12
109 Cahiers thématiques N°13 Conférence de Frédéric Bertrand 1 Paysage et organisation consciente de l’espace dans l’œuvre de Robert Auzelle Robert Auzelle, architecte formé à l’École des beaux-arts, rejoint l’Institut d’urbanisme au tout début des années 1940. La dimension paysagère de son travail peut être exa- minée à cette époque à partir d’un plan proposé pour le quartier du Marais à Paris. Ce projet est conçu par un groupe dissident au sein de l’Institut d’urbanisme, l’Atelier supé- rieur d’urbanisme appliqué, créé par Gaston Bardet et un collectif d’étudiants. Considé- rant qu’il n’y a pas assez de formation appliquée dans leur enseignement, ils décident de créer cet atelier, parrainé par l’historien Marcel Poëte. Le plan du Marais (1938-1943) révèle des positions fortes sur l’organisation d’un quartier qui sera de plus en plus considéré pour sa grande valeur patrimoniale. L’équipe, compo- sée de R. Auzelle, J. de Maisonseul, M. Marchant-Lyon et H.-J. Delcourt, réunit des profils d’horizons disciplinaires très différents (architecte, juriste, économiste). Elle procède à une enquête de terrain, repère les bâtiments remarquables, collecte des données statis- tiques et s’intéresse à une structure morphologique particulière, les hôtels particuliers entre cour et jardin. Fin des années 1930, début des années 1940, il est encore prévu que l’approche urbaine haussmannienne (lignes droites et percées) réorganise ce terri- toire. Opposée à ce projet, l’équipe propose de conserver la structure urbaine des voies et des hôtels existants afin de créer d’autres modes de liaison, de traversée, de réorga- nisation, qui ne passent pas par la déstructuration induite par la percée. Ils préconisent d’aérer le tissu urbain et de renforcer les plantations, ce qui les conduit à supprimer les arbres de la place des Vosges pour retrouver sa structure initiale et sa vocation d’espace de démonstration effacée sous celle d’un square de quartier. Cet acte radical est jus- tifié par des arguments patrimoniaux et un bilan positif de replantation à l’échelle du quartier. L’approche statistique est représentative des méthodes et outils utilisés. Mais c’est surtout sur le plan réglementaire que la démarche est intéressante. Constatant l’ab- sence de textes permettant la protection d’un patrimoine à l’échelle urbaine, l’équipe va s’appuyer sur la notion de site naturel pour adapter ce cadre réglementaire à la forme urbaine d’un quartier particulier, à ses voies, ses espaces publics, son tissu, ses échelles. Le site naturel, c’est aussi l’épaisseur des façades qui forment le paysage des voies. Cette épaisseur est équipée, reliée aux réseaux souterrains, bien construite et dessinée. La détruire reviendrait donc, pour la collectivité publique, à engager des dépenses inutiles. L’intervention collective doit donc s’opérer à l’échelle de l’îlot, dans sa profondeur, en dépassant la stricte addition du parcellaire et des copropriétés. Le curetage des îlots, affranchi des contraintes parcellaires, doit aboutir à la suppression des extensions réali- sées au fil du temps, notamment aux XVIII e et XIX e siècles. Pour les hôtels particuliers, L’auteur tient à remercier Sabine Ehrmann et Agathe Delecambre pour leur aide dans la retranscription de cette conférence. Il remercie également Bertrand Le Boudec et l’ENSAP de Lille pour leur invitation à partici- per au cycle sur le « Goût du paysage ».

Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

109Cahiers thématiques N°13

Conférence de Frédéric Bertrand1

Paysage et organisation consciente de l’espacedans l’œuvre de Robert Auzelle

Robert Auzelle, architecte formé à l’École des beaux-arts, rejoint l’Institut d’urbanisme au tout début des années 1940. La dimension paysagère de son travail peut être exa-minée à cette époque à partir d’un plan proposé pour le quartier du Marais à Paris. Ce projet est conçu par un groupe dissident au sein de l’Institut d’urbanisme, l’Atelier supé-rieur d’urbanisme appliqué, créé par Gaston Bardet et un collectif d’étudiants. Considé-rant qu’il n’y a pas assez de formation appliquée dans leur enseignement, ils décident de créer cet atelier, parrainé par l’historien Marcel Poëte.

