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¨il, paupières et allergènes de contact Contact allergic reactions on the eyes and eyelids E. Collet a, * , M. Castelain b , B. Milpied c a Service de dermatologie, hôpital du Bocage, CHU, 21000 Dijon, France b Consultation d’ophtalmo-allergie, service de dermatologie, hôpital Sainte-Marguerite, 13000 Marseille, France c Service de dermatologie, hôpital Saint-André, 33000 Bordeaux, France Résumé L’allergie de contact oculopalpébrale est fréquente et sa prise en charge doit être multidisciplinaire. Les voies de sensibilisation sont variées : allergènes directement appliqués sur les paupières, manuportés, aéroportés ou dermatites par procuration. Les sources d’allergie sont surtout les cosmétiques, les topiques médicamenteux à usage dermatologique et plus rarement des allergènes professionnels. En dehors de l’éviction du ou des allergènes responsables, le traitement repose sur les dermocorticoïdes. Le tacrolimus est une alternative thérapeutique possible. # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Eczéma de contact ; Paupières ; Allergie oculaire ; Cosmétiques ; Topiques médicamenteux Abstract Contact allergy is a common cause of conjunctivitis and eyelids dermatitis. Allergens may reach the skin in many different ways: intentional application in the eyes and the eyerlids, transfer from other site of the body, airborn dermatitis, connubial dermatitis, photoallergy. The main sensitization sources are topical pharmaceutical products, cosmetics and professional allergens. Treatments of eyelid contact dermatitis are eviction of allergens and application of topical corticosteroids. Tacrolimus may be a promising alternative therapy. # 2011 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Contact dermatitis; Eyelid; Ocular allergy; Cosmetics; Topical pharmaceutical product L’allergie oculopalpébrale est fréquente et sa prise en charge nécessite la collaboration de l’ophtalmologiste, du dermato- logue et de l’allergologue. L’œil et la zone périoculaire fragiles, exposés aux allergènes de l’environnement, sont des sites électifs d’allergie de contact. Les sources de sensibilisations appartiennent à trois groupes : les cosmétiques, les médica- ments ou les allergènes professionnels [112]. 1. Modes d’application des allergènes de contact Les modes de sensibilisation sont nombreux, parfois déroutants. Le plus évident est l’application directe d’un cosmétique ou d’un topique médicamenteux dans l’œil et sur les paupières (collyre, mascara...). Mais d’autres voies de sensibilisations sont possibles dans l’environnement domes- tique ou professionnel [13] : le transfert d’un autre site du tégument, le plus souvent les mains. L’exemple le plus classique est l’eczéma des paupières lié à l’utilisation de vernis à ongles (dermatite dite « ectopique ») ; l’application de l’allergène sur une zone proche des paupières comme le visage ou cuir chevelu. Le site d’application est indemne de lésions ou siège de lésions minimes. En revanche, les paupières sont nettement touchées. Ce type de sensibi- lisation impose une exploration systématique des allergènes appliqués « à proximité » (crème de jour, teintures capillaires...); Revue française d’allergologie 51 (2011) 318322 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Collet). 1877-0320/$ see front matter # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.reval.2011.01.045

Œil, paupières et allergènes de contact

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¨il, paupières et allergènes de contact

Contact allergic reactions on the eyes and eyelids

E. Collet a,*, M. Castelain b, B. Milpied c

a Service de dermatologie, hôpital du Bocage, CHU, 21000 Dijon, Franceb Consultation d’ophtalmo-allergie, service de dermatologie, hôpital Sainte-Marguerite, 13000 Marseille, France

c Service de dermatologie, hôpital Saint-André, 33000 Bordeaux, France

Résumé

L’allergie de contact oculopalpébrale est fréquente et sa prise en charge doit être multidisciplinaire. Les voies de sensibilisation sont variées :allergènes directement appliqués sur les paupières, manuportés, aéroportés ou dermatites par procuration. Les sources d’allergie sont surtout lescosmétiques, les topiques médicamenteux à usage dermatologique et plus rarement des allergènes professionnels. En dehors de l’éviction du ou desallergènes responsables, le traitement repose sur les dermocorticoïdes. Le tacrolimus est une alternative thérapeutique possible.# 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Eczéma de contact ; Paupières ; Allergie oculaire ; Cosmétiques ; Topiques médicamenteux

