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484 © Masson, Paris, 2004 Ann Pathol 2004 ; 24 : 484-5 Éditorial Tirés à part : L. Boccon-Gibod, voir adresse en début d’article. e-mail : liliane.boccon- [email protected] Numéro spécial de pathologie pédiatrique Liliane Boccon-Gibod Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau, 26 avenue du Dr. Arnold Netter, 75571 Paris Cedex 12. Boccon-Gibod L. Numéro spécial de pathologie pédiatrique. Ann Pathol 2004 ; 24 : 484-5 OMME en témoigne le contenu de ce numéro spécial des Annales de Pathologie, la Pathologie Pédiatrique n’est pas la pathologie de l’adulte « en plus petit ». La Pathologie Pédia- trique s’individualise sur plusieurs points : 1. l’aspect inquiétant de certaines proliférations du jeune enfant peut amener à tort à conclure à leur mali- gnité certaine : le néphrome méso- blastique dans sa variante cellulaire, actuellement la plus fréquente, peut être pris à tort pour une tumeur hau- tement maligne, confondu par exem- ple avec un sarcome à cellules claires ou une tumeur rhabdoïde. En fait cette variante dont l’existence d’une translocation t(12;15)(p13;q25) permet l’identification et l’individualisation, est l’équivalent au niveau du rein du fibrosarcome infantile qui présente la même translocation. Cette lésion en partage également le pronostic le plus souvent favorable. Moins de 5 % des néphromes mésoblastiques cellulai- res récidivent ou métastasent. Chez le très jeune enfant, un angiome capil- laire hypercellulaire et très dense peut être considéré à tort comme une tumeur maligne, par exemple un rhab- domyosarcome. Source bien connue d’erreurs, le naevus de Spitz, rencon- tré essentiellement avant la puberté, peut faire conclure à une lésion mali- gne en raison de critères cytologiques trompeurs. L’exérèse large et muti- lante découlant du diagnostic erroné peut faire l’objet de poursuites judi- ciaires tout comme, et encore plus, l’erreur inverse qui, elle, peut conduire au décès du patient. C’est un domaine où le recours au dermatopathologiste pédiatre est essentiel au moindre doute. 2. chez l’enfant, la frontière est souvent floue entre lésion bénigne et maligne : une lésion exceptionnelle comme l’ostéochondromyxome observé dans le cadre du complexe de Carney en est la preuve. Ici, rupture de la corti- cale osseuse, élaboration d’ostéoïde ne sont pas des critères de malignité. La néphroblastomatose péri-lobaire hyperplasique diffuse, ainsi que cer- tains restes néphrogéniques hyperpla- siques, présentent certains critères cytologiques de malignité mais leur pronostic reste indéterminé et actuel- lement indéterminable : évolution vers la régression ? vers une tumeur de Wilms ? 3. la cytogénétique tumorale et la bio- logie moléculaire jouent un rôle crois- sant à la fois comme aide diagnostique et pronostique dans les tumeurs de l’enfant (translocation t(2;13) dans les rhabdomyosarcomes alvéolaires qui n’est pas présente dans les rhabdomyo- sarcomes embryonnaires de meilleur pronostic, neuroblastomes d’évolution défavorable, caractérisés par l’amplifi- cation du gène N-myc et perte d’hété- rozygosité de 1p, etc.). L’importance de disposer de ces données pour détermi- ner le traitement implique des contrain- tes techniques dans la prise en charge des tumeurs de l’enfant. Des prélève- ments spécifiques (congélation, RPMI) doivent leur être systématiquement dédiés. 4. la rapidité de croissance des tumeurs pédiatriques est impressionnante ; cette rapidité en fait souvent des urgences diagnostiques : un lymphome médiasti- nal peut devenir une urgence respira- toire et vitale. Une croissance rapide du volume de l’abdomen est le plus sou- vent à l’origine de la découverte du néphroblastome, dont le temps de dou- C

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484 © M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 4

A n n P a t h o l 2 0 0 4 ; 2 4 : 4 8 4 - 5

Éditorial

Tirés à part : L. Boccon-Gibod, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

Numéro spécial de pathologie pédiatrique

Liliane Boccon-Gibod

Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau, 26 avenue du Dr. Arnold Netter, 75571 Paris Cedex 12.

Boccon-Gibod L. Numéro spécial de pathologie pédiatrique. Ann Pathol 2004 ; 24 : 484-5

OMME en témoigne le contenu dece numéro spécial des Annales de

Pathologie, la Pathologie Pédiatriquen’est pas la pathologie de l’adulte« en plus petit ». La Pathologie Pédia-trique s’individualise sur plusieurspoints : 1. l’aspect inquiétant de certainesproliférations du jeune enfant peutamener à tort à conclure à leur mali-gnité certaine : le néphrome méso-blastique dans sa variante cellulaire,actuellement la plus fréquente, peutêtre pris à tort pour une tumeur hau-tement maligne, confondu par exem-ple avec un sarcome à cellules clairesou une tumeur rhabdoïde. En faitcette variante dont l’existence d’unetranslocation t(12;15)(p13;q25) permetl’identification et l’individualisation,est l’équivalent au niveau du rein dufibrosarcome infantile qui présente lamême translocation. Cette lésion enpartage également le pronostic le plussouvent favorable. Moins de 5 % desnéphromes mésoblastiques cellulai-res récidivent ou métastasent. Chez letrès jeune enfant, un angiome capil-laire hypercellulaire et très dense peutêtre considéré à tort comme unetumeur maligne, par exemple un rhab-domyosarcome. Source bien connued’erreurs, le naevus de Spitz, rencon-tré essentiellement avant la puberté,peut faire conclure à une lésion mali-gne en raison de critères cytologiquestrompeurs. L’exérèse large et muti-lante découlant du diagnostic erronépeut faire l’objet de poursuites judi-ciaires tout comme, et encore plus,l’erreur inverse qui, elle, peut conduireau décès du patient. C’est un domaineoù le recours au dermatopathologistepédiatre est essentiel au moindredoute.

