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Nouveaux anticoagulants oraux chez les patients atteints de fibrillation atriale, comment éviter les accidents ? Vladimir Manenti, Etienne Aliot Institut Lorrain du coeur et des vaisseaux, département de cardiologie, 54511 Vandoeuvre-lès-Nancy, France Correspondance : Vladimir Manenti, Institut Lorrain du coeur et des vaisseaux, département de cardiologie, rue du Morvan, 54511 Vandoeuvre-lès-Nancy, France. [email protected] Disponible sur internet le : 21 juin 2014 Depuis quelques années ont été développées dans la fibrillation atriale de nouvelles molécules, alternatives aux anti-vitamines K dans la prévention des accidents thromboem- boliques artériels chez les sujets à risque. Les nouveaux anti- coagulants oraux (NACO), aussi appelés anti-thrombotiques directs, ont pour avantage de dispenser de surveiller l’INR, du fait d’une moindre variabilité interindividuelle par rapport aux anti-vitamines K (AVK). Cependant, l’erreur de prescription, en termes d’indication ou de posologie, l’interaction médica- menteuse ou le défaut d’éducation thérapeutique n’a pas disparu pour autant. Le risque hémorragique ou thrombotique est toujours présent chez les patients sous NACO. Les effets indésirables des anticoagulants ont été et seront toujours redoutés par les patients et les praticiens, d’autant plus dans le contexte actuel de méfiance des patients vis-à-vis des nouvelles molécules commercialisées par les firmes pharma- ceutiques. Ainsi, il est de notre devoir de savoir prescrire ces Presse Med. 2014; 43: 775783 ß 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE Dossier thématique 775 Mise au point Key points Novel oral anticoagulants in patients with atrial fibrilla- tion, how to avoid accidents? Know the indications of these new drugs, and respect them. Do not confuse easiness of administration and absence of precautions. Renal function: a key parameter before and during treatment. Know when to use a low-dose drug regimen. Cardioversion: lack of safety evidence for some drugs. Drug interactions: beware of P-glycoprotein and cytochrome P450. Points essentiels Connaître les indications de ces nouvelles molécules, et s’y limiter. Ne pas confondre facilité d’utilisation avec absence de précau- tions. La fonction rénale : un paramètre obligatoire pré- et per- thérapeutique. Savoir pour quels patients utiliser une posologie faible. Cardioversion : encore trop peu de recul pour certaines molé- cules. Interactions médicamenteuses : attention à la glycoprotéine P et au cytochrome P450. tome 43 > n878 > juilletaoût 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.003

Nouveaux anticoagulants oraux chez les patients atteints de fibrillation atriale, comment éviter les accidents ?

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Presse Med. 2014; 43: 775–783� 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE

CARDIOLOGIE

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Key points

Novel oral anticoagulants in

tion, how to avoid accidents?

Know the indications of these nDo not confuse easiness of adprecautions.Renal function: a key parameterKnow when to use a low-dose

Cardioversion: lack of safety evDrug interactions: beware of P-P450.

tome 43 > n87–8 > juillet–août 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.003

Nouveaux anticoagulants oraux chez lespatients atteints de fibrillation atriale,comment éviter les accidents ?

Vladimir Manenti, Etienne Aliot

Institut Lorrain du coeur et des vaisseaux, département de cardiologie,54511 Vandoeuvre-lès-Nancy, France

Correspondance :Vladimir Manenti, Institut Lorrain du coeur et des vaisseaux,département de cardiologie, rue du Morvan, 54511 Vandoeuvre-lès-Nancy, [email protected]

Disponible sur internet le :21 juin 2014

patients with atrial fibrilla-

ew drugs, and respect them.ministration and absence of

before and during treatment.drug regimen.idence for some drugs.glycoprotein and cytochrome

Points essentiels

Connaître les indications de ces nouvelles molécules, et s’ylimiter.Ne pas confondre facilité d’utilisation avec absence de précau-tions.La fonction rénale : un paramètre obligatoire pré- et per-thérapeutique.Savoir pour quels patients utiliser une posologie faible.Cardioversion : encore trop peu de recul pour certaines molé-cules.Interactions médicamenteuses : attention à la glycoprotéine Pet au cytochrome P450.

Depuis quelques années ont été développées dans lafibrillation atriale de nouvelles molécules, alternatives auxanti-vitamines K dans la prévention des accidents thromboem-boliques artériels chez les sujets à risque. Les nouveaux anti-coagulants oraux (NACO), aussi appelés anti-thrombotiquesdirects, ont pour avantage de dispenser de surveiller l’INR,du fait d’une moindre variabilité interindividuelle par rapportaux anti-vitamines K (AVK). Cependant, l’erreur de prescription,

en termes d’indication ou de posologie, l’interaction médica-menteuse ou le défaut d’éducation thérapeutique n’a pasdisparu pour autant. Le risque hémorragique ou thrombotiqueest toujours présent chez les patients sous NACO.Les effets indésirables des anticoagulants ont été et seronttoujours redoutés par les patients et les praticiens, d’autant plusdans le contexte actuel de méfiance des patients vis-à-vis desnouvelles molécules commercialisées par les firmes pharma-ceutiques. Ainsi, il est de notre devoir de savoir prescrire ces

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nouvelles molécules, de connaître leurs avantages commeleurs inconvénients, et surtout leurs limites. La dispense desurveillance d’INR ne doit pas se transformer en une absence desurveillance du patient.Cette mise au point passe en revue les situations à risqued’accident, aux deux extrémités du spectre de la fenêtrethérapeutique afin d’éviter les hémorragies graves et lesaccidents thromboemboliques sous traitement. Les trois nou-velles molécules actuellement disponibles en France et enEurope – dabigatran, rivaroxaban et apixaban – seront étudiéesen profondeur, avec un complément d’information pour l’edo-xaban, qui n’a pas encore obtenu l’autorisation de mise sur lemarché à ce jour dans cette indication.

