuite rapidement une clientegravele de plus en plus large appreacuteciant les plats varieacutes agrave prix fixes choisis dans un menu Avec la Reacutevolution les nombreux cuisiniers des princes eacutemigreacutes srsquoeacutetablissent agrave leur compte et acceacutelegraverent le passage de la gastronomie aristocratique codifieacutee agrave la cuisine bourgeoise plus inventive

De lrsquoEmpire jusqursquoau deacutebut des anneacutees 1820 le Palais-Royal est lrsquoeacutepicentre de cette restauration franccedilaise et mecircme mondiale associant le reacutegal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair crsquoest lagrave que se deacutecident lrsquohoraire du dicircner lrsquoordre des plats leurs preacutesentations les maniegraveres de nommer et tarifer Un trio ceacutelegravebre marque cette eacutepoque Carecircme inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de lrsquohistoire Grimod de La Reyniegravere preacutecurseur de la critique gastronomique Brillat-Savarin philosophe heacutedoniste et theacuteoricien du sensible

R ien qu rsquoagrave Par i s on c ompte t ro i s c en t s laquo restaurants raquo en 1804 un millier en 1825 deux mille en 1834 En 1835 le mot entre dans le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Durant les anneacutees 1820-1840 les eacutetablissements les plus fameux migrent sur le laquo Boulevard parisien raquo entre la Bastille et la Madeleine Cacheacute des regards exteacuterieurs dans un entre-soi eacutelitiste et mondain le luxe de la table restauratrice devient un spectacle

partageacute creacuteateur de connivences et de distinctions sociales le tout ponctueacute de notes exorbitantes

Dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes de faccedilon variable selon leurs statuts et leurs clientegraveles restaurants laquo agrave la carte raquo reacuteserveacutes aux fortuneacutes laquo agrave prix fixe raquo pour les bourses moyennes laquo bouillons raquo pour les moins argenteacutes Les laquo brasseries raquo quant agrave elles se deacuteveloppent surtout apregraves 1870 et la perte de lrsquoAlsace-Lorraine faisant revivre les provinces perdues agrave travers leurs speacutecialiteacutes culinaires arroseacutees de flots de biegravere Et alors apparaicirct Escoffier creacuteateur de la pecircche Melba ancien responsable des cuisines de lrsquoarmeacutee du Rhin qui impose une division du travail inspireacutee du fonctionnement militaire avec ses laquo chefs raquo laquo brigades raquo laquo fusils raquo et laquo coups de feu raquo Plus tard associeacute agrave Ceacutesar Ritz il introduit le restaurant dans les palaces permettant aux eacutelites internationales de venir ndash dans le confort et la discreacutetion ndash festoyer agrave la franccedilaise

Agrave la fin du XIXe siegravecle agrave Paris sur pregraves drsquoun million drsquohabitants cent mille dicircnent quotidiennement au restaurant Plus geacuteneacuteralement 130 ans seulement apregraves le coup drsquoeacuteclat de Roze de Chantoiseau la France dispose drsquoune large gamme drsquoeacutetablissements en tous lieux de tous deacutecors pour toutes cuisines ougrave lrsquoon rassasie les panses en faisant la conversation et synonymes de laquo franciteacute raquo dans le monde entier

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

DE BAECQUE AntoineLa France gastronomeComment le restaurant est entreacute dans notre histoirePayot 2019 235 pages

118 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Les eacuteditions Armand Colin sont reacuteputeacutees pour la qualiteacute de leurs manuels universitaires Celui-ci consacreacute agrave lrsquoanalyse sociologique du fait alimentaire ne ternira pas cette image Clairement reacutedigeacute tregraves documenteacute associant constamment lrsquoeacutevolution des reacutealiteacutes et celle des concepts theacuteoriques il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels

Lrsquoalimentation vue par le sociologue ce sont drsquoabord des processus de socialisation des types de consommation conditionneacutes par des styles de vie ou des budgets des normes qui reacutegulent les besoins lrsquoexpression ineacutegalitaire et genreacutee de goucircts et de deacutegoucircts Ce sont aussi des tacircches meacutenagegraveres et du travail domestique des rapports agrave la tradition et agrave la nouveauteacute des cuisines reacutegionales ou familiales lrsquoexpression drsquohabitus et de frontiegraveres qui distinguent les geacuteneacuterations les groupes sociaux ou les nations Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informeacutes critiques et meacutefiants libres mais moutonniers

Lrsquoalimentation du sociologue crsquoest aussi lrsquoinsertion du mangeur dans un vaste systegraveme culturel fait de valeurs de croyances religieuses de maniegraveres de tables de rites et de signes identitaires agrave deacutecoder Lrsquoheacuteritage historique ou les traditions inventeacutees sont une richesse patrimoniale en mecircme temps qursquoun espace symbolique assurant des revenus eacuteconomiques et des freacutequentations touristiques Loin de gommer les diffeacuterences et de conduire agrave lrsquooccidentalisation des assiettes la mondialisation a multiplieacute les transferts interculturels et les eacutechanges de recettes

La sociologie srsquointeacuteresse aussi aux politiques nutritionnelles des Eacutetats aux strateacutegies des entreprises agroalimentaires aux actions des

associations et ONG aux prises de position des chercheurs et meacutedecins Ces diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs sont en constante interaction qursquoil srsquoagisse de normer des produits drsquoencadrer les marcheacutes de reacuteguler les innovations techniques de garantir la santeacute des populations ou de preacutevenir des risques

Lrsquoouvrage nrsquooublie pas de retracer lrsquohistoire des nombreux mouvements de reacuteforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire depuis lrsquoancienne eacuteducation agrave lrsquoeacuteconomie meacutenagegravere des familles pauvres jusqursquoaux plus reacutecentes injonctions nutritionnelles et sanitaires en passant par les constantes critiques de lrsquoindustrialisation et la promot ion de modegraveles a l ternat i f s veacutegeacutetarisme veacutegeacutetalisme veacuteganisme flexitarisme instinctotheacuterapie lutte contre le gaspillage recyclage circuits courts durabiliteacute et retour agrave la nature etc

