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NOTICES

SUR LES PRTRES, CLERCS ET FRRES DFUNTS DE LA CONGRGATION DE LA MISSION

PREMIRESRIE COMPAGNONSDES.VINCENT

TOMEPREMIER

PARIS IMPRIM PAR PILLET ET DUMOULIN RUE DES GRANDS - AUGUSTINS, 5 1881 Tous droits rservs.

Les Notices des premiers Compagnons de saint Vincent de Paul, qui paraissent aujourdhui, taient prtes depuis trois ans et devaient prcder la publication des lettres de notre saint Fondateur. Ces lettres, indites pour la plupart, donnaient ce travail un intrt tout particulier, en faisant connatre les premiers missionnaires et quelques-uns de leurs travaux. On les avait cites longuement, dabord parce quil est toujours agrable pour les enfants de lire ce que leur Pre a crit, et puis parce que, pour quelques missionnaires, elles taient lunique source qui pt nous fournir des renseignements sur eux. La perte de nos archives, qui auraient pu nous mettre mme de faire revivre les premiers compagnons de saint Vincent, rend plus prcieuses encore les lettres de notre saint Fondateur, qui nous parlent de ceux que nous aimerions tant connatre. Quelques lettres de M. Portail et de M. dHorgny, adresses soit Mlle Le Gras, soit quelques filles de la Charit, nous ont t heureusement conserves ; nous les citons leur date, car elles navaient pas encore t publies. Leur dcouverte a t une bonne fortune, et ce sera pour nos lecteurs une consolation de les pouvoir lire. [VI] Les sept premires notices ont t faites daprs les indications fournies par les lettres ou par lhistoire de saint Vincent. La notice de M. Pil a t, selon toute apparence, crite par saint Vincent. Notre bienheureux Pre nous montre dans ce travail le pieux tmoignage quil donnait aux morts de la Compagnie, en mme temps quil faisait servir lducation des vivants leurs exemples et leurs vertus. La notice du frre Jourdain, le premier frre coadjuteur admis dans la Campagnie, nest autre chose que la reproduction des paroles prononces par saint Vincent dans la confrence qui fut faite sur les vertus de ce frre aprs sa mort. Nous avons complt la notice de M. Franois Fournier en ajoutant quelques dtails extraits de lHistoire manuscrite de la Congrgation de la Mission, par M. Lacour, ancien suprieur du grand sminaire de Sens. Il rsulte de ces indications que M. Franois Fournier est vraiment lauteur de la Vie de saint Vincent, publie sous le nom dAbelly, ou du moins quy a eu la plus grande part. La Vie de M. Jean Martin a t traduite de litalien ; il existe deux Vies de cet admirable missionnaire. Celle que nous publions contient plusieurs lettres crites saint Vincent dans lesquelles le hl missionnaire raconte ses travaux et les fruits merveilleux dont le Pimont et la Corse ont t longtemps tmoins. Saint Vincent encourageait M. Martin par une correspondance frquente, comme on peut le voir dans les volumes de ses Lettres. [VII] La dernire notice est celle du frre Bertrand Ducournau. Ce nest que labrg dune Vie crite par le frre Chollier, lauteur de la Vie du frre Alexandre Vronne. Comme on le verra en lisant cette notice, le frre Ducournau a contribu plus que personne dans la Congrgation, faire connatre notre bienheureux Pre. Ce fut lui qui eut la pense de recueillir les confrences que la communaut avait le bonheur dentendre, afin de Pli- rien laisser perdre de cette parole si sage, si pieuse et si apostolique. Tmoin assidu, pendant seize ans, de la vie de son vnrable Pre, car il laccompagnait dans tous ses voyages ; son secrtaire pendant ce mme temps, il la certainement mieux connu que personne ; ce sont ses notes et ses mmoires qui ont surtout servi M. Fournier pour la rdaction de lit Vie qui fut publie en 1664. Enfin, nous ajoutons comme appendices ce volume I le nom des prtres et des frres entrs dans la Congrgation ; 2, la liste des maisons, lhistorique de leur fondation et le nom des suprieurs depuis lorigine de la Compagnie jusqu la mort de saint Vincent. Le second volume de cette srie contiendra la suite des notices et les mmes appendices, se rapportant au gnralat de M. Almras. Paris, 13 juin 1881, fte de saint Antoine.

LES PREMIERS COMPAGNONS DE VINCENT DE PAUL

ANTOINEPORTAIL 15901660 I (1590 - 1626) Naissance de M. Portail. - Premiers rapports avec saint Vincent. - Jugement de Collet sur M. Portail. - Ses premires occupations. - il est ordonn pitre. - II remplace saint Vincent auprs des galriens. - Donation du collge des Bons-Enfants. - NI. Portail prend possession au nom de saint Vincent. - Mort de Mme de Gondi. - Premires missions. - Comment elles se faisaient. - Origine de la Congrgation de la Mission. -Approbation de larchevque. Deux disciples viennent sadjoindre saint Vincent. -Engagement contract par acte notari. - Nouveaux compagnons. - Leurs qualits. Antoine Portail naquit Beaucaire, diocse dArles en Provence, le 22 novembre 1 59o. Nous ne savons rien de son enfance ni de sa jeunesse. Il vint Paris, attir sans doute, comme tant dautres, par la rputation bien mrite dont luniversit jouissait alors. Ds son arrive, vers 16io, et nayant alors que vingt ans, il stait mis sous la direction spirituelle de saint Vincent. II fut son premier disciple, comme il devint plus tard son premier compagnon. [2] Le premier compagnon de saint Vincent neut pas plutt got la puret et llvation de ses maximes, quil sattacha vivement lui, et la mort seule fut capable de len sparer. Il avait beaucoup de rapports avec son pre spirituel, et il limitait principalement dans son humilit. Il fit de si grands progrs dans cette vertu, que, quoiquil et beaucoup de mrite, quil et fait de fort bonnes tudes en Sorbonne, et quil crivt parfaitement bien, il ne cherchait qu tre inconnu ou mpris 1 Humble comme son matre, qui, en arrivant Paris, stait log lhospice de la Charit, M. Portail restait au faubourg Saint - Honor2 dans le local adopt pour les galriens, et qui leur servait la fois dhospice et de prison. Initi par saint Vincent aux uvres de charit, M. Portail, son exemple, soccupait avec bonheur de cette classe de malheureux, alors si dlaisse. Tmoin des premiers efforts de son matre auprs des galriens de Paris, et compagnon ordinaire de ses visites, il laidait les instruire et les consoler. Aussi, quand, au commencement de 1629, saint Vincent partit pour Marseille, o lappelait son titre daumnier royal des galres, il laissa en ses lieu et place, M. Antoine Portail3. Rcemment lev lhonneur du sacerdoce4, il consacra aux galriens les prmices de son ministre ; il habitait toujours au milieu deux, ne cessant de leur prodiguer ses soins les plus assidus jusquau jour o il dut se retirer au collge des Bons-Enfants (6 mars 1624.) Mais avant de le voir entrer dans ce collge, qui devait tre le berceau dune nouvellefamille religieuse, rsumons en quelques mots, les circonstances qui donnrent lieu cette fondation. [3] Saint Vincent de Paul, depuis son retour dans la maison de Gondi (Dcembre 1617), ne stait occup que duvres charitables, et de missions dans les campagnes. Or, les fruits de salut produits par les premires missions de saint Vincent donnrent Mme de Gondi, qui en avait t tmoin, et mme coopratrice, la pense de les tendre et de les perptuer. Ds 1617, elle avait dispos de 16,000 livres pour faire prcher de cinq ans en cinq ans, des missions dans ses terres. Saint Vincent, charg par elle de rgler cette affaire, stait inutilement adress aux Pres Jsuites, ceux de lOratoire et plusieurs autres communauts religieuses. Mais la Providence rservait cette uvre notre saint lui-mme, car Mme de Gondi se demanda avec raison pourquoi elle allait chercher au loin ce quelle avait, en quelque sorte, sous la main. Que fallait-il pour la communaut des prtres quelle rvait ? Nexistait-elle pas dj dans ces prtres vertueux, amis de saint Vincent5, qui laidaient dans ses missions ? il ne fallait quune maison et lapprobation de lautorit ecclsiastique. Le comte de Joigny6 confirma Mme de Gondi dans cette pense, et soffrit partager avec elle, le titre de fondateur du nouvel institut. Jean-Franois de Gondi, premier archevque de Paris7, frre du gnral, se fit un devoir dapprouver un tablissement dont son diocse allait merveilleusement profiter. Il fit plus, il offrit une maison, dont il pouvait disposer. Larchevque, le gnral des galres et la comtesse de Joigny ayant confr sur les moyens de faire prosprer luvre projete, en parlrent saint Vincent. Voici les propositions quils lui soumirent :1 2 3 4 5 6 7

Collet, t. I, p. 118, Abelly, t. I, p. 65. Ristretto, p. 29. 1622 Entre autres M. Belin, aumnier Villepreux, Vie de saint Vincent, en italien. Le gnral des galres tait duc de Gondi et comte de Joigny. Ce fut en 1622 que lvch de Paris fut rig en archevch.

