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Page 1 L’industrie dans les pays du tiers monde Cours de master 1 Edwige Dubos-Paillard Maître de conférences

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L’industrie dans les pays du tiers monde

Cours de master 1 Edwige Dubos-Paillard Maître de conférences

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Sommaire

Partie 1 : De l’unité à la diversité du tiers monde......................................... 7 Bibliographie de la partie 1 (principaux ouvrages) ...................................... 8

Introduction ...................................................................................................... 8

1.1 La colonisation responsable du sous-développement ? ........................ 10

1.1.1 Des pays handicapés par la nature, la culture et les institutions ? ........................................ 10

1.1.2 Des pays marqués par un retard historique ? ....................................................................... 11

1.1.3 La colonisation responsable du sous-développement ? ....................................................... 12

1.2 Typologies des stratégies d'industrialisation adoptées depuis la seconde guerre mondiale .................................................................................. 21

2.1 Une stratégie de substitution d'importations et de remontée des filières ................................ 21

2.2 L'industrialisation par industries industrialisantes .................................................................. 23

2. 3 L'industrialisation extravertie, par les exportations et l’alliance avec les entreprises multinationales .................................................................................................................................. 24

1.3 La rupture du début des années 80 et l’incapacité de certains pays à rembourser leur dette ....................................................................................... 25

1.4 Typologies des pays en développement .................................................. 28

Conclusion ....................................................................................................... 35

Partie 2 : Mondialisation et nouvelle division internationale du travail .. 36

Bibliographie de la partie 2 (principaux ouvrages et articles) .................. 37

2.1. La mondialisation .................................................................................... 38

2.1.1 . Une brève approche historique de la mondialisation ......................................................... 38

2.1.2. La notion d’économie-monde : une approche originale pour expliquer le processus de la mondialisation ................................................................................................................................... 40

2.1.3. Similarités et différences entre la première et la seconde mondialisation .......................... 41

2.2. La nouvelle division internationale du travail ..................................... 43

2.2.1. Retour sur les modèles productifs qui ont permis la division internationale du travail ...... 44

2.2.1.1 Le développement du fordisme .................................................................................... 44

2.2.1.2. La rupture des années soixante-dix .............................................................................. 46

2.2.1.3 Post fordisme et économie flexible............................................................................... 48

2.2.2. La nouvelle division internationale du travail ..................................................................... 49

2.2.2.1. Les entreprises transnationales principaux acteurs de la nouvelle division internationale du travail… ............................................................................................................ 51

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2.2.2.2 …en fractionnant les processus productif à l’échelle mondiale ................................... 55

Conclusion ....................................................................................................... 59

Partie 3 : Facteurs d’attractivité des pays des suds .................................... 61

Bibliographie de la partie 3 ........................................................................... 62

Introduction .................................................................................................... 63

3.1 Les Facteurs intervenant à l’échelle macro dans les choix de localisation des industries ................................................................................. 65

3.1.1 Le marché. ........................................................................................................................... 66

3.1.2 La réduction des coûts de production .................................................................................. 71

3.1.2.1 La réduction des coûts de la main d’œuvre : facteur important mais insuffisant pour attirer les investissements. ............................................................................................................ 71

3.1.2.2 Le rôle des avantages financiers et fiscaux ................................................................... 72

3.1.2.3 Les délocalisations : pas toujours synonyme de réduction des coûts de production .... 73

3.1.3 Le contexte politique, économique, social et culturel. ......................................................... 73

3.1.4 La situation géographique du pays : .................................................................................... 77

3.2 Les facteurs intervenant à l’échelle méso et micro dans les choix de localisation des industries ................................................................................. 77

3.2.1 Des facteurs de localisation plus nombreux ......................................................................... 77

3.2.2 Un outil majeur pour attirer les entreprises étrangères : les zones franches d’exportation .. 82

3.2.2.1 Présentation des zones franches d’exportation ............................................................. 83

3.2.2.2 Pour ou contre les zones franches d’exportation? ........................................................ 87

3.2.2.3 Evolution récente des Zones franches d’exportation .................................................... 88

3.2.2.4 Quels liens avec l’économie nationale ? ....................................................................... 91

3.2.2.5 Etude des conditions de travail dans les ZFE : quelques exemples .............................. 92

Conclusion ....................................................................................................... 96

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Note préliminaire : Ces dernières décennies ont été marquées par la multiplication des termes et des typologies

pour décrire un ensemble de pays que A.Sauvy dénomma presque par hasard « tiers monde » dans une chronique faite pour l’Observateur en 1952. Cet article intitulé « trois mondes, une planète » finissait par cette phrase aujourd’hui célèbre : « car enfin ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé, comme le tiers état veut lui aussi être quelque chose ». Sa vocation n’était pas de définir un nouvel ensemble géopolitique. Cependant très vite, l’expression s’est propagée dans le monde entier et est devenu tant un concept politique qu’un terme pour décrire un ensemble de pays dont l’unité résidait avant tout dans la pauvreté économique, la vulnérabilité, un moindre « avancement » sur le plan technique. Nous n’aborderons pas ici le tiers monde en tant qu’acteur politique. On peut cependant noter que les Etat qui commencent à se développer se désolidarisent rapidement de ce tiers monde auquel il s’identifiait jusque là (Brunel 1987) ;

Pris sous un angle strictement socio-économique, le tiers monde du début des années 1960 correspond à l’ensemble du monde à l’exception de l’Europe, l’ex URSS, l’Amérique anglo-saxonne, le Japon, l’Australie et la Nouvelle Zélande (carte 1).

Cartes 1 : Le tiers monde : cadre spatial

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La deuxième moitié du XXème siècle est marquée par une augmentation de la distorsion des situations économiques observées au sein du tiers monde tel qu’il vient d’être délimité. Tandis que certains pays, africains notamment, sont restés sur le quai, d’autres ont pris le train de la modernisation de leur économie et sont désormais plus proches du groupe des nations industrialisées que des pays les plus pauvres.

La diversité des modes de développement et leur réussite inégale conduisent de nombreux auteurs à proposer de nouveaux termes qui témoignent de la diversité des situations économiques (tiers mondes, pays des suds) ou qui tentent de proposer une délimitation moins centrée sur les critères économiques (pays du sud). Les termes utilisés pour décrire la situation économique se veulent également plus « neutres » que ceux qui ont pu être proposés par le passé et qui plaçaient ces pays en situation d’infériorité. On ne parle quasiment plus de « pays sous développés » mais de « pays en développement » ou de « Pays les moins avancés ».

Face à ces changements, on peut s’interroger sur la façon de délimiter le « tiers monde » au regard des changements observés. Deux possibilités s’offrent à nous :

- soit on considère que le tiers monde est un espace (un territoire ?) à périmètre constant comme cela apparaît sur les cartes de Cazes et Domingo (1994) ou Chapuis et Brossard (1997). Le périmètre retenu est celui de la fin des années 1950 et du début des 1960. Les analyses insistent dans ce cas sur la diversité des trajectoires démographiques, socio-économiques, politiques, etc. observées durant la seconde moitié du XXème siècle et le début du XXème.

- soit on considère que le tiers monde correspond aux États marqués par un faible développement et dans ce cas nous sommes face à une entité territoriale aux limites mouvantes. Vu sous cet angle, le tiers monde a toujours existé, dans l’histoire de l’humanité dans la mesure où il y a toujours eu des pays plus pauvres, plus vulnérables, moins avancés sur le plan technique, tandis que des civilisations brillantes ou plus évoluées techniquement avaient acquis les moyens d’améliorer les conditions de vie de leur population ou d’une partie d’entre elle (Brunel 1987). Partant de cette acception, à l’aube de la révolution industrielle, le tiers monde, c’est le monde entier. Au début du XIXème, le tiers monde c’est le monde moins une petite partie de l’Europe. Selon S.Brunel, en 1950, sur la base de statistiques relatives au revenu par habitant, à la scolarisation, l’espérance de vie, … le tiers monde exclut l’Europe et les extensions de la souche européenne dans le monde, particulièrement les pays d’Amérique latine dont le peuplement est le plus homogène. Chili et Argentine notamment, semblent s’être arrachés au sous-développement. En revanche, le Japon surpeuplé, ruiné par la guerre fait partie intégrante du tiers monde…Une génération après les données ont encore évolué. Le Japon est « développé ». De dictatures en crises économiques, l’Argentine a rejoint les pays du tiers monde.

