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OPUSCULES D'UN > F R E E - T H I N K E R $ m % n $ / r >0 •. \ * 'j£& * \ >^mÊm u - n Î 1 k M DCC LXXXÎ.

Opuscules d’un free-thinkerbibnum.sceaux.fr/sites/bibnum.sceaux.fr/files/... · fible à la corruption ; de plaifirs , que dans un ménage tranquille où j'aime & où je fuis aimé

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O P U S C U L E S D'UN

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F R E E - T H I N K E R

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A V E R T I S S E M E N T .

Ces opufcules n'étaient point deftinés à voir

le jour dans Vétat oh on les préfente au pw

hlic. Ce font les matériaux d'un édifice que

P Auteur fe propofoit de conflruire & que des

occupations d'un autre genre , Vont forcé d'a-

bandonner jufqu'à un autre tems. On ne doit

les confidérer que comme les premieres ébauches

qu'un peintre jette rapidement fur la toile pour

concerter avec lui - même , la compofition d'un

tableau qu'il veut exécuter. L'Auteur de ces

ejfais n'a confenti qu'avec une forte répugnance

à leur voir accorder les honneurs de fimpref-

fton^ ayant d'avoir-pu mûrir & développer les

idées qu'il ha\arde s travailler avec plus

de foin les couleurs qu'il employe, & même

compléter I'enfemhle de quelques morceaux in-

férés dans cette colleclion.

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L E T T R E A M. . . ,

SUR LES

R E V E R I E S D'UN P E R E A

D E F A M I L L E . «•

Monfieur, l ^ t 1 jc n'étois uffuré de trouver en vous itfî l © # | Juge indulgent, je balancerois à vous envoyer ces opufcules. La prévention favo-rable dont un ami ne peut jamais fe défen-dre , eft ma feule fauvegarde contre l'arrêt de profçription que vous ferez peut - être tenté de prononcer. Il n'en couteroit rien à mou amour-propre , de jetter le manufcrit au feu; je l'ai tracé fans prétention , & je n'avois pas defîein de le rendre public ; mais les offres féduifantes de l'Imprimeur ont arraché mon confentement. J'ai donné ma parole ; fi j'a-vois des regrets , iis feroient fuperflus. Au refte j'ai penfé & je penfe tout ce que ces Rêveries contiennent : elles font une partie dés réflexions , dont j'ai cru que l'état de Pere de Famille impofe la loi à tout homme hon • nête. On y trouvera des paradoxes. des idées

A

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a R ê v e r i e s D ' U N P E R U fmgulieres : les uns & les autres font con-féquens à mes obfervations, & à mes prin-cipes , dont j'ofe dire que l'amour de la vé-rité & de la vertu fait la bafe. Ce font mes deux divinités : elles procèdent de la nature , avec laquelle elles forment la Trinité que j'a-dore.

Je joins à ceci divers fragmens de lettres, où mon cœur & ma façon de penfer fe mon-trent à découvert : (*) je m'imagine remplir un des devoirs de lîffociété , en apportant mon contingent dans la communauté d'idées & de réflexions qui doit fubfifter entre tous les hommes, Ceci annoblit un peu le motif qui m'a déterminé en ce moment à tirer ces écrits de mon portefeuille. Je me borne pour cette fois à un eflai : s'il éft rejette ^ j'en réf-terai là , mais je ne changerai pas pour cela mes opinions : elles tiennent au fentiment, & il eft indépendant des jugemens de la mul-titude prefque toujours dominée par les er-reurs.

Cette fermeté , ou , comme on l'a quelque-fois nommée, cet entêtement pour ce que je crois le bien & l'honnête , m'a caufé beau-coup de peines. Elle fait ma corifolation en ce moment, où je gémis fous le poids des re-

(*) On diftinguera fans doute quelques écarts d'i» ma^ inadon , que je me fuis permis de mêler à cee opufcules.

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D E F A M I L L E . N

vers, où après avoir éprouvé les carefîes des grands , entrevu les faveurs de la fortune , ufé les jouiflànces précaires & factices de la fo-ciété , fait une foule d'ingrats, & démafqué de faux amis, je n'ai de confolation que dans mon propre cœur qui a toujours été inaccef-fible à la corruption ; de plaifirs , que dans un ménage tranquille où j'aime & où je fuis aimé , de reifource pour moi & les miens que dans mon travail. C'eft vous dire , Mon-fieur , que fi les jouiflànces les plus débcieufes me reftent , elles font bien mêlées d'amer-tume. J'ai beau appellerla philofophie à mon fecours ; c'eft une erreur trop commune de croire qu'elle peut fournir des confolations dans cette inquiétante pofition : non , la vraie philofophie n'eft point égoïfte. O vous qui vous targuez de ce beau nom de philofophes, vous n'êtes fouvent que des hommes infen-fibles & dénaturés,, ou de triftes célibataires qui n'avez rien à fegretter ni à perdre. J 'ai connu des philofophes compatiflans fans foi-bleflè , bienfaifans fans oftentation , amis fin-ceres & defintérefîës , peres de famille ten-dres & inquiets : ils peignent la vraie philo-fophie par leurs aâions , leur conduite, leurs fentimens ; & ce n'eft pas là celle qui con-fole de tout, qui fait oublier le pafle , qui rend indifférent fur le préfent 3 qui tranquillife fur l'avenir.

A ij

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4 R Ê V E R I E S D ' U N P E R E

La Philofophie efl cette maniéré d'être, qui rétablit la nuture dans tous fes droits, au mi-lieu de la corruption de la fociété ; qui la rap-pelle dans fa pureté , malgré les ufages abufifs qui l'ont fiât dégénérer parmi les hommes ci-vilifés. Car la nature nous porte au bien : ce n'eft point elle qui dicte aux peuples que l'on nomme lauvages , les atrocités qu'on oppofe à ce principe : l'homme a reçu en naiffant la malheureufe faculté de déshonorer fa mere, & ces prétendus fàuvages ne font que des hom-mes fournis à une conffcitution d'autant plus fautive, que l'ignorance & l'abus des paf-fions en font la bafe.

On trouve parmi ces nations, des affocia-tions d'hommes & de femmes, qui jouilfant en commun des plaifirs fi naturels de l'amour , faerifient au moment de leur nai (lance , les fruits qui proviennent de ces unions mélan-gées. On ne dira pas fans doute , que de tels monftres font dans l'état de nature. Un feul point les en a écartés ; qu'on rende à leurs femmes , l'empire qui appartient à ce fexe pour ce qui concerne l'établiffement d'une pofté-rité, cette coutume atroce fera abrogée. L'a-mour maternel efl une des loix les plus iacrées de la nature : c'eft lui feul , qui fait riaitre & lait entretenir celui du pere pour fes en-fans, qu'il ne eut reconnoitre que d'après le témoignage de la mere & fa confiance en

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D E F A M I L 1/ li. G

elle. Les fociétés reconnués pour civilifées'of-frent quelques exemples de ces égaremens : ils réfultent du choc continuel de la nature & des conventions. La premiere & les autres prenant tour à tour le delïùs, ou formant • un mélange informe , ont produit les fectes de diffolution, le libertinage & les infanticides.

Si la Nature eft la véritable bafe de In bonne philofophie qui lui rend toute fon éner-gie , en fecouant le joug des conventions qui la contrarient, en la retrouvant au milieu des erreurs accrédités qui la défigurent , en la débaraflant des entraves qui lui ont été im-pofées , fans cefier toutefois de refpefter les ïoix fociales qu'elle avoue ; le Philofophe fera bon citoyen, bon fu je t , bon ami, bon mari & bon pere : il fera honnête , vertueux & bienfaifant. Tel eft l'homme dans l'état de nature, que les raifonneurs confondent fouvent avec celui d'abrutiffement, mais qui admet toutes les qualités fociales. L'homme a'eft point né pour vivre feul, ni dans l'égoïfme, ni dans un état de guerre continuelle avec fes femblables.

Suivant l'idée- que je me forme de la vraie Philofophie , elle eft indépendante de ces fa-cultés produites par la culture de l'sfprit, & dues à une organifation privilégiée , qui élè-vent l'homme en qui elles exiftent, au def-fus de fes femblables - & qui l'enorgueillif-

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fent. Celui là n'eft point philofophe , qui voit clans ce titre un aliment pour fon amour-pro-pre , ou dont la modeftie rougit de le rece-voir. Mais le vrai philofophe fera ambitieux, parce qu'il y a de la gloire à être récom-penfé des fervices que Ton rend à la fociété, & un plaifîr pur à éprouver dans les places qui fourniffent un plus grand nombre d'occa-fions de lui être utile ; il defirera les richef-fes , parceque fans elles la bieufaifance eft une vertu ftérile, & la paternité une fource inépuifable de tourmens & d'inquiétudes -, il aimera les plailirs , parce que Cell la com-penfation jufte que la nature a établie avec îes peines de la vie , & le reftaurant des for-ces qui nous font néceffaires pour les fuppor-ter. Il ne fera point infenfible aux événemens de la vie , aux revers de la fortune : fon ame au contraire en fera le plus vivement afîeftée ; mais le courage ne l'abandonnera jamais , parce que ce n'eft point lui feul, qu'il doit confidérer : il faura qu'il doit des efforts inaltérables à une femme, à des enfans , à la fociété dont il eft membre : enfin la philofophie eft dans le fentiment , & non dans l'imagi-nation. La réflexion peut l'exciter, mais un cœur entièrement dégénéré en eft incapable. La vertu faifant avec les paffions, l'effence du cœur du Philofophe , les dernieres ne le porteront à aucun excès condamnable : & il

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© E F A M I L L E . ^

n' aura d'autre combat à foutenir contr'elles que pour le fentiment des injuftices qu'il éprouvera de fes femblables & pour les in-quiétudes de l'avenir.

Le témoignage d'une bonne confcience efl donc pour le phiîofophe une confolation eflî-cace du paffé ; je l'éprouve : mais il lui en coûte pour ne point fe laiffer abattre, & pour ne perdre rien de fon énergie à la vue des malheurs dont font menacés les êtres qui partagent fon exiftence , & pour qui feuls il en craint l'inaélion ou le terme.

Enfin, Monfieur, je rends au mot Phi-lofophie, dont on a étrangement abufé, la-figniiication des primitifs qui le compofent. C'eft l'amour de la fageffe , de la vertu malheur à qui ne poifede pas ce fentiment l en ce fens je fuis phiîofophe fans doute, & la fageife , la vertu la plus auftere ne con-damnent pas 1''affliction légitime d'un homme qui a fait fans ceffe des efforts infructueux, pour lutter contre le fort & pour relever une fortune trois fois renverfée de fond en com-ble. Mon refpeû pour leg engagemens d'un Pere dont la mémoire fera l'objet continuel de mon culte , l'homme le plus vertueux & le plus mal récompenfé de l'être a exigé de moi le facrificç de mon propre- bien ; ce n'eft point un malheur, ce devoir m'a été doux ù remplir ; la mort fubite d'un homme,

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tjui étoit à mon infu même, & par un con-cours funefte de circonflances , dépofitaire infolvable du fruit de mes travaux, m'a ré-duit enfuite à l'indigence : enfin la perfidie d'un ancien ami, dans lequel j'av ois placé la

, confiance la plus entière , me replonge dans l'abime , dont j'avois déjà gravi les bords. La calomnie m'a deflervi près d'un Prince qui m'a honoré de fa bienveillance, & pour lequel Inon cœur fur qui les événemens n'ont point d'influence, confervera toujours le zele le plus pur & la plus profonde vénération ; la dif-grace de trois perfonnes en place m'a enlevé trois fois mes protecteurs au moment où je croyois avoir mérité d'eux : une femme chere ù mon cœur qui l'a choilie, partage mon infor-tune fans fe plaindre ; des enfans exigent de moi l'éducation qui fû t l'homme focial, & j'ai à peine atteint mon feptieme luftre ; non Monfieur, le tigre ie plus féroce abjurerait la philofophie, fi elle lui preferivoit d'être in-fenfible à de tels coups, d'être ferein dans une telle fituation , & fins inquiétude fur l'avenir ; mais une ame foible & méprifable pourrait feule s'abandonner au défefpoir & à un dé-couragement dont les fuites feraient fi funeftes.

Il efl fi doux aux malheureux d'épancher leurs douleurs dans le fe'n d'un ami, que vo-tre cœur fenfible ne pardonnera fans doute , cette longue digreffion. 11 falioit bien que vous

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D B F A M I 1/ L B. 9

connuflîez celui auquel vous avez permis de vous donner ce titre, celui dont vous, allez lire des écrits, qui font une expreffion fidele de fes fentimens. Vous ne me mettrez pas au nombre des écrivains , en qui l'habitude de parler de foi , annonce un égoïfme & un amour propre faftidieux & même mortifiant pour les Lefteurs. Je fuis pour vous feul, Monfîeur , un être réel & trop véritable-ment malheureux. Pour tous ceux qui dai-gneront jetter un coup d'oeil fur ces écrits , je ne fuis qu'un perfonnage dramatique , auquel les fpeftateurs qui l'écoutent, ne doivent & n'accordent aucune affeftion perfonnelle, & auquel conféquemment ils ne peuvent fuppo-fer aucun motif d'amour propre & d'intérêt particulier , quand il excite quelques impref-fions momentanées fur leur imagination.

Qu'il me foit donc permis encore de dire un mot de moi. Puifque je parois fur la fcene, il eft indifpenfable que jefalfe l'expo-fition du caractere que je dois à la nature , à l'éducation & aux exemples qui m'ont frappé le plus dans mes premieres années. Une forte & indeftructible philantropie en forme la bafe. rrompé continuellement,'je n'ai jamais pu concevoir de la défiance ; le fentiment ne lailfe jamais en moi au raifonnement de 1"expé-rience , le tems de me prévenir. Enthoufiafte du bien public , de l'honnêteté & de ia ver-

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tu , je ne fuppofe jamuis le mal , & j'en doute encore après en avoir été la viftime ; complaifant jufqu'à la plus ridicule foibleflé , en tout ce qui ne contrarie pas mes prin-cipes , je fuis pour ceux - c i , ferme jufqu'à l'entêtement le plus opiniâtre ; doux & en •apparence fournis aux événemens , les plus légeres contradiclions me font intérieurement une vive imprelpon ; doué de paffions vives , elles ont rarement éclaté ; j'ai facrifié fans celfe aux autres , mes penehans & mes goûts; dans une continuelle défiance de moi-même , j'ai toujours cru à la fupériorité des autres fur moi ; leurs confeils m'ont fouvent détourné de ce que je voulois faire , jamais cependant ils ne m'ont porté à ce qu'une voix intérieure m'annonçait n'être pas bien ; adorateur de l'eftime publique , mais préférant ma con-fcience à tout , j'ai facrifié trois fois volon-tairement ma fortune entiere pour acquérir .l'une & fatisfaire l'autre. J'Ofe dire cependant» que de pareils actes ne m'ont point été dictés par le raifonnement, & je n'ai penfé en les faifant, qu'à me mettre bien avec moi-même. J 'ai éprouvé plufieurs fois les traits de la plus noire calomnie , je l'ai confondue fans en re-chercher les auteurs 5 le hazard quelquefois me les a découverts , je me fuis refufé & je nie reiufe encore à ce qu'à cet égard, mes amis prennent pour l'évidence ; je me furprens

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D E F A M I L L E . I%

fouvent défirant la vengeance , mon imagina-tion m'en repréfente les douceurs, & mon Cœur pardonne . . . . je dis volontiers le bien & le mal que je penfe de moi, mais je n'ai aucune prétention & je me juge moi-même plus févérement que le plus auftere critique ne le pourroit faire ; j'ai plus d'orgueil que d'amour propre , c'eft le feul bien que les hommes ne me fauroient ravir , & c'eft à ce fentiment peut-être que je dois la fatisfaftion inexprimable de me dire que je pourrai être duppe toute ma -vie , Ù que jamais je ne de-yiendrai fripon.

Cette efquifle pourra être utile à ceux qui croiront mes écrits dignes de quelque atten-tion , & elle étoit néceffaire pour les mettre à portée de les juger. Si j'ai réuffi à me faire entendre , on n'y trouvera rien d'inconfé-quent , ni de contradictoire avec ma façon d'être, de voir & de fentir. Au relie je ref-femble fans doute à beaucoup d'autres ; mais quoique ma phifionomie morale n'offre pas des traits bien diftingués, elle doit entrer dans la galerie de tableaux de fefpece humaine, où il feroit peut - être utile que chacun mît la iienne.

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R E V E R I E S

D ' U N

PERE DE F A M I L L E .

J ' A I M E M A F E M M E .

|p9* | 'AI fuivi le penchant de mon cœur en ly^sol m'engageant fous le joug du mariage. Cet établiffement eft peut-être chez la plupart des hommes , une infraftion auxloix de la na-ture : elle avoue les chaînes que je me fuis impofces. J'ai promis à une femme adorée, de" ne lui faire partager mon cœur avec au-cune autre. Je ne changerois pas, même fi rimpreffion que fes attraits ont faite fur mes féns venoit à s aftbiblir : les gages précieux de notre tendrelfe m'attachent pour toujours exclufivement à celle qui me les a donnés.

Le lien conjugal eft fans doute refferré parmi les gens honnêtes & fenfîbles , par la confidération des enfans qu'il a produits. Mais il fe préfente dans les grandes villes peu d'occafions de vérifier cette maxime par l'ob-fervation. Ce n'eft pas fins recherches péni-bles que j'en ai recueilli plufieurs preuves. Il y a 20 ans, Paris ne m'en eût peut-être pas

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R Ê V E R I E S R^UN P E R E D E F A M I L L E . 1 3

fourni une feule ; les tems font heureufement changés ; au milieu même des défordres qu'en-trai ne Vextrême civilifation, l'humanité & la nature ont repris quelques uns de leurs droits. Des parens qui prétendent aimer leurs enfans, ne les repouflent plus loin d'eux , dès le mo-ment de leur naiffimce. Us ceffent de fignaler l'amour paternel en reprenant peu à peu la vie qu'ils leur ont donnée & fouvent en les faifant expirer dans les tortures.

