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LES RENCONTRES DE LA DESCO Conférence-débat “ Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ? ” Georges Lüdi, Directeur de l’institut des langues et littératures romanes Président de la commission de planification de l’Université de Bâle Sir John Boyd, KCMG, Co-chairman du Nuffield languages programme Master du Chruchill college, Cambridge Débat animé par Jean-Paul de Gaudemar directeur de l’enseignement scolaire dossier accessible sur le site Eduscol : www.eduscol.education.fr

Ouverture de la conférence-débat · 1 “ Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ? ” Présentation Jean-Paul de Gaudemar Directeur de l’enseignement

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Page 1: Ouverture de la conférence-débat · 1 “ Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ? ” Présentation Jean-Paul de Gaudemar Directeur de l’enseignement

LES RENCONTRESDE LA DESCO

Conférence-débat“ Apprendre des langues étrangères :quelles langues et pour quoi faire ? ”

Georges Lüdi,

Directeur de l’institut des langues et littératures romanesPrésident de la commission de planification de l’Université de Bâle

Sir John Boyd, KCMG,

Co-chairman du Nuffield languages programmeMaster du Chruchill college, Cambridge

Débat animé par Jean-Paul de Gaudemardirecteur de l’enseignement scolaire

dossier accessible sur le site Eduscol : www.eduscol.education.fr

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S O M M A I R E

PRÉSENTATION ..................................................................................................... 1

Jean Paul de Gaudemar, directeur de l'enseignement scolaire

THE NUFFIELD LANGUAGES PROGRAMME ............................................... 5

Sir John Boyd, co-chairman du Nuffield Languages Programme

LES LANGUES VIVANTES ET LES QUESTIONS GÉOPOLITIQUESEN EUROPE ............................................................................................................. 9

Georges Lüdi, directeur de l'institut des langues et littératures romanes

DÉBAT ..................................................................................................................... 14

CONCLUSION ....................................................................................................... 21

Jean Paul de Gaudemar, directeur de l'enseignement scolaire

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“ Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ? ”

Présentation

Jean-Paul de GaudemarDirecteur de l’enseignement scolaire

Je vous remercie d’être présents à cette première conférence du cycle 2002 des rencontresde la DESCO. Je rappelle que leur objectif est de prendre le temps de réfléchir aux grandschantiers pédagogiques que nous sommes amenés à conduire, et de le faire dans desconditions qui nous permettent de prendre un peu de distance, notamment en invitantrégulièrement des collègues étrangers. Ceux-ci nous aident à mieux comprendre la façondont nos pays amis et partenaires, notamment en Europe, font face à des enjeux qui sontgénéralement assez voisins des nôtres, et à nourrir notre propre réflexion. Ces rencontressont donc pour nous un espace libre de parole et de discussion collective, enrichies par lesréflexions toujours très stimulantes de nos collègues étrangers.

Dans les mois à venir, les rencontres qui suivront nous amèneront à nous pencher surd’autres questions, en particulier sur celle de l’évaluation des compétences et desconnaissances de nos élèves, pour laquelle nous tenterons de prendre une distance critiquevis-à-vis d’une grande enquête internationale qui vient d’être publiée. Cette enquête, quiporte sur de nombreux pays, a été diligentée par l’OCDE, et soulève diverses questions, tantsur le plan de la méthode que sur celui de l’interprétation de ses résultats. L’enseignementdes sciences ainsi que la formation professionnelle constitueront nos autres thèmes derencontres. Sur cette dernière question, qui représente un des grands enjeux des systèmeséducatifs, nous devrions aussi bénéficier d’une approche internationale et européenne.

L’apprentissage des langues étrangères, thème qui nous préoccupe aujourd’hui, a toujoursnourri fortement la réflexion du ministre de l’Éducation nationale. Mais nous avons aussisouhaité éclairer nos interrogations à la lueur d’expériences étrangères. Il serait d’ailleurs unpeu absurde de s’intéresser aux langues étrangères sans s’intéresser aux pays dont nousenseignons les langues. Ce type même d’enseignement n’a de sens que par sa réciprocité.Plutôt que de rester dans un débat franco-français, je pense pour ma part qu’il estextrêmement important que ce débat ait lieu aujourd’hui à une échelle internationale, neserait-ce que parce que nous savons à quel point, pour nos élèves, l’apprentissage est facilitédu fait des partenariats que nous développons avec les pays dont nous enseignons leslangues.

Quelles langues étrangères ? Et pour quoi faire ? Les questions sont moins simples qu’iln’y paraît. Je pense que la réponse française s’articule essentiellement autour de quatrenotions.

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La précocité

Il s’agit de l’idée selon laquelle l’enseignement des langues a tout à gagner à commencertrès tôt dans le parcours scolaire d’un enfant. La décision prise en France de l’introduire dèsl’école primaire en découle. C’est une grande rupture culturelle par rapport à la tradition dusystème scolaire français : il y a encore une dizaine d’années, il paraissait évident quel’enseignement des langues ne devait pas démarrer avant le collège. Cet enseignement setrouvait relativement concentré sur une période allant de l’âge de onze ans, en moyenne,jusqu’à la fin de la scolarité. Le résultat d’une telle approche est que si l’on considère lapopulation étudiante française actuelle, à quelques exceptions près, il est difficile d’affirmerque celle-ci atteint un niveau suffisant de compétences linguistiques. D’où l’idée decommencer très tôt l’apprentissage des langues étrangères.

La continuité

Il s’agit de faire en sorte que l’offre de langues, dans notre système d’enseignement, soitcontinue et cohérente, afin qu’un élève ne soit pas obligé au cours de son parcours scolaired’abandonner l’apprentissage d’une langue. Cela revient à affirmer qu’un tel apprentissagen’a de sens que s’il est prolongé le plus loin possible, non pas dans une optiqued’accumulation stérile, mais parce qu’une langue dont l’apprentissage n’est pas poursuivi estune langue qui s’oublie.

La diversité

Cette troisième notion nous plonge au cœur du problème posé dans notre rencontred’aujourd’hui. Elle nous ramène au débat sur les choix des langues à enseigner. En forçantun peu le trait, on trouve face à face les partisans du “ tout anglais ” et ceux de ladiversification linguistique. Le choix arrêté très clairement par le ministre de l’Éducationnationale est celui de la diversification linguistique, même si nous savons, en particulier pourl’école primaire, que cela se traduit par une assez forte polarisation autour de l’anglais. Leréalisme n’exclut pas la diversification linguistique. Un tel plaidoyer sert non seulement àaffirmer une vision politique de l’espace européen, mais aussi à contribuer d’abord à ladéfense du français lui-même, ensuite à une vision pluri-culturelle et pluri-linguistique del’Europe. La disparition d’une langue est aussi la perte d’une partie du patrimoine del’Humanité. Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’anglais, en particulier pour tout ce quiconcerne les échanges économiques, mais de considérer l’importance politique etpédagogique d’un enseignement fondé sur la diversification linguistique qui n'exclutévidemment pas l'apprentissage de l'anglais mais pas forcément dès le début.