Et aujourd’hui ? Le dernier quart du XXème siècle est marqué par la différenciation des situations économiques. Dans la grande majorité des États, on observe des progrès dans tous les domaines. Dans les nouveaux pays industrialisés, la croissance économique est souvent allée de pair avec les progrès sanitaires et sociaux. Néanmoins, il subsiste, dans la plupart de ces États des régions ou des populations oubliées par le développement. Face à la variété des situations, la délimitation de ce tiers monde, c'est-à-dire des pays pauvres n’est pas aisée. On peut considérer que le tiers monde c’est les pays les moins avancés (carte 2)

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auxquels on ajoute des régions oubliées du développement dans les pays en croissance. Ces pays restent marqués par ce que Sylvie Brunel appelle la trilogie « maudite » : pauvreté, inégalité, dépendance. Ils cumulent faible niveau de développement socio-économique et faible industrialisation, niveau d’échange très bas, insécurité alimentaire, mortalité élevée, faible espérance de vie, faible taux d’alphabétisation et souvent instabilité politique.

Carte 2 : Les pays les moins avancés en 2004

Dans le cadre de ce cours, nous considérons le « tiers monde » comme un ensemble dont le cadre spatial est fixe, il correspond au tiers monde des années 1960. Par ailleurs, le texte présenté ci-après utilise indifféremment les termes « tiers monde », « pays du sud », « pays des suds »

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Partie 1 : De l’unité à la diversité du tiers monde

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Bibliographie de la partie 1 (principaux ouvrages) E BERR, La dette des pays en développement : bilan et perspectives, 2003

article en ligne, http://www.cadtm.org/La-dette-des-pays-en-developpement B BRET, Le Tiers-monde : croissance, développement, inégalités, Ellipses 2006

S. BRUNEL dir., Tiers Mondes, controverses et réalités, Economica, 1987

S BRUNEL, Tiers Monde, Encyclopædia Universalis en ligne

L CARROUE, Géographie de la mondialisation, Armand Colin 2007

G. CAZÈS & J. DOMINGO, Tiers Monde, le temps des fractures, Bréal, 1994

R CHAPUIS, T BROSSARD, Les quatre mondes du Tiers-Monde, Masson, 2003

C MANZAGOL, La mondialisation. Données, mécanismes et enjeux , Armand Colin, 2003

M MONTOUSSE, Analyse économique et historique des sociétés contemporaines, Bréal, 2007

H. ROUILLÉ D'ORFEUIL, Le Tiers Monde, La Découverte, 1993

P.N.U.D., Rapport mondial sur le développement humain, Economica, annuel

Les Tiers Mondes, coll. Cahiers français, Document. Française, 1995.

Introduction

L'industrie est apparue au XVIIIème siècle en Angleterre et un peu partout en Europe. Au XIXème siècle l'activité se répand dans une large part de l'Europe. Cette dernière est alors considérée comme l'usine du monde. Durant cette période quelques pays extra européens, les États-Unis et le Japon en particulier, s'industrialisent également mais au final leur nombre reste limité.

Les pays du tiers monde sont longtemps restés à l’écart de tout processus massif d’industrialisation. Plusieurs types d’explication sont fréquemment évoqués : retard de développement, contexte naturel et/ou culturel, rôle de la colonisation… II faut attendre l'émancipation des colonies et les années 1960 pour voir apparaître des politiques d’industrialisation fortes menées par les gouvernements des pays du Sud. Plusieurs voies en matière de développement industriel sont mises en œuvre. Elles supposent des investissements lourds pour les États qui peuvent jusqu’au milieu des années 1970, recourir facilement à l’emprunt. Néanmoins, la fin des années 1970 est marquée par plusieurs ruptures et un durcissement des modalités d’accès au crédit pour les pays du tiers monde. Qui plus est, l’envolée des taux d’intérêt, place une large part des États dans l’incapacité de rembourser leur dette.

Le bilan dressé alors montre que malgré les efforts engagés durant les années 1960 et 1970, le développement de l’industrie reste relativement modeste et le secteur n’a pas véritablement eu un effet de levier en matière de développement économique. Les années 1980 sont donc marquées par une évolution des modèles de développement industriel insufflée (imposée) en grande partie par les structures telles que le FMI ou la banque mondiale. Les modèles industriels intègrent dès lors une politique attractive vis-à-vis des investissements étrangers et donc un ancrage plus grand dans la mondialisation.

Au début des années 2000, la part des pays du sud dans la production industrielle mondiale est de 25%, les objectifs fixés lors de la conférence générale mondiale de l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), réunie à Lima en 1975 sont

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atteints. Néanmoins, derrière ce chiffre global, il faut insister sur les écarts importants qui se sont creusés entre les régions du monde (tableau 1), les états et au sein même des États.

Tableau 1 : L'évolution du niveau de vie par habitant des pays en développement (pays industrialises = 100, en parité de pouvoir d'achat)

1965 1975 1985 1996 1965/1996

Dragons asiatiques 18 28 40 69 + 51

Amérique latine sans pétrole 34 37 32 28 -6

Pays pétroliers 30 42 32 22 -8

Proche-Orient sans pétrole 24 26 24 21 -3

Chine 5 5 7 14 +9

Autres pays d'Asie 9 7 7 7 -2

Afrique hors pays pétroliers 13 12 9 7 -6 Source : Alternatives économiques, In Carroué L., Géographie de la mondialisation, 2ème édition, coll U, A Colin, 2004.

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Cartes 3 : Inégalité de niveaux de vie au sein de trois États du tiers monde

1.1 La colonisation responsable du sous-développement ?

De nombreux auteurs se sont penchés sur les raisons qui peuvent expliquer le sous-développement. Les explications du sous-développement sont nombreuses. Nous en évoquons trois ici.

1.1.1 Des pays handicapés par la nature, la culture et les institutions ?

Dans ce type d’explication, le sous-développement est lié à des handicaps naturels et/ou culturels et institutionnels1

Les facteurs naturels classiquement mis en avant concernent les sols tropicaux qui se recouvrent d'une carapace latéritique, les climats humides qui font proliférer les maladies telles que la fièvre jaune, le paludisme et les parasitoses (bilharzioses, onchocercoses…), l'excès de chaleur qui nuit à l'effort prolongé... Mais ces arguments et bien d'autres n'expliquent pas pourquoi le Texas ou l’Australie sont dans le peloton de tête des États développés, ni pourquoi certaines terres tropicales qui peuvent produire deux ou trois récoltes annuelles sont restées à la traine (hautes terres kenyanes, sols volcaniques d'Amérique centrale ...) (Rouillé d’Orfeuil, 1991).

.

1 Vous trouverez une analyse détaillée dans Bret (2006) concernant la relation entre sous-développement et

géographie naturelle et dans Montoussé (2009) concernant la relation entre sous-développement et culture et institutions.

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Les explications culturelles du sous-développement sont les héritières des justifications civilisatrices des entreprises de colonisation. M. Montoussé (2007) indique que ce type d'approche développe 1'idée que le sous-développement provient de l'organisation du système des croyances et de valeurs. Il résulte de 1'inefficience des institutions, de l'incompatibilité entre la culture traditionnelle et celle que nécessite et véhicule, le développement. Par exemple, 1'absence d'un droit réel de propriété privée de la terre en Afrique noire n'incite pas aux progrès agricoles, le fatalisme dissuade d'innover, les dysfonctionnements de l'Etat déstabilisent 1'économie nationale et ne favorisent pas 1'essor des infrastructures, etc. L'intérêt de cette approche est de montrer que le développement n'est pas seulement économique : il nécessite des institutions et des structures politiques stables, une réelle volonté de développement de la part des décideurs et des caractéristiques socioculturelles qui le favorisent (développement du secteur privé, esprit d’entreprise…).