1 De recevoir la principaut du collge des Bons-Enfants, [4] que lui offrait larchevque, avec la direction des prtres qui sy retireraient, et des missions auxquelles ils seraient employs. 2 Daccepter la fondation, au. nom de ces mmes prtres. 3 De choisir lui-mme ceux quil jugerait propres remplir les intentions des fondateurs. Saint Vincent voulut dabord refuser, mais son humilit dut cder devant les ordres de larchevque ; il obit. La chose, une fois dcide, fut aussitt mise excution. Ds le 1er mars 1624, saint Vincent recevait sa nomination de principal du collge, et le lendemain il donnait sa procuration, quil signait du titre de licenci en droit canon. Enfin le 6 du mme mois, Antoine Portail, son premier disciple, prenait en son nom possession de la maison. Quoique suprieur du collge des Bons-Enfants, saint Vincent restait dans la famille de Gondi, mais le moment tait proche o sa libert allait lui tre rendue. Mme de Gondi tant morte le 23 juin 1625, et le gnral des galres consentant son dpart, saint Vincent se retira aux Bons-Enfants, o il trouva Antoine Portail qui avait tenu sa place, depuis la donation faite par larchevque de Paris. Tous deux voulurent commencer aussitt luvre de la Mission. Nayant pas le moyen de payer un gardien du collge pendant leur absence, ils en confirent les clefs un voisin et se mirent en route8. Obligs, aux termes de la fondation, de ne rien demander personne, dpourvus de ressources suffisantes, ils rduisaient le plus possible leur mince bagage, ils le portaient sur leur dos, et voyageaient pied. Ainsi quips, et accompagns dun troisime prtre quils staient provisoirement adjoint au prix de trente cus par an, ils parcoururent [5] dabord les terres de la maison de Gondi, puis dautres paroisses encore, et particulirement les environs de la capitale. Ctait toujours le grain de snev de lvangile ! Qui aurait pu prvoir quune compagnie, moins nombreuse que celle des aptres, finirait par se rpandre en tant dendroits ? Saint Vincent tait trop humble pour en avoir le moindre pressentiment ; et, dans la suite, en toute circonstance, il se plaisait rappeler ces faibles commencements pour exciter sa reconnaissance, en renvoyer toute gloire Dieu et inspirer de semblables sentiments au cur de ses disciples. Dans une confrence faite plus de vingt ans aprs, Saint-Lazare, il disait : Nous allions tout bonnement et simplement, envoys par nosseigneurs les vques, vangliser les pauvres, ainsi que Notre-Seigneur avait fait. Voil ce que nous faisions, et Dieu faisait de son ct ce quil avait prvu de toute de toute ternit. Il donna bndiction nos travaux ; ce que voyant, dautres bons ecclsiastiques se joignirent nous et demandrent dtre avec nous, non pas tous la fois, mais en divers temps. O Sauveur ! qui et jamais pens que cela ft venu en ltat o il est maintenant ? Qui met dit cela pour lors, jaurais cru quil se serait moqu de moi ? Et nanmoins ctait par-l que Dieu voulait donner commencement la Compagnie. Eh bien ! appellez-vous humain ce quoi nul homme navait jamais pens ? car ni moi, ni le pauvre M. Portail ny pensions pas, hlas ! nous en tions bien loigns9. Sans prvoir davantage tout le dveloppement que devait prendre plus tard le nouvel Institut, les tmoins des travaux de ces premiers ouvriers conurent son sujet les plus grandes esprances et le favorisrent de leur concours. Larchevque de Paris, Jean-Franois de Gondi, lapprouva aprs une anne dexistence, et le 24 avril 1626, il ratifia de son autorit toutes les clauses et conditions du contrat [6] niront en notre diocse en mission, quaux lieux que nous leur assignerons, et aprs avoir reu notre bndiction ou celle de lun de nos grands vicaires, et quils nous rendront compte, leur retour, de ce quils auront fait auxdites missions. Quelques mois aprs, FRANOIS DU COUDRAY et JEAN DE LA SALLE, tous deux originaires de Picardie, vinrent soffrir saint Vincent pour vivre et travailler sous sa conduite. Le saint fondateur crut devoir prendre dj des prcautions contre la faiblesse et linconstance humaine ; et, pour lier lInstitut ses trois premiers membres, il passa avec eux un acte dans lequel il est dit que, sur la permission que lui donne lacte de fondation approuv par larchevque de Paris, de choisir tels ecclsiastiques quil trouvera propres luvre de la mission, aprs exprience suffisante, il choisit, lit, agrge et associe du Coudray, Portail et de la Salle pour vivre en Congrgation ou confrrie et semployer au salut du pauvre peuple des champs, selon la prire quils lui en ont faite et lengagement quils ont pris dobserver les conditions de lacte de fondation et de se soumettre aux rglements qui seront tracs et dobir lui et ses successeurs. Cet acte sur parchemin, conserv prcieusement dans les archives de Saint-Lazare, comme le vritable acte de naissance de la Congrgation de la Mission, est sign de saint Vincent et de ses trois premiers compagnons. Il fut pass par-devant deux notaires du Chtelet, le 4 septembre 1626. En voici la teneur : Nous, Vincent de Paul, prtre et principal du collge des Bons-Enfants, fond Paris, joignant la porte SaintVictor, faisons foi tous quil appartiendra, que, selon la fondation faite par Monseigneur Philippe-Emmanuel de Gondi, comte de Joigny, gnral des [7] galres de France, et de feue dame Franoise-Marguerite de Silly, baronne de Montmirail et dautres lieux, son pouse : pour lentretien de quelques ecclsiastiques qui se lient et unissent ensemble pour semployer en manire de mission catchiser, prcher et faire faire confession gnrale au pauvre peuple des champs, selon quil est port par le contract de fondation pass par-devant Jean du Puis et Nicolas Le Boucher, notaires et garde-note du roi au Chtelet de Paris, le dix-septime davril mil six cent vingtcinq. Ladite fondation approuve et autorise par Monseigneur lillustrissime et rvrendissime Jean-Franois de Gondi, archevque de Paris du vingtquatrime dudit mois mil six cent vingt-six, par lequel contrat il nous est donn pouvoir de faire choix de tels ecclsiastiques que nous trouverons propres lemploi de cette bonne uvre. Nous, en vertu de ce que dessus, aprs avoir fait preuve un temps assez notable de la vertu et suffisance de Franois d u Coudray, prtre du diocse dAmiens, de M. Antoine Portail, prtre du diocse dArles, et de M. Jean de la Salle, aussi prtre dudit diocse dAmiens ; avons iceux choisis, lus, agrgs et associs ; choisissons, lisons, agrgeons et associons nous et ladite uvre, pour ensemble vivre en manire de congrgation, compagnie, ou confrrie, et nous employer au salut dudit pauvre peuple des champs, conformment ladite fondation. Le tout selon la prire que lesdits du Coudray, Portail et de la Salle nous en ont fait, avec promesse dobserver ladite fondation et le rglement particulier qui selon icelui sera dress, et dobir tant nous qu nos successeurs, suprieurs, comme tant sous notre direction, conduite et jurisdiction. Ce que nous sus-nomms, du Coudray, Portail et de la Salle agrons, promettons et nous soumettons garder inviolablement.8

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Le diocse de Paris, le diocse de Versailles, de Soissons et de Meaux furent pendant trente ans parcourus dans tous les sens par les missionnaires. Confrence du 17 mai 1658.

En foi de quoi nous avons rciproquement sign la prsente de notre propre main et fait mettre le certificat des [8] notaires. Fait Paris au collge des Bons-Enfants ce quatrime jour de septembre mil six cent vingt-six. VINCENT DE PAUL, F. DU COUDRAY, A. PORTAIL, J. DE LA SALLE. Quatre missionnaires, ctait bien peu pour les peuples de la campagne alors si dlaisss. A la vue dune si abondante moisson, les premiers appels demandrent dautres ouvriers au pre de famille, et sa providence leur envoya presque aussitt quatre nouveaux prtres : ce furent Jean Bcu, du diocse dAmiens10, Antoine Lucas, de Paris11, Jean Brunet, du diocse de Clermont12, Jean dHorgny13, du diocse de Noyon. Voil, avec saint Vincent qui en tait la pierre angulaire, les sept pierres fondamentales ou les sept colonnes du nouvel difice. Ces sept prtres, presque tous docteurs en thologie ou lves de lcole de Sorbonne, taient moins distingus encore par leurs talents et leur science, que par leur esprit apostolique14. II (1626-1631) Hommage rendu M. Portail par saint Vincent. - Services de M. Portail la Compagnie : dans luvre des ordinands, des missions et des visites. - Premiers succs de la Congrgation. - Lettre de saint Vincent. Mission de Vassy par saint Vincent. - Mission de Croissy par M. Portail. - M. Lebon offre Saint-Lazare saint Vincent. - Retraite des ordinands. - M. Portail traduit et augmente les mditations de Buse. - Prface de ce livre. Mthode pour les exercices spirituels. - Confrences ecclsiastiques. Parmi ces hommes choisis, M. Portail qui, depuis dix-sept ans, sefforait de retracer en lui les vertus de son [9] matre se montre le plus parfait de ses disciples. Aussi tous reconnaissaient son mrite. Saint Vincent donnant un jour des avis aux tudiants de Saint-Lazare fit lui-mme publiquement son loge dans un hommage rendu la science et la vertu. Bien quil ne le nommt point, il fut facile chacun de reconnatre les traits de cet humble et savant missionnaire15. Quoique tous les prtres soient obligs dtre savants, disait le saint Instituteur, nanmoins nous y sommes particulirement obligs, raison des emplois et exercices auxquels la Providence de Dieu nous a appels, tels que sont les ordinands, la direction des sminaires, des ecclsiastiques, et les missions, encore bien que lexprience fasse voir que ceux qui parlent le plus familirement et le plus populairement russissent le mieux. Et, de fait, mes Frres, ajouta-1il, avons-nous jamais vu que ceux qui se piquent de bien prcher aient fait bien du fruit ? il faut pourtant de la science, et il ajouta de plus, que ceux qui taient savants et humbles taient le trsor de la compagnie, comme les bons et pieux docteurs taient le trsor de lglise. M. Portail tait vraiment un trsor pour la Compagnie et pour saint Vincent, dont il fut le bras droit dans tout ce quil entreprit. Initi toutes les uvres de charit et de zle du Matre, jusqu la fondation de la Mission, il fut son auxiliaire dvou dans toutes celles que lui suscita depuis la Providence. Pendant les trente annes qui vont suivre, M. Portail ne sera tranger aucune des ouvres importantes dont soccupera saint Vincent. Aprs avoir t de son choix, son premier disciple et son premier compagnon, il fut son premier assistant, du choix de lassemble qui, en 1642, donnait la Compagnie un abrg de ses constitutions. Cooprateur de saint Vincent dans la formation de la [10] Dun autre ct, luvre des Ordinands trouvaiten M. Portail un matre : son enseignement solide et pieux et lexemple des vertus sacerdotales qui brillaient en lui, donnaient une grande force ses leons ; tout enfin le rendait vraiment utile ceux qui venaient Saint-Lazare pour y chercher le prcepte et surtout lexemple. Comme on le sait, il ny avait pas encore de sminaires en France ; et ceux qui devaient tre promus aux ordres connaissaient peine les vertus quils devaient pratiquer ; M. Portail les leur faisait connatre et aimer. Faut-il un missionnaire expriment pour diriger une mission, M. Portail est encore dsign par saint Vincent, et M. Olier lui-mme, le futur fondateur de Saint-Sulpice, se met sous sa conduite. Nous raconterons en son temps cette mission dont M. Olier nous a donn ldifiant rcit. Enfin quand saint Vincent veut sassurer que lordre rgne dans les maisons de la Compagnie, ou ly ramener, sil en a momentanment disparu, il sadresse M. Portail, qui va comme un autre lui-mme et comme une rgle vivante, visiter toutes les maisons et les difier. Ce miroir de toutes les vertus (ainsi lappelait saint Vincent) invitait par la douce efficacit de lexemple tous les missionnaires suivre le chemin du devoir. Mais reprenons lhistoire des faits partir de 1625. Quelques annes se sont coules depuis le jour o la Congrgation de la Mission a t fonde : quelques prtres sont venus petit petit augmenter le nombre des Missionnaires, ils se forment dans le silence, et avec la ferveur propre aux instituts qui commencent, devenir de bons ouvriers. Voici ce que saint Vincent crit de Beauvais o il se trouvait, la fin de 1628, M. du Coudray16 quil avait [11] laiss en son absence la tte du collge des Bons-Enfants10 11 12 13 14 15

4 octobre 1626. 1 octobre 1628. Janvier 1627. 9 aot 1627. Saint Vincent, sa vie, son temps, ses uvres, par labb Maynard, tome I, page 210. Avis et confrences, page 2