Cette lecture srsquoimpose agrave tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systegravemes et conduites alimentaires tant en France que sous drsquoautres latitudes ou dans drsquoautres egraveres culturelles Ils constateront que la sociologie de lrsquoalimentation riche de ses meacutethodes et de ses reacutesultats est aussi une excellente introduction agrave la sociologie geacuteneacuterale des socieacuteteacutes contemporaines

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

CARDON Philippe DEPECKER Thomas PLESSZ MarieSociologie de lrsquoalimentationArmand Colin 2019 234 pages

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 119

Note de lecture

POURQUERY DidierUne histoire de hamburger-fritesRobert Laffont juin 2019 172 pages

Cet essai alerte eacutecrit par lrsquoeacutecrivain et journaliste Didier Pourquery conte drsquoun humour grinccedilant lrsquoeacutepopeacutee de cette reacutefeacuterence mondiale du fast-food qursquoest le hamburger-frites Il nrsquoen propose pas une analyse ample et deacutetailleacutee mais comme le titre le suggegravere nous livre plutocirct son regard personnel et sensible Srsquoinspirant de lrsquoempilage drsquoun Big Mac son reacutecit comporte six tranches de reacuteflexions tout en restant tregraves digeste et plaisant

La premiegravere tranche faite drsquohistoire rappelle les origines puis les grandes dates du hamburger ses lieux de naissance et de diffusion ses creacuteateurs et leurs recettes ses leacutegendes doreacutees et ses eacutechecs retentissants ses cocircteacutes folkloriques ou capitalistes aux Eacutetats-unis comme en France ou ailleurs La deuxiegraveme tranche de sociologie deacutecrit les valeurs les habitudes et les comportements du fast-fooder qui commande machinalement son burger au milieu drsquoun capharnauumlm multicolore et bruyant puis commence toujours par piquer une frite avant de manger agrave pleines mains ndash reacutegression enfantine ndash son monticule instable drsquoingreacutedients tiegravedes et mous toujours fuyants La tranche suivante de geacuteographie eacutevoque les lieux de cette consommation rituelle chaicircnes internationales installeacutees pregraves des centres commerciaux et des eacutechangeurs routiers eacutetablissements franchiseacutes ou appartenant agrave leur maison-megravere ou bien restaurants de quartiers populaires ou plus chics voire tregraves chics et chers Arrive ensuite la tranche nutritionnelle qui revient sur des sujets si souvent deacutebattus qualiteacute et quantiteacute des ingreacutedients pheacutenomegravenes drsquoaddiction risque de suralimentation et surpoids pathologies associeacutees mais aussi reacuteaction rapide des grandes enseignes devant lrsquoaccumulation de critiques en supprimant les

portions super size au profit de leacutegumes fruits et eau mineacuterale Lrsquoavant-derniegravere tranche drsquoeacuteconomie nrsquooublie pas qursquoun tel succegraves mobilise de par le monde des centaines de milliers de restaurants des millions de salarieacutes des dizaines de milliards de clients annuels (22 rien que pour McDo dans 118 pays) le tout appuyeacute sur des organisations tayloriennes de travail tregraves eacuteprouveacutees et rentables qui distribuent de petits salaires en rationalisant toujours plus la logistique lrsquoespace des cuisines les machines les cadences les liens avec les clients Enfin la sixiegraveme tranche prospective reacutecense quelques unes des mutations agrave lrsquoœuvre ou promises neacuteo-burgers bio et vegan pour millennials et ensuite faits de viande artificielle recettes exotiques faccedilon world food ou au contraire adapteacutees aux gastronomies nationales robots cuiseurs-assembleurs-distributeurs permettant drsquoaugmenter encore la productiviteacute etc

Cet ouvrage montre une fois de plus que tout nrsquoest pas alimentaire dans lrsquoalimentation en mangeant le contenu de son assiette on met aussi en oeuvre des valeurs et de la culture des rites et du simulacre quelques goucircts et beaucoup drsquohabitudes Agrave lrsquoinstar de Roland Barthes (Mythologies 1957) qui voyait dans le bifteck-frites lrsquoun des plus beaux mythes de la cuisine franccedilaise Didier Pourquery juge que lrsquohamburger-frites est pour le meilleur et pour le pire au cœur des grandes leacutegendes de lrsquoalimentation mondiale contemporaine

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

120 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

COMBRIS PierreAgrave la table de lrsquoHomo economicus De la subsistance agrave lrsquoabondanceTallandier Fondation Nestleacute France juin 2019 192 pages

Dans cet ouvrage publieacute aux eacuteditions Tallandier avec le soutien de la Fondation Nestleacute France Pierre Combris directeur de recherche honoraire agrave lrsquoInra propose une lecture eacuteconomique de lrsquoalimentation Ce laquo cas drsquoeacutecole raquo est lrsquooccasion de preacutesenter les deacutemarches et eacutevolutions des analyses eacuteconomiques de citer des contributeurs majeurs (R Fogel B Popkin G Stigler notamment) et drsquoillustrer les concepts mobiliseacutes (productiviteacute surplus prix complet externaliteacutes etc) pour mettre en lumiegravere les grands deacuteterminants des eacutevolutions alimentaires leurs conseacutequences ainsi que les deacutefis actuels pour lrsquoaction publique

La premiegravere eacutetape de ce parcours montre comment la subsistance alimentaire a deacutetermineacute pendant une grande partie de lrsquohistoire humaine la seacutelection des aliments et le souci de reacuteduire leurs coucircts drsquoacquisition et de production Les transitions nutritionnelles contemporaines la geacuteneacuteralisation de lrsquoabondance et ses limites sont traiteacutees dans la deuxiegraveme partie La troisiegraveme srsquointeacuteresse aux effets de cette abondance sur les compor tements deacuteveloppement de la surconsommation controcircle individuel difficile du fait des sollicitations environnementales coucircts sociaux croissants injustices La derniegravere partie srsquointerroge sur les contributions possibles des approches eacuteconomiques pour reacutepondre aux deacutefis poseacutes par

les choix alimentaires des consommateurs (santeacute environnement ineacutegaliteacutes etc) Elle aborde des points cleacutes pour lrsquoaction publique et souligne que les motivations des individus sont freacutequemment sous-estimeacutees (voire ignoreacutees) par les interventions visant agrave accompagner des changements de comportements

