44
LE MAGAZINE CU LTURE L DE PRO HE LVETIA, N O 57, 3/2011 passages Performance Le corps, le temps, l’espace Dan bau et schwyzerörgeli : rencontre douce-amère à Giswil Composition instantanée : Schaerer et Oester à Grahamstown L’écriture : génie ou métier ?

Passages n° 57

Embed Size (px)

DESCRIPTION

magazine culturel

Citation preview

Page 1: Passages n° 57

Le magazine cuLtureL de Pro HeLvetia, no 57, 3/2011

passages

PerformanceLe corps, le temps, l’espace

Dan bau et schwyzerörgeli : rencontre douce-amère à Giswil Composition instantanée: Schaerer et Oester à Grahamstown

L’écriture: génie ou métier?

Page 2: Passages n° 57

2

Performance Le corps, le temps, l’espace

Ludique, biographique, éducative : notre dossier donne un aperçu de la scène contemporaine de la performance. Ici, Martin Schick et Laura Kalauz et leur Common Sense Project, 2011.

6 Qu’est-ce qu’une performance au juste ? Tout aujourd’hui est qualifié de performance.

Comment les sciences de la culture définissent-elles cette forme d’expression artistique ?

par Gabriele Klein 12 Irriter, éclairer : les performances politiques On ne déclenche pas de révolution avec une performance.

Pourtant, cette forme artistique ne manque pas d’efficacité dans le domaine politique.

par Eva Behrendt

17 Les mots, à la source du mouvement Visite à Simone Aughterlony, chorégraphe et danseuse,

pendant une répétition. par Julia Wehren

20 Peut-on faire confiance à son voisin dans la salle ? Le groupe Forced Entertainment considère le contact

avec le public comme un élément essentiel de son travail artistique.

Dagmar Walser s’entretient avec son directeur Tim Etchells

24 Performance – Swiss made L’emploi des nouveaux médias, de la technologie et de

la recherche donne un nouvel élan à la scène suisse de la performance.

par Sibylle Omlin

Sommaire

28 hEurE LOCALENew Delhi : La parole aux marionnettespar Elizabeth Kuruvilla

Le Cap : « Jamais entendu une musique aussi hallucinante »

par Chris Kabwato 32 rEPOrTAGE Rusticité helvétique et douceur

asiatique par Christian hubschmid (texte) et Niklaus Spoerri (photos)

36 ACTuALITéS PrO hELVETIA Des jeux vidéo récompensés / Un nouveau Conseil de fondation

pour Pro Helvetia / Un emplacement de rêve pour l’art

suisse / Les futures biennales gérées par

Pro Helvetia

38 PArTENAIrE Le Pour-cent culturel Migros par Christoph Lenz

39 CArTE BLANChE Peut-on apprendre à écrire ? par Michel Layaz

41 GALErIE Une plateforme pour les artistes Catwalk par Sandrine Pelletier

42 ENquêTE AuPrèS DES LECTEurS : BILAN

43 IMPrESSuMPASSAGES EN LIGNEà SuIVrE

4 – 27 DOSSIEr

Cou

vert

ure

: gat

e c,

Vic

tori

ne M

ülle

r, 2

003;

Pho

to :

Dav

id A

ebi

Phot

o pa

ge 2

: G

erha

rd F

. Lud

wig

Ph

oto

page

4 :

Sim

on E

gli

Page 3: Passages n° 57

3editoriaL

L’art est dynamique – il se renouvelle continuellement, il est porteur de nouvelles visions sur son environnement social. Les artistes sont en avance sur leur temps, il est donc difficile de juger certains phénomènes artis-tiques en fonction des critères actuellement en vigueur. une constatation qui vaut particulièrement pour l’art de la performance. Comme ce dernier repousse les limites disciplinaires et qu’il mêle danse, théâtre, arts visuels, musique, lit térature ou nouveaux médias, il risque de tomber à travers les mailles du filet de l’encouragement à la culture. En effet, il est souvent malaisé d’affecter ces projets à un domaine artistique donné et donc de décider dans quelle cassette prendre l’argent pour les soutenir. Voilà pourquoi Pro helvetia adopte une pratique d’encouragement flexible et demande aux responsables des diverses disciplines artistiques d’apprécier ensemble les projets de performance. L’essentiel est que l’art de qualité obtienne le soutien dont il a besoin. Etant donné le rôle pionnier joué par cette expression artistique interdisciplinaire, nous sommes curieux d’en connaître les formes les plus actuelles. Empruntant aux diverses disciplines artistiques, une scène de la performance jeune et dynamique s’est développée ces dernières années : elle expérimente avec de nouveaux formats, de nouveaux lieux de repré-sentation et de nouveaux thèmes. Dans tous les domaines, les organisa-teurs n’hésitent plus à inscrire des projets de performance à leur pro-gramme ou même à leur en consacrer une section. Actuellement, la Suisse compte plus d’une demi-douzaine de festivals qui s’intéressent explicite-ment à l’art de la performance. Autant de raisons pour Passages de présen-ter la scène suisse de la performance, mais aussi d’explorer la force poli-tique de cette expression artistique et de cerner le rôle du public. A une époque où, dans tous les domaines – économique, culturel, scientifique et sportif – la performance gagne en importance, on ne peut que se poser la question de savoir ce qu’est au juste une performance et en quoi réside son potentiel artistique.

Andrew hollandDirecteur suppléant et chef de la promotion culturellePro helvetia

un art hors-cadre

Page 4: Passages n° 57

4Performance

Ce qui fait le caractère de la performance et lui confère son pouvoir d’irritation, c’est sa façon de jouer avec l’être et le

paraître, la mise en scène et l’authenticité. Quelles sont les possibilités artistiques

de la performance à une époque où le mot recouvre de multiples formes

d’événements, de la manifestation sportive à l’assemblée d’actionnaires en

passant par le débat politique ? Dans ce dossier, nous nous interrogeons

aussi sur la capacité de contestation politique de la performance, nous

cherchons à comprendre quel est le rôle du public et tentons de découvrir ce qui agite la scène suisse de la performance.

Performance

Page 5: Passages n° 57

5Performance

Les spectacles méditatifs de l’artiste Victorine Müller occupent une

place particulière sur la scène suisse de la performance. Enveloppant son corps d’une seconde peau

fantasque, elle crée des installations d’une extraordinaire poésie.

Photo : performance return (Institut suisse pour l’étude de l’art, 2008).

http//:victorinemueller.com

Page 6: Passages n° 57

6Performance

es performances sont un élément essentiel des cou-tumes, pratiques et rituels des diverses cultures ; elles appartiennent à l’expérience de la culture quotidienne : comment nous nous habillons, comment nous soi-gnons notre corps, célébrons nos fêtes, organisons nos

manifestations, par exemple. Cette thèse d’anthropologie culturelle a été formulée conjointement dans les années soixante par l’eth-nologue Milton Singer, l’anthropologue de la culture Victor Turner et l’anthropologue du théâtre Richard Schechner. Sur cette base, ils ont engagé une recherche très active sur les différentes formes sociales, culturelles et esthé-tiques que prennent les perfor-mances, comprises comme des représentations, au sens théâ-tral du mot. Leur objet de re-cherches, ce furent surtout les « cultural performances » (Sin-ger), ces représentations qui imprègnent notre quotidien. Les performances, selon Victor Turner, sont une praxis dans la-quelle une culture se reconnaît elle-même.

L’omniprésence de la performance

Dans la perspective de l’anthro-pologie culturelle, les perfor-mances sont donc thématisées comme une caractéristique fondamentale des cultures hu-maines et des pratiques cultu-relles. Le regard du sociologue de la culture, lui, éclaire la si-gnification de la performance dans l’histoire récente de la so-ciété (post)moderne. À la suite de la transformation radicale de cette société depuis les années 1960, les performances ont gagné en importance. Car avec l’infor-matisation, la virtualisation et la médiatisation, accompagnées d’une théâtralisation du social qui se monnaie en « événements », un autre concept de la société s’est imposé. L’idée fondamentale est que la « performative society » (Kershaw) et la « modernité fugace » (Bauman) favorisent la flexibilité plutôt que la stabilité, opposent la fragmentation à la cohésion, placent la pluralité avant l’unité et promeuvent la multiplicité culturelle au détriment d’une culture homogène.

L’importance croissante du phénomène de la performance se manifeste dans tous les domaines de la société : l’économie, la politique, la culture, la science et le sport. Il peut s’agir de mani-festations sportives ou de procès publics, de débats politiques, de réunions de partis ou d’assemblées d’actionnaires : nombre de manifestations publiques sont mises en scène comme des perfor-mances. Politiciens, managers, avocats ou accusés ne se conten-

tent pas de se comporter comme des acteurs, mais leur succès ou leur échec se mesure à leur « bonne performance » – en cela, ils ressemblent à des stars des médias. Dans la publicité aussi, le concept est omniprésent. Il couvre un large spectre de signifi-cations, de la fonction et de la prestation jusqu’au résultat, au ren-dement et au succès, en passant par l’entrée en scène, le compor-tement et la présentation : des produits aussi différents que des souris d’ordinateur, des haut-parleurs ou un magazine d’infor-mations financières s’appellent « performance » ; une crème cuta-née antirides promet une « performance 3D », des marques de

vêtements sportifs, des agences de marketing ou de publicité se décrivent comme « active per-formance » ou « performance-advertising ». BMW qualifie son équipement pour voitures de sport de « BMW Performance », Porsche promeut la « Porsche intelligent performance », tan-dis qu’un spot publicitaire Mer-cedes-Benz demande : « What Is Performance ? »

La performance artistique, un acte de résistance

Aujourd’hui, tout peut être per-formance : le business miro-bolant, le discours politique, l’exposé scientifique, le simple divertissement, les rituels du quotidien, et jusqu’aux mises en scène du corps et de soi-même. Dès lors, on peut s’inter-roger sur le potentiel politique et esthétique de la performance en tant que forme artistique. Car depuis les années 1960, les performances – en tant que représentations – n’ont pas seu-

lement pris une importance crois sante dans l’espace social. D’abord et avant tout, elles se sont imposées comme praxis artis-tique scénique. La performance désigne ici un type de représenta-tion qui déstabilise beaucoup de frontières : celles qui séparent culture populaire et art, processus artistique et œuvre, auteur et objet, acteurs et public. La performance artistique thématise le lieu même de l’art et met en question la classification de l’art en différents genres. Certes, on ne peut guère trouver de définition pour la performance – mais le théoricien du théâtre Hans-Thies Lehmann décrit en ces termes son plus petit dénominateur com-mun : « La performance, c’est ce qui est annoncé comme tel par ceux qui la font ».

Bien que les actions des dadaïstes, dans les années 1920, puissent déjà être décrites comme des performances, il n’est pas surprenant que ce soit précisément au cours des années 1960 que la performance, dans l’art occidental, soit devenue une forme d’art

Qu’est-ce qu’une

performance au juste ?

De la manifestation sportive aux assemblées d’actionnaires en passant par le débat

politique, presque tout est décrit, aujourd’hui, comme une performance. Gabriele Klein,

sociologue de la culture, s’interroge sur la nature exacte de la performance, et sur

le potentiel esthétique et politique de cette forme d’art.

par Gabriele Klein

L

Page 7: Passages n° 57

7Performance

emblématique – dans le Performing Art, l’Action Art ou le Perfor-mance Theater. Durant cette décennie, la société industrielle com-mence à se transformer fondamentalement, tandis qu’avec la pen-sée (post)structuraliste, un nouveau paradigme s’impose dans les sciences. Le point de départ de la performance en tant que forme d’art, ce sont des avancées dans les arts plastiques et les arts de la scène. Des plasticiens comme Allan Kaprow, Wolf Vostell, Joseph Beuys, Yoko Ono, Nam June Paik et les actionnistes viennois de Happening, ainsi que Fluxus ou le Body Art, développent des formes qui s’apparentent à la performance, pour en faire des actes de résistance contre le marché de l’art. Avec eux, le canon formel des arts plastiques se transforme : il intègre le temps, c’est-à-dire la durée et l’instant décisif, la simultanéité, la non-répétabilité, la présence des corps.

L’introduction de la performance dans les arts plastiques mo-difie aussi leur lieu. Elle conduit hors de l’atelier, vers le public, et présente alors le processus de la création figurée comme un évé-nement théâtral. Tout particulièrement, la performance féministe devient, pour des artistes comme Marina Abramovic̀, Valie Export ou Yoko Ono, un instrument important de mise en scène de l’art politique au moyen de leur corps. D’une manière comparable aux artistes plasticiens, les metteurs en scène de théâtre comme Peter Stein ou Peter Zadek, dans les années 1960, expérimentent de nou-veaux concepts théâtraux. Sceptique vis-à-vis de la représentation mimétique, le théâtre se tourne vers le « postdramatique » (Leh-mann). Autrement dit, il se détourne d’une œuvre conçue comme un produit renouvelable, au profit d’un acte irrépétable de com-

munication, d’un processus, d’un Situation Theater. La perfor-mance, théâtre postdramatique, cherche de même une autre re-lation avec le temps et l’espace : elle instaure une praxis qui ne définit l’espace théâtral que par la représentation elle-même. Dès lors, il n’est pas étonnant que le jeune art de la performance, dès ses débuts, se définisse comme une pratique artistique émancipée du cadre théâtral classique, et qu’il cherche ses lieux dans l’espace public. Ces lieux lui permettent de jouer avec les conventions du théâtre bourgeois, d’interroger le lien entre acteurs et spectateurs, texte proposé et interprétation, le moi et ses rôles, et de transfor-mer le théâtre de la représentation en un spectacle public de la présence. L’art de la scène thématise et reflète la praxis sociale quo-tidienne en tant que forme théâtrale. Le théâtre, ce n’est plus seu-lement le lieu d’une représentation bourgeoise, mais une expé-rience de la réalité qui se veut immédiate, une mise en scène de l’authenticité. Le théâtre se joue ici au-delà d’un développement psychologique de l’action et des caractères. De même, le « texte »

théâtral ne repose plus sur un préalable littéraire qu’il s’agit pour le metteur en scène d’interpréter, avant que ce ne soit le tour du public. Il ne surgit vraiment que dans le processus du jeu. Les spec-tateurs, durant la représentation, sont inclus, de manière toujours plus active, dans le jeu théâtral, et perdent ainsi leur rôle classique de public qui consomme et qui interprète la représentation, pour devenir un public de spectateurs « émancipés » (Rancière).

Avec cette « dédramatisation », le théâtre se rapproche de la danse, tandis que la danse, de son côté, depuis les années 1970, avec le théâtre dansé qu’illustrent les noms de Pina Bausch, Johann Kresnik, Susanne Linke et Reinhild Hoffmann, se préoc-cupe du cadre théâtral de la chorégraphie. Dans le théâtre, lieu de « production de présence » (Gumbrecht) l’instant présent et l’éphémère, qui furent jadis les signes distinctifs de l’art corporel de la danse, deviennent des signes distinctifs du devenir théâtral, en même temps qu’un symbole de l’instabilité du social dans la « modernité fugace ».

La performance artistique depuis les années 1970

La performance se modifie en fonction de son cadre esthétique, politique et social. Ainsi, avec les performances artistiques des an-nées 1960 et 1970 dans les sociétés occidentales, les arts singuliers s’interpénètrent et les catégories perdent leur fixité. En revanche, l’art de la performance redécouvre dans les années 1980, avec une force nouvelle, la spécificité des arts singuliers. On avait proclamé hautement l’abolition des frontières, et voilà que fait retour une conscience renforcée des médias spécifiques : les objets dans les

arts plastiques, et les textes dans les arts de la représentation. L’art de la performance, dans les années 1980, combat avant tout la détermination du sujet par une instance extérieure, et lui oppose l’autodétermina-tion de l’artiste et du spectateur. En même temps, la performance cesse d’être action pour devenir représentation : le perfection-nement technique, une nouvelle proximité au texte, une structuration dramaturgique plus forte et une distance croissante vis-

à-vis du public peuvent être considérés comme les signes distinc-tifs essentiels de cette décennie. L’avant-garde des années 1980, comme Wooster-Group, Forced Entertainment et Needcompany transforment le texte en une intertextualité générale, qui s’in - sère dans des discours sans auteur ou pluri-auctoriaux, et qui ne vaut que comme un élément de la mise en forme scénique. En même temps, avec le « poetry slam », naît un nouvel art de la performance, à base littéraire, où, à titre de « lecture », tout ce qui est possible à la voix et au corps devient permis. De manière ana-logue, dans les arts plastiques, et dans les œuvres des « Nouveaux Fauves », on voit notamment apparaître une confiance renouvelée dans la peinture. Dans les pays du bloc de l’Est, se développe un art de la performance, la plupart du temps interdit, qui devient un vecteur de critique sociale.

