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C M J N Liberté 62 n°856 - Le 10 avril 2009 - 16 - Société AUX FEUX DE LA FORGE, LORSQUE L'ACIER PREND L'ÂME De fer et de feux, le nom de l'atelier de Pascal Marche, forgeron et coutelier d'art à Savy-Berlette, renvoie aux deux creusets de son métier. A A U fer mêlé aux feux de la forge, c'est-à-dire à l'acier, fer chargé de carbone. Aux feux, car c'est au pluriel qu'il faut en parler : au feu de charbon de coke de fonderie, au feu de char- bon de bois, au feu de houille de maréchalerie et au feu de gaz, chaque feu correspondant à une technique, à un but et à un rendu différent. Mais à ces deux creu- sets, il faut en associer un autre sans lequel, l'acier dans la forge, au delà de 1 500°C, se dissiperait en scories, le travail du forgeron coutelier qui se mêle encore, chez Pascal Marche, à celui de l'artiste coutelier et de l'artisan avide de métier, au travail du bois, de la corne ou de l'os ainsi qu'à celui des peaux. Le marteau et l'enclume, les deux symboles du métier Si le marteau et l'enclume sont les deux symboles du métier de forge- ron artisanal, Pascal Marche appartient à cette catégorie d'arti- san d'art pour qui celui-ci s'étend de la forme brute à l'oeuvre élabo- rée jusqu'à sa fin et sa perfection. Avec une passion singulière pour une technique héritée du fonds des âges, le Damas, acier feuilleté aux caractères mécaniques et esthétiques si particuliers. Avec une quête aussi. Celle de l'intimité de l'art secret des forgerons japo- nais. A chaque phase du travail, un style musical s'impose En conduisant ses visiteurs, le coutelier d'art de Savy-Berlette doit baisser le volume de la musique qui règne dans son ate- lier. A chaque phase de son travail, un style particulier s'impose, depuis les saturations d'un solo de hard-rock jusqu'aux flottaisons de la musique des monastères zen. Dans toutes les circons- tances, elle accompagne un geste qui marque intensément l'espace acoustique : le rythme dansant du marteau sur l'enclume ou encore celui plus abrupt du vieux marteau automatique, le frottement de la lime ou les stridences de la meule abrasive ou enfin, les souffles, halètement, choeurs et respira- tions diverses de la forge et de la trempe. Musique baissée, Pascal Marche explique. Toujours un acier vivant D'abord le matériau, l'acier. Plus ou moins dur, plus ou moins char- gé de carbone. Toujours, - mais un autre choix est possible qui n'est pas le sien– un acier vivant ou plu- tôt, ayant souvent longuement vécu, comme endormi. Non pas celui de la plaque d'acier usinée découpée à l'envie mais celui, de récupération, d'anciens outils ou d'anciens objets de fer ou d'acier et ceci pour que chaque coup de marteau, jouant sur la continuité des fibres du métal dont la structu- re s'apparente à celles du bois, en compacte, sans coupure, les den- sités aux endroits cruciaux de la lame formée. A partir de ce maté- riau brut, le méplat dont le martè- lement modèlera la forme jusqu'à l'ébauche voulue et dont les divers repos en forge, détentes, et les diverses trempes conduiront à la lame désirée. Pour les couteaux les plus simples, deux heures de martellement sur un acier homo- gène et pour un acier damassé, deux jours de travail rien que pour obtenir un méplat feuilleté. Une technique venue d'orient et perfectionnée par les forgerons de l'époque mérovingienne Au sujet du Damas, technique médiévale venue d'orient et per- fectionnée par les forgerons de l'époque mérovingienne, tech- nique retrouvée, Pascal Marche précise. C'est à force de soudure et de replis multiples du métal que s'obtient ce feuilletage si particu- lier associant des aciers aux pro- priétés diverses voire opposées. Schématiquement, des aciers rigides pour le tranchant et des aciers doux, chargés de moins de