Panorama Commerce International 2010

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    Recueil Dalloz 2010 p. 2323

    Droit du commerce international

    septembre 2009 - aot 2010

    Louis d' Avout, Professeur l'Universit de Lyon (Jean Moulin, Lyon 3)

    Sylvain Bolle, Professeur l'Ecole de droit de la Sorbonne (Universit Paris I)

    L'essentielLes annes se suivent et se ressemblent un peu. Cette synthse d'une anne de droit du commerce international, crite selon le

    mme plan que celui des prcdentes, rvle des constantes de la rglementation franaise et europenne : une tendance forte, non

    pas au dsengagement de l'Etat, mais l'adaptation de ses contraintes normatives au fait conomique transfrontire ; une tendance

    aussi, d'effet ventuellement inverse, l'unilatralisme expansionniste lorsque sont en jeu les intrts cruciaux d'une collectivitdonne (V. aussi, paru alors que cette chronique tait en cours d'criture, l'article Bguin, Menjucq et Nourissat, JCP 2010. 886).

    Sous les diverses rubriques traitant des socits, de l'arbitrage, du droit de l'insolvabilit et des contrats, on retrouvera donc, ple-

    mle, ces mots-cls transversaux que sont entre autres : l'autonomie de la volont, les lois de police ; l'opposition de la territorialitet de l'extraterritorialit du droit. Ces mots ne sont pas anodins : ils fdrent le jeu des diverses branches du droit mobilises par la

    ralit des changes transfrontires. Toute raction ce panorama sera la bienvenue : [email protected].

    I - Sources et mthodes de rglementation

    A - Class actions et dlocalisation des contentieux boursiers

    Une ide en vogue voudrait que l'on considre les justices nationales comme autant de produits offerts la consommation des

    demandeurs dans les contentieux internationaux, et que la libralisation de l'accs aux ordres juridictionnels les plus attractifs soit

    porteuse des plus grands bienfaits pour tous (sur ce thme, V. les rf. cites par S. Bolle, La concurrence des justices nationales...,inL'efficacit conomique en droit, Economica, 2010). Les controverses rcemment suscites par la pratique des foreign-cubed

    class actions en matire boursire suggrent cependant que cette vision librale, quoi qu'elle puisse dj se prvaloir de certaines

    conqutes (rappr. l'affaireMonster Cable, relate dans ce panorama l'an pass), devrait rencontrer de srieuses poches de rsistance.

    Introduites aux Etats-Unis, ces foreign-cubed class actions doivent leur dnomination leur extranit tridimensionnelle par

    rapport l'ordre juridictionnel sollicit : 1- les demandeurs sont des investisseurs trangers ; 2- ils agissent contre une socitcote l'tranger (et ventuellement ses dirigeants) ; 3- le litige se rapporte des instruments financiers que les premiers ontacquis ou vendus sur un march tranger. Ces actions constituent un avatar particulirement spectaculaire duforum shopping, la

    saisine du juge amricain tant clairement motive par les avantages que peuvent procurer aux demandeurs diverses

    caractristiques exotiques du systme juridique amricain, notamment au plan procdural (pour un aperu, V. E. Gaillard, notess. l'arrtMorrison cite infra). L'une d'elles - c'est loin d'tre la seule - tient la possibilit d'introduire une action de groupe avec

    un systme d' opt out : la demande de quelques plaideurs, le juge certifie une classe de demandeurs dont il donne une

    dfinition abstraite, et toutes les personnes correspondant cette dfinition (ex. : toute personne ayant acquis des actions de telle

    socit entre telle et telle dates) seront rputes participer l'action si elles ne s'y opposent pas expressment. L'action fait ainsipeser une pression d'autant plus lourde sur les dfendeurs, et cet lment s'ajoute d'autres pour placer les demandeurs dans une

    position forte grce laquelle ils cherchent, en gnral, obtenir une transaction avantageuse.

    Intuitivement, on sent bien sr que l'action ainsi engage par une poigne de demandeurs opportunistes a toutes les raisons de

    s'attirer une raction dfavorable : outre que certains des particularismes du systme amricain ont de quoi laisser perplexe un

    observateur europen, le simple bon sens semble condamner l'ide qu'un tribunal amricain puisse connatre d'un contentieux qui a

    des liens beaucoup plus srieux avec un autre ordre juridique que celui des Etats-Unis. Les choses ne sont cependant pas aussisimples que le suggrent les premires apparences. En effet, dans la plupart des cas, si le contentieux a manifestement des liens

    plus troits avec un autre pays, il n'est pas pour autant dnu de tout rattachementavec les Etats-Unis (ex. typique : les demandeurs

    allguent une fraude dont certains lments constitutifs sont intervenus sur le territoire amricain). Le problme, pour qui entendporter un jugement sur la lgitimit de la saisine des juridictions amricaines, est alors de savoir s'il n'est pas des hypothses dans

    lesquelles les liens avec les Etats-Unis pourraient apparatre, en dfinitive, suffisamment significatifs pour rendre acceptable

    l'initiative des demandeurs. On pressent que des difficults peuvent se loger l. Il est vrai que cette interrogation serait hors de

    propos si les litiges en cause tombaient, ratione materiae, dans le champ de la comptence exclusive du juge du pays o la socit ason sige. Mais dans la tradition europenne, le domaine de cette comptence rserve est conu de manire relativement troite (V.

    l'art. 22, 2, Rgl. Bruxelles I), trop troite en tout cas pour englober, bien souvent, les types de contentieux dont il est question (V.

    par ex. l'affaire Vivendi, infra). L'exercice d'une comptence juridictionnelle par un tribunal tranger n'apparat donc pas forcmentinadmissible a priori. Des auteurs autoriss ont certes soutenu que les tribunaux franais mriteraient malgr tout d'tre considrs

    seuls ou prioritairement comptents pour connatre des litiges entre les investisseurs franais et les metteurs financiers de droit

    franais propos de titres acquis en France (L. d'Avout, Vivendi dboute par la cour de Paris : que dit le bon sens juridique ?,

    10 mai 2010, http://lecercle.lesechos.fr ; rappr. D. Cohen, Contentieux d'affaires et abus deforum shopping, D. 2010. 975), mais iln'est pas dit que la chose aille toujours de soi. De fait, l'ordre juridique amricain peut lui-mme avoir quelques raisons de s'ouvrir

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    de tels litiges : favoriser la sanction de fraudes orchestres aux Etats-Unis, par exemple, ou tout simplement permettre aux

    investisseurs trangers de prendre part une action dans laquelle pourront de toute faon tre reprsents des investisseurs

    amricains qui ont acquis leurs titres aux Etats-Unis, ce dans le souci d'assurer une forme d'homognit dans le traitementjuridique des actionnaires d'une mme socit. Au total, on mesure donc que l'apprhension de ces figures contentieuses n'est pas si

    simple. C'est en ayant cela l'esprit qu'il convient d'apprcier les dveloppements qu'ont rcemment connus les jurisprudences

    franaise et amricaine.

    En France, ce sont les circonstances de l'affaire Vivendi (pour une prsentation complte, V. M. Audit et M.-L. Niboyet, L'affaire

    Vivendi Universal SA..., Gaz. Pal. 29 mai 2010, p. 11) qui ont donn un caractre plus sensible ces problmatiques. Il s'agit d'un

    cas typique o des actionnaires, majoritairement europens et mme franais, ont engag une class action aux Etats-Unis afin de

    faire sanctionner la diffusion d'une information financire dfectueuse qui a artificiellement gonfl le cours de leurs actions et leur afait subir des pertes financires. Initialement tenu l'cart de l'ordre juridictionnel franais, ce contentieux est toutefois entr en

    contact avec lui, notamment lorsque la socit Vivendi a entendu faire ordonner judiciairement ses actionnaires franais de se

    dsister de la class action, en soutenant que le recours au juge amricain tait constitutif d'un abus deforum shopping fautif ausens de l'article 1382 du code civil. Cette tentative, s'assimilant une demande d'injonction anti-suit, est reste vaine. Pour dbouter

    Vivendi, la cour d'appel de Paris (Paris, 28 avr. 2010, n 10/01643, D. 2010. 1224, obs. X. Delpech ; Rev. socits 2010. 367,

    tude V. Magnier) a soulign qu'il existait des liens srieux entre le litige et les Etats-Unis, tels la cotation secondaire des titres labourse de New York, le domicile des dirigeants et le lieu o ceux-ci avaient fait certaines dclarations, et que la saisine du juge

    amricain n'tait pas frauduleuse. Elle a galement affirm que le juge franais ne constituait pas, s'agissant d'un tel contentieux, un

    juge naturel qui ne pourrait tolrer aucune comptence concurrente. La cour a par ailleurs estim que l'impossibilit de faire

    reconnatre en France le futur jugement amricain, mise en avant par Vivendi, tait ce stade hypothtique. Cette dcision est sansdoute conforme aux traditions du droit international priv franais et d'aucuns jugeront ses motifs raisonnables. On peut malgr tout

    s'inquiter des dangers que comporte le message de passivit qu'elle vhicule : en somme, l'ordre juridique franais s'accommodesans ciller d'une forme particulirement agressive deforum shoppingqui, si elle se gnralise, condamnera la justice franaise

    n'tre plus en la matire qu'une pice dsute dont la seule place sera celle que lui rserveront les muses d'histoire juridique... (surce thme, V. L. d'Avout et H. Pisani, La France laissera-t-elle son contentieux d'affaires partir l'tranger ?, Les Echos, 20-21 nov.