Caractéristiques des NACOLa fibrillation atriale est une cause majeure de mortalité et demorbidité. Elle est responsable de la formation de thrombusdans l’auricule gauche, dont l’embolisation peut entraîner desaccidents vasculaires cérébraux, de conséquence gravissime,en termes de mortalité ou de handicap. C’est une affectionfréquente, qui croît en même temps que le vieillissement de lapopulation, atteignant 1 à 2 % de la population générale, et 5 à15 % de la population de plus de 80 ans. La fibrillation atrialemultiplie le taux d’incidence d’accident vasculaire cérébral(AVC) par 5, par rapport à la population générale [1].Les AVK sont le traitement de référence pour la prévention descomplications thromboemboliques de la fibrillation atriale. Ilsont montré une réduction relative du risque d’AVC de 64 % parrapport au placebo, ce qui équivaut à une réduction absolueannuelle du risque d’AVC de 2,7 % [2]. En prévention primaire,le nombre de patients à traiter pendant un an pour prévenir unAVC est estimé à 40, il est estimé à 14 en prévention secon-daire.Depuis quelques années ont émergé de nouvelles molécules,alternatives à la warfarine et aux autres anti-vitamines K dansla fibrillation atriale. Il s’agit des nouveaux anticoagulantsoraux. L’un d’entre eux est un antithrombine direct (dabiga-tran), les trois autres sont des inhibiteurs du facteur X (rivaro-xaban, apixaban, edoxaban). Ces molécules partagent descaractéristiques communes : elles ont une demi-vie courte

Tableau I

Mécanismes d’action et pharmacocinétique de la warfarine, du dab

Warfarine Dabigatran

Cible II, VII, IX, X Thrombine

Pic d’action 72–6 h 2 h

Demi-vie 40 h 14–17 h

Élimination rénale < 1 % � 80 %

Antidote Oui Non

(par rapport aux AVK), leur effet n’est pas sujet à de grandesvariations interindividuelles (contrairement aux AVK), et ellesne nécessitent donc pas de surveillance de leur activité anti-coagulante. En outre, une partie non négligeable de leurélimination est rénale, et aucun antidote n’est commercialiséà ce jour.Le tableau I résume les principales caractéristiques de cesproduits, en comparaison à la warfarine.

Essais de non-infériorité versus warfarineLe dabigatran (PradaxaW), le rivaroxaban (XareltoW), l’apixa-ban (EliquisW), et l’edoxaban (non commercialisé) ont prouvéleur non-infériorité, par rapport au traitement de référence, lawarfarine (CoumadineW) ajustée à l’INR, dans la prévention desévénements thromboemboliques de la fibrillation atriale, dansde larges essais randomisés, chez des patients à risque [3–6]. Ànoter qu’en France, c’est surtout la fluindione (PreviscanW), dedemi-vie plus courte, qui est utilisée dans cette indication. Dansces essais étaient inclus des patients atteints de fibrillationatriale non valvulaire, avec facteurs de risque thromboembo-lique (calculé par le score de risque CHADS2, basé sur unsystème de points en fonction de certains critères de risque[7]). Rappelons que la fibrillation atriale valvulaire est définiepar la présence d’une prothèse valvulaire ou d’une valvulopa-thie sévère. Les NACO ont montré, dans ces essais, de façonsystématique, une diminution du risque d’hémorragie intracrâ-nienne et une tendance à la diminution de la mortalité toutescauses confondues (bien que ces études n’aient pas étéconçues pour prouver une supériorité, mais bien pour prouverleur non-infériorité par rapport au traitement de référence). Letableau II reprend les résultats de ces études randomisées.Ces quatre molécules ont donc montré une diminution signi-ficative du taux d’hémorragie intracrânienne, mais seul ledabigatran à la dose de 150 mg deux fois par jour a montréune diminution significative du taux d’AVC ischémiques. Ellesont montré de façon constante une diminution du taux desaignement, mais seul l’apixaban a démontré une réduction dutaux d’incidence de tous les types de saignements majeurs.Dans ces quatre grandes études randomisées dites « de non-infériorité », on observait une tendance à la diminution de

igatran, du rivaroxaban, de l’apixaban et de l’edoxaban

Rivaroxaban Apixaban Edoxaban

Xa Xa Xa

2,5–4 h 3 h 2 h

5–9 h 8–15 h 9–11 h

� 33 % � 27 % � 35 %

Non Non Non

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Tableau II

Récapitulatif des études de non-infériorité NACO versus warfarine, en prévention des emboles artériels systémiques, chez les patientsatteints de fibrillation atriale non valvulaire

