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PASSAGES, LIEUX ET POSTURES La santé mentale avec Deligny Jean-Marc Antoine érès | VST - Vie sociale et traitements 2002/1 - no 73 pages 12 à 17 ISSN 0396-8669 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2002-1-page-12.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Antoine Jean-Marc , « Passages, lieux et postures » La santé mentale avec Deligny, VST - Vie sociale et traitements, 2002/1 no 73, p. 12-17. DOI : 10.3917/vst.073.0012 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour érès. © érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 93.30.41.214 - 27/11/2011 15h00. © érès Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 93.30.41.214 - 27/11/2011 15h00. © érès

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PASSAGES, LIEUX ET POSTURESLa santé mentale avec DelignyJean-Marc Antoine érès | VST - Vie sociale et traitements 2002/1 - no 73pages 12 à 17

ISSN 0396-8669

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2002-1-page-12.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Antoine Jean-Marc , « Passages, lieux et postures » La santé mentale avec Deligny,

VST - Vie sociale et traitements, 2002/1 no 73, p. 12-17. DOI : 10.3917/vst.073.0012

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Distribution électronique Cairn.info pour érès.

© érès. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Après le rapport d’Éric Piel et de Jean-LucRoelandt, tous les deux membres del’ASEPSI et pour le second, membre desCeméa, le film de Jacques Lin, La Vie deradeau donnant à voir ce que FernandDeligny avait impulsé dès juillet 1967avec son installation à Monoblet, qu’ilnous soit permis de parler à partir d’Ar-mentières.Ville d’où Fernand Deligny nous parle deson itinéraire de visionnaire, de libertaire,de donneur de sens à son agir et d’oùJean-Luc Roelandt a construit dès cettepériode une pratique sociale en psychia-trie permettant de fermer des services enoffrant dans la ville les structures adap-tées et une reconnaissance de droit à ladifférence dans la cité pour que ces fer-metures ne provoquent une rupture desoins comme ce fut le cas dans bonnombre d’expériences étrangères.Ce qui donne un crédit particulier au rap-port Piel-Roelandt, c’est que les proposi-tions reposent sur des politiquesd’expériences. Celles que des membresde notre association, même avant sacréation étant donné nos militantismespolitiques, réclamaient la mise en place.N’étions-nous pas dans les groupes chersà Michel Foucault comme les groupes:Groupe information asile, Groupe infor-mation prison?Pour ce qui est de ce rapport intitulé «Dela psychiatrie vers la santé mentale», ilest avant tout un rapport de psychiatres

s’adressant aux psychiatres et aux profes-sionnels de la psychiatrie. Ceci dans lamesure où ce rapport a fait peu de casdes professionnels des secteurs médico-social et social. Il s’agit d’un rapport depsychiatres pour des psychiatres.Nous pensons que les résistances, lesréserves viendront plus de leurs confrèresqui dans leurs propositions mises enavant dans ce rapport, devront modifiercertains de leurs acquis, leurs comporte-ments, leurs suffisances, leurs attitudes,leurs certitudes afin de mettre leurs com-pétences au service de ceux qui souffrentde difficultés intra-psychiques. Certainspsychiatres savent mieux parler du psy-chotique qu’au psychotique et à sonentourage.

Des blessés du symbolique

Le discours c’est, comme nous l’a ensei-gné Jacques Lacan, le social, c’est-à-direaller vers le psychotique. Il s’agit donc dedéfinir un repositionnement social etmettre les compétences au service deceux qui souffrent, de ceux qui sont desblessés du symbolique.Ce rapport ouvre enfin le débat sur l’ave-nir de la psychiatrie en France et sur lepassage d’une politique de psychiatrie àune politique pour la santé mentale. Sai-sissons cette opportunité.Les professionnels du secteur socialdevraient s’emparer de ce rapport pour

exiger des responsables de la santépublique de favoriser la mise en formedes propositions. Ne sont-ils pas enattente depuis plus de vingt ans de modi-fications des pratiques psychiatriquesmarquées par une éthique respectueusedu sujet en souffrance et de ses proches(famille, conjoint, professionnels de l’ac-tion sociale et de l’enfance).Nous ne savons pas comment se consi-dèrent les professionnels de la psychia-trie, mais au niveau du champ social etmédico-social, les professionnels seconsidèrent à la fois comme des usagerset des aidants des politiques pour lasanté mentale.Fernand Deligny et Jean-Luc Roelandt,chacun d’eux parlant d’Armentières,nous parlent de changements et nouspermettent aujourd’hui de réfléchir àl’articulation indispensable entre le sani-taire et le social auxquels il convientd’ajouter l’éducation nationale et la jus-tice pour jeter les bases de la détermina-tion d’une politique pour la santémentale.

