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POIDS ET MESURE DU NOM Des méditations et quelques déconvenues, (non, la petite Anna ne se produit pas elle-même, non les hommes ne peuvent avoir d'enfant...) conduisent Hans à s'en tenir au schéma suivant : Le père (Hans) reçoit de la mère l'enfant qui lui manque, qui lui manque à lui, le père. L'Être Suprême (la Mère) eft donc installé dans une perfeâion qu'il s'assure Im-même, cependant que le sujet, châtré, châtré de lui- même châtré d'enfant, s'attend d'un don que l'Être peut lui faire, ou ne pas lui faire. On sait en un bout (même bref) sur les motivations de l'enfant à se faire phallus de l'Être châtré. Mais ici moins que rien sur ce qui peut pousser l'Être Suprême à fournir à la créature châtrée l'objet de son désir. On rentre dans le domaine de la grâce. Notre bon- heur devient un caprice de Dieu. Mais, on eSt soulagé de toute responsabilité quant au sien. Bilan positif, puisque, après tout, ce n'est pas notre désir qui eSt tuant, c'eSt celui de l'autre. Aussi Hans se porte-t-il, à dix-neuf ans, simplement amputé de sa petite sœur par le divorce de la mère, en somme, extrême- ment bien. Pas si bien que ça pourtant, puisque le revoici chez le savant doéteur de ses cinq ans. Se pose-t-il, malgré tout, quelques questions sur les derniers agissements de l'Être Suprême ? Et tente-t-il encore, pour la seconde fois, auprès de Freud, d'en obtenir le fin mot, ce mot qui lui manque ? z8z Paraphrase de « Kant avec Sade » In: Scilicet (Éditions du Seuil, Paris), Nr. 2/3, 1970, p. 283-324 (published without the name of the author) De ce que véhicule la levure de Lacan, et que son écriture véhicule. Il est d'une irritation commune de constater, le plus souvent dans l'amertume (à référer — que ce soit sur le mode de l'à-faire, ou sur celui, moins pimpant mais de même nature, du non-fait — à l'imaginaire et à la chute en son abyme), que la lefture de tel texte " présuppose " tout une série d'autres leftures, dont par ailleurs pourtant il semble être la seule clef. C'eSt qu'à explorer la séquence en question, on verrait vite tout autre chose qu'une " lefture ", au sens de départ; à accorder au fait que si le texte en instance eSt le sésame de quelque chose, c'eSt du dédale des portes et couloirs à franchir ** avant " que d'être à son seuil. Où l'on voit que la question eét rien moins que bibliographique. Et pourtant, qu'on ne compte pas se faire déflorer à lire Lacan, si l'on y va vierge. De l'oubli de quoi s'origine le fiasco de tels puritains de la philosophie, dont la présomption à lire Lacan s'apparente de cette façon à un viol au-dessus de leurs moyens. Nous nous rangeons d'ailleurs volontiers en leurs rangs — mise à part cette caméléonerie de Style, que l'on voit, et qui n'eSl pas tien : nommément le mot de passe qui marque l'appartenance à la confrérie d'une certaine perversion. Telle eSt la puissance de notre animal. Mais i l y a plus : les quelques textes canoniques, car i l y en a, et le canon de leur leéhire, sont la rencontre, en quelques points encore obscurs, d'ime communauté bien plus large, dont nul de nous n'est exclu pour autant qu'en eSl exclu l'anathème lui-même, dans le moment où c'eSl sa machinerie même dont je désigne ainsi la " communauté " des pièces. 283

Paraphrase de Kant Avec Sade - Scilicet 2-3

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Page 1: Paraphrase de Kant Avec Sade - Scilicet 2-3

POIDS E T M E S U R E D U NOM

Des méditations et quelques déconvenues, (non, la petite Anna ne se produit pas elle-même, non les hommes ne peuvent avoir d'enfant...) conduisent Hans à s'en tenir au schéma suivant :

Le père (Hans) reçoit de la mère l'enfant qui lu i manque, qui lu i manque à l u i , le père.

L 'Être Suprême (la Mère) eft donc installé dans une perfeâion qu ' i l s'assure Im-même, cependant que le sujet, châtré, châtré de l u i -même châtré d'enfant, s'attend d'un don que l 'Être peut l u i faire, ou ne pas l u i faire.

O n sait en u n bout (même bref) sur les motivations de l'enfant à se faire phallus de l 'Être châtré. Mais ic i moins que rien sur ce qui peut pousser l 'Être Suprême à fournir à la créature châtrée l 'objet de son désir. O n rentre dans le domaine de la grâce. Notre bon­heur devient un caprice de Dieu. Mais, on eSt soulagé de toute responsabilité quant au sien. Bilan positif, puisque, après tout , ce n'est pas notre désir qui eSt tuant, c'eSt celui de l'autre.

Aussi Hans se porte-t-i l , à dix-neuf ans, simplement amputé de sa petite sœur par le divorce de la mère, en somme, extrême­ment bien.

Pas si bien que ça pourtant, puisque le revoici chez le savant doéteur de ses cinq ans.

Se pose-t-il, malgré tout , quelques questions sur les derniers agissements de l 'Être Suprême ? Et tente-t-il encore, pour la seconde fois, auprès de Freud, d'en obtenir le fin mot, ce mot qui l u i manque ?

z8z

Paraphrase de « Kant avec Sade »

In: Scilicet (Éditions du Seuil, Paris), Nr. 2/3, 1970, p. 283-324 (published without the name of the author)

De ce que véhicule la levure de Lacan, et que son écriture véhicule.

I l est d'une irr i tat ion commune de constater, le plus souvent dans l'amertume (à référer — que ce soit sur le mode de l'à-faire, ou sur celui, moins pimpant mais de même nature, du non-fait — à l'imaginaire et à la chute en son abyme), que la lefture de tel texte " présuppose " tout une série d'autres leftures, dont par ailleurs pourtant i l semble être la seule clef. C'eSt qu'à explorer la séquence en question, on verrait vite tout autre chose qu'une " lefture " , au sens de départ; à accorder au fait que si le texte en instance eSt le sésame de quelque chose, c'eSt d u dédale des portes et couloirs à franchir ** avant " que d'être à son seuil. Où l 'on vo i t que la question eét rien moins que bibliographique.

E t pourtant, qu 'on ne compte pas se faire déflorer à lire Lacan, si l ' o n y va vierge. De l 'oubl i de quoi s'origine le fiasco de tels puritains de la philosophie, dont la présomption à lire Lacan s'apparente de cette façon à un v i o l au-dessus de leurs moyens. Nous nous rangeons d'ailleurs volontiers en leurs rangs — mise à part cette caméléonerie de Style, que l 'on vo i t , et qui n'eSl pas t ien : nommément le mot de passe q u i marque l'appartenance à la confrérie d'une certaine perversion. Telle eSt la puissance de notre animal.

Mais i l y a plus : les quelques textes canoniques, car i l y en a, et le canon de leur leéhire, sont la rencontre, en quelques points encore obscurs, d'ime communauté bien plus large, dont n u l de nous n'est exclu pour autant qu'en eSl exclu l'anathème lui-même, dans le moment où c'eSl sa machinerie même dont je désigne ainsi la " communauté " des pièces.

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PARAPHRASE D E K A N T A V E C S A D E

" I l faut avoir l u ce recueil, et dans son long, pour sentir que s'y poursuit un seul débat, toujours le même, et qui , dût-il pa-r ^ t r e dater, se reconnaît pour être celui des lumières. " E t en effet nous commençons tout juSte à sentir, non pas que le débat des Écrits eSt " toujours le même " , mais qu ' i l a cette différence avec le ressassement que, de s'isoler, i l indique les voies d'où s'en débattre.

A savoir, non pas la continuité de la tradition philosophique, mais ce qui fait que de Platon à Descartes, Kant, et Hegel, ce n'eSl pas un seul débat qu i se poursuit, mal^é les apparences, mais bien plutôt, sur le fond d'un même manque-à-apparaître, la ré-fleétion de choses différentes, qui n'ont, entre elles, rien à voir . Ce qui mérite, en effet, d'être débattu, jusqu'à ce que soit opérée une certaine catarafte. Car sous la réserve que Lacan lui-même soit soumis à une telle opération (voir les incisions décisives du bistouri badouien sur ce délicat " sujet " ) , ses textes ont déjà cette puissance épiStémologique de dessiller notre regard sur l'histoire du regard (autrement appelée histoire de la philosophie), en nous montrant où le regard de tels philosophas n'eSt pas dessillé.

Cette coupure, c'eSt ce qui dans la philosophie n'eSt pas afte de notariat : par exemple, et c'eSl là que nous venons, le travail de Kant Slruâuralement trié (et énormément réduit) par Lacan du fatras idéologique dont cependant ce travail n'eSt pas l'enfant étouffé, mais l'appendice qui en fait entièrement partie, fatras de sa " métaphysique " et de sa " morale " . Mais puisque ce n'eSt plus Kant qui nous intéresse, mais le travail d o n t " i l " prépare l'écroule­ment de telle solide charpente, on ne saurait s'étonner de le voir attelé, en cette tâche, à une figure qui ne règne pas au même panthéon : Sade.

C'est le travail dans le " domaine où l'aurore même tarde : celui qui va d'un préjugé dont ne se débarrasse pas la psychopatho­logie, à la fausse évidence dont le m o i se fait titre à parader de l'existence " . Car de même que les heideggeriens (faisons-leur ic i u n dernier pied-de-nez) proclament que le très-difficile, c'eSt de remonter la longue pente de facilité qui tombe dans l'histoire de la philosophie depuis le facile par excellence de la pureté du regard grec, disons, en la remontant toutefois d'un cran supplé­mentaire, qu'on est en mesure de faire rendre gorge à l'idéalisme

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tout entier, en le poussant dans ses derniers hoquets, — dans les Strudures subjeâives où i l s'origine.

C'est ce que font les textes " denses " de Lacan, Les lire, c'eSt, provisoirement, faire non comme abeilles butinant les corolles des dernières nouveautés pour les aller thésauriser ailleurs, mais s'approcher et collationner les pierres nouvelles à l'édifice, tout autant qu'en retirer la subSlantifique moelle. S'agissant de formules, une telle danse-autour s'appelle proprement : paraphrase.

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(§ i ) " Qïï^ l'œuvre de Sade anticipe Freud ^ fût-ce au regard d u catalogue des perversions, est une sottise, qui se redit dans les lettres, de quoi la faute, comme toujours, revient aux spécia-USles. "

(§ 2) Par contre le boudoir sadien, Ueu pris ic i , ainsi qu'après, comme métonymie de ce qui s'y passe, eSl presque l'égal de ces lieux qui ont donné leur n o m aux écoles de la philosophie antique Académie, lycée, Stoa. " I c i comme là, on prépare la science en reftifiant la position de l'éthique. " I l s'agit de ce que connote le " boudoir sadien " au sens où l'Académie connote le platonisme. Dans le boudoir, on ne fait pas que parler; Alcibiade, l 'ami de Socrate, tel que Platon peut l 'avoir décrit à travers un de ses pro­pres élèves, redifie la position de l'éthique en re£Hfiant platonique-ment la sienne. Dans les lieux de la philosophie antique comme dans le boudoir sadien, en redifiant la " morale " et la " philosophie " comme théories, et ce par une certaine praxis nouvelle, on prépare la " science " , c'eSt-à-dire la théorie exacte, et non pas seulement re£lifiée, de cette praxis. E n cela, oui , un déblaiement s'opère (c'eSt-à-dire, plus qu'une rectification, une table rase) qui doit cheminer cent ans dans les profondeurs de cet élément dont se produisent" les goûts " , " le goût " , " le bon goût " , " le dégoût " , " le dégoûtant " , pour que la voie de Freud soit praticable. Cette reftification, ce devenir-praticable évoquent, de l'hiSloire, des rythmes spécifiques : histoire des inconscients, des idéologies, des

I . L e leaeur ne se laissera pas aller à liie la paraphrase sans avoir sous les yeux le texte lui-même, au rappel de quoi eSl commis le numérotage des paragraphes.

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sciences. I l faudra soixante années de plus pour que l'explication de ce cheminement soit donnée par Lacan.

(§ 3) Si Freud a p u énoncer son principe de plaisir, sans avoir même à se soucier de marquer ce qu i le distingue de la fonction d u plaisir dans l'éthique traditionnelle (c'eSt-à-dire qu ' i l n'eSt pas l'écho, entendu alors comme u n simple rappel, du préjugé non contesté pendant deux millénaires, selon lequel la psychologie qui s'inscrit dans divers mythes de la bienveillance assimile le pr in­cipe du plaisir à l 'attrait qui pré-ordonne la Créature à son bien), si Freud n'a pas eu à prendre u n tel risque de mésentente par trop d'entente, c'est à la montée insinuante, à travers le X I X ® siècle, du thème du " bonheur dans le mal " , q u ' i l le doit , et que nous le devons.

(§ 4) Cette montée insinuante a pour pas inaugural la subversion sadienne; et, aussi piquant que cela paraisse, et bien que la chose n'ait pas été notée de cette façon, nous pensons que Kant, malgré la froideur qu'on attribue à son personnage, eSl le point tournant de la subversion sadienne, entendons : ce que celle-d contourne, a à contourner; non pas qu'elle s'y réfère, mais que ce à quoi elle se réfère, contre quoi elle eSt subvertie, c'eSl la même chose que le point tournant où s'ordonne la pensée morale de Kant. Sade eSt î'immoraliSte par excellence; Kant eSt le moraliste, voiire le mora­lisateur (comme Sade peut être dit : immoralisateur) : voilà leur rapport intime.

(§ 5) L « 'Philo Sophie dans le boudoir vient huit ans après la Critique de la Raison pratique (celle-ci eSl de 1788, l'autre de 1796, quand Sade, sauvé de justesse après Thermidor, use de la liberté de publier). Si nous voyons qu'elle s'y accorde, que c'eSl du même sujet que toutes deux traitent, et que la Philosophie complète, sur ce sujet, la Critique, au sens où elle lu i apporte quelque chose qui lui manque, nous dirons qu'elle en d o n n e " la vérité " , — la clef suscep­tible d 'ouvrir ce sur quoi la Critique se ferme.