RE-LY ROCKET-AF ARISTOTLE ENGAGE-AF

NACO Dabigatran Rivaroxaban Apixaban Edoxaban

Nombre de patients 18 113 14 264 18 201 21 105

Suivi (années) 2 1,9 1,8 2,8

Âge (ans) Moyen 71 Médian 73 Médian 70 Médian 72

CHADS2 (moyen) 2,1 3,5 2,1 2,8

Dose 110 mg 2/j 150 mg 2/j 20 mg 1/j 5 mg 2/j 60 mg 1/j 30 mg 1/j

Risque relatif nouvel anticoagulant oral contre warfarine (intervalle de confiance)

AVC 0,90 (0,74–1,10) 0,65 (0,52–0,81) 0,88 (0,75–1,03) 0,79 (0,66–0,96) 0,79 (0,63–0,99) 1,07 (0,87–1,33)

HIC 0,30 (0,19–0,45) 0,41 (0,28–0,60) 0,67 (0,47–0,93) 0,42 (0,30–0,58) 0,54 (0,38–0,77) 0,33 (0,22–0,50)

Saignement majeur 0,80 (0,70–0,93) 0,93 (0,81–1,07) 1,04 (0,90–1,20) 0,69 (0,60–0,80) 0,80 (0,71–0,91) 0,47 (0,41–0,55)

Décès 0,91 (0,80–1,03) 0,88 (0,77–1,00) 0,85 (0,70–1,02) 0,89 (0,80–0,99) 0,92 (0,83–1,01) 0,87 (0,79–0,96)

AVC : accident vasculaire cérébral ou embole systémique ; HIC : hémorragie intracrânienne ; CHADS2 : score de risque thromboembolique côté sur 6 (plus le score est élevé, plus lerisque d’accident thromboembolique est grand.

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mortalité toutes causes confondues pour les NACO, compara-tivement à la warfarine, mais seul l’apixaban dans l’étudeARISTOTLE a permis de réduire de façon statistiquement signi-ficative la mortalité toutes causes confondues (critère secon-daire d’évaluation selon le protocole). Il est utile de préciser icique l’essai de phase II dit RE-ALIGN, qui comparait le dabigatranet la warfarine, chez des patients récemment opérés d’uneprothèse valvulaire mécanique aortique ou mitrale, a été arrêtéprématurément du fait d’une augmentation du taux d’inci-dence d’événements thrombotiques et hémorragiques dansle bras dabigatran [8]. Ces médicaments sont donc formelle-ment contre-indiqués en cas de prothèse valvulaire.

Insuffisance rénaleContrairement aux AVK, les NACO sont tous éliminés, dans desproportions variables mais significatives, par les reins, exposantle patient à une accumulation de principe actif, et donc à unehémorragie, potentiellement grave, en cas d’altération de lafonction rénale. On peut prédire que l’insuffisance rénale sera lacause d’accident hémorragique évitable sous NACO la plusimportante, et la plus regrettable, car facilement identifiable.Il faut que les prescripteurs déplacent leur attention de l’INRvers la clairance de la créatinine. Les traitements par NACO sontmoins contraignants que ceux par anti-vitamine K, mais s’ilsdispensent de surveiller l’INR, ils imposent une surveillanceaccrue de la fonction rénale. Par ordre décroissant, la proportionde drogue active éliminée par le rein est de 80 % pour ledabigatran, de 35 % pour l’edoxaban, de 33 % pour le riva-roxaban, et de 27 % pour l’apixaban.

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Trois des quatre essais de phase III précédemment citésprévoyaient des précautions particulières selon la fonctionrénale dans leur protocole. Il faut le rappeler, les patientsatteints d’insuffisance rénale sévère n’ont pas été inclusdans ces études. Dans l’étude dite RE-LY [3], les patientsétaient exclus s’ils avaient une clairance de la créatinineinférieure à 30 mL/min. Dans l’étude dite ROCKET-AF [4], lespatients étaient exclus si la clairance de la créatinine étaitinférieure à 25 mL/min, et une dose faible (15 mg une foispar jour) était employée si elle était entre 30 et 49 mL/min.Dans l’étude dite ARISTOTLE [5], les patients dont la clairanceétait inférieure 25 mL/min étaient exclus. De plus, le pro-tocole de cette étude prévoyait une posologie basse pour lespatients chez qui l’on pouvait suspecter une accumulation deprincipe actif. Ainsi, la dose d’apixaban de 2,5 mg deux foispar jour (à la place de 5 mg deux fois par jour) était donnéeaux patients réunissant au moins deux des critères suivants :âge supérieur à 80 ans, poids inférieur à 60 kg, créatininémiesupérieure à 15 mg/L. Dans l’étude dite ENGAGE-AF [6], lespatients ayant une clairance de moins de 30 mL/min étaientexclus.Dans les essais dits RE-LY, ROCKET-AF et ARISTOTLE, indépen-damment de la posologie attribuée et du type de traitement, ily avait un nombre plus élevé de complications hémorragiqueschez les patients atteints d’insuffisance rénale, par rapport àceux ayant une fonction rénale préservée [3–5,7–10].Les NACO doivent donc être utilisés avec précautions en casd’insuffisance rénale, affection dont la fréquence est loin d’êtrenégligeable dans la population concernée.

