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Annales de pathologie (2011) 31, 353—355 HISTOSÉMINAIRE SFP Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasiques précoces. Introduction Oesophageal and gastric pathology: Early neoplastic lesions. Introduction Jean-Franc ¸ois Fléjou Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, faculté de médecine-Pierre-et-Marie-Curie, hôpital Saint-Antoine, AP—HP, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France Accepté pour publication le 14 mai 2011 Disponible sur Internet le 15 septembre 2011 Les cancers de l’œsophage et les cancers de l’estomac sont des cancers fréquents et qui restent de mauvais pronostic. Ils sont le plus souvent précédés par des lésions précancé- reuses, qu’il importe de savoir diagnostiquer. Même si pour la plupart d’entre elles, ces lésions ne sont pas détectées dans le cadre de programme de surveillance ou de dépis- tage, les pathologistes sont amenés à les reconnaître de fac ¸on non exceptionnelle dans leur recrutement « de routine ». Lorsque ce diagnostic est porté avec certitude, un trai- tement d’exérèse est généralement effectué. Il peut s’agir d’un traitement chirurgical « classique », mais de plus en plus souvent, c’est un traitement local qui est décidé. Celui-ci peut consister en une méthode « destructive », telle que le laser ou la thérapie photody- namique, méthodes ayant l’inconvénient de ne pas permettre la confirmation histologique du diagnostic et surtout l’établissement du stade de la maladie. Mais c’est souvent une exérèse endoscopique locale qui est effectuée ; il importe de prendre en charge de fac ¸on très rigoureuse ces prélèvements, pour confirmer le diagnostic et le stade des lésions pré- cancéreuses, et reconnaître une éventuelle lésion infiltrante déjà présente, qui sera alors le plus souvent une lésion superficielle, dont le degré d’infiltration devra être déterminé très précisément, afin de décider un éventuel traitement chirurgical complémentaire. Pour l’ensemble de ces lésions, il est nécessaire d’utiliser des critères diagnostiques stricts, et des classifications validées et reconnues internationalement. Les lésions précancéreuses peuvent s’observer dans l’œsophage en muqueuse mal- pighienne et en muqueuse glandulaire métaplasique d’un œsophage de Barrett (ou endobrachyœsophage). Les classifications de ces types histologiques différents n’ont pas été harmonisées et il persiste donc une certaine ambiguïté dans leurs dénomi- nations et classifications, malgré la nouvelle classification de l’OMS, qui vient d’être Adresse e-mail : jean-francois.fl[email protected] 0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2011.07.010

Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasiques précoces. Introduction

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Page 1: Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasiques précoces. Introduction

Annales de pathologie (2011) 31, 353—355

HISTOSÉMINAIRE SFP

Pathologie œsophagienne et gastrique : lésionsnéoplasiques précoces. Introduction

Oesophageal and gastric pathology: Early neoplastic lesions. Introduction

Jean-Francois Fléjou

Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, faculté demédecine-Pierre-et-Marie-Curie, hôpital Saint-Antoine, AP—HP, 184, rue duFaubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France

Accepté pour publication le 14 mai 2011Disponible sur Internet le 15 septembre 2011

Les cancers de l’œsophage et les cancers de l’estomac sont des cancers fréquents et quirestent de mauvais pronostic. Ils sont le plus souvent précédés par des lésions précancé-reuses, qu’il importe de savoir diagnostiquer. Même si pour la plupart d’entre elles, ceslésions ne sont pas détectées dans le cadre de programme de surveillance ou de dépis-tage, les pathologistes sont amenés à les reconnaître de facon non exceptionnelle dansleur recrutement « de routine ». Lorsque ce diagnostic est porté avec certitude, un trai-tement d’exérèse est généralement effectué. Il peut s’agir d’un traitement chirurgical« classique », mais de plus en plus souvent, c’est un traitement local qui est décidé. Celui-cipeut consister en une méthode « destructive », telle que le laser ou la thérapie photody-namique, méthodes ayant l’inconvénient de ne pas permettre la confirmation histologiquedu diagnostic et surtout l’établissement du stade de la maladie. Mais c’est souvent uneexérèse endoscopique locale qui est effectuée ; il importe de prendre en charge de facontrès rigoureuse ces prélèvements, pour confirmer le diagnostic et le stade des lésions pré-cancéreuses, et reconnaître une éventuelle lésion infiltrante déjà présente, qui sera alorsle plus souvent une lésion superficielle, dont le degré d’infiltration devra être déterminétrès précisément, afin de décider un éventuel traitement chirurgical complémentaire. Pourl’ensemble de ces lésions, il est nécessaire d’utiliser des critères diagnostiques stricts, etdes classifications validées et reconnues internationalement.