Cependant, il convient de faire preuve de circonspection face à ce type d'analyse. Le freinage du développement ne résulte pas obligatoirement des caractères socioculturels spécifiques aux Pays en développement. Ainsi, comme le rappelle M. Montoussé (2007) l'Américain, Théodore Schultz a développé une thèse fondée sur le calcul rationnel tel qu'il est pratiqué au sein des pays développés. L'investissement, les innovations, sont générateurs de gains futurs incertains. Cette incertitude est d'autant plus angoissante que les moyens financiers disponibles sont modestes : le risque de perdre un dollar pour un pauvre n'a pas la même signification que pour un riche. Le paysan pauvre rationnel du Tiers monde a donc toutes les bonnes raisons de ne pas moderniser son exploitation, de ne pas investir davantage, de ne pas adopter de nouvelles techniques culturales ... Ainsi, le maintien d'une pauvreté endémique dans les pays en développement risque d'être attribué à la culture des peuples alors qu'il s'agit du résultat d'un calcul rationnel comme le ferait n'importe quel Occidental.

Rouillé d’Orfeuil (1991) va dans le même sens concernant ces théories qui constatent certaines corrélations entre les réalités naturelles et culturelles et les réalités économiques. Il précise que n'importe quelle société n'est sans doute pas faite pour n'importe quel mode de développement. L'avancée du mode de production capitaliste va de pair avec l'avancée des rapports sociaux correspondants et la dissolution des modes traditionnels. La force de la «tradition» freine souvent le développement capitaliste.

Le développement a donc une dimension culturelle qu'il n'est pas négligeable de souligner.

1.1.2 Des pays marqués par un retard historique ?

Dans la tradition libérale, de nombreux auteurs se sont exprimés sur le sous-développement. W.W. Rostow est souvent cité en référence. Selon lui, chaque nation suit une trajectoire économique similaire, et tout pays peut arriver au stade ultime du «développement», s'il crée et maintient des conditions favorables à la croissance. Le sous-développement ne serait donc qu'un retard.

Selon cet auteur, le développement est un processus linéaire en cinq étapes. La première est celle de la société traditionnelle : les actuels pays les moins avancés (PMA) en seraient encore à ce stade. Au cours de la deuxième étape les conditions préalables au décollage sont réunies (émergence d'une classe d'entrepreneurs, d'un Etat dont les interventions favorisent le développement, modernisation de 1'activité agricole ...). Puis intervient la phase du take-off (ou décollage), au cours de laquelle le taux d'investissement s'accroit et la croissance s'accentue. Des lors, «la société finit par renverser les obstacles et les barrages qui s'opposaient à sa croissance régulière». Plusieurs pays nouvellement industrialisés connaissent

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ce processus qui les conduira à la quatrième étape, le stade de la maturité, à laquelle sont parvenus les nouveaux pays industrialisés (NPI) d'Asie. L'ultime étape, celle que les pays développés ont atteint, correspond à la société de consommation de masse.

De nombreuses critiques ont été formulées à l'encontre du schéma de Rostow. B.Conte2

a) Pour certains, ce schéma présente un caractère universel en ce sens qu'il s'applique indifféremment à toutes les sociétés sans tenir compte de leurs spécificités.

(2003) en fait la synthèse suivante :

b) Sur le plan historique, cette théorie apparaît déterministe car elle ignore que les pays actuellement sous-développés doivent faire face à des problèmes différents de ceux qu'ont eu à affronter les nations aujourd'hui industrialisées au cours de leur processus de développement.

c) Pour d'autres, la théorie linéaire est teintée d'ethnocentrisme car l'évaluation des performances des nations en développement se fait sur la base de l'expérience du monde occidental.

d) Il apparaît également que les limites entre les diverses étapes sont assez floues, certaines caractéristiques se retrouvant à l'intérieur de phases différentes. Concernant l’étape du décollage, S. Kuznets écrit : « les limites de l’étape du décollage sont floues ; ses caractères propres ne sont pas définis avec précision ; nous ne pouvons que nous fonder sur le niveau du taux d’investissement et du taux de croissance du produit qu’on peut en déduire. Nous ne disposons donc d’aucun élément assez solide pour discuter les relations analytiques que le professeur Rostow établit entre l’étape de décollage et les étapes qui la précèdent et la suivent immédiatement». A. K. Cairncross souligne également l’imprécision des définitions des différentes étapes et le défaut de spécificité des caractéristiques. « Si les différentes étapes empiètent l’une sur l’autre, à quoi donc correspond une étape ? ».

e) Enfin, la dernière étape, objectif du processus de développement est entièrement calquée sur la situation des USA au cours de la décennie soixante ; est-ce le seul horizon possible du développement ?

1.1.3 La colonisation responsable du sous-développement ?

Le débat sur cette question est loin d’être réglé. Les avis varient énormément. Les pays en développement ont quasiment tous connu, sur une durée plus ou moins longue, la colonisation au cours de leur histoire. Au moment de la première guerre mondiale les dominations s’étendent sur l’Afrique et l’Asie du sud et du sud-est (carte 4).

L’explication du sous-développement par la colonisation européenne est longtemps restée l’argument mis en avant par les pays du tiers monde et les organismes internationaux tels que l’Unesco, l’Unicef, la Cnuced, la FAO ou l’OMS. Cette affirmation est relativisée par de nombreux auteurs qui insistent également sur le rôle des blocages internes, sur le rôle des différentes formes de colonisation dont les effets ont variés, sur la non rentabilité de la colonisation…

2Conte B., Les étapes de la croissance économique, 2003 http://conte.u-bordeaux4.fr/Enseig/Lic-ecod/docs_pdf/Rostow.pdf

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Carte 4: Les empires coloniaux en 1914

Par ailleurs, comme l'indiquent B Bret 2006 et S Brunel 1987, les pays colonisés tout comme ceux qui ne l’ont pas été connaissent des fortunes diverses aujourd’hui. Ainsi, des pays tels que la Chine (même si elle a perdu la Mandchourie un temps), la Thaïlande (l'ancien Siam), l’Ethiopie (en faisant abstraction de la courte période d'occupation italienne) ou la Turquie ont été épargnés par la colonisation européenne et se trouvent dans une situation similaire au lendemain de la seconde guerre mondiale. D’anciennes colonies telles que les États-Unis, le Canada, l’Australie ou la Nouvelle Zélande sont devenues des pays développés. L’Amérique latine dont les indépendances remontent à près de deux siècles n’a pas connu un développement comparable à celui des pays industriels. Le développement des nouveaux pays industrialisés, notamment en Asie du sud-est montrent que la colonisation et l’échange inégal ne constituent pas des obstacles inéluctables au décollage économique…

Ces remarques liminaires ne doivent pas éluder la question de savoir si le sous-développement est le produit des relations que les pays développés ont entretenu avec le tiers monde.

Pour S Brunel (1987), il faut en premier lieu distinguer la colonisation pré-industrielle dont l’impact a été limité et la colonisation menée à partir du XIXème siècle.

En effet, jusqu'à la veille de la révolution industrielle, les différences de niveau de vie entre l'Europe et les colonies ne sont pas significatives. La colonisation européenne pré-industrielle tient tant à l’ouverture sur l’extérieur des européens (grandes découvertes), qu’au surpeuplement relatif de l’Europe, qu’à l’existence d’une curiosité scientifique et d’une maîtrise technique, qu’au dynamisme d’un capitalisme propre à l’Europe, qu’au soutien des élites autochtones. Cette première colonisation pu avoir des effets très négatifs :

- le génocide des civilisations précolombiennes, - la traite des Noirs, - l'exploitation du Nouveau Monde par les Espagnols et les Portugais, - l'établissement de comptoirs côtiers dans une grande partie du monde.