    2009, p. 27).

    Encore faut-il naturellement, pour qu'un tel risque soit avr, que l'ordre juridictionnel amricain lui-mme entende s'ouvrir aux

    foreign-cubed class actions. C'tait prcisment l'enjeu de l'affaireMorrison, dans laquelle la Cour suprme des Etats-Unis s'est

    prononce peu aprs l'pisode franais Vivendi (Cour suprme des Etats-Unis, 24 juin 2010, D. 2010. 1624, obs. A. Astaix ; V.

    parmi de trs nombreuses rf. E. Gaillard, Bull. Joly Bourse 2010. 308). L'importance d'une prise de position de la Cour suprmen'avait chapp personne, tel point que quinze mmoires d'amicus curiae avaient t dposs et que trois de ces mmoires

    manaient d'Etats (parmi lesquels figurait la France). La dcision rendue marque clairement un coup d'arrt la pratique des

    foreign-cubed class actions. En effet, la Cour suprme a jug que l'article 10 (b) du Securities Exchange Actde 1934, sur lequeltait fonde l'action des demandeurs, n'tait applicable qu'aux transactions ralises sur des actions cotes sur le march

    amricain et aux achats et ventes de titres intervenus aux Etats-Unis (trad. E. Gaillard, op. cit.). Cette solution appelle

    d'emble deux remarques. D'abord, elle est clairement restrictive, et n'exclut d'ailleurs pas seulement les foreign-cubed actions : elle

    tend aussi barrer la route, par exemple, l'action que voudraient exercer des investisseurs amricains qui auraient acquis sur unmarch tranger des titres d'une socit cote l'tranger. Ensuite, on relvera que la solution est cheville sur des critres abstraits,

    clairs et prcis (un bright-line test) ; la Cour suprme n'a pas voulu d'une approche casuistique qui, en laissant un pouvoir

    d'apprciation important aux juges saisis de ce type de contentieux, aurait compromis la prvisibilit des solutions. Cesobservations tant faites, on peut se demander si le verrou introduit par l'arrtMorrison, premire vue impressionnant, n'a pas en

    fait qu'un caractre relatif. En effet, la Cour suprme n'a pas raisonn en termes de limites la comptence des juridictions, mais au

    champ d'application spatial de la loi boursire amricaine. On pourrait ds lors concevoir que des demandeurs contournent

    l'obstacle en saisissant les tribunaux amricains sur le fondement d'autres rgles, typiquement celles d'un droit boursier tranger (cf.E. Gaillard, op. cit.). Si de telles actions pouvaient effectivement tre introduites, la porte de l'arrtMorrison s'en trouverait

    fortement amoindrie, ds lors que l'intrt des demandeurs tient moins l'application de la loi amricaine pour rgir le fond dulitige qu' l'arsenal procdural qu'offre le droulement d'un contentieux aux Etats-Unis. Or ces aspects sont rgis par la loi du for,applicable la procdure, quelle que soit la loi applicable au fond du diffrend (ibid.). C'est dire que le chapitre trs sensible des

    foreign-cubed actions est sans doute loin d'tre clos, ce d'autant qu'une intervention du lgislateur amricain pourrait tre la source

    de rebondissements moyen terme. Certaines dispositions introduites dans le rcentDodd-Frank Act, juste aprs l'arrtMorrison,

    montrent dj que le Congrs entend bien s'intresser ces problmatiques (V. G. Conway, Extraterritoriality after Dodd-Frank,http://blogs.law.harvard.edu).

    S. B.

    B - Cooprer ou dcliner : les paradis fiscaux face aux discriminations incitatives du droit national

    La curiosit lgislative dont il est ici fait mention n'a pas chapp aux fiscalistes franais qui elle s'adresse principalement. Il

    s'agit de cette rforme des rgles franaises de taxation internationale visant lutter contre les paradis fiscaux (selon les termesnon normatifs de la L. n 2009-1674, 30 dc. 2009 de finances rectificative pour 2009, art. 22) et singulirement dissuader les

    assujettis du recours des montages impliquant des Etats et territoires non coopratifs (ETNC). La dissuasion se veut

    apparemment massive : taux de taxation rehausss (le plus souvent au niveau symbolique de 50 %) pour les revenus issus des

    ETNC et verss un contribuable franais ; retenue la source majore sur les dividendes et intrts verss au dpart de laFrance et destination d'un ETNC , taxation dissuasive des plus-values de cession ralises en France par des oprateurs tablis

    sur un tel territoire ; refus de dduction des autres sommes verses destination des ETNC par prsomption simple de fraude

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    des contribuables franais (pour plus de dtails, V. la prsentation de B. Castagnde,Prcis de fiscalit internationale, 3e d., PUF,

    2010, n 129 bis s.). Cette dissuasion, laquelle la pratique spcialise apporte dj des rponses (V. par ex. au plan contractuel : P.Deroin et alii, Clauses fiscales des contrats financiers..., JCP E 2010. 1711), s'accompagne de dispositifs procduraux et formels

    destins accrotre la transparence des flux au dpart ou destination de la France et faciliter la rpression mene par

    l'administration franaise.

    La source relle de cette discrimination unilatrale pose par la loi franaise procde d'objectifs internationaux arrts par certains

    chefs d'Etat et de gouvernement dans la prcipitation des ractions la crise financire (sommets du G 20 de Londres et de

    Pittsburgh, avr. et sept. 2009), lesquels se greffent sur les travaux antrieurs de l'OCDE ayant consist, depuis 1996, proposer desplans d'actions contre la concurrence fiscale dloyale (V. A. Martin, RD aff. int. 2009. 383 ; N. de Boynes et alii, ibid. 2009. 512).

    Sans cette impulsion mondiale, un pays comme la France n'aurait pu se singulariser en procdant dans sa lgislation desdiscriminations cibles des territoires non coopratifs l'action juge dommageable. C'est aussi pourquoi la rgle-pivot de cenouveau rgime franais - l'article 238-0 A du code gnral des impts (ensemble le texte rglementaire annuel pris pour son

    application ; V. Arr. 12 fvr. 2010) - prend bien le soin de placer la dfinition des ETNC sous des standards mondiaux objectifs,

    ceux procdant des rgles et procdures d'examen de l'OCDE. Pour tre nomm et discrimin, l'Etat ou territoire doit tre extrieur

    l'Union europenne, avoir fait l'objet d'un examen par l'OCDE et n'avoir ni conclu de convention d'assistance administrative avecla France, ni sign une pareille convention avec au moins douze autres Etats. Sous ces conditions, l'Etat tranger vis n'a qu'un

    choix : ou bien s'engager cooprer effectivement ; ou bien s'attendre ce que ses ressortissants soient par son fait pnaliss et que

    dcroisse le volume de ses relations commerciales transfrontires. Il y a l une rsurgence tonnante des classiques rgles dites de condition des trangers : une discrimination cible qui vise obtenir d'un Etat qu'il modifie son droit et/ou ses pratiques. La

    France semble vouloir dployer largement le procd, comme le montre l'emploi qui en est fait dans deux textes rcents : - la loi n

    2010-476 du 12 mai 2010 relative aux paris en ligne (qui prvoit un agrment par l'autorit franaise de rgulation des entreprises

    de pari et dispose, art. 15, que l'entreprise sollicitant l'agrment ne peut avoir son sige social, une filiale ou un quipement dansun Etat ou territoire non coopratif au sens de l'article 238-0 A du code gnral des impts ) ; - la loi n 2010-626 du 9 juin 2010

    encadrant la profession d'agent sportif (qui insre l'art. L. 222-16 c. sport la nouvelle disposition suivante : Un agent sportif

    tabli dans un des Etats ou territoires considrs comme non coopratifs au sens de l'article 238-0 A du code gnral des impts

    ne peut exercer l'activit d'agent sportif sur le territoire national. Toute convention de prsentation conclue avec un tel agent estnulle ).

