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62 | La Lettre du Pneumologue Vol. XVI - n° 2 - mars-avril 2013 MISE AU POINT L es pathologies héréditaires du métabolisme du surfactant pulmonaire constituent un groupe non négligeable mais hétérogène de pathologies respiratoires rares. L’accumulation intra-alvéolaire de protéines due au dysfonction- nement du métabolisme du surfactant est respon- sable de symptômes associant toux, hypoxémie et syndrome alvéolo-interstitiel. Le déficit constitutif en protéine B du surfactant (SP-B) a été le premier décrit comme responsable d’une détresse respira- toire néonatale (DRNN) sévère chez des enfants à terme. Plus récemment, des pathologies asso- ciées à des mutations codant pour la protéine C (SP-C) ou des protéines nécessaires à la synthèse du surfactant comme l’ATP-Binding Cassette, sub- family A, member 3 (ABCA3) ou le NK2 homeobox 1 (NKX2-1), ont été décrites chez des nourrissons, mais également chez des enfants et adultes présen- tant une pneumopathie alvéolo-interstitielle (PAI). L’objectif de cet article est de décrire les présen- tations cliniques de ces maladies de la naissance à l’âge adulte. Détresse respiratoire néonatale : la maladie des membranes hyalines Il s’agit de l’atteinte respiratoire caractéristique des nouveau-nés prématurés, liée à un déficit primaire en surfactant. En effet, le surfactant pulmonaire a une composition mature permettant une fonctionnalité normale vers 34-36 semaines de grossesse. En cas de naissance prématurée, la Pathologies héréditaires du surfactant : de la naissance à la retraite Inherited disorders of pulmonary surfactant: from birth to retirement F. Flamein*, R. Borie**, R. Epaud*** non-fonctionnalité du surfactant entraîne donc chez le nouveau-né une détresse respiratoire immédiate avec hypoxémie. Le terme de maladie des membranes hyalines (MMH) correspond à une définition anatomopathologique. Histori- quement, à l’autopsie de ces nouveau-nés, les poumons présentaient un œdème hémorragique, des atélectasies (collapsus des alvéoles) en bandes et des membranes hyalines formées par un liquide contenant des protéines, notamment de la fibrine, et des débris cellulaires à l’intérieur des alvéoles. La radiographie pulmonaire d’un nouveau-né présen- tant une MMH retrouve un syndrome alvéolaire homogène et diffus, d’intensité plus ou moins importante selon le stade. Cette affection peut être en partie prévenue par l’administration préventive de corticoïdes à la mère en cas de menace d’accouchement prématuré avant 34 semaines d’aménorrhée (SA), les corticoïdes accé- lérant la maturation pulmonaire et la synthèse de tous les constituants du surfactant. En cas de naissance très prématurée (avant 28 semaines), ce surfactant exogène est souvent administré de manière prophylactique dès la salle de naissance (1). Les surfactants exogènes peuvent être naturels, d’origine animale (broyats de poumon ou lavage bronchoalvéolaire [LBA]), ou artificiels, d’origine synthétique. Chez le nouveau-né à terme, cette pathologie est beaucoup plus rare, et peut être la manifestation d’un déficit en protéines du surfactant. L’adminis- tration de surfactant exogène s’avère alors peu efficace, et l’évolution se fait vers l’hypoxémie réfractaire. * Service de néonatologie, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHU de Lille. ** Service de pneumologie A, Centre de compétences des maladies pul- monaires rares, hôpital Bichat, AP- HP, Paris. *** Service de pédiatrie, centre hos- pitalier intercommunal de Créteil.

