401
. ..-. National Llbrary of Canada BIblIothèque rotl011,J,le du Canada AcquiSitions and Dllcellon des acqulsilions ct Bibliographic ServiCes Branch des services bibliogr"phlquc$ 39S WclhnglO"l $llccl 395. lue WClhllÇjlon onawa, ontarIO Onawa (Onl,lIIÔ) K1AON4 K1AQN·l NOTICE 1..... ' .... ....... ,,- Mo >/ ' .. , .. AVIS The quality of this microform is heavily dependent upon the quality of the original thesis submitted for microfilming. Every effort has been made to ensure the highest quality of reproduction possible. If pages are missing, contact the university which granted the degree. Some pages may have indistinct print especially if the original pages were typed with a poor typewriter ribbon or if the university sent us an inferior photocopy. Reproduction in full cr in part of this microform is governed by the Canadian Copyright Act, R.S.C. 1970, c. C-30, and subsequent amendments. Canada La qualité de cette microforme dépend grandement de la qualité de la thèse soumise au microfilmage. Nous avons tout fait pour assurer une qualité supérieure de reproduction. S'il manque des pages, veuillez communiquer avec l'université qui a conféré le grade. La qualité d'impression de certaines pages peut laisser à désirer, surtout si les pages originales ont été dactylographiées à l'aide d'un ruban usé ou si l'université nous a fait parvenir une photocopie de qualité inférieure. La reproduction, même partielle, de cette microforme est soumise à la Loi canadienne sur le droit d'autel!r, SRC 1970, c. C-30, et ses amendements subséquents.

onawa, ontarIO K1AON4 K1AQN·l - …digitool.library.mcgill.ca/thesisfile40127.pdf · Thèse de doctorat soumise à la Faculté des Studes supérieures et de la recherche en vue de

Embed Size (px)

Citation preview

  • ...-. National Llbraryof Canada BIblIothque rotl011,J,ledu CanadaAcquiSitions and Dllcellon des acqulsilions ctBibliographic ServiCes Branch des services bibliogr"phlquc$

    39S WclhnglO"l $llccl 395. lue WClhlljlononawa, ontarIO Onawa (Onl,lII)K1AON4 K1AQNl

    NOTICE

    1..... ' .... ~,'f'r'~"'.......

    ,,- Mo >/ ' .. , ..

    AVIS

    The quality of this microform isheavily dependent upon thequality of the original thesissubmitted for microfilming.Every effort has been made toensure the highest quality ofreproduction possible.

    If pages are missing, contact theuniversity which granted thedegree.

    Some pages may have indistinctprint especially if the originalpages were typed with a poortypewriter ribbon or if theuniversity sent us an inferiorphotocopy.

    Reproduction in full cr in part ofthis microform is governed bythe Canadian Copyright Act,R.S.C. 1970, c. C-30, andsubsequent amendments.

    Canada

    La qualit de cette microformedpend grandement de la qualitde la thse soumise aumicrofilmage. Nous avons toutfait pour assurer une qualitsuprieure de reproduction.

    S'il manque des pages, veuillezcommuniquer avec l'universitqui a confr le grade.

    La qualit d'impression decertaines pages peut laisser dsirer, surtout si les pagesoriginales ont tdactylographies l'aide d'unruban us ou si l'universit nousa fait parvenir une photocopie dequalit infrieure.

    La reproduction, mme partielle,de cette microforme est soumise la Loi canadienne sur le droitd'autel!r, SRC 1970, c. C-30, etses amendements subsquents.

  • LE PERSONNAGE MASCULIN DANS L'OEUVRE DE MICHEL TREMBLAY

    par

    LORRAINE GOUIN

    Thse de doctorat soumise la Facult des Studes suprieureset de la recherche en vue de l'obtention du diplOme de

    Doctorat s Lettres (Ph. D.)

    Dpartement de langue et de l1ttrature franaisesUniversit McGillMontral. Qubec

    AOOT 1995

    e 0 LORRAINE GOUIN, 1995.

  • .+. National Libraryof Canada Blbliothqu~ nationaledu CanadaAcquisitions and Oirecllon des acquISitions ctBibliographic Servic~s Branch des services blb"oqraphlques

    395 Wellington Streel 395. rue WellingtonOnawa. Ontario Ottawa (Ontario)K1AON4 K1AONo1

    \, ..~ '.... \,\",' '..""....'....

    \. \'0 ,,~, ,. " ..

    The author has granted anirrevocable non-exclusive licenceallowing the National Library ofCanada to reproduce, loan,distribute or sell copies ofhisjher thesis by any means andin any form or format, makingthis thesis available to interestedpersons.

    The author retains ownership ofthe copyright in hisjher thesis.Neither the thesis nor substantialextracts trom it may be printed orotherwise reproduced withouthisjher permission.

    L'auteur a accord une licenceirrvocable et non exclusivepermettant la Bibliothquenationale du Canada dereproduire, prter, distribuer ouvendre des copies de sa thsede quelque manire et sousquelque forme que ce soit pourmettre des exemplaires de cettethse la disposition despersonnes intresses.

    L'auteur conserve la proprit dudroit d'auteur qui protge sathse. Ni la thse ni des extraitssubstantiels de celle-ci nedoivent tre imprims ouautrement reproduits sans sonautorisation.

    ISBN 0-612-12373-1

    Canada

  • Je ddie cette thse mes filles,Marjolaine et Alexandra

  • REMERCIEMENTS

    Au terme de ce travail d'criture, je tiens

    remercier le professeur Andr Smith, mon directeur de thse, pour

    le trs grand professionnalisme dont il a toujours su faire preuve

    mon gard, prodiguant encouragements et prcieux conseils et

    assurant une disponibilit qui ne s'est jamais dmentie. Sa vaste

    connaissance de la littrature qubcoise et la faon dynamique et

    claire dont il la transmet dans ses cours ont t la source de

    mon intrt pour la recherche que j'ai entreprise en vue de la

    prsentation de cette thse. Je remercie aussi madame Gabrielle

    Pascal qui par ses dmarches et son enthousiasme face mon projet

    d'entreprendre des tudes doctorales a maintenu intense ma motiva-

    tion dans des circonstances o mes responsabilits familiales et

    professionnelles requraient dj beaucoup de mon temps et auraient

    pu devenir un empchement la poursuite de ces tudes. Merci aussi

    mon pre, monsieur Jea~-Paul Gouin qui l'heure de la retraite

    a pass de trs nombreuses heures taper mes notes de recherche et

    la thse elle-mme.

    Enfin, un merci trs spcial monsieur Gaston

    Malette pour son aide inestimable et sa prsence indfectible mes

    cts tout au long de ce travail.

    Hi

  • R25UM11:Cette thse tudie le personnage masculin dans

    l'oeuvre de Michel Tremblay plus prcisment dans les romans et

    les pices originales c'est--dire l'exclusion des traductions

    et des adaptations ainsi que des comdies musicales et des films.

    De la pice Les Belles-Soeurs (1968) Marcel poursuivi par les

    chiens (1992), ce travail prsente une analyse de l'homme de l'u-

    nivrs dramatique et romanesque de Tremblay en trois grands vo-

    lets. La premire partie est consacre l'tude des procds de

    caractrisation statiques; elle comprend la description des at-

    tributs physiques et psychologiques du personnage masculin ainsi

    qu'un chapitre qui tudie le milieu physique et le contexte so-

    cio-historique dans lequel il volue. La deuxime partie, qui

    constitue la partie la plus import~te de cette thse, prsente

    les archtypes masculins dans l'oeuvre de Tremblay. Cette recher-

    che nous semble d'autant plus utile que ces archtypes (hommes)

    ont jusqu' maintenant t laisss dans l'ombre au profit d'une

    tude approfondie des archtypes fminins. Enfin, dans la troi-

    sime partie, je dgage la reprsentation symbolique des person-

    nages; l'homme de Tremblay est-il le reflet d'un Qubec impuis-

    sant et tourment comme on l'a souvent affirm? En conclusion,

    cette thse tente de dmontrer que l'homme dans l'oeuvre de Trem-

    blay occupe une placa importante en dpit des apparences et des

    affirmations de l'auteur qui suggre (dans plusieurs interviews),

    le contraire.

    iv

  • ABSTRACTThis thesis is a study of the male character in the works of

    Michel Tremblay, particularly as depicted in his novels and

    original plays, excluding translated works, adaptations, musical

    comedies and movies. Beginning with the play entitled Les Belles-

    Soeurs (1968) and up to Marcel poursuivi par les chiens (1992),

    this thesis presents a threefold analysis of the males in Trem-

    blay's dramatic and romanesque universe. The first part of this

    thesis focuses on Tremblay's methods of characterization; this

    provides us with the description of the physical and psychologi-

    cal attributes of the character. This first part also features a

    chapter describing the physical environment and socio-historical

    context in which the male character evolves. The second part of

    this thesis and by far the most important, describes the mascu-

    line archetypes in Tremblay's works. Since the male archetypes

    have so far been set aside in favor of extensive study of the fe-

    male archetypes, our research in the former seems most appropria-

    te. Finally, the thir part presents the symbolic representation

    of the characters: Is the male, according to Tremblay, the image

    of a powerless and tortured Qubec, as it has often been claimed?

    In conclusion, this thesis attempts to show that the males, in

    Tremblay's works, play an important role despite appearances and

    statements to the contrary made by the author in the course of

    many interviews.

    v

  • TABLE DES MATJ:2RESREMERCIEMENTS

    ABSTRACT

    l:NTRODOCTl:ON

    PREMJ:SRE PARTIE

    STODB DBS PROCSDSS DB CARACTSRl:SATl:ON STATl:QOES

    CF'.APl:TRB 1 : STODB DO CONTBX'I'B Hl:STORl:QOE

    1.1 PRSSENTATION DU MILIEU PHYSIQUE

    1.2 PRSSENTATIOH DE LA LANGUE ET DUDISCOURS DES PERSONNAGES

    iii

    iv

    v

    p.2

    p.l0

    p.22

    CHAPl:TRB 2 : STODB DBS ATTRJ:BOTS PHYSJ:QOBS DBSPERSONNAGBS MASCOLJ:NS

    2.1 ATTRIBUTS PHYSIQUES DES PERSONNAGES p.29

    2.1.1. L'OB2SITa p.312.1.2. LA MAIGREUR p.342.1.3. LA BBAUft p.352.1.4. LBS ODEURS REPOUSSANTES p.372.1.5. LBS 'l'ARES, DaFAU'l'S ET TRAVERS p.38

    2.2 PERSONNAGES SANS DESCRIPTION PHYSIQUE p.40

    2.3 8TtlDE DU NOM p.43

    2.3.1. L'ABSENCE DE NOM2.3.2. LB NOM Rl:DICULIS82.3.3. L'OUBLI DU NOM2.3.4. LB NOM SYMBOLIQUE

    vi

    p.43p.47p.48p.49

  • ~ CHAPITRE 3 : eTUDE DES TRAITS PSYCHOLOGIQUESPERSOlrdAGBS MASCULINS

    3.1 LE D2SIR D'2VASION3. 2 LA FUITE DANS L'IMAGINAIRE3.3 L'INFANTILISME ET LE D2SIR DE

    S2CURIT23.4 LE SENTIMENT D'INF2RIORI~2 ET

    DE MmlIOCRIT23.5 LA DIFFICULT2 D'EXPRIMER LES

    SENTIMENTS3.6 LA FRUSTRATION, LA R2VOLTE ET

    LA VIOLENCE

    DEUXI:s:ME PARTIE

    DES

    p.53p.62p.73

    p.78

    p.87

    p.95

    eTUDE DES ARCHaTYPES ET ANALYSE DU SYSTeME RELATIONNEL

    CHAPITRE 4 : LB paRE ABS13:NT

    4.1 LES PSRES DE FAMILLE

    4.1.1. UMAND4.1.2. ALEX4.1.3. BECTOR LEMIEUX4.1.4. LES MARIS DES BELLES-SOEURS4.1.5. T2LESPHORE, JOSAPHAT ET LES

    AUTRES4.1.6. LES NOUVEAUX PSRES

    4.2 LES DISPARUS

    4.3 LES IMPUISSANTS

    4.3.1. GaRARD BLEAU4.3.2. L20POLD4.3.3. "JOHNNY"

    4.4 LES ANODINS, LES ANONYMES, LESDE PASSAGE

    4.5 LES VICTIMES

    vii

    p.108

    p.109p.1l4p.1l8p.120p.124

    p.128

    p.133

    p.136

    p.136p.140p.143

    p.147

    p.149

  • CHAPITRE 5 : LE MARGINAL (Premire parte)5.1 LES HOMOSEXUELS ET LES TRAVESTIS

    5 .1.1. SDOUAilD5.1.2. HOSANNA5.1.3. SANDRA

    5.2 LES INCESTUEUX

    5.3 LES NOUVEAUX HOMOSEXUELS

    5.3.1. JEAN-MARC (Les Anciermes Odeurs)5.3.2. LUC5.3.3. JEAN-MARC (Le Coeur dcouvert)5.3.4. MATHIEU5.3.5. JEAN-MARC et MA~IEU

