Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'être -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval (1998)

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  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

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    UVR S DE PAUL TILLICH

    Sous la direction d'Andr Gounelle et de Jean Richard

    Cette nouvelle collection rpond au projet de reprendre de faon

    plus systmatique la traduction franaise des uvres de Paul Tillich et

    e les rassembler autant que possible en un seul lieu. Une insistance

    s p ~ c a l e

    est ,mise au point de dpart sur les crits de la priode alle

    mande, Ce sont les moins conniis actuellement; ils pourraient c e p e n ~

    dant renouveler J'interp rtation de l pense de Tillich et lu donner

    assi une pertinence nouvelle pour notre temps.

    1 LA

    DIMENSION RELIGIEUSE DE

    L

    CULTURE.

    CRITS DU PREMIER ENSEIGNEMENT 1919-1926). (1990)

    2 CHRISTIANISME

    ET

    SOCIALISME.

    CRITS SOCIAL1STESALLEMANDS (19 19-:1 931). (1992)

    3. CRITS CONTRE LES NAZIS 1932-1935). (1993)

    4. SUBSTANCE CATHOLIQUE ET PRINCIPE PROTESTANT. (1996)

    5

    DOGMATIQUE. COURS DONN MARBOURG

    EN 1925.

    (1997)

    6.

    LE

    COURAGE D TRE. (1999)

    Paul Tillich

    , .

    A

    .

    LE COURAGE D ETRE

    Traduction et introduction de Jean-Pierre LeMay

    Les ditions du Cerf

    ditions Labor et Fides

    Les Presses de l'Universit Laval

    1999

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    epr oj

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    illich, Paul, 1

    88 6-1965

    e

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    (uvres de Paul Tillich)

    Trad

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    Co mprend d

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    r. e t des inde

    x.

    Pub . en colla

    b. avec : di

    tio ns du Cerf

    , ditions La

    bo ret Fides.

    ISB N 2-7637

    -7 617-5

    (PUL)

    ISBN 2

    -2 04-06152-

    2 ( Cerf)

    ISBN 2

    c8 309-0909-7

    ( Labor et F

    ides)

    L Courage. 2

    . Ontologie.

    3. Angoisse.

    4 . Existentia

    lisme. 5 Ac

    cep ta

    ti

    on de soi Aspe

    ct religieu

    x. 6. Dieu

    Amour .

    I Titr

    e. II. Collect

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    BJ1533

    .C 8T514 19

    99

    ISBN

    2-7637'-761

    7-5 (PUL)

    ISBN

    2-204-06152

    -2 (Cerf)

    179' .

    6

    ISBN 2-830

    9- 0909-7 (La

    bo ret Fides)

    19 52 by Ya

    le U niversity

    Pr ess

    198

    0 b y Hannah

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    pour la trad

    uc tion frana

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    LesPresses d

    e l 'Universi t

    Laval, Qu

    bec , 1998

    ous

    droits

    rservs.

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    98 -941632-1

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    Ce chef-d uvre de Paul Tillich mrite d tre connu, lu et relu,

    car, plus

    qu un

    livre succs amricain des annes cinquante,

    Le cou

    rage d'tre est un livre de fond qui apporte une rponse pertinente la

    question toujours actuelle de 1 angoisse existentielle et du dsespoir.

    Son auteur, Paul Tillich (1886-1965), vcut en Allemagne de sa

    naissance jusqu en 1933, c est--dire jusqu sa courageuse dnoncia

    tion du nazisme; puis, l autre partie de sa vie se droula aux tats

    Unis, pays d exil et d adopti on oii l fit une brillante carrire de profes

    seur de thologie et de philosophie. Il mourut le 22 octobre, dans un

    hpital de Chicago, aprs une courte maldie d une dizaine de jours. Il

    avait 79 ans.

    L uvre de Tillich, l insta r de sa vie, se divise en deux parties :

    les crits de la priode allemande (1919-1933) et ceux de la priode

    amricaine (1933-1965). Le livre he Courage

    to e

    appartient l u

    vre amricaine, mais la corrlation angoisse-courage

    se

    trouve dj d

    veloppe dans la Dogmatique de 1925 en termes de mlancolie

    courage

    (Schwermut-Mut). Dj, dans cet ouvrage, Tillich prsente le

    courage comme une dtermination ontologico-thologique permettant

    l tre cr de ne pas s enliser dans la mlancolie de son tre fini, ce

    qui nous nvite ne pas faire du Courage d'tre un livre uniquement

    li des circonstances trs prcises comme celles de la guerre froide,

    la peur

    d un

    conflit nuclaire ou la soi-disant angoisse de l absurde des

    annes cinquante. Il y. a quelque chose d irrductiblement tr.anshistori-.

    que dans ce liv:te qui nous saisit ou du

    ni

    oins qui peut nous saisir l o

    nous sommes dans notre existence prsente concrte.

    Le courage d'tre,

    pour une bonne part, est n d un e srie de con

    frences que Tillich a donnes l Universit de Yale dans le cadre des

    Terry Lctures. C est

    Y

    n effet, qu au semestre de l automne de 1950

    l

    prsenta quatre des six chapitres de sa monographie, c est--dire les

    chapitres I, IV, V et VI. L anne:suivante,

    il

    crivit les chapitres II et

    III. En novembre 1952, la Yale University Press publiait une premire

    . dition du Courage d'tre . Ce fut le dbut d unsuccs de librairie qui

    ne s est pas dmenti. Le courage d'tre connut de multiples rditions

    et fut traduit en plusieurs langues

    1. The Courage to Be, New Haven, Yale University Press, 1952, IX-197 p.

    2. La bibliographie complte des uvres d Tillich, tablie par R. Albrecht et W.

    SchBler (Schlssel zUm

    Werk

    von Paul Tillich, p. 202-203), mentionne des

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    x

    LE COURAGE

    D TRE

    Q u ~ e s t c e

    qui fait le succs de ce petit ouvrage? Serait-ce parce

    qu il

    e ~ t facile lire? Il semble bien que non. ce sujet, ses biogra

    phes se plaisent raconter qu il serait venu aux oreill es de Tillich que

    son livretait difficile et que, particulirement, le premier chapitre of

    frait

    certains lecteurs

    et

    lectrices des difficults de comprhension

    quasiment insurmontables. Il ne s en est pas offusqu, mais l

    l a

    relu

    et a dclar :

    < [ ] qu il

    se lisait comme un roman3. Il serait sans

    doute quelque peu

    abusifd affirmer

    sans plus que Le courage d tre ne

    comporte pas de difficult. premie r chapitre, notamment .dans le

    quel Tillich esquissede faon trs ramasse (peut-tre trop mme) une

    histoire

    du

    concept de courage, a de quoi drouter une ectrice

    ou

    un

    lecteur

    non

    prvenu.

    Pour parcourir ce

    roman avec plaisir et intrt et, si possible,

    tre touch par son aspect librateur,

    un

    minimum d information

    (comme avant

    un

    voyage l tranger) m apparat non pas forcment

    ncessaire mais tout

    au

    moins souhaitable. Voici donc,

    en

    guise

    d in-

    troduction, quelques cls

    de

    lecture du Courage d tre.

    1.

    Dans le premier chapitre, qui se prsente, ainsi que mentionn,

    comme une histoire

    du

    concept de courage, Tillich s emploie d

    montrer que toute rflexion profonde

    sut

    le courage au sens thique du

    terme a conduit mettre en vidence son caractre

    ontologique. La

    vi

    se de ce chapitre n est donc pas de faire preuve d rudition, mais de

    montrer que l histoire

    du

    concept de

    courage

    a pratiquement toujours

    emprunt cette double voie : tantt le courage a t peru comme

    une

    vertumorale

    ou

    thique ct des autres vertus, tantt

    a t peru

    comme la vertu (ontologique) sur laquelle s appuient toutes les autres

    vertus.

    Au

    risque de caricaturer un

    peu

    l histoire de ce concept, Tillich

    prsente Platon, Aristote et Thomas

    d Aquin

    comme tant trois grands

    penseurs de la voie thique du courage

    ou

    de

    la

    force

    d me, et

    il pr

    sente les Stociens, Spinoza et Nietzsche comme tant les trois grandes

    figures de la voie du courage ontologique. Le c o n c e p ~ de courage que

    3.

    traductions en allemand (1953),

    enjaponais

    (1954), en nerlandais (1955), en

    sudois (1962), en franais (1967), en italien (1968) et en chinois (1971).

    Wilhelm and Marion

    PAUCK,

    Pdut Tillich His Life and Thought,New York-San

    Francisco, Harper Row, 1976, p. 225-226.

    INTRODUCTION AU COURAGE

    D TRE

    Xl

    Tillichentend

    dvelopper est

    unconcept

    ontologique, c ~ s t - - d i r e

    r e l e ~

    vant d un rflexion sur

    l tre

    ou mieux

    d une

    interprtation de

    l tre

    2.

    L auteur du Courage d tre

    a une conception dynamique de

    l tre.

    L tre n est

    pas pour lui une identit statique et fige mais une

    puissance d tre

    :

    l est

    cette puissance

    d tre

    qui rsiste et conquiert le

    non-tre. Le courage plonge ses racines dans cette dynamiqu de l tre ,

    dans cette victoire de

    l tre

    sur le non-tre. Que faut:..il entendre par

    non-tre ?

    Le

    non-tre est

    une

    puissance de ngation au cur

    mme

    de

    l tre

    ; son

    statut

    ontologique offre un caractre dialectique : il dpend

    de

    l tre

    qu il

    nie, son existence

    n est

    autre que

    celled une

    ngation

    parasitaire.

    Le

    non-tre joue, par rapport

    l tre,

    un

    rle analogue la

    rouille par rapport au fer. Le non-tre dialectique

    (m on)

    peut tre ex

    prim en termes

    de

    manque ou

    mieux

    de

    menace

    Le non-tre

    est donc ce qui menace

    l tre

    de l intrieur

    et la

    conscience de cette

    menace s appelle l angoisse .

    3.

    L angoisse

    rvJe l tre humain

    qu il est un

    tre fini, menac

    par le non-tre. Elle est comme l cho, ou le bruit d e fond dans la con

    science, rd une certaine fragilit ontologique. Bien qu elle soit plus

    manifestement perue

    certains moments de 1 histoire

    plutt

    qu

    d autres, l angoisse dont l est question ici n est pas de nature histori

    que mais

    ontologique.