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Le dabigatran est contre-indiqué en Europe et en France en casde clairance de la créatinine inférieure à 30 mL/min. La dose de110 mg est préconisée par la société européenne de cardiologiesi la clairance de la créatinine est entre 30 et 45 mL/min. Lepotentiel de diminution de l’élimination et d’augmentation dela concentration plasmatique a même amené les autoritésNord-Américaines, sur la base de modèles pharmacocinétiqueet pharmacodynamique, à proposer un nouveau dosage de75 mg, non étudié dans des essais de phase III, aux patientsdont la fonction rénale est entre 15 et 30 mL/min.Le rivaroxaban est contre-indiqué si la clairance de la créatinineest inférieure à 15 mL/min. La dose de 15 mg une fois par jourest préconisée si la clairance de la créatinine est entre 15 et30 mL/min.L’apixaban est contre-indiqué si la clairance de la créatinine estinférieure à 15 mL/min. La dose de 2,5 mg deux fois par jour estpréconisée si la créatininémie est supérieure à 15 mg/L.Les auteurs de cet article, au vu des critères d’inclusion utilisésdans les essais de non-infériorité dits RE-LY (dabigatran vswarfarine), ROCKET-AF (rivaroxaban vs warfarine) et ARISTOTLE(apixaban vs warfarine), déconseillent l’utilisation de ces troismolécules dès lors que la clairance de la créatinine estinférieure à 30 mL/min. Cela est en accord avec les recom-mandations de la société européenne de cardiologie [11].

Âge du patientDans l’essai de non-infériorité dit RE-LY (dabigatran vs warfa-rine), l’âge moyen des patients était de 71 ans. L’âge ainfluencé de manière statistiquement significative le risquede saignement. Chez les patients âgés de moins de 75 ans,par rapport à la warfarine, le risque du saignement majeur étaitplus faible, pour les deux dosages de dabigatran (110 et150 mg). Par contre, chez les plus de 75 ans, le taux desaignement majeur était similaire pour le dabigatran dosé à110 mg, mais on observait un risque plus important de sai-gnement pour le dabigatran dosé à 150 mg. Bien qu’il s’agissed’une tendance non statistiquement significative, enconséquence, le résumé des caractéristiques du produit dudabigatran mentionne que les patients âgés de plus de80 ans doivent recevoir le dosage de 110 mg deux fois par jour.Dans l’essai de non-infériorité dit ROCKET-AF (rivaroxaban vswarfarine), l’âge médian de la population était de 73 ans. L’âgedes patients n’a pas influencé le taux d’hémorragie. Donc,aucun ajustement de posologie n’est mentionné dans lerésumé des caractéristiques du produit.Dans l’essai de non-infériorité dit ARISTOTLE (apixaban vswarfarine), l’âge médian des patients était de 70 ans. L’âgedes patients (avec le poids et la créatininémie) était l’un descritères choisis pour sélectionner les patients du groupe àposologie faible, c’est-à-dire de 2,5 mg deux fois par jour,au lieu de 5 mg deux fois par jour.

L’âge du patient nécessite donc un ajustement de posologiepour le dabigatran et pour l’apixaban (en cas d’autre facteur derisque pour ce dernier), mais pas pour le rivaroxaban.

CardioversionLa cardioversion électrique expose à un surcroît d’événe-ments thromboemboliques chez les patients atteints defibrillation atriale. Ce risque est réduit par l’anticoagulation.L’indication d’anticoagulation dans la période qui entourela cardioversion (3 semaines avant et 4 semaines après)repose sur des études prospectives observationnelles defaible effectif, et sur des études rétrospectives [12–14].Qu’en est-il des NACO ? Peut-on actuellement effectuerune cardioversion sous dabigatran, rivaroxaban ouapixaban ? Faut-il faire une échographie transoesophagiennesystématiquement ?Dans l’étude RE-LY, évaluant la non-infériorité du dabigatranpar rapport à la warfarine, 1983 cardioversions ont été effec-tuées chez 1270 patients. Environ 80 % de ces cardioversionsétaient électriques. Lors d’une analyse post-hoc [15], aucunedifférence statistiquement significative n’a été observée entreles trois bras de l’étude (dabigatran 150 mg, dabigatran110 mg, warfarine).Dans l’étude ROCKET-AF, étudiant la non-infériorité du rivaro-xaban vs warfarine, dont la population complète était de14 264 patients, seuls 143 patients ont subi une cardioversionélectrique (181 cardioversions par choc électrique externe) et142 ont subi une cardioversion médicamenteuse (194 cardio-versions médicamenteuses). Aucune différence statistique-ment significative n’a été mise en évidence entre lespatients sous rivaroxaban et ceux sous warfarine, dans lessuites de ces cardioversions. Une étude prospective est encours avec le rivaroxaban [16].Dans l’étude ARISTOTLE, étudiant la non-infériorité de l’api-xaban vs warfarine, incluant 18 201 patients, 540 ont subiune cardioversion (743 cardioversions). Durant la période desuivi de 30 jours, aucun événement thromboembolique n’aété observé, et le taux de décès n’a pas différé entre lespatients recevant de l’apixaban et ceux recevant de lawarfarine [17].Au vu de ces essais cliniques, en accord avec les recomman-dations actuelles de la société européenne de cardiologie [11],l’auteur de cette mise au point déconseille la cardioversionélectrique sous rivaroxaban et apixaban dans l’attente d’essaisrandomisés. La réalisation d’une échographie transoesopha-gienne systématique chez les patients sous NACO est unealternative logique, mais non validée dans des essais dephase III. Le dabigatran est le NACO le mieux étudié à cejour dans ce contexte, et une cardioversion chez un patientobservant avec 3 semaines pré- et 4 semaines post-cardiover-sion est une prise en charge tout à fait acceptable.