Pathologies héréditaires du surfactant : de la naissance à la retraite · tant une MMH retrouve un syndrome alvéolaire homogène et diffus, d’intensité plus ou moins importante

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62 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 2 - mars-avril 2013

MISE AU POINT

Les pathologies héréditaires du métabolisme du surfactant pulmonaire constituent un groupe non négligeable mais hétérogène de

pathologies respiratoires rares. L’accumulation intra-alvéolaire de protéines due au dysfonction-nement du métabolisme du surfactant est respon-sable de symptômes associant toux, hypoxémie et syndrome alvéolo-interstitiel. Le déficit constitutif en protéine B du surfactant (SP-B) a été le premier décrit comme responsable d’une détresse respira-toire néonatale (DRNN) sévère chez des enfants à terme. Plus récemment, des pathologies asso-ciées à des mutations codant pour la protéine C (SP-C) ou des protéines nécessaires à la synthèse du surfactant comme l’ATP-Binding Cassette, sub-family A, member 3 (ABCA3) ou le NK2 homeobox 1 (NKX2-1), ont été décrites chez des nourrissons, mais également chez des enfants et adultes présen-tant une pneumopathie alvéolo-interstitielle (PAI). L’objectif de cet article est de décrire les présen-tations cliniques de ces maladies de la naissance à l’âge adulte.

Détresse respiratoire néonatale : la maladie des membranes hyalinesIl s’agit de l’atteinte respiratoire caractéristique des nouveau-nés prématurés, liée à un déficit primaire en surfactant. En effet, le surfactant pulmonaire a une composition mature permettant une fonctionnalité normale vers 34-36 semaines de grossesse. En cas de naissance prématurée, la

Pathologies héréditaires du surfactant : de la naissance à la retraiteInherited disorders of pulmonary surfactant : from birth to retirement

F. Flamein*, R. Borie**, R. Epaud***

non-fonctionnalité du surfactant entraîne donc chez le nouveau-né une détresse respiratoire immédiate avec hypoxémie. Le terme de maladie des membranes hyalines (MMH) correspond à une définition anatomopathologique. Histori-quement, à l’autopsie de ces nouveau-nés, les poumons présentaient un œdème hémorragique, des atélectasies (collapsus des alvéoles) en bandes et des membranes hyalines formées par un liquide contenant des protéines, notamment de la fibrine, et des débris cellulaires à l’intérieur des alvéoles. La radiographie pulmonaire d’un nouveau-né présen-tant une MMH retrouve un syndrome alvéolaire homogène et diffus, d’intensité plus ou moins importante selon le stade.Cette affection peut être en partie prévenue par l’administration préventive de corticoïdes à la mère en cas de menace d’accouchement prématuré avant 34 semaines d’aménorrhée (SA), les corticoïdes accé-lérant la maturation pulmonaire et la synthèse de tous les constituants du surfactant.En cas de naissance très prématurée (avant 28 semaines), ce surfactant exogène est souvent administré de manière prophylactique dès la salle de naissance (1). Les surfactants exogènes peuvent être naturels, d’origine animale (broyats de poumon ou lavage bronchoalvéolaire [LBA]), ou artificiels, d’origine synthétique.Chez le nouveau-né à terme, cette pathologie est beaucoup plus rare, et peut être la manifestation d’un déficit en protéines du surfactant. L’adminis-tration de surfactant exogène s’avère alors peu efficace, et l’évolution se fait vers l’hypoxémie réfractaire.

* Service de néonatologie, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHU de Lille.

** Service de pneumologie A, Centre de compétences des maladies pul-monaires rares, hôpital Bichat, AP-HP, Paris.

*** Service de pédiatrie, centre hos-pitalier intercommunal de Créteil.

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La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 2 - mars-avril 2013 | 63