(§ 6) E t une fois ouvert, grâce à la clef sadienne, le coffre-fort des poHulats que Kant eSl amené à formuler comme tels, sans évidence apodiétique, nous découvrirons le diamant caché dans le coffre : nous mettrons à nu la subversion réprimée par la nécessité idéologique de clore le discours sur des maximes inscriptibles dans le champ moral de son temps.

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E n effet, rien que de très commun dans lès conclusions morales de la Critique, quand on les considère comme telles : l'aUbi de l'immortalité — le lieu-ailleurs, l'au-delà, l'Au-delà d'urne vie immortelle —, le progrès, la sainteté, et même l'amour y sont refoulés, parce qu'ils n'existent pas autrement que comme nou-mènes, dans ce monde-ci. Tout ce qui pourrait venir de satisfaisant de la lo i — car le progrès se mesure à l'observance plus grande de la l o i , la sainteté à l'obéissance absolue, qui eSt aussi l'absolue liberté; l'amour enfin, c'eSt la l o i elle-même qui le commande : " Aimez-vous les ims les autres " —, tout ceci, c'eSl pourtant la l o i elle-même qui ordonne que ce ne soit pas gagné. I l n'y a jamais de satisfaHion à attendre de la l o i , parce que la lo i n'eSl jamais satisfaite, elle n'en a jamais assev^. I l l u i faudrait, comme garantie de ce que je l u i ai obéi parfaitement, que ma volonté ait la parfaite intelleâion de tout l 'objet que la lo i fait entrer dans ses maximes. O r c'est cela qui eSl impossible.

A mener la rigueur de la pensée kantienne jusqu'à son extrême degré, celui précisément où nous sommes invités par elle à la mener, nous voyons la l o i morale perdre jusqu'à la fon&ion d'utilité où Kant la confine. Parce que la téléologie transcendantale eSl la clef en question, mais celle qui ferme : les idées de la raison pure C n'ont pas force de loi. Leur force réside dans l'obéissance qu'une propension à l 'uti le, de notre part, leur vaut. Mais à cerner la nécessité de la l o i kantienne, voilà qu'on la tourne, qu'on la sub-vertit . " Par quoi s'explique l'incroyable exaltation qu'en reçoit tout ledeur non prévenu par la piété académique " , laquelle pré­cisément, prévenue par les postulats par lesquels la Critique s'achève, dissimule par sa ledure l'effet de connaissance, qui eSt proprement celui produit par une l o i transgressée dans le même moment que sa nécessité eSl démontrée. Rendre compte de cet effet, c'eSt déjouer les comptes rendus moraux de son effeduation.

(§ 7) " Qu 'on soit bien dans le mal, ou, si l ' on veut, que l'éternel féminin n'attire pas en-haut " , voilà ce dont on rendra plus verte­ment compte en désignant le sexe au bon physique, et ce bon comme lié, par la légalité morale, au mal moral. Mais- ce paradoxe eSt dû à une homonymie, que la langue de Kant n'admet pas. I l commence la Raison pratique par un Man FUhlt sich wohl im Guten, l 'homme se sent bien dans le bien, ce qu ' i l ne faut admettre que si l ' on

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en saisit le caraâère synthétique, et non pas analytique (ou tauto-logique) que la langue de nos moralistes énonce d'autant plus volontiers qu'elle n'y risque pas grand'chose. Le virage de cette compréhension eSt pris lorsqu'on voi t :

(§ 8) Que le Wohl, c'eSt la lo i du bien, disons : le bien-être. O r le principe de plaisir qui énoncerait, comme principe, d'avoir pour plaisir le bien-être, serait une lo i esclavageante, dont i l faudrait tout attendre sauf le bien moral, d'une part, mais pas même le bien-être ainsi recherché. Car ce qui est cause du plaisir dans le bien-être, c'est l 'objet phénoménal. E t celui qui éprouve le bien-être, c'est l 'âme de la psychologie non transcendantale, soit un autre phé­nomène. Entre ces deux phénomènes, l 'objet du plaisir et le sujet du bien-être, i l y a i m enchaînement phénoménal, de même qu'entre tous les autres phénomènes. Dès lors la rencontre, déterminée par autre chose que la volonté, de ces deux phénomènes propres à créer u n troisième phénomène que serait le bien-être, le Wohl, a la néces­sité de l'enchaînement phénoménal, c'eSt-à-dire la contingence par rapport à la volonté. Le bien-être eSt adventice, on peut même dire qu ' i l est exceptionnel. E t la situation du bien-être elle-même, si par hasard elle se constitue, ne peut pas être appréciée comme telle. Parce que la l o i parle, celle de la recherche d'un Bien, et que par rapport à tout bien-être elle rend plus éclatant encore l'échec du bien-être. Le mal-être eSt la l o i absolue d'une volonté qui ne serait pas soumise à la l o i du Bien absolu.

(§ 9) Car l'impasse eSt résolue par la position d'un objet, l 'objet de la l o i morale, le Bien, das Gute. Cet objet, c'eSt l'expérience même des voix du dedans qui commandent l'impératif catégorique. C'eSl avec la même nécessité transcendantale que celle de l'existence du sujet transcendantal (dans la raison pure spéculative) que ces voix du dedans parlent et ordonnent : inconditionnellement. De même que " l'unité du " je pense " doit pouvoir accompagner toutes mes représentations " , eSt la condition transcendantale, elle-même inconditionnelle, de même la nécessité morale n'a d'autre condition qu'elle-même, d'autres critères donc que les siens propres.

(§ 10) Ainsi ce Gute de l'impératif catégorique n'eSt pas le Wohl suprême qui serait égalable à tous les bien-être possibles. I l est beaucoup plus, parce que tout autre. I l eSl le plaisir universel.

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infaillible, inconditionnel, d'obéir à la l o i , parce que celle-ci, dans toutes les situations empiriques, donne le critère de son intelligibilité, donc le choix nécessaire. Contre le balancement du choix, dans l'expérience morale, balancement qui eSt la souffrance même (être ballotté dans l'enchaînement phénoménal), l'équiva­lence de principe apportée à la souffrance phénoménale par l'absolu du choix, conforme à l'universalité de la l o i , eSl liée au Bien qu i est la valeur universelle, autrement dit l'universel de la raison. Résister à des biens incertains, ce n'eSl pas renoncer au plaisir, ce n'est pas une renonciation à la jouissance plus sacrifiée que celle qui est notre lot ordinaire, c'eSt au contraire la renonciation à la renonciation à la jouissance, et ce, grâce à la recherche d'une jouissance à laquelle la contingence phénoménale ne contraigne pas à renoncer : la jouissance du Bien mesuré aux critères u n i ­versels de la raison.

O n saisit dès à présent la parenté étroite qui va unir la conception kantienne de la jouissance aux principes sadiens : Kant, à sa façon, ne cesse de transgresser, mais dans l'autre sens, si l ' on peut dire, en attendant une formulation plus précise, la lo i . Mais c'est la lo i du phénomène qu ' i l transgresse. Si la lo i " intérieure " , l o i morale, se révèle être en fait lo i " extérieure " , lo i du discours des autres, donc aussi lo i " phénoménale " , on aura de Kant à Sade u n passage plus étroit que celui de l'analogie : deux écoutes du discours de VAutre (avec un grand A ) : dans un cas, l 'Autre transcendantal du sujet transcendantal : la certitude phénoméno­logique; dans le second cas, l 'Autre du discours des autres, qu i , se présentant aussi comme universel, eSt celui du discours sadien. Dans les deux cas, même discours : celui de l 'Autre. Même en­semble énonciation-énoncé. Mais la dissymétrie apparaîtra dans les formes fantasmatiques de renonciation et de l'énoncé chez les deux porte-parole de la l o i , chez les deux hérauts d'une même souveraineté.

Ainsi , tout ce dont le sujet peut pâtir, quand un principe de plaisir immoral , celui du Wohl, l'intéresse à un objet, par la pulsion ou le sentiment, trouve son contrepoids dans ce que le principe moral exclut le poids pesant de cette attache, laquelle eSt appelée par Kant " pathologique ".

(§ I I ) Ce qu ' i l ne faut pas confondre avec l'effet produit avec le

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souverain Bien des Stoïciens. Ceux-ci, qui savent qu ' i l eSl des objets dont l'enchaînement leur échappe et sur lesquels ils ne peuvent compter pour assurer leur bonheur, se retournent vers eux-mêmes, dans un terrain qu'ils estiment gouverner. L'amour-propre consiste ainsi à être plus sûr de l'amour, puisqu'on se le prodigue à soi-même. Le contentement, quand le désir se porte sur soi-même, eSt de nature à pallier Vinsatiable d 'un désir tourné vers des objets inatteignables. Mais c'eSt un autre amour-propre et un autre contentement qui eSl démontré par Kant comme sui­vant nécessairement de ses principes : le soi-même des Stoïciens, le Souverain Bien de leur isolement eSt encore phénoménal. Agît-il comme contrepoids, ce serait avec la même contingence que le plaisir du Wohl. Parce que la lutte eSl encore à armes égales, ou plutôt d'une inégalité fortuite — car elles sont du même ordre.

Le Bien moral de l'obéissance à la voix intérieure, c'eSt de l'écouter tellement qu'on n'entende plus rien des clameurs de tout extérieur (autres hommes, et âmes comme concept unissant les intuitions internes), c'eSt de le regarder, ce Bien, et, en tournant le dos aux plaisirs, ne plus être assailli par eux, ou plutôt et très exadement, les faire disparaître, car ils n'existent comme plaisirs que pour autant qu'on les désire. E t ne pas les désirer, ce n'est pas désirer autre chose, c'est ne pas désirer le désir lui-même. Que les plaisirs soient rendus " moins respeftables " par un seul regard à ce Bien, c'eSt textuellement parce que la nécessité intrinsèque de ce Bien oblige à ne pas re-ïpeàare^ regarder en arrière, se retourner pour regarder. E t le Bien moral n'eSt pas respectable n'eSt pas un objet de resped; i l n'eSl pas regardé à distance, en se retournant pour voir, au contraire, i l eSl introEpeSé, inspedé, i l eSl le sujet l u i -même qui parle dans le plus intérieur de lui-même, c'eSt-à-dire le sujet transcendantal universel dont cette voix impérieuse eSt le phénomène premier.

(§ 12) " Retenons le paradoxe que ce soit au moment où ce sujet n'a plus, en face de l u i , aucun objet, qu ' i l rencontre une l o i . " Le sujet moral a éléminé tous les phénomènes comme objets possi­bles de jouissance, garantis rationnellement.

I l les a éliminés parce qu'un regard au Bien les a rendus moins respedables. Le Souverain Bien, en effet, offre la garantie de l'universalité. U n regard porté sur l u i , comme universel, dessille

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tout regard porté sur tout phénomène, en montrant qu ' i l n'eSl qu'une apparence, (paiv6(i.evov, ce qui apparaît et ce qui disparaît.

Mais qu'eSt-ce donc que le sujet voit quand i l porte son regard sur le " Bien " ?

Quelque chose qui appardt comme étant le Bien, quelque chose qui apparaît comme étant ce qu i éclaire le phénomène, celui-ci n'étant que : ce-qui-apparaît-et-disparsdt.

Le Bien, c'eSt quelque chose de tel que le regarder, c'eSl regarder quelque chose qui apparaît, donc un phénomène aussi; mais quelque chose qui universellement fait apparaître le devenir des phéno­mènes : apparaître-et-disparaître, c'eSt-à-dire une Lai.

Le paradoxe consiste donc à nommer une loi comme diflérente du phénomène, comme apparaissant, quand celui-ci disparaît. C'est ce paradoxe dont Lacan articule les deux termes en les nom­mant tous deux : " signifiants " . Le sujet saisit la différence entre le phénomène — objet de plaisir, dans le Wohl — et la loi — principe kantien du plaisir, dos Gute — quand il entend une voix dans la cons­cience. Cette voix , i l l'entend, ce n'eSt pas l u i qui parle. EUenoname les phénomènes, et les ordonne selon une raison purement pratique ou volonté. Cette voix du dedans, quand elle formule une maxime morale, produit à la fois le dessillement des yeux du sujet et la soumission du sujet à une lo i qu ' i l n'a pas édidée. Et ces deux signifiants prononcés à la fois dans le discours de la voix intérieure, c'est la volonté elle-même.

La volonté i ) comme absolument déterminée — ce n'eSl pas le sujet qui parle, mais le sujet transcendantal, universel, qui parle au-dedans du sujet phénoménal individuel. La volonté 2) comme absolument libre, puisqu'elle n'émane pas de l'ordonnance des phénomènes, mais de cette raison même qui , ordonnant les phéno­mènes selon ses formes propres, enveloppe dans le même ordre les phénomènes et la volonté ; celle-d n'étant rien d'autre que la voix qui fait être, pour le sujet, ceux-là.

(§ 13) Mais nulle maxime ne saurait avoir force de loi en ce sens, si précisément elle ne se démontrait, dans son énoncé même, comme universelle. Ce dont Kant a déjà donné la formule dans les Fondements de la Métaphysique des Mœurs : la maxime sera mise à l'épreuve de l'universel, son contenu logique étant entièrement explicité. Ce qui , alors, ne vaut pas pour ne fût-ce qu'un seul cas,

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n'est pas universel, enveloppe une contradiftion, donc n'a pas force de lo i , donc enfin ne vaut pour aucun cas comme impératif caté­gorique.

A force de lo i la maxime qui n'enveloppe pas de contradi£tion, quand le quantificateur logique qu'on l u i applique eSt l'universel.

(§ 14) Mais une telle application ne peut être faite que sur des maximes qui offrent une prise analytique à la déduâion. Autrement dit i l faut, comme schéma logique minimum, une variable Uée, comme sujet, et u n prédicat.

( § 1 5 ) Comme t j ^ e d'une telle maxime et d'une telle mise à l'épreuve de son universalité, Kant propose l'exemple suivant {Analytique, Chapitre I , T h . I I I , ScoUe) : un individu s'eSt donné pour maxime de s'enrichir par tous les moyens. I l a reçu en dépôt quelque objet de valeur, à l u i confié par u n ami, mais sans aucune trace écrite attestant le dépôt. L 'ami vient à mourir. A suivre sa maxime, notre indiv idu doit s'approprier l'objet qui l u i a été confié. Cependant, peut-il ériger cette maxime en l o i universelle ?