Abstract

Contact allergy is a common cause of conjunctivitis and eyelids dermatitis. Allergens may reach the skin in many different ways: intentionalapplication in the eyes and the eyerlids, transfer from other site of the body, airborn dermatitis, connubial dermatitis, photoallergy. The mainsensitization sources are topical pharmaceutical products, cosmetics and professional allergens. Treatments of eyelid contact dermatitis areeviction of allergens and application of topical corticosteroids. Tacrolimus may be a promising alternative therapy.# 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

Keywords: Contact dermatitis; Eyelid; Ocular allergy; Cosmetics; Topical pharmaceutical product

Revue française d’allergologie 51 (2011) 318–322

L’allergie oculopalpébrale est fréquente et sa prise en chargenécessite la collaboration de l’ophtalmologiste, du dermato-logue et de l’allergologue. L’œil et la zone périoculaire fragiles,exposés aux allergènes de l’environnement, sont des sitesélectifs d’allergie de contact. Les sources de sensibilisationsappartiennent à trois groupes : les cosmétiques, les médica-ments ou les allergènes professionnels [1–12].

1. Modes d’application des allergènes de contact

Les modes de sensibilisation sont nombreux, parfoisdéroutants. Le plus évident est l’application directe d’un

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (E. Collet).

1877-0320/$ – see front matter # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.reval.2011.01.045

cosmétique ou d’un topique médicamenteux dans l’œil et surles paupières (collyre, mascara. . .). Mais d’autres voies desensibilisations sont possibles dans l’environnement domes-tique ou professionnel [1–3] :

� le transfert d’un autre site du tégument, le plus souvent lesmains. L’exemple le plus classique est l’eczéma despaupières lié à l’utilisation de vernis à ongles (dermatitedite « ectopique ») ;� l’application de l’allergène sur une zone proche des paupières

comme le visage ou cuir chevelu. Le site d’application estindemne de lésions ou siège de lésions minimes. En revanche,les paupières sont nettement touchées. Ce type de sensibi-lisation impose une exploration systématique des allergènesappliqués « à proximité » (crème de jour, teinturescapillaires. . .) ;

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� l’exposition à des gaz, vapeurs, pulvérisation de gouttelettes,plus rarement de particules solides. Il s’agit alors d’uneczéma aéroporté. Ce type de sensibilisation est fréquent encas d’allergie professionnelle ;� l’allergène véhiculé par une tierce personne (conjoint, enfant,

ami. . .) encore appelé « eczéma par procuration » ;� les photoallergènes nécessitant l’action conjointe de l’expo-

sition solaire. L’atteinte des paupières est dans ce casexceptionnellement isolée. C’est le cas par exemple desphotoallergies aux filtres solaires.

2. Aspects cliniques des allergies oculopalpébrales [1–6]

La conjonctivite de contact isolée s’observe lorsquel’allergène est déposé à la surface de l’œil sur la conjonctive.Elle se voit donc le plus souvent lors de sensibilisations auxtopiques médicamenteux à usage ophtalmologique. Lorsqu’elleest intense, cette conjonctivite peut s’étendre au versant cutané,atteignant ainsi œil et paupières. Une atteinte isolée despaupières sans conjonctivite associée élimine donc formelle-ment la responsabilité d’un collyre.

L’eczéma de contact aigu des paupières se caractérise parune éruption érythémateuse, vésiculeuse, suintante évoluantvers des croûtes puis une desquamation. Ces différenteslésions élémentaires peuvent coexister. Le prurit est intense.L’atteinte est généralement bilatérale et les paupièressupérieures plus fréquemment touchées. En cas d’eczémassuraigus, l’œdème est parfois tel que le diagnostic d’œdèmede Quincke est porté à tort lors d’une consultation d’urgence.Ces situations sont observées lors du contact avec desallergènes puissants comme la paraphénylènediamine descolorations capillaires ou certains AINS topiques (kéto-profène).

Cet eczéma aigu typique est souvent remplacé par unedermatite sèche, érythémato-squameuse, mal limité d’évolu-tion chronique. Les vésicules peuvent être totalementabsentes. Lorsqu’il passe ainsi à la chronicité, l’eczémaest parfois discret, localisé aux canthus interne ou externe. Ilest alors difficile à différencier d’une dermatite d’irritation.Quand le prurit est intense, l’évolution se fait vers lalichénification donnant un aspect épaissi, quadrillé despaupières.

Dans 50 à 70 % des cas, l’eczéma des paupièress’accompagne d’autres localisations cutanées qu’il convientde rechercher systématiquement :

� des lésions évocatrices d’eczéma de contact dont latopographie permettra d’orienter le diagnostic. Des lésionsdu cou ou du décolleté associées à l’atteinte des paupièrespar exemple feront évoquer une dermatite de contact auxparfums ou au vernis à ongles. Un eczéma associé de lalisière du cuir chevelu fera suspecter un produitcapillaire. . .� des autres localisations d’une dermatite atopique éventuelle

(plis des coudes, creux poplités. . .). Dermatite atopique eteczéma de contact peuvent coexister.