Résumé

La protéinose alvéolaire pulmonaireLa protéinose alvéolaire (PAP) [OMIM 610910] est une pathologie rare dans laquelle il existe une accu-mulation intra-alvéolaire de matériel lipidoprotéique, qui peut conduire progressivement à une insuffi-sance respiratoire (2). La forme la plus fréquente chez l’adulte est consécutive à la présence d’anticorps anti-GM-CSF, provoquant une diminution de la clairance du surfactant par les macrophages alvéolaires (3). Il existe plusieurs pathologies héréditaires pouvant être responsables de PAP.La présentation clinique radiologique et histologique est très différente de celle de la PAP auto-immune. Les anomalies scanographiques les plus fréquentes sont des opacités en verre dépoli et des kystes. L’examen histologique met en évidence un épaississement interstitiel, un remodelage de l’épithélium alvéolaire avec une hyperplasie des pneumocytes de type II. Il s’y associe une accumulation de matériel éosinophilique lipoprotéinacé caractéristique d’une PAP. Le récepteur du GM-CSF est composé de 2 sous-unité α et β. Des mutations sur le gène codant pour la sous-unité α ont été décrites dans une série de 8 enfants âgés de 1,5 à 9 ans. La transmission est autosomique récessive mais de pénétrance variable, avec la description de 2 enfants mutés asympto-matiques. À notre connaissance, 2 cas de mutation homozygote de la sous-unité β ont été décrits, dont 1 chez une patiente âgée de 36 ans.La présentation clinique est très proche de la forme auto-immune de la PAP. Les principaux symptômes sont la dyspnée et la toux. Les râles crépitants sont l’anomalie la plus caractéristique. Les explorations fonctionnelles respiratoires révèlent un trouble ventilatoire restrictif et une diminution de la DLCO quand celle-ci est réalisable. Le scanner thoracique révèle des opacités en verre dépoli, généralement accompagnées d’un épaississement des cloisons interlobulaires, ces cloisons donnant l’impression d’un “dallage polygonal irrégulier” ou “crazy paving”. Le diagnostic de la maladie peut être établi en s’ap-puyant sur les caractéristiques du scanner accompa-gnées des anomalies caractéristiques du LBA, plus rarement de la biopsie pulmonaire. Le LBA met en effet en évidence un liquide laiteux, composé de

dépôts extracellulaires granuleux avec des macro-phages spumeux et des débris cellulaires prenant fortement la coloration PAS (Periodic Acid of Schiff). Le lavage pulmonaire thérapeutique pourrait être efficace.Enfin, l’intolérance aux protéines lysinuriques est une maladie génétique causée par une mutation auto-somique récessive de SLC7A7 qui code pour un trans-porteur membranaire présent dans l’intestin et le rein. Les enfants présentent un retard de croissance avec de la diarrhée. Il s’y associe une insuffisance rénale et pancréatique. Les manifestations pulmo-naires vont d’un infiltrat interstitiel infraclinique à l’insuffisance respiratoire. Une PAP est fréquemment présente. En effet, SLC7A7 est la cible du GM-CSF, ce qui pourrait expliquer la diminution d’activité des macrophages alvéolaires. Le diagnostic est réalisé par le dosage urinaire des acides aminés dibasiques ou la recherche de la mutation. Le traitement repose sur un régime pauvre en protéines et enrichi en citrulline. Le lavage pulmonaire thérapeutique et le traitement par GM-CSF inhalé ont montré dans certains cas une efficacité sur l’atteinte pulmonaire (4).

Les pathologies alvéolo-interstitielles de l’enfantLes PAI du nourrisson et de l’enfant représentent un groupe très hétérogène de maladies respiratoires rares, et sont associées à une morbimortalité élevée (environ 15 %) [5]. Les PAI partagent une caracté-ristique : la présence d’un processus inflammatoire chronique au niveau de la structure distale alvéolaire du poumon. Ce processus est responsable d’une altération de l’ensemble des fonctions de l’unité alvéolo-capillaire pulmonaire, conduisant à une surcharge alvéolo-interstitielle diffuse révélée à l’imagerie, à un syndrome restrictif (chez l’enfant plus âgé) et à une hypoxie. L’étude de données cliniques, radiologiques et histo-logiques de jeunes enfants présentant une PAI a permis la proposition d’une classification étio-logique des PAI de l’enfant (6). On y retrouve des causes infectieuses, des maladies systémiques, et des anomalies de développement pulmonaire, mais également des anomalies du surfactant pulmonaire.