Cela donnerait : " Quiconque eSt autorisé à nier un dépôt, si personne ne peut prouver qu ' i l lu i a été confié. "

Mais confier quelque chose à quelqu'un, le faire dépositaire de quelque chose, c'eSl justement exiger de l u i la fidélité, au lieu d'une preuve garantie par u n tiers,, ou par u n titre d'emprunt.

Si tout le monde s'approprie par principe ce qui l u i a été confié, ce qui a été confié n'a pas été confié selon le sens que la maxime donne à ce mot. Le quantificateur universel porte la contradiction dans la maxime.

La pratique du dépôt repose par conséquent sur la fidélité ou, d i t Lacan, sur l'hypothèse que les oreilles du dépositaire soient bou­chées à tout ce qui s'opposerait à cette fidélité ; que le dépositaire ne soit que dépositaire au sens dit ; qu ' i l n'y mette pas une autre condition pas de dépôt sans dépositaire à la hauteur de sa charge ", littéralement : pas de dépôt sans dépositaire déterminé exclusi­vement par la condition du dépôt, la fidélité.

O n note donc que la forme de la maxime eSl presque tautolo-gique, c'eSt-à-dire, selon la terminologie kantienne, plus analytique que synthétique : " Pas de dépôt sans dépositaire. " Et pourtant, la maxime nous était présentée comme non spéculative, comme pratique, donc synthétique.

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(§ 16) Mettons-la donc à l'épreuve d 'un exemple plus synthé­tique, en forçant quelque peu, " fût-ce au prix d'une irrévérence " , mais dans la rigueur kantienne : c'eSl une maxime du Père Ubu qui nous eSl proposée. Elle va illustrer le défaut du critère d'univer­salité. " Vive la Pologne, car sans la Pologne, i l n'y aurait pas de Polonais. "

(§ 17) Là aussi, la forme la plus succincte de la maxime, " Pas de Polonais sans Pologne " , serait irréfutable si ce à quoi eSt référée la Pologne, d'une part, et ce à quoi sont référés les Polonais, de l'autre, étaient la même chose, par exemple, le " peuple " polonais de Pologne. Comme on disait plus haut : pas de dépôt n i de dépositaire sans fidélité, i c i , pas de Pologne n i de Polonais sans peuple.

Mais la distance eSt bien trop grande entre " Pologne " et " Polonais " pour que le jugement synthétique qui les lie ait quelque sens pratique. Le caraâère indéfectible de cette liaison eSl mis en cause par le jugement empirique (1' " observation " , di t simplement Lacan), que les Polonais ont pour détermination tout autre chose que la Pologne, puisqu'ils se font remarquer par une résistance sans défaut aux éclipses de celle-ci : ou bien le juge­ment synthétique " Pas de Polonais sans Pologne " eSt spéculatif, ou bien, s'il eSt pratique, i l n'eSt pas universel, i l n'a pas force de l o i , — ici : on ne peut se faire un devoir moral de souhaiter que la Pologne vive, car i l ne s'ensuit pas du tout nécessairement que par là les Polonais vivent encore 1.

(§ 18) " O n retrouve ce qui fonde Kant à exprimer le regret qu'à

I . Personne ne contestera le bien-fondé de la critique de Hegel, quand, reprenant l'exemple même de Kant, ici analysé, il n'en reconnaît Vuniversel de la validité que pour montrer par là qu'il n'a aucune valeur morale. Car les devoirs, et l'obéissance par quoi, dans les aBes, on les manifeste immédiatement, s'originent d'ailleurs que de leur forme indéterminée : i l ne faut pas moins qu'un peuple et son esprit pour les fonder dans la réalité. E t si Kant prétend fonder de là seulement un droit universel, on mesurera son échec à ce que son critère autorise de droits immoraux (voir, au voisinage de la p. i8o du t. I I de la Phénoménologie, — dans la traduftion d'Hyppolite, •— les formules par lesquelles Hegel fait un sort à ces prétentions, même celles à venir). Mais on observera que la critique porte sur l'extension du principe aux maximes qu'il règle, extension que nous entendrons comme l'effacement que Kant opère de l'origine de ce principe, par le trait d'une représentation idéologique, laquelle n'eSl contradifloire justement que pour autant qu'il n'y a rien dans l'idéologie qui puisse prendre en charge ttomie du signifiant et la division du sujet. Le concept de l'inconscient sera construit par

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l'expérience de la l o i morale, nulle intui t ion n'ofîre d'objet phéno­ménal. " O n l'a v u : l 'objet phénoménal serait i d le peuple polonais, phénomène intuitionnable et garant de la survivance de l 'adjeâif polonais et du n o m Pologne, mais i l faut l'exprimer dans la maxime. O u alors, comme i d , i l ne l'eSl pas, et la lo i perd tout objet phéno­ménal. Et que se passe-t-il alors ? C'eSt la loi elle-même qui devient le seul objet phénoménal, et du coup elle perd son caraftère de loi, son universalité, sa contrainte morale.

(§ 19) Cet objet qui se dérobe toujours, au long de la Critique, se marque toutefois toujours dans la figure de cette lo i qui devient phénomène, avouant qu'elle n'a jamais été loi au sens idéal de la volonté libre. Mais c'eSt au dérobement même de cet objet que Kant apporte une implacable démonstration, dénonciation. Poursuite " dont l'œuvre retire cet érotisme, sans doute innocent, mais per­ceptible " , dont le bien-fondé sera expliqué quand on saura quelle est la nature de l 'objet qui se dérobe à la l o i : l 'objet a.

(§ 20) Mais pour suivre l'analyse de cet objet qu ' i l faut suivre à la trace, i l faut avoir éprouvé l'effet erotique que l 'exploit de la lefture de la Critique produit , autrement dit i l ne faut pas être vierge à l 'endroit de la Critique, " de ne l 'avoir pas lue " , c'eSt à savoir, de n'avoir pas été tracé soi-même par l 'exploit de ce jeu de piste.

( § 2 1 ) Les autres, ceux qui l 'ont lue, comme ceux qui , de l 'avoir lue pour l'occasion, seront devenus autres, savent maintenant lire aussi la Philosophie dans le boudoir.

(§ 22) Celle-d se présente comme un pamphlet, mais avec des caraûères du drame, car comme u n éclairage de scène au théâtre, qui permet aux dialogues comme aux scènes de se poursuivre aux limites de l'imaginable, une présentation particulière de l'écrit poursuit ce qui se dit dans les dialogues jusqu'aux limites de l'asped dialogué (les réparties deviennent sentences, aux deux sens du mot) ; leur éclairage sous tel ou tel angle, c'eSt-à-dire leur énondation

Freud et par Lacan pour rapporter ces phénomènes à leur lieu. Mais la fascination qu'ils exercent, et dans le champ épiSlémique du criticisme, où la diSlinéWon n'eStpas opérée, oblige à ce qu'on rende compte en un concept, l'autonomie de la volonté, dont on aura beau jeu de rapporter chacun des termes à des domaines où leur jonaion n'eSl plus de rigueur.

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par tel personnage à telle place du développement, etc., privilégie la Slrudure " en abyme " de propos sans cela les plus plats ; la dramaturgie de la Philosophie dans le boudoir, c'eSl de remplir les promesses mêmes du titre : philosopher dans le boudoir, le boudoir n'étant pas un lieu de hasard, parce qu ' i l faut bien philosopher quelque part, mais, — comme dans une autre mesure l'Académie, le Lycée, le Stoa... dtés plus haut —, le lieu même de cette philosophie. C'eSl la philosophie du boudoir, le boudoir de la philosophie ; et la présentation de l'écrit poursuit les geSles jusqu'aux limites de l'asped: geStuel, geSticulatoire ( " la poSture se rompt.. . " ) , pour faire dialoguer les geStes eux-mêmes. Ce serait déjà une grille propre à articuler la supposée " syntaxe sous-jacente " du texte. Les Mmites de l'imaginable, que l'éclairage de scène permet, sur le théâtre, d'approcher, donc d'esquisser par contours, ce serait de la part de Sade cette marque de son écriture où c'eSl l'imaginaire qui , par sa mise en scène, esquisse les contours de ses limites, à savoir le symbolique, à savoir le fantasme sadien.

Mais ic i , ce qu'on pourrait appeler, en anticipant, " l'éclairage de (l 'Autre) scène " , s'éteint et aisse se profiler, comme au grand jour, dans la simplicité, la clarté et l'honnêteté mêmes, le faSium, satire d'attaque ou de défense, péjorativement, c'eSt-à-dire sans autres arguments que ceux d'une plaidoirie désespérée, de " Fran­çais, encore un effort si vous voulez être républicains " . " Pamphlet dans le pamphlet " , dit Lacan ; mais ced eSt à e.ntendre non comme la double inclusion par parenthèses, mais d'une façon bien plus déterminée que par la juxtaposition : dans le. De même que " Phi­losophie dans le boudoir " , " pamphlet dans h pamphlet " , cette formule explicite celle-là, eSt à lire : pamphlet du pamphlet, faâum de ce qui apparaît alors comme étant faftum en une aussi mauvaise part.

(§ 2}) Car l'espèce de pertinence de l'extravagant rédt q u i entoure la tirade de Dolmancé, laquelle au contraire s'offre sur le ton le plus sérieux du monde — c'eSl un imprimé qui circule dans les cercles éclairés pendant la période révolutionnaire —, cette espèce de pertinence de ce qui eSt visiblement, ostensiblement, une œuvre de fiétion, transporte sur le sérieux de l'intercalaire son caradère fiétif de telle sorte que les raisons qu'on l i t dans le pam­phlet, à mesure qu'elles s'égrènent, le rapprochent plus des com-

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munes utopies qui fleurissent sous forme de trads et autres, encore de nos jours, à la faveur de tout mouvement social de quelque ampleur. La Philosophie dans le boudoir e§l une extravagance ; l'extravagance d'un de ses personnages l'eSt ainsi comme au second degré.

Pourtant le ton sérieux, le philosophe dans Dolmancé, s'empa­rent bientôt de la ledure qu'on en fait, font disparaître le boudoir, et dans l 'ordre des raisons sadiennes la bouderie se mue en captation. C'est le sérieux de l'extravagance, la philosophie du boudoir, l'austé­rité bouddhique du philosopher léger, qui parlent dans cette pamphlétisation du pamphlet. L'éclairage de scène s'éteint, mais avec lu i les ombres artificielles qu ' i l portait.

Or on reconnaît ici la portée du rêve dans le rêve de pointer u n rapport plus proche au réel. Le sens de cette dialectique peut paraître futile ou gratuit, mais c'eSt la leéhare même du texte sadien — et de la métaphore lacanienne de l'éclairage de scène, du pam­phlet, du fadum —, qui en rend raison. I c i , très précisément, c'est la dérision de l'adualité historique qui indique d'une façon " plus proche " une histoire aduelle.

O u i , mais le risque eSt de s'en tenir au lieu commun de cette constatation : alors qu'en elle-même se ttoxi.y&a.t, patentes, les moda­lités de cette indication, donc aussi l'indiqué lui-même dans ses modes principaux : d'être indicatoire au prix d'une dérision, donc de n'indiquer, de l'aêtualité historique, que ce qui s'articule avec sa dérision : l'hifioire actuelle de la dérision même.

A y regarder à deux fois, pour que le patent, pour ainsi dire, le soit vraiment, l'entendement entend ce qui myîîifie ce qui eSt " d'ordinaire entendu comme mystification " , à savoir, le nerf du fadum.

^ (§ 24) L'ade historique qui déride le sérieux de l'adualité, c'eSt-à-dire cet ade que constitue l'énoncé d'une maxime morale, ade " historique " dans le sens où i l eSt conforme à renonciation, à cette époque de l'histoire, d ' u n e " morale " , elle-même d'époque. Et la conformité de la maxime sadienne à l'idéologie de cette époque historique, où le rationalisme propose (à la différence des " maxi­mes " du siècle précédent, le siècle précisément dit " des mora­listes " ) des lois universelles, c'eSl ce que Lacan rend par l'expression insolite : " à la mode de Kant " . Pourvu que l 'on n'entende, en cette

^ expression, que son caradère insolite, qu i a pour effet de fakt ' dresser l'oreille, et qu'on remplace le mot " mode " pu celui

d ' " idéologie " , on ajoutera à la pertinence du rapprochement entre Kant et Sade leur commune situation entre l'époque du mora­lisme comme études de mœurs et celle de la morale comme corps de règles normatives. A la première appartient la " maxime " de la Rochefoucauld, c'eSt-à-dire la formule qu i n'énonce pas u n devoir, n i une lo i universelle, mais fait état de ce que le devoir n'eft pas respedé, de ce qu'universellement la lo i consiste à tourner la l o i . A la seconde appartient la lo i au sens étatique du terme : la morale eSt alors l'ensemble des droits et devoirs du citoyen. T o u t ce qui eSt précepte, idéal moral, eSt, quant au contenu, très comparable chez la Rochefoucauld, Kant , et le législateur du Code civi l . C'eSt à peu près le judéo-christianisme : aimez-vous les uns les autres ; les hommes sont égaux en ce qu'ils ont des droits et des devoirs. Ce qui change, c'eSt le fondement, et la forme spécifique que chaque fondement induit . A u moment où la fo i chrétienne se dissout, et où la sacralisation n'eSt pas encore faite, par l'avènement de l 'État bourgeois, d'une morale laïque, autrement dit dans une période idéologique qu'on pourrait dire être d 'une" crise des fondements " , s'exprime la forme-maxime, kantienne et sadienne, qui se fonde sur une certitude intérieure absolue, confrontée, dans l 'opposition ou dans l'accord, avec les opinions, dodrines, pratiques communes.

Kant, selon une nécessité " de l'intérieur " : séledionner, parmi les principes pratiques communs, les bons principes, selon u n critère universel, qui eSt à l'œuvre dans la Critique de la raison pra­tique, étant exposé dans la Raison pure.