    Il s'agit l, au sens propre, de lois de police d'application premptoire, parce qu'elles prennent en charge certains intrtsessentiels de l'organisation conomique et sociale de l'Etat franais. Mais leur particularisme, justifiant peut-tre leur prennit, est

    que ces intrts publics sont partags par d'autres Etats sur la scne mondiale. En y ajoutant l'opinion publique et les pratiques

    volontaires de certains oprateurs conomiques (sur quoi, V. D. Gutmann, L'vasion fiscale des socits, RID comp. 2010. 533),

    d'aucuns ne tarderont pas y dceler la trace prcoce d'un nouveaujus commune du commerce international : unjus commune

    dirigiste, ce qui n'est pas une panace, mais peut se comprendre en priode de crise.

    L. A.

    II - Condition des oprateurs

    On sait, notamment des ditions prcdentes de ce panorama, quel point droit franais et droit de l'Union europenne sont

    aujourd'hui enchevtrs lorsqu'ils s'appliquent faonner le traitement des socits et autres groupements objet conomique qui

    agissent par-del les frontires nationales. Laissant de ct les rglementations sectorielles (et notamment la rforme du statut des

    OPCVM, V. par ex. M. Storck, RTD com. 2010. 167), on relvera ici trois lments d'actualit qui, sans tre d'une nouveautbouleversante, prsentent nanmoins un intrt transversal.

    A - Traitement en France des personnes morales trangres

    C'est tout d'abord la rpercussion, s'agissant des associations, de la jurisprudence franaise forant la reconnaissance des

    personnes morales de droit tranger. L'arrt Clitoraid Inc. (Crim. 8 dc. 2009, n 09-81.607, D. 2010. 202, obs. M. Lna ; JCP

    2010. 417, note Forgues ; Bull. Joly 2010. 577, note S. Bolle) dcide au visa de la Convention EDH (art. 6, 1, et 14), qu'uneassociation de droit tranger, bien que non dclare la prfecture comme l'exige la loi franaise de 1901, peut se constituer partie

    civile devant une juridiction franaise. Dans toute la mesure ncessaire la protection des droits fondamentaux de l'oprateur, et

    notamment pour le respect de la proprit de ses biens (laquelle est, on le sait, largement entendue et peut recouvrir des crances),

    la reconnaissance de la personnalit morale s'impose nonobstant tout texte interne restrictif relatif la condition des trangers. Pourpouvoir s'appliquer de manire prohibitive, face un groupement constitu sous l'empire d'un droit tranger, le droit local doit

    pouvoir justifier de motifs autres que la seule distinction du national et de l'tranger ; il peut ainsi, comme le veut la thorie du

    sige social dans son acception traditionnelle, exciper de la protection des tiers au groupement, voire de celle des membres locauxdu groupement, pour s'imposer en tout ou en partie l'organisation du groupement. La jurisprudence pnale l'atteste de manire

    rcurrente, lorsque par exemple, la suite de l'affaire Total Elf Gabon, elle applique les incriminations franaises spcifiques du

    droit des socits (notamment l'abus de biens sociaux) des socits qui, bien que constitues l'tranger, s'avrent avoir leur sige

    effectif en France (sur la priode couverte : V. Crim. 10 mars 2010, n 09-82.453,Midnight pearls international LTD, indit). Acondition d'tre fonde sur un motif d'intrt gnral, d'tre non discriminatoire et d'application proportionne au cas concret, cette

    dernire jurisprudence, opportune, devrait au sein de l'Union europenne pouvoir franchir avec succs le test de la jurisprudence

    Centros (V. la relation de cette dernire in Grands arrts du droit de l'UE, PUF, 2010, paratre).

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    L. A.

    B - Mobilit des socits et changement de statut

    C'est ensuite, postrieurement l'arrt Cartesio (ce panorama D. 2009. 2384, spc. 2387), la premire dcision de la Cour de

    cassation faisant apparatre, sans le rsoudre, un problme de conflit mobile. L'arrt Socit Europe Automobile (Com. 27 oct.2009, n 08-16.115, Bull. civ. IV, n 132 ; Bull. Joly 2010, 39, note Menjucq) relate le cas d'une socit de droit italien ayant

    transfr son sige de Rome Cannes o elle s'est faite immatriculer au cours d'un procs la concernant. Condamne par un

    jugement civil intervenu Rome, la socit dbitrice est touche par son crancier dans le pays de sa nouvelle installation :

    l'exequatur du jugement est requis du greffier du tribunal de grande instance de Grasse et l'ordonnance d'exequatur est signifie audomicile franais de la socit. Mais voici que celle-ci, souhaitant chapper au dlai de forclusion d'un mois pour recourir contre

    l'exequatur, excipe de la nullit de la signification faute d'identit du dbiteur poursuivi : il n'y aurait aucune continuit entre la

    socit italienne radie et la socit franaise nouvellement immatricule. A ce dbiteur souhaitant de manire dilatoire paralyser

    l'excution force, la Cour de cassation rpond qu'il a form recours hors dlai et sans critiquer dans un premier temps la rgularitde la signification ; son argumentation fonde sur l'inefficacit de son propre transfert de sige est donc irrecevable. Ainsi l'arrt ne

    livre-t-il pas la cl du transfert international du sige social destination de la France. L'opration est, n'en pas douter, possible ;

    elle suscite un conflit mobile des lois successivement applicables la personne morale socitaire, qui peut son tour poser desquestions de coordination des lois en prsence (sur lesquelles, V. dernirement C. Kleiner, JDI 2010. Doctr. 4). Il faudra attendre

    d'autres espces pour voir ces difficults juridiques rellement entrer en jeu ; disons pour l'instant qu'elles ne sont ni mystrieuses,

    ni autrement inconnues du droit international priv gnral.

    L. A.

    C - Articulation de la lex societatis et de la lex fori concursus

    Deux dcisions rcentes de la chambre commerciale posent enfin la question de la dlimitation du statut de la socit et de celui de

    la procdure de faillite quant la question de la loi applicable la dclaration des crances auprs de l'organe de la procdure(Com. 15 dc. 2009, n 08-14.949,Aenix c/ Access Graphics BV, D. 2010. 86, obs. A. Lienhard ; Rev. socits 2010. 187, note R.

    Dammann et E. Sauteraud ; RTD com. 2010. 210, obs. J.-L. Vallens ; Gaz. Pal. 28-29 mai 2010, p. 43, note Jobard-Bachellier ; 22

    juin 2010, n 09-65.481,Danieli Corus BV c/ Agintis, D. 2010. 1702). Statuant en application du rglement n 1346/2000 et visant

    l'article 4, 2 h), de ce rglement (en droit commun, la mme question avait t pose la Cour en 2004 mais n'avait pas ttranche : Com. 12 juill. 2004, n 01-11.197), les deux dcisions jugent que l'apprciation des pouvoirs du mandataire dclarant une

    crance pour le compte d'une personne morale relve de la seule lex fori concursus, indpendamment du contenu de la lex

    societatis suppose distincte. D'un point de vue factuel, les deux arrts prsentent cet intrt d'tre fronts renverss. Le premier endate avait statuer sur une dclaration de crance valable selon la lex fori concursus franaise, bien que contestable pour dfaut de

    pouvoirs selon la lex societatis trangre. Toute considration de la lex societatis, qui aurait jou en dfaveur de la socit

    crancire, est refuse ; la dclaration de crance est valable par application des rgles franaises du droit des procdures

    collectives relatives la dlgation des pouvoirs (et la rgularisation rtroactive du dfaut de pouvoir). Relevant d'un principe defaveur l'efficacit des dclarations, on aurait pu, au lendemain de l'arrt de 2009, considrer qu'une application alternative de la

    lex societatis aurait t concevable, lorsque la lex fori concursus n'aboutit pas la rgularit de la dclaration. Mais c'est ce que

    refuse l'arrt second en date, en des termes qui peuvent susciter la critique. Dans cette affaire, la dclaration de crance taitirrgulire selon le droit franais applicable la procdure collective ; mais elle aurait t susceptible d'tre valide selon le droit

    tranger du pays du sige de la socit. La Cour de cassation empche la socit trangre de faire la preuve de la ralit des

    pouvoirs concds un de ses prposs selon la lex societatis ; au simple motif que la lex fori concursus est formellement rendue

    applicable la question par l'effet du rglement n 1346/2000. Les consquences de cette solution sont telles (exclusion de laprocdure collective) qu'on eut aim une motivation moins abrupte. Si le rglement n 1346/2000 autorise effectivement le juge du

    for de la faillite appliquer sa loi interne, ce mme rglement ne lui fait pas obligation d'appliquer cette loi de manire exclusive et

    brutale, sans adaptation aux circonstances internationales de fait et, en particulier, sans considration du contexte particulier quiprocde de l'organisation de la socit selon un droit tranger. On regrettera donc le second des deux arrts comments :

    l'exclusivisme de la lex fori peut certes valoir titre de commodit ; mais il ne devrait pas tre le prtexte de l'arasement slectif des

    droits des cranciers qui rsident l'tranger. La lex societatis devrait pouvoir exceptionnellement se combiner la lex fori, par

    voie de prise en considration favorable la prservation des droits de la socit tablie l'tranger.