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Cependant les ambitions qui la motivent et la faiblesse des moyens mis en œuvre aboutissent à relativiser son impact réel. En ce sens, cette colonisation ne se distingue pas vraiment de celles qui l’ont précédée dans l’histoire (colonisations égyptienne XVI-XIe siècle avant JC, romaine I avant JC-IVe, précolombienne, chinoise…). Les objectifs sont de répandre la culture, la religion, la civilisation sur les territoires colonisés et de se procurer les richesses minières agricoles et de nouveaux produits. Néanmoins, les moyens mis en œuvre sont très faibles dans la plupart des cas, ce qui ne génère pas des différences de niveau de vie.

La seconde colonisation (colonisation industrielle moderne) suscite plus d’interrogations elle voit un creusement des écarts. C'est sur elle que se cristallisent les débats concernant le poids des facteurs externes dans le sous-développement. En effet, l’élargissement du fossé entre les pays occidentaux et les autres coïncide avec l’existence d’un phénomène de domination de l’Europe sur le reste du monde. La question qui fait toujours débat est celle de l’existence d’un lien de cause à effet entre le sous-développement des uns et le développement des autres. Les pays industrialisés sont-ils riches grâce à la colonisation ? Les pays pauvres sont-ils sous-industrialisés à cause de la domination européenne ?

Selon S Brunel, les écarts qui se creusent durant le XIXe s'expliquent surtout par le décollage économique provoqué par une Révolution industrielle spécifiquement européenne et sa non diffusion/transmission dans les colonies. En effet, la colonisation de blocage, empêchant la naissance d’une industrie se met avant tout en place durant la deuxième moitié voire le dernier quart du XIXe, quand la révolution industrielle est bien avancée au sein des empires.

En effet, au début du XIXème siècle l’Espagne, le Portugal et la France ont perdu une partie de leur empire. Les empire coloniaux se reconstruisent ou se développent durant le XIXème. Les motivations sont diverses, pas nécessairement économiques : lutte contre la piraterie, nécessité de ravitailler la flotte et de lui assurer des points d’ancrage, désir d’étendre la foi chrétienne. Durant cette période, les empires ne contrecarrent pas les tentatives d’industrialisation spontanée. Malgré cela, elles tournent court. C’est le cas en Colombie au milieu du XIXe, en Egypte au début du XIXe. Selon S Brunel, ces États ne réunissent pas les conditions nécessaires au décollage économique, à savoir un état fort et un marché suffisant. A cette époque seule l’Europe dispose d’un marché important, en forte croissance, d’une demande de produits textiles et de machines agricoles et de moyens de transport pour satisfaire cette demande.

La colonisation de blocage, empêchant la naissance d’une industrie concerne surtout le dernier quart du XIXe et le début XXe, quand le processus de révolution industrielle est bien avancé au sein des empires. Les profits dégagés par la révolution industrielle permettent une colonisation de grande ampleur qui se traduit économiquement par le blocage des industrialisations naissantes (lorsque celles-ci existaient).

En France, la première volonté de cohérence, d’expansion se manifeste seulement après la défaite de 1870. Toute l’Europe suit comme le montre la conférence de Berlin à la suite de laquelle les pays européens se partagent le continent africain. Les dispositifs mis en place interdisent de développer des activités susceptibles de concurrencer celles de la métropole et de commercer avec d’autre pays. Comme l'indique Bret (2006), la sous-industrialisation du tiers monde s'explique donc, au moins dans certains pays, parce qu'il fut longtemps illégal d'y créer des manufactures : les amorces de la croissance industrielle y furent avortées par les métropoles. Les colonies n’ont de choix que de se spécialiser dans des productions dont la métropole a besoin (produits primaires, miniers) et d’ouvrir leur marché de consommation aux produits manufacturés métropolitains, réduit il est vrai, par la faiblesse des revenus des

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colonisés. Cette spécialisation des tâches constitue la première forme de division internationale du travail.

Cela, pourtant, ne pourrait suffire à tout expliquer. Pourquoi, en effet, le Portugal qui usait de son pouvoir politique pour interdire à ses colonies de le concurrencer dans la production industrielle a-t-il lui-même complètement raté son industrialisation ?

Il faut cependant insister sur la diversité des situations comme en témoignent les deux encarts ci-dessus.

Au-delà de la non industrialisation, cette colonisation a créé une sorte de modèle occidental de développement uniforme, devenu une référence mondiale. Elle a généré un phénomène d’acculturation, suscité dans de nombreux pays un ressentiment et un désir de revanche lié aux différences de richesse qui se renforcent, aux différences de statuts entre le métropolitain et l’autochtone (double système juridique, différentiel de salaires, travail forcé…)

Néanmoins, pour relativiser les effets négatifs de cette colonisation de grande ampleur, S. Brunel (1987) apporte les arguments suivant :

« Si les métropoles prélèvent, elles investissent aussi, et le second aspect ne doit pas être négligé car il permet aux pays concernés de gagner plusieurs dizaines d'années

La non-industrialisation de l'Afrique La colonisation ne commence véritablement qu'à la fin du XIXe siècle. La découverte de la quinine en 1854 a permis les grandes expéditions grâce auxquelles les Européens peuvent enfin découvrir l'intérieur du continent. Le partage se fait à partir des années 1890 en traçant, à partir des zones d'occupation littorales, des lignes de pénétration perpendiculaires au rivage dans des espaces encore mal connus. La mise en place d'un réseau de quadrillage administratif et militaire va commencer, mais la colonisation ne sera vraiment effective qu'entre les deux guerres mondiales, avec la levée d'un impôt par tête, le système du travail forcé, la construction des lignes de chemin de fer, parfois effectuée au prix de nombreuses vies humaines (chemin de fer Congo-Océan), l'introduction des cultures commerciales, l'exploitation minière ... La présence européenne modifie donc réellement l'aspect et le mode de vie du continent africain, mais on ne peut pas dire qu'elle bloque d'éventuelles éclosions industrielles car ce continent, isolé et morcelé, était resté à l'écart d'un début de mutation des techniques autant industrielles qu'agricoles.

Source : Brunel S., Tiers monde, controverses et réalités, Economica, 1987

La colonisation responsable du blocage de l’industrie naissante en Inde.

« En exploitant l'Inde, la Grande-Bretagne, habile à préparer les profits, savait aussi limiter les pertes. Du jour où elle eut dans l'Inde un vaste débouché pour ses manufactures, elle s'efforça de ruiner les industries indigènes. L'Inde avait été, jusque vers le milieu du XIXe siècle, un pays exportateur d'articles fabriqués. Dans les villes et gros villages, on pratiquait jadis des métiers dont les produits étaient connus dans le monde. Pendant plus d'un siècle et demi, c'est surtout par le trafic des fins tissus et broderies de l'Inde et par leur vente sur les marchés de l'Europe que s'enrichit la Compagnie. Mais le développement de l'industrie cotonnière en Grande-Bretagne fit des cotonnades de Manchester les rivales des cotonnades de l'Inde ; pour leur assurer un débouché, de lourds tarifs, pratiquement prohibitifs; frappèrent les tissus de l'Inde (...) Les métiers indigènes s'arrêtèrent ; de plus en plus, la vie industrielle se meurt en beaucoup de lieux jadis florissants (...) L'Inde devint un pays presque exclusivement agricole produisant des matières premières et recevant de l'étranger des articles manufacturés ».

Source : Demangeon A. , L’Empire britannique Armand Colin, 1925. Cité in Bret B., Le Tiers monde, croissance, développement, inégalités, 3° édition révisée et actualisée, Ellipses, 2006.

