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1 Guernica Pablo Picasso 1937 Œuvre aujourd’hui conservée au Musée de la Reine Sofia, à Madrid. Contexte historique/sujet de l’œuvre ? Ville de Guernica après les bombardements. Le sujet de l’œuvre, c’est l’horreur de la guerre . Le 26 avril 1937, en pleine guerre civile espagnole, les avions allemands envoyés par Hitler pour aider les nationalistes (partisans du Général Franco alors au pouvoir) massacrent les habitants de Guernica, une petite ville basque du Nord du pays aux mains des républicains (= opposants de Franco).

Pablo Picassolecanuet-col.spip.ac-rouen.fr/IMG/pdf/guernica_picasso.pdf6 Abstrait ou figuratif ? Guenica n’est PAS une œuve abstaite*, mais bien une œuve figurative*. En effet,

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    Guernica

    Pablo Picasso 1937

    Œuvre aujourd’hui conservée au Musée de la Reine Sofia, à Madrid.

    Contexte historique/sujet de l’œuvre ?

    Ville de Guernica après les bombardements.

    Le sujet de l’œuvre, c’est l’horreur de la guerre.

    Le 26 avril 1937, en pleine guerre civile

    espagnole, les avions allemands envoyés par

    Hitler pour aider les nationalistes (partisans du

    Général Franco alors au pouvoir) massacrent les

    habitants de Guernica, une petite ville basque du

    Nord du pays aux mains des républicains (=

    opposants de Franco).

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    Tête de femme ; Crayon

    et craie de couleur sur

    papier, 13 mai 1937.

    Guernica, première étape, (11 mai 1937). On voit bien ici la structure : de nombreuses formes s’articulent et se superposent.

    Femme avec enfant

    mort sur une

    échelle ; Crayon et

    craie de couleur sur

    papier, 13 mai 1937.

    Main de guerrier avec épée brisée ;

    (symbole de la résistance vaincue), 13

    mai 1937.

    Main de guerrier ouverte, 4 juin 1937.

    CROQUIS/Esquisses préparatoires ?

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    Composition/structure ?

    L’œuvre possède de grandes dimensions [351 x 782 cm]. Le format – rectangulaire – est assez particulier, de par son

    horizontalité. Différents personnages se déploient sur cette surface ; ce format « allongé » correspond bien à la dimension

    narrative de l’œuvre, puisque c’est bien l’histoire de Guernica et de ses habitants qui nous est racontée par Picasso.

    La composition de l’œuvre repose sur deux procédés : la superposition et la juxtaposition de formes. Les différents

    éléments qui sont figurés s’articulent, se « chevauchent » ou s’entremêlent. Cela contribue à exprimer l’idée de désordre,

    cela reflète le chaos de l’évènement dépeint. On perçoit des zones denses, occupées par des masses (personnages,

    animaux…) et l’arrière plan sombre, plus « vide » d’où se détachent ces éléments. Ce contraste contribue à mettre en

    valeur les formes, en les faisant ressortir.

    Couleur(s) ?

    Il n’y a quasiment pas de couleur dans ce tableau. On a en revanche différents niveaux de gris, du noir, du blanc (+ un peu

    de bleu, assez soutenu, et de brun). On parle en l’occurrence de valeurs plus que de couleur. En effet, ici la palette vive et

    contrastée que l’on associe habituellement aux œuvres de Picasso n’a pas lieu d’être, notamment parce qu’il s’agit d’une

    évocation du chaos. La couleur est principalement répartie en aplats (surfaces uniformes, pas de jeux d’ombre,

    pas de modelé ou dégradé)

    On peut aussi faire un lien avec les photographies de presse diffusées en noir et blanc. Picasso fait référence aux

    caractères typographiques (=> formes des lettres) en rythmant certaines surfaces de « petits traits » : cela rappelle l’aspect

    du papier journal.

    Construction « pyramidale »

    La répartition des masses et les

    jeux de contrastes lumineux

    définissent une « masse

    triangulaire » au centre de la

    composition : en adoptant ne telle

    construction (dite « pyramidale »),

    Picasso s’inscrit dans la tradition :

    ce type de composition est

    récurrent depuis la Renaissance.

    La couleur est principalement répartie en aplats (surfaces uniformes, pas de jeux d’ombre, pas de modelé ou dégradé)

    Hachures verticales rappelant les caractères typographiques

    Détail, corps du cheval

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    Figures symboliques ?

    Le cheval blessé, c’est la souffrance du peuple, et c’est le symbole de la liberté

    entravée : il n’y a plus de liberté d’expression, la population est « sous contrôle ».