    Elle ne dpend pas

    de

    telle

    ou

    telle circonstance

    historique;

    elle

    est

    propre l esprit humain comme teL

    On

    ne peut

    donc pas chapper l angoisse de la finitude, parce qu on ne peut pas

    chapper

    la structure de

    J tre

    fini, mlange

    d tre

    et de non-tre.

    La

    finitude, telle que Tillich la peroit

    et

    la ressent, n est ni lgre ni tra

    gique mais srieuse et dramatique. On

    n a

    sans doute pas tort de penser

    que Tillich appartient

    cette longue tradition d inquitude religieuse

    qui

    va

    d Augustin Kierkegaard en passant par Luther et Pascal. Mais

    l faut galment remarquer que Tillich ne parle jamais de l angoisse

    de

    la finitude sans souligner le courage qui l accompagne et

    permet

    de

    l assumer.

    4: Notons galement

    qu il

    mentionne diverses expressions

    de

    l angoisse. Bien sr, l angoisse dans son sens le plus large demeure

    l angoisse ontologique, angoisse qui appartient l tre fini comme tel

    et

    plus prcisment l tre humain comme tre pensant, .comme tre

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    XII

    LE COURAGE D'TRE

    conscient. Dans ce cdntexte, l'angoisse n'est rien d'autre que le senti

    ment d'une limitation essentielle et non accidentelle de l'existence.'II

    n'en est pas de mme de l'angoisse pathologique qui requiert

    l aide

    mdicale et.thrapeutique. Dans le chapitre III, l'auteur plaide en fa-

    veur d'une reconnaissance par la psychiatrie et

    la

    psychologie d'une

    angoisse qui rie soit ni pathologique ni accidentelle mais bien plutt

    normale

    ou mieux existentielle, c'est--dire propre

    .

    notre tre

    dans le monde. tre dans le monde, comme tre conscient, c'est prou

    ver une sorte d'inquitude aux rsonances mtaphysiques, quelque

    chose de bien plus profond, plus intime et plus spirituel que la dou-

    reur (Miguel

    de

    Unamuno), c'est prouver l'angoisse. Nul besoin

    d'avoir.le gnie de Dostoevski pour savoir que la conscience de l'tre

    humain est une conscience douloureuse.

    5. Cette angoisse, ontologique et existentielle, n'est pourtant pas

    r e s s e n t i ~ de la mme manire ni avec la mme intensit toutes les

    p ~ q u e s . Il y a sans doute: des priodes de notre histoire personnelle o

    l'angoisse s'est fite plus oppressante;

    il

    en est

    de

    mme de l'histoire

    universelle, plus prcisment occidentale, dans laquelle l'angoisse a

    pris des visages plus accablants.

    Les

    fins d'poque, les poques de d-

    . cadence peuvent tre juste titre appeles des priodes d'angoisse

    pour autant qu'elles prsntent le visage

    d un

    prsent sans avenir.

    Il

    vaut la peine

    de

    le souligner : l'angoisse porte principalement sur la

    temporalit; si le caractre phmre des choses gnre de la mlan

    colie l'incertitude de l'avenir fait natre l'angoisse. Dans e

    courage

    d t r ~ , Tillich prsente une typologie trs ingnieuse des priodes

    d'angoisse. Cette typologie, qui n a aucune prtention l'exhaustivit,

    se prsente sous les traits d'une rencontre de l'ontologie, de la dimen

    sion

    de

    profondeur o se fait entendre la question simple et difficile du

    sens

    de

    l'tre, et

    de

    l'histoire, chemin

    de

    tous les conflits mais aussi

    de

    toutes les esprances. Si

    le

    non-tre dpend

    de

    l'tre qu'il nie, l est

    possible de distinguer divers types d'angoisse; il

    est

    mme possible de

    montrer que certaines priodes de l'histoire se sont avres plus sensi

    bles un certaia type d'angoisse au point de pouvoir

    en

    tre caractri-

    ses. Ainsi en est-il

    de

    l'angoisse du destin et de la mort, menaant

    l'affirmation

    de

    soi on ique (c'est--dire menaant le vouloir vivre

    de

    l'individu), et que Tillich prsente comme ~ t n t caractristique de la

    fin de l'Antiquit; de l'angoisse de la culpabilit

    et

    de

    la condamna-

    1

    INTRODUCTION AU COURAGE D TRE

    XIII

    ton, menaant

    l

    affmnation de soi morale, caractristique.

    de

    la fin du

    Moyen ge; et

    de

    l a n g ~ i s s e

    du vide et de l'absurde, menaant l'affir

    mation

    de

    soi spirituelle, caractristique

    de

    la fin

    de

    la modernit. Au

    cune

    de

    ces formes d'angoisse ne peut tre dite exclusive une po

    que ; c'est pourquoi l'expression angoisse caractristique d'une

    poque doit tre comprise dans le sens d'une angoisse prdomi

    nante.

    6. Un autre schma structure Le

    courage d tre ;

    il s'agit de la

    bipolarit soi-monde. partir de l'exprience d'tre soi dans le mon

    . de, Tillich distingue deux aspects complmentaires du courage d'tre :

    le courage d'tre soi, c'est-a-dire le courage ds'affirmer soi-mme

    dans .son individualit, et le courage d'tre participantou le courage de

    s'affirmer en tant que prticipant divers secteurs du monde .

    Il

    faut

    se

    rappeler q11 il s'agit l des deux faces d'un mme courage, qu'il est

    certes clairant

    de

    distinguer mais qu'on ne peut opposer. Puisqu'il

    s agit d'une bipolarit, force nous est de constater, cependant, que

    l'histoire gnrale

    de

    l'Occident nous offre non ~ u l m n t le spectacle

    d'une oscillation continuelle entre ces deux ples mais souvent aussi

    celui d'une mutuelle exclusion. Tillich consacre deux chapitres

    (IV

    et

    V)

    ces deux aspects du courage d'tre. Aprs avoir insist sur leur

    essentielle interdpendance, dcrit les grandes tapes historiques et

    existentielles que chacun aparcourues sans l'autre ou l'encontre de

    l'autre. On sent que, derrire cette description d un courage d'tre par

    ticipant qui trouve ses limites en diverses formes de nocol ectivisme

    ou

    de

    conformisme,

    de

    mme que dans celle d un courage d'tre soi

    qui clmine en un courage existentialiste, Tillich est la recherche.

    d un courage quitienne le coup mme dans les situations les plus dra

    matiques

    de

    l'histoire. L'auteur du Courage d tre

    n a

    peut-tre pas

    tout fait . ort de prsenter son livre comme

    un

    roman ou, tout au

    moins,

    de

    souhaiter qu'il puisse se lire omme un roman, car

    de

    quoi

    s'agit-ill, sinon de la qute de ce qui permet

    l'tre humain de se te

    nir debotit etde s'affirmer comme affirm malgr les turbulences et les

    tnbres? Les chapitres

    IV

    et V montrent l'importance ontologico

    existentielle indniable du courage des affirmer comme individu et du

    courage

    de

    s'affirmer comme participant la puissance d'un groupe,

    mais ils mettent aussi en vidence les limites et les dangers inhrents

    ces deux formes de courage. Finalement, ils font surgir .la question

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    7/84

    XIV

    LE COURAGE D TRE

    ultime

    de

    savoir

    s i l

    existe

    un

    courage capable de les unir et de les d

    passer.

    7. Ce n est qu auJ)ixime

    et

    dernier chapitre qu apparat vec le

    maximum declart le caractre profondment religieux et,

    en

    dernire

    analyse, chrtien du courage d tre. D ailleurs, ce chapitre s intitule

    Courage

    et

    transcendance . met en scne un type tout fait nou

    veau

    et

    dcisif de

    courage:

    le courage d accep ter d tre accept. Une

    rflexion plus approfondie

    sur

    le

    concept

    de courage d tre m a amen

    distinguer dairement

    deux expression s du courage d tre dans l u

    vre

    de

    Tillich4 :

    c est d abord

    ce

    concept de courage d tre qui affronte

    t conquiert l angoisse de

    la

    finitude sans jamais l liminer; .c est le

    courage comme affirmation de soi dont il a t question jusqu pr

    sent. Et puis, l y a cet autre concept de courage d tre pou r lequel Til

    lich se fait plus discret et surtout plus circonspect, d autant plus qu il

    s agitl pour lui du cur du courage d tre: le courage de la foi, c est

    -dire le cOtrrage de l acceptation paradoxale de soi qui ne conquiert

    plus simplement l angoisse de

    la

    finitude, mais avant tout le dsespoir

    de 1 alination exstentielle, prouv sous la forme concrte du rejet de

    soi. Pour prsenter ce courage nouveau, c est--dire pour souligner au

    mieux son tonnante gratuit et pour en indiquer de la faon la moins

    mauvaise possible la source ultime

    et

    transcendante, Tillich emploie

    un

    langage rsolument thologique qui tient tout

    la

    fois de la via nega-

    tiva des mystiques (qui,

    par

    crainte de limiter ou d objectiver Dieu,

    prfrentparler de ce qu:il

    n estpas,

    plutt que de ce q u il est)

    et

    de

    la

    doctrine de la justification

    par la

    foi seule, propre sa tradition luth

    rienne.

    ce stade de notre rflexion, une question s impose : qui

    s adresse Le courage d tre? pour qui Tillich

    formle.:.t-il

    ce concept

    parado xal de courage d acceptat ion de soi? et l intenti on de qui

    porte-t- il au jour cette foi nue, dpouille de tout support symbolique ?

    L interlocuteur que Tillich vise de faon privilgie, c est le .douteur.

    Prisons que le doute dont l est

    questionjci

    n arien voir avec le

    doute mthodologique, ni mme avec le doute qui se prsente

    ~

    la

    condition de finitude et qui st surmont par cotmige ou l affirma-

    4. paratre chez

    les

    mmes diteurs : J e a n ~ i e ~ ~ t ~

    Y e

    courage d tre

    dans l uvre e Paul Tillich.

    INTRODUCTION AU COURAGE D TRE

    x

    tion de soi

    de l tre

    fini.

    f:,e

    doute qui assaille

    et

    dsespre le douteur

    est

    un doute radical qui a partie lie avec l alination existentielle et

    avec la- situation historico-spirituelle. Il

    ne

    porte pas sur telle vrit

    particulire mais

    sur

    la vrit elle -mme. Le dou teur se prsente

    comme quelqu un qui vit d une manire tonnamment personnelle le

    drame de toute. une poque hante par le souvenir rcent de guerres

    mondiales, de rgimes totalitaires, d effondrements de sens et de nihi

    isme. Il marche dans la nuit avec le sentiment

    d avoir

    perdu, ou d tre

    en

    train de perdre, le sens de son tre et de sa vie.