Lorfque nous voulons juger les hommes fuivant les loix de la nature, nous devons la confulter parmi les animaux ; ceux-ci font dépofitaires du code qui les renferme ; la ver-fion qu'ils pofledent eft pure & fans altéra-tion. Obfervez ceux chez qui la loi du mariage eft refpeftée ; voyez cet oifeau qui fans cefle perché près de fa femelle , attend pour couver à fa place , que la fatigue l'ait obligé de cher-cher du repos. Admirez fes foins , fa complai-fance , fes careffes défmtéreifées, fon indiffé-rence , je ne dis pas feulement pour toutes les autres femelles, mais j'oferois ajouter pour ia nature entiere , pour tout ce qui n'eft pas la mere de fes petits : cet attachement durera julqu'à ce que les enfans n'aient plus befoin. que d'eux-mêmes , & j'ai fouvent remarqué qu'il s'étend bien au delà de cette époque. L'analogie doit donc prouver la vérité fui-vante à ceux en qui le femmient ne l'a pas

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gravée : que les enfims font h fou tien comma le gage de la tendrejfe & confquemment de la fidélité conjugale ; cela doit durer au moins le tems de leur éducation.

Les oifeaux ne font pas les feuls animaux qui prouvent que le mariage efl dans la na-ture ; mais elle défavoue toute union de ce genre où le cœur n'a point de part. L'homme forme, à cet égard, parmi les animaux une clalfe à part , qui tient de ceux où la fidélité <efi; confervée par r inf t inf t , & de ceux dont rinconftànce eft une des loix phyfiques éta-blies pour la multiplication des êtres.

La nature voulant pourvoir à ce que toutes les femmes fuffent fécondées , a attaché à Faite qui remplit ce but , des plaifirs qui atti-rent fans choix Fun vers l'autre , les indivi-dus de chaque fexe : quelquefois l'amour fixe ce choix. Celui qui n'eft pas amoureux doit donc s'approcher de toutes les femmes : celui qui l 'ef t , doit s'en tenir à l'objet de fes feux. Les légiflateurs qui ont voulu qu'on ne multi-pliât qu'avec une femme déterminée , ont fup-pofé l 'amour, ou ils ont ordonné un crime de Lere-nature. Etre livré exclufivement h une femme qu'on n'aime pas, cft contre la na-ture. L'objet du mariage doit en fouffrir, & il faut pour lors manquer à la nature ou aux loix qui ont inftitué le mariage. Ces loix quand elles font fages, en permettent dans ce cas 9 la dhTolution.

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D E J B A M I L L E . *s

J ' A I M J E M E S E N F A N S.

Mes enflms font parvenus à l'âge où il eft tems de commencer ù former leur efprit. Le fécond luftre de leur exiftence eft à moi-tié écoulé. Du côté du cœur , leur éduca-tion a commencé dès le moment de leur naif-fance : les fibres de leur cerveau font difpofées à recevoir les impreffions que je jugerai con-venables. L'enfant n'eft jufqu'à cet âge, qu'un inftrument dont il faut monter les cordes & les mettre d'accord. Mes enfans doivent maintenant connoitre la vertu qu'ils pratiquent déjà, & qu'ils aiment fans s'en douter. La bonté de l'éducation phyfique qu'ils ont re-çue , m'affure que je n'aurai point une terre ingrate à cultiver. Le véritable fecret pour faire d'honnêtes gens , c'eft de donner aux pe-tits êtres qui doivent le devenir, de bons exem-ples , & la force d'organes néceffaire pour réfifter à leurs paffions & à la féduclion des gens corrompus ; les foibles ne feront jamais vertueux , tout ce qu'on peut obtenir d'eux , c'eft qu'ils ne faffent point de mal ; & l'on n'en fatiroit jamais répondre.

Si le raifonnement & les cris des gens éclai-res ne m'avoient averti du danger des prés-jugés atroces qui préfident depuis quelques fiecles à l'éducation des enfans, une obfer-

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valien auroit fuffi poul' m'en inftruire. Une ptiillc très fine fe glifla un jour dans ma montre

en gêna le mouvement ; elle alloit toujours, mais elle alloit mal. Je fus longtems à m'ap-percevoir de la caufe de ce dérangement : enlin je retirai la paille , mais il étoit trop tard ; ma montre étoit gâtée. Ici la répara-tion étoit facile ; à l'égard des enfans il n'en eft pas de même : l'ouvrier qui en a produit le plus , ne peut rien changer ni réparer à fon ouvrage , quand la libre la plus mince eft déplacée ou altérée dans fon intérieur. O peres & meres plus cruels cent ibis que les barbares qui détruifoient ceux de leurs enfans dont la conformation leur déplaifoit ! Déchirez donc le voile d'un préjugé aufli abfurde qu'il eft meurtrier ; Ecoutez la Nature , elle ne celle de vous donner des inftruftions pré-cieufes : elles vous font offertes par celles de fes productions qui ne font pas foumifes aux caprices des hommes : laiifez agir le ienti-ment qui doit vous ' aire chérir des êtres foibles & délicats auxquels vous n'avez pas donné l'exiftence pour leur en ravir la moitié avant qu'ils en ayent joui : Jettez au feu ces in-ventions infernales , qui fous le nom de bandes^ de corpj, détruiront vos enfans avant que vous ayez pu goûter le plaifir de recevoir d'eux dçs careffes dirigées'par le difcernement & la raifon comme elles le font déjà par le fen-

tifflent

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D E F A M I L L E .

timent ! Elles leur préparent une vie infirme & malheureufe , fi ces trifles vidimes ne fuc-combent pas entièrement : ces mêmes diffor-mités que vous voulez prévenir , nJont ordi-nairement pas d'autre fource.

Je ne comprens pas qu'on ait pu concevoir férieufement l'idée' de mettre en moule le corps humain , comme on le f.iit d'une fubftance in-fenlible & qui n'a nulle organifation , nul méchanifme. Quel homme, à moins d'être fou, s'aviferoit pour donner à fa pendule une foi me agréable, de la refîerrer de quelque côté, fans s'embarralfer s'il en dérange le mouvement par la compreffion de quelque roue interne 1 Je répété cette comparaifon avec plaifir, parce qu'elle me paroit frap-pante. Si elle n'eft pas abfolument exafte, elle n'en prouve que mieux le danger des inftrumens qui gênent les opérations de notre machine , furtout dans le tems de FaccroiiTe-ment. En eftet fi le méchanifme du corps hu-main a fur celui d'une pendule, l'avantage de fe prêter & de céder à la preffion , il en ré-fultera un dérangement total pire encore que la léfion de quelque partie : ceîle-ci pourroit fe guérir dans la fuite. Les jardiniers ne fe font-ils pas fouvent repentis de leurs efîbrts pour affujettir des arbres précieux à des formes bi-zarres ; ou du moins n'eft-il pas extrême-mciit rare qu'ils l'ofent entreprendre '1 pour

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X' 8 R k V E R I E s r» ' u w P e sl b

un arbriffeau qui furmonte le mal , il en périt te pins grand n o m b r e & les autres reftent, dans un état de fouffrauce & de dépérilîc-ment. C^eft l'hiftoire des corps d'enfans & de ceux qu'on fait porter aux jeunes biles. On a dit dans un papier public que la profef-lion de ceux qui les fabriquent, n'eft pas hon-nête ; le Sindic de la communauté a, porté là-deffus plainte en juffice ; n'cût-il pas été à defirer que i'inftance eût été fuiviecr quel efl le. juge qui eût ofé protéger la fabrication d'uftenciles meurtriers- auxquels il faut attri-buer la -dégénération: de l efpece humaine: parmi ce-qu'on appelle ^ les gens comme il faut & dans la bourgeoifie. des-villes ; qui enlevent, à l'état plus d'enfans r qui font, périr plus de; femmes à leurs, premieres couches, que les. guerres les plus fanguinaires, ne lui ont dé-truit d'hommes "7 J 'ai; vu, bien des femmes envier la faute robufle , la fermeté de la gorge & la taille non: pas. fine mais bien proportion-née des filles de campagne dont les corps... quand elles en portent. , ne. font qu'un vê-tement large & commode , define feulement à la parure, des dimanches. Ces mêmes fem-sies mutiîoicnt dans des corps étroits, le,s vifceres dû leurs enfans , fiétriflbisnt leurs; poumons , applariiToient leurs- gorges. Gom-ment ejŒ-it pofilble qu'un tel aveuglement fubfiûe au milieu des. lumieras. qui font, dx

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T» K F A M I L Y w. J ^

toutes parts évanouir les fantômes des pré-jugés 1 Comment tes gpuVcrnemens gardent^ ils le filerice fur un ufage aiu'ïi clcftraclif d§ la.population .?

J E LEUR FERAI CONNOITRB E T AIMER LA VIAJTI : ,

Y a-t-il des préjugés utiles ^ en. leTuppo» {vint,, doit-on commencer 1 éducation par le menfonge & imprimer des erreurs dans la tête d'un enfant , fous le prétexte qu'elle!: 'feront dans la fuite utiles à fon; bonheur 1 peut-on fans danger ouvrir fon arae au men-fonge & à l'ilîuiion "l les véf-ités forment un 3 chaine ; fi elle eft interrompue , tout l'édi-fice s'écroule. Si l'homme clerc dans les pré jugés vient 'à découvrir qu'on l'a trompé ei: •ua point, qui répondra qu'il tienne aux au-tres & cette corinolftancc, il 1 •acqûîert pref-.que toujours .lors du développement de fit Saifon. Si on .lui a inculqué l'amour des ver-tus en lui parlant des récompenies que î';u venir leur promet ^ que deviendra cet amour loriçu'il iaura que les récompcnfes font iliur foires ! Quand il connoitra que les at'albuts dont les hommes ont affublé la divinité H leur .maniéré , font le fruit de fimugination échaui'-

ufée ou inter eut: e de ; quelques uns'd'eux , r.> renverrera-t-il pas i:iniagc..e.a flechifant les vc-tgœens qai û défigureni^ B (j

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So l l f e v E R - I E S D ' U N P è r e Accoutumez le dès l'enfance à aimer la

vertu pour elle-même. Prouvez lui par les faits, qu'il eft de fon propre intérêt d'être vertueux. Inculquez lui ces vérités par fen-timent, & ne craignant pas qu'elles fuient ja-mais démenties, foyez sûr qu'il fera vertueux jufqu'au dernier foupir. Cela n'cft pas plus difficile que de le pénétrer de fornettes dont la fauflèté lui fera démontrée à chaque in-fiant de f i vie , & dont cependant les traces imprimées fur un tendre cerveau acquièrent de la force & deviennent prefque ineffaçables à mefure que cet organe fe fortifie. Pourquoi cette obfervation ne fert-elle pas aux peres & aux inflituteurs qui pourroient auffi aifé-ment fémer dans le cœur des enfaris l'amour de la vertu pour elle-même que la foi ortho-doxe ? Comment cette vérité a-t-elle échappé jufqu'à ce moment à tous les hommes hon-nêtes qui ont fans doute defiré d'avoir des enfans vertueux, & qui n'en ont pas plus penfé pour cela à faire entrer des principes de la faine morale , au nombre des chofes que l'on doit imprimer dans le cerveau des en-fans '1 A cet égard ordinairement le premier ami que fe fait un enfant eft fon précepteur ; fi le hazard lui a offert un fcélérat pour pre-mier dépofitaire de fit confiance dans un âge où l'on ne conçoit ni la méfiance ni d'autre différence du bien au mal que celle de la

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douleur au plaifir, le fils du plus honnête des hommes , celui dont fuivant les principes du vulgaire , l'éducation aura été la mieux foi-gnée , celui là même méritera le gibet dès l'inftant qu'il aura la liberté & la force de commettre un crime,

L homme qui aura dès le berceau appris à fentir le prix de la vertu , & contracté l'ha-bitude de la pratiquer ; dont les organes au-î ont en fe lortifiant, pris le pli heureux qui tendent les bonnes aûions faciles & natu-relles , tandis qu'un effort violent ne les met-troit peut - être pas même dans des difpofi-tions contraires ; cet homme fera conftamment veitueux ; il repoulfera les luggeftions cri-minelles comme un jeune homme encore rem-pli des préjugés de religion dont on l'a pénétré & qui fouvent font indeftruftibles, repouffe 1 évidence des argumens du philofophe. Le témoignage de fa confcience fera plus puif-fant cent fois que la perfpeftive du paradis & de l'enfer que l'on ne confidere jamais que dans un lointain prefqu'imperceptible. L'ap-probation de fa confcience, de ce juge à-qui rien ne fauroit échapper, & dont la voix s'é-le v ci a a cnaque inftant dans fon cœur , fera le prix le plus cher de fes aftions, de fes penfées. Les reproches de cette confcience lui feront infupportables ; au refte il ne les connoitra pas ; il n'aura pas la force de les

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Ci a î l E* v Ifi • &, ï B S D ' U IV P E R E

braver ; il iuura qu'ils ne lui pardpnnei'oient

jamais. Si je veux inculqué^ à un enfant la loi

chrétienne, en même terns cjue je lui ibrme-fai le jUG'èment & que je lui infpirerai le gout de l'étude, l'effet de mes foins orthodoxes ne s'étendra pas au delà c1cs bornes de 1 en-fance , & le développement de fa raifon fera le terme de mes fucccs religieux ; limeiti-mde alors le fera vaciller entre la vérité & l erréur ^ peut-être entre le crime 6c la vertu. En fuppolant qu'il, croie longtems , ou l'em-pire des pallions lur un être bien Conftitué, le mettra dans un tourment alfreux en lui faifant livrer dès combats continuels avec lui-même , o u , ce qui a r r i v e prelque toujours ,,

. il cédera fans celle en fe repofant fur une ûbfolution qu'on ne réfufe point, 6c fur un purgatoire qui eft le pis qui puifle arriver aux férvitcurs de l Eglife romaine. La foi ren-droitmes.èrifans coupables ou malheureux, s'ils ne font pas abfolument imbéciles;

I i S C H O I R O N T A UN D I E U.

Leur ci.icigrynd-je qu'il y a un Dieu <1 oui, fans doute. J'en fuis convaincu par fenti-ip.ent. Le railbîincmenf ne p.ëut rieii fur la 10-lutioa de ce problème. Il y a une prévention

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D E F A M I L L E . A*

rifible dans l'argument de ceux qui afllirent qu'il n'y a point d'ouvrage £1113 ouvrier : felon eux les merveilles de la nature annon-cent un créateur , comme une montre prouve qu'il a exifté un ouvrier qui l'a faite. Le mouvement de la matière en donnant lieu à certaines combinaifons que nous voyons fe rcnouvellcr journellement autant que nos yeux peuvent voir , a peut-être produit les corps divers dont l'exiftence nous étonne. Il -n'eft pas plus difficile de croire à ce mou-vement incréé qu'à une main puiffante qui' .a accroché le foie il & les aftrcs où ils font „ & qui nous a créés une bonne fois , fous la 'réferve que ce feroit enfuite notre affaire de nous multiplier & de nous perpétuer. J e t t e , 'vois en vérité, aucune preuve politive del'exif-•Ècnce de Dieu , qui puiCe fatisfaire l'homme qui penfe : mais il me paroit au moins auffi • difficile de prouver le fyftême contraire & c'en cil affez pour me déterminer.

11 exifte bien certainement une infinité de chofcs au-deiîus de notre intelligence 5 & dont nous ne pouvons nous former une idée. J e citerai pour exemple le terns & l'éternité ; qui peut comprendre que le monde ait com-•mencç ou qu'il finira 1 Qu'y avoit-il avant 4a création 1 la création -.n'a-t^elle fait que •donner une nouvelle forme à la matière qui ^ o k doja 1 cette matière étoit donc incivée v

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£ 4 R È V K R I E S D ' U N P l i R E

éternelle 1 Ce mot éternité fera toujours le défefpoir des métaphyficiens, ils ne pourront pas plus nous donner une idée claire de la non-exijience totale , qui auroit précédé le com-mencement de l'univers. Il n'y a cependant pas de milieu : ou , tout a exifté de tout tems fous une forme ou fous une autre ; fi non , tout a commencé après une nullité to-tale d exiftence. Comment ajufter la création avec l'éternité de Dieu 1 un autre univers cxifloit-il avant que celui - ci fut créé , ou l'être fupréme étoit-il' un Roi fins royaume 1

Revenons à notre objet. Avant de cher-cher à pénétrer l'effence de la divinité , il flmdra que les hommes aient répondu à la queftion de fon exiftence. Cette queftion eft de la même nature que celle du tems & de Véternité. La quantité de chofes dont la cer-titude eft phyfique & que cependant nous ne pouvons pas comprendre , doit détermi-ner rincredule le plus opiniâtre à admettre au moins la puflibilité de l'exiftence de Dieu. Dès qu'elle ne répugne pas à notre raifon , il faut y croire. Si c'eft une erreur, elle eft fans con-sequence ; l'athéifme au contraire peut en en-traîner de dangereufes. Je ne fais au refte fi les hommes doivent renoncer f-^'efpoir de découvrir un jour le principe de toutes chofes. Cette découverte peut-être, ne tient qu'à un fii comme tant d'autres qui cnt dû être re-

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D E F A M I L L E .

gardées comme impoflîbles, avant qu'un con-cours de découvertes acceflbires en ait ouvert la route à quelque fublime génie. On ajoui des avantages du feu, on en a obfervé les propriétés , longtems avant que de foupcon-ner que cette fubftance fi deftruûive fût l'élé-ment &z le principe de la vie & du mouve-ment, & qu'elle entrât dans la conftitution des corps les plus froids

J E L E U R E N S E I G N E R A I U N C U L T E ,

Devons-nous des hommages à Dieu 1 ce feia enfui te une queftion bien importante dans 1 eaucation de mes enfans : pourquoi ne pas lui en rendre ^ Dieu & la nature (*) fe

(*) N o n , encore un coup, je ne fuis point A t h é e : mais p e u t - o n parler bien clairement de ce qui fur-pafie notre foible intelligence ? , , , , Il faut adorée en luence , me dira-t-on . . , Ne do is - je cependant pas entretenir mes enfans , de Dieu , de l 'Etre fuprême qui les a créés ? , . . Le léurpeindrai-je avec une longue barbe, un bras nerveux, des verges clans une main & des petits gâteaux dans l 'autre ? . . . L'image d 'un Dieu qui n'eft que rémunérateur & vengeur ,0ne pro-duiroit que de timides criminels & des hypocrites s car il eft dans l 'homme de fe flatter d'en impofer à Dieu même le ferutateur des p e n f é e s . . . . J 'aime & 3 adore Dieu comme k fource de tous les biens dont 3e jouis : je ne ^ murmure point contre lui des maux que^ je iouffre ; fans eux ces biens ne fau-roient e x i f b r ; l 'homme n'auroit plus de jouiffances E'iln'avcit la faculté d ' ensbufe r , & il n'eft gueres de maux qui r.e reful tent de l'abus des jouiiïancgs. U n

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0.6 R ê v e r i e s D ' U N P B R % confondront en une feule & même idée dans le cœur de mes enfans : nous nous réunirons pour nous entretenir des bienfaits que nous recevons d'eux fans cçflè; maio perfuadésque tout cil fournis à des caufes fécondés inva-riables , nous nous garderons bien de leur adrelfcr aucune demande •;'nous nous'repro-cherions même de defirer qu'il le fit à notre avantage le moindre changement dans l'ordre des chofes. Quel délbrdre ne s'introduiroit-il pas dans la machine générale , fi une mefîë, une proceliion, l'incendie de quelques livres de 'cire pou voient à volonté faire tomber de la. pluie , éloigner les gelées , détruire des millipns d'animaux dont 1 exiftence vaut peut-être celle de Hiomme aux yeux de l'Être fuprême, &c.