Deligny était unique.Deligny était pour la prise en comptesingulière de l’individu.Deligny ne voulait pas qu’on se reven-dique de lui.Deligny vivait, mais ne conceptualisaitpas.Deligny partageait sa vie avec ceuxavec qui il vivait?Deligny trouvait, grâce à l’écriture, unrefuge qui le sauvait de lui-même.Deligny parlait, mais nous ne savions

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«Le principe de cette action est dans la volonté d’un être libre.»Jean-Jacques Rousseau

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pas toujours à qui il s’adressait, cardans le fond de sa voix il y avait chan-tonnement.Deligny était rencontré, mais il ne sedéplaçait pas.Deligny s’est fâché avec Jean Oury,Félix Guattari, mais a su en conserverl’estime et l’amitié, ce qui lui a permisde s’installer avec leurs soutiens dansles Cévennes en dehors de toutconflit. Ce qui permet l’installation àGraniers en juillet 1967.Deligny ne partageait pas les posi-tions de Maud Mannoni et éprouvaitde l’estime pour Françoise Dolto. Ilétait concerné par « le cas Domi-nique».Deligny laissait place à l’agir, à laspontanéité.Deligny c’était la mise en place d’unréseau rhizome, cher à Deleuze etGuattari.

Nous souhaitions réfléchir de la ruralité,nous y sommes parvenus en parlant de lavie, des lieux où l’on vit, des lieux-de-vie.Même s’il n’y avait pas de praticiens delieux-de-vie dans notre groupe, tous lesparticipants connaissaient leurs exis-tences, le rôle de pionnier de FernandDeligny et les pratiques sociales en lieux-de-vie dont certains les intègrent dansleurs modes à être dans leurs pratiquesprofessionnelles.

Le silence, une affirmation de l’écoute

Actuellement tout est parole, ce quisignifie qu’en dehors de la parole iln’existe pas de moyens d’expression dedifficultés, de souffrances ou qu’iln’existe pas de demande, le verbe étantdevenu l’indispensable support à l’ex-pression.Le silence, ce moment où les mots nesont pas nécessaires pour exprimer unedemande, n’est pas sans rappeler ce quenous rapportent les acteurs sociaux quiinterviennent auprès des sans-abris dontleurs seules présences dans cette aire estsuffisamment révélatrice d’une situation

pour que le verbe ne soit pas inquisiteuret que le silence soit la confirmationd’une demande, même si une paroledans cette situation ne peut être posée,ou que la langue parlée est méconnuedans son sens et son symbolisme.Le silence c’est aussi la possibilité de liredans les yeux de l’autre. C’est unmoment de partage, de communion aucours duquel se construit une relation dequalité.Le silence donne du sens au non verbalet démontre aussi combien nommerpeut enfermer. Le silence fait aussi partiede ces moments de rencontres, de par-tages où le moindre geste fait signe etdonne du sens à la situation.Ce mode d’intervention démontre quenous n’avons pas besoin de parler lamême langue pour ne pas se com-prendre, pour ne pas décoder unedemande.Ces attitudes d’écoute, de silence, sontpeut-être à rapprocher de celles desintervenants auprès des malentendantsou muets qui utilisent d’autres signesque ceux usités habituellement pourcommuniquer.Écouter les silences et les bruits de la vienocturne nous en apprennent beau-coup pour élaborer une relation d’en-traide.

L’indisponibilité, l’affirmation d’une écoute

Nous ne manions pas les paradoxes avecce titre. La disponibilité ne peut être per-manente pour être structurante. La dis-ponibilité existe parce qu’elle a soncontraire qui est dû à l’organisation de lavie de chacun d’entre nous, quoi quenous soyons dans la vie.L’indisponibilité est structurante parcequ’elle signifie un cadre, des limites danslesquels une écoute peut être offerte.L’indisponibilité est un positionnementconstructif qui empêche les confusionsdes rôles et démontre qu’il y a une placepour tout, pour tous à des momentsconvenus.

