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Patrick Volpilhac · 2019-12-27 · portfolio et page 11 : Geoffrey Lachassagne N≤12 - [ Automne/Hiver 2019-2020 ] Directeurs de la publication : Bruno Boutleux Patrick Volpilhac

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Page 1: Patrick Volpilhac · 2019-12-27 · portfolio et page 11 : Geoffrey Lachassagne N≤12 - [ Automne/Hiver 2019-2020 ] Directeurs de la publication : Bruno Boutleux Patrick Volpilhac
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Il y a, au Québec, un attachement à une langue vivante, sautillante, décomplexée. Notre parole agile, expressive, a été tour à tour symbole de résistance, d’insécurité, d’émancipation, de courage. Notre français se réinvente au quotidien, se joue parfois des codes, glisse sans gêne d’un registre à l’autre.

La langue porte une mémoire, et c’est par elle qu’on s’efforce de se dire, de se raconter. Rien n’est plus beau, en mon sens, que lorsque les accents se côtoient, que les expressions se rencontrent, que les mots se partagent.

Comme le disait Gilles Vigneault, notre grand poète québécois, la francophonie, « c’est un vaste pays, sans frontières », « c’est le pays invisible qui est en chacun de [nous] ». Ce pays invisible se vit sur chaque continent, sur les berges de grandes rivières ou en bordure d’immenses forêts, dans la cacophonie des villes ou la quiétude de hameaux éloignés, comme autant de réverbères de cette francophonie plurielle !

Il m’apparait essentiel de créer des moments d’échange entre francophones ; il faut oser multiplier ces liens qui nourrissent nos imaginaires, qui nous font entrevoir d’autres regards sur un monde partagé. La Nouvelle-Aquitaine et Québec ont su construire ces ponts depuis bientôt 60 ans alors que se perpétue une correspondance d’une richesse inestimable.

Je tiens à remercier la formidable équipe d’ALCA, au premier chef son directeur Patrick Volpilhac, qui tisse, avec notre territoire niché entre fleuve et montagnes, une relation marquée par la conviction que de la rencontre et de l’ouverture à l’autre ne peut que germer un monde meilleur. À vous, lecteurs néo-aquitains, profitez de ce tour d’horizon consacré par Éclairages à la francophonie et n’hésitez surtout pas à venir côtoyer l’accent d’Amérique.

Dominique LemieuxDirecteur de la Maison de la littérature à Québec

Éclairages a cinq ans. Cinq années riches en rencontres, échanges, réflexions et découvertes artistiques. Depuis l’origine, la revue entend participer aux réflexions sur les grands enjeux qui traversent les secteurs de l’écrit et de l’image, et plus globalement de la création artistique. Avec ce douzième numéro, Éclairages évolue et s’enrichit de nouvelles rubriques. Destinées à mieux répondre aux besoins d’accompagnement des professionnels, ces rubriques ont pour vocation de donner plus de visibilité à leurs actualités et aux actions de l’agence aux services de ces derniers. Elles ont aussi été conçues en synergie avec le site internet d’ALCA et Prologue, la nouvelle revue numérique de l’agence. Une évolution forte, que nous avons souhaitée afin d’accorder une place plus importante à la richesse et à la diversité de la vie culturelle en Nouvelle-Aquitaine.

À l’heure où la francophonie se déploie tant dans le champ des relations internationales qu’au cœur des préoccupations créatives, Éclairages a par ailleurs décidé de consacrer son dossier du numéro d’automne à la création francophone, entre langues(s) et territoires.Nombreux sont les acteurs culturels et créateurs qui œuvrent aujourd’hui pour construire une francophonie plurielle, loin du centralisme de l’Hexagone, mais bien au contraire dans un partage d’expériences, de points de vue, de sensibilités autour d’une langue commune. Les auteurs, réalisateurs et opérateurs culturels néo-aquitains ou d’autres régions qui témoignent dans ces pages contribuent à cette construction commune, comme l’artiste Geoffrey Lachassagne, invité de ce numéro, exprime à travers un magnifique nuancier imaginaire et collectif une vision « archipélique, plurielle et vivante » de la francophonie.

Dans cet esprit, je suis très honoré de partager l’édito de ce dossier avec Dominique Lemieux de la Maison de la littérature de Québec. Depuis plus de dix ans, nos deux structures œuvrent pour soutenir les auteurs à travers les résidences de création croisées Nouvelle-Aquitaine/Québec. Il était donc tout à fait naturel de « croiser » nos points de vue autour de cette langue « vivante, sautillante et décomplexée ».

Patrick VolpilhacDirecteur général d’ALCA

É D I TO S

Éclairages est la publication semestrielle d’ALCA, Agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine, association Loi 1901.

Illustration de couverture, portfolio et page 11 :Geoffrey Lachassagne

N≤12 - [ Automne/Hiver 2019-2020 ]

Directeurs de la publication :Bruno BoutleuxPatrick VolpilhacCoordination éditoriale :Marie-Pierre QuintardComité de rédaction :L’équipe d’ALCA (sites de Bordeaux, Limoges et Poitiers)

Ont contribué à ce numéro :Serge AiroldiNathalie AndréPierre AstierDominique Celis

Christophe ChauvilleChristophe DabitchOlivier DaunizeauClaire GéhinPierre Laurent-LemurEmmanuelle LavoixCatherine LefortSophie LéonardAriane Oudry-LückMathilde RimaudNicolas RinaldiJonathan SerorJoan TauveronOlivier Thuillas

La rédaction remercie toutes les personnes qui ont accepté d’être interviewées pour la réalisation de ce numéro.

Conception graphique :Dan Maurin / www.dandan.fr

Pour écrire à la rédaction :[email protected]

Diffusion : ALCAImprimeur : Koruswww.korus-imprimerie.frISSN : 2273-8851Dépôt légal : novembre 2019

Site de Bordeaux :MÉCA – 5, parvis Corto-MalteseCS 8199333088 Bordeaux Cedex

Site de Limoges : 13, boulevard Victor-Hugo 87000 Limoges

Site de Poitiers : 34, place Charles-VII – BP 80424 86011 Poitiers Cedex

Tél. +33 (0)5 47 50 10 00 – [email protected] – www.alca-nouvelle-aquitaine.fr

ALCA

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sommaireO2 Événements- Une nouvelle librairie BD à Bayonne (64)- La Machine à Lire a 40 ans !- Les « Vient de paraître » d’ALCA- Prologue, l’e-media d’ALCA- 20 ans de Ritournelles- Les 20 ans du Mois du doc

04 Patrimoine- Édition régionale et patrimoine littéraire à l’honneur à Brive, par Olivier Thuillas

04 Ressources- Synthèse des journées professionnelles « Culture, justice et désistance »

04 Innovation- L’inventivité au cœur des bibliothèques

O5 Infos juridiques- Le traducteur littéraire et le droit d’auteur, par J. Seror

O6 Dispositifs publics- Une politique volontariste de soutien au livre et aux librairies indépendantes, entretien avec Jean-Louis Nembrini

O8 Par-delà les frontières- Les nouvelles résidences internationales d’écriture cinéma à La Prévôté- Coopération internationale : le TorinoFilmLab

O9 Un nouveau regard- Chiches ! Histoire de la création des éditions L’Apprentie par 7 étudiantes de l’IUT Bordeaux Montaigne, par Claire Géhin

10 Transversalité- Vers un réseau national des résidences d’auteurs

11 DOSSIER : Création francophone, entre langue(s) et territoires

Paroles d’invités12 Le français, l’autre langue des échanges internationaux Pierre Astier, agent littéraire international

Penser la francophonie plurielle Anne Gérard, conseillère régionale, Région Nouvelle-Aquitaine, délégation à la Francophonie Par Marie-Pierre Quintard

Création francophone : l’expression d’une diversité

14 Atlantique, de Mati Diop Judith Lou Lévy et Ève Robin, productrices, Les Films du Bal Par Ariane Oudry-Lück

Trois questions à Mati Diop Par Nicolas Rinaldi

16 Si loin, si près, Eaux noiresStéphanie Régnier, réalisatrice Par Catherine Lefort

18 Dans les langues de Georgia et d’YsiakaYsiaka Anam et Georgia Makhlouf, auteures Par Serge Airoldi

24 La bande dessinée africaine à l’honneur en 2020 Entretien avec Joëlle Épée Mandengue et Jean-Philippe Martin, auteure, directrice du Bilili BD Festival ; conseiller scientifique de la Cité Par Emmanuelle Lavoix

Favoriser les échanges interculturels 27 Le Poitiers Film festival, un carrefour de la création émergente internationale Élodie Ferrer, déléguée aux programmes professionnels du PFF Par Olivier Daunizeau

29 La femme-pontSafiatou Faure, présidente de l’agence de Médiation Culturelle des Pays du Sahel Par Claire Géhin

31 Le Festival de cinéma québécois de Biscarrosse, au cœur de l’année des langues autochtones Bertrand Fajnzilberg, directeur du festival Par Nicolas Rinaldi

32 Pour toutes les francophonies Dominique Besnehard et Marie-France Brière, acteur, agent et producteur ; directrice de programme, productrice et réalisatrice Par Christophe Dabitch

34 FIDADOC/Nouvelle-Aquitaine : construire un partenariat durableHicham Falah, réalisateur, coordinateur général du FIDADOC Par Pierre Laurent-Lemur

36 La résidence croisée Nouvelle-Aquitaine/Québec, douze années de rayonnement pour la francophonieDominique Lemieux et Patrick Volpilhac, directeur de la Maison de la littérature à Québec ; directeur général d’ALCA Nouvelle-Aquitaine Par Nathalie André

Un éloignement salutaire Par Jóan Tauveron

38 L’Institut des Afriques : une passerelle entre nos continentsRené Otayek et Sara Torres, président et coordinatrice de l’IdAf Par Nathalie André

« Cette résidence a impacté mon écriture » Par Dominique Celis

Limoges, pôle de la francophonie40 Les Francophonies, des écritures à la scène : une autre manière de dire le mondeHassane Kassi Kouyaté, comédien, conteur, metteur en scène et directeur des Francophonies Par Sophie Léonard

42 La Maison des auteurs : un lieu et un temps pour écrire en libertéNadine Chausse, responsable de la MdA et des activités littéraires des Francophonies Par Olivier Thuillas

44 La Bfm, cœur francophone Par Mathilde Rimaud

Un nouveau prix du polar francophone

Réseaux professionnels et dispositifs publics46 Tentatives de décentrement – L'Alliance internationale des éditeurs indépendants, l'AILF et Afrilivres Par Mathilde Rimaud

47 Cinémas francophones et du mondeL’Institut français et le CNC Par Nicolas Rinaldi

20 Un artiste à l’œuvre : Une palette francophone archipélique Geoffrey Lachassagne, auteur Par Christophe Chauville

Retrouvez l’intégralité de la revue sur prologue-alca.fr

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02 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Une nouvelle librairie BD à Bayonne (64)Cet automne, la librairie Le Banc Dessiné a ouvert ses portes au 6 rue du Pilori à Bayonne, pour le plus grand bonheur des amateurs du genre qui pourront y dénicher leurs coups de cœur parmi les près de 6 000 références que propose Jean-Robert Traouen, fondateur de la librairie. Une programmation d’animations est en cours et les lecteurs pourront bientôt s’y rendre pour assister à des rencontres avec les auteurs.

Plus d’informations sur : alca-nouvelle-aquitaine.fr

La Machine à Lire a 40 ans !Créée par Danielle Depierre et Henri Martin en 1979, la librai-rie La Machine à Lire a toujours été implantée dans le quartier Saint-Pierre, à Bordeaux. Au-jourd’hui installée sur 300 m2

au rez-de-chaussée d’un très bel immeuble du xviie siècle, place du Parlement, la librairie, dirigée par Hélène des Ligneris, fête ses 40 ans. « Créer du lien social, du partage et de l’échange, de la citoyenneté mais aussi du rêve », tel est le credo de cette libraire engagée qui, pour clore cette année de festivités autour de cet anniversaire, a invité James Ellroy qui viendra présenter son dernier livre, La tempête qui vient, le 15 novembre prochain.

À lire également : « La Machine à Lire, 40 ans au service du livre et des lecteurs », sur prologue-alca.fr

Les « Vient de paraître » d’ALCALe site d'ALCA – alca-nouvelle-aquitaine.fr – dispose depuis la fin octobre d’un espace de valorisation des publications issues des maisons d’édition de Nouvelle-Aquitaine. Cet espace se nommera « Vient de paraître ».

L’idée est de proposer un catalogue en ligne régulièrement actualisé des publications régionales venant de paraître et disponibles à la consultation au centre de ressources d’ALCA à la MÉCA, et à terme sur l’ensemble des sites géographiques de l’agence, après réception des titres par celle-ci. Ces œuvres ainsi référencées seront ensuite valorisées par une communication multicanale (lettres d’information éditorialisées, publications sur les réseaux sociaux etc.). Cette offre de valorisation a pour objectif d’accroître la visibi-lité des œuvres et des structures éditoriales par la création sys-tématique d’une page sur le site ALCA renvoyant sur la page de l’éditeur ; de créer un lien sur différents supports numériques (site du Conseil régional, presse…) ; de faciliter l’achat auprès des librairies indépendantes avec une redirection sur le site de réservation en ligne de Lina ; de constituer un catalogue inédit à destination des éditeurs mais aussi des autres professionnels de la chaîne du livre et des particuliers.

Événements

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20 ans de RitournellesDu 6 au 15 novembre 2019, l’association Permanences de la littérature fête les 20 ans de son festival Ritournelles. Ancrée dans le Libournais et le Bordelais, ouverte ces dernières années à la Nouvelle-Aquitaine, cette manifestation brassant toutes les disciplines et les esthétiques, de la création à la perfor-mance, a marqué la vie culturelle régionale. Marie-Laure Picot, fondatrice et directrice du festival et de l’association qui le porte, est longuement revenue sur ces vingt années de Ritour-nelles pour Prologue.

Entretien avec Marie-Laure Picot à lire sur prologue-alca.fr

Prologue, l’e-media d’ALCADans le cadre de la refonte de ses outils de communication numérique, avec notamment le lancement en juin dernier du site ALCA, l’agence dispose depuis début novembre d’une nouvelle revue en ligne. Succédant à Éclairs, Prologue se donne l’ambition de traiter l’actualité des professionnels du livre, du cinéma et de l’audiovisuel de toute la région Nouvelle-Aquitaine.

Avec près de 150 articles chaque année, ce nouveau magazine propose des contenus de tous formats (écrits, visuels, vidéos, sons) répartis dans trois rubriques : l’actualité, les professionnels et les œuvres. Première cible de la publication, les professionnels seront mis à l’honneur dans différentes séries, à l’instar de « Paroles de décors », qui reviendra sur des tournages marquants en région, ou de « En résidence », entretiens rendant compte des résidences d’écritures portées par ALCA. Des entretiens et des chroniques accompagnent également la sortie en salle ou en librairie des films soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine et des livres publiés par les maisons d’édition régionales. Cette valorisation éditoriale des professionnels néo-aquitains et de leurs œuvres s’effectue en cohésion avec les nouveaux outils numériques déjà ou prochainement développés par ALCA, spécifiquement l’annuaire et les Vient de paraître.

Prologue a aussi été construit pour affirmer une synergie avec Éclairages, la revue en ligne proposant notamment des articles inédits prolongeant ceux de la revue papier.

Le Mois du doc : deux décennies de promotion du film documentaireEn 2000 naissait la manifestation le Mois du doc, pour faire vivre la richesse des fonds de films documentaires constitués par les bibliothèques depuis les années 1970. Cet événement, porté par l’association Images en bibliothèque au plan national et par les coordinateurs régionaux (ALCA, CINA et Les Yeux verts pour la Région Nouvelle-Aquitaine) promeut

Événements

le documentaire de création. Selon un principe de liberté de participation et de programmation, les divers lieux participants dans les territoires (salles de cinéma, structures culturelles, éducatives et sociales...) offrent à de nombreux auteurs-réalisateurs une fenêtre de diffusion assez exceptionnelle pour ce genre habituellement présent sur petit écran ou en festivals. Une belle opportunité aussi pour le public, varié et de tous âges, qui découvre, à travers ces films, d’autres visions du monde, souvent profondes et engagées.

À lire également : l’article consacré aux 20 ans du Mois du doc sur prologue-alca.fr

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04 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Les 24 septembre et 1er octobre dernier ont eu lieu, à Angoulême puis à Pessac, deux journées de rencontres professionnelles sur le rôle de la culture dans les processus de sortie de la dé-linquance. Ce séminaire a été organisé par la Drac Nouvelle-Aquitaine, la Disp Sud-Ouest, la DIPJJ Sud-Ouest, en partena-riat avec ALCA.

La synthèse de ces deux journées et l’accès à des ressources complémentaires sont disponibles sur le site : alca-nouvelle-aquitaine.fr et prologue-alca.fr

L’inventivité au cœur des bibliothèquesCe sont pas moins de 200 bibliothécaires originaires de toute la Nouvelle-Aquitaine qui ont participé à la 5e Journée régionale de l’inventivité en bibliothèques qui s’est déroulée à Rochefort le 10 septembre dernier. Cinq projets inventifs ont été présentés lors de cette mani-festation organisée par ALCA. Parmi ceux-ci figurait celui de la « carte élève » mis en place à la bibliothèque de Loudun (Vienne). Cette carte, remise individuellement à chaque élève et sans besoin de justificatifs, leur donne droit à emprunter trois livres et trois revues qu’ils doivent rapporter après un certain délai. Mais dans le cas où les documents ne reviennent pas, on ne réclame pas l’argent aux parents et les enfants peuvent continuer d’emprunter, l’objectif de cette opération étant avant tout de responsabiliser les jeunes en leur donnant une dimension citoyenne. Cette mesure a eu un impact très important au niveau des familles, les enfants ayant réussi à attirer plus facilement leurs parents en bibliothèque. Un béné-fice immense au profit de la lecture publique pour un moindre coût : 400 € en 3 ans, somme financée par la mairie et qui cor-respond à la valeur des documents non retournés. Le chiffre à retenir est surtout celui des 4 500 emprunts par an pour une commune de 7 000 habitants (25 000 sur la communauté de communes).

Retrouver le reportage vidéo de la 5e Journée régionale de l’inventivité en bibliothèques sur le site : alca-nouvelle-aquitaine.fr et prologue-alca.fr

Édition régionale et patrimoine littéraire à l’honneur à Brive

À l’occasion de l’édition 2019 de la Foire du livre de Brive (du 8 au 10 novembre 2019), ALCA renforce son partenariat avec la manifestation en proposant deux temps forts autour de la va-lorisation des éditeurs et des auteurs de Nouvelle-Aquitaine :la réalisation d’une affiche « Éditeurs de patrimoine régional en Nouvelle-Aquitaine » présentant une trentaine d’éditeurs néo-aquitains qui publient des titres de valorisation du patrimoine et de l’histoire de notre région ; la concrétisation d’un partena-riat mis en place en 2019 entre ALCA et l’association Les Amis des Chadourne pour l’amélioration d’un outil numérique de valorisation de l’œuvre de Louis Chadourne (écrivain voyageur du xxe siècle), « L’été numérique de Louis Chadourne », mis en place par ALCA. Des contenus issus des archives familiales nu-mérisées aux archives départementales de la Corrèze y seront ainsi ajoutés. Photos, manuscrits et correspondances com-plètent ce fonds documentaire librement accessible en ligne à l’adresse ci-dessous.

umap.openstreetmap.fr/fr/map/lete-numerique-de-louis-chadourne_228928#3/12.21/-5.63

Retrouver l’article complet sur cet événement en ligne sur : prologue-alca.fr

Patrimoine Innovation

Ressources

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L a traduction est une œuvre ambiva-lente : d’un point de vue littéraire, elle reflète à la fois la personnalité

de l’auteur de l’œuvre originale et celle de son traducteur. D’un point de vue juridique, la traduction est une œuvre dérivée, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une œuvre créée à partir d’une œuvre préexistante, à savoir l’œuvre originale (ou dans de rares cas une traduc-tion préexistante).Cette duplicité n’est pas sans conséquence en matière de droit d’auteur, ainsi que le reconnaît la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artis-tiques. D’abord, les auteurs d’œuvres litté-raires protégés par la Convention jouissent, pendant toute la durée de leurs droits sur l’œuvre originale, du droit exclusif de faire ou d’autoriser la traduction de leur œuvre2. Ensuite, les traductions et autres transfor-mations d’une œuvre littéraire sont en prin-cipe protégées comme des œuvres origi-nales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale3.En d’autres termes, la traduction, en tant qu’œuvre dérivée, est la propriété du tra-ducteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre originale. De ce constat découle les deux éléments suivants : le traducteur doit respecter les droits moraux et patrimoniaux de l’auteur de l’œuvre originale ; et le traducteur peut faire valoir ses droits moraux et patrimo-niaux sur sa propre œuvre qu’est la tra-duction. C’est ce deuxième point que nous allons développer ici4.

Le respect des droits du traducteurLe créateur d’une œuvre de l’esprit originale est investi des droits d’auteur. Le créateur d’une traduction littéraire, portant l’empreinte de la personnalité du traducteur, ne fait pas exception à cette règle, ainsi que le rappelle le Code de la

propriété intellectuelle5 qui dispose que les auteurs de traductions des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale.

Droits patrimoniaux du traducteurUn éditeur souhaitant publier et exploiter une traduction devra faire l’acquisition des droits de reproduction et de représenta-tion de l’œuvre traduite, dans le cadre d’un contrat de traduction qui n’est rien d’autre qu’un contrat d’édition avec certaines clauses spécifiques.À ce titre, un contrat écrit devra être éta-bli entre l’éditeur et le traducteur6, et les clauses essentielles du contrat d’édition telles que prévues par le Code de la proprié-té intellectuelle7 devront être négociées et figurer dans ce contrat. La rémunération du traducteur en contre-partie de la cession des droits devra également être déterminée contractuelle-ment d’un commun accord. Un droit d’au-teur proportionnel aux recettes provenant de l’exploitation de l’ouvrage devra égale-ment être prévu, sauf cas particulier d’une rémunération forfaitaire dans la limite des exceptions prévues par le Code de la pro-priété intellectuelle8. Ce droit proportion-nel viendra en amortissement de l’à-valoir, sauf pour les droits issus des exploitations dérivées et annexes9 (à moins que le contrat de traduction n’en dispose autrement).

Droits moraux du traducteurDroit à la paternité : il est évidemment essentiel que le nom du traducteur soit mentionné sur la traduction publiée, sauf si le traducteur ne le souhaite pas. Ainsi, le Code des usages10 précise que le nom du traducteur doit apparaitre une première fois distinctement sur la première page de couverture du livre, ou à défaut, sur

la quatrième page de couverture, et une seconde fois sur la page de titre. En outre, l’éditeur doit veiller à ce que le nom du traducteur apparaisse sur tous les documents faisant référence à la publication de sa traduction, catalogue, site de l’éditeur, communiqué de presse, prière d’insérer, etc.Droit au respect de l’intégrité de l’œuvre : nombreux sont les contrats de traduction qui contiennent une clause désignant l’édi-teur comme responsable et juge de la qua-lité de la traduction. Pour autant, la posi-tion de l’éditeur ne l’autorise pas à modifier unilatéralement le texte remis par le tra-ducteur, étant précisé que toute stipulation contraire devrait être réputée non-écrite car non conforme au droit moral du traduc-teur, lequel est inaliénable. Ainsi, en pra-tique, une fois le projet de traduction remis à l’éditeur, celui-ci pourra le cas échéant soumettre au traducteur des modifications sur la traduction. En règle générale, ce tra-vail se fait en bonne intelligence, toujours au service de la traduction. Néanmoins, en cas de blocage, l’éditeur pourra faire inter-venir un tiers traducteur si le traducteur est d’accord, ou refuser purement et simple-ment la traduction11.

1. Jonathan Seror est responsable juridique de l’Association des traducteurs littéraires de France.2. Article 8 de la Convention de Berne (Droit de traduction).3. Article 2.3 de la Convention de Berne (Œuvres dérivées).4. L’intégralité de cet article, incluant le développement sur le respect des droits de l’auteur de l’œuvre originale, sera bientôt disponible en ligne sur le site alca-nouvelle-aquitaine.fr.5. Article L112-3 du CPI.6. Article I du Code des usages pour la traduction d’une œuvre de littérature générale conclu entre le SNE et l’ATLF le 17 mars 2012.7. Article L131-3 du CPI.8. Article L132-6 du CPI notamment. Il est néanmoins recommandé de refuser le forfait, qui en tout état de cause est limité à la première édition et ne couvre donc pas les rééditions (ce qui est notamment le cas lorsque le livre est réédité en format poche).9. Article VI du Code des usages précité (Rémunération du traducteur).10. Article VIII du Code des usages précité (Mention du nom du traducteur).11. Article III du Code des usages précité (Qualité et révision de la traduction).

ALCA propose un programme d’ateliers destinés aux auteurs et traducteurs de Nouvelle-Aquitaine. Le 29 novembre

2019, une journée organisée par ALCA, en partenariat avec l’ATLF, à la MÉCA, portera

sur le métier de traducteur/trice.

Info

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s Le traducteur littéraire et

le droit d’auteurPar Jonathan Seror 1

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06

Une politique volontariste

de soutien au livre et

aux librairies indépendantes

Jean-Louis Nembrini, ancien recteur de l’académie de Bordeaux, chancelier des universités d’ex-Aquitaine, est actuellement vice-président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, délégué à l’éducation et aux lycées. Il revient sur ce qui a motivé la mise en place par le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine de la gratuité des manuels scolaires et l’attribution d’un chèque-livre pour les lycéens et apprentis de la Région.

De quelle volonté politique relève cette mesure de gratuité des manuels scolaires ?

C’est une politique volontariste. La gratuité est le choix de la Région – d’autres l’ont fait – mais il ne relève pas de nos compétences, on pouvait très bien ne rien faire sur le sujet. Jusqu’à présent, nous avons toujours soutenu le manuel scolaire et l’opportunité d’effectuer ce soutien en investissement nous a permis d’aller vers la gratuité totale. Mais pourquoi choisir la gratuité du manuel papier au moment où l’on ne parle que du numérique ? Pour plusieurs raisons. La première est qu’il faut rester dans l’expectative : le rôle du manuel papier est-il mort avec l’accession à la documentation numérique ? Personnellement, je n’en sais rien. Je pense que l’on va glisser peu à peu vers de la documentation numérique mais que le livre continue d’avoir son importance. De surcroît, le manuel aujourd’hui est un ouvrage augmenté ; le plus

souvent, chaque leçon est assortie d’un QR code ou équivalent qui permet d’accéder à de la documentation en ligne. C’est un nouvel outil très intéressant.Ensuite, notre culture est avant tout celle du livre, et l’écrit sur papier est un support durable. Depuis peu de décennies, on inscrit presque toute notre mémoire dans du numérique. La mémoire importante n’est-elle pas celle qui va être consignée dans de l’écrit traditionnel ?... Je pense en tout cas que le manuel a un rôle particulier dans l’éducation au livre que l’on ne doit pas prendre à la légère. Grâce au manuel, on est aussi certain que tous les lycéens, où qu’ils soient, auront accès au même niveau de documentation, que ce soit à Guéret, à Bordeaux, à Saint-Jean-Pied-de-Port... Cette notion d’équité d’accès à la connaissance est extrêmement importante. Il ne suffit pas d’avoir des programmes et des examens uniques pour créer l’équité dans un pays et le manuel a encore un rôle à jouer dans ce domaine. Enfin, le livre scolaire est un outil simple d’accès, transmissible et économique – pour 30 € investis, il va servir à cinq ou six générations d’élèves.