    (La MaisOD. suspendue)

    CHAPXTRB 6 : LB MARGXNAL (Deuxillle partie)

    6.1 LES REVEtmS

    6.1.1. JOSAPHAT-LE-VIOLON6.1. 2. MAR

  • TROISISME PARTIELA REP~SENTATION SYMBOLIQUE DES PERSONNAGES

    CHAPXTRE 7 : ~ VXSXON DU MONDE DE MXCHBL TREMBLAYA TRAVERS SES PERSONNAGES MASCULXNS

    7.1 LA DIMENSION PSYCHO-SOCIALE p.263

    7.1.l. LE DRAME DE L'IMPUISSANCE p.265

    Un univers d'o l'on ne sort pas p.267 Solitude et isolement p.273 Alination individuelle et col- p.277

    lective

    7.1.2. LA RECHERCHE DU BONHEUR p.280

    L'a8sumation de soi p.281 La qute d'absolu p.286

    7.2 LA DIMENSION POLITICO-SOCIALE p.290

    7.2.1. L'INDIVIDU ET LA SOCIlm: p.2917.2.2. LA QUETE D'IDENTITt p.302

    CONCLOSXON

    APPBNDXCB

    NOTBS

    BXBLXOGRAPHXB

    ix

    p.309

    p.317

    p.335

    p.377

  • :I:N'rRODUCT:I:ON

  • En 1968, le thtre du Rideau Vert de Mont-

    ral acceptait, au risque d'tre contest, de prsenter les Bel-

    les-Soeurs, pice crite en 1965 par un jeune auteur, Michel

    Tremblay. Causant une onde de choc comme en avait peu connu jus-

    que-l l'univers culturel du Qubec, cette pice incarnait, selon

    Jean-Claude Germain, ni plus ni moins que l'acte de naissance du

    thtre qubcois. Dcrie ou qualifie de chef-d'oeuvre, elle

    ouvrait sur un nouveau ralisme: d'abord par la mise en scne de

    personnages reprsentant le milieu de la classe ouvrire de l'est

    de Montral; puis, par l'utilisation du joual en tant que

    soutien logique et incontournable d'un discours o se trouvait

    rvle la triste condition de vie de ces personnages dmunis.

    Enfin, Tremblay donnait la parole aux femmes, le thtre en Occi-

    dent ayant toujours t, selon lui, un acte masculin.

    Ainsi, dans les Belles-Soeurs, quinze femmes

    racontent leur misre et crient leur rvolte. Elles prennent tou-

    te la place dans une pice o ironiquement elles sont prisonni-

    res. Les longs monologues qu'elles dclament sur leur condition

    dchue sont si percutants et attirent si bien l'attention sur el-

    les que le spectateur choqu autant que surpris en vient ou-

    2

  • blier l'objet mme de leur mpris et leur haine: les hommes.N'oublions pas, comme le faisait remarquer Andr Brassard, lemetteur en scne de la pice, qu'il y a, dans les Belles-Soeurs,

    en~iron cent vingt-deux personnages, en majorit des hommes:

    personnages dont on parle, maris frustrs et abrutis, hommes im-

    puissants, hommes absents. Ainsi donc, jusqu'aux annes quatre-

    vingt, les femmes occuperont un espace presque dmesur dans

    l'oeuvre de Michel Tremblay qui affirme lui-mme haut et fort

    qu'il n'y a pas d'homme au Qubec. Plus tard merge lentement

    dans les pices et les romans de l'auteur l'homme nouveau,

    celui qui prend la parole et s'affirme, bien que toujours carac-

    tris par sa condition de marginal.

    Dans le cadre de la srie 20 ans / 20 lundis,

    le Centre d'essai des auteurs dramatiques prsentait, au prin-

    temps '86, des lectures de pices de diffrents dramaturges. Mi-

    chel Tremblay proposa alors un montage des extraits de ses pices

    o il n'y a que des hommes. Il s'agit de monologues qui devien-

    nent les dialogues d'une soire mortuaire organise autour d'une

    tombe, celle-ci reprsentant l'homma canadien-franais mort et

    enterr. Marginaux, travestis, rveurs se retrouvent pour mettre

    en lumire une existence qui n'a jamais t reconnue et accepte.

    On y retrouve Lopold, Armand, Serge, Jean-Marc, Luc, Cuirette,

    Hosanna, la Duchesse, Sandra, personnages faonns par le talent

    de l'auteur qui puise dans la mmoire collective, pour exprimer

    avec force le manque d'amour de soi et des autres, l'impuissance

    et la dpossession.

    3

  • Cette thse a pour objet l'tude des hommesde l'oeuvre romanesque et thtrale de Michel Tremblay. Ellecontient environ cinq cent trente personnages masculins regrou-

    pant aussi bien les piliers de l'oeuvre, comme ~douard, alias la

    Duchesse de Langeais, ou Marcel, que ceux que je dsignerai sous

    le vocable d'anodins et qu'on trouvera numrs en appendice.

    L'objectif premier du prsent travail consiste tablir un in-

    ventaire des personnages sous l'angle des traits tant physi~ues

    que psychologiques qui les caractrisent doubl d'une description

    du contexte historico-social dans lequel ils voluent. On trouve-

    vera aussi une brve analyse de la langue et du discours qui fait

    leur spcificit. Cet inventaire n'a ma connaissance jamais t

    fait. Il nous permet en outre de dcouvrir que, contrairement

    ce que les critiques et l'opinion populaire ont permis de croire,

    l'homme revendique une grande place, mme s'il se situe parfois

    en retrait, dans cette oeuvre colossale. Modeste ouvrier, commis-

    voyageur, professeur, travesti, jeune fou, marginal la plupart du

    temps, le personnage masculin de Tremblay continue d'exprimer,

    dans le sillage de Glinas et de Dub, la solitude et l'impossi-

    bilit de trouver le bonheur.

    Cette thse propose l'tude du personnage

    masculin dans les pices et les romans de Michel Tremblay crits

    entre 1965 et 1992, soit depuis les Belles-Soeurs jusqu' la pi-

    ce Marcel poursuivi par les chiens. L'oeuvre comporte plusieurs

    volets parmi lesquels j'ai d faire un choix; il sera donc peu

    question, dans le prsent travail, des oeuvres dites dpayses,

    selon l'expression de Donald Smith, c'est--dire celles qui rel-

    4

  • vent de la littrature fantastique: Contes pour buveurs attards

    ~(1966) et la Cit dans l'oeuf (1969). A celles-ci se greffe une

    pice crite en 1971, les Paons. Il ne sera pas non plus fait

    mention des Socles, conrte pice crite en 1967 et publie pour

    la premire fois dans Canadian Theatre Review l'automne 1979.

    Ce travail exclut aussi la pice le Train, crite en 1959. Bien

    que je fasse occasionnellement rfrence aux traductions et

    adaptations auxquelles a travaill Michel Tremblay, ainsi qu'aux

    comdies musicales et l'opra Nelligan (1990), composs par

    l'auteur, ils ne constituent pas la source premire de la pr-

    sente tude. Je prcise enfin que les scnarios de films auxquels

    a particip l'auteur des Chroniques n'ont pas t utiliss pour

    la recherche en vue de cette thse. Ils sont tout au plus brive-

    ment mentionns. La thse por~e essentiellement sur l'tude du

    ~ cycle des Belles-Soeurs ainsi que sur les Chroniques du Plateau

    Mont-Royal et les autres romans et pices des annes SO.

    Le prsent travail propose une tude du per-

    sonnage vue sous trois angles distincts. D'abord, la perspective

    raliste. Par leurs attributs, les personnages sont assimilables

    des personnes relles. On verra que cet effet raliste produit

    ici une impression de misrabilisme. Cependant, l'oeuvre de Trem-

    blay n'est pas seulement un reflet de la socit, mais aussi une

    oeuvre construite. La deuxime partie de la thse regroupe les

    personnages masculins en archtypes; les deux principaux sont le

    pre absent et le marginal, eux-mmes diviss en diverses catgo-

    ries. Cette partie tudie le systme relationnel dans l'oeuvre:

    tous les personnages sont en effet relis les uns aux autres et

    5

  • se dfinissent mutuellement. La position du perso~nage dans le

    texte cre un effet de formal~sation ou de structuration qui d-

    bouche, comme dans le cas de l'effet raliste, sur une vision

    pessimiste et sans issue de l'existence. L'tude du systme re-

    lationnel permet aussi d'observer de nombreuses rptitions et

    redoublements qui ont une signification importante dans l'oeuvre

    de Tremblay. En troisime lieu, l'tude des personnages permet de

    dgager les grands archtypes de l'oeuvre et sa signification mi-

    srabiliste sinon constante, du moins dominante. L'ensemble de

    ces trois grands points, - effet raliste, effet formel, usage de

    l'archtype - nous fait donc passer des apparences la signifi-

    cation ou encore de l'observation (de l'inventaire) l'interpr-

    tation.

    L'oeuvre de Michel Tremblay est sans contre-

    dit l'un des sommets de notre littrature. Bien que, comme je

    l'ai mentionn, l'on s'entende pour dire que l'auteur a donn une

    place immense aux femmes, reflet de ce que fut sa propre exp-

    rience, j'ai tenu, en poursuivant ma recherche, mettre en va-

    leur la place galement importante du personnage masculin. L'hom-

    me des premires oeuvres est dmuni, absent, impuissant; celui

    des pices et des romans plus rcents commence s'affirmer. Mais

    il exprime la mme qute d'identit, la mme recherche du bon-

    heur. Reflet de la socit dans laquelle il volue, le personnage

    masculin de Tremblay offre une vibrante image de la vision pessi-

    miste de l'auteur. Son oeuvre est avant tout le drame de l'im-

    puissance incarn dans des personnages criants de vrit. La

    grande force de Michel Tremblay rside, mon sens, dans la cra-

    6

  • tion des personnages qui peuplent son ~nivers, dfini certes d'u-ne faon gographique limite, mais dbouchant sur la conditionde l'homme universel. C"est en cela que cette oeuvre peut tre

    qualifie de chef-d'oeuvre.

    7

  • PREMI:RE PARTIE

    ~TUDE DES PROcm>~S DE CARACT~RISATION STATIQUES

  • CHAPITRE I

  • CHAPITRE Ietude du contexte historigue

    1.1 Prsentation du milieu physigue

    Michel Tremblay est n au 4690 de la rue Fa-

    bre, dans l'est de Montral, en 1942. En 1951, la famille dmna-

    ge au coin de Cartier et Mont-Royal. En 1963, il suit sa famille

    rue DeLorimier au coin de Masson. Il y habite jusqu'en 1968. De-

    puis les Belles-Soeurs, prsente cette anne-l, jusqu' sa plus

    rcente pice Marcel poursuivi par les chiens (1992), en passant

    par l'criture des Chroniques, de 1978 1989, Tremblay situe

    la trs grande majorit de ses personnages dans cet univers somme

    toute assez restreint de ce qu'il est convenu d'appeler le Pla-

    teau Mont-Royal. Symbolisant la porte de l'oeuvre, il s'agit,

    comme l'a crit Robert Lvesque, d'un milieu cher l'auteur, un

    milieu qu'il a observ, qu'il dcrit, qu'il dnonce avec un ra-1

    lisme effarant Ce qui lui importe avant tout, comme il l'a dit

    au cours de multiples entrevues, c'est de dcrire des personna-

    ges que j'ai connus, que je connais, que je ne renierai jamais'.