L’art de la performance, dans les années 1990, témoigne d’un nouvel essor. Il se caractérise par un travail collectif. Par exemple chez Gob Squad ou Rimini Protokoll, qui traitent des éléments

L’art de la performance est aujourd’hui sommé de trouver une stratégie esthétique qui sache interroger les frontières devenues de plus en plus subtiles, dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme l’Autre, le dérangeant, l’étranger et l’étranger. ”

Page 8: Passages n° 57

8Performance

Le collectif de performance She She Pop opère avec certains éléments de leurs biographies : dans la production Testament (2010), les performeurs font

monter leurs propres pères sur scène. Puis ils se lancent dans des négociations sur l’amour,

l’héritage et la question de savoir qui est redevable de quoi à qui.

www.sheshepop.de

P22852_F_06_11_Dossier_Klein.indd 8 17.11.11 10:54

Page 9: Passages n° 57

9Performance

P22852_F_06_11_Dossier_Klein.indd 9 17.11.11 10:54

Page 10: Passages n° 57

10Performance

modulables de leur propre vie, tandis que le groupe She She Pop met en scène des récits autobiographiques. Christoph Schlingen-sief, sans doute le performeur le plus connu dans l’aire germa-nophone, renoue avec les années 1970, effaçant radicalement, dans ses actions, les frontières entre art et politique. La danse conceptuelle européenne pratique une critique esthétique de la représentation, avec des chorégraphes comme Jérôme Bel, Xavier Le Roy, Boris Charmatz ou Thomas Lehmen. En même temps, l’art de la performance dans les pays naguère communistes se développe à très vive allure, et devient un porte-voix important des jeunes démocraties, tandis que dans des pays comme la Chine ou Cuba, la performance artistique de-vient un moyen de transmettre des mes-sages politiques.

L’aspect politique de la performance

En mettant l’accent sur le travail col lectif, le processus artistique commun et l’inter-action entre les acteurs et le public, l’art de la performance apparaît comme une pra-tique artistique démocratique. Elle se veut – nos exemples l’ont montré – une instance politico-critique, en face du marché de l’art ou des relations sociales. Elle institue une forme d’art réflexif qui fait mieux comprendre quel est le lieu social de l’art contemporain, en interrogeant ses conditions fondamentales d’existence, dont elle fait le contenu de sa représentation. Parce que sa praxis est ra-dicalement liée au moment présent et à son caractère non répé-table, à la corporéité et à la présence, elle problématise le statut du musée et du théâtre, lieux d’une réalité illusoire et d’une représen-tation bourgeoise. C’est précisément pourquoi des théoriciens de la performance comme Baz Kershaw et Peggy Phelan la com-prennent comme un art politique : elle ne représente pas l’idée de la liberté, mais elle montre comment se produit la liberté. La per-formance, selon Phelan, offre une résistance contre les objecti-vations, elle est une forme artistique fugace, inutile au sens éco-nomique du terme. Dès lors, elle ne peut pas être entraînée dans la ronde de la fabrication d’images, de la représentation et de la reproduction. Mais comment l’art de la performance peut-il être critique si le fugace, le présent, l’éphémère et le théâtral sont eux-mêmes devenus la caractéristique première de la société contemporaine ?

Le cadre social de la critique esthétique

La dimension politique de la performance ne se reconnaît pas en soi, mais en référence à quelque chose – et cette référence, c’est le cadre social et artistique. Car contrairement à la situation qui pré-valait encore dans les années 1960, les performances artistiques, au début du XXIe siècle, sont confrontées à l’omniprésence du théâtral : le déplacement et la déstabilisation des ordres sociaux, des conventions et signes culturels, la provocation politique et esthétique, la recherche des utopies, des lieux hétérotopiques, l’ex-pression de l’absence, la quête des traces du refoulé, de l’oublié – tout cela, au vu de cette situation sociale, n’est plus si facile à faire exister esthétiquement. C’est pourquoi l’art de la performance est

aujourd’hui sommé de trouver une stratégie esthétique qui sache interroger les frontières devenues de plus en plus subtiles, dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme l’Autre, le dérangeant, l’étrange et l’étranger.

Jean-Luc Nancy voit dans le désir de « présence » l’exigence de produire « un peu plus de sens » – et ce surplus de sens est en-gendré par la constance et la surabondance d’offre interprétative dans une société des médias et de la mise en scène. Sur l’arrière-plan de cette thèse de la théorie des médias, qui s’oppose à celle de Phelan, on pourrait aussi tirer la conclusion suivante : dans une

société où le corps et la présence, l’aura et l’authenticité, l’actua-lité et l’événement sont devenus des impératifs de la mise en scène de soi, dans une société où les lois globales du néolibéralisme exigent la production permanente de la nouveauté perpétuelle, la performance, précisément à cause de sa non-reproductibilité, cor-respond aux nouvelles lois de la politique néo-libérale et du mar-ché global. On pourrait dire, de manière plus abrupte, que cet art avant-gardiste explore en quelque sorte les principes néolibéraux. Ainsi, la performance peut être vue non seulement comme critique mais aussi comme le pendant esthétique d’une économie néolibé-rale ; elle n’en est pas moins une praxis qui met à l’épreuve les nou-velles valeurs du monde globalisé, comme la mobilité, la fugacité, l’absence de fixation dans un lieu, la flexibilité, la redécouverte permanente de soi-même. Pour que la performance – comme la danse – en tant que forme d’art, présente parce que fugace, puisse dé velopper sa force critique et ses ambitions artistiques, il faut des stratégies esthétiques qui lui permettent de se distancer de la « so-ciété du spectacle » (Debord) : son attitude de refus peut alors se traduire en immobilité, en lenteur, ou dans une mise en scène de l’absence. Ainsi donc, ce n’est qu’en référence au cadre, c’est-à-dire au contexte interprétatif, et à la situation singulière où s’accom-plit la performance artistique, qu’on peut savoir si cette perfor-mance est socialement critique, résistante ou innovatrice sur le plan de l’art.

Gabriele Klein, sociologue et spécialiste en sciences de la culture, est professeur à l’Université de Hambourg et directrice du Zentrum für Performances Studies de cette Université. www.performance.uni-hamburg.de Traduit de l’allemand par Étienne Barilier

Ainsi, la performance peut être vue non seulement comme critique mais aussi comme le pendant

esthétique d’une économie néolibérale ; elle n’en est pas moins une praxis qui met à l’épreuve les

nouvelles valeurs du monde globalisé, comme la mobilité, la fugacité, l’absence de fixation dans un lieu,

la flexibilité, la redécouverte permanente de soi-même.”

Phot

o pa

ge 8

: D

orot

hea

Tuch

; pa

ge 1

1 : K

atri

n Sc

hoof

Page 11: Passages n° 57

11Performance

Les créations chorégraphiques de Xavier Le Roy se fondent sur

une investigation du corps et de l’art. Photo extraite de la production

Giszelle (2001), conçue par Le Roy et dansée par Eszter Salamon.

www.xavierleroy.com

Page 12: Passages n° 57

12Performance

n beau matin de juin 2002 : dans une banlieue de Düs-seldorf, le metteur en scène Christoph Schlingensief, portant long manteau et lunettes de soleil, décharge un piano devant le siège de la firme Web/Tec. Il l’en-sevelit sous de la poudre à lessive, répand un sac de

plumes dans le jardin à l’entrée, place un poulet vivant sur le piano et met le feu à une poignée de livres, dont plusieurs éditions de Mort d’un critique de Martin Walser ; les livres sont placés sous une poupée de paille ; collée sur son visage, une photocopie mon-trant le premier ministre israélien, Ariel Sharon. Assistent à cette performance, intitulée Aktion 18, non seulement une petite foule de spectateurs et de journalistes, mais encore la police et les ser-vices de protection de l’État, qui filment l’action. Car le « rituel de purification » vau-douesque de Schlingensief se rapporte au propriétaire de la firme Web/Tec, Jürgen Möl le mann, homme d’affaires soignant ses contacts avec le monde arabe, mais aussi président du Parti libéral-dé-mocrate (FDP) de Rhénanie- du-Nord-Westphalie, qui fait campagne électorale et la une des journaux avec ses positions antisémites.

L’action ne dure que dix minutes et se déroule plutôt calmement. Les seuls à avoir les nerfs à vif sont les poli-ciers chargés de la protection du bâtiment (et du jardin). Il est fort possible que le « Tuez Möllemann ! » prononcé par Schlingensief quelques jours auparavant dans un théâtre de Duisbourg les ait rendus particulièrement vigilants. Mais pour qui connaît l’ar-tiste et son travail, l’excla-mation ne s’accompagne pas plus d’intentions de meurtre réelles que le « Tuez Helmut Kohl ! » vociféré précédemment à la documenta X. Pour Schlin-gensief toutefois, ces dix minutes ne sont pas sans conséquences : il est poursuivi en justice et doit payer une forte amende, bien qu’il ait lui-même rappelé le contexte artistique de son action.

La performance comme prise de position politique

Si on mentionne Aktion 18, c’est qu’il s’agit d’un véritable clas-sique de la performance politique. Au contraire d’une pièce de théâtre traditionnelle, la performance n’est pas centrée sur un texte dramatique, pour la représentation duquel des acteurs se glissent dans des rôles et font comme s’ils étaient d’autres qu’eux-

mêmes. Comme aussi dans le rituel religieux, le focus porte bien davantage sur l’action-même réalisée par le performeur : dans l’exemple cité, sur une série d’actions arrachées à leur contexte habituel, qui acquièrent un sens propre par leur agencement et le lieu de la représentation.

Par ailleurs, l’auto-mise en scène de l’artiste-protagoniste en manteau et lunettes de soleil, renvoyait à Joseph Beuys, dont la performance I like America and America likes me (1974) avait elle aussi été bien plus qu’un exercice d’art ésotérique. Le coyote vivant, que Beuys avait cherché à apprivoiser plusieurs jours durant dans une galerie new-yorkaise, symbolisait l’Amérique autochtone, et que l’artiste se soit expressément et exclusivement

occupé de cet animal lors de son voyage aux États-Unis re-lève bien sûr de la prise de po-sition politique.

L’Aktion 18 de Schlingen-sief se référait elle aussi à la réalité politique allemande, par le choix des mots et du lieu et parce qu’elle s’emparait de procédés à connotation anti-sémite comme l’autodafé. De manière significative, un pas-sant a brandi pendant toute l’action une pancarte avec l’inscription « Schlingensief est-il fou ? Non ! Fascistoïde ? Oui ! », sans toutefois qu’on sache vraiment s’il faisait par-tie de la mise en scène ou s’il agissait librement.

Le mélange entre réalité et fiction, sérieux et futile, « gauche » et « droite » ou en-core art et non-art semble d’ail-leurs être un élément consti-tutif du pouvoir d’irritation qu’une performance peut dé-velopper dans le domaine du politique. Ce mélange explique également pourquoi certaines performances ont des suites pénales – même s’il n’est pas

toujours possible de trancher entre la simple application d’un sys-tème de droit valable pour tous ou l’intervention de dirigeants cher-chant à neutraliser de fâcheux critiques. Mais d’un point de vue éthique, du côté des artistes aussi, il peut y avoir des limites entre art et réalité à ne pas franchir, comme lorsque le compositeur Karl-Heinz Stockhausen qualifie l’attentat contre le World Trade Center d’œuvre d’art.

Dans l’art de Christoph Schlingensief, il y avait à la source de ce pouvoir d’irritation un calcul non pas criminel, mais toujours politique : fonder un parti (Chance 2000) et se porter lui-même candidat à la Chancellerie allemande (où il obtient tout de même

Irriter, éclairer : les

performances politiques

On ne déclenche pas de révolution avec des performances politiques. Cette forme artistique a

néanmoins un pouvoir d’irritation qui se révèle dans le domaine du politique, précisément.

Mais alors que les performances de Christoph Schlingensief suscitaient encore le

tollé, la génération actuelle a baissé le ton. Des performeurs comme Rimini Protokoll,

Milo Rau et Gob Squad agissent en chercheurs, qui expliquent et éclairent.

par Eva Behrendt

U

Phot

os :

Dav

id B

altz

er (

en h

aut)

; II

PM –

Int

erna

tion

al I

nsti

tute

of P

olit

ical

Mur

der

(en

bas)

Page 13: Passages n° 57

13Performance

Pour la performance Die letzten Tage der Ceausescus, l’écrivain et dramaturge suisse Milo Rau

a conduit de nombreuses interviews avec des témoins de l’époque ; il a ensuite minutieusement

reconstruit sur scène le procès-spectacle du couple présidentiel. http://international-institute.de

L’art actionniste de Christoph Schlingensief résultait d’un

calcul politique : à Vienne, dans son action Ausländer raus ! (2000),

il a demandé à des téléspectateurs de choisir les étrangers qu’ils voulaient expulser et a ainsi

provoqué des émeutes publiques. www.schlingensief.com

Page 14: Passages n° 57

14Performance

60 000 voix), laisser le public décider tout à fait démocratiquement de l’expulsion de requérants d’asile ou faire intervenir dans une mise en scène zurichoise de Hamlet de prétendus néonazis repen-tis. Les réactions des médias et du public ont montré que ce calcul fonctionnait avec une belle régularité. L’extrême rapidité et la sû-reté de tir de Schlingensief, qui ont bien souvent assuré à ses per-formances les gros titres de la presse, restent à ce jour inégalées dans l’espace théâtral germanophone. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a plus de théâtre ni de performances politiques, mais dans l’ensemble, le ton et les exigences ont baissé. D’un point de vue idéologique aussi, les temps ont changé. Alors qu’un Schlin-gensief se référait largement à l’art avant-gardiste des années 1960 et 1970, le regard que portent les créateurs d’aujourd’hui sur cet art ne se contente pas de transfigurer, il est critique aussi. En effet, aussi passionnantes et marquantes qu’aient souvent été les nou-velles formes, aussi douteux fut parfois leur contexte idéologique. C’est peut-être également pourquoi la génération des créateurs nés après 1970, post-soixante-huitarde, n’a pas un rapport aussi détendu à leur égard que ne le fut celui de Schlingensief, décédé en 2010.

La performance comme mise en lumière

On remarque en tout cas que de nombreux performeurs de la scène théâtrale actuelle se présentent comme des chercheurs-en-seignants agissant de façon (apparemment) objective plutôt que comme des artistes-sujets radicaux. Ils préfèrent montrer des attitudes plutôt que de les représenter publiquement et délèguent au spectateur la tâche de se faire une opinion ou de se positionner politiquement par rapport au matériau offert à leur regard. Leur intention est d’éclairer, leurs instruments sont les techniques du journaliste, de l’historien ou du sociologue, telles que l’interview, l’enquête et l’étude de sources. Ils travaillent également avec des comédiens amateurs, mettant toutefois l’accent sur le renseigne-ment biographique – vie quotidienne, pro-fession, pratiques religieuses – plus que sur leurs compétences artistiques.

Quand par exemple le metteur en scène Hans-Werner Kroesinger planifie un nou-veau projet, il commence par un travail de lecture intensif. Depuis la fin des années 1990, le spectre de ses thèmes va des crimes de la politique coloniale aux chroniques familiales exemplaires (comme celle des Flick, grands industriels qui ont toujours soutenu sans vergogne les dirigeants politiques du moment), en passant par les génocides historiques comme celui des Arméniens par les Turcs (avec un focus particulier sur le rôle des Allemands). À l’instar d’un historien, Kroesinger (né à Bonn en 1962) dégage sa matière à partir de textes primaires et de sources, qu’il assemble – ici dans le rôle du dramaturge – en un collage polyphonique. Comme les sources ne sont pas citées lors de la représentation et que les acteurs n’incarnent pas de rôles clairement définis, les performances de Kroesinger constituent un théâtre de réflexion exigeant, à l’opposé de l’« histotainment » : le spectateur doit être extrêmement attentif, s’il veut comprendre qui parle, et sous quel

angle, d’un événement spécifique ; la récompense, ce sont souvent de nouvelles révélations ou même un décalage par rapport à la ver-sion historique officielle.

La reconstruction à effet cathartique

C’est une autre approche qu’adopte quant à lui l’auteur et créateur de théâtre suisse Milo Rau, né en 1977. Pour la performance Die letzten Tage der Ceausescus (Les derniers jours des Ceausescu), il a mené de nombreux interviews avec des témoins d’époque ayant participé à la révolution de 1989, entre autres avec le général Stanculescu, qui trahit le dictateur et sa femme, et le soldat Dorin Calan, qui les fusilla. À partir de ces interviews et de documents cinématographiques historiques, Rau et son équipe, dont des acteurs professionnels, ont tenté une minutieuse reconstruction sur scène du procès-spectacle et de l’exécution des Ceausescu dans une caserne militaire.

Formellement, la mise en scène s’inspire d’un passe-temps pratiqué par les passionnés d’histoire et appliqué depuis quelques années au théâtre : dans ce qu’on appelle le reenactment (recons-titution), des personnes parfaitement ordinaires rejouent des batailles militaires ou des combats sociaux sur leurs lieux histo-riques. Que ces reconstructions puissent avoir un effet cathartique pour les participants, du moins lorsque les événements sont re-lativement récents, Jeremy Deller et Mike Figgis l’ont montré dans leur documentation filmique The Battle of Orgreave : lors du reenactment de la lutte de 1984 entre mineurs en grève et police britannique, les acteurs d’hier, en inversant leurs rôles, ont vécu l’événement sous un jour nouveau.