Le plan du Marais (1938-1943) révèle des positions fortes sur l’organisation d’un quartier qui sera de plus en plus considéré pour sa grande valeur patrimoniale. L’équipe, compo-sée de R. Auzelle, J. de Maisonseul, M. Marchant-Lyon et H.-J. Delcourt, réunit des profils d’horizons disciplinaires très différents (architecte, juriste, économiste). Elle procède à une enquête de terrain, repère les bâtiments remarquables, collecte des données statis-tiques et s’intéresse à une structure morphologique particulière, les hôtels particuliers entre cour et jardin. Fin des années 1930, début des années 1940, il est encore prévu que l’approche urbaine haussmannienne (lignes droites et percées) réorganise ce terri-toire. Opposée à ce projet, l’équipe propose de conserver la structure urbaine des voies et des hôtels existants afin de créer d’autres modes de liaison, de traversée, de réorga-nisation, qui ne passent pas par la déstructuration induite par la percée. Ils préconisent d’aérer le tissu urbain et de renforcer les plantations, ce qui les conduit à supprimer les arbres de la place des Vosges pour retrouver sa structure initiale et sa vocation d’espace de démonstration effacée sous celle d’un square de quartier. Cet acte radical est jus-tifié par des arguments patrimoniaux et un bilan positif de replantation à l’échelle du quartier. L’approche statistique est représentative des méthodes et outils utilisés. Mais c’est surtout sur le plan réglementaire que la démarche est intéressante. Constatant l’ab-sence de textes permettant la protection d’un patrimoine à l’échelle urbaine, l’équipe va s’appuyer sur la notion de site naturel pour adapter ce cadre réglementaire à la forme urbaine d’un quartier particulier, à ses voies, ses espaces publics, son tissu, ses échelles.

Le site naturel, c’est aussi l’épaisseur des façades qui forment le paysage des voies. Cette épaisseur est équipée, reliée aux réseaux souterrains, bien construite et dessinée. La détruire reviendrait donc, pour la collectivité publique, à engager des dépenses inutiles. L’intervention collective doit donc s’opérer à l’échelle de l’îlot, dans sa profondeur, en dépassant la stricte addition du parcellaire et des copropriétés. Le curetage des îlots, affranchi des contraintes parcellaires, doit aboutir à la suppression des extensions réali-sées au fil du temps, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles. Pour les hôtels particuliers,

L’auteur tient à remercier Sabine Ehrmann et Agathe Delecambre pour leur aide dans la retranscription de cette conférence. Il remercie également Bertrand Le Boudec et l’ENSAP de Lille pour leur invitation à partici-per au cycle sur le « Goût du paysage ».

Page 2: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

110

il s’agira de revenir à un état initial supposé permettant de dé-densifier le quartier, de le rendre, selon eux, plus salubre et surtout plus accessible. C’est en fait Jacques Gréber, architecte et urbaniste enseignant à l’Institut de l’urbanisme et directeur de thèse de Robert Auzelle, qui est à l’origine de cette idée. En 1938, il avait déjà fait une étude similaire sur une partie du Marais, en proposant de trouver ce que l’on appellerait au-jourd’hui des liaisons douces, des parcours entre cours et jardins ayant le moins de points de contact possible avec les circulations mécaniques qui encombrent le quartier. Gréber proposait donc déjà de travailler à partir de cette structure d’hôtels particu-liers, d’ouvrir leurs emprises libres, de créer des parcours permettant leur découverte et finalement une sorte de deuxième réseau maillé avec celui des voies publiques. Ces propositions sont à comparer avec une autre méthode d’approche, elle aussi de grande échelle, la restructuration de l’îlot insalubre n°6, le quartier du faubourg Saint-Antoine, proposée par Le Corbusier en 1937.

L’approche comparée

Robert Auzelle restera longtemps attaché à cette question du paysage urbain, à sa per-ception notamment en séquences. À travers plans, photos et croquis, sa démarche re-lève à la fois de l’élaboration d’une analyse spatiale, d’une identification du territoire, mais pose aussi les fondements du projet. Cette méthode évoque les travaux de Ray-mond Unwin sur la composition des cités-jardins dont Auzelle avait connaissance, mais renvoie également à un ensemble de savoirs et de cultures plus exogènes, comme la géographie.Plusieurs objets d’étude vont être identifiés et considérés comme fondamentaux pour les démarches de connaissance et de projet. Les premiers tiennent à la géographie : la topographie, le rapport à l’eau, le climat, l’exposition au vent, à la pluie, au soleil. La connaissance des modes d’habiter est également centrale. C’est ce que Jean Brunhes, dont les travaux faisaient alors partie du tronc culturel commun de l’Institut de l’urba-nisme, nomme « le semis fondamental de peuplement » dans son ouvrage Géographie humaine (1942).L’entreprise la plus connue de R. Auzelle, les Documents d’urbanisme (1947-1951) re-baptisés Encyclopédie de l’urbanisme (1951-1968), témoigne de cette préoccupation. Éditée sous forme de fascicules séparés, l’Encyclopédie doit favoriser la formation d’une culture collective apte à répondre aux enjeux de l’époque : un vaste chantier national de reconstruction et d’aménagement des villes et du territoire. Pour Auzelle, les architectes issus de l’École des beaux-arts ne sont pas formés pour répondre aux programmes et aux échelles concernées. Il s’engage donc dans une tâche longue et patiente de construc-tion d’un savoir partagé, susceptible de fonder une culture urbaine commune pour les architectes, mais également d’intéresser d’autres champs disciplinaires, de décloison-ner les savoirs et de favoriser les rapprochements des géographes, des démographes,