Sade, selon une nécessité " de l'extérieur " , somme des principes empiriques que ne peut pas ne pas prendre comme tels quiconque n'eSl pas aveuglé par une prétendue révélation, et qui sont unifiés dans le principe qui rend compte à l u i seul de la contradidion de tous les autres.

LIinsolite que Sade présente, en sa maxime (d'ailleurs i d remaniée, ou prise ailleurs que dans la Philosophie ?) — la jouissance comme réglementée, et selon u n droi t , comme Kant — , eSt celui même de la découverte d'une essentielle parenté, que masque au contraire l'habitude de placer le nerf du discours kantien dans le champ de " la philosophie " , et celui du discours sadien dans pas n' importe

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quelle littérature, — deux champs plutôt réceptacles d'une détente nerveuse.

Et c'est le droit à la jouissance qui serait la racine q u i , de son pouvoir générateur, et de sa résistance au labour de routine, unirait ces deux champs de la culmre.

Q u ' i l y ait un os, c'eSt pour en finir là avec les métaphores, qu'à l'épreuve de la maxime du droit à la jouissance comme lo i universelle, elle résiste si bien qu'elle mette tout autre droit en position subor­donnée.

La loi du devoir n'était pas moins gênante, à moins qu 'on fût résolu de ne pas la prendre à la lettre.

Maxime, l o i , plaisir, jouissance, volonté, général, universel, sujet, homme, humanité, société, soumission, obéissance, tels sont les termes qui , se rencontrant ic i , feront paraître dans leur col l i ­sion l'ordonnance de leurs systèmes respeCtifs en même temps que celle de leur collision même, — autrement dit qu'ils sont les repré­sentants de fantasmes, ce terme étant doué, quant à l u i , de la géné­ralité et de la précarité scientifiques qu i distribuent les différences et différencient, du chaos des doébines, la distribution de leurs rapports.

(§ 23) " J 'ai le 'l'^olt de jouir de t o n corps, peut me dire quicon­que, et ce droit , je l'exercerai, sans qu'aucune limite m'arrête dans le caprice des exaCtions que j 'ai le goût d'y assouvir. "

(§ 26) " Règle où l 'on prétend soumettre la volonté de tous, pour peu qu'une société lu i donne effet par sa contrainte. " Heureusement que le texte de Lacan n'eSt pas un fragment d'Heraclite : l'exégèse, pour abusive qu'elle paraisse, n'en eSl pas égale à la contradiction d'une conjecture.

Une société qui donnerait effet à cette règle, en la prenant pour l o i et en usant de la contrainte pour la faire respeSer, n'eSl-elle pas en effet la prétention d'une utopie, dont le premier élément à n'être pas à son lieu eSt ce " on " qui la pose dans son imagination ? Mais la contrainte de la société, ce n'eSt pas seulement le moyen pour la règle de produire " son " effet ; elle en donne aussi la cause, pour autant que le droit à la jouissance, s'énonçant, marque que la société commence par contraindre la jouissance, ce que Freud di t , d 'un concept dont le sens impersonnel prévaut, " renonciation à la jouissance " . Tellement que la maxime doit préciser que la jouis-

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sance eSt contrainte par des limites ( " aucune " répond à " toute " l imite), et que, le droit qu'elle énonce fût-il admis, ce serait encore dans le " caprice " qu ' i l serait observé, et sur le mode de 1' " exac­tion " que le " goût " qu ' i l présente comme orthodoxe devrait s'assou­vir. Que donc l'assouvissement, promu en droit, se meut sur une ligne brisée autant que droite.

A la règle correspond la volonté et le goût ; au droit. Vexation ; et le quantificateur, " pour peu qu'une société... " , allie à u n pour autant que, qui joint la règle à la contrainte d'une société comme la cause à l'effet aussi bien que l'effet à la cause, une diminution où se Ut que c'eSt peu d'effet que l 'on doit attendre, quant à la règle de la jouissance, de la part de la contrainte de la société. Et si l ' on ne peut pas compter sur elle pour jouir en règle, le quantificateur lacanien exprime aussi la mesure de ce rapport mystérieux entre " on " et " tous " : qu ' i l n'eSt pas quantifiable comme le cardi iul d 'un individu au nombre de ses semblables, mais plutôt comme la prétention de Von impersonnel à la volonté de toute personne, c'eSt-à-dire selon la pré-tension de la volonté de chacun par ime certaine contrainte sociale, préséance et tension n'en étant pour l'inStant déterminées que par

(§ 27) L 'humour qu i naît immanquablement de la compréhension des implications de la maxime. C'eSt le mieux qu'elle puisse faire, et ce n'est déjà pas mal, car tout raisonnement fait à partir des termes de la maxime jusqu'à ce qu'on l u i suppose de consentement chez tous, éprouve s'il eSt ou non raisonnable à ce qu ' i l se développe, se répartisse ou non par la dynamique d 'un comique qu'on d i t " noir " pour se rattraper de la chute dans l'obscurité de sa pour­suite. L 'humour noir , ce n'eSt pas u n incompréhensible humour triste, c'est la connotation du comique qui ne peut trouver une raison claire pour s'arrêter, ou si l 'on veut, qui ne s'arrête que sur la menace d'une impossibilité intrinsèque de la raison de raisonner plus lo in . I c i , raisonner plus lo in que nous l'avons fait, c'eSt manquer le coche, ou ce qui coche ; c'eSl ratiociner, dans le patholo­gique d'une rêverie ou d'un cauchemar.

(§ 28) i ) O r l a " sorte de raisonnable" — q u e constituerait, par exemple, l'observation que la contrainte de la société, à l 'endroit de la liberté que la Révolution française offre aux nouveaux légis­lateurs pour se donner de nouvelles contraintes, n'eSt certainement

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pas disposée de telle manière qu'elle ait pour effet l'absolutisme de la maxime sadienne, fût-il celui du droit de jouir, — pour raisonnable qu'elle serait, ne serait autre qu'un " recours confus au pathologique " , au rêve, dont les révolutionnaires sont les premiers à s'illusionner, d'une société plus juSte, disons ic i : plus morale. Pathologique auquel s'oppose la rigueur sadienne, au moment même où sa rationalité l'amène à déraisonner.

C'est que le champ de cette raison et de cette déraison n'eSt pas le même dans un cas et dans l'autre ; l'autre, nous l'avons seulement imaginé, nous n'allons pas ici le définir ; mais le premier, celui où Sade raisonne, c'eSt celui de l'évidence contraignante d'une liberté mise en évidence : rien n i personne n'a le droit de m'empêcher de jouir.

E n quoi Sade raisonne " avec Kant " , et nous " avec " , c'eSt à savoir, avec rigueur, celle même qui nous rompt, d i t Lacan, dans la leâure de la Critique. Question comme instrument de torture, rigueur de la déduction comme instrument de sa bonne conduite : ce qui eSt mis à la question finit, rompu, par avouer, par céder à la force contraignante de l'instrument, qui eSt ici le rationnel lui-même, — ce qui eSt dit fort mal, mais sous forme qu ' i l suffit maintenant de retourner : le rationnel, c'eSl chez Kant la force contraignante de la déduâion rigoureuse.

2) E t chez Sade, l e " rationnel " , malgré l'apparence de déraison, et selon une notion qui rend compte de la différence chez l u i d'un " rationnel " et d ' u n " dément " , en l'assignant elle-même au patho­logique dont la psychanalyse saisit mieux les fondements et la logique, c'eSt la force contraignante de l 'humour (noir rigoureuse­ment), " transfuge dans le comique de la fonétion du sur-moi " , discours non pathologique parce que rompant (comme la déduction rationnelle) dans sa logique la pathologie du " sur-moi " qui a ordinairement le pouvoir circonstancié de le faire taire, et souve­rainement, puisqu'animé de la même force qui de place en place le rompt ; sans le détruite, puisqu'aussitôt le transfuge se perd dans les soubresauts du rire, dans le pathologique du raisonnable-déraisonnable.

Voilà qui montre sur quelle même ligne Kant et Sade parlent de front, de concert. Ainsi qu ' i l eSl patent, dans la phrase de Sade, que l'instance psychanalytique du " sur-moi " se révèle, se dévoile.

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dans le transfuge que l u i eSt l 'humour, de la même façon l'épreuve kantienne de la règle universelle trouve sa vérité dans le grain de sel, dans le piquant de son identité de fondement avec la maxime sadienne, qui , manquant comme grain de sel, avait fonâion de grain de sable dans l'œil du philosophe, puisque par là c'eSt le contenu moral de la maxime kantienne qui eSt subverti (le contenu de la maxime sadienne étant tout le contraire), alors que c'était l'adhésion à ces principes des plus banaux qui valait à Kant et l'adhésion de tous et leur incompréhension de ce dont i l se soutient.

Même avatar chez l'analySte à l'écoute du pervers, analystes contemporains supposés savoir, et s'employant à ramener l'obscu­rité sur la découverte freudienne (cf. la Méprise du sujet supposé savoir et les autres textes " italiens " dans Scilicet aP 1), même avatar chez le philosophe à sa leéhire de Kant , s'il y trouve écrites seule­ment les bonnes intentions.

(§ 29) Et si ce qu i se présente à nous, chez Kant, pour être sérieux, en bonnes intentions, se trouve relevé, jusqu'à sa révéla­t ion , en une épreuve qui le place tout contre celui dont le discours est r igolo, Sade — inversement, celui-ci, l'épreuve nous y incite, doit être pris plus au sérieux.

Le prendre au sérieux, c'eSl ne pas quitter le terrain où son sérieux nous prend ; par conséquent ce n'eSt pas se demander ce qui se passerait si une société sandionnait u n droit à la jouissance en permettant à tous de s'en réclamer (telle serait en effet la forme que devrait l u i donner le législateur : non pas " Tout homme a le droit de jouir " , mais : " Tout homme a le droit de faire valoir, pour jouir, le droit à la jouissance. " ) : car pour que la maxime du droit à la jouissance ait pour auteur la lo i morale, une telle législa­t i o n n'eSt pas nécessaire, pour autant que Kant n i Sade, en qui se rencontrent la lo i morale et le droit de jouir, les formulent sans les reUer à une telle sanélion législative, — Kant en supposant la lo i morale tout ailleurs que dans le champ d'une prise législative (politique), et Sade en proposant le droit à la jouissance comme fon­dement de la nouvelle constitution républicaine.

Quant à la suffisance d'une telle législation, i l faudrait, pour l'assurer, la mettre à l'épreuve {a priori de sa non-nécessité, a pofîeriori de son insuffisance), mais ce serait peine perdue, car (§ 30) on doit déjà remarquer que par " l'extension à tous du droi t

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que la maxime invoque " , le " rang universel " que prendrait cette maxime passée en règlement, peut l'opposer éventuellement à toute autre règle. Parce que la jouissance irait contre toute l o i de con­trainte. Mais Lacan a raison de dire " éventuellement " ; car à ce niveau, le droit à la jouissance n'eât pas plus utopique que celui à la " liberté " , 1' " égalité " , et certainement moins que celui à la " fraternité " , laquelle, en fait d'universel, devrait prendre de la graine à se confronter à la jouissance.

(§ 31) Ce à quoi on a ic i affaire n'eSt donc pas d'imaginer l'exten­sion à tous du droit que la maxime invoque, parce (^imaginer c'est regarder ailleurs qu'au nœud de la question, qui n'eSt pas d'imagination, mais d'écoute d 'un discours.

(§ 3 2) Lequel seul donne sens à la not ion universel (comme on l'a v u avec Kant dans la Critique et comme on va le voir ic i avec Sade) compris comme " ce qui prend les choses comme elles se fondent et non comme elles s'arrangent " , autrement dit : i ) l'élé­ment dans quoi eSt compris le fondement des choses, i d la " voix du dedans " de la certitude phénoménologique et la " voix de la nature " de l'évidence sadienne, et non 2) l'élément dans lequel eSt compris l'arrangement des choses, — le champ empirique de la l o i morale à l'épreuve de la législation positive. E n ce dernier, ce qu'on démontre au mieux, c'eSt une possibilité du général.

(§ 3 5) Or c'est en l u i que s'arrangerait l'extension à tous du droit que la maxime invoque. Car la l o i morale serait mise à l'épreuve de la réciprocité, à savoir, de sa validité dans la confrontation d'au moins deux sujets déterminés comme étant sujets la l o i . Soit pour la maxime kantienne " tous les êtres doués de raison " , pour Sade tous les individus que la nature a placés dans une situation telle qu'ils puissent légiférer, les Français étant pris comme exemple. Mais c'est i d l'occasion à ne pas omettre, de dénoncer le rôle que l 'on confère au moment de la rédprocité, proprement exorbitant dans ce sens qu ' i l fait sortir les Slruélures qu'on suppose admettre ce rôle au titre de temps logique, fonftion propre, de leur orbe, c'eSt-à-dire de leur véritable schème Slrudural. E t notamment les Struâures subjeâives, qui répudient intrinsèquement (entendons : qui rejettent, après une mêlée, u n combat corps à corps, organisa­t ion à organisation) au moment de la rédprodté. Comment cela ? Portons chez deux sujets le message de la l o i , et confrontons la

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ï édprodté que nous supposons ainsi à leur confrontation, à ce que coimote (au sens logique) la rédprocité.

(§ 34) La relation entre deux sujets chacun placé en position " rédproque " peut être figurée par une ligne simple qui les unit — simple, car tout caraâère de cette relation tiendra de la défini­t i o n de celle-ci d'être le caradère des deux pôles, c'eSt-à-dire, si quelque prédicat eSt applicable à l 'un , i l l'eSt, en mime temps (temps comme battement, temps logique) à l'autre, ce qui s'exprime par la réversibilité, ou Y équivalence.

Or, le temps logique de l'équivalence ou de la réversibilité n'eSl pas superposable ( " ne trouve pas à se placer " ) à quel que ce soit des temps logiques du franchissement du sujet dans son rapport au signifiant.

Le " moment " (de la réciprocité, par exemple) c'est son " temps logique " , c'eSt ce qui (momentum) fait pencher la balance — ce qui meut le balander de la pendule; ce n'eSt pas u n moment dans le temps, mais la figure de ce qui enveloppe le temps, à savoir prédsément le " temps logique " , la temporalité rythmée sar le discours (logos) selon une logique que Lacan produit comme ogique du signifiant.

