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PARTIS POLITIQUES
ET SYSTEME PARTISAN
EN FRANCE
Sous la direction de
FLORENCE HAEGEL
PARIS, PRESSES DE SCIENCES-PO, 2007
CHAPITRE 2 / POUR UNE HISTOIRE SOCIALE
DU DECLIN DU PARTI COMMUNISTE
Julian MISCHI
Étudier le Parti communiste français (PCF) dans la période contemporaine
revient, pour l’essentiel, à mettre en évidence la diversité des formes –
idéologiques, électorales, militantes – de son déclin, et les raisons, à la fois
politiques et sociales, endogènes et exogènes, de ce décrochage. Depuis la fin des
années 1970, on assiste en effet à une réduction continue des réseaux militants et
de la puissance électorale de ce parti, qui se caractérisait auparavant par des
capacités, exceptionnelles pour une organisation politique française, de
mobilisation des classes populaires1. Après l’apogée de 1979, avec officiellement
700 000 adhérents, la rétraction du nombre de cotisants est importante : 380 000
en 1984, 330 000 en 1987, 274 000 en 1996, 180 000 en 1999, environ 130 000 en
2006. La régression électorale est tout aussi prononcée puisque, pour s’en tenir
aux résultats les plus significatifs, c’est-à-dire à ceux du premier tour des scrutins
législatifs, les candidats communistes obtiennent en moyenne 20,7 % en 1978,
11,2 % en 1981, 9,6 % en 1986, 7,8 % en 1988, 9,1 % en 1993, 9,8 % en 1998 et
4,8 % en 2002.
Rendre compte du déclin du PCF nécessite de dépasser ce travail de
comptage qui a pu favoriser des commentaires en termes d’« inadaptation »,
décrivant un parti qui ne serait plus « en phase » avec la société actuelle. Certaines
études en restent ainsi essentiellement au constat d’un déclin inéluctable de cette
organisation, renseignant en fait peu sur les modalités sociales, historiquement
situées, de son délitement. C’est particulièrement le cas des analyses qui tendent à
réduire la crise du PCF à l’essoufflement de son offre idéologique : la doctrine et
le programme du parti seraient inadaptés à l’évolution de la société. Non
seulement cette explication idéologique est insuffisante car, focalisée sur la
production, elle ignore le plus souvent la réception sociale du discours
1. Sur cette « crise » du PCF, voir le chapitre « Déclin » de Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, Paris, PUF, 1995 [rééd. 2000], p. 399-455 ; ainsi que Marie-Claire Lavabre et François Platone, Que reste-t-il du PCF ?, Paris, Autrement / Cevipof, 2003.
institutionnel, mais surtout, elle sous-estime les jeux sociaux et locaux
d’appropriation des messages politiques. Il est à cet égard utile de rappeler
l’importance, dans les mondes ruraux, du soutien des petits exploitants familiaux
au PCF, malgré le caractère collectiviste de la doctrine marxiste-léniniste et alors
même que ces catégories sociales occupent une place mineure dans le dispositif
idéologique de ce parti2. Certains analystes se plaisent ainsi à déceler les
contradictions idéologiques des partis politiques sans jamais s’interroger sur la
pertinence de ce caractère « contradictoire » non pour eux-mêmes mais pour les
agents qui se mobilisent et s’approprient les marques partisanes3.
L’autre écueil à éviter, en quelque sorte inverse, est la vision
sociologiquement mécaniste de la crise du PCF comme simple reflet, dans la
scène politique, de la « disparition » ou de la « fragilisation » des classes
populaires. En associant logiquement déclin ouvrier et déclin communiste, cette
lecture a tendance à réduire les mondes populaires à leurs organisations
représentatives, sans véritablement interroger les liens changeants entre la scène
politique et ces catégories sociales. Ramener la perte d’influence du PCF à une
autre « crise », celle, sociale, des classes populaires, renseigne en soi peu sur ce
retrait communiste des milieux populaires. Puisque l’on part du constat, non d’une
disparition, mais d’une mutation des classes populaires, c’est la question de la
distanciation entre le PCF et ces catégories sociales qui mérite d’être interrogée et
non posée comme une évidence. La crise du travail d’identification communiste
dans les milieux populaires trouve en effet également sa source dans l’institution
communiste, dans les pratiques et le personnel politique qu’elle promeut depuis
les années 1970. En outre, la relation logique entre crise de reproduction des
groupes ouvriers et paysans et déclin des organisations communistes n’est pas une
évidence puisque les réseaux militants se sont aussi construits dans une
déstabilisation des sociabilités populaires, notamment dans la crise des bassins de
la seconde industrialisation4.
2. Voir le dossier spécial « Les “Petites Russies” des campagnes françaises », Études rurales, 171-172, décembre 2004. 3. Le travail en cours de Catherine Leclercq souligne au contraire l’intérêt de ramener les processus de désidentification aux logiques contextualisées de la socialisation individuelle, voir Catherine Leclercq, « “Raisons de sortir”. Le désengagement des militants du Parti communiste français », dans Olivier Fillieule (dir.), Le Désengagement militant, Paris, Belin, 2005, p. 131-154. 4. Sur la genèse des réseaux communistes dans des contextes de désagrégation des sociabilités populaires, voir Julian Mischi, « Travail partisan et sociabilités populaires : observations localisées
Pour nuancer l’image d’un déclin structurel et naturel de la politisation
communiste des classes populaires, pour contrer l’idée de l’inéluctabilité d’une
« crise » qui serait, selon les « entrepreneurs de déclin du PCF »5, inscrite à
l’avance dans l’histoire de ce parti, cette contribution vise à souligner la
complexité du désengagement populaire vis-à-vis du PCF, en insistant sur ses
dimensions conflictuelles6. Au-delà de la décrue quantitative du nombre
d’adhérents et d’électeurs, la récession du PCF prend en effet la forme, inédite
dans l’histoire de ce mouvement, d’une remise en cause générale de la place du
parti dans ses zones d’influence, d’une dissociation de l’entreprise partisane sous
l’impact de forces centripètes. La dislocation du système d’action communiste
s’opère autour de conflits opposant des groupes qui s’estiment les légitimes
dépositaires de la marque communiste, c’est-à-dire autour de luttes de placement
institutionnel qui ne sont pas seulement institutionnelles mais qui renvoient
surtout à des luttes sociales. Ce travail s’inscrit dans une perspective d’histoire
sociale locale (ou de socio-histoire selon le label mobilisé), analysant les
organisations politiques dans leurs contextes sociaux et locaux. Menée avec de
très beaux résultats pour des périodes passées, en particulier au XIXe siècle, dans
des lectures en termes d’implantation ou de politisation inspirées notamment des
travaux de Maurice Agulhon, cette approche est relativement peu appliquée à la
période contemporaine et au déclin des partis. Or, elle permet de rendre compte de
la dissociation de l’entreprise communiste par un éclairage sur la crise des
systèmes d’action communiste locaux7. Il s’agit donc ici d’analyser l’érosion
de la politisation communiste », Politix, 63, 2003, p. 91-119. 5. Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de Sciences Po, 1989, p. 278-279. 6. Menée dans une autre scène, celle des dirigeants et des intellectuels d’institution, l’analyse que fait Bernard Pudal de la crise de la « vocation communiste » conduit également à ne pas voir dans le déclin du PCF « le résultat mécanique d’une nécessité historique extérieure au communisme », voir Bernard Pudal, « La crise intellectuelle du communisme français », dans Frédérique Matonti (dir.), La Démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005, p. 97-116 ; ainsi que Bernard Pudal, « La beauté de la mort communiste », Revue française de science politique, 52 (5-6), octobre-décembre 2002, p. 545-559. 7. Nous suivons en cela les pistes formulées par Bernard Pudal : « C’est, en effet, au ras des pratiques militantes quotidiennes que certains acteurs adressent à leur institution des “demandes” nouvelles en identité politique qui contraignent au travail de reconversion de la sociation partisane. Ces “demandes” en identité politique peuvent être suscitées par une multitude d’événements, s’inscrivent dans des contextes “locaux”, font l’objet, suivant les moments, de toutes sortes de coups tactiques : du “laisser-faire” aux conflits ouverts en passant pas toutes sortes de transactions. […] L’étude de “la” crise du PCF supposerait donc l’analyse de ce type de “conflits” partisans internes, difficiles à appréhender (problèmes de sources, nécessité d’un travail ethnographique) mais qui sont seuls à même de donner à comprendre certaines des logiques d’utilisation du
d’une homogénéisation partisane, en la rapportant non seulement aux mutations
de l’appareil partisan, mais aussi à la transformation des conditions sociales de la
mobilisation politique en question. En défendant la fécondité d’une histoire
sociale du politique, nous nous inscrivons dans la lignée de travaux qui, à la
confluence de l’histoire et de la sociologie, se sont attachés à dévoiler l’existence
de rapports de pouvoir structurés en fonction des positions institutionnelles qui
sont investies socialement, en particulier, pour le cas communiste, outre les
travaux déjà cités de Bernard Pudal, ceux de Sandrine Kott8 et de Jean-Noël
Retière9.
