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625 GEODIVERSITAS • 2002 24 (3) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. www.geodiversitas.com Organisation séquentielle de la plate-forme carbonatée messinienne du seuil pélagien à Lampedusa (Méditerranée centrale) Jean-Pierre ANDRÉ Université d’Angers, Laboratoire de Géologie, EA 2644, 2 boulevard Lavoisier, F-49045 Angers cedex 01 (France) [email protected] Jean-Jacques CORNÉE Jean-Paul SAINT MARTIN Université de Provence, UMR 6019, Centre de Sédimentologie-Paléontologie, case 67, 3 place Victor-Hugo, F-13331 Marseille cedex 03 (France) [email protected] [email protected] Philippe LAPOINTE Totalfinaelf, DGEP/DGE/PN, DEF A 2034, tour Coupole, 2 place de la Coupole, F-92078 Paris La Défense cedex (France) [email protected] André J.-P., Cornée J.-J., Saint Martin J.-P. & Lapointe P. 2002. — Organisation séquen- tielle de la plate-forme carbonatée messinienne du seuil pélagien à Lampedusa (Méditerranée centrale), in Néraudeau D. & Goubert E. (eds), l’Événement messinien : approches paléobiologiques et paléoécologiques. Geodiversitas 24 (3) : 625-639. RÉSUMÉ L’île de Lampedusa, sur le seuil siculo-tunisien, présente une série messinienne de dépôts calcaréo-dolomitiques, récifaux, en agradation sur plus de 120 m d’épaisseur. La partie inférieure s’est déposée en domaine de rampe ou de plate-forme interne, avec un développement maximum de bancs coralliens au Sud-Est. La permanence des conditions paléoenvironnementales suggère une ouverture constante de l’espace disponible compensée par une sédimentation à dominante bioclastique. La partie supérieure des dépôts correspond à l’ex- tension d’une plate-forme corallienne protégée, marquée par l’homogénéité des édifices coralliens, en pâtés isolés et biohermes composites, reflétant des ouvertures successives à haute fréquence de l’espace disponible, avant un com- blement marqué par des faciès thrombo-stromatolithiques. Les constructions récifales et l’évolution séquentielle des dépôts de Lampedusa sont très briève- ment comparées à celles d’autres plates-formes messiniennes de Méditerranée occidentale. MOTS CLÉS Messinien, Méditerranée centrale, plate-forme carbonatée, récifs coralliens, séquences.

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625GEODIVERSITAS • 2002 • 24 (3) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. www.geodiversitas.com

Organisation séquentielle de la plate-formecarbonatée messinienne du seuil pélagien à Lampedusa (Méditerranée centrale)

Jean-Pierre ANDRÉUniversité d’Angers, Laboratoire de Géologie, EA 2644,

2 boulevard Lavoisier, F-49045 Angers cedex 01 (France)[email protected]

Jean-Jacques CORNÉEJean-Paul SAINT MARTIN

Université de Provence, UMR 6019, Centre de Sédimentologie-Paléontologie,case 67, 3 place Victor-Hugo, F-13331 Marseille cedex 03 (France)

[email protected]@newsup.univ-mrs.fr

Philippe LAPOINTETotalfinaelf, DGEP/DGE/PN, DEF A 2034, tour Coupole,

2 place de la Coupole, F-92078 Paris La Défense cedex (France)[email protected]

André J.-P., Cornée J.-J., Saint Martin J.-P. & Lapointe P. 2002. — Organisation séquen-tielle de la plate-forme carbonatée messinienne du seuil pélagien à Lampedusa(Méditerranée centrale), in Néraudeau D. & Goubert E. (eds), l’Événement messinien :approches paléobiologiques et paléoécologiques. Geodiversitas 24 (3) : 625-639.

RÉSUMÉL’île de Lampedusa, sur le seuil siculo-tunisien, présente une série messiniennede dépôts calcaréo-dolomitiques, récifaux, en agradation sur plus de 120 md’épaisseur. La partie inférieure s’est déposée en domaine de rampe ou deplate-forme interne, avec un développement maximum de bancs coralliens auSud-Est. La permanence des conditions paléoenvironnementales suggère uneouverture constante de l’espace disponible compensée par une sédimentationà dominante bioclastique. La partie supérieure des dépôts correspond à l’ex-tension d’une plate-forme corallienne protégée, marquée par l’homogénéitédes édifices coralliens, en pâtés isolés et biohermes composites, reflétant desouvertures successives à haute fréquence de l’espace disponible, avant un com-blement marqué par des faciès thrombo-stromatolithiques. Les constructionsrécifales et l’évolution séquentielle des dépôts de Lampedusa sont très briève-ment comparées à celles d’autres plates-formes messiniennes de Méditerranéeoccidentale.

MOTS CLÉSMessinien,

Méditerranée centrale, plate-forme carbonatée,

récifs coralliens, séquences.