3. Les allergènes impliqués dans les eczémas despaupières

3.1. Les topiques médicamenteux à usage ophtalmologique

Les collyres et pommades ophtalmiques entraînent deseczémas des paupières toujours associés à une conjonctivite. Ilssont sensibilisants par leur principe actif (antibiotiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens, antiseptiques, antiviraux,mydriatiques, anesthésiques locaux, bêtabloquants. . .), parleurs excipients ou leurs conservateurs [13]. Les patch-testsrestent le mode d’exploration privilégié des eczémas auxtopiques médicamenteux. Ils peuvent parfois être faussementnégatifs et les ROAT ou les tests d’usage ont dans ce cas unintérêt certain [14].

3.1.1. ConservateursLes conservateurs les plus fréquemment en cause sont les

ammoniums quaternaires, chlorure de benzalkonium principa-lement mais aussi cétrimide, cétrimonium, cétylpiridiniumainsi que les dérivés mercuriels, thiomersal ou merthiolate,borate et nitrate de phénylmercure et mercurobutol [1,15].

3.1.2. Principes actifsLes principes actifs des collyres à l’origine de sensibilisations

sont nombreux et chimiquement très diversifiés. Les antibio-tiques du groupe des aminoglucosides (amikacine, framycetine,gentamycine, tobramycine. . .) sont sensibilisants. La néomy-cine, allergène testé systématiquement dans la batterie standardeuropéenne, permet de dépister l’allergie à ce groupe mais lesréactions croisées entre différents aminosides ne sont passystématiques [16]. L’atropine ou les dérivés des catécholaminessont responsables de phénomènes allergiques violents. L’allergieà un collyre contenant de la néosynephrine peut s’associer à despatch-tests positifs à l’hydrochlorure de néosynéphrine et dephényléphrine que l’épinéphrine et l’éphédrine sont négatives(absence d’allergie croisée) [17]. Les anesthésiques locaux sontrarement impliqués dans des eczémas périorbitaires [18]. Lesallergies de contact aux collyres bêtabloqueurs ne sont pas rares.Les malades peuvent être sensibilisés à plusieurs molécules danscette classe thérapeutique. Il ne s’agirait pas d’une allergiecroisée proprement dite mais d’une sensibilisation à unmétabolite commun réactif [19–21]. La substitution par uneautre classe d’anti-glaucomateux se discute avec l’ophtalmolo-giste. Les dérivés de la dorzolamide ont provoqué des réactionsallergiques, mais semblent aussi capables de fréquentes réactionsirritatives [22]. Les médicaments de substitution tels quel’apraclonidine ne sont pas exempts de problèmes, mais il nesemble pas exister d’allergie croisée avec les autres a1-adrénergiques [23]. Plusieurs cas d’allergie de contact aulatanoprost ont été décrits ; pour l’un d’entre eux le diagnostic ainitialement été fait grâce à un ROAT [24–26]. Les allergies decontact aux corticostéroïdes sont bien connues des dermatolo-gues mais peu décrites lors d’utilisations ophtalmologiques [8,9].Les corticoïdes, antihistaminiques, AINS locaux sont desallergènes « pièges » à l’origine de sensibilisations rares,mais sources d’erreurs diagnostiques du fait de leur effet

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anti-inflammatoire local ; plusieurs cas sont rapportés notammentavec l’indométacine, le diclofénac le kétorolac trométhamine[27].

La réintroduction par voie générale de ces médicamentstopiques ophtalmologiques peut provoquer des réactionsgénéralisées qui débutent parfois au siège de l’éruptionprinceps. La contre-indication de la classe thérapeutiqueincriminée est donc de règle.

3.1.3. Produits d’entretien pour lentilles de contactDans la littérature, les conjonctivites et eczémas des

paupières induits par les produits d’entretien des lentilles sontplus volontiers notés chez les porteurs de lentilles souples querigides. Les conservateurs et antiseptiques étaient souvent encause (thiomersal, chlorure de benzalkonium, chlorhexidine).Cette cause d’eczéma des paupières est actuellement devenueexceptionnelle dans nos consultations d’allergologie. Ilconvient toutefois de rester vigilant sur la présence d’ammo-niums quaternaires [1,2,13].