    En 1980, la prsentation de la pice l'Impromptu d'OUtremont et

    plus tard, la parution du roman le Coeur dcouvert (1986), nous

    font dcouvrir des personnages issus d'une autre couche sociale

    et habitant eux aussi un quartier typiquement francophone, quoi-

    que beaucoup plus nanti. Il s'agit d'Outremont o l'auteur a lui-

    ~ mme choisi de s'installer pendant quelques annes.

    10

  • La rue Fabre et l'est de MontralAlbert Brie, parlant de l'est de Montraldans une critique des Belles-Soeurs, en 1973, fait le commentaire

    suivant:

    [c'est] le lieu exemplaire de notre alination, le plus "grouillant",le plus drob, mais en mme temps le plus recouvert et le plustouff; [Tremblay] a quand mme os nous le ie,ter la face danstoute sa crudit, sans menagements pour les purs.

    En plus des pices et des romans, les films auxquels Michel

    Tremblay a prt sa collaboration, soit Franoise Durocher, wait-

    ress (1972), Il tait une fois dans l'est (1973) ainsi que Le so-

    leil se lve en retard (1979).et la comdie musicale cre au

    Jardin des ttoiles de Terre des Hommes, Demain matin, Montral

    m'attend (1970) mettent en scne des personnages issus de l'est

    de Montral.

    C'est surtout avec la parution du premier to-

    me des Chroniques du Plateau Mont-Royal que le lecteur, proje-

    t vingt-cinq ans en arrire, refait connaissance avec les per-

    sonnages des pices antrieures 1978. Nous nous retrouvons, rue

    Fabre, Montral, le 2 mai 1942, anne et lieu mme de la nais-

    sance de l'auteur. Transposs afin de mieux servir la vision po-

    tique de Tremblay, les personnages et les lieux n'en restent pas

    moins l'expression raliste de l'exprience vcue par l'enfant de

    la grosse femme. Dans l'dition de l'automne 1979 de Canadian

    Theatre Review consacre Michel Tremblay, ce dernier affirme:

    Actually, in La grosse femme, the family l describe is exactly

    my family as it was . Afin de rsumer un sujet sur lequelnous reviendrons amplement, disons que la rue Fabre est le lieu

    ~ par excellence de la famille canadienne-franaise traditionnelle,

    11

  • de ses hommes impuissants, de ses femmes frustres, de ses en-fants traumatiss o pre-,1d naissance le thme cher l'auteur dela maudite vie plate, leitmotiv de la pice les Belles-Soeurs,

    de A toi, pour toujours, ta Marie-Lou, de En pices dtaches et

    de Bonjour, l, bonjour. coutons ce passage tir d'un monologue

    de Sandra o l'on croirait entendre la voix de Tremblay lui-mme,

    nous entretenir de son quartier:

    C'est incroyable quel point la rue Fabre a pas chang. Juste vieilliun peu. Mais pas chang. Pantoute. La bonne moiti de mes amis d'en-fance, les filles surtout, sont rests icitte, se sont maris icittepis ont faite des enfants qui nous ressemblent. J'ai souvent l' impres-sion de voir ma gang jouer dans'ruelle ... pendant qu'une grossevoisine avec qui j'ai jou aux fesses y'a un quart de sicle tricote ct de mo en me racontant c'que j'sais quasiment mieux qu'elle ... ;nos jeux, nos joies, notre grand bonheur d'tre petits pendant lesannes cinquante et bruyants et Matres du Monde! Avoir t un enfantsu; la rue Fabre, c'est un privilge qui laisse une IDdrque indlbi-le .

    C'est donc dans cette rue Fabre, ou, de faon

    plus largie, dans l'est de la ville de Montral que natront

    plusieurs personnages importants de l'oeuvre de Michel Tremblay.

    Dans une entrevue que lui accorde l'auteur, Donald Smith soutient

    que

    Michel Tremblay reprend constamment [ ] les personnages de sonenfance tout en les transposant sur un plan symbolique et my-tbique d'une signification universelle. La rue Fabre et la rue Saint-Laurent se voient ainsi transformes en un immense plateau del 'abs~rde o bommes et femes recherc!Wnt dsesprment le bonheurdans une socit rpressive et iojuste

    Ainsi, dans les Chroniques du Plateau Mont-

    Royal, l'auteur nous prsente un drame humain empreint d'un

    ralisme tonnant et qui vient confirmer, _par les mille et un

    dtails relats, les donnes historiques sur cette poque, tour-

    mente et terne la fois, que fut la vie Montral durant la

    ~ Seconde Guerre mondiale. Voyons un peu l'Histoire. En 1940 avait

    12

  • t adopte la loi des ressources nationales qui permettait lerecrutement obligatoire pour la dfense du territoire canadien.Pour le service outre-mer, on avait recours au volontariat, tout

    en exerant de fortes pressions sur les conscrits pour qu'ils se,

    portent volontaires. Ainsi s'tait enrl Paul, le mari d'Alber-

    tine, qui avait disparu assez rapidement de la circulation, les

    clous aux bottines [ ... ] et le brt bien droit, fier, content,

    s'imaginant qu'il allait enfin russir sa v~e; ce dpart avaitrjoui Albertine qui mprisait son mari. Le premier volet de

    cette tranche de vie relatant la journe du 2 mai 1942 nous est

    prsente en soulignant que c'est aussi la guerre de l'autre c-

    t de l'Atlantique et la conscription qui est venue chercher les. .hommes . L'auteur des Chron~ques reprend et semble partager,

    par le truchement des dialogues de ses personnages, les ides qui

    prvalaient cette poque dans l'esprit des Canadiens franais

    et le sentiment de frustration de ces derniers, n de l'impres-

    sion d'inutilit de cette tche venue dranger la vie quoti-

    dienne et de cette rvolte d'avoir dfendre une cause en la-

    quelle ils ne croyaient pas. Batrice, qui voit dfiler les

    soldats dans son lit, les traite de "vrais fous" et avoue:

    J'comprends pas a que les hommes d'icitte travarsent l'Aclan-

    tique pour aller dfendre deux pays qu'y'hassent depuis tou- .0Jours . Si Tremblay prsente des hommes qui ne se sont pas

    toujours enrls par excs de patriotisme, il ne semble par con-

    tre ~ourrir aucune sympathie pour ceux qui sont rests:

    Les quelques !loIIIIIIes jeunes qui sillotmaient la rue Mont-Royal, cetaprs-midi l, le faisaient au bras de leurs femmes ilceiotes, alibisde leur prsence au pays en temps de guerre, garanties de leurboDntet et, surtout, de leur nno..--ence. Abandonner qqe femeenceiote pour aller courailler dans les vieux pays? Jamais

    13

  • Gabriel, dont on se moque parce qu'il ne faitplus partie de ces "jeunes" mais dont la grosse femme est en-ceinte, rsume bien dans sa harangue hebdomadaire la taverne du

    quartier, le sentiment qui agite les ouvriers qui l'coutent:

    "PourquoJ. vous pensez qu'on a toutes vot "non" au plbiscite. la

    semaine passe? Parce qu'on est toutes des peureux? Non ... C'est

    juste parce qu'on a pas envie d'aller se faire tuer dans une

    "guerre qui a rien voir avec nous autres ! De toute vidence,

    le sermon de Gabriel reprend la lettre le discours des histo-

    riens. Mason Wade, dans son livre sur les Canadiens franais, re-

    late que la raction au plbiscite joua un rle important dans

    l'volution de l'opinion publique. Il affirme:

    Les Canadiens franais individualistes conurent du ressentimentcontre la pression exerce sur ce qui tait cens tre un votedmocratique ( j et demeurrent convaincus que leurs principauxreprsentants Ottawa avaient eu raison,Fe dclarer que la cons-cription serait dplorable et inefficace

    Qu'il soit mcanicien, conducteur de tramway,

    cuisinier ou tailleur, l'homme des Chroniques du Plateau Mont-

    Royal gagne pniblement sa vie et russit peine subvenir aux

    besoins des siens. Michel Tremblay nous peint le tableau d'un

    monde de gagne-petit, prisonnier de son propre destin et dispo-

    posant de peu de moyens. (On trouvera la liste des mtiers et

    professions qu'exercent les personnages masculins principaux de

    l'oeuvre de Tremblay l'appendice 1). Les hommes travaillent

    pour un saiaire ridicule et tentent de trouver la taverne, o

    ils passent le plus souvent leur temps de loisirs, une chappa-

    toire leur existence mdiocre, se sachant parfois compris

    mme de leurs femmes: en autant qu'on tait samedi, un homme qui

    14

  • avait travaill toute la semaine comme un forcen pour gagner lepain de sa famille, avait le droit d'tre sol, c'tait indiscu-..table , pense Victoire. En ces temps difficiles, la situation

    politique du Qubec est confuse, l'industrialisation et le

    syndicalisme ont cr une tension; le problme du logement est

    grave; les salaires, maigres; les conditions de travail, mauvai-

    ses. Lopold, le pre de famille dans A toi, pour toujours, ta

    Marie-Lou, depuis vingt-sept ans derrire la mme machine, sym-

    bolise bien cette misre humaine: homme essentiellement frustr

    et impuissant devant ce qu'il considre une injustice, c'est--

    dire le fait d'avoir perdu toutes ces annes de sa vie faire un

    travail dvalorisant et se retrouver devant ces bouches nour-

    rir avec un revenu insuffisant, il laisse exploser sa haine et sa

    rage aussi bien la taverne qu' la maison. Il crie sa rvolte.

    Voici ce qu'affirme Michel Blair dans la prface la pice:

    Il semble qu'il ait brutalement compris qu'il tait rendu trop loin,qu'il n' y avait plus pour lui aucun moyen de s'en sortir. Aprs avoirfait le tour de son monde, celui de la maison, de la taverne et dutravail, il est frapp de cette lucidit que procure parfois ledsespoir . Au lieu de continuer jouer le jeu, de se transformercompltement en lgume comme Henri dans Ell pices dtaches, Lopolddcide en toute lucidit de mettrr. fin sa dcbance. Le suicidedevient la seule solution possible

    Tous les personnages de Tremblay ne mettront

    pas fin leurs jours dans un geste d'ultime dsespoir, mais tous

    sont malheureux et se sentent prisonniers de leur destin. Trans-

    pos dans le lieu restreint de la rue Fabre, l'univers qu'ils ha-

    bitent est clos, ferm sur lui-mme. D'ailleurs, le thme de la

    cage est souvent prsent dans l'oeuvre; dans un de ses contes, Le

    vin de Gerblicht, on a chauff blanc la cage mtallique d'une

    15

  • souris qui y est emprisonne. Berthe dans Trois Petits Tours,travaille dans une cage. Kiki, la chienne de Johnny Mangano doitrester dans sa cage. Le mme Johnny ne rplique-t-il pas Car-

    lotta: Ta cage, tu te l'es btie toi-mme! Voici ce qu'affirme

    un critique de la pice Sainte Carmen de la Main en 1977:

    L'est de Montral aura scrt toute une faune que Michel Tremblay sesera charg d'exhiber par la magie du thtre travers un cycle deonze pices. C'est bien un cycle puisque tout y est c~~s, dsespr-ment clos, impuissant, impermable toute rdemption .

    Il faudra attendre la cration de la Maison

    suspendue pour mieux saisir l'origine du dsespoir des personna-

    ges des Chroniques en entendant les supplications de VictoirE

    qui refuse la dcision de Josaphat de vendre la maison ancestrale

    et d'aller s'tablir "en ville". Cet abandon

    explique certainement, en grande partie, le destin de ces famillesdsoeuvres de la rue Fabre, o des pres sans instruction quiauraient honorablement gagn leur vie la campagne sont devenuschmeurs et proltaires en ville, o des mres chez qui des valeursrurales persistent mais qui sont confrontes aux exigences de la viecitadine, touffent et s'ennuient dans des _~partements trop exigus,et o des enfants curieux de tout ce qui vit, investissent ruelles,parcs, hangars et dessous de galeries Chaque famille qui a vcu deprs ou de loin cette transplantation, le plus souvent douloureuse,en porte des cicatrices, en garde des squelles; or, c'est ll 'histoire de la plupart des familles citadines qubcoises, ,e,t cesont ces familles blesses qui habitent les pices de Tremblay .