    En

    mme temps

    que

    du meilleur de lui-mme se faitentendre une exigence de sens et de.

    ralisation de soi,

    l

    se dcouvre des complicits inavouables avec le

    non-sens

    et

    la

    non-vrit. Coinc entre l exigence de vivre de faon

    humaine et cratrice,

    et

    l nigme des forces dmoniques, l injustifiable

    scandale du mal,. il est pris dans une contradiction dont

    il

    ne peut sortir.

    Il n est pas menac de mort mais de non-sens. Puisque vivre de faon

    humaine c est vivre de faon sense, en lien avec des significations,

    l angoisse de l absurde qu il prouve le conduit une sorte de

    dgot

    et de rejet de lui-mme. C est pourquoi Tillich s adresse fraternelle-

    ment

    quiconque prend

    au

    srieux la question

    du

    sens et dsespre,

    face l ambigut de l existence prsente et l obscurit de l avenir,

    de se raliser d unefaon qui soit digne de son humanit.

    Si

    la

    porte d une uvre est lie ses enjeux, l enjeu principal du

    Courage d tre est celui de sauver l tre humain du dsespoir. L ex-

    prience de gurison et de libration qui en constitue l objet principal

    nese laisse cependant enfermer dans

    aucune

    description exhaustive.

    Pour parler de la grce de

    Die1,1,

    c est--dire du salut qui vient de Dieu

    sous

    le signe de la gratuit

    la

    plus imprvisible,

    Tillich

    multiplie

    les

    paradoxes. Il sait que le paradoxe de la justification est devenu incom

    prhensible, c est pourquoi il cherche le reformuler. Le courage de la

    foi ou le courage comme acceptation paradoxale de soi ne dsignent

    rien d autre qu une reformulation -moderne du principe paulino-luth

    riende

    la justification. Accepter d tre accept en dpit du fait que l on

    se sente inacceptable signifie accepter que

    l amour

    dont Dieu nous

    aime .soit plus grand et plus profond que notre propre refus de nous

    mmes. Il n y a, dans tout cela, aucun triomphalisme ni aucun

    v o l o n t a ~

    risme, mas un tre humain dmystifi, rconcili avec le fondement

    ultime de son tre et anim par une existence nouvelle. tre accept si

    gnifie alors cesser d tre superflu, cesser d tre de trop

    (Sartre),

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    8/84

    XVI

    LE COURAGE D TRE

    tre voulu, aim, justifi par ce qui est la source et le fondement ultime

    du courage d tre: le Dieu au-dessus de Dieu. Cette expression ne vise

    nullement faire

    de

    Dieu une abstraction, mais viter le pige de

    l objectivation sous la forme du thisme thologique qui prsente Dieu

    comme un tre parmi les tres. Pour Tillich, Dieu n est ni la totalit de

    l tre ni un tre parmi les autres, mais bien plutt la source ultime et

    transcendante

    de

    tout ce qui est. Dans l exprience du courage qui est

    .acceptation paradoxale de soi, Dieu prend la figure qe l inconditionn

    qui fait irruption dans notre histoire ,pour nous librer, nous gurir,

    nous remettre debout et en marche avec tous ceux et celles qui sont

    ports par l esprance

    d un

    avenir humainement viable.

    * *

    e courage d tre fut tradui t en franais e n 1967, grce au travail

    du regrett Fernand Chapey qui fut l un des premiers

    mettre

    la dis

    position du public francophone bon nombre des crits de Tillich. Cette

    nouvelle traduction que nous prsentons a)Jjourd hui arrive quelque

    trente ans aprs ; elle a non seulement bnfici des heureuses formu

    les de son prdcesseur, mais aussi des annes de recherche et de tra

    vaux sur le concept de courage d tre. Elle a t faite avec rigueur,

    . . . 1

    mais, comme toute traduction, elle n a pas pu viter les choix diffici-

    les. Pisse cette traduction, en dpit de ses faiblesses, mettre en lu

    mire ce trs beau et trs profond texte d anthropologie religieuse.

    Jean-Pierre LEMAY.

    CHAPITREI

    TRE ET COURAGE

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    9/84

    1

    l

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    l

    1

    l

    f

    1

    f

    t

    [141] En accord avec-les stipulations de la Terry Foundation qui

    demandent que ces leons portent sur la religion la lumire de la

    science et de la philosophie,

    j ai

    choisi un concept vers lequel con

    vergent des problmes thologiques, sociologiques et philosophiques :

    le concept de courage

    . PetJ

    de notions s avrent aussi utiles pour

    analyser la condition humaine. Certes, le courage appartient l thi

    que, mais

    l

    s enracine dans la totalit des dimensions

    d.e

    l existence

    humaine et, en dernire analyse, dans la structure de l tre-mme be-

    ing itself).

    Il convient de le considrer d abord d ilnpoint de vue on

    tologique si

    l on

    veut le comprendre d un point de vue .thique.

    C st

    ce qui apparat dj dans une des plus anciennes discus-

    . .

    sions philosophiques sur le courage,

    le

    dialogue

    Lachs

    de Platon. Au

    cours de ce dialogue, plusieurs dfinitions prliminaires se trouvent

    rejetes. C est alors que Nicias, le clbre gnral, fait une-autre tenta

    tive. Comme chef militaire,

    il

    devrait savoir ce qu est le courage et tre

    capable de le dfinir. Mais sa dfinition, comme les autres, se rvle

    inadquate.

    Si

    le courage, comme

    l

    l affirme, est la connaissance de

    ce

    qui est craindre et

    de ce

    qui est oser, le problme tend alors

    devenir universel, car, pour le solutionner, il faudrait une connais

    sance concernant tous les biens et tous les maux en toutes circons

    tances (199 c). Mais cette dfinition contredit l affirmation prc-

    dente pour laquelle le courage n tait qu une partie

    de

    la vertu. Ainsi,

    conclut Socrate, nous avons chou dcouvrir ce qu est en ralit le

    courage (L99 e). Et dans

    le

    cadre de la pense socratique, un tel

    chec doit tre pris au srieux, car, por Socrate, la vertu est connais

    sance, et l ignorance propos de ce qu est le courage rend impossible

    toute action en conformit avec la vraie nature du courage. Mais cet

    chec de Socrate est plus important que bien

    d,es

    russites apparentes

    de dfinitions du courage, y compris celles

    de

    Platon .lui-mme et

    d Aristote. L chec, dans la recherche d une dfinition du courage en- .

    tendu comme une vertu parmi les autres, soulve un problme fonda

    mental de l existence humaine. Cela montre qu, pour comprendre le

    courage, il faut au pralable comprendre

    1

    tre humain et son monde,

    1. Paul TILLICH, he Courage to Be (1952), in Milin Works 1 Hauptwerke, Vol. 5,

    Writings in Religion,

    Edited by Robert

    P.

    Scharlemann, Berlin-New York, De

    Gruyter, 1988, p. 141-230 [NdT].

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    10/84

    4 LE COURAGE

    D TRE

    ses structures et ses valeurs. Celui-l seul possde le savoir qui sait ce

    qu il affirme et ce

    qu il

    nie.

    La question thique de la nature du courage conduit invitable-

    ment la question ontologique

    de

    la nature de l tre. La rciproque est

    galement vraie. La qestion ontologique de

    la

    nature de 1 tre peut

    tre pose s.ous la forme d une i1;1terrogation thique sur la [142]-n.ature

    du courage. Le courage peut nous apprendre

    ce

    qu:est l tre, et l tre

    ce qu est

    le

    courage.

    C est

    pourquoi le premier chapitre de ce livre

    s intitule Etre et

    courage.

    Bien que

    je

    n aie pas de chance de russir

    l

    o

    Socrate a chou, le courage de risquer un chec presque invi

    table peut contribuer maintenir vivante cette problmatique.

    1.

    COURAGE ET FORCE : DE PLATON THOMAS D AQUIN

    I:e titre de ce

    i v r ~

    Le courage d tre, fait l unit des deux signi

    fications, thique et ontologique, du concept de courage. Le courage,

    en.tant qu il qualifie une_ acti_on humaine

    et qu il

    en fait un sujet d ap

    prciation, est

    un

    concept thique. Par contre, le courage, en tant qu il

    dsigne l affirmation de soi universelle

    et

    essentielle d un tre est un

    concept ontologique. Le courage

    d tre

    est l acte thique par lequel

    1 tre

    humain

    affirme son propre tre en dpit des lll1ents de son

    existence qui sont

    en

    lutte avec son affirmation de soi essentielle.

    .Un regard sur l histoire de

    la

    pense occidentale

    r..:ous

    montre que

    .ces deux sens du courage sont distingus presque partout explicitement

    ou implicitement. Puisque

    nous

    aurons traiter dansd autres chapitres

    des conceptions stocienne et nostocienne du courage, je me limiterai

    ici

    en

    donner une interprtation selon la ligne de pense qui

    va

    de

    Platon Thomas d Aquin. Dans la Rpublique. de Platon, le courage

    est mis en relation avec cet lment de l me qu on appelle tnymos

    (l lment ardent et courageux), et tous deux sont lis cette classe de

    la socit qui a pour

    nom

    les phylakes (les gardiens). Le thymos se si

    tue entre l lme nt intelligible et 1 lm ent sensible de l tre humain. Il

    dsigne l effort spontan vers ce .qui est noble. Comme tel,

    l

    occupe

    une position centrale dans la structure de l me ;ilfaitle lien entre la

    raison et le dsir. Du moins,

    l

    aurait pu: le faire, .mais le fait e st que la

    tendance prdominante de la pense de Pla,ton

    etde

    son cole tait

    dualiste et mettait

    l accent

    sur le conflit de Ja a i S ) ~ etciudsir, Ce lien

    ne fut donc pas utilis. L limination du nilieu de

    l tre

    huniain

    TRE ET COURAGE

    < : ~ y m i d s aura des cons.quences thiques

    et

    ontologiques jusqu

    1 ~ o q u e

    de

    Descartes et

    de

    Kant.

    C est

    elle qui est responsable u r ~

    gonsme moral de Kant

    et

    de la division cartsienne

    de

    l tre entre la

    p ~ n s e et l tendue.