De quelle manière cette mesure entre-t-elle en cohérence avec la politique publique du livre menée en Nouvelle-Aquitaine ?

La diffusion du livre et de la culture par les libraires est pour la politique culturelle régionale un point absolument crucial. Au fil des années, on n’a pas fait assez attention à ce qui se passait de ce point de vue sur le territoire. Dans des petites villes que je connais bien, j’ai vu ces vingt dernières années, fermer les librairies les unes après les autres. Un départ à la retraite d’un libraire aboutit souvent à une fermeture. Dans le choix du manuel scolaire, il y a explicitement celui de favoriser le réseau des librairies territoriales qui est une expression de l’exception culturelle française. Ce serait un paradoxe qu’au moment où la Région va injecter 27 millions d’euros de manuels en deux ans, cela aboutisse à la fermeture de librairies. Ce serait une aberration, un échec politique eu égard au premier objectif qui est de mettre des livres entre les mains des jeunes pour qu’ils ne perdent pas le goût de la lecture. Beaucoup de librairies qui ont pignon sur rue vivent notamment parce qu’elles vendent du manuel scolaire ; si on les privait de cette partie de leur chiffre d’affaires, elles seraient en fragilité économique. Ce serait dramatique ! La présence physique du libraire sur tout notre territoire nous préoccupe réellement. J’ai été très heureux de voir qu’une soixantaine de libraires ont répondu à l’appel à manifestation d’intérêt que nous avons lancé pour la diffusion des manuels. Cela fait beaucoup de librairies sur 12 départements ! Bien entendu, nous restons dans la légalité, les règles des marchés et de la concurrence sont respectées.Mais le manuel n’est pas tout. On constate que l’on édite de plus en plus de livres, mais il y a pourtant toute une frange de la population qui en lit de moins en moins, notamment parmi les

n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

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jeunes. Il y a là une fracture de génération qui accentue les effets connus de la fracture sociale. Je pense que beaucoup de jeunes n’ont jamais poussé la porte d’une librairie. C’est la raison pour laquelle, à côté de cet investissement, nous avons mis en place le chèque-livre. Cette opération représente 5 millions d’euros pour tous les lycéens et apprentis ; 20 € par jeune pour acheter des livres, et pas autre chose ! L’objectif est double. D’abord, il est d’aider les professeurs dans leur démarche d’aiguillage vers ce qui vient en complément du programme ou qui permet d’aller au-delà – on a tous été marqués par un livre recommandé par un professeur. Ensuite, un jeune peut avoir envie – parce qu’il a lu un article ou qu’il en a parlé avec ses amis – d’acheter lui-même un livre, seul, et ce chèque-livre lui permettra d’effectuer cette démarche. Le libraire pourra ainsi jouer son rôle d’éducateur, établir une relation culturelle avec un jeune. Cela nous paraît extrêmement important. Faire en sorte que des jeunes puissent entrer dans cette économie – au sens d’échange social – du livre, et qu’ils deviennent alors eux-mêmes acteurs de la culture. Ces objectifs d’équité et d’égalité sociale font partie du rôle d’une collectivité comme la nôtre. Mais cela ne marche que si l’on est capable de maintenir partout sur le territoire ce réseau, car si, par exemple, les librairies de La Souterraine ferment, tout mon discours s’effondre. Les différents pans de notre politique sont liés : la politique culturelle, le soutien aux entreprises de la culture, la politique éducative, l’accompagnement des enseignants…

La politique familiale entre-t-elle aussi en ligne de compte ? Notamment par rapport au rôle des fédérations de parents d’élèves : sont-elles impliquées dans la mise en place de cette mesure ?

Je voudrais qu’elles le soient. On passe des bourses aux livres à la gratuité que les fédérations de parents d’élèves réclament depuis des années, et j’aimerais qu’elles continuent de jouer leur rôle, qui est important, y compris dans la diffusion de la culture dont je parlais tout à l’heure. Nous souhaiterions que les fédérations de parents d’élèves gèrent notre stock de livres, car la Région n’a pas vocation à les distribuer. On a voté un crédit de 530 000 € pour aider les fédérations, les accompagner. Certes, ce n’est pas à la hauteur de ce dont elles auraient besoin, mais on ne peut pas non plus financer le fonctionnement des associations. En revanche, si ces associations gèrent le fonds de livres, on pourra retrouver un système, dans chaque lycée, de bourses aux livres. Si la FCPE, la PEEP ou tout autre association locale gère la logistique en demandant une somme modique aux familles pour service rendu, il sera possible de retrouver le rôle traditionnel des associations de parents d’élèves.Je reconnais que de passer d’un système à un autre est difficile. Mais au bout du compte, on voit bien que c’est à peu près la même chose. Car pour pouvoir accéder aux livres de première quand un

élève terminera sa seconde, il faudra bien l’intermédiaire d’une organisation, et nous pensons que les fédérations de parents d’élèves ont ce rôle à jouer. Quant à nous, puissance publique, notre responsabilité est vraiment sur le territoire, nous tenons à cela par dessus tout, c’est l’essence des choses. Sans libraires pour conseiller et distribuer des livres ou lecteurs pour les acheter, c’est fichu, or les personnes qui achèteront des livres demain sont dans nos lycées ou nos CFA aujourd’hui.

Mesure de gratuité des manuels scolaires, mode d’emploi

La gratuité du renouvellement des manuels scolaires concerne les élèves de Seconde et Première générale et technologique à la rentrée 2019 et s’étendra aux élèves de Terminale générale et technologique à la rentrée 2020.Pour en bénéficier, les lycéens concernés doivent formuler une demande sur un applicatif dédié (mesdemarches.aidesrentree.fr) pour obtenir un e-coupon d’une valeur équivalente à 200 € leur permettant de retirer leurs manuels – soit directement chez un libraire ou en confiant cette opération à des structures comme les associations de parents d’élèves – sans avoir à en avancer les frais.Pour les élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat d’association avec l’État, c’est l’établissement qui est chargé de l’achat et de la mise à disposition des manuels sco-laires. Il a reçu pour ce faire une subvention visant à couvrir les frais engagés dans la limite d’un montant maximal de 200 € par élève appliqué aux effectifs de la rentrée 2019.

Pour consulter la liste des partenaires : elle apparaît dès la création d’un compte sur l’applicatif et elle est disponible auprès d’ALCA.

Le dispositif de chèque-livreQui peut bénéficier du chèque-livre, créé à cette ren-trée par la Région Nouvelle-Aquitaine ?Les bénéficiaires de ce chèque sont les lycéens et apprentis ins-crits en formation jusqu’au niveau Bac dans : - les lycées publics et privés sous contrat relevant de l’Éduca-tion nationale, de l’Agriculture et de la Forêt ou des Affaires maritimes,- les établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA),- les centres de formation d’apprentis (CFA),- le centre national d’enseignement à distance (CNED).

Comment se procurer le chèque-livre ?Les lycéens et apprentis déposeront leur demande en ligne sur le site mesdemarches.aidesrentree.fr.Ils bénéficieront de leur chèque-livre sous la forme d’un e-coupon de 20 € à utiliser durant toute l’année scolaire auprès du réseau des quelque 125 librairies partenaires.

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Les nouvelles résidences internationales d’écriture cinéma à la PrévôtéD’après un entretien avec Noémie Benayoun, chargée de mission Création et production à ALCA

Afin de renforcer la présence des résidences cinéma sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Aquitaine, ALCA programme dès 2019, en partenariat avec le Festival Biarritz Amérique Latine et le Poitiers Film Festival, deux nouvelles résidences internationales pour du long métrage à La Prévôté, lieu dédié à l’origine aux auteurs internationaux du livre1.

« La création de ces nouvelles résidences répond à un double ob-jectif et s’inscrit dans la lignée du développement à l’international de la Région sur les aides au cinéma et sur l’ouverture, pour ses professionnels, à la coproduction internationale. Celle-ci permet, au niveau mondial, d’entrer dans des réseaux du long métrage ci-néma qui sont souvent d’un accès plus difficile au niveau national car ils restent très centralisés. La coproduction est aussi un moyen de se former et de partager les risques. C’est le premier objectif, af-firmé par la Région depuis plusieurs années déjà. Ensuite, ces rési-dences ont été créées pour soutenir la création – émergente, mais pas seulement – car pour coproduire, il faut trouver des réalisa-teurs de talent et les faire venir ici. Or, il y a des réalisateurs(trices) à l’étranger qu’on peut accompagner et qui peuvent potentielle-ment rencontrer des producteurs néo-aquitains, ou en tout cas découvrir le territoire et trouver un point d’attache avec la Région. Cet accompagnement dès la création permettra ensuite à la Ré-gion d’être identifiée au niveau international. Ces résidences ont été construites et pensées en lien avec le territoire, avec la politique et la dynamique régionale. C’est ainsi qu’on a voulu s’appuyer sur des partenaires en région, eux-mêmes à l’œuvre dans le champ de l’international : le Festival de Biarritz Amérique Latine et le Poitiers Film Festival. À Biarritz, le festival existe depuis longtemps, de nombreux réalisateurs y participent et depuis quatre ans, les organisateurs affichent vraiment une volonté de faire un Lab de développement de projets et de rencontres de coproduction en lien avec l’Amérique latine. Le festival a une vraie fonction de premier « tamis », si l’on peut dire, pour sélectionner les projets. Ensuite, on s’est tourné vers le Poitiers Film Festival parce qu’ils ont une vocation à l’international depuis le départ, dans le cadre de leurs ateliers Jump In accès sur l’émergence2. Ainsi, les réalisateurs viennent sur place une première fois dans le cadre des deux festivals où ils commencent à présenter leur projet. Ce sont donc de vrais lieux de référencement, de réflexion, où l’on est sûr de trouver des auteurs pour lesquels c’est le bon moment pour être en résidence.Une bourse est accordée aux résidents et un accompagnement peut aussi être proposé à la demande. Pour le moment, il s’agit

d’une consultation sur le traitement, le texte – si possible dans la langue maternelle – car ce sont des projets en début d’écriture. On peut imaginer qu’il y aura par la suite d’autres types de demandes qui ne seront pas forcément du domaine du scénario, mais sur une technicité particulière par exemple. L’idée est aussi de créer des connexions avec des professionnels régionaux ou de renforcer des liens qui ont déjà été créés lors des deux festivals partenaires.Pour cette première année, cela n’a pas pu se faire, mais on envisage aussi de programmer des projections sur le territoire des précédents films des réalisateurs accueillis – pour ceux qui auront déjà une filmographie – durant leur résidence afin qu’ils viennent présenter leur film et rencontrer le public. C’est une autre forme de soutien. »

1. Retrouver toutes les informations pratiques (calendrier, critères d’éligibilité, montant de la bourse etc.) sur le site alca-nouvelle-aquitaine.fr 2. Voir l’article « Le Poitiers Film Festival, un carrefour de la création émergente internationale », p. 27.

Coopération internationale : le TorinoFilmLabÀ la demande des producteurs de Nouvelle-Aquitaine et du TorinoFilmLab, ALCA a proposé qu’en 2019, le FeatureLab1, l’un des dispositifs du TFL, se déroule en Nouvelle-Aquitaine. Bordeaux a ainsi accueilli en juin la première session2 de ce workshop.Le premier objectif de cette proposition inédite était d’inscrire la Région dans un réseau international reconnu et identifié, et de permettre l’accès au TFL à des professionnels néo-aquitains. La possibilité d’intervention des régions de France au niveau international est encore un fait assez peu connu. En dehors de l’aide aux Cinémas du Monde du CNC, il est important que les professionnels étrangers sachent qu’ils peuvent avoir accès à la fois aux aides nationales et régionales. La Région Nouvelle-Aquitaine aura vraiment été précurseuse dans ce domaine. Aujourd’hui, d’autres régions s’y mettent – la Région Centre, la Région Grand Est, sur des dispositifs transfrontaliers avec l’Allemagne, la Région Sud, La Bretagne – parce qu’elles réalisent que c’est un levier de développement, mais la Nouvelle-Aquitaine reste la seule région qui aide à toutes les étapes – écriture, développement et production – et dans de telles proportions (les montants cumulés peuvent être très importants). D’où l’importance et même la nécessité de s’inscrire dans des dispositifs et des réseaux internationaux tels que le FeatureLab. La Nouvelle-Aquitaine aura ainsi accueilli cette année trente-cinq auteurs, réalisateurs et producteurs internationaux ; trois projets régionaux de création ont ainsi bénéficié d’une consultation d’experts venus du monde entier et seront présentés au TFL cette année. Un vrai coup de projecteur sur le territoire et ses professionnels !

1. Le FeatureLab est dédié à des projets internationaux de 1er ou 2e long métrage, tous genres confondus, en phase de développement. Pour plus d’informations : www.torinofilmlab.it2. Une deuxième session s’est déroulée en Slovénie en septembre et la troisième aura lieu en novembre pendant le TFL.

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E t si on vous proposait de créer votre propre maison d’édition ? Imagi-nez : vous êtes en licence pro et

vous disposez d’une année scolaire pour tout inventer. Valentine, Pauline, Astrid, Jessica, Audrey, Tessa et Amélie, elles, ont dit : « Chiches ! » « Très fières ! », c’est la première chose que Valentine et Pauline disent en posant sur la table leur édition de Xingu. C’est le défi lancé par David Vincent, fondateur des éditions de l’Arbre vengeur et professeur au sein de la licence Métiers du livre (IUT Bordeaux Montaigne), qui les a amenées à donner naissance à ce livre et à L’Apprentie, la maison qui le porte. Pour les éditrices en herbe, « c’était une opportunité à saisir ! ».La nouvelle signée par Edith Warthon en 1916 constitue la première publication du catalogue des éditions L’Apprentie. Xingu raconte l’histoire de Mrs Ballinger et de ses acolytes du club de lecture de Hillbridge – le Lunch Club. Une critique de la bourgeoi-sie et d’une certaine élite, celle qui se fait mousser à grand renfort de références pour un étalage de culture en règle. Valentine se rappelle : « C’était le texte providentiel. On était sept filles et il y avait sept filles dans le livre ! »Fières, elles peuvent l’être. Statuts juri-diques de la maison, choix du texte, créa-tion de la couverture et de la maquette, fabrication, lancement, elles ont tout fait : « Certains des intervenants professionnels de la licence nous ont donné leur point de vue, mais c’étaient nous les décisionnaires. Par exemple, certains étaient sceptiques sur l’idée d’une édition bilingue et recto-verso. » Plus tard, c’est leur diffuseur-distributeur – oui, parce qu’elles en ont

trouvé un : Daudin Distribution – qui leur explique que la première version de leur couverture ne fonctionne pas. Alors il a fallu jongler et faire le tri entre les conseils qu’elles avaient envie d’écouter et leur vo-lonté ferme de défendre leur point de vue.

Si elles ont appris à s’affirmer, elles ont aus-si appris à faire des concessions, parce qu’à sept sur un pied d’égalité, il en faut : « On a organisé l’équipe en fonction de nos com-pétences et de nos projets professionnels. On ne peut pas tout voir en apprentissage, donc c’était l’occasion de compléter nos formations. Le résultat est un patchwork de toutes nos idées. » Heureusement pour elles, toutes partageaient une même vi-sion, une même envie de donner naissance aux éditions de L’Apprentie.Au fil des mois, elles ont dû répondre aux problématiques soulevées par leurs choix éditoriaux : « On s’est nous-mêmes lancé des petits challenges ! Comment on place la quatrième de couverture quand on publie un livre bilingue recto-verso ? Comment se passe la numérotation des pages ? Et puis, on avait aussi envie que ce soit un bel objet. » Il a également fallu retrouver les ayants-droits de la traduction, signée Claudine Lesage – pas une mince affaire. C’est finalement Fayard qui leur a vendu les droits pour 1 % du prix de vente.L’Université Bordeaux Montaigne et la librairie La Machine à Lire ont été les mécènes de cette aventure et ont per-mis aux sept étudiantes d’imprimer leurs 1 100 exemplaires de Xingu. Le stock du livre sorti en juin dernier est aujourd’hui quasiment épuisé : « On nous l’avait dit, bien sûr, mais on n’avait pas forcément réalisé qu’un livre commence à vivre au mo-ment de sa sortie. »Si elles peuvent garder un œil sur la suite des aventures de L’Apprentie, les sept créa-trices de la maison enchaînent pour la plu-part avec un Master ou sont en recherche active d’emploi. La promotion suivante – eux sont quatorze –, chargée de pour-suivre l’aventure, a de belles perspectives devant elle…Parmi les initiatrices de L’Apprentie, Valen-tine est convaincue : « Ça m’a beaucoup servi, maintenant je sais faire des factures, des bons de dépôt, tout ça ! » Et la jeune éditrice d’ajouter en riant : « Je suis même allée aux impôts avec plaisir ! » Elle envi-sage de créer sa maison, dans quelques années, pour publier des littératures de l’imaginaire. Chiche, encore !

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« L’Université Bordeaux Montaigne et la librairie

La Machine à Lire ont été les mécènes de cette

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Histoire de la création des éditions L’Apprentie par 7 étudiantes de l’IUT Bordeaux Montaigne

Par Claire Géhin

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D ésormais rendez-vous annuel, les premières Rencontres nationales des résidences d’auteurs ont eu

lieu en 2017 à Lombez et se sont déroulées cet automne à la MÉCA sous la coordina-tion d’ALCA. Retour sur les constats et les envies à l’origine de ces rencontres et sur l’histoire de ces résidences d’auteurs qui représentent aujourd’hui un véritable enjeu national pour le soutien à la création sous toutes ses formes.

L’impulsion est venue d’une personne, Maya Soulas, directrice de la Maison des Écritures de Lombez, et de son sentiment de solitude dans la gestion complexe d’un lieu de vie et de création implanté en milieu rural, éloigné des propositions culturelles. Pour cette première édition des Rencontres nationales des résidences d’auteurs, ils furent plus d’une trentaine à se déplacer jusqu’en Occitanie pour venir discuter et débattre de manière assez informelle sur comment mener une résidence. Le constat d’isolement de Maya Soulas à l’origine de son initiative a fait écho en chacun de ces porteurs de résidences, lieux de création nés le plus souvent d’initiatives locales mais sans visibilité nationale. Revenons un peu sur l’histoire de ces résidences d’au-teurs en France...

Pendant des années, le modèle de la rési-dence d’auteurs se résumait à la Villa Médicis et à sa dimension presque diplo-matique, celle du rayonnement de la France en Italie. Puis, il y a une quinzaine d’années, l’idée des résidences a peu à peu émergé sur l’ensemble du territoire. Il exis-tait certes déjà quelques résidences, dont celle de La Prévôté en Nouvelle-Aquitaine,

la villa Marguerite Yourcenar dans le Nord ou encore le Moulin d’Andé en Normandie pour le cinéma, mais on était loin encore du déploiement à venir. En dix ans, on a assisté à l’émergence de nombreux lieux de résidences sur tout le territoire de manière concomitante à l’arrivée de la question du statut d’auteur dans le débat public. Ces résidences se sont construites selon des schémas très divers correspondant à des orientations affirmées – résidences de création, de médiation, ou mêlant les deux – et dans des registres artistiques très variés – écriture(s), mise en scène, illustration, création transmedia etc. Mais avec le temps et l’expérience, les porteurs de résidences ont abouti à trois constats communs : l’isolement de leurs structures, la fragilisation du soutien à la création litté-raire aggravant la précarisation des auteurs et des opérateurs1, et enfin l’invisibilité de leurs expériences, expertises et modalités de travail.D’où l’importance de la mise en place de ces Rencontres nationales. À la suite de cette première journée à Lombez, qui fut riche en échanges et partages d’expérience, une seconde édition a été organisée sous l’égide d’Occitanie Livre et lecture en novembre 2018 à La Chartreuse, Centre national des écritures du spectacle, à Villeneuve-lez-Avignon. Ce sont alors 120 personnes de l’interprofession qui ont participé à ce deu-xième temps de réflexion – parmi lesquelles des représentants des institutions comme le CNL. Dès lors, l’importance de la consti-tution d’un réseau national des résidences d’auteurs était acquise et les 3e Rencontres nationales organisées par ALCA dans ce nouveau lieu transdisciplinaire qu’est la MÉCA se sont naturellement placées sous

l’image emblématique du rhizome. L’idée est de créer un nouvel interlocuteur dans l’interprofession pour donner plus de visi-bilité à ces lieux et aux auteurs au sein des chaînes de création et de recentrer la créa-tion sur ce premier geste artistique qu’est l’écriture, quel que soit le domaine : arts plastiques, arts vivants, cinéma… Pour construire ce réseau, il faudra identifier les lignes fortes communes à ces différentes identités que sont les résidences d’auteurs. Pour y parvenir, et parallèlement à ces jour-nées nationales de réflexion, un groupe de travail s’est constitué, le « Commun des résidences »2. Les missions générales de ce réseau en devenir sont les suivantes : affir-mer collectivement la nécessité du soutien à la création littéraire ; se positionner comme interlocuteur et force de proposition auprès des professionnels et des partenaires insti-tutionnels ; animer un espace de réflexion, d’échanges de pratiques et d’émulation.Les auteurs pourraient tirer un avantage certain de la constitution de ce réseau qui renforcerait leur place dans leur dialogue avec les institutions.

1. Cette réserve ne concerne pas certains lieux de résidences financés par des institutions, comme le Chalet Mauriac par exemple, entièrement financé par la Région Nouvelle-Aquitaine.2. Le groupe est constitué de : Aimée Ardouin (Chalet Mauriac, Saint-Symphorien, ALCA), Eunice Charasse (Occitanie Livre et Lecture), Nadine Chausse (Les Francophonies, des écritures à la scène, Limoges), Yann Dissez (Ciclic, Centre-Val de Loire), Pascal Jourdana (La Marelle, Marseille), Marianne Petit (Villa Marguerite Yourcenar, Lille), Maya Soulas (Maison des Écritures, Lombez). Ils se sont réunis une première fois au Chalet Mauriac en mars 2019 (voir l’article « Le réseau national des résidences de création en réflexion au Chalet Mauriac », sur prologue-alca.fr), à La Marelle, à Marseille, en juillet 2019, puis à la MÉCA, à Bordeaux, le 26 septembre 2019.

10 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Vers un réseau national 

des résidences d’auteurs

De façon concomitante, un réseau régional des résidences d’auteurs en Nouvelle-Aquitaine est en train de se constituer. ALCA vient de publier le guide Résidences de création livre et cinéma en Nouvelle-Aquitaine, disponible sur demande auprès de l’agence.

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D O S S I E R

C R É A T I O N F R A N C O P H O N E , E N T R E L A N G U E ( S ) E T T E R R I T O I R E S

N i n o B o a x i w i d a n s C a l e d o n i a d e G e o f f r e y L a c h a s s a g n e( c a p t u r e s d ’ é c r a n e x t r a i t e s d u f i l m )C a l e d o n i a , P e t i t à P e t i t P r o d u c t i o n s , K e p l e r 2 2 P r o d u c t i o n s , N ô P r o d u c t i o n s ( p . 2 0 )

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PAROLES D ’ INV ITÉS

La colonisation du monde par les Européens de l’Ouest (les Por-tugais, les Espagnols, les Français, les Anglais, mais aussi les Hollandais, les Italiens, les Allemands, etc.) cinq siècles durant a eu pour conséquence d’étouffer les langues vernaculaires de plusieurs régions du monde (en même temps qu’étaient esclava-gisées ou décimées leurs populations), au profit des langues euro-péennes devenues langues dominantes.Le français fait partie désormais des langues dominantes dans le monde. Parlé, lu et publié sur cinq continents, langue de travail, langue d’échanges politiques, économiques et culturels entre l’Europe, l’Afrique, l’Amérique et l’Asie, le français est aujourd’hui une chance pour ceux dont c’est la langue maternelle. Et donc un atout pour les artistes, les écrivains, les promoteurs culturels. Historiquement et politiquement, la deuxième moitié du xxe siècle aura été marquée par les indépendances de nombreux pays – d’Afrique notamment. Des œuvres fortes et embléma-tiques ont vu le jour – en littérature, en poésie, en théâtre – qui ont accompagné ces puissants mouvements d’émancipation. Se sortir du cor-set colonial fut et demeure, dans certains cas, un préalable à l’épanouissement d’une souverai-neté, d’une identité. Mais force est de constater que cette langue en partage qu’est le français est devenue, entre les cinq continents, la langue d’un foisonnement culturel remarquable. L’anglais, porté par la révolution numérique, est la langue de la mondialisation. Mais d’une certaine façon, avec d’autres langues comme le français, on assiste à d’autres mondialisations. Il n’y a pas une mais plusieurs mondialisations.On pouvait craindre que la création francophone continue de pas-ser systématiquement par la France, qui exerce une position cen-trale dans la francophonie, de par la place de la culture dans le récit national et de par l’importance des institutions. Si ce fut bien le cas il y a un quart de siècle, tout a bougé depuis et ladite « péri-phérie » se montre très active, créative et bouscule les certitudes et

les conservatismes. Les échanges culturels sont nombreux entre Belgique et Afrique centrale et de l’Est, entre Suisse et Canada, entre Caraïbes et Afrique. En bref, la création francophone est en marche qui aujourd’hui s’adresse à tous les publics francophones. Ainsi le poète et performer kanak Paul Wamo est-il accessible à de nombreux publics francophones, tout comme le romancier mal-gache Raharimanana, le réalisateur haïtien Raoul Peck, le slameur camerounais Marc Alexandre Oho Bambe, le philosophe sénagalais Souleymagne Bachir Diagne, la poétesse et romancière rwandaise

Beata Umubieyi Mairesse, le réalisateur mau-ritanien Abderrahmane Sissako, le réalisateur canadien Xavier Dolan, les écrivains-voyageurs suisses Nicolas Bouvier et Ella Maillart, le ro-mancier belge Antoine Wauters, etc. De la même façon que la langue française échappe progres-sivement à la France, la création en langue fran-çaise s’affranchit d’une forme de « tutelle » de la culture française.Le bassin linguistique francophone n’ayant pas l’homogénéité du bassin germanique, le fort esprit de coopération commerciale des bassins linguistiques anglophone ou hispanophone, la circulation des livres dans l’espace francophone demeure compliquée. On peut y voir un abus de position dominante des grandes centrales de diffusion-distribution françaises. La cession de droits ou la division des territoires (en termes

de contrat) sont des solutions. En dépit de ces verrous, les pro-ductions nationales se développent. Les éditeurs québécois sou-tiennent de plus en plus et de mieux en mieux une création litté-raire québécoise de grande qualité, avec toute la singularité qui est la sienne (Alto, La Peuplade, Héliotrope, La Pastèque, Mémoire d’encrier, etc.). Les éditeurs suisses (Zoé, Bernard Campiche) et belges (Impressions nouvelles, Esperluette) offrent aux auteurs de ces pays de sérieuses alternatives à l’édition française. Idem avec les éditeurs du Maghreb (Barzakh et Apic en Algérie ; Elyzad et Ceres en Tunisie ; Le Fennec et En toutes lettres au Maroc). Des figures fortes de l’édition africaine subsaharienne sont apparues

Le français, l’autre langue des échanges internationaux

Pierre Astier

n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

P ierre Astier, élu meilleur agent littéraire international lors de la dernière Foire du livre de Londres, est un ardent défenseur des langues minoritaires et de l’édition indépendante. Après avoir affirmé dans une tribune publiée dans

Le Monde en 2018 que la francophonie formait « un grand désert éditorial avec un centre hypertrophié : Paris », il propose aujourd’hui une vision plus nuancée qui laisse présager un rééquilibrage salvateur pour l’émergence, la défense et la diffusion de la bibliodiversité dans le monde culturel francophone.