Le surfactant est un composé unique comprenant des phospholipides et des protéines spécifiques qui permettent de diminuer la tension de surface à l’interface air-liquide, évitant ainsi le collapsus des alvéoles en fin d’expiration. Le déficit primaire en surfactant chez le nouveau-né prématuré est responsable de la maladie des membranes hyalines. Une autre entité, la protéinose alvéolaire, résulte de l’accumulation de surfactant dans les alvéoles par défaut de résorption et est fréquemment associée à un dysfonctionnement macrophagique. Plus récemment, des pathologies associées à des mutations codant pour la protéine C (SP-C) ou des protéines nécessaires à la synthèse du surfactant ont été décrites chez des nourrissons, des enfants et également chez des adultes. L’accumulation intra-alvéolaire de protéines due au dysfonctionnement du métabolisme du surfactant est alors responsable de symptômes associant toux, hypoxie et anomalies radiologiques à type de verre dépoli ou de lésions kystiques intrapulmonaires.

Mots-clésProtéines B et C du surfactant Détresse respiratoireABCA3, NKX2-1, SFTPA2

SummaryPulmonary surfactant is a unique mixture of lipids and specific proteins that reduces surface tension at the air-liquid interface, preventing collapse of the lung at the end of expiration. The primary deficiency of surfactant in the premature newborn is respon-sible for hyaline membrane disease. Another entity, alve-olar proteinosis, is the result of defective surfactant clearance from the alveoli often due to macrophage dysfunction. More recently, mutations in other constitutive surfactant proteins like surfactant protein C or implied in its metabolism were identified in newborn, infants and adults. Intra-alve-olar accumulation of protein related to surfactant dysfunc-tion leads to cough, hypoxemia and radiological abnormali-ties including ground-glass opacities and lung cysts.

Keywords Surfactant protein B and C

Respiratory distress

ABCA3, NKX2-1, SFTPA2

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Le début de la maladie est habituellement progressif. Les manifestations cliniques sont variables, compre-nant le plus souvent une toux sèche, une polypnée ou des épisodes de dyspnée survenant essentielle-ment à l’effort (7). La toux est observée chez près de 75 % des patients, elle est non productive et ne perturbe pas le sommeil. La polypnée est quant à elle présente chez 80 % des patients, et reste le symp-tôme le plus fréquent et le plus précoce. Un retard staturopondéral (37 %), des difficultés alimentaires et une perte de poids sont d’ailleurs des symptômes fréquents, surtout chez les jeunes enfants.L’auscultation pulmonaire retrouve des râles crépi-tants de façon inconstante (44 %). À un stade plus avancé, les signes cliniques comprennent un hippo-cratisme digital (13 %) et une cyanose à l’effort ou au repos (28 %) [7]. D’autres manifestations cliniques, en rapport avec l’atteinte possible d’autres organes, peuvent être associées à ces signes cliniques respi-ratoires (notamment des manifestations digestives, à type de reflux gastro-œsophagien).L’imagerie thoracique apporte une aide précieuse au diagnostic. Des anomalies radiologiques à type de syndrome interstitiel sont observées, mais elles ne seront apparentes que si les espaces alvéolaires associés restent perméables. Dans le cas contraire, le syndrome interstitiel sera masqué par le syndrome alvéolaire. L’examen radiologique de choix est donc la tomo-densitométrie (TDM) thoracique en haute réso-lution. Elle permet de révéler un certain nombre d’anomalies : la visibilité anormale des septa inter-lobulaires épaissis, des opacités nodulaires et/ou péribronchovasculaires, des images de condensation alvéolaire, des images en verre dépoli, ainsi que des kystes pulmonaires.