    Le

    contexte sociologique de .cette volution est

    b1en connu : les phylakes de Platon sont 1 aristocratie en armes, ce sont

    les reprsentants de ce qui est noble

    et gnreux. Parmi eux apparais

    sent les sages qui ajoutent la sagesse au courage. Mais cette aristocratie

    et

    ses valeurs se sont dsagrges. Le monde antique sur son dclin,

    . out comme la borgeoisie moderne, en a perdu la trace. leur place

    sont apparus les reprsentants de la raison claire et les masses tech-

    niquement organises

    et

    diriges. Il est remarquable, cependant, que

    Platon lui-mme ait su discerner dans le thymids une fonction es

    sentielle de l tre humain, une valeur thique et une qualit sociologi

    que.

    Aristote a tout la fois conserv et restreint la place de l lment

    aristocratique dans la doctrine du courage. Selon lui, ce qui motive

    supporter courageusement

    la

    souffrance et l a mort tient au fait

    qu il

    est

    noble d agir ainsi

    et

    vil de ne pas le faire (thique Nicomaque,

    III, 9).

    L homme

    courageux

    agit

    en vue de ce qui est noble, car

    c est

    le but

    de la vertu

    (th. Nic., III, 7).

    Noble,

    dans ces passages et

    dans

    d autres,

    traduit kalos [143], et vil traduit aischros, termes

    quel

    on

    rend habituellement par beau et

    laid.

    Une action belle

    ou ~ b l e est une action digne de louanges. Le courage accomplit ce qui

    est ?1gneA

    de

    l o , u ~ g e s

    et refuse ce qui est mprisable. On loue ce par

    quoi

    un

    etre realise

    ses

    potentialits ou actualise ses perfections. Le

    courage est 1 affirmation de notre nature essentielle, de notre finalit en

    acte

    ou

    entlchie,mais c est une affirmation qui a en elle-mme le ca

    ractre du

    en

    dpit de . En effet, elle inclut la possibilit et,

    en

    cer-

    tains cas, l a ncessit de sacrifier des lments qui appartiennent bien

    notre tre, mais qui, s ils n taient pas sacrifis, nous empchraient

    d atteindre notre vritable accomplissement. Ce sacrifice peut porter

    sur le plaisir, le bonheur

    etmme

    sur notre propre existence. Dans tous

    les cas, il est digne d loges parce que, dans l acte

    du

    courage,

    c est

    la

    partie la plus essentielle de notre tre qui prvaut sur celle qui

    l est

    moins. Ce qui fait la beaut et la bont du courage, c est qu en

    lui

    le

    beau

    et

    le bon s actualisent :

    c est

    par consquent

    ce

    qui le rend noble.

    La perfection pour Aristote.- comme pour Platon se ralise

    diffrents niveaux : naturel, personnel et social ;

    et

    le courage comme

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

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    6

    LE COURAGE D TRE

    / affirmation de notre tre essentiel est plus manifeste certains niveaux

    qu

    d autres. Puisque

    la

    plus grande preuve. de courage consiste tre

    disponible au plus grand sacrifice, le sacrifice

    de

    sa propre vie, et que

    le soldat, de par sa profession, est tenu d tre toujours prt

    sacrifier

    sa propre vie, le courage militaire sera et, d une certaine manire, de

    meurera la figure emblmatique du courage. Le mot grec pour courage,

    andreia

    (force virile), et le mot

    latinfortitudo

    (force d me)soulignen t

    les connotations militaires du courage. Aussi longtemps que l aristo

    cratie restera la

    c l s ~ e

    qui porte les armes, ces connotations aristocrati

    ques et militaires se confondront. Mais lorsque la tradition aristocrati

    que se dsagrgera et que le courage pourra tre dfini comme tant la

    connaissance universelle de ce qui est bien et mal, la sagesse et le cou

    rage

    se

    rapprocheront, et le vrai courage commencera se distinguer

    du courge

    du

    soldat. Le courage de Socrate mourant fut un courage

    rationnel et dmocratique, et non plus un courage hroque et aristo

    cratique.

    Le courage aristocratique, toutefois, a repris vie dans les dbuts

    du Moyen ge. Le courage rdevint la caractristique de la noblesse.

    Le chevalier est celui qui incarne le courage, la fois comme soldat et

    comme gentilhomme. Il possde ce qu on appelle

    hohe Mut,

    l esprit

    lev, noble et courageux. LaJangue allemande a deux mots pour cou

    rageux,

    tapfer

    et

    mutig. Tapjr

    l origine signifie ferme, puissant, im

    portant;

    il

    dsigne

    le

    pouvoir d tre de ceux qui appartiennent aux

    couches sociales suprieures de la socit fodale. Mutig vient de Mut,

    cette disposition de

    1

    me que suggre le mot anglais

    mood

    (humeur).

    Ainsi en est-il ds mots tels que

    Schwermut, Hochmut

    et

    Kleinmut

    (humeur lourde, hataine, pusillanime).

    Mut

    est affaire de

    cur,

    entendu comme centre de la personne.

    C est

    pourquoi on peut rendre

    mutig

    pr

    beherzt

    (de mme que le terme franco-anglais courage

    vient du franais

    cur

    ).

    Tandis que Mut a conserv ce sens large,

    Tapferkeit

    a dsign de plus en plus la vertu propre au soldat

    -lequel

    cessait d ailleurs de s identifier

    au

    chevalier et aU gentilhomme. Il est

    vident que les termes

    Mut

    et

    courage

    nous introduisent directe

    ment

    la question ontologique, tandis que

    Tapferkeitet force,

    dans

    leurs significations prsentes, sont trangers.

    de tel les significations.

    Le titre de ces confrences n aurait pas pu se lire La force d tre}}

    Die Tapferkeit zum Sein)

    mais bien plutt Le courage d tre

    Der

    Mut zum Sein).

    Ces remarques linguistiques rvlent l situation du

    TRE

    ET

    COURAGE

    7

    Moyen ge [144] par rapport

    au

    concept de courage. Elles manifestent

    la tension qui existe entre l thique hroco-aristocratique du haut

    Moyen ge et l thique rationnelle et dmoratique, provenant de

    l humanisme chrtien qui rapparatra la fin du Moynge.

    Cette situation trouve son expression classique dans la doctrine

    de Thomas d Aquin sur le courage. Thomas d Aquin se rend compte

    de

    la double signification que comporte le terme

    courage et il en

    treprend la discussion. Le courage est la force d me qui s emploie

    conqurir tout ce qui menace l acquisition du souverain bien. Il est li

    la sagesse, vertu qui fait l unit des quatre vertus cardinales (les deux

    autres tant la temprance et la justice). Une analyse pousse montre

    rait que ces quatre vertus n occupent pas

    le

    mme rang.

    Le

    courage,

    uni

    la sagesse, comprend

    la

    temprance dans la relation avec soi

    mme ainsi que la justice dans la relation avec autrui. La question est

    alors de savoir quelle est, du courage ou de la sagesse, la vertu qui en

    globe les autres? La rponse dpend de l issue de la fameuse discus

    sion sur la priorit de l intelligence ou de la volont dans l essence de

    1 tre et, par consquent, dans la personne humaine. Puisque Thomas

    d Aquin se prononce sans quivoque pour la priorit de l intelligence,

    il subordonne n.cessairementle courage

    la sagesse. Une dcision en

    faveur de la priorit de la volont conduirait

    une indpendance plus

    grande, bien que non totale, du courage par rapport

    la sagesse. La

    distinction entre ces deux lignes de pense est dcisive en ce qui con

    cerne J valuation du courage de risquer (en termes religieux, le

    risque de la foi . Sous la tutelle de la sagesse, le courage est essen

    tiellement force

    d me

    qui rend possible l obissance aux prceptes

    de la raison ou de la rvlation

    -,

    alors que, sans cette tutelle, le cou

    rage de risquer participe

    la cration de la sagesse. Il est vident que

    la

    premire hypothse comporte le danger d une stagnation non cratrice,

    telle que cela s est produit, pour une large part, dans lapensecatholi-

    que et dans une certaine pense rationaliste. En revanche, il ne fait pas

    de doute non plus que le danger, dans la seconde hypothse, est celui

    d un v o l o n t r i s m ~

    sans direction tel qu on le trouve dans

    un

    certain

    protestantisme et plus encore dans la pense existentialiste.

    Cependant, Thomas d Aquin dfend aussi une signification plus

    restreinte du

    courage-

    toujours appel

    fortitudo -

    entendu comme

    une vertu parmi les autres. Selon l habitude dans ces discussions,

    il

    se

    rfre au courage du soldat comme exemple de courage au sens

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    12/84

    8

    LE

    COURAGE

    D TRE

    restreint du terme. Cela correspond s a manire habituelle de runir la

    structure aristocratique de la socit mdivale aux concepts universels

    du christianisme et de l humanisme.

    Le parfait courage, selon Thomas d Aquin, est un don de l Esprit

    Saint. Grce l Esprit, la force naturelle de l me est leve saper

    fection surnaturelle, ce quj

    yeut

    dire qu elle s unit aux vertus spcifi

    quement chrtiennes:

    la

    foi, l esprance et

    famour.

    Ainsi appa rat une

    volution par laquelle l aspec t ontologique du courage se trouve plac

    dans la oi qui inclut l esprance-, tandis que l aspect thique du

    courage est situ dans l amour ou dans le principe de l thique. L ad

    mission du courage dans

    la

    foi, spcialement dans la mesure o elle in

    clut l esprance, .apparat assez tt, par exemple dans la doctrine du

    courage d Ambroise. Ce dernier suit la ttadition antique lorsqu il ap

    pelle

    la

    force

    une

    vertu plus leve que les autres, qui n apparat

    toutefois jamais seule. Le courage coute la raison et excute l inten

    tion de l esprit. Il est cette force de

    l me

    qui triomphe de l extrme

    danger, comme chez ces martyrs de l Ancien Testament qui sont nu

    mrs [145]

    au

    chapitre onze de l ptre

    aux

    Hbreux. Le courage pro

    cure la consolation, la patience

    et

    l exprience; il devient pratiquement

    impossible de le distinguer de la foi et de l esprance.

    la lumire de ce dveloppement, nous pouvons conclure que

    toute tentative pour dfinir le courage se trouve confronte cette al

    ternative : ou bien le terme courage dsigne ne vertu parmi les

    autres pouvant prendre part, dans un sens moral,

    la

    foi et

    l

    esp

    rance ;ou bien il conserve son sens large, et alors on interprte la foi

    partir d une analyse du courage. C est cette deuxime voie que nous

    suivrons dans ce livre, en particulier parce que

    je

    suis convaincu que la

    foi,

    plus que tout autre terme religieux, a besoin d une telle rinter

    prtation.