La qualité

Les critiques sont nombreuses sur l’efficacité de notre enseignement des langues. Ellespeuvent apparaître fondées et ont d’ailleurs des conséquences sur la façon même dont estconçu l’enseignement des langues, à la fois sur le temps qui lui est consacré, la manière dontil est dispensé et ce qui, au sein d’un tel enseignement, peut apparaître comme trop peutourné vers la pratique de la langue elle-même. Ces questions essentielles sont au cœur detoutes nos réflexions, y compris celle qui concerne la diversification des modèles

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pédagogiques, par exemple les systèmes bilingues dans lesquels on ne se contente pasd’enseigner la langue, mais d’enseigner dans la langue.

Mais plus encore, cette notion de qualité implique que nos objectifs soient explicites parrapport aux compétences attendues des élèves. Nous avons essayé de déterminer, à l’écoleprimaire, quel était ce niveau attendu de compétence, tout en recherchant unecommensurabilité internationale, en nous fondant notamment sur les outils mis au point parle Conseil de l’Europe. Nous en sommes arrivés à la définition d’un niveau de compétenceattendu à la sortie de l’école primaire équivalent au niveau A1 du Conseil de l’Europe, unefois que le programme actuel aura achevé sa montée en puissance, c’est-à-dire dans unedizaine d’années environ. Une telle politique implique des exigences futures par rapport àl’offre de langues au collège puis au lycée, dans une diversification linguistique qui prendrabientôt la forme d’une deuxième langue vivante obligatoire dès l’entrée au collège. Nousallons donc passer à un modèle où la première langue sera apprise dès l’âge de cinq ans pourêtre ensuite rejointe et accompagnée par l’apprentissage d’une deuxième langue dès lecollège. Les profils linguistiques des générations futures devraient donc être très différentsde ceux que nous connaissons actuellement.

Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est pour étudier les modalités de la mise en œuvrede ces grands objectifs, notamment à partir de ce que nous enseignent les expériencesmenées par nos pays voisins, engagés dans le même espace culturel.

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Présentation des intervenants

Nos deux conférenciers invités ont bien sûr en commun d’avoir beaucoup réfléchi ettravaillé sur l’enseignement des langues et d’avoir apporté, dans leur pays, des contributionsreconnues sur ce sujet. Mais il nous a également paru intéressant de les convier pour uneautre raison : ils représentent deux pays que l’on pourrait presque situer aux deux extrêmesde la pratique linguistique, et peut-être aussi aux extrêmes des conceptions pédagogiquesdans le système éducatif.

Sir John Boyd a longtemps été diplomate en poste à l’étranger ; outre les fonctions qu’iloccupe aujourd’hui au Churchill Collège de Cambridge, il est co-auteur d’un rapport fortconnu en Grande-Bretagne, et qu’il est convenu d’appeler le rapport Nuffield. Vu de France,ce rapport nous est apparu comme l’un de ces événements marquants dans l’histoire d’unsystème éducatif, qui a non seulement déclenché un grand débat, mais qui a aussi entraînédans la politique du gouvernement anglais de substantielles modifications quant à la placetenue par l’enseignement des langues étrangères. Cela m’avait personnellement beaucoupfrappé, à l’époque de la publication de ce rapport, de voir ce pays, considéré à tort ou àraison comme un peu replié sur sa propre langue, essayer de nouvelles approches pourfavoriser l’enseignement des langues étrangères. D’ambitieuses stratégies y sontdéveloppées, non seulement dans l’enseignement secondaire, mais aussi au niveau de l’écoleprimaire, ainsi que me l’expliquait récemment la ministre britannique de l’Éducation, EstelleMorris. C’est donc un changement culturel important qui est en train de s’opérer en Grande-Bretagne. Sans doute le rapport Nuffield y est-il pour beaucoup ; Sir John Boyd nous livrerasa vision de la situation britannique actuelle à ce sujet

Georges Lüdi est professeur à l’Université de Bâle, où il est également directeur del’Institut des langues et littératures romanes. Il représente, à nos yeux, l’autre extrême dansl’approche de l’enseignement linguistique, puisqu’en Suisse, c’est le multilinguisme qui astatut officiel. Cette situation vaut tant par la composition institutionnelle très originale dupays, où l’on parle quatre langues officielles (l’allemand, l’italien, le français, le romanche),que par les nombreux dialectes qui s’y trouvent pratiqués. La Suisse est presque le pays dumultilinguisme par excellence. On y est face à un modèle d’organisation pédagogique trèsintéressant.

La parole est donc à présent à nos deux conférenciers.

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The Nuffield Languages Programme1

Sir John Boyd, KCMGCo-chairman du Nuffield languages programme

Master du Chruchill college, Cambridge

Tout d’abord, je voudrais préciser qu’en qualité de diplomate, je n’ai jamais été amené àtravailler en France. J’ai surtout travaillé en Chine et au Japon, et vous verrez que cela m’adonné une certaine vision de nos responsabilités, en tant qu’Européens. J’ajoute que jepartage totalement l’analyse de Monsieur de Gaudemar. J’aimerais vous expliquer pourquoinous avons éprouvé le besoin de réaliser une étude sur l’enseignement des langues. Cetteétude – le rapport Nuffield – révèle l’étendue de la crise de l’enseignement des langues enGrande Bretagne et propose des remèdes. Si une stratégie en la matière est bien en train des’élaborer, l’obtention de résultats concrets est une autre affaire.

Pourquoi un rapport sur l’enseignement des langues ?

L’étendue de la pratique de la langue anglaise dans notre monde contemporain n’est pasforcément un grand avantage pour les Britanniques : en Angleterre, neuf adolescents sur dixarrivent à l’âge de seize ou dix-sept ans sans pouvoir prononcer un seul mot d’une langueétrangère. C’est une honte nationale, et c’est un handicap dans un monde qui se globalise deplus en plus, où l’obtention d’un emploi nécessite parfois la possibilité de pouvoir vivre dansun autre pays que le sien, et où les investissements exigent la compréhension des cultures quivous accueillent. Dans un tel contexte, l’urgence d’une enquête comme le rapport Nuffield sefaisait cruellement sentir.

Je précise que si j’en étais effectivement le co-président, je n’ai pas le profil du secteurconcerné : je ne suis pas professeur de langues. En revanche, j’ai passé ma vieprofessionnelle à pratiquer des langues étrangères, et je suis actuellement responsable deplusieurs centaines d’étudiants. Je sais par conséquent parfaitement quels sont leurs attenteset leurs besoins.

L’étendue de la crise

L’enquête a duré deux ans. Un point capital à souligner est qu’elle n’était pas diligentéepar un lobby : il ne s’agissait en rien d’une manœuvre des professeurs de langues cherchant àrecueillir des fonds auprès du grand public et à s’attacher l’appui du gouvernement.L’élaboration du rapport Nuffield a commencé par une enquête auprès du grand public pourdécouvrir quels étaient ses besoins vis-à-vis du monde moderne. Les spécialistes en languesont été, bien entendu, consultés, mais aussi les étudiants, les banquiers, les commerçants,l’armée, la police, le gouvernement, etc. Toutes les catégories de population ont étéquestionnées. Nous avions en effet un très fort souci de la plus exacte représentativité des

1www.nuffieldfoundation.org/languages

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résultats obtenus par rapport à la population de Grande-Bretagne.