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sur ce qu'aurait été – peut-être - leur évolution « naturelle ». Politiquement, la conséquence de la colonisation est l'extension des systèmes politiques, juridiques et constitutionnels européens au quasi totalité de la planète. • Mais l'impact et les conséquences de la colonisation, tels qu'ils se révèlent aux indépendances, ont des conséquences très différentes selon l'état initial des civilisations colonisées - Dans les civilisations fortement structurées, anciennement organisées, en contact de longue date avec de multiples influences extérieures comme en Asie, la colonisation ne pénètre pas en profondeur, elle se superpose aux organisations déjà en place. Après les indépendances, les nations, préexistantes, peuvent prendre le relais des cadres coloniaux sans bouleversements majeurs (sauf dans les pays où s'est produite une guerre de décolonisation ou bien affectés de tensions internes graves). Il s'effectue alors un processus de rattrapage du retard industriel et économique, qui se traduit par les forts taux de croissance économique enregistrés par ces pays après l'indépendance. - dans les sociétés faiblement structurées en revanche, comme en Afrique où le pouvoir politique ne dépasse pas le cadre du village ou de la région, la colonisation européenne peut instaurer son administration et son pouvoir politique sans résistances majeures. Son influence a été beaucoup plus profonde. A l'indépendance, les nouveaux pays sont issus de toutes pièces du partage et de la domination européenne, leurs sociétés éclatées entre un monde rural resté traditionnel et des villes européanisées et tournées vers l'extérieur. Avant d'entamer un processus de croissance économique, il leur faut préalablement se structurer, créer des nations jusque là inexistantes. La colonisation n'a pas eu pour effet de bloquer un développement préexistant puisque celui ci n'avait pas commencé dans des sociétés «immobiles » sur le plan des techniques (ce qui ne signifie pas que ces techniques étaient archaïques, mais qu'elles étaient figées). Elle a provoqué un bond technologique, déstructuré le tissu des solidarités, introduit un nouveau mode de gouvernement, d'administration, de consommation, de nouvelles mentalités, dans des sociétés qui n'y étaient pas préparées du fait de leur long isolement. • Pour l'ensemble de ces civilisations, la colonisation a partout joué le rôle d'un « anesthésiant» temporaire des conflits et tensions internes. Après les indépendances, ceux-ci réapparaissent au grand jour, parfois exacerbés par les politiques menées par les métropoles. Il s'y ajoute les affrontements (pour la prise du pouvoir, le partage de la terre, le tracé des frontières...) légués par la colonisation elle-même. C'est pourtant la colonisation qui, malgré l'extrême diversité des conditions des pays colonisés, donne à ces derniers le sentiment d'une « communauté de destins ». Sans elle, l'apparente unité exaltée par Bandung n'aurait jamais pu voir le jour et le « Tiers monde » serait resté ce qu'il était en réalité : un conglomérat hétérogène et dispersé de pays non industrialisés. La question est de savoir pourquoi ces pays sont encore aujourd'hui sous développés, pourquoi, malgré leurs efforts, l'écart s'accroît entre le niveau de vie de beaucoup d'entre eux et les pays industriels. »

B Bret aborde la question de la colonisation et de ses effets sur le développement économique des pays du tiers monde sous un angle différent et complémentaire. Pour lui, les effets de la colonisation sont en fonction des formes mises en œuvre. Il fait la distinction majeure entre la colonisation de peuplement et la colonisation d'exploitation, dite encore colonisation d'encadrement. Les deux formes de colonisation entraînent des capacités inégales à fixer sur place les fruits du travail.

« Le développement exige le réinvestissement d'une partie de la richesse produite comme l'a montré le mécanisme de l'intérêt composé. Il faut donc savoir si ce réinvestissement se réalise sur place, déclenchant un processus d'accumulation, ou, au

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contraire, se réalise ailleurs, le processus d'accumulation se trouvant alors délocalisé. Si l'on appelle surplus économique la part du profit qui n'est pas consommée, mais réinvestie, la destination géographique de ce surplus économique est fondamentale pour expliquer l'enrichissement et l'appauvrissement. Or, il existe un lien logique entre la destination du surplus économique et la structure sociopolitique du lieu où il a été produit. Deux points sont fondamentaux en la matière : les relations sociales internes qui définissent les relations entre le travail et le capital, les relations de la société globale avec l'extérieur. La colonisation d'exploitation consiste à exploiter le travail des colonisés. Son illustration la plus claire est le système colonial esclavagiste tel qu'il a sévi pendant des siècles en Amérique, mais d'autres formes de mobilisation de la main-d’œuvre, tel le travail forcé, relèvent de la même logique coloniale : faire travailler le colonisé au profit du colon. Pour cette raison, ce type de colonisation est aussi dit d’encadrement car elle revient à faire encadrer le travail des colonisés par un petit nombre de colons. Dans ce cas, la rémunération du travail est évidemment réduite à presque rien. Dans la plantation esclavagiste, le travail n'est pas du tout rémunéré puisque le travailleur, réduit au statut d'esclave, est nié en tant qu'homme et est assimilé à une bête de somme ou à une machine. Cette situation appelle évidemment un jugement de nature éthique : la déportation des Noirs d'Afrique sur les plantations américaines fut un immense crime contre l'humanité. Elle appelle aussi, et c'est ce qui va être tenté, une approche socio-économique. L'analyse sur le plan économique conduit à voir quelles furent les conséquences à long terme pour le pays colonisé, et, pour ce faire, il faut poser plusieurs questions : quel est le surplus économique dégagé, qui est maître de l'utilisation de ce surplus, dans quelle branche économique ce surplus va-t-il être réinvesti, où va avoir lieu ce réinvestissement ? Figure 7. La colonisation d'exploitation a entraîné le sous-développement

Puisque le travail n'est pas rémunéré, le surplus économique disponible est considérable, encore que la main-d’œuvre ne soit pas toujours utilisée dans les conditions d'efficacité maximum, dans le sens que les mauvais traitements et les carences alimentaires peuvent «user» prématurément les esclaves et provoquer dans leur groupe une surmortalité. Ce qui était un crime sur le plan du droit naturel était aussi une mauvaise gestion de la force de travail. Toujours est-il que l'on se trouve dans la situation où des colonisateurs très minoritaires en nombre tirent un bénéfice massif de colonisés beaucoup plus nombreux. Que faire du surplus économique ? Logiquement, les colonisateurs veulent appliquer ce surplus dans des branches d'activité lucratives. Or, sur place, et précisément parce que la structure sociale est très inégalitaire, la majeure partie de la population, les esclaves, n'a pas de pouvoir d'achat : il ne se forme donc pas un marché, c'est-à-dire une demande solvable susceptible de justifier économiquement un investissement

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productif tourné vers des consommateurs locaux. Faute de cette demande intérieure, les bénéfices réalisés vont être utilisés soit à l'extérieur (d'ailleurs, la métropole qui a investi dans la colonie entend bien en recevoir des profits), soit sur place dans les branches exportatrices. Cette dernière option va consister par exemple pour un planteur propriétaire d'esclaves à acheter de nouvelles terres et de nouveaux esclaves. Si ce processus peut être qualifié de croissance dans la mesure où il y a augmentation de la production, il est clair qu'il ne s'agit pas d'un développement puisque cela ne fait qu'aggraver les conditions de vie des nouveaux esclaves et confirmer la région dans la dépendance à l'égard de la métropole. La conclusion peut s'exprimer ainsi : l'inégalité sociale portée à son paroxysme, en empêchant la formation d'un marché solvable interne, empêche la fixation sur place des fruits du travail dans les activités qui diversifieraient l'économie et amorceraient le processus du réinvestissement porteur de développement à long terme. II y a donc un lien entre l'appropriation par une minorité des fruits du travail de la majorité et le départ du surplus économique. Cette conclusion rejoint logiquement ce qui a été dit déjà du développement, à savoir qu'il n'est pas un simple phénomène de croissance, mais un processus d'amélioration durable des conditions de vie de la population tout entière. Or, on le conçoit, le système esclavagiste est par définition contradictoire avec l'amélioration des conditions de vie de la majorité. Finalement, l'injustice sociale portée à son expression la plus violente est porteuse de sous-développement. II en va tout autrement dans la colonisation de peuplement. Celle-ci, par définition, ne cherche pas à exploiter le travail du colonisé, mais à peupler un territoire : les colons, nombreux dans ce cas alors qu'ils n'étaient qu'une petite minorité dans le cas précédent, veulent occuper des terres. Sur le plan éthique, l'opération appelle également les critiques les plus fortes car les territoires visés n'étaient pas vides : il y a eu refoulement et élimination physique des populations indigènes. Il est évident qu'exterminer la population indigène est aussi condamnable qu'en faire son esclave. Mais le processus historique est tout autre : la relation colon-colonisé ne peut s'établir puisque les colonisés potentiels ont été tués ou ne subsistent plus qu'à l'état de reliques, marginalisées économiquement, socialement et géographiquement dans des «réserves». La dynamique sociale est donc différente de celle vue plus haut et se rapproche de ce que connaissaient les migrants dans leurs pays d'origine. Au demeurant, on conçoit aisément que les migrants du XIXe siècle qui quittaient une Europe en situation de surcharge démographique pour les « pays neufs » qu'étaient alors l'Australie, le Canada ou les États-Unis, n'auraient pas fait cette migration sans la perspective de trouver dans leur pays d'accueil, sinon l'eldorado qu'imaginaient certains, du moins des conditions de vie qui leur donnent leur chance, soit par l'attribution d'une terre, soit par l'insertion dans un marché du travail où celui-ci était reconnu comme une valeur et rétribué en conséquence.