Comment se porte la compagnie ? Chacun est-il en bonne disposition et bien content ? Les petits rglements sobservent-ils ? tudie-1-on ? Sexerce-1-on sur les controverses ? Y observe-1-on lordre prescrit ? Je vous supplie, Monsieur, quon travaille soigneusement cela, quon tche de bien possder le petit Bcan17 ; il ne se peut dire combien ce petit livret est utile cette fin. Il a plu Dieu de se servir de ce misrable (cest de lui quil parle) pour la conversion de trois personnes depuis que je suis parti de Paris ; mais il faut que javoue que la douceur, lhumilit et la patience, en traitant avec ces pauvres dvoys, est comme lme de ce bien. Il ma fallu employer deux jours de temps pour en convertir un ; les deux autres ne mont point cot de temps. Jai bien voulu vous dire cela ma confusion, afin que la compagnie voie que sil a plu Dieu de se servir du plus ignorant et du plus misrable de la troupe, il se servira encore plus efficacement de chacun des autres18 Tous taient certainement fidles ; aussi Dieu bnissait-il leurs emplois, comme le prouve une lettre que recevait saint Vincent la fin de cette anne et dont Abelly cite les dernires lignes. Notre mission de Vassy, lui dit-on, a reu toutes les bndictions que lon pouvait attendre ; nous tions aids par quatre curs et par un autre bon ecclsiastique, tous capables et vertueux ; deux dentre eux ont si bien pris la mthode de la compagnie dans leurs prdications, que, quoiquils eussent peu de disposition pour parler en public, ils le font prsent aussi utilement et avec autant de facilit que je connais parmi les personnes de leur profession. Les catholiques que lhrsie avait noircis et infects de [12] plusieurs mauvaises maximes, les ont quittes et ont t confirms dans les bons sentiments et mis dans un train de vie vraiment chrtienne, et non seulement les habitants du lieu, mais ceux de quatre et cinq lieues la ronde en ont tir un meilleur profit19 A la fin de Juin 1630, nous trouvons M. Portail en mission Croissy o saint Vincent lui crivit en ces termes Bni soit Dieu, Monsieur, de ce que vous tes mont en chaire, et plaise sa divine bont donner bndiction ce que vous y enseignerez de sa part. Vous avez commenc tard ; ainsi fit saint Charles. Je vous souhaite part son esprit, et jespre que Dieu vous donnera quelque nouvelle grce en cette occasion ; je souhaite de tout mon cur que ce soit celle dont vous mcrivez la fin de votre lettre, qui est dtre exemplaire la compagnie, en laquelle il nous marque la douceur, la sainte modestie et le respect dans nos conversations ; lattention la prsence de Dieu est le moyen de les acqurir ; jen ai plus besoin que tous, demandez-les, sil vous plat, Dieu pour moi20 Ctait le dsir de M. Portail dtre exemplaire la Compagnie, mais tous les membres taient anims dun dsir semblable, car lexemple que donnaient les anciens trouvait dans les nouveaux venus de fidles imitateurs. Aussi, quand un tranger avait le bonheur dtre admis dans la maison, il tait bien vite difi. Cest ce qui arriva M. Lebon, prieur de Saint-Lazare. Ce saint personnage avait essay, sans russir, de faire accepter saint Vincent la magnifique proprit de Saint-Lazare. Il avait pass toute la matine discuter quand lheure de dner sonna. Je dne avec vous et votre communaut, dit M. Lebon, et on se rendit au rfectoire. La modestie des missionnaires, la lecture de table, le bel ordre qui sy observait, [13] tout cela causa M. Lebon une telle dification et un tel respect, quil en conut pour la Compagnie et son instituteur une nouvelle estime avec un dsir de plus en plus ardent de russir dans son gnreux projet. Saint Vincent finit par cder ses instances et celles de ses amis ; M. Portail, tmoin du dsintressement de son matre, voyait se raliser la parole des saints livres : quand on cherche premirement le royaume du Ciel, le reste est donn par surcrot. La communaut ne tarda pas se rendre Saint-Lazare. Dans cette maison, plus vaste et mieux approprie, les uvres se multiplirent rapidement ; M. Portail y prenait toujours, aprs saint Vincent, la part principale. Ds 163 1, commencrent les retraites des ordinands. Lanne suivante, en 1632, Saint-Lazare ouvrait ses portes non seulement ceux qui se prparaient aux ordres, mais ceux qui les avaient reus et aux laques qui voulaient travailler leur sanctification. Cest cette occasion que saint Vincent sut tirer bon parti des connaissances de M. Portail, qui, sur son ordre, traduisit et augmenta considrablement le livre de mditations de Buse. Il fit plus encore ; il le remania tout fait de manire en faire un ouvrage nouveau ; mais, au rebours de beaucoup dautres qui pillent les auteurs sans le dire, il enrichit Buse, qui continua de donner son nom un travail dont celui de M. Portail accrut le mrite et la rputation. Trs peu savent que ce travail est d lhumble compagnon de saint Vincent. Voici comment il sexprime dans sa prface de louvrage traduit en franais. Mon trs cher lecteur, ne vous tonnez pas de voir Buse habill de nouveau la franaise ; son habit tait la vieille mode, ayant t fait hors de la France et par un tranger. Si vous le trouvez un peu cru et grossi, attribuez-en la cause au bon traitement que les franais lui ont fait en considration des grands services quil leur a rendus. Il [14] a toujours t bon catholique, mais non pas parfaitement romain ; je veux dire que lordre et les sujets de mditations ntaient pas en tout conformes lusage de Rome comme ils le sont prsent. Vous y trouverez plus de nonante mditations que jy ai ajoutes, dont une partie y tait absolument ncessaire et lautre fort utile, comme vous le jugerez vous-mme. Vous y verrez aussi en quelques-unes de celles quon a traduites, quelque petit trait dajout, pour donner plus de lumire aux penses de lauteur, et plus de chaleur aux oraisons du lecteur, en un mot pour perfectionner louvrage. Jy ai mis aussi en faveur des commenants une adresse familire et une table mthodique de loraison mentale avec son explication, et ensuite un formulaire des affections quil faut produire en loraison ; le tout selon lesprit du bienheureux Franois de Sales, vque et prince de Genve. Et, afin quon et plus de facilit appliquer cette mthode sur toutes sortes de sujets et ainsi en retirer plus dutilit, jen ai fait voir la pratique tout au long dans quelques mditations de la seconde partie de ce livre, particulirement en celles des bienfaits de Dieu, des quatre dernires fins de lhomme et de la prparation la retraite spirituelle, pour servir de modle toutes les autres qui ne contiennent que trois points de considrations.16 17 18 19 20

Abelly, t. I, p. 261. Bcan, petite Somme de saint Thomas qui portait le nom de celui qui lavait dite. Abelly, tome I, page 261. Abelly. Lettre de saint Vincent M. Portail, juin 1630.

Outre les oraisons marques pour chaque Dimanche et fte de lanne, tous les jours de carme, des quatre temps, et de quelques feries et pour le commun des saints, vous pourrez prendre pour les autres jours les sujets marqus en la seconde partie, les choisissant selon que vous les trouverez conformes au temps et vos besoins. Par ce moyen, vous aurez des mditations pour tous les jours de lanne. Quant aux exercices spirituels, si vous dsirez les faire ou les donner dautres, vous aurez recours aux avis que vous trouverez la fin de ce livre o sont aussi diverses pices fort utiles pour le mme sujet, particulirement une [15] table et liste de mditations quil faut prendre durant la retraite spirituelle pour chaque jour et chaque sorte de personnes avec plusieurs mditations sur cette matire, savoir des pchs capitaux, de quelques vertus plus ncessaires aux chrtiens, et de quelques autres pour les ecclsiastiques, et autres pour les religieux et dautres enfin communes tous ceux qui font les exercices spirituels. Aprs tout, comme ce manuel a t dress dans un esprit de simplicit chrtienne, aussi doit-on sen servir dans le mme esprit, si on dsire en profiter. Je supplie son principal auteur quil vous fasse cette grce, et quen lui donnant sa bndiction, il vous la donne aussi toutes les fois que vous le lirez, afin quil en puisse tre mieux glorifi, qui est tout ce que je dsire en ce petit labeur Bni soit Dieu. Aux mditations il joignit de sages rglements qui furent suivis Saint-Lazare par tous les retraitants ; et, aujourdhui mme, on ne saurait trouver de meilleure mthode pour aider la sanctification des mes21. III (1626-1636) M Portail en mission dans les Cvennes. - Eloge que fait lvque de Mende. - Lettre de saint Vincent M. Portail : il lengage travailler avec humilit. - Heureux fruits de ceux qui se comportent avec humilit. - Autre lettre de saint Vincent M. Portail pour linviter la patience. - Nouvelles lettres de saint Vincent. - Retour de M. Portail Paris. - Nouvelle mission en Auvergne. - M. Olier se met sous la conduite de M. Portail. - Lettre de M. Olier saint Vincent : il demande du secours. - Saint Vincent ne petit en envoyer. - M. Meyster, son histoire ; disciple de saint Vincent, il labandonne et va lOratoire ; mission de Metz ; mort du clbre prdicateur. Les Cvennes, dsoles par le calvinisme taient devenues comme le centre o les ennemis de lglise se runissaient [16] paratre le dsir de se rendre son appel. Mais, retenu par de nombreuses affaires et par une chute, il envoya sa place M. Portail et M. Lucas22. Leur ministre fut laborieux et fcond ; la lettre par laquelle lvque voulut prouver sa reconnaissance fait le plus grand loge des Missionnaires ; mais cet loge ressort plus complet encore des lettres que saint Vincent adressa M. Portail. Paris, 1er mai 1635. La lettre que vous mavez crite ma consol plus que je ne puis dire pour la bndiction quil a plu Dieu de donner vos pauvres catchismes et aux prdications de M. Lucas, que vous me dites avoir t bonnes et tout ce qui sen est suivi. Oh ! Monsieur, que cest une bonne chose que dabord il se soit humili, parce que dordinaire il en arrive autrement dans le progrs et cest selon cela que Notre-Seigneur prpare ceux par qui il dsire tre servi utilement ; et lui-mme combien sest-il humili au commencement de ses missions, parce que extrema gaudii luctus occupat, et il est dit ceux qui travaillent dans langoisse et la pnurie que tristitia eorum vertetur in gaudium : aimons cette dernire chose et craignons la premire. Et, au nom de Dieu, Monsieur, je vous prie dentrer dans ces sentiments comme aussi M. Lucas, et de ne pas prtendre dans vos travaux autre chose qu la confusion, lignominie et la mort la fin, sil plat Dieu. Un prtre ne doit-il pas mourir de honte, sil prtend la rputation dans le service quil rend Dieu, sil prtend mourir sur [17] son lit, lui qui voit Jsus-Christ rcompens de ses travaux par lopprobre et le gibet ? Savez-vous, Monsieur, que nous vivons en Jsus-Christ et que pour mourir avec Jsus-Christ, il faut vivre comme Jsus-Christ ? Or, ces fondements poss, donnons-nous au mpris, lopprobre, lignominie et dsapprouvons les honneurs qui nous procurent la renomme et les applaudissements qui nous sont donns, et ne faisons chose aucune qui tende cette fin. < Travaillons avec humilit et avec respect ; quon ne dfie point les ministres en chaire ; quon ne dise point quils ne sauraient montrer aucun article de leur croyance dans la sainte criture, moins que ce ne soit rarement et en esprit dhumilit et de compassion ; parce que, autrement Dieu ne bnira pas notre travail et loignera de nous ces pauvres gens, et ils penseront quil y a de la vanit dans votre fait et ne vous croiront pas. Nous croyons les hommes non parce que nous les regardons comme savants, mais parce que nous les estimons bons et que nous les aimons. Le dmon est trs savant et nous ne croyons rien de ce quil nous dit, prcisment parce que nous ne laimons pas. Il a fallu que Notre-Seigneur prvnt par son amour ceux quil a voulu faire croire en lui ; faisons ce que nous voudrons, on ne nous croira jamais, si nous ne montrons de lamour et de la compassion ceux que nous voulons quils nous croient. M. Lambert23, et M. Soufflier24 pour stre comports de la sorte ont t tenus pour saints par les deux parties catholique et21