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INTRODUCTION

Le seuil siculo-tunisien qui a séparé au cours duMessinien les bassins évaporitiques orientaux etoccidentaux de Méditerranée (Fig. 1) présente unintérêt majeur pour l’étude des variations duniveau marin, des échanges d’eaux marines, destransits sédimentaires et de l’importance de laproduction de carbonates au cours de l’histoirepré-évaporitique de ces domaines. Cette zone deseuil est formée par la plate-forme pélagienne, quis’étend au Mésozoïque et au Cénozoïque sur laSicile méridionale, la Tunisie et la Tripolitaine,prolongeant vers le Nord le craton saharien. Elleest actuellement presque totalement immergée àfaible profondeur (Winnock & Bea 1979 ; Pedley& Grasso 1992). Ce substratum a été profondé-ment tronçonné au Pliocène par un réseau defailles N120, en réponse à un amincissement crus-tal d’axe WNW-ESE maximal dans la zone dePantelleria (Reuther 1987), assimilée à une zonede bombement pré-rift d’âge miocène supérieur,en majeure partie effondrée au Plio-Quaternaire.Ainsi, les rares témoins de la sédimentation messi-nienne ne constituent-ils que des affleurementslimités à des zones de horsts actuellement émer-gés, ceux de l’Archipel maltais d’une part, de l’îlede Lampedusa d’autre part (Fig. 1).À Malte, le Messinien est représenté par unensemble de faciès bioclastiques et récifaux (Felix

1973 ; Gianelli & Salvatorini 1975 ; Lorenz &Mascle 1984 ; Pedley 1987), récemment réétudié(Saint Martin & André 1992 ; Saint Martin et al.1997a). Au-dessus de niveaux algaires de base, lesdépôts s’organisent en corps sédimentaires sig-moïdaux hectométriques à kilométriques progra-dants, recouverts par une dernière unitébioclastique et oolithique comprenant des passéesstromatolithiques et des niveaux subémergents.Cette géométrie observée a conduit à élaborer unmodèle en agradation-progradation qui corres-pond à des ouvertures d’espace disponible liées àdes variations positives du niveau marin relatif,comme on peut le constater dans d’autres locali-tés du Messinien de Méditerranée (Cornée et al.1996).Le deuxième témoin miocène de Méditerranéecentrale est représenté par la petite île deLampedusa, d’environ 10 km de long sur 2 à 3 delarge, située à 110 km à l’Est de la Tunisie et200 km au Sud de la Sicile (Fig. 1). Elle estformée d’un entablement calcaréo-dolomitique,récifal, très légèrement incliné vers le SE, avecd’abruptes falaises de plus de 100 m de hauteursur sa côte nord. Grasso et al. (1985) puis Grasso& Pedley (1988) ont attribué à ces roches un âgeTortonien supérieur-Messinien. En premièreapproche, et contrairement à Malte, les dépôtsrécifaux et bioclastiques s’y organisent en uneépaisse succession de strates subhorizontales, en

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ABSTRACTSequence stratigraphy of the Messinian carbonate platform of the Pelagian shoalin Lampedusa (Central Mediterranean).In the Sicilian-Tunisian shoal, Central Mediterranean, the Lampedusa Islandexhibits a 120 m thick Messinian aggradational carbonate sequence with coralreefs. The lower part was deposited in a ramp or inner platform setting, withabundant reef banks especially southeastward. Depositional environmentssuggest constant accomodation, with accomodation rises mainly balanced bybioclastic production. The upper part of the sequence was deposited in a shal-low water inner reefal platform setting, with coral patches or stacked reefsindicating high frequency rising accomodation events. Finally, the reefal plat-form was infilled by restricted thrombolitic-stromatolitic deposits. Coral reefsand sequential evolution are very briefly compared with those of otherMessinian carbonate deposits of the western Mediterranean.

KEY WORDSMessinian,

Central Mediterranean, carbonate platform,

coral reefs, sequences.

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empilement vertical régulier, conférant à l’en-semble une géométrie agradante.Dans cet article, nous proposons un découpageséquentiel synthétique de la série sédimentaire dela plate-forme messinienne de Lampedusa, com-prenant l’interprétation de la signification desdifférentes constructions coralliennes dans cettesuccession. Ces résultats et interprétations sonttrès différents de ceux proposés par les auteursantérieurs et suggèrent que Lampedusa ne repré-sente qu’un fragment d’une plate-forme plusvaste développée sur le substratum pélagien etdont la sédimentation carbonatée, exempte detout apport clastique, est caractérisée par la per-manence de conditions récifales au cours duTortonien supérieur-Messinien.

MÉTHODE D’INVESTIGATION, FACIÈS ET ISOCHRONES

Les dépôts tortono-messiniens de Lampedusa ontété antérieurement étudiés en regroupant desfaciès relativement homogènes en unités litho-stratigraphiques hiérarchisées (Grasso et al. 1985 ;

Grasso & Pedley 1988). Ce type d’approche aconduit ces auteurs à proposer un schéma où lasédimentation apparaissait contrôlée par le jeusynsédimentaire d’une importante faille NNW-SSE (faille de Cala Creta) induisant des morpho-logies et des variations de faciès dans sonvoisinage. Par ailleurs, des systèmes de récifscoralliens frangeants constituant des morpholo-gies accusées ont été décrits. Lampedusa étaitdonc considérée comme faisant partie d’une zonede plate-forme récifale à zonation classique, rela-tivement étroite dans l’espace.Une nouvelle approche des problèmes posés parla répartition des constructions coralliennes dansun schéma séquentiel de la série messinienne(André et al. 1999) a d’abord été basée sur unecartographie à l’échelle du 10 000e. La carte géo-logique (Fig. 2) définissant les principauxensembles sédimentaires et leurs structures a étédressée par des levers de terrain, à partir decoupes et d’une cartographie de strates permet-tant d’établir des isochrones, autorisant des corré-lations à très haute résolution sur des distancesplurikilométriques, notamment sur la côte sud.Les relations géométriques entre les terrains ont