Le déclin contemporain du PCF est ainsi observé dans des rapports
sociaux localisés, et l’analyse, non réduite à l’institution politique stricto sensu,
prend en compte les réseaux sociaux alimentant le parti. Pour cela, nous nous
inspirons de la lecture de Frédéric Sawicki en termes de « milieu partisan »10, qui
permet de rapporter le processus d’homogénéisation partisane aux différents
secteurs sociaux (associatifs, syndicaux, électifs, etc.) mis en jeu, et ainsi, d’éviter
de « rabattre la production des identités partisanes sur le travail des dirigeants11 ».
Partir du milieu partisan, toujours situé dans des configurations localisées
singulières, invite à appréhender les types de ressources mobilisées (nationales,
locales, politiques, associatives, etc.) en fonction du milieu social local et du
contexte politique. Les ressources institutionnelles sont actualisées dans des
espaces singuliers par un travail politique : elles prennent sens et efficacité en
fonction du territoire investi mais aussi de la stratégie nationale du parti. Enjeu de
lutte dans les scènes politiques locales, le « capital collectif partisan » est ainsi
mobilisé par des acteurs politiques locaux afin d’accroître leur pouvoir et délaissé
brouillage des règles du jeu interne à l’occasion duquel chacun avance “ses” pions, modifiant les rapports de force en présence et recherchant des “formulations” », Bernard Pudal, Prendre parti, op. cit., p. 296-297. 8. Sandrine Kott, Le Communisme au quotidien. Les entreprises d’État dans la société est-allemande, Paris, Belin, 2001. 9. Jean-Noël Retière, Identités ouvrières. Histoire sociale d’un fief ouvrier en Bretagne, 1909-1990, Paris, L’Harmattan, 1993. 10. Entendu comme l’« ensemble des relations consolidées entre des groupes dont les membres n’ont pas forcément pour finalité principale de participer à la construction du parti politique, quoiqu’ils y contribuent en fait par leurs activités », Frédéric Sawicki, Les Réseaux du Parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997, p. 24. 11. Voir Frédéric Sawicki, « Les partis politiques comme entreprises culturelles », dans Daniel Cefaï (dir.), Cultures politiques, Paris, PUF, 2001, p. 210.
en période de crise12. Pour un parti en situation de déclin comme le PCF, la
prééminence des ressources institutionnelles nationales (légitimité partisane,
proximité avec la direction) sur les ressources locales (légitimité locale d’élu,
notoriété associative) tend à s’estomper. Plus que sur l’emboîtement entre les
différentes échelles territoriales13, nous allons surtout mettre l’accent ici sur
l’intérêt d’une telle approche pour la compréhension des rapports sociaux internes
aux milieux partisans. Derrière le déclin national du PCF, sur lequel se centrent
les commentateurs, une analyse localisée dévoile la désagrégation des
écosystèmes communistes locaux autour de groupes pouvant désormais se
prévaloir de façon concurrente d’une légitimité communiste dont l’appareil
partisan a perdu le monopole.
Cet éclatement semble s’opérer surtout à partir de la fin des années 1970,
lorsque les conflits intrapartisans se généralisent et, surtout, se publicisent. Les
désaccords ne sont plus réglés, en interne, au sein même du monde communiste,
car la puissance normative de l’institution politique n’est plus assurée, mais
ouvertement, en mobilisant des réseaux extrapartisans. Cette appréciation provient
de l’exploitation des archives de l’organisation communiste récemment
disponibles et, en particulier, de celles provenant des deux terrains mobilisés pour
cette contribution et choisis pour leur diversité sociopolitique : la région urbaine
grenobloise et le plateau minier semi-rural du Pays-Haut lorrain14. Ces archives
portent la trace des conflits croissants qui mettent aux prises, de façon désormais
publique, élus, syndicalistes et responsables politiques. Bien qu’appartenant au
même parti, ces communistes peuvent entrer ouvertement en opposition à partir de
la fin des années 1970, soulignant ainsi la perte d’efficacité des processus
symboliques et politiques d’identification au parti dans cette période. La crise du
PCF peut donc être analysée à partir de conflits autour de la marque communiste,
qui émergent lorsque la direction du parti n’est plus en mesure de contenir les
oppositions entre les différents segments du milieu partisan. Ces luttes
concurrentielles pour la définition de marque partisane reflètent des trajectoires
12. Selon les concepts mobilisés par l’analyse sociologique des partis de Michel Offerlé, Les Partis politiques, op. cit., p. 51-54. 13. Voir la contribution de Julien Fretel dans cet ouvrage. 14. Cette étude a pu être menée grâce à l’ouverture des archives fédérales du PCF. Je tiens à remercier les militants qui m’ont aidé dans mon enquête, en particulier, pour les aspects évoqués ici, Claire Tranchant en Isère, et Patrick Hatzig en Meurthe-et-Moselle.
sociales et institutionnelles divergentes au sein même du monde communiste, des
investissements socialement différenciés de la marque communiste au niveau
local. Afin de dévoiler les ressorts sociaux de cet éclatement des réseaux
communistes, nous n’analyserons pas des contestations politiques nationales
animées par des militants au fort capital culturel, mais des luttes moins
idéologiquement repérables, mobilisant des groupes en différenciation sociale
accrue dans les milieux de forte influence communiste. À partir de plusieurs cas
de conflits opposant différents types de militants communistes, il s’agit donc de
souligner en quoi le déclin du PCF s’accompagne non seulement d’une
démobilisation politique des classes populaires, mais aussi d’une réorientation de
l’engagement de celles-ci au sein même du parti puis, progressivement, hors de
celui-ci.