Au relie lorfqne mes enfans auront le ju-gement afîez formé, la r'aifon aîTez dévelop-pée pour que je puifle fans danger les en-'tretenir des fattifes & des folies des hommes,. je leur ferai connoitre la religion de leur pays ; j e leur apprendrai à l a refpecter1 comme-une loi de l'état, comme-une infdtution politique, 1-i

•être de raifon ne peut être l'objet de notre ' amqtfir de nos hommages que quand l'imagination nous

le rend lenfible . . . Notre imS'ginatidH elte-feSnïS •ne peat 'être émue que par les fens . , je vois ï)iea 'sans tous les êtres qui m'encourent-, tt.Je fens, J V dore & je ne niifonne ,plu&

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D E F A M I X-'L E .

l'on veut même comme l'opinion du plus grand nombre. Ils devront fous ce point de vue, en remplir les pratiques extérieures, non par diffimulation ni par hypocrifie , mais comme les Francs-maçons font les lignes dont ils font convenus entr'-eux.

I L S ACQUERRONT LE PLUS DE CONNOISSANCES

QU'IL SERA POSSIBLE.

Peut-on avoir mis de bonne foi en qnef-tion fi les connoiflknces & la culture de l'ef-prir contribuent au bonheur de l'hommé 1 C'eft comme li l'on demandoit quel eft le plus heureux, d'un animal féroce , expôfe fans ceife dans les bois à manquer d'alimens, obligé de les conquérir avec des niques- continuels d'être lui-même la proie de celui qu'il veut' dévorer , fans confolation dans les calamités qui lui furviennent, fans fecours dans la dé-trefîë qu'il éprouve, nniffant par être le butin d'un chaifeur adroit après avoir pafle une vie toujours accompagnée de trouble & d'inquié-tude ; ou , d'un autre animal nourri avec foin dans une maifon où fes talens font néceffaires, càrelfé, flatté & chéi'i par fes maitres , quel-quefois injuftement battu par des valets moins Utiles & plus bêtes que lui, mais dé-domagé par toutes les jouiflances dont il eâ

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aS R Ê V E R I E S D ' U N P E R K

fufceptible , & certain en général d'avoir fur fes vieux jours, une nourriture & un afile aflurés. Le premier de ces animaux efl l'hom-me non civilifé , & celui qui , au milieu d'un peuple policé , manque des lumieres qui y font communes. Le fécond eft l'homme qui fe diftingue de fes femblables par les qualités de fon efprit. Il y a des exceptions à ce que je viens de dire, pour l'un & pour l'autre; mais ces exceptions tournent à l'avantage de ma thefe. C'eft un étrange paradoxe que de foutenir que nous fommes moins heureux' que ne l'ont été nos ancêtres dans les fiecles de barbarie où Ton ne favoit que porter des coups avec force, & les recevoir avec cou-rage; où l'on devoit à chaque inftant s'at-tendre à voir fa femme ou fa fille violées , fes enfans égorgés , fa maifon pillée, fans efpérer d'autre confolation que de fe venger en répandant du fang , & de prendre fa re-vanche en traitant fes ennemis de la même maniéré ; où l'on finiifoit par périr de la main d'un brave ajfajfm, où l'on ne crrignoit pas mille pointes dont on vo3foit fa vie menacée , tandis que l'on fléchiifoit le genou devant un moine qui favoit lire : n'eft-ce pas ce dernier qui étoit le plus heureux 1 à quoi devoit-il fon bonheur "7 à la fùpériorité que lui don-noit fon peu de lumieres , fur des êtres plus ignorans encore qu'ils n'étoient barbares.

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» E r A M ï li II E» a 9

J ' A I U N F I L S .

ïl eft d'expérience qu'en générai les meres ont une tendreffe particulière pour leurs fils , & que les peres donnent quelque préférence à leurs filles. On a cherché la raifon de cette différence dans l'attrait naturel d;un fexepour l'autre. Peut - être a-t-on eu raifon ; cepen-dant n'eft-ce pas un effet naturel de l'amour propre 1 une femme ne fauroit s'enorgueillir des attraits d'une autre perfonne de fon fexe : elle eft au contraire difpofëe à partager les éloges que pourra mériter un jour le grand homme qui lui aura dû l'être. La vanité d'une femme peut-être flattée d'avoir fous fes ordres un être fait pour dominer fon fexe : & vice versâ.

Mon fils eft adoré de fa mere , mais il n'eft pas moins que fa fœur, l'objet de mu plus tendre afTecrion : au refte ce n'eft pas de ma tendreffe qu'il a befoin , je dois donner à fon éducation les foins les plus férieux. L'é-ducation de ma fille fembie également, être plus particulièrement confiée à fa mere par la nature : & comme les leçons ne fauroient être exemptes d'un peu de fevérité , il réfulte un avantage bien réel de la loi qui a diftribué la tendreiTe paternelle & maternelle en rai»

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2 O R A V E. El I .K S D ' U N P E r. E

raifon oppofée des foins de Tinftruilion. Cel l îiinfi que l'enfant a toujours nn patron, uu avocat qui follicite en f:i faveur l'indulgence cle celui qui doit le corriger.

On fe prcffe toujours de deftiner fes en-fans à un état déterminé , & pref ue jamais on ne s'occupe de les diriger infenfiblement par l'éducation , vers le but qu'on a choili. J'ai cherché à éviter ces deux iautcs. Je ne me fuis point arrêté à un parti qui icroit le malheur de mon fils , fi mes foins échouent pour lui infpirer peu ù peu les idées que je me fuis formées pour fon bonheur futur ; & je ferai enforte que fon éducation le rende propre à plufieurs objets far lefquels Ion pro-pre choix aura à fe fixer. 11 eft pîuheurs états que je lui interdirai ; je ne lui en prel-crirai aucun.

M O N F I L S KK SEHA P O I N T M I L I T A I R E . ,

La guerre eft une aclion- juite qiland eke •a pour objet la défenfe perîbr.reî'e eu celle de l'état. Il eft dans la nature de fe défen-dre , quelquefois d'attaquer, & ibuvent même de fe venger à force ouverte i & ce qui efl dans la nature eft toujours jufte ; mais elle ne fauroit juftifiér un mat que quand il etc laclifpeafabie pour m empêche:,: uripius'grançb

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B E F A T.r Ï, ÏJ V E . 3 1

Il eft atroce de s'armer pour aller de fang, froid porter le carnage: & la défoiation chez des, honnîtes qui fouvent ont été nos amis , fans avoir de querelle à venger , de pofTef-fions à défendre , d'injures à prévenir. Le bien de l'état, de la fociété à laquelle nous appartenons , exige de nous , fans doute, le dévouement même de notre vie : mais quel eft le guerrier toujours perfuadé quand il s'arme , que les coups qu'il fe prépare à por-ter , feront juftes, néceifaires, ou feulement utiles à fa patrie? S'il en eft qui ne confi-derent antre clioie en fe vouant à cet é ta t , que leur avancement, l'intérêt de leur ambi-tion, ou celui de leur fortune, quelle diffe-rence y a-t-iî entre de tels hommes & ceux qui vont à là rencontre du riche pour ac-quérir de la fortune par fou meurtre % Le but des uns & des autres n'eil-il pas le même tuer pour vivre , pour devenir riche "ï

H eft une clafîe d'hommes qui femble des-tinée en nailTant à tuer & fe faire tuer pour la patrie : c'en; la plus grande partie de la aobkfie. Ceux-là n'ont gueres la liberté du choix, d'un autre état: ifs doivent leur fang,

• pour prix de l'eibece de fapériorité qu'on &uv a accordée dans l'ordre iocial ; fupério-rité qui fdppofe un dégré. d'utilité, que l'oit m peut efperer ds rencontrer généralsmeiit dans M E clafls ncajbreufe d'hommes., QÙÎ I

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3 A R Ê V E R I E S D ' U N P E S . K

s'en trouve néceflairement qui manquent de Vertus , de talons & même d'intelligence , & qui conféquemment ne font propres ni à diriger, ni à confeiller &c. Il faut donc qu'ils fe battent pour les autres , ils font payés d'avance ; c'efl un devoir qu'ils ont à rem-plir. (*) . <

Le militaire qui , appellé à cet état par fa naiflance, par un enthoufiafme bien en-tendu de la gloire, par l'amour de la patrie, fans la vue d'un vil intérêt, s'occupe plus dans l'exercice de fes fonctions , d'épargner le fang que de multiplier les viftimes du fléau dont il eft l'inftrument, qui refpefte les pro-priétés des ennemis même qu'il a vaincus , qui ne fe fait pas de fon uniforme un droit pour vexer le bourgeois , enfin qui n'a re-noncé ni à l'humanité ni à la probité , &

qui

(*) En lifant ce qui fuit, on verra que je ne parle ni de l'officier que fes lumières appellent à comman-der autre chofe que l'exercice , c. à d., l'art de tuer en cadence le plus de braves hommes qu'il eft pofll-ble , ni du folriat, pure machine à qui l'on perfuade que les gens qu'il doit tuer font les ennemis de fa patrie & qu'il ne peut rien faire de mieux que de les détruire. Quant à ceux que le delir du pillage con-duit à la guerre, je me flatte qu'on ne contefterapas ie rang que je leur affigne à côté dei Raflas & des Cartouches, avec la différence à l'avantage de ceux-ci, du rifque très prochain d'être rompu vif, au dan-ger incertain de recevoir une balle ou un coup de fabre.

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D B F A M I L L E , 22 qui fent que les principes de l'une & de l'au-tre font les mêmes fous la cuiraflè , fous la robe & dans tous les états de la fociété : ce militaire je l eftiiiie 5 quelquefois même je l'admire : mais je ne veux pas expofer mon fils à une épreuve fi épineufe , à la contagion des focietés dans un état où il ne peut gueres les chqifir , à l'alternative cruelle d étre l inftrument ou la vidliinc d'injuftices & d'atrocités.

La guerre d'ailleurs , comme on la fai t , eft une infraftion à la loi la plus refpeéla-ble de la nature , celle de fa propre confer-yation. Il eft dans la nature de méprifer le danger quand il eft utile de s'y expofer : on retrouve la bravoure dans les animaux ; je la crois naturelle à l'homme ; peut-être eft-elle même afèz efigntielle à fa conftitu-tion pour que celui qui ne la poffede pas, foit meprifé comme un mcnflre. par défaut un être au-defîbus de befpece à laquelle il appartient. Mais cette bravoure n'exclut pas

l'ufage des moyens que chaque individu peut employ er pour fe mettre à Tabri des coups de ion ennemi. Cet, objet dans le combat doit aller de pair avec celui de multiplier & d'appéfantir lés coups que l'on porte. AulH la maniéré 'dont les Arabes & les Tartares combattent, eft - elle plus rapprochée de la nature que la notre. Je n'ignore pas les ob-

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3 4 R Ê V E R I E S D ' U N P E R E

jeûions qu'on peut faire à ce paradoxe. Je n'y répondrai que lorfqu'on m'aura prou-vé que notre ta&ique eft véritablement propre à épargner le fang des foldats qu'elle anet en mouvement, & qu'elle n'en facrifie pas fouvent au defir de fe procurer des avan-tages que Ton pourroit acheter moins cher.

ÎIIOÎI F I L S N E SERA P O I N T H O M M E D ' E G L I S E .

II ne fauroit l'être de bonne foi , & il aura horreur du menfonge & de la fauffeté. Je connois un de nos fameux prédicateurs qui ne croit point en Dieu. L'ondion & la vigueur de fes fermons le conduiront bientôt à l'épifcopat. Je ne ferois certainement pas mon ami d'un tel homme , encore moins voudrois-je que mon fils lui reflemblat. Un état contre nature eft d'ailleurs à mes yeux un crime continué de Leze - Majefté divine. Dans certains pays les parens forcent un fils cadet à fe faire prêtre ou moine , une fille à fe faire religieufe, auffi froidement qu'on décide la couleur d'un ameublement. On ap-pelle cela faire des difpofitions fages, telles qu'un Pere de Famille qui a de la tête, doit en faire pour empêcher que fon bien ne foit morcelé , haché & divifé entre un tas d'enfans, & pour qu'il relie en entier à un fils plus

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chéri, qui en fera honneur au nom de i'cs ancôties , qu'elles mettront à portée de foutenir avec/ dignité l eclat de fa naif-iancc &:c. Je ne faurois délapprouver Que Ton manque de ce que le public appelle de la RtVgion, & c eft bien le cas fans doute : mais comment apprécier celui qui manque d humanité a ce point ? & ce font des peres & des meres ! Ils croient cependant au Pa-radis, à l'enfer , a la juftice divine ; ils vont à cônfeife, ils fe nourriffent de leur Dieu

II en eft de même de certains autres pa-rens qui , dans un pays dont j'ai été à por-tée d'obferver les mœurs fmgulieres relative-ment à la religion, en font un objet de fpé-culation pécuniaire. Un Pere de Famille, dès la plus tendre jeunefîè dé fes enfans cal-cule ainfi. L'ainé de mes iils aura mon état , foutiendra mon nom; probablement il habi-tera mes châteaux & .finira par vivre du pro-duit de fes terres ou des rentes que je lui laiiferai ; le fécond portera l'uniforme ? le troi-ficiue feia moine dans telle abbaye où je fais que l'on mange & que i on boit bien &c. Je m.uieiai • i ainée de mss lilies ; la féconde -gaidera le célibat, elle tiendra compagnie à fa liiere jufqu au tombeau ; fi je deviens veuf, elle aura foin de mon ménage ; la troi-fieme fera religieufe ; elle priera pour aous ; que feroit-eile dans le monde ? Si je laiiTdis

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36 R ê v e r i e s D ' U N P E R E quelque chofe à tous mes enfans , mon fils ainé ne fer oit plus affez riche. C'eft fur ce dernier point que la dépravation des parens chez qui l'amour propre efl plus puiffant que î'amour paternel, s''accorde affez. J'ai vu dans ces différens pays, de malheureufes filles vouées à un célibat forcé fous les grilles & le cilice, mener, là rage dans le cœur, la vie la plus affreufe : permettez leur le fuicide : ce fexe foible & timide aura la force de s'ar-mer d'un poignard pour trancher des jours odieux & mettre un terme à des tourmens horribles.

Quant aux moines, leur vie eil trille & fouvent défefpérante dans le premier exemple que j'ai cité. Eloignés de toutes les bonnes compagnies, où généralement on méprife leur état, les momens de liberté dont ils jouilfent ne leur apportent de confolation que dans la débauche , ou au prix du repos de quelques familles. Quelques uns d'entr'eux font alfez heureux pour avoir le gout de l'étude. Ceux-ci font le moins à plaindre , & du moins font-ils quelquefois utiles.

Les moines dont j'ai parlé en fécond lieu , ont une exiftence toute différente. Leur édu-cation , les mœurs générales de leur patrie les rapprochent de la vie intérieure du couvent. Accoutumés dès l'enfance à toutes les pra-tiques fuperftmeuftf s d'une religion qu'ils s'em-;

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D E F A M I L L K

barrafTent fort peu de connoitre, ils vont ma-chinalement à leurs offices fans favoir ce-qu'ils font , ni ce qu'ils difent ; ils paffent le refte du jour à table & à s'enivrer. Leurs cou-vens font fouvent le théâtre des plus infâmes débauches, cela ne m'étonne pas : dans un état contre nature , les occupations font toutes contre nature , on ne peut7'donc qu'y être criminel. Souvent ils fe répandent dans les fociétés, où ils trouvent des efprits dociles & fournis, & où on leur rend une efpece de culte. Ils s'y permettent ce qui feroit inter-dit à un homme du monde ; ils ne rougilfent point ou du moins fe cachent peu de^ leurs avantures galantes qui font d'autant moins d'éclat qu'on eft fort peu galant dans le pays dont il eft queftion. Les aftes de galanteries 3r font l'affaire de quelques minutes ; hors ces momens, les femmes mêmes avec lefquelles on les a paffés font parfaitement indifféren-tes ; elles exigeroient vainement des foins & de l'affiduité ; rien n'eft donc plus facile que d'envelopper ces intrigues , du voile le plus épais du myftere.

L)-après ces tableaux imparfaitement cf• quiiTés, on fe doute bien que je ne ferai de mon fils ni un prêtre, ni un moine, dût-il être Abbé, Evêque & même Cardinal. S'il pôuvoit devenir Pape, je penferois peut-être autrement. Je le croirois allez généreux , aflès

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am5 de la vérité & je fouhaiterois qu'il fût niiez habile pour renverfcr le thrône de l'er-reur & fubftituer à une idole abfurde , un objet plus di?ne de la vénération des peu» pies. La Relipion chrétienne eft une baie fur laquelle un Pape peut etever un édifice dont la raifon cefîera de confpirer la ruine : s'il faut de l'illuhon pour conduire au bien le commun des hommes , on peut la revêtir de formes dont le philofbphe , qui fait fe prêter à la foiblelfe humaine , ne fera plus révolté, .

A QUEL ETAT DEST1NERAI-JE MON FLLS ?

î-e courtifan ne jouit d'aucun repos : il fe nourrit de l'ambition ; l'envie le dévore, La fauffetc & la diiïimulation doivent for-mer la bafe de fon caraclere. Mon fils aura été élevé par la vérité & pour la vérité : elle aura été l'objet comme le moyen de fon édu-cation 5 ainfi il ne doit point paroitre à la Cour.