    L. A.

    III - Rgime des activits

    A - Rgles matrielles internationales

    La grande nouveaut pour 2011 sera, dans la pratique de l'import-export, la mise disposition par la chambre de commerceinternationale des nouveaux Incoterms, adopts en 2010 et devant succder ceux de l'an 2000. Le texte explicatif de ces nouvelles

    formules contractuelles sera diffus en France l'automne de cette anne (publ. CCI, n 175, 2010), pour un usage possible partir

    du mois de janvier prochain. Depuis le premier juillet 2010, sont disponibles l'emploi les nouvellesRgles uniformes relativesaux garanties sur demande (RUGD n 758 prenant la suite des RUGD n 458 de 1992 ; intressant exemple d'application de ces

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    dernires in : Com. 30 mars 2010, n 09-12.701,Banque Melli Iran, Bull. civ. IV, n 65 ; D. 2010. 957, obs. X. Delpech). Adopte

    par le Comit excutif de la CCI aprs un processus de rvision et de soumission consultation locale de deux annes et demie,

    cette formulation nouvelle des droits et obligations des parties une garantie autonome est d'ores et dj bien accueillie par lesprofessionnels du monde bancaire (V. les premiers comm. Mattout, La rvision des Rgles uniformes de la CCI relatives aux

    garanties sur demande (n 758), D. 2010. 1296 ; Affaki et Stoufflet, Banque et droit avr. 2010. 37). Cela augure le succs durable

    de cette rglementation prive sectorielle : soit qu'elle soit expressment adopte par les oprateurs et reoive pour eux valeur

    obligatoire raison du contrat, sous rserve des contraintes ponctuelles tires d'un droit national impratif ; soit, au cas contraire,qu'elle serve au juge comme guide d'interprtation de la volont probable des parties, en cas de silence de la loi et du contrat.

    Doit tre galement signale, dans le registre cette fois des traits internationaux de droit matriel uniforme, la Convention de

    Genve sur les titres (Conv. Unidroit sur les rgles matrielles relatives aux titres financiers, adopte Genve le 9 oct. 2009,accessible sur www.unidroit.org avec un tat actualis du texte et un accs aux travaux prparatoires). L'adoption de ce texte

    constitue un vnement considrable pour les spcialistes du droit financier, puisqu'il est l'aboutissement de travaux inaugurs en

    2001 et ayant runi, sous couvert des groupes d'experts gouvernementaux, les reprsentants des acteurs significatifs de l' industrie mondiale des titres financiers (dtention, transfert, cotation, prises de garanties). L'dification de ce texte a t mue par la mme

    considration pratique que celle qui fut l'origine de la trs conteste Convention de La Haye du 5 juillet 2006 sur la loi applicable

    certains droits sur des titres dtenus auprs d'un intermdiaire (www.hcch.net). Dans cette dernire convention, il convenait, parla fixation de rgles communes de rattachement, d'assurer et simplifier le rgime des oprations entreprises partir d'inscriptions en

    compte par les divers maillons d'une chane internationale de dtention de titres. Souhaitant, dans une mthodologie dite

    fonctionnelle , surpasser les divergences nes de la comparaison des droits internes, on refusa de prendre position sur la nature des

    relations nes de la dtention ; on refusa toute qualification uniforme contraignant le rgime de proprit et on se contenta d'tablir, chaque niveau comptable, une loi applicable l'inscription en compte et aux droits par elle reflts. La Convention de La Haye

    opta pour le principe d'un rattachement volontaire la loi choisie pour rgir la relation de compte. Ce rattachement n'tait pas sanslimite ni garde-fous ; mais son principe mme fut jug inacceptable par certains professionnels de la tenue de compte, notamment

    europens et spcialement franais, considrant que l'on pourrait de la sorte les contraindre pratiquement soumettre leur activitprofessionnelle une loi autre que celle du lieu de leur tablissement. Voil notamment pourquoi la Convention conflit de lois

    de 2006 n'a connu pour l'instant qu'un faible succs : initialement signe par les Etats Unis d'Amrique, elle n'est aujourd'hui

    ratifie que par la Suisse et l'Ile Maurice et n'est pas entre en vigueur. La Convention droit matriel uniforme , celle de Genvedont il est ici question, risque de connatre les mmes difficults que la Convention conflit de lois . Elle lui est en effet relie

    plusieurs gards.Par sa philosophie, tout d'abord, qui consiste prfrer pour des raisons techniques une dtention stratifie des

    titres permettant aux intermdiaires de disposer plus facilement, dans leur intrt propre, des actifs qu'ils dtiennent pour compte de

    tiers ; et au dtriment ventuel des titulaires ultimes, qui sont propritaires d'une inscription sans tre en toute circonstance assursqu' l'inscription correspond l'actif sous-jacent censment dtenu par voie d'intermdiaire.Par sa technique, ensuite, qui consiste

    oprer largement par renvoi au droit non harmonis : sur des questions de fond pour lesquelles l'uniformisation n'a pas t juge

    utile ou souhaitable ; galement pour la question cardinale de l'applicabilit de la Convention qui est, en situation internationale,dpendante de la rgle de conflit de lois non harmonise. Du point de vue franais et europen, l'accession de cet instrument

    nouveau au statut de rgle positive dpendra donc des choix d'opportunit qui seront oprs dans la lgislation interne, pour la

    protection optimale des investisseurs ; un projet de directive, dite SLD , relative aux droits sur les titres intermdis est en cours

    d'laboration et son aboutissement, qui rendrait exclusive la comptence de l'Union pour adopter les conventions internationales audtriment de la comptence des Etats membres (arg. : art. 3, 2, TFUE), scellerait dfinitivement le sort de ces rgles

    internationales d'inspiration amricaine (La Haye et Unidroit-Genve). Dans l'attente de cette solution politique (V. les inquitudes

    franaises de l'ANSA, lettre d'information n 09-053 du 30 nov. 2009 et la critique d'un juriste de la BNP, T. Cremers, article paruen anglais inEuredia 2010. 93), on se contentera, en gnraliste de bonne volont, ouvert au progrs et dsireux de comprendre,

    d'une observation de forme. Cette convention qui contient quelques quarante articles, ce qui est relativement peu, est d'un accs

    inutilement compliqu : cause de dispositions analytiques et non synthtiques (fonctionnalisme oblige...) ; cause de dfinitions

    liminaires en cascade qui reclent d'importantes solutions de fond ; cause d'un plan alambiqu o toutes les questions sont traites peu prs partout ; cause d'incessants renvois d'un texte l'autre qui sollicitent l'lectronique plus que l'intelligence. Les auteurs

    de la Convention l'ont ressenti, qui ont jug urgente la finalisation d'un Commentaire officiel ( une ncessit... pour ceux quisont appels travailler avec cet instrument ,sic !) ; commentaire qui existe dj sous forme de projet (17 juill. 2009, conf. 11/2,doc. 5, en ligne) et qui est effectivement trs utile, voire ncessaire, pour la comprhension des textes (v. par ex. l'art. 12 de la

    Convention, pivot des prises de garantie sur titres inscrits, qui ne se comprend gure sans les six pages de commentaire qui lui sont

    ddies). L'avenir du droit sera peut-tre en ce domaine celui de l'expertise technicienne assiste par ordinateur. En attendant, il ne

    faut pas cacher que la complexit formelle du texte suscite la perplexit, voire la mfiance ; ce qui est tout de mme dommage pourun texte cens assurer la confiance de tous, y compris des investisseurs les moins avertis (V. par contrepoint la simplicit qui est

    celle de la rglementation suisse de mme inspiration et de mme objet, L. fd. 3 oct. 2008, RS 957.1, www.admin.ch). Il faut

    esprer que, sur ce sujet, l'Europe saura affirmer raisonnablement son originalit ; elle jouera en tout cas sa crdibilit dans lamanire avec laquelle elle dfendra les intrts des premiers intresss que sont les metteurs de titres et leurs souscripteurs.

    L. A.

    B - Conflits de lois en matire de contrats

    Loi applicable en l'absence de choix de loi. Non sans une pointe de paradoxe, c'est au crpuscule de l'existence de la Convention de

    Rome que la Cour de justice des communauts europennes a, pour la premire fois, pris position sur des questions se rapportant l'interprtation de cet instrument. Celles-ci concernaient, prcisment, les modalits de mise en oeuvre de l'article 4 de la

    Convention de Rome - qui, comme on le sait, dtermine la loi applicable au contrat en l'absence de clause d'electio juris. En dpit

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    de son caractre inaugural et de ses dveloppements bavards, la dcision rendue par la Cour dans cette affaireICF(CJCE 6 oct.

    2009, n C-133/08, D. 2010. 236, note F. Jault-Seseke, et 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2010. 199, note P.