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Notices bibliographiques sur les crivains de la Congrgation de la Mission. Premire srie, page 201. Ce manuel des retraites vient dtre dit de nouveau et se trouve Paris chez MM. Pillet et Dumoulin, rue des Grands-Augustin, 5. Antoine Lucas, n Paris le 20 janvier 1600, reu en dcembre 1626, ordonn prtre en septembre 1628. Lambert, n en 1606 Proussel, diocse dAmiens; reu en aot 1629, prtre en 1631 , a fait les vux en 1642. Soufflier, Franois, n Montmirail en 1606 reu en aot t629, prtre en septembre 1631, a fait les vux en 1642.

hrtique, et Notre-Seigneur a fait de grandes choses par leur moyen. Si vous vous comportez de cette manire, Dieu bnira vos travaux ; sinon vous ne ferez autre chose que bruit et bavardage, et peu de fruit. Je ne vous dis pas cela, Monsieur, pour avoir su que vous eussiez [18] fait le mal dont je parle, mais bien afin que vous vous en gardiez et que vous travailliez constamment en esprit dhumilit. Une autre fois ce bon pre encourageait son disciple la patience. 21 juin 1635. Jespre beaucoup de fruit de la bont de Notre-Seigneur, si lunion, la cordialit et le support sont entre vous deux. Au nom de Dieu, Monsieur, que ce soit votre grand exercice ; et parce que vous tes le plus ancien, le second de la Compagnie et le Suprieur, supportez tout, je dis tout du bon M. Lucas. Je dis encore tout, de sorte que vous dposant de la supriorit, ajustez-vous lui en charit ; cest le moyen par lequel Notre-Seigneur a gagn et dirig les Aptres et celui seul par lequel vous viendrez bout de M. Lucas. Selon cela donnez lieu son humeur, ne lui contredites jamais sur lheure, mais avertissez-le cordialement et humblement aprs. Surtout quil ne paraisse aucune scissure entre vous ; vous tes l sur un thtre sur lequel un acte daigreur est capable de tout gter. Jespre que vous en userez de la sorte et que Dieu se servira dun million dactes de vertu que. vous pratiquerez l-dedans, comme de base et de fondement au bien que vous devez faire sur ce pays-l, etc Saint Vincent crit encore M. Portail pour le fliciter de la bonne conduite dun frre. 10 aot 1635. Je vous prie de dire notre frre Philippe, que je suis bien aise de ce que vous me mandez, quil est ainsi zl linstruction des pauvres gens selon sa petite capacit. Et certes, Monsieur, il est vrai que ce que vous men [19] mandez ma fort consol, notamment ce que vous me dites que lenvoyant en quelque petit village, il vit un berger au Faut dune montagne o il lalla trouver et le catchiser. Or sus, Dieu soit bni, de ce quil se peut dire que Idiotae rapiunt coelum. Que vous dirai-je de nos nouvelles ? La Compagnie est maintenant presque toute ramasse cans, nous allons faire nos retraites et puis recommencer lexercice des controverses et de nos prdications ; et pour les jeunes, peut-tre leur fera-t7on lire le matre des sentences, etc Enfin saint Vincent donne M. Portail des avis sur la condescendance et la fermet quon doit employer pour faire observer le rglement. 16 octobre 1635. Je prie Notre-Seigneur, Monsieur, quil vous continue lesprit de la sainte douceur et aussi de la condescendance ce qui nest pas mal ni contraire nos petits rglements ; car pour cela, ce serait cruaut que dtre doux, mais pour remdier cela mme, il faut avoir lesprit de suavit. Monseigneur de Mende ma tmoign beaucoup de satisfaction de vos services. Monseigneur de Bziers ma crit pour avoir des ouvriers semblables vous autres, Messieurs, mais le moyen de lui en donner ? Monseigneur de Viviers nous est venu voir pareillement et pour mme fin. 11 nappartient qu Dieu dtre partout. La Compagnie est en fort bonne assiette, Dieu merci ; Dieu lui a communiqu beaucoup de grces dans les exercices spirituels, et chacun en est sorti plein de ferveur. Le nombre de ceux qui sont entrs parmi nous depuis votre dpart est de six. Oh ! Monsieur, que je crains la multitude et la propagation ! et que nous avons sujet de louer Dieu de ce quil nous fait honorer le petit nombre des disciples de son Fils, en qui je suis, etc [20] La mission des Cvennes termine, M. Portail revint Paris, vers la fin de lanne 1635. Quelques mois aprs, il dut repartir de nouveau, charg daccompagner M. Olier et quelques autres prtres qui allaient vangliser plusieurs paroisses dAuvergne. Cest M. Portail que fut dvolue la supriorit sur cette compagnie dhommes apostoliques. Ils partirent vers le mois davril ou au commencement de mai ; ils prchrent la mission Saint-Ilpise avec un succs merveilleux. Voici le rcit quen faisait, en sadressant aux membres de la Confrence des mardis, M. Olier, le futur fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice. 24 juin 1636. Je ne puis tre plus longtemps absent de votre Compagnie sans vous rendre compte de nos travaux. La mission commena le dimanche aprs lAscension et elle a dur jusquau 15 de ce mois. Ce. jour qui tait la fte patronale du lieu, on voulut que le soir en prsence du Trs Saint Sacrement, jadressasse les adieux au peuple ; ce qui se fit avec toute rvrence pour la majest de Dieu qui prsidait, et aussi avec tant de larmes et de soupirs, quil faudrait, je pense, y avoir t pour le croire ; Dieu soit bni ! La mme chose tait arrive lorsque nous fmes la procession des petits enfants et au moment de leur communion. Au commencement, le peuple venait, selon que nous pouvions le souhaiter, cest--dire autant que nous pouvions suffire lentendre en confession ; et cela, Messieurs, avec de tels mouvements de grce, que, de tous cts, il tait ais de savoir dans quel endroit les prtres confessaient les pnitents ; les soupirs et les sanglots de ceux-ci se faisaient entendre de toutes parts. Mais, sur la fin, l peuple nous pressait si vivement et la foule tait si grande quil nous fallait par douze ou treize prtres pour subvenir lardeur de ce zle. [21] On voyait ce bon peuple demeurer dans lglise sans boire ni manger depuis la pointe du jour jusqu la dernire prdication, malgr la chaleur qui tait extraordinaire, attendant la commodit de se confesser. Quelquefois en faveur de ceux qui venaient de loin, nous tions contraints de faire deux heures, et plus, de catchisme, et tous en sortaient aussi

affams quen y entrant ; cela nous laissait tout confus. Il fallait faire le catchisme de la chaire du prdicateur, ny ayant point de place dans lglise et mme les environs du cimetire, les portes et les fentres tant charges de peuple ; la mme chose se voyait au sermon du matin et du soir, quon nomme le grand catchisme, sur quoi je ne puis rien dire, sinon ces paroles : Benedictus Deus ! Bni soit Dieu ! qui se communique si libralement ses cratures et surtout aux pauvres ! Car, Messieurs, nous avons remarqu que cest particulirement en eux quil rside, et pour eux quil demande le secours de ses serviteurs, afin dachever par leur ministre ce quil na pas accoutum de faire seul, je veux dire linstruction et la conversion totale de ses peuples. Messieurs, ne refusez pas ce secours Jsus ; il y a trop de gloire travailler sous lui et contribuer au salut des mes, et la gloire quil doit en retirer pendant toute lternit. Vous avez heureusement commenc, et vos premiers exemples mont fait quitter Paris ; continuez dans ces divins emplois, puisquil est vrai que sur la terre il ny a rien de semblable. Paris, Paris ! tu amuses des hommes qui convertiraient plusieurs mondes. Hlas ! dans cette grande ville, combien de bonnes uvres sans fruits, de conversions fausses, de saints discours perdus, faute de dispositions que Dieu communique aux simples ! Ici un mot est une prdication ; les pauvres de ces contres nont pas mpris la parole des prophtes, comme on le fait dans les villes ; et, cause de cela, Messieurs, avec fort peu dinstruction, ils se voient remplis de bndictions et de grces ; et cest ce que je puis vous souhaiter dans le Seigneur, [22] puisque en son amour je suis, Messieurs, votre trs humble, trs obissant, et trs oblig confrre. OLIER. Cette lettre adresse saint Vincent fait, comme on le voit, le plus pressant appel aux Prtres de la confrence des Mardis pour quils viennent aider les missionnaires et travailler au salut des mes ignorantes ou coupables, mais qui demandent tre absoutes et purifies. Saint Vincent de Paul aprs avoir reu cette lettre, rsolut de faire partir pour Pbrac quatre ou cinq prtres de sa Compagnie, comme il lcrivit M. Olier. Mais, sur ces entrefaites, les armes ennemies ayant fait irruption du ct de la Picardie, et Louis XIII demandant saint Vincent des aumniers pour suivre ses troupes la guerre, les ecclsiastiques qui devaient aller en Auvergne reurent une autre destination. Plusieurs des amis de M. Olier sempressrent nanmoins daller partager ses travaux, entre autres M. labb de Foix, ainsi que M. Meyster. Disons un mot de ce missionnaire qui jeta un clat incomparable et dont la fin fut si triste. il naquit au bourg dAth, diocse de Cambrai, se plaa dabord comme prcepteur chez un homme de qualit, o il vivait dans la dissipation et se livrait des tudes frivoles. Un jour dhiver, tant la chasse, il voulut retirer de leau un oiseau quil venait de tuer ; la glace se rompit soudain sous ses pieds, et ne pouvant, malgr ses efforts, sortir de leau ni tre secouru de personne, il entendit dans lair une voix articule qui lui dit : Tu nen ferais pas tant pour moi. Ces paroles, semblables celles qui renversrent saint Paul, changrent tellement ses dispositions, que, la componction et la douleur dans lme, il scria Seigneur, jen ferais bien davantage ; et, reprenant alors courage, il fit de tels efforts quil chappa comme par un [23] espce de prodige, un danger si imminent. Ds ce moment, il fit un divorce ternel avec le monde, ne voulut plus dautres livres que lcriture sainte et les Pres de lglise, et mena une vie pauvre, pnitente et mortifie. Le dsir de se consacrer au salut des pcheurs lattira auprs de saint Vincent de Paul, qui ladmit dans sa Congrgation vers la fin de lanne 1634 et lorsquil navait encore que lordre du sous-diaconat. Mais le zle ardent qui le dvorait se trouvant trop comprim par ce nouveau genre de vie, il quitta saint Vincent25 et vint se mettre sous la conduite du pre de Condren, qui lui laissa toute libert de se livrer sa ferveur. Ctait en 1636. M. Olier, retenu Paris, eut occasion de le voir et de le connatre, et lunion quils contractrent alors porta M. Meyster venir lui offrir ses services lanne suivante. La mort de M. Meyster et les consquences que plusieurs personnes tirrent de cet vnement firent trop de bruit pour que nous puissions les passer ici sous silence. Il stait rendu Metz pour y prcher une mission sur le dsir que le pre de Condren en avait tmoign avant sa mort ; et ce fut dans le cours de ces travaux que Dieu exaua de la manire la plus trange [24] son dsir et sa prire dtre humili aux yeux du monde et de perdre lestime de saintet dont il jouissait partout. Les glises ne pouvant contenir la foule du peuple qui accourait pour lentendre, il prit le parti de prcher hors de la ville, dun lieu un peu lev. Un jour comme il allait au lieu de la prdication, (ctait durant lt et le soleil tait trs ardent) il se sentit indispos, mais ne se jugeant pas assez malade pour se faire remplacer, il voulut commencer son discours ; mais le mal se dclara tout coup dans cette occasion solennelle. Par une conduite extraordinaire qui nest pas sans exemple dans lhistoire des saints, Dieu permit non seulement quil perdt lesprit, mais encore quil ft obsd, peut-tre mme possd du dmon et que, dans les violents accs de ses preuves, il blasphmt son saint nom et maudit le jour de sa naissance peu prs comme on le lit du saint homme Job. Chacun connat lhistoire du pre Surin qui, durant vingt ans, fut souvent tourment par le dmon, et qui, dans cet tat, essaya de se donner la mort lui-mme. M. Meyster, sous limpression dune semblable obsession, laquelle se joignait une fivre ardente et une sorte de frnsie, profita de labsence dun de ses gardiens pour se donner la mort, en senfonant un couteau dans le sein. Avant dexpirer, il recouvra lusage de la raison et se confessa au pre Bouchard de lOratoire qui dirigeait alors les exercices de la Mission en sa place.25

