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Tous droits réservés - Les Echos - 2009 03/03/09 P. 17 Idées de terreur. Leur déploiement répondrait- il à une sorte de réflexe routinier, hérité de la guerre froide ? On a peine à le croire. Quel délire se cache derrière le sang- froid apparent avec lequel ces ordres de mission sont donnés et exécutés ? L’image d’une menace « virtuelle » et, comme telle, conçue comme détachée de son contexte actuel (où une grande guerre n’apparaît pas imminente) fournit l’expli- cation. On lui oppose un appareil de riposte pareillement disproportionné parce que, lui aussi, pensé in abstracto (mais constitué par de vrais submersibles armés de vraies têtes nucléaires, etc). Ainsi la politique de sécurité dénote-t-elle de la part de ceux qui en ont la charge une perte caractéristique du sens des ordres de grandeur. Rien ne nous fera renoncer à la puissance maximale que les techniques modernes (militaires, financières) met- tent à notre disposition. Pourquoi ? Parce que ces techniques nous donnent aussi les moyens de garder une parfaite maîtrise de ces instruments de puissance. Cette pré- tention est illusoire mais y renoncer est inavouable. Au demeurant, pour que les autorités compétentes fassent allusion à l’accident du « Triomphant », il fallut qu’un quotidien britannique dit « popu- laire », « The Sun », vende la mèche. Elé- ment aggravant : aucun des dysfonction- nements de marché dont le résultat aura été de mettre à genoux (si ce n’est à terre) la plupart des grandes banques d’investis- sement des Etats-Unis et d’Europe occi- dentale n’aura été révélé au public par les autorités dites de « régulation ». C’est la presse qui, chaque fois, aura dévoilé des comportements déviants. Il est vrai aussi qu’il faut un certain degré de naïveté pour dénoncer des pratiques inhérentes à la finance moderne et désormais autorisées sur les marchés dérégulés ! Est-il normal que les non-professionnels, telles les banques cet été, puissent être des acteurs « virtuels » (sans jamais prendre livraison de la marchandise) spéculant sur la hausse, ou la baisse, des matières pre- mières comme le pétrole ? Après des mois de perfusion adminis- trée par l’Etat ou la Banque centrale, les banques ne peuvent toujours ni emprun- ter, ni prêter. La raison principale : elles financent d’énormes bilans (égaux ou su- périeurs au PNB d’un grand pays) par du court terme. Question aux régulateurs. Les banques entretiennent toujours des milliers de traders. Pour elles, le risque, c’est la volatilité des marchés. Les Yo-Yo de la Bourse sont une source potentielle - virtuelle ! - de profits (ou de pertes) énormes. Les traders sont toujours là et payés. Gardent-ils les bras croisés ? Or les banques, incapables d’emprunter désor- mais, ne disposent que de deux sources pour « intervenir » sur les marchés : l’ar- gent du contribuable ou celui des dépo- sants. Que font-elles ? LE COMMENTAIRE DE PAUL FABRA LE COMMENTAIRE DE PAUL FABRA Limites de l’économie virtuelle armi les bobards et slogans pris au P sérieux et qui ont contribué à annihi- ler l’esprit critique devant les pires dévia- tions des pratiques de marché, mais pas seulement elles, il en est un, particulière- ment insidieux (et confus), qui a contribué à consommer le divorce de l’« élite » diri- geante avec le sens des réalités : l’idée saugrenue qu’il existe un monde dit « vir- tuel » ou « surréel » composé d’équations. C’est par référence à cet univers bis, « mo- delisé » (mathématisé), que les décideurs de haut vol prendraient leurs décisions « stratégiques ». Il en résulterait une considérable extension de leur champ d’action. Les limites en seraient fixées par le seul calcul des probabilités. Avec cette méthode, ou cet alibi, les grandes banques d’investissement ont pu démesurément gonfler leurs bilans res- pectifs par l’acquisition d’actifs de plus en plus risqués et « donc » de plus en plus rentables (tel est un autre postulat de la « virtual economy »). Le modèle leur as- surait que les chances qu’elles soient ex- posées à une crise de liquidité était de l’ordre de une sur 1 million ! Qu’on me permette ici d’oser une allusion à la ré- cente collision entre le sous-marin nu- cléaire français lanceur d’engins (SNLE) « Le Triomphant » et son homologue bri- tannique « Vanguard ». Cet accident était par la même méthode théoriquement exclu. Et, tout d’un coup, nous voilà remis en présence de cette inconfortable réa- lité : chacun de ces discrets (jusqu’à la nuit du 3 au 4 février) patrouilleurs - et il y en a d’autres - transporte à son bord des missiles stratégiques dont la puissance est estimée à environ 1.000 fois la bombe d’Hiroshima. Par nature, ces armes de dissuasion massive sont des instruments Les banques, incapables d’emprunter, ne peuvent intervenir sur les marchés qu’avec l’argent des contribuables ou celui des déposants. Que font-elles ?