    Lorsqu'il affir.me J'ai vraiment l'impressionu

    que je suis n pour perptuer une rue , Michel Tremblay fait

    bien sr rfrence son rle d'crivain et de "chroniqueur",

    mais comme l'excellente analyse de Pierre Popovic dans le Monde

    de Michel Tremblay le dmontre, il rpond presque au mot d'ordre

    lanc par Maurice Duplessis et Lionel Groulx au peuple canadien-,.

    franais de produire une race, une ligne . Et comme on le

    sait maintenant, presque trente ans aprs l'arrive des Belles-

    16

  • Soeurs, cet espace clos, cet univers ferm contient autant dedrames qu'il y a de personnages, drame de la solitude, drame del'impuissance, drame de la rvolte, de la fuite dans la folie,

    drame des hommes et des femmes d'ici, de la rue Fabre, d'un

    quartier de l'est de Montral, drame local, mais qui rejoint dans

    son essence mme, comme l'a montr la rception de l'oeuvre dans

    plusieurs rgions de la plante, un drame commun au genre humain,

    un drame universel.

    La Hain

    Tout ct de la rue Fabre vit un monde

    parallle: celui de la Main. Si la distance qui spare les deux

    rues est relativement petite, grande est la disparit entre les

    deux univers. Chez Tremblay, la rue Fabre symbolise le monde fer-

    m de la famille, celui o l'on touffe tandis que la Main re-

    prsente pour les personnages, l'une des faons de s'en sortir

    en mme temps qu'une espce de russite sociale. L'auteur affirme

    sans ambages:

    Tous les personnages que j'ai connus et qui s'en sont sorti n'ont pasfait,J1utrement: ou ils sont devenus fous, ou il ont abouti sur laHain .

    La Main reprsente donc le monde du dpayse-

    ment, du rve, de l'vasion. On y vit d'illusions. Carmen y re-

    vient aprs un dtour aux ~tats-Unis pour perfectionner ses

    yoodles et devient, en chantant dans les cabarets de ce grand

    boulevard Saint-Laurent, la reine des chanteuses western.

    ~douard, le fils de Victoire, vend des souliers durant la jour-

    ne, mais devient le soir venu, la Duchesse de Langeais, figure

    17

  • imposante des cabarets de la Main qu'elle appelle son royaume.Hosanna laisse ses peignes et ses brosses de coiffeur, revt sondguisement-ftiche, celui d'Elizabeth Taylor personnifiant la

    reine Cloptre, et va rejoindre toute la faune des travestis

    comme elle qui hante cette artre de Montral. Il y retrouve tout

    ce monde bigarr, htroclite: la grande Paula-de-Joliette, l'a-

    valeuse de lames de rasoir, Jennifer Jones, la Rollande 5t-Ger-

    main, la Comeau, la Vaillancourt, ... ces travestis, qui, comme

    elle, recherchent l'oubli d'une part et une certaine valorisa-

    tion, absente dans le reste de leurs vies, d'autre part. La Main,

    c'est aussi le monde de Maurice, le pimp qui alimente un climat

    de peur autour de lui, celui de Tooth Pick, l'assassin de Carmen,

    celui aussi de la Duchesse, de Willy Ouellette ... la Main donc

    constitue la frontire entre l'Est (francophone) et l'Ouest (anglo-phone) et elle est un vritable lieu-limite, infernal et destructeurmais rempli d'tres de sduction (prostitues, travestis, chante~~eset danseuses, etc) et de plaisirs interdits par la bonne socit

    Comme le soulignait Renate Usmiani dans son

    livre sur Michel Tremblay, les personnages de la Main, bien que

    pleinement conscients de la misre de leur existence, atteignent

    un plus haut niveau de conscience que ceux de la rue Fabre; ces

    derniers ne savent encore qu'exprimer la frustration qui les ha-

    bite, et qu'ils ne peuvent nommer d'ailleurs, alors que les habi-

    tus de la Main, ayant russi s'affranchir de cette prison

    qu'est la famille d'une part, trouvent refuge dans ce monde de

    fantaisie, de rves et d'illusions, d'autre part.

    Plusieurs critiques et auteurs, COmmencer

    par Tremblay lui-mme, ont vu la Main comme un symbole d'alina-

    4It tion culturelle reprsente par les marginaux et les travestis18

  • qui l'habitent: pensons seulement Carmen qui dcide d'offrir la clientle de Maurice, des chansons qui leur parle di.rectement" eux autres dans leurs mots eux autres plutt que des chan-

    sons leur parlant du Tennessee ou du Colorado. Elle affirmera m-

    me haut et fort que la Main a besoin qu'on y parle de la

    "Main . Cette prise de position empreinte d'idalisme ne survi-

    vra pas; Carmen mourra assassine. Hosanna, le travesti porte des

    vtements symbolisant une culture trangre. tdouard, lui, incar-

    ne, selon Gabrielle Poulin, la minorit qubcoise, sa solitude,

    son dsarroi qui, aprs avoir vcu ses rves se retrouve comme

    une trangre, bafoue, confine aux nuits triques de son..folklore .

    Alination individuelle camoufle derrire

    les dguisements et le clinquant, la Johnny Mangano, tres d-

    munis et impuissants devant la vie,devenus "vedettes" d'un soir

    dans des cabarets de dernire classe, pouvoir prenant sa sour~e

    dans la violence et le mpris, voil ce que recle la Main qui

    est aussi cependant, selon Brassard, lieu de glamour, scintille-

    d.. d . ,.ment et e J01e, ans une certa1ne mesure . Quant Trem-

    blay, il la voit comme un cul-de-sac.

    J'ai parl de la NiD, dit-il, pour cerner des problmes d'identi-t, j'ai cr des gens qui se dquisent, comme si tout ce peuplen'avait pas le droit d'tre lui-mme. Il f~lait qu'ils s'imaginectqu'ils sont autre cbose pour pou'lOir vivre

    Mi~el Tremblay aime prciser qu'il n'a pas

    connu la Main personnellement. Il reste que depuis la cration de

    la comdie musicale Demain matin, Montral m'attend en 1970, elle

    constitue un des univers importants de l'oeuvre, un des compl-

    ~ ments la ralit de la rue Fabre.

    19

  • Outremont Quand on lui demande pourquoi il a Ch91Si dechanger de milieu, d'environnement pour sa pice cre en 1980,

    l'auteur de l'Impromptu d'Outremont rpond qu'il voulait montrer

    l'envers de la mdaille, tre de l'autre ct de la clture pour

    "faire changement . Lui-mme habitait Outremont, cette poque-

    l. Il ne s'agit pas simplement d'un changement de lieu gogra-

    phique, mais aussi d'un style d'criture, tant au niveau du dis-

    cours que dans le niveau de langue utilis. Avec les Anciennes

    Odeurs, cre en 1981 et le roman le Coel.r dcouvert paru en

    1986, Tremblay prsente des personnages d'un milieu diffrent de

    ceux de la classe ouvrire ainsi que des hommes qui s'affirment,

    qui commencent prendre leur place dans la socit mme s'ilG

    voluent dans un univers peru comme marginal: le milieu gay. Il

    confie:

    L'Illprptu d'OUtll!lllOQt tait crit avec un reqard de l'extrieur.Dans les ADcil!1llles Odeurs, c'est la premire fois que dcris lemonde COIIIIIIe lIIOi, de IlIOn ac;e avec le mse questionnement

    Si l'univers de la rue Fabre et des gens qui

    l'animent n'a pratiquement rien en commun avec celui de la rue

    Bernard, Outremont, l'auteur du Coeur dcouvert a tout de mme

    lanc un pont entre ces deux ples de son oeuvre et les personna-

    ges qui les composent. Ce pont, c'est Jean-Marc, le fils de la

    grosse femme, dernier de la ligne issue de Josaphat et Victoire.

    Il est professeur de franais au Cegep et g de trente-huit ans;

    il a choisi de s'installer Outremont pour y vivre. D'abord avec

    Luc, avec qui il aura une liaison de sept ans, puis avec Mathieu,

    son compagnon pendant dix ans. Le Coeur clat, paru en 1993 et

    20

  • dernier roman de Tremblay ce jour, raconte la peine d'amour de

    Jean-Marc au moment du dpart de Mathieu; l'action se situe Key

    West, en Floride. Rappelons que c'est aussi Jean-Marc qui revient

    la maison des anctres Duhamel dans la pice la Maison sus-

    pendue.

    C'est donc travers les yeux de Jean-Marc

    que l'auteur nous transmet sa perception:

    L'immuable d'OUtrement [ . J l'ancienne forteresse des Canadiensfranais fortuns, le berceau de la plupart des bommes politiquesinfluents des annes soixante et soixante-dix [ ] de convictionfdralisante ou nationaliste, la cible prfre des ouvriers de l'estde Hontral, la snob pince qui avait lonqtemps cru qu'elle parlaitun franais international alors qu'elle avait un accent fairefrmir, qui, lonqtemps. avait t,~on pas un endrnit o vivre mais unefaon de vivre. un statut social

    En 1982, dans le troisime tome des Chroniques, l'auteur de la

    Duchesse et le Roturier imagine un dialogue entre la Poune, ce

    moment-l directrice du Th&tre National et un client lui parais-

    sant un peu collet mont. Ce dernier est professeur de franais

    au collge Stanislas. La directrice s'empresse alors de rtor-

    quer: OUtremontl Mais tout s'expliquel J'sais pourquoi vous tes,.

    raide de mmel . Son client est Valry Giscard d'Estaing, qui a

    d'ailleurs habit Montral cette poque. Enfin, Tremblay

    runit une autre fois ces deux mondes; sur le transatlantique

    qui l'emmne en Europe, Sdouard fait la connaissance de la mre

    des soeurs Beaugrand, que nous avons connues dans la pice

    l 'ImprOlllPtu d'Outremont:. Dominique Lafon dans le Monde de Michel

    Tremblay voit dans cette rencontre symbolique d'OUtremont et du

    Plateau Une projection du clivage d'une oeuvre qui interroge sesn

    rapports la "Culture" et aussi l'criture

    21

  • L'auteur des Belles-Soeurs affirmait en 1979:

    1 am giving myself the task, from now up to the end of my days,

    to prove that it is possible to write about anything, everything,

    by simply writing about ourselves, within one city". Il a donc,

    partir d'un quartier de l'est de Montral, cr une pope

    partir d'un microcosme. Dans les annes 80, l'action de ses pi-

    et de ses romans se situera Outremont. Dans ce lieu comme dans

    l'autre, ses personnages reprsentent de faon juste, le tissu

    social des classes ouvrires et bourgeoises de Montral. Et c'est

    partir de la vie quotidienne de tout ce petit peuple que Michel

    Tremblay a russi crer une oeuvre aux rsonnances universel-

    les; la frustration des belles-soeurs, la rvolte de Lopold,

    la qute d'identit de Hosanna ont t entendues et comprises

    dans le monde entier. L'auteur avait certes raison de dire: On>3

    est jamais plus universel que lorsqu'on est local.

    1.2 Prsentation de la langue et du discours des personnages

    Michel Tremblay a toujours soutenu qu'il ne

    pouvait dissocier ses personnages de la langue qu'ils parlaient.

    Ses ouvriers, chmeurs, mnagres habitant la rue Fabre et ses

    environs s'expriment donc en joual, langue parle par les mi-

    lieux populaires montralais, une langue dont la dtrioration

    reflte l'infriorit conomique du Canadien franais, domin par..le capitalisme anglo-saxon... .Les personnages rsidant Ou-

    tremont parlent une langue populaire correcte (Les Anciennes

    Odeurs, Le Coeur dcouver~, Le Coeur cla~). Les soeurs Beau-

    grand dans l' I1I1pro1l1p~u , parlent une langue ch!tie.