Au commencement, les prtres de la Mission ne faisaient ni vu, ni promesse de stabilit ; mais bientt lexprience montra quune compagnie de missionnaires, quelque fervente quelle soit, ne peut conserver longtemps ses sujets sans quelque lien qui les attache pour toujours. Ce fut ce qui engagea saint Vincent de Paul les lier par les vux simples encore en vigueur dans sa congrgation. Autrement, crivait-il, plusieurs y entreront seulement pour tudier et puis sen aller; et dautres, nayant rien qui les retienne, quitteront tout au moindre dgot. Nous nexprimentons que trop parailles injustices, et, lheure que je vous cris, nous en avons un qui, aprs avoir t entretenu et lev dans les tudes depuis 13 ou 14 ans, ne sest pas vu sitt prtre, quil nous a demand de largent pour se retirer. Quel remde apporterons-nous ce mal si nous navons de quoi les affermir par quelque puissant motif de conscience, tel que le vu de stabilit ou quelque serment

Ce genre de mort si terrible fit tant de bruit partout o on lapprit, que la reine ordonna au pre Vincent, dcrire lvque de Madaure, qui en fut tmoin, pour lui en rendre compte ; ce quil fit dune manire qui effraya la princesse et toute la cour26. [25] IV (1636 - juin 1646) Retour de M. Portail Paris. - Dveloppement des uvres. Premire assemble gnrale. - M. Portail nomm assistant du Suprieur gnral et admoniteur. - Progrs de la Congrgation. - M. Portail envoy comme visiteur. - Rgle pour les visites donne par saint Vincent. - Visite au Mans - Arrive des Filles de la Charit dans cette ville. - Lettre de saint Vincent. - Sjour de M. Portail au Mans. -Lettres Mlle Le Gras. Rponse de Mlle Le Gras. - Visite de M. Portail Angers. - il donne M"^ Le Gras des nouvelles des Filles de la Charit. - Rglement donn par M. Portail aux Filles de la Charit dAngers. Au mois daot 1636, saint Vincent crivit M. Portail pour lui faire part de la situation dplorable o lon se trouvait Paris par suite de la guerre. Quelques mois aprs, M. Portail quittait lAuvergne et venait reprendre Paris le cours de ses occupations. il assiste au dveloppement des uvres de la Mission. Le sminaire interne est tabli en 1637. Dans la mme anne, les Missions de Notre dame de la Rose, au diocse dAgen, et celles de Luon et de Richelieu sont fondes ; en 1638, commence luvre des Enfants-trouvs, Paris. Mlle Le Gras va installer les filles de la Charit Angers, en 1639. Cette mme anne, saint Vincent intervient en Lorraine, et, par sa merveilleuse charit, sauve cette province de la ruine, et grand nombre de ses habitants de la mort. Le grand sminaire dAnnecy est galement fond. Lanne suivante, 1640, commencrent Rome les premires ngociations touchant les vux. En 1641, une nouvelle mission fut tablie Crcy, et les filles de la Charit, quittant Saint-Denis-la-Chapelle, viennent se fixer prs de Saint-Lazare. Depuis son retour dAuvergne jusquen 1642, le nom de [26] M. Portail parat trs peu dans les documents qui nous restent27. Mais il est mentionn dans la premire assemble gnrale de la Compagnie qui eut lieu le 13 octobre 1642 La Mission, fonde depuis dix-sept ans, stait dveloppe bien au-del des bornes rves par son humble fondateur. Elle possdait dix maisons, mais elle navait encore ni rgles dfinitivement adoptes, ni engagements rciproques pour lier les membres avec la Compagnie ; la runion de la premire assemble avait doncun but naturellement indiqu. On y tudia les rgles et les constitutions qui devaient prsider au gouvernement de la Compagnie ; les provinces furent organises, et, pour conserver les sujets, il fut dcid que tous feraient vu de ne briguer aucune charge ni bnfice. Lassemble dura dix jours ; elle dcida le maintien de saint Vincent la tte de la Compagnie comme Suprieur gnral malgr les instances quil fit pour tre remplac ; elle nomma deux assistants, M. Portail et M. dHorgny ; M. Portail fut, en outre, nomm admoniteur. Nous trouvons dans les actes de cette assemble un trait qui peint lhumilit de M. Portail : il demanda pardon la Compagnie davoir manqu la soumission et condescendance que requiert lassemble en interrompant un des membres qui parlait28. Les trois annes qui suivirent cette assemble furent pour la Congrgation des annes fcondes en uvres de toutes sortes. Il ny eut pas moins de onze maisons nouvelles tablies29. [27] Saint Vincent tait appel au conseil de conscience, en mme temps quil devait se multiplier pour diriger les missionnaires et les surs. Mais M. Portail tait l, qui le supplait en beaucoup de choses ; nous en trouvons la preuve dans une lettre de lui, conserve parmi celles de saint Vincent. Voici ce quil crivait un missionnaire qui avait besoin de conseil 23 mai 1645. M. Vincent ayant reu votre lettre sattendait vous faire lui-mme la rponse ; mais ses embarras len empchant, il ma ordonn de vous dire Premirement ; quil compatit beaucoup laffliction de vos parents, et celle que lamour naturel vous fait ressentir pour le mme sujet, et quil prie et priera Notre Seigneur de leur donner et vous aussi, la consolation ncessaire et la grce den faire un bon usage pour sa gloire. Deuximement ; que vous ntes pas blmable de lui proposer si vous devez aller au pays pour une si bonne fin, qui est de chercher mettre la paix et moyenner que votre mre soit secourue ; au contraire, vous tes louable en26 27

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Mmoires du P. Rapin, par M. LON AUBINEAU , t. I, p. 224. Nous trouvons une lettre de saint Vincent M. Portail, 5 octobre 1640, et une lettre de M. Portail Mlle Le Gras, 8 fvrier 1641. Circulaires des suprieurs gnraux. Introduction, p. 5. Le sminaire de Cahors, la mission de Marseille, la mission de Montmirail, la mission de Sedan, le sminaire et la mission de Saintes, le sminaire et la mission du Mans, le sminaire et la mission de Saint-Men.

quelque faon devant Dieu et devant le monde, particulirement de ce que vous vous soumettez ce que votre suprieur vous en conseillera ; nanmoins, il vous prie de considrer devant Dieu ces raisons : 1 Quencore quil soit vrai que la loi de nature nous oblige tous dassister nos parents dans la ncessit, si est-ce que lauteur de la mme loi, le Fils de Dieu, dit comme vous savez que : qui ne quitte pre, mre, frre et sur, etc. ne peut tre son disciple, cest-dire vrai chrtien, et plus forte raison vrai missionnaire. 2 Que le mme Fils de Dieu a fait pratiquer cette maxime ceux qui aspiraient cette qualit de disciple, une fois quand il dit celui qui voulait aller [28] enterrer son pre : Sinite mortuos sepelire mortuos : et lautre lgard de celui qui voulait aller faire partage de ses biens et donner sa part aux pauvres : Nemo, lui dit-il, mittens manum ad aratrum et respiciens retro aptus est regno Dei. De dire quil y ait ici une ncessit qui vous oblige, il ny a pas dapparence, et puis vous pouvez par lettres et par quelques amis suppler votre dfaut. Si ctait par paress, par ddain, ou par quelque autre mauvais motif que vous voulussiez omettre ce devoir, vous auriez quelque sujet de douter si vous feriez mal ou non ; mais puisque vous ne dsirez la chose que pour lamour de Dieu et pour en dcharger votre conscience, et que vous ne prtendez lomettre quavec lordre de votre Suprieur qui tient la place de Dieu, vous devez vivre en repos, car vous nen rpondrez point devant Sa Majest, M. Vincent vous conseillant comme il fait de vous tenir l o vous tes ; ayant expriment les grands inconvnients qui arrivent den user autrement. Et, dautant plus que le prtexte quon prend parat fond en charit et en justice, dautant plus est-il dangereux, parce qutant couvert on ne saperoit du mal quaprs lavoir prouv ; mais, pour lordinaire, cest trop tard pour y remdier. Entre autres malheurs qui sensuivent, sont lattache aux parents ; leurs intrts, aux choses de la terre, le dtraquement de lesprit, le mpris de la rgularit, et enfin la perte de la vocation. Le contraire se voit en ceux qui ont bien observ les maximes de lEvangile en ce point, et Dieu a bni leurs parents et leurs affaires. Par exemple, celui que vous connaissez qui a t vingt ans sans voir sa mre. Il nen a pas t de mme dun autre des ntres qui tait sorti exprs pour assister sa mre ; cest quoi il a le moins pens quand il a t dehors, mais il ne cherchait que ses satisfactions et se vautrer dans le vice ; ce qui lui fit si grandpeur, quavant que lanne de sa sortie ft passe il postula pour rentrer, et on la reu ; et les affaires de ses parents vont mieux quelles nallaient. [29] Je ne sais comment jai insr ce dernier exemple, ntant pas beaucoup propos puisquil ne sagit pas de vous dissuader de la sortie de la Compagnie, mais seulement le voyage de la patrie ; cest sans doute cause de lexprience que nous avons que ceux qui demandent et obtiennent par importunit daller revoir les parents, pour lordinaire perdent leur vocation. Et quand bien ce malheur ne vous arriverait jamais par votre vertu, nanmoins la seule considration du mauvais exemple que vous donneriez aux autres par ce voyage vous devrait dissuader dy penser ; car ceux qui ne sont pas si vertueux que vous, Monsieur, pourraient dire : pourquoi naurai-je pas cong aussi bien quun tel ? Et ainsi il leur faudrait donner cong daller, ou bien les contrister dangereusement ; et lun et lautre seraient prjudiciables et au particulier et la communaut. a t la principale raison qui a empch celui qui a t vingt ans dans la Compagnie sans voir sa mre. M. Vincent vous prie donc de sacrifier votre volont Dieu par la pratique de ces maximes vangliques et desprer que le mme Jsus-Christ pour qui vous renoncerez vous-mme et vos parents, sera luimme votre procureur, votre pre, votre ami, votre protecteur et votre tout. Cest lui qui a dit : Quaerite primum Regnurn Dei et Justitiam ejus et omnia haec adjicientur vobis. Voil peu prs ce que M. Vincent ma ordonn de vous crire, bien fch quil ne mait dict le tout, mot mot, ce discours ne vous serait pas ennuyeux comme il le sera mon avis, cause que je lai mal rang. Je prie Notre-Seigneur quil y mette son Esprit, en lamour duquel je suis, etc.. yeux. Quand il fallut faire la visite des maisons nouvellement fondes, ce fut sur M. Portail que saint Vincent jeta les