Conflits sociaux en mairie communiste
Les municipalités communistes constituent un terrain privilégié
d’observation des conflits émergeant entre différents groupes, mobilisant de façon
concurrente la marque communiste. L’érosion de la relative homogénéité des
« milieux partisans » locaux, assurée auparavant par les agents de l’appareil
(cadres fédéraux, envoyés du Comité central), prend en effet la forme, à partir de
la fin des années 1970, de luttes « catégorielles » ayant une ampleur et, surtout, un
caractère public inédits dans les mairies communistes. Ces luttes mettent aux
prises, d’une part, les élus communistes, généralement appuyés par la direction
fédérale du parti, et, d’autre part, des salariés des services municipaux,
fréquemment soutenus par les cellules des communaux et la CGT. Structurées
autour de revendications sociales, elles ont été délaissées jusqu’ici par les
chercheurs, faute d’archives disponibles, mais aussi parce que ces contestations
sont souvent considérées comme étant peu politiques, c’est-à-dire comme étant
éloignées des oppositions nationales idéologiquement plus visibles des
rénovateurs, reconstructeurs et refondateurs. Or, ces rivalités sociales sont
significatives de la crise du PCF et de ses soubassements sociaux puisqu’elles
renseignent sur les mutations de l’insertion de cette organisation dans les milieux
populaires. Précédant le plus souvent les vagues de contestation nationale portées
par des intellectuels et des élus, elles illustrent la décomposition des réseaux
communistes locaux autour d’allégeances sociales désormais ouvertement
concurrentes. Ces conflits, impulsés initialement par des enjeux catégoriels
d’ordre professionnel, expriment rapidement des oppositions politiques renvoyant
à des trajectoires sociales divergentes.
Penchons-nous sur l’émergence de ce type de conflit dans l’une des
principales municipalités communistes de l’agglomération grenobloise, Saint-
Martin-d’Hères (36 000 habitants en 1999). Bourg rural au début du XXe siècle,
cette commune connaît un essor démographique exceptionnel à partir de l’entre-
deux-guerres et de l’installation d’entreprises industrielles, notamment la
biscuiterie Brun et les ateliers de construction mécanique Neyrpic. Les militants
ouvriers syndicalistes installés dans les nouveaux quartiers ouvriers, en particulier
à la Croix Rouge, construisent les réseaux communistes locaux dans une
opposition au pouvoir politique des notables ruraux. À l’instar des deux autres
principales communes de la banlieue de Grenoble (Fontaine et Échirolles), ils
accèdent au pouvoir municipal après la Seconde Guerre mondiale. À partir de la
fin des années 1970, la mairie connaît plusieurs conflits sociaux autour de la
mobilisation de fonctionnaires territoriaux, militants communistes, appartenant
essentiellement aux catégories ouvrières. Environ 70 salariés municipaux militent
alors dans trois cellules (ateliers, bureau d’aide sociale, administration) et éditent
un journal, Commune. Dans le numéro d’octobre 1979, ils critiquent le manque de
transparence de la gestion municipale, à propos notamment de l’abandon du projet
de construction d’un nouvel hôtel de ville :
« Nous, communistes, avons été surpris par la pratique de la démocratie
locale d’une municipalité d’union de la gauche sur un problème d’une telle
importance. Partant du fait que les travailleurs doivent être associés aux décisions
concernant leurs conditions de travail, et de leurs éventuelles modifications, il nous
semble indispensable qu’il y ait concertation au départ, ne serait-ce que sur la
décision même d’abandonner la construction d’un nouvel Hôtel de Ville pour
quelque autre solution. En conséquence, nous demandons à la Municipalité
d’engager des négociations avec l’ensemble du personnel, ses représentants et les
organisations syndicales, et de fournir également au personnel les raisons précises
de ce déménagement, à Neyrpic en particulier15. »
15. Commune, Saint-Martin-d’Hères, 27 octobre 1979, Archives de la section du PCF de Saint-Martin-d’Hères (ASSMH).
À ces critiques du processus décisionnel municipal s’ajoute un soutien aux
revendications des salariés du bureau d’aide sociale concernant leurs conditions
de travail :
« Nous soutenons les revendications des travailleurs du [bureau d’aide
sociale], à savoir le maintien de la journée continue, et nous posons le problème
des horaires pour les autres catégories du personnel. Nous pensons que toute
remise en cause, notamment des horaires, ne peut être envisagée en dehors des
avantages acquis et sans consultation du personnel et des organisations
syndicales. »
Ces critiques sont renouvelées un an plus tard par les militants des ateliers
municipaux dans un tract :
« Nous constations cependant que la situation concernant les conditions de
travail et de sécurité des travailleurs des ateliers restent depuis longue date et après
diverses interventions sans réponse16. »
Les employés concernés mettent en avant leur identité de « militants
communistes » d’une part et de « travailleurs » d’autre part. En ne passant plus
seulement, comme auparavant, par des canaux internes au parti mais en
s’appuyant également sur des outils d’expression publics (journaux de cellule,
tracts), ce mouvement souligne qu’il est désormais légitime pour un militant de
porter des revendications sociales face à son institution communiste
d’appartenance. Le ressort syndical de cette mobilisation est important car ces
militants sont généralement adhérents à la CGT. C’est sous cet angle syndical que
la direction locale du parti, qui tend à soutenir l’équipe municipale dans ce conflit,
cherche à résoudre le problème : il s’agit de responsabiliser les militants
syndicaux en rappelant que le lien au parti prime sur l’affiliation syndicale. Les
« camarades communaux ayant des responsabilités à la CGT » sont ainsi
convoqués à une réunion avec le secrétariat de la section locale au début de
l’année 1981, au cours de laquelle ils sont rappelés à l’ordre. Lors de cette
entrevue, le responsable local du parti souligne que les communaux sont dans
« une situation bien particulière », il évoque :
« Une spécificité pour y organiser leur action en se gardant de reproduire
purement et simplement des mots d’ordre généraux inadaptés à la situation ou à la
