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This article was downloaded by: [New York University] On: 05 November 2014, At: 10:57 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Contemporary French and Francophone Studies Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/gsit20 NOUVELLES FORMES ET ESPACES PALIMPSESTES DANS Y PENSER SANS CESSE DE MARIE NDIAYE Frédérique Donovan Published online: 19 Aug 2013. To cite this article: Frédérique Donovan (2013) NOUVELLES FORMES ET ESPACES PALIMPSESTES DANS Y PENSER SANS CESSE DE MARIE NDIAYE, Contemporary French and Francophone Studies, 17:4, 388-395, DOI: 10.1080/17409292.2013.817079 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/17409292.2013.817079 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub- licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly

NOUVELLES FORMES ET ESPACES PALIMPSESTES DANS Y PENSER SANS CESSE DE MARIE NDIAYE

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NOUVELLES FORMES ET ESPACESPALIMPSESTES DANS Y PENSERSANS CESSE DE MARIE NDIAYEFrédérique DonovanPublished online: 19 Aug 2013.

To cite this article: Frédérique Donovan (2013) NOUVELLES FORMES ET ESPACESPALIMPSESTES DANS Y PENSER SANS CESSE DE MARIE NDIAYE, Contemporary French andFrancophone Studies, 17:4, 388-395, DOI: 10.1080/17409292.2013.817079

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NOUVELLES FORMES ET ESPACES

PALIMPSESTES DANS Y PENSER

SANS CESSE DE MARIE NDIAYE

Fr�ed�erique Donovan

ABSTRACT Avec sa derni�ere parution Y penser sans cesse (Talence: Editions de l’ArbreVengeur, 2011) l’auteure du prix Goncourt de 2009, Marie NDiaye, poursuit l’explorationde nouvelles formes narratives �a la conquete de nouveaux espaces. Si dans Trois FemmesPuissantes elle pr�esente pour la premi�ere fois l’espace du S�en�egal, apparu jusqu’ici quetimidement, imbriqu�e �a l’espace francais comme un espace �a l’�egal de la France en lui con-sacrant le meme nombre de pages, elle introduit dans Y penser sans cesse un troisi�emeespace, celui de l’Allemagne o�u elle r�eside depuis 2007. Pour l’introduire, NDiaye n’h�esitepas �a en appeler �a une nouvelle forme. Chant, po�eme ou th�eatre ? Il sera jou�e �a Berlin puis�a Paris. L’auteure glisse d’un espace �a l’autre, d’une histoire �a l’autre, d’un genre �al’autre, d’une sc�ene �a une mise en sc�ene o�u textes et photographies se r�epondent pour attein-dre ce lecteur / spectateur et r�eveiller en lui les fantomes de pass�es oubli�es. En s’adressant �acelui qu’elle appelle «mon enfant » et dont elle mele la voix �a la sienne grace au discoursindirect libre, c’est le lecteur que NDiaye cherche �a atteindre, �a qui elle cherche �a faire voirles traces invisibles d’histoires qu’il pensait pouvoir ignorer.

Keywords: Espace; Esth�etique du Divers; M�emoire; Filiation; Identit�e; Innovations

Avec sa derni�ere publication Y penser sans cesse (2011), texte command�e parDenis Cointe pour etre lu �a voix haute dans son spectacle audio-visuel intitul�eDie Dichte, Marie NDiaye poursuit l’exploration de nouvelles formes narratives

� 2013 Taylor & Francis

Contemporary French and Francophone Studies, 2013Vol. 17, No. 4, 388–395, http://dx.doi.org/10.1080/17409292.2013.817079

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�a la conquete de nouveaux espaces �a la fois g�eographiques, avec l’introductionde l’Allemagne, temporels et sc�eniques.