carbone, pour la souplesse. Le nombre de couches obtenues au terme des replis est de 250 au minimum, replis qui se révèlerons sous l'effet des trempes et des acides en linéaments fluides sur la lame achevée. L'atelier seulement éclairé par le feu de la forge Au cours de son travail, les sens du forgeron sont aux aguets. L'atelier seulement éclairé par le feu de la forge. Forger s'apparen- te à un modelage, mais c'est à des températures très précises qui ne se lisent que dans les multiples rougeoiements de l'acier et sur une ouverture de temps de quelques secondes que celui-ci s'effectue, marteau en main, entre chaque chauffe ou passage dans le feu. Le moment clef est atteint lorsque l'artisan imprime son poin- çon à la lame ou plutôt à l'acier encore, car c'est seulement après cette signature que l'acier prend âme et devient, selon les mots du poète Francis Vladimir, avec «l'ac- cent imperturbable du premier chant donné au monde», lame. Jérôme Skalski Francis Vladimir, Mains in La voix des métiers, Editions Bérénice, Collection Caméleon. DE LA FONTE À L'ACIER, TOUJOURS LA SUEUR... R R EVENU EVENU au travail de l'acier après un détour par la fonte - il possède des diplômes d'éducateur sportif dans la remise en forme et la musculation et a travaillé pen- dant une dizaine d'années en salle de gym dans la région pari- sienne -, Pascal Marche est issu d'une famille de métallier avec un père artisan, ferronnier et chaudronnier et un grand-père ajusteur, tourneur et fraiseur. Jusqu'à l'âge de quinze ans, c'est dans leurs ateliers qu'il s'initie à ces divers métiers «pour bricoler et pendant les vacances» précise-t-il mais s'en détourne pour faire mentir l'ada- ge qui veut que le fils doive s'en- gager dans le métier du père. En 1998, pour des raisons fami- liales – son père tombé grave- ment malade ne peut plus faire face à la gestion de son entre- prise -, Pascal Marche revient au pays pour remettre le nez dans le métier «en passant tous les grades, l'ecole des coups de pied au cul, ironise-t-il, depuis celui de balayeur jusqu'à celui de perceur» mais pour, malheu- reusement, assister à la liquida- tion de l'affaire paternelle. S'en suivent quelques années de rude galère. «J'ai bossé en interim dans le milieu de la sou- dure et du montage raconte Pascal Marche. La grosse dèche. Parallélement à cela, mon goût pour la culture japo- naise m'a conduit à fabriquer des épées improbables par leurs tailles et leurs proportions. Puis, j'ai commencé à forger des volutes de portails, des coffres médiévaux et bientôt quelques couteaux, une ou deux épées viking...» Après avoir monté son premier atelier, rencontré diverses per- sonnes de la corporation, pro- gressé dans le métier, Pascal Marche crée sa société de ferro- nerie et de coutellerie en 2003 d'abord à Hersin-Coupigny puis, «dans un endroit assez isolé à cause des coups de marteau», à Savy-Berlette, à la campagne, en plein cœur du pays des contes d'Artois, entre Saint-Pol- sur-Ternoise et Arras. Salarié par ailleurs dans une société de fabrication et de conception de machines-outils, la vie de l'artisan d'art Pascal Marche se partage aujourd'hui entre la ferronerie et la coutelle- rie avec un beau catalogue qu'il présente sur son site internet et dans le cadre des nombreux salons auquel il participe. Il organise aussi des stages pra- tiques d'initiation au travail de la forge. Originaire du pays minier, il possède le dernier stock d'an- thracite des mines de Oignies, un charbon par lequel sa forge le lie, de la fonte à l'acier, tou- jours la sueur, à un autre de ses grand-pères, mineur de fond. J.S. Pour tout renseignement : Pascal Marche De Fer et de Feux 2 A rue de Berles 62690 Savy Berlette 06 64 65 46 43 [email protected] http://www.deferetdefeux.fr/ page 16:page 14 7/04/09 14:40 Page 1