Par conséquent, l'équivalence, la réversibilité, la rédprocité ont chacune leurs " moments " , leur existence de signifiants, et entretiennent avec la simultanéité u n rapport proche de l'identité seulement pour autant qu'on leur nie toute spédfidté — notam­ment ici celle d'une rédprocité dans l'obédience à une telle maxime.

Mais l'occasion que saisit i d Lacan, c'eSl de montrer dès à présent ce qui se fera voir " tout nûment " à la page suivante, que le temps logique à considérer pour ce qui eSt des fantasmes kantien et sadien, eSt de toute façon celui d'un " franchissement du sujet dans son rapport au signifiant " (anticipons ou rappelons : passage d u sujet de l'énondation au sujet de l'énoncé = franchissement du sujet...; énondation de renoncé = rapport du sujet au sigiifiant énonci).

E n outre, le moment de la rédprocité eSt bien moins encore le temps logique d'une étape de développement (allusion au passage du non-psychisme au psychisme par l'instauration du signifiant, dans le Stade du miroir^, C'eSt sur le dos, sans qu ' i l voie goutte, que

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l'enfant reçoit ce qu'on l u i plaque d'intention pédagogique; i l reçoit comme coups ce que l ' intention l u i destine comme har­monie, la réciprocité l u i étant étrangère (qu'on songe seulement à l 'Œdipe) autant qu'elle satisfait, dans l'imaginaire, le psychisme du pédagogue qui entretient avec l'enfant des rapports inter-subjeftifs rien moins que réciproques.

(§ 35) Mais sans préjuger de cette thématique, la maxime qui nous eSt ici proposée eSt énoncée de telle sorte que sa logique interne, entendons la logique de ses interprétations sémantiques immédiates (le sens de chaque mot comme diSlinâ: du sens de chacun des autres mots, dans u n système différentiel déterminable par le recoupement même qu'on peut l u i reconnaître au f i l du discours sadien) confrontées selon la logique de sa syntaxe, exclut la réciprocité prise comme telle. De ce point de vue, elle eSt même exemplaire — paradigmatique. Les raisons pour lesquelles nous allons l u i reconnaître ce caradère, nous les avons déjà formulées pour la plupart lorsque nous avons imaginé (selon donc la t radudion sémantique immédiate) son impossible extension à tous.

(§ 36) Mais plus essentiellement, la non-téciprodté eSt décelée dans l'énoncé même de la maxime, si on ne la considère plus comme devant être intronisée en législation (laquelle, imaginée, se détruit comme telle, soit qu'elle ne tienne en elle aucun ordre, soit que l 'ordre qu'elle instaure soit infâme, ce qui veut dire, sans doute d'abord, moralement infâme, par rapport à d'autres critères moraux, — tabous sexuels, prohibit ion du crime, liberté, etc., — mais plus essentiellement in-fâme, qui ne soutient pas la fama, le qu'en-dit-on, la réputation, condition justement primordiale pour toute l o i positive — nul n'eSt censé ignorer la lo i ) . Mais la matière eSt ic i " de l u i reconnaître ou non le caradère d'une règle recevable comme universelle en morale, la morale depuis Kant reconnue comme une pratique inconditionnelle de la raison " . Une pratique de la raison et non de la " moralité " , et inconditionnelle, e'eSt-à-dire sans y mettre la condition d 'un assentiment universel. Ce à l'épreuve de quoi la réciprocité de la maxime eSt offerte, ce n'eSt donc pas la législation positive plus ou moins conforme à une morale située ainsi à son niveau, c'eSt la morale comme pratique de la raison, c'eSt la Raison pratique, la raison comme pratique, — et l'examen de la Critique nous permet de traduire enfin : le d iscours comme coer-

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c i t i f dans le même temps qu ' i l soutient apodidiquement, car ce n'eSt pas autre chose que cela, la consdence.

Si c'est à cette logique du signifiant qu'on se doit de référer la maxime pour autant qu'elle eSt, de façon privilégiée, le discours de cette logique (par où l 'on connaît mieux le sens de la certitude kantienne, le " pur-a p r i o r i " étant le discours, non " du sujet " , mais de l 'Autre , dont le sujet se soutient, et qui donc le pro-pose), alors non seulement la maxime n'eSt pas à juger selon l 'ordre infâme qu'elle ne peut pas instaurer, et qu'on juge, — encore une détermination négative, et de taille, ic i sur l 'ordre du " jugement " lui-même —, et la réciprocité n'eSt pas autre que d'imagination {à'un sujet) ; mais même y a-t-il fort à parier, et rien, en tout cas, à parier contre, que la maxime n'exclut pas la charge de revanche, — car elle se transmettra sur un canal qui n'eSl pas dans l ' imagination, mais au symbolique en son joint avec le réel, d'un sadique à ce qu'on suppose exister de répondant sadique dans un autre sujet.

(§ 37) Ainsi à cette maxime, puisqu'i l n'eSt pas besoin de l'épreuve de l 'ordre moral pour en juger, devrons-nous reconnaître le caradère de " règle recevable comme universelle en morale " , puisqu'elle a les deux caradères que Kant requiert pour une telle règle — tous deux instaurés par la seule vertu, la seule force, de son annonce, de son énoncé par le héraut (son kérygme) en public et à voix haute :

1 °) Elle rejette toute pathologie, et radicalement, puisque sa racine est ailleurs, dans le rationnel même. Elle ne prend aucun égard à u n bien {Wohl), puisque le droit à la jouissance n'eSt pas encore une prétention à avoir sûrement du plaisir, elle n'a aucun regard pour quelque passion que ce soit, l'affirmation inconditionnelle d u droit instaurant elle-même la distance avec le plaisir, distance qu i situe le droit , donc, en deçà de toute passion, par quoi i l pourrait être conditionné à s'annoncer, et qui ne le détermine pas plus que par les mots de " jouir " et de " corps " , où, i l eSt vrai, plane pour la suite un soupçon de soumission à autre chose que la pure l o i rationnelle au sens kantien; et la maxime rejette plus explicite­ment encore toute compassion, elle qui eSt sans pitié, et sans réd­procité — sauf à entendre la communauté de la compassion comme la marque même de l'universalité de la lo i .

2°) Elle n'a pour substance que sa forme même, puisqu'on bien

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y elle eft contraignante, elle eSl u n impératif catégorique, et elle ne saurait tenir ce caraâère d'aucune matière phénoménale et donc elle le tient de sa forme seule (cf. Raàonpratique, Théorème 3, Exercices),

^^Tp ou bien elle ne " déboute (pas) de sa pratique toute raisori'qui ne ^OAJL/I soit pas de (la) maxime elle-même " , et elle n'eSt plus recevable

comme règle universelle — mais nous avons v u que rien, sinon par imagination, ne faisait appel, dans la maxime sadienne, à une autre (bonne) raison que celle du droi t naturel (à quoi i l faut sans doute pouîTl'inftant référer le " corps " énoncé dans la maxime : rien n'y dit en effet que ce corps soit humain et non pas comme tout corps de la nature, sinon ce " tu " qui pronominalise au corps une personne; mais la " personne " reçoit, en retour, une détermination " namrelle " , selon u n circuit que Lacan produira

y pour être celui du fantasme, mais que c'tSt sans doute de là qu ' i l produit) .

La maxime sadienûe a ainsi les déterminations que Kant donne comme propres à la lo i morale comme pratique inconditionnelle de la raison.

(§ 38) Ces deux impératifs, entre quoi peut être tendue, jusqu'au brisement de la vie, l'expérience morale, ( i ) réjeétion radicale du pathologique, (2) légalité formelle de la l o i , sont plutôt les deux parties de l'impératif catégorique lui-même, respeâivement caté­gorie et impérativité — comme, dans la Raison pure spéculative, Va priori de la catégorie comme l o i incoercible de l'esprit ordon­nant, de quelque intui t ion qu'ils soient emplis, les concepts. Que

> l'expérience morale puisse être tendue jusqu'à rompre entre cette double exigence de rejeter le pathologique qui eét son seul objet, et de n'avoir pour lo i que la forme de sa l o i , qui n'eSt pas objet d'ex­périence, c'est là que se dévoile le plus spécifiquement la résistance absolue du signifiant, son primat absolu par rapport à toute " vie " — et du même coup c'eSl là que la Raison pratique appa­raît comme étant la vérité de la Raison spéculative, dont tout le

^îg52iM.t¥-Mputenu d e k ^ r a t i q u e de_çe.t^^ ce que d i t Kant expressémenTdansTa Buiison pratique : ( " L o i fondamentale de la raison pure pratiqué " , dans l'Analytique des Principes) : " La raison pure eh pratique par elle seule, et doime à l 'homme une l o i univer­selle " , que Kant nomme " l o i morale " , par quoi i l convient de voir que ce n'eSt pas la morale qui reçoit une définition, mais tout

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au contraire la pratique de la raison pure qui eft nomfflé* I •v>fnltf, Le " brisement de la vie " , la " tension donc, on ne l 'étonilMI pas de les voir directement reliés à l'évanouissement du sujet dans l'expérience sadienne, la plus éloignée apparemment de toute phéno­ménologie.

Mais l'énoncé sadien n'eSl pas adressé, comme impératif, à nous-mêmes. Kant formulait : " Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme pr in­cipe d'une législation universelle " . Ce tutoiement s'adresse à tous; mais s'il eSt adressé par tous, c'eSt par réflexivité de la pre­mière personne. I l revient à ceci, dont i l part : " je dois agir de telle sorte... " , et comme ce devoir eSt universel de ce que le sujet par quoi je dis je eSt/le sujet transcendantal/, et non mon âme phéno­ménale, le Je qui parle s'adresse à tous les moi du monde, en situa­t i o n semblable vis-à-vis de l u i . Tous les moi du monde entendent donc semblablement : "Agis de telle sorte... " , le singulier de la deuxième personne correspondant à la similitude des personnes qui sont toutes deuxièmes par rapport à ce je universel, l 'univer-saUté de leur similitude étant exaâement marquée par le singulier en miroir du je singulier universel — ce que n'aurait pas <5t u n pluriel de la deuxième personne ( " Agissez... " ) , parole messia­nique, bien faite pour montrer ce qu'a de monstrueux, d'étranger, le Messie et son message.

L'énoncé sadien s'en distingue subtilement ( " y 'a i le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque... " ) : l'impératif s'adresse donc à tous moins une personne, moi précisément. Ce n'eSl pas, en effet : " je dois jouir de ton corps " , mais : " je peux, j 'ai le droit ", qu'a le droit de me dire quiconque. E t l'impératif s'adresse à m o i ailleurs que dans cette maxime, comme nous le verrons plus lo in (§ 44); puisque la seule chose que je sois obligé de faire, c'eSl de ne pas faire obstacle au droit de quiconque sur moi . Mais ici, l'impératif eSl adressé à tous les autres que m o i , et selon u n détour qu i n'eSl pas de réflexivité. Car si, comme dans la formule kantienne, i l y avait réflexivité — et nous retrouvons au niveau syntaxique même, comme promis, la non-réciprocité absolue de la lo i sa­dienne —, alors, nulle part n'apparaîtrait u n impératif. " J'ai le droit de jouir de t o n corps, a le droit de me dire quiconque... " , " Quiconque peut me dire, je peux jouir de t o n corps " . La Loi —

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et nous commençons à y mettre u n grand L , comme Lacan quelques lignes plus bas — , ce n'eSt jamais moi qui la formule.

Le Je transcendantal passait, dans le sujet phénoménal, à parler au sujet phénoménal à la deuxième personne du singulier. Le devoir qu ' i l énonçait, c'était à tous, y compris à moi , corollaire-ment à la nature différente de tous du sujet parlant : universel transcendantal face à l'universel phénoménal.

D'où se différencierait donc ce passe à la troisième personne dans l'énoncé de Sade. Ce qui revient à ce que l'impératif soit imposé à la deuxième personne, à toi, et comme de toi à lui i l y a, Slriâo sensu, réversibilité (puisque la deuxième et la troisième personne désignent, en ce cas, non des types, mais des personnes concrètes), l'impérattf sadien eSt imposé à vous, soit tous, sauf moi, avec évi­demment ma personne concrète comprise dans le tous pourvu que quelqu'un d'autre que moi le prononce à sa place.

(§ 39) " Mais, dit Lacan, ce n'eSt là distance que de premier abord, car de façon latente l'impératif moral n'en fait pas moins, puisque c'eêl de l 'Autre que son commandement nous requiert. " Q u ' i l s'impose à tout sujet (Kant) ou à tous les sujets (Sade), c'est en effet d 'un autre que celui à qui i l s'impose q u ' i l s'impose, qu ' i l parle. Kant , la " voix du dedans " , celle du sujet rejetée dans u n Sujet transcendantal, autre de tout sujet; Sade, la voix des autres, un autre l'imposant à un autre, tous deux autres que le sujet et autres l 'un par rapport à l'autre, selon une altérité toute différente, mais qui porte l'absolu de l'impératif. L 'Autre de qu i l'impératif moral nous eSt imposé, chez Sade, c'eSt ce qui sépare i ) m o i et 2) l'altérité de deux autres sujets, dont l 'un eSt m o i quand l'autre aura fait valoir son droit à la jouissance, aura parlé. Autre­ment dit , la loi sadienne comme devoir eSt articulée, comme condi­t ion de sa validité, à la loi de mon droit irrépressible à la jouissance. Ainsi est refondue cette dualité que Kant devait au contraire maintenir (cf. § § 5 5 - 5 6 ) : " moi j 'ai le droit " . . . et " je n'ai pas le droit = j 'ai le devoir... " , — la l o i a le droit de m'imposer u n devoir. D r o i t et devoir ne sont pas opposés comme moi et Autre . (A vrai dire, chez Kant non plus, le " droit " moral n'eSt pas diStinft, quant au fondement, d u " devoir " : c'eSt la loi morale qui me donne droit et devoir, puisque sans le devoir je n'aurais aucun pouvoir — " t u peux parce que m dois " —, donc qu'un

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droit " illusoire, sans fondement. Mais les liaisons entre les sujets — celui qui désire, celui qui interdit — sont éclipsées dans la relation fondamentale : moi phénoménal — objet dérobé de la loi.) C'eSl dans le même temps logique, dans la même parole paradoxale, où le sujet sadien énonce son droit à la jouissance, qu ' i l signe le contrat qui le lie à la l o i , qu ' i l souscrit au devoir le plus absolu : celui qui , d'être dissous, le priverait de tous ses droits.