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FIG. 1. — Localisation des principales plates-formes carbonatées récifales coralliennes du Messinien de Méditerranée ; 1, Algérieoccidentale ; 2, Maroc nord-oriental ; 3, Espagne sud-orientale ; 4, Baléares ; 5, Toscane ; 6, Calabre ; 7, Sicile ; 8, Malte ; 9, golfe deGabes ; 10, Crète ; 11, Chypre ; 12, Israel ; a, zones émergées ; b, zones marginales avec dépôts continentaux à marins profonds etincluant des plates-formes carbonatées récifales ainsi que des évaporites ; c, dépôts marins profonds puis évaporites ; d, principauxensembles carbonatés littoraux ; e, failles. Abréviations : CSR, Corridor Sud-Rifain ; RP, rift de Pantelleria.

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été confirmées par l’analyse de panoramas encontinu tout autour de l’île (en bateau). Par rap-port au travail de Grasso & Pedley (1988), lanouvelle carte montre que les assises messi-niennes, caractérisées par de nombreuses récur-rences de faciès, forment un monoclinal à trèsfaible pendage S à SE, compartimenté en troispanneaux. Chacun de ces panneaux a subi uneinclinaison vers le SE avec un affaissement plusmarqué sur sa bordure SW. Le compartiment leplus oriental montre aussi des gauchissementsassimilables à des plis à grands rayons de cour-bure, d’axes NW-SE, reliés au jeu de la faille deCala Creta. Les failles majeures, NW-SE, recou-pent toute la série messinienne et n’affectent pasles dépôts pléistocènes (Fig. 2) : elles sont proba-blement d’âge pliocène, c’est-à-dire que leur acti-vité synsédimentaire est à remettre en cause.L’établissement de la succession lithostratigra-phique a été basé sur des levés de coupes détailléesdans chaque ensemble sédimentaire, sur l’analysepétrographique et minéralogique des roches lescomposant, sur les indications stratonomiques deterrain et sur la recherche de limites physiques(surfaces de discontinuité). Les successions depaléoenvironnements de dépôt manifestant destendances progradantes ou rétrogradantes et lareconnaissance des variations bathymétriquesrelatives déduites des variations verticales de

faciès permettent de présenter un découpageséquentiel (Fig. 3) qui apporte un nouvel éclaira-ge de la situation des constructions récifales et deleur répartition paléogéographique. Celui-cipourra servir de base à des corrélations avecd’autres secteurs de Méditerranée centrale, ensituation actuellement émergée, ou bien immer-gée et enfouie sous la couverture pliocène.

LA SÉQUENCE MESSINIENNE DE LAMPEDUSA

Les dépôts de la plate-forme carbonatée deLampedusa ont été divisés en neuf unités sédi-mentaires cartographiables, formant une mégasé-quence globalement régressive (Fig. 3) àsignification, pour partie, d’une séquence de troi-sième ordre dont les limites ne sont pas stricte-ment reconnues. Cette séquence se trouvefondamentalement constituée par des faciès d’en-vironnements de plate-forme interne très peuprofonds, à caractère régressif, identifiés dansl’étude des séquences élémentaires (cycles à hautefréquence ou paraséquences selon Van Wagonneret al. [1988]), et cela sur près de 120 m d’épaisseur.La succession générale ne montre pas de surfaceérosive majeure ni de surface signant une émer-sion généralisée. En revanche, on note localement

André J.-P. et al.

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quaternaire

unité 9

unité 8

unités 4 à 7

unités 1 à 3

unités 1 à 7indifférenciées

faille

pendage

1 km

altitudes

Punta Parize

Capo Ponente

Punta MuroVecchio Punta Capellone

VallonedellaForbice Conigli

Fortin

Cala Madonna

Punta Alaimo

Punta Guitgia

LAMPEDUSA

Punta Maccaferi

Capo Grecale60,6

Cala Calandra

Cala Creta

Cala Pisana

PuntaParino

Punta Sottilo

Albero Sole131,5 106,3

. . . . .. . . . .. . . . .

. 9

FIG. 2. — Carte géologique de Lampedusa d’après les levers au 1:10 000 et complétée par des données de Grasso & Pedley (1988) ;unités 1-7, calcaires bioclastiques et constructions coralliennes ; unité 8, faciès bioclastiques en bancs lités et constructions coral-liennes en « sapins » ; unité 9, faciès thrombo-stromatolithiques. Pour les correspondances avec les séquences, voir Fig. 3.