    2. COURAGE

    ET SAGESSE ;

    LES

    STOCIENS

    Le concept de courage, entendu dansun sens largeimpliquant les

    dimensions thique et ontologique; a pris une norme importance

    la

    fin de l Antiquit et au dbut du monde moderne dans le stocisme

    et

    le nostocisme>Tous deux sont des co les philosophiques comme les

    autres, mais tous deux sont n mme temps plus que des coles philo

    sophiques. Ils reprsentent la voie emprunte par quelques-unes des

    TRE ET COURAGE

    9

    plus nobles figures de fin de l Antiquit e t par leurs successeurs des

    temps modernes, pour rpondre au problme de l existence et sur

    monter l angoissedu destin et de la mort. Ainsi compris, le stocisme.

    s avre tre une attitud religieuse fondamentale, qu il prenne une

    forme thiste, non thiste, ou ranscendant le thisme.

    . Ainsi sera-t-il le seul vrai rival du christianisme dans le monde

    occidental. ~ e s t l un nonc surprenant, surtout si l on prend acte du

    fait que ce fut avec la gnose et le noplatonisme que le christianisme

    eut se disputer sur le terrain philosophico-religieux, et que ce fut avec

    l Empire romain

    qu il

    eut lutter sur le plan politico-religieux. De par

    leur haut degr d ducation et leur individualisme, les stociens ne

    semblent pas avoir constitu un danger pour les chrtiens ;

    ils

    parais-

    . sent mme .avoir t vritablement disposs accueillir des lments

    du thisme chrtien: mais c est l une analyse superficielle. Le chris

    tianisme possdait une base commune avec le syncrtisme religieux du

    monde antique: l ide de

    la

    venue

    d un

    tre divin pour le salut du

    . monde. Dans les mouvments religieux gr oups autour de ce thme,

    l angoisse du destin et de la mort se trouvait surmonte par la partici

    pation de l tre humain

    cet tre divin qui avait assum le destin et la

    mort. Le christianisme, bien qu adhran t une foi semblable, dpassait

    le syncrtisme cause du caractre personnel du Sauveur Jsus Christ

    et de par son fondementhistorique concret dans l Ancien Testament.

    Pour cette 1aison, le christianisme a pu assimiler de nombretLx l

    ments du syncrtisme philosophico-religieux de la fin de l Antiquit

    sans abandonner son fondement historique, mais il ne lui tait pas pos

    sible d adopter l attitude stociennedans sa spcificit. Ceci est parti

    culirement remarquable si

    l on

    considre

    1

    extraordinaire influence

    que les doctrines stociennes du

    lo os

    .et de la loi morale naturelle ont

    exerce sur la dogmatique et l thique du christianisme; mais ce large

    accueil des ides stociennes n a

    pas

    suffi pour combler le foss qui

    sparait l acceptation rsigne du monde dans le stocisme et la foi en

    un salutdu monde dans le christianisme. La victoire de l glise a re

    pouss le stocisme dans une obscurit dont il ne sortira qu avec le

    commencement des temps modernes. L Empire romain non plus ne

    constitue pas un rival du christianisme. L encore il faut remarquer

    que. parmi les empereurs, ce ne furent [146] pas les tyrans dsquili

    brs

    du

    genre de Nron ou les ractionnaires fanatiques comme Julien

    qui constiturent un danger srieux pour. le christianisme mais, au

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    13/84

    10

    LE COURAGE D TRE

    contraire, les stociens vertueux du type de Marc Aurle. La raison en

    e;st que le stocien fait preuve

    d un

    courage social et personnel qui ri

    valise vraiment avec le courage chrtien.

    Le courage stocien n'est pas une invention des philosophes sto

    ciens.' Ce sont eux qui lui donnrent son expression classique en termes

    rationnels ; mais ses racines viennent des rcits mythologiques, d e ~ l

    gendes de faits hroques, des maximes de sagesse, de la posie et de la

    tragdie, ainsi que des sicles de philosophie qui ont prcd l avne

    ment du stocisme. Un vnement en particulier a donn au courage

    stocien une nergie durable: la mort .de Socrate. Elle est devenue,

    pour toute l'Antiquit, la fois

    lin

    haut fait et un symbole. Elle

    mon.:

    trait. ce qu 'tait

    la

    situation humaine en face du destin et. de la mort.

    Elle rvlait ce qu'tait un courage capable d'affirmer la vie parce

    qu'elle tait capable d'affirmer la mort.

    Et

    elle apportait un change

    ment profond la signification traditionnelle du courage. Avec So

    crate, l courage hroque du pass est devenu un courage rationnel et

    universel. Une conception dmocratique du courage l'oppos de la

    conception aristocratique venait de natre. La force

    du

    soldat se trou

    vait dpasse par le courage d sage. Sous cette forme, il procura une

    . consolation philosophique

    beaucoup de gens, dans toutes les r

    gions du monde antique,

    une poque de catastrophes et de boulever-

    sements.

    La description du courage stocien par un homme comme Sn

    que montre que la rainte devant la mort t la crainte devant la vie d

    pendent l'une

    de

    l'autre, comme sont interdpendants le courage de

    mourir et le courage de vivre; Snque voque ceux qui ne veulent

    pas vivre et ne savent pas comment

    mourir}>.

    Il parle d'une

    libido mo-

    riendi expression latine qui correspond .exactement

    la pulsion de

    mort de Freud. Il parle de ces gens qui trouvent que la vie est absurde

    et

    inutile, et qui disent avec l'Ecclsiaste :

    il

    n y a rien

    de

    nouveau

    faire, ni rien de nouveau voir Pour Snque, une telle disposition

    provient de ce qu'on a accept le principe de plaisir ou, comme il la

    nomme en anticipant l'expression amricaine d'aujourd'hui , l'attitude

    du goo time que l on rencontre spcialement du ct de la jeune

    gnration. Comme pour Freud, la pulsion de mort correspond

    l'as

    pect ngatif des pulsions toujours insatisfaites de

    Ia

    libido: l'adoption

    du principe de plaisir aboutit ncessairement, selon Snque, au dgot

    et au dsespoir devant la vie; mais il savait galement (tout C()mme.

    i

    TRE

    ET

    COURAGE

    ll

    Freud) que l'incapacit d'affirmer la vie n'implique pas forcment

    la

    capacit d'affirmer la mort. L'angoisse du destin et de la mort domine

    mme la vie de ceux qui ont perdu la volont de vivre, ce qui montre

    que la n ~ c o m m n d t i o n stocienne du suicide ne

    s ad:r:esse

    pas

    celix

    que la v1e a vaincus, mais

    ceux qui ont triomph de la vie, qui sont

    tout Ja fois capables de vivre et de mourir et qui peuvent choisir li

    brement entre les deux. Le suicide vasion, inspir par la crainte, est

    l'oppos du courage d'tre stocien.

    Le courage stocien est, au sens ontologique comme au sens mo

    un courage d tre. Il trouve son fondement dans la suprmatie

    de

    la raison chez

    1

    tre humain. Mais la raison; dns

    1

    ancien comme

    dans le nouveau stocisme,

    ne

    signifie pas la mme chose que dans la

    terminologie contemporaine. La raison, au sens stocien, ce n'est pas le

    ~ o u v o i r

    de

    raisonner, c'est--dire d'argumenter

    partir de l'exp

    nence avec les instruments de la logique classique ou de l logique

    mathmatique. La raison, pour les stoi'ciens, c' est le

    logos

    la structure

    pleine de sens de la ralit prise comme un tout et

    de

    l'esprit humain

    en particulier.

    Si la raison, dit Snque, est le seul attribut apparte

    nant l'tre humain en tant qu'tre humain, la raison sera alors son

    seul bien, valant tout le reste mis ensemble. Cela signifie que la rai- .

    so.n

    c ~ m s t i t u e la vraie et essentielle nature

    de

    l'tre humain, en compa

    raison

    [147]

    de laquelle tout le reste est accidentel. Le courage d'tre

    est le courage d'affirmer sa propre nature raisonnable

    l'encontre

    de

    e qui est accidentel en nous. Il est vident que la raison, ainsi com

    prise, dsigne le centre mm

    de

    la personne et qu'elle inclut toutes les

    fonctions spirituelles. Le raisonnement, comme fonction limite de

    connaissance dtache du centre de la personne, ne pourrait jamais

    donner naissance au courage. On

    ne

    peut jamais carter l'angoisse en

    la repoussant par des arguments. Ce n'est pas

    l

    une decouverte r

    cente de la psychanalyse: les stociens, lorsqu'ils magnifiaient la rai-

    son, le savaient dj. Ils savaient que l'angoisse

    ne

    peut tre surmonte

    que par le pouvoir de la raison universelle qui, chez le sage, l'emporte

    sur les dsirs et les craintes. Le courage stocien prsuppose que le

    centre de la personne s'abandonne au logos

    de

    l tre; il est participa

    tion u pouvoir divin

    de

    la raison, pouvoir qui transcende .l'empire des

    passions et des angoisss. Le courage d'tre est le courage d'affirmer

    notre propre nature rationnelle e.n dpit de tout

    ce

    qui en nous s'oppose

    l'union avec la nature rationnelle de l'tre-mme.

    l

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    14/84

    12

    LE COURAGE D TRE

    Ce qui contredit le courage de la sagesse, ce sont les dsirs et les

    craintes. Les stociens ont labor une profonde doctrine de l angoisse

    qui nous fait penser des analyses rcentes. Ils ont dcouvert que

    l objet de la crainte est la crainte elle-:mme.

    Rien n ;st

    terrible dans

    les choses, dit Snque, sinon la crainte elle-mme. Epictte ajoute :

    Ce

    n est pas-la mortou l preuve qui est une chose effrayante, mais

    la crainte de la mort et de la tribulation. C est notre angoisse qui

    place de s masques. effrayants sur les tres humains et sur les choses. Si

    nous leur enlevons ces masques, leur vritable visage apparat, et-la

    crainte qu ils produisaient disparat. C est vrai mme pour la mort. Du

    moment que

    chaqu(;'

    jour un peu de notre vie nous est enlev -

    du.

    mo

    ment que nous sommes en train de mourir chaque jour-, l heure finale

    o nous cesserons d exister ne nous apportera pas par :elle-mme la

    mort:

    elle ne fera qu achever le processus mortel. Les horreursqu on

    -y

    ~ t t a c h e ne sont qu affaires d imagination. Elles s vanouissent lors

    que 1 image de

    la

    mort est dpouille de son masque.