Les lésions précancéreuses peuvent s’observer dans l’œsophage en muqueuse mal-pighienne et en muqueuse glandulaire métaplasique d’un œsophage de Barrett (ouendobrachyœsophage). Les classifications de ces types histologiques différents n’ontpas été harmonisées et il persiste donc une certaine ambiguïté dans leurs dénomi-nations et classifications, malgré la nouvelle classification de l’OMS, qui vient d’être

Adresse e-mail : [email protected]

0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2011.07.010

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Tableau 1 Lésions précancéreuses de l’œsophage et de

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Rdcccsfpdabouti au « système de Vienne » de classification des lésionsnéoplasiques du tube digestif [4]. Ce système est en fait très

l’estomac, d’après la classification 2010 de l’OMS [1].Precancerous lesions of the oesophagus and stomach, from the2010 WHO classification [1].

ŒsophageDysplasie associée à l’œsophage de Barrett

AdénomateuseNon-adénomateuse

FovéolaireFestonnée

Dysplasie malpighienne

EstomacDysplasie associée à la gastrite

Adénomateuse (type 1)Fovéolaire (type 2)

AdénomeType intestinalType glandulaire pyloriqueType fovéolaire

Dysplasie associée aux polypes fundiquesglandulo-kystiques

ubliée [1]. Dans l’estomac, seules des dysplasies glandu-aires sont observées, mais dans des circonstances variées,boutissant à des lésions macroscopiques et histologiquesont le spectre est assez large. Ces types de lésions précan-éreuses épithéliales de l’œsophage et de l’estomac sontistés dans le Tableau 1, rédigé d’après le chapitre introduc-if de la classification de l’OMS [1]. Il faut noter que manqueans ce tableau, la dysplasie « à cellules caliciformes »bservée dans l’estomac dans le contexte particulier et rarees formes familiales de cancer gastrique liées à une muta-ion germinale du gène CDH1, pourtant très bien décritesans un autre chapitre du traité de l’OMS. Cette entité fait’objet d’un des cas du séminaire.

Au cours de ce séminaire, les différents types de lésionsrénéoplasiques œsophagiennes et gastriques sont envisa-és. La présentation d’un cas de néoplasie intra-épithélialealpighienne de l’œsophage traitée par mucosectomie (cas

o 1) permet de détailler classification et critères diag-ostiques de cette forme moins bien connue dans le tubeigestif que dans les muqueuses génitales. Deux observa-ions de lésions néoplasiques précoces sur œsophage dearrett (cas no 2 et 3), traitées chirurgicalement, illus-rent les aspects histologiques de ces lésions dont desormes nouvelles ont été récemment décrites. Elles sontussi l’occasion de rappeler la classification des cancerssuperficiels » digestifs, qui présente certaines spécifici-és dans l’œsophage de Barrett. Une présentation experte’une lésion en apparence non liée au thème principal duéminaire, une tumeur conjonctive bénigne de la jonctionsogastrique (cas no 4), permet de faire un point sur les

ormes « précoces » de ces tumeurs dont la connaissance aeaucoup progressé depuis la reconnaissance du concept deumeur stromale gastro-intestinale (GIST). Dans l’estomac,rois lésions dysplasiques épithéliales exocrines très diffé-entes sont présentées dont la classification et la prise enharge sont exposées (cas no 5, 6 et 7). Enfin, une observa-ion de lésion tumorale endocrine gastrique précoce (cas no

) permet de faire le point dans un domaine ou de multipleslassifications ont pu rendre les choses en apparence un peuonfuses.

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J.-F. Fléjou

n introduction, présentation de lalassification OMS 2010 des lésionsrécancéreuses du système digestif [1]

a nouvelle édition de la classification de l’OMS des tumeursigestives comporte pour la première fois un chapitre consa-ré aux lésions précancéreuses, appelées dans ce traitéésions « prémalignes ». Si ce chapitre est court, puisqu’ile fait que trois pages, c’est qu’il est le fruit de discus-ions intenses entre ses 17 co-auteurs et d’un compromisnal dont certains pourraient considérer qu’il est un peuécevant. Mais c’est un progrès important, une pierreupplémentaire dans les tentatives d’édification d’une ter-inologie commune entre différentes écoles de penséees pathologistes digestifs concernant les lésions précan-éreuses, notamment entre pathologistes occidentaux etsiatiques.