16. Tract de la cellule Daniel Ferry, 14 novembre 1980, ASSMH.
nature de l’entreprise. Les services municipaux sont en effet une entreprise pas
comme les autres. […] En aucun cas une municipalité ne saurait être assimilée à un
patron du privé. […] Les collectivités locales sont actuellement le point de mire du
pouvoir, car se situant aujourd’hui à la charnière de l’État et de la société. […] Il
faut bien reconnaître que certains communistes assumant des responsabilités
syndicales, à tous les niveaux, se considèrent comme dispensés de contribution à la
vie, à la lutte du Parti [et développent une] théorie anarcho-syndicaliste17. »
Malgré tout, les relations restent houleuses et, en octobre 1981, trois
employés municipaux qui se sont absentés pour assister à une assemblée
départementale exceptionnelle de la CGT, dont le secrétaire de la section
syndicale des ateliers également trésorier de sa cellule communiste, sont
sanctionnés. Une grève de la faim est entamée au centre de secours communal par
des sapeurs-pompiers. Quelques jours plus tard, le syndicat CGT des sapeurs-
pompiers professionnels, dont les militants communistes appartiennent à la cellule
des ateliers municipaux, s’adresse directement aux cadres du parti après la prise
de nouvelles mesures disciplinaires :
« La responsabilité de cette affaire incombe totalement à la désastreuse
façon de négocier des élus municipaux, soucieuse de préserver à tout prix des
rapports dans le travail basés sur la “toute-puissante hiérarchie”, sans possibilité
d’expression et d’initiative de la base. La démocratie, l’autogestion ne peuvent pas
rester des mots creux que l’on utilise pendant les campagnes électorales18. »
L’accession de la gauche au gouvernement libère en effet les
revendications sociales :
« Avec la victoire des forces populaires et la constitution d’un
gouvernement d’union de la gauche, nous pensions au moins qu’en ce qui
concernait les droits et les libertés syndicales à Saint-Martin-d’Hères, notre
municipalité éviterait dorénavant de sanctionner des responsables CGT. Force est
de constater qu’il n’en est rien. Le changement rencontre de forts blocages.[…] La
lutte continuera, sous diverses formes, pour qu’enfin le changement passe dans les
faits, et s’engage sur la voie du socialisme et de l’autogestion19. »
17. Compte rendu de la réunion du secrétariat de la section et des « camarades communaux ayant des responsabilités à la CGT » du 6 février 1981, ASSMH. 18. Tract du syndicat CGT des sapeurs-pompiers professionnels de Saint-Martin-d’Hères, non daté, 1981, ASSMH. 19. Bulletin CGT des communaux et pompiers de Saint-Martin-d’Hères, octobre-novembre 1981,
Dans un contexte d’effritement de la centralité partisane, certains
communistes, en s’adossant à leurs positions syndicales, peuvent opposer aux
représentants locaux du PCF le discours de ses leaders nationaux. Les militants
des ateliers municipaux s’appuient ainsi sur la nouvelle situation politique
introduite par la participation de communistes au gouvernement pour prendre à
partie la municipalité, en adressant une lettre collective au responsable du groupe
des élus communistes à la mairie :
« Si, auparavant, les réponses invoquaient toujours “la situation politique et
le gouvernement en place”, actuellement, il n’est pas question, pour nous, militants
communistes, de tolérer certaines sanctions prises par la Municipalité envers les
travailleurs. […]
Va-t-on encore longtemps à Saint-Martin-d’Hères, mairie à direction
communiste, laisser “gouverner” des chefs de service anticommunistes, qui
agissent sans arrêt contre le syndicat CGT et plus particulièrement les militants et
par là même, les militants communistes ? […]
La cellule […] voudrait, une bonne fois pour toutes, discuter le rôle des
élus communistes à Saint-Martin-d’Hères, et surtout vis-à-vis de la politique de
notre parti au niveau national. Sont-ils élus pour mener une certaine politique et
prendre leurs responsabilités ou délèguent-ils complètement à leurs cadres ? 20. »
Le rejet de la « toute-puissante hiérarchie » est au cœur des griefs des
salariés qui critiquent les chefs de service et les cadres administratifs, qui
disposeraient d’un pouvoir jugé excessif car hors de contrôle du parti et de ses
élus. Si les ouvriers, techniciens et employés, en viennent à s’opposer aux élus
appartenant au même parti qu’eux, c’est que l’étiquette communiste n’est plus
assez puissante pour contenir les oppositions sociales internes aux rangs
communistes. Au fur et à mesure que le conflit se poursuit, les critiques des
salariés communaux visent ensemble élus municipaux, chefs de service et
responsables locaux du parti. Cette unification de la cible renvoie à des logiques
sociales puisque les cadres de la fonction publique tendent effectivement à
occuper une place de plus en plus importante au sein des réseaux communistes
locaux, au conseil municipal et à la direction de la section. Si le clivage politique
ASSMH. 20. Lettre de la cellule Daniel Ferry au responsable du groupe communiste de la mairie, 6 octobre 1981, ASSMH.
forgé vis-à-vis de l’extérieur n’est plus assez fort pour contenir les clivages
sociaux internes, c’est notamment parce que la composition sociale de
l’organisation communiste se modifie.
La professionnalisation de la gestion communiste locale
Selon un récent processus de valorisation, au sein même du parti, des
diplômes et des compétences administratives, surtout dans la sélection des
candidats, de plus en plus d’élus municipaux de Saint-Martin-d’Hères sont des
cadres administratifs, employés par d’autres communes communistes de
l’agglomération, le conseil général ou, à partir de 1998, l’assemblée régionale. La
direction de la section locale, auparavant majoritairement ouvrière avec une
position dominante des syndicalistes de Neyrpic, est également investie
progressivement par des fonctionnaires territoriaux. L’émergence de cette
catégorie renvoie à un essor des structures de gestion des collectivités territoriales,
mais aussi à la raréfaction des postes de permanents politiques : les responsables
communistes sont de moins en moins employés par un parti en difficulté
financière et de plus en plus par les collectivités territoriales, soit comme
fonctionnaires territoriaux soit comme élus.
Cette professionnalisation de la gestion communiste autour d’une
oligarchie locale s’inscrit dans un processus général d’accroissement de la
distance sociale des élites politiques à l’égard des classes populaires, fussent-elles
de gauche. Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre ont ainsi mis en évidence
l’autonomisation dans les années 1980 d’une élite dirigeante socialiste,
sociologiquement homogène et monopolisant les compétences légitimes et les
responsabilités21. Avec le déclin des réseaux associatifs et syndicaux liés au PCF,
le milieu partisan local se rétracte autour des collectivités locales et d’acteurs dont
la légitimité repose moins sur un capital partisan que sur des compétences de type
administratif, acquises dans le système scolaire ou dans des pratiques
professionnelles. Le processus de technocratisation et de notabilisation de la vie
politique locale touche le PCF, et les conflits internes évoqués ici expriment cette
coupure grandissante entre professionnels de la politique et profanes.
21. Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, « Le peuple vu par les socialistes », dans Frédérique Matonti (dir.), La Démobilisation politique, op. cit., p. 69-96.
Alors que le même type de personnel de la fonction publique territoriale
domine progressivement les réseaux municipaux et partisans à Saint-Martin-
d’Hères, les salariés de la mairie sont les derniers militants ouvriers mobilisés en
cellules d’entreprise. Avec le déclin des deux principaux centres ouvriers, l’usine
Brun et Neyric, l’organisation militante sur les lieux de travail se réduit
progressivement à la principale entreprise de la commune, la mairie, à laquelle
s’ajoutent les établissements scolaires22. La section du parti tend à se centrer sur
ses cellules locales et, comme l’indique le rapport de la conférence de juin 1983,
le secteur des communaux « représente le gros de nos troupes des entreprises
organisées23 ». Les conflits municipaux mentionnés plus haut sont structurés
autour de l’opposition entre ouvriers d’atelier et chefs de service, et expriment un
éclatement de la solidarité communiste sous l’impact d’une différenciation sociale
accrue des rangs militants. Ces protestations peuvent être lues comme les
manifestations non seulement de la perte d’emprise des technologies
d’homogénéisation partisane, mais aussi de la distanciation sociale grandissante
entre les édiles communistes et le peuple militant. Le compte rendu d’une réunion
de la cellule des ateliers municipaux en 1981 lors du conflit précédemment
évoqué atteste de l’importance des divisions de la scène communiste locale :
« Les employés municipaux, qu’ils soient communistes ou pas, sont des
travailleurs à part entière. Ce ne sont pas seulement les bienheureux fonctionnaires,
ou les privilégiés qui n’ont pas de problèmes. Nous ne laisserons plus passer ce
genre d’appréciations surtout lorsqu’elles viennent des élus municipaux ou des élus
de la section. […]
Le parti ne doit pas laisser à la seule CGT le terrain de la lutte autour des
revendications. […] Les travailleurs ne pourront jamais comprendre qu’il peut y
avoir une politique avancée au niveau du parti et une autre à Saint-Martin-d’Hères.