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PA R O L E S D ’ I N V I T É S 13

Quelle définition donneriez-vous de la francophonie aujourd’hui ?Je reste très attachée à la définition de Senghor, qui ajoute à la dimen-sion linguistique et géographique, la dimension culturelle : il y a la commu-nauté des locuteurs français, les ter-ritoires qui y sont associés, mais éga-lement la « communauté d’esprit » réunie autour d’un idéal humaniste et universaliste. Quels sont les enjeux liés au développement de la langue française ? Le premier c’est la diversité culturelle, mais les enjeux sont dif-férents que l’on soit en France, où il y a une question de cohé-sion des territoires, ou dans le reste du monde où la dimension économique est prégnante aujourd’hui. Comment se positionne la Région Nouvelle-Aquitaine dans l’aire culturelle de la francophonie ? Il y a de très nombreuses structures ou manifestations œuvrant dans ce champ sur le territoire. Cela tient tout d’abord à son histoire1 car ce sont essentiellement des Picto-charentais et autres Aquitains qui participèrent à la création de « La Nouvelle-France » (l’Acadie, le Canada et la Louisiane) ; cette postérité est aujourd’hui en cours d’exploitation à travers différents types de projets qui font émerger des enjeux à la fois touristiques et mémoriels pour la francophonie. De manière moins glorieuse, parce que les villes de Bordeaux et de La Rochelle ont œuvré dans ce commerce triangulaire qui contribua à disséminer les peuples d’Afrique dans les plantations américaines ou caribéennes, s’est développée dans l’orbe du colonialisme une francophonie qui a su heureusement rompre avec son unilatéralisme d’antan pour devenir un idéal d’échange et de partage. S’est ainsi forgée

sur les décombres du passé une francophonie plurielle qui s’épanouit notamment dans les champs culturels (avec des événements renommés à Limoges, Angoulême ou La Rochelle) ainsi que dans le champ universitaire, avec une tradition de coopération francophone (notamment dans les domaines du droit, de la littérature, de la médecine, de l’information et la communication) ; elle se prolonge encore, plus globalement, dans le champ économique avec une articulation de plus en plus étroite entre l’action locale et l’action internationale qui renforce le rôle de la Région dans le monde.

Que pensez-vous des politiques culturelles régionales actuelles en lien avec la francophonie ? L’objet politique francophone est peu lisible sur nos territoires, mais aussi peu revendiqué car la France est encore l’objet de soupçons sur ses intentions. En ce sens, l’on s’en tient souvent à la « simple » coopération internationale entre « pairs ». Les politiques culturelles régionales s’écrivent alors à travers la notion d’accueil, en lien avec les migrations, subies ou choisies, et l’on y retrouve les résidences d’artiste, nombreuses, pendant que parallèlement, l’on accompagne nos artistes à « l’export ». Mais ce que revendiquent les acteurs, c’est l’affirmation d’une politique ambitieuse et volontaire qui les accompagne dans leur structuration et favorise leur mise en réseau, car ils sont pour la plupart fragiles, lucides quant à leur insuffisante – le cas échéant – inscription dans les réseaux internationaux, leur faible reconnaissance par les institutions légitimantes de la Francophonie. À ce titre, un élément est primordial : à partir de l’instant où l’on affirme que le français est un francophone comme les autres, on peut commencer à penser la francophonie.

1. Comme le précise le préambule de la « Cartographie des acteurs culturels de la francophonie en Nouvelle-Aquitaine », document commandé au laboratoire UBIC de l’Université Bordeaux Montaigne, dans le cadre d’un OPEN LAB Francophonie créé par cette dernière avec la collectivité régionale.

(Amalion et Papyrus au Sénégal, Éburnie en Côte d’Ivoire, Ago Me-dia et Graines de pensée au Togo, Bakame au Rwanda, Donnya et Tombouctou au Mali, Gandall en Guinée Conakry, Elondja en RDC, etc.) mais aussi en Haïti (Legs Édition), à Madagascar (Dodo vole et Jeunes Malgaches) ou à l’Île Maurice (Vizavi). L’Alliance Inter-nationale des Éditeurs Indépendants, qui regroupe aujourd’hui 750 maisons d’éditions indépendantes, organisées en réseaux lin-guistiques (francophone, hispanophone, anglophone, lusophone, arabophone, etc.), joue un rôle essentiel dans la formation et les échanges entre ces éditeurs1. Ainsi du réseau francophone qui a permis de tisser des liens forts, des liens de solidarité entre édi-teurs francophones des cinq continents.

Concernant le livre encore, un des enjeux des prochaines années sera l’adaptation des textes juridiques (les contrats d’exploi-tation) au périmètre de la francophonie. La croissance démo-graphique dans le monde – en Afrique en particulier – va rendre encore plus dominante la langue française avec la perspective de 600 millions de primo-locuteurs ayant cette langue en partage à l’horizon 2050. Les enjeux d’éducation, de formation et de culture sont immenses. En avoir conscience pour les créateurs et pour les promoteurs culturels est devenu une ardente obligation.

1. Voir « Tentatives de décentrement », p. 46.

Anne Gérard - Photo : David Angevin

Penser la francophonie plurielleAnne Gérard / Propos recueillis par Marie-Pierre Quintard

Anne Gérard est conseillère régionale, déléguée à la francophonie et à la jeunesse, vie étudiante, logement et mobilité des jeunes. Elle travaille parallèlement dans le secteur

de la culture depuis plus de vingt ans.

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14 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Atlantiquede Mati Diop

Judith Lou Lévy et Ève Robin / Propos recueillis par Ariane Oudry-Lück

CRÉAT ION FRANCOPHONE : L ' EXPRESSION D 'UNE D IVERSITÉ

Comment s’est passée la rencontre avec Mati Diop ? Qu’est-ce qui vous a convaincu dans son projet ?Judith Lou Lévy : On m’a présenté Mati un soir de l’hiver 2009, dans un club parisien. Je l’ai tout de suite reconnue : je venais de la voir quelques jours auparavant dans 35 Rhums de Claire Denis. Il y a eu un effet de surprise lié au passage si rapide de la fiction au réel qui a donné à notre rencontre une sorte d’aura magique. On a immédiate-ment parlé de cinéma, de musique, sans s’arrêter. Elle venait juste de terminer Atlantiques, son premier court, tourné à Dakar. Alors qu’on était en train de devenir amies, elle m’a invitée quelques mois plus tard à le découvrir au Festival de Belfort où il était montré dans de belles conditions, c’est-à-dire dans une salle de cinéma. Ce court mé-trage brille d’un éclat particulier, d’une lueur sombre, hantée. En quelques minutes, des questions politiques impérieuses – celles de la migration, de la représentation de nouveaux personnages héroïques – rencontrent un point poétique et esthétique inédit. Ce fut un grand flash. On a donc décidé de faire notre premier long métrage ensemble.

Ève Robin : J’avais vu le travail de Mati avant de la rencontrer. Un choc au moment de la découverte d’Atlantiques, puis de Mille So-leils. Dans les deux cas, l’impression d’une poésie hantée et envoû-tante au style libre et unique. Et deux ans plus tard, après m’être associée à Judith au sein des Films du Bal, j’ai rencontré Mati phy-siquement dans l’optique de travailler toutes ensemble sur la ver-sion longue d’Atlantiques.

Comment s’est monté le financement du film ? Qui sont les coproducteurs ? J. L. L. & E. R. : Une fois le scénario terminé, après une écriture longue et exigeante qui a demandé beaucoup de ténacité à Mati et son coauteur Olivier Demangel, le financement s’est fait assez rapidement. Le scénario a été tout de suite très convaincant. On avait préparé une stratégie de financement précise qui reposait

sur une coproduction tripartite entre la France, le Sénégal et la Bel-gique. La clé de voûte du financement est la coproduction avec le Sénégal, plus précisément la société de production d’Oumar Sall, Cinékap. On a d’abord reçu un engagement financier du Fopica, l’homologue sénégalais du CNC. Le respect de l’accord de copro-duction franco-sénégalais de 1992 nous a ensuite permis de deve-nir éligibles à l’Avance sur Recettes bien que le film ne soit pas en français. Côté belge, nous avons travaillé avec la société de Jean-Yves Roubin et Cassandre Warnauts, FraKas. Outre l’obtention du fonds Wallonie Bruxelles, cet accord nous a permis de déclencher Eurimages. Notre film a enfin bénéficié de l’accompagnement de partenaires forts et précieux : Arte France Cinéma, MK2 et Ad Vitam pour la distribution France.

Vous êtes-vous posé la question du choix de la langue au moment de la préparation d’Atlantique et de son financement ? Le wolof a-t-il créé une difficulté supplémentaire lorsqu’il s’est agi de convaincre des financeurs ?J. L. L. & E. R. : Le wolof s’est imposé très tôt pendant l’écriture. Cela nous semblait à toutes inenvisageable de tourner un film en Afrique qui parle d’affranchissement, de féminisme, des dégâts causés par l’exploitation économique, dans la langue de l’ancien colonisateur.

J udith Lou Lévy et Ève Robin, productrices associées au sein des Films du Bal, nous racontent leur « coup de foudre » artistique pour Mati Diop et comment elles ont réussi à faire financer Atlantique, entièrement tourné en wolof 1.

Atlantique de Mati Diop - DR

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Quand on regarde les premiers films courts de Mati tournés à Dakar (et déjà en wolof), on se rend tout de suite compte que cette langue est chargée d’un rapport au monde et d’une poésie très spécifiques, appréciés des spectateurs. Lors des premières demandes de financement, ce choix paraissait radical pour un premier film et le privait de crédit d’impôt et d’un soutien en région. Cela nous a aussi défavorisées auprès de Canal Plus (on ne parlera pas de discrimination pour ne pas fâcher), puisque du fait du wolof nous sommes passées dans la case « cinéma étranger », dont le montant du préachat est très bas par rapport aux acquisitions des films français. Mais on ne va pas se plaindre : aujourd’hui, même les films d’auteurs en français ont du mal à être soutenus par la chaîne cryptée.

Quand le film va-t-il sortir au Sénégal ? Et dans quelles conditions va-t-il être distribué ? J. L. L. & E. R. : Le Sénégal est le premier pays dans lequel le film est sorti. C’était symboliquement très important pour Mati que le premier public du film soit sénégalais.

La grande première a eu lieu le 2 août dernier à Dakar et cela a été un grand moment. Le film a été merveilleusement accueilli. C’est Oumar Sall lui-même, notre coproducteur, qui a pris en charge la

distribution, en partenariat avec Netflix qui a soutenu la sortie en salle du film au Sénégal.

Le Grand Prix cannois a-t-il donné une résonance au film au Sénégal ?J. L. L. & E. R. : Bien sûr. Cela fai-sait plus de vingt-cinq ans que le Sénégal n’avait pas été représenté en compétition à Cannes, depuis Hyènes, de Djibril Diop Mambety, l’oncle de Mati, en 1992 ! Le Grand Prix a eu un fort retentissement dans le pays. Cela a été un événe-

ment national. Mati a même été décorée par le Président de la République Macky Sall en personne. Cela a sans doute permis de protéger un peu le film car on craignait qu’il ne soit attaqué par les plus conservateurs. Mais tout s’est très bien passé jusqu’à présent.

1. Le film a notamment bénéficié d’une aide à la conception de la Région Nouvelle-Aquitaine.

C R É AT I O N F R A N C O P H O N E : L ' E X P R E S S I O N D ' U N E D I V E R S I T É 15

Trois questions à Mati DiopPropos recueillis par Nicolas Rinaldi

Le film est tourné essentiellement en wolof. Quelles en sont les raisons ? Comment cohabitent les langues au Sénégal et comment les Sénégalais appréhendent-ils le français ? La langue principale au Sénégal est le wolof et le français, parce que le pays a été colonisé par la France, y est aussi présent. Si le français reste d’ailleurs la langue administrative du pays, j’ai vou-lu tourner ce film dans la langue pra-tiquée du pays, pour être au plus près de l’humanité, de la réalité et de l’ima-ginaire des personnages. Ce double usage des langues ne m’étonne plus dans la mesure où j’ai toujours entendu du wolof et du français mais, quand on prend du recul, on se rend compte que cela fait partie des traces très concrètes de la colonisation. De nombreux jeunes aujourd’hui ne questionnent même pas l’usage du français et son origine.

Ces deux langues sont-elles, pour vous, autant constitutives d’une identité que ces deux pays, le Sénégal et la France, qui sont les vôtres ? C’est difficile de mesurer précisément à quel point la culture française a déna-turé ou déplacé la culture sénégalaise. Je ne crois pas que la langue soit respon-sable de ce phénomène, qui est selon moi davantage dû à des fractures plus profondes. Cette rencontre des mondes, qui cohabite en moi-même, est cen-trale dans le film : l’ailleurs dont il est question est quand même l’Europe. On raconte l’histoire de garçons sénégalais qui partent en Europe et en reviennent en fantôme. Cette dynamique entre Afrique et Europe est permanente dans Atlantique.

Dans quelle mesure votre filiation est-elle la source de votre œuvre et s’exprime-t-elle dans Atlantique1 ?De mon histoire naissent forcément des films qui l’incarnent. La question est de savoir ce que l’on fait de cette histoire, si on la rompt, si on la prolonge. Comment s’inventer à partir de cette histoire aussi riche et forte qui me précède ? Les

films de mon oncle ayant quand même marqué le cinéma, je me suis donc aussi positionnée par rapport à cette histoire en en faisant une continuité mais dans une démarche de réinvention. Le fait d’engager mes films en Afrique plutôt qu’en France est par exemple un choix très net, celui de continuer à faire exister ce cinéma. Parce qu’il en existe peu là-bas, aussi pour ne pas laisser l’Occident raconter ce qu’il s’y passe. C’est donc une démarche politique à travers laquelle je me réapproprie cette partie de mon histoire que je n’ai peut-être pas suffisamment investie entre mes 10 et mes 20 ans. En tant que métis, j’ai grandi dans un environnement culturel parisien très blanc et j’ai ainsi ressenti le besoin de retrouver ma culture africaine et de participer au rayonnement d’un certain cinéma africain.

1. Le père de Mati Diop, Wasis Diop, est un musicien et compositeur sénégalais. Il a été forcé d’émigrer en France pour exercer son art. Son oncle, Djibril Diop Mambéty, est un grand cinéaste sénégalais à qui la réalisatrice a consacré le film Mille soleils (Voir la filmographie à la fin de ce numéro).

Atlantique de Mati Diop - DR

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n° 12 – Automne/Hiver 2019-202016

Dans une nature bruissante à la beauté envoûtante, on suit la vie quotidienne des villageois, pêcheurs ou gauchos, transcendée par l’histoire et le mystère des mythes de cette région où l’esprit des esclaves du XVIIe siècle est encore présent. On va à la rencontre de Rodor qui évoque les esprits de l’eau et de la forêt, d’Antonia et Berti qui nous offrent des chants de Kasékò…Comme la plupart des Guyanais, les habitants de Kaw parlent le créole guyanais, une langue à base lexicale française, teintée de multiples influences liées à l’histoire tour-mentée de cette région. Le créole guyanais a hérité des langues amérindiennes et afri-caines, a aussi reçu les apports de l’anglais, du néerlandais, du portugais, et même de langues régionales comme le breton et le charentais. Dans le film de Stéphanie Régnier, sous-titré en français, les habitants s’expri-ment dans leur langue, une langue éton-nante et captivante.

Quel a été le cheminement du film ? Le point de départ de Eaux noires est ma rencontre en 2010 avec le personnage de mon premier long métrage documentaire Kelly : une jeune femme péruvienne qui, après avoir vécu clandestinement dix an-nées en Guyane, se retrouve à Tanger d’où elle espère rejoindre la France où se trouve sa mère. Dans le huis-clos d’une chambre d’hôtel de la médina, Kelly livre face caméra le récit de ses différentes traversées de la forêt amazonienne et de sa vie clandestine en Guyane. Dans les entre-deux de sa parole, le regard s’échappe à travers les fenêtres de l’hôtel, vers les ruelles et les terrasses de la ville, puis vers le Détroit de Gibraltar et les côtes espagnoles, si proches et pourtant inaccessibles à Kelly. Apparaissent dans le film des voix off qui, en dialectal tangérois, nous parlent de Kelly. Ces voix sont comme une rumeur venue de la ville, témoignant du passage de Kelly dans ses murs. Elles fonctionnent comme un chœur évoquant la dimension épique du trajet entrepris par Kelly pour vivre sa liberté et retrouver sa mère. Il y a trois langues dans le film, le français argotique teinté d’accent hispanique de Kelly quand elle s’adresse à moi, le dia-lecte tangérois pour ce qui est du chœur, et l’espagnol, lorsque Kelly adresse, par le biais de la caméra, un message à sa mère. Les récits que Kelly m’a donnés de la Guyane m’ont fascinée et j’ai eu envie d’aller explorer cette enclave française du continent sud-américain.

Lorsque je suis allée à Kaw, j’ai été éblouie par ce paysage d’eau et de forêt, par les visages des gens qui y vivaient. En rentrant en France, je me suis mise à écrire tout en me documentant sur l’histoire de la Guyane où je suis revenue plusieurs fois. Au village, Berti m’a enseigné les rudiments de la langue créole et Antonia m’a appris quelques chants de Kasékò, cette musique inventée par les anciens esclaves et transmise de génération en génération jusqu’à nos jours.

Qu’est-ce qui a été le plus complexe dans ce projet ?J’avais le désir de révéler de manière sen-sible l’histoire cachée de ce paysage. Une histoire traumatique liée à la colonisation française et à la déportation de milliers d’Africains asservis pour aménager un ter-ritoire hostile. J’espérais que les habitants du village me livrent devant la caméra les récits dont ils avaient hérité de leurs an-cêtres de l’époque de l’esclavage. Mais si cer-tains d’entre eux voulaient bien m’offrir ces récits lorsque la caméra était éteinte, ils s’y refusaient lorsqu’elle était allumée. Ce qui rendait très compliquée la possibilité d’en rendre compte, d’autant que je ne souhai-tais pas utiliser d’archives et encore moins filmer un spécialiste détenteur d’un savoir universitaire qui viendrait nous parler de cette histoire. Je voulais que ce soit le pay-

sage lui même et ceux qui y vivent, qui parlent. Puis j’ai compris que cette histoire leur appartenait, qu’elle faisait partie d’un héri-tage familial et intime et qu’il était difficile pour eux de l’évoquer frontalement devant une caméra. J’ai donc essayé de l’évoquer à travers les chants que m’offraient Berti et Antonia. Puis Rodor m’a parlé devant la caméra, avec peu de mots, du fait que telle et telle criques (des canaux dans le marais) avaient été creusées à la main par les esclaves. Il a évoqué le fait que certains avaient fui pour vivre en communauté dans la forêt et m’a parlé des esprits qui se cachaient dans la forêt ou sous les eaux noires du marais. C’est autour de cette parole fragile, mais néanmoins magnifique, que j’ai structuré le film, avec l’aide de Saskia Berthod, la monteuse.

Le film est en créole, sous-titré en français. Quelle approche avez-vous eu de la langue ?Même si la plupart des habitants maîtrisent le français acadé-mique, leur langue est le créole guyanais. C’est la langue du lieu.

L e documentaire Eaux noires de la réalisatrice Stéphanie Régnier est une immersion dans le marais et le village de Kaw, en Guyane, où l’on accède uniquement en pirogue.

Si loin, si prèsEaux noires

Stéphanie Régnier / Propos recueillis par Catherine Lefort

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Il était donc évident pour moi de tourner le film dans cette langue qui par ailleurs est porteuse en elle-même de l’histoire trauma-tique que j’évoque dans le film. Par ailleurs, c’est une langue que je trouve très belle, très inventive et imagée. C’est une langue qui est restée très longtemps non-écrite, et ce n’est pas pour rien que les Guyanais excellent dans l’art du conte, du chant, de la danse, de la poésie et du théâtre, qui sont des expressions orales avant d’être écrites.

La bande son du film ajoute au mystère et à la majesté de la nature. Eaux noires a d’ailleurs reçu le prix de la meilleure bande son au festival Sole Luna. Le travail du son a été très important pour transcrire les sensations et la dimension impressionniste et animiste du film. J’ai fait une partie des enregistrements sonores, Bertrand Larrieu m’a accompagnée une fois en Guyane et les enregistrements qu’il a réalisés en stéréo dans la forêt et sur la rivière nous ont beaucoup servi. Nous avons également utilisé des sons seuls réalisés de manière indépendante par Richard Lerville. En-fin, Bertrand Larrieu encore et Xavier Despas, au montage son et au mixage, ont fait un travail magnifique.

Quel regard avez-vous sur ces hommes à la fois proches de nous parce que Français et si lointains par leur mode de vie ?Je ne les perçois pas comme lointains mais proches. Les pro-blématiques qu’ils vivent existent aussi sur le territoire de la métropole française. Pour reprendre les mots d’une specta-trice au festival Étonnants Voyageurs, « ils semblent vivre une forme d’exil intérieur ». Cela tient de leur histoire mais aussi du mode de vie « insulaire » qui est le leur et qui n’est pas vrai-ment toléré par l’administration française. Après l’abolition de l’esclavage, ils vivaient en autarcie, produisaient leurs propres fruits et légumes dans leurs abatis, se nourrissaient des fruits de leurs pêches et de leurs chasses, fabriquaient leurs propres canaux et vendaient le bois de rose. Peu à peu, on leur a impo-sé des normes et des modes de consommation qui ont déstabi-lisé cette économie. C’est quelque chose que l’on a vécu ici aussi. La Guyane est une collectivité territoriale française, mais ceux qui y vivent ont la sensation de ne pas être pris réellement en considéra-tion par les représentants de l’État français. Le manque d’infras-tructures est flagrant. Or l’argent ne manque pas pour le dévelop-pement de la base aérospatiale de Kourou ni pour la création d’une méga mine d’or industrielle. Il y a deux ans, des révoltes sociales importantes ont éclaté avec une occupation des ronds-points, qui ont d’ailleurs inspiré en partie le mouvement des gilets jaunes ici. Plus récemment, différents collectifs tels que « Or de question » et « Jeunesse autochtone de Guyane » ont émergé pour lutter contre le projet écocide « Montagne d’Or » qu’ils ont réussi à faire avorter – pour un temps du moins.

Parlons de la diffusion d’Eaux noires…Le film a été sélectionné au festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo et à Sole Luna doc film festival à Palerme. Il sera prochaine-ment programmé à Trévise, Pau et Bordeaux. J’espère qu’il aura une vie dans les festivals, dans les réseaux associatifs, durant le mois du film documentaire... Il sera également télédiffusé sur TV7-Bordeaux.

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Eaux noires : Stéphanie Régnier / France / 2018 / 54 min / Couleur / HD Pro-duction Survivance, L’Oumigmag, TV7 Bordeaux avec le soutien du CNC, de la Région Nouvelle-Aquitaine, du fond Images de la diversité, de la Procirep et de l’Angoa, de la Scam et de la Copie privée. Et avec l’accompagnement de l’agence régionale ALCA et l’appui du Bureau des tournages de la collectivité territoriale de Guyane.

Réalisation : Stéphanie RégnierImage : Julien Bossé, Stéphanie Régnier, Hélène MotteauSon : Bertrand Larrieu, Stéphanie RégnierSon additionnels : Richard LervilleMontage : Saskia BerthodMontage son et mixage : Bertrand Larrieu, Xavier DespasÉtalonnage : Reda Berbar

Eaux noires, Stéphanie Régner - Photo : Survivance - L’Oumigmag

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18 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Ce sont deux romans. Ysiaka Anam et Georgia Makhlouf insistent bien sur cet aspect fiction-nel de leur écriture, de la composition, du récit. Toutes les deux ont publié leur texte aux édi-tions de La Cheminante que dirigeait Sylvie Dar-reau jusqu’en août – depuis la maison a cessé ses activités – et dont le catalogue singulier fait la part riche aux textes de l’ailleurs.

Ysiaka Anam a donné son premier roman aux éditions qui étaient installées au Pays basque, à Ciboure. C’est : Et ma langue se mit à danser. Un deuxième roman est déjà écrit. Ysiaka Anam est un pseudonyme. Ysiaka ne dit pas d’où elle vient en Afrique de l’Ouest. Simplement d’une « languette » de terre. Georgia Makhlouf est Libanaise. Elle a derrière elle un beau bouquet d’ouvrages. Ce roman-là porte une force toute particulière. Une généalogie y est convoquée, questionnée. Il s’intitule : Port-au-Prince aller-retour. Ysiaka est psychologue. Elle travaille avec des migrants. Georgia est journaliste lit-téraire. Membre du comité éditorial et corres-pondante à Paris de L’Orient Littéraire, elle est également présidente de Kitabat, l’association libanaise pour le développement des ateliers d’écriture et respon-sable du Prix France-Liban de l’Association des Écrivains de Langue Française. Toutes les deux, évidemment, ont appris la triste nou-velle qui touche leur éditrice. Ysiaka : « Sylvie Darreau a été tout de suite très enthousiaste lorsqu’elle a lu mon texte et pleinement respectueuse dans son accompagnement pour le conserver dans son intégrité. La maison a un très beau catalogue, elle a permis de faire découvrir plusieurs auteurs remarquables. J’espère qu’une continuité sera possible pour les différents textes qui ont été pu-bliés par la maison. » Georgia : « Mon roman sera donc le dernier publié par La Cheminante. Je connais Sylvie Darreau depuis des années parce qu’elle passait beaucoup de temps à Beyrouth – ville qu’elle affectionne tout particulièrement. Elle avait reçu mon ma-nuscrit avec un immense enthousiasme. Je me doutais bien que la gestion d’une maison d’édition indépendante et défendant des textes vers lesquels les lecteurs ne vont pas spontanément parce que ces textes viennent de loin et ont besoin d’être «portés», était un exercice d’équilibrisme comportant des risques certains. »

Demeurent désormais tous ces livres et ces deux textes-là. Pour les deux femmes, sont en jeu, notamment, les questions de la

langue, de l’exil, de l’ici, de l’ailleurs. Des tensions entre les races aussi. De l’aller, tou-jours difficile, dévastateur en même temps qu’il construit, certainement, forcément.

Souvent (toujours ?) les romans (tout type de texte, finalement) ont cette tentation, cette faculté, cette exigence d’exprimer ce qui va exister. Les lire, c’est accepter le principe de leur haute qualité proleptique.