Parmi les stratégies médicamenteuses anti-inflam-matoires, la corticothérapie demeure de loin la thérapeutique la plus utilisée. Elle est prescrite en première intention dans la grande majorité des cas, et est utilisée par voie orale, en association ou non avec l’administration de bolus intraveineux de méthylprednisolone (7). L’autre molécule qui peut être proposée est l’hydroxychloroquine. L’utilisation des thérapeutiques anti-inflammatoires peut être nécessaire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Les anomalies génétiques des protéines du surfactantNous nous intéresserons aux mutations des gènes SFTPB, SFTPC, NKX2-1, ABCA3 et SFTPA2. Les carac-téristiques de ces atteintes génétiques sont détail-lées dans le tableau.

Mutations du gène SFTPB

Le déficit héréditaire en SP-B a été la première cause génétique de DRNN rapportée dans la littérature. Le tableau classique est une détresse respiratoire précoce (avant la 12e heure de vie) chez l’enfant à terme, peu ou non sensible au traitement par surfac-tant exogène et à la ventilation conventionnelle (8). L’examen radiologique montre des infiltrats alvéolaires diffus, un collapsus alvéolaire avec un bronchogramme aérien ou un infiltrat réticulaire.Cette atteinte donne un déficit primaire et perma-nent de la protéine SP-B. Plus de 30 mutations du gène SFTPB ont été identi-fiées chez des patients atteints de déficit congénital en SP-B. Parmi ces mutations, la mutation 121ins2 (g.1549C en GAA ou c.361C en GAA) dans l’exon 4 est la plus fréquente. Les individus porteurs d’une mutation à l’état hétérozygote ont une fonction pulmonaire normale et sont indemnes d’atteinte respiratoire.

Mutations du gène SFTPC

Chez l’homme, une mutation de SP-C a été initiale-ment associée à une pathologie respiratoire néona-tale très semblable à celle observée dans les déficits en SP-B (9). Plus récemment, il a pu être mis en évidence que plusieurs mutations de SP-C étaient responsables de pathologies respiratoires chroniques

Tableau. Anomalies génétiques du surfactant pulmonaire.

Gène Mode de transmission

Mutation fréquente

Phénotype Âge de début des symptômes

SFTPB (2p12) Autosomique récessif

121ins2 MMH Naissance

SFTPC (8p21) Autosomique dominant

I73T PAI > MMH Variable

SFTPA2 Autosomique dominant

Fibrose et cancer Adulte

ABCA3 (16p13) Autosomique récessif

E292V MMHPAI

NaissanceEnfance

NKX2-1 (14q13) Autosomique dominant

Symptômes thyroïdiens, neurologiques et pulmonaires

Variable

MMH : maladie des membranes hyalines. PAI : pneumopathie alvéolo-interstitielle.

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du nourrisson et de l’enfant, voire de l’adulte. Ces mutations sont toujours observées à l’état hétéro-zygote et sont le plus souvent apparues de novo, bien que quelques formes familiales aient été décrites. La mutation la plus fréquemment observée est la mutation p.Ile173Thr (I73T). Le phénotype associé aux mutations de SFTPC est éminemment variable. En effet, des formes néonatales pouvant conduire à un décès dans les premières années de vie, comme des formes tardives de l’adulte, ont été observées. L’extrême variabilité dans l’âge du début de l’atteinte pulmonaire pourrait être expliquée par la survenue d’agressions environnementales, telles qu’une infec-tion virale par le virus respiratoire syncitial (VRS) [10]. Une autre hypothèse pour expliquer la varia-bilité de l’atteinte pulmonaire dans les défi cits en SP-C est l’association à des mutations codant pour d’autres protéines impliquées dans la synthèse de SP-C mature comme SP-B ou ABCA3 (11). Le tableau clinique chez l’enfant associe une hypoxie avec dyspnée et/ou cyanose survenant au cours des premières semaines de vie (12). Elle est souvent révélée ou exacerbée par une pathologie infectieuse intercurrente, et l’association avec un refl ux gastro-œsophagien parfois sévère et/ou des troubles de la motricité digestive est fréquente (12). L’imagerie thoracique retrouve des images de condensation alvéolaire et un aspect en verre dépoli évocateur d’atteinte alvéolaire ou alvéolo-interstitielle (13) [fi gure 1A].La présentation clinique chez l’adulte est très hété-rogène avec un âge de diagnostic variant entre 14 et 70 ans dans une même famille. Y compris dans le cas d’une mutation indentique, la présentation histo-logique peut être celle d’une pneumopathie inters-titielle desquamative, non spécifi que ou commune. La description histologique la plus fréquente est celle d’une pneumopathie interstitielle commune, avec cependant plusieurs atypies : une prédominance possible dans les sommets, la présence de kystes et la présence d’une fi brose bronchocentrée. Un emphysème pulmonaire peut y être associé (13) [fi gure 1B].La prévalence de cette mutation est mal connue. Une série hollandaise a rapporté le cas de 5 familles porteuses de mutation de SFTPC dans une série de 20 familles atteintes de fi brose familiale. Les familles présentaient des mutations différentes de SFTPC, excluant un effet fondateur. La prévalence en Île-de-France semble beaucoup plus faible (données personnelles). Cependant, il paraît nécessaire de faire un arbre généalogique dans la