Une question revient souvent. Nos élus sont-ils des gestionnaires et seulement des
gestionnaires ? Comme ils le seraient dans une entreprise privée. […] La plupart
des travailleurs ne connaissent même pas les élus communistes. […] À Saint-
Martin-d’Hères, nos élus prennent toujours position unilatéralement sur l’avis des
22. De façon significative, pour notamment la compréhension de l’encadrement communiste des classes populaires, les cellules des établissements scolaires mobilisent quasi exclusivement des enseignants, laissant donc de côté le reste du personnel, en particulier celui des services techniques et de la restauration. 23. Compte rendu de la conférence de la section du 4 juin 1983, ASSMH.
chefs de service sans jamais tenir compte de l’avis des travailleurs ou de leur
syndicat CGT. […] Nous constatons qu’à Saint-Martin-d’Hères, les seules
rencontres avec les élus ou leurs représentants ont lieu lors de conflits, jamais
avant24. »
Face à la fronde endémique des fonctionnaires territoriaux, les cadres du
parti déstructurent l’organisation partisane des communaux en séparant les
sapeurs-pompiers des employés des ateliers municipaux. Interpellé, le secrétaire
fédéral du PCF répond au secrétaire du syndicat CGT des sapeurs-pompiers
professionnels qu’au nom de la « nécessaire séparation du rôle de l’État et du
Parti », la fédération n’a « pas pour principe d’intervenir dans la gestion et les
problèmes internes des municipalités à direction communiste ». Il termine
cependant ainsi sa lettre : « On rencontre quelquefois des travailleurs qui
confondent peut-être un peu autogestion avec laisser-aller ou laisser-faire25 ».
Les dissensions locales entre syndicalistes et élus se poursuivent avec
notamment, en février 1993, un mouvement de grève du personnel syndiqué CGT
contre la menace de licenciements et le recours aux « outils du management
participatif employés dans le privé26 », et en 1998, le soutien des militants de la
CGT des sapeurs-pompiers, du DAL, d’AC ! et de la FSU à l’occupation d’un
logement social par une famille menacée d’expulsion par le service logement de la
mairie27. Désormais, des organisations collectives, d’ordre syndical ou associatif,
rivalisent avec le PCF pour la représentation des points de vue et des intérêts
sociaux28. Cette perte de contrôle du parti sur les mobilisations sociales est à
rapprocher des mutations sociologiques du personnel partisan, car « le social » est
surtout porté par les agents sociaux défavorisés, et ces derniers sont de moins en
moins nombreux au sein de l’encadrement communiste. Les luttes collectives sont
24. Compte rendu de la réunion de la cellule Daniel Ferry avec le bureau de la section du 15 octobre 1981, ASSMH. 25. Lettre du secrétaire fédéral au secrétaire général du syndicat national CGT des sapeurs-pompiers professionnels communaux, le 4 novembre 1981, Archives de la fédération du PCF de l’Isère. 26. Dauphiné Libéré, 11 février 1993. 27. « Une histoire qui finit bien… », Courants d’Hères, Bulletin de l’Alternative Martérinoise, 8, octobre 1998, ASSMH. 28. Sur les rapports entre enjeux sociaux et représentation politique, voir CURAPP (Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie), Le « Social » transfiguré. Sur la représentation des préoccupations « sociales », Paris, PUF, 1990. Et notamment les contributions de Patrick Lehingue, « Représentation et relégation : “le social” dans les débats politiques locaux », p. 111-139, et Daniel Gaxie, « Des points de vue sociaux. La distribution des opinions sur les questions “sociales” », p. 141-191.
animées par des groupements sans affiliation partisane claire, comme ATTAC, et
le PCF est progressivement contraint de s’associer avec des mouvements qu’il ne
contrôle pas : « sans-papiers », chômeurs, militants du DAL ou encore
homosexuels29. À la fin des années 1990, le mouvement des chômeurs marseillais
soutenus par la CGT et les élus communistes locaux, et suivi après coup par les
responsables du PCF, symbolise ce retrait sociétal d’un parti dont la puissance
reposait sur ses capacités de mobilisation populaire.
Nous avons pris l’exemple de la commune de Saint-Martin-d’Hères, mais
ce type de conflit s’est produit dans plusieurs municipalités communistes en
suivant la même chronologie. Ainsi, dans la commune voisine d’Échirolles
(33 000 habitants en 1999), les relations entre employés communaux et élus
communistes deviennent également conflictuelles à partir de la fin des
années 1970 et, en particulier, de la grève de douze jours des éboueurs et des
employés des services de la voirie avec le soutien de la CGT en novembre-
décembre 1978. Ici aussi, la lutte renvoie à une opposition sociale entre ouvriers et
employés face à des élus de plus en plus perçus comme des alliés des cadres
territoriaux desquels ils se rapprochent socialement. Le poste de premier adjoint
est par exemple occupé au début des années 1980 par un cadre administratif,
ancien secrétaire général de la mairie. Ici aussi, la base militante sur le lieu de
travail se réduit progressivement à la cellule des communaux. Derniers militants
ouvriers en entreprise, les communaux prennent progressivement la charge de
l’animation de la section : en 1996, un chauffeur au service eaux et assainissement
en prend la tête. Les communistes et syndicalistes locaux s’opposent à plusieurs
reprises au maire communiste, notamment en 1998, lorsque ce dernier décide de
poser une plaque de rue intitulée « Oran. Ancien département français d’Algérie »
dans cette commune où résident de nombreux pieds-noirs. Le secrétaire de la
section écrit au président du groupe communiste de la mairie pour exprimer la
désapprobation des militants locaux30. Après plusieurs rassemblements contre le
projet, la rue est finalement baptisée simplement « Oran ». Les relations entre la
CGT et la mairie sont également tendues, surtout depuis le conflit social
29. Sur la distanciation entre militants radicaux et cadres des partis de gauche, voir Cécile Péchu, « Générations militantes à Droit au logement », Revue française de science politique, 51 (1-2), février-avril 2001. 30. Lettre du secrétaire de la section au président du groupe communiste et républicain du conseil municipal, le 27 mai 1998, Archives de la section PCF d’Échirolles.
d’ampleur nationale de la fin de l’année 1995, qui libère les revendications des
militants communistes et syndicalistes de la mairie. Le syndicat CGT des
communaux, soutenu par la cellule du parti, lutte ainsi en 1997 contre le
licenciement de deux agents territoriaux contractuels31.
La crise de l’organisation communiste met donc au premier plan la
multiplicité des inscriptions sociales de ses militants. Certains investissent
désormais de façon prioritaire le syndicat, jusqu’au point d’entrer en conflit avec
le parti, alors même que ce militantisme syndical fut souvent la matrice de leur
adhésion partisane. En décentrant l’analyse du parti stricto sensu pour le placer
dans les systèmes sociaux de multi-appartenance, la désaffiliation partisane est
éclairée par la « tension constitutive de l’engagement32 », par la gestion
d’insertion dans des univers sociaux différents.