Le spectacle de Milo Rau développa lui aussi, du moins lors de sa représentation à Bucarest (dans un théâtre toutefois), un cer-tain potentiel explosif : un des fils Ceausescu intenta un procès, qu’il perdit, visant à interdire l’utilisation de son nom de famille. Mais avant tout, il donna l’occasion aux spectateurs et acteurs de

faire ressurgir un passé tout proche, y compris les modèles d’in-terprétation et images que nous en avons. Dans un pays tel que la Roumanie qui, comme de nombreux autres dans l’ancien Bloc de l’Est, n’a pas le temps de cultiver sa mémoire ni de soigner le débat sur le passé, cela suffit à être un acte provocateur.

Capituler devant la révolution

Au sens étroit cependant, ni les mises en scène de Hans-Werner Kroesinger, ni le reenactment de Milo Rau ne sont des perfor-mances politiques, car elles restent dans l’enceinte protectrice du théâtre. Le théâtre de mise en scène et le théâtre littéraire de la

Le mélange entre réalité et fiction, sérieux et futile, « gauche » et « droite » ou encore art et non-art semble

d’ailleurs être un élément constitutif du pouvoir d’irritation qu’une performance peut développer dans le

domaine du politique. Ce mélange explique également pourquoi certaines performances ont des suites pénales.”

“Ph

oto

: Man

uel R

eina

rtz

Page 15: Passages n° 57

15Performance

Ils descendent dans la rue et poussent les passants à faire la

révolution : le groupe de performance germano-britannique

Gob Squad avec Revolution Now ! (2010).

www.gobsquad.com

Page 16: Passages n° 57

16Performance

dernière décennie ont eux aussi fréquemment pris position sur des thèmes politiques, laissant parfois loin derrière eux le théâtre dra-matique – comme par exemple lorsque Volker Lösch accompagne ses mises en scènes d’auteurs classiques de chœurs composés de chômeurs ou de prostituées, qu’Elfriede Jelinek commente les faits sociaux et politiques d’une plume féroce ou que René Pollesch souffre avec malice de l’état du « Je » sous l’influence du capita-lisme. Rares sont pourtant les créateurs qui osent l’intervention spontanée, peut-être même agressive, hors le cadre protecteur du théâtre, du musée ou de l’exposition d’art.

Le collectif de performance germano-britannique Gob Squad connaît le dilemme et cherche dans presque tous ses travaux à franchir le seuil séparant l’espace artistique de la rue, sans se faire d’illusion sur la portée de sa force de frappe artistique. Dans Revo-lution now ! (2010), l’une de leurs performances les plus récentes à la Volksbühne de Berlin, sise place Rosa-Luxemburg, les per-formeurs quittaient le théâtre pour interroger les passants et les encourager à l’acte révolutionnaire – le tout retransmis en direct par vidéo. L’issue de ce jeu auto-ironique était vraisemblablement connue d’avance, les artistes ne croyant pas eux-mêmes qu’un changement de société soit réalisable – encore moins sur la base d’une intervention artistique. Le « peuple » de la rue leur a donné raison, avec esprit. Après un allègre parcours de l’iconographie révolutionnaire, le collectif a donc capitulé et renoncé au grand changement. Peut-être s’est-il rendu la tâche trop facile ? Mais ne serait-ce pas en fin de compte assez symptomatique ?

Un changement de perspective efficace

Le collectif Rimini Protokoll, lui, a tout au moins su créer un cer-tain émoi au sein de la direction de Daimler. Lors de l’assemblée générale de la société à Berlin en 2009, le président du conseil de surveillance Manfred Bischoff, apparemment pressé de mettre les choses au clair, accueillait les actionnaires par une phrase inhabi-tuelle : « Ceci n’est ni un spectacle, ni une pièce de théâtre ! ». En effet, tout juste au moment de la crise financière, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel, soutenus par le théâtre berlinois Hebbel am Ufer (HAU), avaient eu l’idée de qualifier la réunion des actionnaires de ready-made intitulé Assemblée générale, et de donner accès à la manifestation à 150 spectateurs par transfert du droit de vote des actionnaires. Au regard des quelque 7000 actionnaires réunis, il s’agissait là d’une infime minorité, mais le président du conseil avait clairement reconnu le danger potentiel : qui verrait la manifestation d’un œil d’« observateur participant » (Clifford Geertz), et non de participant, en tirerait d’autres conclu-sions et percerait éventuellement à jour ce rituel pseudo-démo-cratique.

C’était justement l’effet escompté par Rimini Protokoll, qui dans ses travaux ne cesse de questionner le rapport entre appa-rence et réalité. Leur acte artistique se résumait à un déplacement de perspective des plus efficaces, par lequel ils ne voulaient pas « dé-noncer comme show » « l’auto-présentation d’un global player », mais permettre de vivre la manifestation « en tant que rituel d’une assemblée aux intérêts divers ». Ils y parvinrent de main de maître, abandonnant le spectateur à lui-même tout en lui offrant la possi-bilité d’approfondir la matière avec des spécialistes dans des entre-

tiens menés à l’extérieur de la salle de réunion. Manifestation de routine pour les magnats de l’économie, l’assemblée générale se mua pour certains spectateurs en cours d’initiation à l’économie, au marketing et à la manipulation – ici encore, un projet éclairant, dans le meilleur des sens. Actuellement, on ne peut aller plus loin.

Eva Behrendt (*1973) est critique de théâtre et rédactrice au magazine spécialisé Theater heute. Elle vit à Berlin. Traduit de l’allemand par Anne Maurer

Page 17: Passages n° 57

17Performance

épéter, organiser, répondre aux questions, allaiter – Simone Aughterlony n’a pas la tâche facile par cette journée d’août caniculaire. Elle prépare sa nouvelle pièce We need to talk à la Dampfzentrale de Berne. Quelques étages plus haut, ses enfants l’attendent

dans l’appartement réservé aux artistes, tandis qu’on teste la lu-mière et la musique pour les derniers passages à reprendre ce jour-là. Tout en étant fatiguée, Simone Aughterlony est pleine d’éner-gie. Tout à l’heure elle était encore couchée sous une bâche de plastique étouffante et rigide, à dire d’une voix sourde : « Dans dix minutes, je n’aurai plus d’air, j’ai oublié ma bouteille d’oxygène. » Plus tard, assise sur un juke-box, elle racontera l’histoire de l’Alien. En spectatrice, on écoute d’abord, captivée, puis on perd le fil, mais on le retrouve au moment où l’ambiance s’alourdit, quand l’Autre n’est plus cajolé et protégé par la communauté, mais battu, et que la danseuse esquisse de singu-liers paysages corporels. Ici, elle s’interrompt et va s’asseoir près de son dramaturge, au bord de la scène. Très bien. C’était épique, cette fois. Raconter durant vingt minutes, effectuer un petit tour dans l’univers de la science-fic-tion et revenir.

*

Beaucoup plus tôt, dans la pièce, la bâche de plastique gonflée représentait un immense globe. Une planète lointaine ? La Terre mère ? On l’ignore encore et cela ne sera sans doute jamais dit précisément. Simone Aughter-lony n’a pas envie d’imposer des images arrêtées au public, elle préfère le laisser réfléchir tout seul. Elle considère son vis-à- vis comme son égal. Dans sa première pièce, Public Property (2004), elle avait déjà rapproché sa chaise tout près de la rangée de spectateurs pour mettre à l’épreuve les liens entre public et actrice. « Pourquoi les spectateurs seraient-ils là et me prêteraient-ils at-tention, si je ne m’adresse pas à eux ? », demande-t-elle. Être face à face, regarder droit dans les yeux des autres, rire et raconter, redire encore, proposer des variations sur ce qui est immuable – tout cela fait partie des caractéristiques de cette artiste vivant à Zurich. Elle met les scènes bout à bout en faisant de longs détours dramatur-giques, pendant lesquels les deux parties, performeurs et specta-trices, doivent tenir bon. Et cela, jusqu’à ce que surviennent de pe-tites transformations qui provoquent presque imperceptiblement un tournant. Par exemple, lorsqu’un anniversaire bascule dans un adieu au bonheur et finit par retrouver le chemin de la fête, dans The best and the worst of us (2008). Ou dans Performers on Trial (2005), quand des pas de danse aériens sont effectués mécanique-

ment sur des gémissements de plus en plus insistants. Tout cela dans un espace saturé d’énergie, malgré la dilatation du temps. Simone Aughterlony est très forte. Pleine de fougue et d’assurance, elle laisse en même temps paraître quelque chose de fragile et de blessé.

*

L’une et l’autre facette, la fougueuse et l’inquiétante, font la répu-tation de la danseuse dès le début de sa carrière. Néo-Zélandaise d’origine anglaise, elle rejoint en 2000 la compagnie de Meg Stuart, Damaged Goods, puis passe avec celle-ci de Bruxelles au Schau-spielhaus de Zurich. Elle y danse, tremble et chante comme s’il y allait de sa vie, dans Highway 101 (2000–2001), dans Alibi (2001) et Visitors only (2004). Elle ne tarde pas à devenir la figure cen-

trale du travail de Meg Stuart, re-formule à sa manière Disfigure Study, le solo génial de cette der-nière, créé en 1991.

La collaboration entre Meg Stuart, sa compagnie, et l’équipe du Schauspiehaus dirigée par Christoph Marthaler, dure quatre ans. Suffisamment longtemps pour que Simone Aughterlony se fasse des amis et noue des contacts à Zurich. Engagée comme per-formeuse et chorégraphe pour les créations théâtrales de Stephan Pucher et Falk Richter, elle fait ses propres recherches chorégra-phiques dès 2003. Le Theaterhaus de la Gessnerallee lui offre la plate-forme dont elle a besoin ; elle y présentera son premier solo, Pu-blic Property. D’autres coproduc-tions suivent, avec le HAU à Ber-lin, la Schouwburg à Rotterdam, la Dampfzentrale à Berne, des col-laborations qui perdurent. Tout bien compté, neuf œuvres ont vu

le jour depuis lors, des duos, des pièces de groupe, mais aussi des travaux réalisés en commun avec d’autres artistes comme Isabelle Schad et Jorge León, lequel l’accompagne souvent comme drama-turge. C’est avec lui que voit le jour, en 2010, To serve, une trilogie sur la situation des employées de maison, composée d’un film, d’une pièce et d’un programme de performances qu’elle dirige. À la fois un succès et un tour de force. Après la naissance de son second enfant, Simone Aughterlony veut revenir à la petite forme, au solo, et donc au début de sa carrière.

*

Elle passe en revue tout ce qu’elle a fait jusqu’ici, écrit de petits textes, se demande quels sont les motifs récurrents de son travail et où poursuivre sa recherche. Ne pas écarter le connu, dit-elle, mais l’explorer sous un autre angle ou « faire de ses fantômes des

Les mots, à la source du

mouvementDanse ou performance ? Pour la danseuse et chorégraphe Simone

Aughterlony, les deux genres sont esthétique-ment inséparables. Ils jouent tous

deux avec le temps, l’espace, la présence d’un public. Et la présence des corps,

bien entendu. Portrait.

par Julia Wehren (texte) et Fabian Unternährer (photo)

R

Page 18: Passages n° 57

18Performance

La confrontation directe, un regard de défi lancé droit dans les

yeux de ses vis-à-vis, du rire et des histoires, mais aussi

des variations toujours renouvelées sur le même thème – tels sont les signes distinctifs de l’artiste

Simone Aughterlony.

Page 19: Passages n° 57

19Performance

invités. » Ses principales interrogations concernent la représen-tation et la feinte sur scène, la frontière entre fiction et réalité, l’authenticité des gestes et des émotions. Avec We need to talk, c’est la première fois que des éléments autobiographiques se glissent dans son travail.

Née en Nouvelle-Zélande en 1977, l’artiste a obtenu le diplôme de la New Zealand School of Dance en 1995. 1977 est aussi l’année où les États-Unis envoient dans l’espace les sondes Voyager 1 et 2. Avec, pour échantillon terrestre, le Golden Record, un disque d’images et de sons attestant de la vie humaine, déchiffrable à l’échelle intersidérale pour ainsi dire, censé témoigner un jour des réalisations de l’humanité. Y figurent notamment quatre-vingt-dix minutes de morceaux choisis, allant de Beethoven et Bach à la musique populaire, en passant par Chuck Berry. Simone Aughter-lony les a choisis pour servir de cadre à son solo, un canevas à la fois contraignant et inspirant. Son idée d’un avenir dans le grand tout, elle l’associe à des histoires de science-fiction, dont les struc-tures temporelles et spatiales la fascinent depuis longtemps. « La science-fiction transporte toujours le passé dans l’avenir, dit-elle, elle ne crée pas quelque chose de vraiment nouveau. » Car avec toute l’imagination du monde, un ailleurs hors du présent est tout simplement inconcevable.

*

Simone Aughterlony effectue de nombreuses et longues re-cherches pour son travail, elle lit et va au théâtre, même si c’est de moins en moins souvent, à son grand regret. Elle s’efforce de suivre au moins les spectacles de danse vraiment importants. Les derniers solos de Jérôme Bel par exemple, ou le travail de Tim Etchells et de sa compagnie Forced Entertainment, pour qui elle a aussi joué en 2007 dans Bloody Mess. Elle est très attachée à son réseau. Elle travaille souvent avec les mêmes artistes, avec son partenaire Thomas Wodianka, avec Nic Lloyd, Kate McIntosh et Phil Hayes, qui sont musiciens, performeurs et acteurs. Simone Aughterlony aime collaborer avec des artistes dont le corps n’a pas été formé spécifiquement à la danse. Cela crée une proximité particulière avec le public, qui s’identifie plus facilement à la manière dont ces corps communiquent, réussissent à faire quelque chose ou non. En tant que chorégraphe, elle s’inspire volontiers des autres com-pétences artistiques de ses collaborateurs. Il s’opère ainsi une sorte de transfert de connaissance : « Nous échangeons nos qualités, nous discutons, nous apprenons les uns des autres. » Mais c’est la chorégraphe qui garde la haute main, dit-elle, elle qui propose les thèmes des improvisations et décide à la fin ce qu’on verra sur scène. Elle dit aussi « arranger, opposer » pour décrire son activité ; quand on lui demande quel est son métier, elle répond « choré-graphe et faiseuse de performances ».

*

Son propre corps de danseuse, éduqué et formé à l’aune du ballet classique et contemporain, elle le comprend comme une pos sibilité bienvenue d’explorer des mouvements. Elle le remettra sérieuse-ment à contribution dans son nouveau solo. « La musique clas-sique fait remonter des expériences de la danse enfouies », dit-elle en riant, toute contente que son corps fonctionne encore si bien.

Après cette semaine de répétitions, elle devra tout de même se pen-cher d’abord sur des textes, passer des heures à visionner du ma-tériel vidéo : les notes du dramaturge et ses improvisations filmées devront se distiller lentement jusqu’à l’aboutissement d’une forme solide. C’est Simone Aughterlony qui définira presque tous les élé-ments, les mouvements comme le texte : « Je sais à chaque instant ce que je fais et où », dit-elle. De manière assez claire pour pouvoir ensuite en user sur scène en toute liberté. Qu’elle danse, parle ou chante ne fait pas une grande différence pour elle. Parfois les mots viennent plus vite que le mouvement : « Parler, marmonner m’aide à trouver le mouvement », dit-elle. Danse ou performance ? Si-mone Aughterlony estime que ces deux genres sont désormais esthétiquement inséparables. La scène actuelle de la danse em-prunte des stratégies qui sont propres à la performance, au théâtre, aux arts visuels. Rattacher une production à l’une ou l’autre scène dépend en fin de compte de l’idée que se font les artistes de leur propre travail, de la manière dont ils aimeraient être perçus, du type de promotion et d’organisation, du marché où ils tiennent à évoluer. De leur côté, les institutions ont besoin de définir des catégories où ranger les artistes. « Mais en dernier ressort, les deux genres jouent avec le temps, avec l’espace, avec la présence d’un public », dit-elle. Et la présence des corps, bien entendu. « Peut-être le corps d’un danseur produit-il plus facilement du sens, il est peut-être plus expressif », ajoute-t-elle. Ce qui est sûr, c’est que la formation artistique est toujours lisible à même le corps. C’est ce qui rend le mélange, le croisement des formes d’expression si pas-sionnant pour Simone Aughterlony, qui est danseuse de métier.

www.aughterlony.com Julia Wehren (*1975) est danseuse et historienne de la danse. Elle a été journaliste de rubriques culturelles jusqu’en 2007, puis assistante à l’Institut d’études théâtrales, à Berne. Elle prépare actuellement une thèse grâce à une bourse du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Fabian Unternährer (*1981) vit et travaille comme photographe indépendant à Berne. Formé à la Zürcher Hochschule der Künste et à l’École Supérieure d’Arts Appliqués de Vevey, il a présenté ses travaux dans plusieurs expositions individuelles et de groupe, surtout en Suisse. www.fu-photo.ch Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

Page 20: Passages n° 57

20Performance

maginons que les perfomeurs et le public soient liés par un contrat, quel en serait à votre avis le principal élément ?À mon avis, l’essentiel pour les spectateurs est leur dispo-nibilité à être là – à regarder et à expérimenter ce qui se

passe. Ça paraît tout simple, mais je crois qu’en fait c’est difficile pour la plupart des gens, moi y compris, parce qu’on vient avec un tas de choses en tête, avec ses attentes et ses préoccupations, et on risque bien de confondre ce que l’on voit et ce que l’on souhaite voir se passer. Je suppose que, d’une certaine façon, toute perfor-mance s’efforce de créer ce contact fondamental, ce contrat, ce qui revient à dire : nous sommes ici, vous êtes là, et c’est un moment que nous partageons.