NDiaye insiste sur l’influence de l’espace g�eographique sur son �ecriture1 etBerlin, parce qu’elle y r�eside, devient tout naturellement, selon ses propresmots, « son nouvel univers mental ». Mais les espaces g�eographiques familiers�evoqu�es dans toute son œuvre sont �a la fois reconnaissables et d�eform�es. Ils res-tent constamment des espaces ouverts, r�ev�elant d’autres espaces, ou ces memesespaces en d’autres temps. NDiaye les recr�ee ainsi en espaces-palimpsestesentraınant le lecteur entre pass�e / pr�esent, imaginaire / r�ealit�e, exp�erienceoriginelle et r�einvent�ee. Elle invite ses lecteurs, �a l’exemple de ses personnages,�a sans cesse interroger ce qui leur est imm�ediatement perceptible.

Y penser sans cesse, court �ecrit sans ponctuation �a l’exception du point final,est un clin d’œil au second livre de l’auteure, Com�edie Classique, livre « exp�eri-mental » �ecrit en une seule phrase et qui valut �a NDiaye d’etre c�el�ebre d�es l’agede dix-huit ans. Y penser sans cesse n’est cependant pas la r�e�ecriture du mythed’Electre, mais l’exploration des limites de la transmission, notamment en cequi concerne une des pages les plus douloureuses de l’histoire de l’Allemagne.Le texte se pr�esente en effet comme un moment d’�echange entre la m�ere et lefils alors qu’ils vivent �a Berlin et qu’ils sortent de leur maison. L’�echanges’ouvre sur la question insolite et d�estabilisante de l’enfant �a sa m�ere « Je ne saisrien de toi qui es-tu ? » pour passer �a la question qui devient obs�edante de« Chez qui habitons-nous ? ». L’interrogation part de la quete narcissique desoi – l’enfant qui se cherche encore dans une identification �a la m�ere – �a la soifde d�ecouvrir l’autre �a travers un nouvel espace et son histoire.

Ce qui m’int�eresse ici tout particuli�erement est la facon dont NDiaye utiliseson s�ejour en Allemagne pour repenser son �ecriture dans une « esth�etique dudivers » (Truong 11), comment elle bouscule les fronti�eres des genres pour par-ticiper �a un projet polymorphe faisant appel �a tous les sens, liant deux espacesg�eographiques et « une double m�emoire » (Derrida 15).

Un �ecrit exp�erimental

Il est difficile de d�eterminer le genre de l’œuvre : chant, autofiction, po�eme outh�eatre ? L’auteure glisse d’un genre �a l’autre, d’un espace �a l’autre, d’une his-toire �a l’autre, d’une sc�ene �a une mise en sc�ene o�u textes et photographies ser�epondent pour atteindre le lecteur / spectateur et r�eveiller en lui les fantomesde pass�es oubli�es. En s’adressant �a celui qu’elle appelle « mon enfant » et dontelle mele la voix �a la sienne grace au discours indirect libre, c’est au lecteur queNDiaye cherche �a faire voir les traces invisibles d’histoires qu’il pensait pouvoirignorer. Depuis Trois femmes puissantes, l’�ecrivaine s’int�eresse de plus en plus, en�echo aux œuvres de son mari Jean-Yves Cendrey et de son fr�ere Pap NDiaye,au politique :2 aux victimes de p�edophilie, victimes des lois de r�egulation de

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l’immigration et des pr�ejug�es racistes3 et, ici, victimes de l’Holocauste. NDiayepar son �ecriture participe aux efforts de l’artiste G€unter Demnig, qui retrouveles habitats des victimes de l’Holocauste pour placer devant ce qui fut leurdomicile un pav�e �a leur m�emoire, ou plutot, selon le terme allemand« stolperstein », un pav�e qui fait obstacle au passant afin de l’obliger �a dirigerses pens�ees vers les victimes oubli�ees, dans une d�emarche tr�es proustienne.4

L’originalit�e de l’œuvre est qu’elle est d’abord concue pour etre lue enFrance puis en Allemagne en tant que pi�ece radiophonique produite en allemand�a Berlin,5 effacant ainsi toutes fronti�eres entre les deux pays.6 NDiaye dit :