Les mineurs du Pays-Haut lorrain
Le ressort syndical de l’éclatement des systèmes communistes locaux est
important : l’engagement syndical est une ressource que les militants
communistes peuvent mobiliser contre l’appareil partisan. Les mouvements de
contestation interne s’appuient ainsi sur cette légitimité extrapartisane pour
contester l’orientation politique du parti. Cette prise d’autonomie de certains
syndicalistes renvoie à des trajectoires sociales et des pratiques militantes
spécifiques par rapport à celle des cadres communistes. La valorisation contre le
parti d’un capital militant d’ordre syndical ne résulte en effet pas d’une prise de
conscience individuelle, mais s’inscrit dans un bouleversement des rapports
sociaux au sein du monde communiste.
Pour souligner les soubassements sociaux des contestations internes au
monde communiste, centrons désormais le regard sur le bassin minier lorrain, plus
précisément sur le pays minier situé au nord du département de la Meurthe-et-
Moselle, en soulignant en quoi l’éclatement des réseaux communistes locaux
s’éclaire à l’aune des mutations socioéconomiques régionales. Loin du terrain
urbain grenoblois, on est ici en présence d’une zone rurale de peuplement ouvrier.
31. Dauphiné Libéré, 11 juillet 1997. 32. Philippe Gottraux, Socialisme ou barbarie. Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Lausanne, Payot, 1997 [rééd. 2002].
Située au sud de Longwy, elle correspond au canton d’Audun-le-Roman, resté
rural malgré l’éclosion au début du XXe siècle de cités ouvrières autour des puits et
à côté des vieux villages lorrains. Ouvriers d’origine italienne, les militants
communistes contestent à partir de la Libération la légitimité politique des
notables et des paysans, en s’appuyant sur leurs pratiques syndicales dans les
mines et leur engagement social dans des cités isolées des bourgs et de leurs
équipements. À partir de la conquête en 1947 de la municipalité de Bouligny,
située dans la Meuse voisine, les mineurs syndicalistes investissent les conseils
municipaux, forts d’une aura sociale acquise lors des grèves de 1947-1948. Les
délégués mineurs et responsables des sections syndicales conquièrent la plupart
des mairies de la zone (Joudreville, Tucquegnieux, Piennes, Trieux, Mercy-le-
Bas, Crusnes), où ils remplacent des cadres et des dirigeants des entreprises
minières dont le pouvoir reposait sur le soutien des paysans lorrains et du clergé.
En 1961, les militants des cités minières du canton achèvent leur victoire
municipale sur « ceux du village » par l’élection du premier conseiller général
communiste du département, Lucien Caro, employé à la sécurité sociale minière et
maire de Piennes.
Les mineurs communistes de cette région ont toujours occupé une position
marginale au sein d’une fédération du PCF dominée par des sidérurgistes de
l’agglomération de Longwy puis, dans la période plus récente, par des militants
diplômés de la région de Nancy. La perte de centralité partisane observée dans la
région grenobloise se retrouve aussi ici avec l’émergence de conflits opposant la
direction départementale du PCF et la fédération régionale des syndicats CGT du
personnel et des pensionnés des mines de fer et de sel de Lorraine. La
détérioration des relations entre d’une part, les représentants fédéraux
communistes et les municipalités qu’ils soutiennent, et d’autre part, la corporation
des mineurs, renvoie à la récession économique du secteur minier : entre 1980
et 1985, 13 puits ferment et les effectifs de mineurs baissent de 42 %. La rancœur
est d’autant plus grande que les espoirs portés sur le gouvernement de gauche sont
déçus : la mine de Bazailles cesse son activité en 1982, alors que les communistes
sont au gouvernement. En 1986, avec la fin de l’exploitation du puits de Piennes,
le cœur du bassin minier est touché : auparavant relativement riche grâce aux
redevances minières, la commune devient une cité-dortoir et perd en un an le
quart de sa population. Les mineurs sont reconvertis en sidérurgistes ou, le plus
souvent, mis en préretraite. La fermeture de la dernière mine a lieu en 1993.
C’est dans ce contexte de disparition des activités industrielles et du
système social qui leur est lié, que les organisations syndicales de défense des
intérêts ouvriers entrent en conflit avec le parti. Tout d’abord, au début des
années 1980, de façon marginale mais tout de même significative par rapport au
passé, le syndicat régional des mineurs CGT prend plusieurs positions contre le
raidissement du système soviétique, et certains de ses militants participent à la
grève de solidarité avec les ouvriers polonais en 1981, pourtant initiée par la
CFDT. Ensuite, en 1984, la position non conformiste de certains mineurs apparaît
lors de la réunification des fédérations sud et nord du PCF de Meurthe-et-Moselle,
divisées depuis 1966. La réunification est votée par l’ensemble des 105 délégués
du sud, mais l’unanimité n’est pas obtenue parmi les 183 représentants du nord :
huit votent contre et trois s’abstiennent33. Ces voix contradictoires viennent du
secteur minier. Un responsable fédéral note ainsi à propos du nord du département
une situation de « crise dans le parti » et l’« abstention des sections en désaccord
sur la réunification »34. Il s’inquiète en particulier du développement d’un
« sentiment antifédéral dans le bassin minier » et attire l’attention des membres du
bureau fédéral sur la section de l’ancienne commune minière de Tucquegnieux,
qui a voté majoritairement contre la réunification35.
Lorsque l’on réduit la focale sur le pays minier, on se rend compte que ces
oppositions politiques expriment des dissensions autour de la gestion de la crise
industrielle36. Les sections syndicales de la fédération CGT des mineurs de fer
s’opposent en effet aux élus du parti sur la question de la « défense des droits
acquis des mineurs » (eau et logement). Les conflits se multiplient et culminent
quelques années plus tard, comme en témoigne un courrier alarmiste adressé
en 1990 au secrétariat national du parti par les dirigeants fédéraux du PCF, qui
33. « Fusion des deux fédérations du PC de Meurthe-et-Moselle », Républicain Lorrain, 14 mai 1984. 34. Compte rendu de la réunion des secrétariats nord et sud du 15 mai 1984, Archives municipales de Nancy. 35. Compte rendu de la réunion du bureau fédéral du 22 mai 1984, Archives municipales de Nancy. 36. Sur les enjeux politiques de l’héritage minier, en particulier la question de la reconversion de l’habitat minier, voir François Desage, « De la défense du charbon à la gestion des corons ? La prise en charge contrariée d’une politique locale par les élus de l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais », Cahiers lillois d’économie et de sociologie, « Les nouvelles politiques locales », Paris, L’Harmattan, 2001, p. 245-266.