Tous les résultats ont confirmé la crise de notre système d’enseignement des langues. Cen’est pas une crise intellectuelle, au sens où les Britanniques seraient totalement incapablesd’apprendre une langue étrangère : quand les circonstances sont favorables à l’enseignementd’une langue, les Britanniques sont parfaitement capables de l’apprendre. Dans la diplomatieou la banque, ceux qui veulent apprendre le chinois ou l’arabe y arrivent très bien. Mais leslangues européennes ne sont pas logées à la même enseigne. Il faut remédier à cette situationcar, si nous vivons aujourd’hui dans un village global, c’est d’abord d’un village européendont il s’agit. C’est une nécessité culturelle, spirituelle et politique que d’être à même depouvoir pratiquer une communication à 100 %.

L’écriture du rapport Nuffield lui-même a pris deux ans ; il a été en général très bienaccueilli, mais vous verrez que les résultats concrets n’ont pas forcément suivi. Il fautpréciser que si l’un des objectifs du rapport était bien de décrire l’étendue de la crise enGrande-Bretagne, il s’agissait aussi d’ouvrir un nouveau temps du débat sur les langues dansnotre pays. Nous tenions à souligner l’importance des langues pour la survie nationale,l’emploi des jeunes, la capacité de la Grande-Bretagne à influer sur le cours des événementsen Europe.

Les recommandations du rapport Nuffield

Avant le rapport Nuffield, l’idée de commencer le plus tôt possible dans la vie d’unenfant l’apprentissage d’une langue étrangère ne trouvait pas beaucoup d’échos en Grande-Bretagne. Cette idée est aujourd’hui de plus en plus acceptée. J’y suis moi-même trèsfavorable.

Il serait également intéressant d’introduire un système de progression logique del’apprentissage de la langue, comme une carte de route qui débuterait à l’école primaire,serait fortement suivie dans le secondaire et se prolongerait à l’université sous la forme detests successifs par exemple. Nous voulons faire accepter l’idée de continuité dans l’étudedes langues, y compris les études supérieures terminées. C’est d’ailleurs ce qui arrive auxdiplomates, quand on leur demande, à l’âge de trente ans, d’assimiler rapidement la languede leur futur pays d’affectation. Les adultes sont parfaitement capables d’assimiler unenouvelle langue étrangère. Pour mon cas personnel, j’ai débuté le japonais à l’âge decinquante ans ; je ne suis pas parfaitement bilingue, mais peux sans difficulté avoir uneconversation en japonais.

L’élargissement du cercle des spécialist languages colleges, notamment dansl’enseignement des langues, par le gouvernement britannique, est l’une des conséquences durapport Nuffield, et l’on doit s’en réjouir. Cependant, la principale préoccupation desrédacteurs du rapport reste l’élévation du niveau global de la population, et pas seulementd’une certaine élite.

Il faut également développer les cursus universitaires mixtes, qui permettraient decontinuer l’étude d’une langue étrangère et d’assurer l’avenir des départements de languesdans les universités, par exemple sous la forme de cursus français-droit ou japonais-ingénieur. Ces cursus connaissent actuellement un certain succès.

Quelle langue apprendre ? Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, la langue étrangère la plusapprise reste le français. Pour parler franchement, je crois malheureusement qu’il s’agit là

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d’une situation déséquilibrée, dans laquelle le français est sur-représenté, alors que deslangues comme l’espagnol ou l’allemand sont non seulement sous-représentées, mais demoins en moins apprises. Or, si nous voulons parler d’espace européen, il faut tenir comptede l’espagnol, de l’allemand, mais aussi du russe, par exemple. Et hors d’Europe, en tantqu’Européens, nous avons des responsabilités vis-à-vis de cultures qui paraissent lointainesmais qui sont des viviers de futurs grands talents : par exemple la Chine pour les sciences etles mathématiques. Nous devons prendre très au sérieux cette évolution et je suispersonnellement attaché à l’idée de développer les efforts en Europe vers une compétenceglobale. J’ai le sentiment qu’il y a cinquante ou cent ans, Paris, Berlin, Bâle, Londres étaientplutôt à la pointe dans ce domaine, et qu’aujourd’hui nous occupons les dernières places.

Je constate les nombreux points communs entre la situation en France et celle en Grande-Bretagne. Par ailleurs, notre pays souffre d’un important déficit en professeurs de langues. Ilme paraît indispensable que nous soutenions mutuellement nos efforts. Ensemble, nouspouvons sûrement faire plus qu’il n’est fait actuellement pour l’apprentissage des langues.

Les réactions au rapport Nuffield

Dans l’ensemble, le rapport a été plutôt bien accueilli, autant par le public que par lapresse ou le gouvernement. Malheureusement, d’autres grands chantiers retiennentdavantage l’attention de ce dernier en ce moment : la question des chemins de fer, celle del’école sous un autre angle, celle des hôpitaux, sans oublier nos propres échéancesélectorales. Je ne m’attends donc pas à ce que toutes les préconisations du rapport Nuffieldsoient appliquées. Mais il y a au moins trois points sur lesquels il y a lieu d’être optimiste :d’une part, je crois que l’accueil du public a été tellement bon que le gouvernement se sentobligé d’agir, d’une façon ou d’une autre. D’autre part, le gouvernement est en train d’élargirle cercle des écoles spécialisées dans l’apprentissage des langues. Enfin, il vient égalementd’autoriser cet apprentissage dès l’arrivée des élèves dans le primaire.

Cela dit, le gouvernement estime qu’il faudra au moins dix ans pour faire profiter lespremiers élèves de cette possibilité. De plus, il a annoncé avoir prévu de donner bientôt auxélèves de quatorze ou quinze ans la possibilité d’abandonner l’étude des langues s’ils ledésirent. Cette décision nous paraît, à nous autres rédacteurs du rapport, catastrophique surtous les plans. Nous avons mené une grande campagne de presse pour faire comprendre quenous jugions la proposition inacceptable.

Je conclurais sur l’idée que l’apprentissage des langues étrangères est essentiel à denombreux égards : d’un point de vue pratique pour nous intégrer en Europe, par esprit desolidarité pour que nos jeunes trouvent un emploi, mais aussi parce qu’il existe entre lesEuropéens une histoire culturelle magnifique et qu’il faut tout faire pour qu’elle se perpétue.

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Débat

De la salle

Quel devrait être le critère de choix des langues étrangères à apprendre ? Doit-il êtreéconomique ou culturel, par exemple ? Et les langues régionales trouvent-elles leur placeparmi celles-ci ?

Sir John Boyd

Le rapport Nuffield s’intéresse de près à la réussite de la revitalisation du gallois par legouvernement du pays de Galles. Par ailleurs, une des propositions du rapport Nuffield étaitde mettre en valeur le fait que la composition de la population britannique était très variée, cequi constitue un atout pour l’apprentissage, de langues comme le cantonais par exemple, afind’aller au-delà de certains préjugés historico-linguistiques difficiles à battre en brèche.

Michel Roussel, proviseur du lycée Martin Nadaud – Paris 20ème

Que propose le rapport Nuffield pour promouvoir l’enseignement de l’arabe ?Actuellement, cet enseignement ne concerne malheureusement que très peu d’élèves enFrance.

Sir John Boyd

Concernant l’arabe, nous sommes aujourd’hui en grande difficulté politique et stratégiqueen face de toute une région du monde, simplement parce que nous n’avons pas fait l’effort decontinuer à communiquer avec elle, dans ses langues. Il faut agir, c’est certain. Comment ? jel’ignore pour l’instant.