M. Portail se mit en route au commencement de lanne [30] 1646. Il apportait dans les maisons lesprit dordre et de discipline quil voyait observer Saint-Lazare, et les conseils de saint Vincent le suivaient partout. Nous trouvons, la date du 20 mars 1646, un vrai programme de Visite, o tout est marqu avec le plus grand soin. Voici cette lettre : A M. PORTAIL, EN VISITE AU MANS. 20 mars 1646. Jai oubli de vous donner aussi avis, avant votre dpart, de quelques dfauts qui se rencontrent parfois dans les maisons que lon visite 1 Quon entend en confession ceux qui viennent de la ville, des faubourgs et des villages : ce que je vous prie de dfendre tous nos prtres, et de leur dire que si ensuite de quelque mission quils auront faite, quelques pnitents quils auront ous en confession reviennent eux pour quelque besoin, en ce cas ils pourront les aller entendre dans quelque paroisse voisine qui ne soit ni de la ville ni des faubourgs ; 2 Quil y en a qui vont prcher dans les monastres de filles : si vous en trouvez, mettez ordre, sil vous plat, que cela narrive plus ; 3 Quon ne tient pas toujours la premire porte ferme : si la maison du Mans est dans ce dfaut, je vous prie dy remdier, afin que personne ny entre sans heurter, et de faire en sorte que MM. les chanoines ne permettent point que les hommes, et encore moins les femmes, entrent chez nous. Tchez, Monsieur, de les rendre capables de cette prcaution, si ncessaire aux communauts, et quils en prennent avis de personnes qui en connaissent limportance ; 4 Quon se dispense des usages communs. Il importe beaucoup dinculquer que lon garde lordre de la journe [31] invariablement, et quon pratique les saintes coutumes et maximes de la Compagnie. Que si les suprieurs conoivent bien lobligation quils ont dy veiller, comme aussi de rendre cachetes les lettres du gnral, sans quil soit loisible aux suprieurs des maisons de voir leurs lettres, et encore aux mmes suprieurs quils doivent consciencieusement faire tenir lesdites lettres au gnral sans les voir, quoique ceux qui les crivent les leur voulussent montrer par respect ; 5 Quil arrive parfois de petites divisions dans les familles et des alinations dans les esprits. Mais donnez vous Dieu, pour les runir et cimenter en charit, car ce doit tre l un des principaux effets de la visite ; 6 De plus, vous prendrez garde aux glises, aux fonts baptismaux, aux autels, aux croix quon y met et celles des processions aux cimetires, afin que toutes choses soient dans la dcence convenable et accommodes le plus honntement que notre pauvret le pourra permettre ;

7 Comme lcharset30 est blmable, aussi lest la facult de donner des choses plus quelles ne valent, et je crois que lon se moque galement de lun et de lautre dfaut en quelques maisons o on ny regarde pas de si prs et o lon dit que nous enchrissons les choses et que nous abondons en argent. Il faut recommander le milieu de ces deux extrmes et que lon observe ce qui se pratique cans pour la nourriture, etc La premire maison visite fut celle du Mans ; elle avait t fonde en 1645. Toutes les uvres sy trouvrent plus tard runies, paroisse, mission, sminaire. Les filles de la Charit ny arrivrent quen mai 1646. Voici la lettre que saint Vincent adressa M. Portail, qui annonce leur dpart de Paris : [32] De Paris, ce jeudi, dix heures du soir, 3 mai 1646. Monsieur, La grce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Les surs de la Charit, par qui je vous cris, partent demain matin pour aller au Mans, et comme je nai vu ni reu votre lettre du 29 que tout maintenant neuf heures sonnantes, je ne puis y rpondre au long jusquaprs demain par le messager qui aussi bien arrivera ou plus tt ou quasi en mme temps que le coche. Vous nattendez que trois surs ; mais en voil quatre que Mlle Le Gras vous envoie. Elles mont toutes plus consol que je ne vous puis dire par la bonne disposition quelles ont au voyage, et jespre que Dieu donnera bndiction leur tablissement, et leur fera la grce de bien correspondre laffection quelles ont maintenant de bien faire. Je ne vous dirai rien pour leur conduite particulire, sinon de leur donner un bon confesseur qui soit bien spirituel, g et prudent, qui veuille suivre la manire de les diriger qui leur est propre, laquelle vous lui ferez bien entendre, sil vous plat, et nul que lui leur parlera quen passant, ni lui-mme ailleurs que dans lglise seulement. Je suis bien aise que le frre Testasy se trouve mieux ; mais, mon Dieu, que je sens de peine de son voyage puisquil le va faire sans grand besoin et contre lordre de la Compagnie ; mais enfin, sil y est rsolu, in nomine Domini, vous le pourrez mener quant et vous la Rose, et l lui donner un compagnon pour aller en son pays, o il ne faut point quil demeure davantage de quinze jours. Le frre Rivanaigre pourra donc demeurer la maison, et M. Brin continuer le soin des sminaristes, sil le peut faire comme il a commenc. Je vous ai fait savoir par ma prcdente que je ntais [33] point davis demprunter si tt de largent rente pour ne donner sujet au monde de parler. Mais puisque lon presse tant pour les rachats, la bonne heure, vous pourrez prendre de quelquun de quoi satisfaire aux ncessits plus pressantes, mais que ce soit si couvertement quil se pourra. il nest pas propos que M. Gallais aille prcher dans les paroisses pour y tablir la charit, vous saurez comme jen use Paris. Je tche de gagner et dinstruire les dames en particulier ; sil peut faire de mme, il fera bien. Je vous remercie des papiers que vous mavez envoys, car vous mavez fait grand plaisir, et les verrai, sil plat Dieu, demain, pour men bien consoler. Jai eu pour ce soir assez de consolation davoir vu par votre lettre les fruits que Notre-Seigneur tire de vos travaux et ceux quon doit esprer lavenir, qui seront bien plus grands si lon a bien de la fidlit. Je prie sa divine bont de la leur donner tout entire, afin quil en soit dautant plus glorifi, et vous, Monsieur, de vous dpartir de plus en plus sa force et son esprit. Je vous recommande lui fort souvent de toute ltendue de mon me, parce que la vtre mest trs chre et trs prsente. Jallais finir ici cette lettre sil ne met fallu passer outre, me souvenant des pauvres surs dAngers pour vous prier de les aller voir en passant ; elles auront grande joie de vous voir et peut-tre grand besoin de cette visite. M" Le Gras sy attend aussi bien qu recevoir les deux surs que vous nous envoyez. Dieu veuille bien conduire les unes et les autres, et de me faire moi la grce dtre autant que je dsire en son saint amour. Votre trs humble serviteur, VINCENT DE PAUL, Indigne prtre de la Mission. M. Portail sjourna prs de trois mois au Mans. De sa correspondance avec saint Vincent, il ne nous est rien [34] parvenu ; mais nous avons retrouv plusieurs de ses lettres Mlle Le Gras. Nous en citons quelques-unes. Du Mans, 18 mars 1646. Mademoiselle, Jai reu celle que vous mavez fait lhonneur de mcrire qui me fut donne avant-hier au soir, dont je vous remercie trs humblement, et vous demande pardon de ce que je me suis laiss prvenir en cette occasion ; je tcherai de suivre et pratiquer vos bons avis que vous me donnez par votre mmoire. Je crois que vous avez reu la rponse de ma sur Cognard, mais vous ne pouvez pas encore avoir celle que la sur Elisabeth attend de sa sur, parce quelle est cinq ou six lieues du Mans. Je nai vu encore personne, parce que je nai point encore t en ville ni mme aux faubourgs, cause des affaires que jai en notre maison, do je sortis hier au soir seulement, pour venir en la mission qui se fait au village de Savigny, distant du Mans de trois lieues : je loue Dieu de la misricorde quil a exerce vers votre communaut en la purgeant des mauvaises humeurs pour la rendre saine et sainte, comme aussi des instructions de M. Lambert ; jespre au premier jour vous envoyer les petits rglements que vous attendez et que je pense quil sera bon de lire et dexpliquer en pleine confrence. Au reste, nous attendons ici de vos filles avec grande impatience pour commencer un nouvel tablissement en cet hpital. Les administrateurs nous en pressent, les surs qui y sont sy attendent, les malades et les enfants trouvs qui y sont en assez bon nombre ont besoin de votre secours, les grands dsordres passs parlent sans dire mot, quil faut un remde ; le pouvoir que nous avons en cette maison, joint celui des administrateurs, fera que les difficults seront bientt tes, surtout si votre personne y vient avec deux ou trois de vos surs. Je pense quen attendant il faudra montrer le rglement dAngers ces messieurs ; [35] je lattends de M. Vincent, qui je lai demand. Mais le meilleur moyen sera de prier pour ce saint dessein, faisant mme communier votre communaut pour cet effet, sans lui dire le particulier. Jai aussi une grande confiance en vos prires, que je vous demande pour lamour de Notre Seigneur et de sa sainte Mre, en lamour desquels je suis, etc30