regrettent l’incapacité du représentant du comité central dans le département,
Claude Billard, à apaiser les tensions :
« Nous sollicitons une contribution plus active pour la solution d’une
question importante concernant les mineurs de fer. Cette demande est d’autant plus
forte que, comme vous le savez, les raisons qui tiennent à l’histoire et aux luttes de
cette corporation rendent particulièrement complexe et difficile le règlement de
tout conflit. Or nous sommes très préoccupés de la tournure des événements dans le
bassin minier. Le problème de l’eau à Tucquegnieux et le conflit auquel il a donné
lieu ont déclenché des passions difficilement contrôlables et des oppositions qui
risquent d’atteindre un point de non-retour entre d’une part la fédération régionale
des mineurs CGT et ses syndicats de Tucquegnieux, et d’autre part la municipalité
communiste et la section du parti. […]
L’intervention de dirigeants mineurs – quelques-uns membres de notre
Parti – contre les élus communistes et les dirigeants de la fédération de Meurthe-et-
Moselle à l’occasion de chaque manifestation, de chaque réunion, y compris à la
tribune de la conférence fédérale de Moselle, et leurs demandes de communiqués
de soutien à leur lutte dans les unions départementales et jusque dans les sections et
cellules du Parti ont pour effet de déstabiliser les militants de la CGT et du
Parti37. »
La dislocation du lien partisan unissant syndicalistes et élus résulte de
l’effritement des restes du « paternalisme » des compagnies minières38. Le
désengagement patronal consécutif au déclin des exploitations minières opère un
transfert des charges (eau, logement, voiries et réseaux divers) des entreprises aux
mairies, et les syndicalistes reprochent aux municipalités communistes de ne pas
poursuivre l’action des entreprises minières. Ainsi, les locataires (mineurs actifs,
retraités, veuves non propriétaires) des cités minières de Tucquegnieux, soit les
trois quarts de la population locale, bénéficiaient de la gratuité ou d’un tarif
préférentiel concernant l’eau potable, et les compagnies minières supportaient
tous les frais de pompage, de traitement, de distribution, et d’entretien des
conduites, des pompes, des égouts, du château d’eau, etc. Or, avec la fin de
37. Lettre du secrétariat de la fédération au secrétariat national, le 5 décembre 1990, Archives municipales de Nancy. 38. Voir Gérard Noiriel, « Du “patronage” au “paternalisme” : la restructuration des formes de domination de la main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie métallurgique française », Le Mouvement social, 144, 1988, p. 17-36.
l’exploitation des mines de la localité, la convention signée entre l’entreprise
minière et la municipalité de Tucquegnieux en 1930 pour le traitement et la
fourniture de l’eau potable aux habitants arrive à expiration. La signature d’une
nouvelle convention, en 1990, entre la mairie et la société minière, qui désengage
cette dernière en ce qui concerne le réseau d’eau potable, provoque le
mécontentement des syndicalistes, écartés des discussions. La réunion entre le
syndicat et la mairie, le 14 janvier 1991, tourne à l’affrontement, car la CGT
entend se battre pour la gratuité de l’eau et demande aux usagers de ne pas payer
les factures d’eau et les taxes afférentes.
La solidarité partisane se disloque également sur la question des logements
et des droits liés (ramonage, ordures ménagères, entretien, etc.). En laissant se
dégrader le parc de logement, les sociétés minières incitent au rachat des maisons
des cités : par l’intermédiaire d’une structure intercommunale, l’Établissement
public de coopération intercommunale (EPCI) du bassin de Landres, les mairies
communistes cherchent ainsi à devenir propriétaires des logements des cités
minières afin de les réhabiliter. Or, dans le même temps, la CGT lutte pour que les
exploitations minières payent les réparations et refuse cette décharge de
responsabilité, qui remet en cause la gratuité du logement minier pour les veuves
ou les retraités, car les municipalités font payer un loyer aux occupants. Le
président communiste de l’EPCI et les dirigeants de la fédération syndicale
s’opposent ouvertement : après le déclenchement d’une grève des loyers en 1984,
le syndicat obtient qu’aucun logement ne soit vendu sans le consentement de
l’occupant mineur ou pensionné. Dans un tract de 1990 intitulé « Résistance et
combat des Gueules Jaunes. EPCI et rachat de logements miniers par les
communes. Gratuité Menacée », la CGT estime que :
« Le rachat des logements par l’association intercommunale au travers
d’une société d’économie mixte (SEM) créera des conditions pour de nouvelles
menaces sur la gratuité. En prenant à leur charge “l’occupant mineur”, les
communes le séparent de son employeur qui, lui, a des obligations
conventionnelles légales 39. »
39. Tract de la CGT coordination Tucquegnieux-Anderny-Piennes, 5 juillet 1990, Archives de la Maison des Mineurs de Piennes.
Le responsable de la fédération régionale du syndicat des mineurs écrit à la
responsable du PCF de Meurthe-et-Moselle :
« Je pense que tu es responsable de ce déroulement qui a engendré la
confusion. […] C’est une infamie que de prétendre que “si nous avions lutté avec
autant de hargne que nous le faisons pour la gratuité de l’eau, la fermeture du puits
en aurait été considérablement ralentie”. […] C’est une première politique et
historique, une municipalité communiste demande aux Pouvoirs Publics de faire
appliquer un jugement pénalisant à l’encontre de la CGT et de la population qui
défend ses droits. C’est exactement à l’opposé de la politique du PCF et du projet
de résolution du XXVIIe congrès. […] Il y a manifestement une erreur de nos
camarades de la municipalité, qui se sont placés en position de relais de la politique
actuelle40. »
Selon le syndicaliste, l’EPCI veut « trouver des logements locatifs dans les
secteurs attractifs des communes, pour introduire une dynamique grâce à un
nouvel échantillonnage de la population » dans l’optique de la recherche « d’une
nouvelle image de marque ». Les maisons des cités minières sont en effet achetées
par des Mosellans plus fortunés, qui ont d’autres traditions politiques et remettent
en cause l’orientation communiste de la commune.
La « corporation » contre le « parti »
L’éclatement du « milieu partisan » communiste local lors de conflits
autour de la défense des intérêts des mineurs se traduit en 1995 par la perte de
plusieurs municipalités par le PCF au profit de syndicalistes pourtant de
sensibilité communiste : des listes de la corporation des mineurs comprenant des
conseillers municipaux sortants, souvent sympathisants ou anciens communistes
(exclus ou démissionnaires), gagnent les municipalités de Piennes et
Tucquegnieux au détriment des maires communistes sortants. À Tucquegnieux,
l’ancien secrétaire de la section syndicale de la mine remplace le maire élu
depuis 1977, et plusieurs communistes l’ayant soutenu sont exclus du parti41.
L’ancien maire sympathisant communiste de la commune de 1971 à 1977,
permanent à la fédération CGT des mineurs, participe à cette conquête
40. Lettre du 20 novembre 1990, Archives municipales de Nancy. 41. Agir, journal de la section de Tucquegnieux du PCF, juin 1997, Archives de la fédération du PCF de Meurthe-et-Moselle.
municipale : « On s’est retrouvés au pouvoir en 1995, mais on n’est pas anarcho,
même s’il y a eu une condamnation par la section, par la fédération et aussi de
Paris. Les mineurs ont été avec nous, c’est le principal42 ».