    22

  • je n'ai pas le droit, dit-il, sous prtexte que je suis un intellec-tuel et que je ne suis plus dans le milieu ouvrier, de changer lalangue parle par une collectivit. a, ce seralt vulgaire, mprisant[... l"de changer la lanque du peuple juste parce qu'on crit unroman .

    Donc, par sOllci de ralisme et de vrit, l'auteur a donn ses

    personnages dmunis une langue pauvre, expression de leur con-

    dition de frustration, voire d'coeurement.

    Les personnages d'En pices dtaches comme ceux des Belles-Soeurssont des Montralais du milieu ouvrier, confirme-t-il. Et ils parlentmal. Leur langage est le reflet de l'tat d'ali~tion dans lequel ilsvivent. Leur langage est une maladie chronique

    Que ce soit Lopold qui crie sa rvolte dans A toi, pour tou-

    jours, ta Marie-Lou ou la duchesse et Hosanna qui cherchent dans

    le travestissement leur identit, ou bien qu'il s'agisse de San-

    dra qui tale son cynisme dans Damne Manon, Sacre Sandra, la

    misre ne trouve qu'une langue pauvre pour se dire et la parole

    drue et sans artifices se fait souvent vulgaire pour exprimer

    l'impuissance et l'alination. Comme le souligne Andr Major,

    Le joual permet au drame d'en tre un: travers lui apparat lamisre relle, quotidienne, la pauvret et la soumission, l'animalitet l'gosmet,tout ce qu'il y a dans une existence larvaire, troiteet sans joie

    Lorsqu'~douard entreprend le voyage qui

    l'emmnera en Europe, il dcide en mme temps d'crire un journal

    qu'il ddicacera sa belle-s~eur, la grosse femme. Quel style et

    quel ton adopter pour mener bien une telle entreprise semble

    laisser le fils de Victoire perplexe jusqu' ce que la rponse

    s'impose d'elle-mme: [ ] je vous promets que je vais vous

    crire comme je vous parlerais: y'a pas de style grandiloquent

    possible entre nous; la simplicit, la sincrit suffisent'.

    Ainsi natra un rcit rdig parfois dans une langue correcte

    23

  • mais le plus souvent truff de mots, d'expressions, d'anglicismes(quand il ne s'agit pas purement et simplement de mots anglais)typiques de la langue vernaculaire de l'est de Montral. douard

    se retrouve nouveau confront au problme de la langue alors

    qu'au cours du mme voyage il fait la connaissance d'un Franais

    avec qui il commence une conversation:

    [ .. ] une chose trs trange s'est produite quand j'ai parl, ma voixavait chang! Je ne sais pas ce qui s'est pass mais [.. ] mes r ontchang de place dans ma bouche! Je ne sais pas comment vous exp~quera [ . ] j'tais pus capable de parler comme d'babitude [ . ] .

    douard incarne bien l'homme conscient de son

    infriorit et en perptuelle qute d'identit, symbole de tout

    un peuple colonis que l'impuissance et l'alination empchent

    d'agir. douard, c'est aussi la Duchesse de Langeais, personnage

    grotesque et pathtique, habitu de la Main, se voulant raffin

    mais retombant presque toujours dans la vulgarit la plus crue.

    Conscient que la langue qu'il utilise, c'est--dire le joual,

    le rend vulgaire aux yeux de ses interlocuteurs, il adopte le

    franais parisien rejetant par l mme sa masculinit. Voici ce

    qu'en dit Jean-Claude Germain:

    En plus d'tre d'une vrit criante et d'une preclslon quasianthropologique, la Duchesse a galement une grande qualit: celled'inventorier encore un peu plus loin la richesse du joual. Depuisfort loogtemps au Qubec, parler joual est synonyme de virilit. Bref,c'est le langage des bommes. Tandis que parler franais, parlerpointu, est effmin et synonyme de culture.

    En crivant la Duchesse, llichel Tremblay a eu le gnie de comprendreque cette sexualit linguistique dprave se rsumait, s'incarnaitdans le personnage de la tapette qubcoise. A lIIOiti bomme, lIIOiti femme, prcieux et vulgaire, impuissant, marginal, incapablede s'assumer comme une personne et parlant de lui-mme comme un objet,la Duchesse de taI1il!ais incarne son degr extrme, l'alination del'bomme qubcois

    24

  • Tout semble tre excessif chez la Duchesse et chez Sandra. Leur

    qute d'identit appelle tous les deux se dpasser, s'incar-

    ner dans de fausses personnalits, mais combien exigeantes de

    travail et de passion, et, dans le cas de Sandra faire le

    voyage jusqu'au bout d'elle-mme. Soulignons ici que le voya-

    ge d'douard en Europe ressemble beaucoup plus un voyage int-

    rieur, voire un bouleversement profond de l'tre qu' un simple

    dplacement dans l'espace. Dans les pices o ils jouent le rle

    principal, ils expriment leurs sentiments et leurs motions avec

    beaucoup de cynisme, une langue crue, des mots percutants et des

    propos dont la vulgarit peut parfois tre trs choquante pour le

    spectateur. Rappelons qu'en 1970 lors de la prsentation de la

    Duchesse de Langeais Montral, Michel Blair a tenu prvenir

    les lecteurs du journal Le Devoir que dans la pice, les choses

    taient dites de la plus verte faon" et qu'il valait mieux

    viter les parages du thtLe de Quat'Sous s'ils croyaient tre

    l . fntrop bouleverss par ce angage excess1 .

    Il y a dans l'oeuvre de Tremblay, deux ples

    qu'il est intressant d'explorer, en ce qui a trait l'expres-

    sion verbale ou la mise en paroles du vcu des personnages: d'une

    part existe, surtout chez les hommes, la difficult de se dire,

    (nous y reviendrons dans le chapitre consacr aux traits psycho-

    logiques) et d'autre part on retrouve chez plusieurs, des talents

    de raconteur qui se traduisent par de longs monologues faisant

    parfois eux seuls l'objet d'une pice entire ou constituant

    l'essentiel de celle-ci. Dans la Duchesse de Langeais, le person-

    nage du mme nom, un vieil homosexuel, vit une crise de jalousie

    25

  • et raconte, tout en noyant son chagrin dans l'alcool, son boule-versement, ses tats d'me, ses expriences passes et prsentes,ses dboires, ses rcriminations. La Duchesse s'ouvre nous,

    gonfle de douleur, dfaite. C'est un trop-plein qu'elle nous,u

    livre, tout ce qu'elle ne parvient plus conten1r . On re-

    trouve dans Hosanna, cre en 1973, un long monologue o le

    personnage principal - Hosanna - nous raconte sa vie passe et

    surtout les vnements qui le bouleversent ce soir-l. Il est

    intressant de noter qu'enfant, Claude Lemieux, (Hosanna) souf-

    frait de problmes d'locution l'cole. De mme ~douard, alias

    La Duchesse de Langeais, n'a pas toujours eu la verv~ qu'on lui

    dcouvre dans la pice. C'est en effet lui qui disait la grosse

    femme en lui racontant son voyage: J'ai pas les mots pour vous43

    dcrire tout a pis a m'enrage . Gabriel, ce grand orateur de

    taverne, ne trouve pas les mots pour parler d'amour sa femme:

    "J't'aime, t'sais. "Les mots taient sortis difficilement, la qrossefemme le savait. Son mari, orateur de taverne mrite, pourtant, etpilier de party, se retrouvait tonnamment dpourvu et impuissantdevant les mots d'amour. Une pudeur presque maladilJ! l'empchait deparler "de ces choses-l" comme il les appelait.

    Armand, le pre, dans la pice Bonjour, l, bonjour, appartient

    comme ses filles une gnration qui ne savait pas tellement

    dire "je t'aime" et qui cela manque beaucoup. Il se rfugie

    dans son monde sans sons . . Dans les Chroniques tout comme

    dans A toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Lopold n'arrive pas

    parler Marie-Louise, sa femme; il livre pourtant une envole

    mmorable lorsqu'il exprime sa frustration en ce qui a trait

    son travail.

    26

  • Dans Damne Manon, sacre Sandra, les deux

    ~ personnages de la pice font de longs monologues remplis de ly-

    risme. Manon, au rythme de sa chaise berceuse, grne son cha-

    pelet, raconte ses doutes, ses peurs, nous emmne avec elle dans

    sa folie religieuse et ses lans mystiques tandis que Sandra, le

    travesti, sa jumelle, nous entretient, au milieu de ses fards

    et de ses perruques, de sa relation avec Christian, de sa rela-

    tion avec le sexe, de ses interrogations profondes sur le sens de

    sa vie. Dans son tude de la pice, Gilbert David parle ici de

    soliloques parallles et plus loin, utilise le terme mono-47

    loque ddoubl .

    L'oeuvre de Michel Tremblay est remplie de

    monologues. C't' ton tour, Laura Cadi eux, que d'aucuns ont

    qualifi de monologue thtral bien que prsent par l'auteur

    comme un roman, en est un autre exemple frappant. La pice les

    Belles-Soeurs en contient aussi de clbres. Voici ce que dit

    Jean-Clo Godin dans Thtre Qubcois:

    dans cet univers de solitaires en qute de comprhensicn etd'expressill1l , l'axe premier du lanqaqe dramatique ne saurait tre quele monclpque, confidence cu cri, appel de dtresse cu rve secret debonheur

    On ne pourrait dissocier l'utilisation de ce type de discours du

    grand thme qui hante toute l'oeuvre, c'est--dire l'absence to-

    tale de communication. Ce n'est qu' partir des annes 80 que

    l'on verra surgir dans les pices et les romans de Tremblay, des

    personnages qui se parlent et s'coutent; ils appartiennent ce-

    pendant une autre classe sociale toute marginale qu'elle soit.

    Nous n'approfondirons pas ce thme maintenant; il donnera lieu

    une tude plus dtaille plus loin dans ce travail

    27

  • CBAPXTRE XX

  • CHAPITRE 11~TUDE DES ATTRIBUTS PHYSIQUES DES PERSONNAGES MASCULINS2.1 Attributs physiques des personnages

    Rgle gnrale, le personnage masculin dans

    l'oeuvre de Michel Tremblay est physiquement laid, parfois mme

    repoussant, obse dans la plupart des cas. Quelque quatre-

    vingts hommes peuplent les romans et peu d'entre eux jouissent de

    l'apanage de la beaut. En fait, tous sont plus ou moins tars.

    Par exemple, dans La grosse femme d' ct est enceinte, au mo-

    ment o il vient d'annoncer son dpart pour la guerre, le soir du

    rveillon de Nol 1939, Paul s'enivre et reproche sa femme et

    sa belle-mre, non seulement sa vie manque, [mais] sa calvitie

    naissante, ses dents caries, ses chevilles faibles et mme les

    trous dans ses bas et les cernes de sueur sous ses aisselles'.

    Certains personnages souffrent d'un handicap physique ou mental.

    Grard, dans En pices dtaches, g de quarante-cinq ans, a

    l'air d'un vieillard et ne se dplace qu' l'aide d'une canne,

    loquent symbole de son impuissance. Armand, dans Bonjour, l,

    bonjour, est vieux et sourd; cette surdit accentue sa difficult

    cOlDllluniquer, thme fondamental de l'oeuvre de Tremblay. Il

    incarne de ce fait l'holDllle absent, autre caractristique

    dominante de l'oeuvre. Lopold, dans A toi, pour toujours, ta

    Marie Lou, souffre d'une maladie hrditaire, et Marcel, l'enfant

    d'Albertine devient fou.

    29

  • Claire Lemieux fluette, gaie et active',voit son mari Hector comme son amas de graisses molles', unesorte de baleine blanchtre et lente , tellement gros qu'ilavait de la difficult grimper les deux escaliers [ ... ] et ar-

    rivait au troisime palier genoux, parfois, ses voies respira-

    toires sifflant comme des tuyaux d'orgue'. Dans les romans et

    les pices de Tremblay, la description physique des hommes nous

    arrive souvent par la bouche des femmes, et leurs rflexions sont

    souvent cinglantes. Ainsi, Claire Lemieux ne peut s'empcher de

    penser que son mari est tellement gros et lent qu'il pourrait

    faire perdre la guerre son arme. Et d'ajouter l'aut~ur: el-

    le ne pensait presque jamais lui comme un tre humain, mais

    plutt comme un chat ou un chien".