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Les langues vivantes et les questions géopolitiques en Europe

Georges LüdiDirecteur de l’institut des langues et littératures romanes

Président de la commission de planification de l’Université de Bâle

J’ai pour ma part mis au point en 1998 avec un groupe d’experts un concept général pourl’enseignement des langues en Suisse. Nous avions fait des propositions aux gouvernementscantonaux. Mais nous avons constaté que, comme pour le rapport Nuffield, il y a un décalageentre les propositions d’experts et l’action gouvernementale, cependant je crois pouvoiraffirmer que beaucoup de choses sont en route aujourd’hui en Suisse. Les directions quenous proposions vont dans le même sens que ce qui est préconisé en Angleterre ou enFrance, à savoir un enseignement plus précoce pour tous, deux langues étrangères auminimum avec un renforcement des enseignements bilingues par immersion et desméthodologies qui ouvrent sur la sensibilité aux langues. Ce rapport est disponible surInternet.2

Par ailleurs, il existe effectivement une légère avance de la Suisse en matièred’enseignement des langues étrangères, due à une tradition un peu plus longued’enseignement des langues. Mais le cliché selon lequel les Suisses parlent plusieurs languesest malheureusement à oublier : la situation est comparable à ce qui a été constaté pour laFrance et la Grande-Bretagne.

La question de la précocité au niveau européen

Il existe un mouvement important aujourd’hui en Europe, y compris au niveau desinstances politiques européennes, qui va dans le sens d’un apprentissage des langues dès lapetite enfance. Malheureusement, il faudrait que le terrain s’imprègne aussi de cette volonté.Comme vous le savez, l’Union européenne a commandé un rapport sur l’enseignement dufrançais comme langue étrangère dans les classes primaires, et les conclusions de ce rapportne sont pas très positives. Cela s’explique pour deux raisons : d’une part, les enseignants nesont pas formés à l’enseignement d’une langue étrangère ; d’autre part, la langue elle-mêmeest mal connue des enseignants. Il faut donc que les gouvernements d’Europe mettent à ladisposition des écoles les moyens nécessaires pour réaliser cet enseignement.

2 www.romsem.unibas.ch/sprachenkonzept/

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Vers un plurilinguisme individuel et fonctionnel

Il est évident que le type de plurilinguisme que l’on peut obtenir de la part de l’école n’estpas la parfaite maîtrise à l’écrit et à l’oral d’une ou plusieurs langues étrangères. Ce qui doitêtre recherché et obtenu est un plurilinguisme fonctionnel et individuel, c’est-à-direapportant la capacité de communiquer dans les autres langues dans la vie quotidienne et depasser de l’une à l’autre si nécessaire.

Dans ce plurilinguisme individuel, quelles langues enseigner ?

Je distingue la langue première de la langue officielle afin de tenir compte des languesrégionales et des langues de l’immigration. Ainsi, j’ai mis en évidence différents niveaux delangues : la langue première, les langues officielles, les langues voisines, la lingua franca,les langues de l’immigration (le turc pour les Allemands, l’arabe pour les Français, etc.) etles langues anciennes. Sur ce répertoire, j’estime que les quatre premiers niveaux de languedevraient être obligatoires.

En Suisse, c’est presque le cas. Les langues de l’immigration comme langues premièressont enseignées dans des classes financées, en général, par les pays d’origine ou par lescantons, quand le pays d’origine n’existe plus ou ne peut/veut pas le faire (pour des languescomme l’albanais, le kosovar ou le kurde). Chaque enfant suisse apprend dès l’écoleprimaire la langue officielle de son lieu d’habitation, une deuxième langue nationale et unelingua franca. Dans de nombreuses écoles, d’autres langues comme le latin, l’espagnol ou lechinois sont proposées. Sur cette base, les élèves peuvent apprendre d’autres langues pareux-mêmes.

Bilinguisme précoce et langue d’immigration

Au XIXe siècle, les Anglais avaient une attitude très négative vis-à-vis du bilinguismeprécoce. Or on sait aujourd’hui que les enfants bilingues précoces sont souvent plus créatifs,plus intelligents et d’un comportement plus flexible, que les bilingues tardifs. Cetteconclusion a été confirmée par une étude récemment menée à Bâle, à partir de la techniquede la résonance magnétique nucléaire. Les bilingues précoces sont définis comme les enfantsbilingues avant l’âge de trois ans et les bilingues tardifs comme les enfants bilingues aprèsl’âge de dix ans.

Au cours de cette étude, on a observé que, pour les bilingues tardifs, les réseauxneuronaux consacrés aux deux langues occupaient un espace beaucoup plus vaste du cerveauque pour les bilingues précoces. En outre, chez ces derniers, la troisième langue est traitéedans les mêmes régions du cerveau que pour les deux autres langues, ce qui n’est pas le caspour les bilingues tardifs. Cette découverte est fondamentale pour la recherche enlinguistique. Elle démontre que le bilinguisme constitue un avantage évident dansl’apprentissage des autres langues. Il faudrait donc soutenir au maximum les enfants issus del’immigration dans l’apprentissage des langues. Par exemple, pour les arabophones enFrance, il faut à tout prix soutenir le maintien de la langue d’origine et l’acquisition précocede la langue d’accueil pour que ces enfants puissent bénéficier de leur bilinguisme précocedans l’acquisition d’autres langues.

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Quelles langues enseigner ?

L’école exerce une fonction d’initiation permettant l’évolution dynamique d’un répertoirelinguistique pendant toute une vie. En somme, elle doit enseigner à apprendre. Cela signifieque l’on considère le bagage linguistique d’un individu comme un répertoire et non commeun ensemble d’éléments disparates.

Mais il faut accepter que les individus ne possèdent pas toutes les langues de leurrépertoire au même degré. Il est évident que le niveau d’exigence pour la langue officielledoit être élevé. Pour une langue voisine (en Suisse : une seconde langue nationale), lacompétence doit être meilleure que pour la lingua franca. C’est dire que l’on admettrad’emblée, pour les langues étrangères, des compétences partielles.

Dans toutes les langues, le niveau oral doit être meilleur que le niveau écrit. Saufexception, nous mettons clairement l’accent sur les compétences orales et de compréhension.En outre, nous préférons qu’une personne parle plusieurs langues de manière partielle, plutôtque deux langues à la perfection.

Rechercher les langues voisines

La carte linguistique de l’Europe met en évidence les différents groupes de langues dechaque zone (langues romanes, langues germaniques, etc.) La première question qui se poselorsque l’on conçoit un programme pédagogique est celle de la langue voisine à adopter.Pour l’Alsace, la réponse est claire. Mais pour la région de Montpellier, elle pourrait être soitle catalan soit l’espagnol. Dans le Nord, elle est le flamand. Au Havre, elle pourrait êtrel’anglais. Comme on le voit, l’anglais est une langue voisine en France, mais qui ne concernepas tout le pays.

Dans le choix de la langue voisine à enseigner, la question du prestige des langues entreen ligne de compte. Ainsi, le Land du Baden-Württemberg a décidé récemment que lapremière langue étrangère dans les écoles primaires serait le français. Or à l’Est del’Allemagne, quel gouvernement allemand oserait promouvoir le polonais dans les écoles ?Du point de vue du strict prestige, chaque langue ne revêt donc pas le même attrait. Je suisparfaitement conscient que la question du voisinage immédiat se croise avec une notionéconomique. En Suisse alémanique, il est évident que le fait de savoir le français vouspermet d’accéder à un salaire plus élevé que le fait de savoir l’italien.