3.2. Les cosmétiques [1–12]

Les cosmétiques dans notre pratique quotidienne sont de plusen plus fréquemment en cause dans le déclenchement d’eczémasdes paupières isolés ou associés à une conjonctivite. Leurétiquetage obligatoire depuis quelques années a facilité la tâche del’allergologue (nomenclature INCI). Un très grands nombred’allergènes sont impliqués : conservateurs, tensioactifs, parfums,excipients, filtres solaires. . . Les parabènes sont des conservateurspeu allergisants et leur effet potentiellement carcinogène, objetd’une récente polémique, ne semble pas démontré [28]. Enrevanche, d’autres conservateurs sont plus sensibilisants tel leméthyl-isothiazoline-one, l’Euxyl K400 et son composé leméthylbromoglutaronitrile [9,29]. Ces deux derniers viennentd’ailleurs d’être retirés des cosmétiques par la législationeuropéenne. En matière de tensioactifs, citons le cocamidopro-pylbétaïne des cosmétiques moussants (shampooings, gelsdouche. . .) comme possible inducteur d’eczémas de contact [30].

Il est important lors de l’interrogatoire d’un eczéma despaupières de faire l’inventaire méthodique des cosmétiquesutilisés.

3.2.1. Cosmétiques appliqués sur la zone périoculaireLes crèmes, laits, lotions ou lingettes démaquillantes,

spécifiquement destinés au contour de l’œil doivent êtresuspectés et testés tels quels [30]. Si le patch-test est positif, ledétail du produit peut être demandé au fabricant et lesingrédients testés séparément. Les mascaras sont à l’origine dephénomènes irritatifs dont les agents diffèrent selon qu’il s’agitde mascaras « waterproof » ou non. Ils entraînent également deseczémas de contact liés à la présence de nickel, de colophane oud’autres allergènes plus récemment rapportés : pigmentferrique, quaternium 22, shellac [31–33]. Les ombres et fardsà paupières peuvent contenir des sels métalliques (nickel,chrome, cobalt) et de la colophane. Un cas de réactiond’hypersensibilité retardée au silicate d’alumine a été décrit audécours d’un tatouage du bord libre de la paupière, à visée

cosmétique (reproduisant l’effet d’un eye-liner) [34]. À titreanecdotique, signalons quelques cas de sensibilisation au nickelet au caoutchouc après utilisation intensive de pinces à épiler etd’incurvateurs de cils ainsi que d’eczémas aux adhésifs desfaux cils [35,36].

3.2.2. Cosmétiques appliqués à proximité des paupièresIls peuvent induire des eczémas de contact localisés aux

paupières alors que les signes cliniques sur le site d’applicationsont absents ou minimes. Il s’agit par exemple des cosmétiquesdu visage (crèmes, laits, fond de teint) ou du cuir chevelu(shampoings, cosmétiques capillaires). Nous observonsfréquemment des eczémas aigus très œdémateux des paupièresconsécutifs à des teintures capillaires contenant de laparaphénylènediamine.

3.2.3. Cosmétiques appliqués à distance ou aéroportésLe vernis à ongle en est l’exemple typique. L’allergène est en

général la résine toluène sulfonamide formaldéhyde que lesfabricants tentent de plus en plus d’exclure de leur formulationpour la remplacer par d’autres résines parfois allergisantes. Lenickel peut être également trouvé dans certains vernis. Desallergies de contact aux acrylates (méthylacrylate, collecyanoacrylique) et aux benzophénones des ongles artificielssont bien connues. L’atteinte des paupières accompagne alorsles lésions du pourtour unguéal [37]. Les parfums du malade ouplus rarement ceux de son conjoints peuvent induire deseczémas aéroportés des paupières.

3.3. Les allergènes professionnels [38]

Manuportés ou aéroportés, ils sont plus rarement impliqués queles précédents. De nombreux allergènes sont en cause : végétaux,bois, caoutchoucs résines et colles, peintures, pesticides,antiseptiques et désinfectants, préparation industrielle ou hospi-talière de médicaments [39]. Très récemment, A. Goossens et al.ont rapporté dix cas d’allergie de contact aéroportée de la face chezdes infirmières qui écrasaient des comprimés de tétrazépam [40].Les produits en suspension dans l’air sont plus aptes à parvenirjusqu’aux yeux (vapeurs, poudres, produits de ponçage). La saisonestivale voit une recrudescence de pathologie manuportée car lestravailleurs qui transpirent s’essuient fréquemment les yeux avecleurs mains souillées [38]. Le latex (notamment des gantsmédicaux) peut être à l’origine de phénomènes d’hypersensibilitéimmédiate notamment chez les salariés du milieu hospitalier. Ilentraîne des conjonctivites allergiques et des urticaires de contactdes paupières, parfois des réactions systémiques graves. Le pricktest au latex et/ou la recherche d’IgE spécifiques permettent deconfirmer le diagnostic d’allergie au latex dont le patient doit êtrebien informé au cas ou lui-même subisse une interventionchirurgicale [41].