Et comment créez-vous ce partage, en tant que membre de la troupe ? Les acteurs qui réalisent la performance ont aussi des ef-forts à faire – pour être là, oc-cuper l’espace, être présents avec le public de la soirée, négocier ce qui se développe entre nous et lui, entre les différents acteurs sur scène. Dans une performance, le pire piège dans lequel tom-ber, c’est de se laisser prendre par la routine ou par une sorte de rêve, et de ne pas réa-liser ce qu’on est en train de faire. Pour nous en particu-lier, avec nos tournées de per-formances qui nous mènent d’un théâtre à l’autre, nous pouvons facilement être pris par les questions techniques ou les soucis de la représen-tation d’hier plutôt que celle d’aujourd’hui. Il nous faut vraiment être présents au pu-blic réel qui est là en ce moment. L’accent mis sur cette implica-tion, sur la présence, c’est un combat contre l’idée d’un public qui serait le consommateur passif d’un spectacle, contre l’idée d’une performance où les spectateurs ne sont pas impliqués, pas vrai-ment présents. Je sais bien que c’est une façon cruelle d’imaginer le public : un animal affamé qui veut que quelque chose se passe, assoiffé de sang, désireux de plaisirs rapides.

Quand je songe aux performances de Forced Entertainment, je remarque que vous vous adressez souvent directement au public : vous flirtez avec lui, vous le taquinez, vous le repoussez, et il ne cesse de se demander ce que les acteurs peuvent bien fabriquer sur la scène. Vous donnez vraiment à faire aux spec-tateurs…

Ce qui m’intéresse, c’est d’impliquer les gens pour qu’ils soient complètement présents et attentifs, pour pouvoir les amener à une autre manière de voir, qui séduit et trouble, qui plaît et contrarie. Je crois que nous devons toujours partir de cet élément de base, de cette notion simple de la présence. C’est ensuite que se produit le passage à la fiction, au flirt, au mensonge, que l’on prétend que ce dont on parle peut vous emmener en voyage loin d’ici, loin de maintenant. C’est comme si chaque performance devait mettre à nu ce qui pourrait se passer maintenant. Avec toute la fascination que je ressens pour la présence et la transparence, je suis aussi saisi par le fait que les acteurs peuvent être distants, renfermés, incompréhensibles, insondables. Voilà une autre facette intéres-

sante de la relation entre le spectateur et la scène : per-cevoir les acteurs sous cet aspect plus distant peut vous amener à vous poser des questions, vous étonner. Ça peut aussi déranger, trou-bler, ennuyer ! Mais ce qui est in téressant, c’est que ces états d’incertitude, ces zones d’ombre renferment un po-tentiel de transformation, peuvent apporter la lumière d’une autre manière, ouvrir d’autres possibilités.

Votre image du public a- t-elle changé pendant le quart de siècle où vous avez travaillé avec Forced Enter-tainment ?Ça a beaucoup changé au cours des années. Tout au début, dans les années 1980, je pense que nous étions franchement timides, nous ne percevions pas vraiment le public, nous étions comme derrière un mur. Nous nous

passionnions pour le cinéma, nous aurions voulu faire des films. Réaliser qu’il y avait un public était embarrassant, en quelque sorte. Nous étions dans une bulle, jusqu’au jour où nous nous sommes mis à l’entrouvrir. Et voilà que, les années suivantes, nous n’avons plus cessé d’être en relation avec les spectateurs. Tout allait vers eux. Nous étions en rang devant la scène, les lumières étaient allumées, et nous avions envie de leur parler directement. Cette relation a passé par divers états – depuis First Night, qui joue sur l’agression et s’amuse à causer des problèmes aux spectateurs. C’est une performance qui explore une notion du public comme un monstre tyrannique, terrifiant et oppressif. Un an ou deux plus tard, nous avons joué une longue histoire, And on the Thousandth Night…, qui est très différente, chaleureuse et généreuse envers le public. Notre traitement du public, l’image que nous nous

Peut-on faire confiance à

son voisin dans la salle ?

Le contact avec le public, pour la célèbre compagnie britannique Forced Entertainment, est

un moment essentiel de son travail artistique. Tim Etchells, auteur dramatique et directeur artis-

tique de la troupe raconte comment les performeurs ne cessent d’explorer la limite entre la scène

et les spectateurs, et mettent parfois à l’épreuve la relation entre la performance et son public.

Propos recueillis par Dagmar Walser

I

Phot

os :

Hug

o G

lend

inni

ng

Page 21: Passages n° 57

21Performance

« Rappelez-vous que vous êtes bien plus nombreux que nous. Si

on en vient aux mains, c’est vous qui gagnerez, aucun doute… » Dans

Showtime, Richard Lowdon s’adresse directement aux

spectateurs, thématisant ainsi les rapports de force qui existent entre

performeurs et public.

Chaque représentation théâtrale crée une communauté car les spectateurs

se sentent liés par ce qu’ils vivent. Dans Speak Bitterness, les

performeurs se mettent en tête de détruire cette unité et de diviser le

public.

Page 22: Passages n° 57

22Performance

faisons de lui a donc complètement changé, et continue de chan-ger. J’ai l’impression que notre mission à long terme, c’est d’explo-rer toutes les manières dont on peut habiter cette relation et de changer les temps de cette relation, de changer sans cesse sa température, sa texture.

Dans vos performances, vous avez souvent travaillé sur l’épui-sement des acteurs, notamment dans les durational perfor-mances. Mais vous avez aussi réalisé Thrill of it All, par exemple, qui commence par vingt minutes de danse, après lesquelles les acteurs sont épuisés : c’est intéressant, parce que cela semble aussi faire effet sur le public. Quelle est la relation entre ce qui se passe sur scène et ce qui se passe dans le public ?Chaque pièce est construite comme un déploiement d’énergie ; quand on pousse des acteurs à faire quelque chose de physique-ment épuisant ou exaltant, ou à utiliser un langage épuisant ou excitant, leurs défenses tombent – jusqu’à un certain point. Un acteur vif et reposé maîtrise généralement ce qu’il fait, gère et contrôle son apparence, mais s’il s’épuise physiquement ou intel-lectuellement, il se met en charpie, il n’arrive plus à se dominer, et le spectateur commence à voir des choses que les acteurs auraient cachées autrement ; la fatigue les ouvre. Et quand cela se produit pour les acteurs, les défenses du public s’abaissent elles aussi un peu, c’est comme s’il était un peu soûl, sans défense, ce qui ouvre des possibilités qui n’existaient pas quand les spectateurs se sont assis. Le public est en quelque sorte un miroir de la scène.

Showtime est centré très directement sur cette frontière entre le public et la scène. Richard Lowdon dit aux spectateurs : « Il y a un mot pour vous définir : le public. Le public vient au théâtre peut-être pour voir des choses qui le choqueraient s’il les voyait dans la vie réelle… Peut-être êtes-vous venus ce soir pour voir quelque chose que vous ne faites que dans l’intimité de vos foyers, ou que vous rêvez de faire dans cette inti-mité. Un public aime être assis dans le noir et regarder d’autres le faire, juste-ment. Eh bien, si vous avez payé votre billet d’entrée, bonne chance. Mais par ce côté-ci de la lorgnette, les choses sont différentes – vous avez l’air tout petits, très loin, et vous êtes très nombreux. Rappelez-vous que vous êtes bien plus nombreux que nous. Si on en vient aux mains, c’est vous qui gagnerez, aucun doute. » C’est une sorte de rapport de force…Je l’ai déjà dit, le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le déroulement de la soirée dé-pend de notre manière d’aborder ces exigences, de les négocier, de les satisfaire ou de les repousser. Bien sûr, tout le travail que nous faisons explore à fond les rapports de force avec le public, le pouvoir de la scène sur le public, celui du public sur la scène. Il faut reconnaître ce jeu de rapports de force, l’examiner scrupu-leusement, le mettre en question de toutes les manières possibles – ce qui est possible quand on connaît les règles du jeu. Dans Showtime, il y a aussi cette phrase que Richard dit aux specta-

teurs : « Nous allons faire ce que nous allons faire, à vous de faire ce que vous allez faire. » Ce sont les règles, les attentes ; mais la nuit est fragile, tout peut arriver.

Que voulez-vous qu’il se passe ? Cherchez-vous la confronta-tion avec le public ?Non, ce serait trop facile de provoquer une bagarre, je m’intéresse bien plus au processus de tension et de séduction, j’aime qu’on fasse des propositions et qu’on en fasse des problèmes. C’est un processus architectural ou musical, bien plus que le risque d’en venir aux mains ! Il se passe quelque chose de collectif. Le théâtre conventionnel désire réunir tout le monde. Ce à quoi nous avons travaillé, depuis bien longtemps, c’est à une remise en question de cette entité, en même temps qu’à la constitution en groupe des individus isolés qui entrent. Dans une performance théâtrale, on s’occupe toujours de la formation de la communauté, on construit l’espace social de l’auditoire, c’est une expérience qui le lie et le re-lie. Mais c’est aussi très intéressant de diviser le public. Plusieurs de nos pièces posent le problème de cette idée d’un NOUS collectif des spectateurs. Qui sommes-nous, assis ici ? Pourquoi sommes-nous ici ? Dans Speak Bitterness, les acteurs font toutes sortes de confessions, et mettent les spectateurs dans une situation où ils doivent décider s’ils font partie ou non du NOUS dont on parle. Quand les acteurs disent « nous ne nous sommes jamais bien la-vés, nous n’avons jamais sorti le chien », les spectateurs sont géné-ralement d’accord. Ce n’est pas si difficile à admettre. Mais quand les acteurs disent « nous avons glissé des crottes de chien sous les portes des étrangers », le public va probablement prétendre qu’il n’a rien à voir avec cette situation – le « nous » social devient un problème. Au théâtre, on suppose souvent que le public est bon et

convenable, mais peut-on faire confiance à son voisin dans la salle ? Peut-on être sûr qu’il ne fait pas des razzias racistes, les nuits où il ne va pas au spectacle ? Bien sûr que non.

Pouvez-vous dire ce que vous souhaitez que les spectateurs disent ou pensent à la sortie du spectacle ?Pas concrètement. Je crois que ce qui m’intéresse, c’est d’ouvrir un espace contradictoire et ambigu. Ce que j’aime le mieux, c’est quand le sol semble irrégulier, imprévisible – lorsque les questions n’obtiennent pas toutes des réponses. Non pas que je veuille que les gens ressentent ceci ou cela : je veux plutôt qu’ils ressentent les tensions entre diverses possibilités. Je voudrais qu’ils restent dans une sorte d’espace vague. J’aime l’idée que le travail que nous fai-sons, quand il est fini et que le public s’en va, reste une affaire non conclue. Comme si l’hameçon vous restait dans la peau.

Le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le

déroulement de la soirée dépend de notre manière d’aborder ces exigences, de les

négocier, de les satisfaire ou de les repousser. ”“

Page 23: Passages n° 57

23Performance

Aujourd’hui les arts de performance tendent à quitter l’espace théâtral, à briser les conventions théâtrales. Ils s’installent sur un site particulier ou ils impliquent dans la performance des gens qui n’ont pas décidé d’y participer. Vous, vous travaillez surtout dans l’espace artistique, dans des théâtres ou des gale-ries. Pourquoi ? J’ai fait des projets qui sortent de ces cadres – mais je m’intéresse surtout aux structures, aux rencontres, aux formes culturelles où les deux parties connaissent les règles. Une fois accepté le cadre

conventionnel – un public constitué dans une salle de spectacle, une scène, le public regarde ce qui se passe sur la scène – je peux commencer à ouvrir l’espace et les possibilités. Travailler en accep-tant ces contraintes formelles pose des limites et des paramètres utiles, à partir desquels je peux travailler sur le public.

Est-ce pour une raison morale que vous voulez des règles claires pour tout le monde ? Peut-être bien. C’est lié à l’idée que nous devrions tous connaître le terrain sur lequel nous nous tenons. Je n’aime pas qu’on fasse semblant de briser les règles, qu’on le fasse à la légère, en appa-rence. Je me bats contre la prétention du théâtre à ne pas être du théâtre, à ne pas connaître ses règles ou ses cadres, tout en faisant du théâtre. Ça se voit beaucoup – dans le théâtre d’immersion ou de promenade, dans les performances en face à face, où on prétend faire de la pantomime, de la « nouveauté », briser les règles, mais où la réalité reste tout aussi conventionnelle, où le rapport de force est le même que dans un spectacle classique. Il s’agit, je l’ai dit, essentiellement de pouvoir ; mais quand on connaît les règles, on peut s’affronter au pouvoir, le remettre en question, lui rentrer dedans.

Est-ce que cette vision du public est une attitude politique ?Bien sûr, pour moi c’est franchement politique. J’ai vu quantité de spectacles qui se disent politiques, mais la manière dont ils traitent leur public est juste réactionnaire, ou malhonnête. Ce qui m’inté-resse le plus, c’est quand la politique s’intègre complètement à la forme : la nature de la relation avec le public, l’intégrité et la trans-parence des choses dont nous avons parlé – c’est la manière dont la performance ouvre un espace dans le public, sa manière de trai-ter la collaboration du public dans la création. Peut-être aussi cette idée de règles claires, d’une présence toute simple et directe face aux spectateurs, est-elle ce qui permet à notre travail de passer au plan international. Au cœur de ce que nous faisons sur scène, il y a notre présence sans baratin. À Sheffield, nous n’avons pas inventé un langage artificiel, symbolique, compliqué pour nos perfor-

mances, un langage qui exigerait qu’on sache tout sur l’histoire de la performance contemporaine pour être compris. Ce que vous voyez, c’est une bande de personnes assez ordinaires qui marchent sur la scène et qui se mettent à vous parler – vous voyez ce que je veux dire ? Ça n’a rien d’exclusif – et je crois que les spectateurs l’apprécient.

Tim Etchells est auteur, artiste visuel, dramaturge et acteur. Il est surtout connu pour son travail d’auteur et de directeur artistique du groupe de performance britannique Forced Entertainment. Il réfléchit depuis plus de 25 ans sur l’art de la performance, à travers des livres, des essais, des expositions et des spectacles. Son roman The Broken World est paru en 2008. www.forcedentertainment.com ; www.timetchells.com Dagmar Walser est rédactrice et critique de théâtre à la Radio-Télévision suisse alémanique. Elle produit surtout des émissions de radio sur le théâtre et la performance.

Traduit de l’anglais par Marianne Enckell

Je n’aime pas qu’on fasse semblant de briser les règles, qu’on le fasse à la légère, en apparence. Je me bats contre la prétention du théâtre à ne pas être du théâtre, à ne pas connaître ses règles ou ses cadres, tout en faisant du théâtre. ”

Illu

stra

tion

: Eli

zabe

th T

rayn

or

Page 24: Passages n° 57

24Performance

uiconque souhaite acquérir une vue d’ensemble de la scène de la performance en Suisse sera surpris de découvrir la variété des techniques de l’art performa-tif dans notre pays. Depuis le début des années 1980, qui ont vu naître des centres importants de la perfor-

mance tels que le Festival de la Bâtie à Genève, le Theater Spekta-kel à Zurich, le Festival du Belluard à Fribourg , le festival Bone à Berne, autour de Norbert Klassen, et à Lucerne avec Ruedi Schill et Monika Günther, la scène s’est diversifiée et multipliée. Les nou-veaux festivals et espaces off, tels le Kaskadenkondensator à Bâle, les Stromereien à Zurich, l’International Performance Art à Giswil et Les Urbaines à Lausanne ont donné un immense élan à cette forme d’expression au cours des dix dernières années.

Décloisonnement et recours à de nouveaux médias

Les conditions et les tendances qui sont à l’origine de ce mouve-ment sont multiples. Le décloisonnement des genres artistiques traditionnels et, du même coup, des espaces de présentation s’est fait clairement sentir depuis l’an 2000. Il y a longtemps que les ar-tistes actifs dans le domaine de la performance ne se limitent plus à la représentation cen-trée sur le corps ; désormais, ils œuvrent aussi bien dans en salle qu’en extérieur, et les du-rées prévues ne sont plus les mêmes non plus. L’art perfor-matif est capable de gravir les plus hauts sommets des Alpes ou de sonder les profondeurs les plus sombres d’une canali-sation. L’artiste Katja Schen-ker par exemple, qui allie dans ses performances force hu-maine, matériaux et forces physiques, élabore en live des paysages de papier qui em-plissent tout l’espace, creuse des fosses dans la terre ou étale de grandes surfaces d’asphalte à la main.