La Rohe fous fes larges plis peut aifément cacher tous les vices. Acheter le droit de rendre la juftice , c'eft fe procurer celui d être injufte impunément. Le recevoir du Souve-rain comme une marque de fa confiance, c'efc partager avec lui le crime de ibumçttve

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ù des formes incertaines , la vie 6c la for-tune des citoyens. S'il fe trouve un état régi par des loix aOèz fages pour prévenir toute erreur dans les jugemens, où le mérite feut & la vertu conduiront aux emplois , je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que mon Mis en devienne digne.

La médecine a comme Thémis un tribu-nal où la vie & le bonheur des mortels font fournis à des regies peu fures. Les Miniftres auxquels ces loix font confiées , n'ont pref-que jamais pour guides dans leur interpré-tation & dans leur application , ce jugement fain, ce défmtéreffement, ce dépouillement de préjugés , fans lesquels on s'égare. Un médecin également inftruit & ami de l'hu-manité , qui facrifieroit au plaifir de préve-nir les maladies , la fonâion lucrative de les guérir ; qui fauroit que fes devoirs fe bor-nent à rendre à la nature un individu qu'une vie faftice lui a enlevé, à écarter ce qui l'em-pêche d'agir & d'opérer la crife de laquelle la fanté doit renaître ; qui éloignant d'avance les maladies & n'ofant rifquer ces moyens violens , meurtriers à mille , & falutaires à un feui, n'auroit pas l'occafion de faire ces cures miraculeufes achetées par le fang d'un grand nombre de vidlimes ce Médecin fans cré-dit & fans réputation mourroit de faim avec la faùsfaclion intéiïeure d'avoir confervé à

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Tétat une infinité de fnjets obfcurs qui n'a-voient pas le moyen de fe Jairç tuer par les Médecins en vogue. Mon Kls préicrera cette honorable indigence aux richefiês qu'amaffe lté charlutanifme ; mais les lumières qui doi • vent diriger les pas de l'homme honnête dans cette carriere , font encore trop foibles pour qu'il tiçnne une marche certaine . . Les méprifes dans une matiere li importante ex-citeroient des regrets cuifans dans le cœur de l'homme que j'aurai formé.

Si la bonne foi regnoit parmi les hommes ; îi chacun ne confidéroit fes intérêts que comme faifant partie dç l'intérêt général, & ne cher-choit à fervir les premiers qu'en travaillant pour le bien de tous , l'homme honnête & fenfîbîe , ami de 1 humanité autant que le hen propre , aurok à choifir entre deux états qui peuvent conduire en même tems à la confi-dération & à la fortune ; la politique & le commerce. Mais mon lils ne faura point fe prêter aux bufîés intrigues, aux manœuvres fourdes , aux démarches menfongeres qui doi-vent fervir une ambition injufte , colorer des ufurpations , & fouvent contribuer à la ruine de plufieurs peuples pour fervir l'intérêt mal entendu d'un feul homme, les vues crimi-nelles ou les erreurs de ceux qui le con-feillent. H ne faura pas plus fe livrer à une Vie agitée fans celfe par la crainte des pièges

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D E F A M I L L K .

que I'aftuce tend fans cefîë à la bonne foi. Incapable d'être fripon , il feroit néceflaire-ment duppe. La politique & le commerce , ces deux carrieres fi féduifantes , lui feront donc fermées.

La Finance eft un moyen plus sûr de par-venir à la fortune, mais ce n'eft pas dans les richeflès que mon fis cherchera le bonheur. Je ne répéterai point les déclamations que l'on a vomies contre cet état. Elles ont pu être fondées, dans certaines circonftances. Il ne me paroit pas moins compatible au moins dans quelques parties , avec l'exafte probité & f extrême délicatefîè. Ce paradoxe eft peut-êtie celui qu'on aura le plus de peine à me pardonner Mais comment arrêter fui-foi le choix d'un Miaiftre , quand on n'a d'autres recommandations que fes talens , fes lumières & fon honnêteté .? Mon fils ne con-noitra pas d'autres moyens, d'autres protec-teurs. Il doit détourner fes regards & les fixer fur un autre point de vue.

Les fciences^ & les arts font fans doute, une fource intarilTable de plaifirs pour l'homme fenfé , le préfervatif de fa vertu , & le moyen le plus honnête d'acquérir de la fortune & ae la conlidération. Jufqu'à l'âge où les goûts de mes enfans pourront fe manifefter avec i appui de la raifon , ils acquerront ces con-noilfdnçes qui fervent debafe à tous les états

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où Ton doit fes fuccôS' à fon propre travail. Ce fera néceflairement diriger leur choix vers ce côté. Si la iiiauvaife fortune les force à defcendre du cran où elle les a placés en naiflant, ils ne rougiront point de devenir fimples artifans. C'eft là peut-être qu'on doit chercher le bonheur & la récompenfe de la vertu. Là il eft permis d'avoir de la probité & de la délicatelTë fans honte & fans reproche. Mon fils & ma fille ne feront pas direc« tement deftinés à cet état; mais j'aurai at-tention de difpofer leur façon de penfer & leurs études de maniéré à leur réferver cette reffburce fure & honnête.

J ' A I U N E F I L L E .

Si je ne confultois que la fortune & que cette confidération qui confifte dans les égards des autres , Sç que la vertu le plus fouvent ignorée & quelquefois même en butte au mé-pris , obtient rarement, fi peut-être je ne con-fultois que le bonheur intérieur de ma fille (fatale vérité) j'étoufferois en elle ce fenti-ment auquel on attache l'honneur des femmes^ ou plutôt j'empêcherois qu'il ne germât dans fon cœur ; je détruirois en elle la pudeur peut-être naturelle à fon fexe à un certain point , jç la rendrais indifférente fur le juge-

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» B F A M î 1, 1, K ^ «J

ment qu'un petit nombre de gens portent encore de ceux qui s'écartent des featiers de la vertu ; je laifferois iubfifter en elle dans toute fa force, l'empire de la nature qui a commandé aux deux fexes de fe rechercher l'un l'autre , je m'étudierois feulement à plier ce fentiment aux vues d'intérêt qui lui font li étrangères: je développerois en elle tout ce que ce fexe charmant a reçu en naiflant, de l'art de léduire ; enlm j'en ferois une courtifanne adroite. Je pourrois en la for-mant à cette profeffion , en tempérer l'odieux par toutes les vertus qui ne font pas incom-patibles avec les vices qu'elle a pour bafe., & les moyens les plus propres à y obtenir des fuccès. Fidele autant que peut l'être une courtifanne plus occupée des intérêts de fa fortune, que de ceux de fon cœur, jamais elle ne tromperoit fes amans. Mere tendre, tonne citoyenne , amie fmeere , elle auroit en horreur la fauffeté , la noire jalouiie , les baffes intrigues ; élevée ainfi & fe conduifant d'après les principes de Vhonnête homme , qui oferoit la méprifer l Accoutumée dès l'enfance à fe mettre au-deffus des préjugés, fans re-mords , fans inquiétude fur la bonté des principes dont fon ame fe feroit pénétrée eu même tems que fes organes fe feroient déve-loppés , que manqueroit-il à fon bonheur.4? Hiçn fans doute o,, Pourquoi donc n 'ai- je

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pu tracer ce tableau de fang froid 1 Pour-quoi ma main fe refufoit - elle à confier au papier un projet dont tout mon être eft ré-volté 1 Pourquoi me difois-je en l'écrivant, que j'aimerois mieux cent fois , voir ma fille réduite à l'état le plus vil dont la vertu n'eût point à rougir, que la voir jouir d'un bonheur qu'elle acheteroit au prix de fon déshonneur. Cette vertu, ce déshonneur ne font-ils pas purement de convention entre les hommes l Les talens d'une courtifanne ne font-ils pas pris dans la nature , comme ceux du peintre qui fait avec jufteffe & avec énergie en faifir l'imitation , du poëte qui en embellit la defcription; ou fi vous le voulez , de la nourrice qui lui doit le lait qu'elle tra-fique, du portefaix .qui fait commerce des forces qu'il en a reçues'] Qui a jamais fongé à taxer d'infamie, l'ufage que ceux-ci font des dons de la nature pour augmenter leur fortune.

'Si le métier de courtifanne eft regardé comme vil & infâme , il faut l'imputer aux vices dont la proftitution eft prefque toujours accompagnée. Expofée à la fociété intime de gens vicieux dont la contagion peut la cor-rompre infennblement ; éloignée des traces de îa nature parceque l'intérêt doit remplacer chez elle, de tendres fentimens ; la courti-fanne en général ne refpqûe ni l'opinion pu-

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blique, ni les loix de la focîété privée : elle porte fans remords le trouble dans les fa-milles; elle détourne le mari du lit conjugal ; elle diffipe le patrimoine des enfans & s'en-richit des prodigalités dujeune homme qu'elle a féduit &• à qui elle fait oublier fes devoirs , perdre k goût de la bonne focîété , &c. &c!

Mais j ai fuppofé qu'une courtifanne pou-voir avoir toutes les vertus de Phonnête homme, & en effet on en trouverait plus d'un exemple. Si les vices d'intérêt n'ont point abforbé en elle tous les autres fentimens , vous la voyez bien plus rapprochée de la nature que les femmes qui végètent fous le joug des con-ventions elle eft humaine & bienfaifante élit voudroit que l'humanité entiere parta-geai le bonheur dont elle jouit ; n'exiftant que par le plaifir, la vue d'un malheureux empoifonneroit fes jouiffances les plus déli-cieufes, & j'en ai connu plus d'une qui fans intérêt & fans amour , ont accordé leurs fa-veurs par compaffion pour les tounnens qu'é-prouvoit un homme trop vivement épris d'elles. Ces femmes ont fouvênt des vertus , j'ofe le dire , & ces vertus font d'autant plus pré-cieufes qu'elles font gratuites & fans préten-tion , & qu'elles ont toutes pour objet le bonheur de la fociété. Elles ont reçu fans cloute le germe de ces vertus dès leur en-fance êç dans leur premiere éducation. Ce

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germe a fruftifié &• s'eft développé, parce-que le plus fouvcnt ce font les préjugés qui l'étoufient. Le bien que Ton doit faire & qu'on ne fait cependant pas , détruit celui qu'on feroit porté à faire par une impulfion fe'tuirmntak*. Aufli n'étant jamais dominée par l'opinion publique , la courtilanne une ibis vertueufe, le fera jufqu'au dernier foupir.

Ce mépris de l'opinion publique efi; un crime de I eze-fociété : l'eftime de nos con-citoyens eft le prix de nos efforts pour con-tribuer au bien de la fociété à laquelle nous appartenons : ce prix eft purement de con-vention , la valeur en eft idéale ; mais c'eft

- Une des conditions fous lefquelles nous jouif-fons des avantages de notre réunion en corps de nation. Nous devons donc ne point cho-quer les préjugés reçus & généralement admis.

Pénétre plus que perfonne de ce principe , j'infpirerai a mes enfans , l'amour de l'honneur tel que la nature l'avoue & tel que les fo-ciétés l'ont fixé. Je ne propoferai point à ma fille l'exemple de Mademoifelle L. R. dont la vie a été plus heureufe fans doute que fi elle avoit été foûmife au .joug de l'hymen dont elle a goûté les plaifirs fans en excepter ceux de la maternité. Non , j'efpere trouver, un homme honnête auquel elle unira fonfort avec joie , pareeque fon cœur que j'aurai fur veillé aura dirigé & fuivi mon choix. Cet

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D E F A M I I , L E , ^

époux l'aimera parcequ'iî fera cligne d'elle: il l'aimera toujours parceque le principal ob-jet de l'éducation de ma iille aura été dirigé vers ce but. Si un époux vertueux fe trouve détourné par quelqu'écart, la vertu fous des dehors agréables ne peut manquer de le ra-mener bientôt.

L A F I N D E T O U T .

Quand l'éducation de mes enfansfera com= pîette, la nature n'exigera plus rien de moi , que de former de nouveaux corps avec les particules de mon corps décompofé. JMais je n'aurai pas encore rempli tous les devoirs que m'impofe la fociété , elle a inftitué pour chaque individu , des établilfemehs, c. à d. le choix des occupations par lefquelles il doit concourir au bien commun. Je dois encore conduire mes enfans jufqu'au moment où ils fe feront fournis' à cette loi.

J'attendrai enfuite la mort fans la defirer ni la craindre ; ce fera la fin de mes plai-lirs , mais aulii le terme de mes peines. Pé-nétré de cette vérité que mon exiftence en s'anéantiffant remplit une des loix les plus déterminées de la nature, & rend à la circu-lation de la matiere, des particules néceffaires ,-à la formation d'autres êtres, je me foumets

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4 8 R A V E R I E S D J U N P E R M

fans murmurer. Les mêmes caufes auxquelles j'ai dû toutes les jouiflances de la vie , né-ceffitent ma fin. L'exiftence & la mort, le bonheur & les peines, tout eft attaché au même fil ; il faut porter tout à la fois. Mais fi la fomme des maux furpàfîant celle des biens, cette charge nous feruble un fardeau dont il nous feroit avantageux de nous délivrer, gardons nous de nous livrer il cette idée contre nature. Je trouve qu'on a déjà beau-coup déraifonné fur. le fuicide , je vais peut-être le faire à mon tour.

La raifon n'eft chez nous qù'uil inftinft dégénéré ; l'expérience prouve qu'elle nous égare fouvent, tandis que l'inftinft des ani-maux les conduit en général par Une route fure au plus grand bonheur dont il leur effc permis de jouir. Si l'on admet ce principe, on s'attachera avec foin à conferver ce qui nous refte de cet inftinft précieux que nous travaillons journellement à détruire. Cet in-ftinét nous avertira le plus fouvent de ce qui nous convient ; je pouffe cette opinion jufqu'à croire que nos goûts & nos répugnances toutes les fois, qu'ils ne font pas altérés & détournés par des caufes étrangères , nous indiquent les alimens , fouvent même les mé~ dicamens qui nous font convenables.

Nous ne pouvons pas croire que la nature ait un intérêt différent du nôtre , & nous ne

devons

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to E F A M ï L L K,

devons pas penfer que nous puiffions nous bien trouver de troubler l'ordre qu'elle a établi, & qui nous a fait jouir de tant de biens. Il eft au - defius de notre intelligence fans doute de fentir quel bien ou quel mal il doit réfulter pour nous , de continuer une vie malheureufe , ou de la terminer par une mort volontaire; mais cet infiindt qui ne nous a jamais trompés , qui infpire à tous les êtres vivans l'horreur de la mort ; ne devons nous pas nous livrer encore avec confiance à fon im-pulfion & la relpedter , lorfqu'il nous porte à prolonger nos jours le plus qu'il eft poffible 1 Tel homme a cru en renonçant à fon exiftence, abréger le cours de fes peines , à qui peut-être il ne reftoit plus que des biens à éprouver.

D'ailleurs foyons juftes ; pouvons-nous avec équité imputer à la nature , ces maux dont nous nous plaignons 1 Ils font tous f ou-vrage de l'abus continuel de notre raifon ; que l'on n'aille pas m'objefter que tout ce fl'-1^ exifte étant dans la nature <, cet abus y eft également. N'eft-ce pas à nos débauches ou a celle de nos parens , au choix ridicule de nos alun ens 5 a nos habitudes pernicieules à l'ufage des uftenciles meurtriers par les-quels nos meres ont eu leur conformation dérangée , ou que nous employons à mutiler nos enfans , à YHnjàluhnti de nos habitations &c. &c. qu'il faut attribuer le dérangement

D

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GO R Ê V E R I E S D ' U N P E R E D E F A M I L L E .

de notre funté , & les maux phyliqùcs qiy nous font haïr la vie. Quant aux peines de l'efprit, je n'aibefoin d'entrer dans aucun détail pour prouver qu'elles ne font point dans la na-ture. Soumettons nous donc aux punitions que nous avons méritées, efpérons même que cette bonne mere , fi nous retournons dans les bras, fi nous nous abandonnons à elle, ap-portera quelque foulagementà nos peines. Cet efpoir ne fauroit gueres être déçu : il a été le mien, il m'a foutenu ; je lui dois déjà des confo-lations , & je doute que les peines de toute ef-pece qui peuvent accabler une ame honnête & fenlible , fe foient jamais réunies en plus grand ilombre fur un autre être que fur moi. Les feuls maux qui me foient inconnus, ce font les re-mors ; mes intentions au moins ont toujours été pures, le tourment d'une confcience char-gée eft , felon moi, le feul auquel il foit peut-être permis de n'avoir pas la force de rélifter.

Dans des circonftances où le fuicide m'eût été peut-être licite aux yeux de certains philo-fophes, les motifs que je viens d'expofer, ont feuls retenu ma main. Si le refpeft filial que nous devons à la nature & aux conditions aux-quelles elle nous a permis de vivre jufqu'à ce moment, ne fuffit pas pour arrêter une main fuicide , je ne connois rien qui puiffe balancer aux yeux d'un célibataire pourfuivi par le fort, la fatisfaftion d'être délivré des peines fous lefquelles il gémit,

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F R A G M E N T

E T

m é l a n g e s .

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F R A G M E N S

E T

M É L A N G E S ,

S U R L ' E D U C A T I O N .

Xy"x O U s exigez , M. le Comte , que dans ^'xxa u n e courte lettre , je vous développe mes idees fur une matiere que d'habiles écri" vains n'ont pu éclaircir dans des milliers de volumes. Mes opinions fur l'éducation font fort différentes de celles qui font le plus gé-nér alement adoptées: vous me faites entrer avec une légere cuiraffe & une lame fragile, dans une lice où m'attendent de robuftes Chevaliers armés de pied en cap , & agitant leurs lances redoutables.

Quelque jour peut-être , me préfenterai-je dans cette carrière avec des armes conve-nables. J'ai déjà dans plufieurs écrits , ha-

^zaïdé fur Véducation , des principes appuyés fur des faits , des raifonnemens fondés fur l'expérience, une façon de penfer confirmée

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5 4 S U R . L ' É D U C A T I O N .

par des exemples , mais qui n'en ont pas moins trouvé des contradifteurs. Mon at-tention en ce moment eft détournée de cet objet par des occupations d'un genre tout différent; je ne puis que vous offrir dans cette lettre , quelques réflexions découfues , mais que je ne crois pas avoir encore été faites par les philofophes qui le font occu^ pés de cette importante matière.