    Laura Cadieux, vritable commre de quartier,

    affirme qu'elle se trouve assez bien avec son mari Pit, mais elle

    ajoute: on peut pas dire qu'y'est beau se sacrer genoux de-7

    vant. Personnage color des Chroniques, Pit Cadieux, aide-

    cuisinier de son tat, sauve, en prparant un jour une sauce

    barnaise excellente, la rputation du chef Vaillancourt qui

    avait fait confiance ce jeune homme dj obse et presque

    chauve. Pendant qu'elle attend son tour dans la salle d'attentedu mdecin, Laura, entoure de quelques habitus comme elle de

    ces rendez-vous hebdomadaires, ne se prive pas de nous livrer son

    opinion sur les sujets qui la proccupent et sur les gens; ainsi

    trouve-t-elle le mari de madame Brouillette aussi laid que sa

    femme. Mme le mari de madame Tardif, que cette dernire ida-

    lise, et qui lui manque terriblement depuis sa mort brutale, ne

    30

  • trouve pas grce aux yeux de Laura qui examine attentivement sa

    photo et conclut: Le nez un p'tit peu croche. Les p'tites oreil-

    les un peu dcolles. Pis y vous avait un de ces airs d'pais,

    mes chers amis! Ah, y' tai t pas laid [ ... ] mais c' tai t pas t'-

    lement du visage qu'y tait beau'. Quant au fils de Laura,

    Raymond, il est laid, porte des lunettes et a des boutons.

    Lorsque Des-Neiges Verrette nous parle, dans

    les Belles-Soeurs, du commis-voyageur qui lui rend visite rgu-

    lirement, elle commence son monologue en nous disant combien el-

    le l'a trouv laid quand elle l'a vu la premire fois, ajoutant:,.c'est vrai qu'y'est pas beau tu-suite! . Dans le roman Des

    nouvelles d'~douard, ce dernier, qui crit sa belle-soeur, la

    grosse femme, le rcit de son voyage en transatlantique, lui con-

    fie que son voisin de cabine est une espce de gant laid comme11

    un cul de singe, gratt deux mains . .

    2.1.1. L'obsit

    Le thme de l'obsit domine dans l'oeuvre de

    Tremblay; dans les Chroniques, il est omniprsent. Ce trait

    physique devient un leitmotiv dans la description tant des per-

    sonnages fminins que masculins. Aussi secondaire que soit le

    rle de ces derniers, ils se retrouvent la plupart du temps,

    caractriss par cet tat .

    .. la silhouette de mnsieur Soucy, le concierge, s'encadra dans lapo~e, les bras cbargs de PAquets que le gros bomme n'avait lIlIIle pasenVle de poser par terre.

    31

  • Marie Sylvia tait en train de servir un gros homme dan~,la trentaineque Batrice voyait souvent se bercer sur le balcon ...On voit trs peu Oscar Thibodeau dans l'oeuvre de Tremblay: quel-ques lignes dans C't' ton tour, Laura Cadi eux, suffisent cepen-

    dant pour dire de lui qu'avant [00.] y'tait maigre comme un

    casseau, on voyait quasiment le soleil en travers [.0.] mais l.

    depuis deux-trois ans, y s'est mis engraisser comme un co-..chon . L'auteur n'explique pas les causes de ce changement phy-

    sique chez son personnage. Par contre, nous verrons que manger et

    boire jouent un rle de premier plan dans les maisons et les ta-

    vernes d~ Plateau Mont-Royal.

    tdouard, un des personnages principaux de Mi-

    chel Tremblay, est obse. Lorsque sa mre Victoire dcide d'al-

    1er se promener avec lui rue Mont-Royal, elle s'arrte un instant

    avant de partir et se demande si elle a vraiment envie d'aller

    parader [ . ] au bras de cet norme bb [ .. ] qu'elle savait..ridicule et mme risible . C'est dans des termes peu logieux

    que le narrateur ajoute plus tard qu'tdouard avait suivi sa mre 16

    docilement, comme un gros ch1en pouss1f . Cette image revient

    lorsqu'aprs une querelle particulirement violente avec Vic-

    toire, il se vit en gros chien couch en rond devant la chaise

    berante de sa mre qui lui tapotait la croupe ou lui grattait let.. 17derrire de 1 ore1lle . . Dans la Duchesse et le Roturier,

    devant madame Reppel qui se fait prier pour chanter, tdouard pose

    un genou sur le tapis de l'alle et apparait ridicule avec son

    gros ventre qui lui frlait la cuisse et ses pantalons tendus .. . ,_

    craquer sur ses 1mposantes Jambes .

    32

  • Dans le Monde de Michel Tremblay, Dominiqt-eLafon soutient qu'il existe dans l'oeuvre des constantes thma-tiques qui crent des types de filiation qui servent b resserrer

    le rseau de l'intertextualit. Selon elle, il existe chez Trem-

    blay une famille d'obses: Laura Cadieux, la grosse femme et

    ~douard qui ont en commun un statut narratif particulier dans la

    mesure o ils prtent leur voix l'oeuvre laquelle ils appar-

    tiennent. Lafon rappelle que Tremblay est lui-mme un ancien 0-

    bse auquel un traitement a inspir C't' ton tour, Laura Ca-

    dieux

    Plusieurs autres personnages masculins des

    romans souffrent d'obsit. Mentionnons Lopold Brassard, mari de

    Marie-Louise qui, rentrant de son travail vers deux heures du

    matin, se prpare de gros repas qu'il mange en regardant le jour

    se lever. Monseigneur Bernier, cur de la paroisse de Saint-Sta-

    nislas dans Thrse et Pierrette l'cole des Saints-Anges, a un

    double menton. A treize ans, Philippe, le fils de la grosse femme

    est dj obse et surnomm bouboule par ses intimes. La Vail-

    lancourt, dchireur de tickets au Cinma de Paris, a tellement

    engraiss depuis sa peine d'amour que son pardessus commence

    bailler entre les boutons. Si Michel Tremblay ne donne aucune

    description physique de monsieur Provost, le vendeur de glace

    dans la Duchesse et le Roturier, il lui prte tout de mme une

    grosse voix qui fait peur aux enfants. Enfin, monsieur Dub, le

    grant de jour du Beau Coq Bar-B-Q, est grassouillet'.

    Les pices donnent moins l'occasion l'au-

    teur de dcrire ses personnages comme il le fait dans ses romans.

    33

  • D'ailleurs, plusieurs personnages connus d'abord dans les pices,se retrouvent dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal ou dansle Coeur dcouvert. C'est en effet dans le but de les rajeunir de

    vingt-cinq ans et de faire aussi une gense de son thtre que

    Michel Tremblay a crit les Chroniques.

    2.1.2. La maigreur

    Tout l'oppos du personnage masculin des

    romans, l'homme des pices de Tremblay se distingue gnralement

    par sa maigreur. Il existe cependant quelques exceptions: Cuiret-,.

    te, l'un des protagonistes de Hosanna a vieilli et engraiss ;

    il Y a le doorman de Trois Petits Tours que Berthe qualifie de

    gros pais; on retrouve galement Sdouard sous les traits de la

    Duchesse de Langeais. Par contre,lorsqu'il nous prsente Tooth

    Pick dans En pices dtaches, Tremblay prcise dans ses didasca-

    calies qu'il est petit, maigre, faussement chic, minable. Et

    quand Denise s'adresse son frre Serge, personnage principal de

    Bonjour, l, bonjour, elle l'incite venir rester avec elle car,

    dit-elle: a l'a pas de bon sens. R'garde-to! t'es maigre comme

    "un clou cass . Elle se demande si ce ne sont pas les Fran-ais qui l'ont fait crever de faim au cours de son voyage en Eu-

    rope Dans la mme pice, Monique, une des soeurs de Serge,

    insiste pour le regarder alors qu'il enlve sa chemise, affirmant

    qu'il est plus excitant r'garder que [son) paquet d'os de

    mari". Enfin, mentionnons la description que fait Luc de son

    34

  • pre mourant dans les Anciennes Odeurs: l'est tellement maigre!l'est tellement petit! Tellement fragile! Je l'ai connu droit pis..fort. .. .

    2.1.3. La beaut

    Dans les romans autant que dans les pices,

    les beaux hommes sont rares. Pourtant, l'un des hommes que Trem-

    blay affublera des pires dfauts et qu'il ira mme jusqu' quali-

    fier de larve, jouit de la beaut physique. Personnage impor-

    tant de Thrse et Pierrette .. , Grard n'tait pas le vieil

    homme gteux et malpropre que [Thrse] s'attendait trouver,

    mais un jeune homme dans le dbut de la vingtaine, aux [traits]..fins et aux yeux superbes [ . ] . Plus tard, l'observant der-

    rire les lattes de la clture, Thrse verra "un jeune homme, ..

    [ . ] beau comme un d~eu. Tout comme Grard, Maurice Ct,

    celui-l mme qui fera tuer Carmen, possde un charme absolu-. :7 al

    ment irrsist~ble , Une belle courbure du nez ; et l'auteur

    d'ajouter: Peu de gens savaient rsister au profil de Mauri-

    ce . Pourtant, dans sa jeunesse, ce dernier tait vite tomb,.

    sur les nerfs de Thrse avec ses yeux de vache avant de deve-

    nir ce bel homme au sourire hautain. Dans le Coeur dcouvert, ro-

    man crit en 1986, Michel Tremblay cre des personnages qui

    possdent de beaux attributs physiques; coutons d'abord Jean-

    Marc nous parler de Luc:

    C'est peut-tre le plus beau qars que j'ai eu dans lIIil vie, UIll! bteCCIIIIIII! ou dit dans le IIilieu . sexy, sr de lui, arroqant mme dans sabeaut Pantalou de cuir lIIOU1ant, veste de jean sav_t dlave,c:hsise eacbancre sur la virile touffe de poilS,triss.. Luc est oucbasseur et ses vic:tilles ue se CllIIPtl!llt plus

    35

  • Puis viendra Mathieu cet ternel adolescent, si beau, si tou-chant ... ", ancien mari de Louise et qui partage maintenant lavie de Jean-Marc ainsi que son fils Sbastien beau couper le

    "souffle ... .

    Ajoutons quelques personnages cette espce

    rare dans l'oeuvre de Michel Tremblay. Il y a le livreur de tim-

    bres dans les Belles-Soeurs: Germaine Lauzon en fait la descrip-

    tion sa fille: C'tait un espce de grand gars. J'pense que tu

    l'aurais aim, Linda. En plein ton genre. Dans les vingt-deux,

    vingt-trois ans, les cheveux noirs, friss, avec une petite mous-,.

    tache . Un vrai bel homme . Dans la mme pice, Lisette de

    Courval parle d'un lieutenant rencontr sur le transatlantique et

    qui lui fait de l'oeil. Une bien belle pice d'homme, dit-elle.

    Dans la Duchesse et le Roturier, Bernard Morrier, un jeune ado-

    lescent se joint au groupe de Thrse et de ses cousins: beau,..intelligent et enjleur , il a une faon particulire de rire

    qui fait s'esclaffer ses amis, surtout pendant la messe, le di-

    manche. Mais il bnficie d'une presque totale impunit parce

    que les frres enseignants [ ] sont trs sensibles la beau-JO

    t .~ Dans le Premier Quartier de la lune, on dira de Claude Le-

    mieux qu'il est le plus beau garon de toute l'cole. Enfin, Li-

    se, l'une des serveuses d'En pices dtaches, rpond Thrse

    qui lui pose des questions sur son fianc Andr: Ah!, oui, y'est37

    ben beau , l'excusant presque par l de ne pas avoir d'emploi

    et de la laisser seule gagner l'argent du mnage.

