OpinionsDZ-le Génie Des Peuples*NOUREDDINE BOUKROUH

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  • 8/18/2019 OpinionsDZ-le Génie Des Peuples*NOUREDDINE BOUKROUH

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    monde (du moins là où nous ne sommes pas, quoique nous fassions, le "bougnoule")? Quepensent de nous en réalité les étrangers résidant dans notre pays? Que dit-on de nous dans lesrapports diplomatiques? Et même sans référence aux autres, qu’est-ce qui nous singularise?Qu’est-ce qui nous est commun ? En quoi consiste ce "génie" dont on nous a tant rebattu lesoreilles ?

    Nous fonctionnons, ô combien, en-deçà de nos capacités économiques ; nous proclamons,avouons une réalité mais en vivons une autre ; nous nous sommes implicitement entendus surle mal ; nous nous sommes mis d’accord sur l’indifférence à l’égard de la chose publique ;nous nous sommes accordés sur la démagogie, le sabotage le contournement des lois, ledétournement des moyens de l’Etat, l’absentéisme, la vie facile, la spéculation, la saleté,l’achèvement des malades… Nous nous comportons exactement comme si la vie devait cesseravec nous!

    Tout nous est indifférent tant que cela ne touche pas nos intérêts ; délits et crimes de toutesnatures se commettent sous nos yeux sinon avec notre approbation, du moins avec notre tacite

    complicité ; nous avons abjuré Dieu, trahi l’esprit de la Révolution, nous avons fait toutes lesconcessions du monde, nous nous bluffons à l’envi, nous mentons, nous raillons, noussoudoyons, nous trafiquons, nous "brossons", nous nous bagarrons, nous convoitons la fille, lasœur ou la femme de l’autre, nous lui manquons de respect dans la rue, nous sommesvulgaires, obscènes, nous blasphémons, nous nous parjurons, nos enfants s’élèvent à notreimages…

    Et nous « militons » par-dessus le marché pour n’avoir l’air de rien ou pour l’impunité."Maudit instinct de la médiocrité!" (Nietzsche). Développées, généralisées, démocratisées, cesmarques sont devenues notre "génie". "Hchicha talba maïcha", "haff taïch", et bien d’autrestournures du même crû fournissent à notre comportement leur justification "philosophique".

    L’Algérien est sorti de l’ère pré-économique pour tomber dans l’économisme. Celui-ci nous aavilis, abrutis, dénaturés. Il nous a précipités dans un ilotisme sans nom, il nous a réduits àl’état honteux de consommateurs, de tubes digestifs, il a fait de nous des "minus habens".L’économisme n’est pas un mal de socialisme, il aurait aussi bien germé en terrain capitaliste; l’économisme n’est pas une doctrine économique, mais une vision erronée du rôle del’économique dans un processus de développement. C’est l’attitude qui consiste à ne voirdans les phénomènes que leur aspect matériel, c’est l’illusion de croire qu’ayant hissél’homme à un certain PNB on l’a développé, c’est l’erreur de penser qu’on n’est au mondeque pour assumer la charge d’argent économique (de préférence, celle de consommateur).

    Il y a une trentaine d’année, l’"homme" c’était le fétichisme de la moustache dans un universmental où valeurs et non-valeurs faisaient bon voisinage. De nos jours, le "radjel" c’est celuiqui touche gros, qui loge en résidence, qui roule en seize chevaux, qui se soigne à l’étranger,qui échappe aux lois et ne rend de comptes à personne. A l’origine de cette métanoïa vousavez justement l’économisme. Entre autres méfaits celui-ci a désarmé l’honnête homme, il l’adéclassé, humilié, vaincu. Il l’a livré aux sarcasmes de l’arriviste bien pansu, il en a fait unobjet de risée. L’économisme a agi de même avec la révolutionnaire authentique, avecl’intellectuel désintéressé, il a pointé un doigt railleur sur la pensée, sur les idées, et déclarél’une et les autres actes honteux et inutiles. D’où le "choséisme" effarant de nos conceptions,notre étroit concrétisme, la myopie de nos vues.

  • 8/18/2019 OpinionsDZ-le Génie Des Peuples*NOUREDDINE BOUKROUH

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    Notre culture? Elle consiste en quelques misérables scénarios de films où les sempiternelspersonnages du fou (la conscience populaire), de l’imam (la réaction) et du propriétaire (labourgeoisie compradore) se disputent la palme du grotesque et du simplisme "engagé",quelques cheikhs de la musique trônant avec toute la majesté de leur "djahl" sur un domaineouvert à des ouailles mi-artistes, mi-voyous, en trois ou quatre romanciers insipides et

    arrogants qui ont un pied dans les petites "affaires" et un autre dans la harangue télévisée…

    Nos beaux-arts? Voyez un peu ces minables statues dans quelques-uns de nos jardins publics,au "Padovani" ou au souk al-fellah de Chéraga par exemple, voyez cette monumentale etinnommable crotte juchée en face du Mazafran comme pour offenser les cieux, voyez ceshideuses peintures sur panneaux un peu partout dans la capitale… Qui donc est derrière cetteprostitution de l’art? Qui nous inflige avec tant de générosité ce "réalisme socialiste"? Qui està l’origine de la baptisation des villages agricoles "Guaâdat at-tarfas" (intraduisible),"Fartassa" (chauve), "Magoûra" (trouée), et j’en oublie…

    Notre économie? Elle ne repose pas sur la sueur, sur le travail, sur la production de richesses,

    mais sur le troc d’une "rahma" du Ciel ou du hasard, comme bon vous semble. Nous vivonsen rentiers de nos sols et sous-sol. Nous sommes pour si peu dans notre survie que nousaurions mille et une fois crevé si nous n’avions compté pour vivre comme nous le faisons quesur ce que nous produisons réellement. Mais, insolents et pleins de gloriole, nous ne voulonspas qu’on le sache. Nous nous le disons bien entre nous mais il ne faut pas l’admettre, lereconnaître: par "principe"!