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l’existence de surfaces d’abrasion marine ou delissage du sommet de fonds coralliens par adapta-tion à la proximité du plan d’eau (« surfaçage »).Ces surfaces, d’extension limitée, ne portent pasd’indices d’émersion ; elles sont généralementlocalisées en fin de cycle haute fréquence, et peu-vent coïncider dans certains cas avec des surfacestransgressives, alors soulignées par des remanie-ments d’intraclastes. À l’échelle de l’ensemble de la plate-forme, ondistingue cinq surfaces d’inondation maximale(= maximum flooding surface ou mfs, Fig. 3), seulsrepères isochrones fiables, définis sur la base decritères bathymétriques, granulométriques ou depositionnement dans les profils. Ces surfaces per-mettent de subdiviser la mégaséquence en sixséquences de dépôt d’ordre inférieur. Celles-cisont présentées sur la Fig. 3 en regard de lacolonne lithologique, des principales associationsbiologiques, des différents types de morphologiescoralliennes et de la succession des paléoenviron-nements. Une courbe de bathymétrie relativesuggère l’amplitude relative des variations à partirdes surfaces d’inondations maximales.La séquence 1, dont la limite inférieure est inac-cessible, comprend une tranche de sédiments dewackestones et packstones bioclastiques passantau sommet à un banc corallien lissé (« surfacé »)qui correspond, toutes proportions gardées, aucortège de haut niveau marin. Au sommet dubanc corallien se placent des wackestones crayeuxde la séquence 2 avec quelques foraminifères ben-thiques, quelques échinides et mollusquesbivalves, interprétés comme déposés dans unenvironnement légèrement plus profond queprécédemment. La mfs 1, placée à la base deswackestones de la séquence 2, coïncide pratique-ment avec le sommet du banc corallien sous-jacent, ne laissant en fait qu’une place très limitéeau cortège trangressif de la séquence 2. La séquence 2 débute par des wackestones et setermine quelques décimètres au-dessus d’unniveau corallien à Porites lissé, sans trace d’émer-sion. La séquence 3, au-dessus de la mfs 2, montre unegrande extension verticale. Elle débute par deswakestones identiques à ceux précédemment

décrits. Là encore le cortège transgressif présenteune épaisseur réduite à quelques décimètres auplus. Elle se caractérise ensuite par des lithologiesde wackestones et packstones bioclastiques à fora-minifères benthiques et des passées oolithiqueslocalisées, avec des colonies coralliennes isoléesassociées à des niveaux à Halimeda Lamouroux,1812. Elle se termine dans des niveaux à facièsrétrogradants (bathymétrie relative et textures,bancs plus minces repérables sur le terrain, facièspaléontologique dominé par les fragmentsd’algues rouges) pouvant se rapporter dans leurensemble à un intervalle condensé (mfs 3). La séquence 4 se matérialise par des sédiments àalgues rouges, bryozoaires et bivalves, compre-nant des constructions coralliennes métriques enbancs et dômes aplatis dans sa partie inférieure,des petits pâtés isolés dans sa partie moyenne et,dans sa partie supérieure, des pâtés coralliensatteignant 4 m de hauteur, manifestant une crois-sance verticale plus importante que les construc-tions localisées plus bas, et pouvant déjà traduireune tendance à un approfondissement relatif trèsmodéré avant la mfs 4, placée dans un niveaurepère de marnes vertes à pectinidés sus-jacent.La séquence 5 ne se différencie pas particulière-ment par des lithologies contrastées et ne trouvesa réalité que par l’existence de deux surfacesd’inondations maximales correspondant à despassées marneuses repérables sur l’ensemble del’île (mfs 4 et 5). À la base, la passée marneuse estincontestablement marine puisqu’elle contient enabondance des pectinidés, parfois associés à despycnodontes. La vire marneuse sommitale, parcontre, est azoïque, n’ayant actuellement livré nimacrofaune ni microfaune.Au-dessus, la séquence 6 montre un changementimportant dans les conditions de dépôt révéléespar un profond changement biologique et parl’anatomie des constructions coralliennes. Onnote en effet l’apparition de biohermes en len-tilles empilées, conduisant à des morphologies« en sapin », avec oolithes, passant vers le haut àdes faciès stromatolithiques puis thromboli-thiques et stromatolithiques dépourvus de faunes.Cette séquence 6 est incomplète, mais elle mani-feste une tendance vers des conditions émersives

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FIG. 3. — Série synthétique du Messinien de Lampedusa et organisation séquentielle. Abréviations : SEQ, séquence ; mfs, surfaced’inondation maximale.

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depuis des faciès marins internes vers des faciès delagon restreint très peu profonds.Les trois premières séquences possèdent une com-position en matériel bioclastique dominée par lesforaminifères benthiques (alvéolines, milioles,pénéroplidés) dans un environnement chaud àalgues vertes et ooides. La séquence 4 montre unedominance d’algues rouges passant à une associa-tion à bryozoaires et bivalves pouvant traduireune évolution dans les conditions d’environne-ment marin. Les dernières séquences, d’abordcoralliennes très peu profondes avec oolithes puisà dominante microbienne de biotopes restreints,au-dessus d’une mfs 4 régionale, évoquent de prèsle Terminal Carbonate Complex (sensu Esteban1979). Il faut souligner la permanence des condi-tions favorables à l’édification de constructionscoralliennes, excepté au sommet de la succession,comme dans de nombreuses régions deMéditerranée occidentale (e.g., Esteban et al.1996).

LES PARASÉQUENCES ET LES CONSTRUCTIONS CORALLIENNES

Les séquences figurées sur le log synthétique(Fig. 3) sont formées de l’empilement deséquences élémentaires ou paraséquences au sensde Van Wagoner et al. (1988), traduction d’unecyclicité à haute fréquence, dont les caractèresfaciologiques sont détaillés à titre d’exemple pourles séquences les plus représentatives.