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Risque d’infarctus du myocarde

En ce qui concerne l’apixaban, le rivaroxaban et l’edoxaban, iln’y a pas eu de majoration du taux d’infarctus du myocardedans les études ARISTOTLE, ROCKET-AF et ENGAGE-AF.Par contre, dans la publication originale de l’étude de non-infériorité RE-LY [3], les patients traités par dabigatran à ladose de 150 mg deux fois par jour ont eu un surcroît d’infarctusdu myocarde (risque relatif 1,38 ; IC 95 % 1,00–1,91 ; p = 0,048).Toujours dans la publication originale, les patients du brasdabigatran à dose plus faible (110 mg deux fois par jour)n’ont pas eu, de façon statistiquement significative, de surcroîtd’infarctus du myocarde, mais seulement une tendance (risquerelatif 1,35 ; IC 95 % 0,98–1,87 ; p = 0,07). Environ un an plustard, les auteurs de cet essai ont apporté une mise à jour de leursrésultats, en accord avec la Food and Drug Administration, faisantétat de 28 cas d’infarctus silencieux, définis par l’apparition d’uneonde q pathologique sur l’ECG de surface (aucun infarctus silen-cieux n’avait été rapporté dans la publication initiale). Aprèscette mise à jour, on n’observait plus de différence statistique-ment significative entre le bras 150 mg deux fois par jour et lebras warfarine (risque relatif 0,12 ; IC 95 % 0,94–1,71 ; p = 0,12).En janvier 2012, une synthèse méthodique de 7 essais rando-misés de non-infériorité comparant le dabigatran à la warfa-rine, à l’enoxaparine, ou au placebo a été réalisée [18]. Lapopulation totale était de 30 514 patients. Les essais concernésétudiaient le dabigatran dans plusieurs indications : préventionde l’accident vasculaire cérébral dans la fibrillation atriale,maladie veineuse thromboembolique, syndrome coronaireaigu, prévention à court terme de la thrombose veineuseprofonde. Les auteurs de cette synthèse méthodique ontretrouvé une augmentation du risque d’infarctus du myocardechez les patients traités par dabigatran (risque relatif 1,33 ; IC95 % 1,03-1,71 ; p = 0,03). Selon les auteurs de cet article,l’utilisation du dabigatran est associée à un surcroît d’infarctusdu myocarde.Début 2013, pour estimer le profil de risque du dabigatran dans la« pratique clinique », une étude de cohorte a été réalisée. Elleconcernait des patients traités par dabigatran pour fibrillationatriale non valvulaire. Un total de 4978 patients traités pardabigatran ont été inclus dans cette étude, et comparés à8936 patients traités par warfarine. Les patients sous dabigatranétaient appareillés (grâce à un score de propension) avec lespatients sous warfarine, afin de diminuer les biais de sélection detraitement, puisqu’il ne s’agissait pas d’une étude randomisée,mais d’une étude de cohorte, observationnelle. Les auteurs decette étude observationnelle ont conclu à l’absence d’augmen-tation du risque d’infarctus du myocarde, et même à unediminution de ce risque, pour les deux posologies étudiéesdans l’étude RE-LY, 110 mg fois deux et 150 mg fois deux.Cependant, l’auteur de cette mise au point considère que leniveau de preuve apporté par une synthèse méthodique

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d’essais randomisés est supérieur à celui d’une étude obser-vationnelle, et qu’aucun ajustement ne permet de s’affranchird’un biais de sélection aussi bien que la distribution aléatoired’un traitement, c’est-à-dire la randomisation. L’auteur consi-dère donc qu’en cas de coronaropathie ou de risque accrud’infarctus du myocarde, l’utilisation du dabigatran doit êtreprudente, et le choix d’un autre NACO ou de la warfarineenvisagé.