Mais coroUairement ce lieu commun où parlent le devoir et le droit , retire à ce dernier l'autonomie d'une spontanéité, d'une contingence phénoménale. Le sujet pathologique kantien, qui eSl soumis au Wohl, c'eSt l'impossible intermédiaire entre le sujet du Bien moral et le sujet sadien, puisque c'eSl lorsque celui-ci cède à son désir, qu'avec l u i , i l exhausse le devoir même qui déboute le sujet pathologique phénoménal, défini précisément comme mû par un incontrôlable désir.

Que le désir échappe à la l o i , voilà ce que Kant , l'ayant posé au principe de sa réflexion, démontre implicitement être faux, comme i l se voi t chez Sade, où explicitement, dans l'explicitation même, c'est le désir qui fonde une lo i en s'opposant à la " lo i " (importée) qui fait obstacle au désir et qui le suscite à se formuler comme " droi t " . Disons que c'efî le désir qui fait la loi, c'eSt le désir, trans­gressant le " droit " ou la " lo i " , qui énonce ce qu ' i l faut donc maintenant appeler ( " pour ne pas confondre " ou plutôt pour montrer 1) d'où l 'un se fonde, et 2) l'infondé de l'autre) la Loi du Désir, marquée, d'entrée, de la " renonciation à la jouissance " . De même, aussi, la " volonté " kantienne se trouve référée à ce que Kant constate sans pouvoir donner le nœud qui porte cette référence mutuelle : que si " vouloir " , ce ne peut être que vou­loir obéir à la l o i , et renoncer à vouloir le Wohl (à " désirer " ) , c'est par là, aussi bien, être soumis à un désir, et pour éprouver le seul plaisir possible .̂

I . De ce point de vue on relira avec intérêt le début du Contrat social, o ù une autre conSlruaion fantasmatique de l'origine de la loi compose, à mi-chemin entre Sade et Kant sur l'échelle de la clarté formelle et de la rigueur, des termes comparables aux leurs. C'eSl en ce qu'il l'ordonne à la logique de son fantasme, et non pas en ce qu'il en représente le visage par projeftion, sur une société alors imaginaire, des traits de

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(§ 40) IJimpératif moral nota requiert de VAutre, par conséquent, comme (isomorphiquement) le sujet de renonciation requiert le sujet de l'énoncé à /'énoncer en se barrant, à payer " son " appari­t i o n de " sa " disparition. Cette " refente du sujet " , c'eSt le signi­fiant qu i la met à l'œuvre, car c'eSl l u i qu i " enveloppe " l'unicité même d u sujet, qu i n'eSl " u n " , susceptible d'être intuitionnable-ment refendu, divisé, que de l 'avoir toujours déjà été. C'eSt sur le fonds de ce toujours-déjà de la chaîne signifiante qu'apparaît, donc aussi n'a pas à'attto-nomie, le sujet : ce n'eSt pas lui-même qui " se " commande, c'eSt l 'ordre signifiant qui " le " commande.

ses propres " sentiments " que Rousseau décrit une République irréelle. Mais si le Souverain eSl irréel pour l'hiStoire, c'eSl que l'hiSloire n'eSt réelle pour l'individu qu'en ce qu'elle s'y délègue sous l'espèce du Souverain (sans quoi elle ne diiîérerait pas du jeu des forces naturelles), en un aÔe qui constitue l'individu en Sujet. L a conSlruftion eSl fantasmatique en ceci que 1' " individu " n'eSl lui-même déjà que l'invention que, selon son désir, le sujet fait d'un moi qui ne serait pas sujet du Souverain. Mais la logique du fantasme, ainsi mise en œuvre, si elle eSl subjeftive, n'eSl pas pour autant " individuelle (avec ce que cela comporterait de conséquences pour la validité sociale du contrat), dans l'exaûe mesure où il y a un sens à dire que, dans le sujet, le fantasme s'articule au mythe, ou pour dire autrement, qu'à un certain niveau le fantasme eSt chose partagée parmi les hommes, d'être la figure que, dans le sujet, le mythe façonne. De là que le Contrat social ne faillit que d'un décalage i rendre compte du bien réel consensus qui, dans toute société, doit rassembler les hommes pour qu'ils puissent seulement se trouver en désaccord, ce minimum exigible étant indiqué par Rousseau lui-même : que l'obéissance de tous à la loi soit la même que celle de chacun à son père.

D'où la remarque aussi que là n'eSl pas l'originalité de Rousseau : car si, dans les " profondeurs du goût " i l y a une voie qu'il a la perversion de déblayer pour nos analyses, c'eSl celle sans doute dont le Contrat social tout entier eSl la gigantesque dénégation : celle que parcourt, dans sa fuite de la sujétion au Souverain, [le sujet], laissant derrière lui pour traces le tableau le plus systématiquement centré sur le moi. A u moins dans ce que du passé retient la tradition universitaire, c'eSt Rousseau qui fait date à inaugurer dans la littérature ce genre où l ' introspeâion n'a pas besoin, pour passer dans l 'œuvre, de se subordonner à un autre but, dont la visée désoriente l'acuité du regard que l'on porte sur soi. Le paysage intérieur de Rousseau diffère en ceci des plates descriptions de la grande masse des Romantiques qui ne parlent d'eux-mêmes que parce que telle eSl la façon d'être sociable dans la société du Romantisme, que c'eSl sous l'injonéUon de ses fantasmes, dans la nécessité continuelle d'en dissimuler la trame en se référant aux problèmes de la société, qu'il nous le dévoile. Penser ce rapport entre le contenu de l'œuvre et ce que nous savons depuis Freud des organisa­tions défensives du moi, telle eSl la tâche au seuil de laquelle l'étude par Lacan de la croix de l'expérience sadienne nous conduit. Sauf qu'il y a loin, des manies juStiiîcatoires de Rousseau et de sa solitude, à la paranoïa.

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De là l'impératif comme nécessité : non pas " cause finale " ( " pour éprouver du plaisir, agis... " ) , mais cause Strufturale, selon la Struâure ic i de cet ordre signifiant particulier ^ qu'eSl la " l o i d u désir " — la dialeilique du désir comme dit Lacan (cf. l'article portant ce titre, précédé, selon le lien qui n'échappe pas, de Subversion du sujet. Écrits, p. 795). I l eSt à noter que " labipolarité dont s'instaure la l o i morale " eSt la même que celle dont s'instaure tout discours d 'un sujet. Conclusion : non que ce soit le sujet qui fesse la morale (selon " le caprice des exadtions qu'(i l) ait le goût d'assouvir " ) , mais : c'eSt le discours qui fait la " morale " et le " sujet " , en les articulant par le " désir " , et selon ses propres lois, les lois de l'ordre signifiant dont i l se soutient (dont la recherche eSt, pour tout sujet, restreinte par les lois mêmes de l'ordre signifiant — cf. J.-A. Mil ler , " Aétion de la Struéhire", — mais point du tout clôturée, et ced en vertu de l'extériorité même du signifiant — A . Badiou, op. cit.)

T o u t cela pour dire que si " l'impératif moral nous requiert de l 'Autre " , i l faut l'entendre en u n sens résolument immoral : le commandement de l'impératif moral, lo in de présupposer une l i ­berté, pour aussitôt faire main basse sur elle, la fonde — et l u i autorise, eSt l'auteur de ses plus grandes licences. C'eSt la liberté du l ibertin, toute licence étant laissée à son licet, son désir. Puisque c'efi en nous requérant, dans son impératif, q u ' i l nous fait quérir, q u ' i l instaure, en même temps, nous et notre quête, notre demande.

I l ne faut pas s'étonner alors que la liberté qu ' i l nous propose, ce soit en premier lieu la sienne : nous désirerons toujours selon la l o i (d'où Kant saute à " désirer la l o i pour la lo i " ) de l'Autre, et la liberté du l ibertin peut le conduire aux prisons de ce qui figure la l o i , comme Sade, — et le sadique à l'asile à'aliénés.

Cette excursion, pourtant, n'était pas nécessaire, car déjà dans " l'universel évident du devoir du dépositaire " , sous lequel, à la lettre, était mystérieusement caché le " sujet transcendantal " , i l y avait de quoi montrer d'où s'imposait, d'où parlait un tel devoir : son manque était marqué par la forme même de la maxime, qu'en emplissant de termes autres, en faisant varier les paramètres

1. Voir Alain Badiou, " Marque et Manque : à propos du zéro ", en particulier : " le Supplice de la Philosophie ", Cahiers pour l'Analyse, n" lo.

3 "

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de sa formule, jusqu'à la parodie, on démasquait pour ce qu'elle était. Mystification qui consiste à placer dans 1'" Autre absolu " (le transcendantal) ce qui eSt en effet dans l 'Autre , mais un Autre tel que tout " y " soit en quelque façon : le lieu du " sujet " , du " devoir " , de 1"' universel " — et de la " fidélité " , comme aussi d e l à " Pologne " , etc.

Dans la solitude du sujet kantien eSt latent, eSt caché, ce qui en aucune manière n'eSt dans son " Autre absolu " . Mais comme son " Autre absolu " eSt " dans l'Autre " où eSt caché l'autre pôle dont s'instaure le premier comme autre pôle du transcendantal qui le " véhicule " , la déduâion kantienne porte la marque de la nécessité qui la porte. Ainsi dans la deuxième rédaâion du Paralo­gisme de la simplicité, les Umites assignées à la psychologie ration­nelle sont-elles remarquablement frontalières des schémas élémen­taires du " Discours de l 'Autre " . E t le sujet empirique, à l'écoute de la " voix du dedans " , n'a besoin que d'être mis en rapport avec la maxime sadienne pour être démystifié.

(§ 41-42-45) Ce qui ne veut pas dire que dans le discours sadien le principe de la l o i morale soit mieux marqué que chez Kant : si en effet i l y eSt patent, c'eSt pathologiquement (comme on va voir à l'instant), sans avoir été rendu tel. Car enfin la maxime sa­dienne, en son paradoxe, ne " démasque la refente du sujet " que pour qui elle eSt escamotée, c'eSt-à-dire pour la phénoménologie kantienne, qui y trouve sa limite non comme son extérieur, mais comme symétrique et sa symétrie. Pour qui elle n'eSt pas escamotée au contraire (soit : pour la maxime sadienne), la maxime sadienne ne fait que poser u n autre masque.

D'où, si l 'on peut dire que le " V ive le dépositaire ! " , poussé homothétiquement jusqu'au " Vive la Pologne ! " , fait sentir la mystification dans le rire, et rend seulement patent que la déduâion kantienne recèle quelque chose qui se trouve ainsi isolé, et non pas déterminé, le paradoxe sadien ne fait que suivre la route inverse : i l commence par faire rire, et étouffe dans le fun init ial le sujet de renonciation qui , s'énonçant en l u i , s'évoquant, s'en évoque tout aussitôt, comme à l'ordinaire, c'eSt-à-dire s'y revêt du masque de l'énoncé. C'eSl en quoi i l ne s'agit pas pour Lacan de comparer les mérites respeâifs de deux phénoménologies, mais de marquer les limites de la phénoménologie kantienne grâce à un phénomène

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qu'elle ne voit pas, mais qui ne se voit pas non plus. Ce phénomène, c'est le sadisme. E t en tant qu'exception à la phénoménologie kan­tienne, i l en confirme en un certain sens la règle.

S'il eSl " plus honnête " , c'eSt par innocence. S'il brave la l o i , c'est qu ' i l eSt, à l 'endroit de celle-ci, bien brave. I l met les pieds dans le plat. Trouble-fête, ce n'eSl cependant pas lu i qui a agencé la fête qu ' i l trouble. Rien ne serait plus trompeur, n'éclipserait plus le sadisme de Sade, que de le mesurer à Kant, à l'aune de la théorie. I l n'eSl pas l'ange chassant le démon de l'erreur, pas plus que le monStre qui écrase tout. Ce qu ' i l y a en l u i de beSlial, c'eSl d'être le cobaye de la démonstration. Comme Schreber pour Freud, i l doit être pour nous l'exception pathologique qui infirme la règle, pviis l ' informe, fait valoir la norme. Car l'honnêteté de Sade, c'est l 'exhibition de son expérience d'enfer.

(§ 44) Q u ' o n en juge : " Pour confirmer cette perspeâive " , dit Lacan (Car ce n'eSt pas Sade qui peut nous affirmer de lui-même quelque chose; i l peut en revanche confirmer des hypothèses que l 'on fait à son endroit, mais involontairement, — comme i l se voi t dans cet impressionnant exemple où Sade déguise du n o m de droits les supplices implacables de sa séduâion), " qu 'on se reporte seulement à la doârine dont Sade lui-même fonde le règne de son principe " .

C'eSl-à-dire, voyons comment Sade enseigne, revomit, ce qui se fonde au lieu de l'Autre : voyons comment affleure, en son langage, son fantasme. Prenons note de l'ajuSlement, de l 'orthodoxie de sa " pensée " , de cette étrange voie droite où s'inscrit, alors qu'elle devrait se perdre et s'évanouir au lo in , la tangente que sa perver­sion a prise. Voyons où il suture, et non où i l eSt fondé. E t nous comprendrons mieux qu ' i l eSt, en ce nœud théorique, en une position insoutenable. L'insistance de son signifiant, 1' " inconve­nance majeure " , c'eSl l'écriture qui ne convient jamais à ce qui vient l'écrire. O u dont seule l'inconvenance convient. C'eSt de ce c\a'une doârine sadienne, à la lettre, eSl " paradoxale " , " équivoque " , " insoutenable " , que s'écrit la " syntaxe sous-jacente " de son fan­tasme. E t c'est du signifiant non-ortho-graphe qu'on verra se profiler cet autre rythme, ce temps logique — où sonne le glas de l 'homme des droits de l 'homme, où le pervers opère u n " déblaiement " dans les " profondeurs du goût " .