La fédération du parti perd donc son rôle central dans la désignation des
candidatures, et plusieurs listes se réclamant du communisme s’affrontent lors de
luttes municipales pour le monopole de la légitimité communiste. Celle-ci trouve
désormais sa source autant dans l’activité militante locale ou le travail municipal,
que dans l’engagement syndical à la CGT. Dans le Sous-sol lorrain, le
responsable historique de la fédération des mineurs, Albert Balducci, revient sur le
scrutin et l’attitude du syndicat :
« La CGT ne présente pas de candidat, mais elle n’est pas neutre. […] La
résistance s’est organisée autour des sections syndicales des veuves et pensionnés,
qui défendent pied à pied leurs droits acquis et le pouvoir d’achat de leurs
pensions. […] L’on ne peut plus continuer de mentir, tricher, magouiller, renier ses
engagements, sans qu’un jour la vérité des faits reprenne le dessus et sanctionne
démocratiquement les affairistes et les carriéristes qui nous ont trompés. […]
Dans certains cas, ces élections ont été une leçon de démocratie et de
salubrité publique, un sérieux avertissement pour les directions d’organisations, de
partis, tentées de proposer, parfois imposer des candidats à des fonctions ou des
mandats électoraux, sans tenir compte de l’avis de leurs adhérents, ni de la réalité
sur le terrain43. »
Les déchirements se poursuivent lors des élections cantonales de 1998 où
les syndicalistes et le conseiller général sortant soutiennent un ancien communiste,
qui est élu contre le candidat officiel du PCF, trésorier de la fédération
communiste. Le nouvel élu intègre le groupe des élus communistes au conseil
général alors majoritairement composé de militants en rupture avec le parti. La
fédération ne peut qu’avaliser la définition de l’appartenance au courant
communiste en fonction du résultat des luttes locales : elle a perdu le monopole de
la désignation de l’affiliation au mouvement communiste.
Cette émancipation des réseaux syndicaux ouvriers de l’institution
partisane s’accompagne de la part des dirigeants mineurs d’un discours
42. Entretien avec Ottorino Gobbo, en septembre 1999. 43. Albert Balducci, « Élections : réflexions… ! », Sous-sol lorrain, juillet-août 1995.
corporatiste favorable à l’« indépendance syndicale ». Les dirigeants du « syndicat
de masse, de classe, démocratique et indépendant » des mineurs minimisent
constamment les liens qui l’ont uni au PCF :
« Notre souci permanent a été de sauvegarder notre indépendance comme
organisation ouverte à tous les salariés quelles que soient leurs origines ou leurs
opinions. Nous avons maintenu notre indépendance envers tous les partis et
gouvernements44. »
Le militantisme de base loin des appareils est magnifié, et
l’institutionnalisation du syndicalisme, associée à sa dépendance avec le PCF, est
condamnée :
« Nous avons rencontré des difficultés internes animées par un esprit de
chapelle et d’un syndicalisme de sommet. Difficultés extérieures alimentées par la
presse patronale (Lorraine Magazine) et parfois au sein même de nos
organisations45. »
« N’y a-t-il pas aujourd’hui trop de porteurs de serviette de ceux qui sont
partout sauf sur le lieu de travail46. »
Localement, la revendication d’une démocratisation du fonctionnement du
PCF est notamment portée par les deux secrétaires successifs de la fédération
régionale des mineurs (Pascal Saverna et Albert Balducci), dont l’organe, le Sous-
sol lorrain, dénonce à plusieurs reprises les « carriéristes » du PCF en visant à la
fois les « dissidents » et les responsables du parti. Dans un article paru en
octobre 1986, Albert Balducci critique ainsi la bureaucratie du PCF avec l’aide de
l’écrivain soviétique Evgueni Evtouchenko, qui dans son roman Les Baies
sauvages de Sibérie « consacre quatre pages aux carriéristes tant dans le système
capitaliste aux États-Unis, que sous le système socialiste en Union soviétique », et
écrit notamment : « Nos carriéristes sont plus hypocrites que les carriéristes
capitalistes car, pour faire carrière, ils sont obligés de faire semblant d’être
44. Sous-sol lorrain, septembre 1988. 45. Albert Balducci, A propos d’une allocution de Ste-Barbe. Hussigny-Godbrange, fédération régionale CGT des mines de fer et de sel de Lorraine, 1993, brochure non paginée. 46. Allocution de René Kiffert, Hommage aux anciens. Les sillons de la mémoire, 5 novembre 1998, p. 18.
moraux47 ». Le dirigeant mineur, qui fut d’abord permanent politique et siégea
longtemps au bureau fédéral du parti, définit ainsi le « carriérisme » :
« C’est se servir d’un idéal, d’une fonction, d’un mandat, de la confiance
des masses, en particulier des plus déshérités, pour faire une carrière, servir ses
ambitions, la soif de l’argent et du pouvoir pour se faire une situation en reniant
ses engagements et promesses. Les carriéristes sont parmi toutes les classes, ceux
qui sont les ennemis les plus acharnés du peuple ».
Dans ce bassin industriel en crise, les réseaux de la fédération régionale
des mineurs CGT survivent à l’effondrement des structures partisanes du PCF, et
la légitimité syndicale demeure, avec la légitimité issue du suffrage universel, le
principal vecteur d’une mobilisation communiste désormais peu liée à la
fédération du parti.
Le déclin électoral et militant du PCF dans la période contemporaine
s’accompagne d’une perte de son emprise sur ses réseaux d’influence, qu’ils
soient associatifs, professionnels ou électifs. Comme l’illustre l’émergence de
conflits opposant différents agents sociaux du PCF, conflits renvoyant à des
positions différentes à la fois dans le parti et dans les rapports sociaux locaux,
l’appareil national et fédéral du parti joue de moins en moins un rôle
d’homogénéisation du milieu partisan. Cette distanciation des réseaux
communistes par rapport au centre partisan s’inscrit dans un double processus
général de déclin des groupements polyvalents et de croissance des associations
spécialisées48. Soulignant l’intérêt d’appréhender le militantisme communiste hors
du parti proprement dit, le travail récent d’Axelle Brodiez montre ainsi comment
le Secours Populaire Français a pu devenir une « niche » pour des communistes se
détachant du militantisme politique et du PCF49. Y compris dans des zones de
relatif maintien de l’influence communiste, comme la banlieue grenobloise ou le
bassin minier lorrain évoqués ici, le parti politise de moins en moins les
47. Albert Balducci, « À propos d’une question : faire carrière », Sous-sol lorrain, octobre 1986. 48. Ce processus est notamment mis au jour par Jacques Ion, qui souligne le mouvement d’autonomisation des groupes par rapport aux larges constellations dans lesquelles ils étaient traditionnellement insérés et unis par un socle idéologique commun, voir Jacques Ion, La Fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.
49. Axelle Brodiez, Le Secours populaire français 1945-2000. Du communisme à l’humanitaire, Paris, Presses de la FNSP, Collection Histoire, 2006.
expériences sociales, alors que d’autres instances de socialisation et de
mobilisation, comme les syndicats ou les groupes d’intérêt, jouent par contraste
un rôle accru de politisation. Les sociabilités communistes maintenues
aujourd’hui sont ainsi peu partisanes. Elles sont plutôt syndicales ou municipales,
voire associatives.
Une lecture socio-historique attentive à repérer les variations sociales et
historiques des recours à une marque politique souligne donc les transformations
de la « sociation partisane », espace social de concurrence en perpétuelle
mutation. Ainsi, en dépit du maintien du sigle « PCF », les usages sociaux de ce
parti ont profondément modifié le mouvement communiste français, puisque les
deux dimensions constitutives du parti qui exerça une influence déterminante des
années 1930 aux années 1970, la promotion d’une élite politique d’origine
populaire et la place centrale de l’appareil dans ses zones d’influence, se sont
effritées50.
50. Pour souligner l’ampleur des changements sociaux et politiques affectant la mobilisation
communiste en dépit du maintien du même sigle partisan, nous avons travaillé ailleurs à mettre en évidence les spécificités de ce que l’on nomme le « néocommunisme », voir Julian Mischi, « La recomposition identitaire du PCF : modernisation du parti et dépolitisation du lien partisan », Communisme, 72-73, 2003, p. 71-99.