Procédures invasivesDe manière générale, les NACO doivent être interrompus avantun geste chirurgical, et repris après l’intervention dès que lerisque hémorragique est redevenu suffisamment faible. Eneffet, la balance entre, d’un côté, l’excès de saignement lorsde la chirurgie ou peu après, et de l’autre, le risque throm-boembolique pendant la période de non-traitement est nette-ment en faveur d’une interruption transitoire d’anticoagulation,généralement sans relais.Le temps nécessaire à l’élimination du dabigatran est dépen-dant de la clairance de la créatinine. Le résumé des carac-téristiques du produit (RCP) préconise donc l’arrêt dudabigatran 24 heures avant le geste si le débit de filtrationglomérulaire est supérieur à 80 mL/min, 24 à 48 heures si laclairance de la créatinine est entre 50 et 80 mL/min, et 48 à72 heures si celle-ci est entre 30 et 50 mL/min ; un à deux jourssupplémentaires est nécessaire en cas d’opération chirurgicalelourde ou de risque accru de saignement. Pour ce qui est durivaroxaban, le RCP recommande son arrêt 24 heures avant laprocédure. Pour l’apixaban, le RCP recommande son arrêt48 heures avant une chirurgie programmée à risque hémorra-gique modéré ou important, et 24 heures avant une chirurgie àfaible risque hémorragique.De nombreuses sources proposent la poursuite du traitementpar anti-vitamine K lors d’une extraction dentaire réglée,cependant, les données concernant les NACO sont insuffisantes,et l’extrapolation aux NACO de ce qui est vrai pour les AVK seraithasardeuse, voire dangereuse pour les patients.Néanmoins, une sous-étude de l’essai de non-inférioritécomparant le dabigatran à la warfarine (étude RE-LY) s’estintéressée aux saignements périprocéduraux [19]. Sur les18 113 patients inclus dans l’étude, un total de 4591 patientsont subi une procédure chirurgicale (soit 25 % de la populationenviron). Chez les patients assignés au traitement par dabiga-tran (110 mg fois deux ou 150 mg fois deux), la dernière prisede dabigatran était en moyenne 49 heures avant la procédure.Chez les patients assignés au traitement par warfarine, ladernière prise était en moyenne 114 heures avant la pro-cédure. Dans cette étude, il n’a pas été observé de différencestatistiquement significative en termes d’événements hémor-ragique dans la période périprocédurale entre les deux traite-ments. Cette période débutait 7 jours avant l’intervention, etdurait 30 jours après celle-ci.

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Encadre 1

Interactions pharmacocinétiques

Augmentant la concentration du substrat

� Inhibiteurs P-gp

Antifongiques azoles, inhibiteurs de protease du VIH, amiodarone,

diltiazem, verapamil

� Inhibiteurs CYP3A4

Antifongiques azoles, inhibiteurs de protease du VIH

Diminuant la concentration du substrat

� Inducteurs P-gp

Rifampicine, carbamazepine, phenytoıne, millepertuis

� Inducteurs CYP3A4

Rifampicine, carbamazepine, phenytoıne, millepertuis

V Manenti, E Aliot

Pour ce qui est des gestes chirurgicaux réglés sous NACO, laclairance de la créatinine (surtout pour le dabigatran), et lastratification du risque hémorragique sont des éléments cléspour décider de la durée de la fenêtre thérapeutique sansanticoagulant.Certaines procédures invasives sont effectuées, en pratiquequotidienne, sous AVK avec un INR entre 2 et 3 [20]. Le risquehémorragique est parfois inférieur sous AVK qu’en cas de relaispar anticoagulant parentéral de courte durée d’action (héparinede bas poids moléculaire ou héparine non fractionnée). En l’étatactuel des connaissances, ces données ne peuvent, et nedoivent pas être généralisées aux NACO.

Interactions médicamenteusesLes interactions médicamenteuses sont nombreuses avec lesAVK, souvent pourvoyeuses de surdosage et de complicationshémorragiques. Bien que moins nombreuses, elles existentaussi avec les NACO. Elles sont résumées dans le tableau III

et l’encadre 1.

Glycoprotéine P

Le dabigatran, le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban sontdes substrats de la glycoprotéine P (P-gp). La P-gp estimpliquée dans le transport actif de molécules, c’est un trans-porteur d’efflux. Elle diminue l’absorption intestinale des médi-caments substrats, et augmente leur élimination hépatique etrénale. La P-gp est impliquée dans des interactions médica-menteuses d’ordre pharmacocinétique. En présence d’un induc-teur de la P-gp, les concentrations plasmatiques d’unmédicament substrat sont diminuées. Il en résulte une diminu-tion de l’effet du médicament. En présence d’un inhibiteur de laP-gp, les concentrations plasmatiques du médicament substrataugmentent.L’agence européenne du médicament contre-indique l’utilisa-tion d’inhibiteurs puissants de la P-gp chez les patients sousdabigatran, comme les antifongiques azolés par voie systé-mique ou la cyclosporine. Les inhibiteurs moins puissants de laP-gp, qui sont utilisés de manière courante chez les patientsatteints de fibrillation atriale sont l’amiodarone, le vérapamil,le diltiazem la quinidine et la clarythromycine. Leur utilisationexpose à une augmentation de la dose du NACO, et donc à un

Tableau III

Substrats de la glycoprotéine P et du cytochrome P450 3A4

Glycoprotéine P Cytochrome P450isoenzyme 3A4

Dabigatran Substrat –

Rivaroxaban Substrat Substrat

Apixaban Substrat Substrat

Edoxaban Substrat Substrat

risque accru de saignement. Bien qu’ils ne soient pas contre-indiqués, la balance bénéfice–risque de leur co-administrationdoit être bien étudiée avant prescription. En cas de co-adminis-tration, un faible dosage de NACO peut être proposé [11].