Ysiaka et Georgia, elles, dans ces deux textes, travaillent l’analepse. Elles fouaillent tous les lieux d’où elles viennent, tous les passés qui s’invitent au présent avec la brutalité d’un crotale à l’attaque. Les lieux sont : l’esprit, le corps, le territoire, l’autre territoire, la langue, toute leur histoire. Puisque nous parlons de la langue, osons aller sur le territoire lacanien de lalangue que peuvent partager Ysiaka et Georgia. Lacan écrit : « C’est dans lalangue qu’est la distinction de l’imaginaire et du réel1. » Et aussi : « Et ce qu’on sait faire avec lalangue dépasse de beaucoup ce dont on peut rendre

D ans une histoire familiale qui projette trois générations du Liban en Haïti puis de l’île au pays natal, et dans un questionnement nourri par l’expérience de l’exil dès la petite enfance, Georgia Makhlouf, la Libanaise, et Ysiaka Anam, l’Africaine d’une

« languette » de terre, s’interrogent sur la langue, l’arrachement, l’identité vécue. Réelle.

Dans les langues de Georgia et d’Ysiaka

Ysiaka Anam et Georgia Makhlouf / Par Serge Airoldi

Georgia Makhlouf

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compte au titre du langage2. » Lalangue serait donc comme ce divers fondamental qu’évoque Victor Segalen3. Le creuset intime où convergent tous les métaux qui ruissellent en soi pour le grand alliage. Ce qui fondera une existence.

Dans le roman d’Ysiaka, une petite fille africaine arrive en France et découvre la différence du monde. Le tout-monde, cette notion chère à Édouard Glissant n’est pas encore au programme de sa vie. L’un n’est pas encore l’autre, dans une dynamique de créolisation des cultures, de mixité insouciante. D’ailleurs, le tout-monde existera-t-il jamais sinon dans les uchronies, les utopies ? Partout dans les univers spatio-tem-porels accompagnés d’un suffixe privatif ? À l’école, une autre fillette – blanche – décrète qu’Ysiaka ne peut pas jouer avec le groupe parce qu’elle est noire. Harde blanche. Singularité noire. Isolation blanche. Désolation noire. Bête noire ? « Bête d’aversion », comme le notait Madame de Sévigné. Ysiaka est noire et associe cet état à la « gaucherie ». Elle est noire et devient peu à peu une « enfant du silence ». Alors, la langue maternelle s’amenuise, se perd, se tait. La migration tue à petit feu. La personne en exil ne parvient plus qu’à vivre à côté d’elle-même. Elle vit dans un pays dont la culture est celle du « brouillard ». Elle devient elle-même « l’un des agents les plus ac-tifs de (sa) propre exclusion ». Cela ne se dit pas en quelques phrases, ni même en quelques livres, encore moins en quelque vie. Cela se subit et du chaos, pour une survie, un simple sourire giottien, il convient d’in-venter une harmonie acceptable. L’écriture est un des passages qui peut conduire vers elle. L’écrit-couture raccommode, ravaude, répare, reconstitue un peu du tissu qui avait égaré sa trame.

Aujourd’hui, Ysiaka a 36 ans. Elle confie : « J’écrivais depuis toute petite. En 2015, j’ai rencontré Abdellah Taïa4. Je lui ai parlé de mon projet d’écriture. Il m’a dit : « Allez-y. » C’était comme une auto-risation. C’était le moment. J’ai écrit à la première personne, sans conscientiser l’enjeu qu’il y a derrière le texte. J’ai voulu me réap-proprier la question de la migration et faire ainsi en sorte que ce ne soit pas l’Occident qui parle à ma place et qui, de fait, impose une double violence. Celle de l’exil et celle de l’absence des mots, leur privation, pour en parler. »

Dans son roman, Georgia dresse le portrait de son grand-père Mansour-Vincent, un Syro-Libanais de la fin du xixe siècle, émigré en Haïti où il fait fortune avant de revenir au pays natal. Cette fresque familiale somptueuse d’écriture, de sensibilité et d’acuité, Georgia a réussi à la mener tardivement. « Haïti était un pays très présent dans mon imaginaire même si nous n’en parlions pas à la maison. Les non-dits ont fini par hanter l’enfant que j’étais. » Et un temps long a fait le reste de la maturation. Lalangue aus-si, peut-être. Certainement. Dans le roman comme dans la vie, le grand-père est parti en Haïti à l’âge de 20 ans et en ne parlant que l’arabe. Dans l’île, il a appris le français et le créole. Son fils, le père de Georgia, a appris ces deux langues. Quand la famille est retournée au Liban, il avait quinze ans et l’arabe ne lui avait jamais été familier sinon pour de maigres conversations du quo-tidien. À la maison, il ne supportait pas que l’on maniât cette langue – cettelangue – qu’il ne possédait pas bien. Il ne supportait

pas davantage que l’on parlât le français en roulant les « r ». « Il exigeait que l’on grasseye les “r”, se souvient Georgia. En 2015, quand je suis enfin allée en Haïti, j’ai constaté qu’en créole, les “r” étaient ca-ressés, chuchotés. J’ai été très émue : tout le monde parlait comme mon père. Il avait transporté du créole dans son français. » Georgia, elle, parle, lit, écrit l’arabe. Elle le traduit aussi. Mais ce n’est que sa langue maternelle théorique. Dans les faits, c’est le français. « C’est la langue de l’appren-tissage du monde, de son explication. C’est la langue des premières lectures, des

premiers dictionnaires, du rapport entre le mot et la chose, le mot et le concept. Avec le français, j’entretiens un rapport littéraire, une manière très sophistiquée de manier les mots, la langue. » Depuis des années, Georgia aussi accomplit l’aller-retour entre la France et le Liban, entre leslangues de sa vie et des siens. Depuis des années, Ysiaka aussi vit collée à ce bastingage, partagée entre la ligne d’horizon et l’oraison des abysses immédiats, la langue en quête dans les lointains, la langue en kit dans les ancrages. On pense alors à ce fameux et fulgurant trait de la pensée de Jacques Derrida quand il affirme : « Oui, je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne5. »

1. J. Lacan, « Intervention du 30 mars 1974 à la Scuola Freudiana », dans Lacan in Italia 1953-1978 (En Italie Lacan), Milan, La Salamandra, 1978, p. 104-147.2. J. Lacan, Encore, Le Seuil, 1975.3. Victor Segalen, Équipée. Voyage au Pays du Réel, coll. « L’Imaginaire », Gallimard, 1983.4. L’écrivain marocain publie au Seuil depuis 2006.5. Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l’autre, Galilée, 1996.

À découvrirPort-au-Prince aller-retour, Georgia Makhlouf, La Cheminante, L’Orient des Livres, 400 pages, 22 €.Et ma langue se mit à danser, Ysiaka Anam, La Cheminante, 122 pages, 10 €.

Ysiaka Anam - Photo : Quitterie de Fommervault

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Geoffrey Lachassagne / Par Christophe Chauville

Allers-retours« Chicago et l’Estonie dans La Longue marche vers l’indépendance, puis l’Écosse et la Nouvelle-Calédonie avec Caledonia, ou le Sud des États-Unis et la Corrèze à travers Le Comté apocryphe : il s’agit chaque fois d’allers-retours entre deux espaces, comme si cette figure structurait mon imagination. Il y a sans doute un aspect biographique dans cette tentative de retisser des liens entre Europe et Amérique ou Océanie, de faire se rencontrer ces lieux où j’ai vécu, ces fragments de ma vie a priori disjoints. »

Projeter un imaginaire« Le Comté apocryphe matérialise la façon dont j’ai pu projeter un imaginaire issu de la littérature américaine, celle de Faulkner, sur les paysages de mon enfance, en Corrèze. J’ai découvert Faulkner après qu’un ami m'a dit que mes récits d’enfance lui rappelaient Lumières d’août. J’ai ouvert le livre et senti comme jamais qu’on y parlait de nous. Ce ne peut être un hasard si les écrivains de cette région – Bergounioux, Michon, Millet – ont tous fait de Faulkner leur figure cardinale. Cela a sans doute à voir avec la mort d’un monde, une transition à saisir, le rapport à la terre et à son prix… »

Les frontières et l’Histoire« Caledonia renvoie à la légende qui ouvre invariablement l’histoire de Nouvelle-Calédonie : " En 1774, James Cook découvre une grande île dans le Pacifique et la nomme Nouvelle-Calédonie parce que ses côtes lui rappellent celles de son Écosse natale. " À force de la lire partout, nous ne la questionnions plus, ni ce qu’elle impliquait. J’ai entrepris de la déconstruire pièce par pièce… et découvert que ce baptême était moins lié aux paysages qu’à la rencontre avec une civilisation aussi sophistiquée qu’hospitalière, aux antipodes de l’image de brutes anthropophages imposée par la suite.La recherche historique m’intéresse lorsqu’elle dissipe les mythes qui nous voilent le présent ; le passé ne m’intéresse pas en soi. Le Versant espagnol, par exemple, est basé sur un fait réel – le tracé de la frontière franco-espagnole à l’époque de la Révolution – mais cette plongée dans le passé est surtout l’occasion de dénuder le récit et la mise en scène, de les rendre atemporels. »

Fiction ou documentaire ?« Mes premiers travaux relevaient de la fiction et de l’art vidéo, puis j’ai découvert les œuvres de Marker, Kramer, Akerman… Une

veine essayiste qui transcende – décidément – la frontière conven-tionnelle entre documentaire et fiction. Disons que j’essaie de sai-sir les « fictions du réel » (une certaine figure de l’Écrivain dans La Capture, l’historiographie colonialiste dans Caledonia, l’imaginaire américain dans Un comté apocryphe, les frontières dans Le Ver-sant espagnol) avec des outils documentaires, objectivistes, pour ne pas rajouter de la fiction à la fiction… Et l’aspect épisodique du réel avec les outils de la fiction. La Capture peut ainsi être vue comme une fiction, dans le sens où nous avons systématiquement remis en scène la façon dont les aléas (climatiques, en particu-lier) du tournage nous affectaient. Pierre Bergounioux y est crédité comme un acteur « dans son propre rôle ». Ce n’est pas si éloigné du travail d’écriture au plateau que je compte mettre en œuvre dans Le Versant espagnol. »

20 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

U N A R T I S T E À L’ Œ U V R E

Depuis son moyen métrage La Capture, Geoffrey Lachassagne s’est lancé avec appétit dans plusieurs projets : Caledonia, un essai documentaire à la fabrication au long cours ; Le Comté apocryphe, qui associe film et livre ; Le Versant espagnol, enfin, premier long métrage de fiction, pour lequel ce jeune artiste polyvalent a été accueilli en résidence au Chalet Mauriac. Nous avons tenté de définir en sa compagnie quelques clés permettant de pénétrer dans sa foisonnante inspiration et les méandres de ces projets tentaculaires, tous engagés, critiques, poétiques et politiques.

Couleurs & richesses du monde« D’ordinaire, l’artiste-invité d’Éclairages présente ses travaux anté-rieurs, mais le thème de ce numéro imposait une création collective, décentrée et potentiellement infinie. J’ai demandé à des artistes de tous horizons d’inventer un nom de couleur qui leur semble man-quer à la langue française. S’ils travaillent tous cette langue, c’est dans leur expérience singulière qu’ils sont allés puiser un manque, un « intraduit » pour l’offrir au français, enrichir le commun de la langue. En regard, j’ai créé un nuancier inspiré de celui de Werner et Syme, dont Darwin se servait pour décrire le monde de la façon la plus rigoureuse possible*. J’ai travaillé avec des terres et des pig-ments bruts, selon un trajet inverse à celui des textes : non plus de l’expérience immédiate du réel à l’abstraction de la langue, mais de l’abstraction de la couleur à la matérialité des pigments. Une palette reflète toujours un certain état du monde. L’âge d’or de la peinture hollandaise correspond au moment où les Pays-Bas sont la première puissance commerciale et voient affluer les matières premières, les images, les récits du monde entier… Il y a des palettes coloniales, extractivistes, etc. À nous d’inventer une palette francophone qui soit archipélique, plurielle, vivante… »

*Je tiens tout particulièrement à remercier Daniel Maurin pour son aide sur la création de ce nuancier.

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NENPODEÏGRANIl faudrait un mot comme vairon, qui désigne des yeux de couleur différente chez une même personne, mais augmenté d’un facteur cinquante ou cent pour évo-quer la bigarrure de la Corrèze. La formule adoptée, jadis, par le Conseil départe-mental - Le Pays Vert - n’est pas mauvaise, loin s’en faut. Mais on peut lui repro-cher son caractère superficiel - elle ne retient que le couvert de bois et de prés -, donc saisonnier - au printemps, l’été. Or ce qui distingue notre petit département de tous les autres, du monde entier, peut-être, c’est la prodigieuse diversité de son assise minérale. La totalité du sys-tème géologique s’y trouve représentée, concentrée dans l’espace de quelques lieues carrées. À la blancheur du Causse méridional s’opposent les basaltes téné-breux de Bort-les-Orgues, aux schistes lustrés, miroitants de la Xaintrie, le granit gris, terne de Millevaches, et toutes les couleurs chaudes de la palette, ocre, brun, vienne brûlé, rouge vif s’échelonnent des grés de Brive à ceux de Collonges. L’homme est l’espèce symbolique par excellence. Il ne se tient quitte qu’autant qu’il a nommé la chose, qualifié le sentiment qu’elle lui inspire. Aussi longtemps qu’on est resté captif du canton natal, et ç’a été jusqu’au milieu du siècle dernier et quelque peu au-delà, il n’y avait qu’une couleur, celle du canton, donc pas de couleur. C’est l’intrusion du mouvement dans l’immobilité millénaire qui a suscité le contraste, éveillé le riche nuancier, la bigarrure essentielle du pays. On a beau chercher, on ne trouve rien, en français. Vairon n’implique que deux teintes, hétérochrome est imprononçable, versicolore abstrait. On se dit, en pa-tois : « N’en podeï gran. » Je n’y arrive pas. Et pourquoi pas, après tout. La Corrèze est nenpodeïgran.

Pierre Bergounioux, écrivain, né à Brive-la-Gaillarde

LANGIJe pense à ces couleurs : le jaune cobalt, la menthe, le rouge anglais, le saphir qui me font penser au parfum de la Rumba congolaise, LANGI (Couleur en Lingala).

Christian Bena toko, conteur, né à Kinshasa

BLEU ORAGESe dit d’un bleu acier que l’on trouve à la base des immenses et menaçants cumu-lus se formant lors des orages de montagne l’été, dit aussi « orages de chaleur ». Cette couleur, mélange de bleu sombre et de violet tirant vers le noir, est particu-lièrement intense juste avant que les nuages ne crèvent.

Fred griot, poète, né à Lyon

MÉLOTRAINLa tinta de Giuseppe Verdi.

FranCesCo Forlani, écrivain, né à Caserta

JAUNE ORIOLE (ou JAUNE CHILTOTA)Je viens d’un pays sans saisons – ce qui, pourrait-on penser, réduit la palette des couleurs dont s’habille la nature chaque année. Si pendant des années je n’ai pas connu les nuances qui achèvent l’automne ou renouvellent le printemps, tu connais le Pacifique : j’ai passé mon enfance dans un lieu qui se colore toute l’an-née d’éclats vivaces dont les seules nuances sont des qualités : le sec (poudreux), l’humide (moiré).Parmi toutes les couleurs vives des tropiques, j’en possède une qui n’a pas franchi l’océan avec moi, me semble-t-il, et que je voudrais te donner. C’est un type de jaune. C’est, comme n’importe quel jaune, une couleur primaire, banale, criante

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– et d’après ce que j’ai lu quelque part, inoubliable. Tu savais que la mémoire se souvient surtout des détails jaunes ?C’est donc un jaune très jaune, un jaune suprêmement jaune, le jaune du corps de la chiltota, l’oriole maculé, un petit oiseau farouche et sauvage (attention, je déteste les canaris, donc ce n’est pas un jaune canari).Il s’agit d’un jaune intermédiaire entre le végétal et l’animal, il ne me semble pas avoir connaissance d’un minéral qui aurait cette ardeur. À moins, peut-être, de considérer la lave, quand la lave ressemble plus à un animal qu’à de la pierre. Je crois bien que le jaune chiltota c’est la couleur d’un certain degré d’incandescence.Il a une phosphorescence naturelle, diurne, on ne le voit pas dans le noir. Le jaune chiltota est un jaune au-delà du safran, il hésite entre le citron et le mandarine, oui, un jaune proche aussi du mimosa, mais sans l’odeur et autrement vibrant. J’imagine qu’il a en lui les battements du petit cœur de l’oiseau : des variations modulées de chair en flamboyance.C’est un jaune de source, en cela semblable peut-être au jaune d’œuf, mais d’une étincelance plus cotonneuse. L’oriole est un oiseau dont le gazouillis faible hésite entre la cigale et la guitare – mais je ne t’aide pas beaucoup en signalant cela. Quoique, si, une oreille musicale délirante comme la mienne verrait, à mon avis, tout de suite le jaune correspondant au frémissement aigu de l’oriole que j’ai enfermé dans ma tête.Bon, jaune oriole : ce qui me plaît dans cet exemple, c’est que la présence de l’oiseau précède notre possibilité de nommer le monde. J’ai dit que je te « don-nais » la couleur qui n’a pas de nom en français mais, à vrai dire, je ne fais que te la réclamer. Tu vas me consoler d’une absence : si je ne peux pas voir d’oriole, au moins j’en reverrai le jaune.

gaBriela trujillo, écrivaine, née à San Salvador

(AL-OURJOUANE)En perse, al-Ourjouane est le nom d’un arbre dont les fleurs sont d’un rouge violacé étincelant. Le mot d’origine Sanskrit a été ajouté à la langue arabe pour désigner la couleur pourpre.PourprePour pr éserver la mémoire des langues qui s’embrasent,Pour pr endre le sens de la couleur,Pour se perdre dans les fables anciennes,Je propose d’ajouter le mot al-ourjouane à la langue française.Al-ourjouane est un rouge violacé profond. De nos jours, il est le symbole des classes dirigeantes. Il teint délicatement les habits vétustes des cardinaux de Rome. On dit que cette couleur orna les toges même de Romulus le père fon-dateur. Cambyse II, roi de Perse et conquérant d’Égypte, envoya ses espions en Éthiopie dans la cour de son rival. Ils avaient pour réputation d’être « des mangeurs de poissons aux vêtements rouges flamboyants ». Avant d’arriver en Égypte, Cambyse conquit la côte phénicienne et ses traditions : d’or et d’our-jouane. Toutefois, c’est le chien du dieu roi Phénicien Maelkart – Baal – Héraclès qui découvrit cette couleur. Il se promenait avec son maître et une princesse sur la plage de Tyre. Le chien joua avec un coquillage et mangea son mollusque. Il revint voir son maître le museau teint d’un rouge violacé. La belle fut séduite par la couleur, Maelkart voulut la séduire encore plus, il ordonna à ce que les coquillages soient ramassés afin d’y extraire la couleur qui habillera le corps de sa bien aimée.[« Nous sommes avec le coquillage en pleine chair, nous ne quittons pas la na-ture, le mollusque ou le crustacé, sont là présents. D’où, une sorte d’inquiétude qui décuple notre plaisir. », Ponge, Notes pour un coquillage.]La petite bête qui mourut pour les désirs de Maelkart était imprégnée par les légendes de cette côte : Vénus y peigna ses cheveux à l’aide du coquillage étoilé,

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Saint-Georges y tua le dragon, Job guérit ses plaies, non loin, sur le sable chaud du pays de Sidon et Europa la fille d’Agénor roi de Tyr y versa ses dernières larmes une fois emportée par Zeus le taureau.Avant de devenir le symbole du pouvoir accaparé par les hommes, al-ourjouane est d’abord l’histoire d’un chien qui joue sur une plage, de ce lieu millénaire et ses récits, de « là où les femmes rayonnent le langage… là où le bruit de mes talons remplit l’espace et lève à rebours la face du temps ».

sarah srage, cinéaste, née à Beyrouth

LOUVASTREC’est la couleur blanc/jaune/marron avec des taches de gris et de noir qu’ont les chiens (ou encore mieux : les loups) quand ils courent. En sicilien, on nomme cette couleur : « cani ca curri. » C’est une couleur qui assume l’indéfinissable et le mouvement.

giuseppe sChillaCi, cinéaste et écrivain, né à Palerme

VIDINFINIÀ distinguer du vide profond ou du vide foncé ou du vidazur, par exemple. Les nuances du vide sont infiniment subtiles, il peut être difficile de les discerner.

Christophe Manon, poète, né à Bordeaux

ROSLANCTirant sur le rose irisé, fait de blanc et de pourpre. Couleur idéale des muqueuses. Piqueté de blanc, commissure des lèvres de S. Couleur inverse du gris moucheté que l’on accole au vide.

judith elBaz, écrivaine, née à Montréal

LITOSTTeinte particulière d’un moment parfait atténué par le sentiment tourmentant né du spectacle de sa propre misère, soudain redécouverte. Exemple : des vacances bleu litost, un amour rouge litost, etc.

Franek szaBowski, écrivain, né à 18 ans sur le Cours de Vincennes

MAROTANJe suis habité par les couleurs de la tannerie marocaine. Je verse les colorants na-turels par petits jets et frotte la peau du mouton, de la chèvre, du chameau pour la faire pénétrer et je l’étends au soleil. Couleur anté et postcoloniale. À partir du coquelicot, du safran, du noyau de datte, de l’antimoine, de l’indigo, j’invente les couleurs de mon enfance : rouge, bleu, jaune, beige, noir. Marotan.

jalal el hakMaoui, poète, né à Casablanca

MAMIÉ (ou ROUGE LATÉRITE)IL est unique parce qu’il est différent. Le distinguant des autres, sa différence ne l’oppose pas aux autres. IL est unique, IL est le fondement de mon identité.

riChard digoué, danseur et chorégraphe, né à Nouméa

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24 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

La bande dessinée africaine à l’honneur en 2020

Comment est né le projet d’exposition BD Africa 2020 ?Jean-Philippe Martin : La communauté d’agglomération de Grand-Angoulême, dont le musée des Beaux-Arts possède une collection importante d’œuvres d’art africain, s’est proposée d’assurer la coordination locale d’Africa 2020. Naturellement la Cité a décidé de s’y inscrire et de faire le lien, notamment, avec les collaborations croisées que nous développons avec le festival Bilili depuis 2018.

Joëlle Épée Mandengue : Pierre Lungheretti, le directeur de la Cité, est venu l’an dernier au Congo Brazzaville pour la 3e édition du Bilili BD Festival. À cette occasion, nous avons signé une convention tripartite de partenariat entre la Cité, le festival Bilili et l’Institut français. Le but de cette convention est de pérenniser des actions autour de la BD : des formations, de la médiation, des résidences et de l’accompagnement d’auteurs, dans les pays du Sud au sens large, à commencer par Brazzaville.

Parmi les 54 propositions du rapport de Pierre Lungheretti, il y a celle d’un programme de promotion et de diffusion de la francophonie avec la bande dessinée, ciblée sur le monde arabe et l’Afrique subsaharienne. Cette exposition s’inscrit-elle dans cette nouvelle volonté politique ?J.-P. M. : L’exposition s’inscrit pleinement dans le droit fil des annonces faites au ministre même si l’on va au-delà de la francophonie dans le cadre d’Africa 2020. On réfléchit d’ailleurs à une proposition d’exposition purement francophone qui se tiendrait à Tunis pendant le prochain sommet de la Francophonie, en 2020.J. E. M. : Notre volonté est qu’il y ait une vie après Africa 2020. Pour le grand public, ce doit être la première pierre de quelque chose de plus régulier à installer. Le but est aussi de valoriser les auteurs du continent, de les mettre face à des institutions culturelles qui veulent les accueillir ou participer à leur développement.

Ces initiatives visent-elles aussi à atteindre un certain équilibre dans les flux économiques et culturels entre le Nord et le Sud ?J. E. M. : Notre ambition est pour le moins de connecter les deux camps de façon plus conviviale, productive et valorisante. On ne peut pas résoudre le problème de la migration. Les actions que nous avons déjà engagées avec la Cité et l’exposition Africa 2020 vont permettre de montrer un panel de tout ce qui se fait sur le continent. C’est la première fois qu’une exposition de cette am-pleur va être proposée avec une restitution la plus fidèle possible à la diversité qui existe sur le continent.

J.-P. M. : Nous visons un rééquilibre d’un point de vue culturel. L’une des missions de la Cité est de rendre visibles des produc-tions que l’on connaît moins, notamment issues de l’hémisphère sud. L’exposition est une étape qui s’inscrit dans la logique du festival Bilili de créer du réseau, de per-mettre à des éditeurs occidentaux d’aider à repérer des talents et à des auteurs de mieux appréhender le marché occidental. Dans l’idée des résidences, les auteurs

européens pourront apporter des compléments de formation aux auteurs du Sud.

L’exposition BD Africa 2020 est-elle destinée à voyager, notamment en Afrique ? J.-P. M. : C’est une vraie volonté que des pays d’Afrique puissent recevoir cette exposition dans une forme itinérante pour qu’il y ait une prise de conscience que la bande dessinée présente un intérêt. Faire revenir dans les pays qui l’ont alimentée une exposition

Joëlle Épée Mandengue et Jean-Philippe Martin / Propos recueillis par Emmanuelle Lavoix1

D ans le cadre de la Saison des cultures africaines en France, Africa 2020, le Musée de la bande dessinée d’Angoulême présentera de juin à novembre une exposition consacrée à la bande dessinée africaine subsaharienne. Le projet est porté

par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême et le Bilili BD festival de Brazzaville. Nous avons rencontré les co-commissaires de l’exposition, Joëlle Épée Mandengue2, directrice du Bilili, et Jean-Philippe Martin, conseiller scientifique de la Cité.

Elyon's, Rio Dos Camaroes

« Le but est aussi de valoriser

les auteurs du continent

[africain], de les mettre

face à des institutions

culturelles qui veulent les

accueillir ou participer à leur

développement. »

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réalisée à Angoulême, le lieu emblématique de la bande dessinée, contribuera à une forme de valorisation. J. E. M. : Chaque passage de l’exposition dans un pays permettra aux auteurs sur place d’être médiatisés et valorisés économique-ment. Parmi les actions engagées, il y a des formations pour les promoteurs culturels. Ainsi tout médiateur du Sud qui a initié une action pour promouvoir la bande dessinée pourra avoir les meilleurs outils pour valo-riser son métier. GrandAngoulême a égale-ment proposé d’accueillir un acteur culturel africain afin qu’il puisse confronter ses pra-tiques, dans une logique de transmission de compétences.

Quelle sera le périmètre géographique de l’exposition BD Africa 2020 ? J. E. M. : L’exposition va couvrir la partie sub-saharienne du continent. Le Maghreb ayant déjà été présenté en 2018 au Musée de la bande dessinée à l’occasion de l’exposition consacrée à la Nouvelle bande dessinée arabe. Nous avons fait le choix d’un regrou-pement par régions au sens large – l’Ouest, le Centre, l’Est et le Sud – pour valoriser tout ce qui est produit. On va partir du plus grand pays vers le plus petit. Nous souhaitons pro-poser un vrai voyage sur le continent. J.-P.M. : Le découpage par régions nous permet d’équilibrer entre les pays qui comptent très peu d’auteurs actifs et où la production est très faible et ceux où elle est pléthorique.