4. Dermatite inflammatoire des paupières : et si cen’était pas allergique ?

Le diagnostic différentiel avec une dermatite d’irritation(DI) est souvent difficile à poser devant des lésions évoluant

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Tableau 1principaux diagnostics différentiels des eczémas des paupières.

Diagnostic différentiel Caractéristiques

Dermatite d’irritation Lésions érythémato-squameusesAbsence de vésiculesPatch-tests négatifs ou irritatifs

Dermatite atopique Antécédents familiaux et/ou personnels d’atopie (asthme, rhinite allergique. . .)Début dans la petite enfanceAutres signes cliniques de dermatite atopique

Rosacée Rosacée oculaire : blépharite, conjonctivite et syndrome secAssociation à une rosacée cutanéeFlushes (stade 1)Erythème télangiectasique centrofacial, couperose (stade 2)Papulopustules (stade 3)Rhinophyma et hyperplasie sébacée (stade 4)

Dermite séborrhéique Plaques érythémato-squameuses recouvertes de squames grassesAiles du nez, sillons nasogéniens, sourcils, glabelle, lisère du cuir chevelu

Psoriasis Antécédents personnels ou familiaux de psoriasisLésions érythématosquameuses bien limitéesAutres localisations caractéristiques : coudes, genoux, ombilic, lombes,conduits auditifs externes, cuir chevelu, ongles

Dermatopolymyosite Erythème lilacé des paupières et du dos des mains¨dème palpébralAtteinte musculaireAnomalies biologiques musculaires et immunologiques

Urticaire profonde (œdème de Quincke, angioedème) ¨dème sans érythèmeCaractère aigu de l’éruptionPrurit absent ou discretRégression rapide (< 12 h) sans séquelles

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depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois. Dans les deux cas,il s’agit d’une éruption érythémateuse, squameuse, prurigi-neuse sans aspect vésiculeux. Les mêmes agents (conserva-teurs, médicaments topiques, tensioactifs. . .) peuvent donnerles deux types de réactions. L’eczéma parfois succède àl’irritation et seuls l’interrogatoire et les tests épicutanéspermettent de différencier les deux. L’intrication avec ladermatite atopique est également possible, l’atteinte despaupières étant une des localisations fréquentes de la dermatiteatopique du grand enfant et de l’adulte. Les principauxdiagnostics différentiels sont groupés dans le Tableau 1 [1–7].N’oublions pas également que l’eczéma de contact peutcompliquer l’évolution de toutes dermatoses localisées auxpaupières. Cette éventualité doit être évoquée devant uneaggravation inhabituelle, une modification séméiologique oul’absence de réponse à un traitement local jusqu’alors efficaced’une dermatose connue du malade (dermite séborrhéique,rosacée. . .) [1,2,5,6]. Le bilan allergologique est justifié etexplorera essentiellement les topiques médicamenteux etcosmétiques utilisés [1,2,5,6].

5. Prise en charge thérapeutique

Les dermocorticoïdes (DC) restent le traitement local depremière intention des eczémas des paupières. La classe 2 est àutiliser en priorité. L’hydrocortisone (classe 1) est peu efficace.

Les DC de classe 3 sont à réserver aux eczémas très aigus ouœdémateux ne sont utilisables que durant quelques jours (limiterla durée de prescription sur l’ordonnance). Ils sont égalementintéressants en cas d’allergie de contact aux DC du groupe dubudésonide. Les DC de classe 4 sont interdits sur les paupières.L’association des DC à d’autres molécules (antiseptiques,antibiotiques. . .) n’a pas d’intérêt et est source d’allergie decontact. L’arrêt des DC doit être progressif en espaçant lesapplications sous peine de rebond de l’eczéma. Les dermatosesinfectieuses sont une contre-indication à leur utilisation.

Le tacrolimus (0,03 % chez l’enfant de plus de deux ans et0,1 % chez l’adulte) est une alternative thérapeutique très utile. Cemédicament à l’autorisation de mise sur le marché en France dansla seule indication de la dermatite atopique. Son efficacité a étédémontrée dans les eczémas de contact des paupières, permettantainsi une épargne des DC avec une bonne tolérance [42].

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