    Ce sont donc nos dsirs incontrls qui fabriquent des insqes f

    les mettent sur les tres humains et sur les choses. Snque anticipe

    ainsi la thorie freudienne . de la libido mais dans un contexte plus

    large. Il distingue entre les dsirs naturels qui sont limits et ceux qui

    naissent des opinions fausses et qui sont illimits. Comme tel, le dsir

    n est pas sans limites. Dans une nature non dforme, l se trouve li

    mit par des besoins objectifs et, par consquent,

    il

    peut tre _satisfait.

    Mais l imagination humaine dforme outrepasse les besoins objectifs

    et, avec eux, toute satisfaction possible : Quand vous quittez le droit

    chemin, vos errements sont sans limites. C est cela, et non le dsir

    comme tel, qui produit une tendance irrflchie

    inconsulta)

    vers

    -la

    mort.

    L affin:nation de notre tre essentiel en dpit des dsirs et des an-

    goisses donne nissance

    a joie. Snque exhorte Lucilius

    sedonner

    pour tche d apprendre prouver de la joie. Ce n est pas la joie

    . des dsirs combls qu il fait allusion, car

    ?

    vraie joie

    est une

    affaire

    difficile : elle est le bonheur d une me qui s es t leve au-dessus

    de toutes les circonstances >> La joie accompagne 1'affirmation de soi

    de notre tre essentiel en dpit des inhibitions qui proviennent des

    lments accidentels en nous. La joie est l expression, sur le plan

    motionnel, du Oui courageux notre tre vritable. Cette union du

    courage et de la joie montre clairement le caractre ontologique du

    1

    ;

    TV ET COURAGE

    13

    1

    courage. Si le courage est interprt u n i q u e m e ~ t en termes thiques, sa

    relation

    lajoie

    de l accomplissement de soi demeure [148] cache.

    Dans

    l acte ontologique par lequel un tre s affirme lui-mme dans son

    tre essentiel, courage et joie concident.

    Le courage stocien ri'e_st -ni athe ni thiste au sens technique du

    terme. Le problme des rapports du courage avec l ide de Dieu est

    pos et rsolu par les stociens ; mais il est rsolu

    detelle

    manire que

    la solution pose plus de questions qu elle n en rsqut:

    un

    tel. fait

    manifeste le srieux existentiel de

    la

    doctrine stocienne

    du

    courage.

    Sn9ue exprime, sous la r m ~ de trois noncs, les rapports entre le

    courage du sage et la religion. Le premier nonc dclare : IIIlpas

    s i l ; > J ~ s devant les craintes et non gts par les, plaisirs, nous ne serons

    eff.rays ni.par la mort ni par les dieux. Les dieux reprsntent ici .le

    destin. Ils sorit les puissances qui fix,ent ce destin et symbolisent sa,,

    . menace. Le courage qui surmonte l angoisse du destin surmonte aussi,

    l angoisse devant les _dieux..

    Le

    sage qui affirrpe

    sa,

    participatioil

    la

    raison unverselle transcende l empire

    -ds

    dieux. Ce courag d .tre

    dpasse la puissance polythiste du destin. Le deuxime nonc af

    firme que l me du sage est semblable Dieu. Le Dieu dont il s agi t ici

    est le

    logos divin:

    en s unissant lui, le courage de la sagesse con

    quiert le destin et transcende les dieux.

    C est

    le Dieu au-dessus de

    Dieu.

    Enfin, le troisime noncsouligne la diffrence qu il y a entre

    l ide d une rsignation au monde et l id

    d un

    salut

    du

    monde

    exprim en termes thistes. Pour.Snque, puisque Dieu est au-del de

    la souffrance, le vrai stocien est

    a-dessus

    d eUe. Cela implique que la

    souffrance est en contradiction avec

    la

    nature de Dieu. Il est impossible

    Dieu de souffrir : il est

    au-del.

    Le stocien, comme tre humain est

    capable de souffrir, mais il n est pas ncessaire qu il laisse la

    fi:ance dominer le ceqtre de son tre rationnel. Il peut se tenir .lui-mme

    au-dessus

    d elle puisque ce n est pas son tre essentiel qui est atteint,

    mais ce qu il y

    -a

    en lui d accidenteL Cette distinction

    entre

    au-del

    et au-dessus implique un jugement valeur. Le sage, qui coura

    geusement surmonte le dsir, la souffrance et l angoisse, dpasse

    Dieu lui-mme . Il est suprieur au. Dieu qui, de par sa perfection et

    sa batitude naturelles, se situe au-del.

    un

    tel niveau d valuation

    . .

    le courage de la sagesse et de la rsignation pourrait tr remplac par

    le courage de la foi en

    n

    salut, c est--dire la foi. en un Dieu qui,

  • 7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval

    15/84

    14

    LE COURAGE D TRE

    paradoxalement, participerait

    la souffrance humaine ; mais le sto-

    cisme en lui-mme est incapable de faire ce dernier pas.

    . Le sto cisme atteirit

    sa

    limite lorsqu on demande dans quelle me

    sure le courage de la sagesse est possible. Bien que les

    s t o c . i e n ~

    aient

    insist sur l galit de tous les tres humains dans leur partrcrpatwn au

    logos

    universel, ils n ont pu nier le fait que la sagesse n est possde

    que par. une petite lite, La majorit de la p o p u l a t i o ~ est

    f?lle , , ~ e -

    connaissent-il s esclave de ses dsirs et de ses cramtes. Bren qu Ils

    participent au

    logos

    divin par leur nature essentielle ou r a t i ? n n e ~ l ~ la

    plupart des tres humains sont en conflit avec leur propre

    r a t ~ o n a h t e ,

    et

    cet tat de chose fait qu ils sont incapables d affirmer leur etre essen-

    tiel avec courage. . . . , .

    Il tait impossible aux stociens d expliq uer cette situatiOn, qu

    r ~ s

    ne pouvaient pas non plus nier. Et ce n est pas

    s e ~ e m e n t

    p r e d o ~ m

    nance des fous dans les masses qu ils ne pouvaient expliquer: Il Y

    avait quelque chose chez les sages eux-mmes qui les plaait devant un

    problme difficile. Snque affirme qu il n:y a p ~ s de plus grand cou

    rage que celui qui nat de l absolu dsesporr. Mms, d 0 1 t - o ~ d e m ~ d e r

    le stocien en tant que stocien a-t-il atteint cet _tat de desespou

    solu ? Peut-il l atteindre dans le cadre de sa phllosophre? Ou Y a-t-11

    quelque [149] chose

    q u ~

    manque son ds:spoir

    ~ t ,

    pa: _consquent,

    son courage ? Le stocren en tant que storcren n e x p ~ n m e n t e pas le

    dsespoir sous la forme de la culpabilit personnelle; Epictte cite e?

    exemple ces paroles de Socrate que rapportent les Me" o ables de ~ e ~

    nophon :

    J ai

    pris soin de ce qui tait sous

    mon

    autonte_ et

    e

    n ai

    jamaisrien fait de mal dans

    ma

    vie prive ou dans ma vre p ~ b h q u e .

    pictte lui-mme affirme

    qu il

    a appris ne s occuper de

    nen

    de ce

    qui est extrieur son dessein moral. Mais plus rvlateur e ~ c o r e

    q u ~

    ces dclarations est le ton gnral de supriorit et de complarsance qm

    caractrise les diatribes des stociens, leurs discours moraux et leurs

    accusations publiques. Le stocien ne peut pas dire, comme le f e r ~

    Hamlet, que la conscience fait des lches de nous

    tous.

    Il ne

    p ~ r 0 1 t

    pas la chute universelle de la rationalit essentielle dans la folle de

    l existence comme tant matire

    responsabilit et comme p.psant un

    problme de culpabilit. Le courage d tre, pour l ~ i , sigr;ifie le courage

    - de s affirmer en qpit du destin et de la mort, mars ce n est pas le

    c o ~

    rage de s affirmer en dpit du pch et dela cu_lpabilit. Il ne pouvmt

    TRE ET COURAGE

    15

    pas

    en

    tre autrement, car le courage de faire face

    sa

    propre culpabi

    lit conduit

    la question du salut et non ph,rs celle du renoncement.

    3. COURAGE ET AFFIRMATION DE SOI : SPINOZA.

    Le stocisme passa l arrire-plan lorsque la foi dans le salut du

    monde remplaa le courage du renoncement au monde, mais il rappa

    rut lorsque le systme mdival que dominait le problme du salut

    commena se dsagrger. Il redevint dcisif pour une lite intellec

    tuelle qui rejetait la voie de salut saris pour autant lui substituer la voie

    stocienne du renoncement.

    L impact

    du christianisme sur le monde

    occidental eut pour effet que la renaissance des anciennes coles de

    pense, au dbut de l poque moderne, ne fut pas qu un renouveau

    mais assi une transformation. Cela est vrai de la renaissance du plato

    nisme comme de celle du scepticisme et du stocisme ; cela est vrai

    galement

    du

    renouveau des arts, de la littrature, des thories de 1 tat

    et de la philosophie de la religion. En tous ces domaines, l aspect n

    gatif du sentiment que la fin de

    1

    Antiquit prouvait

    1

    gard de la vie

    cdait la place l aspect positif des ides chrtiennes de cration et

    d incarnation, mme lorsque ces ides taient ignores ou nies. Le

    fond spirituel de l humanisme de la Renaissance tait chrtien corpme

    celui de l anci en humanisme tait paen, malgr la critique des reli

    gions paennes par l humanisme grec et malgr la critique du christia

    nisme par 1 humanisme moderne.

    La

    diffrence cruciale entre ces deux

    types d humanisme, c est la rponse qu ils donnent la question de

    savoir si l tre est essentiellement bon ou non. Tandis que le symbole

    de la cration implique la doctrine chrtienne classique

    que

    l tre en

    tant qu tre est bon (esse qua esse bonum est), la doctrine de

    la

    ma

    tire rebelle dans la philosophie grecque exprime le sentiment paen

    que l tre est ncessairement ambigu dans la mesure o il participe

    la

    fois

    la

    forme cratrice

    et

    la matire qui s y oppose. Cette diver

    gence des conceptions ontologiques eut des consquences importantes.