L’interactivité et l’appel à de nouveaux médias sont aussi devenus monnaie courante. Le per-formeur lausannois Gaspard Buma recourt, par exemple, aux ins-truments de mesure et de transmission de données des domaines de la technique médicale et de la communication afin que son corps, lors de l’action performative, se mue en un instrument de musique électronique artificiel.

En tant que forme en action et agissant sur le plan physique, l’art performatif reste étroitement lié à la quête d’images de l’art visuel et de la représentation théâtrale, mais aussi à la musique, à la danse, au spoken word, ainsi qu’à l’art centré sur le processus artistique.1 Les nouvelles formes spécifiques à la performance, telles que les interactions dans l’espace public, les installations per-formatives dans les espaces off et les long duration performances,

entre autres, nécessitent aussi de plus en plus de nouveaux formats dans le domaine des manifestations.

L’art performatif est une pratique très répandue aujourd’hui parce qu’il peut se dérouler n’importe où et qu’il ne nécessite pas à tout prix une scène ou un « white cube ». Avec la pression écono-mique qui s’exerce sur l’espace urbain et l’ouverture croissante de l’espace public à la culture événementielle, la performance, aux actions si diverses, s’offre comme une solution idéale pour jouer tous les thèmes dans tous les espaces et toutes les brèches possibles.

Une nouvelle génération : recours à la dramaturgie et à une technique complexe

Il y a dix ans, les écoles d’art suisses ont inséré la pratique de la performance dans leurs programmes de cours et se sont mises en réseau par le biais d’ACT, la plateforme de performance pour les étudiants créée en 2003, ce qui assure à cette forme d’expression une relève active et un intérêt durable. De nos jours, souvent, ce ne sont plus seulement les artistes eux-mêmes qui mettent sur

pied des initiatives de perfor-mances, mais également les curateurs et les intendants de théâtre. La génération des pionniers est ainsi relayée par des protagonistes plus jeunes. Parmi eux se trouvent des ar-tistes aux talents prometteurs comme Anne Rochat, Simon Kindle, Sophie Hofer, Dome-nico Billari, Mio Chareteau, Mélodie Mousset, Michael Kimber et bien d’autres. Ils constituent la nouvelle géné-ration de performeurs suis -ses pour qui le recours à la dramaturgie et à un matériel coûteux dans des mises en scène techniques souvent complexes va de soi. Pour son travail o.T. (2007), le perfor-meur bâlois Domenico Billari a ainsi engagé un hélicoptère

chargé d’apporter un grand réservoir d’eau et de le vider sur lui. Mais ce travail de performance montre aussi clairement qu’en dé-pit des nouveaux médias et des nouveaux lieux, l’engagement phy-sique direct demeure le pivot du travail performatif.

Les projets de recherche et la commercialisation accroissent les chances de survie

Il existe aujourd’hui de nombreuses structures différentes présen-tant des performances artistiques : les festivals qui ont lieu à inter-valles réguliers, les laboratoires de performances durablement ins-tallés comme le Kaskadenkondensator à Bâle ou le Progr à Berne, ou encore les plateformes temporaires comme le Kunstexpander à Aarau. Étant donné cette évolution, il n’est pas difficile de perce-

Performance – Swiss made

La scène de la performance en Suisse a pris son essor ces dix dernières

années. Certains parlent même d’un véritable boom de cette forme d’art.

Le décloisonnement, les arrangements tech-niques coûteux et le recours à de nouveaux

médias ne sont que quelques-unes des caractéristiques de la nouvelle génération.

par Sibylle Omlin

Q

Phot

os :

Mar

tin

Stol

lenw

erk

(en

haut

) ; R

aoul

Gil

iber

t (e

n ba

s)

Page 25: Passages n° 57

25Performance

Pour sa Partition pour 8 muscles et 1 sampleur (2004), Gaspard Buma utilise un ordinateur, des

électrodes, un adaptateur, différents câbles, un amplificateur et un

haut-parleur. Ce Lausannois, artiste performeur, se sert donc d’une technique moderne pour altérer

son corps et le transformer en un instrument de musique.

www.gaspardbuma.org

Choc, identité et malentendus interculturels : ce sont

les phénomènes sur lesquels Yan Duyvendak et Omar Ghayatt

portent leur réflexion artistique dans la production Made in Paradise.

Ils y explorent la culture musulmane et le monde des Musulmans,

censés représenter l’Autre absolu.www.duyvendak.com

Page 26: Passages n° 57

26Performance

voir un véritable « boom » dans cette profusion d’occasions, de pro-tagonistes et de scènes, comme l’affirme Muda Mathis, elle-même performeuse.

Pourtant, plusieurs initiatives lancées par des performeurs ont aussi disparu au cours de la dernière décennie (Der längste Tag au Kunsthof Zürich, par exemple), ce qui ne fait que renforcer le caractère toujours éphémère de cette forme artistique. On a pu observer que survivent surtout les festivals ou les institutions qui parviennent à donner à leur contenu une orientation claire et à trouver, du même coup, un financement stable ainsi qu’une attention suffisante. Les festivals qui perdurent sont associés à des structures communales, à des fonds publics ou à des institu-tions financées par les fonds publics (La Bâtie à Genève ; Theater Spektakel à Zurich ; Festival Belluard à Fribourg).

Ces dernières années, on assiste à une stabilisation et à une institutionnalisation de cette expression artistique. Ceci est dû en bonne partie à des projets de recherche impliquant des per-formeurs et des théoriciennes dans les hautes écoles : on peut citer le projet Perform Space de la Haute École d’Art de Bâle ou le pro-jet Performance Saga d’Andrea Saemann et Katrin Grögel. Au-jourd’hui, l’art performatif a également fait son entrée dans les ga-leries, les expositions d’art et les collections de musées, ce qui lui donne accès au marché. Ainsi, le performeur zurichois San Keller conçoit pour chacune de ses actions un autocollant, un objet ou une reproduction graphique qui sont mis en vente. Cet art qui, du temps de ses pionniers, se servait surtout de la photographie et de la vidéo pour conserver des traces des actions et éventuellement, des images susceptibles d’être exposées dans les galeries et les musées, cherche et trouve à présent de nouvelles formes de mé-diation et de commercialisation.

Installations performatives et performance dans l’espace social

Depuis l’exposition d’Angelika Nollert et Silvia Eiblmayr sur les installations performatives en Allemagne et en Autriche en 2003, mais aussi depuis les études muséales de l’art performatif par des institutions suisses comme le Musée Migros ou le Centre PasquArt, la performance s’est émancipée de l’instant de l’événement et an-crée dans l’espace et l’objet, ce qui est devenu un sujet de réflexion en soi. L’artiste zurichoise Victorine Müller, que l’on connaît pour ses performances durant souvent jusqu’à une heure dans des ob-jets gonflables et transparents, expose aussi après coup ces objets poétiques dans les salles de musée.

Même des projets commandés au titre de l’intégration de l’art en milieu construit recourent aujourd’hui à l’art performatif ; c’est le cas, par exemple, de l’hôpital cantonal de Zoug où Susann Wintsch a installé une exposition permanente de huit objets réa-lisés par des artistes alémaniques lors de leurs performances.

L’art performatif est un champ ouvert aux activités condition-nées par une situation et un lieu et qui concernent tous les do-maines de la vie. Dans cette mesure, la dimension participative de la performance joue également un rôle important et l’on s’y inté-resse sur le plan théorique ; le concept d’« art relationnel » du théo-ricien français Nicolas Bourriaud est de plus en plus utilisé par les artistes, désireux aujourd’hui d’agir en intégrant des groupes, des

voisinages, des sociétés et des environnements sociaux : pour son projet Auf dem Hinweg (2005), la Zurichoise Anne Lorenz a tra-vaillé avec les 140 habitants d’un village de Haute-Autriche afin de rendre visibles les petits gestes du quotidien dans les rues. L’acte performatif est un acte social. C’est aussi devenu un argument pour les bailleurs de fonds. La composante « live » de l’art perfor-matif répond à la volonté de favoriser la médiation de l’art et l’in-tégration de différents groupes de visiteurs.

Le fait que le contexte – donc le lieu de représentation, l’es-pace et le public – influence directement la performance, consti-tue l’un des grands défis lancés à cet art. Par « directement », on entend : plus rapidement, de façon plus réactive et impitoyable que ce n’est le cas pour d’autres formes d’art comme la peinture, la mu-sique composée ou le théâtre. Ce qui fait apparaître aussi que le vaste champ de la performance exige que l’on opère une différen-ciation. Les rapports historiques, médiaux et contextuels sont de plus en plus importants pour se positionner clairement dans la masse des offres et des interprétations. « Le fait qu’il s’agisse d’une initiative temporaire d’artistes dans des espaces temporaires ou d’une performance d’institutions établies comme des théâtres ou des festivals de théâtre, influence la façon dont ces artistes sont perçus et agit aussi en retour sur les travaux eux-mêmes », sou-ligne la performeuse Dorothea Rust, qui œuvre aussi en tant qu’or-ganisatrice.

L’art performatif demeure malgré tout une stratégie artistique permettant aux performeurs de surprendre, de créer des moments intenses et de susciter l’étonnement, la confusion, voire l’incom-préhension. Souvent, dans des situations et des environnements hors-institution, la performance touche le public et le provoque. On est impatient de voir comment cet art souple et alerte saura conquérir à l’avenir de nouveaux terrains, précisément dans le do-maine de la médiation de l’art et de sa commercialisation.

Les principales adresses de l’art performatif en Suisse :

Festival La Bâtie, Genève : www.batie.chThéâtre de l’Usine, Genève : www.usine.chThéâtre Arsenic, Lausanne : www.theatre-arsenic.chFestival Les Urbaines, Lausanne : www.urbaines.chFestival des Arts Vivants, FAR, Nyon : www.festival-far.chFestival Belluard Bollwerk International, Fribourg : www.belluard.chFestival International Performance Art, Giswil : www.performanceart.chFestival Migma, Lucerne : www.migma.chFestival Stromereien, Zurich : www.stromereien.chTheater Spektakel, Zurich : www.theaterspektakel.chFestival Perform Now !, Winterthur : perform-now.chFestival Bone, Berne : www.bone-performance.comProgr/Stadtgalerie, Berne : www.stadtgalerie.ch ; www.progr.chKaskadenkondensator, Bâle : www.kasko.chKaserne Basel, Bâle : www.kaserne-basel.ch

1 Voir : Le « performatif ». Les arts de la performance en Suisse, éd. Sibylle Omlin, Pro Helvetia, Zurich, 2004.

Sibylle Omlin (*1965) est historienne de l’art, curatrice et autrice. Elle dirige depuis 2009 l’École Cantonale d’Art du Valais.

Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher Phot

o: V

ikto

r K

olib

àl

Page 27: Passages n° 57

27Performance

Un artiste décolle : dans sa performance Walking on the moon

but on earth, Domenico Billari se laisse emporter dans les airs par

des ballons remplis d’hélium, dans le marché couvert de Bâle. L’engagement corporel en direct,

de même que l’expérience de la « légèreté de l’être » sont des aspects essentiels et récurrents

des performances de Billari.www.domenicobillari.com

Page 28: Passages n° 57

28

on voit dans l’ouverture le vacillement). Le père et la mère meurent (elle souffle la bou-gie) et la fillette se retrouve seule. Elle sort de la maison en pleurant (des petits bouts d’argile tombent comme des larmes). Un jour, l’orage se lève et renverse la maison (elle soulève la maison et la jette de côté). Il ne restait que le lit de la fillette. Arrive une oie, qui la chasse de l’endroit où se trouvait la maison. Elle s’en va (remontant le long du bras de la conteuse), se retourne tout en marchant mais ne reviendra jamais sur ses pas… »

Silence autour de la table, tandis que Margrit Gysin replie l’argile contre son bras. La quinzaine d’éducateurs et de ma-rionnettistes indiens participant à l’atelier que Pro Helvetia a organisé la dernière se-maine de juillet dans ses bureaux de New Delhi sont visiblement émus, mais aucun n’ose poser la question que tous ont sur le bout de la langue : Et le happy end ?

L’importance de l’aspect thérapeutiqueAlors que Margrit Gysin, 62 ans, mime, ma-rionnettiste et jardinière d’enfants, montre dans la chaleur étouffante de l’après-midi comment donner vie à ce que l’on a sous la main – argile, brindille, feuille de papier –, le côté sombre de son conte s’explique peu à peu. Sa fascination pour les contes de fées, que subit aussi l’âme de l’enfant, y est pour beaucoup. « Ils y puisent », raconte-t-elle, « la force de se confronter à des vérités dérangeantes, pouvoir que n’ont pas les histoires vraies. Un jour où il était ques-tion, dans un spectacle, d’un enfant qui vi-vait seul avec sa mère, une fillette lança de sa petite voix que son père à elle aussi ne venait les voir qu’une fois par an. Ce dont ne s’étaient jamais doutés les enseignants

de la petite fille. » La fonction thérapeu-tique des marionnettes est aujourd’hui en-core l’une des principales motivations de Margrit Gysin, qui s’est lancée dans le mé-tier il y a une quarantaine d’années, après avoir suivi, à Paris, les cours de l’École in-ternationale de théâtre de Jacques Lecoq. Son atelier de marionnettes pour enfants et Mimi et Brumm, spectacle de marion-

Bangalore, Calcutta et New Delhi : 3 étapes dans la tournée

de la marionnettiste Margrit Gysin. Dans les ateliers organisés pour ses collègues indiens, elle a montré comment insuffler

de la vie à des objets ordinaires.

La parole aux

marionnettes

N e w D e l h i

Phot

os :

Mri

dul B

atra

par Elizabeth Kuruvilla, New Delhi – Il y a une histoire dans chaque boule d’argile, dit la marionnettiste suisse Margrit Gysin. Elle en prend un peu dans sa main et, la pressant contre le haut de son bras droit, commence : « C’était l’hiver (elle laisse tomber une pluie de petits bouts de pétales de bougainvillée), il neigeait très fort. Il y avait ici un arbre solitaire (elle pique une brindille dans un coin) ainsi qu’une mai-son (elle forme un bourrelet d’argile) où vi-vaient une fillette et sa famille. La maison avait une fenêtre (elle fait une ouverture dans l’argile) à travers laquelle on voyait brûler un feu (elle allume une bougie dont

Les marionnettistes et pédagogues indiens manifestent beaucoup d’intérêt pour les ateliers de Margrit Gysin. Dans les écoles indiennes, les marionnettes sont de plus en plus souvent utilisées comme auxiliaires didactiques.

heure locale

saN fraNcisco New york paris rome VarsoVie le caire le cap New Delhi shaNghai

HEU rE LoCA LE

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde entier. Celles-ci ont pour tâches de stimuler les échanges culturels et de développer des réseaux culturels.

Page 29: Passages n° 57

29

nettes à gant que Margrit Gysin a donné dans trois villes indiennes arrivent à un moment où beaucoup d’écoles et de parents indiens explorent des méthodes d’éduca-tion alternatives, donnant aux enfants l’es-pace de créativité et de liberté émotionnelle dont ils ont besoin pour découvrir le monde dans lequel ils vivent. rompant avec l’en-seignement mécanique sorti des manuels scolaires, des écoles new age découvrent l’aisance avec laquelle les marionnettes permettent d’expliquer des concepts gé-néraux dès l’âge du jardin d’enfants. Les ateliers de Margrit Gysin attirent du coup des enseignants venant d’écoles expéri-mentales telles que la Heritage School et la Delhi Public School, ainsi que des gens du Ishara Puppet Theatre Trust de Dadi Pu-dumjee ou du Katkatha Puppet Arts Trust d’Anurupa roy, deux acteurs bien connus du théâtre de marionnettes indien contem-porain, qui organisent, eux aussi, des ate-liers dans les écoles. « Margrit possède une ex périence formidable, dont les jeunes ma-rionnettistes ne peuvent que profiter. C’est

façon dont Margrit Gysin s’y prend pour établir à travers la marionnette un lien émotionnel avec les enfants. « Les marion-nettes sont pour nous un outil d’enseigne-ment, mais nous avons également une sorte d’atelier où nous utilisons un muppet pour faciliter l’interaction avec les enfants. Les réactions sont étonnantes. Les enfants lui racontent des histoires et font comme s’il les comprenait et partageait leurs émo-tions », dit-elle.

Le théâtre de marionnettes indien est riche d’une longue histoire, mais, en Inde, la façon dont Margrit Gysin travaille en Suisse commence tout juste à se dévelop-per. « Ses spectacles s’adressent à un public peu nombreux, c’est un théâtre intimiste, qui serait ici un luxe. Le théâtre de marion-nettes spécifiquement conçu pour les en-fants ou les adultes est un concept occiden-tal, que nos marionnettistes modernes ont assimilé », dit Dadi Pudumjee.