L'objet de l'inftituteur eft de former un homme abfolument fafcice, comme celui du médecin eft de rendre au malade une fanté artificielle. C'eft un grand malheur fans doute que cette néceffité ; il faut s'y foumettre : dans les deux cas on ne peut que le dimi-nuer. L'homme moral comme l'homme phy-fique dans l'état de ciyilifation, eft ce que les ufages & les conventions l'ont fait. Dans l'un , les exemples , les préjugés & les loix, ont détruit l'heureufe influence de l'inftindl naturel qui nous porte au bien & à la vertu par intérêt perfonel :• dans l'autre , les ali-mens , les habitudes & furtout le ridicule defir de corriger la nature, ont afFoibli les organes , changé la conformation , altéré les humeurs qui compofent notre conftitution. — J'interromps ce parallèle qui trouvera place ailleurs.

J 'en reviens à mon fujet & je ne veux parler que de l'éducation morale. L'éduca-tion phyfique eft toute contenue dans cette

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maxime : laijfeT, agir la nature, ne la contra-ne\ jamais ,• n^Jpére^ pas mieux faire qu'elle n'a fait.

Cependant cette éducation phyfique eft la véritable bafe de l'éducation qu'on appelle morale. Un enfant mal conftitué, qu'on aura mutilé & dont les organes auront été altérés par ces funeftes méprifes qui font prefque géné-rales dans les fociétés policées & dont les Socié-tés les plus fauvages ne font pas exemptes ; un tel enfant, dis-je , fera toujours un mauvais fa-jet, pour l'inftituteur comme pour le médecin.

L 'enfant eft en naiilant une cire molle , propre à prendre toutes les formes , toutes les impreffions. C'eft pour ne s'être pas bien entendus , que des philofophes éclairés qui ont écrit en ce fiecle fur cette queftion, n'ont point été d'accord. Au phyfique & au moral c'eft une affertion vraie , mais elle ne doit point être prife à la rigueur.

Cette cire molle ceffe bientôt d'être facile à manier. L 'enfant eft une pierre tendre qui fe durcit promptement à l'air ; une eau lim-pide qui fe colore facilement, un ofier flexi-ble auquel le premier effort imprime une cour-bure : cette confiftance cette couleur , cette courbure donnent leur empreinte à toutes les modifications qu'on eflaie d'y faire fuccéder.

De ces premieres impreffions, quand elles eontredifent la nature , réfultent tous les dé-

D IY

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fordres phyfiques qui affligent 1 humanité , & ceux qui la deshonorent au moral. Les uns font prefqu'irrémédiables ; les derniers , en s'y prenant à tems , peuvent être cor-rigés.

La conftitution naturelle ou faûice des pa- reus , leurs ufages, leur façon de vivre , la difpofidon de la mere dans le moment de la conception , fa conduite dans fa grolfefle, & fa conformation plus ou moins altérée par la forme ou l'emploi des moules où , en gér néral, on mutile ce fexe malheureux , les alimens auxquels on aura forcé fon eftomac à s'accoutumer dès l'enfance, & la nature plus ou moins viciée de fes humeurs, qui en fera réfultée &c. &c., donneront à l env fanl qui proviendra d'un mélange de deux conftitutions fouvent oppofées, des organes foibles ou robuftes, difpofés par leur forme à donner aux humeurs une qualité plus ou moins acre , à établir entre leurs différentes efpeces , telle ou telle autre proportion. Il devra à ce concours de circonftances, des fibres épaiffes ou déliees, roides ou élafli-ques ; enfin il fera d'un tempéramment fan-guin , ou d'un tempéramment bilieux , il naî-tra fans imagination , ou avec ce qu'on peut appelle? de l'efprit naturel. Ces deux ma-niérés alternatives d'être en naiffant, offrent une infinité de variétés 2 de modîiîcatîpns,

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S U E . I / ' É N U C A T I O N ,

de différences réfultant du plus ou moins , ou de leurs combinaifons ; mais c'eft envain qu'on s'efforcera de prouver qu'Un enfant nuit pour la vertu, ou pour le crime, pour i'étude ou pour la fainéantife.

Diftinguons cependant : telle difpofition d'OTganes efi; plus propre à former des hom-mes vertueux & telle autre à concevoir & à exécuter le crime. C'eft ici que la vérité peut paroitre un paradoxe étrange. Les hom-mes foibles , fans énergie , d'une conftitution délicate même, font plus propres à recevoir les impreffions des mauvais exemples. L'hom-me jamais ne fe porte au crime fans un in-térêt preffant : les avantages du crime doivent être plus forts que fes dangers , que fes in-convéniens ; fans cela il n'y auroit point de criminels. Ils doivent au moins paroitre tels aux yeux de celui à qui l'occafîon fe pré-fente avec des attraits. L'homme foible ne réfiftera point à 1/empire de fes paffions qui lui confeillent le mal : quand il aura fait un pas , il regardera fans doute derriere lui ; il y verra' pour lors un précipice affreux. ïl con-fommera le crime , il l'exécutera avec un cou-rage dont on ne l'auroit pas cru capable; il lui en eût fallu davantage pour reculer.

L'homme vigoureux réfifte d'abord; il examine , il réfléchit ; il le peut puifqu'il eft moins facile à çntrainer. Si une éducation

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I^S S u r . É D U C A T I O N .

biea dirigée , un jugement fain qui ne fc trouve qu'avec des organes lains, ii l'habi-tude des bons exemples lui ont fait concevoir & fentir les avantages de la vertu ; le crime lui fera horreur parcequ'il prendra le tems de l'envifager. Il fera d'abord vertueux par réflexion , & enfuite par fentiment ; i r ne cédera jamais à fes pallions fans les com-battre , & il pourra les vaincre quand des organes robuftes feront plies à de bons prin-cipes par la force de l'exemple.

Mais , à la vérité , cet homme une fois: criminel, exécutera les plus grands crimes avec une audace , une férocité dont peut-être l'homme foible feroit incapable. Il fau-dra pour cela qu'une mauvaife éducation quoique quelquefois dirigée vers le bien , lui ait laiffé ignorer les avantages de la vertu, ou que de mauvais exemples lui ayent per-fuadé que le crime pouvoit être heureux. Alors ce fera un Cartouche ; le foible fera un De. Rues: mais celui - ci eût été incorri-gible , & Cartouche dans l'adolefcence encor , pouvoit être ramené au bien , être fenfible à l'amour de la gloire qu'on peut acquérir par l'honneur & par la vertu.

La crainte des peines éternelles ne retient perfonne ^ celle des punitions infligées par les hommes , retient peu d'efptits per* vers : & ce n'eft point en général, fur les

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S U R . L ' E D U C A T I O N . 5 G

lioramcs foibles que ces craintes font impref-fion. Pour s'y livrer il faut réfléchir ; l'homme fpible ne réfléchit plus quand il eft entrainé par la paflion. Plus acceflîble au préjugé , l'amour-propre, s'il eft excité par un com-plice , lui fera alors braver des dangers qui ne lé préfentent que dans l'éloignement, tandis que l'humiliation attachée au défaut de cod-rage , le menace dans l'inftant, s'il balance : car la honte de paroitre un homme foible eft la maladie de tous ceux qui le font, & en général le mal préfent, le danger aftuel, font les objets feuls capables de les émou-voir

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6 O C O M P A R A I S O N D E L ' H O M M E

S u n LA COMPARAISON QU'ON PEUT FAIRE DE

L ' H O M M E AVEC LES AUTRES A N I M A U X .

L'homme a fait un étrange abus de fa raifon quand il a voulu fe juger & s'appré-cier lui-même ; s'il eft le Roi des animaux , comme il avilit fes fujets qui le font lubiifter, à qui il doit l'exiftence & toutes les jouif-fances dont elle eft fufceptible ! Ne pouvant s'élever fans être averti de fa foibleffe , & remis à chaque inftant par la nature au rang-qu'il veut laifler au-deffous de lui, il a cherché, en rabaiffant les autres animaux , à aug-menter la diftance prefqu'imperceptible qui ie fépare d'eux. Il a dit que Dieu l'avoit fait à fan image , après avoir lui-même fait Dieu à la fienne ; & ces animaux qui réuniffent en plufîeurs efpeces différentes , les facultés qui diftinguent l'homme , il les a reniés pour fes femblables. Il n'y a eu que la divinité qui pût être pareille à l'homme ! La parole , li on ne la confidere que comme la faculté d'articuler à volonté des fons difrérens , tous les animaux ne l'ont-ils pas ? L'art de fe vêtir, de fe procurer un abri contre les intempé-ries de l'air ; les animaux qui en ont befoin , ne le partagent - ils pas avec l'homme ? LH nature qui ne fait rien de fuperflu, l'a re-

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A V E C L E S A U T R E S A N I M A U X . 6 1

fufé aux animaux qui ont reçu d'elle en naif-f a n t , un vêtement commode & approprié à leur conftitution & à leur tempéramment, avi climat ou ils doivent vivre & mourir * ceux-là ne Pont pas , dont le fang eft doué d'un degré de fluidité lufîifant pour que le jeu des organes ne foit point dérangé par l'impreffion de l'air extérieur , ou dont Fha-bitation exclufive peut tenir lieu & de lo-gement & de vêtement. L'homme femble deftiné à habiter tous les lieux, à être ex-polé à toutes les impreffions extérieures ; & l'obligation de s'en garantir , eft fans doute une imperfeftion qui le met à cet égard, au-deffous de certains animaux. L'art fi effén-tiel de fe procurer des alimens , eft donné à tous les animaux : celui qui y eft le plus fbt & le plus maladroit, c'eft l'homme. Dans l'état fauvage, il ne fait que tuer & detruire : s il faut combattre , il eft fouvent le plus foible & il a befoin d'un long exer-cice pour apprendre à s'emparer par adreffe , de la proie qui lui échappe fouvent : dans 1 état ae civilifation , combien d'hommes meu-rent de faim & que les autres ont de peines & de foins à fe donner ; par combien d'in-quiétudes , de lueurs & de mortifications ils achètent une nourriture amere ! & cette nour-riture , que chaque animal, excepté l'homme, fait chojfir avec tant de fagacité, n'eft pour

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Ô Z C O M P A R A I S O N D E L ' H O M M E

l'image de Dieu, qu'un mélange de poifbns divers qui rapprochent le terme de la car-rière après l'avoir femée d'infirmités , de ma-ladies & de tourmens. Les aifances & les commodités de la vie , on les trouve funs doute dans le milieu des villes où les hommes ont raffemblé ce qu'à force de réfléchir, ils ont imaginé mériter ce titre : mais quel efl l'animal qui n'en jouit pas mieux que lui 1 C eft celui feul que l'homme trouble dans cette jouiflance : la Taupe dans fa fimple demeure , eft mieux mille fois que la petite-maitrefle dans fon boudoir : & la maifon que fe bâtit le Caftor, eft plus commode pour lui que le magnifique palais où cent moyens infruftueux font employés pour réparer une premiere faute à laquelle chacun de ces moyens en a fait fuccéder une autre qu'il a fallu réparer. L'homme dans fes inventions pour fe procurer les commodités de la vie , n'a fou-vent fait qu'un cercle vicieux de maux vo-lontaires & de remedes mal appliqués. Cette premiere faute, c'eft de s'être accoutumé à regarder l'air extérieur comme tin mal, les loix de la nature comme un fardeau & l'or-dre qu'elle a établi comme p.n mauvais ar-rangement qu'il faut rectifier.

Ce parallèle pourroit être pouffé très loin ; je fuis homme , il me fait rougir. Un mot feulement fur une corde bien délicate pour

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A V E C L E S A U T R E S A N I M A U X . 6 ^

fon orgueil. C'eft de la penice que je veux parler. L'homme e f l , dit-il, le feul être ca-pable de concevoir des idées. Mais qu'eft ce que porter un jugement fi ce n'eft com-parer pluiieurs idées Les animaux qui ne font pas l'homme , ne portent-ils pas des ju-gemens 1 Ces jugemens ne font-ils pas plus furs & fouvent plus raifonnables , s'ils ne font pas plus raifonnés, que ceux de l'homme 1 Les exemples me rendroient trop prolixe ; mais qu'on obferve de bonne foi les ani-maux qu'on appelle bêtes , expreffion que j'ai évitée parcequ'on lui fait fignifier au iiguré précifément le contraire de ce qu'elle ex-prime felon moi ; qu'on fuive leur conduite relativement même à la nôtre envers eux; & l'on fera forcé d'avouer qu'elle eft plus conféquente, plus conforme à leur intérêt & plus analogue aux circonftances que la nôtre ne l'eft prefque toujours; qu'enfin ils jugent , ils raifonnent & j'ofe dire, ils pen-fent plus fenfément que nous. îls ont indu-bitablement la faculté d'exprimer leurs pen-fées , de fe les communiquer entr'eux : mais d'un genre à l'autre , comme d'eux à nous , c'eft impoflîble. Un oifeau a le droit de nous traiter de brutes , parceque nous imitons fon fifflement comme un perroquet prononce quel-ques .mots , mais nous ne pouvons pas en comprendre le fens, plus qu'il n'entend ce

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6 4 C O M P A R A I S O N D E L ' H O M M E

que fig nine nt nos exprelfions bizarres. Un chien & un taureau ne s'entendent pas da-vantage que l'homme ne comprend les dif-cours de l'un & de l'autre. Nous apprenons les langues des autres hommes , parceque les befoins, les relations, les goûts , les lènfa-tions de tous les hommes étant à peu près les mêmes, leur intérêt portant fur des ob-jets femblables & leurs façons de voir & de fentir étant pareilles parcequ'ils ont des or-ganes de même conformation , leurs expref-fions ont des principes , des motifs & des rapports communs : mais ces rapports entre les differens genres d'animaux font trop éloig-nés ; les efpeces ou variétés feules peuvent fe rapprocher entrelles & s'entendre comme fe propager les unes avec les autres. Les ani-maux qui ne font pas de notre genre , ont même fur nous cet avantage qui femble dé-noter en quelques occafions une intelligence plus fine : ils nous devinent & prefque tou-jours nous nous méprenons fur ce qu'ils veulent nous faire entendre . . . . . .

SUIÎ

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S U R L E S U I C I D E ,

L 'amour de la vie efl indeftruftibîe en nous: un égarement de l'imagination peut feul nous Paire envifàger comme meilleure une autre condition que celle de vivre. Je ne comprens pas comment en prêchant l'amour de la vertu pour elle-même , & pour le bien feul de l'ordre focial, certains philofophes ont pu ne pas fentir que l'amour de la vie dans chaque individu , doit exifter également pour le bien de l'Ordre général & naturel des chofes. De même que chacun doit régler fes aftions d'après les principes de l'honnêteté, pour concourir au bien de la fociété dont il recueille les avantages; il lui eft également interdit de troubler l'ordre de la nature, le grand maitre dé tout, en hâtant l'inftantoù les caufes ordinaires qu'elle a établies met-tront fin à fon exiftence. Un crime de Leze-nature eft-il moindre aux yeux du philofoplie • qu'un crime de Leze - fociété : d'ailleurs le filicide ne doit-il pas être mis au nombre de ces derniers ^ Lliomme vertueux fans intérêt, fans confidération des peines* & des récompen-fes, enfin tel que la faine philofophie 1 exige „ doit donc également conferver fon exiftence, lans s'arrêter aux motifs qui peuvent lui faire aimer ou haïr la vie, E

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6 6 S U R L B S U I C I D K .

Je ne faurois regarder le fuicide en gé-néral , comme un a&e de force & de cou-rage : il y en u fans doute dans l'aftion d'un homme qui affuré de jouir chez lui, nu fein de fa famille ^ de tous les agrémens de la vie , oublie tout pour fon devoir & relie fans effroi devant une batterie qui porte la mort à fes côtés, dans l'efpoir que ce dé-vouement de lui-même peut être utile à fa patrie; j'ajouterai même dans la crainte de charger fes cnfans de la tache de fon déshon-neur , car la valeur n'exifle pas dans le mo-ment où il s'arrache à fon repos , pour cou-rir à fon régiment : je la trouve dans l'inftant où ému par le danger préfent, il ne fait pas le ferment de toi^t abandonner dès qu'il le pourra, pour conferver fa v ic&lajouif -fance des biens qu'elle lui promet.

Mais celui qui eft accablé fous le faix de rindigence , dont mille maux renouvellent les douleurs à chaque inftant, qui a l'ame dé-chirée par de violens chagrins , à qui des pri-vations irréparables ont rendu la'vie à charge & qui n'efpere pas de recouvrer jamais le bonheur ; celui-là ne fauroit être attaché à l'exiftence que par l'inffinél naturel, & cet inftinct, tout concourt à le détruire ou du moins à l'affoililir dès l'inftant de notre naif-fance. D'ailleurs , accoutumés à ne confidérer la vie phyfique que comme une portion de

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S up . LE S u i c i d e . 67 notre exigence que nous faiibns confiftel,

fouvent en majeure partie , dans diverfes jouiffances de convention que nous avons pour ainli dire, identifiées avec elle ; l'objet de cet inftinft , notre exiftence , efi; plus qu'à moitié détruit, quand nous fommes déjà pri-vés de ces jouiffiinces. Il en coûte donc bien peu à l'homme abfolument malheureux pour combattre ce qui peut refter dans fon coeur 5

de cet amour naturel de la vie. Ajoutons à cela qu'un inftant feul fuffit pour exécuter la volonté de fe tuer. Un coup de piftolet part ù l'inlhmt même où , dans un combat qui dure quelquefois longtems, la nature fe trouve avoir le deffous , & l'irréfolution eft ainfi terminée par un acte qui donneroit peut-être des regrets fi alors on étoit capable.

Celui qui s'arrache la vie après avoir mûri longtems ce defîein pris une fois avec fer-meté , eft ou entraîné par l'empire d'une idée prédominante qui a détruit la réflexion en même tems que tout fentiment naturel, ce qui eft une efpece de folie alfez ordinaire chez les hommes, tel qu'en foit l'objet ; ou il eft un homme très courageux. Ce dernier cas, je le répété , eft exceffivement rare. L'homme honnête qui ne peut furvivre à un inftant de foibleffe qui l'a déshonoré aux yeux de fes con-citoyens aveuglés par les préjugés, en fournira l'exemple. Je compare fon courage à celui d a militaire dont j'ai parlé, E ij

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S U R L A M E T A P H Y S I Q U B .