En conclusion Pierre Combris rappelle que laquo manger a toujours un prix explicite ou implicite raquo et que la dimension eacuteconomique est omni-preacutesente dans les deacutecisions alimentaires Si les coucircts de chaque option devraient ecirctre refleacuteteacutes par le prix comme signal creacutedible il se demande au vu des impacts sanitaires et environnementaux si nous payons laquo le vrai prix de ce que nous mangeons raquo Au-delagrave il souligne que toute eacutevolution durable des comportements ne peut passer que par lrsquoadheacutesion agrave des valeurs et que ce sont laquo les preacutefeacuterences des mangeurs et les repreacutesentations symboliques de lrsquoalimentation de sa production et de sa consommation qui auront le dernier mot raquo

Julia GassieCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAjuliagassieagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 121

Note de lecture

POUZENC MichaeumllCommerce et ruraliteacute La laquorenaissance ruraleraquo drsquoun siegravecle agrave lrsquoautre Presses universitaires du Midi janvier 2019 187 pages

Cet ouvrage ducirc agrave Michaeumll Pouzenc professeur de geacuteographie agrave lrsquouniversiteacute de Toulouse analyse les rapports entre commerce alimentaire et ruraliteacute Aujourdrsquohui dire que le commerce a disparu de lrsquoespace rural est un lieu commun Agrave lrsquoencontre de ce preacutejugeacute dominant il montre que si la reacuteduction du nombre de petits magasins traditionnels est bien reacuteelle elle a eacuteteacute largement compenseacutee par lrsquoinstallation de supeacuterettes ou supermarcheacutes de la grande distribution qui certes appliquent des modegraveles identiques agrave tous les territoires qursquoils occupent mais en veillant aussi agrave srsquoadapter aux demandes speacutecifiques des consommateurs locaux Drsquoautres formes nouvelles drsquoinstallations reacutecentes (boutiques multiservices vente de plats agrave emporter ou de produits bios etc) participent de cette mecircme vitaliteacute rurale

En mecircme temps que la ruraliteacute accueille et conditionne certains types de commerce le commerce contribue agrave faccedilonner de nouveaux rapports agrave la ruraliteacute Petits magasins comme grandes enseignes mettent en avant les produits du terroir les agriculteurs des environs les partenariats locaux et la consommation citoyenne De leur cocircteacute les circuits alternatifs de vente directe (AMAP etc) amegravenent les vendeurs et acheteurs agrave construire ou reconstruire de nouvelles images de la ruraliteacute faites drsquoengagements (deacuteveloppement durable achats eacutequitables) de reacuteappropriations symboliques de nouvelles repreacutesentations des campagnes et de la nature

Au total les nombreuses eacutetudes de cas mobiliseacutees dans ce livre montrent que ni le commerce

alimentaire rural ni la ruraliteacute ne deacuteclinent Ils ne srsquoexcluent pas non plus alors mecircme que nous vivons dans une socieacuteteacute de consommation tregraves urbaniseacutee et agrave forte mobiliteacute Pour lrsquoauteur dans leur grande majoriteacute en France les zones rurales ne sont pas des lieux de crise et de releacutegation mais des espaces vivants en constante modernisation ougrave s rsquo i nventent l es nouveaux rappor t s agrave lrsquoenvironnement agrave la production alimentaire et agrave lrsquoameacutenagement des territoires Nous vivons dans une socieacuteteacute globale qui reconfigure constamment ses espaces que ceux-c i soient urbains peacuteri-urbains ou ruraux Plus geacuteneacuteralement laquolrsquourbanisation du monde nrsquoempecircche pas une omnipreacutesence de la ruraliteacute (p 132)

Fort de ces constats lrsquoauteur examine dans la derniegravere partie du livre les tendances agrave la laquo renaissance rurale raquo observeacutees ces derniegraveres deacutecennies qursquoelles soient lieacutees ou pas agrave la question du commerce Lrsquointeacuterecirct de ces pages reacuteside dans les reacuteflexions sur la transformation des laquo fonctions raquo du rural et sur lrsquoeacutevolution des valeurs et normes utiliseacutees par les diffeacuterentes cateacutegories drsquoacteurs pour dire ce qursquoest ou ce que nrsquoest pas la laquo ruraliteacute raquo On y trouvera eacutegalement une inteacuteressante relecture critique des principaux exercices de prospective consacreacutes agrave la France rurale depuis le deacutebut des anneacutees 2000

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

122 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

PORCHER JocelyneCause animale cause du capitalEacuteditions Le Bord de lrsquoeau septembre 2019 120 pages

Depuis 2013 et la mise en scegravene de la deacutegustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur neacuteerlandais M Post des star t-up toujours plus nombreuses cherchent agrave appliquer les principes de lrsquoingeacutenierie tissulaire agrave la production alimentaire Dans un court ouvrage au ton vif voire pamphleacutetaire J Porcher (Inra) analyse les implications de lrsquoeacutemergence de ce nouveau type de produits pour lrsquoeacutelevage et nos relations avec les animaux

La viande de synthegravese et les substituts proteacuteineacutes sont preacutesenteacutes par les entrepreneurs mais aussi par certains militants veacutegans comme une reacuteponse radicale agrave quatre problegravemes lrsquoaugmentation de la demande alimentaire mondiale les impacts de la consommation de produits carneacutes sur la santeacute humaine la lutte contre les deacutegradations environnementales et les conditions de vie des animaux Cette innovation biotechnologique srsquoaccompagne drsquoune intense activiteacute de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabiliteacute sociale J Porcher considegravere que la terminologie utiliseacutee (laquo clean meat raquo ou laquo viande propre raquo laquo agriculture cellulaire raquo ou plus reacutecemment laquo viande cultiveacutee raquo) est au cœur drsquoune veacuteritable laquo bataille seacutemantique raquo et ideacuteologique orchestreacutee par des multinationales des biotechnologies et de lrsquoagroalimentaire avec le concours des associations abolitionnistes visant agrave laquo discreacutediter

tous les produits animaux sans distinction de systegravemes de production raquo et laquo agrave deacutegoucircter les consommateurs de la viande raquo