Page 3: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

111Cahiers thématiques N°13

II. Terrains communs

dans sa bibliothèque la série encyclopédique ita-lienne de Diotallevi e Marescotti, Il problema sociale, costruttivo ed economico dell’abitazione produite à Milan à partir des années 1940. Des planches comparées, par types de programmes, croisent les échelles urbaines et architecturales et adoptent les mêmes dispositifs de représentation et le même intérêt pour les répartitions des sur-faces : qu’est-ce qui est habité ? qu’est-ce qui est de l’espace libre collectif planté ? qu’est-ce qui est de l’espace libre privé ? selon quelles formes et pourcentages ?

En 1947, Robert Auzelle sera en charge d’une expo-sition dressant un premier bilan des opérations de reconstruction engagées par le ministère de la Re-construction et de l’Urbanisme (MRU). Il est alors coordinateur de la section française. Le « flyer » (fig. 1) de l’exposition résume bien les concep-tions de l’époque, celles d’Auzelle en tout cas : d’une part, un isolement des bâtiments dans une nature où l’homme pourra se ressourcer et une organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours présente, aux rapports entre la ma-tière et le vivant, la végétation et l’être humain. Les relations entre les masses extérieures, leur forme et construction, et les espaces intérieurs, sont, d’après lui, essentielles dans tout processus de conception.En 1950, en tant qu’architecte et urbaniste de l’État, mais aussi comme enseignant et architecte libéral, Auzelle publiera, à la demande du minis-tère, un article dans La Vie urbaine (n°57, juil-let-septembre). Ce texte, intitulé « Implantation des bâtiments à usage d’habitation », est large-ment diffusé dans les structures administratives des différentes régions de France, comme s’il s’agissait d’un manuel. Auzelle y dresse un rapide historique de l’évolution de la forme urbaine.

des économistes, etc. L’Encyclopédie est destinée aux praticiens, aux enseignants et à tous types de décideurs et de lecteurs éclairés. Le recueil contient une sélection très précise et très pragmatique. Auzelle examine, à diffé-rentes échelles, les « réalisations exemplaires », de tous les temps et dans tous les lieux, des ruines aux opéra-tions contemporaines. L’idée est d’apprendre des struc-tures urbaines les plus remarquables en les rendant com-parables. À cette fin, une charte graphique très précise est élaborée avec des cartographes.Cette approche comparée renvoie aux Études sur les transformations de Paris d’Eugène Hénard (1903-1910), qui quantifie et explore les logiques de répartition des espaces libres, à partir de l’état existant et d’un état pro-jeté. Formé par Pierre Lavedan, Auzelle puise probable-ment aussi dans sa Géographie des villes (1936) les re-présentations schématiques et comparées de la forme ur-baine, dans lesquelles les espaces libres privés et publics tiennent une place importante. Il détenait également

Fig. 1 : Exposition Internationale de l’Urbanisme et de l’Habitation, MRU, 1947.

Page 4: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

112

La ville ancienne est gratifiée de qualités sociales et d’échelle urbaine, mais jugée ina-daptée aux conditions de la vie contemporaine car devenue, au fil du temps, un tis-su insalubre, trop dense et déficitaire en plantations. La deuxième période, celle des premières cités d’habitat social, est considérée comme trop dépendante de la rue et si régulière qu’elle entraîne une monotonie du paysage urbain et un déficit d’appro-priation. Seule une attirance pour la vie monacale permet d’y vivre. La dernière pé-riode est saluée comme celle du mouvement moderne. Malgré ses liens avec Marcel Poëte et Gaston Bardet, Auzelle reste un admirateur discret de Le Corbusier et consa-crera une planche de l’Encyclopédie de l’urbanisme à l’Unité d’habitation de Mar-seille. Constatant les réformes salutaires du mouvement moderne – un tissu aéré, une nature omniprésente, une indépendance des édifices par rapport aux voies –, il considère cependant que cet urbanisme reste fondé sur des critères doctrinaires, es-sentiellement esthétiques, peu compatibles avec l’organisation d’une structure ur-baine vivante. Il critique le caractère abstrait des compositions de l’époque qui sub- stituent un art urbain, inspiré des relevés archéologiques, à une plasticité, marquée par l’art moderne. Fervent défendeur de la séparation des réseaux de circulation, il plaide pour la recherche d’autres solutions, maintenant un tissu ouvert indépendant des voies circulées, une forte présence de la végétation, l’intégration des paramètres environne-mentaux (exposition au vent, au soleil, etc.) et surtout les rapports étroits entre espaces intérieurs et extérieurs.