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Le marteau et l'enclume, les deux symboles du métier A chaque phase du travail, un style musical s'impose L'atelier seulement éclairé par le feu de la forge Une technique venue d'orient et perfectionnée par les forgerons de l'époque mérovingienne Pascal Marche De Fer et de Feux 2 A rue de Berles 62690 Savy Berlette 06 64 65 46 43 [email protected] http://www.deferetdefeux.fr/ Francis Vladimir, Mains in La voix des métiers, Editions Bérénice, Collection Caméleon. C M J N

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Liberté 62 n°856 - Le 10 avril 2009- 16 -

SociétéAUX FEUX DE LA FORGE,

LORSQUE L'ACIER PREND L'ÂMEDe fer et de feux, le nom de l'atelier de Pascal Marche, forgeron et coutelier d'art àSavy-Berlette, renvoie aux deux creusets de son métier.

AA UU fer mêlé aux feux de laforge, c'est-à-dire à l'acier,fer chargé de carbone. Aux

feux, car c'est au pluriel qu'il fauten parler : au feu de charbon decoke de fonderie, au feu de char-bon de bois, au feu de houille demaréchalerie et au feu de gaz,chaque feu correspondant à unetechnique, à un but et à un rendudifférent. Mais à ces deux creu-sets, il faut en associer un autresans lequel, l'acier dans la forge,au delà de 1 500°C, se dissiperaiten scories, le travail du forgeroncoutelier qui se mêle encore, chezPascal Marche, à celui de l'artistecoutelier et de l'artisan avide demétier, au travail du bois, de lacorne ou de l'os ainsi qu'à celuides peaux.

Le marteau et l'enclume,les deux symboles du métier

Si le marteau et l'enclume sont lesdeux symboles du métier de forge-ron artisanal, Pascal Marcheappartient à cette catégorie d'arti-san d'art pour qui celui-ci s'étendde la forme brute à l'oeuvre élabo-

rée jusqu'à sa fin et sa perfection.Avec une passion singulière pourune technique héritée du fondsdes âges, le Damas, acier feuilletéaux caractères mécaniques etesthétiques si particuliers. Avecune quête aussi. Celle de l'intimitéde l'art secret des forgerons japo-nais.

A chaque phase du travail,un style musical s'impose

En conduisant ses visiteurs, lecoutelier d'art de Savy-Berlettedoit baisser le volume de lamusique qui règne dans son ate-lier. A chaque phase de son travail,un style particulier s'impose,depuis les saturations d'un solode hard-rock jusqu'aux flottaisonsde la musique des monastèreszen. Dans toutes les circons-tances, elle accompagne un gestequi marque intensément l'espaceacoustique : le rythme dansant dumarteau sur l'enclume ou encorecelui plus abrupt du vieux marteauautomatique, le frottement de lalime ou les stridences de la meuleabrasive ou enfin, les souffles,

halètement, choeurs et respira-tions diverses de la forge et de latrempe. Musique baissée, PascalMarche explique.

Toujours un acier vivantD'abord le matériau, l'acier. Plusou moins dur, plus ou moins char-gé de carbone. Toujours, - mais unautre choix est possible qui n'estpas le sien– un acier vivant ou plu-tôt, ayant souvent longuementvécu, comme endormi. Non pascelui de la plaque d'acier usinéedécoupée à l'envie mais celui, derécupération, d'anciens outils oud'anciens objets de fer ou d'acieret ceci pour que chaque coup demarteau, jouant sur la continuitédes fibres du métal dont la structu-re s'apparente à celles du bois, encompacte, sans coupure, les den-sités aux endroits cruciaux de lalame formée. A partir de ce maté-riau brut, le méplat dont le martè-lement modèlera la forme jusqu'àl'ébauche voulue et dont les diversrepos en forge, détentes, et lesdiverses trempes conduiront à lalame désirée. Pour les couteaux

les plus simples, deux heures demartellement sur un acier homo-gène et pour un acier damassé,deux jours de travail rien que pourobtenir un méplat feuilleté.

Une techniquevenue d'orient et perfectionnée

par les forgeronsde l'époque mérovingienne

Au sujet du Damas, techniquemédiévale venue d'orient et per-fectionnée par les forgerons del'époque mérovingienne, tech-nique retrouvée, Pascal Marcheprécise. C'est à force de soudureet de replis multiples du métal ques'obtient ce feuilletage si particu-lier associant des aciers aux pro-priétés diverses voire opposées.Schématiquement, des aciersrigides pour le tranchant et desaciers doux, chargés de moins decarbone, pour la souplesse. Lenombre de couches obtenues auterme des replis est de 250 auminimum, replis qui se révèleronssous l'effet des trempes et desacides en linéaments fluides sur lalame achevée.