Le travail radiophonique en particulier m’a donn�e envie de penser d’uneautre facon encore �a un texte, c’est-�a-dire d’imaginer une �ecriture dont lepropos, la texture, le sens, auraient partie li�ee avec la musique et lesimages,7 un texte qui ne serait pas un accompagnement mais qui serait �ecritdans l’intention bien pr�ecise de ne faire qu’un avec ces deux autres formesmusicales et visuelles. (« ‘Die Dichte’ de et avec Marie NDiaye »)

De l’espace audio-visuel �a l’espace textuel

Y penser sans cesse fait partie int�egrante du spectacle Die Dichte, n�e selon son met-teur en sc�ene, Denis Cointe, de la volont�e d’entremeler �a l’art visuel et au spec-tacle vivant, l’�ecriture, la voix et la pr�esence de Marie NDiaye. Le texte est cr�e�epour etre lu sur sc�ene par l’auteure autour d’un travail de composition avec desphotographies r�ealis�ees par Denis Cointe du S. Bahn Berlin, le m�etro-RER quidessert Berlin et ses alentours. Ces photographies projet�ees au mur sont accom-pagn�ees de la musique de S�ebastien Capazza et Fr�ed�eric Cazaux d�evelopp�eecomme une musique de film. Ce projet polymorphe multiplie ainsi les composi-tions : spectacle vivant, film et pi�ece radiophonique.

Pour rendre au plus pr�es ce projet transcendant espace, temps et mati�eredans un jeu subtil de ce que Genette appelait « trantextualit�es »,8 Denis Cointeet Marie NDiaye choisissent la maison Editions de l’Arbre Vengeur, cr�e�ee en2002 par un libraire David Vincent et un graphiste Nicolas Etienne qui aimentpr�ecis�ement exploiter l’association du « visuel » et du « litt�eraire ». L’aspectvisuel du projet est rendu dans le texte grace �a l’insertion des photographies deDenis Cointe. Le point de vue et la pr�esence de l’auteur sont rendus par laphoto de NDiaye dans le S. Bahn Berlin en page de couverture tandis que lesautres photographies du spectacle sont ins�er�ees entre le texte francais et sa tra-duction en allemand.

La pr�esence du texte dans les deux langues rend tangible la double repr�esen-tation des deux espaces g�eographiques unis par l’histoire comme par l’Histoire.Le texte allemand fait ainsi �echo de facon sym�etrique au texte francais, v�eritablemise en miroir puisque les mots allemands ins�er�es au texte francais apparaissent

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dans le texte allemand en francais comme : « Maison », « immeuble » (Y penser79). Un jeu polyphonique visible �a l’œil du lecteur s’inscrit ainsi dans la mise entexte meme de la narration.

Les photographies de Cointe �evoquent un peu les photographies fantoma-tiques de Julie Ganzin ins�er�ees dans Autoportrait en vert mais elles reposent icinon pas tant sur l’image floue que sur la surimpression, technique symboliquedu jeu de va-et-vient du texte entre deux pays et deux temps, le pr�esent et lepass�e. Exploitant les reflets des vitres du train qu’elles mettent tantot au pre-mier plan et tantot en arri�ere-plan, les photographies offrent au lecteur unregard �a la fois du dedans et du dehors du train, tout comme le texte nouspr�esente le point de vue de la m�ere mais aussi celui de l’enfant et celui des Alle-mands, imagin�e par la m�ere. La photographie ajoute le regard du photographesur l’Allemagne contemporaine, mais aussi le regard pensif des personnagesphotographi�es qui ne regardent jamais dans le champ de l’objectif mais endehors. Ces personnes photographi�ees sur le vif dans le m�etro semblent habit�eespar un ailleurs non repr�esent�e. La photographie de l’auteure pensive dans letrain en page de couverture rappelle, en une autre surimpression, La Modificationde Michel Butor. Le r�ecit de NDiaye peut donc etre percu comme le r�ecit dubouleversement en quelques heures de la vie int�erieure du fils qui apprend �aconnaıtre le pass�e charg�e de l’Allemagne et qui, perdant son innocence, prendla d�ecision d’etre r�eceptif aux voix qui l’interpellent. De plus, le S.Bahn �evoqueun autre train, mentionn�e dans le texte, le Berlin Grunewald d’o�u partirent55,000 juifs. Les textes et les images ne cessent de se t�elescoper et les photogra-phies, en surimpressions, offrent ainsi plusieurs niveaux de lectures du texteillustrant plus que jamais les propos de Roland Barthes sur la photographie.9