Des vues, des plantes et du temps

Ce texte, parmi d’autres, est révélateur de l’importance qu’il accorde à la dimension visuelle, perceptive de l’espace habité. De 1949 à 1953, il mettra au point, avec des labo-ratoires spécialisés en optique et en soufflerie, différents outils adaptés à une évaluation et une conception raisonnée des espaces. Ainsi, le cystoscope, modifié pour que sa focale corresponde à la vision humaine, donnera naissance en 1949 au maquettoscope, outil précieux pour apprécier la composition des volumes et surtout le rôle de l’ensoleil-lement. Son développement devait permettre de passer d’une approche statique à une observation cinétique. Auzelle s’appuiera aussi sur les travaux de Christopher Tunnard et Boris Pushkarev (Man-Made America, Chaos or Control ?, 1963) qui s’interrogent sur l’aménagement du territoire américain, les conditions de sa dégradation, celles pos-sibles de son amélioration. Les auteurs déterminent les champs de vision en fonction de la vitesse de circulation et proposent des variantes aux tracés autoroutiers qui ne prennent pas en compte la grande dimension des paysages. Leurs travaux sur la topo-graphie prouvent qu’il est envisageable de créer un paysage en mouvement révélateur de la géographie et du paysage.En lien avec l’ingénieur René Magnan, Auzelle entreprendra des études techniques ap-profondies sur le réseau des voies (caractère accidentogène des carrefours, calcul des

Page 5: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

113Cahiers thématiques N°13

II. Terrains communs

conceptions urbaines et paysagères. Le cœur de cette cité de logement social est une vaste struc-ture plantée : « la Coulée verte ». Cette composi-tion ouverte maintient à niveau de sol constant la plus grande séparation possible entre les diffé-rents modes de déplacement. Elle distribue des aires de jeux pour les enfants et des équipements représentatifs (une bibliothèque, un centre com-mercial, un centre social, etc.). En tant qu’archi-tecte et urbaniste de l’ensemble, il accorde une place essentielle aux plantations et s’attache for-tement à leur réalisation car, malgré les énon-cés de principe de l’époque, aucun financement n’est prévu pour les « espaces verts ». La com-position est soumise à une vérification des taux d’ensoleillement et garantit que, dans les condi-tions les plus difficiles, même le rez-de-chaussée du logement le plus défavorisé aura suffisam-ment d’heures d’ensoleillement en hiver (fig. 2).

flux…) et mettra au point le système du carrefour en Y et de la circulation à sens unique. Ce dispositif autorise un maillage de voies relativement étroit, une circulation fluide, sans feux, indépendante du reste de l’organisation urbaine (liaisons piétonne et cyclable rattachées aux en-sembles bâtis). Auzelle appliquera cette conception à La Défense, en tant qu’architecte et urbaniste de l’Établisse-ment public, à partir de la fin des années 1950. Défendant jusqu’à la fin de sa vie son rôle majeur dans la conception de la dalle du centre d’affaires « parisien », il valorisera aussi les premières simulations par ordinateur destinées à produire une vision objective de la perception par l’au-tomobiliste des infrastructures routières enterrées. Il tra-vaillera également sur l’organisation morphologique de ce quartier, en cherchant à déterminer les interactions entre tours, jardins sur dalles et microclimat.

La conception de la Cité de la Plaine, située à Clamart au sud-ouest de Paris, est parfaitement révélatrice de ses

Fig. 2 : Auzelle, Gervaise, Déchaudat, Mahé, Taponnier, Monvoisin, Cité de la Plaine (1947-1967 env.).