La disponibilité permanente reviendrait àune indisponibilité. L’indisponibiliténécessite parfois chez les référentssociaux une certaine réticence qui estune marque de respect, qui s’oppose àl’ingérence et qui renvoie le sujet à sespropres potentialités.Ce regard particulier posé par l’indisponi-bilité permet l’observation de certainsmoments de solitude qui offrent à unsujet de réfléchir sur lui-même, d’être enmême temps dans un groupe et enmême temps de s’en extirper.Dans ces lieux de reconstruction psy-chique, il ne doit pas y avoir de confusionentre activité et activisme. Tous lesmoments de la journée ne doivent pasêtre occupés par différentes activités quiviendraient s’opposer à tout travail per-sonnel.Il s’agit bien dans ces lieux de travaillersur le sens de ce qui se fait ou ne se faitpas, sur le manque, le désir, le plaisir.C’est cela qui fait partage mais nécessitede la part des personnels des retenues,de penser au sens de leurs gestes, deleurs attitudes et de leurs mots. Penseravant, pendant et après.Cela exige une grande qualité de pré-sence qui impose une posture:– d’être la, sans ingérence, sans indiffé-rence;– d’offre et de respect.Il s’agit bien là d’une posture pédago-gique.La permanence et la régularité d’uneattention créent les possibilités d’unerencontre et celle-ci peut favoriser deschangements permettant une existenceen moins grande souffrance ou difficulté.C’est de cette rencontre que pourronts’élaborer des processus psychiques per-mettant un travail sur les traumatismesenfouis et une certaine résolution.

L’évaluation

Il y a un bien-fondé évident pour évaluerla pratique sociale, mais cette évaluationavec des autistes, des psychotiques oudes personnes en situation de détresse

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psychique apparaît essentielle plus pourse rendre compte du travail effectué quepour rendre des comptes.Il conviendrait, en sciences sociales, quel’évaluation de la pratique ne réside pasdans des qualifications techniques carcelles-ci provoquent une certaine désin-carnation de l’objet de la pratiquesociale.Les éducateurs comme techniciens de larelation, les infirmiers avec les techniquesde soins infirmiers. La relation d’entraidese résumerait-elle à une technique?Si l’évaluation paraît indispensable, ellene peut être contenue dans un quel-conque schéma programmé qui ne peutintégrer les formes d’expression d’unedemande quand celle-ci n’est pas expli-cite ou qu’elle prend des formes para-doxales.Les acteurs de santé peuvent très bienne pas disposer d’un diplôme profes-sionnel et être d’excellents profession-nels. Le professionnalisme dans larelation d’entraide réside avant toutdans une position éthique et avec desrègles déontologiques.Dans cette pratique sociale, il ne s’agitpas de prendre en charge – ce qui, dansnotre société est toujours assimilé à uncoût social, un coût économique, lafameuse prise en charge –, mais deprendre en compte.

Projet

Cela correspond mieux au respect d’unprojet individualisé qui est un pro-jet devie qui consiste à avoir une place à l’en-droit où l’on veut vivre, s’établir, unendroit à être. Ces lieux où l’on vit, oùl’on est, c’est pour ceux qui y vivent : serendre disponible à ce qui arrive et celanécessite pour tous une rigueur de l’at-tention… à l’autre, aux autres.Cette disponibilité marquée de l’indispo-nibilité est une prise de risque structu-rante pour les sujets en difficulté et exigede la part des professionnels uneréflexion permanente sur le sens de leursinterventions.