    Lagarde ; RTD com. 2010. 453, obs. A. Marmisse-d'Abbadie d'Arrast, et 455, obs. P. Delebecque ; RTD eur. 2010. 195, chron. L.Grard ; JCP 2009. 550, note L. d'Avout et L. Perreau-Saussine ; RDC 2010. 701, obs. P. Deumier, J.-B. Racine et E. Treppoz) ne

    devrait cependant laisser qu'une empreinte discrte, ses enseignements tant assez minces et, pour une bonne part d'entre eux,

    rendus caducs par certaines des volutions introduites par le rglement Rome I. Ces considrations justifient que l'on ne s'arrte pas

    sur elle dans le cadre de ce panorama.

    Lois de police. Deux arrts rendus sur le chapitre des lois de police mritent d'tre voqus. a) Le premier constitue une

    intressante illustration des virtualits de l'article 7, 1, de la Convention de Rome, permettant l'application de lois de police

    trangres (Com. 16 mars 2010, n 08-21.511, Bull. civ. IV, n 54 ; D. 2010. 824 ; RTD com. 2010. 457, obs. P. Delebecque ; JCP2010. 530, note D. Bureau et L. d'Avout ; RLDA 2010, n 51, p. 63, obs. C. Nourissat). Le litige, en l'espce, opposait un

    transporteur un chargeur qui avait contract avec lui pour exporter de la viande bovine franaise vers le Ghana. La marchandise

    n'ayant pas pu tre livre au destinataire en raison d'un embargo dcrt par le Ghana, elle avait t rapatrie en France et remise auchargeur. Celui-ci ayant d vendre en urgence des conditions dfavorables, il avait assign le transporteur en responsabilit. Ce

    dernier avait alors invoqu la nullit du contrat en faisant valoir qu'il violait l'embargo tranger. Les juges du fond avaient

    cependant refus de le suivre dans cette voie : ils avaient considr que l'embargo n'avait pas de force obligatoire l'gard destransporteurs et que la cause du contrat n'tait pas illicite au sens du droit franais, applicable en tant que lex contractus. La Cour de

    cassation a censur cette dcision, sur un moyen relev d'office : il appartenait la cour d'appel de dterminer par application de

    la Convention de Rome l'effet de la loi ghanenne invoque devant elle ; s'en tant abstenue, elle avait viol l'article 4, 1, de la

    Convention. Le rsultat ainsi suggr - l'exonration du transporteur au titre d'une disposition imprative qui, bien quen'appartenant pas la lex contractus, avait reprsent pour lui une contrainte effective - apparat raisonnable et il aurait d'ailleurs

    t possible, certainement, d'y parvenir en se plaant sur un autre terrain : celui de l'excution du contrat, contrarie par un cas deforce majeure (rappr. Com. 24 avr. 2007, Rev. Scapel 2007. 129 ; cf. D. Bureau et L. d'Avout, note prc.). L'arrt n'en mrite pas

    moins d'tre remarqu, ce d'autant que les dcisions faisant application de lois de police trangres sont particulirement rares enjurisprudence. On relvera enfin que la solution, retenue dans le cadre de la Convention de Rome, aurait galement pu l'tre dans

    celui du rglement Rome I bien que ce dernier se montre plus restrictif s'agissant de la possibilit d'appliquer des lois des police

    trangres (V. L. d'Avout, Le sort des rgles impratives dans le rglement Rome I, D. 2008. 2165). Etait en effet en cause une loide police du pays d'excution du contrat, qui rendait cette excution illgale, de sorte que les conditions poses par l'article 9, 3,

    du rglement auraient bien t remplies.

    Recueil Dalloz 2010 p. 2323 b) L'autre dcision sur laquelle l'attention doit se porter est un rcent arrt dniant la qualit de loi depolice l'article L. 132-8 du code de commerce, qui confre au transporteur routier une action directe en paiement l'encontre de

    l'expditeur et du destinataire (Com. 13 juill. 2010, n 10-12.154, D. 2010. 1863, obs. X. Delpech). D'aucuns ne manqueront pas

    d'tre tonns par cette solution, qui semble trancher avec la jurisprudenceAgintis qualifiant de lois de police, dans le domaine dela sous-traitance immobilire, l'ensemble des dispositions protectrices du sous-traitant issues de la loi du 31 dcembre 1975, en ce

    compris celles qui instituent une action directe en paiement (V. ce panorama, D. 2008. 2560, spc. 2565, et les rf. cites ; adde M.-

    E. Ancel, Rev. crit. DIP 2009. 728). N'y a-t-il pas l deux poids, deux mesures ? Une telle impression n'est sans doute pas

    illgitime, mais deux observations s'imposent, qui sont de nature rassurer sur le caractre raisonnable de la solution que vient deconsacrer la chambre commerciale.

    D'abord, on rappellera que la jurisprudenceAgintis est la rponse une proccupation bien prcise, savoir imposer une galit detraitement juridique entre tous les sous-traitants prenant part au march franais de la construction immobilire, en neutralisant les

    stipulations contractuelles par lesquelles certains oprateurs pourraient tre tents de se placer sous l'empire d'un droit tranger

    moins contraignant (sur ce point et ceux qui suivent, V. nos obs. D. 2008. 2165). Il n'est pas niable que cette proccupation se prte

    une transposition en d'autres domaines et que la jurisprudenceAgintis pourrait ainsi avoir un effet de contagion. Cela dit, latransposition ne doit certainement se faire qu'avec une extrme prudence, la fois parce que la problmatique de l'galit de

    traitement juridique semble tre d'une sensibilit particulire en matire de sous-traitance immobilire (en raison notamment de lapesanteur elle-mme particulire du dispositif issu de la loi de 1975) et parce que, sans une telle prudence, le risque est rel qu'peu prs n'importe quelle rgle imprative en droit interne devienne justiciable de la qualification de loi de police.

    Ensuite, s'il y avait lieu de reprocher la jurisprudence un certain manque de cohrence, une remarque s'imposerait : supposer

    qu'un revirement soit souhaitable, il est loin d'tre vident que celui-ci doive concerner la solution relative l'action directe dutransporteur. Abstraction faite de tout jugement d'opportunit, il est clair que cette solution est plus orthodoxe que celle consacre

    en matire de sous-traitance immobilire qui se concilie mal, sinon avec le texte de la Convention de Rome, en tout cas avec celui

    du rglement Rome I. Il semble d'ailleurs que la chambre commerciale, dans son arrt du 13 juillet 2010, ait eu le souci d'pouserdj les orientations qui sont celles du nouveau droit international priv europen des contrats. Pour motiver sa dcision, elle a en

    effet confront l'article L. 132-8 du code de commerce des critres assez restrictifs qui rappellent beaucoup la dfinition des lois

    de police que consacre, en s'inspirant de la pense de Francescakis, l'article 9, 1, du rglement Rome I : si la disposition en cause

    ne mrite pas d'tre qualifie de loi de police, c'est parce qu'elle n'est pas une loi dont l'observation est ncessaire pour lasauvegarde de l'organisation politique, sociale et conomique du pays au point de rgir imprativement la situation quelle que soit

    la loi applicable . Il n'est pas dit que la jurisprudenceAgintis survive un tel test, qu'elle devra pourtant tt ou tard affronter.

    S. B.

    IV - Contentieux

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    A - Arbitrage et contrats administratifs internationaux

    Ayant engendr un conflit de comptences entre les ordres juridictionnels administratif et judiciaire, les pripties de l'affaire

    INSERM(V. ce panorama, D. 2009. 2384, spc. 2390, obs. S. Bolle ; cf. les rf. cites par M. Audit, Le nouveau rgime de

    l'arbitrage des contrats administratifs internationaux..., Rev. arb. 2010. 253) ont conduit le Tribunal des conflits se prononcer sur

    une question trs sensible concernant le rgime de l'arbitrage en matire de contrats administratifs internationaux (T. confl. 17 mai2010, n 3754, D. 2010. 1359, obs. X. Delpech ; AJDA 2010. 1564, tude P. Cassia ; V. E. Gaillard, Le Tribunal des conflits torpillele droit franais de l'arbitrage, JCP 2010, 24 mai 2010, n 21, 585 ; T. Clay, Les contorsions byzantines du Tribunal des conflits en

    matire d'arbitrage, ibid., 552 ; JCP 2010, 7 juin 2010, n 23, 644, obs. J. Orscheidt ; Rev. arb. 2010. 275, et le comm. prc. de M.