Page 6: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

114

Les facteurs environnementaux guident aussi la structure morphologique de la cité. Les immeubles collectifs les plus hauts forment des paravents protégeant des vents domi-nants du plateau de Clamart. Ces écrans bâtis sont complétés par une structure végétale composée de grands peupliers, arbres de hautes tiges, à croissance rapide, susceptibles de pallier les problèmes liés aux nappes d’eau en surface. Architecture et arbres contri-buent à la création de microclimats locaux abritant les aires de jeux. Formes et polychro-mie de la végétation complètent le dessin très sobre des habitations, construites avec un seul matériau, la brique. Les architectures des équipements devaient en revanche se singulariser par une plus grande diversité d’expressions architecturales. Si la conception de la cité est un acte collectif (cinq architectes : Auzelle, Gervaise, Déchaudat, Mahé, Taponnier, et un ingénieur : Monvoisin), elle se fera sans paysagiste, mais avec le sou-tien continu de l’entreprise d’horticulture Villette, qui travaille à l’époque sur de nom-breuses opérations d’aménagement. Auzelle conçoit lui-même les différents jardins et prescrit les types de plantations. Les archives photographiques illustrent la manière dont ce paysage se construit et s’amplifie dans le temps. Cette dimension évolutive, liée au vivant en général, est centrale dans sa démarche et ne saurait se réduire à une approche formelle. Elle enrichit la programmation urbaine, comme en témoigne la créa-tion d’un béguinage destiné aux personnes âgées et de ce fait très difficile à réaliser dans des grands ensembles surtout conçus pour de jeunes couples avec enfants. Bien qu’à l’origine animé de cris d’enfants, le béguinage finira par remplir son rôle : permettre aux habitants de la cité d’y vieillir et mourir dignement.

Les cimetières, demeures paysagères

Une part importante de l’œuvre d’Auzelle se concentre sur les cimetières, sujet auquel il consacre sa thèse à l’Institut de l’urbanisme de Paris sous la direction de Jacques Gréber et dont il fera le sujet d’un livre publié à compte d’auteur, Dernières demeures, conception, composition, réalisation du cimetière contemporain (1965). Le paysage tient une place importante dans cette réflexion. Elle doit être resituée dans une perspective plus large.

Dès sa conception, le Père-Lachaise incarne une vision romantique de la mort, mais aussi une vision marquée d’une forte présence de l’architecture : pyramide, galerie d’œuvres d’art, monuments individuels… Cette figure relève d’une composition asso-ciant l’évocation de la tombe isolée dans la nature et une architecture monumentale courante dans les grandes villes italiennes ou espagnoles. Des historiens des mentalités, tels que Philippe Ariès ou Michel Vovelle, ont souligné que le modèle du Père-Lachaise, en s’exportant aux États-Unis et en Europe (Angleterre, Allemagne…), a évolué vers une disparition croissante du monument au profit de la nature. Le Père-Lachaise lui-même évoluant en sens inverse, la pierre envahit le jardin.

Page 7: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

115Cahiers thématiques N°13

II. Terrains communs

de l’architecte Fritz Schumacher, qui pense une composition urbaine à grande échelle invitant à un décloisonnement en termes d’organisation fonctionnelle des espaces. Une « œuvre d’art so-ciale totale » parfaitement étudiée par l’historien Hartmut Frank.Un autre jalon important dans l’histoire de l’amé-nagement des cimetières est le Waldfriedhof de Munich, conçu par l’architecte Hans Grässel. Il s’agit d’une forêt dans laquelle des tombes sont implantées. Ce cimetière servira de modèle à plu-sieurs reprises, mais sera aussi largement critiqué pour son manque d’économie lorsqu’il conduit à planter artificiellement une forêt. Hans Grässel lui-même adaptera ses compositions en fonction des sites, comme le prouvent les autres cime-tières qu’il a réalisés à Munich. Derrière la diversi-té de ces paysages et de ces compositions s’orga-nise toujours un découpage en lots qui permet-tra d’attribuer des valeurs foncières différentes au sol, tout en composant la présence des sépul-tures dans le paysage. Pour les Allemands, cette économie globale sera fondamentale, particuliè-rement pour les cimetières militaires de la pre-mière et de la seconde guerre mondiale implan-tés en dehors de leur territoire et qu’ils n’auront le droit d’entretenir qu’a minima. Paysagistes et architectes sont alors tenus de concevoir des structures suffisamment fortes et pérennes pour qu’elles résistent au temps.

Toute cette histoire est véhiculée par des publica-tions souvent peu connues, mais dont les finali-tés pratique et esthétique étaient essentielles tant pour les concepteurs que pour les gestionnaires. C’est un travail comparable qu’engage Auzelle avec Dernières demeures en réalisant pour les cime-tières une entreprise analogue à celle de l’Ency-clopédie de l’urbanisme. En décrivant et codi-fiant les éléments fondamentaux de l’organisa-