Croyez moi , mon ami, renoncez à cette fublime mëtaphyfiqùe , où l'imagination joue le premier & peut - être l'unique rôle. Les efforts de l'efprit humain pour s'étendre au-delà d'une fphere étroite , que la nature même lui a circonfcrite , me paroifîentfem-blables à ceux qu'un vieillard décrépit feroit pour propager fon efpece : étendu fur fon grabat , il doit fe Confoler de l'infuffifahce de fes forces & chercher des pîaifirs propres à fon âge. Il en eft encore pour lui : l'homme dans l'exercice de la penfée , telle bornée que foit fon intelligence , a de même un champ affez vafte à défricher : toutes les connoiiTances qui font à notre portée , ne font point acquifes ; il eft des obfervations à fuivre, des découvertes à faire , des erreurs à rectifier, fans quitter le Tender où la na-ture nous commande de ramper. Il nous con-duit peut - être à ce b u t , où vous voulez vous tranfporter tout à coup avec les ailes d'Icare. L'homme foible, infirme ou valétudi-naire , condamné à attendre la mort dans fes foyers, ne doit point defirer de voir les rivages à'Otakiti. Il n'y parviendra jamais à moins qu'un ange pu une fée ne lui ftffent tra-

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SUR. LA M é t a p h y s i q u e . 69 verfer en un inftant la vafte étendue des airs. Echauffé par les récits de Ccok & de Bcu-gain-ville , un fonge lui offrira peut-être une image trompeufe de ce fejour : telles feront, mon ami, les illufions qui feront enfantées par vos méditations profondes.

La vérité feule eft , felon moi, digne de 1 homme : j'ai tout facrifie à ce principe , même l'eftime de certaines gens ; & l'eftime générale eft cependant d'un grand prix à mes yeux. Que d'autres admirent ces fublimes traités ou la nature de Dieu & celle de l'ame font foumifes aux chétifs raifonne-mens d'un auteur enthoufiafte ; je l'ai in-terrogé dans fes propres écrits ; je l'ai furpris mentant à fa propre confcience. C'eft un im-pofteur qui ne mérite pas la peine d'être démafqué, ou un fou dont il n'eft peut-être pas permis de s'amufer. Les romans méta-phyfiques font les plus dangereux de tous. J'aime les ouvrages d'imagination , où les fcenes & les événemens poffibles font tracés à l'avantage des mœurs : ce font des leçons d'expérience, elles apprennent à la dévancer ; mais je profcris les contes des fées, les gé-nies , les enchanteurs & les rêveries des plus célèbres métaphyficiens.

Nous n'en fommes pas encore venus au point de pouvoir raifonncr fur les matières qui font du reflbrt de cette partie de la mé-

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j ' o S U R . L A M É T A P H Y S I Q U E .

taphyfique dans laquelle vos idées s'ubforbent. Bien des tiecles s'écouleront avant que les obfervations en muriflant nos idées , en éta-bliflant des dégrés folides, fur lefquels elles s'élèvent peu à peu , les rapprochent de l'ob-je t , vers lequel la vanité de l'homme dirige fans ceifé fes regards. Une révolution nous remettra peut-être alors, au point où nous fommes, à celui peut-être où nous étions il y a deux cens ans. C'efi; ainfi que la bar-barie a fuccédé aux lumières du lieele d'Au-gufte , c'eft ainfi que les châteaux de cartes élevés par les enfans , font par un fouffle, réduits ù l'état de matériaux informes avec iefquels ils conftruiront un nouvel édifice qui fera détruit de même ; c'eft ainfi que s'é-vanouiifent de longs travaux, lorfque la mort furprend un lavant dans la recherche d'une vérité , d'une démonftration. Telle eft , mon ami, la condition de l'homme ; il faut s'y foumettre fans murmurer , & fe confoler quelquefois avec le bon Horace. Aimons nos femmes , nos enfans , nos devoirs , les plai-firs honnêtes, & ne nous prêtons aux Ulu-lions , que quand nous pourrons, à notre gré, regarder derriere le rideau , & avertir les fpeftateurs, du fecret de la comédie.

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S U R L ' E N T Ê T E M E N T .

Il me femble que ce défaut fournit l'un des plus forts argumens que l'on puiflè employer en faveur du matérialifme. ( * > L'entêtement, c'eft-à-dire , l'obllination aveugle qui em-pêche l'homme entêté de fentir la force des raifons par lefquelles on combat l'on opinion , même de les écouter, n'efl autre chofe, que la roideur des fibres de ion cerveau qui ayant une fois pris un pli, s'étant difpofées pour certaines vibrations , n'en fauroient éprouver d'autres , quand même on cherche à les ébranler en fens contraire. On peut remarquer en efFet que les raifonnemens les plus folides & les plus perfua-fifs par lefquels on eflaie à faire revenir l'entê-té, de la faufle idée à laquelle il s'eft abandonné, ne fervent qu'à l'y confirmer davantage, com-me les coups de fouet que l'on donne ù un che-val pour le faire aller en avant, s'il a le défaut de reculer , le font reculer davantage encore. Pour prendre une comparaiibn plus rappro-chée de mon principe , fuppofons un bâton qu'une force fuSfante , une forme , par exem-ple , qui lui a été imprimée peu-à-peu par l'édu-cation de l'arbre qui l'a produit, ont rendu cir-

(*) Je n'entens ici par Matérialifme que l 'opinion qui combaS l 'exifteace de l 'ame.

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^ A S U R . L ' E N T Ê T E M E N T .

culaire , en fpirale ; plus vous chercherez à le redrefler, plus vous le tirerez en long, plus vous exciterez Pélafticité de fes libres, plus elle les ratnenera à la difpofition, ù la forme circulaire à laquelle ils fe font accoutumés, & pour par-ler plus ftriftement, à laquelle les porte la ftruéture qu'ils ont acquife avec la croiflance. C'eft ainli que les préjugés de l'éducation ,une longue habitude de faux principes , ayant une fois mené l'homme dans une faujTe carricre de réflexions, tout ce que l'on fera pour le remet-tre dans le fentier de la vérité , ne femble pro-pre qu'à l'en éloigner davantage. Il faut du moins prendre patience, & c'eft entreprendre une befogne longue. Pour redreffer l'arbre dont nous avons parlé plus haut, on doit recommen-cer fon éducation. S'il eft d'une fubftance molle; lî fes libres ne font pas d'une coniiftance trop dure , foit à raifon de l'âge , foit de la nature de fon bois, on pourra encore le redreffer avec le terris & petit à petit : encore il eft rare qu'on parvienne à détruire toute trace de fa premiere courbure.

De même l'homme né avec de l'efprit natu-rel , c'eft-à-dire , avec des fibres fines, déliées, d'une nature élaftique , peut avec le tems & la patience ^ être ramené à la raifon, à la vérité.

Qui ne voit dans tout ceci une opération pu-rement méchamque, dans l'homme comme dans l'arbre 1

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S U R LA P O P U L A T I O N .

On fe moqueroit de deux Princes qui en entrant en guerre conviendroient mutuelle-rnens ae ne point faire ufage d'armes meur-trières : s'il falloit fe battre à coups de poings , on ne trouveroit point d'officiers , & peut-être peu de foldacs. Cependant !es combats fans doute feroient moins révoltans aux yeux des hommes humains (*) & fen-fibles ; il me femble qu'il y auroit plus de gloire à fervir un Prince à qui le fang de fes fujets lëroit cher & à fe diftinguer dans une guerre dont les fuccès dépendroient en plus grande partie de l'habileté des chefs & de la fagelfe de leurs difpofitions. Je ne parle pas de la diminution des rifques ; on me regar-deroit comme Tapôtre de la poltronerie. Eh bien , s il falloit même après une guerre fem-blable , jouer fa vie à pair ou non , je pré-férèrois y fervir } que d'être obligé vingt fois dans une Campagne, de porter la mort autour de moi avec un fang froid qui déshonore l'humanité , de recevoir fur mes habits fans la moindre démonftration de chagrin ^ les entrailles de mon ami déchiré près de moi par un boulet deflruéleur & fouvent de le

(*) Malheiueofemeut ceci n'eft point im pléonaline.

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^ 4 S U R L A P O T U L A T I O N .

fuire écrafer parles pieds des chevaux, quand il eft encore plein de vie j pour ne pas dé-ranger le bel ordre d'une ligne de bataille.

Je fuis toujours étonné qu'après une cam-pagne meurtrierè, un Prince qui voit fes états dépeuplés, ne s'occupe pas fortement de rendre à l'humanité , à fa propre puif-fance , les hommes qui ont été facrifiés à fa paflion ou à fa mauvaife politique , par l'im-péritie de fes Généraux ou , je le fuppofe même , pour le foutien d'une bonne caufe. Ce Prince a bien pu violer les loix naturelles par tous ces meurtres ; & des réglemens de convention entre les hommes, des loix qui dépendent de fon autorité, font , pour faire le bien de fes états , un obflacle qu'il ne peut furmonter. Pourquoi ces troupes vaillantes , qui ont fi bien fervi dans les champs de Bel-lone , ne feroient-elles pas à la paix envoyées pour moiifonner dans ceux de l'amour 1 Je voudrois qu'elles parcouruflent toutes les pro-vinces du royaume pour confoler les pauvres femmes dont la guerre a fait autant de veuves, pour les rendre fécondes, celles auffi qu'un ma-riage mal afforti rend ftérilcs , les filles même qui ne trouvent point d'époux . . . . Mais mon zele m'emporte trop loin. . . Un impôt fur les célibataires , ne feroit-il pas établi avec juftice pour le foulagement de ces nouvelles mer es,, & l'éducation de ces enfans de l ' é t a t . . . . .

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D E L A P É D É R A S T I E .

Les vices odieux de ce genre , font en-core une fuite néceflaire des inftitutions fo-ciales. L'occupation confiante du légiflateur doit être de chercher des remedes-aux maux réfultant des conventions que les hommes ont faites contre le vœu de la nature. Les corps ou les clalfes d'hommes à qui le com-merce des femmes eft interdit ou impoffible , font nécefïairement livrés à ces défordres honteux dont rougit même l'extrême dépra-vation. II eû peu de célibataires par état, de marins , de très jeunes gens qui n'ayent à s'en reprocher de l'une ou de l'autre ef-pece. Souvent ils dégénèrent en habitudes qui détruifent le feu facré dont, chaque fexe eft enflammé pour l'autre & qui rendent l'in-fortuné qu'elles fubjuguent, inhabile à la plus noble des fondions phyfiques. C'eft un grand mal auquel on ne penfe point affez. Il ne feroit peut-être pas difficile de l'extirper ou d'en arrêter au moins les progrès.

Les alirnens dont on nourrit les enfans, les difeours qu'ont tient devant eux , les plai-lanteries qu'on leur adrelfe , les ufages de la fociété auxquels on veut les former de bonne heure , tout concourt à accélérer dans la jeu-

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f 6 D a L A P É D É R A S T I E .

nefîe , Texplofion de cette flamme divine , dont on lui défend de fe laifler embrafer. On excite par tous les moyens l'adlivité de ce feu intérieur , lors môme qu'on veut le foumettre aux loix de la chafteté la plus ri-goureufe. Le jeune homme qui a été afléz heureux pour ne pas enfreindre ces loixjuf-qu'au moment où il jouit de quelque liberté , court alors dans ces endroits infâmes , où l'homme qui perife , allez foible pour s'y lailfer entraîner , éteint fes feux dans les dégoûts , au lieu des jouilfances qu'il y cherche. Tranf-porté d'un bonheur illufoire , l'adolefcent fans expérience y erapoifonne les fources du plaifir dès le premier effai qu'il en fait : la corrup-tion s'infinue dans fon cœur , en même tems que le venin redoutable dont il n'a point encore d'idée , pénétré dans fes veines : ne pouvant fatisfaire dans le féjour du vice , un fentiment que la proffitution anéantit, il court fans ceife après la fatiété que fuit bien-tôt l'épuifement : il détruit fon exiflence avant qu'elle foit développée. Ses premieres jôuif-fances amoureufes , font une méprife comme fes premiers pas dans prefque toutes les car-rières. Ce font ces méprifes , par lefquelles on débute dans le monde, qui multiplient les vices comme les maux phyfiques de l'hu-manité.

Une autre méprife plus fâcheufe encore}

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D B 1 L A P É D É R . A S T R E .

celle dont je me propofe de parler ici, dont les fuites font plus terribles parceque rare-ment il eft poffible d'y remédier, c'eft le dé-fordre plus caché auquel fe livre l'adolefcent, î'enfant même qu'on furveille avec le plus de foin. Quel eft le pere de famille qui ofera aiïurer que les réduits obfcurs, les recoins écartés de fa maifon, ne font pas fréquem-ment le théâtre des plus infâmes débauches 1 Ce qui peut arriver de plus heureux à un jeune homme, c'eft que la femme de cham-bre de fa mere , en recueillant fes prémices, éloigne de lui les horreurs qui font inévi-tables dans les colleges, les penfions & les cloitres. Ceux-ci font en général le feul écueil qu'une jeune fille ait à craindre , quand une mere éclairée s'attache à conferver la pureté de fes mœurs. Mais notre fexe , avouons le en rougiffant, n'oifre peut-être pas un feul exemple , dans l'éducation refferrée des villes, d'une chafteté entretenue jufqu'à lJâge où la raifon , quand elle n'eft pas fubjuguée par des habitudes pernicieufes , prend le carac-tère de l'inftinft de la nature , & dégoûte l'homme , malgré l'exigence de fes befoins amoureux, de ce qui n'eft pas deftiné à les fatisfaire.

On fe flatte en vain de dompter un pen-chant impérieux, effet d'une loi de la nature, auffi inaltérable que celle à laquelle le cours

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•rS D E ï- A P l i D É R A S T I B .

des aflres eft fournis. Les rivaux de cette légiflatrice dont ils ne parviendront pas plus à balancer la puiffance qu'à la détruire , les hommes qui ont voulu élever des loix contre les loix, des autels contre les autels , des arrangemens de convenance entr'eux , contre les préceptes de cette mere prudente , font à chaque inftant, forcés de revenir fur leurs pas.

C'eft encore ce qu'il faut faire en cette occafion. Les gouvernemens les plus fages font obligés de protéger ces établiffemens confacrés au vice dans toute la laideur, où l'attrait du plaifir eft détourné de fon véri-table objet, où loin d'opérer la propagation de l'efpece , de remplir le vœu de la nature , d'être appliqué à l'avantage de la fociéte & à la fplendeur de l 'état, il conduit à la fté-rilité , à l'impuiffance , à la corruption phy-fique & morale des deux fexes , à la dégé-nération des individus.

Si l'expérience a prouvé la nécefîîté do» ces antres impurs d'une infâme proftitution , & fi l'adminiftration a dû non feulement les to-lérer tacitement, mais les foumettre à une in-fpection , à des loix qui les rangent, au nom-bre des établiffemens publics & âutorifés , pourquoi ne pro.tégeroit-elle pas des retraites confacrées à la fois aux plaifirs phyfiques & au but pour lequel la nature les a inftitués '1

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D E L A P É D É R A S T I E . 7 9

Je defirerois donc qu'il, y eût des lieux deftinés ù la plus belle des fondions animales , aux vrais plaifirs qui y font attachés , aux fruits qu'elle doit produire fuivant l'ordre ad-mirable de la nature : c'eft dire que la dé-bauche & les fuites affreufes qu'elle entraine, en feroient profcrites. Les gouvernemens obli-ges de faire tacitement des exceptions aux loix dont l'exécution rigoureufe eft impoifi-ble , doivent cependant oppofer autant qu'il leur eft poflible, une barrière aux abus dan-gereux. Ici l'on rendroit momentanément à l'homme focial , une liberté qu'on ne peut lui ravir entièrement , & on empêcheroit qu'elle ne dégénérât dans une licence que l'on ne fauroit trop prévenir : on feroit tourner au profit même de la fociété, la condefcen-dance forcée dont les fuites lui font mainte-nant fx préjudiciables. Je ne fais par quel motif raifonnable on ne voudroit pas établir des fabriques d'hommes , comme on protege ces temples odieux d'un libertinage qui désho-nore l'humanité , & qui enfante la majeure partie des défordres dont les fociétés p-émif-S T O

lent, xLn encourageant les unions lépitimes des deux fexes , ' en veillant à ce qu'elles foient toujours bien afforties, & en permet-tant la diffolution de celles où regnent les dégoûts & les peines mutuelles , il y auroit de la juftice à punir févéreniQnt toute atteint?

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8o D E LA P B D BR A S T I B. portée à la fidélité conjugale ; mais je no vois aucun inconvénient à ouvrir à tout homme libre , depuis l'âge indiqué par la nature , l'ac-cès des lieux où jufqu'à ce qu'il ait pu con-tracter une telle union , il trouvera une com-pagne qui adoucira pour lui les rigueurs du célibat.

De tels établiffemens feroierit le refuge de ces êtres malheureux appartenant à un fexe que le nôtre lacrifie fans remors à fon incon-tinence. Nos loix barbares couvrent d'un opprobre éternel , une jeune fille en qui la voix de la nature par l'organe d'un cœur tendre & de fens faciles à émouvoir, a fait plus d'impreffion que les leçons rebutantes d'une mere acariâtre. La corruption efc plus loin d'elle peut -être que de telle autre dont l'honneur n'a pour fauvegarde que l'infenfi-bilité , l'orgueil ou l'avarice. La vertu de celle-ci ne coniifte que dans l'inertie de fes pafîîons, ou dans la crainte d'éloigner une foule d'adorateurs qui les flattent, en diftin-guant un feul qui les fatisferoit, de flétrir fes charmes , de manquer un riche parti. L'in-nocence , l'ingénuité fuccoïnbent ; & les vic-times d'une féduftion que ces qualités mêmes rendent plus facile , font livrées au déshon^ neur , à l'abandonnement, à la mifere. Une vile proftitution leur offre une reffource fou-vent unique : elles s'y farailiarifent par dé-

grés.

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D E T, A P é d é r a s t i e . 8 Ï grés & y font fouvent plongées avant que leur cœur foit corrompu. Dans notre temple de l'amour , il conferveroit toute la pureté qui lui relie. Le goût du libertinage & de la débauche feroit un motif d'exclufion irré-miffible , & il n'eft pas impoffible d'empêcher qu'il ne s'y introduife.