Existe-t-il la même diversité de genres qu’en Europe et seront-ils distingués dans l’exposition ? J. E. M. : La BD africaine était liée aux héritages culturels ou linguis-tiques coloniaux : la ligne claire, le noir et blanc classique franco-belge en Afrique de l’Ouest, le comics pour le Nigeria et l’Afrique du Sud. Les deux au Cameroun. Aujourd’hui, on trouve de la couleur et tous les genres dans la BD africaine, jusqu’au manga qui a déferlé au début des années 2000. Les premières thématiques abordaient les questions sociales, le sida, la santé. Aujourd’hui émerge un marché pour des œuvres de création pure, mais cela a pris presque 30 ans. En Afrique, il existe une BD francophone, anglophone, lusophone et arabophone. Nous présenterons des auteurs de langues diffé-rentes et de générations différentes comme Barly Baruti (RDC

– années 1980 à nos jours) – l’un des tous premiers à avoir été publiés par des maisons d’édition européennes – Gaspard Njock (Ca-meroun – années 2000 à nos jours) qui est professeur de BD en France et musicologue. Il est incontournable pour son talent mais aussi emblématique de la pluridisciplinarité des auteurs de BD en Afrique, qui ont sou-vent plusieurs métiers. J.-P. M. : La situation d’auteur de BD en France est difficile, mais elle est pire encore en Afrique. Concernant l’exposition, nous se-rons en mesure de présenter un programme avancé, notamment des auteurs présentés, à partir d’octobre 2019. Ensuite viendra le pro-cessus d’élaboration de la scénographie et le programme définitif sera bouclé début 2020.

Joëlle, en plus d’être auteure de BD et directrice de festival, vous avez un rôle d’actrice culturelle et de fédératrice dans la communauté des auteurs africains où les femmes sont encore rares. J. E. M. : En 2017, lors du forum international de la bande dessinée de Tétouan, j’ai par-ticipé à la création du Réseau des auteurs africains de bande dessinée, le RAADB, qui a lancé un référencement des auteurs. Cette année, à Tétouan, nous avons décidé d’élargir le réseau aux festivals BD, dont une douzaine se pérennisent sur le continent. J’ai reçu le mandat de les fédérer en même temps que mon tout premier prix en tant qu’auteure de BD et actrice culturelle. Mon but est de réunir les directeurs de festival en 2020 à Tétouan et de leur donner de la visibi-lité pour qu’ils puissent valoriser les auteurs de leur région, qu’ils se connaissent mieux et évitent de faire des festivals aux mêmes dates en invitant les mêmes auteurs. Les

festivals ne doivent plus être essentiellement des lieux de rendez-vous pour les auteurs qui cherchent à être édités. Ils pourraient or-ganiser plus d’actions de médiation et de formation pour aider les auteurs à faire connaître leurs œuvres. J’aime la BD, j’en lis beau-coup et l’une des raisons pour lesquelles je suis devenue auteure, c’est que tous les auteurs auxquels j’avais accès, ceux que j’aimais dans les années 1990, étaient des hommes blancs. Je voulais exis-ter aussi. Il faut qu’on y trouve notre place, nous, les femmes afri-caines ! Depuis 2013, mon parcours a suscité des vocations, c’est une forme d’accomplissement.

1. Entretien réalisé en juillet 2019.2. Plus connue sous le pseudonyme d’Elyon’s, Joëlle Épée Mandengue est aussi une auteure de bande dessinée, notamment de la série La Vie d’Ébène Duta.

« GrandAngoulême a également proposé

d’accueillir un acteur culturel africain afin qu’il

puisse confronter ses pratiques, dans une

logique de transmission de compétences »

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Le Poitiers Film Festival, un carrefour de la création émergente internationale

Élodie Ferrer1 / Propos recueillis par Olivier Daunizeau

Quel est le principe des ateliers Jump In ?Ce sont des ateliers que nous avons créés il y a quatre ans à partir d’un constat : au Poitiers Film Festival, il y a une sélection inter-nationale de nombreux films d’école et donc potentiellement de nouveaux cinéastes prêts à se lancer sur le marché. Ces jeunes réalisateurs ont une connaissance technique et artistique, mais pas encore une vision globale du marché. Ils viennent à Poitiers montrer leurs films d’études, parler avec le public, mais jusqu’en 2016, il n’y avait pas d’endroit spécifique où échanger avec des pro-fessionnels, qui en toute bienveillance auraient pu leur expliquer comment le marché internatio-nal fonctionne.Les trois premières années, nous avons donc choisi des projets pro-metteurs d’auteurs qui venaient en même temps que la sélection de leur film d’école, pour partici-per aux premiers ateliers Jump In. Mais l’an dernier, j’ai constaté que c’était trop à la fois : chacun venait montrer un film terminé et il lui fallait en plus se présen-ter devant des professionnels par rapport à un film qu’il n’avait pas encore fait. Connecter les deux énergies n’était pas facile.À partir de cette année, les ate-liers sont donc ouverts à des réalisateurs venus au Poitiers Film Festival il y a un an ou deux. Depuis leur départ de l’école, ils ont pu sortir du cocon protecteur et se confronter à des pre-mières expériences sur le terrain tout en mûrissant un projet de long métrage, documentaire ou fiction. Pour les ateliers 2019, les cinéastes invités sont donc venus en 2017 ou 2018. Cela nous per-met d’avoir des projets mieux réfléchis, plus aboutis, nous pou-vons construire des liens avec les réalisateurs sur un temps plus long et, à terme, cela nous permettra d’alimenter notre nouvelle section « premier long métrage ».Développer son projet seul ou accompagné ? Chercher des parte-naires étrangers ou pas, et pourquoi ? Ce sont ces questions, entre autres, qui sont abordées dans les master class et les ateliers où chaque intervenant lit chaque projet en détail.

Les écoles de cinéma ne font pas ce travail d’insertion professionnelle ?Les sections « réalisation » des écoles n’enseignent pas, en effet, le fonctionnement du marché. Bien sûr, une école ne peut pas tout proposer en matière d’insertion. Ce qu’on fait ici est complémentaire, et je crois que l’insertion professionnelle repose avant tout sur le fait que, dans chaque école, quelqu’un s’occupe d’intégrer les films de fin d’études dans les bons circuits. Ensuite, la véritable insertion vient avec le temps car, pour être à l’aise, il faut connaître vraiment beaucoup de choses sur les plans juridique

et commercial, notamment.

D’où viennent les participants ?Nous sommes l’un des seuls fes-tivals, en France, à montrer des films d’école non européens, ce qui fait que les professionnels viennent voir des films qu’ils ne pourront pas voir ailleurs. Pour sa sélection internationale, le PFF reçoit 1 600 films d’école et en programme une cinquantaine issus d’une trentaine de pays dif-férents. Les films reçus viennent majoritairement d’Europe, cer-tains viennent d’Amérique latine et d’Asie, mais assez peu d’Afrique.Sur 8 à 10 participants pour les ateliers Jump In, on retrouve

toutes ces origines, et cette diversité-là est importante puisqu’en cinq jours, les lauréats ont le temps de se rencontrer vraiment et d’échanger notamment sur la manière dont ils ont été formés au cinéma.

Comment est né le partenariat avec le Ouaga Film Lab2 ?Nous avons donc décidé d’élargir le cadre initial de Jump In en ini-tiant deux partenariats : l’un avec le dispositif La Résidence de La Fémis et l’autre avec le Ouaga Film Lab. J’étais dans une démarche de recherche de jeunes auteurs-réalisateurs, notamment Africains, sortis récemment de formations – au sens large, parce que je trou-vais que je n’avais pas assez de propositions venant des écoles.Comme ALCA avait envie de créer un prix au Ouaga Film Lab, nous

L e Poitiers Film Festival, dont l’origine remonte à 1977, est un festival consacré aux films d’écoles et à la jeune création internationale. On y fête l’accomplissement des apprentissages et les promesses des premières œuvres. Grâce aux ateliers

Jump In, le PFF s’est renforcé dans son rôle d’accompagnateur du début de la carrière de jeunes cinéastes des cinq continents.

FAVORISER LES ÉCHANGES INTERCULTURELS

Poitiers Film Festival - Visuel 2019

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avons trouvé cohérent d’offrir à des lauréats du Lab une sorte de continuité : Jump In est encore davantage axé sur le développe-ment international.Et comme le Ouaga Film Lab porte avec une énergie très forte des projets qui viennent de toute l’Afrique subsaharienne, c’est aussi une chance, pour nous, d’accueillir des projets déjà consolidés de jeunes Africains connectés à un parcours de formation.

Comment articulez-vous la francophonie, qui a une dimension internationale, avec l’échelle régionale ?Nous recevons encore assez peu de films de pays francophones non européens, que ce soit sur l’Afrique francophone, le Liban ou le Maghreb. C’est donc essentiel que nous puissions coopérer avec la Région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de sa politique à l’endroit de la francophonie. Par ailleurs, les ateliers Jump In ont permis au Poitiers Film Festival de trouver un lien avec les professionnels de la région, et notamment les producteurs. Comme il y a une volonté politique, de la part du Conseil régional, de dynamiser la filière du cinéma et de l’audiovisuel et comme de plus en plus de producteurs du territoire travaillent à l’international, le Poitiers Film Festival est un lieu de potentiel développement du secteur, au bénéfice de tous. Il y a cinq ans, aucun producteur en Poitou-Charentes ne développait de long métrage documentaire ou fiction à l’international. Aujourd’hui, on peut mesurer le chemin parcouru en regardant chaque année le bilan des producteurs de la Nouvelle-Aquitaine.Nous nous situons donc au carrefour de plusieurs volontés, en invitant de jeunes professionnels des régions francophones faible-ment représentées sur le marché international, en même temps que des professionnels de notre région qui dynamisent le territoire et portent le nom de la Nouvelle-Aquitaine à l’étranger.Cette année, nous aimerions que sur les dix réalisateurs invités au Jump In, cinq soient francophones. Cela nous permettrait de proposer des interventions plus ciblées pour certains domaines, car il y a des spécificités à la francophonie.

Avez-vous des nouvelles des projets qui sont passés par Jump In ?Oui, bien sûr. Je pense au projet français de Lawrence Valin, qui était là au Jump In 2017. Il est venu aux ateliers avec un projet de premier long métrage et à la suite de ce travail, il a décroché de nombreux soutiens, a réalisé un moyen métrage et obtenu l’aide du CNC pour son projet de long qui est actuellement en développe-ment chez un producteur.

Je pense aussi à Clara Stern, une Autrichienne qui a aujourd’hui tourné son film. Finalement, beaucoup de personnes ont avancé depuis quatre ans et des connexions entre auteurs se sont faites : par exemple, deux réalisatrices – une Belge et une Israélienne – qui se sont rencontrées à Jump In ont décidé d’écrire ensemble. Le fait d’être en petit groupe pendant une semaine crée, pour le meilleur, le début d’une communauté d’entraide, ce qui est essentiel dans ce secteur où les traversées sont parfois longues et solitaires.

Des envies, en toute subjectivité, pour cette nouvelle édition ?Oui, forcément ! En l’occurrence, j’ai écrit ce matin à Michal Blasko, un réalisateur slovaque venu au Poitiers Film Festival en 2017 et à qui nous avions proposé de venir en 2018. Il ne pouvait pas car il travaillait sur un tournage. Son travail est remarquable et j’aimerais beaucoup qu’il puisse venir cette année.Autre chose : l’année dernière, dans le cadre du focus francophone, nous avions fait venir Pascale Abu-Jamra, qui est Libanaise et porte un projet très beau et très fort sur la guerre du Liban. J’aimerais qu’elle puisse revenir à Poitiers dans le cadre des résidences de la Villa Bloch3.Cela me permet de conclure en disant qu’avec Jump In, le Poitiers Film Festival est déjà plus qu’un festival et que, grâce à la toute nouvelle Villa Bloch mise en place par la Ville de Poitiers, notre accompagnement peut trouver d’autres prolongements encore.

1. Élodie Ferrer est déléguée aux programmes professionnels du Poitiers Film Festival.2. Ouaga Film Lab est un laboratoire de développement et de coproduction de projets cinématographiques au Burkina Faso qui favorise des rencontres entre experts et jeunes talents du continent africain et la mise en réseau de talents d'Afrique avec des réseaux professionnels du reste du monde.3. La Ville de Poitiers a inauguré en 2019 la Villa Bloch, nouveau lieu de résidence pour quatre artistes, dont l’un des espaces est réservé à un auteur fuyant le régime répressif de son pays d’origine.

poitiersfilmfestival.com

Le lauréat 2019 du prix ALCA Nouvelle-Aquitaine au Ouaga Film Lab est l’artiste Joseph Moura, de Kinshasa (RDC), pour son projet de premier film, un long métrage documentaire intitulé Résilience. Il se rendra au Poitiers Film Festival en décembre 2019 et sera accompagné par son producteur Emmanuel Lupia (Tosala Films – Kinshasa).À lire également : « À Ouagadougou : cinéma de demain, francophonie et panafricanisme » sur prologue-alca.fr

Jump In, Poitiers Film Festival 2018 - Photos : Raphaï BernusMasterclass Emmanuelle Bercot, Jump In 2016 - Photo : Raphaï Bernus

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FAVO R I S E R L E S É C H A N G E S I N T E R C U LT U R E L S 29

« C’est comme des poupées russes », petit à petit et au fil des ren-contres, que Safiatou Faure a tissé des liens solides autour d’elle et de son agence de médiation culturelle.

Quand elle s’installe à Saint-Médard-en-Jalles, en 1995, ses en-fants sont souvent les seuls noirs dans leur classe. « Bien qu’on se trouve à quinze minutes de Bordeaux, il y avait très peu de per-sonnes originaires d’Afrique. Ça peut être une difficulté quand on est en infériorité dans un endroit. Nous n’étions pas dans un ghetto comme on peut les imaginer. Nous, on est arrivés dans un ghetto agréable, un ghetto blanc, où nous avions besoin d’ou-verture sur l’autre, pour que ce ne soient pas toujours les mêmes personnes concen-trées dans les mêmes lieux. »

À peine arrivée, elle choisit d’accompagner ses enfants dans leur parcours scolaire. Elle se lance dans un porte-à-porte pour organiser, avec ses voisins, un carnaval sur le thème du soleil et elle confectionne des beignets de banane pour les fêtes de l’école. Au collège, elle propose des ateliers sur le théâtre contemporain africain, la danse africaine, les percussions… Le but : promouvoir la culture, créer la rencontre, combattre la peur de l’autre, celui qu’on ne connaît pas. Et Safiatou Faure de se décou-vrir médiatrice culturelle avant même de se former, à l’IUT Bordeaux Montaigne.

Elle dresse d’abord un constat : au début des années 2000, les écrivains africains étudiés à l’école et, plus généralement, disponibles dans les bibliothèques, sont des écrivains morts. « C’est important de recevoir des gens qui résident sur le continent, car ce sont eux qui présentent le mieux ce qu’ils vivent tous les jours. » Comment, alors, faire connaître ces auteurs, et quel canal pour qu’ils rencontrent les lecteurs en France ? Un des premiers matériaux des écoles étant le livre, elle décide de s’adresser d’abord à l’Éducation nationale pour donner vie à sa Biennale des littératures francophones d’Afrique noire. Et, comme pour le carnaval, le porte-à-porte fonctionne : « L’inspection académique, le rectorat, la Drac, la municipalité, le Département, la Région… Tous ont dit oui immédiatement ! Je me suis retrouvée dans un mouvement que j’essayais de maîtriser. » C’est ainsi que les ponts s’installent.

Après presque vingt ans de travail, l’agence de médiation saint-médardaise organise sa Biennale avec plusieurs communes et en deux grands volets. Résidence d’écriture, au cours de laquelle un auteur travaille avec les élèves, expositions et diffusions de films adaptés d’œuvres littéraires constituent le volet Éducation natio-nale. Pour la huitième édition française à venir, c’est La Miséricorde de la jungle de Joël Karekezi, film primé au Festival panafricain du

cinéma à Ouagadougou (Fespaco), qui sera projeté aux Colonnes de Blanquefort.

Le volet grand public est constitué de dî-ners littéraires (mais il y a aussi des petits-déjeuners, des apéros et des déjeuners, littéraires, évidemment) organisés, entre autres, avec les brasseries de la ville. « Il s’agit d’un moment de convivialité où M. et Mme Tout le monde sont invités à décou-vrir un auteur. On lit des extraits de textes, on échange, on met un peu de musique. » Conférences, tables rondes, salon du livre et journée professionnelle pour les biblio-thécaires viennent compléter ce volet.

Depuis 2014, tout ne se déroule plus exclu-sivement en Gironde. « On n’a pas trouvé de terrain d’entente pour organiser la Biennale à ce moment-là, alors je me suis dit qu’il fallait aller au Burkina-Faso où on avait déjà initié une bibliothèque virtuelle. On a fait trois éditions à Bobo-Dioulasso sur le même schéma qu’ici. Si c’est né d’une contrainte, maintenant on va alterner. »

Nouveau lieu, nouveaux ponts : le Fespaco, mais aussi l’association Le Goût du livre – petite sœur de l’agence de médiation au Burkina-Faso – ou encore l’Institut français de Bobo-Dioulasso.

« C’est une vraie collaboration depuis 2014. L’Institut français nous met à disposition le personnel et les locaux. On a réactivé la bibliothèque virtuelle qu’on pensait morte. »C’est un lien durable entre la France et les pays du Sahel que cette bibliothèque virtuelle des littératures francophones d’Afrique noire entend incarner : les élèves peuvent y échanger des conte-nus entre eux ou avec des auteurs et devraient pouvoir y trouver des textes originaux issus des Biennales. Il s’agit d’abattre les frontières géographiques et temporelles pour que ces enfants,

Safiatou Faure / Par Claire Géhin

D epuis 2002, Safiatou Faure organise la Biennale des littératures francophones d’Afrique noire. Véritable femme-pont entre les pays du Sahel et sa région d’adoption, la Nouvelle-Aquitaine, la Burkinabé de naissance se joue des difficultés avec une

détermination paisible, mais sans faille, pour lutter contre les ignorances.

La femme-pont

Safiatou Faure

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d’Europe et d’Afrique, qui ont leur langue en partage, puissent se parler. Mais la phase pilote est terminée et, faute de moyens, la bibliothèque est endormie.

En 2018, une nouvelle résidence d’écriture numérique, Correspond@nce, portée par l’Institut français de Bobo-Dioulasso dans le cadre de Culturetech, a permis de ramener la bibliothèque virtuelle à la vie pour quelques mois. À raison de 100 enfants par classe dans cette école du Burkina-Faso, ce sont 200 enfants qui ont bénéficié de la résidence, animée par l’auteur de bandes dessinées ivoirien Benjamin Kouadio : « Les élèves ont compris que la médiathèque de l’Institut français de Bobo-Dioulasso n’était pas réservée à des enfants d’une certaine classe, ni aux Occidentaux. » Un pont au sein même de la ville, quand on sait que ces enfants marchent 5 kilomètres pour arriver à l’Institut français. Si actuellement la bibliothèque virtuelle végète, le concept existe et attend d’être développé. Et si ça ne prend pas, d’autres ponts seront imaginés, construits, solidifiés.

Safiatou Faure, micro-entrepreneure, porte son agence secondée par une comptable. Autour d’elles, une quin-zaine de bénévoles permanents – jusqu’à 70 lors des festivités. « J’ai coutume de dire que même les ensei-gnants sont bénévoles, parce qu’ils font un travail énorme », rappelle-t-elle en évoquant la préparation des rencontres avec les auteurs.

Ce sont non moins de 2 000 enfants qui ont été attirés à la Biennale de Bobo-Dioulasso et 3 000 lors de la dernière édition à Saint-Médard-en-Jalles, en 2014. « Pour les enseignants, c’est important de pouvoir proposer une francophonie diverse. L’ignorance autour de la francophonie en France est énorme. Les Québécois, les Belges et les pays de l’Afrique noire francophone sont très investis dans l’organisation internationale de la francophonie. Ici, quand je demande aux enfants : est-ce que vous savez ce que c’est que la francophonie ? Rien ! Est-ce que vous savez que certains Africains parlent votre langue maternelle ? Certains disent : Ah bon ? En 2020, 70 % des personnes qui parleront français seront en Afrique noire. On ne parle pas le français de la même manière au Burkina-Faso qu’à Saint-Médard-en-Jalles, ni en Côte d’Ivoire, pays voisin, ni en République du Congo. C’est cette forme d’ignorance aussi qu’on cherche à combattre. » Au-delà du partage de la langue, c’est une fenêtre sur l’autre que permet la promotion des littératures francophones : « On veut changer la vision des élèves des petits Africains avec des ventres gonflés, alors que la langue française vit grâce aux créations de tous les pays francophones. C’est ça, la richesse de la francophonie. »

Juriste de formation, la désormais directrice d’une agence de médiation culturelle aime se présenter comme « mère au foyer », pour rester accessible, pour ne pas effrayer par trop de

qualifications. On est frappé par ses mots simples – leur fermeté, leur évidence et leur tranquillité – pour décrire tout ce qu’elle a initié : « Lorsqu’on travaille avec des universitaires, on les prévient : il faut que tout le monde comprenne ce que vous dites, ce n’est pas un colloque. »

Safiatou Faure a été nommée Chevalier de l’ordre des Palmes aca-démiques en 2013, et elle est devenue Chevalier de l’Ordre National du Burkina Faso en 2018. Quand on évoque ces décorations, elle dit : « C’est l’Éducation nationale, le chemin. Et quand l’Éducation nationale te donne une médaille, tu sais que tu as atteint un ob-jectif. » Mais si elle accepte les victoires, Safiatou Faure regarde aussi les difficultés en face : « Ça veut dire que le pont fonctionne, mais ça n’est pas un aboutissement. L’énergie et le moteur ne suf-fisent pas : il faut qu’on nous aide à marcher sur les ponts. »

PROCHAINE BIENNALE DU 6 AU 9 NOVEMBRE 2019, À SAINT-MÉDARD-EN-JALLES,

AU TAILLAN-MÉDOC, À BLANQUEFORT ET À BORDEAUX

n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

Rencontre entre auteurs et lycéens, journée professionnelle, biennale de Bobo Dioulasso - Photo : Safiatou Faure

Enfants de l’école Diarradougou «C», Bobo Dioulasso. Projet Correspond@nce, biennale Bobo Dioulasso - Photo : Safiatou Faure

« […] la langue française vit grâce aux créations de tous les pays francophones. C’est ça, la richesse de la francophonie. »

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De quelle manière le festival est-il partenaire dans le développement des échanges culturels entre le Québec et la Nouvelle-Aquitaine ?Nous organisons pour la première fois cette année des journées professionnelles en vue de favoriser la coproduction entre la Région Nou-velle-Aquitaine et la Province de Québec. À la suite d’échanges avec des structures québé-coises, nous leur avons proposé de monter des résidences d’écriture croisées, au cours des-quelles un réalisateur ou scénariste français partirait deux mois au Québec et un Québécois viendrait en France. Pour l’édition suivante, en 2020, nous prévoyons une tournée de films québécois présentés par leurs réalisateurs à Biscarrosse, Bordeaux et d’autres villes de la région. L’idéal serait de pro-grammer également une tournée de réalisateurs néo-aquitains au Québec, dans un contexte où le cinéma français ne se porte pas bien outre-Atlantique avec des entrées et un nombre de films dif-fusés en baisse.

Dans quelle mesure cette édition 2019 s’inscrit-elle dans le cadre de l’année internationale des langues autochtones promues par l’UNESCO ?Le festival répond en effet à l’actualité de cette année internatio-nale des langues autochtones de l’Unesco, en ouvrant une nou-velle section, un focus, sur les peuples autochtones québécois. Pour ce faire, nous avons monté un partenariat avec Wapikoni mo-bile, association d’éducation et d’émancipation en solidarité avec ces peuples. Deux ou trois personnes de l’association se déplacent en bus équipé sur plusieurs jours, de communauté en communau-té. Ils apprennent ainsi aux jeunes à faire des courts métrages. Nous proposons de projeter à Biscarrosse toute une série de courts métrages réalisés dans ce cadre. Sera également projeté un documentaire d’Alanis Obomsawin, grande réalisatrice québécoise d’origine abénaquise, qui a fait plusieurs films avec l’Organisme national du film sur la culture et l’histoire des Autochtones. Elle est aujourd’hui, à 86 ans, l’ambas-sadrice de l’Unesco pour les langues autochtones à Québec. Enfin, une exposition photo sera aussi consacrée aux peuples autoch-tones, en collaboration avec la Délégation générale du Québec à Paris qui a déjà produit une exposition à la Maison du Québec à Saint-Malo.

Les films présentés issus de cette thématique seront-ils en langues originales et sous-titrés en français, québécois ou européen ?Les films autochtones sont pour 95 % d’entre eux en langue autochtone. Certains seront en bi-lingue voire en trilingue, le sous-titrage en fran-çais européen. Nous diffuserons peut-être Ceux qui viendront, l’entendront, de Simon Plouffe, un documentaire, dans la verve des films ethno-graphiques de Jean Rouch, sur le renouveau des langues autochtones.

Quelles sont les actions portées par le festival en matière d’éducation aux images ? À quelle volonté ces actions obéissent-elles ?Toutes nos actions en matière d’éducation culturelle visent l’inclusion et l’émancipation.

Nous travaillons avec plusieurs organismes pour faire venir des publics éloignés de la culture : des personnes présentant des han-dicaps physiques ou mentaux, des retraités, des sans-abri, les exclus du système scolaire. Nous intervenons aussi évidemment auprès des lycées et des collèges dont les élèves rencontrent des réalisateurs lors du festival. Nous créons cette année une nouvelle activité avec un concours ouvert aux étudiants en journalisme offrant aux auteurs des meil-leurs critiques des films du festival un voyage au Festival de ciné-ma de la Ville de Québec. Nous mettons aussi en place un atelier destiné aux lycéens et collégiens autour de la critique de cinéma, toujours sur la programmation de notre festival.

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Bertrand Fajnzilberg / Propos recueillis par Nicolas Rinaldi

P our sa quatrième édition, qui s’est tenue du 15 au 20 octobre 2019, le Festival de cinéma québécois de Biscarrosse a mis à l’honneur des œuvres portant sur les peuples autochtones. Quelques semaines avant l’ouverture de la manifestation,

son directeur Bertrand Fajnzilberg est revenu sur l’importance des langues dans ce cinéma et le développement des échanges culturels entre le Québec et la Nouvelle-Aquitaine.

Le Festival de cinéma québécois de Biscarrosse, au cœur de l’année des langues autochtones

La région Nouvelle-Aquitaine sera à l’honneur lors de l’édition 2019 du festival Cinemania, festival de films francophones sous-titrés en anglais qui se déroule du 7 au 17 novembre, à Montréal.Au programme, des projections de films soutenus par la Région et des rencontres professionnelles.

www.festivalcinemania.com

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La création du festival Film francophone d’Angoulême vient du constat d’un manque.Marie-France Brière : La francophonie me touche particulièrement parce que je ne suis pas francophone de naissance. J’ai appris le français à l’Alliance française de Buenos Aires, la langue en même temps que la culture. En Amérique du Sud, une certaine société parlait français mais c’est fini, l’anglais a pris le dessus. C’est dommage. Quand j’ai quitté les chaînes de télévision et arrêté d’être une « esclave de luxe », je me suis dit que j’allais être « cocotte », c’est-à-dire me faire plaisir avec des choses qui venaient de moi. Ma première série en tant que réalisatrice a été justement pour TV5 Monde sur l’histoire des alliances françaises dans le monde. Pendant un tournage au Québec, j’ai entendu parler d’un festival de films francophones, à Gatineau. C’était un exploitant de cinéma qui avait eu cette idée, il projetait des films belges, suisses, libanais etc. Je pensais alors, comme beaucoup, que la francophonie, c’était la France. Et la France n’avait jamais rien fait pour démentir ! Cela a été un déclic pour moi car aucun festival de cinéma francophone n’existait en France. Je venais de la télévision, je ne connaissais rien au cinéma, j’avais juste mon nez pour moi. Je voulais faire quelque chose mais uniquement avec Dominique Besnehard qui était à cette époque agent chez ArtMedia.