démarche diagnostique des fi broses pulmonaires et d’envisager un diagnostic génétique comprenant SFTPC en cas de fi brose familiale (14).

Mutations du gène NKX2-1

La protéine NKX2-1 (également dénommée TTF-1 ou TITF-1) est un membre de la famille des facteurs de transcription NK2, identifi ée initialement comme une protéine nucléaire capable de fi xer la thyroglobuline (15). Cependant, l’expression de NKX2-1 n’est pas restreinte à la thyroïde, elle intéresse également le cerveau et le poumon. NKX2-1 joue un rôle essentiel dans la formation et le développement pulmonaire et contrôle la synthèse de SP-B, SP-C et ABCA3.Une mutation du gène NKX2-1 est associée à un tableau regroupant, de façon parfois incomplète, des symptômes thyroïdiens (hypothyroïdie parfois modérée), neurologiques (le tableau le plus fréquent associant hypotonie et chorée bénigne) et pulmonaires (16). L’atteinte pulmonaire est caractérisée par une atteinte alvéolaire responsable d’une DRNN ou d’une pathologie chronique pulmonaire plus ou moins sévère.

Mutations du gène ABCA3

La protéine ABCA3 appartient à la famille des protéines transmembranaires ATP-Binding Cassette (ABC), connue pour ses propriétés de transporteur à travers la membrane des cellules. Le gène ABCA3 codant pour cette protéine est situé sur le bras court du chromosome 16 humain (locus 16p13.3) et contient 33 exons, dont 30 exons codants. Il s’agit d’un transporteur lipidique impliqué dans la

Figure 1. Scanner thoracique d’un enfant présentant une pneumonie infi ltrative diffuse associée à une mutation hétérozygote de SFTPC réalisé à l’âge de 8 mois (A). Scanner thoracique d’un enfant âgé de 16 ans présentant une pneumopathie interstitielle associée à une mutation hétérozygote de SFTPC (B).