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C'eSl de ce qu'aucun homme ne saurait être d'un autre homme la propriété que l'homme du droit prendrait prétexte, pour s'op­poser à ce qu'un autre homme s'empare de l u i pour en jouir , comme s'il était son jouet, sa propriété. " N u l n'eSt censé ignorer la lo i " , dont le texte eSt toujours avant le délit. La l o i e§l le pré­texte du délit. O r si maintenant le texte de la l o i eSl : " Quiconque peut me dire, j 'ai le droit de jouir de t o n corps, etc. " , le délit sera de contester ce texte. Remarquons-le bien : le délit n'eSl pas de résister par la violence à une violence dont on serait vift ime (la jouis­sance sadienne en serait pour ses frais, et l'œuvre entier serait f ini , cette seule phrase une fois prononcée), le délit eSt ic i u n péché qu'on a déjà commis dans son cœur, sitôt qu'on a convoité d'échap­per à la lo i . Car ou bien Paul résiste si Pierre l'assaille, et i l montre qu ' i l n'eSl pas à la hauteur de la juridiâion (ce n'eSl qu'un homme au sens de cette Déclaration des Droits) , ou bien cet homme eSt Sade lui-même, ou quiconque prononce la maxime (manifestant qu'en l u i parle l 'Autre du fantasme sadien), et sa seule loi, son seul et inviolable principe, i l ne saurait en prendre prétexte pour s'opposer au droit de quiconque, puisque celui qui d i t " j 'a i le droit de jouir de ton corps " prend prétexte de la même maxime. Mais c'eSt ic i que se tient l'intenable : si quelqu'un me dit " j 'ai le droit de jouir de ton corps " , qui cela peut-il être, sinon moi-même ? Car le seul impératif de la maxime, on s'en souvient, tient en ceci que deux droits, articulés entre personnes, produisent impérieusement u n devoir, selon la contrainte même de la logique de la maxime; le devoir s'adressait à tous, sauf à moi. E n voici la confirmation : i l faut que la maxime tout entière soit prononcée pour valoir comme telle. Elle ne peut l'être que par un sujet, selon la refente, depuis l 'Autre, du sujet de l'énondation au sujet de l'énoncé. Mais alors, ce sujet, refendu, c'eSt le pur discours de la lo i . I l ne saurait requé­rir n i un, n i plusieurs " individus " . I l parle de l'Autre, et pour l'Autre, à savoir au niveau " sujet " de quelque individu que ce soit. La division d u sujet, i l la rend patente de ce qu'effeéHvement le sujet ne parle qu'en se donnant la réplique — d'individu à individu (Pierre et Paul, ou Pierre ou Paul tout seuls, là n'eStpIus la queSlion).

S'il faut imaginer, donc, un échange de répliques, ce n'eSt cer­tainement pas celui-là :

" Paul : J'ai l e droit de jouir de t o n corps.

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PARAPHRASE D E " K A N T AVBC SADt "

Pierre : E t que fais-tu des Droits de l 'homme ? M o l t u s t l , J 'd le droit de jouir de t o n corps; nous sommes donc quittes, car si t u jouissais de m o n corps, et que je ne jouisse pas du tien en même temps, je serais ta propriété.

Paul : N o n , car de ce que t u aies le ^ro/Vdemedire" J'aile</ro// f de jouir de ton corps " , i l ne s'ensuit pas que t u en aies le pouvoir;

au contraire, ton droit fait suite au mien. Nous sommes tous deux ;• dans notre droi t , dans le droit de nous. Que t u sois ou non consentant,

le seul fait que t u aies prononcé le discours de ton droit te place à % ma place, et m o i à la tienne.

Pierre : Jouisses que pourras. " Car ce dialogue eSt, précisément, imaginaire. C'eSl aux limites de

l'imaginable, au plus intense de l'éclairage de scène, qu ' i l devrait se tenir, (C'eSl la même situation que celle des prisonniers, dans he temps logique et l'assertion de certitude anticipée. Écrits, p. 197.)

T o u t ce qu'on peut dire, c'eSt qu ' i l y a deux temps dans le temps s logique de la maxime : renonciation et l'énoncé du même sujet 'i- refendu. La doârine qu'énonce Sade achoppe donc là où elle • défend la propriété de chaque homme par soi-même : car si la , réciproque eSl vraie ( " Aucun homme n'efi la propriété d'un autre

- homme... " ) , au sens où elle ne contredit pas la lo i de la maxime, '̂ la réciproque de la réciproque ne peut pas s'énoncer : " Tout homme

eft le propriétaire de soi-même " — sauf précisément à entendre : le propre de tout homme, c'eSt soi-même; tout homme a pour sujet (tout ro i a pour " sujet " , pour apanage) soi-même. Et de là enfin :

;/ toute énondation assujettit son énoncé selon le Désir du Sujet. La condition de cohérence de la maxime sadienne, c'eSl-à-dire,

puisqu'elle eSl cohérente en tant que prononcée selon la lo i du discours, en tant qu'ayant force de l o i , son. fondement, c'eSt que 1' " homme " sadien ne soit pas " homme " , mais sans cesse sujet divisé — division de sujet. Nous laissons la question de savoir si c'est là le propre de l 'homme sadien, mais quant à celui-ci, i l ne peut exister que par là, que par ce canal (cf. § 50), de telle manière qu'on ne trouve qn'apories à continuer sur la voie que Sade donne pour fondement du règne de son principe : nommément, que si u n homme faisait, de la doârine des Droi ts , prétexte à suspendre le droit de tous à jouir de l u i chacun à son gré, i l se mettrait hors-la-loi, puisqu'i l s'approprierait alors les autres hommes, s'appro-

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priant leur désir de jouir de l u i ; où se marque, dans son ultime pré- ' cision logique ici, le manque de Sade doâeur : i l laisse à chaque homme, en propre, de ne pas savoir que le désir n'eSl pas le propre de r " homme " , mais celui du sujet, ce même sujet dont c'eSt le ' Désir qui parle en Sade, quand " i l " énonce son droit de jouir. Nous avons v u que c'était là q u ' " i l renonçait à jouir " , formule logique­ment équivalente à : " I l (le sujet) désirait. "

( § 4 5 ) Qu 'on mesure donc ce qui eSt maintenant en question : dans la promiscuité des scènes sadiennes se marque le signifiant de la plus terrible des solitudes, non celle de 1'" individu " , de r " homme " — mais celle, principieUe, du sujet. Car si l'autre de l 'homme, c'eSt u n autre homme, l 'Autre du sujet, c'eSt l 'Autre de sa division sans refie, sans partenaire. Telle eSt la solitude de la psy­chose : les voix. Quand donc le discours du droit à la jouissance s'énonce, i l n'attente pas à la liberté des autres, car i l ne s'énonce que si l 'Autre l'énonce, si l 'Autre eêt le sujet de son énondation. Par rapport au sujet de l'énoncé, l 'Autre comme sujet de renon­ciation est donc " libre " . Mais i l s'é-voque impérativement; le sujet de l'énoncé, n'étant susdté, n'exifîant, que pour autant que le sujet de l'énondation le pose à chaque adresse de son discours, e a " tué " , a toujours la place du mort , n'efî que pour autant qu'on lui dit : tu es.

Si Sade trouve là le comble de la liberté, c'eSt parce que la seule liberté de toute l'affaire, le seul x à être libre, c'eSt l 'Autre : n i tous les autres, n i Sade. La liberté se mêle ici au moment de la plus immédiate nécessité : le discours.

E t si l 'on se souvient que c'était aussi d ' " obéir à la l o i " que Kant tenait, à ce qu'il disait, sa liberté, qu'on considère ce que c'eSt là que d'être" moins honnête " . C'eSl justement de ce que le sujet de renonciation ne se détache pas dans le discours kantien (sauf si on l 'y force, avec le Vive la Pologne), étant dans le perpétuel , renvoi à h forme du sujet de l'énoncé, que l'expérience de la " l i ­berté " est, pour une part, possible : car le kantien désobéit u n peu à la l o i , car il efî censé l'ignorer quelque peu (§ 5 6). I l pourra toujours dire, en effet, quand quelqu'un l u i voudra faire outrage, que ce quelqu'un n'agit pas " de telle sorte que la maxime de (sa) volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d'une législation universelle " ; qu ' i l n'appartient donc pas, dans son

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outrage, à l'ensemble des êtres rationnels; ne se soumettant p a i à la législation morale, i l ne tombe pas sous sa proteétion, et même, en toute rigueur, i l tombe sous le coup de sa l o i . Le kantien peut, en conscience, le frapper. La lo i pratique n'eSt pas abandonnée au moment même de la pratique, à savoir par exemple l ' " ade " , la " violence " . A u contraire, " seul " (avec le sujet transcendantal qui parle en l u i et qui manifestement ne parle pas en l'autre homme ^), le kantien eSl armé, i l eSl recouvert d'une armure de droits et de devoirs, tout ce qui eSl en lu i eSl moral. Mais on a v u que c'était précisément parce qu ' i l n'était pas seul; i l a retenu en lu i le sujet en sa refente, et si la refente n'eSl pas démasquée, i l peut être hon­nête : sous son masque de personne.

(§ 46) Le sujet de l'énondation, faisant être le sujet de l'énoncé, le " suscitant " , " le " tuait par le caradère impératif de son " adresse " , en ce sens qu ' i l tuait cette unité suturée que constituait, dans l'imaginaire, u n " sujet " qui aurait été personnel, donc " libre " ou " aliéné " . Mais puisque le discours du droit à la jouis­sance, déplié, détermine l'énondation comme ayant son sujet dans l 'Autre, i l détermine aussi l'énoncé. De la façon qui suit, dans cette phrase tout d'abord " énigmatigue " : " ...Puisque la jouissance, à s'avouer impudemment dans son propos même, se fait pôle dans un couple dont l 'Autre eSt au creux qu'elle fore déjà au lieu de l 'Autre pour y dresser la croix de l'expérience sa­dienne. " Le pro-pos du sujet de l'énoncé, ce qui eSt la condition a priori du contenu de l'énoncé, c'eSl ce qui y eSt contenu comme pôle, — la jouissance, — d'un couple (les " deux " sujets, le sujet comme divisé, y^r^'dans l'assertion de son signifiant). Le creux de ce couple eSt foré par la jouissance (revoir le texte de la maxime), au lieu de l'Autre; ce qui distingue ce processus du schéma général de toute intervention du signifiant, c'eSl que le pôle de la division du sujet n'est plus la refente même, q u i " les " distribue e n " couple" , mais u n autre signifiant obligé, qui y eSt pôle, convergence, rassem­blement, et en même temps, germe, bouture : la jouissance. La

I . D u moins pas en ce moment ; car les situations peuvent être inversées. I l y a chute et repentir possibles. Tout homme eSt faillible et tout homme eSl susceptible de progrès moral ; puisque le critère en eêl situé ailleurs qu'en son " aéHon, pensée, parole et omission ". Le sadien au contraire eSt toujours dans l'élément de sa " loi " ; puisque c'eSt la " loi ", son discours, qui le suscite comme élément de son énoncé.

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pudeur, c'était justement le refoulement (névrotique) de la jouis­sance. L'impudeur du " tout-dire " sadien, c'eSl l'aveu de la jouis­sance, par lequel e§t posé le discours comme sadien (comme per­vers). Ce que cet aveu pose, c'eSt sur le fonds de tout discours : sur le " fonds tuant de tout impératif " , le lieu de l 'Autre. Ce qui est érigé comme pôle de la maxime sadienne, c'eSt donc, du même mouvement, effondrement par absence de fondement, — par fonde­ment au lieu de l 'Autre.

A la croisée de ces deux déterminations, c'eSt donc d'une croix que l'expérience sadienne se constitue. N o n pas la croix d'un cal­vaire seulement, mais la barre dont la jouissance elle-même se barre, — fout le camp.

(§ 47) Mais avant de dire quel eSt le ressort de l'expérience sa­dienne, Lacan examine celui, en celle-ci, de la douleur. Elle " pro­jette ici sa promesse d'ignominie " , mais pas comme n'importe quelle " angoisse " . Ce qu'elle promet, c'eSt d'être ignoble, sans-nom. Elle est telle, dans l'expérience, que l 'ignoble, ce n'eSt pas de la provoquer ou de la ressentir, mais, intrinsèquement, de dire-son-nom dans le processus. La douleur n'eSt pas autonome. Elle n'a pas de quoi démonter le processus; elle n'en eSt pas u n rouage. Kant le disait explicitement : le sujet moral ne se détermine que par rapport au Gute et au 'Rose, au Bien et au M a l , non par rapport au plaisir et à la douleur. Celle-ci n'eSl pas le principe déterminant de la volonté. Déjà les Stoïciens quittaient le lieu de la volonté pure, lorsqu'ils trouvaient dans le mépris de la douleur de quoi fortifier leur volonté de jouissance du Souverain Bien. " Rabattre cette jouissance à l'effet où trébuche sa recherche " , soit une jambe cassée, c'eSt " la tourner en dégoût " , c'eSl passer du Bien moral au désagréable immoral . C'eSl tomber du plan de l'obéissance à la l o i , donc de la puissance, à celui de la soumission à la connexion des phénomènes. Pour l'expérience sadieime, le mépris de la dou­leur, ce serait sa prise en considération : ce serait être vaincu par elle. Aussi la douleur, comme son mépris (son contrepoids), ne sont-ils démontants que pour une expérience qu i n'eSl plus sa­dienne. Dans le fantasme de celle-ci, c'eSl la jouissance (corrélat de la volonté kantienne) qui eSt le seul mode de fonctionnement. Les Stoïciens, dans leur mépris, sont rien moins que sadiques : dans la recherche du Souverain Bien (de la jouissance sadienne).

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ils prennent l'effet pour le principe. Et s'il eSl vrai que le sadien comme le kantien, dans l'exercice de leur volonté de jouissancfc, trébuchent, ce n'eSt pas pour autant leur volonté de jouissance eUe-même qui trébuche : elle eSl au-dessus de tout bon ou utile (Kant) , de tout plaisir ou de toute douleur (Sade), parce que dans son exercice elle soutient cela même qui la tient, tient en dessous cela même qui ne saurait par conséquent faire i r rupt ion , mettre le bâton dans la roue de son fonctionnement.