PARASÉQUENCES ET CONSTRUCTIONS

CORALLIENNES DE LA PARTIE INFÉRIEURE

DE LA SÉRIE (SÉQUENCE 3)Dans le SE de l’île, entre Punta Parino et Conigli,une étude en continu de l’extension des bancspermet de présenter un schéma de corrélation àhaute résolution des paraséquences de la séquence3, qui révèle des variations d’Est en Ouest surplus de 7 km (Fig. 4).Dans le secteur de Punta Sottile à Cala Madonna(Fig. 4), elles sont marquées par l’empilement devastes fonds coralliens variés (calcaires àHalimeda, packstones bioturbés, bancs rhodoli-

thiques) séparés par des lits marneux ou des sur-faces d’arrêt de croissance. Les constructionscoralliennes, bioérodées par des cliones, sont tou-jours dominées par le genre Porites Link, 1807,avec en moindre proportion des colonies deTarbellastraea Alloiteau, 1951 et de SiderastraeaBlainville, 1830. Elles sont représentées par destapis onduleux avec un développement local decolonies en gerbes métriques ou des ensemblesplus massifs, localement associés à des luma-chelles renfermant une faune provenant des sub-strats coralliens (Chama Linné, 1758, CypraeaLinné, 1758, etc.) et des zones sableuses inter-récifales (Diplodonta Bronn, 1831, PaphiaRöding, 1798, Gastrana Schumacher, 1817,Leporimetis Iredale, 1930, Chlamys Röding,1798, Conus Linné, 1758, etc.). Dans les zonesles plus épaissies, comme par exemple à PuntaMaccaferi et Punta Guitgia, les colonies coral-liennes à Porites peuvent être encroûtées de man-chons micritiques comparables aux croûtesmicrobialithiques fréquemment décrites dansd’autres édifices messiniens de Méditerranée(Riding et al. 1991 ; Saint Martin et al. 1996,1997b). Ces constructions peuvent aussi consti-tuer des dômes surbaissés ou des pâtés à plus fortrelief. En condition d’énergie plus élevée, au-des-sus de surfaces d’abrasion, les paraséquences secomposent de la succession de calcaires bioclas-tiques (packstones-grainstones), grainstones ooli-thiques à foraminifères et débris coquilliers àlitages obliques et entrecroisés. Dans ces cas, lasurface de transgression des paraséquences estpratiquement confondue avec la surface d’abra-sion antérieure qui marquait une stabilité du pland’eau.Dans la partie ouest, en direction de Conigli, lesparaséquences débutent par des marnes verdâtresou des wackestones pouvant comprendre des pas-sées coquillières à leur base, surmontés de pack-stones bioclastiques bioturbés à mollusques,foraminifères benthiques et algues rouges. Lesparaséquences les plus complètes se terminent pardes constructions coralliennes, des planchers rho-dolithiques ou des lumachelles périrécifales richesen bivalves comme Arca noae (Linné, 1758),Glycymeris bimaculata (Poli, 1793), Leporimetis

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FIG. 4. — Exemple de corrélations à haute résolution dans la séquence 3, sur la côte sud de Lampedusa entre Punta Parrino et laplage de Conigli et reconstitution de la distribution des facies en 2D. Abréviation : SEQ, séquence.

papyracea (Gmelin, 1791), Gastrana fragilis(Linné, 1758). Les bioconstructions forment icides horizons d’épaisseur décimétrique à métrique

aux limites ondulées contenant des tapis disconti-nus de colonies en lames à surface bosselée. Onrencontre également des constructions massives

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et des pâtés coralliens isolés formant des dômessurbaissés d’extension décamétrique pour deshauteurs n’excédant que rarement le mètre. Aufinal, les paraséquences ont une signification detype ouverture-comblement.Les faciès semblables, et particulièrement les cal-caires oolithiques et les planchers rhodolithiques,se décalent vers l’Ouest en remontant dans lasérie (Fig. 4). Dans le même temps, les facièssableux à foraminifères benthiques internes,dominants à l’Ouest, passent à l’Est et au Sud-Estde l’île à des constructions coralliennes bien déve-loppées. Cette répartition suggère d’une part unegéométrie en rétrogradation apparente versl’Ouest, au cours d’une extension de la plate-forme et, d’autre part, la possible proximité àl’Est d’une zone de « barrière récifale » marginaleprogradant vers l’Est ou le Sud-Est.

PARASÉQUENCES ET CONSTRUCTIONS

CORALLIENNES DE LA SÉQUENCE 4Dans la séquence 4, les paraséquences ont desépaisseurs décimétriques à plurimétriques et sontséparées par des joints carbonatés blanchâtres cor-respondant à des horizons de condensation(packstones à foraminifères benthiques et alguesrouges, montrant des encroûtements de serpuli-dés et des concentrations en oxydes de fer). Deuxtypes de cyclicité peuvent être distingués :– des cycles de comblement avec constructionscoralliennes peu développées, dans lesquels onobserve, de bas en haut (Fig. 5) : des packstones-grainstones à bivalves, algues rouges, Halimeda,échinodermes et foraminifères benthiques, avecparfois des colonies coralliennes décimétriques,isolées, dès la base. Ces faciès peuvent être biotur-bés et montrent localement des bivalves fouis-seurs en position de vie (Panopea Ménard, 1807) ;ils sont interprétés comme faisant partie de la find’un cortège transgressif. Au-dessus viennent desfaciès analogues, localement riches en bivalvesfouisseurs superficiels (cardiidés), mais montrantun net enrichissement en colonies coralliennes eten algues rouges, pouvant se terminer par desfonds coralliens à colonies éparses, ou par desfonds rhodolithiques. Le sommet de certainescolonies porte les traces de surfaces d’abrasion

