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79 PAYSAGES ET TERROIRS DU MORVAN SEPTENTRIONAL Jean CHIFFRE Université de Bourgogne, Dijon Le but de l'excursion est une prise de contact avec les paysages et terroirs du Morvan septentrional, puis une réflexion sur leur devenir. Itinéraire prévu : Dijon - Pouilly en Auxois - Saint-Agnan (1 ° arrêt) - Dun les Places (2° arrêt) - Saint-Brisson. I - DUON - SAULIEU Le trajet permet de mettre en place les différents types de terroirs qui s'échelonneront de la plaine dijonnaise au Morvan et de mesurer l'écart puis l'accentuation des contrastes entre: -les terroirs conquérants de la plaine (grande culture), de la côte (vignoble), des dépressions (élevage). -les terroirs intermédiaires à vocation mixte ou en voie de reconversion (périphérie du vignoble, hautes crêtes). -les terroirs de survivance en équilibre fragile (Morvan), c'est-à-dire l'opposition entre des terroirs insérés dans des systèmes modernes de mise en valeur et des terroirs marginaux demeurés à l'écart de l'évolution agricole. Le seuil de Sombernon (570 m.) relais important entre la plaine dijonnaise et le Morvan permet de découvrir le passage progressif du céréalier (avec tardives réminiscences de l'assolement triennal) à l'herbage (Auxois) : au-delà, c'est la lente montée sur le Morvan que signale à l'horizon la limite de la forêt. Toute la partie Auxois est présentée par Madame Bonnamour. II - SAULIEU - SAINT-AGNAN Trajet d'approche du Morvan, de transition. Le Morvan n'apparaît pas ici comme une moyenne montagne (à la différence du Morvan centre et sud au relief beaucoup plus accusé). Mais néanmoins le Morvan septentrional peut être défini par un certain nombre de traits spécifiques qui identifient son originalité : -l'importance du couvert forestier (de 40 à 45% de la superficie totale). -l'importance de l'habitat dispersé en petits hameaux (l'ensemble des communes concernées par l'excursion a un coefficient Pr/P>0,75) qui contraste avec l'habitat groupé plus à l'Est. -un style de peuplement en petits hameaux familiaux aux noms patronymiques caractéristiques (cf Les Loisons, Les Blancs ...Figl) -une taille moyenne des exploitations assez faible, 51 % d'entre elles ayant une taille inférieure à 20 ha (alors qu'en Morvan méridional 50% des exploitations ont une taille comprise entre 80 et 120 ha). Un arrêt au bord du lac de Saint-Agnan permet de découvrir un paysage caractéristique du Morvan septentrional, celui des hameaux familiaux. Construit sur le Trinquelin en 1969, ce lac d'une superficie de 140 ha alimente en eau potable 28 communes regroupées dans un syndicat intercommunal. Cahiers Nantais N° 43

PAYSAGES ET TERROIRS DU MORVAN SEPTENTRIONAL

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PAYSAGES ET TERROIRS DU MORVAN SEPTENTRIONAL

Jean CHIFFRE Université de Bourgogne, Dijon

Le but de l'excursion est une prise de contact avec les paysages et terroirs du Morvan septentrional, puis une réflexion sur leur devenir.

Itinéraire prévu : Dijon - Pouilly en Auxois - Saint-Agnan (1 ° arrêt) - Dun les Places (2° arrêt) - Saint-Brisson.

I - DUON - SAULIEU

Le trajet permet de mettre en place les différents types de terroirs qui s'échelonneront de la plaine dijonnaise au Morvan et de mesurer l'écart puis l'accentuation des contrastes entre:

-les terroirs conquérants de la plaine (grande culture), de la côte (vignoble), des dépressions (élevage).

-les terroirs intermédiaires à vocation mixte ou en voie de reconversion (périphérie du vignoble, hautes crêtes).

-les terroirs de survivance en équilibre fragile (Morvan),

c'est-à-dire l'opposition entre des terroirs insérés dans des systèmes modernes de mise en valeur et des terroirs marginaux demeurés à l'écart de l'évolution agricole. Le seuil de Sombernon (570 m.) relais important entre la plaine dijonnaise et le Morvan permet de découvrir le passage progressif du céréalier (avec tardives réminiscences de l'assolement triennal) à l'herbage (Auxois) : au-delà, c'est la lente montée sur le Morvan que signale à l'horizon la limite de la forêt. Toute la partie Auxois est présentée par Madame Bonnamour.