charset (avarice), expression vieillie

M. Portail crit de nouveau la date du 7 avril pour faire connatre les ngociations des administrateurs de lhpital qui demandent des filles de la Charit, et successivement le 4 mai et le 1er juin 1646. 7 avril 1646. Vive Jsus ! Mademoiselle, Ces lignes distraites sont pour rpondre vos deux trs chres, vous disant que depuis Pques M. Gallais a assist par trois fois au bureau des administrateurs de cet hpital, outre les entretiens quil a d avoir avec eux en particulier, touchant ltablissement des filles de la Charit et leur a fait voir les articles du rglement dAngers, quoi ils nont pas trouv de difficult. Le rsultat a t quil est expdient que Mlle Le Gras envoie ici trois de ses filles, dont une soit suprieure, laquelle toutes les autres obiront, et, en cas de refus, on les congdiera pour ce que cela dpend de nous. Il y a aussi des hommes et garons qui sont comme serviteurs l-dedans ; ce sera notre choix de les garder ou mettre dehors. Il y en a une ancienne qui il faudra pension et logement ; ce sera nous le faire ; cest la seule qui peut rsister, mais non pas nous contraindre la tenir l-dedans. Nous pouvons et devons en mettre jusqu six ; mais il suffira de trois pour ce commencement, et sil en faut plus de six, on y avisera aprs ; il ne sagit prsent que de prendre possession. [36] Pour ce faire, ces messieurs disent quil ne faut que donner des lettres du matre 31 ces trois, comme on les reoit, dont une sera suprieure des autres tant anciennes que nouvelles. Il y en a quatre ou cinq qui ont donn de largent aux administrateurs en entrant cet hpital, mais au cas quelles ne voulussent saccommoder avec les autres, ces messieurs soffrent de leur rendre leur argent, quand on les congdiera. Il ny en a quune qui ait la volont daller Paris, et il est propos quelle soit ici afin de donner aux autres exemple dobissance, joint que les administrateurs nen seraient pas bien aise. Nous avons cet avantage pardessus Angers, que les surs seront obliges dobir au matre aussi bien quaux administrateurs, tant pour le temporel que le spirituel. Tant il y a que M. Gallais et ces messieurs ne voient aucun inconvnient de faire venir ici ces trois surs de Paris, et je suis du mme sentiment cette heure que je sais le fond de laffaire, que je ne savais pas quand je vous crivis lautre jour. Pour ce qui est du choix des filles, je nensache pas de plus capables que celles que vous avez nommes, savoir : Jeanne Lepintre pour suprieure, dt-elle avoir sa coiffe noire, nimporte du moins pour ce commencement ; M. Gallais dsirait la grande lisabeth, mais je crois que la petite est plus propre pour conduire ; quant aux deux autres, les surs Claude et Andr me semblent les plus propres, sauf un meilleur avis ; pour le jour du partement, il faudrait que ce ft par le premier coche ou carrosse qui partira. Je suis en lamour de Notre-Seigneur et de sa sainte mre, Mademoiselle, votre trs obissant serviteur. PORTAIL [37] Du Mans, 4 mai 1646. Voici les deux filles dont je vous ai crit et qui doivent vous aller trouver, pour essayer si elles peuvent tre du nombre de celles dont vous devez tre la directrice, je crois que vous savez dj que la troisime qui avait donn son nom sest ravise, cause que sa matresse na pas voulu quelle la quittt ; nous attendons toujours pour notre HtelDieu les trois que vous nous avez fait esprer ; si elles viennent dans cinq six jours, je crains de navoir pas le bonheur de les voir ici, parce que jai ordre de partir au plutt pour continuer mon voyage, puisque je nai rien ici qui moblige dy tarder plus longtemps ; M. Vincent me demande quelques mmoires pour servir M. de Montigny, quil destine rparer les fautes que jai faites en la conduite de nos chres surs ; mais, aprs y avoir bien pens, jai cru quun mot de votre bouche vaudrait mieux que tout ce que je pourais lui crire sur ce sujet ; je tcherai nanmoins de lui envoyer une copie de la requte prsente M. de Paris touchant leur tablissement cause que labrg des rgles y est ; et pour ce qui est des offices particuliers et des rgles en forme que vous attendez, j e nai pas eu le temps dy mettre la dernire main ; ce sera, Dieu aidant, la premire occasion, et puis je les ferai transcrire pour vous les envoyer. Je crois quau sortir dici jirai voir vos chres filles dAngers ; si vous avez quelque chose de nouveau me recommander pour elles, vous prendrez la peine de men crire, en sorte que je puisse trouver votre lettre en y arrivant ; cela se fera aisment si vous faite., ladresse la sur Madeleine. Cest ce coup que je vous prie de renouveler vos prires pour moi, et de me recommander notre chre Communaut pour maider remercier Dieu du bien quil a fait cette maison et mobtenir le pardon des manquements que jy ai commis, indigne que jen suis ; je ne manquerai pas de mon ct continuer [38] de vous offrir Dieu avec votre petite famille, que je salue en toute humilit et leur souhaite, toutes, la bndiction de Notre-Seigneur Jsus-Christ et les faveurs particulires de la sainte Vierge, et surtout leur directrice, laquelle je suis en lamour du mme Jsus et de sa sainte mre, etc Du Mans, 1er juin 1646. Enfin voici vos deux chres filles qui vont pour vous revoir selon votre ordre ; je crois quelles ne sont pas moins charges par leur non-faire, que si elles avaient produit des actions hroques ; quand elles nauraient fait dautres biens en ce pays que davoir prch par leur modestie et instruit cette petite communaut par leur indiffrence et par leur galit desprit dans les temptes, ce nest pas avoir mal employ le temps et largent de leurs voyages, joint que Dieu saura bien en son temps en payer intrt au grand avantage de votre chre famille et de toute notre petite compagnie. Sil y a place au coche, nous esprons faire partir aprs demain les deux surs pour Angers, et pour ce qui est de la postulante, elle ne partira peut-tre pas aujourdhui ; je crains que son pre ne len empche ; Dieu soit bni de tout. Joubliais vous rpondre touchant la mre des surs du Mans et leur matresse ; ne vous en mettez pas en peine, sil vous plat ; ce qui leur a fait faire tant de bruit nest que lapprhension quelles avaient quon envoyt leurs filles en Canada pour les marier avec les sauvages ; mais ce bruit, qui a couru ici, svanouit peu peu ; tout ce quil y a faire pour contenter la mre et la matresse est de faire que les filles leur crivent et leur marquent le contraire, et le31

Matre ou pre des pauvres, nom donn alors aux administrateurs de lhpital.

contentement quelles ont dans leur tat. Au reste, la mre a tort de redemander sa fille dernire reue, parce quelle ma pri plusieurs fois avec instance de moyenner sa rception. [39] M. Gallais serait bien aise dapprendre des nouvelles de celle qui a demeur en cet Htel-Dieu ; si elle tmoigne aimer sa vocation ; comment elle se porte et agit ; et moi je suis impatient de savoir si votre chre Communaut est encore tablie ou non, et si la requte prsente M. le coadjuteur a opr pour cet effet. Je fais tat de partir demain, Dieu aidant, pour aller Saint-Men en Bretagne, et de l revenir Angers. Je demande encore le secours de vos prires et celles de nos chres surs que je salue en toute humilit et confiance, et suis en lamour de Notre-Seigneur et de sa sainte mre. M" Le Gras crivait M. Portail, en rponse sa lettre du 4. mai 11 mai 1646. Monsieur, Je vous supplie trs humblement de prendre la peine me mander ltat auquel vous avez laiss nos surs, et me donner les avis dont nous avons besoin pour avoir intelligence avec elles, par lettres, pour les difficults qui pourront survenir entre elles et les autres filles. Je vous supplie aussi, Monsieur, me faire le bien me mander, comme vous tes convenu, nous envoyant cette bonne fille de lhpital, tant avec les administrateurs comme avec elle ; si cest purement pour tre des ntres, sans obligation la renvoyer, quen la manire que nous faisons des autres. Combien de temps vous jugez ncessaire que nous laissions l ma sur Jeanne Lepintre, et si nous pouvons esprer votre retour dans lanne prsente ? Obligez-nous, Monsieur, en quelque lieu que vous soyez, de nous donner de fois autres de vos chres nouvelles. Il faut que je vous dise, en vrit, que votre absence cote beaucoup toute la Compagnie ; nous lprouvons tous les jours de plus en plus. [40] Dieu soit bni de toutes choses, et sa sainte volont prfre tout ! Nous esprons beaucoup de votre assistance devant Dieu. Toutes nos surs, vos chres filles, ont une joie trs particulire dentendre que vous vous souvenez delles, et vous saluent de tout leur cur, vous assurant quelles prient bien Dieu pour vous, et leur sur servante serait trop ingrate, si elle y manquait. Jespre de votre charit non pareille, que vous nous enverrez notre rglement le plus tt que vous pourrez, et les instructions dont nous avons besoin pour en faire usage, afin que les peines que votre charit, a prises pour nous, soient suivies du bien que vous avez prtendu, ce que jespre, aides de vos saints sacrifices et prires. Je vous en supplie trs humblement pour lamour de Dieu auquel je suis votre trs obissante servante. L. DE MARIlLAC. En quittant Le Mans, M. Portail se rendit Angers ; voici dans quels termes il annonait aux surs sa prochaine Du Mans, 3 juin 1646. Voici deux de vos surs de Paris que M. Vincent et Mlle Le Gras vous envoient en la place de la dfunte et de celle qui doit sen aller Paris ; vous les prsenterez sil vous plat Messieurs les administrateurs pour les faire recevoir ; je pense que vous avez reu la lettre de Mademoiselle pour le mme sujet, ou bien vous la recevrez bientt par le messager, et jespre, Dieu aidant, davoir le bien. de vous voir dans sept ou huit jours au plus tard, si rien de nouveau ne marrte ici plus longtemps. Cependant je vous salue en toute humilit et ensemble nos autres surs vos compagnes, vous souhaitant toutes la bndiction de Notre-Seigneur Jsus-Christ en lamour de qui je suis, etc [41] Aprs avoir fait la visite aux surs dAngers, M. Portail en rend compte en ces termes M" Le Gras DAngers, 16 juin 1646. Mademoiselle, La grce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Ces lignes ne sont que pour vous donner avis que jai reu quatre filles pour aller faire leur essai chez vous et tre de vos filles ; elles font tat de partir ensemble dans huit jours ; mais je ne puis pas assurer si elles seront toutes prtes pour ce jour-l ; peut-tre quil y en aura quelquune qui diffrera son voyage ; MM. Tonnelier et Ratier32, leur ont donn leur approbation, et jen ai fait de mme, aprs avoir fait les preuves et informations requises. Je pense quelles feront bien, Dieu aidant, quoiquil y en ait une qui semble ntre gure saine, mais on ma dit que ce nest que la couleur du visage qui trompe le monde. Je men vais partir pour aller en Bretagne aprs avoir visit vos filles dici, qui mont consol plus que je ne saurais dire ; je me rserve de vous en crire par le premier courrier plus particulirement, et vous rendre compte de ma visite. Cependant je mendie toujours le secours de vos prires et de votre chre communaut tant en Notre-Seigneur, etc A la fin de juin, il crit la sur Jeanne de la Croix 30 juin 1646. Jai reu depuis quelque temps vos deux lettres ; jai satisfait la premire par lentremise de la sur Julienne et de la sur Mathurine, qui vous crivent la convalescence de Mlle Le Gras, qui tait tout ce que pour lors vous dsirez savoir de moi ; et pour ce qui est de la seconde lettre [42] quon ma rendue depuis quatre ou cinq jours, je men vais y32

arrive

Pres des pauvres, nom donn aux administrateurs des hpitaux.