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale et en particulier les interventions tregraves meacutediatiseacutees de L214 elle passe aussi en revue une seacuterie de reacutefeacuterences theacuteoriques (Singer Francione Donaldson et Kymlicka notamment) et soutient qursquoelles occultent les relations de travail noueacutees avec les animaux de ferme ainsi que les formes drsquoexploitation et de domination qui pegravesent en commun sur les animaux et sur les humains Ce faisant les militants abolitionnistes laquo acceptent les regravegles du jeu eacuteconomique en vigueur raquo et servent degraves lors selon elle les inteacuterecircts du capitalisme et de lrsquoindustrie Le propre point drsquoappui normatif de J Porcher lrsquoeacutelevage traditionnel en petite ferme bien distinct des laquo productions animales raquo industrialiseacutees mises en place dans les anneacutees 1960 est expliciteacute seulement en ouverture du dernier chapitre avant un panorama mondial des entreprises impliqueacutees dans la recherche sur la viande in vitro

Florent BidaudCentre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAflorentbidaudagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 123

Note de lecture

Le rappo r t c hangean t que l es huma ins entretiennent avec la nature est scandeacute de grandes repreacutesentations mentales Apregraves la peacuteriode tregraves laquoenvironnementraquo des anneacutees 1970 il y eut des phases laquodeacuteveloppement durableraquo puis laquotransition eacutenergeacutetiqueraquo et laquoreacutechauffement climatiqueraquo Nous sommes maintenant dans une forte seacutequence laquobiodiversiteacuteraquo Utiliseacute par tous en toutes occasions ce terme galvaudeacute meacutelange craintes et espeacuterances science et ideacuteologie discours et reacutealiteacutes Le catastrophisme meacutediatique de la laquosixiegraveme grande extinctionraquo en est un bel exemple de mecircme que la perception systeacutematiquement positive drsquoune biodiversiteacute bonne laquoen soiraquo

Alain Paveacute (biomeacutetricien professeur eacutemeacuterite de lrsquouniversiteacute de Lyon) a eacutecrit ce livre pour nous aider agrave distinguer le vrai du faux Ni pessimiste ni optimiste faisant preuve de mesure et de reacutealisme critique il procircne le doute scientifique eacutevacue les ideacutees reccedilues et preacuteconise une analyse plus fine et complexe des meacutecanismes agrave lrsquoœuvre en y incluant les derniers deacuteveloppements de lrsquoeacutevolutionnisme darwinien du calcul des probabiliteacutes et des theacuteories du hasard

Le but de son ouvrage est aussi drsquoexposer de reacuteels sujets de preacuteoccupation pour les acteurs en particulier publics concernant lrsquoorigine et la mesure de la diversiteacute du vivant les beacuteneacutefices qursquoon peut en tirer son rocircle dans le fonctionnement de la biosphegravere le potentiel eacutevolutif qursquoelle repreacutesente en fonction de choix varieacutes de politiques Il insiste eacutegalement de chapitre en chapitre sur les dimensions eacuteconomiques techniques culturelles et mecircme religieuses du sujet

En faisant de la laquobiodiversiteacuteraquo (neacuteologisme creacuteeacute en 1985) un synonyme vague de la laquonatureraquo la penseacutee eacutecologique contemporaine court selon lrsquoauteur un grand risque drsquoappauvrissement et de dilution Il importe donc de revenir agrave une deacutefinition plus rigoureuse du concept si on souhaite avoir des programmes drsquointerventions plus adapteacutees et des actions correctrices plus efficaces

Plus profondeacutement encore les approches et les meacutethodes scientifiques doivent aussi se renouveler et plusieurs pistes lui semblent prioritaires cesser de penser les milieux en termes drsquoeacutequilibre et reacutevoquer en doute lrsquoexpression laquobon eacutetat eacutecologiqueraquo si priseacutee des administrations abandonner les visions finalistes et fixistes qui ceacutelegravebrent la laquoprotectionraquo la laquopreacuteservationraquo et la laquoconservationraquo admettre que comptabiliser les espegraveces est insuffisant et que si la laquoloi aire-espegravecesraquo fonctionne bien pour eacutevaluer leur nombre elle ne marche pas pour estimer leur disparition arrecircter de confondre les reacutesultats des modegraveles speacuteculatifs avec la reacutealiteacute qui adviendra reconnaicirctre que lrsquoaleacuteatoire joue un rocircle fondamental dans les dynamiques biologiques Paveacute critique eacutegalement la formule laquoservices rendus par les eacutecosystegravemesraquo pour lui soit elle veut dire que la nature nous offre des prestations ce qui est reconnu depuis lrsquoaube de lrsquohumaniteacute soit elle signifie que la nature est bien intentionneacutee en oubliant qursquoexistent au moins autant de fonctionnaliteacutes neacutegatives

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

PAVEacute AlainComprendre la biodiversiteacuteVrais problegravemes et ideacutees faussesEacuteditions du Seuil 2019 361 pages

124 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

Dans cet ouvrage collectif publieacute en octobre 2019 les auteurs analysent les liens entre agriculture et qualiteacute de lrsquoair en France et en Europe de lrsquoOuest Leur but est de mettre agrave disposition de tout acteur concerneacute par ce sujet une synthegravese des connaissances actuelles Ils deacutecrivent le contexte et lrsquohistoire de cette probleacutematique et preacutesentent les diffeacuterents polluants atmospheacuteriques produits par ou impactant lrsquoagriculture ainsi que les meacutethodes permettant de les mesurer ou de modeacuteliser leur eacutemission La derniegravere partie propose une reacuteflexion sur le passage du diagnostic agrave la mise en œuvre drsquoactions de reacuteduction de ces pollutions