    Il Y a par ailleurs les personnages qui ont

    dj t beaux; ainsi on apprend dans Trois Petits Tours que Car-

    36

  • lotta a pous Johnny Mangano parce qu'il tait beau, bienqu'elle lui dise aujourd'hui qu'il est habill comme le singe deleur spectacle. Le docteur Sansregret, dans la brve description

    donne de lui dans Thrse et Pierrette .. , est prsent comme

    un homme vot qui avait t beau mais que les misres du monde

    avaient us avant le temps, creusant ses joues, barrant son front

    de rides indlbiles et rpandant dans son regard une lueur inJ-

    finissable, qui tmoignait des horreurs que ses longues annes de3.

    pratique lui avaient imposes . Rosario Delrose, le m~tre de

    crmonie du Palace, n'avait gard de son ancien gabarit que

    le sourire'"; Josaphat-le-Violon, dcrit plus tt comme une

    force de la nature, aux bras noueux et aux pattes calleuses, se

    retrouve aprs la mort de Victoire chang, plus maigre qu'il ne

    l'avait jamais t, vieilli d'un coup, courb et mme, parfois,.0

    tremblant .

    2.1.4. Les odeurs repoussantes

    Il arrive souvent que d'un coup de plume bref

    et rvlant une trs grande matrise dans l'art de camper ses

    personnages, Michel Tremblay amne une description des attributs

    physiques en faisant appel au sens olfactif. Ainsi, dans C't'

    ton tour, Laura Cadieux, la petite Sylvie Bernier rvle aux per-

    sonnes prsentes dans la salle d'attente, au grand dsarroi de sa

    mre qui ne peut le nier, que son pre Maurice pue et qu'elle

    ne veut pas qu'il aille coucher dans son lit quand elle-mme re-

    joint sa mre dans le sien parce que a sent, aprs '.Marie-

    Louise se plaint dans A toi, pour toujours, ta Marie-Lou, des

    37

  • odeurs nausabondes et de la mauvaise haleine de son mari LopoldBrassard. Dans Marcel poursuivi par les chiens, Thrse confie son frre qu'elle ne peut plus endurer la prsence de Grard dans

    son lit, se plaignant de l'odeur coeurante qu'il dgage. Willy

    Ouellette, personnage color et assidu de la taverne du quartier,

    est d'une salet repoussante ... dcourageant, cause de son

    odeur coeurante toute conversation de plus de dix secon-42 . .

    des ... . Le gard~en du terra~n de jeu du parc Lafontaine est., .

    malpropre Paula-de-Jol~ette et Hosanna, les travestis de la

    Main empestent le parfum trop fort.

    2.1.5. Les tares, dfauts et travers

    L'on ne saurait pas~er sous silence cette

    abondance de commentaires descriptifs peu logieux quant aux at-

    tributs physiques de certains personnages. Ainsi, Oscar Blan-

    chette, cet homme, par ailleurs timide et doux, mais qui vole

    littralement la place des femmes, selon Laura, en se joignant

    elles dans la salle d'attente du gyncologue a, selon madame Thi-..bodeau, l'air constip Et Laura d'affirmer: J'le trouve un

    peu trop poli, un peu trop propre, un peu trop tir quatre

    s'pingles, pis un peu trop souriant mon got . Ah, j'irais

    pas jusqu' dire que c't'une tapette, a, j'le sais pas .. .

    Monseigneur Bernier, quant lui, a l'oeil morne, totalement vi-

    de. A seize ans, Richard, le fils de la grosse femme, ressemble

    un squelette, a les oreilles dcolles et les sourr.ils froncs.

    Dans la Duchesse et: le Rot:urier, Tremblay met en scne toute une

    38

  • srie de personnages pittoresques possdant chacun - mme jouantun rle trs secondaire - une personnalit propre: Monkey Face,l'animateur de la salle de cinma, fait dj crier de peur malgr

    lui les plus petits avec ses oreilles dcolles, ses dents irr-

    gulires, son front fuyant et sa mchoire trop dveloppe ... '".

    Le propritaire du Palace, CIo-CIo Baillargeon, a les paules

    rondes et l'air piteux. La Comeau, toujours bien mise, a l'air

    "d'un ~ononcle des ~tats ; de la Rollande Saint-Germain, Trem-

    blay dit qu'elle promenait ses deux cent vingt livres dans un

    invraisemblable habit pied-de-poule [ ... ] qu'elle s'enttait

    trouver beau malgr les jambes trop courtes et la coupe quelque,.

    peu tonnante pour l'poque.. .

    Pour dcrire Marcel, l'un des personnages

    centraux de son oeuvre, Michel Tremblay a souvent recours des

    pithtes dvalorisants: grand adolescent perdu [ . ] la sil-

    houette dgingande" ou encore grand flanc mou'; l'cole,~1 ~2

    on le traite de pigeon , sa mre l'appelle mon fou . Marcel

    est tout en grimaces et en tics; il marche en titubant, le dos

    dj vot alors qu'il est encore adolescent. Il sourit peu.

    Jeune, il tait petit pour ses quatre ans; neuf ans, il a le

    regard fixe et n'en parait que six ou sept; son corps est fluet,

    ses traits dlicats, ses yeux ingnus. Claude Lemieux, le petit

    voisin d'en face a l'air d'une fille et a de grandes oreilles;

    Michel Daniel, un autre enfant de l'cole que frquentent Marcel

    et l'enfant de la grosse femme, est malingre. Leur compagnon

    Robert toutoune" Quvillon est obse.

    39

  • Se servant une autre fois des femmes pour

    porter un coup cinglant aux hommes qui peuplent ses pices et ses

    romans, Michel Tremblay fait dire madame Thibodeau qui raconte

    avec force navet ses bats sexuels: l'affaire Oscar est pas

    ben ben grosse, l'a ben d'la vie [ ... ] mais est pas ben ben..grosse pis a l'a tendance sortir . Un jour, s'adressant

    Maurice, Carmen dira de Tooth Pick:

    Quand j'ai pouss le paravent, y m'attendait, les culottes terre[... ] band [. ]. Mais [ ] y'a une ben p'tite queue pis j'ai ri ...Y'a peut-tre ben de l'imagination pour tuer le monde, mais j'pensepas qu'y soye capable de faire des miracles avec c'qu'y'a entre lesjam~s. J'sais pas si c'est de l que a vient, mais y porte bien sonnom .

    Ainsi donc, Michel Tremblay prsente la plu-

    part du temps des personnages masculins tars, obses, parfois

    mme diminus ou handicaps. Les hommes dans les pices et les

    romans sont peu valoriss. Les traits physiques qui les caract-

    risent mettent souvent en lumire cet aspect important de l'oeu-

    vre.

    2.2 Personnages sans description physique

    Michel Tremblay a cr une multitude de per-

    sonnages masculins. Nous l'avons vu, l'auteur a attribu cer-

    tains d'entre eux des traits physiques bien particuliers. Mais il

    est intressant de noter que Tremblay ne donne aucune description

    de plusieurs autres personnages, parfois trs importants dans son

    oeuvre. Que savons-nous d'~douard, sinon qu'il est obse; de Ga-

    briel, le mari de la grosse femme, sinon qu'il marche la tte

    40

  • basse un certain jour au retour de la taverne? D'Ernest Lauzonsinon qu'il a un beau sourire? Bien que Roland Ouimet ait un rleassez important dans La grosse femme d' ct ... , sa description

    physique n'y apparat pas. De mme pour Tlesphore, le mari de

    Victoire ainsi que pour Ulric Ct, le pre de Maurice dans

    Thrse et Pierrette l'cole des Saints-Anges. Ici aussi,

    l'abb Langevin, monsieur Charbonneau, le doyen des marguilliers

    et monsieur St-Onge son prdcesseur, n'ont pas de traits physi-

    ques. Il en va de mme pour monsieur Schiller, le marchand de la

    rue Mont-Royal et pour le frre Martial, celui qui porte secours

    Marcel lors de sa crise d'pilepsie. Dans le Coeur dcouvert,

    Tremblay dit peu de Jean-Marc, sinon qu'il se trouve dcati et

    vieilli quarante ans. Dans le mme roman, aucune mention phy-

    sique n'est donne de Gaston, le conjoint de Louise; de Gaby, le

    frre de Jean-Marc, de l'oncle Paulot et de Sbastien.

    S'il n'abonde pas dans la description phy-

    sique de ses personnages, Michel Tremblay a nanmoins le souci du

    dtail; il multiplie souhait les petites facettes qui composent

    un personnage et le dfinissent. Comparant Masta Jodoin un

    gros bb , l'auteur nous rvle qu'il avait la mauvaise

    habitude de se promener en sous-vtements aussitt qu'il mettait. .,

    les pieds la ma~son... Ernest Lauzon, dans les situations

    dlicates, sourit; il sait que sa femme Germaine ne peut rsis-

    ter et plie toujours devant son beau sourire. Ppre Garipy,

    chez qui vit Grard en pension, ds le rveil, ructe, se gourme

    et crache.

    41

  • On pourrait avancer l'hypothse que si l'au-

    teur des Chroniques du Plateau Mont-Royal choisit de ne donner

    aucune description physique de ses personnages, c'est qu'ils font

    partie de cette catgorie de personnes sans visage et parfois

    sans nom, qui parsment les romans et les pices et qui demeu-

    rent singulirement reprsentatifs soit de cette couche sociale

    de Montral au temps de la Seconde Guerre mondiale, soit de cette

    famille largie de travestis de la Main ou de ces nouveaux ho-

    mosexuels qui commencent s'affirmer et prendre la parole pour

    exprimer ce qu'ils sont.

    Comme nous l'avons mentionn, Tremblay docrit

    peu les personnages de ses pices. Comme il faudrait ici numrer

    une multitude de personnes, je ne mentionnerai que ceux dont le

    rle dans l'oeuvre m'apparat important. Outre l'odeur forte de

    son parfum, nous apprenons peu de choses sur l'aspect physique de

    Hosanna. Il en va de mme pour Sandra, personnage central de

    Damne Manon, Sacre Sandra. Armand, le pre de Serge dans Bon-

    jour, l, bonjour est sourd. Les personnages principaux de la

    pice le Vrai Monde?, soit Alex l, Alex II et Claude ne sont pas

    dcrits, du moins en ce qui a trait leurs attributs physiques.

    Et il en va ainsi de plusieurs autres. (On trouvera en appendice

    la liste des personnages, outre ceux dj mentionns, dont l'au-

    teur ne donne aucune description physique).

    42

  • 2.3 tude du nom2.3.1. L'absence de nom

    L'univers de Michel Trembiay comporte plu-

    sieurs centaines de personnages; cr partir d'un microcosme,

    ses ramifications sont universelles. En crivant les Chroniques

    du Plateau Mont-Royal, l'auteur est remont aux origines, a don-

    n naissance un tissu de relations, a replac dans leur contex-

    te, des personnages que les pices crites antrieurement nous

    avaient fait connatre. Dans La grosse femme d' ct est encein-

    te, des femmes ont engendr; une grande famille est ne, chaque

    membre de cette famille largie devenant une facette du drame

    universel. Au centre de cet univers vit une famille, celle de

    Victoire, la fois mythique et lgendaire, d'une part par sa fi-

    liation Florence, et d'autre part par sa relation avec Josa-

    phat-le-Violon . Elle a aussi une valeur raliste par ses raci-nes profondment ancres dans le terroir et plus tard dans le mi-

    lieu ouvrier de Montral. Mais cette famille n'a pas de nom. On

    ne connat Gabriel, le mari de la grosse femme, que par son pr-

    nom, l'auteur lui ayant dlibrment refus le statut et l'appar-

    tenance associs au nom. Le fait est d'autant plus intressant

    que par les commentaires qu'il a faits ultrieurement, Tremblay

    serait l'un des fils de la grosse femme, elle-mme dmunie de

    prnom. LI s'ait du rgne de l'anonymat, symbole vivant de la

    place minime qu'occupent ces personnages dans leur entourage,

    entirement compos d'tres pareils, sans traits marquants, is-

    43

  • sus d'une couche de la socit aussi peu reluisante et dfavo-rise qu'eux. Paul, le mari d'Albertine ne possde pas de nom defamille, lui non plus. Tremblay rvle peu .~ choses sur lui.

    mais il reprsente, selon nous, le prototype exact de l'image

    qu'a voulu transmettre l'auteur des Chroniques du mari et du

    pre de famille. Physiquement laid, abusant de l'alcool, il part

    pour la guerre (il sera donc absent) soi-disant pour russir sa

    vie, imprimant par son absence relle du foyer (absence dont se

    rjouit d'ailleurs sa feumle) l'image que Tremblay cherche faire

    ressortir dans tous ses autres personnages de chefs de famille:

    relgus au second plan, dpourvus de forc~ et e caractre, d-

    lguant leurs femmes les soins de la famille et du mnage, an-

    crs dans leur rle de gagne-pain minables, victimes (Paul meurt

    en Normandie) de leur propre destine et condamns une vie sans

    relief et sans joie.