    Pour davantage nous leurrer nous remercions à tout de champ les "oummal", hurlons à laréaction ou à l’impérialisme dès que ça ne tourne pas rond, après quoi nous nous retrouvonsGros-jean comme devant face à nos éternels problèmes. C’est que les slogans, tout commeDieu, " ne transforme (nt) rien à l’état d’un peuple tant que celui-ci n’a pas transformé sonâme" (Coran). Et "production et productivité", "bataille de la production", "bataille de lagestion", etc, ne sont rien d’autre que des slogans, des litanies qui n’élèveront jamais lacourbe de notre croissance, tout au contraire. Ouvrons ici une petite parenthèse : il est pour lemoins curieux que nous ne voyons jamais les choses que sous un angle belliqueux, belliciste,que tout se présente à notre esprit sous forme de mêlée, d’échauffourée, de bataille, donc deconfusion, de désordre, de kahlouta…

    Le "génie du peuple"…Trêve! Trente-six articles, cent discours sur la place publique, millesermons télévisés de Ali Chentir sur Bliss, un million de banderoles au-dessus de nos artèresne changeraient rien à rien. Ce qu’il fallait, c’était des décisions, des mesures, des actes! Que

    soient louées les instances dirigeants, et à leur tête le Président de la république, pour avoirpris celles-ci. "Rien n’est assez désastreux pour que la destinée ne puisse en faire un bien"disait Goethe.

    Quelle joie, quel bonheur, quelle satisfaction! Nous étions donc capables de traverser aupassage clouté, de respecter une chaine (je veux dire de l’observer car on aurait voulu que

     jamais on n’en connût), de nettoyer nos rues, de céder une priorité, de ne pas cracherrageusement notre chique à l’émoi des passants… Nous pouvions donc sans risque de mourirnous conduire en gens sensés, nous conformer aux règles universelles de la vie en société,circuler dans la rue Ben Mhidi à quinze heures sans redouter une agression armée, aller aucinéma et suivre paisiblement son film…

  • 8/18/2019 OpinionsDZ-le Génie Des Peuples*NOUREDDINE BOUKROUH

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    Inouï! Pendant dix-sept ans nous pouvions vivre ainsi, la paix civile était si près de nosmoyens - nous ne nous sommes pas ruinés aujourd’hui à l’établir - et pourtant nous vivions unvéritable enfer, l’enfer de ceux qui doivent gagner laborieusement leur vie d’honnêtes gens,l’enfer de ceux qui doivent emprunter les transports publics, l’enfer de ceux qui sontcontraints de faire toutes les chaînes du monde pour ne pas crever, l’enfer de ceux qui

    envoient travailler leur fille ou leur épouse pour boucler le mois. L’agent de l’ordre dans larue ne nous a jamais paru aussi sympathique, aussi bien mis dans sa tenue, aussi vigilant. Il nenous a jamais semblé aussi propre, aussi vigoureux, aussi propre, aussi imbu de son rôlesocial. L’état désormais est là, sous nos yeux, fort, actif, soucieux du bien du citoyen.

    Et foin de ceux, ici ou à l’étranger, qui raillent, qui persiflent, qui tournent en dérision.Certains se sont déjà manifestés, d’autres guettent l’occasion, attendent patiemment le détailqui libérera leur hargne, leur venin, leur rage. Ils nous parleront à coup sûr de respect deslibertés, de répression, de fascisme, d’intégrisme… Mais nous les connaissons assezmaintenant pour les avoir eus maintes fois sur le paletot. Ils sont ceux-là qui veulent nousfaire croire que le "génie des peuples" c’est l’état dans lequel nous étions avant le

    déclenchement de la lutte contre les fléaux sociaux, ils sont ceux-là qui ne veulent à aucunprix de l’Algérien du 1er novembre, un homme inébranlable, intransigeant, moral, sérieux,fraternel, désintéressé…

    Cet homme leur a fait du mal, il a déplacé des montagnes, il a donné ses biens et sa vie, il asoulevé l’admiration du monde, il a incarné l’idéal du Héros. Après l’indépendance cethomme, avant d’être déçu, écœuré par le comportement de certains de ses chefs, a encoredonné la mesure de son amour pour sa patrie, pour un socialisme authentique, pour une justiceintégrale. Cet Algérien qui a fait la gloire de notre pays par ses valeurs moralesprincipalement, on ne veut pas de lui. Il est dangereux, il ne permet aucun laisser-aller, neferme les yeux sur nulle magouille. Quand il est pris par l’idéal du bien, quand il n’entendplus que la voix du devoir, il va jusqu’au bout : d’une guerre contre l’ennemi, d’une luttecontre soi-même, ou pour triomphe du sous développement. "Ô heureux le peuple dont l’âmea frémi et qui s’est recréé lui-même avec sa propre argile! Pour les anges qui portent le trônede Dieu, c’est un matin de fête que le moment où un peuples se réveille" (Iqbal)

    (« El-Moudjahid »» du 8 octobre 1979)