Lrsquoagriculture est source de nombreux polluants atmospheacuteriques par exemple 94 des eacutemissions drsquoammoniac en sont issus de mecircme que 54 des particules totales en suspension (essentiellement des PM10) Pourtant les auteurs soulignent que la prise de conscience par la socieacuteteacute de lrsquoimpact de lrsquoagriculture sur la qualiteacute de lrsquoair srsquoest seulement faite dans les anneacutees 2000 et qursquoil a fallu attendre 2010 pour que le secteur reconnaisse sa propre vulneacuterabiliteacute face agrave ces polluants Par exemple lrsquoammoniac favorise lrsquoacidification des sols ce qui diminue leur fertiliteacute et joue sur les rendements Selon eux il est probable qursquoagrave lrsquoavenir la pression

BEDOS Carole et al (coord)Agriculture et qualiteacute de lrsquoair Comprendre eacutevaluer agirEacuteditions Quaelig octobre 2019 324 pages

Niveaux drsquoaction du cadre leacutegislatif appliqueacute en France pour lutter contre les eacutemissions de polluants atmospheacuteriques drsquoorigine agricole

Source Eacuteditions Quae

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 125

de lrsquoopinion publique pour reacuteduire les eacutemissions drsquoorigine agricole srsquoaccentue parallegravelement agrave lrsquoaugmentation des aires drsquoinfluence des villes et donc des interfaces avec lrsquoagriculture

Lrsquoouvrage dresse par ailleurs un panorama du corpus reacuteglementaire relatif aux eacutemissions dues agrave lrsquoagriculture (voir figure) et alerte sur le risque drsquoincoheacuterences et drsquoinefficaciteacute ducirc agrave lrsquoempilement des textes et au manque de coordination entre ceux-ci Ainsi leur mise en œuvre srsquoavegravere difficile et la France est par exemple attaqueacutee devant la Cour de justice europeacuteenne pour non-respect des valeurs limites dans lrsquoair pour le NO2

Afin drsquoameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair les auteurs envisagent des actions agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoexploitation (changement de pratiques etc) mais aussi agrave des

eacutechelles plus larges On peut citer entre autres les leviers suivants modifier la mosaiumlque paysagegravere pour maximiser la recapture locale de polluants positionner les sources eacutemettrices importantes loin des zones sensibles (zones proteacutegeacutees par exemple) reacutepartir les eacutemissions dans le temps et dans lrsquoespace pour eacuteviter des pics de concentration et donc maintenir une diversiteacute des productions dans chaque bassin Ils soulignent enfin que la mise en œuvre de ces leviers devra ecirctre adapteacutee au contexte local

Aurore PayenCentre drsquoeacutetudes et de prospective - MAA

aurorepayenagriculturegouvfr

126 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Note de lecture

VALLAEYS AnneHautes solitudes Sur les traces des transhumants2017 reacuteeacutedition juin 2019 en version de poche Eacuteditions La Table Ronde 250 pages

Auteure de romans enquecirctes et essais remarqueacutes Anne Vallaeys raconte dans cet ouvrage-ci sa longue marche depuis Arles (plaine de Crau) jusqursquoau Laverq (haute Ubaye) sur les anciens chemins de la laquo grande transhumance raquo Au fil drsquoune vingtaine de journeacutees srsquoeacutetirant sur pregraves de quatre cents kilomegravetres agrave raison de trois kilomegravetres par heure (tempo jadis des brebis) elle livre ses reacuteflexions et eacutemotions ses eacutemerveillements ou deacuteceptions ses belles rencontres ou tristes constats Elle nrsquoa pas son pareil pour deacutecrire les paysages la veacutegeacutetation les ruisseaux la faune sauvage ou domestique le loup qui rocircde ou le chien qui veille Elle nous entraicircne dans les vastes reliefs montagneux comme dans le deacutesordre des sentiers cacheacutes entre fortes chaleurs et gros orages On se repose avec elle dans les bourgs-eacutetapes agrave la deacutecouverte des habitants et de leurs histoires familiales des speacutecialiteacutes agricoles des produits locaux et de lrsquoesprit des lieux

Aussi prenante soit-elle cette marche est aussi et surtout un preacutetexte pour deacutecrire le pastoralisme drsquohier (et drsquoaujourdrsquohui) pour conter la grande leacutegende des transhumants En suivant la routo mythique qursquoempruntaient jadis les brebis pour gagner les alpages Vallaeys fait revivre les traditions disparues Telle valleacutee tel pont telle vieille fontaine sont des accroches drsquoougrave resurgit le passeacute agrave travers photos vieux l ivres et

teacutemoignages Tout reprend alors vie par bribes la laquo peuplade timide raquo des reacutetifs bergers le rassemblement du laquogrand troupeauraquo de plusieurs dizaines de milliers de tecirctes la poussiegravere souleveacutee sur le laquo grand chemin raquo le vacarme de sonnailles et de becircleacutees les vapeurs musqueacutees du suint lrsquoaccueil festif des villages traverseacutes la fatigue des hommes et des becirctes mais aussi toute lrsquoeacuteconomie reposant sur de telles migrations annuelles Dans les anneacutees 1950 ces laquo interminables caravanes laineuses raquo ont commenceacute agrave disparaicirctre et en 1974 il fut interdit de mener les troupeaux agrave pieds Crsquoest maintenant en beacutetaillegraveres que les brouteuses gagnent les estives et en bas les parcours de plaine nrsquoont pas reacutesisteacute agrave la pression du tourisme et de lrsquoimmobilier

Tout cela est rendu dans une langue eacuteleacutegante et travailleacutee au style raffineacute mais sans affeacuteterie servie par un riche vocabulaire Cette marche de sentiers est surtout un itineacuteraire de meacutemoire que lrsquoauteure nous restitue sans miseacuterabilisme sans pantheacuteisme ni regrets inutiles

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoeacutetudes et de prospective