Le projet, c’est une prise de risque parta-gée, alors que nous sommes dans unesociété d’assurances, des coûts, desréglementations où l’esprit de la loi, cherau baron de la Brède Charles de Montes-quieu, disparaît au profit d’une applica-tion sans discernement.Nous sommes dans une société judiciari-sée, de précaution, où toute initiative estcondamnée, parce qu’elle représente unrisque. Le risque de l’incertitude, le risquedu changement.Nous sommes dans une société sansdébats, de dépendance à l’État et danslaquelle sont confondus causes, consé-quences et, moyens et objectifs.Les acteurs sociaux souffrent de cela quiest issu de la confusion des genres et desstatuts qui fait parfois qu’ils se prennentpour ce qu’ils ne sont pas. Ceci corres-pond à une absence de leur spécificité etcette souffrance provient aussi du faitqu’ils ne se reconnaissent pas eux-mêmes dans cette spécificité. Cette diffi-culté provient aussi du fait qu’ils nes’autorisent pas à être ce qu’ils sont, etce qu’ils ont choisi d’être, pour diversesraisons, de leur positionnement social.Aujourd’hui, dans notre société, il fautêtre consensuel. Il y a bien une confusionde genre. Le consensus dans une straté-gie politique est un moyen pour parvenirà un objectif, or aujourd’hui il est devenul’objectif.Nous sommes actuellement dans unesociété confusionnelle, c’est la raisonpour laquelle il n’existe pas de débat poli-tique préalable à l’organisation de la cité.Il n’y a pas de confrontation, comme sitous conflits devaient être épargnés. Lesmouvements sociaux ou d’idées, de res-pect des droits des personnes (abolitionde la peine de mort, vingt ans cetteannée) nous ont appris que c’était de larésolution des conflits que des politiquespouvaient être déterminées, donc aprèsun débat que des choix pouvaient êtreeffectués.Aujourd’hui, où sont les débats sur l’or-ganisation sociale? Même pour l’OMC 1‚il n’y a pas débat. Il y a une politique du

fait accompli qui génère une certainerésistance, mais de débat il n’y a pas.Dans cette société de précaution, il n’y aplus débat, il n’y a plus cette légère dissi-dence qui est garante d’une éthique pro-fessionnelle. Où sont les actes derésistance pour que le changementdevienne possible?Lucien Bonnafé nous dit toujours qu’ilfaut résister à toutes formes de techno-structures pour que la dimension de l’hu-main soit garantie.Lucien Bonnafé peut nous le dire, nousdevons l’entendre, lui, ce fils d’aliénistede la Lozère, aliéniste lui-même, commeil se définit, ayant engendré des alié-nistes ; à poser toute sa vie des actes derésistance, que ce soit avec les surréa-listes, avec les réfugiés de la guerre d’Es-pagne, contre l’occupant après 1940 oudans son militantisme pour transformerles rapports de la psychiatrie avec sonsujet. L’acte de résistance pour lui consis-tait à venir en aide au sujet qui souffre.Lucien Bonnafé a toujours été un rebelle,c’est en cela qu’il nous a beaucoupappris dans la transmission de son expé-rience de sa vie.Georges Daumezon nous disait aussi lamême chose dans son article «Le poidsdes structures», paru en 1952 dans larevue Esprit.

La formation

Où est l’humain, sinon rangé dans destechniques d’apprivoisement pour mieuxle normaliser. Les mots de Bonnaféaident à résister à la formatation que dis-pensent les écoles de formation, que cesoit aussi bien celle de la Santé publiquede Rennes et ses satellites que celles quis’adressent à des futurs intervenantssociaux.Ce sont dans ces lieux que sont ensei-gnées les techniques multiples qu’il estindispensable de désapprendre pour êtreen échange avec l’humain en souffrance.Comment peut-on, pour un sujet ensouffrance, apprendre à être un sujettransitionnel, cher à D. Winnicott? Henri

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Michaux nous avait dit qu’il fallaitapprendre avec retenue, parce qu’il fal-lait toute une vie pour désapprendre.Nous sommes arrivés dans un monde oùla technique de quelque discipline que cesoit prime sur l’humain. Nous sommesdans des dichotomies psychiques quirappellent les dissociations psychotiques.Ces techniques sont la preuve d’unedésincarnation du travail social qui estrangé dans le registre des techniques, cequi en dit long sur la considération del’humain.N’assistons-nous pas à un développe-ment de l’esprit scientiste au travers detechnosciences qui considèrent l’humaincomme un objet qu’on peut formater,dépouiller à volonté et reconstruire sui-vant un certain barbarisme?Mais où sont donc passées les sciencesde l’homme, la sociologie, la philosophie,la psychologie, l’anthropologie, la psy-chanalyse, l’ethnologie? N’y a-t-il pasl’absolue nécessité de rester ancré auprincipe d’humanité ? Quel sera lemonde de demain, celui du clônage?Il nous faut sortir de nos amnésies, surdi-tés et cécités sélectives. Affirmons,démontrons que l’humain est digne d’in-térêt et qu’un monde où l’argent est roidoit consacrer à tout humain en difficultéles attentions nécessaires que requiert sasituation.De la ruralité dont il devait être question,nous en étions-nous éloignés?N’existe-t-il pas des terres d’élection, deslieux pour réaliser, se réaliser, des lieuxpour prendre le temps, avoir le temps, dedonner du temps au temps? C’est danscet endroit que peut-être la ruralité sesitue, un espace où la terre, le ciel, laplaine, les montagnes et les odeurs ontleur importance, car elles donnent uncadre, favorisent une ambiance.Le citadin, Tony Lainé a souhaité l’ouver-ture de petites maisons avec un jardin,parce que dans un jardin il y a de la vie,la marque des saisons, un jardin c’est lavie.Ces petites maisons peuvent être des“a” siles avec ce petit “a” pour garder le

