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O 251003 LeMonde 2oullier.free.fr/files/2003_Oullier_LeMonde_Neuromarketing.pdf · accroître l’efficacité des campa-gnes publicitaires. ... Cola. Cet institut privé propose de

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Page 1: O 251003 LeMonde 2oullier.free.fr/files/2003_Oullier_LeMonde_Neuromarketing.pdf · accroître l’efficacité des campa-gnes publicitaires. ... Cola. Cet institut privé propose de

Le « neuromarketing» est-il l’avenir de la publicité ?par Olivier Oullier

NE nouvelle dis-cipline émerge auxEtats-Unis : le« neuromarketing » .Son but ? Mieuxappréhender et

comprendre le fonctionnement ducerveau des consommateurs pouraccroître l’efficacité des campa-gnes publicitaires. Dans un paysoù les dépenses de publicité ontdépassé les 100 milliards de dollarsen 2002 (Forbes Magazine, janvier2003), les enjeux sont tout simple-ment colossaux.

Pour mieux saisir ces enjeux,revenons un siècle en arrière. En1904, le psychologue Walter DillScott écrivait déjà : « L’homme d’af-faires avisé doit comprendre le fonc-tionnement des esprits de ses clientset savoir les influencer efficacementen appliquant la psychologie à lapublicité. »

Incontestablement, depuis cetteassertion, le monde de la publicitéa adopté de nouvelles méthodesrelevant jusque-là de la seulerecherche en psychologie. Aujour-d’hui, à l’instar de la psychiatrie,l’avenir de la publicité serait lié àcelui des neurosciences. Cette nou-velle direction, apparue il y a quel-ques années seulement aux Etats-Unis, est en plein développement :plusieurs laboratoires de recher-che dans le domaine des sciencesdu cerveau se voient désormaissollicités par l’industrie afin decontribuer au développement des

méthodes du marketing dedemain.

Les récents progrès des procédésd’imagerie par résonance magné-tique (IRM) ne sont d’ailleurs pasétrangers à cet intérêt grandissantpour les neurosciences. Le prixNobel de physiologie et de méde-cine 2003 vient très récemmentd’être attribué à l’Américain PaulLauterbur et au Britannique PeterMansfield pour leur contribution

au développement de ces techni-ques d’imagerie par résonancemagnétique. Celles-ci permettentaujourd’hui non seulement de« photographier » le cerveau dansun espace à trois dimensions avecune grande précision, mais aussid’enregistrer et de localiser son acti-vité au cours du temps, grâce àl’IRM dite fonctionnelle (IRMf).

Au regard de ces nouvelles possi-bilités, les échanges se multipliententre industrie et spécialistes enneurosciences. Les collaborationsont tout d’abord été confidentiel-les, afin d’évaluer la faisabilité des

projets. Une étape importante aété franchie en juin 2002 avec lacréation de la première entrepriseaméricaine de neuromarketing àAtlanta, non loin du siège de Coca-Cola. Cet institut privé propose deréaliser des études sur mesure pourles grandes compagnies afin demieux connaître le fonctionnementdu cerveau des consommateurs.

Le principe de ces études est lesuivant : il est demandé à un échan-

tillon représentatif de consomma-teurs volontaires de répondre à unquestionnaire permettant d’identi-fier leurs préférences sur des pro-duits et sur des marques spécifi-ques. L’activité de leur cerveau estensuite enregistrée pendant quesont projetées des images de pro-duits, modèles ou activités corres-pondant ou non à leurs goûts. Lesrésultats montrent que le degré depréférence (pour un produit donnépar exemple) pourrait ainsi êtreobservé dans des régions précisesdu cerveau. A terme, il s’agit d’iden-tifier les mécanismes cérébraux qui

sous-tendent la décision d’achat.Disposant de telles données, ilserait possible de créer une nou-velle génération de campagnes pu-blicitaires beaucoup plus ciblées,a fortiori si une telle perspectiveest scientifiquement validée.

Pour l’heure, la communautéscientifique reste somme touteassez dubitative. Tout au plusparle-t-on de « participation »d’une partie du cortex préfrontalmédial aux mécanismes de préfé-rence. Une telle prudence est enpartie due aux limites actuelles duneuromarketing. Nous pouvons enciter trois.

Tout d’abord, des limites tech-nologiques : l’IRMf est encore enplein développement.

Ensuite , des limites méthodologi-ques : le cerveau de consomma-teurs isolés au sein du laboratoireest analysé en l’absence de toutecontrainte sociale. Or il a été scienti-fiquement établi que tout compor-tement découle des interactionsentre un individu et son environ-nement. Les mécanismes de pré-férence et de décision d’achatn’échappent pas à ce fait.

Enfin, des limites de connaissan-ces en neurosciences, puisqu’à cejour il n’existe aucune étude scien-tifiquement reconnue établissantun lien univoque entre le fonction-nement d’une aire cérébrale et uncomportement aussi complexe quela décision d’achat.

Par ailleurs, les doutes ne sont

pas uniquement émis en termes decritères scientifiques. Les questionsd’ordre éthique et moral sont nom-breuses. Le spectre d’Orwell planeà tel point qu’aucune compagnien’a pour l’instant publiquementadmis avoir recours au neuro-marketing.

Si la boîte de Pandore est finale-ment ouverte, il reviendra aux légis-lateurs de trancher quant à la léga-lité du recours à de telles études. Ace jour, il existe clairement un videjuridique concernant l’applicationdes neurosciences à des fins nonmédicales. L’aspect internationalde la publicité pourrait ici consti-tuer un frein majeur à une harmo-nisation juridique sur une telle uti-lisation.

Du 8 au 12 novembre, la villede La Nouvelle-Orléans accueilleraplus de 20 000 chercheurs pour la

conférence annuelle organisée parla prestigieuse Société des neuro-sciences. Les premiers résultatsd’études de neuromarketing y se-ront confrontés à la communautéscientifique, marquant incontesta-blement une nouvelle étape dansson développement.

Le neuromarketing, image subli-minale ou véritable révolution com-merciale ? Quoi qu’il en soit, un siè-cle après Walter Dill Scott, le phé-nomène est bel et bien en marcheaux Etats-Unis. L’Europe et l’Asieseront les prochains marchés.

Le spectre d’Orwell plane à tel pointqu’aucune compagnie n’apour l’instant publiquement admisavoir recours à cette nouvelle discipline

olivier oullier est chercheuren neurosciences au Centerfor Complex Systems and BrainSciences de la Florida AtlanticUniversity (Boca Raton, Etats-Unis).

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59e ANNÉE – Nº 18272 – 1,20 ¤ – FRANCE MÉTROPOLITAINE --- FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANISAMEDI 25 OCTOBRE 2003

LE MONDE/SAMEDI 25 OCTOBRE 2003/ 17