II - SAULIEU - SAINT-AGNAN

Trajet d'approche du Morvan, de transition. Le Morvan n'apparaît pas ici comme une moyenne montagne (à la différence du Morvan centre et sud au relief beaucoup plus accusé).

Mais néanmoins le Morvan septentrional peut être défini par un certain nombre de traits spécifiques qui identifient son originalité :

-l'importance du couvert forestier (de 40 à 45% de la superficie totale). -l'importance de l'habitat dispersé en petits hameaux (l'ensemble des communes

concernées par l'excursion a un coefficient Pr/P>0,75) qui contraste avec l'habitat groupé plus à l'Est.

-un style de peuplement en petits hameaux familiaux aux noms patronymiques caractéristiques (cf Les Loisons, Les Blancs ... Figl)

-une taille moyenne des exploitations assez faible, 51 % d'entre elles ayant une taille inférieure à 20 ha (alors qu'en Morvan méridional 50% des exploitations ont une taille comprise entre 80 et 120 ha).

Un arrêt au bord du lac de Saint-Agnan permet de découvrir un paysage caractéristique du Morvan septentrional, celui des hameaux familiaux. Construit sur le Trinquelin en 1969, ce lac d'une superficie de 140 ha alimente en eau potable 28 communes regroupées dans un syndicat intercommunal.

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Du bord du lac on découvre une série de petites clairières aménagées au milieu du massif forestier, situé le plus souvent à l'écart des voies principales de communication . Ces hameaux aux noms hérités des anciennes communautés qui sont à l'origine du peuplement (cf les Loisons , les Merlins , les Blancs) se répartissent en 3 groupes d'habitat autour de Saint-Agnan (Fig 2):

-Le groupe du Sud (4 hameaux) dont les Cordins, les Loisons ... -Le groupe de l'Ouest (10 hameaux) dont les Lavaults, les Pompons ... -Le groupe du Nord (3 hameaux) dont les Michaux, les Gueniffets ...

Un style de peuplement original, en relation avec la structure sociale, foncière et économique de la communauté familiale, le groupe domestique réunissant sous un même toit, dans un ensemble de bâtiments communs plusieurs familles vivant "au même pot et au même feu" sous la direction du maître de la communauté.

Fondées sur la vie et le travail en commun, sur l'indivision des bien transmis intégralement lors des successions, les communautés familiales du Nord du Morvan ont donné lieu à un façonnement récent du paysage (cf début 17ème siècle installation de colons par le Comte de Chastellux dans la région de Saint-Agnan). Mais la disparition précoce des communautés familiales en Morvan septentrional , par suite de la rupture précoce du groupe domestique, conduit au déclin de ces formes d'habitat et de mise en valeur, contrairement au Morvan Centre et Sud où le passage du hameau familial à la métairie conserve sous une autre forme d'exploitation, le cadre et les terres de l'ancienne exploitation .

Ainsi la rupture du cycle traditionnel entraîne une prise agricole et rurale dont on mesure de nos jours les effets : par exemple au hameau des Blancs ne subsistent en 1993 que 2 exploitations, alors qu'au début du 19ème siècle 8 exploitations (dont 5 tenues par des descendants de la communauté des Leblanc) assuraient la mise en valeur de l'espace agricole .

III - SAINT -AGNAN - DUN LES PLACES

Au-delà de Saint-Agnan l'excursion traverse le Morvan profond où s'accentuent les traits caractéristiques antérieurs. Accentuation du relief et des dénivellations, accessibilité plus difficile en raison d'un réseau routier très accidenté, accentuation de l'emprise de la forêt, de la réduction des superficies cultivées, accentuation de l'isolement.

Ce sont les traits du haut-Morvan complétés par une chute des densités de population, par le vieillissement et l'exode rural de la population . De 50 hab/km2 en 1851, les densités tombent à 17hab/km2 en 1990 pour l'ensemble du Morvan. Pour le Morvan Nord, le canton de Montsanche passe de 44 à 13 hab au km2, les communes de Dun les Places, Saint-Agnan, Saint-Brisson de 43 - 32 - 46 hab/km2 à 8 - 9 - 10 hab/km2 en 1990.