Profondément religieux, le théâtre de marionnettes indien traditionnel était effectivement un spectacle tout public – hommes, femmes et enfants – géné-ralement donné à l’occasion de grands rassemblements religieux. Composante importante de la tradition orale indienne, il empruntait ses grands thèmes à des poèmes épiques tels que le Mahabharata et le ramayana ou à des textes sacrés comme les puranas. « Margrit, qui connaît le riche héritage culturel du théâtre de marion-nettes populaire, a eu l’occasion de ren-contrer ici des marionnettistes contem-porains et de voir comment leur travail s’insère dans le paysage artistique actuel », explique Chandrika Grover ralleigh.

une conteuse innovante, un modèle du genre par sa façon d’interagir avec le public et le psychisme de l’enfant », dit Chandrika Grover ralleigh, directrice de Pro Helvetia Inde, expliquant les raisons pour lesquelles elle invite des enseignants à assister à son atelier.

De Mahabharata à Bollywood Pour les enseignants de Heri-tage School, le travail de Mar-grit Gysin s’inscrit dans la continuité du processus ini-tié par le marionnettiste in-dien Varun Narain – premier bénéficiaire, soit dit en passant, du programme artiste in residence de Pro Helvetia en Suisse – qui, depuis quelques mois, leur apprend à faire des marionnettes un usage éducatif. Trupti Khanna, enseignante du 3e degré à la Heritage School, s’intéresse surtout à la

Les marionnettistes et pédagogues indiens manifestent beaucoup d’intérêt pour les ateliers de Margrit Gysin. Dans les écoles indiennes, les marionnettes sont de plus en plus souvent utilisées comme auxiliaires didactiques.

« Les enfants puisent dans les contes la force de se confronter à des vérités dérangeantes. »

heure locale

Page 30: Passages n° 57

30

Le métier de marionnettiste ne nourrit pas son homme et la génération actuelle pourrait bien lui tourner le dos. En tant qu’art performatif, en revanche, les ma-rionnettes ont la cote. Les montreurs contemporains mettent volontiers le sexe et les fables bollywoodiennes à leur réper-toire. «En Inde, pays culturellement plus extroverti que la Suisse, les références sont crues et explicites», dit Varun Na-rain en soulignant le caractère plus per-sonnel des thèmes qu’il a vu traiter du-rant son séjour en Suisse, par exemple la relation père-enfant, l’obsession de la per-fection, voire le racisme.

Prenez par exemple Mimi et Brumm, une souris et un ours qui vivent dans un livre. Brumm, l’ours, manifestement le plus âgé des deux, se montre tantôt pro-tecteur (promettant à la jeune Mimi de veiller sur son sommeil et la rassurant en lui disant que sur chaque enfant veille une étoile) tantôt indifférent (quand il prend son café, il ne fait pas attention à moi, pleurniche Mimi). Le spectacle est amu-sant, on rit beaucoup dans la salle et les enfants lèvent la main, chacun voulant être le suivant à monter sur scène pour aider Margrit Gysin. Mais, sans que cela ne soit jamais dit explicitement, il y a aussi entre les deux amis de chiffon, ainsi qu’entre eux et le public, des allusions à l’abandon, à la solitude, à la négligence parentale.

Dans le courant de la journée, Mar-grit Gysin avait mis de côté un petit bout de papier sur lequel un enfant avait griffonné: «Les enfants ne veulent pas faire un beau dessin; ils veulent être dans une émotion.» Elle sait que ses ma-rionnettes et les enfants qui les écoutent vont poursuivre tout tranquillement leur conversation.

www.prohelvetia.inwww.figurentheater-margrit-gysin.ch

Elizabeth Kuruvilla (*1976) est rédactrice de la rubrique livres et arts de l’hebdomadaire indien Open (www.openthemagazine.com). Elle vit à New Delhi.

Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger

par Chris Kabwato, Grahamstown – Je vis dans un endroit bizarre, qui tient du village victorien plus que de la ville africaine. Gra-hamstown se trouve entre East London et Port Elizabeth, dans la province sud-af-Port Elizabeth, dans la province sud-af-Port Elizabeth, dans la province sud-africaine d’Eastern Cape. Comme son nom l’indique, elle date de l’époque coloniale. Elle s’enorgueillit aujourd’hui de posséder l’une des meilleures universités d’Afrique (rhodes University) ainsi qu’une stupé-fiante culture littéraire et organise depuis 37 ans le National Arts Festival.

Ce festival fait défiler en dix folles jour-nées ce que le théâtre, la danse, la poésie, les arts visuels ainsi que, bien entendu, la musique d’Afrique du Sud et du monde produisent de mieux. Festival dans le fes-tival, d’une grande variété stylistique, le Standard Bank Jazz Festival réunit, sou-

lignent ses organisateurs, «250 des meil-leurs jeunes musiciens de jazz de la pro-vince ainsi que 35 éducateurs et 80 artistes de jazz d’Afrique du Sud et d’ailleurs». Le Standard Bank Jazz Festival est depuis 25 ans un espace de création où trouve à s’épanouir la nature très collaborative du jazz. C’est dans cet espace de diversité – concerts, jam sessions, ateliers et intense interaction sociale – que débarquent, par une froide semaine de juillet, le phéno-mène vocal suisse Andreas Schaerer et son non moins excentrique double-bassiste Bänz oester. Grahamstown était la pre-mière étape d’une tournée qui allait les em-mener à Johannesburg, Le Cap et Maputo (Mozambique).

Le duo suisse était accompagné de Mark Fransman, saxophoniste ténor et pia-

«Jamais entendu une musique aussi hallucinante»

«Fantastique et résolument avant-garde», s’exclament les hôtes sud-africains à propos des musiciens

Andreas Schaerer et Bänz oester. Le festival de Grahamstown a suscité des collaborations inspiratrices.

l e c a p

Phot

osPh

otos

: Chr

is K

abw

ato

: Chr

is K

abw

ato

Improvisation et spontanéité nourrissent la musique d’Andreas Schaerer et Bänz Oester.

heure locale

Page 31: Passages n° 57

31

niste accompli vivant au Cap. La rencontre Schaerer-Fransman avait été ourdie par Pro Helvetia Le Cap, bureau de liaison de la Fondation suisse pour la culture. Schae-rer et Fransman s’étaient parlé au télé-phone et avaient échangé des courriels. Chacun avait écouté la musique de l’autre. Il n’y avait aucun doute que la mayonnaise allait prendre. Avant de monter sur scène à Grahamstown, les trois hommes n’ont ré-pété qu’une seule fois, dans un esprit d’im-provisation.

Schaerer, musicien de jazz et impro-visateur connu, est un spécialiste, comme il le dit lui-même, de la « composition ins-tantanée ». Il trouve dans les éléments fondamentaux du jazz – improvi sation et spontanéité – une flexibilité per mettant de produire une musique allant du super-structuré à l’improvisé et d’avoir avec des musiciens tels que Fransman et Kinch des collaborations à haut voltage. oester, l’un des double-bassistes les plus doués de Suisse, avait déjà eu l’occasion de jouer avec des musiciens sud-africains. Pour le premier concert donné à Grahamstown s’était jointe à eux la chanteuse parisienne Deborah Tanguy.

Sur une scène baignant dans une lumière violette du plus étrange effet, le quartette entame son premier morceau – 22 minutes de la musique la plus halluci-nante que j’aie jamais entendue, Schaerer émettant des grincements de porte mal huilée, puis se lançant avec Tanguy dans une suite de grognements, de mélopées et de vrombissements pour en arriver, au bout de huit bonnes minutes, au jazz stan-dard avec un solo de Fransman. Comme il me l’a expliqué par la suite, ce genre de numéro vocal constitue de sa part une pro-vocation délibérée. « Quand tu provoques, le public réagit, et en le faisant réagir tu changes la nature du spectacle, le public devient acteur. » C’est ce qu’il allait faire tout au long de la semaine.

Le premier soir, le beatboxing d’An-dreas avait un peu pâli de la comparaison avec Tanguy, mais Schaerer avait retrouvé toute son énergie et repris toute sa place pour le concert du lendemain, avec le saxo-phoniste et chanteur britannique Soweto Kinch. Au début, fusion parfaite de la voix et du saxophone. Quand Kinch passe en freestyle rap, Schaerer est là qui beatboxe en arrière-plan. Il enchaîne avec une de ses compositions, Knock Code 3, caricature

rythmée et énergique des essais de son (1-2-3-4). Le public lui fait un triomphe. Sur scène, Schaerer est comme un lion en cage. Dans ses veines pulse une énergie qui ne demande qu’à s’évacuer. Il arpente le plateau, s’arrête pour écouter un instru-ment, rassemble ses ressources vocales, s’imbibe du rythme (et de quantités d’eau),

puis se lâche. Le spectacle terminé, il dit que le public et ses musiciens lui ont com-muniqué une énergie incroyable, après quoi il ne reste qu’à sortir à l’air libre et à contempler les étoiles.

« Une collaboration comme celle-là est pour un musicien une mine d’idées et d’énergies nouvelles. Elle a été pour tous les deux une expérience inspiratrice. Il est très intéressant d’observer les différences d’approche que les musiciens ont de la mu-sique et de l’improvisation. La scène jazzis-tique sud-africaine semble être très ami-cale, avec des musiciens qui s’encouragent beaucoup les uns les autres.»

De l’atelier à la composition – sans feuilles de partition Les professeurs que sont Schaerer et oester ont en outre donné deux ateliers, l’un de composition vocale, l’autre de composition instrumentale. À la vingtaine de jeunes d’horizons musicaux très divers qui parti-cipèrent au premier Schaerer fit prendre place en fer à cheval et les groupa ensuite selon leur type de voix – ténor, basse, so-prano. Sans qu’ait été prononcée une seule parole intelligible, les jeunes, ravis de l’au-baine, se trouvèrent embarqués dans un tourbillon de beatbox humaine et de per-cussions vocales d’une trentaine de mi-nutes. Schaerer se prêta ensuite à une séance de questions-réponses au cours de laquelle ils voulurent savoir d’où lui venait

sa prodigieuse vitalité, comment il faisait pour reposer sa voix, comment il s’entraî-nait, pourquoi il avait choisi cet incroyable numéro de prouesse vocale, s’il pensait que le beatboxing serait un jour une discipline musicale reconnue et si sa gestuelle de scène était étudiée ou spontanée.

Du second atelier, un professeur de musique de l’Université de Witwatersrand dit à la fin que c’était « ainsi que l’on de-vrait enseigner la musique ». Sans jamais s’adresser formellement à la vingtaine de jeunes participants armés d’instruments de musique divers et variés (clarinettes, trompettes, saxophones et baguettes de tambour), Schaerer et oester commencent à jouer quelques mesures, puis Schaerer se dirige vers un musicien, imite un son avec la bouche, le musicien se met à jouer et Schaerer le fait gentiment monter sur scène. Trois quarts d’heure plus tard, le tour était joué, un morceau était né sans qu’aucune note n’ait été écrite.

Schaerer et oester se sont fait à Gra-hamstown quantité de fans. « Fantastique, complètement différent et résolument avant-garde » ont dit le professeur de mu-sique Cameron Andrews et Thembinkosi Mavimbela, un étudiant qui a participé à l’atelier. Même son de cloche de la part de Bokani Dyer, musicien local lauréat du prix Standard Bank du jeune artiste de l’année : « Andreas Schaerer est parmi les musiciens avec lesquels j’aimerais travail-ler – un talent incroyable », a-t-il déclaré au micro d’une radio. Fransman m’a dit par la suite que la rencontre avec Schaerer et oester aboutirait sans doute, la tournée terminée, à l’enregistrement d’un disque commun. Schaerer n’a pas été moins élogieux pour les musiciens sud-africains : « Ce serait formidable de former un or-chestre mi-suisse mi-sud-africain, qui com-poserait de la musique et ferait une tournée européenne. Ce serait immensément enri-chissant pour les uns et les autres sur le plan musique et exploration. »

www.schaerer-oester.com www.prohelvetia.org.za Chris Kabwato est journaliste et photographe. Il a créé le Zimbabwe in Pictures Trust et a une rubrique hebdomadaire à NewsDay, un quotidien du Zimbabwe. Il est le coordinateur de Highway Africa, première conférence de journalisme d’Afrique. www.highwayafrica.com Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger

Dans les ateliers, de jeunes Sud-Africains s’exercent aux percussions vocales.

heure locale

Page 32: Passages n° 57

32

Le silence règne jusque dans les derniers rangs lorsque Thu Thuy (au premier plan, à gauche) entame l’intro rêveuse de Eliah, le morceau de Dani Wallimann (troisième en partant de droite).

Rusticité helvétique et douceur asiatique

Pour les accordéonistes du groupe Siidhang, la musique populaire fait partie du quotidien comme la fourche à fumier et la

Subaru devant la fermette. À la Fête des cultures populaires d’Obwald, leur « ländler musique d’avenir » a pour la première fois partagé

la scène avec des musiciennes populaires académiques du Vietnam. Rencontre douce-amère dans la clairière de Giswil.

par Christian Hubschmid (texte) et Niklaus Spoerri (photos)

P22852_F_32_35_Reportage.indd 32 17.11.11 14:52

Page 33: Passages n° 57

33

Thu Thuy se cramponne. Le téléphérique Stäfeli-Usser Äbnet plonge dans la vallée. À gauche et à droite, des cascades se pré-cipitent sur les rochers ; par la fenêtre, le regard monte vers les glaciers. La cabine oscille dans le vide. Surtout ne pas regar-der en bas. Thu Thuy laisse échapper un léger cri. Mi-apeurée, mi-ravie, elle lance : « Switzerland, I am ready ! »

Thu Thuy est prête pour l’aventure hel-vétique. Ce soir a lieu la première répétition à Giswil (Obwald). Trois musiciennes viet-namiennes rencontrent le groupe autoch-tone de ländler Siidhang. Elles ont fait le voyage de la Suisse centrale pour la Fête des cultures populaires d’Obwald, un festi-val qui rassemble les musiques populaires de différentes régions du monde et de di-vers cantons suisses, avec pour objectif de découvrir la musique populaire authen-tique, vécue, loin du folklore et des clichés patriotiques. À la recherche de l’essence commune des cultures populaires du monde entier.

Paysage de carte postale avec figures étrangèresAlp Usser Äbnet, 1673 m d’altitude. Thu Thuy et ses amies passent l’après-midi sous un ciel bleu de carte postale en savourant fromage, lard et jambon. Elles avalent le fromage avec la croûte, tant elles sont enthousiasmées par ce produit laitier peu courant au Vietnam. Elles photographient tout : les fleurs alpines, le Pinzgauer devant la cabane, le panorama. Sous le jaune des parasols Eichhof, Thu Thuy et les autres Vietnamiennes entonnent une douce chan-son. Aux autres tables, les randonneurs écoutent fascinés les souples harmonies de cette musique séculaire. Le décor de carte postale prend soudain des traits étrangers. Et se détache avec encore plus de netteté.

Dans sa sixième édition, la Fête des cultures populaires d’Obwald mélange pour la première fois les cultures sur la scène. Normalement les groupes, qui vivent à des milliers de kilomètres de dis-tance, se succèdent. Par exemple d’abord un orchestre du pays hôte, cette année le Vietnam. Puis un chœur ou un orchestre de la région suisse invitée, cette année

Rusticité helvétique et douceur asiatique

Pour les accordéonistes du groupe Siidhang, la musique populaire fait partie du quotidien comme la fourche à fumier et la

Subaru devant la fermette. À la Fête des cultures populaires d’Obwald, leur « ländler musique d’avenir » a pour la première fois partagé

la scène avec des musiciennes populaires académiques du Vietnam. Rencontre douce-amère dans la clairière de Giswil.

par Christian Hubschmid (texte) et Niklaus Spoerri (photos)

REPORTAGE

P22852_F_32_35_Reportage.indd 33 17.11.11 14:52

Page 34: Passages n° 57

34

donc le Toggenbourg. Mais maintenant le simple énoncé du programme a déjà un son étrange : Siidhang mit Thu Thuy, Thuy Anh & Le Giang.

Le groupe de ländler Siidhang ne peut répéter que le soir. Dani Wallimann, le cla-rinettiste, travaille dans le bâtiment. Les joueurs de schwyzerörgeli Michi Walli-mann et Hugo Barmettler sont paysans. Pour eux, la musique populaire fait partie du quotidien comme la fourche à fumier et la Subaru devant le heimetli. À six heures, Michi doit encore aller nourrir les cochons. Au milieu des couinements assourdissants des joyeux porcins, il adore jodler. Il lui vient alors des mélodies dont on entend qu’elles sont nées du quotidien. Une musique sans apprêt, qui est plus insolite et plus raffinée que le pain-fromage tradi-tionnel. Martin Hess, le di-recteur du festival, l’appelle « ländlermusique d’avenir ».