    Le taureau/minotaure : renvoie à la cruauté, à la barbarie du pouvoir

    (franquiste et hitlérien en l’occurrence). Le minotaure est une figure que l’on

    retrouve de façon récurrente dans l’œuvre de Picasso, et qui ne symbolise pas

    toujours la même chose en fonction des œuvres. Comme dans les tableaux

    cubistes, on a plusieurs points de vue figurés simultanément : le minotaure est

    montré de profil, mais ses deux yeux sont « de face » : cette « incohérence »

    est voulue par Picasso, ce regard tourné vers le spectateur interpelle, ce

    dernier se sent impliqué.

    La mère et son enfant, c’est un symbole universel, commun à

    l’humanité toute entière. Ici la femme a des yeux en forme de

    larmes et une langue pointue, faisant penser à une lame de

    couteau. Cela renvoie donc à la douleur du personnage.

    >> Cela fait également référence à la tradition iconographique

    occidentale : les piétas sont des représentations de la Vierge

    Marie pleurant la mort du Christ. Elles peuvent être peintes ou

    encore sculptées, comme la fameuse Piéta de Michel Ange.

    Pietà de Michel Ange, 1499

    Langue pointue

    Yeux en forme de larme

    Pietà de Giovanni Bellini, 1460 Ces deux Pietà de la Renaissance s’inscrivent dans une construction pyramidale.

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    Cri(s) de douleur ?

    « Cris des enfants, cris des femmes, cris des oiseaux, cris des fleurs et des pierres, cris des briques,

    des meubles, des lits, des chaises, des rideaux, des chats et du papier, cris des odeurs qui se

    répandent les unes après les autres, cris de la fumée qui brûle les épaules, cris qui mijotent dans

    le grand chaudron, et de pluie d’oiseaux qui inondent la mer ».

    Ce poème en prose de Picasso, publié début 1937 accompagne le cycle de gravures « Songe et mensonge de

    Franco ». Dans ce poème, la répétition du mot « cri » fait écho aux personnages du tableau criant de douleur.

    Référence à Goya ?

    D’autres symboles sont présents dans

    Guernica : certains évoquent malgré tout

    l’espoir comme la lampe ou encore la

    petite fleur figurée au bas de la

    composition. Traditionnellement, La

    lumière est, de manière symbolique,

    associée à des valeurs positives.

    Petite fleur Lampe à pétrole

    « Lampe/soleil »

    Dans Guernica, on remarque la présence de ce personnage très expressif :

    il crie sa douleur, il brûle dans un brasier. Sa posture rappelle celle du

    prisonnier du Tres de Mayo : Picasso s’inscrit dans une continuité en

    faisant ainsi référence à l’œuvre de Francesco de Goya.

    El Tres de Mayo, Francesco de Goya, 1814 ; Il s’agit

    d’une scène d’exécution où l’ont voit des

    combattants espagnols prisonniers se faire exécuter

    par des soldats français, le 3 mai 1808.

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    Abstrait ou figuratif ?

    Guernica n’est PAS une œuvre abstraite*, mais bien une œuvre figurative*. En effet, certains des éléments représentés font référence au corps humain, à l’animalité : on a donc un ensemble de formes anthropomorphes* et zoomorphes* qui s’articulent et coexistent au sein de la composition. On reconnait des objets, tels que l’ampoule, la lampe… Les formes sont stylisées, épurées : le corps est représenté de façon « simplifiée », et ce dans un but expressif. Les proportions ne sont pas respectées, il n’y a pas cette volonté de réalisme que l’on retrouve dans d’autres œuvres, souvent antérieures au XXe siècle.

    On peut néanmoins nuancer et préciser que Guernica oscille entre abstraction et figuration, dans la mesure où de

    nombreuses formes géométriques et géométrisées sont présentes.

    Le prochain élève de Lecanuet qui dit que je suis un peintre abstrait, j’lui règle son compte…

    FIGURATIF/ (VE): qui représente un ou plusieurs éléments

    identifiable(s), nommable, quel qu’il(s) soi(en)t : les natures mortes, les

    paysages, les portraits, les scènes historiques sont des genres figuratifs.

    Même si le trait de l’artiste est extrêmement stylisé, comme c’est le cas ici

    chez Picasso, le tableau n’en demeure pas moins figuratif dès lors qu’il

    représente « quelque chose »…

    ABSTRAIT /(E): qui NE représente PAS

    un objet, un sujet, ou un quelconque

    élément que l’on puisse nommer. La

    peinture abstraite peut éventuellement

    contenir des formes géométriques,

    organiques, des taches de peintures, des

    traits, des traces, des empreintes en tous

    genres… Vassili Kandinsky, Victor Vasarely,

    Pierre Soulages sont – parmi tant d’autres

    – des grands peintres abstraits.