Les taux de natalité enregistrent la même chute en atteignant de très faibles valeurs durant la période 1982-1990; 8,2 pour mille dans le canton de Montsanche, 5,7 pour mille dans la commune de Dun les Places, 7,7 pour mille dans celle de Saint-Brisson .

Le vieillissement de la population est très marqué puisque les plus de 60 ans représentent 25,5% de la population totale dans le canton de Lormes et 26% dans celui de Montsanche ( les plus de 75 ans regroupant dans les deux cas 10,4% de la population totale) . Ces valeurs peuvent atteindre des pourcentages élevés pour les plus de 60 ans (28,2% dans la commune de Dun les Places , 27,2% dans celle de Saint-Brisson) .

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Fig 1- Local isation des habitats patronymiques . Rond blanc . Les X ... , rond noir. Huis X .... rond mi-part ie, Chez X . Le d iamètre des cerdes exprime le nombre d'habitats patronymiques dans l'ordre croissant. 1; 2-4; 5-9; 10-14; <15

50km

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On mesure également l'importance de la déprise agricole et du changement d'affectation des terres par le développement des friches et des espaces boisés. D'où le bouleversement du paysage qui en résulte, l'abandon des parcelles les plus éloignées, la contraction de la SAU.

Ainsi de 1955 à 1980 la SAU de la commune de Saint-Agnan a diminué de 60,4%, celle de Saint-Brisson de 54,36%, celle de Dun les Places de 40,86%. Parallèlement on note une augmentation importante des STH durant la même période : de 52,9% de la SAU à Dun les Places, elles passent à 83,7% en 1988 tandis qu'à Saint­Agnan l'évolution est de 37% à 85,2%, à Saint-Brisson de 52,5 à 78%.

Après la traversée de quelques villages et hameaux caractéristiques du Morvan (Dun les Places, le vieux Dun ... ), puis la traversée de la profonde entaille de la Cure, (près de 200m de profondeur), rivière célèbre pour le flottage du bois par radeaux jusqu'à la Seine, l'excursion fait un arrêt au rocher de la Perrouse, au nord-est du hameau du vieux Dun (603 m).

Un site très pittoresque, en à pic sur la vallée de la Cure, permet d'observer à partir d'un très large horizon les différentes formes de peuplement et de mise en valeur du Morvan Septentrional.

-premier peuplement Néolithique du vieux Dun (éperon barré), -terroir de défrichement du Moyen-Age, par clairières, -remaniements ultérieurs plus tardifs par modifications des structures du bocage.

Un résumé des phases de peuplement dans une zone de contact entre des styles divers de peuplement.

-celui par hameaux familiaux ayant pour origine une communauté familiale ( cf les Blancs, les Lavaults, les Martrieux)

-celui par meix d'époque médiévale (cf meix aux Guichards, aux Gueux), issues d'un peuplement venu de l'Est, de Bourgogne.

-celui par hameaux en huis (cf Huis Nandin, Huis Bonin) dont le peuplement venu de l'Ouest et du Nord-Ouest pourrait avoir une origine germanique.

Au Vetal une zone de contacts intéressante, où la cure a pu jouer un rôle de limite à l'avancée de certains peuplements (cf l'extension très limitée en surface des toponymes en huis regroupés dans le Morvan Septentrional à l'intérieur d'une zone très étroite) .

L'impression générale qui se dégage du trajet Saint-Agnan - Dun les Places, est celle d'une déprise agricole importante accompagnée d'un fort exode rural puis d'une extension des friches et des superficies boisées. On citera pour exemple entre 1955 et 1988 la perte de 30 000 ha de terres à vocation agricole. Cette évolution traduit deux phénomènes très significatifs :

* D'une part une rupture du système agricole traditionnel, par le passage d'une polyculture de subsistance à caractère vivrier et intensif à un élevage prédominant de caractère extensif.

A l'origine chaque famille pratiquait en effet sur une superficie faible, inférieure à 5 ha, une polyculture de subsistance, dans un cadre étroit, sans vente des produits extérieurs. Cette activité de clairière mettant en valeur de façon intensive l'Ouche ou pièce de terre réservée aux cultures de légumes, du chanvre ... de caractère permanent s'oppose à la culture alternée , tous les 3-4 ans, qui fait passer du champ à la prairie et qui protège par des haies l'espace cultivé .