Définir la lingua franca

A l’origine, la lingua franca était une langue mixte entre l’italien, l’espagnol, le françaiset l’arabe que l’on parlait dans le bassin méditerranéen. Aujourd’hui, on emploie ce mot pourdésigner toute langue mixte et véhiculaire, entre personnes ne parlant pas la même langue.

Si telle est la définition de la lingua franca, il n’y a aucune raison de ne pas admettrel’anglais comme telle. En effet, l’anglais est utilisé pour s’adresser à des étrangers de tous lespays, qui ne parlent pas non plus un anglais parfait. Dans cette situation, les anglophonesdoivent adapter leur langue au niveau de la communauté internationale.

Mais la lingua franca pourrait aussi bien être le français et il pourrait aussi coexisterplusieurs linguae francae en Europe, comme le russe – et avant lui l’allemand et le yiddish –

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l’a été pendant des années dans les pays de l’Est. Ainsi, dans la zone des langues romanes –ou, mieux encore, que chacun parle sa langue – et ainsi de suite. C’est pourquoi, à Peruggia,il est plus facile de communiquer en français qu’en anglais et que, statistiquement, sur uneassemblée de personnes, une plus grande proportion d’entre elles comprennent le français etnon l’anglais.

Ainsi, sur le plan pédagogique, il est logique de concevoir des matériaux didactiquesadaptés, en fonction de la famille de la langue à acquérir et de la famille de la languematernelle de l’étudiant. Par exemple, on trouve des manuels proposant l’accès simultané àtoutes les langues romanes pour les locuteurs d’une langue romane. De telles méthodesexistent pour les langues slaves ou germaniques.

Si l’on soutient une telle conception de l’intercompréhension à l’aide d’une lingua francaou de compétences de compréhension réduites dans plusieurs langues apparentées, il fautnon seulement admettre que certains parleront un mauvais français, un mauvais italien ou unmauvais anglais, mais aussi que les francophones, italophones ou anglophones parlent unfrançais adapté à un public hispanophone, français ou anglais. Ainsi, on pourrait développerune « culture de communication » romane en enseignant les bases de toutes les autreslangues romanes et en apprenant à les parler d’une manière adaptée pour les autresnationalités de langue romane.

Cette solution signifierait, pour la France, l’introduction massive de moyensd’enseignement permettant d’apprendre toutes les autres langues romanes et de créer desponts entre elles, tant au niveau des ressemblances qu’au niveau des faux-amis. A côté decela, il resterait évidemment primordial d’apprendre une langue étrangère de manièreapprofondie. Cette langue d’approfondissement pourrait être l’allemand, l’anglais,l’espagnol, une langue régionale ou le russe. L’anglais à un niveau « ration de survie »pourrait s’y ajouter comme lingua franca internationale.

Actuellement, en France, au lycée, on demande le même niveau dans les deux languesvivantes. Il faudrait réfléchir pour savoir si l’une d’elles ne devrait pas être privilégiée, sansque ce soit nécessairement l’anglais pour tout le monde.

Si l’anglais était choisi massivement comme langue d’approfondissement par tous lesEuropéens, nous arriverions à une situation dangereuse. En effet, nous parviendrions à uneconception diglossique de l’Europe. Aujourd’hui, certaines personnes se demandentpourquoi investir tant de temps dans l’apprentissage des langues. Il suggèrent d’adopterl’anglais comme langue de prestige, la langue officielle locale devenant langue vernaculaire.Ainsi, le français – comme le basque, le catalan ou l’alsacien – ne serait plus parlé qu’à titrede langage locale, familiale avec une portée communicative minimale. L’anglais serait lalangue de prestige réservée à la communication officielle : médias, vie publique, discussionsaux parlements, banques.

C’est pour moi une vision d’horreur. Mais de nombreux chefs d’entreprise européensappelleraient cette vision de leurs vœux. Pour éviter que cela ne se produise, il faudraitpromouvoir un plurilinguisme (et non seulement un bilinguisme) individuel au sein d’unsystème à plusieurs linguae francae régionales, même si – ou mieux : à cause du fait que – ilest probablement inévitable que tout le monde possède l’anglais à un niveau minimal.

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Conclusion

Quelle leçon peut-on en retirer pour l’enseignement des langues étrangères ? Permettez-moi de l’illustrer pour le français langue étrangère en Europe et à travers le monde.

Je pense qu’en la matière, il convient de distinguer trois catégories d’étudiants.

D’une part, on trouve ceux qui iront très loin dans l’apprentissage de la langue, dont lemétier exigera une excellente compétence linguistique, y compris dans les domaines culturel,littéraire, historique et géographique. Ces étudiants suivront un cursus que nous baptisons lesÉtudes françaises (french studies dans le monde anglo-saxon) . Ils constituent une minorité.

D’autre part, on trouve ceux qui apprennent le français à un niveau leur permettant devoyager en France ou dans d’autres pays francophones, de se faire comprendre et decomprendre les habitants dans le langage courant du quotidien. Leur nombre est beaucoupplus grand. Nous aimerions par exemple que tous les Suisses allemands fassent partie decette catégorie. Le niveau de compétence exigé sera évidemment nettement inférieur et plus« fonctionnel ».

Troisièmement, les centaines de millions de locuteurs d’une langue romane commelangue première (ou éventuellement seconde) pourraient développer des compétences decompréhension uniquement en français.

En tout état de cause, il est primordial, lorsque l’on apprend ou enseigne une langue,d’avoir conscience de l’objectif à atteindre. Cette question revêt un caractère politique. Ils’agit de déterminer qui devra s’arrêter au niveau C 2 pour qui le niveau B 1 représentel’objectif visé – et qui pourra se contenter d’un A2 et d’un B2 en compréhension écriteseulement.

Pour l’enseignement des langues étrangères en France, la situation est sans doute en principeidentique, mais je ne me permettrai pas d’émettre des propositions à ce sujet.

Les langues vivantes et les questions géopolitiques en Europe.Georges Lüdi (Université de Bâle)

Les supports utilisés (présentation Powerpoint) pour cette intervention sont téléchargeables également sur le site EduSCOL .

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Débat

Jean-Paul de Gaudemar

Je remercie beaucoup Georges Lüdi de son exposé d’autant plus intéressant qu’il étaitcomplémentaire de celui de Sir John Boyd, et illustrait un point de vue de linguiste.L’objectif de compétence que l’on souhaite insuffler à l’enseignement des langues est aucœur de nos préoccupations. On ne peut pas réfléchir à l’apprentissage des langues à l’écolesans se fixer des objectifs clairs en matière de compétence. Je le dis d’autant plus volontiersque l’on peut avoir le sentiment que l’enseignement des langues en France pendant trèslongtemps s’est plus attaché à diffuser un savoir de culture générale qu’à véritablementdélivrer une compétence linguistique. Il serait très dangereux pour notre avenir de ne pasdévelopper cette dernière.