Robert Auzelle possède tout un ensemble d’ouvrages américains qui théorisent la composition du cimetière, notamment au début des années 1920 et durant les an-nées 1930. Ces manuels sont très clairs sur la nécessité de réfléchir à l’intégration du cimetière conçu comme un grand équipement au sein d’un système métropolitain plus vaste d’espaces libres. Pour le cimetière lui-même, une approche méthodique et codifiée, par carroyage, per- met d’organiser en plan et en coupe la reconnaissance du site, de ses éléments fondamentaux : topographie, vé-gétation, eau. De grands principes de composition sont dégagés, avec la recherche de figures ou tableaux articu-lant les échelles. Ces manuels d’architectes-paysagistes témoignent d’une large place accordée au paysage des voies et allées dans leur rapport à la topographie, à la pro-fondeur des paysages, aux éléments minéraux ou végé-taux. Derrière cette composition, c’est toute une science du découpage qui est mise en œuvre, dictant l’implanta-tion de lots de valeur commerciale différente. La sinuo-sité des tracés, associée à un habile découpage du sol, devient pratiquement un mode d’écriture. F. L. Olmsted sera très réservé par rapport à l’approche spéculative qui domine les cimetières américains. Plus largement, il cri-tique, comme le fait le paysagiste J. C. Loudon en Angle-terre, la confusion entre le cimetière et le parc et, finale-ment, l’absence de réflexion véritable sur la structure so-ciale que pourrait représenter le cimetière, ce que Caro-line Constant qualifiera plus tard de « paysage spirituel » dans son étude du cimetière de Stockholm, conçu par les architectes E. G. Asplund et Sigurd Lewerentz. Auzelle sera également très critique vis-à-vis de ces références américaines, les considérant à son tour comme des entre-prises privées dominées par la dimension économique.

Les réalisations américaines ont cependant une grande influence en Europe, notamment en Allemagne où elles servent de modèles pour tout un ensemble de pro-grammes. Le plus grand cimetière d’Europe, celui de Hambourg, s’inscrit dans une réflexion sur l’organisation métropolitaine du territoire, notamment sous l’influence

Page 8: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

116

tion des cimetières (voies, plantations, équipements, sépultures, etc.) (fig. 3), il s’inté-resse particulièrement au caractère évolutif de ce programme. Les cimetières doivent être une expression de la vie, de la mort, de la renaissance. Le paysage, le choix des essences, la polychromie…, participent de cette spiritualité qu’il cherche à objectiver en élaborant des outils de composition. Rappelant les grands principes paysagers, comme celui du « ha-ha » ou saut-de-loup en vigueur dès le XVIe siècle en France et largement répandu plus tard dans les « jardins à l’anglaise », il invite à penser la coupe, les relations visuelles et l’organisation du sol, à concevoir le végétal comme un élément vivant qui évolue dans le temps, change au fil des saisons. Au début des années 1940, il développe ainsi une série de représentations codifiées de différents types d’essences et de leur taille. Cette charte graphique lui permet de représenter en plan un paysage qui peut être aussi perçu en volume. L’expérience sera approfondie dans Dernières demeures avec des effets de « sols », de « plafonds » et de « masques », variables selon les types d’essences et leur développement (fig. 4).

Fig. 3 : Robert Auzelle, Dernières demeures, conception, composition, réalisation du cimetière contemporain, 1965.

Page 9: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

117Cahiers thématiques N°13

II. Terrains communs

très monumentale, l’attention aux lieux reste sen- sible. Ce concours sera l’occasion de concevoir une maîtrise des monuments à partir de « vo-lumes enveloppe ». Selon les caractéristiques paysagères des sites, les monuments doivent res-pecter des volumes donnés. Bien que cette re-cherche d’ordre évoque les cimetières militaires, elle relève davantage d’une quête d’harmonie et d’œuvre ouverte. Auzelle considère en effet que le cimetière militaire est une figure immuable inadaptée au cimetière civil. A contrario, le cime-tière civil, du fait du renouvellement des sépul-tures, est un lieu « vivant » en perpétuel mouve-

Auzelle s’intéresse aussi à la relation entre l’architecture et le paysage du cimetière, à la force d’expression res-pective de ces deux éléments et de leur rencontre. Dans la tradition académique, à la manière de E.-L. Boulée et d’autres à la même époque, il tente de codifier des ex-pressions symboliques de l’architecture et du paysage, de les nommer.

La première tentative appliquée date de 1939, il s’agit d’un projet de cimetière dans le désert de Retz, qui lui vaudra d’être lauréat du concours Chenavard. Ce réinves-tissement programmatique devait redonner vie à ce parc, à l’époque oublié et dégradé. Bien que la composition soit

Fig. 4 : Robert Auzelle, Dernières demeures, conception, composition, réalisation du cimetière contemporain, 1965.

Page 10: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

118

ment. C’est aussi en ce sens qu’il plaidera pour un retour du corps à la nature, c’est-à-dire un rejet du caveau au profit de l’inhumation en pleine terre, ce qui est très rare à l’époque. La disparition du corps est partie intégrante de sa symbolique du cimetière et de son organisation globale. Cette conception est toujours à l’œuvre pour le cimetière de l’Aiguillon à Nevers (1943). La réflexion est ici marquée par une présence forte de l’architecture du lieu de cérémonie, dont A. Perret corrigera les esquisses. C’est égale-ment à Nevers qu’il cherchera, avec beaucoup d’acharnement mais peu de succès, à réa-liser le lieu de toutes les mémoires, un grand ossuaire, dénommé ossuaire-nécrologe. Considérant le caractère éphémère des sépultures privées et préconisant des conces-sions à durée limitée, il cherche une expression collective du caractère perpétuel du cimetière. Il n’y parviendra qu’en partie dans les cimetières intercommunaux.