Cytochrome P450

Les cytochromes sont des enzymes présentes dans diverstissus, intervenants dans le métabolisme de substancesendogènes et exogènes, notamment de nombreux médica-ments. Le cytochrome P450 est un système complexed’isoenzyme, impliqué dans le métabolisme d’environ90 % des médicaments. L’isoenzyme CYP3A4 fait partie decet ensemble. Le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban (maispas le dabigatran) sont métabolisés par cette isoenzyme.L’induction ou l’inhibition de cette isoenzyme expose donc àdes interactions médicamenteuses d’ordre pharmacociné-tique. L’inhibition de cette isoenzyme entraînera une aug-mentation de la demi-vie du principe actif substrat, et doncune augmentation de ces effets. Cela peut être dangereuxpour des médicaments dont la marge thérapeutique estétroite, comme les anticoagulants. Une induction enzyma-tique, inversement, entraînera une diminution de la demi-viedu médicament substrat, et donc une diminution de soneffet. Dans le cas d’un anticoagulant, une induction enzy-matique aura pour effet d’exposer le patient à un risqued’accident thromboembolique artériel.

Action synergique

Certains médicaments agissent à la fois sur la P-gp et surl’isoenzyme CYP3A4 du cytochrome P450, en additionnantleur effet pharmacocinétique, dans le sens du surdosageou du sous-dosage. Ces molécules sont synergiques, et eninhibant la P-gp et le cytochrome CYP3A4, elles entraînent, àdeux niveaux, une augmentation de la concentration plasma-tique du principe actif (ou inversement). La variation de

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Tableau IV

Relais AVK vers NACO

Dabigatran Rivaroxaban Apixaban

Débuter dèsque INR < 2

Débuter dèsque INR � 3

Débuter dèsque INR < 2

Nouveaux anticoagulants oraux chez les patients atteintsde fibrillation atriale, comment éviter les accidents ? Journees europeennes de la Societ e française de cardiologie

concentration plasmatique qui en résulte est donc notable, etpeut être critique. La connaissance des molécules pouvant avoirun effet cliniquement significatif est indispensable à la bonneutilisation des NACO et à l’identification de situations à risque.Ainsi, les antifongiques azolés par voie systémique et lesinhibiteurs de protéase sont à la fois inhibiteurs de la P-gpet du CYP 3A4, et leur utilisation est donc contre-indiquée avecle rivaroxaban et l’apixaban. Bien que le dabigatran ne soit pasmétabolisé par le CYP3A4, l’agence européenne du médica-ment contre-indique la co-administration d’antifongique azoléet d’inhibiteur de la protéase du VIH, du seul fait de leur actionpuissante sur la P-gp.D’autres molécules, au contraire, induisent à la fois la P-gp et leCYP 3A4, entraînant une diminution concrète de la concentra-tion plasmatique de l’anticoagulant. Il s’agit principalement dela rifampicine, du millepertuis (Hypericum Perforatum, parfoisutilisé dans des préparations de phytothérapies) et de certainsantiépileptiques, comme la carbamazépine et la phénytoïne.Leur utilisation doit se faire avec prudence avec le rivaroxabanet l’apixaban, et l’association est déconseillée avec le dabiga-tran, bien qu’il ne soit pas métabolisé par l’isoenzyme CYP3A4 du cytochrome P450.

Relais avec les AVK et les anticoagulants parvoie parentéraleLe praticien est parfois confronté à des situations particulière-ment à risque pour le patient, et anxiogène pour lui, les relaisd’un anticoagulant vers un autre. Ces relais peuvent se compli-quer d’hémorragies, par interactions médicamenteuses phar-macodynamiques (addition d’effets anticoagulants) ou biend’emboles artériels systémiques, en cas de fenêtre de non-traitement trop prolongée, lors de la disparition de l’effetanticoagulant d’une molécule. Une attention particulière estnécessaire lors de ces relais.Des recommandations ont été émises dans les RCP des NACO,et éditées par l’agence européenne du médicament.

Anticoagulant par voie parentérale vers NACO

Ce relais est le plus simple et le plus intuitif. Le NACO(dabigatran, rivaroxaban ou apixaban) s’administre 0 à2 heures avant l’heure prévue d’administration de l’autretraitement, ou au moment de l’arrêt de ce dernier dans le casd’un traitement continu (héparine non fractionnée par voieintraveineuse).

NACO vers anticoagulant par voie parentérale

Pour le dabigatran et l’apixaban, qui s’administrent en deuxprises par jour, il est recommandé d’attendre 12 heures aprèsla dernière dose avant de commencer l’anticoagulation parvoie parentérale. Pour le rivaroxaban, il faut attendre 24 heu-res avant de commencer l’anticoagulation par voie paren-térale.

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AVK vers NACO

Cette situation qui peut paraître simple présente quelquesparticularités. En effet, pour le dabigatran et l’apixaban, le relaisapparaît logique, on arrête les AVK, et dès que l’INR est inférieur à2, on débute le dabigatran ou l’apixaban (tableau IV).Par contre, pour le rivaroxaban, le traitement doit être instauréune fois que l’INR est inférieur ou égal à 3, ce qui peut paraîtrecontre-intuitif. Cette différence de seuil d’introduction de traite-ment est liée à une prudence accrue concernant le rivaroxaban,du fait de l’augmentation des événements thromboemboliquesobservée à la fin de l’étude dite ROCKET-AF, dans le brasrivaroxaban, lorsque les patients arrêtaient le traitement àl’insu et reprenaient des AVK en non insu. En effet, les investi-gateurs ont observé une recrudescence des événements throm-boemboliques à l’arrêt du rivaroxaban, en fin de protocole [21].L’analyse post-hoc des données de cette étude a démontré uneaugmentation transitoire du risque d’emboles artériels systémi-ques lors de la période de transition vers un traitement ouvert à lafin de l’étude (principalement un AVK), pour les patients sousrivaroxaban, soulignant l’importance d’une couverture anticoa-gulante adéquate lors de ces transitions.