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Dans ce cas, la structure sociale qui se met en place n'est pas trop inégalitaire (on exclut évidemment de cette structure sociale les populations indigènes reliques) et induit une dynamique économique fondée sur la rémunération du travail. On n'est plus dans l'opposition maître/esclaves, mais dans les relations employeur/salariés. Par définition, un salarié reçoit un salaire : les fruits du travail ne sont donc pas confisqués unilatéralement par les détenteurs des capitaux, mais répartis entre les acteurs sociaux dans un contexte où les salariés ont les moyens de faire valoir leurs droits. Bien entendu, il serait naïf d'imaginer que tout cela se passe sans heurt : les dures négociations salariales, la création des syndicats, les grèves, l'évolution même de la législation du travail sont là pour rappeler que, dans les pays neufs comme dans la vieille Europe, la société évolue à travers les conflits d'intérêts qui la traversent. Mais la résultante de tout cela est que se constitue un pouvoir d'achat interne. Cela crée des perspectives de rentabilité pour les investissements réalisés sur place et incite donc les détenteurs de capitaux à diversifier l'économie régionale puisqu'un marché solvable existe. Ainsi, un lien existe entre le fait que les fruits du travail sont distribués d'une façon plus équitable et la capacité de la société à fixer sur place les fruits du travail : une plus grande justice dans la répartition des fruits du travail produit le développement. La distinction entre les deux types de colonisation est donc fondamentale. Deux contre-exemples mentionnés par Yves Lacoste dans sa Géographie du Sous Développement (1965) constituent en quelque sorte une expérience validant la démonstration. Aux États-Unis, la colonisation de peuplement a produit la plus grande puissance économique mondiale, mais des marques persistantes de sous-développement ont subsisté dans le Vieux Sud jusqu'à une période récente ; or, qu'est-ce que cette région du Vieux Sud, sinon précisément celle qui aux États-Unis a connu la colonisation d'exploitation sous la forme de la plantation cotonnière esclavagiste ? Cette région a donc subi une dynamique sociale totalement différente du reste du pays et la Guerre de Sécession (1860-64) qui verra triompher le Nord sur les confédérés du Sud fut bien l'opposition de deux types de sociétés. Au total, les États-Unis sont le cas d'un pays neuf issu d'une colonisation de peuplement et très développé, comportant une région ayant connu une colonisation d'exploitation et relativement moins développée. Le Brésil offre l'exemple exactement inverse. Le fait dominant de son histoire socio-économique est la colonisation d'exploitation, l'image caractéristique en étant la

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plantation esclavagiste de canne à sucre : le Nordeste est la région qui a été le plus marquée par ce type de structure sociale et qui constitue effectivement aujourd'hui la région la plus pauvre du pays. La région de Sao Paulo et la région Sud ont été moins touchées par l'esclavage : elles ressemblent davantage à un pays neuf, dans le sens que leur peuplement s'est fait majoritairement par l'immigration libre au XIXe et au début du XXe siècle. Ces régions qui ont pu fixer sur leur sol le surplus économique qu'elles produisaient forment aujourd'hui les régions de loin les plus développées du Brésil. Ainsi, on a le cas exactement inverse de celui des États-Unis : une région relativement développée dans un pays globalement sous-développé. De cela, il ressort que le développement ou le non-développement dépend des structures sociales et des relations que les sociétés globales entretiennent avec l'extérieur, ces relations dépendant elles-mêmes des structures sociales internes. Le point essentiel est le suivant : la classe sociale qui s'approprie le surplus économique et qui décide de son utilisation a-t-elle avantage à le réinvestir sur place (on parle alors de bourgeoisie nationale, c'est-à-dire d'une classe sociale d'entrepreneurs qui joue la carte du développement national), ou place-t-elle son intérêt dans les liens de dépendance avec l'extérieur (on parle alors parfois de bourgeoisie compradore pour désigner cette classe sociale qui tire sa fortune de son rôle d'intermédiaire entre son pays et l'extérieur et dont l'objectif n'est donc pas que le pays s'émancipe de ses liens de dépendance). Si distinguer les deux types de colonisation est indispensable pour raisonner juste et ne pas être dupe d'un terme - colonisation - qui désigne des réalités bien différentes, il ne faut pas oublier que dans quelques endroits du monde, la colonisation d'exploitation fut aussi une colonisation de peuplement. L'Algérie qui a été ainsi une colonie d'exploitation où la relation colon/colonisé était évidente, le colonisé n'ayant pas les mêmes droits civiques que le colon, fut aussi une terre d'accueil pour un grand nombre de migrants européens. L'existence d'un million de « pieds-noirs » rendait le problème algérien infiniment plus difficile pour la France que les problèmes rencontrés au Maroc et en Tunisie, et c'est au terme d'une terrible guerre de huit années que l'Algérie allait devenir indépendante en 1962. L'indépendance du Maroc et de la Tunisie, comme plus tard celle de l'Afrique noire n'ont pas engendré des drames aussi aigus parce que le nombre de colons y était sans comparaison moindre. Un problème du même ordre se pose en Nouvelle-Calédonie avec les Caldoches qui dominent les Kanaks. En Afrique du Sud, la situation a pris un tour encore plus dramatique. La minorité blanche y dominait la majorité noire en exploitant son travail et a voulu la refouler dans les réserves appelées bantoustans ; il a fallu que l'apartheid (sa traduction littérale de développement séparé est un non-sens car le développement ne peut pas être fondé sur une logique d'exclusion sociale) montre son inviabilité pour qu'une politique autre soit engagée par les plus clairvoyants, non sans résistance de la part des extrémistes, et sorte le pays d'une situation de violence institutionnalisée qui l'a longtemps mis au ban des nations civilisées.

La colonisation a donc eu des effets contrastés en fonction des périodes, des formes de colonisation et des pays concernés. Ainsi, l’Inde a grandement souffert de la colonisation. Pour Jean Charles Asselain ce n’est pas le cas des colonies britanniques à peuplement européen, les dominions, qui disposaient d’une pleine souveraineté interne. Certains auteurs tels que J Marseille ou S Brunel soulignent que la colonisation a eu aussi des apports positifs : construction d’infrastructures, amélioration de l’état sanitaire, amorce d’une industrialisation fondée sur les produits primaires… Plusieurs auteurs doutent des bienfaits de la colonisation pour les pays colonisateurs. Pour A Bairoch, les débouchés coloniaux sont très limités et les matières premières des colonies ne sont pas indispensables aux nations industrielles. Pour de nombreux libéraux la possession des colonies freine les innovations puisqu’elle offre à l’économie coloniale des marchés captifs. En outre, la colonisation draine vers les activités

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des colonies, dont la rentabilité est artificiellement gonflée, des capitaux qui font défaut à d’autres activités. ( Montoussé, d' Agostino, Figliuzzi, 2008).