    ANTHROPOMORPHE : Objet,

    sculpture, architecture, ou tout

    simplement forme reprenant l’apparence

    ou la structure du corps humain – ou

    d’une partie du corps – de manière plus ou

    moins fidèle (la représentation peut être

    simplifiée ou stylisée, comme ici dans

    Guernica, ou à l’inverse très précise et

    réaliste). [Etymologie : du grec ánthrōpos >>

    humain ; morphē >> forme/apparence].

    ZOOMORPHE : qui reprend ou évoque

    une forme animale, (animal réel ou

    imaginaire).

    Quelques DEFINITIONS

    DEFINITIONS

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    Art engagé vs propagande ?

    « Le peuple doit commencer à penser d’une manière uniforme, à réagir d’une manière uniforme, et à se mettre à la disposition du gouvernement de tout son cœur » explique Joseph Goebbels, (ministre allemand de l’Information et de la Propagande) dès 1933. Cette citation démontre bien ce désir de contrôle sur l’ensemble de la population, qui doit former une « masse » dénuée de tout esprit critique. En cours d’histoire, la propagande a pu être abordée à travers des affiches de différents régimes totalitaires (voir éventuellement cahier d’histoire et/ou manuel).

    Guernica de Pablo Picasso NE relève PAS de la propagande ; c’est pour l’artiste une façon de prendre position contre les agissements du régime franquiste (le régime

    de Franco) associé aux nazis : son tableau est une œuvre d’art engagé. Ici, Picasso, encore sous le choc de l’évènement dénonce le crime dont il est témoin, il exprime sa douleur face au massacre de ces civils et affirme son soutien aux républicains. « Dans le tableau auquel je travaille et que j’appellerai Guernica, […], j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort » a-t-il déclaré.

    Affiche de propagande du

    régime nazi illustrant le

    culte de la personnalité

    instauré par Hitler, qui

    s’autoproclame « führer »…

    Image de

    propagande du

    régime nazi : les

    valeurs prônées

    par Hitler sont

    mise en avant :

    l’homme fait la

    guerre ou

    travaille, quand

    la femme est

    cantonnée au

    rôle de mère…

    PROPAGANDE : correspond à la volonté de propager une idée, une doctrine politique, par le biais de différents moyens et de différents médias (radio, presse, cinéma, discours, affiches dans les rues, dans les journaux et aujourd’hui télévision, Internet…). La propagande peut également apparaître au sein de l’art, lorsque celui-ci est mis au service du pouvoir. [Cf. pages 54 –> 59 du manuel d’histoire-géographie : à relire absolument pour saisir les enjeux de la propagande nazie]

    ART ENGAGE : l’art engagé peut prendre des formes diverses et variées (arts plastiques, musique, théâtre,

    cinéma…), il véhicule un idéal, une idée politique, un certaine conception des libertés individuelles, et peut

    constituer un contre-pouvoir : il comporte souvent une dimension critique. Dans les dictatures, les artistes

    engagés doivent la plupart du temps déjouer la censure. Ils mettent parfois leur vies en danger, et peuvent être

    contraints à l’exil, come ce fut le cas pour de nombreux artistes et intellectuels allemand dès la montée du

    nazisme.

    Définitions

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    « La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi ». Pablo Picasso. Au moment du bombardement de Guernica en avril 1937, Picasso s’occupe de la création d’esquisses pour la fresque destinée à décorer le pavillon espagnol lors de l’Exposition Universelle de Paris l’été suivant. La nouvelle détourne Picasso de ses esquisses d’origine : il se consacre désormais à la réalisation de cette œuvre majeure. Picasso avait formulé le vœu que ce tableau ne soit rapporté en Espagne qu’après l’effondrement

    du régime de Franco*.

    *[Franco : né en 1892, c’est un général qui devient chef d’Etat espagnol de 1939 à 1975, date de sa mort. Ce dictateur

    a exercé un pouvoir autoritaire, se faisant appelé « el caudillo » (= le guide).]

    Picasso n’a pas vu son souhait se réaliser de son vivant, puisqu’il est mort en 1973, soit deux ans avant Franco.

    Après avoir longtemps été conservé au Museum of Modern Art de New York (le fameux MOMA), Guernica se

    trouve aujourd’hui à Madrid en tant que symbole national et avertissement destiné à la conscience morale

    collective. Guernica est devenu en quelque sorte un monument, en ce sens qu’il sert de témoignage,

    qu’il rend hommage ou commémore les victimes de ce drame. D’ailleurs, ce n’est pas hasard si Picasso a attribué

    à ce tableau ces dimensions « hors normes », que l’on peut qualifier de monumentales. Cependant, il ne

    faudrait pas croire que ce tableau évoque « seulement » les victimes de Guernica : il y a une dimension

    universelle dans cette œuvre, c’est bien l’horreur de toutes les guerres qui est dénoncée.

    Ç