Historiquement, le terme de dysplasie a été employé pares pathologistes digestifs pour désigner les lésions cyto-ogiques et architecturales certaines de l’épithélium tra-uisant un processus néoplasique, sans signe d’infiltratione la lamina propria [2]. En 1982, Riddell et al. ont pro-osé une classification de la dysplasie destinée à évaluere risque d’évolution vers le cancer des patients atteintse maladie chronique inflammatoire de l’intestin (MICI) [3].ette classification est rapidement devenue, dans les paysccidentaux, le standard pour classer les lésions dans lesuqueuses glandulaires, œsophage de Barrett, gastrites

hroniques, et aussi dans les formes polypeuses de lésionsrécancéreuses que sont les adénomes.

Mais des limites dans l’utilisation de la classification deiddell et al. sont rapidement apparues : reconnaissancee la grande hétérogénéité morphologique des lésions pré-ancéreuses digestives, difficiles à faire rentrer dans unelassification unique dont le grand avantage était la simpli-ité, manque de reproductibilité de la classification malgréa simplicité (ou à cause d’elle ?), conceptions très dif-érentes des critères de malignité des lésions entre lesathologistes occidentaux et japonais. Une des tentatives’uniformisation des visions occidentale et japonaise a

roche de la classification de Riddell et al. pour sa partie quioncerne les lésions précancéreuses. Les différences sont’introduction du terme de néoplasie non invasive, synonymee néoplasie intra-épithéliale, à la place du terme de dyspla-ie, et l’apparition d’une catégorie de lésions « suspectes dearcinome invasif ». L’apparition de cette catégorie résultees critères très différents employés par les pathologistesord-américains et européens d’un côté, et japonais de’autre, pour porter le diagnostic de cancer : les premiersxigent de mettre en évidence une invasion de la laminaropria, alors que les seconds tiennent compte des modifi-ations architecturales et surtout cytologiques, sans exigere preuve morphologique d’invasion. Cette classification,i elle a permis en théorie d’harmoniser les terminologies,’a pas résolu le problème de l’importante variabilité diag-ostique intra- et inter-observateur dans le diagnostic dees lésions, en particulier pour celles présentant des modi-cations frontières entre régénération et néoplasie. Cela’est pas étonnant, ces lésions se développant à traversn continuum, aboutissant donc obligatoirement à un cer-ain manque de reproductibilité lorsque les lésions sontlassées dans des catégories artificielles. L’autre change-ent important proposé par la classification de Vienne, le

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Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasique

remplacement du terme de dysplasie par celui de néopla-sie intra-épithéliale, n’a pas été réellement adopté par lespathologistes occidentaux, qui, pour leur majorité, conti-nuent d’employer le terme de dysplasie. Il faut noter quece terme devient de plus en plus contradictoire avec celuiemployé dans de nombreux organes, y compris le systèmedigestif, dans lequel des lésions de description plus récentesemploient celui de « néoplasie intra-épithéliale », commedans le pancréas (PanIN pour pancreatic intraepithelial neo-plasia), les voies biliaires (BilIN pour biliary intraepithelialneoplasia), l’anus (AIN pour anal intraepithelial neoplasia).Au total, il y a donc deux termes différents utilisés parles pathologistes pour désigner les lésions précancéreusesdu tube digestif. La classification de l’OMS recommandel’utilisation d’un de ces termes plutôt que de l’autre danscertaines circonstances, tout en reconnaissant que les deuxterminologies peuvent être employées. Dans l’œsophage etl’estomac, le terme de dysplasie reste généralement le plusemployé, et c’est celui qui sera utilisé dans ce texte, saufpour les lésions de l’épithélium malpighien de l’œsophage,pour lequel le terme de néoplasie intra-épithéliale estsouvent préféré, par analogie avec d’autres épithéliumsmalpighiens, digestif (anus), ou extradigestifs (gynécolo-giques en particulier).

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

Références

[1] Odze RD, Riddell RH, Bosman FT, Carneiro F, Fléjou J-F, GeboesK, et al. Premalignant lesions of the digestive system. In:Bosman FT, Carneiro F, Hruban RH, Theise ND, editors. WHOclassification of tumours of digestive system. Lyon: IARC; 2010.p. 10—12.

[2] Scoazec JY. Dysplasies en muqueuses glandulaires digestives :nouvelles terminologies, nouvelles classifications. Ann Pathol2007;27:398—416.

[3] Riddell RH, Goldman H, Ransohoff DF, Appelman HD,Fenoglio CM, Haggitt RC, et al. Dysplasia in inflam-matory bowel disease: standardized classification withprovisional clinical applications. Hum Pathol 1983;14:931—68.

[4] Schlemper RJ, Riddell RH, Kato Y, Borchard F, Cooper HS, DawseySM, et al. The Vienna classification of gastrointestinal epithelialneoplasia. Gut 2000;47:251—5.