marine et de perforations par des lithophages,interprétées comme la marque d’un ralentisse-ment de la sédimentation. Cette association defaciès est interprétée comme un cortège de hautniveau ;– des cycles de comblement à constructions coral-liennes développées qui comprennent desconstructions coralliennes à Porites, associés par-fois à des Tarbellastraea, au relief synoptique ins-tantané ayant la forme de dômes aplatisatteignant 25 m de diamètre et développés surdes épaisseurs de 1 à 5 m, ainsi que de nom-breuses petites constructions métriques isolées oubancs coralliens. Dans ce cas, on trouve de bas enhaut : 1) des constructions coralliennes et latéra-lement des packstones-grainstones à alguesrouges, interprétés comme partie d’un cortègetransgressif. Lorsque ces faciès se développent auxabords de constructions coralliennes antérieuresdont le relief est accusé, ils présentent une géomé-trie en onlap ; ils sont souvent affectés d’uneintense bioturbation (Thalassinoides). Locale-ment, des niveaux rhodolithiques peuvent aussise développer dès la base des cycles ; et 2) lesconstructions coralliennes peuvent perdurer jus-qu’au joint suivant (limite supérieure de parasé-quence). Latéralement, les faciès bioclastiquesmontrent un enrichissement en colonies de bryo-zoaires (parmi lesquelles d’abondants cellépores),bivalves (Spondylus Linné, 1758, Pecten Müller,1776), échinides (Clypeaster Lamarck, 1816),algues vertes, avec quelques colonies coralliennesisolées. Les bioturbations sont très fréquentes,majoritairement en tubes subverticaux dont lapréservation a été assurée par une cimentationmicritique précoce des parois. Cette associationde faciès est interprétée comme un cortège dehaut niveau. Le sommet des paraséquences est souvent occupépar des fonds coralliens plus ou moins denses,interprétés comme la partie terminale du cortègede haut niveau. L’organisation générale des paraséquences peutêtre perturbée par l’intercalation de niveaux dehaute énergie hydrodynamique qui se traduisentpar le dépôt de lags coquilliers ou par la présencede grainstones oolithiques et bioclastiques, à litage

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FIG. 5. — Exemple de constructions coralliennes et de paraséquences dans la séquence 3, falaise nord, entre Punta Alaimo et PuntaCappellone. Abréviation : HCS, hummocky cross stratification.

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horizontal plan ou oblique se recoupant à anglefaible, rarement préservés du fait d’une intensebioturbation.

PARASÉQUENCES ET CONSTRUCTIONS

CORALLIENNES DE LA SÉQUENCE TERMINALE

La partie inférieure de la séquence 6, en grosbancs lités, renferme fréquemment des morpho-logies récifales d’ampleur décamétrique bienexprimées et spectaculaires à l’affleurement. Cespseudo-biohermes coralliens, à Porites (Fig. 6),peuvent aussi se développer dans des niveaux litéssupérieurs. Les paraséquences traduisent unempilement vertical de faciès de plate-formeinterne plus ou moins confinée, souligné par unempilement de bancs coralliens lenticulaires quiinduit des morphologies en sapins, et se termi-nant par des faciès thrombolithiques et stromato-lithiques généralisés à toute l’île.

Constructions coralliennesCes pseudo-biohermes apparaissent toujours biencirconscrits et constituent des anomalies bienvisibles dans les affleurements en falaise (Fig. 6)avec des tailles comprises en moyenne entre 2 et10 m de largeur pour des hauteurs cumulées de 2à 4 m, pouvant cependant atteindre une vingtainede mètres de hauteur pour une base atteignantune trentaine de mètres de largeur à l’extrémitéNE de Lampedusa. Bien qu’il ne soit jamais pos-sible d’observer ces constructions selon plusieursplans de coupe, on peut estimer qu’elles consti-tuent des morphologies subcirculaires ou légère-ment allongées en direction N-S à NNE-SSW.Les pseudo-biohermes caractérisent la permanenced’une activité constructrice corallienne à traversplusieurs épisodes de sédimentation successifs enun même endroit, c’est-à-dire à travers plusieurslimites de paraséquences. Il faut cependant souli-gner que les édifices successifs n’ont jamaisconstitué de relief synoptique important, maistout juste des intumescences sur les bords des-quels abondaient des bivalves fixés commeChama et où s’accumulaient des coquilles demollusques. Les constructions prennent naissanceà différents niveaux, certaines débutant dès labase et perdurant pendant le dépôt des bancs