L’auteure tente donc par le m�edium photographique de figurerl’insaisissable, de donner �a voir le visage d’une r�ealit�e oubli�ee au travers d’uner�ealit�e pr�esente.10 Elle s’inscrit dans la recherche artistique actuelle qui pallieles d�eficits du verbal comme Wajdi Mouawad, qui mele th�eatre et peinture, oucomme Pina Baush qui disait que tout ce dont on ne pouvait pas parler, il fallaitle danser. Cependant, n’y a-t-il pas dans le choix de modifier le titre allemanddu spectacle Die Dichte qui signifie la densit�e, au profit du titre Y penser sans cessedu texte, le constat des limites de l’�ecrit face �a « l’esp�ece de machine cybern�e-tique » ?

Autres langages, autre langue

NDiaye joue aussi des surimpressions linguistiques. Son s�ejour en Allemagne luipermet de r�efl�echir aux limitations li�ees �a la connaissance d’un seul territoire etd’une seule langue. Elle interroge la peur de la narratrice que son enfant perdeson h�eritage culturel apr�es trois ans en Allemagne « Gehen wir nach Haus / nesait-il plus rentrer �a la maison dans notre langue d’autrefois » (42), « ne

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saura-t-il jamais plus rentrer �a la maison dans la langue de nos mots tendres / o�ules syllabes ne sont pas dans notre bouche / des morceaux de viande longs �amastiquer / ou des glacons brulants collant au palais ». Elle persiste dans sapeur d’assimilation en ajoutant : « Je ne lui dirai pas Mein Liebling » (43). Sonrefus linguistique contraste avec l’ouverture de son fils qui, en conclusion,l’invite �a faire l’effort d’aller vers l’autre pour le comprendre : « Allons enten-dre ce qui se chuchote l�a-bas / et �a ceux qui nous interpellent tachons der�epondre / dans la langue de leurs jeunes ann�ees » (46). A l’instar d’AbdelkebirKhatibi, NDiaye invite n�eanmoins �a une bi-langue, un espace o�u les deuxlangues, palimpsestes l’une de l’autre se cotoient et tendent �a s’enrichir, perme-ttant l’ouverture du sujet �a sa propre alt�erit�e et �a l’autre.

La forme po�etique pour recr�eer une r�ealit�e oubli�ee

L’auteure s’est �egalement tourn�ee vers la forme po�etique pour appeler au devoirde m�emoire et donner un visage aux victimes de l’Holocauste. Son texte est unlong po�eme sans ponctuation, o�u les pauses de la voix sont indiqu�ees par le passage�a la ligne suivante. L’enfant invite ainsi sa m�ere �a regarder jouer les petits enfantsallemands dans le parc, « les petits aux cheveux pales dont nulle faute terrible inex-piable ne leste le crane n’assombrit le front clair » (11), ceux qui composent lajeune Allemagne, oublieuse de son pass�e, montr�es vaquant �a leurs occupations �atravers les photographies, reflets d’une vie passant �a toute vitesse pour �eviter depenser,�a l’image des photographies de train d�efilant�a vive allure sur l’�ecran.

L’�el�ement d�eclencheur de la r�eminiscence, ce sont les trois pav�es de cuivrede Stolperstein, de l’artiste politique G€unter Demmig, dont le nom revient �aplusieurs reprises. Ces r�eminiscences surviennent apr�es plusieurs passages surles Stolperstein, la marche des protagonistes �etant rendue par la r�ep�etition de« nos pieds » et le glissement s�emantique : « ont gliss�e », « ont liss�e poli »,« nos pieds innocents font briller chaque jour les trois pav�es de cuivre Stolper-stein » (12). Le pass�e refoul�e n’est pas simple �a faire surgir.