Francis Goullier, inspecteur général de l’éducation nationale, chargé de mission pour leslangues vivantes au cabinet du ministre

Je remercie Georges Lüdi pour l’éclairage qu’il nous a fourni au sujet de lacomplémentarité des compétences linguistiques et de la remise en cause des idées reçues surles compétences internes dans les différentes langues. Pourriez-vous nous donner votre avissur le rôle que joue le porfolio européen des langues dans la politique mise en œuvre enSuisse dans cette perspective ? Par ailleurs, lorsque la lingua franca se trouve être en mêmetemps la langue du voisin, quel enseignement doit être fourni à son sujet ?

De la salle

Le niveau de compétence a-t-il des répercussions sur l’ordre d’apprentissage deslangues ? Faut-il débuter avec l’apprentissage d’une langue étudiée de manière approfondieet faire passer les linguae francae en second ?

Georges Lüdi

En Suisse, la conférence des éducateurs cantonaux de l’éducation publique a recommandéd’introduire le portfolio européen des langues dans tous les cantons. Le portfolio européendes langues est un document conservé par les élèves, contenant l’état d’avancement de leurscompétences linguistiques, que ce soit pour les langues scolaires ou les langues apprises dansun contexte extra-scolaire. Le portfolio sert d’instrument pédagogique, car il constitue uncontrat didactique et motivant entre les élèves et les enseignants à un niveau très détaillé,mais il constitue également un instrument sociétal permettant de visualiser le répertoireplurilingue des élèves. En Suisse, il a été décidé d’introduire cet instrument, même si lesobjectifs politiques n’ont pas été réalisés partout.

Les deux autres questions qui m’ont été posées semblent s’attacher à un même sujet : lesrelations entre les langues du voisin, leur portée communicative, leur niveau de compétenceet leur période d’apprentissage.

D’un point de vue de stricte théorie linguistique, il est important de commencer très tôtl’apprentissage d’une deuxième langue, quelle qu’elle soit. Malheureusement, il existe une

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dimension symbolique à l’ordre dans lequel on enseigne les langues. En Suisse, certainspréconisent de commencer par l’enseignement de l’anglais en pensant que le français suivra.Par la suite, on dira qu’il n’est plus nécessaire d’enseigner d’autres langues que l’anglais. Ilexiste donc un avantage politique, et moins acquisitionnel, à débuter par l’apprentissaged’une autre langue que l’anglais.

Pour ce qui est des linguae francae, on peut se reporter au précepte enseigné par leprofesseur Rasch de Saarbrück, grand instigateur des contacts franco-allemands dans larégion de la Sarre et de la Lorraine, selon lequel trois années suffisent à l’apprentissaged’une lingua franca. Par conséquent, il suffit de débuter avec l’apprentissage de cette langueau collège.

Si la lingua franca se trouve être en même temps la langue voisine, il paraît logiqued’ajouter une troisième langue au bagage de l’élève.

En somme, mon objectif premier consiste à inciter les élèves à devenir plurilingues. Maisle choix des langues à enseigner est d’ordre régional, politique et individuel.

Christiane Muglioni, direction de l’enseignement scolaire

Je suis chargée des dossiers concernant les langues au bureau de la formation continuedes adultes de la DESCO. Nous venons d’entendre des propos extrêmement stimulants pourtoutes les personnes s’intéressant à la diversité des langues et leur enseignement. Je crois quetous les spécialistes linguistes sont unanimes sur ce sujet et qu’un assez grand nombred’hommes politiques le sont aussi, mais nous nous heurtons tous à une réalitéincontournable : le triomphe écrasant de l’anglais sur la scène linguistique internationale.

Au sein des espaces langues de l’Éducation nationale, il y a une dizaine d’années, nouspratiquions l’enseignement de l’anglais à 60 %. Actuellement, cette proportion est passée à98 %. La demande des entreprises et des demandeurs d’emploi, financés par des chéquiers-langues payés par la région, ne se focalise plus que sur cette langue. Il est aujourd’huidevenu obligatoire de s’exprimer en anglais à l’intérieur de bon nombre d’entreprises. Enoutre, j’ai cru entendre très récemment à la radio qu’au sein de certaines régions allemandesoù l’on voulait faire en sorte que les enfants apprennent le français, les parents d’élèves sesont élevés contre les injonctions du Land et ont marqué une préférence nette pour l’anglais.Je ressens donc un important décalage entre la bonne volonté politique prônant la diversité,et la réalité qui tend vers une uniformisation linguistique.

Les intervenants de ce colloque entrevoient-ils une solution à ce problème ?

De la salle

Que pensez-vous de l’enseignement des langues artificielles comme l’esperanto ?

En outre, la diversification des langues ne comporte-t-elle pas le risque de produire unedégénérescence de la maîtrise des langues maternelles, comme cela s’est produit pour legrec, à l’époque antique, ou le latin, qui s’est vu supplanter par les langues néo-romanes ?

De la salle

Ne devrait-on pas parler des langues anglaises plutôt que de la langue anglaise ?Récemment en voyage aux Émirats Arabes Unis, je ne parlais pas le même anglais qu’unchauffeur de taxi ou que mes amis d’origine anglaise. Ainsi, la langue anglaise elle-mêmen’est-elle pas en danger ?

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Jean-Paul de Gaudemar

Effectivement, la notion de lingua franca n’est peut-être pas aussi simple, pour nousautres, Français. Cette dernière question est donc importante, y compris pour la langueanglaise qu’il nous appartient d’enseigner.

De la salle

Les réflexions de cette matinée se sont principalement attachées aux notions decompétence et de communication. Mais nous n’avons pas évoqué celle du contenu del’apprentissage des langues étrangères, en particulier dans son aspect culturel. Je crois quecette approche est bénéfique car elle s’attache à diffuser non seulement une compétence,mais une meilleure connaissance des autres.

Sir John Boyd

Je suis persuadé que la part culturelle de notre enseignement est un aspect capital de notreaction en Europe. Il me semble qu’en tant que fonctionnaires, nous avons même le devoir desoutenir le niveau de notre propre langue dans un certain cadre. Il est donc essentiel desoutenir la qualité d’enseignement de nos langues maternelles. Il serait dommageable deperdre la qualité innée de notre propre langue en même temps que nous gagnons dans ledomaine de la maîtrise d’une langue étrangère.

Concernant le poids écrasant de l’anglais dans les choix d’apprentissage des adultes, jesuis le premier à regretter que tant de personnes limitent leur champ linguistique étranger àl’anglais. L’anglais n’est pas suffisant et ce choix n’est pas très intelligent. Mais nous avonsbesoin d’un appui financier gouvernemental pour promouvoir l’apprentissage des autreslangues. Peut-être l’apprentissage de l’anglais peut-il constituer une pierre fondatrice surlaquelle on peut bâtir de nouvelles expériences et de nouvelles compétences, comme le ditGeorges Lüdi.

Il est intéressant qu’une seule personne ait évoqué la question de l’esperanto, quiconstitue un moyen d’expression un peu daté. Mais nous n’avons pas la capacité de régulerles souhaits des citoyens. Il faut prendre cela en considération.

Georges Lüdi

Je partage totalement le sentiment de Sir John Boyd au sujet de l’esperanto, qui est unechance d’hier que nous n’avons pas saisie, faute de candidats à son apprentissage. Créer unelangue artificielle est typiquement une initiative de linguiste. Dans le même ordre d’idées, onpeut créer des ponts entre les langues européennes, en considérant qu’en Europe, nousparlons tous un standard average European, à l’exception des Basques, des Hongrois et desFinlandais. On peut également concevoir les familles de langues (langues slaves,germaniques, romanes) comme un ensemble et axer l’apprentissage en priorité entre leslangues d’une même famille.