L'atelier seulement éclairépar le feu de la forge

Au cours de son travail, les sensdu forgeron sont aux aguets.L'atelier seulement éclairé par lefeu de la forge. Forger s'apparen-te à un modelage, mais c'est à destempératures très précises qui nese lisent que dans les multiplesrougeoiements de l'acier et surune ouverture de temps dequelques secondes que celui-cis'effectue, marteau en main, entrechaque chauffe ou passage dansle feu. Le moment clef est atteintlorsque l'artisan imprime son poin-çon à la lame ou plutôt à l'acierencore, car c'est seulement aprèscette signature que l'acier prendâme et devient, selon les mots dupoète Francis Vladimir, avec «l'ac-cent imperturbable du premierchant donné au monde», lame.

Jérôme SkalskiFrancis Vladimir, Mains in La voixdes métiers, Editions Bérénice,Collection Caméleon.

DE LA FONTE À L'ACIER,TOUJOURS LA SUEUR...

RR EVENUEVENU au travail del'acier après un détour parla fonte - il possède des

diplômes d'éducateur sportifdans la remise en forme et lamusculation et a travaillé pen-dant une dizaine d'années ensalle de gym dans la région pari-sienne -, Pascal Marche est issud'une famille de métallier avecun père artisan, ferronnier etchaudronnier et un grand-pèreajusteur, tourneur et fraiseur.Jusqu'à l'âge de quinze ans,c'est dans leurs ateliers qu'ils'initie à ces divers métiers«pour bricoler et pendant lesvacances» précise-t-il mais s'endétourne pour faire mentir l'ada-ge qui veut que le fils doive s'en-gager dans le métier du père.En 1998, pour des raisons fami-liales – son père tombé grave-ment malade ne peut plus faireface à la gestion de son entre-prise -, Pascal Marche revientau pays pour remettre le nezdans le métier «en passant tousles grades, l'ecole des coups depied au cul, ironise-t-il, depuiscelui de balayeur jusqu'à celuide perceur» mais pour, malheu-reusement, assister à la liquida-tion de l'affaire paternelle. S'ensuivent quelques années derude galère. «J'ai bossé eninterim dans le milieu de la sou-dure et du montage racontePascal Marche. La grossedèche. Parallélement à cela,mon goût pour la culture japo-naise m'a conduit à fabriquerdes épées improbables par leurstailles et leurs proportions. Puis,j'ai commencé à forger desvolutes de portails, des coffresmédiévaux et bientôt quelques

couteaux, une ou deux épéesviking...»Après avoir monté son premieratelier, rencontré diverses per-sonnes de la corporation, pro-gressé dans le métier, PascalMarche crée sa société de ferro-nerie et de coutellerie en 2003d'abord à Hersin-Coupigny puis,«dans un endroit assez isolé àcause des coups de marteau»,à Savy-Berlette, à la campagne,en plein cœur du pays descontes d'Artois, entre Saint-Pol-sur-Ternoise et Arras.Salarié par ailleurs dans unesociété de fabrication et deconception de machines-outils,la vie de l'artisan d'art PascalMarche se partage aujourd'huientre la ferronerie et la coutelle-rie avec un beau catalogue qu'ilprésente sur son site internet etdans le cadre des nombreuxsalons auquel il participe. Ilorganise aussi des stages pra-tiques d'initiation au travail de laforge. Originaire du pays minier,il possède le dernier stock d'an-thracite des mines de Oignies,un charbon par lequel sa forgele lie, de la fonte à l'acier, tou-jours la sueur, à un autre de sesgrand-pères, mineur de fond.

J.S.Pour tout renseignement :

Pascal MarcheDe Fer et de Feux2 A rue de Berles

62690 Savy Berlette06 64 65 46 43

[email protected]://www.deferetdefeux.fr/

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