Dominique Besnehard : Je rêvais de m’occuper d’un festival mais j’étais persuadé que tout existait déjà. Quand Marie-France Brière m’a appelé, j’ai été abasourdi d’apprendre qu’il n’y avait aucun fes-tival du cinéma francophone en France. C’est très français, ça ! Il y en a un à Namur, en Allemagne, au Québec… mais pas en France ! C’est facile de dire cocorico sur la francophonie mais il faut que les gens fassent leur travail. Nous, on le fait en présentant des films. On a été très surpris par exemple avec Marie-France en allant au Liban. Ce pays a une étiquette francophone mais dès que l’on sort des quartiers chics, on ne voit que des gens qui parlent anglais et arabe. La francophonie n’est pas seulement un mot ou des grands

discours, il faut des actes, elle doit être secouée. Ce ne sont pas uniquement la Belgique, le Québec et la France. Cette année, le pays invité est le Luxembourg et on doit expliquer qu’il n’y a pas que des banques dans ce pays, que l’on y parle aussi français.

Quelle idée avez-vous de la francophonie ?D.B. : Elle a beaucoup d’expressions. On projette des films où l’on parle parfois plus arabe que français mais nous voulons considérer que c’est de la francophonie plurielle. On sait très bien que c’est compliqué pour le cinéma africain sans des aides à la production françaises. Mais aujourd’hui, la France fait des économies dans ce secteur. Hors Sénégal ou Côte d’Ivoire, il y a moins de films afri-cains qui viennent notamment du Cameroun, du Mali ou du Bur-kina alors que l’on y parle français. M.F.B. : La langue française doit être un minimum présente dans les films choisis pour le festival mais elle peut être mêlée à d’autres.

Pourquoi Angoulême ?M.-F. B. : C’est un choix commun. J’y avais fait un dessin animé il y a très longtemps, je savais que c’était une ville de l’image. J’avais une maison ici également.

Dominique Besnehard et Marie-France Brière / Propos recueillis par Christophe Dabitch1

S eul rendez-vous en France consacré aux cinémas francophones, le Festival d’Angoulême a été créé voilà douze ans par deux personnalités du cinéma et de la télévision, l’acteur, agent et producteur Dominique Besnehard et la directrice de

programmes, productrice et réalisatrice Marie-France Brière. Chaque année, fin août, Angoulême accueille des films francophones du monde entier dans un esprit qui se veut « populaire et subtil ».

Pour toutes les francophonies

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Valois de diamant à Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, 2019 - Photo : Cloé Harent

« On veut faire découvrir des films pour que d’autres pays les voient »

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D.B. : J’étais en pleine période de soutien à la campagne électorale de Ségolène Royal. Quand je lui en ai parlé, elle a été séduite par l’idée, elle avait envie de réveiller la belle endormie Angoulême à une autre saison que le festival de bande dessinée. Elle nous a per-mis d’avoir un soutien financier public pour nous lancer. Mainte-nant, notre financement vient à 60 % du privé.

Quels sont vos critères de sélection des films ?M.-F. B. : C’est le goût et la connaissance du cinéma de Dominique. Nous nous complétons. Je suis plutôt coup de poing, intuitive, ca-pable de faire un conducteur comme dans un média et lui, c’est un producteur de cinéma, avec une autre expérience.

D.B. : On ne regarde pas les films ensemble pour ne pas s’influen-cer mais on est souvent d’accord. Il s’agit d’un festival populaire mais avec un certain niveau d’élégance qui repose sur des choix artistiques pointus, avec un point de vue de cinéma. Notre jury est lettré. Il change chaque année avec plutôt une présidente, une actrice populaire qui a une filmographie. Après Nathalie Baye, San-drine Bonnaire, Karin Viard ou Sabine Azéma, c’est Jacqueline Bis-set qui est présidente 2019. On a un public très large à Angoulême. Les avant-premières sont des films populaires, il y a aussi des films historiques, des films pour les enfants et nous proposons des focus sur des pays, des réalisateurs et des maisons de production. Cette année, c’est donc le Luxembourg, le réalisateur marocain Nabil Ayouche, le cinéaste Michel Deville et la société de produc-tion « Haut et court ». Nous avons aussi des séances en plein air et les ciné-concerts dont Marie-France s’occupe.M.-F. B. : Valérie Donzelli présente son film Notre-Dame, une co-médie musicale tournée avant l’incendie. Elle vient à Angoulême chanter et en reprendre les ballets. Je suis également très heu-reuse d’une première mondiale, un film réalisé à partir d’images tournées par Charles Aznavour lui-même. Il filmait tout ce qu’il voyait depuis le mariage de Piaf avec Jacques Pills… En 16 mm

d’abord, puis avec des petites caméras. Après sa mort, sa famille a décidé de faire un film avec toutes ses archives. Ils ont retrouvé les petits carnets où il commentait ses images et ses voyages. Il y a sa voix et celle de Romain Duris qui lit ses textes. Cela raconte sa vie, c’est très émouvant. Le ciné-concert se fait avec ses trois musiciens et le public chante les chansons d’Aznavour.

Quel rôle joue le FFA pour les films que vous montrez ?D.B. : Beaucoup de films sortent chaque semaine, ils ont de plus en plus de mal à trouver des distributeurs qui, certaines années, sont proches du dépôt de bilan. C’est un fait, les distributeurs sont de plus en plus craintifs. Heureusement, il y a toujours un film qui les sauve. La programmation au festival d’Angoulême a été déterminante pour certains, comme pour L’Amour flou de Romane Bohringer et Philippe Rebbot dont le distributeur Rezo Films dit qu’il lui a permis de rebondir. On peut voir ici des films qui seront peu montrés durant l’année dans la région ou ailleurs en France. Il y a des imaginaires et des talents que l’on ignore de cette façon. Pour d’autres, le festival est déterminant. Much loved de Nabil Ayouch ou Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin ont été remarqués à Cannes mais c’est à Angoulême qu’ils ont éclaté. On veut faire découvrir des films pour que d’autres pays les voient. Des distri-buteurs québécois viennent maintenant à Angoulême faire leur marché.

Vous avez réhabilité le cinéma historique d’Angoulême L’Éperon, est-ce que c’est un symbole ?D.B. : C’est vraiment l’opiniâtreté de Marie-France. Pour la dixième du festival, beaucoup de gens n’avaient pas pu rentrer dans les salles faute de places. Cela m’a vraiment énervé, j’ai menacé d’ar-rêter. J’ai visité L’Éperon, une salle immense, et on a décidé de le rénover. La mairie et des sponsors nous ont aidés mais cela nous a coûté 50 000 euros. Il était fermé depuis une vingtaine d’années. On y fait 4 séances par jour. Cette salle est devenue un symbole car tout le monde à Angoulême a un souvenir de L’Éperon. Le Dé-partement de la Charente s’engage maintenant pour ce cinéma, il sera encore éphémère cette année pour le festival mais il devrait ensuite rouvrir toute l’année.

1. Propos recueillis avant l’édition 2019 du festival.

Dominique Besnehard et Marie-France Brière lors du FFA 2017 - Photo : Christophe Brachet

Le palmarès 2019

� Valois de diamant à Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec (Luxembourg, France, Suisse)� Valois du public à Papicha de Mounia Meddour (France, Algérie, Belgique, Qatar)� Valois des étudiants francophones à Adam de Maryam Touzani (France, Maroc, Belgique)� Valois de la musique de film à Alexis Rault pour Les Hirondelles de Kaboul (Luxembourg, France, Suisse)

� Valois du scénario à Mounia Meddour pour Papicha (France, Algérie, Belgique, Qatar)� Valois de l’actrice à Lyna Khoudri pour Papicha (France, Algérie, Belgique, Qatar) et Nina Meurisse pour Camille (France, République Centrafricaine)� Valois de l’acteur à Anthony Bajon pour Au nom de la terre (France)� Valois de la mise en scène à Hafsia Herzi pour Tu mérites un amour (France)� Valois René-Laloux du meilleur court métrage à Selfies de Claudius Gentinetta (Suisse)

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Quel bilan tirez-vous de cette édition 2019 du FIDADOC, qui s’est déroulée du 18 au 22 juin dernier ?Le festival continue de grandir et de s’imposer comme une place majeure pour voir et produire des documentaires au Maghreb et à l’international. La grande satisfaction cette année, c’est d’avoir trois films en compétition écrits par de jeunes auteurs algériens, marocains et nigérians qui étaient passés par notre programme de formation et d’accom-pagnement. C’est l’un d’eux qui a gagné le grand prix [Nadir Bouhmouch pour Amussu, ndlr] alors qu’il s’agit d’une compétition internationale avec des films de tous horizons et un jury de haut niveau. On considère l’avancée très posi-tive, rapportée aux moyens disponibles. Malheureusement, le festival manque encore selon moi d’une certaine recon-naissance des partenaires publics et pri-vés marocains. Le FIDADOC souffre de ce qu’on appelle au Maroc le « syndrome du mariage ». Les partenaires locaux voient cela comme une fête sans trop prendre au sérieux le travail de média-tion culturelle et le lieu d’échange et de rencontres professionnelles qu’il repré-sente. Le festival permet de planter des graines qui pousseront plus tard, c’est un investissement et nous devons le faire comprendre aux personnes qui nous accompagnent, que ce soit les collectivités ou la Ville d’Agadir.

Vous disposez également de partenaires extérieurs. Comment s’organise la coopération avec d’autres partenaires à l’échelle régionale et internationale ? Heureusement, la production de films documentaires et les festi-vals s’y rattachant sont en pleine expansion. Il y a dans ce secteur une formidable solidarité internationale. Lorsque je commence la préparation d’un festival, je peux compter sur l’aide des grands festivals internationaux qui vont voir avec leur centre national du cinéma s’il est possible de faire venir des experts, prendre en charge une partie des déplacements, etc. Les réseaux de coopéra-tion se créent aussi par les rencontres. Par exemple, les échanges avec la Région Nouvelle-Aquitaine ont débuté après avoir discuté

avec des producteurs aquitains lors du programme Africadoc au Sénégal. Comme nos deux régions sont liées, et que la Nouvelle-Aquitaine veut créer des projets d’échanges interculturels, il y avait quelque chose à faire. Le défi était de construire un partena-riat durable à travers ce festival.

Quels sont les leviers déjà activés pour concrétiser cette coopération entre les Régions Souss-Massa et Nouvelle-Aquitaine et comment la faire grandir dans le futur ? Nous avons d’abord organisé en janvier 2014 les journées FidAC dans le cadre du Festival International des Programmes Audiovisuels (Fipa, devenu depuis Fipa-doc) de Biarritz. L’idée était, à l’initiative du FIDADOC et d’ALCA, de permettre à des auteurs et producteurs de six films documentaires – dont trois passés par notre programme d’accompagnement, La Ruche documentaire – de présenter leur projet devant un comité de profes-sionnels invités par ALCA. Des profes-seurs de l’université de Bordeaux sont également venus donner des cours à la faculté de Ouarzazate. Malheureuse-ment, la relation s’est distendue à partir

de 2015 à cause du redécoupage des régions aussi bien en France qu’au Maroc1 et avec les élections. Tout a été bloqué. Lorsque les personnes en poste à un endroit changent, les budgets également. Ce n’est pas toujours évident de maintenir le lien. Mais le potentiel de coopération est naturel entre nos régions, il faut juste relancer la machine. Dans le futur, il y a deux portes d’entrée évidentes, des lieux précis pour bonifier cette coopération : le FIPADOC, en recréant les jour-nées FidAC pour mettre en valeur des projets lancés dans le cadre de notre festival au Maroc et un technoparc en cours de construc-tion à Agadir, un lieu d’accueil pour les start-up et les entreprises innovantes. Je me suis positionné pour avoir un rôle à jouer dans cette structure et sur son exploitation dans le cadre d’un évé-nement comme le FIDADOC. Dès lors qu’il y a un lieu, un espace culturel où il est possible d’avoir des activités régulières, c’est plus facile de monter des projets d’échanges et de partenariats,

D élégué général du FIDADOC depuis 2012, Hicham Falah explique comment créer une coopération efficace entre les régions Souss-Massa et Nouvelle-Aquitaine pour faire grandir le festival du documentaire marocain et mobiliser davantage les

partenaires locaux.

Hicham Falah / Propos recueillis par Pierre Laurent-Lemur

FIDADOC/Nouvelle-Aquitaine : construire un partenariat durable

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FAVO R I S E R L E S É C H A N G E S I N T E R C U LT U R E L S 35

avec des collectivités ou des institutions européennes notamment. Nous sommes en train de relancer la machine. Par exemple, nous allons travailler avec le Poitiers Film Festival pour leur édition 20192.

Dans quel cadre va s’effectuer cette collaboration ? Le Poitiers Film Festival dispose du programme Jump In qui se rapproche de ce que nous faisons au Fida-doc avec La Ruche documentaire, c’est-à-dire un pro-gramme de soutien aux jeunes auteurs-réalisateurs sortis récemment d’une école de cinéma et qui déve-loppent leur premier long métrage. Nous allons leur présenter un projet venant de notre Ruche documen-taire. L’idée est de permettre à un jeune documenta-riste de rencontrer des professionnels différents et de s’aguerrir dans la réalisation de son projet en profi-tant de la dynamique des deux festivals. Notre rési-dence d’écriture se déroule en novembre et le festival poitevin débute en décembre. Il faut trouver le projet et la personne capable d’enchaîner les deux, mais cette perspective est particulièrement stimulante pour un jeune auteur déterminé.

En quoi consiste exactement le programme d’accompagnement de La Ruche documentaire ? C’est un programme que l’on a créé en 2012, seulement quatre ans après la création du FIDADOC, pour accom-pagner de jeunes documentaristes marocains et afri-cains dans la réalisation de leur projet. Il y a plusieurs étapes. En juin, pendant le festival, une soixantaine d’étudiants venus des principales universités du pays proposant des formations en cinéma, assistent à des master class, réalisent des études de cas et voient des documentaires. On accueille aussi une quinzaine de jeunes qui ont un projet de documentaire à développer. Ils viennent le « pitcher » en public devant un panel de professionnels ayant déjà écrit et réa-lisé des films. Après étude des projets, on en sélectionne six qui vont participer à une résidence d’écriture au mois de novembre afin de peaufiner ce qu’ils ont à raconter et les lancer dans une dynamique professionnalisante.

Une fois les documentaires écrits et produits, quels réseaux de distribu-tion avez-vous réussi à mettre en place au Maghreb et en France pour faire connaître ces films ? Au niveau national, on a la chance in-croyable d’avoir 2M, la deuxième chaîne de télévision marocaine qui a créé une case documentaire intitulée « Des histoires et des hommes » en prime time tous les di-manches soir. On a un partenariat avec eux sur plusieurs années qui a permis de lan-cer et de démocratiser le documentaire au Maroc. Depuis, le mot « documentaire », « wathai’qi » en arabe, fait de nouveau partie du vocabulaire commun. Pour le reste, nous sommes dans une région du

monde où il y a peu de salles de cinéma. Il existe un réseau princi-pal, NAAS, qui dispose de vingt-cinq salles de Casablanca jusqu’à Beyrouth dans lesquelles nous essayons de diffuser des films. Ils travaillent ensuite pour les diffuser à l’international. L’Insti-tut français, qui dispose de quatorze écrans dans tout le Maroc, nous aide également en organisant Le Mois du documentaire en

novembre au cours duquel des films sélectionnés et/ou créés au FIDADOC sont diffusés. Pour le reste, il s’agit surtout d’une question de temps et d’éner-gie. Je montre des films au festival Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient de Saint-Denis et j’aimerais travailler en collaboration avec des collèges et des lycées pour faire de l’éducation à l’image et faire connaître le genre. Montrer des documentaires à des jeunes, c’est leur donner envie d’en voir d’autres et pourquoi pas d’en faire, et c’est ça le meilleur réseau de diffusion.

1. La Région Aquitaine est devenue, avec le Limousin et le Poitou-Charentes, Nouvelle-Aquitaine en 2015 et la Région Souss-Massa-Drâa, Souss-Massa la même année.2. Cf. « Le Poitiers Film Festival, un carrefour de la création émergente internationale », p. 27-28 de ce numéro.

www.fidadoc.org

La Ruche documentaire, FIDADOC 2019 Photo : Élise Ortiou Campion

Amussu de Nadir Bouhmouch, FIDADOC 2019

Le Miracle du Petit Prince de Marjoleine Boonstra, FIDADOC 2019

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36 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

En 2007, le cadre de cette résidence de bande dessinée était de permettre à un auteur néo-aquitain de partir d’avril à mai à la Maison de la littérature de Québec et à un auteur québécois de venir de septembre à octobre à La Prévôté, à Bordeaux. Quel cheminement a mené à ce dispositif croisé ?Dominique Lemieux : En 2007, émergeaient à la Maison de la littérature3 les premiers programmes de résidence. Le choix de la bande dessinée s’est fait naturellement parce que la ville de Québec s’honorait déjà d’un des plus anciens festivals littéraires du Canada, le festival Québec BD. Il est un des partenaires privilégiés puisqu’il y a programmé tous les auteurs reçus. En consultant la liste des dessinateurs québécois qui sont partis en résidence à Bordeaux, j’ai été frappé de mesurer qu’elle concerne les auteurs qui sont depuis très populaires au Québec : Francis Desharnais – qui vient de recevoir le prix des libraires pour La Petite Russie (éd. Pow Pow) –, Michel Falardeau, Bach, Djieff… Patrick Volpilhac : En France aussi, c’était le début des résidences internationales dotées et, avant de monter celles de l’agence, je suis allé visiter la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire. En 2007, nous venions d’éditer un guide des auteurs de bande dessinée et toute la richesse des dessinateurs, scénaristes et coloristes de notre territoire s’est révélée avec notamment Nicolas Dumontheuil, Jérôme d’Aviau, Laureline Mattiussi ou Jean-Jacques Rouger – qui sont d’ailleurs ensuite partis à Québec. Mais avant cela, je suis allé rencontrer Marie Goyette à Québec, alors directrice de la bibliothèque Gabrielle-Roy, avec qui j’ai visité l’appartement de la résidence de la Maison de la littérature. Nous avons été immédiatement d’accord sur le principe d’un échange croisé d’auteurs dans le cadre des accords de coopération. À l’agence, on a alors monté la résidence de Québec pour la bande dessinée, celle du Land de Hesse, en Allemagne, pour la littérature et celle de Bologne, en Émilie-Romagne, pour la littérature jeunesse. Nous étions alors une quinzaine de structures en France à le faire dans ces conditions, avec des bourses d’écriture, un accueil, un logement et des temps publics. Si elles sont devenues des modèles, il nous faut continuer à réfléchir aux besoins et, pour ce, nous avons accueilli cet automne à la MECA, la 3e Journée d’étude nationale sur les résidences d’auteurs4.

Le dispositif s’ouvre désormais à tous les genres littéraires et le calendrier a été modifié afin que les lauréats puissent se croiser pendant leurs résidences. D. L. : C’était un souhait commun. C’est ainsi que l’auteur de théâtre néo-aquitain Jóan Tauveron a pu rencontrer l’auteur de polar québécois Richard Ste-Marie, à Québec d’abord, et ensuite à Bordeaux, à l’occasion d’une rencontre publique. Tout les sépare dans leur pratique et leur différence d’âge et pourtant ils ont beaucoup échangé sur les processus d’écriture et sur la manière dont on se fabrique une matière langue. Ces possibilités d’échanges entre les créateurs sont un changement vraiment positif dans ce programme.

La ville de Québec a reçu, en 2017, le label de l’Unesco « Ville de littérature », lié entre autres à l’apport de la Maison de la littérature dans la vitalité littéraire de la ville…D. L. : C’est une grande opportunité d’être la première ville fran-cophone à avoir obtenu ce label qui concerne un réseau de 28 villes mondiales, pour développer notamment un programme de résidences croisées, avec Cracovie par exemple. Mais c’est aussi parce que la maison de la littérature possède un studio de création

D epuis douze ans, dans le cadre de la coopération entre la Nouvelle-Aquitaine et le Québec, la résidence croisée Nouvelle-Aquitaine/Québec est portée par ALCA et l’Institut Canadien de Québec – qui administre la Maison de la littérature à

Québec. Destinée au départ aux auteurs de bande dessinée néo-aquitains et québécois, cette résidence s’est ouverte en 2014 à la littérature jeunesse et, depuis l'année 2019, elle s’est élargie à tous les domaines littéraires. À ce jour, 26 auteurs québécois et néo-aquitains ont été accompagnés des deux côtés de l’Atlantique pour travailler sur leurs projets. Et, bilan inestimable, 23 d’entre eux ont été publiés.

Dominique Lemieux1 et Patrick Volpilhac2 / Propos recueillis par Nathalie André

La résidence croisée Nouvelle-Aquitaine/Québec, douze années de rayonnement pour la francophonie

La Maison de la littérature à Québec - Photo : Renaud Philippe

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FAVO R I S E R L E S É C H A N G E S I N T E R C U LT U R E L S 37

Un éloignement salutaire

Retour de résidence Québec – Nouvelle-Aquitaine

Jóan Tauveron

Je suis parti du 1er avril au 31 mai 2019 à la Maison de la littérature de Québec où j’ai pu finaliser la rédaction de Chaisecabeau, projet d’écriture théâtrale soutenu par ALCA dans le cadre de la résidence croisée Québec – Nouvelle-Aquitaine.Anne-Marie Desmeules, adjointe à la pro-grammation de la maison de la littérature et ma référente sur place a préparé un pro-gramme tout indiqué pour mon séjour.

J’eus, peu après mon arrivée, le plaisir de rencontrer une première fois monhomologue québécois, Richard Ste-Marie, avant son départ pour Bordeaux. Je l’y ai du reste retrouvé en juin au sortir de sa résidence, lors d’une rencontre à la librairie du Contretemps à Bègles, avant son retour pour la Belle Province.J’ai par la suite pu rencontrer nombre d’artistes, notamment le dramaturge Daniel Danis. Nous avons conversé autour de

préoccupations thématiques, esthétiques et politiques propres au théâtre contemporain. Surtout, nous avons abordé la question d’une juste retranscription d’une parole d’enfant dans un texte et à la scène. Nos échanges ont de fait été opportuns, fructueux et précieux pour la poursuite de mon travail.

J’eus également en mai l’occasion d’animer un atelier d’écriture créative auprès d’un petit groupe d’habitué(e)s de la maison de la littérature, à la pratique hétérogène. Nous avons abordé ensemble les questions des déclencheurs dans l’écriture, de la recherche de nouvelles formes et des conceptions pos-sibles de l’objet textuel, comment celles-ci enfin pouvaient influencer le tissage d’une trame narrative. Les textes qui ont émergé de cet atelier ont été par la suite lus sur la scène littéraire de la Maison par leurs auteur(e)s.

À la toute fin de la résidence, Chaisecabeau a été présenté au public à l’occasion d’une mise en lecture où quatre comédien(ne)s de la ville de Québec – Lé Aubin, Rosalie Cournoyer, Jean-Michel Déry et Mélissa Merlo – m’ont prêté leurs voix.Cette expérience de résidence m’a offert un moment de prise de recul sur mon travail. Le fait d’être invité à le faire dans un ailleurs lointain quoique familier a absolument ou-vert et rafraîchi mes références tout autant que mon univers créatif. Me concernant, ni ma méthode ni mon processus n’auront été redéfinis à proprement dit (je suis en effet parti pour Québec en ayant une idée pré-cise de l’architecture de mon texte). Il est en revanche certain que mes rencontres sur place ont enrichi ma recherche et ma créa-tion. Enfin, être au contact d’une langue sin-gulière, aussi similaire à la mienne soit-elle, ainsi que l’écoute d’expressions et tournures de phrases à part ont permis de sonder en profondeur la question du langage au sein de mon texte.Sans ce dispositif de résidence, Chaisecabeau aurait en définitive été tronqué de nombreux éclairages bienvenus et privé d’un tournant tout à fait salutaire.

À découvrir : MacBeth Pro. (ou Shakespeare désenchanté), éditions du Petit Théâtre de Vallières, Clermont-Ferrand, 2016.

et accueille depuis quelque temps des micro résidences d’une ou deux semaines, de spectacles littéraires, pour laisser émerger les littératures hors le livre ; ce qui permet de sortir de la nécessité d’une publication ou d’un projet de longue haleine. La venue du néo-aquitain Jóan Tauveron en mars dernier, qui écrit justement du théâtre, nous a permis de continuer à alimenter notre réflexion sur ce champs-là. P. V. : De notre côté, si jusqu’à présent chaque agence régionale travaillait sur des projets autonomes, notre présence à la MÉCA va nous amener à envisager des collaborations, avec notamment l’OARA, l’agence régionale du spectacle vivant, puisque nous par-tageons un intérêt pour le texte. On pourra donc imaginer des passerelles avec le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA qui n’existent pas encore. C’est plutôt enthousiasmant, pour l’évolution de cette résidence notamment.

Institut Canadien du Québec : www.institutcanadien.qc.ca Maison de la littérature : www.maisondelalitterature.qc.ca

1. Nommé en janvier 2018 à la direction de la Maison de la littérature à Québec, Dominique Lemieux, ancien directeur général de la coopérative Les Libraires de 2009 à 2018, a reçu en novembre le prix du Développement culturel du Conseil de la Culture

(prix François-Samson). Lors de l’entretien, il était accompagné de sa collaboratrice Anne-Marie Desmeules, adjointe à la programmation.2. Patrick Volpilhac est directeur général d’ALCA.3. La Maison de la littérature à Québec est issue d’un partenariat entre la Ville de Québec et l’Institut Canadien de Québec qui l’administre.4. Voir rubrique « Transversalité », p. 10.

Jóan Tauveron et Richard Ste-Marie - Photo : Théo Rulin

La résidence de La Prévoté à Bordeaux - Photo : Théo Rulin

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38 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

La Semaine des Afriques a démarré en janvier 2016. En 2020, ce sera donc votre 5e édition ?René Otayek : Oui et notre désir est toujours de rendre sensible l’immense vitalité créative des pays Africains et des sociétés issues de la traite des noirs, les Antilles, les Caraïbes, etc. Aussi, des événements sont programmés toute l’année pour les adultes et les scolaires. Mais La Semaine des Afriques est le moment phare où nous nous déployons pour faire découvrir les productions africaines ou dias-poriques, avec toujours en focale la grande diversité des langues et des cultures. Du 24 au 31 janvier 2020, seront donc proposés autour des « Afriques urbaines » près de vingt événe-ments répartis sur l’agglomération bordelaise et en Nouvelle-Aquitaine. Nous venons par ailleurs d’initier notre premier appel à projets pour inviter les acteurs3 liés aux Afriques à pro-poser un événement pour cette édition, ouvert à tous les champs culturels : arts plastiques, théâtre, cinéma, écriture, lectures…

La thématique 2020 sera donc « les Afriques urbaines » ?Sara Torres : On souhaitait évoquer les enjeux urbains africains avec notamment : les cultures et identités urbaines et leurs nou-velles représentations par les artistes ou les penseurs ; les villes durables et leur adaptation aux problématiques liées à la crois-sance démographique (changements climatiques, accès à l’eau, à l’habitat, aux soins) ; la ville en tant que laboratoire du politique, avec les gouvernances, démocratiques ou pas, les mouvements sociaux, l’expression du genre, la jeunesse aussi... ; et enfin les innovations technologiques, numériques, liées aux ressources, à l’émergence des classes moyennes, etc.