    Audit). L'important arrt rendu cette occasion dtermine, prcisment, quel ordre de juridiction est comptent pour connatre des

    recours contre une sentence rendue en France dans un litige n de l'excution ou de la rupture d'un contrat conclu entre unepersonne morale de droit public franaise et une personne de droit tranger, excut sur le territoire franais, mettant en jeu les

    intrts du commerce international, ft-il administratif selon les critres du droit interne franais . Prenant le contre-pied de la

    jurisprudence antrieure du Conseil d'Etat (cf. not. CE 3 mars 1989, Socit AREA, Lebon 69, concl. E. Guillaume ; D. 1990. 67,obs. P. Terneyre), le Tribunal des conflits affirme qu'une comptence de principe, en la matire, revient aux juridictions judiciaires ;

    la sentence relve ainsi, en dpit du caractre administratif du contrat litigieux, du recours en annulation prvu par les articles 1504

    et 1505 du code de procdure civile. Cette attribution de comptence au juge judiciaire n'est cependant pas sans limites, le recoursretombant dans l'escarcelle du juge administratif lorsqu'il implique le contrle de la conformit de la sentence certaines

    rgles impratives du droit public franais , savoir celles relatives l'occupation du domaine public ou qui rgissent la

    commande publique et applicables aux marchs publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de dlgation de service

    public .

    Plusieurs voix se sont dj exprimes pour regretter la concession ainsi faite la comptence du juge administratif (V. ainsi les art.prc. d'E. Gaillard et T. Clay). De fait, il faut reconnatre que la solution distributive retenue par le Tribunal des conflits tranche

    avec celle qu'appelaient de leurs voeux la plupart des spcialistes de l'arbitrage, favorables une concentration du contrle entre lesmains du juge judiciaire - et, par l, une extension pure et simple du droit commun de l'arbitrage international, issu du code de

    procdure civile et de la jurisprudence judiciaire, aux sentences rendues en matire de contrats administratifs internationaux. Il est

    cependant plausible que les audaces de la jurisprudence judiciaire, spcialement en ce qui concerne le contrle de la conformit des

    sentences l'ordre public (V. not. Civ. 1re, 4 juin 2008, Cytec, Bull. civ. I, n 162 ; D. 2008. 1684, obs. X. Delpech, 2560, obs. S.

    Bolle, et les rf. cites, et 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot), aientdissuad le Tribunal des conflits de s'engager dans une voie aussi radicale, qui aurait en pratique expos l'ordre juridique franais

    reconnatre des sentences sans que leur conformit aux dispositions essentielles du droit public franais ait pu tre srieusement

    vrifie. La lecture des conclusions du commissaire du gouvernement, qui plaidait pour un systme distributif semblable celui

    consacr par l'arrt, porte au demeurant penser que l'extrme libralisme de la Cour de cassation en ce domaine a effectivement

    fait figure de repoussoir (Rev. arb. 2010. 291 s.).

    Quoi qu'il en soit, on relvera que l'arrtINSERMlaisse dans l'ombre certaines questions dont l'importance n'est pas ngligeable(cf. not. l'art. prc. de M. Audit). Outre celles qui sont lies au domaine d'application du rgime dessin par le Tribunal des conflits

    (quid, par exemple, des contrats administratifs excuts l'tranger ?), on peut en particulier s'interroger sur l'incidence que

    pourrait avoir l'arrtINSERMau plan de l'arbitrabilit. Il est certain que celle-ci sera acquise chaque fois que l'intervention du juge

    administratif sera carte, car le juge judiciaire aura alors toute latitude pour faire prvaloir sa jurisprudence Galakis, comme l'avait

    du reste fait la cour d'appel de Paris dans la prsente affaire (Paris, 1re ch. C, 13 nov. 2008, D. 2009. 2384, spc. 2393, obs. S.Bolle ; Rev. arb. 2009. 389, note M. Audit). Mais dans les cas o le juge administratif aura l'occasion de s'exprimer, se dcidera-t-

    il dpasser les lots d'arbitrabilit dj consacrs par des textes lgislatifs (V. par ex., en matire de partenariats, l'art. 11 de l'Ord.

    n 2004-559, 17 juin 2004) pour admettre son tour, par principe, la licit du recours l'arbitrage en matire de contratsadministratifs internationaux ? Il a t soutenu que les termes de l'arrtINSERMl'impliquaient (M. Audit, op. cit., n 19 s.), mais le

    plus raisonnable reste peut-tre de considrer que cette dcision ne tranche que le problme dont le Tribunal des conflits taitimmdiatement saisi, lequel concernait le conflit de comptences quant au contrle des sentences et non l'arbitrabilit des litiges.

    Dans le doute, sur ce point comme sur celui des modalits et de l'tendue du contrle dvolu au juge administratif, il conviendra descruter avec attention les futurs dveloppements de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

    S. B.

    B - Rglement Bruxelles I

    Outre un arrt relatif l'articulation du rglement Bruxelles I et de la CMR (CJUE 4 mai 2010, n C-533/08, Europe, juill. 2010.260, note L. Idot) dont on se contentera de mentionner l'existence, la jurisprudence rcente relative au rglement Bruxelles I est

    riche de plusieurs dcisions concernant la comptence en matire de contrats et de dlits, et ayant une incidence sur l'activit des

    oprateurs du commerce international.

    Contrats. Anne aprs anne, l'abondante jurisprudence relative l'article 5, 1 b), confirme que cette disposition est loin d'avoir

    toutes les vertus simplificatrices que l'on voulait lui prter. On en prsentera ici deux nouvelles illustrations. Dans l'arrt Car Trim

    (CJUE 25 fvr. 2010, n C-381/08, D. 2010. 1837, note T. Azzi ; Europe, avr. 2010. 148, note L. Idot ; RLDA 2010, n 51, p. 69,obs. Queguiner), la Cour de justice a tout d'abord pris parti sur la qualification des contrats dont l'objet porte sur la livraison de

    marchandises fabriquer ou produire. A rebours de l'approche qui l'a jusqu'ici emport dans la jurisprudence franaise (V. Civ.

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    1re, 27 mars 2007, Bull. civ. I, n 130 ; D. 2007. 1085, obs. I. Gallmeister, 2562, spc. 2573, obs. S. Bolle, et les rf. cites, et

    2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2007. 629, obs. P. Delebecque ; 14 nov. 2007, Bull. civ. I, n 352 ; D.2008. 2560, spc. 2567, obs. S. Bolle, et les rf. cites ; Rev. crit. DIP 2008. 139, obs. H. Muir Watt), la Cour considre qu'il s'agit

    en principe de ventes de marchandises et non de contrats de fourniture de services, tout en rservant les cas o des indices

    particuliers porteraient retenir la qualification inverse - ainsi, le fait que le client ait fourni la majorit ou la totalit des matriauxutiliss pour fabriquer les marchandises (pt 32 s). Une seconde question portait sur la dtermination du lieu de livraison des

    marchandises dans les ventes distance. Selon la Cour, ce lieu doit tre dtermin sur la base des dispositions [du] contrat et

    s'il est impossible de dterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se rfrer au droit matriel applicable au contrat, ce lieu

    est celui de la remise matrielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait d acqurir le pouvoir de disposereffectivement de ces marchandises la destination finale de l'opration de vente (pt 62).

    L'arrt Wood Floor(CJUE 11 mars 2010, n C-19/09, D. 2010. 834 ; RTD com. 2010. 451, obs. A. Marmisse-d'Abbadie d'Arrast ;Europe, avr. 2010. 149, note L. Idot ; RLDA 2010, n 51, p. 72 obs. Porcheron) apporte pour sa part des rponses aux questions

    souleves par l'hypothse o un contrat de fourniture de services est excut dans plusieurs Etats membres. Transposant

    ouvertement les solutions dgages par l'arrt Color Drack(CJCE 3 mai 2007, D. 2007. 1604, 2562, spc. 2573, obs. S. Bolle, et

    2008. 40, obs. C. Nourissat) dans le domaine de la vente de marchandises, la Cour de justice estime que la circonstance envisagene fait pas obstacle l'application de l'article 5-1 b) et que dans un tel cas, le tribunal comptent pour connatre de toutes les

    demandes fondes sur le contrat est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services (pt 43).

    L'arrt prcise que s'agissant, comme en l'espce, d'un contrat d'agence commerciale, ce lieu est celui de la fourniture principale

    des services de l'agent, tel qu'il dcoule des dispositions du contrat ainsi que, dfaut de telles dispositions, de l'excution effectivede ce contrat et, en cas d'impossibilit de le dterminer sur cette base, celui o l'agent est domicili (ibid.).