Plus personne en Suisse ne mange de cœur ni de langue de porcÀ 63 ans, le natif d’Engel-berg a fait plusieurs fois le voyage de Hanoï au cours des derniers mois. Il ap-portait aux musiciennes et musiciens vietnamiens des partitions et des DVD de Siidhang. La musique popu-laire suisse, sautillante et dansante, se distingue forte-ment de la vietnamienne, qui est douce et a toujours une nuance narrative. Les musiciennes de Hanoï n’ont encore jamais entendu de musique populaire suisse, mais ce n’est pas un pro-blème pour elles. Elles

jouent les polkas et les valses sur partition et les parent de leurs propres arrange-ments. Martin Hess était déjà enthousiaste à Hanoï quand il a assisté aux répétitions. Maintenant il revient juste de chez le bou-cher de Giswil, avec qui il a discuté le pro-gramme culinaire de la troupe vietna-mienne, forte de onze membres. La langue de porc et le cœur, il a fallu les commander. Plus personne n’en mange en Suisse, on les a pour une bouchée de pain. Mais ils sont indispensables pour concocter une authen-tique soupe pho. Les Vietnamiennes, qui passent une semaine à Giswil pour « le plus étrange festival de Suisse », selon les mots de la presse helvétique, font elles-mêmes leurs repas dans les cuisines de l’hôtel.

Thu Thuy et ses collègues musiciennes viennent d’un pays qui a aiguisé sa culture millénaire aux influences de la France et des autres puissances impérialistes. Le Vietnam a certes un gouvernement com-muniste, mais il s’est lancé comme la Chine dans l’économie de marché. La croissance du produit social brut est fulgurante. Dans la capitale Hanoï, les gens fendent la foule sur leurs fringants scooters, le mobile à l’oreille. Les temps sont durs pour la mu-sique populaire traditionnelle. Thu Thuy et ses amies ont rarement l’occasion de jouer en public, car le peuple préfère les tubes et la pop music vietnamienne moderne. La musique populaire est au Vietnam quelque chose de très universitaire.

Thu Thuy enseigne à l’Académie de musique de Hanoï et le gouvernement viet-namien l’envoie souvent à l’étranger pour représenter la tradition. Elle a suivi une formation de huit ans, maîtrise plusieurs instruments et est une virtuose accomplie. En Suisse c’est l’inverse : la musique po-pulaire n’est guère encouragée au niveau univer sitaire, mais elle vit dans les nom-breuses fêtes de jodel et stubete. À Giswil, les Vietnamiennes jouent avec des hommes qui savent à peine déchiffrer une partition.

RepoRtage

« Les rudes ländler de Siidhang acquièrent sous le jeu sensible des Vietnamiennes une profondeur et une émotion qu’ils n’avaient pas auparavant. Surtout ne pas trop répéter maintenant. Sinon la magie de la spontanéité se perdra. Alors on conti-nue la soirée au bistrot à Giswil. »

La musique des Suisses est sautillante et dansante, celle des Vietnamiennes douce et narrative.

Page 35: Passages n° 57

35

Les professionnelles rencontrent des ama-teurs, l’art et la culture du Vietnam se frot-tent à la rude roche primitive helvétique.

Approfondir la tradition au contact des cultures étrangèresLa première répétition de ce lundi soir est aussi la dernière. Les solides gaillards de Siidhang arrivent avec un léger retard à la clairière où a lieu le festival. Les saluts échangés entre les ours suisses et les ravis-santes Vietnamiennes sont brefs. Les uns et les autres ne parlent que des rudiments d’anglais. Michi Wallimann remarque : « Moi qui croyais que chez eux tout était en bois, mais il y a de l’électronique dans cet instrument ! » Le dan bau est l’instru-ment vietnamien le plus typique. C’est une cithare à une corde, dont le corps de ré-sonance est en bambou ou en bois. Pour le concert, il faut l’amplifier. Les Vietna-miennes s’agenouillent sur le sol. Les Suis-ses, jambes écartées, se calent sur leurs chaises.

Thuy Anh démarre simplement. Son violon à deux cordes a une sonorité hu-maine, comme une voix de femme. Magni-fique, mais avec schwyzerörgeli, dan bau et contrebasse, le morceau de Dani Walli-mann, qu’elle joue sur partition, sonne trop massif, il y en a trop d’un coup. Les femmes commencent à papoter. Dani Wal-limann se tient à sa clarinette et fait : « On se retient d’abord un peu ».

Actuellement, un débat resurgit en Suisse à propos de la nature véritable de la culture populaire. Pour les uns, il n’y a plus de tra-dition, seulement du folklore. La nostalgie d’un monde intact et un kitsch patriotique dépourvu de sens, sans rapport avec la réalité d’aujourd’hui. Martin Hess n’est pas d’accord. Dans la préface du programme du festival, il écrit : « Pour la Fête des cul-tures populaires d’Obwald, la tradition est quelque chose de vivant que nous voulons transmettre au futur. Au contact des autres régions du pays et des cultures étrangères, la tradition va ici s’approfondir, s’affiner et se développer. »

À Giswil, on voit vite qui porte la cu-lotte. Ce sont les Vietnamiennes. Avec une douce détermination, Thu Thuy com-mence à arranger le morceau. C’est le hack-brett vietnamien qui commencera, puis le violon et le schwyzerörgeli, la contrebasse et le dan pau se joindront à lui à tour de rôle. Le plan fonctionne. La tension monte. Le ländler lent et lourd commence à dan-ser, les instruments étrangers s’enroulent autour des méandres de la mélodie locale. On ne parle presque plus. La musique flirte.

Une heure plus tard, la montagne s’est teintée de rose en arrière-fond. La clairière plonge dans l’obscurité. Sur la scène, la troupe multicolore joue avec une aisance évidente, comme si elle n’avait jamais rien fait d’autre. Les rudes ländler de Siidhang acquièrent sous le jeu sensible des Vietna-

miennes une profondeur et une émotion qu’ils n’avaient pas au-paravant. Sur tout ne pas trop ré-péter maintenant. Sinon la magie de la spontanéité se perdra. Alors on continue la soirée au bistrot à Giswil. À la stammtisch, le temps passe vite. Les hommes prennent congé des Vietnamiennes avec une youtse dans la nuit.

Quand le festival commence, plus rien ne peut aller de travers. L’ambassadeur du Vietnam est là, il a emmené avec lui ses collègues in-donésien et thaïlandais. Le canton d’Obwald, qui subventionne le fes-tival, a lui aussi envoyé un délégué. Josef Gnos, président de la commis-sion culturelle cantonale, se déclare fan du festival. À l’automne 2011, le canton décidera s’il prolonge le cré-dit de trois ans accordé à la Fête des cultures populaires, également sou-

tenue par Pro Helvetia. Il est con vaincu que le crédit passera.

Siidhang mit Thu Thuy, Thuy Anh & Le Giang est un triomphe. Aux tables sont installés surtout des gens de la région, mais aussi des citadins intéressés par la culture. Ils tapent des pieds sur le plancher, réclament un bis. Il n’y en a pas, les musi-ciens n’ont répété que trois morceaux. Alors Thu Thuy entame pour la deuxième fois l’intro rêveuse du morceau de Dani Wallimann Eliah. Elle porte une longue robe jaune, sa parure de tête lui fait comme une auréole. Le silence règne jusqu’au der-nier rang.

www.obwald.ch Christian Hubschmid (*1965) est rédacteur culturel à l’hebdomadaire SonntagsZeitung. Il y parle de musique populaire, du jodel naturel à Lady Gaga, et aussi de théâtre, de café-théâtre et de show business. Il habite avec sa femme et ses deux enfants à Zurich. Niklaus Spoerri (*1965), photographe, vit à Zurich et gagne sa vie depuis son diplôme de photographe à la Kunstgewerbeschule de Zurich (aujourd’hui ZHdK) en réalisant des documentaires, des portraits et des reportages. En septembre, son recueil de portraits de sosies professionnels who is who? est paru aux éditions Verlag für moderne Kunst de Nuremberg. www.niklausspoerri.ch Traduit de l’allemand par Christian Viredaz

RepoRtage

Avant le concert, une excursion dans le paysage de carte postale de l’alpe Usser Äbnet.

Page 36: Passages n° 57

36

En 2012, Pro Helvetia se verra dotée d’une nouvelle structure qui dissociera le straté-gique de l’opérationnel. Ce changement est voulu par la nouvelle Loi sur l’encoura-gement de la culture, adoptée en 2009 par le Parlement. Dans sa forme réduite, le Conseil de fondation ne se préoccupera que de la direction stratégique de la fondation. Composé de neuf personnalités de la vie culturelle, provenant de toutes les régions linguistiques de Suisse, il travaillera sous la présidence de Mario Annoni pendant encore deux ans. Pour les quatre années à venir, le Conseil fédéral a nommé au Conseil de fondation:

Marco Franciolli, directeur du Museo Cantonale d’Arte Lugano; Guillaume Jup-pin de Fondaumière, Co-CEO de Quantic Dream; Claudia Knapp, curatrice de projets artistiques et journaliste indépendante; Johannes Schmid-Kunz, gestionnaire de la culture et directeur de la Fédération natio-nale des costumes suisses; Nicole Seiler, danseuse et chorégraphe; Peter Siegentha-ler, expert financier et président du Groupe des banques cantonales; Anne-Catherine Sutermeister (sortante), Haute École de théâtre La Manufacture; Felix Uhlmann (sortant), professeur de droit public et ad-ministratif à l’Université de Zurich.

Sur le plan opérationnel, une commis-sion de 13 spécialistes secondera le secréta-riat dans l’évaluation des requêtes et des projets propres de la Fondation. Cette com-mission à la composition interdisciplinaire émettra ses recommandations pour tous les projets dépassant 50000 francs. Il sera possible de faire appel à d’autres experts selon les besoins.

www.prohelvetia.ch

ACtUA LItÉS PrO HELv EtI A

Un nouveau Conseil de

fondation pour Pro Helvetia

jets: elle décidera ensuite de la politique d’encouragement qu’elle suivra à l’ave-nir dans ce domaine. Le programme GameCulture a démarré en 2010 et de-vrait durer deux ans: il a pour but d’encourager la créativité et un design exigeant.

voici la liste des lauréatsvoici la liste des lauréatsv :• Daina : The Herbarium

de Dario Hardmeier et raffaele de Lauretis • Feist

de Florian Faller et Adrian Stutz• Jump N Roll

de Games2Be (Gerhard Oester)• Krautscape

de Mario von rickenbach et Michael Burgdorfer

• Macrocosmde Klaas Kaat

• MokMokde twobeats (Samim Winiger, Marc Lauper)twobeats (Samim Winiger, Marc Lauper)t

• POPde Bitforge (reto Senn, Andreas Hüppi)

www.gameculture.ch

Pro Helvetia tire un bilan provisoire positif de son programme GameCulture : en septembre, un jury international a récompensé sept développeurs suisses de jeux vidéo et leur a attribué une bourse d’œuvre de 50 000 francs maximum qui leur permettra de continuer à dévelop-per les jeux jusqu’au stade de prototypes. Les jeux ont un énorme potentiel, dit Guillaume Juppin de Fondaumière, pré-sident du jury et Co-CEO du studio français de jeux Quantic Dream: «À plus ou moins longue échéance, ils perceront tous sur le marché.» Ce sont des jeux pour ordinateurs, iPhones, iPods ou iPads, qui expérimentent avec le média: il peut s’agir de paysages peints à la main et parcourables ou de jeux de course à plusieurs joueurs où le parcours ne se découvre qu’au cours du jeu.

Il est réjouissant que le premier call for projects ait eu une telle résonnance. En 2012, la Fondation pour la culture projette de lancer un nouvel appel à pro-

Des jeux vidéo récompensés

Krautscape – un jeu de course multijoueur, à la rapidité fulgurante, pour Mac et PC

ACTUALITÉS pro heLveTIA

Page 37: Passages n° 57

37

manifestation, le jury d’experts a nommé une personnalité de renom : architecte et théoricien, Miroslav rik gère son propre bureau à Zurich et enseigne à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et il brisera une lance en faveur de l’architec-

ture contemporaine de Suisse dans la ville lagu-naire. En le sélectionnant, le jury affiche sa volonté d’engager la discussion sur les théories de l’archi-tecture contemporaine.

Le jury responsable de la nomination des artistes et des architectes pour les trois biennales se compose de sept membres spécialistes des deux disciplines. A Pro Helvetia, le projet sera suivi par l’historien de l’art Sandie Pauci et la gestionnaire de la culture rachel Guiducci Legit timo.www.prohelvetia.ch

À l’heure actuelle, le pavillon suisse de venise a été débarrassé des derniers ru-bans adhésifs. Accaparant intégralement l’espace de son installation, thomas Hirschhorn a représenté la Suisse à la Biennale cette année. À partir de 2012, c’est Pro Helvetia qui se chargera de nommer les artistes qui représenteront la Suisse à la Biennale. La nouvelle loi sur l’encouragement de la culture lui confie la responsabilité d’organiser les contributions suisses aux biennales d’art et d’architecture de venise ainsi qu’à la biennale d’art du Caire – autant de tâches qui jusqu’à présent étaient remplies par l’Office fédéral de la culture (OFC). Ainsi la traditionnelle mission de Pro Helvetia – faire connaître la culture de Suisse à l’étranger – se trouve augmentée d’un mandat important.

En 2012, conformément au système de rotation, la biennale de venise sera consacrée à l’architecture et elle aura lieu d’août à décembre. Pour faire hon-neur à la notoriété internationale de la

Vue de l’installation de Thomas Hirschhorn Crystal of Resistance dans le pavillon suisse.

Les futures biennales gérées par Pro Helvetia

C’est du reste la première exposition de Schnyder aux États-Unis. Or Gianni Jetzer, le directeur du SINY, trouve in-juste cette absence de reconnaissance in-ternationale envers ce Bâlois qui vit à Zoug depuis 1966. L’exposition de New York durera jusqu’au 19 février et se compose de 35 paysages, Landschaft I-XXXV (1991) : elle offre un point de vue singulier sur la Suisse, tout à la fois plaisant et inquiétant. On pourra égale-ment voir Schnapsparade, la dernière vidéo de l’artiste : une douzaine de bou-teilles de schnaps défile sur des carrioles de bois sculptées à la main par Schnyder, au son d’une musique militaire qui fait basculer le tout dans l’absurde.

www.swissinstitute.net Nouvelle adresse du SINY : 18 Wooster Street, New York, NY 10013

Phot

o du

bas

: D

avid

e Le

gitt

imo

Un emplacement de rêve pour l’art de Suisse

Au Swiss Institute de New York : la Schnaps parade de Frédéric Schnyder

Le Swiss Institute vient d’ouvrir ses nouveaux locaux, dans une rue très fréquentée en plein cœur de Big Apple, à SoHo. L’art suisse aura ainsi à sa dispo-sition, pour se faire entendre sur la riche scène culturelle new-yorkaise, de généreux es-paces situés au rez-de-chaussée. Le SINY y présentera à un public exigeant ce que la Suisse fait de mieux en matière d’art contemporain. Par exemple : l’autodidacte Jean-Frédéric Schnyder (*1945).

ACTUALITÉS pro heLveTIA

Page 38: Passages n° 57

38PARTENAIRE: lE PouR-cENT culTuREl MIgRos

par Christoph Lenz – Non, le portrait du patriarche n’orne pas les murs de son bu­reau. À quoi bon d’ailleurs, puisque sa pré­sence ne cesse de rayonner ? Une fois le dic­taphone en marche, Hedy Graber, cheffe de la Direction des Affaires culturelles et so­ciales de la Fédération des coopératives Mi­gros, avoue qu’à sa table de conférence, la discussion finit toujours par revenir à lui.

Lui, c’est bien entendu Gottlieb Dutt­weiler, fondateur de Migros, politicien, citoyen. Et c’est à lui, Dutti, que nous de­vons l’idée du Pour­cent culturel Migros : en 1950, le patron a donné comme mot d’ordre à son entreprise, « vu sa puissance matérielle croissante, de fournir des pres­tations sociales et culturelles d’autant plus importantes ». En 1957, le Pour­cent cultu­rel Migros est ancré dans les statuts de la coopérative. Depuis, il s’est établi en tant qu’institution fondamentale de la vie cultu­relle suisse.

Le commerce et la culture ont les mêmes droitsLa continuité est un bien rare dans l’en­couragement de la culture. Il est donc d’autant plus remarquable qu’une entre­prise du secteur privé, confrontée de sur­croît à un marché où la concurrence fait rage, se donne les moyens d’honorer le but qu’elle s’est fixé. Depuis 54 ans, le géant orange investit un pour cent de son chiffre d’affaires dans la création de valeurs cul­turelles et sociales. L’objectif poursuivi est loin de se limiter au seul marketing. Les statuts de la coopérative considèrent le Pour­cent culturel Migros comme un ob­jectif d’entreprise, au même titre que le commerce de détail.