Le meme glissement s�emantique revient dans la m�etaphore fil�ee de la cha-leur du soleil d’�et�e allemand tantot �eclaboussant (11), �eblouissant (12), chauf-fant (13), constant (15), incandescent (15), �evoquant « une apr�es-midi brulante�etouffante d’un mois d’aout dilat�e par le grand soleil de Prusse » (13), « uneapr�es–midi d’aout mille neuf cent quarante trois » (12) o�u la famille Wellen-stein est d�eport�ee, prolepse du sort qui leur est r�eserv�e au camp de concentra-tion et qui fait �echo au soleil de « cette apr�es–midi du six aout deux millehuit ». Le d�eictique annonce le d�ecalage entre les deux apr�es-midi, entre lesdeux �epoques et les deux familles, puis progressivement les marqueurss’estompent, les temps et les voix se confondent comme pour permettre �a lafeuille palimpseste du pass�e de refaire surface dans notre h(H)istoire.

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Y penser sans cesse, par sa dimension autobiographique,11 surimpose pass�eindividuel et pass�e collectif, laissant entendre que la quete de l’identit�e individu-elle passe par une reconnaissance et une transmission du pass�e collectif. Lesvictimes, une fois reconnues, peuvent revivre grace �a la m�emoire. Au fur-et-�a mesure que l’enfant prend conscience d’habiter les lieux du petit Wellen-stein, mort au camp de concentration, cet autre prend corps en lui : « Le petitWellenstein qui a trouv�e refuge dans le cœur de mon enfant » (17), cet « autrequi vit en lui / qui entoure son cœur de ses bras fins et blancs / l’autre se meurten lui / se souvient de la cour grise et du jeune platane » (19). Reconnaissantcourageusement les fautes pass�ees, l’enfant permet �a la victime de revivre. Cecourage de l’enfant est oppos�e �a la f�ebrilit�e de la m�ere qui ne peut nommer lafaute de son pass�e qu’elle refoule : « . . .et toujours une crainte vague / et lavague conscience d’avoir mal agi / et ce que pouvait etre cette faute et de quellenature / elle l’ignorait, elle l’ignorait » (10). NDiaye, en concluant ainsi sontexte, laisse �a penser que « la troisi�eme g�en�eration est plus apte �a laisser de cot�eles animosit�es m�emorielles » (Raharimanana)12 et �a accepter de revisiterl’Histoire pour reconnaıtre les faits du pass�e.

D’autres images rythment le texte par leur r�ecurrence : la maison jaune quel’auteure et sa famille habitent �a Berlin, les enfants, les m�eres allemandesd�ecrites comme des m�eres tours donnant leur lait, la langue oubli�ee, l’œil fixedu grand chien noir et blanc qui �epiait la narratrice enfant dont la peau cachepeut-etre un p�ere venu la kidnapper ou encore les questions directes de l’enfant�a sa m�ere. Tous ces proc�ed�es par leur r�ecurrence, participent �a la po�esie dutexte et cr�eent une m�emoire narrative au sein meme du texte d’autant que cer-tains font �echo �a des textes ant�erieurs ou �a la biographie de l’auteure rendue vis-ible par les m�edias.

NDiaye cr�ee donc une forme innovante et engageante mais qui se veut�egalement un rappel syncr�etique de toutes les formes pass�ees pour mieux direl’indicible. Ce texte court, original par sa polymorphie, sa polyphonie et sonbilinguisme, est mim�etique d’une soci�et�e qui ne peut se renouveler que dans lapleine reconnaissance de son pass�e. Il adresse aussi la question du devoir dem�emoire et de l’identit�e nationale et invite �a poser la question des identit�es, demani�ere plus ouverte.

Notes

1 Dans ses romans pr�ec�edents, les paysages francais �evoqu�es �etaient effective-ment ceux de la Beauce – NDiaye est n�ee �a Pithiviers – et de Normandie etde Gironde, r�egions o�u elle a r�esid�e plusieurs ann�ees avec son mari Jean-Yves Cendrey et ses enfants.

2 Lors d’un entretien publi�e dans Les Inrocks, Marie NDiaye a dit : « Qu’est-ceque la litt�erature apporte par rapport aux reportages de presse ?