Mais c'est qu ' i l eSl u n terme trans-phénoménal capable de tenir cette fonction : u n terme qui crée le phénomène comme tel et par conséquent aussi l'annihile, pour autant qu ' i l a toujours sur l u i la préséance, que le phénomène soit de plaisir ou de douleur. Ce terme, c'eSl chez Kant la raison pure pratique comme principe trans-phénoménal de la maxime morale, comme cause nouménale produisant tout objet, selon l 'ordre des phénomènes, mais à t itre de condition a priori, inaccessible donc à ce qu ' i l conditionne. Chez Sade, c'eSl la jouissance. " La jouissance eSl ce dont se modi­fie l'expérience sadienne " ; elle eSl son mode, sa façon. Ce qu'eSl l'expérience sadienne, c'eSl ce que la jouissance façonne.

Mais à la différence de l'assignation causale kantienne, qui en était réduite à placer le deStin de la liberté dans les mains incon­naissables de sa vraie Parque, réduisant les déterminations de celle-ci à des postulats, formulés selon ce qu'on eSt enclin irrépressible-ment à croire, sans pouvoir le déterminer théoriquement, l'expé­rience sadienne a les modes de la jouissance, qui sont déjà terminés par ce qu'on sait de celle-ci; or ce q u ' o n " en " sait, c'eSl la SlruChire même qui a donné à la jouissance cette place, comme marquée et appelant à être remplie : la SlruChire du sujet. Que la jouissance détermine le sujet, qu'elle " accapare sa volonté " , cela veut dire seulement que le sujet, dans l'intimité de sa constitution, eSt " pro­voqué au-delà " , sans cesse déconSlitué, par la jouissance qui s'y trouve au titre de rouage de la constitution : la pudeur du sujet étant ce qui sumre le mécanisme dont i l fonctionne, la lo i du désir. Laquelle, à " s'avouer impudemment " , semble alors faire que la volonté du sujet soit accaparée. Mais en réalité, c'était dans la pudeur que la volonté était accaparée, du moins la volonté au sens pur de détermination subjeCtive de la pratique. Le sujet kantien, au moment où i l se détermine selon la rationalité de la l o i , n'a

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aucune pudeur : i l n'a rien à cacher, car lui-même n'eSt rien d'autre que cela qui eSt déterminé rationnellement. Sans doute alors, le mot " pratique " , ou " morale " , peut-il apparaître restreint, ou plutôt, son emploi abusivement étendu à ce qui eSt le plus ténu de la pratique. Mais c'eSl que l a " pratique " , ce n'eSt pas" les choses " , " tout ce que fait quelqu'un " . I l n'y a pas cependant de diStindion de mots à faire, car c'eSt bien une même chose qui eSl à l'œuvre dans les deux sens, ainsi définis, de la pratique : dans le mécanisme sadien-kantien, ic i , de la l o i , la pratique désigne ce sur quoi se tient toute " réalité " , le discours, que Kant appelle ici raison, et dont la partie spéculative (non pratique) entretient avec son sub­strat des rapports qui n'ont rien de symétrique n i de réciproque. Ce qu ' i l y a de contraignant dans le fantasme sadien, sa l o i , c'eSt en effet ce qui réglemente, en un certain ordre signifiant, tout une " matière " qui a ses propres réglementations, mais plus au niveau de la subjectivité comme Strudure qui inscrit toute " conscience " . A tel point que le point extrême de la Strudure de la lo i subjedive, désigné ici comme jouissance, eSt déjà " à l'extérieur " du sujet, au sens où i l s'y évanouit, ce qui veut dire que lui ne s'y évanouit jamais, puisqu'il doit se tenir en deçà pour être seulement cons­titué. I l trouve ainsi son Autre, celui, où ce n'eSt plus l u i qui eSl, et où sa SlruChire cependant se trouve ordonnée sur d'autres modes que celui de l'être. Kant avait trouvé la chose-en-soi, comme nou-mène, et effectivement la causalité qu ' i l assigne dans le sens du transcendantal au phénoménal, comme logique du discours, nous pouvons maintenant en formuler la réciproque : la chose-en-soi ne peut être que pensée, parce que ce n'eSl rien d'autre que la pensée se heurtant à des limites qui ne sont pas les siennes. Q u ' i l n'y ait là qu'un fantasme, parmi d'autres, telle eSl la vraie limite de la phénoménologie kantienne. Mais que ce fantasme soit décrit de telle sorte que sa rigueur se perde dans la Critique de la Raison pratique, c'eSl le texte même de Kant, qui n'a pas fini d'être lu : à savoir que, comme limité par une force logique interne, i l pré­pare la mise en place de ce qui l'intégrera à sa place dans la logique du signifiant : à ce titre, c'eSl toute la Raison pure qui se présente à nous comme vierge encore des schèmes qui permettent de rendre compte non plus de ses schèmes propres, mais du travail théo­rique dont ses schèmes logiques reflètent l'efîeChiation : car i l en

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eSt qu i ne sont pas des reflets, mais des mutations effeâives de la matière première idéologique.

" Car la pudeur eSl amboceptive des conjonChires de l'être " , elle est le canal qui porte cette faille qu'eSl la jouissance, qu'elle cache en la portant, mais qui , la démasquant à son tour dans l ' i m ­pudeur, démasque le chemin parcouru : hors des deux êtres pu­diques, hors de l'être, au sens où le hors eSl le lieu de l 'Autre.

N'oublions pas que cette rigidité logique des signifiants n'eSl pas à son tour, en bloc, rejetable à l'extérieur simple de la pensée, puisque le sujet pensant ne pense que grâce à cette rigidité même, qu i l u i assure le retour de sa division de l 'Autre. Ce n'eSl pas u n jeu de cubes, sauf dans le cas privilégié où la pathologie sadique scelle si bien les termes dégagés que leur fonctionnement apparaît comme dénudé à un regard qui ne doit pas cependant être aveugle à ce que c'eSl toute une part, une Strate de son regarder q u ' i l a ainsi sous son regard.

Si cette jouissance eSl " précaire d'être suspendue dans l 'Autre à u n écho qu'elle abolit à mesure, d'y joindre l'intolérable " , c'eSl que comme la liberté kantienne, elle a besoin pour se déterminer de déplacer les conditions de sa détermination. Et cependant, ce décalage n'eSt pas impensable : i l requiert seulement une autre pensée, celle de la logique du fantasme. D'où Lacan eSl fondé à dire que la jouissance eSl " précaire " , et non " impossible " , de même que la liberté kantienne n'eSl pas " impossible " , mais pos­sible dans les limites mêmes de sa détermination, à savoir l'alliance avec le fondement de toute nécessité possible : pour la jouissance, que l 'Autre en tant que " libre " énonce, cette limite, ce sera non pas une " nécessité " , mais " une autre, horrible liberté " , — où l ' o n voi t que nu l des deux mots ne suffit, et que tous deux conno-tent trop leur différence mutuelle pour tenir lieu d'un même con-cept : Lacan ne dira pas " désir " , i l écrira : O

Mais voilà que pour fonder l'autonomie de cette conjonChire de l'être où le sujet eSl déterminé à être libre, et la liberté à n'être qu'au sujet, nous avons supposé, sans le savoir, un fond, quant à l u i sans faille, quand i l fonctionne comme ordre signifiant ordon­nant l 'ordre faillible de la lo i du désir. Aussi ne le poserons-nous pas à son tour comme tel , ce qui serait l'effacer, barrer son ordon­nance propre, y faire la faille que nous voulons fixer dans le pre-

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miet. Comment faire: produire direftement dans le premier ce qui s'y marque pour ne pas être manquant seulement dans le se­cond. Une telle marque eSt présente déjà dans la rigueur du système kantien, mais i l eSt vrai qu'elle y eSt introuvable, techniquement, à qui " la " répartit, peut-on dire, dans tout signifiant possiblement isolé dans le texte, sauf précisément u n signifiant de l'espèce de ceux qui se donnent pour signifier quelque chose, et que, réduits au texte kantien, nous aussi pouvons seulement nous donner : ce n'eSt que rétrospeCHvement que nous retracerons cette trace partiellement, en suivant à la trace ce que, pour ne jamais le trouver, nous connaîtrions cependant assez à la trace que nous ferions à le suivre. Mais cet objet, le voilà " descendu de son inaccessibilité, dans l'expérience sadienne", qui ne s'eSt pas appliquée à sa recherche, mais qu'un léger décalage, pour autant, dévoile " comme être-là, Dasein, de Vagent du tourment " . Comment cela ? Aussi peu rigou­reusement que l'hétérogénéité, au regard d'ordres signifiants plus larges, par exemple sémantiques " linguistiques " et plus étroite­ment techniques, de jouissance, volonté, désir, et avec la même rigueur que celle qui abstrait dans ces termes leurs rapports dans u n sys­tème logique consistant, dont u n vocabulaire donne un modèle, quels que soient ses autres rapports signifiants. Ainsi " l'agent du tourment " , par sa place dans u n discours autre que celui du droit à la jouissance, se trouve propre à élargir celui-ci par son ambiguïté : n'y pas appartenir autrement que comme représen­tation de ce qui ne l u i appartient pas. Nous sommes ici au comble de l'arbitraire : arbitraire formel " volontaire " qui ne fait qu'enté­riner l'office qu'un autre arbitraire l u i fait.

Si l 'on devait, à ce point , rechercher rétrospectivement un signifiant qui emplît cette fonâion chez Kant, comme nous l'an­noncions, ce seraient, mais sans usage autre que didaCtique (impos­sibilité technique), les efforts de Kant , matérialisés dans toute leur longueur, divisés dans leurs rationalisations partielles, pour trouver ce signifiant : l'agent du tourment, chez Kant , ce serait cet objet qui l u i échappe, mais non sans le tourmenter, puisqu'i l fait savoir qu ' i l s'échappe.

Rencontre utile à noter : que l'agent d u tourment, entendons bien : ce qui eSl chez Kant le signifiant q u e " l'agent du tourment " eét dans le fantasme sadien, se montre, si on le montre ainsi, dans

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l'évidence d'une matérialité extérieure à tout sujet : dans le fiant écrit, déjà énoncé, dont la division même eSt écrite. Ce qid eSl de la plus haute importance, car à condition de ne pas projeter en retour l'image simple d'une division graphique sur l'image du discours de chaque sujet, ce qui serait favoriser une suture d'autant plus redoutable qu'elle asservirait toute production de connais­sance aux lois spécifiques de l'imaginaire, en parasitant l'écoute du symbolique comme effet de connaissance, — à condition de ne pas céder à cette tentation du virtuel , on a là, rigoureusement, c'eSt-à-dire avec la force contraignante du clair-et-diStinâ: visuel, l'exemplaire d 'un cheminement qui n'aille pas du discours à " sa " représentation, mais de la " représentat ion" graphique au dis­cours auquel elle eSt absolument première.

Aussi bien ne sommes-nous pas au bout de nos peines : visible, l 'objet ci-devant transcendant eSt encore opaque. C'eSt-à-dire que son ordre signifiant à l u i eSl encore à découvrir, étant bien entendu que s'il eSl à cette place de signifiant visible, c'eSt dans la mesure seu­lement où i l n'efi plus le signifiant de l a " logique du signifiant " dont i l comble la lacune. L'agent du tourment, le mot écrit, nous savons suffisamment maintenant ce qui les lie au " sujet " pour ne pas retomber dans le piège que pourrait constituer l'exemple suivant de Lacan, le " héraut de la maxime " comme " voix à la radio " : dans sa fondion dans le mécanisme, elle eSt proprement : une voix à la radio, — rien de moins qu'un sujet. Elle eSt : point d'émis­sion, vibration de haut-parleur, etc., plutôt que : sujet. Car savoir ce qu'elle eSt, nous avons dit que c'eSt le problème d'une autre science du signifiant dont nous saisissons à peine les contours.

Mais ces contours nous servent à saisir ce que sans cela nous n'aurions pas compris, faute de détours : que le phénomène des voix, dans la psychose, soit de cet ordre; autrement d i t que le psychotique qui entend des voix a " en lu i " , c'eSt-à-dire en son psychisme comme Autre de ce qui le constitue comme sujet (la chaîne signi­fiante refendue), cela même que nous voyons écrit à l'encre et que nous entendons à la radio. Où l 'on saisira le caradère aussi minuscule que fondateur de la StruChire du sujet au point de la recherche lacanienne : et aussi que le fondamental, ce n'eSt pas ce minuscule, mais le fond qui l'assigne comme tel (cf. encore une fois. A , Badiou, C.A., n» 10). Indication dont on a maintenant les

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éléments pour juger de la portée : ce sont les phénomènes de la psychose qui ont fourni à Lacan ce qu ' i l ne pouvait pas chercher : les phénomènes les plus pathologiques, la plus grande deStruéhira-t ion du sujet, où se décante le schéma le plus pertinent de la Struc­ture. Nous n'insistons pas sur ce point qui eSt suffisamment reconnu maintenant pour n'être pas seulement méthodologique, mais épiStémologique (second caradtère théorique dont i l tient le premier). La psychanalyse en son aurore, soit Freud et le cas Schreber par exemple, ne manquait que de cette décantation et de son résultat pour rapporter la voix la plus " intérieure " de la conscience (les voix de Kant, la voix du désir, la ratio déter­minant, forgeant la " pensée " la plus élémentaire) à cet extérieur radical du signifiant tel qu'on le constate dans la psychose. Mais pour autant qu ' i l faut y aller radicalement pour concevoir le signi­fiant dans sa matérialité, c'eSt non moins radicalement q u ' i l faut revenir du cas-limite de la psychose pour penser le signifiant dans son ordonnance subjeétive. Car c'eSt d'une tout autre consistance que celle de la matière qu ' i l y eSt réglé. Aussi laissons-nous le leâeur sur le devoir d'aller apprendre de la suite de l'article le Statut qui y eSt décrit de l'agent du tourment dans le fantasme sadien.

(novembre 196S.).

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