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synthèse et l’homéostasie du surfactant (17). ABCA3 est exprimée essentiellement dans le poumon, plus particulièrement au niveau des pneumocytes II, et son expression est maximale juste avant la nais-sance (17). L’apparition d’ABCA3 au niveau des pneumocytes II a lieu dans l’espèce humaine vers 28 semaines de grossesse.Les mutations du gène ABCA3 s’expriment sur un mode autosomique récessif. Comme pour SP-B, le diagnostic de défi cit en ABCA3 est suspecté dans les détresses respiratoires du nouveau-né à terme résistantes au traitement conventionnel (18). On observe constamment sur l’imagerie thoracique un aspect en verre dépoli et une condensation du parenchyme pulmonaire, et fréquemment des kystes pulmonaires ainsi qu’un épaississement des septa interlobulaires (fi gure 2A). La microscopie électro-nique à transmission révèle des corps lamellaires anormaux présentant des inclusions denses dans les pneumocytes II (18). Cet élément est assez caractéristique et peut aider au diagnostic dans l’attente du séquençage génétique. Le diagnostic défi nitif est fait par le séquençage complet du gène. La mutation p.Glu292Val (E292V) a été retrouvée à l’état hétérozygote chez plusieurs enfants présen-tant une pneumonie interstitielle chronique (19)et, plus récemment, des mutations d’ABCA3 ont été trouvées à l’état hétérozygote et associées à d’autres mutations (SFTPC) dans des pathologies interstitielles ou alvéolo-interstitielles de l’enfant (fi gure 2B) [19].Depuis 2004, un certain nombre de mutations d’ABCA3 ont été découvertes chez des patients présentant une DRNN sévère et/ou une PAI. Ces mutations sont souvent responsables d’un phéno-

type sévère. Il s’agit de mutations homozygotes ou hétérozygotes, parfois associées à la mutation fréquente de SFTPC. Des mutations homozygotes d’ABCA3 n’ont à notre connaissance pas été décrites chez l’adulte. L’infl uence de mutations hétérozygotes associées à une mutation de SFTPC est discutée chez l’adulte (14).

Mutation de SFPA2

Le surfactant est composé de 4 protéines nommées surfactants A à D. Les polymorphismes de SFTPA1, SFTPA2 et SFTPD ont été associés à une réponse différente aux agents infectieux et au risque d’infec-tion pulmonaire. Cependant, cela n’a à ce jour pas d’incidence diagnostique ou thérapeutique (20). Par ailleurs, 2 familles ont été décrites, qui présentaient l’association de cancer du poumon et de fibrose pulmonaire de transmission autosomique domi-nante avec à une mutation de SFTPA2. La fibrose pulmonaire semble être de type idiopathique (21). À notre connaissance, aucune autre mutation de SFTPA1 ou SFTPA2 n’a été décrite depuis.

Conclusion

Les pathologies du surfactant peuvent être la cause de pathologies héréditaires de la naissance à l’âge adulte. On doit néanmoins considérer sépa-rément les anomalies de production du surfac-tant (SFTPA2, SFTPB, SFTPC, NKX2 et ABCA3) responsable d’une pneumopathie interstielle fibro-sante parfois associée à une PAP. Ces mutations entraînent surtout des DRNN mais doivent être évoquées en cas de fibrose pulmonaire familiale, y compris chez l’adulte. À ce jour, seuls SFTPC et SFTPA2 ont été directement impliqués dans des cas de fibrose pulmonaire familiale de l’adulte. D’un autre côté, les mutations entraînant un dysfonc-tionnement du macrophage alvéolaire (récepteur du GM-CSF, SLC7A7) sont associées à un défaut de clairance du surfactant. La présentation clinique est alors plus proche d’une PAP auto-immune sans infiltrat interstitiel. Ces mutations doivent alors être évoquées chez des patients, y compris adultes présentant une PAP sans autoanticorps. Des analyses fonctionnelles moins onéreuses sont cependant en général possibles avant une analyse génétique. ■

Figure 2. Scanner thoracique : d’un enfant présentant une détresse respiratoire associée à une mutation homozygote de ABCA3 (A) ; d’un enfant de 8 ans présentant une pneumo-pathie interstitielle associée à une mutation homozygote de ABCA3 (B).

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Références bibliographiques

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Le tabagisme passif de 3e mainJ.F. Bertholon, I. Annesi-Maesani

Asthme et bronchoconstrictionB. Chenuel, M. Poussel

La durée du traitement anticoagulant dans l’embolie pulmonaire : ce qu’il faut savoir après les nouvelles

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Les pneumopathies de l’enfant immunodépriméV. Houdouin

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Maladie veineuse thromboembolique et cancerB. Planquette, A. Ferré, G. Mourin, G. Meyer

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