    Les membres de la famille de Victoire n'ont

    donc pas de nom. Mentionnons encore Josaphat (dont le nom, selon

    Laurent Mailhot, voque sa situation et son rle dans la Valle

    apocalyptique du Jugement dernier), le pre de Gabriel et d'Al-

    bertine, Tlesphore, mari de Victoire et pre d'tdouard et de

    Madeleine, les enfants de Gabriel et de la grosse femme, Richard,

    Philippe et leur dernier-n, les enfants d'Albertine, Marcel et

    Thrse, le mari de la tante Oza, Tancrde, pour ne nommer que

    les principaux.

    Dans son analyse des univers dramatique et

    romanesque, Dominique Lafon affirme:

    44

  • Ne pas donner de nom un personnage [... ] c'est manifester unevolont, peut-tre inconsciente d'assimiler la fiction du rcit larali t de l'acte crateur [... J. Du thtre au roman, du roman l'autobiographie, d'un personnage l'autre, la qute (de l'identit)cannait de multiples relais [... J. Il n'en demeure pas moins qu'elies'affirme dans la constitution d'une gnalogie l ... ] fonde sur ladoubl~.mtaphore d'un inceste paternel et d'une paternit homosexuelle[... ] .

    Jean-Marc, crivain, personnage qui incarne

    Michel Tremblay, n'a pas lui non plus, de nom de famille; autour

    de lui gravite toute la famille des nouveaux homosexuels privs

    eux aussi de nom. Ces personnages se nomment M~thieu, Sbastien

    (son fils), Luc, Bernard. Soulignons, comme le mentionne Lorrai-

    ne Camerlain dans le Monde de Michel Tremblay, que Sbastien

    porte le nom du saint qu'on associe au monde homosexuel.

    La question de l'i~~~tit, prsente partout

    dans l'oeuvre, se traduit aussi par le travestissement; cherchar.t

    s'assurer d'une identit en se dguisant, les t ~res de la

    grande famille des homosexuels et des travestis de Tremblay ont

    renonc leur nom propre et l'ont remplac par un nom d'emprunt

    qui correspond dans la plupart des cas la personnalit qui les

    caractrise. ~douard, l'un des personnages les plus importants de

    l'oeuvre, devient La Duchesse de Langeais dans l'espoir d'abou-

    tir un jour l d'o la vraie Duchesse de Langeais tait partie

    et avait gard [ce] nom mme aprs les cuisantes humilj~tions de. o.

    Par~s . Claude Lemieux, autrefois l'enfant de la rue Fabre a

    choisi de s'appeler Hosanna; et lorsque Cuirette l'iuterpelle par

    son prnom Claude, elle se retourne brusquement et rtorque:01

    J'm'appelle Hosanna.. On sait que la grande Paula-de-Jo-

    liette se prnommait Paul-~ile.

    45

  • A Duhamel, l'occasion d'un voyage de retour

    aux sources, la grosse femme essaie de rconcilier Albertine et

    son frre edouard, et tente d'expliquer sa bellp.-soeur ce monde

    imaginaire dans lequel il vit:

    y portent toutes des noms coucher dehors, dans sa gang, des nom~qu'y se sont invents ou ben qu'y 'ont vols un peu partout, aux vues,dans les livres ... Le jour y vendent des suyers ou ben y travaillentdans des restaurants, des bureaux, des banques, mais le soir y de-viennent.,quelqu'un d'autre ... Quelqu'un de connu, de respect, deriche...

    Le monde de la Duchesse, c'est aussi celui de Jennifer Jones, la

    chanteuse, de Greta-la-vieille et de Greta-la-jeune, le fils de

    l'autre, de Miss Saydie Thompson, de Rose Latulippe, d'Irma-la-

    douce; ce monde inclut aussi la Choquette, la Comeau, la Vaillan-

    court, la Rollande St-Germain. Tous ces habitus de la Main c-

    toient Sandra, Hosanna, Bahalu, Bambi, Candy- Baby, Mimi, Lolita,

    Brigitte, Carole A partir d'une citation de Michel Tremblay

    qui dit: Je me rends compte que je n'ai jamais fait de diff-.,

    rence entre les hommes et les femmes , Laurent Mailhot crivit

    dans le journal Le Devoir un article sur les femmes dans l'oeu-

    vre de Michel Tremblay. Voici ce qu'il affirme au sujet des

    noms:

    Les personnages de Tremblay qui portent des prnoms ou des surnomsfminins sant des vieillards, des enfants, des clibataires, dessolitaires, des malades, des fous, des alcooliques, des prostitq~sindiffrencis, des objets Stluffrant, des marchandises en vitrine .

    Les hommes de Tremblay qui s'identifient ux

    femmes, le font en empruntant un nom ou prnom fminin sur lequel

    ils btissent leur nouvelle personnalit; les femmes, elles,

    s'approprient la fonction et le rle (dit traditionnel) des hom-

    mes.

    46

  • 2.3.2. Le nom ridiculisIl Y a chez Michel Tremblay le dsir parfois

    de se moquer des noms, accentuant ainsi le ridicule de certains

    personnages. Dans Bonjour, l, bonjour, Serge dit sa soeur Lu-

    cienne, en riant: T'es marie avec un Bob, t'as un fils qui

    s'appelle Bobby, pis y fallait que tu tombes sur un chum qui

    s'appelle Robert"! Selon Renate Usmiani, il y aurait ici simi-

    litude avec la prolifration absurde de Bobbys dans la Canra-

    rrice chauve de Ionesco. Dans les Belles-Soeurs, Rose Ouimet

    s'crie: Bruno, le plus jeune (c'tu effrayant appeler un enfant

    de mme, mo, j'en r'viens pas encore!) entka [ .. ) Bruno le

    l b "plus jeune est mont dans e a~n . .Hosanna son tour se mo-

    que de Cuirette: Raymond Bolduc! On devrait pas avoir le droit

    de s'appeler Raymond Bolduc! Y'a du monde, comme a, qui mri-

    tent pas de vivre parce que leurs noms sont trop laids"! Dans

    Trois Perirs Tours, Carlotta dit Johnny: Rappelle-toi du temps

    o tu t'appelais encore Jean Ladouceur pis que tout le monde

    riait de ton nom dans ton dos parce que tu faisais le toffe! Le.,

    gros toffe Ladouceur . Et enfin, dans l'Imprompru d'OUrre-

    monr, Lucille, se moquant du nom du fils de sa soeur, ironise:

    a ne t'est jamais venu l'esprit que Nelligan Beaugrand-Dra-

    peau, c'est un drle de nom, Fernande'"?

    47

  • 2.3.3. L'oubli du nomNous terminerons cette tuae du nom des per-

    sonnages en nous arrtant un procd frquemment utilis par

    Michel Tremblay lorsqu'il s'agit d'identifier ses personnages:

    l'oubli momentan du nom. Ainsi dans C't' ton to~r, Laura Ca-

    dieux, alors que l'enfant de Laura vient de se perdre dans le

    mtro, madame Therrien, une amie, part sa recherche. Mais les

    choses se compliquent car, explique-t-elle:

    ~out d'un coup, eo r'gardant autour de moi pour voir si y'avait pasun p'tit gars qui pleurait, j'IDe suis rendue CQlDPte que j 'savais pasle nOlll de vot'p'tit vous CQlDPrenez, j 'pouvais pas le faire deanderau lDicro, rien, y risquait de pas CQlDPrendre si on l'appelait pas parson p'tit nOlll. Un p'tit gars qui se fait appeler au lDicro par sonnOlll au CQlDPlet, y CQlDPrend, ais allez donc deander le p'tit gi1,lisde adalDe Cadieux est deand,., y CQlDPrendra peut-tre pas pantoute !

    Dans Surprise! Surprise!, Laurette a oubli

    le nom du fils de sa soeur: Euh [ ] voyons donc, j'ai oubli

    son nom [ . ] C'tu fou [ ] Voyons donc, c'est mon neveu! Gil-,.

    bert ! Nous trouvons dans les Belles-Soeurs, le mme procd:

    Angline Sauv: T'sais Rhauna, le docteur, y y'avait dit qu'ygurirait, lDOOSieurc'est quoi, donc,son 001II au IIIOrt'

    Rhuna Bibeau: Ilonsieur Baril Angline sauv: Ah! oui, i'~en rappelle jaais! C'est pourtant

    pas compliqu !

    Dans le long monologue o elle fait un retour

    sur ses anciennes amours, la Duchesse a oubl~ le nom d'un amant

    qu'elle avait un jour ramass devant le cinma de Paris. Avec

    une pointe de colre, Luc, qui revoit Jean-Marc dans les Ancien-

    nes Odeurs, lui dit: Pis tu diras comment c'qu'i s'appelle

    48

  • dj? Guy? Paul? Yves? En tout cas, tu'i diras que quand vous

    "tes l, j'vien~ pas renifler dans vos draps ...

    2.3.4. Le nom symboligue

    Le nom que Tremblay don~e ses personnages a

    une trs grande importance dans la caractrisation de ces der-

    niers. Laurent Mailhot fait remarquer que Jean-Marc et Luc, les

    personnages de la pice les Anciennes Odeurs, portent des noms

    d'vanglistes (viendra Mathieu la gnration suivante), ce qui

    convient tout fait cette pice qui baigne, selon Mailhot,

    dans une atmosphre palestinienne de convivialit et d'humanit

    christique [ ] et [dont] les prceptes sont bien ceux d'une re-

    ligion d'amour, de paix, de salut par la bonne nouvelle de lan

    parcle . Dans la Maison suspendue, Victoire, blesse et puise

    aprs l'annonce par Josaphat de la vente de la maison paternelle,

    pose les mains sur son ventre et parle son enfant natre;

    c'est bien de son nom qu'elle lui parle, le nom tant pour elle

    un symbole de continuation:

    Si t'es un p'tit gars, j'vas t'appeler Josaphat pour avoir le droitde me servir de ce DOID-U le plus $OllVl!llt possible pour le reste demes jours Si t'es une p'tite fille, j'vas t'appeler Albertine,comme la mre de ~mre, dans l'espoir que tu $Oyes aussi douce etaussi fine qu'elle

    Enfin, nous croyons que Michel Tremblay, en

    choisissant de ne pas nommer l'enfant de la grosse femme ou

    plutOt en le dsignant sous ce vocable, met en lumire le rapport

    essentiel de personnage/auteur l'oeuvre. Il s'agit de l'enfant

    multiple, le fils-fille de la grosse femme enceinte, l'innomm

    49

  • fils de l'innomme, c'est l'auteur lui-mme, Michel Tremblay, et"la grosse femme, c'est sa mre . L'auteur pose ainsi la ques-tion de l'identit sexuelle de l'enfant de la grosse femme. Comme

    le souligne Dominique Lafon, l'enfant s'interroge sur son appar-

    tenance, sur [son] orientation:

    L'enfant de la grosse femme savait que ses parents auraient prefereavoir une fille; ils les avaient souvent entendus parler ...de cettebelle fille, leur ainee, morte de leucmie au debut de la guerre ...et qu'ils avaient ~isaye de remplacer malgre l'ge un peu trop avancede la grosse femme .

    Celui donc qui deviendra le crateur de

    l'oeuvre et qui engendrera une multitude de personnages n'a

    pas de nom et est lui-mme issu d'une mre qu'il n'a pas nomme

    et d'un pre - Gabriel - ne possdant pas de nom de famille. Si

    l'auteur avait attribu un nom de famille Gabriel, on peut se

    demander s'il aurait choisi celui de Tlesphore (son pre adop-

    tif) ou celui de Josaphat, son vrai pre, dvoilant par l mme

    l'origine incestueuse de la ligne. L'oeuvre de Michel Tremblay

    est intimement relie une qute d'identit, celle-ci touchant

    la fois aux origines et l'i