1.2 Typologies des stratégies d'industrialisation adoptées depuis la seconde

guerre mondiale

Avant les années 1970, les situations économiques des pays du tiers monde sont proches. Tous affichent des niveaux de développement économiques faibles. Les États nouvellement indépendants prennent à bras le corps la question du développement industriel. Comme l'indique Henri Rouillé D’Orfeuil (1991) « Presque tous les pays du tiers monde ont mis l'accent sur l'industrialisation dans leurs premiers plans de développement. L'Algérie, qui disposait d'une rente pétrolière substantielle, mais aussi l'Inde, le Brésil, les pays socialistes... ont tous fait des efforts considérables».

La Conférence générale mondiale de l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), réunie à Lima en 1975 met la barre très haut : 25% de la production industrielle mondiale devra être le fait du tiers monde en l'an 2000. Cette déclaration révèle une véritable ambition des leaders des pays du sud en matière de développement industriel et la confiance qui règne alors au sein de ces pays.

Si l’objectif de Lima est finalement atteint en 2000, ce chiffre global cache une grande diversité des situations. De nombreux pays en développement ne contribuent que pour une part insignifiante dans le total, d'autres sont devenus des puissances industrielles (Chine, Brésil, Corée du Sud, Mexique, Inde…).

Les politiques de développement, notamment industriel, la gestion des ressources et de la dette, l'inscription dans les échanges internationaux constituent les principaux ingrédients de l’éclatement du tiers monde. En matière d’industrialisation plusieurs stratégies sont mises en œuvre au lendemain des indépendances. Si souvent, les états privilégient une seule voie, la combinaison de modèles de développement industriel a souvent été favorable. Ainsi, la Corée du sud développe à partir des années 1970 une stratégie combinant la promotion des exportations (mise en œuvre dans les années 1960) et l’essor des industries lourdes et de biens durables (à l’abri des barrières douanières) pour faire évoluer et favoriser la diversification de ses exportations.

Cependant la crise de la dette au début des années 1980 et celles qui ont suivi sont révélatrices de la fragilité de ces États. Les institutions internationales et les grands États industrialisés poussent les pays les plus touchés à s’ancrer davantage dans la mondialisation. Ainsi, le dernier quart du XXème siècle a été marqué par des développements différents des pays du sud en matière d'industrie à tel point que toute recherche d’unité est actuellement vaine.

2.1 Une stratégie de substitution d'importations et de remontée des filières

L'industrialisation peut reposer sur une stratégie de substitution d'importations, c'est-à-dire le remplacement des importations de produits industriels par des productions locales à l'abri de barrières protectionnistes. Pour cela, il faut que le marché national soit suffisant et que l’Etat joue un rôle important : Outre, la politique de protection douanière, il peut mener une

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politique de monnaie faible afin de limiter des importations, encourager les industries nouvelles par des investissements, subventions ou prêts bonifiés.

La substitution s'applique, dans un premier temps, aux biens de consommation. Dans un second temps, les biens d'équipement sont à leur tour concernés dans une logique de remontée de filière. Il s'agit de produire des biens de plus en plus lourds et de plus en plus complexes.

La stratégie d'industrialisation par substitution d'importations, mise en œuvre dès les années 1930 en Amérique latine, est appliquée après la seconde guerre mondiale dans un grand nombre de pays en développement : Corée du Sud et Taiwan (au cours des années 1950), Egypte, Inde... Dans la plupart de ces pays, l'industrie progresse.

L'Amérique latine connaît durant les années 1940 et 1950 un fort rattrapage industriel. On parle de miracle industriel mexicain, au Brésil la part de l'industrie dans le PIB est passée de 10% en 1929 à 40% en 1975. Dans certains pays asiatiques l'industrialisation par substitution des importations constitue une première étape dans le développement de l’industrie (Corée du sud, Taiwan).

Mais cette stratégie connaît plusieurs défaillances à partir des années 1960 :

- le protectionnisme réduit la concurrence entre entreprises peu productives et favorise l'inflation ;

- la remontée de filières se heurte au manque de capitaux et/ou à un endettement extérieur croissant qui s'alourdit, dès la fin des années 1970, du fait de la hausse du dollar et des taux d'intérêt...

- Les fruits de la croissance bénéficient peu aux salariés : la très forte inégalité sociale est quasi de règle dans les pays du Tiers monde.

- L’exiguïté du marché domestique limite la croissance. Seuls les très grands pays, par effet de masse, échappent donc au facteur limitant qu'est l'étroitesse du marché. Ainsi l'Inde, malgré une faible proportion de population assez aisée pour consommer des biens industriels durables, offre un marché suffisant au développement de ce modèle productif. De même, si 60 % des Brésiliens n'ont pas l'argent nécessaire pour acheter des biens durables, les 40 % restants sont, en chiffre absolu, plus nombreux que les Français.

- L’implantation de filiales de firmes multi nationales (FMN) conduit à des sorties de capitaux (rapatriement vers les maisons mères) et des importations d’intrants qui peuvent déséquilibrer les comptes extérieurs.

Face aux limites de ce modèle d'industrialisation, une large part des pays ayant opté pour ce modèle se sont ou ont dû se tourner vers une stratégie d’ouverture et d'exportation. Ces pays souvent incités par des structures telles que la banque mondiale et le FMI s’insèrent davantage dans la division internationale du travail à partir des années 1980.

Selon le dictionnaire de sciences économiques et sociales d'Agostino et al (2008) La remontée de filières est une stratégie consistant, à partir de la production d'un produit donné, à développer progressivement sur le territoire national l'activité d'unités de production intervenant en amont de la production de ce produit, constituant de ce fait une filière de production composée d'activités productives complémentaires.

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2.2 L'industrialisation par industries industrialisantes

Pour certains chefs d’Etat, c’est un objectif majeur. L'Inde de Nehru, l'Algérie de Boumediene, la Chine et les pays socialistes ont ouvert la voie (fin des années 1940). La création d'« industries industrialisantes », c'est-à-dire d'une industrie lourde, est la condition première de la souveraineté industrielle recherchée. Il s'agit d'un modèle de développement qui privilégie les industries de base (sidérurgie, chimie de base) qui doivent produire un entrainement sur les industries aval. Le modèle d'industrialisation par les industries dites industrialisantes suit un cheminement exactement inverse du modèle précédent. Les investissements se concentrent dans un premier temps sur les industries amont pour ensuite descendre la filière industrielle : on va alors des industries lourdes aux industries légères, des industries de biens intermédiaires et de biens d'équipement aux industries de biens de consommation.

Ce type d'industrialisation est fortement inspiré de l'exemple soviétique des années 1930 : économie centralement planifiée (pays dont l'activité économique est régie par une planification, le plus souvent impérative, élaborée par l'État, les entreprises sont publiques).

L'Algérie qui a opté pour cette voie d'industrialisation à partir de 1966 a privilégié la sidérurgie, avec le complexe d'Annaba, et la pétroléochimie, à Arzew. La particularité de ce choix de modèle de développement de l’industrie réside dans le fait qu’il s’agit d’industries très coûteuses en investissement initial et dont la rentabilité financière ne peut être attendue qu'à un terme relativement long. En Algérie, la part de l’industrie dans le PIB passe de 38% en 1965 à 56% en 1981.

Ce modèle de développement de l’industrie comporte des risques importants :

Les économies d'échelle exigent dès le départ un dimensionnement des installations dépassant les capacités d'absorption du marché intérieur. Toutes ces raisons font que l'État intervient directement. II est le seul à pouvoir immobiliser pendant longtemps les sommes nécessaires et c'est donc lui qui investit.

Dans des pays comme l’Algérie, l’Irak, le Nigéria, le financement des investissements est fondé sur l’exportation du gaz et/ou du pétrole. La chute des cours durant les années 1980 pose un véritable problème d’endettement.