Eft-ce un paradoxe de dire que ces éta-bliflemens feroient les confervateurs des mœurs, comme les foutiens de la popula-tion 1 Soumis à une adminiftration vigilante & févere , ils feroient vifités fans honte & fans danger. La liaifon qu'y contraûeroit; un jeune homme , paroitroit aux parens éclai-rés , un moyen de prévenir d'affreux défor-dres ; & ils verroient avec joie qu'elle ren-dit leurs enfans inacceffibles au goût des plai-firs honteux & cachés qui compromettroienî leur fanté, leurs mœurs & leur fortune.

F ,

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H I S T O I R E D E M A D E M O I S E L L E L * R * * .

Lettre à M**.

M .

Votre curiofîté fur une femme auffi ex-traordinaire & auflî intereflante que celle dont îe hazard vous a procuré la connoiffance , l'été dernier , eft toute naturelle. On cherche Tépoux d'une perfonne dont le nom, les maniérés & plus encore l'accueil des femmes bien nées annoncent l'état diftingué , & qu'on voit entourée d'une famille nombreufe qui lui doit le jour ^ qui la chérit & qui fait l'objet de fes plus tendres foins. Cette mere de famille , vertueufe certainement, aimable & refpeftée, n'a jamais été foumife au joug du mariage. Elle a eu le courage de con-cevoir & d'exécuter le plan de vie le plus fmgulier peut-être & entièrement contraire ù nos ufages & à nos préjugés ; & , ce qu'il y a de plus étonnant, elle eft parvenue à dompter l'opinion publique qu'elle a bravée ,, à fe conferver l'eftime générale qu'elle a fem-blé peu deiirer.

Mademoifelle le R . . defcend d'une an-cienne famille du Poitou. Elle a été le fruit unique d'un hymen que l'amour avoit formé

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H I S T , D E M A D E M O I S E L L E L * EL**. 8 3

entre deux perfonnes dont les carafleres étoient abfolument incompatibles. M . le 11**' étoit l'homme du monde le plus honnête , mais en même tems le plus foupçonneux ; il n'avoit point de vices & il en fuppofoit toujours dans les autres : il étoit bienfaifant & il ne croyoit point à la reconnoiffance : tendre & confiant dans fes amours , il étoit perfuadé qu'il n 'y avoit point de femme fi-dele ; rempli d'égards pour les autres, il trouvoit qu'on n'en avoit jamais afiez pour lu i , & il avoit reçu de la nature, l'ame la plus énergique, la plus fufceptible des pal-lions violentes , la plus aifee à émouvoir & la plus difficile à calmer. Tel étoit l'époux ù. la fois emporté, jaloux & exigeant, en même tems que le plus bel homme de ft, province , qui échut à Mademoifelle . . . der-nier rejetton de la famille riche & confidé-rée de ****. Elle avoit feize ans, & jettée fu-bitement de la folitude du couvent dans les plus hautes fociétés, fous la conduite d'une mere coquette & faftueufe, cette jeune per-fonne devint bientôt l'étourdie la plus agréa-ble & la plus inconféquente comme elle étoit auffi la plus fage. En quinze jours M . le R . . conçut pour elle la paffion la plus em-portée, lui infpira l'amour le plus vif & la rendit la femme la plus malheureufe. Tout étoit à l'extrême dans ce ménage turbulent,

F ij

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& la pauvre époufé dont les défauts étoient incorrigibles , employoit en vain la douceur & la foumiffion pour dompter ceux d'un mari qui l'adoroit & qui lui caulbit à chaque in-ftant de nouveaux tourmens. II eft plus d'un ménage de cette efpece où l'indifférence feule établiroit la tranquillité , & où la tyrannie & les angoiffes de l'amour impérieux d'un côté & offenfé de l'autre ne cedent que pour faire place aux témoignages plus affreux en-core pour un cœur fenfible , d'une haine ré-ciproque.

Mademoifelle le R . . vint au monde lorf-que la premiere année de cette malheureufe union fut écoulée. Des bras de ft nourrice, elle pafla entre ceux de béguines qui lacomblerent de carefles parcequ'elles en recevoient une très forte penfion. Son penchant naturel pour la tendreife fe développoit au milieu des pré-venances & des douceurs du couvent, tandis que cent maitres difterens faifoient fructifier le germe des talens qu'elle avoit reçus de la nature. On ne ceffoit de l'entretenir de la nobleife de fes ayeux, de la fortune qu'elle devoit polféder un jour & du trouble affreux qui regnoit entre fes parens. On ne manquoit pas de lui peindre fon pere comme un mon-ftre & fa rneré comme une victime. Les ba-varderies des nones fur ce trifte fujet , n'é-teignirent point dans le cœur de la jeune

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perfonne, ce feu facré , l'un des plus beaux dons de la nature , celui qui forme la per-fection de fes ouvrages , en en affurant la ré-produûion : mais elles lui infpirerent une. averfion invincible pour les liens dont Tin-diflblubilité eft une injure à l'être fuprême , qui condamnent deux êtres à abjurer la na-ture pour fe foumettre aux loix du hazard , & à fe rendre mutuellement malheureux, fi le fort par l'événement le plus rare, ne les a pas convenablement aifortis. Mademoifelle le R . . , comme je l'ai déjà dit , étoit cc ce qu'on appelle un enfant gâté : fes volon-tés n'avoient jamais été contrariées ; négli-gée par fes parens dont les querelles conti-tinuelles abforboient toutes les facultés , elle regnoit, c'eft-à dire , la nature qui parloit en elle, dans un lieu où dominent fans ceffe les erreurs & les préjugés: jamais elle n'a-voit été foumife à ces tortures atroces par lefquelles on détruit dans les enfaris le germe de f exiftence morale & phyfique qui confti-tue l'homme. Les fottifes dont on fatigue leur foible intelligence, avoient été toujours re-pouffées par Mademoifelle le R.. . dunt le corps libre des inftrumens odieux qu'on op-pofe aux efforts de la croiffance & qu'elle avoit refufés avec obftination , parcequ'ils la gênoieat, ne pouvoient contenir qu'une ame forte & énergique. Une fanté brillante & cki

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paffions vives avoient donné à fon efprit une seigneur Ss une jufteffe qui la portoient au bien & à l'amour de la vertu. Enfin elle joig-noit aux attraits extérieurs qui font produits par la régularité des formes , une imagina-tion vive , un cœur fenfible, une volonté libre & , comme on Tappelloit, indomptable , mais qui ne pouvoit jamais être excitée par les idées du mal. Mademoifelle le R . . n'avoit que quinze ans lorfque la mere mourut de cha-grin , fuivant les bruits publics , & fon pere peu de tems après, d'une attaque d'apoplexie occafionnée par un mouvement de colere contre fon cocher. J'ai déjà dit qu'elle n'avoit point de parens maternels : un coufin de fou pere fe trouva le plus proche , celui auquel on ne pouvoit refufer le droit de fervir de tuteur à la belle orpheline. Le Chevalier X*** étoit bien l'homme le moins propre à remplir une telle befogne. Vieux militaire au-quel une routine de quarante ans avoit ap-pris à commander rçxercice, il paffoit la moi-tié de l'année à fon régiment : le refte de fon tems etoit partagé entre les promenades, les foyers de l'opéra & une jeune aftrice qu'il entretenoit à grands frais , quoique de-puis longtems fes facultés phyfiques fe fufîént jnifés au niveau de fes facultés morales. Sa femme s'empara de la tutelle ; il pafîk bien à la vérité dans le boudoir de l'adrice une

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portion des gros biens dont Mademoifelle le R . . étoit héritiere ; mais (a fortune n'en eft pas moins toujours reftée très confidérable.

Madame X . , . étoit âgée d'environ qua-rante ans , & le defir de plaire à un fexe différent du lien , fembloit s'être accru dans la même proportion que fes attraits avoient perdu de leur force. Pour nie fervir de l'ex-preffion triviale d'un plaifant qui vivoit dans fafociété, je puis vous la repréfenter comme une coquette furannéc qui faifoit hinet de fes charmes. Les trois quarts au moins-de fa vie fe paffoient au lit & à la toilette : deux chevaux élégans la trainoient pendant l'autre quar t , dans toutes les fociétés où il y avoit beaucoup d'hommes , dans tous les rendez-vous publics. Elle n'y alloit pas chercher le plaifir , mais des adorateurs ; car ils s'étoient peu à peu éloignés de fa maifon. Un feul fils avoit couronné fa tendre union avec le Chevalier X . . . Le hazard en procurant à cet enfant un gouverneur éclairé & vertueux qui étoit mal payé & plus maltraité encore , en avoit fait un alfez bon fujet. Il étoit adoré de fa mere, à ce qu'elle difoit & il le faut croire , car elle l'avoit beaucoup gâté. Elle n'avoit heureufement pour lui pas le tems de le voir fréquemment. Il étoit très ordinaire que pendant une femaine , le jeune homme ne pouvoit trouver l'occafion de lui

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bailer la main. Il dinoit avec Ton gouverneur ; îe matin fes parens ne tenoient point de table & il étoit exclus de ces foupers fins où le champagne arrachoit au petit nombre des convives que Madame X .. . trkvailloit fans ceffe à reiîembler , de jolies chofes qu elle croyoit infpirées par fes charmes.

Une bonne amie confeilla à Madame X . . . de retirer la pupille du couvent, & lui fit fentir qu'une fille à marier, belle & riche, ne manqueroit pas d'amener tous les plaifirs dans fa maifon , en attirant une foule de cour-tifans qui s'emprefieroient de plaire à la gar-dienne d'un tel tréfor. Madame-X . . . ne croyoit pas , fans .doute, avoir befoin d'une telle reffource ; un autre motif la détermina. Mademoifelle le R . . étoit un parti important à ménager pour fon cher fils , & une incli-nation mutuelle devant naitre néceffairement entre deux jeunes gens qui déformais vivroient enfemble , pouvoient lever tous les obftacles d'une telle union. La fortune de M. X . . . étoit dérangée au point qu'un coup du ciel fembloit lui avoir procuré cette tutelle pour foutenir fon train de dépenfe, & le mettre dans, le cas d'obtenir de fa tendre époufe , le pardon de fes propres extravagances , enTôur-nilfant aux fiennes. Ce mariage auroit pro-longé une reffource fi utile , au moyen des ur-rangemens dont M. & Mad. X , , , avoiçnt concerté enfemble le plan.

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M A D B M O I S E M , E L* R**. 8 9

C'efl ainfi que Mademoifelle le 11.. eû en-trée dans le monde. Toute autre qu'elle j bientôt imbue des maximes qui regnent dans la claffe de gens où elle fut d'abord adrrrife , leroit bientôt devenue ou une époufe malheu-reufe ou une petite maitreffe fans mœurs. C'eft-à-dire en d'autres termes , qu'elle fe fût unie fans amour, à un homme qui eût acheté fa liberté par la plus lâche complaifance , & qu'elle auroit cherché des confolations de fa froideur, dans les bras d'un autre qu'elle auroit cru aimer. Si j'ai bien tracé le por-trait de Mademoifelle le R . . vous n'en aurez pas cette idée. Son cœur étoit rempli du be-foin d'aimer & ouvert aux premieres impref-fions de ce fentiment : mais il fe réfervoit le choix de celui qui devoit le faire naitre. Le jeune X , . . ne fut point ce mortel heu-reux; la nature l'avoit aifez mal traité & en voulant la corriger, on avoit, fuivant l'u-fage , rendu fes disgraces encore plus remar-quables. Mademoifelle le R .. avoit dès les commencemens de fou féjour à Paris , trouvé fous fes pas une lettre qui annonçoit un com-merce intime entre l'époux qu'on lui deftinoit & une vieille femme de chambre de fa mere. Les premiers hommages qui lui furent adref-fés ne firent donc que confirmer l'averfion qu'elle nourriffoit depuis fon enfance pour le mariage. Cet éloignement n'étoit fans doute

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g o H I S T O I R E D K

pas invincible ; il îiuroit cédé à la fougue d'une premiere paffion , li le cœur avoir plaidé en faveur,de celui qui auroit efîayé de le com-battre. Les efforts que l'on fit, les moyens extraordinaires même , que l'on employa poul-ie dompter , lui acquirent encore de nouvelles forces & ne fervirent qu'à déterminer la belle orpheline à prendre une réfolution appuyée par toute la fermeté de fon caraftere. Le couvent étoit bien loin de lui plaire ; elle nvoit fenti le ridicule d'un pareil féjour où tout eft plus faftice encore que dans le monde. La voix de la nature étoit la plus forte dans le cœur de Mademoifelle le R . . qui ne fe méprenoit que fur les bornes qu'elle croyoit pouvoir impofer à les loix. La candeur & l'innocence du bel âge où les préjugés de l'honneur & l'enthoufiafme de la vertu font les premiers fruits de l'éducation , entrete-noient chez elle cette erreur dangereufe qui occafionne la perte de la plupart des jeunes perfonnes. Elle avoit formé le plan d'un cé-libat perpétuel : elle n'en excluoit pas les doux fentimens de l'amour ; mais elle fe re-préfentoit cette paffion comme une affection pure & compatible avec la réferve la plus auftere. Elle concevoit l'idée des jouiifances les plus délicieufes de l'ame & ne penfoit pas que jamais' une perfonne honnête pût les fouiller par le moindre defir dont la fa* geffe eut à rougir.

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M A r» E M O I S B L, L fc L* R**.' t, î Les plaifirs bmyans du tourbillon où Ma-

demoifelle le R . . fut d'abord jettée , avoient ébloui les yeux , excité fa cûïiofité , & enfin fatigué l'on ame neuve & toute naturelle. Au bout d'un mois de la vie la plus agitée , cette jeune perfonne toute faite pour les plaifirs, mais non encore dans cette difpofi-tion fâcheufe où Ton fe tourmente en vain pour en chercher d'imaginaires , avoit folli-cité de fa tutrice , la permiflion de ne point l'accompagner. Madame X . . . la lui avoit fa-cilement accordée ; fa vanité avoit fouvent à fouffnr d'une compagne dont la beauté & la jeuneflè, formoient une concurrence très défavorable à fes attraits recrépis ; elle fentoit d'ailleurs que l'habitude de voir un objet défagréable , pouvoit feule vaincre la répug-nance que fon fils infpiroit au premier coup d'oeil, & mille adorateurs plus féduifans lui auroient fermé le cœur de la riche orpheline. Le jeune X** avoit près de lui-même un rival plus dangereux : Madernoifelle le R . . étoit prefque continuellement avec lui & M. Duf-fin , fon gouverneur. Celui-ci étoit un homme bien né dont les ancêtres avoient épuifé leur fortune dans les dernieres guerres du regne de Louis XIV , & avoient été entièrement ruinés par la révolution que le fyftême a occa-fionnée enfuite dans les propriétés. Il étoit alors âgé de trente ans, & joignoit un bel

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extérieur aux qualités les plus effentielles ies plus aimables. Celles de Mademoifelle le R . . . lui avoient caufé une vive impreffion ; mais il ne s'apperçut que tard des progrès qu'il avoit faits lui-même dans fon cœur. Dès qu'il eut fait cette découverte , il prétexta que l'âge de fon éleve lui rendoit fes foins inutiles & il fe retira. Ce fut alors que Mademoifelle le R . . fouffrit avec la plus vive impatience Les gauches adorations de fon prétendu & l'ordre pofitif qu'elle reçut de fe préparer à lui donner fa main. Les perfécutions qu'elle eut à éprouver, lui devinrent d'autant plus infupportables qu'elle vit approcher le moment oii elle ne pourroit plus s'y fouftraire. Déjà le jour étoit fixé pour la fignature du con-trat , & il ne lui refioit d'autre alternative que de fe foumettre à un hymen odieux ou d'être reléguée dans un couvent. Elle con-noifioit un autre moyen : le défefpoir d'une jeune fille dont l'ame étoit auffi forte que celle de Mademoifelle le R . . ifolée, fans appui, 'fans ami, fans confeil, peut excufer la ré-folution qu'elle prit de fe donner la mort. La ' veille même du jour où elle devoit engager fa foi ou s'ôter la vie , le hazard amena chez la tutrice, M. Dujfm qui ignoroit entière-ment ce qui lé pafïbit. Elle s'échappe un inftant, écrit un billet & le lui gliife dans la main. M . Dujfm troublé , n'ofant juger

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celte démarche , prend congé promptement : arrivé chez lui, il ouvre le billet avec pré-cipitation : il y lit ces mots : Trouye\ -vous demain à 6 heures du matin à la petite porte de la rue de . . . . je vous fuivrai. Si vous re-fufe\ votre appui à une infortunée , à j heures elle ne vivra plus. M. Duffin connoiffoit le caradtere décidé de la petite perfonne, il ne balança pas de fe trouver au rendez-vous, bien réfolu, non pas à favorifer fa fuite , mais à ufer de la confiance qu'elle lui témoig-noi t , pour lui infpirer plus de modération. Mademoifelle le R . . étoit déjà à la porte lorf-que M . Duffin parut ; ouvrir la portiere v

fe jetter dans le fiacre qui l'avoit amené , & donner au cocher l'ordre de marcher, furent pour la belle fugitive, l'affaire du même inltant. M . Duffin ftupéfait ne pouvolt prononcer un mot , & le cocher frappé .du ton de voix, impérieux qu'il avoit entendu, fouettoit fes chevaux fans favoir où il diri-geoit leurs pas. Mademoifelle le R . . étoit comme épùifée par la violence de la démar-che qu'elle venoit de faire, & fon dcfordre relfembloit afiez 'à celui* d'une perfonne qui après avoir été longtems pourfuivie, trouvei à la fin d'une courfe longue & rapide , l'a-fyle où la joie d'être en fureté combat dans fon ame, la frayeur qui l'occupoit. M . Duf-fin fait un effort pour parier : les beaux dif

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cours , les fages confeils, les repréfentatîons éloquentes qu'il avoit préparés , s'étoient effacés de fon efprit. Il veut dire beaucoup de bonnes chofes & fa langue ne proféré que ces mots î OÙ voulez-vous donc aller, Made-mo if elle ? — Je ne fais , AT., mene\ moi au bout de la terre. Telle fut la réponfe vive & précipitée de Mademoifelle le R . . ; le plus profond lilence fuccede encore à cette courte converfation : le cocher eniin l'interrompt par un ; eh bien ! vous êtes vous ajei vous pro-menés , voilà bientôt une heure que nous mar-chons. M . DuJfm fupplia Mademoifelle le R . . qu'elle lui permît de la ramener chez fon tuteur. Plutôt mourir, répond la jeune per-fonne d'un ton qui fait connoitre à l ex-gouverneur , l'inutilité des efforts qu'il feroit pour combattre fa réfolution. Elle tomba en même tems , en foibleflé , & M . Dvjfui fentit qu'il ne pouvoit en ce moment la rendre à fes parens ^ fans courir le rifque de quelque événement funefte & fans s'expofer lui-même à des foupçons qui auroient pour l'un & pour l'autre des fuites fàcheufes. Il prit le feul parti convenable fans doute , celui de fe faire conduire chez une de lès parentes, jeune veuve, pauvre, mais honnête, qui attirée dans la capitale pour la fuite d'un procès, y vivoit dans une retraite obfcure à l'extrémité du fauxbourg de Gloire,

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M a d e m o i s e l l e L* R""11. g g Mademoifelîe le R . . ne rouvrit les yeux

que clans les bras de la bonne veuve que je nommerai Mad. Béval. La journée fe paflk d'un côté en exhortations & de l'autre en protefrations de mourir mille fois plutôt que de fe foumettre. Les fermoneurs furent ré-duits au filence & obligés de céder. On ar-rangea un petit logement à la fugitive , & l'on remit au lendemain à fe décider fur ce qu'il convenoit de faire.