massifs et d’une grande partie des bancs litéssupérieurs. La variation de l’extension horizontalede chaque construction confère aux pseudo-bio-hermes un aspect général en « sapin » caractéris-tique. Dans la zone de Capo Grecale à l’Est, lesplus grandes constructions se développent dansdes calcaires micritiques ou dans des calcairesmarneux bioturbés à bryozoaires celléporidés etpectinidés, et ils acquièrent des formes en dômesallongés en direction subméridienne. Les mor-phologies spectaculaires développées par les pseudo-biohermes sont soulignées par la déformation descalcaires lités postérieurs aux édifices. En effet, lesconstructions qui se retrouvent à travers leslimites de paraséquences passent latéralement àdifférents niveaux à des dépôts marneux plustendres. La compaction différentielle a eu poureffet d’exagérer le relief au droit des édifices, tan-dis que les sédiments latéraux et postérieursétaient ployés sur les flancs. On observe ainsi queles niveaux marneux, soit contemporains de l’édi-fication, soit coiffant les constructions, présen-tent des déformations (plissements, structures decompaction) dont l’importance décroît en s’éloi-gnant des morphologies. L’armature récifale ren-fermait une faune assez diversifiée utilisant lessubstrats durs coralliens, les anfractuosités et lesremplissages sédimentaires sableux intercoloniauxavec des gastéropodes habituels des milieux réci-faux (Conus Linné 1758, Cypraea, Linné 1758),des bivalves fixés (Spondylus, Chama), épibyssaux(Chlamys Röding, 1798), fouisseurs superficiels(Anadara Gray, 1847, Gastrana) ou foreurs(Lithophaga Röding, 1798, Botula Mörch, 1853,etc.), des échinides (Psammechinus Agassiz,1847). Les accumulations de coquilles latéralesaux constructions sont souvent riches enGastrana et cardiidés.La répartition des pseudo-biohermes et leur fré-quence verticale (Fig. 6), bien qu’assez homogène,montre quelques variations. À l’Ouest de l’île, lesconstructions semblent assez dispersées. Dans lapartie centre-nord de l’île, elles sont distantesd’une cinquantaine à une centaine de mètres,apparemment regroupées en zones de concentra-tion privilégiées, de quelques centaines de mètresà 1 km de diamètre. Dans la zone de Capo

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Grecale-Cala Creta à l’Est, elles apparaissent avecune périodicité comparable mais la taille des édi-fices et celle des zones de concentration augmente.

Constructions microbiennesLa sédimentation stromatolithique se développe àla fin de la série qui affleure à Lampedusa etmontre un caractère constant sur l’ensemble dessecteurs, c’est-à-dire depuis Cala Creta à l’extré-mité est de l’île jusqu’à Punta Parise sur la falaisenord à l’Ouest de Lampedusa.L’étude détaillée d’affleurements dans les falaisesnord montre que les niveaux stromatolithiquess’inscrivent globalement en environnement

confiné bathydécroissant. Ils succèdent à unesédimentation bioclastique et oolithique danslaquelle s’intercale un banc corallien peu épais(0,5 m), apparemment continu (Fig. 3). Troisniveaux principaux peuvent être alors distingués,tous quasiment dépourvus de faune.Reposant sur un lit de marnes verdâtres, se déve-loppent tout d’abord sur 1 à 2 m d’épaisseur, desconstructions stromatolithiques structurées endômes de longueur d’onde métrique subdiviséessecondairement en colonnettes ou dômes déci-métriques.À la surface supérieure des dômes stromatoli-thiques s’étend un mince niveau encore laminé,

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FIG. 6. — Distribution des biohermes dans les falaises nord de Lampedusa dans les séquences 5 et 6 ; A, panorama montrant lesrebroussements au droit des constructions ; B, reconstitution à l’échelle de l’île. Échelle verticale : × 135.

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mais très vacuolaire. Au-dessus, sur 2,5 m, descorps thrombolithiques de forme et taillevariables, constituant parfois des édifices en painsde sucre d’ampleur métrique, s’individualisent ausein de calcaires à laminations assez grossières(mudstones vacuolaires). Les constructionsthrombolithiques présentent une forte porositéoriginelle (fenestrae) pouvant atteindre 40 %. Lescalcaires laminés inter-thrombolithes, dont lanature stromatolithique n’est pas bien exprimée,mais qui renferment de nombreuses vacuoles,devaient correspondre à des tapis microbiens dis-continus ou irrégulièrement développés.

CONCLUSION ET COMPARAISONS

La série sédimentaire est divisée en six séquencesde quatrième ordre (100 ka) dont la somme desépaisseurs et l’uniformité de répartition condui-sent à proposer la création permanente d’espacedisponible pour une sédimentation agradante.Cet espace lié à l’élévation du niveau marin rela-tif, résulte d’un fragile équilibre entre la subsi-dence et l’eustatisme. On note cependant unetrès nette tendance à l’émersion en fin de série.L’ensemble recouvre en continuité une durée cor-respondant à une période estimée du troisièmeordre. La surface d’inondation maximale princi-pale peut être placée au milieu de la série sédi-mentaire, c’est notre mfs 3, associée à unintervalle de condensation qui nous paraît corré-lable à l’échelle régionale. Une autre, égalementremarquable, est notre mfs 4 au-dessus de laquel-le se développent des faciès de type « TerminalCarbonate Complex ». Les six séquences super-posées témoignent de périodes successivesd’ouverture-comblement. Le même dispositif seretrouve au niveau des cycles haute fréquence(paraséquences) qui permettent de circonscriredes espaces de temps très faibles, de l’ordre ducinquième ou sixième ordre (10 à 20 ka). Cesparaséquences paraissent généralement liées à unedynamique de houle, relayée vers la fin par le jeude courants de marées de faible magnitude maisamplifiés par la grande extension de la plate-forme carbonatée messinienne dont le horstactuellement émergé de Lampedusa ne représentequ’une petite partie.