Or deux évolutions vont se manifester au point d'infléchir ce système traditionnel qui était celui de tous les petits hameaux du Morvan Septentrional.

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-Au milieu du !9ème siècle la croissance démographique transforme l'économie agricole de la clairière par une évolution vers la culture permanente (céréales, pommes de terre); seules quelques régions très isolées (cf. canton de Montsanche) conservent leur aspect traditionnel.

-Puis dès le début du 20ème siècle le développement d'un élevage charolais combinant l'utilisation des prés de fauche (pour la nourriture à l'étable) et des prés pâturés (pour la nourriture en plein air) : les bêtes produites sont des "maigres" revendues à des "engraisseuses", la taille moyenne de l'exploitation se situant autour de 40 ha.

Mais parallèlement se dessine une redistribution de l'espace agricole par suite de la réduction du nombre d'exploitations, de la réduction de la SAU, de l'exode rural : mais également par suite d'un accès difficile à des parcelles trop éloignées et trop dispersées, de taille moyenne trop faible (0,45 ha), souvent en position enclavée dans la forêt en raison du système agraire fondé sur la clairière. Les difficultés et incertitudes de l'exploitation, les faibles revenus, l'augmentation des charges de structure découragent de jeunes agriculteurs à reprendre et agrandir une exploitation agricole. Les enquêtes réalisées sur la reprise des exploitations en Morvan révèlent que 50% des exploitants vont cesser leur activité agricole dans les dix ans à venir et que 40% des exploitations vont changer d'exploitants.

* D'autre part une extension de l'espace boisé combinant peuplement de feuillus et peuplement de résineux, l'évolution vers une extension des résineux s'affirmant à partir de 1945.

Jusqu'en 1945 - 1950 les feuillus (Chênes et Hêtres) prédominent : mais leur faible valeur marchande, les débouchés restreints (déclin de la demande en bois de chauffage) entraînent un remplacement par les résineux (sapins pectinés, Douglas ... ) dans les friches et dans les régions d'abandon de cultures. La croissance rapide des feuillus et la variété des débouchés (poteaux, bois de mines) incitent à cette substitution qui s'accentue à partir de 1960 grâce à l'action des grands propriétaires, des sociétés privées et de l'Etat associé à l'ONF.

Par la Forêt Domaniale au Duc, d'une superficie de 1250 ha (ancienne propriété du Duc de Bourgogne acquise par la Royauté à la fin du !5ème siècle), associant feuillus et résineux, puis la Forêt domaniale du Breuie chenue, l'excursion atteint Saint-Brisson (Maison du parc naturel du Morvan).

Des interrogations viennent à l'esprit à l'issue de cette rapide excursion; elles concernent la gestion de l'espace rural, puis l'équilibre des paysages dans le Morvan Septentrional.

A défaut d'une solution miracle, la réponse à ces questions passe par une meilleure gestion de l' espace boisé et de l'espace cultivé.

Les solutions consistent à définir au niveau de la commune un zonage "espace boisé­espace cultivé" permettant de rétablir et maintenir les équilibres naturels et économiques par la complémentarité des deux espaces :

-l'espace boisé valorisant les friches et les terres incultes vont en constituant un capital. Un reboisement organisé associant peuplements de feuillus et de résineux, bénéficiant de superficies regroupées puis d'une voirie d'exploitation.

-l'espace cultivé défini à partir d'un certain nombre de critères, conservant pour l'activité agricole certaines terres en friches et s'orientant vers un système d'exploitation bovin -viande le plus adapté à la région.

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Cette solution de maintien et fixation de l'espace cultivé permet une conservation de l'espace rural tout en favorisant la complémentarité de l'activité agricole par le tourisme. Mais elle implique une série de mesures améliorant les structures foncières : agrandissement de la taille moyenne des parcelles qui est actuellement de 0,45 ha, restructuration de l'espace agricole, développement de structures de coopération ou d'association, extensification de la production destinée à réduire les charges d'exploitat ions.

C'est-à-dire une revitalisation de l'espace agricole par un choix volontariste, au niveau des différentes communes du Nord du Morvan; une opération délicate qui concerne un équilibre rural fragile et des terroirs qu'il convient de consolider.

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