MAAbrunoheraultagriculturegouvfr

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 127

Note de lecture

Les laquo valeurs raquo sont ces ideacuteaux profonds dont les individus srsquoinspirent au quotidien pour agir et justifier leurs actions Elles renseignent sur lrsquounivers mental de tel ou tel groupe agrave un moment donneacute mais permettent aussi drsquoanticiper les opinions et comportements qursquoils adopteront dans le futur Crsquoest dire leur importance pour tous ceux qui srsquointeacuteressent agrave la prospective ou agrave la gestion des affaires publiques LrsquoEuropean Values Study (EVS) est la meilleure enquecircte internationale disponible sur le sujet Reacutealiseacutee pour la premiegravere fois en 1981 puis reconduite en 1990 1999 2008 la cinquiegraveme vague a eu lieu en 2018 et 38 pays sont doreacutenavant couverts Le preacutesent ouvrage se concentre sur les reacutesultats concernant la France

L e s v a l e u r s l i eacute e s a u x a p p a r t e n a n c e s geacuteographiques et agrave la ruraliteacute en particulier sont globalement stables En 1981 comme en 2008 les uniteacutes territoriales auxquelles les Franccedilais avaient le sentiment drsquoappartenir laquo avant tout raquo eacutetaient le laquo national raquo puis le laquo local raquo le laquo reacutegional raquo le laquo monde raquo et laquo lrsquoEurope raquo se situant en queue de peloton En 2018 le national reste premier (92 des intervieweacutes) devant la reacutegion (80 ) et la ville ou le village (77 ) Le sentiment de multi-appartenance semble srsquoaffirmer lrsquoexpression drsquoun attachement pour le laquo village raquo eacutetant de moins en moins exclusive de lrsquoidentification agrave drsquoautres eacutechelons Notons par ailleurs le maintien de clivages importants selon le niveau de diplocircme plus celui-ci baisse et plus lrsquoattachement au laquo village raquo croicirct

Le rapport agrave lrsquoenvironnement est aussi au cœur de nombreuses valeurs inteacuteressantes agrave analyser

Entre 1990 et 2018 les laquo pro -croissance eacuteconomique raquo sont resteacutes stables agrave 54 mais les laquo pro-environnement raquo sont passeacutes de 20 agrave 25 La deacutefense de lrsquoenvironnement atteint son maximum chez les plus diplocircmeacutes et ceux ayant les revenus les plus eacuteleveacutes Cette deacutefense est la plus faible pour les geacuteneacuterations 1930-39 la plus eacuteleveacutee pour les geacuteneacuterations 1970-79 puis elle baisse pour les geacuteneacuterations ulteacuterieures de plus en plus sensibles agrave la croissance La prioriteacute accordeacutee agrave lrsquoenvironnement est porteacutee par les reacutepondants se situant laquo agrave gauche raquo (60 ) et laquo tregraves agrave gauche raquo (65 ) plutocirct que par ceux laquo agrave droite raquo (46 ) et laquo tregraves agrave droite raquo (39 )

Outre les deux points sur lesquels nous venons drsquoinsister de nombreuses eacutevolutions des systegravemes de valeurs sont eacutetudieacutees dans ce livre concernant la famille la politique lrsquoeacuteconomie la culture le travail etc Apparemment eacuteloigneacutees des champs de compeacutetence du ministegravere chargeacute de lrsquoagriculture ces mutations de valeurs constituent de bonnes grilles de lecture pour comprendre cer tains enjeux au cœur de ses politiques nouveaux comportements alimentaires critique croissante du monde agricole affirmation de la laquo question animale raquo etc

Bruno HeacuteraultCentre drsquoeacutetudes et de prospective ndash MAA

brunoheraultagriculturegouvfr

BREacuteCHON Pierre GONTHIER Freacutedeacuteric ASTOR Sandrine (dir) La France des valeurs Quarante ans drsquoeacutevolutionsPresses universitaires de Grenoble 2019 382 pages

128 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

Abstracts and Key Words

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 129

From declared eating behaviors to real eating behaviors measuring and understanding differences to improve public actionGabriel Tavoularis Pascale Heacutebel France Bellisle Serge Michels et Aude Le Rhun

The sources of information that inform dietary behaviour (apparent consumption consumer amp retailer panels dietary surveys opinion surveys qualitative surveys) provide us valuable and fairly accurate information on eating behaviour However they also suffer from several biases causing occasionally gaps between the actual vs declared behaviours This problem which is not specific to food surveys is often related to the characteristics of the respondents (memory loss imperfect rationality feelings mental representations and beliefs psychic attitudes etc) and to the context (where when social situation etc) It is also linked to the procedures and methods used to collect information (questionnaire interview consumption book attitude scale mainly declarative techniques sampling etc) and to their subsequent processing methods Aware of these problems and their potential impact on the management of public action the Ministry of Agriculture and Food FranceAgriMer and ADEME commissioned a study on this complex subject Produced by the consortium CREacuteDOC NutriPsy Consult Proteacuteines and Deloitte DD it relied on a review of the scientific literature followed by three case studies These consist of identifying the omissions (food and drink) associated with the consumption reports by the diary method measuring the effect of weariness in food surveys and finally evaluating the differences between expectations expressed on social networks and buying behaviours

KeywordsEating behaviors attitudes beliefs consumption information survey methods bias declarativeConcentration of farms and jobs

Farm outsourcing and task delegation markers of changes in the organisation of agricultural productionGeneviegraveve Nguyen Franccedilois Purseigle Julien Brailly et Bruno Legagneux

Since the mid-1990s agricultural outsourcing has been developing steadily Between 2000 and 2016 the number of farms relying on it has doubled In response to the transmission issue of many farms or to the growth strategies of the largest ones the development of agricultural outsourcing is one of the key trends in the evolution of French agriculture This market estimated at around 4 billion euros is characterized by major changes in demand and the emergence of numerous farm contractors While most of them offer to carry out specific tasks others have developed a wide range of services from audits of agricultural properties to the complete management of the farm including technical administrative and financial management However agricultural outsourcing and in particular the integral delegation of

130 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

farming activities remains poorly documented Various questions remain which this article helps to answer by bringing together the salient results of research conducted since 2012 It follows on from the quantitative assessment of the evolution of the phenomenon carried out by the ActifrsquoAgri(1) working group led by the Centre drsquoeacutetudes et de prospective (Centre for Studies and Forecasting) of the French Ministry of Agriculture and Food The first part of the article explains the method used and the next three parts present respectively an inventory of the market then a survey of changes in practices and finally an analysis of innovative forms of organisation of service provision The conclusion deals with the issues raised by the rapid development of the phenomenon and the implications for public policy