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Pr�ecis�ement la personnification. Si la mati�ere litt�eraire est assez int�eressanteou prenante, ces trajectoires restent mieux en m�emoire que ce qu’on peutlire dans les articles ou voir en images. Les articles peuvent d�epersonnifier,on lit vite – un article, ca passe, ca reste comme anonyme. Pas lalitt�erature. »

3 R�ef�erence au texte d’introduction �a La Condition Noire de Pap Ndiaye : LesSœurs : Paula, la blanche qui se sent noire et la fin du texte r�ev�ele que leregard de Bertini sur ces deux sœurs est erron�e. Elle d�eveloppe ainsi l’id�eesartrienne que le regard de l’autre est notre enfer.

4 Dans Le Temps retrouv�e, Venise ressuscite lorsque le narrateur bute sur lespav�es in�egaux de l’Hotel de Guermantes, geste qui lui rem�emore les deuxdalles in�egales de Saint-Marc �a Venise.

5 La pi�ece radiophonique a �et�e produite �a Berlin par la Deutschland RadioKultur en mars 2012.

6 Le spectacle en France est pr�esent�e �a Bordeaux, puis �a Paris au Th�eatre duRond-Point, �a Boulazac, �a Dax, �a Saintes, �a N�erac, �a Pessac et �a Villeneuve-sur-Lot.

7 Denis Cointe parle, lui, de mati�eres.8 Voir le livre Palimpsestes.9 Voir le livre La chambre claire.

10 Voir « Comment faire apparaıtre �Echo ? Sœurs, saintes et sibylles de NanGoldin et Autoportrait en vert de Marie NDiaye », dans Prot�ee.

11 L’auteure insiste sur le « je », le « moi » et surtout l’adjectif possessif de lapremi�ere personne « mon » dans l’expression « mon enfant » qui revientvingt-cinq fois dans le texte.

12 Parole de Jean-Luc Raharimanana �a propos de son propre texte, �egalementpolymorphe.

Works Cited

Barthes, Roland. La Chambre claire. Paris: Le Seuil, 1980.Delvaux, Martine, and Jamie Herd. “Comment faire apparaıtre �Echo? Sœurs, saintes

et sibylles de Nan Goldin et Autoportrait en vert de Marie NDiaye.” Prot�ee35.1 (2007): 29–39.

Derrida, Jacques. “Double M�emoire.” Le Th�eatre des Id�ees. Ed. Nicolas Truong. Paris:Flammarion, 2008. 15–17.

“‘Die Dichte’ de et avec Marie NDiaye.” La D�epeche du Midi 27 April 2011.“Die Dichte.” Deutschland Radio Kultur. Marie NDiaye. Berlin. March 2012. Radio.Genette, G�erard. Palimpsestes. Paris: Le Seuil, 1972.Kapri�elian, Nelly. “L’�Ecrivain Marie Ndiaye aux prises avec le monde.” Les Inrocks.

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Khatibi, Abdelkebir. Amour Bilingue. Montpellier: Fata Morgana, 1983.

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NDiaye, Marie. “Les Sœurs.” La Condition Noire. Ed. Pap Ndiaye. Paris: Calmann-L�evy, 2008.

—. Trois femmes puissantes: Roman. Paris: Gallimard, 2009.—. Y penser sans cesse. Talence: Editions de l’Arbre Vengeur, 2011.Raharimanana, Jean-Luc. “Madagascar, 1947: les morts sans nombre d’une insurrec-

tion, entretien avec J.L. Raharimanana.” Interview by Olivier Favier. Dormirajamais. April 2011. Web. http://dormirajamais.org/madagascar/.

Truong, Nicolas. Le Th�eatre des id�ees. Paris: Flammarion, 2008.

Educated in both French and Francophone literature and the dramatic arts, Fr�ed�eriqueDonovan now teaches at MIT. Her main interest focuses more specifically on contempo-rary French literature and its innovations. The author of several articles in this area, herbook entitled: La Lettre, le th�eatral et les femmes dans l’œuvre de Ken Bugul, Marie

NDiaye et Pascale Roze is forthcoming.

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