2. chez l’enfant, la frontière est souventfloue entre lésion bénigne et maligne :une lésion exceptionnelle commel’ostéochondromyxome observé dansle cadre du complexe de Carney enest la preuve. Ici, rupture de la corti-cale osseuse, élaboration d’ostéoïdene sont pas des critères de malignité.La néphroblastomatose péri-lobairehyperplasique diffuse, ainsi que cer-tains restes néphrogéniques hyperpla-siques, présentent certains critèrescytologiques de malignité mais leurpronostic reste indéterminé et actuel-lement indéterminable : évolution versla régression ? vers une tumeur deWilms ?3. la cytogénétique tumorale et la bio-logie moléculaire jouent un rôle crois-sant à la fois comme aide diagnostiqueet pronostique dans les tumeurs del’enfant (translocation t(2;13) dans lesrhabdomyosarcomes alvéolaires quin’est pas présente dans les rhabdomyo-sarcomes embryonnaires de meilleurpronostic, neuroblastomes d’évolutiondéfavorable, caractérisés par l’amplifi-cation du gène N-myc et perte d’hété-rozygosité de 1p, etc.). L’importance dedisposer de ces données pour détermi-ner le traitement implique des contrain-tes techniques dans la prise en chargedes tumeurs de l’enfant. Des prélève-ments spécifiques (congélation, RPMI)doivent leur être systématiquementdédiés.4. la rapidité de croissance des tumeurspédiatriques est impressionnante ; cetterapidité en fait souvent des urgencesdiagnostiques : un lymphome médiasti-nal peut devenir une urgence respira-toire et vitale. Une croissance rapide duvolume de l’abdomen est le plus sou-vent à l’origine de la découverte dunéphroblastome, dont le temps de dou-

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blement est extrêmement court, comme celuide nombreuses tumeurs embryonnaires.5. à l’inverse, certaines tumeurs embryon-naires peuvent maturer et régresser sponta-nément comme cela a été décrit dans lesneuroblastomes ; la détection biologiquedans les six premiers mois de la vie destumeurs neuroblastiques a été abandon-née : la stabilité du nombre des tumeursévolutives et des décès malgré cette détec-tion précoce a démontré que le dépistagedétectait quasi-exclusivement des tumeurssusceptibles de régresser spontanément.Un autre exemple de régression spontanée,toujours dans le cadre du neuroblastome,plus troublant encore, est le syndrome dePepper (petit neuroblastome surrénalien,métastases hépatiques et/ou cutanéesvoire osseuses, sans atteinte médullaire). Ila été observé que cette tumeur, identifiéecomme un stade IVS, était susceptible derégresser sans traitement. Les protocolesthérapeutiques la concernant sont doncallégés.6. parmi les spécificités de la PathologiePédiatrique, on peut encore citer la fré-quence des lésions hamartomateuses, qu’ilfaut toujours avoir en tête avant de poser undiagnostic de tumeur (la distinction étantparfois difficile), ainsi que la survenue fré-quente de tumeurs dans le cadre de certainssyndrômes (syndrôme de Wiedemann-Bec-kwith, syndrôme de Drash, l’Ataxie télan-giectasie, etc.).

7. l’exiguïté des prélèvements soumis pourdiagnostic entraîne enfin des contraintesmajeures : nécessité d’effectuer en plus dudiagnostic, sur de très petites biopsies (par-fois des ponctions-biopsies), congélation etcytogénétique réduisant d’autant le frag-ment destiné à l’étude histologique. Ceciimplique pour la gestion du fragment fixé etinclus une discipline rigoureuse, notam-ment concernant le choix des anticorps uti-lisés pour l’étude immunohistochimique.Tous ces éléments soulignent bien la spéci-ficité de la Pathologie Pédiatrique et il n’estdonc pas surprenant que chez nombre denos voisins, européens ou non, il s’agissed’une sous-spécialité à part entière, commepeuvent l’être la neuropathologie ou la der-matopathologie. De plus, en dehors de laFrance, les sociétés savantes de PathologiePédiatrique et les revues qu’elles parrainentregroupent le plus souvent sous leur égidela Pathologie Pédiatrique postnatale et laPathologie Périnatale. Toutefois, ce numérodes Annales de Pathologie consacré à laPathologie Pédiatrique ne traite que de laPathologie Pédiatrique post-natale, la Patho-logie Pédiatrique périnatale ayant fait l’objetd’un numéro spécial antérieur, en 1997.Nous avons cherché dans ce numéro spécialà traiter des différents problèmes quepeuvent rencontrer soit le pathologisted’orientation pédiatrique dominante, soit lepathologiste dont l’activité concerne essen-tiellement l’adulte et qui se trouve plus rare-ment face à des problèmes pédiatriques ■