sens de Deligny. Ce petit “a” qui offre lapossibilité d’habiter là, de résider, des’approprier l’habitat, un ancrage et unedigue protectrice à la fois.Nous vous livrons cette phrase de Fer-nand Deligny qui, parlant de ceux aveclesquels il partageait l’existence, disait :«Faire comme s’ils n’étaient pas là, maiss’ils n’étaient pas là, je ne serais pas là.»C’est-à-dire qu’il n’avait pas de projetpour d’autres. Il n’y avait chez lui aucundésir pour un autre, pas d’ingérence,mais par contre, il offrait à d’autres quidésiraient habiter avec lui de le rejoindre.Il les acceptait dans ce qu’ils étaient.Il y a bien à cet endroit, un acte posé dereconnaissance réciproque, celui de vivreavec l’autre dans un espace de partage.Ce vivre avec, ce vivre ensemble est unprojet politique qui doit nous guider dansla mise en place des lieux-de-vie, avecdes praticiens sociaux non désireux pourd’autres et favorisant par leur posturesociale une intégration sociale de per-sonnes en difficulté qui sont avant toutdes citoyens de plein droit de notresociété.

Mettre l’humain au centre de nos réflexions

Dans ce projet politique, il y a bien la pos-sibilité d’être différent sans indifférenceet ingérence, en agissant suivant les prin-cipes républicains, c’est-à-dire en respec-tant cette devise ornant les frontons denos mairies : Liberté, Égalité, Fraternité.Nous pensons qu’il faut cesser de réflé-chir en termes de structures et mettrel’humain au centre de nos réflexions enl’associant, afin que ses besoins puissenttrouver une satisfaction. Il s’agit là d’unpositionnement de citoyenneté.Pour nous, acteurs sociaux, nous nedevons plus agir sous différentes formesde confiscation du désir, en cerclant lesujet en difficulté de nos réponses enfonction de nos connaissances toutesrelatives vis-à-vis de l’humain.Nous avons toujours à apprendre de celuique nous rencontrons.

Ces confiscations sont des formes detotalitarisme et nous savons que celui-ciempêche de penser. Penser oblige àchanger, donc à nous interroger sur nospratiques.La définition d’un projet d’une politiquepour la santé mentale est un projet ambi-tieux et nécessite aussi bien la participa-tion de tous, que de renoncer à certainesde nos certitudes sur ce qui est bien pourl’autre, alors que nous ne savons pas cequi est bien pour nous.La définition d’un projet d’une politiquepour la santé mentale est trop impor-tante pour être laissée à la réflexion despsychiatres dont la spécialité est de trai-ter les dérangements psychiques. C’estune affaire de citoyenneté et ce n’est quedans un mouvement de citoyens qu’ellepourra prendre forme.La définition d’une politique pour lasanté mentale nécessite que tous lesacteurs sociaux, ceux de la prévention,du social, du judiciaire, de l’éducation,du médico-social et du soin coopèrent.La santé mentale, c’est prendre en consi-dération les besoins des composantsd’une société mosaïque, constituée demétissages, d’exils, d’insularités, denomadismes et de sédentarismes et declasses sociales. Les réponses sont avanttout sociales et non médicales, ellesprennent leurs fondements dans lessciences de l’homme telles l’anthropolo-gie, l’ethnologie, l’éthologie, la philoso-phie, la psychiatrie, la psychologie, lapsychanalyse, la sociologie.La santé mentale ce n’est pas, commenous le voyons poindre, un changementd’appellation où la psychiatrie seraitappelée à délaisser ses vieux oripeauxpour rentrer dans du prêt-à-porter. Sicela se concrétisait, nous assisterionsune nouvelle fois à une confiscation dela démarche citoyenne pour maintenirsous un nouveau label l’encerclementdu sujet dans ses symptômes ; c’estaussi le renforcement du morcellementdu sujet en difficulté, alors que sesbesoins nécessitent une approche glo-bale diversifiée.