NACO vers AVK

Pour chacun des NACO étudiés dans cet article, un temps de co-administration est nécessaire avant l’arrêt du NACO et la pour-suite de l’AVK seul (tableau V).Pour le dabigatran, le temps de co-administration est fondé surla fonction rénale. Si la clairance de la créatinine est supérieureà 50 mL/min, il est de trois jours. Si la clairance de la créatinineest entre 30 et 50 mL/min, il est de deux jours.Pour le rivaroxaban, ainsi que l’apixaban, un temps de co-administration minimal de deux jours est nécessaire avant decommencer à doser l’INR. Après deux jours de co-administra-tion, dès que l’INR est supérieur ou égal à 2, on peut arrêter lerivaroxaban ou l’apixaban. L’INR est modifié par la prise deNACO, comme le laisse supposer leur mécanisme d’action. Ledosage de l’INR lors de la co-administration doit donc êtreeffectué lorsque le NACO est à sa concentration minimale, c’est-à-dire avant la prise suivante.

Recommandations actuellesDes recommandations ont été éditées par la société euro-péenne de cardiologie, en 2012, sur l’utilisation des NACOdans la fibrillation atriale non valvulaire [11]. D’après les

781

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Tableau V

Relais NACO vers AVK

Dabigatran Rivaroxaban Apixaban

72 h de co-administrationavant arrêt du dabigatran,si fonction rénale normale1

48 h de co-administration minimum ;premier INR à 72 h2 ; arrêt rivaroxaban

dès que INR � 2

48 h de co-administrationminimum ; arrêt apixaban

dès que INR � 22

1 Si la clairance de la créatinine est > 50 mL/min ; 48 h de co-administration si la clairance de la créatinine est entre 30 et 50 mL/min.2 Pour être fiable, la mesure de l’INR doit être faite après la dernière dose et avant la dose suivante (vallée ou concentration minimale entre deux prises).

V Manenti, E Aliot

auteurs de ces recommandations, les grandes études rando-misées [3–5] ayant démontré la non-infériorité des NACOcomparés aux AVK, avec une meilleure sécurité d’emploi endiminuant de façon statistiquement significative le risqued’hémorragie intracrânienne, les NACO sont recommandésen première intention dans la fibrillation atriale non valvu-laire, chez les patients à risque. Cette recommandations’applique tant que ces molécules sont utilisées en respectantscrupuleusement les conditions dans lesquelles elles ont étéétudiées dans ces essais cliniques. Par ailleurs, du fait de laquantité importante de patients concernés, et du faible reculd’utilisation, une vigilance et une surveillance accrue post-commercialisation sont également recommandées par cesauteurs.

ConclusionLes NACO sont une évolution attendue dans la prévention desaccidents thromboemboliques artériels, chez les patients souf-frant de fibrillation atriale non valvulaire. Ils réduisent demanière statistiquement significative les AVC hémorragiques,dont la conséquence est, chacun le sait, désastreuse. Ils sontplus faciles d’utilisation pour le praticien, et moins contraignantpour le patient, du fait de l’absence de prise de sang poursurveiller leur efficacité biologique. Cependant, cet avantage

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peut parfois être un inconvénient, car un surdosage « nepréviendra pas » si le prescripteur oublie de contrôler lafonction rénale avant et pendant le traitement, ou négligel’impact d’une dégradation de la fonction rénale. Les interac-tions médicamenteuses, moins nombreuses qu’avec les AVK,doivent être connues, nombre d’entre elles sont communes auxquatre nouvelles molécules. Les relais doivent être maîtrisés, etleurs règles appliquées avec justesse. Si ces médicaments sontprescrits en respectant ces bonnes pratiques, ils répondront àl’attente des médecins et des patients. Cependant s’ils sontprescrits sans précaution, sans surveillance, ils exposeront à deseffets indésirables, comme les AVK, et cette évolution théra-peutique décevra.Pour finir, aucune avancée thérapeutique n’affranchira le pre-scripteur de son devoir le plus élémentaire, celui de soigneravec une attention constante et de s’assurer de la mise à jourrégulière de ses connaissances. Afin de faire bénéficier de cetteavancée thérapeutique à nos patients, connaissons ces médi-caments, leurs indications exactes et sachons reconnaître lessituations à risque.

J, JS ebrilla

, Braerin

pated 2, Lipt al.al fibemen

Soc0;31lly Sin A

Déclaration d’intérêts : le Dr Manenti déclare ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article. Le Pr. Aliot déclare être consultant pourles sociétés Boehringer Ingelheim, Bayer HealthCare Pharmaceuticals,Bristol-Myers Squibb, Pfizer, et Daiichi Sankyo.

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