Paul Fabra Limites de l’Économie Virtuelle

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03/03/09P. 17Idées

de terreur. Leur déploiement répondrait-il à une sorte de réflexe routinier, héritéde la guerre froide ? On a peine à lecroire.

Quel délire se cache derrière le sang-froid apparent avec lequel ces ordres demissionsontdonnésetexécutés ?L’imaged’une menace « virtuelle » et, commetelle, conçue comme détachée de soncontexte actuel (où une grande guerren’apparaît pas imminente) fournit l’expli-cation. On lui oppose un appareil deriposte pareillement disproportionnéparce que, lui aussi, pensé in abstracto(mais constitué par de vrais submersiblesarmés de vraies têtes nucléaires, etc).

Ainsi la politiquede sécurité dénote-t-ellede la part de ceux qui en ont la charge uneperte caractéristique du sens des ordres degrandeur. Rien ne nous fera renoncer à lapuissance maximale que les techniquesmodernes (militaires, financières) met-tent à notre disposition. Pourquoi ? Parceque ces techniques nous donnent aussi lesmoyens de garder une parfaite maîtrise deces instruments de puissance. Cette pré-tention est illusoire mais y renoncer estinavouable. Au demeurant, pour que lesautorités compétentes fassent allusion àl’accident du « Triomphant », il fallutqu’un quotidien britannique dit « popu-laire », « The Sun », vende la mèche. Elé-ment aggravant : aucun des dysfonction-nements de marché dont le résultat auraété de mettre à genoux (si ce n’est à terre)

la plupart des grandes banques d’investis-sement des Etats-Unis et d’Europe occi-dentale n’aura été révélé au public par lesautorités dites de « régulation ». C’est lapresse qui, chaque fois, aura dévoilé descomportements déviants. Il est vrai aussiqu’il faut un certain degré de naïveté pourdénoncer des pratiques inhérentes à lafinance moderne et désormais autoriséessur les marchés dérégulés ! Est-il normalque les non-professionnels, telles lesbanques cet été, puissent être des acteurs« virtuels » (sans jamais prendre livraisonde la marchandise) spéculant sur lahausse, ou la baisse, des matières pre-mières comme le pétrole ?

Après des mois de perfusion adminis-trée par l’Etat ou la Banque centrale, lesbanques ne peuvent toujours ni emprun-ter, ni prêter. La raison principale : ellesfinancent d’énormes bilans (égaux ou su-périeurs au PNB d’un grand pays) par ducourt terme. Question aux régulateurs.Les banques entretiennent toujours desmilliers de traders. Pour elles, le risque,c’est la volatilité des marchés. Les Yo-Yode la Bourse sont une source potentielle− virtuelle ! − de profits (ou de pertes)énormes. Les traders sont toujours là etpayés. Gardent-ils les bras croisés ? Or lesbanques, incapables d’emprunter désor-mais, ne disposent que de deux sourcespour « intervenir » sur les marchés : l’ar-gent du contribuable ou celui des dépo-sants. Que font-elles ?

LE COMMENTAIRE DE PAUL FABRALE COMMENTAIRE DE PAUL FABRA

Limites de l’économie virtuellearmi les bobards et slogans pris auP sérieux et qui ont contribué à annihi-

ler l’esprit critique devant les pires dévia-tions des pratiques de marché, mais passeulement elles, il en est un, particulière-ment insidieux (et confus),qui acontribuéà consommer le divorce de l’« élite » diri-geante avec le sens des réalités : l’idéesaugrenue qu’il existe un monde dit « vir-tuel » ou « surréel » composé d’équations.C’est par référenceà cet univers bis, « mo-delisé » (mathématisé), que les décideursde haut vol prendraient leurs décisions« stratégiques ». Il en résulterait uneconsidérable extension de leur champd’action. Les limites en seraient fixées parle seul calcul des probabilités.

Avec cette méthode, ou cet alibi, lesgrandes banques d’investissement ont pudémesurément gonfler leurs bilans res-pectifs par l’acquisition d’actifs de plus enplus risqués et « donc » de plus en plusrentables (tel est un autre postulat de la« virtual economy »). Le modèle leur as-surait que les chances qu’elles soient ex-posées à une crise de liquidité était del’ordre de une sur 1 million ! Qu’on mepermette ici d’oser une allusion à la ré-cente collision entre le sous-marin nu-cléaire français lanceur d’engins (SNLE)« Le Triomphant » et son homologue bri-tannique « Vanguard ».Cet accident étaitpar la même méthode théoriquementexclu. Et, tout d’un coup, nous voilà remisen présence de cette inconfortable réa-lité : chacun deces discrets (jusqu’à la nuitdu 3 au 4 février) patrouilleurs − et il y ena d’autres − transporte à son bord desmissiles stratégiques dont la puissance estestimée à environ 1.000 fois la bombed’Hiroshima. Par nature, ces armes dedissuasion massive sont des instruments

Les banques, incapables d’emprunter, ne peuventintervenir sur les marchés qu’avec l’argent descontribuables ou celui des déposants. Que font-elles ?