Clamart, Joncherolles et Valenton

Bien que concepteur de trois grands cimetières intercommunaux en région pari-sienne, son œuvre la plus connue reste le cimetière intercommunal de Clamart, pre-mier cimetière paysager en France, depuis le XXe siècle. À l’origine, la composition est très proche de celle du cimetière du Bois-de-Vaux à Lausanne, réalisé par l’architecte A. Laverrière. Mais dans la mesure où la cité, conçue quelques années plus tard, doit se développer simultanément, il considérera que la ville des vivants ne peut être placée sous la dépendance monumentale de la ville des morts. Les tracés s’infléchissent pour devenir aussi sinueux que ceux de la cité. Leur faible largeur laisse plus de place à la végétation et est adaptée à la circulation de petits véhicules électriques, courants dans les gares et les aéroports. Considérés comme écologiques, ils roulaient lentement et sans bruit, au rythme de la procession. Les professionnels mettront rapidement fin à ce rituel imposant une rupture de charge à l’entrée du cimetière et l’inaccessibilité de leurs fourgons au reste du site. Les allées d’origine et les rayons de braquage ont dû être adaptés au nouveau gabarit…

La composition du cimetière est travaillée en séquences accompagnant la perception des visiteurs. L’approche du grand portique, aux proportions surbaissées, à la manière des architectures ensevelies de E.-L. Boullée, évoque le calme. Idéalement, c’est le lieu de cérémonie collective, face à un grand paravent de marbre translucide, qui s’ouvre sur un ovale engazonné dont la déformation perspective donne l’impression d’un cercle parfait, symbole d’unité qui invite au recueillement. Le visiteur s’achemine alors dans le cimetière et découvre un paysage extrêmement varié, dont la polychromie et la diversité des essences évoquent la renaissance et invitent à la sérénité. La composition polychro-mique fait clairement référence aux réalisations brésiliennes de Roberto Burle Marx.À proximité de l’entrée, des caveaux provisoires en enfeus sont dissimulés dans le pay-sage, autorisant ainsi des opérations funéraires et des cérémonies à l’abri des visiteurs.

Page 11: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

119Cahiers thématiques N°13

II. Terrains communs

de la coupe sur le paysage met une fois encore en application, à petite échelle, des solutions issues de la préfabrication du béton.

Le troisième cimetière intercommunal qu’il réa-lise est celui de Valenton. Il doit ici composer avec un site de plaine bordé de grandes infra- structures routières. Quelle doit être la percep-tion du cimetière dans ce paysage ? Comme pour les Joncherolles, il travaille à la rencontre entre la dimension monumentale de l’architecture et celle du paysage. À la manière du cimetière fo-restier de Davos, qu’il publie dans l’Encyclopédie de l’urbanisme, il implante des grands arbres de hautes tiges, souvent d’essences à feuilles persis-tantes, qui constituent des repères dans le pay-sage et offrent une perception cinétique à par-tir des infrastructures. Le vaste toit incurvé de la salle de cérémonie complète ce marquage du ter-ritoire et l’élévation vers le ciel.

Les études pour les cimetières de villes nouvelles, comme celle du Bois de Célie à Marne-la-Vallée, marqueront la fin de sa carrière en matière fu-néraire. Là encore, il s’agit de travailler avec des sites impropres à leur destination. La présence d’eau et la mauvaise qualité des sols imposent d’importants mouvements de terre. Surtout, la conception devra évoluer à mesure que la sur-face du cimetière sera réduite pour laisser place à un parc de loisirs. Confronté à la difficile conci-liation des deux programmes, il tentera toutefois d’y parvenir en proposant une organisation en coupe séparant un sol à rez-de-jardin destiné aux loisirs, d’un sursol réservé au paysage de la mort.

Quoi qu’il en soit, Robert Auzelle cherchera tout au long de sa carrière à interpeller ses contem-porains sur les risques de la mécanisation et de la normalisation, particulièrement celle du cadre

Le dispositif en question est très bien organisé. Malgré sa recherche d’expression, cette composition générale renvoie à une certaine disparition de la mort dans le pay-sage. Les aires d’inhumation, isolées en divisions entou-rées de haies, masquent les sépultures et ne permettent plus cette rencontre avec la tombe longtemps théorisée dans l’art des jardins.