La résidence Afriques-Haïti, destinée aux auteurs de ces territoires écrivant en français, est dotée d’une bourse et d’un accueil de six semaines à Bordeaux – dont une semaine de

rencontres publiques pendant La Semaine des Afriques. Sa particularité est d’être orientée vers la création émergente. Que souhaitait défendre l’IdAf ? R. O. : Une des missions de l’IdAf est de promouvoir les jeunes talents africains en leur donnant l’opportunité de pouvoir travail-ler pendant plusieurs semaines dans des conditions sécurisées et d’être programmés pendant La Semaine des Afriques. Cela nous permet de leur dire qu’il y a ici une structure qui est capable de leur fournir une aide, un tremplin pour se faire connaître, d’impul-ser des synergies de rencontres pour qu’ils puissent émerger sur la scène francophone et pourquoi pas, trouver un éditeur. S. T. : Nous voulions en effet valoriser les auteurs de langue française pour apporter aussi une pierre à une francophonie renouvelée et participer, à notre échelle et avec ALCA dont c’est une des missions, à professionnaliser le secteur livre. Et notre

René Otayek et Sara Torres1 / Propos recueillis par Nathalie André

L’Institut des Afriques, une passerelle entre nos continents

E n 2015, sous la tutelle de la Région Nouvelle-Aquitaine, naissait à Bordeaux l’Institut des Afriques2. Le public suit depuis le cœur de sa programmation, La Semaine des Afriques, tournée vers les créations émergentes africaines. Puis en 2017, en

partenariat avec ALCA, émergeait la résidence d’écriture francophone Afriques-Haïti qui a déjà reçu deux écrivaines, l’Haïtienne Darline Gilles et la Rwandaise Dominique Celis. L’IdAf, qui va fêter ses 5 ans, prépare désormais « ses valises » pour les poser, rue du Mirail, au printemps 2022. Un lieu de vie pour poursuivre les missions de l’intérieur vers l’extérieur afin de tisser encore et toujours une passerelle entre les cultures africaines et européennes.

« Nous voulions en effet valoriser les auteurs de langue française pour

apporter aussi une pierre à une francophonie renouvelée... »

Darline Gilles - Photo : Jean-Christophe Garcia

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FAVO R I S E R L E S É C H A N G E S I N T E R C U LT U R E L S 39

espoir est que ce dispositif puisse devenir une résidence croisée : qu’un auteur néo-aquitain puisse aussi partir travailler sur son projet auprès d’une structure liée au livre en Afrique francophone.

Nous commençons à entendre parler du festival Africa 2020 à Bordeaux (juin à décembre 2020)…R. O. : Nous avons été conviés par la DRAC, il y a un an, à la première réunion. Le programme n’est pas encore bouclé mais nous y serons avec tous les acteurs bordelais sur les Afriques en y apportant notre spécificité. S. T. : Nous aimerions y programmer « les nouveaux narratifs » du cinéma Africain, ces cinéastes qui renouvellent la façon de faire et d’écrire le cinéma, autant dans le champ du documentaire que dans celui des industries populaires (comme nous l’avions fait lors des Rencontres du cinéma nigérian « Made in Nollywood », en 2017), en élargissant cette fois – et ce serait quasi inédit en France – à l’ensemble de la production subsaharienne où émergent ces créations si peu diffusées.

Les travaux de votre futur bâtiment-siège semblent bien avancer ? R. O. : Avoir un espace de rencontres était l’une des idées fortes du lancement de l’IdAf. L’institut doit être identifié par un lieu qui lui soit propre et qui soit aussi un lieu de vie. Il sera dans une annexe du lycée Montaigne, rue du Mirail. Les rénovations et mises aux normes sont en cours et l’ouverture est prévue pour le printemps 2022. Ce sera un bâtiment sur trois niveaux, avec des salles de réunions, de formations, de conférences, de projections, d’exposi-tions aussi. Et ce sera un lieu ouvert sur la cité, en particulier aux associations diasporiques. Il abritera l’administration de l’IdAf puisqu’il en sera le siège et certaines des structures partenaires ; chacun des douze membres de l’IdAf gardant toutefois son auto-nomie. Nous conserverons l’itinérance de notre programmation

puisqu’elle nous permet de rencontrer d’autres publics. L’objectif est de se projeter dans la ville avec également un certain nombre d’actions in situ. Le territoire de rayonnement s’agrandit et l’IdAf va pouvoir poser ses valises pour accueillir, le temps d’événe-ments, les structures frères et sœurs, leur dire que nous sommes là, à leur disposition et attentifs au monde qui change.

1. René Otayek est le président de L’Institut des Afriques (L’IdAf est composé de 12 membres). Il est également directeur de recherches au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) à Sciences Po Bordeaux. Sara Torres est la coordinatrice de l’IdAf.2. Lire Éclairages n° 8, automne hiver 2017-2018, disponible en ligne sur prologue-alca.fr3. Le siège juridique doit se trouver en Nouvelle-Aquitaine. L’appel était ouvert du 15 juillet au 30 août 2019, à toutes les formes de structures (individuelles, associatives, compagnies, etc.) : institutdesafriques.org/la-semaine-des-afriques-2019

« Cette résidence a impacté mon écriture »Par Dominique Celis

Dominique Celis, auteure rwandaise, a été accueillie en résidence d’écriture à Bordeaux au printemps 2019, pour travailler sur son projet de roman épis-tolaire, Ainsi pleurent nos hommes, com-mencé à Kigali où elle est retournée vivre en 2013.

« C’est avec plaisir que je réponds à la proposition de la revue Éclairages, celle de revenir en quelques mots sur ma rési-dence d’écriture à Bordeaux, de mi-mars à mi-avril 2019.La demande est concomitante à la joie de vous annoncer la fin de la rédaction de mon roman !Bordeaux est ma première expérience de résidence. C’était vital pour moi de quitter

le pays en cette période de la vingt-cin-quième commémoration du génocide des Tutsi. Mon roman porte sur la question de la cohabitation. À savoir, comment aujourd’hui les rescapés tutsi et leurs familles vivent avec les bourreaux hutu d’hier. Être à Bordeaux m’a permis d’avoir une respiration par rapport à ce que nous étions en train de vivre au pays et, par conséquent, d’être plus posée pour écrire.La Semaine des Afriques, organisée par l’IdAf, a été l’occasion de participer à des événements intéressants et de découvrir ce qui questionne l’Europe par rapport à l’Afrique...Je redoutais les rencontres, notamment à cause du contentieux politique entre la France et le Rwanda. J’ai été touchée par la générosité de l’écoute et la qua-lité des questions. Ces rencontres ont été déterminantes. Elles m’ont permis de rendre « effectif » mon projet d’écriture, de donner vie à mes personnages de fic-

tion et de partager mon travail. Parmi ces rencontres organisées par ALCA, il y avait aussi des écrivains. Quel bonheur de pou-voir échanger sur les doutes de l’écriture, les questions angoissantes d’(il)légitimi-tés, les parcours des uns et des autres, etc. Plusieurs personnes, à Bordeaux comme à Kigali, étaient curieuses de savoir si cette résidence avait impacté mon écriture. Ma réponse est oui. Sortir du pays m’a forti-fiée. Cette coupure de six semaines m’a permis de prendre du recul, de me relaxer et de bien travailler à Bordeaux. De retour au Rwanda, j’ai continué sur ma lancée...Merci du fond du cœur à tous ceux qui, chacun à leur niveau de pouvoir et/ou d’action, ont permis à cette Résidence francophone Afrique-Haïti d’exister. Elle a été cruciale pour moi ».

Dominique Celis - Photo : David Helman

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40 n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

L IMOGES, PÔLE DE LA FRANCOPHONIE

Vous êtes arrivé depuis le début de l’année et déjà beaucoup d’évolutions sont en perspective pour Les Francophonies. Pourriez-vous nous parler de votre projet ? Il est important de parler de ce qui m’a amené à faire deux festi-vals et qui induit aussi le changement de nom. Je ne souhaite pas balayer le travail qui a été fait jusqu’à maintenant, au contraire, je tiens à lui rendre hommage. Cependant, je pense que compte tenu de la situation politique et artistique actuelle du pays et même du monde, les choses devaient évoluer. Plusieurs lieux se sont ouverts à ces écritures franco-phones et scéniques, à ces créateurs. Plu-sieurs, mais pas assez à mon goût. Avant, il n’y avait que Limoges et le Tarmac. On ne peut plus travailler de la même manière. Je me suis rendu compte que quand on disait « Festi-val des Francophonies en Limousin », on ne faisait référence qu’aux dix jours du festival d’automne. Cela ne rendait pas justice au lieu et au projet et les gens s’interrogeaient sur la nécessité d’une équipe de 8 personnes et d’un budget si important pour organiser dix jours de festival. Il fallait parler de tout le processus : d’où le nom « Les Francophonies, des écritures à la scène ». Le changement de région, du Limousin à la Nouvelle-Aquitaine, entraînait le besoin de revoir ce nom. Je suis également parti d’un autre constat. Malgré tout ce qui se passe en automne, il n’y avait que deux ou trois lectures, dans une salle mythique mais petite, au théâtre Expression 7, où se retrouvaient principalement les initiés qui avaient réservé bien à l’avance. On sent pourtant un engouement, une envie autour de ses lectures et j’ai donc souhaité repenser notre façon de faire. Bien entendu, il existait Nouvelles-Zébrures mais j’ai voulu réaf-firmer les écritures, réaffirmer la Maison des auteurs, car pour

créer il faut écrire, partir des histoires, on ne peut pas en faire fie. Il était important de valoriser d’avantage l’écriture et surtout de la mettre à la disposition du maximum de personnes possible. Par ailleurs, une écriture scénique est un nouveau texte. Le metteur en scène allie le texte, la musique, la lumière, les costumes, la scé-nographie, le jeu des acteurs pour en faire une nouvelle écriture. On peut adhérer ou non à cette nouvelle œuvre, elle peut ne plus nous convenir, alors même qu’on a aimé le texte d’origine. Il était

donc important pour moi de donner la chance au public d’entendre le texte, hors écriture scénique. Aussi car l’écriture reste une voie pour amener les gens vers le théâtre. Fort de ces constats et analyses, s’imposait un autre événement autour des écritures. Nous avons décidé de rester sur la période de mars, qui était celle de Nouvelles-Zébrures et le mois de la Francophonie et de revoir le nom des manifestations pour plus de cohérence : on aura donc à présent deux festivals bien affirmés : les Zébrures de printemps, axées sur les écritures, et les Zébrures d’automne, sur la scène et le spectacle vivant.Je n’ai rien inventé mais j’ai souhaité renforcer le travail qui avait été fait. Les écritures, lectures, créations étaient déjà au cœur des événements. J’ai voulu développer un peu plus les rencontres professionnelles, les débats, conférences, colloques, formations, qui seront organisés pendant les deux festivals avec le

partenariat du Pôle francophone. Enfin, j’ai constaté une sorte de consanguinité dans le milieu artistique. On retrouve souvent les mêmes spectateurs à Avignon, à Cologne. Je veux décloisonner le maximum possible les publics et les faire se rencontrer. La question d’un lieu de vie unique pour le festival, où les gens se retrouvent entre les

Hassane Kassi Kouyaté / Propos recueillis par Sophie Léonard1

Les Francophonies, des écritures à la scène : une autre manière

de dire le monde

L’ année 2019 a été une année de changements pour Les Francophonies, avec l’arrivée d’un nouveau directeur, Hassane Kassi Kouyaté, et l’annonce d’un nouveau projet pour cette structure nommée en mars 2019 « pôle

francophone de référence » en France par le ministère de la Culture, au côté de la Cité internationale des arts à Paris et de La Chartreuse, à Villeneuve-lez-Avignon.

Hassane Kassi Kouyate - Photo : Christophe Pean

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représentations, était donc très importante pour moi. Si pendant dix jours des personnalités politiques, des jeunes en formation, des professionnels en phase de création, sont tous présents au même endroit, ils finissent par se parler, échanger, comprendre la place de chacun et apprendre à se connaître. L’ambition est de trouver un lieu pérenne pour Les Francophonies. Cette année, pour les Zébrures d’automne, nous avons un lieu provisoire qui est la Caserne Marceau. Pour que ce festival vive et qu’il soit populaire, au bon sens du terme, il lui faut un lieu ouvert à tous les âges et toutes les catégories professionnelles, un lieu de partage, de création, de recherche. J’ai souhaité diversifier davantage les lieux de représentation des spectacles en créant de nouvelles manifestations telles que « Un instrument, une voix » ou « La nuit de la Francophonie » qui va se passer dans les lieux les plus divers possible, de 18 h à 6 h du matin. Enfin, le spectacle d’ouverture des Zébrures d’automne sera dorénavant toujours un spectacle participatif, en lien avec des associations et en passant commande à un créateur. Cette année, c’est l’artiste martiniquaise Josiane Antourel qui a créé Rituels vagabonds, un spectacle de danse participatif et collectif.

Quelle sera la place de la création au sein des Francophonies et de ces deux festivals ?Dans les trois ans à venir, l’objectif est d’arriver à un festival de première en France, exclusivement porté sur la création. Historiquement, Limoges a toujours été le lieu où l’on venait dé-couvrir une autre manière de dire le monde, avec des personnes qu’on n’avait pas l’habitude de rencontrer. Je veux recentrer notre travail sur cet objectif. Beaucoup de lieux ont ouvert au cours des dernières années, notre but à nous est de rester un lieu de recherche, de création, de découverte, avant d’être un lieu de dif-fusion. L’ambition est de travailler chaque année en mettant l’accent sur des zones géographiques différentes. La francophonie que je veux défendre est une francophonie plus ouverte, qui va tenir compte des créateurs à partir de la langue française, quelle que soit leur nationalité. Cela ne m’intéresse pas de savoir si un créateur vient d’un pays membre de l’OIF ou francophone, seul m’importe sa langue d’écriture. Nous allons d’ailleurs travailler sur la question des langues et avoir une « langue invitée » pour chaque festival avec des spectacles

et lectures sous-titrés en français à partir de l’année prochaine. On ne peut pas parler de francophonie sans parler des autres langues. Lorsqu’on pense à partir d’une autre langue, on enrichit le français. En 2020, la zone mise à l’honneur sera l’Afrique et en 2021, l’Asie et le Moyen-Orient. On va entendre de l’arabe par exemple, du tamoul. En 2022, ce seront les francophonies dites « évidentes » : Belgique, Québec, Suisse, etc.

Vous êtes vous-même un créateur, à la fois comédien, conteur et metteur en scène et vous avez toujours poursuivi votre création en parallèle à vos postes de directeur. Travaillez-vous aujourd’hui à un nouveau projet et est-ce important à vos yeux de pouvoir continuer à le faire ? Je suis, en effet, en train de mettre en scène une adap-tation de Congo, une histoire, de David Van Reybrouck, par Mohamed Kacimi. Cette création sera présentée aux Zébrures d’automne en 2020. Je travaille avec trois mu-siciennes : une guitariste malgache, une batteuse gua-deloupéenne-martiniquaise et une bassiste congolaise, ainsi que deux acteurs congolais. Nous aurons la chance de bénéficier de plusieurs temps de résidence : au théâtre ouvert à Paris en novembre 2019, en mai à La Chartreuse et à l’OARA en août 2020. Il s’agit d’un gros projet et d’un défi en matière d’adaptation car il faut réussir à racon-ter 200 ans d’histoire du Congo en deux heures et demie sous la forme d’un documentaire. L’aspect théâtral doit fonctionner alors que ce n’est pas écrit comme du théâtre. Après avoir beaucoup travaillé sur de la fiction, j’ai eu besoin de passer au théâtre documentaire. Mon objectif est de faire connaître des auteurs.

1. Entretien réalisé fin août, avant l’édition 2019 des Zébrures d’automne.

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Comment est née la Maison des auteurs ? La Maison des auteurs est un bâti-ment situé derrière les bureaux du Festival des Francophonies à Li-moges. Elle offre trois studios équi-pés, donc pouvant accueillir trois auteurs en même temps, une salle commune et une bibliothèque. Le concept a été élaboré en 1988, quatre ans après la création du Festival des Francophonies. Il est né d’une évidence et d’une néces-sité puisqu’un festival fondé sur la langue et l’écriture contemporaine théâtrale a naturellement le désir d’accueillir des auteurs, d’autant plus quand ces écrivains viennent d’Afrique, du Québec, des Antilles, de Belgique, de Suisse, etc. La ques-tion première était donc bien la création d’un creuset pour accueil-lir les auteurs de théâtre en langue française et les faire se rencontrer entre eux. Les trois piliers de la ré-sidence d’écriture étaient là dès le début : un lieu pour vivre, un temps pour travailler et une bourse pour être dégagé des contraintes matérielles. Pour résumer, ce sont près de 200 auteurs, majoritairement de théâtre, qui ont été accueillis depuis 1988, sur des durées de deux à trois mois, en provenance essentiellement d’Afrique francophone, du Québec, de Belgique et de Suisse. Cette période longue, plus de trente ans, nous permet de constater que parmi les auteurs accueillis en résidence ici, beaucoup ont continué à écrire, certains sont devenus des auteurs importants comme Wajdi Mouawad, Sony Labou Tansi, Dieudonné Niangouna, Koffi Kwahulé, Kossi Effoui… Pour ne parler que de Wajdi Mouawad, il est venu ici en 1993 à 25 ans avec quelques textes, déjà de grande qualité, il n’était pas encore publié. Il explique, dans une master class de juillet 2019 sur France Culture que ses souvenirs de Limoges sont ceux d’une immense liberté, « comme une poule en

plein air », dit-il. Les auteurs louent souvent le fait qu’ici on peut travailler librement car il n’y a pas d’exigence de rendre un texte à un éditeur ou un metteur en scène à l’issue de la résidence.

Les textes écrits ici ont aussi largement nourri la programmation théâtrale du festival des Francophonies ? Il y a un lien, bien sûr, entre les résidences d’écriture et le festi-val, mais c’est un lien naturel qui n’est jamais imposé. Pour qu’un metteur en scène s’empare d’un texte, il faut des affinités élec-tives entre les artistes qui échappent à toute contrainte : notre rôle est de faciliter les rencontres. La programmation du festival propose chaque année plusieurs textes d’auteurs qui sont venus, à un moment ou un autre, en résidence ici. Notre priorité à l’avenir est de travailler à la découverte de nouveaux auteurs, de nou-velles écritures et plus précisément, celles des jeunes auteures

R esponsable de la Maison des auteurs et des activités littéraires des Francophonies, Des écritures à la scène, directrice artistique du festival Les Zébrures du printemps, Nadine Chausse revient sur trente années d’accueil

d’écrivains francophones en résidence à Limoges et dresse les perspectives de développement des activités littéraires et des résidences des Francophonies.

Nadine Chausse / Propos recueillis par Olivier Thuillas

La Maison des auteurs : un lieu et un temps pour écrire en liberté

n° 12 – Automne/Hiver 2019-2020

La Maison des auteurs - Photo : archives Les Francophonies

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car peu viennent en résidence. Nous avons lancé en juin 2019 un programme de résidences à l‘intention de jeunes auteures pro-posées et parrainées par des auteurs confirmés : pour cette pre-mière édition, il s’agit de Guy Régis Junior, auteur et directeur du Festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince en Haïti et Bilia Bah, directeur du festival l’Univers des mots en Guinée-Conakry. Nous expérimentons cette résidence en deux temps : un mois en juin – et un engagement du parrain de suivre l’auteure à son retour dans son pays –, puis à nouveau une résidence d’écriture au prin-temps suivant pour « remettre l’ouvrage sur le métier » et partici-per aux Zébrures de printemps. L’accompagnement de ces jeunes auteures – qui n’est pas le même avec un auteur confirmé – est fondamental dans un tel dispositif. Dans le cas présent, il y a pour les deux auteures tout un travail à effectuer entre la dénonciation d’une réalité sociale de leur pays et le passage à l’écriture. C’est pourquoi nous avons demandé par ailleurs à deux auteures dont le travail fait écho à ces questions d’écriture, Marine Bachelot Nguyen et Carole Thibaud, de les rencontrer et de travailler avec elles pendant leur résidence.

Quelles évolutions avez-vous constaté en trente ans d’existence de la Maison des auteurs ? La première évolution que je veux souligner est le fait que les au-teurs étrangers de langue française ont gagné fortement en recon-naissance en France, et je veux croire que la maison des auteurs a pu aider à cette reconnaissance, comme c’est le cas aussi du TILF (Théâtre international de langue française), devenu le Tarmac. La seconde évolution est la formation progressive de ce creuset que j’évoquais, avec la mise en contact régulière des auteurs et des artistes de théâtre de tout le monde francophone. Ces rencontres entre les auteurs eux-mêmes les ont profondément nourris. Notre volonté est d’aller beaucoup plus loin, c’est pourquoi nous lançons en 2020 (du 20 au 29 mars) le festival Les Zébrures du printemps consacré aux écritures contemporaines de théâtre et développons de nouveaux programmes de résidence favorisant la découverte et s’élargissant à toutes les écritures (scénario etc.).

La reconnaissance de ces auteurs a-t-elle aussi progressé dans leur propre pays ? Je ne veux pas faire de généralités mais je vois de plus en plus de jeunes auteurs s’affirmer plus clairement comme auteur dans leur propre pays. Cela passe souvent par la création de lieux et de fes-tivals de théâtre dans ces pays par des artistes pluridisciplinaires qui sont à la fois auteurs, comédiens, metteurs en scène. Nous portons une forte attention sur ce qui naît dans ces pays à l’ini-tiative d’auteurs qui sont souvent venus à Limoges comme ce qui se développe au Bénin, au Togo, en Guinée Conakry, au Burkina Faso… Il est vrai que dans les autres pays francophones, les struc-tures publiques de soutien aux auteurs sont déjà plus établies : l’école nationale de théâtre de Montréal a une section « écriture », la Belgique inclut beaucoup les auteurs dans les formations théâ-trales etc.Ce qui change fondamentalement, c’est que le statut de l’auteur a gagné en légitimité : un auteur francophone à Limoges ne re-présente pas son pays ou son continent, c’est un artiste avec son regard et sa sensibilité. Sur ce point, les regards ont beaucoup évo-lué : on n’attend plus systématiquement d’un auteur togolais qu’il nous parle du Togo…

La Maison des auteurs a aussi tissé des liens forts avec des partenaires en région…Oui, et ces partenariats se sont construits naturellement à par-tir des rencontres que le Festival et la Maison des auteurs per-mettent. En étant implantée à Limoges, la Maison des auteurs a créé des liens avec le tissu associatif, qui est dense et riche ici, et aussi et surtout avec le monde scolaire et universitaire. Un réseau régional des lieux de résidence actuellement en construction élar-gira les partenariats. Avec l’Éducation nationale, les partenariats sont très structurés, en particulier avec le Prix Sony Labou Tansi des lycéens1, qui part de l’écriture théâtrale comme littérature. Il a été créé en 2003 et concernait dans un premier temps uniquement l’Académie de Limoges pour toucher aujourd’hui une soixantaine de classes, soit entre 1 200 et 1 500 lecteurs lycéens, dont environ 600 de Nouvelle-Aquitaine et de plus en plus du monde entier, dans des lycées fran-çais comme au Vietnam ou en Algérie. Le principe est assez simple : chaque année, nous recevons des éditeurs entre 60 et 70 textes de théâtre, un comité de lecture composé de professionnels (comé-diens, auteurs, metteurs en scène) en sélectionne 12, un deuxième comité de lecture composé d’enseignants en sélectionne cinq et ce sont ces cinq textes qui sont lus par tous les lycéens participant au prix. Les lycéens peuvent bénéficier de la venue de comédiens pour donner corps et voix à ces textes. Le texte lauréat, résultat du vote de tous les lycéens, est mis en lecture par les lycéens au Festival Les Zébrures d’automne en présence de son auteur.D’une façon générale, ces quinze dernières années, les partenariats se sont structurés avec des projets construits en commun qui ont touché les auteurs en résidence mais aussi d’autres auteurs francophones. Nous avons toujours insisté pour que le temps de la résidence soit le temps de l’écriture, donc les temps de médiation restent limités et nous avons toujours veillé à ce qu’ils soient construits en lien avec le projet d’écriture de l’auteur et au plus près de sa création.

1. www.lesfrancophonies.fr/Prix-Sony-Labou-Tansi-des-lyceens

www.lesfrancophonies.fr/Maison-des-auteurs

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- Afrique : 103- Afrique subsaharienne : 91- Afrique du Nord : 12- Moyen-Orient : 4- Amériques : 28 - Canada-Québec et Canada- Ontario: 28

- Caraïbes : 13- Europe : 24- Belgique, France, Suisse : 21- Europe de l’Est, Europe centrale : 3- Océan indien : 17- Asie : 2

Les Francophonies - Des écritures à la scèneRésidences d’écriture (1988 à 2019)191 auteurs accueillis

Origines géographiques :

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Avec plus de 667 000 documents en stock et environ 960 000 prêts par an1, la Bfm est l’un des fleurons des bibliothèques de lecture publique. Pour qui n’a jamais foulé les 14 800 m² du site central, il ne faut pas manquer d’y jeter un œil à l’occasion, pour découvrir un lieu lumineux et aéré, tout en passerelles, permettant de contempler à l’aplomb une fresque romaine rugissante, un jardin d’hiver où flâner et oublier le temps, la ligne courbe des rangées de livres, le noir et le bois clair qui apaisent l’œil et rappellent la ligne des caractères sur une page… En 2020, au rez-de-chaussée, les usagers pourront également profiter d’un espace convivial dédié aux littératures francophones : il proposera une sélection d’œuvres et des focus thématiques. Le service interne et l’accueil des chercheurs occuperont un espace en rez-de-jardin, tout près des salles où sont conservées les archives du fond patrimonial.

Plus de 30 000 documents issus de toutes les aires de la francophonie sont ainsi disponibles : œuvres poétiques, théâtrales ou romanesques, critiques littéraires, essais politiques et contes, mais également des documents multimédia et des périodiques, constituant un fonds d’étude très large, unique en France.

Limoges, une ville qui œuvre pour la francophonieDès le début des années 1990, dans le sillage du Festival des francophonies et de la Maison des auteurs, la Ville de Limoges décide de créer un pôle francophone au sein du réseau des médiathèques, dédié à la conservation des manuscrits (notamment issus des résidences de la maison des auteurs) et à la constitution d’un fonds spécifique d’ouvrages francophones. En 1995, un Observatoire mondial de la production littéraire francophone est mis en place, s’appuyant sur des correspondants locaux et permettant de repérer plus de 10 000 titres qui seront acquis avant l’ouverture de la nouvelle bibliothèque tête de réseau, représentant alors l’essentiel de la production littéraire des zones linguistiques concernées. Dès 1996, le pôle devient Pôle associé de la BNF pour le théâtre francophone et en 1999, pour la poésie francophone. L’établissement public trouve sa place parmi les autres structures qui œuvrent autour de la création francophone à Limoges : principalement les Francophonies en Limousin (festival et maison des auteurs), mais également le théâtre de l’Union (Centre dramatique national), l’Université de Limoges, ALCA et le Scéren.