    Alors qu la fin de l Antiquit les diverses formes de dualisme mta

    physique et religieux taient lies un idal asctique - la ngation de

    la matire- , la renaissance de l Antiquit l poque modeme rempla

    ait cet asctisme par une transformation active du domaine de la ma-.

    tire. Et tandis que dans le [156] monde antique le sentiment du tragi

    que de l existence dominait la pense et la vie, spcialement l attitude

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    20

    LE

    COURAGE

    D TRE

    concepts tels que me du monde, microcosme, instinct, volont de

    puissance, etc., ont t accuss d introduire de la subjectivit dans le

    domaine objectif du rel ; mais ce sont de fausses accusations. Elles se

    trompent sur la signification des concepts ontologiques. Ceux-ci n'ont

    pas pour fonction de dcrire

    la

    nature ontologique de l a ralit en des

    termes emprunts au ct subjectif ou objectifde notre exprience or

    dinaire. C'est la fonction d'un concept ontologique de faire appel un

    domaine particulier de l exprience pour viser les caractristiques de

    l'tre-mme: celui-ci se situe au-del de la distinction entre la subjec

    tivit et l objectivit et, pour cette raison, il ne peut tre exprim litt

    ralement par des termes emprunts au ct subjectif ou

    ;\U

    ct objec

    tif. [153] L ontologie parle de faon analogique, L tre en tant qu tre

    dpasse l objectivit aussi bien que la subjectivit. Dans une approche

    cognitive, on doit se servir de l'une et de l autre. Unete lle approche est

    possible parce que toutes deux sont enracines dans ce qui les dpasse,

    c est--dire dans l tre-mme.

    C'est

    la lumire de ces rflexions que

    les concepts ontologiques, auxquels nous faisons rfrence, doivent

    tre interprts. Ils ne doivent pas tre compris de faon littrale mais

    bien de faon analogique, ce qui ne veut pas dire qu ils aient t for

    ms arbitrairement et qu ils puissent tre facilement remplacs par

    d autres. Leur choix est affaire d exprience et de

    ~ n s e

    soumis des

    critres qui en dterminent le caractre adquat ou inadqat. Cette

    remarque vaut galement pour des concepts comme ceux de conser

    vation. de soi

    ou d'

    affirmation de soi

    quand ils sont pris dans un

    sens ontologique. Et elle s applique, par consquent, tous les chapi-

    tres

    d'une

    ontologie du courage.

    Conservation de soi et affirmation de soi impliquent logiquement

    toutes deux que l'on surmonte quelque chose qui, au moins potentiel

    lement, menace ounie le soi. Il n'y a aucune explication de ce quel

    que chose dans le stocisme ou dans le nostocisme, bien que tous

    deux le prsupposent. En ce qui concerne p i n o ~ il semble mme

    . impossible, dans le cadre de son systme, de rendre compte d'un tel

    lment ngatif. Si toute chose rsulte ncessairement de la nature de

    la substance ternelle, aucun tre n aurait la puissance de m.enacer la

    conservation de soi d'un autre tre. Chaque chose serai t ce qu elle est,

    et l affirmation de soi ne serait qu une manireexcessive de parler de

    la simple identit d'une chose avec elle-m me: mais telle. n est certai

    nement pas l opi nion de Spinoza. Il parle, en effet, d'ute' menace relle

    TRE ET COURAGE

    21

    et mme, comme son e x p r i ~ n c e le lui appris, du fait que beaucoup

    d gens succombent cette menae. Il parle de

    conatus

    l effort pour,

    et

    de potentia la puissance de ralisation de soi. Bien qu ils ne puis

    sent pas tre pris

    la lettre, ces termes ne peuvent pas non plus tre

    rejets corru:p e dnus de sens : ils doivent tre pris dans un sens ana

    logique. Depuis Platon et Aristote, le concept de puissance joue un rle

    important dans la pense ontologique. Des termes comme dynamis

    potentia (Leibniz), employs pour .caractriser la vraie nature de l tre,

    prparent la voie la volont de puissance de Nietzsche. Il en est

    de mme du terme volont , employ pour dsigner la ralit ultime

    d Augustin Duns Scot

    jusqu'

    Boehme, Schelling et Schopenhauer.

    Dans la volont de puissance de Nietzsche, on retrouve ces deux ter

    mes et on doit les comprendre la lumire de leur signification ontolo

    gique. On pourrait dire, de faon paradoxale, que

    la

    volont de puis

    7

    sance n'est ni volont ni puissance, autrement dit qu elle

    n'est

    pas

    volont au sens psychologique ni puissance au sens sociologique. Elle

    dsigne l affirmation de soi de la vie en tant que vie, comprena. lt la

    conservation de soi et la croissance. C est pourquoi la volont ne s ef

    force pas vers quelque chose qu elle ne possde pas, vers quelque objet

    extrieur elle, mais elle se veut elle-mme au double sens de conser

    vation et de dpassement de soi. C'est l sa puissance et aussi sa puis

    sance sur elle-mme. La volont de puissance est 1 affirmation de soi

    _de la volont comme ralit ultime.

    Nietzsche est le reprsentant le plus impressionnant et le plus

    marquant de ce qu'on pourrait appeler une philosophie de la vie.

    La vie, dans une telle expression, dsigne le processus par lequel la

    puissance de l tre s actualise elle-mme; mais, en s actualisant, elle

    surmonte ce qui, dans la vie et bien qu appartenant la vie, est

    ngation de la vie. On pourrait appeler cela la volont qui contredit la

    volont de puissance. Dans un chapitre de son Zarathoustra intitul

    Des prcheurs de mort (I, chapitre 9), Nietzsche signale les diver

    ses manires dont la vie est tente d accepte r sa propre ngati on:

    Ils

    rencontrent un malade ou un vieillard ou un cadavre et ils disent : "La

    vie est rfute " Mais eux seulement sont rfuts, et [154] leur il qui

    de l existence ne voit qu'un seul visage. La vie a de multiples

    aspects,.elle est ambigu. Nietzsche a dcrit cette ambigut de l a faon

    plus actuelle qui soit dans la dernire partie de ses fragments posthu

    mes intituls. La volont

    e

    puissance. Le courage est cette puissance

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    22

    LE COURAGE D'TRE

    qu'a

    la vie de s'affirmer elle-mme

    en

    dpit de son ambigut, tandis

    que la ngation de la vie, cause de sa ngativit, est une expression

    de lchet. partir de ce fondement, Nietzsche dveloppa une proph

    tie et

    Ul1e

    philosophie

    du

    courage en opposition cette mdiocrit

    et

    cette dcadence d la vie

    qu'il

    voyait s'annoncer dans la priode

    venir.

    Comme les philosophes antiques, Nietzsche dans Zarathoustra

    considre le guerrier qu'il distingue du simple soldat- comme un

    modle minent de courage. Qu'est-ce qui est bien? demandez-vous.

    tre courageux est bien I, 10), et non pas chercher avoir une lon

    gue vie

    ou

    vouloir tre pargn, et tout cela justement

    par

    amour de

    la vie. La mort du guerrier t de 1homme mr ne doit pas tre un re

    proche la terre (I, 21 ). L'affirmat ion de soi est l'affirmation de la vie

    et de

    la

    mort qui appartient

    la

    vie.

    L vertu, pour Nietzsche comme pour Spinoza, est affirmation

    de

    soi. Dans le chapitre Desvertueux, Nietzsche crit: C'est votre Soi

    le plus cher, votre vertu La soif de l'anneau est en vous.:

    c'est

    pour

    s'atteindre nouveau lui-mme que tout anneau lutte

    et

    se tord (II,

    27). Cette analogie dcrit mieux que n'importe laquelle dfinition le.

    sens de l'affirmation de soi dans la philosophie de la vie. Le Soi se

    possde, mais,

    en

    mme temps,

    l

    cherche s'atteindre.

    Ici,

    le

    conatus

    de Spinoza devient dynamique, au point que l'on pourrait pratiquement

    dire que Nietzsche est une reprise de SpinoZa. en termes dynamiques :

    la vie

    chez Nietzsche tient la place de la substance

    chez Spi

    noza. Cela est vrai non seulement pour Nietzsche mais pour la plupart

    des philosophes. de la vie.

    La

    vrit de la vertu,

    c'est

    que le Soi est en

    elle,

    et non une chose. extrieure .

    Que dans l'action se trouve vo- .

    tre

    Soi, comme dans l'enfant

    la

    mre: que cela soit votre formule de

    vertu

    (11,27). Dans

    la

    mesure o le courage est affirmation de notre

    soi propre, l est du fait mme vertu.

    Le

    soi dont l'affirmation de lui

    mme

    est vertu

    et

    courage est

    un

    soi qui se SUipasse :

    Et la

    Vie elle

    mme m'a confi ce secret:: Vois, dit-elle,je suis ce qui doit toujours

    se surpasser

    (II, 34).

    En

    mettant en italique

    les

    derniers mots,

    Nietzsche indique qu'il veut donner une dfinition de la nature s s n ~

    ti elle de la vie.

    [ ..

    ]L, la Vie se sacrifie- pour la puissance con

    tinue'-t-il et il montre, par cette expression, que pour lui l'affirmation

    de soi inclut la ngation de soi, non pour 1 amour de la ngation mais

    pour l'amour de la plus grande affirmation possible, pour ce

    qu'il

    ap-

    ET COURAGE

    23

    pelle puissance. La vie cre et la vie aime ce qu'elle cre mais

    contre ce la elle doit .bientt se retourner :

    Ainsi le veut ma volont

    [de

    vie]. C'est

    pourquoi il est faux de parler de

    volont

    d'exis

    tence

    ou

    mme

    de

    volont de

    vivre

    ; on doit parler de

    volont

    de puissance, c'est--dire de davantage de vie.

    La

    vie qu i veut se SUipasser est

    la

    vie bonne, et

    la

    vie bonne est

    la

    vie courageuse. C'est la vie de 'l'me puissante et du corps triom

    phant

    dont

    la

    jouissance de soi est vertu.

    Une

    telle me bannit toute

    lchet;

    elle dit: le mal

    c'est

    ce qui est

    lche

    (III, 54). Mais

    pour

    atteindre une telle noblesse,

    l

    faut obir

    et

    commander ; l faut obir

    quand

    on

    commande. Cette obissance [155] qui est comprise dans

    le

    commandement est le ,cntraire de la soumission. Cette dernire est la

    lchet qui n'ose pas se risquer. Le soi soumis, mme

    un Dieu,. est

    l'oppos d'un soi qui s'affirme. C'est un soi qui veut viter la douleur

    de blesser

    ou

    d'tre bless. Le soi qui obit, au contraire,

    c'est

    celui

    qui se commande et

    par

    l

    serisque >>(Il,

    34). En se commandant,

    il

    devient son propre juge et sa propre victime. Il se coriunande selon la

    loi de la vie, la loi du dpassement de soi La volont qui se commande

    est la volont cratrice. Elle fait un tout des fragments et des nigmes

    de la vie. Elle ne regarde pas

    en

    arrire ; elle se tient au-del de la

    mauvaise conscience ; elle rejette 1 esprit de vengeance

    qui consti

    tue la nature la ~ u s profonde de l'accusation de soi et de la conscience

    de culpabilit ; elle dpasse la rconciliation, car elle est la volont de

    puissance (II, 42). En faisant tout cela, le soi courageux

    s'unit

    la vie

    elle-mme et son secret (II, 34).