Le cimetière intercommunal des Joncherolles est tout au-tant représentatif de l’œuvre d’Auzelle. Comme son nom l’indique, c’est un site gorgé d’eau plus propice au déve-loppement des joncs qu’aux inhumations. Mais confron-tés à la rapide densification de la région parisienne, les acteurs de l’aménagement du territoire ont dû s’adapter à des terrains difficiles. Auzelle est alors contraint de conce-voir une infrastructure lourde dans ce paysage. Les terres végétales sont stockées afin de construire un système de drainage sur lit de sable et des sépultures en sursol. De grands glacis engazonnés, surmontés de haies, colonisent la plaine et dissimulent à nouveau les aires d’inhumation. Au cœur du cimetière, un lieu de la mémoire collective retient en son centre les restes des défunts et un double dodécaèdre dessiné par Auzelle. Cet ossuaire, entouré de columbariums et d’enfeus, forme une grande composi-tion monumentale qui associe la rusticité du béton à la vé-gétation. Ce paysage artificiel, dont les images d’archives sont spectaculaires, va disparaître progressivement sous le paysage. Contemporain des études pour La Défense, ce cimetière illustre pourtant le poids de la préfabrication et des solutions d’infrastructures lourdes. Dans les deux cas, la séparation fonctionnelle des pratiques domine, le cimetière devient un reflet inversé du centre d’affaires. La même démarche sera d’ailleurs appliquée pour l’ex-tension du très beau cimetière de Montfort-l’Amaury. Là encore, Auzelle cherche à créer un cimetière perpétuel en réalisant un ossuaire associé à un lieu de cérémonie abrité sous un grand portique formant porche d’entrée. Ossuaire et sépultures en enfeus permettent une densité importante et une organisation dans le paysage qui dissi-mule le cimetière aux habitations riveraines. La maîtrise

Page 12: Paysage et organisation consciente de l’espace dans l ... · organisation des espaces de circulation séparant l’automobile du piéton ; d’autre part, une atten-tion, toujours

120

bâti. S’il éprouve une certaine fascination pour la puissance des organisations humaines et leur cosmopolitisme, il considère « la flambée hippie, les nouveaux dogmes d’Amé-rique ou d’Asie, le marxisme » (À la mesure des hommes, 1982, p. 26) comme « au-tant d’ersatz » et d’expressions d’une fuite en avant et d’une perte d’enracinement. Ce dernier ouvrage est d’ailleurs une sorte de testament qui rassemble tout un ensemble d’extraits issus de ses nombreux articles et conférences. Plutôt que de s’attarder sur la citation d’A. Carrel qui constitue l’épigraphe de l’ouvrage et une racine critiquable, nous retiendrons deux images : la gravure d’un « homme végétal » (p. 26) dont les pieds ont des racines et le reste du corps des branches et des feuilles, et une photographie, celle d’un temple d’Angkor prisonnier de banians géants (p. 12). La gravure est accompagnée d’une longue citation extraite de l’ouvrage de Simone Weil sur L’Enracinement (1962). L’homme y est présenté comme configuré et conformé par ses origines culturelles et sociales, mais aussi par la société. Il est nourri des « milieux dont il fait naturellement partie ». La photographie des banians qui se développent sur le patrimoine d’Angkor est, pour Auzelle, évocatrice de cette manière de se nourrir du patrimoine, mais aussi d’un rapport conflictuel entre la nature et l’architecture. L’ex-libris qu’il s’est dessiné est une sorte de condensé et de guide personnel de sa pensée : la place de l’homme dans son environnement, la croissance et l’ordre de la composition et du savoir.

Comment penser les coexistences entre un paysage et une architecture ? Cette question centrale dans l’œuvre d’Auzelle peut être abordée, en conclusion, à partir de la mission qu’il effectue en Océanie entre 1950 et 1951. Il désespère alors de l’inertie administrative et de la pauvreté architecturale française. De dépit, il accepte cette mission et s’émer-veille de la très forte harmonie dans la manière d’habiter le paysage tout en craignant le début de sa destruction par le mode de vie occidental qui introduit dans la nature des constructions hors d’échelle, aux matériaux inadaptés. Auzelle mûrit alors un véritable plaidoyer en faveur d’une architecture contemporaine de qualité, en insistant sur le rendez-vous manqué avec l’école du Bauhaus et les œuvres de W. M. Dudok, A. Aalto ou J. L. Sert. S’interrogeant toujours plus sur la place de l’homme dans son environnement et sur son rôle dans sa dégradation, il cherche la voie d’un ressourcement et d’un retour aux sens (la vue, le toucher, le goût) à partir des éléments de la nature, jusqu’à tirer des leçons nouvelles de l’artisanat et de l’emploi des matériaux.