À l’heure actuelle, le Pour­cent cultu­rel Migros dispose d’un budget de quelque 115 millions de francs. Seul un tiers de cette somme est alloué à des projets cultu­rels au sens strict du terme. En effet, l’en­gagement de la Migros se veut plus large, et elle soutient également l’accès à la for­mation et aux loisirs. Cette tâche revient aux dix coopératives régionales, comme Migros Aare ou Migros Suisse orientale, qui agissent de manière autonome et ini­tient des projets régionaux tels que les écoles club, les projets d’intégration, mais aussi l’exploitation des aires de détente bap­tisées «Parcs Prés Verts».

Plus audacieux, plus rapide, plus conséquentLa Fédération des coopératives Migros, dont le siège est à Zurich, assume de nom­breuses tâches au niveau national. Y est notamment rattaché l’Institut Gottlieb Duttweiler, qui propose des échanges scientifiquement fondés sur des thèmes so­ciaux et économiques. Le siège zurichois abrite également la Direction des Affaires culturelles et sociales, dont l’activité maî­tresse ne se confine pas au seul encourage­ment de la culture. Peuvent espérer un

soutien financier les artistes des beaux­arts, de la bande dessinée, du théâtre pour enfants et la jeunesse, ainsi que du cinéma, pour n’en nommer que quelques­uns, mais aussi les organisateurs de projets liés à la santé. Des disciplines on ne peut plus di­verses. Et pourtant, quelles que soient les requêtes qu’elle évalue, Hedy Graber privi­légie trois aspects majeurs : « pertinence, actualité et innovation ».

L’examen des demandes ne représente qu’un volet de l’activité du Pour­cent cultu­rel Migros. Le géant orange intervient lui­même en tant que créateur dans le paysage culturel suisse là où cela s’avère nécessaire. Le festival Steps en est un exemple, qui offre tous les deux ans au printemps et dans toute la Suisse une scène sur laquelle la danse contemporaine se produit. Ou en­core la manifestation m4music se dérou­lant sur trois jours et qui a tôt fait de s’im­poser comme forum et laboratoire de la musique pop suisse.

Ces exemples illustrent la force de l’en­couragement de la culture mis en œuvre par Migros : cet encouragement est plus indépendant que celui des institutions pu­bliques. Donc plus audacieux, plus rapide, plus conséquent. Dans les années 1990, Migros s’aventurait en terre inconnue en soutenant des productions de musique pop. Dans l’intervalle, les sub ventions pour les enregistrements CD sont connues dans la plupart des communes.

Le Pour­cent culturel Migros con­centre désormais son soutien sur l’aide aux groupes confrontés à de moindres res­sources : quiconque a besoin d’une caméra pour tourner un clip vidéo, d’une photo­copieuse pour imprimer des flyers ou d’un bus pour se rendre au concert, peut s’adres­ser à l’un des quatre bureaux culturels cofinancés par Migros et situés à Bâle, Berne, Genève et Zurich.

Ce qu’il en penserait ? Sans doute que bien des grandes histoires ont commencé par un simple coup de pouce.

www.pour­cent­culturel­migros.ch Christoph Lenz (*1983) est rédacteur pour la culture au quotidien bernois Der Bund. Traduit de l’allemand par Anne Peiry­Schmidt

PA rTENA Ir E

Illu

stra

tion

: r

affi

neri

e

Le Pour­cent culturel Migros

Le Pour­cent culturel Migros encourage la formation, les

loisirs, le dialogue et la culture contemporaine. À coup de

montants considérables ou de simples coups de pouce.

Page 39: Passages n° 57

39

par Michel Layaz – A écrire quoi ? De la lit­térature, évidemment. Parce qu’apprendre à écrire dans sa langue, ceci l’école se doit de nous l’enseigner. Mais écrire de la litté­rature à partir de sa langue (souvenons­nous de Karl Kraus qui affirmait : je n’écris pas en allemand mais à partir de l’alle­mand), l’affaire se complique. Pourquoi ? Parce que cela nécessite de définir ce que l’on peut considérer comme de la littéra­ture aujourd’hui. Et là­dessus – à une époque où chacun pense fondé ce qu’il pense pour la simple raison que c’est lui qui le pense –, le débat serait long, contra­dictoire et mouvementé.

Peut­on apprendre à écrire de la litté­rature ? Mais à qui ? Ne sont concernés que des gens habités par l’écriture, des gens prêts à s’engager dans ce qui les passionne. Et que les autres passent leur chemin.

Ceci clarifié, tentons de répondre à la question posée. On connaît les arguments, plus ou moins rabâchés des uns et des autres, tous défenseurs d’une idéologie, voire d’une philosophie. À ma droite, l’« école française » où prédomine l’idée du génie inspiré, de l’écrivain médium qui toutefois, dès qu’on lui pose une question sur son art, se sent paradoxalement obligé de déplier toute l’histoire littéraire, des origines jusqu’à aujourd’hui. Imaginer qu’écrire puisse un tantinet s’enseigner, ce serait retirer à l’écrivain sa gloire, sa su­perbe et son génie. À ma gauche, l’« école américaine », décomplexée, ouverte aux expérimentations les plus diverses, mais qui ne craint pas non plus de prôner des canevas efficaces, performants et con­venus pour structurer un récit. Foi dans l’apprentissage et dans le progrès. Pour­quoi les écrivains seraient­ils différents des plasticiens, des musiciens ou des comé­diens qui depuis longtemps perfectionnent leur art dans des écoles ?

Si certains jours je me sens très amé­ricain, d’autres jours je me sens presque

français. En revanche, ce dont je suis sûr c’est qu’il existe de jeunes et belles per­sonnes qui ont choisi de mettre l’écriture au centre de leur vie et qui ont en elles des potentialités magnifiques. Qu’un insti­tut littéraire leur tende la main est une chance, pas de doutes. En un tel lieu (outre les ateliers d’écriture qui imposent des contraintes qui éveillent), elles pourront non seulement mener en priorité les tra­vaux qui leur tiennent à cœur, mais aussi profiter des remarques et des questions des autres membres de l’école et surtout des commentaires d’écrivains, c’est­à­dire de gens qui tirent une légitimité de leur propre pratique d’écriture. Ces derniers rappelleront, par exemple, combien il im­porte de se montrer intransigeant envers soi­même quant à la qualité d’un texte produit. Pour cela, il faut être capable de laisser son amour­propre de côté pour développer une réflexivité salutaire. En se confrontant à une critique suivie, con s­tructive, et qui a pour but de signaler des écueils, des dysfonctionnements, mais aussi de mettre en avant ce qui est parti­culièrement réussi, l’étudiant verra mieux comment un texte est plastique, mouvant, perfectible. Il ne s’agit nullement, on l’aura compris, de subir une autorité, mais de profiter de rencontres privilégiées où tout

peut se dire et où l’on n’a de compte à rendre qu’à la littérature.

L’écrivain qui suit avec respect le travail que mène un étudiant peut l’inciter à découvrir toutes sortes d’incohérences qui minent plus ou moins le texte en train de se former, il peut lui faire prendre con­science de certaines voies marécageuses dont il s’agit de s’écarter au plus vite sous peine d’enlisement, il peut encore lui rap­peler de ne jamais oublier que, comme le dit Erri de Luca, « l’écriture est une île, non pas la mer infinie ».

Si tout cela compte beaucoup, son rôle premier demeure toutefois de servir de sti­mulant. Est stimulant tout ce qui invite à être soi­même.

Michel Layaz est écrivain. Il publie ses livres chez Zoé et chez Points­Seuil. Il enseigne à l’Institut littéraire suisse de Bienne. Deux sœurs, son ouvrage le plus récent, est sorti en février 2011. Illustration : rahel Nicole Eisenring

cARTE blANchE

Peut­on apprendre à

écrire ?

CA rTE BL A NCHE

Page 40: Passages n° 57

40PerformanceScHaUfenSTer

Page 41: Passages n° 57

Sandrine Pelletier

Catwalk, 2005Installation in situ, composée de 60 chats (nylon, textile, verre, acrylique, pâte à mode-ler, moquette), dimensions variables

Sandrine Pelletier recourt à de nombreux mé-dias dans son travail : la sculpture, le textile, le dessin, les installations, la performance et la musique. Elle emprunte aux modes d’élabo-ration et de production de l’art populaire et de l’artisanat, dans leurs diverses acceptions. Son travail se distingue par certains éléments comme l’illusionnisme et le trompe-l’œil et ses installations témoignent de ses interroga-tions sur les thèmes de la métamorphose, des rituels et des légendes.

Catwalk est l’une des premières instal-lations d’envergure de Sandrine Pelletier : il s’agit d’une commande de la marque japo-naise Tsumori Chisato. Composée d’un « es-cadron » de chats fabriqués à partir des tissus du label de mode japonais et d’autres maté-riaux, pleine d’humour et légèrement oni-rique, l’œuvre flotte dans l’espace.

Sandrine Pelletier (*1976) vit et travaille à Genève. Elle est diplômée de l’École canto-nale d’art de Lausanne (ECAL) et enseigne, depuis 2010, à la Haute école d’art et de de-sign de Genève (HEAD).

La rubrique « Galerie » met en lumière l’œuvre d’un ou d’une artiste suisse.

G A LER IE

Page 42: Passages n° 57

42

En juin de cette année, la rédaction dePassages a effectué une enquête auprèsdes lectrices et des lecteurs du maga­zine. Trois ans après le lancement dezine. Trois ans après le lancement dezine. Tla nouvelle formule, elle souhaitaitconnaître les réactions de son lectorat.C’est un plaisir de voir que les retourssont positifs. Une majorité des lecteursest satisfaite de la qualité journalistiquede Passages : 80% apprécient le choixdes thèmes et 74% trouvent que lesarticles stimulent souvent ou presquetoujours la réflexion. 80% des lecteurssont souvent ou presque toujours en­chantés de la présentation graphique.Plus de 80% trouvent que Passagesleur fait connaître les tâches et les réa­lisations de Pro Helvetia. Plus de80% des lectrices et lecteurs regrette­raient que le magazine cesse de paraître.La durée moyenne de lecture approcheles 40 minutes.

594 personnes ont pris part à l’enquête.Parmi elles, les artistes et acteursculturels forment le groupe le plus im­portant (30%), le deuxième groupecomprenant les amateurs de culture(26%). Le reste inclut des organisateurs,des institutions, des journalistes, despoliticiens et autres. Hommes etfemmes sont représentés à part égaleet – c’est peut­être le résultat le plussurprenant – les lecteurs se partagentde manière à peu près homogèneentre les divers groupes d’âge, de 25 à64 ans. Cette enquête encourage larédaction de Passages à poursuivre dansla voie choisie.

L’heureux gagnant de la photo de TL’heureux gagnant de la photo de TL om’heureux gagnant de la photo de Tom’heureux gagnant de la photo de THuber est le lecteur de PassagesPeter Niklaus, à Olten. Nous le félicitonsde ce prix!

Dans chaque numéro du magazineculturel Passages, vous lisez:

• presque tous les articles• plutôt plus de la moitié • plutôt moins de la moitié • seulement quelques articles• aucun

Un bon point pour Passages

Vous pourrez ainsi vous informer sur l’art et la culture de Suisse, sur l’actualité et les projets de Pro Helvetia et sur les échanges culturels entre la Suisse et le reste du monde.

Passages paraît trois fois par an, en allemand, en français et en anglais et compte des lectrices et des lecteurs dans plus de 60 pays.

En envoyant vos coordonnées à [email protected] ou en vous rendant sur notre site Internet www.prohelvetia.ch › publications, vous pourrez souscrire un abonnement gratuit.

Commandez votre abonnement gratuit à Passages !

passages

LE MAGAZINE CULTUREL DE PRO HELVETIA, NO 56, 2/2011

Papier, blog, tweet et tagLes avatars du journalisme culturel

Le globe-trotter et son carnet d’esquisses : Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA : un vent de renouveau souffl e sur la culture catalane

25.3%31.3%

22.9%

19.3%

1.2%

Page 43: Passages n° 57

43

L’Égypte en pleine mutation

Quels sont les effets de la révolution sur la culture en Égypte ? Et quelle influence les artistes peuvent­ils exercer en retour sur la marche de la politique ? L’art a­t­il le pouvoir de contribuer aux mutations sociales ? Dans le prochain numéro de Passages, nous nous rendrons en Égypte. Nous demanderons à des artistes égyp­tiens de nous dire comment ils com­prennent leur rôle dans la situation so­ciale actuelle, nous parlerons de l’élan de créativité imprimé par la révolution à la scène artistique, nous informerons sur la politique culturelle et l’encourage­ment de la culture en Égypte et sur le mode de travail des institutions de sou­tien étrangères. Le prochain Passages paraîtra en mai 2012.

PassagesDerniers numéros parus :

Papier, blog, tweet et tag No 56

Créativité et confrontation No 55

Jeux vidéo : l’art du futur No 54

passages

LE MAGAZINE CULTUREL DE PRO HELVETIA, NO 56, 2/2011

Papier, blog, tweet et tagLes avatars du journalisme culturel

Le globe-trotter et son carnet d’esquisses : Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA : un vent de renouveau souffl e sur la culture catalane

passages

LE MAGAZINE CULTUREL DE PRO HELVETIA, NO 54, 3/2010

« Gäuerle » et « Chlefele » : la Suisse et sa culture populaire en Argentine p. 6Chopin en terres orientales et expérimentales p. 36

Le poète fuyant : vaine recherche à Buenos Aires p. 41

Jeux vidéo : l’art du futur

passages

LE MAGAZINE CULTUREL DE PRO HELVETIA, NO 55, 1/2011

Sur le canal de Suez : un artiste en quête d’indices | Objets de design : voyage au cœur de la créativité humaine | Expérimentations musicales : face à face entre

chercheurs et bidouilleurs

Créativité et confrontationLes échanges culturels autour du monde

Passages le magazine culturel de Pro Helvetia en ligne : www.prohelvetia.ch/passages

Actualités Pro Helvetia Projets actuels, concours et programmes de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia : www.prohelvetia.ch

Permanences Pro Helvetia

Paris/France www.ccsparis.com

Rome, Milan, Venise/Italie www.istitutosvizzero.it

Varsovie/Pologne www.prohelvetia.pl

Le Caire/Egypte www.prohelvetia.org.eg

Le Cap/Afrique du Sud www.prohelvetia.org.za

New Delhi/Inde www.prohelvetia.in

New York/Etats­Unis www.swissinstitute.net

San Francisco/Etats­Unis www.swissnexsanfrancisco.org

Shanghai/Chine www.prohelvetia.cn

Newsletter Vous souhaitez tout savoir sur les es projets, engagements et thèmes de réflexion de Pro Helvetia ? Alors abonnez­vous à notre newsletter électronique : www.prohelvetia.ch.

Editrice Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture www.prohelvetia.ch Rédaction Rédaction en chef et rédaction de la version allemande : Janine Messerli Assistance: Martha Monstein, Sandra Suter et Juliette Wyler Rédaction et coordination de la version française : Marielle Larré Rédaction et coordination de la version anglaise : Rafaël Newman, Marcy Goldberg Adresse de la rédaction Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture Rédaction de Passages Hirschengraben 22 CH–8024 Zurich T +41 44 267 71 71 F +41 44 267 71 06 [email protected] Conception graphique Raffinerie AG für Gestaltung, Zurich Impression Druckerei Odermatt AG, Dallenwil Tirage 18 000 © Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture – tous droits réservés. Reproduction et duplication uniquement sur autorisation écrite de la rédaction. Les articles nommément signés ne reflètent pas forcément la position de l’éditrice. Les droits des photos restent propriété des photographes. La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde. Elle s’engage pour la diversité de la création culturelle, elle aide à définir les besoins de la culture et concourt à l’existence d’une Suisse culturelle multiple et ouverte.

L’abonnement à Passages est gratuit, de même que le téléchargement de la version électronique à l’adresse www.prohelvetia.ch/passages. Pour toute commande ultérieure d’un unique exemplaire, une somme forfaitaire de 15 francs est perçue (frais d’administration et de port).

I MPR ESSU M PA SSAGES EN LIGN E À SU I V R E

impressum / passages en l igne / à suiVre

Page 44: Passages n° 57

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde.

L’art de la performance est aujourd’hui sommé de trouver une stratégie esthétique qui sache interroger les frontières devenues de plus en plus subtiles, dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme l’Autre, le déran­geant, l’étrange et l’étranger.

On remarque que de nombreux performeurs de la scène théâtrale actuelle se présentent comme des chercheurs­enseignants agissant de façon (apparemment) objective plutôt que comme des artistes­sujets radicaux.

Le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le déroulement de la soirée dépend de notre manière d’aborder ces exigences, de les négocier, de les satisfaire ou de les repousser. www.prohelvetia.ch/passages

Irriter, éclairer : les performances politiquesEva Behrendt, p. 12

« Peut­on faire confiance à son voisin dans la salle ? »Tim Etchells en conversation avec Dagmar Walser, p. 20

Qu’est­ce qu’une performance au juste ? Gabriele Klein, p. 6