La nuit qui fuccéda à cette journée , fut bien différente pour les trois perfonnages : elle fut pour Mademoifelîe le R . , le premier fommeil d'une convalefcence heureufe , le repos délicieux d'un malade qui vient d'être délivré des douleurs aiguës qui le déchi-roient, d'être abandonné d'une fievre dont il étoit confumé. Les rofes reprirent dès le lendemain , leur place fur fon vifage ; la gaieté avoit rendu à fon efprit tous les charmes qui depuis longtems l'avoient abandonné; nulle in-quiétude , nul regret , ne troubloit la joie extrême qu'elle reifentoit d'être éloignée de tyrans déteftés , de monftres qu'elle abhorroit. Î1 s'en falloit bien que M. DuJJin fût auiïi tranquille. Il étoit fins doute innocent, & fon aine étoit devorée de rernors ; il fe re-prochoit d'avoir trop facilement cédé ; il au-rait dû , fe difoit-il, ne rien écouter & re-conduire fa jeune amie, chez fes parens. Il

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le regardoit comme un infirme ravifleur, & la pureté de les intentions ne le ralïuroit pas contre l'irrégularité apparente de fa conduite. La Béval s'étoit mile au lit avec une fatis-faction intérieure , telle qu'elle n'en avoit gueres reflënti en fa vie. Son amour propre flatté de fe trouver néccflaire & de jouer un des premiers rôles dans une aventure de cette importance , fe joignoit à Tefpoir de voir fon parent enrichi par un grand ma-riage , car fon petit efprit ne lui laifoit pas entrevoir d'autre dénouement à tout ceci ; & elle le regardoit comme très prochain. Il en étoit réfulté les idées les plus agréa-bles dans lefquelles la bonne Dame s'etoit endormie , après avoir calmé avec bien de la peine , l'agitation qu'elles avoient caufée dans fes fens.

Au milieu de la nuit, une idée affreufe l'avoit reveillée en furfaut : ce n'étoit plus ce qu'elle avoit vu la veille : un noir affreux s'étoit répandu fur le tableau qui, quelques heures avant, la flattoit fi agréablement. Elle fe voit confondu avec les mallicureufes qui favonfent le crime , pourfuivie par la juffice , fa maifon fouillée & dévaftée par les Com-miflaires & des Archers. Elle n'y peut tenir, elle monte dans la chambre où M. Dujfm n'étoit pas plus raffuré qu'elle , & où il com-battoit des craintes bien plus dangereufes,

celles

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celles que lui infpiroit ft propre foibleffe qu'il accufoit déjà d'avoir la veille , mis fes principes en défaut.

M. Dujfm incertain lui-même de ce qu'il avoit à faire , fe trouva obligé de réfîfter aux appréhendons de fa parente & d'afficher une fermeté extrême, pour empêcher qu'elle ne congédiât dès finftant même, fintéreffante fugitive à laquelle elle s'étoit d'abord plori-hee de donner un afile. Il fut convenu, que M DuJJm iroit dès le point du jour dans la vn.e & chercheroit à découvrir ce quifepaf-foit relativement à l'évaflon de Mademoi-

l e ^ ^ partit laifTant Mad. Béval dans aes tranfes & des àngoifTes qu'elle ne put diffimuler entièrement à fa belle hôteffe & qui empoiionnerent bientôt fon contentement. Une heure à peine sJétoit écoulée depuis le depart de M. DuJJin ; on entend une voiture s arrêter, & des coups redoublés ébranler la petite porte qui ferinoit l'entrée de la mai-fon. Cette fois Mad. Béval fe crut tout-à fait perdue & ia fermeté de Mademoifelle le l l . . faillit à l'abandonner. On monte c'étoit M . Bujfin, mais paie, tremblant & comme un criminel qui fe croit découvert Dès qu'il paroit , Mad. Béval s'évanouit' Mademoifelle le R . . vivement émue court dans fes bras , & fi la réflexion n'eût arrêté l'effet de fon premier mouvement, fa fenfî-

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bilité pour les chagrins d'un galant homme qu'elle croyoit avoir compromis, lui eût ar-raché les témoignages des tendres fentimens qui couvoient depuis longtems dans fon cœur.

Après quelques minutes d'une feene muette où la figure de Mad. Béval formoit une ca-ricature fort plailante, elle fe difpofoit à dé-ployer toute la volubilité de fa langue pour dn-e une infinité de belles chofes : les re-proches , les injures, les lamentations alloient ù la fois fortir de fa bouche, lorfqu'enfin M. Duffin s'expliqua. De fréquens meflages de M. X** chez lui , & les difeours de Tua de ceux qui en avoient été chargés, étoient la fource de fes allarmes. On avoit raconté à fon fidele valet, & l'enlevement de Ma-demoifelle le R . . & l'obtention d'une lettre de cachet qui avoit été accordée iur le champ ÎIUX repréfçntations d'une tutrice irritée. M. Duffm ne pouvoir gueres douter qu'on n'eût découvert le rôle qu'il jouoit dans cette avan-ture ; il étoit prêt à fubir la peine d'un crime involontaire, & fa complaifance couvroit d'op-probre fa malheureuie amie.

Mademoifelle le R . . recueillant toute fa fermeté prend la parole : —- „ Je vois , dit-elle , que j'ai entraîné dans un abime de dou-leurs , mon libérateur & mon ami : il ne me refte que deux partis à prendre : fuir feule loin des tirans que j'abhorre, ou rea-

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trer fous un joug encore appéfanti par la démarche qui m'y a fouftraite, c'eft-à-dire, me vouer à la mort. Je dois jouir de l'exif-tence & de tous les droits que je tiens de la nature que les préjugés & les conventions des hommes ne me feront jamais abjurer; je choifis le premier parti : une feule grace me relie à vous demander ; procurez moi des habits d'homme, &je vais hors du royaume oublier tout , hors ce que je me dois à moi-même & ma reconnoiffance pour vous. „

II n'étoit plus tems de réfléchir, de crain-dre ; l'empire des circonftances fe faifoit ref-fentir dans toute fa force. Tel parti que prît Mademoifelle le R , M . Dujjhn eût tou-jours été regardé comme fon ravilfeur ; il ne pouvoit abandonner la belle fugitive aux hazards qu'elle étoit réfolue d'affronter ; iî prend la réfolution d'achever fon ouvrage, & propofe à la Béval étonnée, d'accompag-ner Mademoifelle le R . . à Bruxelles , où 36 heures d'inquiétude les ferôient bientôt jouir de la plus parfaite tranquillité.

On fe perfuadera fans peine que la per-fpeclive prochaine d'une eiitiere fecurité, ra-mena Mad. Béval à fes premieres idées , ra-nima tout fon zele. On ne manquoit ni d'ar-gent ni de bijoux. Le lendemain au foir nos voyageurs étoient dans cette ville qui a fi fou-vent fervi de refuge au vice , au crime même s

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& qui étoit alors l'afile de la vertu. C'en étoit un a61e fans doute, que de fuir une union que le vice feul auroit pu rendre fup-portable.

Les premiers mois du féjour des trois exilés , à Bruxelles, n'offrent rien de remar-quable : Maderaoifelle le R . . étoit d'une gaieté extrême ; M. Dujfm trifte & rêveur j & la Béval d'une loquacité inépuifable. Celle-ci fut fubitement rappellée à Paris , par une lettre dç fon Procureur.

Il s'ouvre maintenant une fcene nouvelle dont le tableau fourniroit à un romancier habile j l'occafion de développer la marche des pallions humaines & la maniéré dont la nature fe joue de tous les beaux principes inculqués dans notre mémoire , quand il n'y a plus un danger imminent à s'en écarter. Je fuivrai fidèlement les mémoires qui m'ont été fournis : ils vous feront au moins con-noitre plus particulièrement nos perfonages.

M . Dujfm & Mademoifelle le R . . avoient toujours vécu enfemble dans la plus grande réferve, mais l'amour le plus violent embra-foit réciproquement leurs ames. Ils ne fe l'étoient jamais dit ; jamais ils ne s'étoient permis de s'en donner les témoignages même les plus innocens ; ils ne l'ign or oient cepen-dant pas. La préfence d'un tiers avoit fuf-pendu l'çxplofion d'une paillon qui ne pou^

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voit longtems refter muette dans un tête à tête continue!. Un feul -ami l'interrompoit quelquefois. M. Bofquens, c'étoit Ton nom , jouiflbit à Bruxelles , de la coniidération at-tachée à l'opulence & de celle qui eft due aux mœurs & à la probité. Il engagea un jour les deux amans à l'accompagner à la terre d une de fes parentes. Dès la premiere journée , Mademoifelle le R . . y goûta des plaifirs nouveaux pour elle : ceux d'une fo-ciété douce & honnete , où des gens qui mé-ritent la confiance qu'ils infpirent, fe réu-nifient pour jouir en commun de la liberté fans licence , de la gaieté fans grimace , de la joie fans débauche. T els n'étoient pas les plaifirs auxquels Mademoifelle le . . vouloit renoncer lorfqu'elle quitta les focié-tés de Mad. On fit une longue pro-

menade après le fouper. Nos fens accoutu-més à la lumière du jour , font' plus vive-ment émus par le fpeâacle impofant d'une belle nuit , dont ils jouiflent plus rarement. Mademoifelle le R . . revint au château, l'ame délicieufement affeftée & remplie de cet enthouuafme infpiré par la vue de la na-tuie & la jouiffance de fes dons , que je ferois tenté d'appeller , la confcience du plai-fir d'être. Elle étoit dans ces difpofitions où tous les organes font montés au plus haut degré de fenfibiiité , lorfque la compagnie le

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fépara. On conduit Mademoilelle le R - à la chambre c[ui lui étoit deftinéc , on y intro duit en même tems M . DuJ/ïn & l'on le re-tire. Il ne leur lut pas difficile de compren-dre que M . Bofquens fans penfer aux fuites qui devoient réfulter de cette feinte , les avoit annoncés comme deux époux : découvrir la vérité n'étoit pas fans inconvénient , & tout repofoit déjà dans le château. Les deux amans fe regardent avec émotion ; ils fe dé-terminent à paffer la nuit à lire enfemble. Un livre de théâtre fe préfente ; ils conviennent de fe charger chacun d'un rôle. Qu'on fe fi-gure deux perfonnes violemment éprifes, al-fifesil'une près de l'autre fur un canapé étroit, fe rapprochant encore pour jouir enfemble de la même lefture , refpirant le même air , fe pénétrant mutuellement de la chaleur dont chacune étoit dévorée , & déclamant une fcene de tendreffe que le hazard avoit offerte à l'ouverture du livrer l'on ne fera pas fui-pris qu'après quelques minutes, ielrvre tombe, & que ce filence , l'expreffion des grandes piaffions , regne entre les afteurs. Mademoi-felle le R . . fe levé avec impétuofité & d'un ton de voix ferme & animé elle adreffe ce difcours à M . DuJJîn. „ Je fens poui la « premiere fois , M . , tout le danger de no-•n tre fituation, & il m'erfraye d'autant ptus -, qu'il fe renouvellera fans celïe h à chaque

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inftant. Votre honnêteté m'eft connue, & des principes inébranlables , j'ofe le croire , me garantiffent de toute foibleffe ; mais nous fommes deux, nous nous aimons , & je crains que deux perfonnes qui s'aiment, ne s'accordent, quand elles font rappro--chées, pour combattre les réfolutions que chacune d'elles a prifes. Deux cœurs ten-drement unis, ont une exiilence à par t , bien différente de celle dont chacun jouit féparément. La nature peut, dans un mo-ment que nous ne prévoyons pas , nous préfenter fous des couleurs favorables, ce qui nous paroit contraire à la délicateffe & à la probité , ou une foibleile répréhen-fible . . . Je voudrais vous fu i r . . . je le devrois peut - être . . un abime m'en-toure . . Ecoutez moi, M. DuJJin . . . Ja-mais je ne plierai ma tête fous le joug indiffoluble d'un mariage felon les hommes , & jamais je ne confentirai à cacher ma con-duite fous le voile du menfonge . . . Je méprife & j'abhorre ces prétendus moyens que Ton employe, dit-on, pour manquer à la fois à la nature & aux fociétés, & s'afiùrer de l'impunité . . . Je ne puis ce-pendant rae réfoudre à braver l'opinion publique, l'eftime de mes concitoyens tels injuftes qu'ils foient. . . Refpeûez ma façon de penfer, & que toujours préfente

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n à votre efprit, comme elle ell fortement r. gravée dans mon cœur, elle fupplce à ce 11 que la confidération des inftitutions humai-« nés pourroit avoir d'infuffifant pour nous n contenir dans l'état contre nature de deux " cœurs qui s'aiment & n'oient fe le dire . . «

Cette déclaration philofophique étoit trop franche pour ne pas produire un effet pré-cifément contraire à celui qu'elle avoit pour but. Mademoifelle le 11. . y faifoit claire-ment l'aveu de les fentimens pour M. DuJ-fin j & ce fut cette partie de fon difcours qui fit la plus vive imprefïïon fur lui. Tranf-porté d'amour , de joie & d'admiration , il fe jetta à fes pieds ; il lui renouvella mille fois les proteftations d'un amour éternel & d'un refpeft inviolable : les unes & les au-tres , dans les circonflances où nos amans fe trouvoient , étoient contradiftoires & in-compatibles , ou le refpedl n'exclut point les plus tendres témoignages de l'amour. La nuit fe paffa comme vous avez pu le prévoir , & au bout de neuf mois Mademoifelle le R . . mit au monde ce fils pour lequel elle vous a paru avoir une prédilection marquée.

Mademoifelle le R . . ne fentant rien dans fon ame dont elle eût à rougir, n'a jamais caché fes actions & fes démarches plus que fa façon de penfer & fon profond mépris pour les préjugés qui reglent le plus fouvenU'o-

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Mademoiselle L* R"1*. 105 pinion publique. Également ennemie du liber-bertinage, de la licence & des entraves que les hommes font convenus de s'impofer , en renonçant à la jouiflance de leurs droits, pour obvier aux abus qu'ils en pourroient faire , Mademoifelle le R . . s'eft toujours montrée fupérieure au jugement des fots, & elle a forcé ceux mêmes qui blâmoient ce qu'ils appelloient fes écarts , de rendre hommage à fes vertus. I/allaitement de fon fils étoit à peine fini, qu'une maladie vio-lente enleva M. DuJ/In &: la plongea dans une douleur que quinze années de nouvelles jouiffances n'ont pu encore éteindre. Made-moifelle le R ,. avoue que fon cœur depuis cette perte , n'a été fufceptibîe de vives émo-tions , que par le fouvenir de cet homme vertueux qui lui arrache fouvent des larmes. Une tendre amitié a feule formé les liens par lefquels elle a payé plus d'une fois de-puis , le tribut qu'elle devoit à la nature. Ce fentiment lui fit trouver après la mort de M. Dujfm , quelques confolations dans îa fociété de M. Bofquens ^ qui la ramena à Paris, lorfque la mon de Mad. X*** , l'in-terdiction de fon imbécille époux & le ma-riage de leur fils , événemens qui fe fuccé-derent rapidement, obligèrent Mademoifelle le R . . de venir fe mettre elle-même à la sête de fes affaires. Elle goûta de nouveau,

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avec cet ami, les douceurs d'une tendre union & le "plaifir d'être mere.

Des connoiffances dangereufes ayant en-traîné M. Bofquens, dans les défordres qu'on appelle les plaifirs de la Capitale , Made-moifelle le R . . eut bientôt à fe féliciter de n'avoir point formé de nœuds indilîolubles. Ils fe féparerent : je vous raconterai une autre fois , les événemens qui ont fuivi cette nou-velle époque de la vie de Mademoifelle le 11.. & qui l'ont confirmée de plus en plus .dans fes féfolutions.

F î N.

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T A B L E .

Avenifement. pag- jij. Lettre à M. fur les Rêveries d'un Pere de

Famille. 1

R Ê V E R I E S D ' U N P E R E D E F A M I L L E . I A .

J'aime ma femme. J'aime mes enfans. I5

Je leur ferai connoitre & aimer la vérité. 19. Us croiront à un Dieu. 2 2,. Je leur enfeignerai un culte. 25. Ih acquerront le plus de connoijjances qu'il

fera pojfihle. a?>

J'ai un fils. ^ Mon fils ne fera point militaire. 30. Mon fils ne fera point homme d'églife. 34. A quel état defiinerai-je mon fils ? 3 8. J\ii une fille. n

La fin de tout. ^ F R A G M B N S E T M É L A N G E S . ^ I .

Sur PÉducation. Sur la Comparaifon qu'on peut faire de

l'homme avec les autres animaux. 60. Sur le Suicide. Sur la Métaphyfique, g 8 Sur VEntêtement. ^ j Sur la Population. De la Pédérafiie. ^ Hijîoirs de Mademoifelh h R**. 82.