    (Cyber-)dlits . En matire dlictuelle, on signalera un arrt rendu par la chambre commerciale qui se prononce sur le thme,rcurrent en jurisprudence, de l'application de l'article 5, 3, du rglement Bruxelles I aux faits de contrefaon ou de concurrence

    dloyale commis par la voie d'internet (Com. 9 mars 2010, n 08-16.752, Bull. civ. IV, n 46 ; D. 2010. 1183, note G. Lardeux ;

    JDI 2010. 870, note L. Usunier). S'il ne rompt pas franchement avec la jurisprudence antrieure de la Cour de cassation qui fait dela simple accessibilit en France du site incrimin un critre suffisant pour fonder la comptence du juge franais (pour une

    synthse de la jurisprudence, V. L. Usunier, op. cit., p. 877), cet arrt comporte tout de mme quelques lments qui ont t perus

    comme un frmissement en faveur d'une approche plus restrictive. En premier lieu, la Cour semble corrler la comptence du juge

    franais, non plus la seule accessibilit du site, mais aussi la disponibilit en France des produits litigieux . Cela dit, il neparat pas y avoir l un changement radical, du moins si l'on entend par disponibilit la simple possibilit technique de passer

    commande en France. Mais prcisment, en second lieu, des auteurs ont estim que la Cour avait donn des gages une

    apprciation concrte, visant vrifier que la configuration du site (pages rdiges en franais...) rendait l'accs celui-ci et la

    disponibilit des produits suffisamment effectifs pour les internautes franais, voire ciblaitle public franais (V. les notes prc.).

    Autrement dit, la chambre commerciale n'entendrait plus fonder la comptence du juge franais sur une accessibilit et unedisponibilit purement techniques, tenant ce qu'aucun obstacle de ce dernier ordre n'empche la visualisation du site et la

    passation de commandes partir d'un ordinateur situ sur le territoire franais. Si tel tait bien le cas, il y aurait l une volutionqui, quoique conduite terminologie quasi constante (accessibilit, disponibilit), pourrait virtuellement conduire un

    renversement complet des orientations jurisprudentielles. Il n'est toutefois pas sr que les magistrats aient entendu s'engager dans

    cette voie, une lecture plus modeste de l'arrt tant possible. En effet, si la Cour a bien considr que les constatations des juges

    d'appel relatives au contenu du site internet (lequel comportait des pages ouvertement destines la clientle franaise), faisaient ressortir l'accessibilit de celui-ci et la disponibilit des produits en France, les termes de l'arrt n'impliquent pas ncessairement

    qu'elle en demandera toujours tant. Quelle que soit la bonne interprtation, il serait regrettable qu'une ambigut rdactionnelle soit

    la source de nouvelles incertitudes dans une matire qui, dcidment, peine trouver une stabilit dfinitive. Il faudra peut-treattendre, pour cela, une intervention de la Cour de justice.

    S. B.

    C - Insolvabilit (procdures transeuropennes)

    L'actualit du rglement n 1346/2000 est cette anne principalement marque par deux affaires tranches par la Cour de justice :German Graphics (CJCE 10 sept. 2009, n C-292/08, D. 2009. 2782, note J.-L. Vallens, et 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-

    Seseke ; RTD com. 2010. 211, et 212, obs. J.-L. Vallens ; RLDC avr. 2010. 31, note Dammann et Millet) et MG Probud(CJUE 21

    janv. 2010, n C-444/07, D. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Bull. Joly 2010. 493, note Jault-Seseke).

    On commencera par relater l'affaireMG Probud, seconde en date, qui a trait l'efficacit des procdures principales d'insolvabilit

    ouvertes sur le fondement du rglement n 1346/2000. Des esprits provocateurs s'en souviendront peut-tre, non sans certaines

    raisons, comme de la version allemande de l'affaire du plombier polonais , puisqu'il s'agissait d'une socit de droit polonaisactive dans le secteur du btiment et ayant exerc par voie de succursale, avec dtachement de travailleurs. Cette socit avait fait

    l'objet d'une procdure d'insolvabilit au pays de son sige et une administration allemande des douanes avait entendu saisir titreconservatoire dans les livres d'un banquier allemand les sommes appartenant l'entreprise polonaise, de peur que ses dirigeants neprofitent de la procdure trangre pour rapatrier l'argent et viter de payer certains arrirs de rmunrations et charges sociales.

    Les juridictions allemandes avaient admis cette saisie, prenant prtexte d'une difficult probatoire pour refuser de reconnatre la

    procdure polonaise. Face cette voie de fait , ce sont donc les juridictions polonaises du pays d'ouverture de la procdure

    collective qui saisiront la Cour de justice pour interprtation prjudicielle. Elles lui demanderont, assez curieusement, d'apprcier la

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    lgalit des pratiques allemandes de saisie, sans doute pour savoir, quant au fond, s'il y a lieu d'en tenir compte au sein de la

    procdure d'insolvabilit polonaise et dans le secret espoir, aussi, que la Cour de justice arbitre le conflit germano-polonais

    relativement cette procdure d'insolvabilit non acheve. Avec beaucoup de fermet, et une argumentation qui conjugue lesprincipes de droit strict (ex., outre l'invocation appuye de la confiance mutuelle : seule l'ouverture d'une procduresecondaire d'insolvabilit est susceptible de restreindre la porte universelle de la procdure principale d'insolvabilit , consid.

    24) et l'analyse du cas concret (sur le caractre incontestable de la procdure principale ouverte en Pologne sur le fondement du

    Rgl. n 1346/2000, consid. 36 s.), la Cour conclut que les autorits allemandes comptentes ne pouvaient valablement ordonner,en application de la lgislation allemande, des mesures d'excution portant sur les biens de MG Probud situs en Allemagne (n

    44), pour la raison double que la dcision d'ouverture polonaise devait tre automatiquement reconnue dans tous les autres Etats

    membres, sans aucune formalit, avec tous les effets que lui attribue la loi polonaise et que la loi polonaise du pays d'ouverture

    est appele rgir le sort des biens situs dans les autres Etats membres ainsi que les effets de la procdure d'insolvabilit sur lesmesures dont ces biens sont susceptibles de faire l'objet (consid. 45 et 43). La solution de fond ne fait pas de difficult : dans la

    mesure o la saisie entreprise hors le pays d'ouverture est incompatible avec la loi de la faillite, le jugement d'ouverture de la

    faillite, reconnu de plein droit dans l'Espace europen, fait obstacle l'entreprise dans un autre Etat membre d'une mesure judiciaired'effet contraire. Ce qui est surprenant dans cette affaire est l'engagement concret de la Cour de justice au service de l'efficacit du

    rglement ; engagement qui tranche nettement avec l'attitude de Ponce Pilate qu'avait eu nagure cette mme juridiction,

    significativement dans l'affaireEurofood. La Cour descend dans l'arne des conflits suscits par le rglement europen des faillitestransfrontires. L'on pourrait certes discuter les modalits juridiques de cet engagement sur un plan institutionnel. Mais on

    approuvera ici pleinement le mouvement l'oeuvre sur un plan substantiel, tant il est vrai que l'efficacit des mcanismes de

    reconnaissance des procdures transfrontires impose qu'un arbitrage impartial puisse tre opr et efficacement transpos dans les

    faits en cas de dysfonctionnement, lorsque la confiance mutuelle des juridictions nationales est dfaillante au cas concret.

    L'affaire German Graphics, tranche antrieurement par la Cour, soulevait elle aussi un conflit international de procdures,relativement un cas d'insolvabilit transeuropenne. En l'espce, la premire dcision tait hollandaise, d'ouverture d'une

    procdure d'insolvabilit au pays du sige du dbiteur insolvable sur le fondement du rglement n 1346/2000. L'autre dcisiontait allemande, qui rsultait de la saisie conservatoire entreprise au pays d'tablissement du crancier aprs le jugement d'ouverture

    et visait faire reconnatre les droits de proprit rserve du crancier sur des meubles situs en Hollande. Un contentieux s'leva

    aux Pays-Bas entre le crancier et le syndic de la faillite sur l'opportunit d'accorder l'exequatur la dcision allemande ; et lesjuges posrent la Cour de justice la question de l'applicabilit du rglement n 44/2001 ditBruxelles I. Il est en effet fait renvoi

    ce texte par le rglement n 1346/2000, qui dispose en son article 25, 2, que les dcisions qui ne sont pas relatives au droulement

    ou la clture de la procdure d'insolvabilit sont reconnues et mises excution selon les modalits de la Convention de Bruxelles