Animées par une même vocation (renforcer la place des francophonies dans la création et les débats de société, dans l’éducation artistique et culturelle), les six structures se sont rassemblées en 2015 au sein d’un réseau, « Francophonies, un bien commun », afin de coordonner des actions. Il s’agissait de « créer

une synergie où chaque acteur du pôle apporterait sa dot, c’est-à-dire son expertise autant que ses envies, dans une stricte exigence de complémentarité », explique Julien Barlier, directeur de la Bfm. Mais également « de renforcer l’identité de Limoges comme place forte de la francophonie au niveau national et international. » Le réseau, qui affiche une volonté forte de travail en commun mais prend ses marques lentement, monte néanmoins depuis plusieurs années des rencontres professionnelles pendant le festival.

Par ailleurs, la Bfm et la Bnf sont les seuls membres français du Réseau francophone numérique, qui regroupe plus de 26 institu-tions internationales issues de 18 pays. Ce réseau, créé en 2006

C réé en 1998, le réseau des médiathèques de Limoges a mis dès l’origine la francophonie au cœur de son activité, jusqu’à s’appeler Bibliothèque francophone multimédia (Bfm). Un peu plus de 20 ans après sa création, la Bfm

confirme sa vocation d’ouverture aux écrits issus de la francophonie.

Par Mathilde Rimaud

La Bfm, cœur francophone

La Bfm - Photos : Ville de Limoges

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sous l’impulsion de l’Organisation internationale de la francopho-nie (OIF), a pour vocation la numérisation et la valorisation de fonds patrimoniaux francophones sur Internet. Des formations à la numérisation sont ainsi organisées partout dans le monde et un site permet de consulter en ligne des dossiers thématiques et des documents issus de toutes les francophonies.

Des fonds d’hommes de lettresLa Bfm détient 6 fonds d’auteurs, acquis par dépôt, don ou achat : Sony Labou Tansi (Congo-Brazzaville), René Depestre (Haïti), Em-manuel Roblès (Algérie), autant d’auteurs essentiels dont on peut découvrir, outre les manuscrits ou tapuscrits, des photos, des cor-respondances, des documents audio qui témoignent de l’environ-nement de création de ces auteurs. Plus atypique, la Bfm détient également des fonds de personnalités qui ont permis l’éclosion et le rayonnement d’auteurs-phares : Edmond Charlot, éditeur et libraire entre l’Algérie et la France, Gabriel Garran, fondateur du théâtre de la Commune d’Aubervilliers et du Théâtre international de Langue française (devenu le Tarmac), Alain Bosquet, auteur et essayiste mais également critique, dont le fonds limougeaud est constitué d’ouvrages québécois pour certains dédicacés et de cor-respondance avec des auteurs.

Ces archives, qui occupent 90 mètres linéaires environ, intéressent principalement les chercheurs : « L’équipe du Pôle francophone doit parfaitement connaître les fonds pour pouvoir répondre à leur demande. Les recherches permettent parfois de faire aboutir des projets qui intéressent également le grand public, comme des ex-positions ou des projets de publication », explique Patricia Larous-sarie, responsable du Pôle francophone depuis 2017.

Avant que les fonds puissent être ouverts aux chercheurs, le travail d’archivage est lent et minutieux : classement, inventaire, numé-risation, signalement… « Certains fonds sont encore en cours de traitement comme les archives Gabriel Garran ou le 3e lot des ar-chives de René Depestre », raconte Patricia Laroussarie. La petite équipe de quatre personnes jongle entre ce travail de fourmi, l’ac-cueil des chercheurs, l’acquisition des fonds et leur valorisation, à travers un programme d’actions culturelles.

Expositions, rencontres d’auteurs, colloques ou sélection de titres issus de domaines ou d’aires géographiques en particulier sont

proposés au public environ trois fois par an : « Nous souhaitons par exemple valoriser en 2020 la littérature des îles, notamment de l’Océan indien. Mais nous aimerions faire découvrir des trésors du patrimoine francophone tout au long de l’année ! », témoigne Patricia Laroussarie. Et mettre en valeur à travers des théma-tiques, d’autres collections, d’autres imaginaires : « La plupart de ces auteurs évoluent dans un monde plurilingue, c’est important de montrer cette pluralité et de situer les œuvres dans la culture globale des aires géographiques concernées, en les croisant avec de la musique, de la BD, etc. Il s’agit aussi de montrer que les au-teurs ne se cantonnent pas à un genre, mais ont une œuvre protéi-forme : théâtre, poésie, romans, essais… »

Aller à la rencontre de l’autreCar il s’agit bien pour Julien Barlier de rendre lisible ce métissage qui fait la force d’une langue devenue plurielle : « Il nous semble aujourd’hui plus que jamais utile de revalider l’hypothèse de se retrouver, femmes et hommes de tous horizons, autour de cette langue qui par exprès ou par aventure nous a été donnée en partage. Deux générations après les mouvements de décolonisation, la question francophone libère enfin la rencontre des pensées et des imaginaires. C’est exactement à cet endroit qu’en tant que Bibliothèque baptisée francophone, nous voulons désormais faire notre « confirmation » : proposer à tous, grâce à la littérature, de naviguer dans cette langue commune, pour se donner les moyens d’une rencontre salutaire avec l’autre et de travailler la pente de l’« invasion », c’est-à-dire le fait de se laisser envahir par la présence de l’autre, démunis de l’alibi de ne pas le comprendre pour cause de langue différente. »

Un beau programme qui s’inscrira dans le nouveau projet porté par la Bfm pour les années à venir.

1. Données 2018.

La Bfm : bfm.limoges.frFonds Emmanuel Roblès (accès numérique aux manuscrits) : robles.bm-limoges.frFonds Sony Labou Tansi : sonylaboutansi.bm-limoges.frLa bibliothèque francophone numérique : rfnum-bibliotheque.org Le réseau francophone numérique : rfnum.org/pages/index.html

Un nouveau prix du polar francophone

Le 1er prix du roman policier francophone, prix Moussa Konaté, créé en hommage à l’écrivain de polar malien et aux écrivains de l’espace francophone à l’initiative de Richard Madjarev, président des rencontres littéraires Vins Noirs de Limoges, a été décerné le 9 juin 2019. Ce prix récompense un roman policier écrit et édité en langue française. Le jury, composé de professionnels du livre et de la lecture (libraires, bibliothécaires, universitaires et avec le concours du festival des francophonies), a distingué Prémices de la chute de Frédéric Paulin. Les éditeurs sont appelés à sélectionner un ouvrage paru avant mai 2020 afin de concourir pour le prix 2020. Il en sera retenu 5 par le jury.

Prémices de la chute de Frédéric Paulin – éd. Agullo noir, 2019 – ISBN 9 791095 7 18567 – 21 €

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RÉSEAUX PROFESSIONNELS ET D ISPOSIT IFS PUBL ICS

En France, on le sait, la chaîne du livre est fortement centralisée : Paris rassemble la plupart des éditeurs pesant dans le chiffre d’af-faires du livre et les principaux centres de distribution expédient leurs colis partout en province depuis la grande couronne.

La circulation des ouvrages francophones dans le monde est à l’image de ce fonctionnement : le mouvement a été historiquement descendant, notamment de la France vers les pays de l’Afrique francophone, ne favorisant ni l’émergence ni la diffusion des ouvrages locaux. À tel point que les éditeurs français ignoraient même, à quelques exceptions près, l’existence de l’édition afri-caine francophone. Fort heureusement, explique Laurence Hugues, directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, « les choses changent de-puis une quinzaine d’années, les menta-lités évoluent et les éditeurs africains ont une place plus importante sur l’échiquier international, notamment en France. » Si l’édition scolaire reste en grande partie dans les mains des éditeurs français et étrangers, « les pays subsahariens ont peu à peu pris conscience de l’importance de ce secteur pour les acteurs profession-nels locaux. En Côte d’Ivoire par exemple, l’intervention de l’État a permis l’éclosion d’un écosystème dynamique bien que fragile. »

Ce rééquilibrage passe notamment par l’action menée quotidien-nement par trois associations qui travaillent main dans la main depuis plus de 20 ans : l’Alliance, l’AILF (association internatio-nale des libraires francophones) et Afrilivres, l’association des édi-teurs francophones au sud du Sahara. Elles partagent un regard décentré sur la francophonie : « Le rapport “nord-sud“ est tota-lement dépassé, raconte Philippe Goffe, président de l’AILF, nos librairies sont présentes partout dans le monde et il s’agit bien de défendre les langues françaises. » Bien que l’édition française reste majoritaire dans les fonds des librairies francophones, des actions sont mises en œuvre pour favoriser la diffusion des autres ouvrages francophones : ainsi la Caravane du livre, projet porté depuis quinze ans par l’AILF, touche 40 000 personnes dans 5 pays d’Afrique et présente plus de 2 000 titres à travers des manifes-tations. Afrilivres propose un site Internet dédié à la valorisation des ouvrages francophones publiés en Afrique subsaharienne. Les trois associations œuvrent de concert pour sensibiliser les acteurs

du livre et les gouvernements aux questions du livre scolaire, des politiques de soutien et du don de livres, trois sujets qui ralen-tissent le développement d’une édition locale rentable. La ques-tion des marchés publics, notamment en bibliothèques universi-taires, obtenus pour la plupart par des grossistes, est également un sujet récurrent.

Au sein de l’Alliance, « la gouvernance est partagée, les relations sont équitables, ce n’est pas parce que le siège de l’association est à Paris que tout se passe ici. En revanche, nous favorisons l’in-terconnaissance avec les éditeurs français, en servant d’intermé-

diaire et en les sensibilisant à la notion d’échange. Il ne s’agit pas seulement de céder des titres français, mais bien aussi d’acheter des titres publiés en Afrique ». On parle bien de solidarité et non de cha-rité. Ainsi, le troc de droits a souvent cours entre les membres de l’Alliance et le partage des frais de coédition prend en compte le pouvoir d’achat des lecteurs. L’interprofession et le partage d’expé-riences sont au cœur des missions des associations. C’est pour répondre à l’iso-lement des libraires et pouvoir échanger

sur leur métier que l’AILF a été créée en 2001. Les structures pro-posent notamment des formations, de l’accompagnement ou des ressources en ligne. La présence des éditeurs francophones sur les salons professionnels internationaux est un enjeu actuel fort : « À défaut de pouvoir être présents chaque année sur les foires principales, nous tentons de nouvelles approches afin de faire se rencontrer les éditeurs et favoriser les coopérations », explique Laurence Hugues.

Gageons que les États généraux du livre en français, lancés à la demande du Président en mars 2018, permettront un travail en profondeur, basé sur des valeurs de coopération équitable, telles qu’elles se vivent au sein de ces trois associations.

Afrilivres : www.afrilivres.netAlliance internationale des éditeurs indépendants : www.alliance-editeurs.org Association internationale des libraires francophones : www.librairesfrancophones.org

D éfendre les ouvrages de toute la francophonie en déjouant les rapports inégalitaires entre les

pays, telle est la raison d’être de trois associations internationales qui œuvrent au coude à coude…

Par Mathilde Rimaud

Tentatives de décentrementL’Alliance internationale des éditeurs indépendants,

l'Association internationale des libraires francophones (AILF) et Afrilivres

Le Caravane du livre, 2014 - Photo : AILF

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R É S E AU X P R O F E S S I O N N E L S E T D I S P O S I T I F S P U B L I C S 47

G râce à des dispositifs novateurs et probants tels que La Fabrique Cinéma et l’aide aux cinémas du

monde, l’Institut Français et le CNC viennent chaque année en soutien de nombreux projets cinéma-

tographiques de pays francophones.

L’Institut français et le Centre national du cinéma et de l’image animée

Propos recueillis par Nicolas Rinaldi

Cinémas francophones et du monde

La Fabrique Cinéma de l’Institut français s’engage depuis plusieurs années pour renforcer l’accompagnement des projets en écriture ou en développement, portant une attention particulière aux projets francophones du continent africain. Quelles raisons expliquent cette attention ?IF : En créant le pavillon Les Cinémas du Monde et le programme de La Fabrique Cinéma de l’Institut français en 2009, programme destiné aux pays du Sud et émergents, et en recentrant en 2012 ce programme sur les projets de premiers et deuxièmes longs métrages cinéma en développement, il est apparu que les projets africains francophones avaient besoin d’un accompagnement renforcé pour passer les étapes de sélection des labs et rencontres de coproduction d’une part, et accéder aux fonds internationaux par la suite. Nous recevions de nombreux projets, dans le cadre de notre appel à candidatures international, que nous ne pouvions pas sélectionner parce que le scénario n’était pas prêt et qu’il nous semblait contre-productif de proposer sur un marché tel que Cannes un projet trop en amont dans son développement. Nous avons donc commencé en 2013 par conclure un partenariat spécifique avec l’Organisation Internationale de la Fran-cophonie – partenaire historique de La Fabrique – et la Société de développement des entreprises culturelles (Québec) pour permettre chaque année la sélection à l’Atelier Grand Nord d’un auteur africain francophone que nous avions repéré. Ce partenariat a permis à des réalisateurs tels que Joel Karekezi (La Fabrique 2013) de tra-vailler sur La Miséricorde de la jungle et de poursuivre avec succès son parcours sur ce film. Par la suite, nous avons développé de nombreux partenariats, notamment avec des résidences d’écritures et des labs montés en Afrique par d’an-ciens participants de La Fabrique, tels que Realness ou le Ouaga Film Lab. Nous leur avons apporté un soutien financier et favorisé la sélection de projets francophones. Nous poursuivons notre dé-marche en développant depuis peu de nouveaux partenariats avec des résidences françaises et internationales, notamment pour l’accompagnement documentaire.

Coordonnée à la fois par l’Institut français et le CNC, l‘aide aux cinémas du monde vise à soutenir des projets destinés à une première exploitation en salle. Quels sont les objectifs de ce dispositif et dans quelle mesure concerne-t-il des pays francophones ?IF : L’aide aux cinémas du monde (ACM) vise à soutenir l’asso-ciation des cinéastes étrangers du monde entier avec les pro-fessionnels français, en vue de coproduire ensemble les œuvres qui contribueront à promouvoir la diversité cinématographique mondiale et, à travers elle, le rayonnement culturel de la France. Depuis 2012, nous avons soutenu 358 films, dont 184 premiers et deuxièmes films. Ainsi, l’ACM soutient les cinéastes internatio-naux contemporains et contribue également à faire émerger les

réalisateurs de demain. La fabrication et la production des films, plus fragiles quand il s’agit de premières ou deuxièmes œuvres, sont ainsi consolidées par une bonne co-production et un réseau de diffusion bien préparé. L’ACM est ouverte à tous les pays et inclut donc à ce titre les pays de la fran-cophonie, y compris la France pour les pro-jets de films tournés à l’étranger en langue étrangère (ou le français, si c’est la langue du pays). CNC : La langue parlée dans le film doit être une langue officielle ou en usage dans le pays du réalisateur ou dans le pays de tournage. Les pays francophones ont donc toute leur place dans ce dispositif, sachant que lorsque les films sont tournés majori-tairement en français, ils ont également ac-cès à l’avance sur recettes du CNC (mais les deux aides ne sont pas compatibles). L’aide est accordée à la société de coproduction partenaire établie en France dans le cadre d’une coproduction avec un ou plusieurs

producteurs établis à l’étranger. IF : La proportion de films strictement francophones est minime et ne concerne que quelques films tournés en partie en France, en Belgique, au Burkina Faso ou au Cameroun. Plus largement, nous avons soutenu 15 films issus de pays de l’Afrique subsaharienne francophone et 25 films issus du Maghreb dont l’Algérie (qui n’est pas membre de la Francophonie), films dans lesquels la langue du

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pays domine largement. Puis nous comp-tons également 9 films français tournés en langue étrangère, 2 films belges, l’un tourné en arabe et l’autre en flamand. Nous pouvons mentionner également le film de Nadav Lapid, Synonymes, tourné en français.

Quelles sont les spécificités du rôle de la France via ce dispositif dans le marché international ? IF : La coproduction occupe une place centrale dans le paysage français du ciné-ma. 57 accords de coproduction ont déjà été signés et, en 2018, plus de 63 copro-ductions minoritaires ont été agréées par le CNC. L’ACM, bénéficiant de ce contexte favorable, a permis d’étendre la carte des coproductions à de nouveaux pays qui ne disposent pas d’accords de copro-duction avec la France, comme le Japon, le Kazakhstan, ou à des pays émergents comme la Zambie, le Guatemala, le Ban-gladesh. Le film zambien, I’m Not a Witch, a connu un beau parcours. On peut en espérer autant pour les deux films du Bangladesh sou-tenus plus récemment.CNC : L’aide a acquis très rapidement une grande notoriété inter-nationale et elle est très recherchée, notamment dans les pays où n’existent que très peu (voire pas du tout) de financements publics et privés. Lorsqu’il s’agit de projets portés par de jeunes cinéastes, elle constitue souvent un premier financement de l’œuvre mais elle a souvent un « effet de levier », c’est-à-dire qu’elle déclenche d’autres financements en éveillant l’intérêt des distributeurs, agents de vente, chaînes de télévision, fonds publics étrangers…IF : Devenue un label grâce aux grands cinéastes soutenus (Nuri Bilge Ceylan, Jia Zhangkhe, Naomi Kawase, Raoul Peck), mais aussi aux plus jeunes réalisateurs confirmés identifiés sur la scène internationale (Deniz Gamze Ergüven, Leila Kilani ou Davy Chou), l’ACM permet également aux cinéastes émergents (Hassen Ferhani, Dieudo Hamadi, Kaouther Ben Hania) de bénéficier d’une production consolidée et d’une bonne visibilité en festivals.

Le CNC propose également un fonds pour la jeune création francophone. En quoi consiste-t-il ?CNC : Dans le cadre de sa politique générale de soutien à la langue française, en lien avec des partenaires francophones du Nord, à la fois publics et privés (les CNC belge, canadien, québécois, luxem-bourgeois, SACD respectives, Orange, TV5Monde et France Télévi-sions), le CNC a lancé le Fonds pour la jeune création francophone en décembre 2017, à Yaoundé, en marge de la cinquième édition des Trophées Francophones du Cinéma. Ce fonds est destiné à favori-ser l’émergence des talents prometteurs dans les pays d’Afrique francophone subsaharienne et Haïti à travers un système d’aides sélectives. Le Fonds est structuré en trois volets pour permettre d’accompagner des projets à leur étape de développement, de pro-duction et de post-production. Selon l’état d’avancement des pro-jets choisis, ceux-ci pourront bénéficier d’une résidence d’écriture

pour leurs auteurs, d’apport numéraire pour la production du film ou de prestation et coaching en post-production.La spécificité de ce fonds est que les aides bénéficient directement aux auteurs et aux producteurs africains. Les projets soutenus se-ront autant des œuvres de cinéma (courts et longs métrages), que des séries audiovisuelles et projets destinés au web. La volonté du CNC est en effet d’encourager la création sous toutes ses formes, et surtout les plus innovantes. Afin d’assurer une meilleure visibi-lité aux projets, les diffuseurs TV5MONDE, Orange Studio et France Télévisions se sont associés au Fonds jeune création francophone

dès sa création. Selon les spécificités de chaque diffuseur et de la typologie des projets, ils se sont engagés à accorder un finance-ment en achat, préachat ou coproduction aux projets soutenus. Le CNC a souhaité héberger le fonds dans un des pays francophones de l’hémisphère Sud. Pour les trois premières années, la gestion est confiée au collectif burkinabé Generation Films. Ce dispositif de coopération est destiné à renforcer les productions audiovisuelles et cinématographiques africaines, les liens entre les profession-nels, avec les écoles localement, et promouvoir le rayonnement de la diversité culturelle dans la francophonie.

La Fabrique Cinéma 2019 - Photo : Catherine Vinay

« Ce dispositif de coopération est destiné à renforcer les productions audiovisuelles et

cinématographiques africaines [...] et promouvoir le rayonnement de la diversité culturelle dans

la francophonie »

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L I V R E S E T F I L M S

LittÉrature française

Tous tes enfants dispersés Beata Umubyeyi MairesseAutrement 13,7 x 21,1 cm ; 256 p. ; 18 €ISBN : 9782746751392 ; août 2019

Peut-on réparer l’irréparable, rassembler ceux que l’histoire a dispersés ?

Blanche, rwandaise, vit à Bordeaux après avoir fui le génocide des Tutsi de 1994. Elle a construit sa vie en France, avec son mari et son enfant métis Stokely. Mais après des années d’exil, quand Blanche rend visite à sa mère Immaculata, la mémoire douloureuse refait surface.

Beata Umubyeyi Mairesse est une auteure franco-rwandaise née en 1979 à Butare, au Rwanda.Elle est l’auteure de plusieurs autres ouvrages (nouvelles, poésie) publiés aux éditions La Cheminante.

Pour en savoir plus, voir l’article « Tous tes enfants dispersés », par Dominique Sigaud, sur prologue-alca.fr

Art et littérature

Ritournelles, 20 ans de création littéraire transversale CollectifLe Bleu du ciel16 x 23 cm ; 188 p. ; 20€ISBN : 979-10-91604-21-5 ; novembre 2019

Cet ouvrage a pour objet de revenir sous la forme d’une succession de textes et d’images, sur la créativité des écrivains et des artistes qui ont participé à vingt années de programmation du festival Ritournelles. Créé en 2000, le festival Ritournelles a été l’un des premiers en France à revendiquer dans ses programmes le lien étroit entre l’expression littéraire et toutes les autres formes d’expression artistique. Textes de création, témoignages de pratiques artistiques et littéraires, retours en images sur des œuvres d’artistes constituent l’ouvrage, qui témoigne d’une aventure littéraire construite et partagée et dessine une esthétique de la littérature contemporaine dans ses formes expérimentales renouvelées.

Quelques noms parmi les contributeurs de l’ouvrage :Pascal Quignard, Jean-Michel Espitallier, Didier Arnaudet, Catherine Millet, Charles Pennequin, Liliane Giraudon, Ange Leccia, Julien Blaine, Camille Lavaud…

Jeunesse

Planez, oiseaux ! Kouam Tawa, illustrations de Céline DumasLes Petites alléesImprimé sur papier vergé et livré sous sachet cellophane avec une enveloppe assortie 10 x 21 cm ; 24 p. ; 11 €ISBN 979-10-92910-53-7 – juillet 2019

Une berceuse délicieuse, écrite doucement par le poète et

dramaturge camerounais Kouam Tawa, et illustrée délicatement par Céline Dumas.

L’auteur Kouam Tawa a obtenu le premier prix ACCT de littérature africaine pour la jeunesse. Il est actuellement en résidence à la Villa Bloch, à Poitiers, jusqu’en décembre 2019, avec le soutien de l’Institut français du Cameroun.

documentaire

Que l’amour Laetitia MiklesProducteur : Night light / Alter 1 h 19 ; France, 2019Avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine en partenariat avec le CNC.

Les dates et lieux de projection du film durant le Mois du doc de novembre 2019 sont disponibles sur www.moisdudoc.com (13 dates programmées en Nouvelle-Aquitaine + autres dates ailleurs en France)

Un jour, alors que rien ne l’y destinait, Abdel découvre les chansons de Jacques Brel. Cette découverte va changer sa vie…

« Abdel est un jeune homme qui a été bousculé par Jacques Brel, ses mots, sa présence sur scène, sa musique.Alors tel un passeur, Abdel chante Brel le soir venu et se met un peu dans la peau de celui qu’il admire, tel un père "spirituel". Pudique, le film suit pas à pas le jeune homme qui prépare un concert qui l’emmènera sur les pas de son père disparu, en Algérie. Scènes de répétitions, du quotidien ou en famille, ces temps passés en compagnie d’Abdel sont rythmés par les mots des chansons de Brel qui voyagent avec lui, avec nous. » (coordination régionale Mois du doc CICLIC)

documentaire

Lendemains incertains Eddy MunyanezaProduction : VraiVrai Films (France), Grands Lacs Films TV (Burundi), Néon Rouge Production (Belgique)Avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine, le CNC, Procirep-Angoa, le Département de la Charente-Maritime, la Coopération Wallonie Bruxelles et RTBF.

Burundi, avril 2015. Les manifestations contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza rassemblent des milliers de personnes dans les rues de Bujumbura. Un coup d’État manquéplonge davantage le pays dans la répression et les violences. Des familles entières fuient le pays. Eddy, réalisateur, filme les manifestations, puis les premières exactions et les victimes. Son engagement artistique et social fragilise son couple, disloque sa famille, qui décide de partir sans lui au Rwanda. Face à la violence qui gagne du terrain, il sera lui aussi contraint de fuir son pays.Réfugié au Sénégal, loin des siens, il entame un long voyage intérieur, pris dans les images et les souvenirs de la crise qui secoue le Burundi.Neuf mois plus tard, il part à la recherche de ses enfants au Rwanda. De part et d’autre de lafrontière, il rencontre celles et ceux qui sont restés au Burundi ou ont choisi le chemin de l’exil. Leurs récits, souvent fragmentaires et brutaux, témoignent d’une grande incertitude.

Mention spéciale du jury au FCAT (Festival de Cinéma d’Afrique) 2018 – Espagne

documentaire

Mille soleils Mati DiopProduction : Anna Sanders Films Norte Distribution45 min ; France, Sénégal, 2014

En 1972, Djibril Diop Mambety tourne Touki Bouki. Mory et Anta s’aiment. Les deux

jeunes amants partagent le même rêve, quitter Dakar pour Paris. Au moment fatidique, Anta embarque. Mory, lui, reste seul sur les quais, incapable de s’arracher à sa terre. Quarante ans plus tard, Mille Soleils enquête sur l’héritage personnel et universel que représente Touki Bouki. Que s’est-il passé depuis ? Magaye Niang, le héros du film, n’a jamais quitté Dakar. Et aujourd’hui, le vieux cow-boy se demande où est passée Anta, son amour de jeunesse.

Le film a reçu le Grand Prix du FID (Festival International du Documentaire) de Marseille en 2013.

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Un artiste à l’œuvre :

Geoffrey Lachassagne

Geoffrey Lachassagne - Photo : Quitterie de Fommervault/ALCA

À l’horizon 2050, près de 600 millions de primo-locuteurs, dont la majorité sera originaire d’Afrique, auront le français en partage. Tel est le constat posé par Pierre Astier en ouverture du dossier de ce numéro consacré à la création francophone. On conçoit l’ampleur des enjeux éducatifs et culturels qui découlent de cet état de fait. L’engagement et la volonté passionnée des créateurs et acteurs culturels qui témoignent dans ces pages nous montrent à quel point ils en ont pris conscience. Partager les expériences, favoriser les coopérations et les échanges interculturels par le biais de dispositifs efficients comme les résidences d’écriture croisées, les labs, les festivals internationaux, les coproductions, etc. Autant de preuves que la création francophone d’aujourd’hui est celle du métissage, de la diversité, du foisonnement. Il reste à poursuivre les efforts entrepris pour la maintenir dans sa dimension plurielle.Le projet inédit créé par l’artiste Geoffrey Lachassagne, invité de ce douzième numéro d’Éclairages, pour sa carte blanche fait écho tant à cette dynamique en marche qu’à son propre imaginaire à l’œuvre dans ses créations. Il transcende les frontières, tisse des liens entre plusieurs territoires. Geoffrey Lachassagne nous offre ici une création généreuse, collective et décentrée.