La deuxième question importante me semble être celle des compétences culturelles. A cesujet, on peut mettre en lumière une phase précédant l’acquisition de compétenceslinguistiques. Une phase de sensibilisation à la diversité culturelle et linguistique dès l’écoleprimaire devrait toujours précéder l’apprentissage d’une langue. Ce travail permettrait dedéstabiliser des représentations monolingues du monde.

De surcroît, il apparaît évident que la scolarisation a pour vocation d’enseigner nonseulement des compétences communicatives, mais également des compétences culturelles.

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Ces deux sortes de compétences ne sont pas nécessairement liées. Je peux m’imaginer uncours de civilisation chinoise dont la partie linguistique serait totalement absente, etinversement. Ainsi, l’apprentissage des langues ne permet pas systématiquement de seconfronter à d’autres cultures. Tout dépend du contenu culturel des cours de langues.

Concernant la pluralité de la langue anglaise, je crois qu’il est déjà largement reconnuqu’il existe au moins un anglais américain, un anglais britannique et un anglais australien.C’est ce que l’on trouve dans les correcteurs orthographiques des logiciels de traitement detexte. Il existe donc des standards nationaux différents pour les pays de langue maternelleanglaise. Ce phénomène se manifeste également pour la langue française, avec les standardscanadien, belge et suisse romand, et les langues espagnoles et allemandes. La variété desstandards pour une même langue n’a rien à avoir avec une dégénérescence, mais provient dedéveloppements régionaux à un très haut niveau. En revanche, le reproche dedégénérescence concerne les étrangers qui apprennent une langue partiellement. Doit-on direde ces étrangers qu’ils massacrent le français ou qu’ils en portent le flambeau dans toutes lesrégions du monde ?

Enfin, je partage l’inquiétude de l’intervenante au sujet de la primauté de la langueanglaise dans le monde. Même en Suisse, les parents d’élèves préfèrent voir ces derniersapprendre l’anglais plutôt que la seconde langue du canton, car l’anglais leur ouvrira unavenir. J’ai trois réponses à cette question.

La théorie économique enseigne que les biens qui revêtent le plus de valeur sont ceux quine sont pas partagés par tout le monde. Ainsi, si tout le monde savait parler anglais, la valeurde cette langue sur le marché linguistique baisserait. Mais cette idée n’est pas très bienperçue par l’opinion publique.

Ensuite, si l’on compare les compétences linguistiques et les salaires, je pense que l’onpeut prouver que la connaissance de l’allemand à Strasbourg rapporte plus que celle del’anglais. Ainsi, il y a deux ans de cela, la Chambre de Commerce de Karlsruhe s’inquiétaitvivement du déséquilibre suivant : en Allemagne, près de la frontière, l’économie était trèsdynamique, mais le nombre de chômeurs était élevé, alors qu’en France, dans cette mêmerégion transfrontalière, l’économie était moins dynamique mais le nombre de chômeurs plusfaible. Ce phénomène s’explique par le fait que les entreprises allemandes voulaient exporterleurs marchandises vers la France, que leurs monteurs et vendeurs avaient appris l’anglais etque les ménages français ne voulaient pas acheter leurs produits avec des explications enallemand ou en anglais. Par conséquent, les PME ont embauché des Alsaciens bilinguesfrançais-allemand aux postes impliquant un contact avec les clients. Ce sont en outre lesChambres de Commerce qui ont fait pression sur le gouvernement à Stuttgart pour que lesécoles primaires favorisent l’apprentissage du français dans cette région. Les parents ne sontpas nécessairement au courant de ces tendances du marché.

Enfin, il me semble que l’engouement pour l’anglais est en train de décliner et qued’autres langues, à présent, sont en train de prendre un nouvel élan.

Lauro Capdevila, IA-IPR – académie de Rennes

Je suis coordonnateur pour les langues vivantes dans l’académie de Rennes, en Bretagne.J’ai été très frappé par le fait que vous ayez situé d’emblée la réflexion à un niveau dépassantconsidérablement le cadre de l’école. Ainsi, Sir Boyd, vous avez immédiatement situé la

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question comme étant vitale pour la population. Monsieur Lüdi, vous avez également placévotre intervention au niveau géopolitique. Il me semble essentiel de ne pas restreindre cedébat aux enseignants et aux luttes d’intérêt entre les disciplines. Je pense que nous pouvonstrouver dans la population un écho profond à ce débat, si nous allons vers elle.

En Bretagne, lorsque nous avons voulu bâtir une carte des langues, nous nous sommestournés vers les élus en leur expliquant que, sans financement de leur part, les Bretons neparleraient plus l’italien, l’espagnol ou l’allemand.

Vous nous avez parlé de la réalité du caractère multilingue de l’Europe. Un Européen dedemain doit donc être plurilingue. Je pense que ces enjeux devraient être proclamés avecplus de force, de netteté, de concret, plutôt que de les restreindre à des querelles de clocher.

Thérèse Pistilli, chargée de mission à la direction de l’enseignement scolaire

Je suis chargée de mission pour les langues vivantes au sein de la DESCO. J’auraissouhaité demander des précisions au sujet de la notion de lingua franca. Il me semble quecette notion recouvre des éléments d’ordre linguistique, renvoyant au courant del’intercompréhension des langues, mais également à des éléments d’ordre géographique,économique, géopolitique. Quels critères fondent réellement la complicité des linguaefrancae ?

Claire Tardieu, professeur à l’IUFM de Paris

Vous avez évoqué le sujet de la formation des enseignants. Les IUFM sont en pleinerénovation. Notre priorité consiste à envoyer nos enseignants à l’étranger, mais nos moyensfinanciers ne sont pas suffisants. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de vérifierque nos enseignants de langue ou nos instituteurs sont déjà partis à l’étranger. Quellescompétences demander à ces enseignants ?

De la salle

Quel niveau de compétence faut-il attendre d’un futur enseignant de langue à l’écoleprimaire ?

Georges Lüdi

En Suisse, nous exigeons le niveau C 1 du Conseil de l’Europe de la part des enseignantsde langue de l’école primaire. En outre, le centre de formation des maîtres de Zürich exigecomme formation d’entrée un DELF 6. En outre, la réalisation d’un stage à l’étranger estobligatoire. Pour des professeurs de lycée, ce stage doit durer une année. Pour desprofesseurs de collège, cette durée est comprise entre six et neuf mois. Au niveau de l’écoleprimaire, je pense que la durée choisie sera de trois à six mois. La formation suisse estpayante. Certaines bourses sont allouées pour la réalisation de ces stages : Socratès, boursescantonales, etc. Donc, aucun de ces enseignants n’est empêché de partir pour des raisonsfinancières. Vue la saturation des universités anglaises, de plus en plus de nos étudiants serendent d’ailleurs en Australie et aux Etats-Unis et combinent ainsi un projet de formationavec le désir de découvrir le monde.