    (devenue Rgl. n 44/2001), pour autant que cette convention soit applicable . Dans un premier temps et sans surprise, la Courde justice rpond positivement la premire question qui suggrait que le renvoi d'un texte l'autre ne jouait pas automatiquement

    et que l'applicabilit du rglement matire civile et commerciale devait tre vrifie selon ses conditions propres. L'enjeu

    concret est alors le suivant : si le rglement n 44/2001 se dit inapplicable l'action en cause, alors la reconnaissance doit se dciderselon le droit commun national (ici hollandais), suppos moins favorable que le droit rgional europen. Dans le second temps de

    son raisonnement, la Cour de justice examine ainsi, conformment sa classique jurisprudence Gourdain, si la mesure

    conservatoire litigieuse prsente un lien de connexit avec les procdures de faillite, de sorte que l'article 1er, 2 b), du rglement

    n 44/2001 rendrait celui-ci inapplicable. Elle rpond par la ngative, en ne se laissant pas impressionner par les lments avancs

    par la juridiction requrante l'appui de sa question prjudicielle : est notamment jug sans incidence, car relevant d'un

    questionnement de conflit de lois, le fait que le rglement n 1346/2000 s'intresse au rgime des srets relles (art. 7) et qu'ilprvoit l'applicabilit de la lex fori concursus la dtermination des biens soumis la procdure (art. 4). La justification positive

    donne par la Cour l'appui de sa solution est double : d'abord la relation qui unit les rglements nos 44/2001 et 1346/2000, qui est

    celle du commun et du spcial (le Rgl. n 44/2001 doit par suite s'interprter extensivement et l'autre restrictivement) ; ensuite

    l'objet de l'action intente - demander la restitution de biens et clarifier pralablement la question de proprit - qui ne prsente pasun lien suffisamment direct et suffisamment troit avec la procdure d'insolvabilit, pour tre exclu du champ d'application

    du rglement n 44/2001 pour cause de connexit la faillite (pts 29-31). La solution a surpris les premiers commentateurs del'arrt, notamment au regard de l'arrt Seagon c/ Deko Marty du 12 fvrier 2009 (ce panorama D. 2009. 2384, spc. 2391 ; adde,

    pendante, n C-213/10,F-Tex, relativement une action paulienne engage hors du pays d'ouverture). Nous l'approuverons pournotre part, raison de la cohrence systmatique des textes du droit de l'Union. Il n'est pas bon que se crent, l'intersection des

    rglements de contentieux judiciaire international, des trous noirs suscits inconsidrment par voie d'interprtation

    fonctionnelle. Si, au cas prsent, l'admission d'une action extraterritoriale scurisant une sret relle peut troubler, car elle estpostrieure l'ouverture de la procdure collective et possiblement contraire aux rgles de cette dernire, il faut nanmoins rappeler

    les principes europens de solution du conflit de dcisions qui, bien que non mentionns par la Cour, peuvent aider surmonter les

    contrarits : d'abord le principe d'efficacit immdiate, sans exequatur, du jugement d'ouverture de la faillite qui contraint les juges

    de l'Espace judiciaire europen respecter la procdure d'insolvabilit et qui fait chec tout jugement intraeuropen, ultrieur etcontraire la loi de la faillite (V.supra sur le fondement du Rgl. n 1346/2000, la solutionMG Probud) ; ensuite, au pays

    d'ouverture de la faillite, la possibilit de refus de reconnaissance des jugements rendus en matire civile et commerciale, en cas

    d'incompatibilit avec un jugement antrieurement intervenu entre les mmes parties (art. 34, 3e

    et 4e, Rgl. n 44/2001, qui

    pourrait s'appliquer au cas German Graphics ou un cas analogue). Il n'y a donc pas lieu d'exagrer la porte de cet arrt et de

    craindre, ce faisant, une remise en cause de l'efficacit des procdures transfrontires d'insolvabilit.

    Parmi les questions prjudicielles actuellement pendantes devant la Cour (dont n C-396/09Interedil Srldemandant comment

    mettre en oeuvre la solutionEurofoodrelative la prsomption de localisation du centre des intrts principaux au sige statutaire

    de la socit insolvable), on attendra avec un intrt particulier la rponse au problme relev par la Cour de cassation franaise et

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    qui consiste en substance savoir si l'extension de procdure pour cause de confusion des patrimoines du droit interne donne lieu

    une procdure distincte au sens du rglement n 1346/2000 (n C-191/10Rastelli c. Mediasucre, suscite par Com. 13 avr. 2010, D.

    2010. 1450, note L. Henry, et 1110, spc. 1115, obs. Orsini ; Rev. socits 2010. 404, obs. P. Roussel Galle ; V. en amont Aix-en-Provence, 12 fvr. 2009, Rev. crit. DIP 2009. 766, note Bureau).

    L. A.

    D - Efficacit des clauses attributives de juridiction en droit commun franais

    On ne saurait achever ce panorama 2009-2010 sans mentionner les deux importantes dcisions de la Cour de cassation, contribuant

    chacune sa manire un regain d'efficacit des clauses attributives de juridiction dans les relations internationales, le rgimespcial europen issu du rglement Bruxelles I tant ici mis part.

    L'arrtBluebell Trading Company (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n 07-17.788, D. 2010. 1869, obs. X. Delpech) transpose la clauseattributive de juridiction le principe de sparabilit matrielle de longue date pratiqu pour les conventions d'arbitrage. Il juge qu'

    une clause attributive de comptence, en raison de son autonomie par rapport la convention principale dans laquelle elle

    s'insre, n'est pas affecte par l'inefficacit de cet acte . Ce faisant, cette dcision prfigure une assimilation plus large des

    diffrentes clauses de rglement des diffrends ; on peut penser notamment, mme si l'on est en droit de ne le pas souhaiter, quel'apprciation de leur validit selon des principes matriels et sans recourir par principe la loi d'un Etat serait identiquement

    transpose du droit de l'arbitrage au droit commun des conflits de juridictions, ce qui serait conforme aux attentes majoritaires de la

    doctrine (V. par ex. Audit,Droit international priv, 6e d., Economica, 2010, n 397 ; Niboyet et La Pradelle,Droit international

    priv, Manuel LGDJ, 2009, n 350).

    L'arrtIn Zone Brands, dj abondamment comment (Civ. 1re 14 oct. 2009, n 08-16.369, D. 2010. 177, note S. Bolle, et 1585,

    obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2010. 158, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2010. 372, obs. P. Thry ; RTD com.2010. 459, obs. P. Delebecque ; Gaz. Pal. 28 nov. 2009. 34, note Niboyet ; Clunet 2010. Comm. 3, par S. Clavel ; RDC 2010. 721,

    obs. E. Treppoz), accepte quant lui de reconnatre le jugement tranger ordonnant sous astreinte dfinitive au plaideur de se

    dsister de son action engage en France, au profit de l'action engage par son contradicteur devant les tribunaux trangers dsignspar une clause attributive de juridiction en apparence valable. N'est pas contraire l'ordre public international, l'"anti suit

    injunction" dont, hors champ d'application des conventions ou du droit communautaire, l'objet consiste seulement [...]

    sanctionner la violation d'une obligation contractuelle prexistante . Ce motif, tout fait nouveau et audacieux, suscite ici au

    moins deux observations brves.Premire observation : parce qu'elle ne peut signifier le dsarmement unilatral du seul ordrejuridique franais (Bolle, prc.), la formule mrite d'tre retourne pour tre lue comme autorisant les juges franais, quand ils

    sont ceux dsigns par la clause contractuelle de rglement des diffrends, se battre pareillement au moyen du prononcd'astreintes comminatoires, afin que leur comptence ne soit pas contourne par la saisine d'un juge tranger. Seconde observation :si elle devait tre ainsi gnralise, la solution de la Cour de cassation pourrait prendre, en tout cas pour le compte du droit franais,

    la forme d'une rgle matrielle du commerce international autorisant exceptionnellementl'emploi de procds contraignants sinon

    interdits. Mais il serait bon, alors, - mme indispensable - que le juge franais ne perde pas le contrle de la mise en oeuvre de cette

    rgle d'interprtation stricte, ce qui impliquerait que ce juge franais, en amont de l'exequatur du jugement injonctif tranger, segarde toute latitude pour contrler l'existence, la validit et l'efficacit de l'obligation contractuelle prexistante, c'est--dire de la

    clause choisissant le juge comptent, lorsque celle-ci vient tre conteste (trs exactement en ce sens, Clavel prc. p. 153). En

    effet, alors mme qu'elle aurait dj t apprcie par le juge tranger, cette question devrait tre considre comme pralable lareconnaissance et donc dtachable de celle-ci. Ainsi devrait valoir un plein contrle portant sur la clause, non seulement au regard

    des standards flous de l'ordre public et de la fraude, mais aussi au regard des rgles ordinaires du droit des contrats et des rgles

    exorbitantes constitutives de lois de police au sens du droit des conflits de lois (comp. art. 6 et 8-9 de la Convention de La Haye de

    2005 sur les accords d'lection de for, appele bientt entrer en vigueur dans l'Union europenne). C'est cette condition, en effet,que la promotion lgitime de l'efficacit des clauses de rglement des diffrends viterait de tomber dans l'cueil de l'abdication

    systmatique du juge saisi devant les conceptions particulires de l'ordre juridique tranger qui, se considrant seul choisi,

    s'autorise pnaliser le plaideur rcalcitrant et mme agresser indirectement les juridictions non consentantes. Une chose estclaire au demeurant, du point de vue de l'opportunit juridique : plutt que d'exprimenter l'injonction dans les pratiques

    unilatrales des Etats, mieux vaudrait fixer leur emploi par convention internationale... pour viter que la concurrence rgnant sur le

    march des juridictions nationales ne tourne finalement la foire d'empoigne !

    L. A.

    Mots cls :COMMERCE INTERNATIONAL * Panorama 2010

    Recueil Dalloz Editions Dalloz

    2011