satisfaire, en vous disant premirement que M. Vincent, M. Almras et M"- Le Gras se portent bien, grce Dieu, et moi aussi par sa misricorde ; nous vous donnons toujours part nos prires et sacrifices afin que de plus en plus vous mritiez bonnes enseignes le nom que vous portez, et que la croix vous porte toujours au ciel auprs de celui qui la porte pour vous et pour tous, en rcompense de celle que vous aurez porter pour son amour, dans cette valle de misres et de larmes ; secondement, vous savez que M. Gentil nest plus au Mans, il y a plus dun an ; ce qui na pas empch que je nai fait ce quil fallait de votre rente ; jai cet effet crit au suprieur du Mans, et jai obtenu une lettre de M. Gentil adresse celui qui la succd en son office de procureur, le tout tendant de faire en sorte quon vous crive et moyenner que vos papiers et votre rente soient en bonne main, en attendant lordre quon vous donnera ldessus ; ds que jen aurai rponse, je ne manquerai pas de vous le mander. Je ne pense pas que quelquun des ntres aille cette anne aux eaux de Forges ; si pourtant quelquun y allait, il ne manquera pas de vous voir et de contribuer lexcution de votre bon dessein ; je me recommande vos prires et celles de notre bonne sur Marie, que je salue avec vous en esprit de charit et de respect, et en lamour de Notre-Seigneur Jsus-Christ et de sa Sainte Mre, etc Aprs avoir visit avec soin la maison des Filles de la Charit dAngers, voici le rglement que leur laissa M. Portail. Avis donns aux Filles de la Charit dAngers, de la part de M. Vincent, gnral de la Mission, par M. Portail. 15 juin 1646. 1 Elles se reprsenteront souvent que Dieu les a appeles [43] et unies ensemble, pour honorer Notre-Seigneur JsusChrist, en la personne des pauvres, par le service spirituel et corporel quelles leur rendent ; et que le vrai moyen de bien sacquitter de ce devoir, et par consquent faire leur salut, est lobservance de leurs rgles. 2 Toutes les fois quon fera lecture de- leurs rgles, elles seront soigneuses, non seulement de les bien couter, mais encore de les bien entendre, pensant mme temps aux dfauts quelles auront commis contre ficelles, et aux moyens de sen corriger. Et, outre cela, elles les prendront pour sujet de leur oraison tous les premiers dimanches du mois, aprs quon les leur aura lues. 3 En toutes leurs actions, particulirement quand il faudra servir les malades, elles tcheront davoir une pure intention de plaire Dieu, se gardant bien dy chercher leur propre satisfaction ou lestime du monde. 4 Elles nauront aucune attache aux lieux ou aux emplois, ni aux personnes, non pas mme ses parents, ni son confesseur, ainsi seront toujours prtes de tout quitter de bon cur quand on le leur ordonnera. 5 Elles feront tout leur possible de vivre en grande union avec leurs surs, et de ne jamais se dpiter, ni murmurer, ni se plaindre delles ; ainsi supporter les imperfections les unes des autres, chassant soigneusement toutes les penses daversion quune aurait lautre ; comme aussi les amitis particulires. 6 Si par infirmit, il arrivait que lune et contrist lautre, elle lui en demandera pardon genoux sur-le-champ, sil se peut commodment, et lautre souffrira de bon cur et humblement cette humiliation, se mettant aussi genoux. 7 Elles feront en sorte que la douceur et cordialit paraissent toujours en leurs paroles et en leur visage ; non seulement entre elles, mais encore avec les externes, tcheront nanmoins de ne jamais abandonner le respect quelles [44] doivent avoir lune lautre, particulirement lgard de la sur servante. 8 Elles se garderont bien de contester ensemble, et chacune aimera mieux suivre lavis de sa sur que le sien propre, en toutes choses qui ne sont pas pch. 9 Elles se garderont bien de communiquer leurs tentations, mcontentements et autres peines intrieures leurs surs, encore moins aux personnes de dehors ; mais seulement la sur servante, ou au directeur, et cela au plus tt, tchant davoir une grande confiance leur ouvrir le cur. Et pour mieux sacqurir cette confiance, elles se prsenteront une fois le mois la sur servante pour lui faire sa communication. 10 Elles seront exactes donner avis promptement la sur servante, des dfauts de quelque consquence quelles auront remarqus en leurs surs, et seront bien aises que leurs propres fautes lui soient pareillement dcouvertes, alias quelle y mette remde de bonne heure. Si elles remarquaient aussi quelque dsordre dans lhpital, soit parmi les malades, soit parmi les domestiques ou autres, elles en avertiront aussi la sur servante, afin quelle en donne avis charitablement Messieurs les administrateurs. 12 Et afin que la sur servante ne soit de pire condition que les autres surs, ds quune sur aura vu en elle quelque dfaut considrable et dimportance, elle lui fera la charit de len avertir humblement, non par ellemme, mais par lentremise de lassistante, laquelle elle le dira tout bonnement et en vue de Dieu se gardant bien dy procder par passion. 13 Elles ncriront, ni ne feront crire, ni enverront aucune lettre, sans en avoir eu la permission de la sur servante, ni nouvriront celles quon leur envoie sans la mme permission. Si pourtant quelquune veut crire au gnral de la Mission, ou la suprieure de la maison de [45] Paris, elle le pourra faire, sans que ladite sur servante la lise, laquelle aussi rendra fermes celles qui sadressent quelques particulires de la part du Directeur gnral ou de la Suprieure de Paris. 14 Elles garderont en tout temps la sainte modestie, particulirement dans les salles et en prsence des externes, se gardant bien surtout des lgrets, particulirement de se toucher lune lautre, mme par joie ou par signe damiti ; si ce nest quand la charit le requiert, comme quand il est question dembrasser avec cordialit celles qui sont nouvellement reues, ou viennent des champs, ou quon na vues ds longtemps, et semblables occasions ; et alors il est permis de se baiser la joue, mais non jamais la bouche. 15 Elles seront plus soigneuses de garder le silence quelles nont fait par le pass, particulirement le matin avant loraison et le soir aprs les prires, et durant lheure ddie pour honorer la mort de Notre-Seigneur. Que, sil est ncessaire de parler, ce sera voix basse et en peu de paroles.

16 Elles feront en sorte que leurs rcrations soient toujours assaisonnes de modestie, aussi bien que de gaiet, mlant les entretiens de pit et ddification avec les indiffrents, mais innocents, sabstenant . cet effet de parler des affaires du monde, des nouvelles du temps, de la conduite des suprieurs et suprieures, des dfauts dautrui, mme de certaines imperfections et incivilits dont les surs se pourraient offenser si on les raillait, quoiquelles ne doivent pas les prendre en mauvaise part. 17 Surtout elles seront exactes obir la sur servante et leur directeur, leur soumettant non seulement la volont, mais encore le jugement, et ne faisant, ni omettant rien sans sa permission, autant quil sera possible ; particulirement en ce qui regarde les pnitences corporelles, la confession, la communion et certaines pratiques de dvotion. [46] 18 Elles obiront aussi la sur assistante et auront recours elle pour les permissions et besoins, quand la sur servante sera malade ou absente. 19 Elles seront soigneuses de garder lordre de la journe faisant fidlement tous leurs petits exercices, tant spirituels que corporels, prcisment aux heures marques autant que faire se pourra, particulirement loraison, les examens, et la lecture spirituelle : de sorte nanmoins que le service des pauvres soit prfr tout autre exercice, et seront diligentes se lever et shabiller pour tre des premires loraison. 20 Elles studieront sur toutes choses bien faire leurs confessions, se gardant bien dy aller par coutume ou par scrupule ou par attache. Et pour obvier ces inconvnients, elles tcheront de sajuster la pratique et mthode dont lon use en la Compagnie qui est : que dans les confessions ordinaires, on saccuse seulement de trois dfauts, de ceux qui sont les plus importants ou qui donnent plus de confusion et dont on a plus de regret et de dsir de samender. Et sil est expdient den dire davantage, elles en demandent permission au confesseur ; et lon conclut toujours par un de la vie passe dont on sest dj accus ; lon diversifie autant que lon peut en sorte que les confessions soient diffrentes les unes des autres. 21 Elles se souviendront de la recommandation quon leur a souvent faite, de ne point sarrter, sans permission, parler aux personnes de dehors, comme aussi avec les malades ; mais particulirement avec les serviteurs domestiques. Si, pourtant, quelque honnte personne leur demandait quelque chose, elles tcheront de leur rpondre avec respect et cordialit ; mais en un mot ou bien leur feront trouver bon de sadresser la sur servante. Sil est ncessaire aussi de dire un mot de consolation ou dinstruction aux femmes fort malades, elles le feront en la vue de Dieu. 22 Elles studieront avoir un grand support [47] lgard delles-mmes en leurs propres imperfections, se gardant bien de se dcourager pour les dfauts o elles tomberont, ainsi sen humilieront et feront des nouvelles rsolutions de sen corriger, ayant confiance que Dieu leur en fera la grce. 23 Elles liront ou entendront lire tous les mois ces avis et feront leur possible de les mettre en pratique et de faire ensuite leur oraison, comme il est dit des rgles V (juin-aot 1646) Visite Saint-Men. - Difficults de la maison. - Visite Richelieu. - Lettres de saint Vincent M. Portail. - Lettre de MU- Le Gras M. Portail. - Voyages Saintes-Lettre de saint Vincent M. Portail. DAngers, M. Portail stait rendu Saint-Men ; jamais tablissement na donn plus de chagrin au serviteur de Dieu que celui-ci. A peine ses missionnaires y taient-ils entrs, quen vertu dun arrt du parlement de Bretagne, ils en furent chasss. Saint Vincent qui, quelques mois auparavant, avait crit un des siens, quil valait mieux perdre que de plaider, voulut retirer ses prtres dont il avait besoin ailleurs : mais lvque sy opposa fortement. Il lui reprsenta quil navait rien fait quen consquence des lettres-patentes du Roi, (20 octobre 1643) ; quil ny avait dans labbaye de SaintMen que deux anciens moines, dont il avait obtenu le consentement, et qui ntaient ni ne voulaient tre rforms ; que lAbbaye, constamment soumise la juridiction de ses prdcesseurs et la sienne, ntait membre daucune congrgation, et que, indpendante de tout autre corps, elle navait jamais reu de visite que de la part des vques. Saint Vincent lui laissa donc ses prtres, et leur donna lordre de lui obir ; mais il se donna bien de garde dentrer en cause, et il ny [48] entra effectivement jamais, ni pour lui, ni pour les siens. Une lettre de saint Vincent (29 juillet 1646) M. Bourdet, suprieur de cette maison, annonait la visite de M. Portail, et une seconde lettre du 23 juillet au mme M. Bourdet parle des ordonnances de M. Portail, lors de sa visite. Enfin, plusieurs autres lettres M. Portail, adresses Richelieu par saint Vincent, nous renseignent sur la suite de son voyage. Toutes ces lettres, si bienveillantes et si cordiales, font voir lestime et laffection que portait saint Vincent M. Portail. Une lettre du 13 aot 1646 de M" Le Gras M. Portail, Richelieu, tmoigne dune estime et dun respect non moindres ; en outre, elle nous donne quelques renseignements prcieux. Ce 13 aot 1646. Monsieur, Je vous puis dire que je crois que a t la divine Providence et non nous qui avons envoy Richelieu ma sur Turgis laquelle nous navons point pens du tout que la surveille que nous partmes pour Nantes o nous sommes depuis jeudi au soir, mais je crois comme vous quelle y fera bien et aussi que cela lui servira dtre en ce lieu-l nayant pas assez de force pour ailleurs, quoique pourtant elle y tait destine ; jespre avec la grce de Dieu et vos saintes instructions quelles rpareront le dchet qui a paru aux autres. Prenez garde, Monsieur, sil vous plat, que a plutt t la sur Anne que la sur Marguerite qui a introduit la manire de coiffure que vous me faites lhonneur de me mander ; car je sais que son esprit a grande pente faire lentendue, la bien dvote et savante pour ne pas dire petite vaniteuse et cela partout autant avec les dames quavec les pauvres, et aime dire quantit de paroles [49] dhumilit qui ont apparence daffecter la louange. Voil bien du mal, jentends nanmoins, Monsieur, ne parler que des dispositions de la nature, et jespre que la grce en tirera du bien ; je noserais rien vous dire sur cette proposition du petit voile sinon que je crois que M. Vincent lapprhende grandement et avec raison, quoique plusieurs fois je lui ai fait la proposition non pas

dun voile, cela est tout fait craindre, mais de quelque chose qui peut un peu cacher le visage du grand froid et du grand chaud, et pour cela nous a permis que les surs nouvellement coiffes portassent une cornette de toile blanche sur leur tte dans ses besoins ; mais, pour du noir, oh, monsieur, cela ne me parat point faisable. Pour les dfauts que vous avez remarqus et quantit dautres inconvnients, il faut, je crois, attendre l-dessus la rsolution de M. Vincent. Dieu soit bni, Monsieur, que cet usage soit cess. En attendant, je suis les coutumes de ce lieu et ne sais pas sil serait expdient que nos surs en usassent plutt que de quelque autre particulire. La divine providence ayant prvenu la connaissance de votre avis au sujet de ma sur Brigitte nous a fait prvenir ma sur Jeanne malade en tat de ne pas pouvoir partir dAngers, ce qui nous fit rsoudre demmener ma sur Brigitte ayant aussi connu son besoin. Dieu nest-il pas admirable en ses conduites sur notre petite Compagnie ? Je vous supplie trs humblement, Monsieur, lui en tre reconnaissant pour suppler nos ingratitudes. Que votre humilit fait bien la leon mon orgueil ! Je vous dirai, Monsieu