KeywordsAgricultural outsourcing integral delegation practices organizations tertiarization agriculture

Evaluation of the agri-environment measure targeting grassland and pastoral systems in the mountain areas of Rhocircne-AlpesAnaiumls Hanus Geacuterard Hanus Herveacute Coquillart Estelle Midler

In the French region of Rhocircne-Alpes the individual agri-environment-climate measure (AECM) targeting grassland and pastoral systems opened in 2014 in lowland areas It was then extended to some mountain areas in 2015 on an exploratory basis At the request of the DRAAF Auvergne-Rhocircne-Alpes the Acteon consulting firm carried out a study to evaluate the measure in 2017 The goals of this study were twofold First they assessed the relevance of the measure for mountain areas and its coherence with other instruments ex ante Second they built a monitoring and evaluation system to assess its effectiveness and efficiency ex post ie at the end of programming This article presents this double approach as well as the first results of the ex ante evaluation

KeywordsAgri-environmental measure biodiversity Auvergne - Rhocircne-Alpes monitoring and evaluation mountain grassland and pastoral systems

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020 131

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques - Derniers numeacuteros parus

Retrouvez le texte inteacutegral des articles et tous les sommaires de Notes et Eacutetudes Socio- Eacuteconomiques sur internet httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Chiffres et analyses gt Collections gt Collection nationale gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

No 37 - Janvier-Juin 2013 Eacuteconomies drsquoeacutechelle et eacuteconomies de gamme en production laitiegravere Changement de paradigme et creacuteation de valeur ajouteacutee en agriculture

le cas des systegravemes bovins herbagers eacuteconomes du Bocage poitevin Quelle eacutevaluation eacuteconomique pour les services eacutecosysteacutemiques rendus

par les prairies en France meacutetropolitaine Le suivi des prix et des marges pour lrsquoanalyse de la formation des prix au deacutetail

des produits alimentaires La compeacutetitiviteacute agricole du Breacutesil le cas des filiegraveres drsquoeacutelevage

No 38 - Juin 2014 Eacutemissions de gaz agrave effet de serre drsquoorigine agricole coucircts et potentiels

drsquoatteacutenuation instruments de reacutegulation et efficaciteacute Protocole de Kyoto et marcheacute carbone europeacuteen Coucircts de transaction priveacutes et adoption de mesures drsquoatteacutenuation

des eacutemissions de GES Impatcs des aleacuteas climatiques en eacutelevages bovin et ovin allaitants

et demande de couverture assurantielle

No 39 - Avril 2015 La diversification des cultures comment la promouvoir Ineacutegaliteacutes sociales et alimentation Lrsquoadaptation de lrsquoagriculture agrave la disponibiliteacute de la ressource en eau

Le cas de la Drocircme des Collines Les innovations technologiques leviers de reacuteduction du gaspillage dans

le secteur agroalimentaire Lrsquoanalyse orienteacutee objets comme outil drsquoaide agrave la gestion des risques sanitaires Flexibiliser les politiques de soutien aux biocarburants eacuteclairages theacuteoriques et

expeacuterience ameacutericaine

132 Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques no 47 - Juillet 2020

No 40 - Mai 2016 Les produits de stimulation en agriculture un eacutetat des connaissances Diffusion au public des reacutesultats des controcircles sanitaires officiels

comparaison internationale et acceptabiliteacute pour les parties prenantes Les deacutebats de socieacuteteacute sur lrsquoeacutelevage en Allemagne au Danemark et aux Pays-Bas

No 41 - Deacutecembre 2016 Transmission en agriculture quatre sceacutenarios prospectifs agrave 2025 Appariement entre le registre parcellaire graphique et le cadastre pour construire

une typologie des exploitations franccedilaises Lrsquoeacutevolution de la filiegravere bleacute tendre en France entre 1980 et 2006

quelle influence sur la diversiteacute cultiveacutee

No 42 - Novembre 2017 Observer les changements structurels des exploitations laitiegraveres franccedilaises

constitution de la base de donneacutees ADE Efficaciteacute de la protection des troupeaux contre le loup

Une eacutevaluation du dispositif franccedilais drsquoaide au financement des mesures de protection sur la peacuteriode 2009-2014

Lrsquoalternance sous statut scolaire dans lrsquoenseignement agricole une composante du service public aux multiples atouts

No 43 - Mars 2018 Anticiper les comportements alimentaires de demain un outil de sensibilisation

destineacute aux acteurs de la filiegravere alimentaire Eacutevaluation des paramegravetres de lrsquoIndemniteacute compensatoire de handicaps naturels

(ICHN) principaux reacutesultats et speacutecificiteacutes territoriales Diffusion des meacutelanges varieacutetaux pour la production de bleacute une comparaison entre

France et Danemark

No 44 - Deacutecembre 2018 Les deacutemarches mises en œuvre par les filiegraveres animales en France en reacuteponse

aux attentes socieacutetales en termes de bien-ecirctre animal typologie et perspectives Le systegraveme franccedilais de choix des denreacutees et la mise en oeuvre du FEAD dans

les pays europeacuteens Contribution des filiegraveres internationaliseacutees et du commerce agrave lrsquoemploi dans les

secteurs agricole et agro-alimentaire

No 45 - Septembre 2019 Emplois preacutecaires en agriculture Agro-eacutecologie et Programmes de deacuteveloppement rural reacutegionaux (PDRR) Lrsquoagriculture dans les aires urbaines drsquoOccitanie agrave lrsquohorizon 2035 une prospective

participative

No 46 - Deacutecembre 2019 La coheacuterence des politiques commerciales et de deacuteveloppement le cas de lrsquoAPE

Afrique de lrsquoOuest Concentration des exploitations agricoles et emplois Rocircles des organisations de producteurs dans les filiegraveres animales neacutegociation

conseil commercialisation et creacuteation de valeur

Recommandations aux auteurs

FormatLes manuscrits sont preacutesenteacutes sous format Word ou Writer en police de taille 12 Ils ne deacutepassent pas 80 000 signes espaces inclus y compris tableaux graphiques bibliographie et annexes