    Nous pouvons conclure notre interprtation de l'ontologie nietz

    schenne

    du

    o u r g ~

    par

    la

    citation suivante : A vez-vous

    du

    courage,

    mes frres?[ .. ] Non le courage devant tmoins, mais le courage de

    l'ennite

    etde l'aigle, que pas mme un

    dieu

    n'aperoit?[ .. ] Il

    a du

    cur, celui qui connat la crainte mais la vainc ; qui voit l'abme mais

    avec fiert. Celui qui voit l'abme mais avec des yeux d 'aigle, celui qui

    saisit l'abme avec des serres

    d'aigle:

    celui-l a du

    courage

    (IV, 73,

    partie4).

    Ces paroles rvlent l'autre aspect de Nietzsche, celui qui tit de

    lui tll1 existentialiste: le courage de regarder dans l'abme du non-tre,

    dans la complte solitude de celui qui accepte le message : Dieu est

    mort.

    Nous aurons quelque chose d'autre dire sur cet aspect de la

    pense de Nietzsche dans les chapitres qui viennent. Il nous faut, pour

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    LE COURAGE D TRE

    le moment, terminer notre survol historique, lequel n avai t pas 1 inten

    tion d tre une histoire de l ide de c o u r g e ~ Son intention tait dou

    ble:

    il voulait montrer que, dans l histoire de la pense occidentale, du

    achs de Platon au Zarathoustra de Nietzsche, le problme ontologi

    que du courage avait stimul la cration philosophique, en partie parce

    que le caractre moral du courage demeure incomprhensible sans son

    caractre ontologiqu, en partie parce que,

    1

    exprience du courage

    s est

    rvle tre une voie d accs exceptionnelle pour l approche on

    tologique de la ralit.

    En outre, ce slifVol historique avait pour fm de hous procurer le

    matriel conceptuel ncessaire pour traiter,

    d une

    faon systmatique,

    du problme du courage et; par-dessus tout, du concept ontologique de

    l affirmation de soi et de ses diverses interprtations.

    CH PITRE II

    TRE

    NON-TRE ET

    ANGOISSK

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    1. UNE ONTOLOGIE DEL ANGOISSE

    a a signification du non tre

    . Le courage est affirmation de soi en dpit de, en dpit de ce

    qui tend

    empcher le soi de s affirmer

    lui.;.mme.

    la diffrence des

    doctrines du courage du stocisme et du nostocisme, les philoso

    phies de la vie ont trait catgoriquement de ce contre quoi le coura

    ge s affirme. C ar si on interprte l tre en termes [156]

    devie,

    ci volu

    tion ou de devenir, le non-tre est ontologiquement aussi fondamental

    que l tre. La reconnaissance de ce fait n implique pas une dcision .

    propos de la priorit de l tre sur le non-tre, mais elle requiert la prise

    en considration du non-tre au fondement mme de l ontologie. Si

    l on

    parle du courage comme d une cle d interprtation de l tre

    mme, il faut bien voir que cette cl, lorsqu elle ouvre la porte de

    l tre, dcouvre e n mme temps l tre, la ngation de l tre et leur

    unit.

    Le non-tre est un des concepts les plus diftlciles et les plus dis

    cuts. Parmnide a tent de l carter comme concept, mais, pour y ar

    river, il a d sacrifier la vie. Dmocrite

    l a

    rtabli en l identifiant

    l espace vide, de faon rendre le mouvement pensable. Platon s est

    servi de ce concept parce que, sans lui, le contraste entre l existence e t

    les pures essences tait incomprhensible. Il est impliqu dans la dis

    tinction aristotlicienne entre matire et forme. Plotin y-a trouv le

    moyen de dcrire la perte de soi de 1 me humaine et Augustin, le

    moyen d interprter ontologiquement le pch de

    l

    tr humain. Le

    non-tre devint, pour Denys 1 Aropagite, le principe de s a doctrine

    mystique de Dieu. Jacob Boehme, mystque protestant et philosophe

    de la vie, a tabli la thse classique

    l effet que toutes choses s en

    racinent dans

    un

    Oui et dans un Non. La doctrine leibnizienne de la fi

    nitude et du mal aussi bien que l analyse kantienne de la finitude des

    .catgories impliquent galement le non-tre. La dialectique hglienne

    voit, dans la ngation, la puissance dynamique de la nature et de

    l histoire; et les philosophes de la vie, depuis Schelling et Schopen

    hauer, tiennent la volont>> pour la catgorie ontologique fonda

    mentale parce qu elle a le pouvoir de se nier sans se perdre. Le concept

    d volution et celui de devenir chez des philosophes comme Bergson

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    LE COURAGE D TRE

    plupart des auteurs le reconnaissent, la crainte, contrairemnt

    l an

    goisse, a un. objet dfini auquel on peut faire face, que

    l on

    peut ana

    lyser, attaquer ou supporter. On peut agir sur lui, agir de telle sorte

    qu on

    y participe, ne serait-ce que sous la forme du combat. On peut

    ainsi l intgrer dans son affirmation de soi. Le courage peut rencontrer

    tout objet de crainte, parce que c est urr objet et qu il rend la parti

    cipation possible. Le courage peut intgrer la crainte que produit un

    objet dfini, parce que cet objet, quelque effrayant qu il soit, a un ct

    par lequel

    l

    participe nous et nous lui. On pourrait dire que tant

    qu?il y a un objet de crainte, l amour au sens de participation peut sur

    monter la crainte.

    [158] Mais il

    n en

    va pas de mme avec l angoisse parce que

    l angoisse n a pas d objet ou plutt, exprim de faon paradoxale,

    parce que son objet est la ngation de tout objet. C est pourqUoi la par

    ticipation, la lutte et l amour

    son gard sont impossibles. Celui qui

    est dans l angoisse, aussi longtemps qu il s agit de pure angoisse, est

    livr elle sans appui. On peut observer cette drliction dans l tat

    d angoisse chez les animaux comme chez les tres humains. Cela

    se

    traduit par une dsorientation, des ractions inadquates, un manque

    d intentionnalit (qui est la relation de l tre des contenus signi

    fiants de connaissance ou de volont). La raison\ de ce comportement,

    parfois. caractristique, est le manque d objet sur lequel le sujet (en tat

    d angoisse) puisse se c ~ : m c e n t r e r Le seul objet est la menace elle

    mme, mais non l origine de la menace puisque l origine de la menace

    c est le nant .

    . On pourrait

    se

    demander si ce

    rien

    menaant n est pas l in

    connu, la possibilit indfinie d une menace relle. L angoisse ne

    cesse-t-elle pas au moment o apparat un objet connu de crainte ?

    Serait-elle alors la crainte de l inco nnu? Mais c est l une explication

    insuffisante de l angoisse, car l y a d innombrables domaines de l in

    connu, diffrents pour chaque sujet, qu on envisage sans aucune an

    goisse. C est un inconnu

    d un

    type spcial qui est rencontr avec an

    goisse : l est cet inconnU: qui, par sa nature mme, ne peut tre connu

    parce qu il est

    le

    non-tre.

    La crainte et l angoisse doivent tre distingues mais non pass-

    pares. Elles sont immanentes l une l autre: l aiguillon de la crainte

    est l angoisse, et l angoisse tend se transformer en crainte. Craindre,

    c est

    tre effray par qqelque chose, une douleur, le rejet par une per-

    TRE, NON-TRE ET ANGOISSE

    31

    sonne ou par un groupe, la perte de quelque chose ou de quelqu un, ou

    le moment de mourir. Mais quand on anticipe la menace de ces choses,

    ce n est pas la ngativit elle-mme que ces choses reprsentent pour

    le sujet qui

    est

    effrayante, mais l angoisse touchant les implications

    possibles de cette ngativit. L exemple privilgi, et plus qu un

    exemple, est la.crainte de mourir. Dans la mesure o elle est crainte

    son objet est l anticipation d un vnement: celui d tre tu par la

    maladie ou par un accident et, de ce fait, souffrir

    l;

    agonie et la perte de

    toutes choses. Dans la mesure o elle est angoisse son objet est l ab

    solument inconnu de ce qu il y a aprs la. mort: le non-tre qui

    demeure non-tre mme lorsqu il est rempli d images tires de notre

    exprience prsente. Les rveries du soliloque de Hamlet,

    to

    be r

    not

    o

    be , sur ce que nous pouvons trouver aprs la mort et qui fait

    des lches de nous tous, sont effrayantes non cause de

    le.ur

    contenu

    manifeste mais en raison de leur pouvoir de symboliser la menace du

    nant ou, en termes religieux, de

    la

    mort ternelle. Les symboles de

    l enfer crs par Dante provoquent l angoisse non cause de leur ima

    gerie objective, mais parce qu ils expriment ce nant dont on

    prouve la puissance dans l angoisse de la culpabilit. Chacune des

    situations dcrites dans

    l

    Inferno pourrait tre affronte par le courage

    sur

    la

    base de la participation et de

    l amour;

    mais, naturellement, le

    sens mme de ces situations fait que c est impossible. En d autres ter

    mes, ce ne sont pas des situations vritables mais des symboles de

    l absence d objet, des symboles du non-tre.

    La crainte de la mort constitue l lment d angoisse inhrent

    toute crainte. L angoisse qui n est pas attnue par la crainte

    d un

    ob

    jet, l angoisse dans sanudit, est toujours angoisse du non-tre ultime.

    premire vue, l angoisse apparat C()mme le sentiment pnible de

    notre incapacit

    affronter la menace d une situation particulire.

    Mais une analyse plus profonde fait apparatre que, dans l angoisse

    devant

    n ll:).porte

    quelle situation particulire, c est l angoisse devant

    la situation humaine comme telle qui est prsente. C est l angoisse

    d tre incapable de protger son propre tre. qui est sous-jacente

    toute

    [159] crainte et constitue en elle l lment effrayant. C est pourquoi au

    moment o l angoisse nue s empare l esprit, les objets prc

    dents de crainte cessent d:tre des objets dfinis; ils se montrent pour

    ce qu ils ont toujours t en parti e: des symptmes de l angoiss