Concernant la définition de la lingua franca, je reconnais que le terme couvre desreprésentations très diverses. Sur le plan historique, la lingua franca désignait une languelangues utilisée autour du bassin méditerranéen, de la fin du Moyen-Age jusqu’au début duXIXe siècle. Deuxièmement, la notion revêt un caractère d’hybridité. Une telle lingua francan’est pas autonome. Elle est partagée entre plusieurs peuples de nationalités différentes. Sa

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construction est donc instrumentale. Troisièmement, la lingua franca peut être considéréecomme une langue véhiculaire, que tout le monde connaîtrait à un bon niveau. Mais cettevision reste de l’ordre de l’utopie aujourd’hui.

Ainsi, les définitions de la lingua franca comprises dans le langage courant vont d’unextrême à l’autre, entre la langue mixte et la langue commune à l’ensemble de l’humanité, enpassant par la langue d’aéroport. Mais en parlant de linguae francae, j’élargis le champ deslangues communes possibles.

Sir John Boyd

En un certain sens, toutes les langues sont hybrides. C’est le cas de l’anglais, qui n’estmaîtrisé par personne. A Londres, les anglais regrettent que le niveau d’enseignementculturel baisse, car nous perdrons de ce fait notre passé. Pour enseigner, il faut du talent. Ilest très difficile aujourd’hui de trouver des jeunes professeurs souhaitant s’orienter versl’enseignement des langues. Il faudrait donc les encourager. Aujourd’hui, nous payons lesétudiants en mathématiques car ils se font rares. Cela devrait être aussi le cas pour leslangues étrangères. Enfin, la situation est en évolution permanente. Peut-être à la fin dumillénaire parlerons-nous tous le chinois. Nous n’avons pas évoqué l’économie del’Amérique latine. Peut-être l’espagnol et le portugais ont-ils un avenir considérable. Il fautlaisser évoluer les choses.

Je vous conterai deux anecdotes à ce sujet. Au sein de mon collège, nous avons faitl’expérience d’organiser un colloque sur l’utilisation de l’anglais et du français en Afrique. Acette occasion, les écrivains de l’Afrique de l’Ouest ont expliqué la façon dont ces languesavaient évolué sous leurs plumes talentueuses. Par ailleurs, la plus petite de mes filles vientde débuter l’apprentissage du chinois à l’université. Elle y apprend non seulement la langued’aujourd’hui, mais aussi la langue classique et la culture. C’est une grande chance car cetteforme d’enseignement constitue un modèle idéal.

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Conclusion

Jean-Paul de GaudemarDirecteur de l’enseignement scolaire

La formation des maîtres constitue une question-clé pour nous autres, responsables de lapolitique éducative. Quels que soient nos objectifs, nous n’arriverons à rien si nosenseignants n’ont pas à la fois la compétence et le talent. Cette question se pose dans tous lespays européens. Nous avons rencontré en particulier les responsables anglais du TTAchargés de former les maîtres. L’une des solutions pour progresser réside probablement dansune coopération internationale dans ce domaine, laquelle facilite notamment les séjours àl’étranger.

Si l’on analyse plus finement le problème, il faut également se poser la question d’unediversité de compétences des enseignants, avec des niveaux minimaux, mais aussi, despersonnes “ pivots ” ou “ ressources ”. Dans l’enseignement de l’école primaire, nous ensommes au début du processus. Il faut savoir comment transmettre à tous les enseignants duprimaire une connaissance minimale, car, in fine, il deviendra aussi courant d’ici quelquesannées d’enseigner une langue vivante que d’enseigner les mathématiques, l’histoire ou lesarts. Parallèlement, il faut déterminer comment transmettre un certain nombre decompétences plus importantes pour un plus petit nombre de maîtres, capables de construireun système d’accompagnement et d’aide aux enseignants dans un système de formation plusélaboré. Tel est le chantier qui s’ouvre à nous dans les années à venir.

Si j’en viens à une conclusion plus générale, je suis frappé par le fait que les deuxquestions que nous avions posées en titre de ce colloque sont liées. On ne peut pas disjoindrela question de la plus ou moins grande diversité linguistique, sans la rattacher à celle desobjectifs mêmes que nous assignons à l’enseignement des langues. Selon la réponse donnée àla seconde question, on se rend bien compte que la réponse est plus ou moins large. De cepoint de vue, vous avez tous deux plaidé pour la diversification linguistique. En mêmetemps, j’ai été particulièrement intéressé par le fait que vous la rattachez à des objectifsfondant le choix de la diversité.

Parmi les objectifs que j’ai retenus, qui me semblent être en harmonie parfaite avec ceque nous essayons de faire en France, on trouve d’abord l’idée que l’enseignement deslangues, avant même toute finalité économique, contribue à une formation de base ducitoyen sur la diversité du monde. Il n’y a d’ailleurs d’autre ressort à la connaissance que desavoir se nourrir de cette diversité. Savoir vivre n’est rien d’autre que savoir se nourrir desgrandes diversités du monde. Je crois que les personnes les plus malheureuses au monde sontcelles qui ne se reconnaissent que dans un seul modèle et vivent tous les autres comme desagressions permanentes. Le cœur même de notre éducation repose sur l’ouverture aux autres.Or les langues et la culture des autres pays constituent un élément fondamental de cetteéducation. A cet égard, il convient de souligner l’aspect communicationnel inhérent à laculture. Longtemps l’enseignement français a tellement placé le curseur du côté culturel etlittéraire qu’il en a oublié les compétences linguistiques elles-mêmes. Le travail que nousconduisons actuellement consiste précisément à conjuguer ces deux aspects. Il existe encore

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des universités enseignant l’allemand en France, sans qu’aucun cours ne soit prononcé enlangue allemande.

Au-delà de cette participation fondamentale à l’édification d’une culture commune,l’apprentissage des langues étrangères renvoie à un projet géopolitique de citoyennetéeuropéenne. En parallèle, nous vivons dans un monde au sein duquel les aspirations et lademande sociale sont tournées à la fois vers la proximité, le local, et vers une ouverturemondiale et globale considérable. Ce double mouvement marque nos institutions politiques.Notre système d’enseignement doit également intégrer cette tendance.

Enfin, comment ne pas évoquer la question de la préparation de nos jeunes à l’insertionprofessionnelle et à la mobilité ? A cet égard, les exemples de l’Alsace et de la Catalognefrançaise sont tout à fait comparables. L’inquiétude exprimée par ma collègue au sujet de laprédominance de l’anglais me semble être la traduction d’une conjoncture. Je pense qu’ilfaut faire en sorte qu’elle en reste à ce stade. Il faut donc qu’au sein de cette stratégied’ensemble, on puisse penser l’apprentissage des langues non seulement au cours de laformation initiale des jeunes, mais également dans le cadre de l’éducation tout au long de lavie, concept partagé dans toute l’Europe. Je ne suis pas très inquiet de constater que laformation des adultes se polarise actuellement sur la langue anglaise, car je suis convaincuqu’il est beaucoup plus intelligent de commencer à apprendre une autre langue que l’anglaistrès jeune, et de faire en sorte que, petit à petit, l’individu se construise une culturelinguistique plus adaptée à ses aspirations culturelles.

Merci à tous deux qui avez merveilleusement illustré ces idées, y compris par votremaîtrise de la langue française ! Quand on se bat pour la diversité linguistique, on se bat nonseulement pour le patrimoine de l’Humanité mais également pour sa langue maternelle. Jevous remercie beaucoup de vos interventions