Sur la premiegravere page du manuscrit doivent figurer -ensple titre de lrsquoarticle -ensples noms des auteurs et leurs institutions -ensple reacutesumeacute de lrsquoarticle (800 signes espaces compris) en franccedilais et en anglais -ensptrois agrave six mots cleacutes en franccedilais et en anglais

Toutes les sources des chiffres citeacutes doivent ecirctre preacuteciseacutees Les sigles doivent ecirctre expliciteacutes Lorsque lrsquoarticle srsquoappuie sur une enquecircte des traitements de donneacutees etc un encadreacute preacutesentant la meacutethodologie est souhaiteacute

Les reacutefeacuterences bibliographiques sont preacutesenteacutees ainsi

a - Dans le texte ou les notes chaque reacutefeacuterence citeacutee est constitueacutee du nom de lrsquoauteur et de lrsquoanneacutee de publication entre parenthegraveses renvoyant agrave la bibliographie en fin drsquoarticle Par exemple (Griffon 2004)

b - Agrave la fin de lrsquoarticle les reacutefeacuterences sont classeacutees par ordre alphabeacutetique drsquoauteurs et preacutesenteacutees selon les normes suivantes

-ensp pour un ouvrage nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee Titre drsquoouvrage ville maison drsquoeacutedition

-ensp pour un article nom de lrsquoauteur initiale du preacutenom anneacutee laquo Titre drsquoarticle raquo Revue ndeg de parution mois pages

Seules les reacutefeacuterences explicitement citeacutees ou mobiliseacutees dans lrsquoarticle sont reprises en fin drsquoarticle

CompleacutementspourmiseenlignedelrsquoarticleDans la perspective de la publication de lrsquoarticle sur le site internet du CEP et toujours selon leur convenance les auteurs sont par ailleurs inviteacutes agrave

-ensp adresser le lien vers leur(es) page(s) personnelle(s) agrave caractegravere laquo institutionnelle(s) raquo srsquoils en disposent et srsquoils souhaitent la(les) communiquer

-ensp communiquer une liste de reacutefeacuterences bibliographiques de leur choix utiles pour contextualiser compleacuteter ou approfondir lrsquoarticle proposeacute

-ensp proposer une liste de lien vers des sites Internet pertinents pour se renseigner sur le sujet traiteacute -ensp proposer le cas eacutecheacuteant des annexes compleacutementaires ou des deacuteveloppements utiles mais non

essentiels (preacutecisions meacutethodologiques exemples etc) reacutedigeacutes dans la phase de preacuteparation de lrsquoarticle mais qui nrsquoont pas vocation agrave inteacutegrer la version livreacutee limiteacutee agrave 50 000 caractegraveres Ces compleacutements srsquoils sont publiables viendront enrichir la version Internet de lrsquoarticle

ProceacutedureTout texte soumis est lu par au moins trois membres du comiteacute de reacutedaction et deux experts exteacuterieurs La deacutecision de publication est prise collectivement par le comiteacute de reacutedaction Tout refus est argumenteacute

Les manuscrits sont agrave envoyer en version eacutelectronique uniquement agrave -ensp Bruno Heacuterault reacutedacteur en chef brunoheraultagriculturegouvfr

DroitsEn contrepartie de la publication lrsquoauteur cegravede agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques agrave titre exclusif les droits de proprieacuteteacute pour le monde entier en tous formats et sur tous supports et notamment pour une diffusion en lrsquoeacutetat adapteacutee ou traduite Agrave la condition qursquoil demande lrsquoaccord preacutealable agrave la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques lrsquoauteur peut publier son article dans un livre dont il est lrsquoauteur ou auquel il contribue agrave la condition de citer la source de premiegravere publication crsquoest-agrave-dire la revue Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Tous les articles de Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques sont teacuteleacutechargeables gratuitement sur

httpagriculturegouvfrcentre-d-etudes-et-de-prospective- Rubrique Publications du CEP gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

httpwwwagresteagriculturegouvfr- Rubrique Publications gt Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiques

Renseignements

Bruno HeacuteraultChef du Centre drsquoEacutetudes et de Prospective3 rue Barbet de Jouy75349 Paris 07 SP

brunoheraultagriculturegouvfr

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE

Notes et eacutetudes socio-eacuteconomiquesMinistegravere de lrsquoAgriculture et de lrsquoAlimentation

Secreacutetariat GeacuteneacuteralService de la Statistique et de la Prospective

Centre drsquoeacutetudes et de prospective

Page 6: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 7: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 8: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 9: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 10: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 11: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 12: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 13: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 14: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 15: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 16: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 17: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 18: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 19: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 20: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 21: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 22: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 23: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 24: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 25: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 26: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 27: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 28: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 29: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 30: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 31: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 32: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 33: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 34: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 35: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 36: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 37: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 38: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 39: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 40: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 41: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 42: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 43: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 44: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 45: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 46: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 47: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 48: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 49: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 50: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 51: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 52: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 53: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 54: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 55: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 56: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 57: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 58: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 59: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 60: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 61: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 62: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 63: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 64: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 65: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 66: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 67: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 68: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 69: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 70: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 71: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 72: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 73: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 74: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 75: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 76: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 77: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 78: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 79: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 80: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 81: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 82: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 83: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 84: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 85: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 86: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 87: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 88: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 89: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 90: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 91: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 92: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 93: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 94: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 95: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 96: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 97: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 98: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 99: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 100: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 101: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 102: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 103: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 104: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 105: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 106: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 107: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 108: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 109: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 110: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 111: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 112: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 113: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 114: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 115: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 116: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 117: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 118: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 119: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 120: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 121: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 122: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 123: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 124: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 125: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 126: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 127: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 128: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 129: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 130: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 131: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 132: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 133: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques
Page 134: Notes et études socio-économiques - Agri Mutuel€¦ · Notes et études socio-économiques no 47 - Juillet 2020 3 Éditorial Dans ce 47e numéro, la revue Notes et études socio-économiques