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Ce morcellement trouve sa confirmationpar des politiques budgétaires sympto-matiques qui souvent favorisent plus unabandon qu’une prise en compte spéci-fique (exemple: les politiques en direc-tions des toxicomanes, des personnesprésentant une problématique alcoo-lique, ou celles porteuses du VHC, duVIH ou développant le Sida, etc.).Une politique pour la santé mentalenécessite, au niveau de l’État, l’impératifde coordonner l’organisation de ses ser-vices : éducation nationale, justice, envi-ronnement, social et sanitaire. Pour cesdeux derniers, ce ne sont pas les Agencesrégionales hospitalières, qui sont destechnostructures, qui favoriseront la miseen place de nouvelles politiques pour lasanté mentale.Il faut donc la mise en place d’une coor-dination des services de l’État avec lesassociations impliquées dans des disposi-tifs de citoyenneté, permettra la suppres-sion de certaines féodalités, intolérablesdans un état républicain, qui sont desfléaux à tous changements favorisantune articulation entre le sanitaire et lesocial, jetant les bases d’une politiquepour la santé mentale.

JEAN-MARC ANTOINE

1. Organisation mondiale du commerce.

«Il s’agit de diversifier l’offre de soin etnon pas de le faire disparaître dans untraitement social de la folie.Il s’agit pour les usagers et les profes-sionnels de disposer d’une palette variée,graduée, individualisable, de réponsessoignantes. À chacun d’en faire l’usagequ’il pensera le meilleur. Loin de nousl’idée de proposer un carcan. Nous affir-mons au contraire que la psychiatrie«curative» n’est pas en contradictionavec l’ouverture et l’intégration sociale.Là, en France ou ailleurs, où la psychiatries’est ouverte franchement au système desoins primaires et aux professionnels duchamp social, là où elle s’est alliée auxélus locaux, aux usagers et aux familles,là où la logique d’ouverture a été appli-

quée, l’expérience est positive.Alors pourquoi encore tous ces hôpitauxpsychiatriques en France? Pourquoi lesévolutions inscrites dans cette «bonne»politique sont-elles trop souvent dépen-dantes de l’engagement d’une ou deuxpersonnes motivées? Quelles sont lesévolutions à apporter au dispositif pourl’intégrer franchement dans le systèmesanitaire général, pour affirmer le soin, etdévelopper la prévention et la promotionde la santé mentale? Comment rendrece dispositif, dans son essence, apte àlutter contre l’exclusion des soins liés à lastigmatisation des personnes?L’objectif est de réaliser une intégrationsans fusion et sans hégémonie, sansconfusion et sans dogme.»

Offrirdes espaces

Dans un souci d’ouverture la plus large possible E. Piel et J.-L. Roelandt s’insur-gent contre tout ce qui pourrait apparaître comme un carcan.

ÉVALUER. ÉVOLUER.CROISEMENT DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AUTOUR DE LA SANTÉ

Évry (91), 2e rencontre, 24 et 25 mai 2002 Institut Théophraste-Renaudot

Cette deuxième rencontre propose d’oberver et de com-prendre la place – qu’elle soit effective ou encore absente –de l’évaluation dans les pratiques communautaires :– Qu’est-ce aujourd’hui, et que pourrait être demain, uneévaluation des pratiques communautaires?– Quel intérêt, satisfaction (ou désintérêt, insatisfaction!) desacteurs en santé communautaire pour l’évaluation de leurspratiques?

– Quelles méthodologies et outils de l’évaluation existantspeuvent être utiles aux acteurs en santé communautaire?…

Renseignements : Institut Théophraste-Renaudot40, rue de Malte, 75011 Paris

Tél. et fax: 01 48 06 67 32. E mail : [email protected]

RENCONTRE

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