Les constructions coralliennes, pratiquementmonogénériques (à Porites), s’inscrivent dans lasédimentation suivant deux modalités : ils peu-vent constituer les cortèges de haut niveau dansles paraséquences des ensembles inférieurs etmontrer des morphologies en bancs coralliens,tapis, dômes ou colonies isolées suivant la vitessede création d’espace disponible et suivant lesconditions autocycliques de l’environnementmarin. Les coraux peuvent ensuite s’édifier enmorphologies plus dépendantes des conditionsallocycliques, l’architecture en sapin des pseudo-biohermes pouvant relever d’une plus granderégularité dans la fréquence des pulsations trans-gressives. Enfin, comme à Malte (Saint Martin etal. 1997a) et dans d’autres secteurs deMéditerranée (Esteban et al. 1996), la partiesupérieure de la succession enregistre un épisodede conditions d’environnement biologique plusconfiné correspondant aux constructions micro-biennes, avec ici un important développementdes stromatolithes et thrombolithes.Les faciès messiniens décrits à Lampedusa ne sontpas courants en Méditerranée centrale et occiden-tale. La principale raison en est que la plupart desplates-formes récifales messiniennes de cesrégions se développent à partir de paléoreliefsrelativement escarpés, ce qui n’autorise pas ledéveloppement de vastes zones coralliennes pro-tégées (Esteban et al. 1996 ; Cornée et al. 1996).Le meilleur analogue est représenté par la plate-forme de Llucmajor, à Mallorca dans les Baléares,qui s’est installée sur un haut-fond d’échelle déca-kilométrique (promontoire baléarique). Pomar etal. (1996) y ont décrit en détail la plate-formerécifale messinienne, depuis ses parties les plusexternes jusqu’à ses parties les plus internes. Lesfaciès des séquences 1 à 6 de Lampedusa évo-quent de près les faciès d’arrière récif (« lagons »)de Mallorca. Ces derniers se présentent en effetsous forme d’un empilement de strates subhori-zontales sur plusieurs kilomètres de longueur quicorrespondraient essentiellement à des cortègestransgressifs ou à des cortèges de haut niveaudéposés au cours de cycles à haute fréquence(quatrième à septième ordre). Dans les partiesproches des récifs (« lagon externe ») se trouvent

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des pâtés coralliens métriques à Porites domi-nants, bioérodés, des planchers rhodolithiques etune grande abondance de sables bioclastiquesriches en débris de mollusques. En position plusinterne (« lagon médian »), les faciès correspon-dent surtout à des grainstones-packstones richesen débris d’algues rouges, de mollusques etd’échinodermes, avec des foraminifères ben-thiques dominés par les miliolidés. On y trouveaussi, en moindres proportions, des pellets, despelloïdes, des débris de bryozoaires et des articlesd’Halimeda. Ces bancs peuvent présenter desstructures en stratifications entrecroisées. Enfin,en position encore plus interne (« lagon inter-ne »), se trouvent des grainstones-packstones àforaminifères benthiques (miliolidés, alvéolini-dés, soritidés, trochamminidés), pellets, pelloïdes,gastéropodes cérithidés, débris de mollusques etd’échinides. Des niveaux oolithiques s’intercalentdans les sédiments bioclastiques. Ces faciès sontsurmontés, comme à Lampedusa, par des hori-zons stromatolithiques rapportés au « TerminalCarbonate Complex ». La comparaison entreLampedusa et Llucmajor tend ainsi à confirmerque Lampedusa ne représente essentiellementqu’un fragment de la partie la plus interne d’uneplate-forme corallienne qui devait être beaucoupplus vaste, ses zones marginales n’ayant pas étéidentifiées.

CONCLUSIONS

Les calcaires messiniens de Lampedusa se sontdéposés en permanence dans un environnementcorallien peu profond, d’énergie faible à modérée.La série sédimentaire peut être divisée en unitéslithostratigraphiques cartographiées sur le terrain.Elle se compose de plus de 120 m de calcaires etdolomies déposés en domaine de plate-forme trèspeu profonde, dans des conditions paléoenviron-nementales toujours favorables à l’édification deconstructions coralliennes, se terminant par uneunité à contenu biologique restreint (stromato-lithes et thrombolithes) proche de l’émersion.La superposition des unités lithostratigraphiquescompose une séquence de troisième ordre elle-

même subdivisée en six séquences de quatrièmeordre. Deux surfaces d’inondation maximaled’importance ont été identifiées à travers toutel’île, une vers le milieu de la série (mfs 3) etl’autre dans sa partie supérieure (mfs 4).Ces séquences de quatrième ordre sont formées àpartir de l’empilement de séquences d’ordre supé-rieur (10 à 20 ka) qui traduisent toutes un fonc-tionnement en ouverture-comblement. Commeles autres plates-formes de Méditerranée,Lampedusa montre une ouverture d’espace dis-ponible constante, par pulsations transgressivessuccessives, sauf au sommet où des faciès micro-biens subémergeants peuvent être identifiéscomme des niveaux du « Terminal CarbonateComplex » messinien d’autres localités du bassinméditerranéen.

RemerciementsM. Esteban et un rapporteur anonyme sontremerciés pour leur contribution à l’améliorationdu texte. J. Muller a participé à la premièremission à Lampedusa. Les lames minces ont étéen partie réalisées par L. Marié et P. Papi(Marseille). Cet article est une contribution auprogramme ECLIPSE du CNRS intitulé « Lacrise de salinité messinienne : modalités, consé-quences régionales et globales, quantifications ».

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Soumis le 18 mai 2001 ;accepté le 13 décembre 2001.

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