Par ailleurs, la priorité accordée à l’industrie lourde bride la croissance des industries légères et de l’agriculture. « De ce point de vue, et à court et moyen terme, les industries lourdes ont des effets que beaucoup jugent négatifs sur les autres branches économiques. Il est évident, que les sommes investies dans les branches lourdes ne sont pas disponibles pour les branches légères. Aussi, les industries de consommation sont-elles en quelque sorte négligées, au motif que dans une phase ultérieure elles connaîtront un essor précisément grâce à la capacité productive qui aura été assurée dans les branches d'amont » (Bret 2006). Comme l’indique M Montoussé (2007), l’agriculture étant sacrifiée, il faut importer des biens alimentaires ce qui induit une dépendance supplémentaire à l’égard de l’extérieur.

Aussi, presque partout on a fait depuis marche arrière sur le volontarisme et l'étatisme en matière industrielle et accordé plus de place au marché pour orienter les choix économiques. On cherche aujourd'hui à favoriser l'émergence d'une véritable génération d'entrepreneurs. On continue en revanche de considérer la création d'un espace économique protégé comme nécessaire à la naissance d'une industrie nationale.

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2. 3 L'industrialisation extravertie, par les exportations et l’alliance avec les entreprises multinationales

Nous pouvons distinguer deux modèles d’industrialisation basés sur les exportations : le premier repose sur l’exportation de produits primaires, le second sur l’exportation de produits manufacturés. Ces deux modèles ont connu des fortunes diverses :

Selon Montoussé (2007), l'exportation de produits primaires a rarement favorisé 1'industrialisation. De nombreux pays en développement ont tenté de d’asseoir leur développement économique sur 1'exportation de produits primaires pour financer les investissements dans l'industrie et les importations de biens d'équipement. L’exportation de produits primaires non agricoles devait ainsi permettre le développement d’une industrie extractive dont les effets d'entrainement pouvaient impulser une industrialisation plus diversifiée. Plusieurs pays exportateurs de pétrole ont adopté cette stratégie dans les années 1970. C’est aussi le cas de nombreux pays latino-américains (Brésil, Argentine…) sans que cela soit leur stratégie prioritaire. Des pays africains tels que la Côte-d’Ivoire et le Sénégal se sont engagés sur cette voie dès les années 1960.

Cependant, la dégradation des termes de 1'échange des pays exportateurs de produits primaires non pétroliers au cours des années 1980 a réduit 1'impact de cette stratégie : la baisse des prix des produits primaires a accru le coût des importations de biens d'équipement et accentué la dette extérieure. Ainsi, selon Konate (2002) le modèle d’une croissance tirée par les exportations de produits primaires/ matières premières a fortement aggravé les déséquilibres structurels des pays du Maghreb. Non seulement le niveau de leurs exportations agricoles et industrielles s’est réduit sous l’influence de conditions climatiques fréquemment mauvaises et du ralentissement économique dans les pays européens, mais en plus, la baisse des prix des principales matières premières exportées a été brutale. Ainsi, pour le Maroc le prix du phosphate a diminué de moitié de 1975 à 1978.

En conséquence, les déficits se sont aggravés, tandis que les réserves de changes touchaient leur plus bas niveau historique. Afin de compenser cette mauvaise passe, les pays ont massivement eu recours à l’endettement. En effet, un meilleur accès au financement international durant les années 1970, « période de l’argent facile », dans le contexte du premier choc pétrolier, a augmenté substantiellement le niveau d’endettement de ces pays. Toutefois, à partir des années 1980, vu l’ampleur des déficits et la montée des revendications sociales, les défauts de paiement sont apparus (Maroc et Algérie) et les gouvernements ont dû progressivement se tourner vers le FMI.

L'industrialisation reposant sur l’exportation de produits manufacturés vers les pays développés parait plus efficace. Pour ce faire, il faut tirer parti des meilleures cartes : le faible coût de la main-d'œuvre, une législation permissive et une fiscalité dérisoire. Il faut aussi passer alliance avec les maîtres internationaux de l'industrie, de la technologie, du commerce et de la finance.

Ce modèle dans sa version pure connait peu de succès jusqu’aux années 1950. Même chez les futurs dragons asiatiques, l’Etat intervient de façon notable notamment par une planification souple, par des mesures de protection des produits nationaux, des incitations fiscales, des prêts aux entreprises. L’ouverture sur les marchés extérieurs s’est faite durant les années 1960-1970 notamment dans les pays d’Asie de l’est et du sud-est. Ainsi, les exportations thaïlandaises qui étaient composées à 70% de produits primaires agricoles en 1975, sont constituées à 75% de produits manufacturés en 2004. En Corée du sud, le nouveau

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régime issu du coup d’Etat militaire de 1961 adopte rapidement cette stratégie extravertie fondée sur l’exportation de biens de consommation courante (textile…). En 1970, les exportations sud-coréennes sont composées à 85% de biens manufacturés contre 30% en 1962. Comme l’indique Montoussé (2007), l'efficacité de la stratégie d'industrialisation par substitution d'exportations est conditionnée par la capacité des pays à faire évoluer leur spécialisation comme en témoigne l’exemple de la Corée du sud. Au cours des années 1970, la production d'acier, de navires, de machines (industrie lourde) bénéficie de mesures protectionnistes et d'aides de l'Etat et alimente un nouveau courant d'exportations. De plus, les exportations de biens de consommation concernent des biens plus élaborés (automobiles, biens d'équipement ménagers). Pour mettre en œuvre cette stratégie, les États doivent cependant bien souvent recourir à l’endettement extérieur, la substitution d'exportations permet de dégager les moyens nécessaires au remboursement de la dette.

Cependant la crise asiatique de 1997-1998 révèle la fragilité de cette stratégie, en particulier dans les pays comme la Thaïlande, la Malaisie... qui n'ont pas su faire évoluer leur spécialisation (biens de consommation courante et sous-traitance électronique). Ces pays ont notamment souffert du ralentissement des débouchés au sein des pays développés. En revanche, Taiwan, Singapour et Hong-Kong (réunifié à la Chine en 1997) traversent la crise avec moins de difficultés. La Corée du Sud connait également une forte reprise mais doit encore réduire l’endettement et améliorer le fonctionnement de son système financier.

1.3 La rupture du début des années 80 et l’incapacité de certains pays à

rembourser leur dette

Au cours des années soixante et soixante-dix, l'industrie s'est « étendue » au-delà du Nord. En vingt ans (entre 1950 et 1970), le PNB du tiers monde augmente en moyenne de près de 5% chaque année et le secteur industriel de plus de 7 %. Mais alors que dans les pays industriels cette période voit les couches populaires s'intégrer par la consommation et les modes de vie s'homogénéiser, la croissance économique dans le tiers monde est dès le départ profondément inégalitaire. Elle crée des « îlots de modernité », laissant de côté la grande masse de la population des campagnes et des villes.

L’augmentation du PNB est quelque peu faussée par un recours à l’emprunt facile. Entre 1968 et 1981, les montants prêtés annuellement par la Banque Mondiale ont constamment progressé passant de 2,7 milliards de dollars en 1968 à 8,7 milliards en 1978 et à 12,0 en 1981 à la veille de l’éclatement de la crise (Bello, 2000). Par la politique qu’elle a mené, la Banque Mondiale a contribué activement à créer les conditions qui ont débouché sur la crise de la dette du début des années 1980.

Dans leur majorité, les sommes allouées émanent des pays pétroliers qui placent leur pétrodollars dans les banques commerciales des pays développés. Les banques localisées aux États-Unis et dans une mesure moindre dans les pays européens disposent de dépôts considérables. Elles cherchent à les valoriser en proposant des crédits aux pays en développement. Ces dernières se livrent à une concurrence pour être présentes sur ce nouveau marché de prêts. Le risque est là mais chacune pense les réduire en s'associant à d'autres banques pour fournir les financements demandés. De plus, la garantie de l'État emprunteur paraissait apporter toute sécurité à l'opération.

Durant les années 1970, les premiers ingrédients de la crise de la dette se mettent en place :

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- On observe une augmentation du volume de la dette et de son service sans que les revenus d’exportations suivent au même rythme. Or, les pays endettés remboursent leur dette extérieure avec leurs revenus d’exportation.

- Les volumes exportés augmentent sans que la demande venant des pays les plus industrialisés progresse dans la même proportion.

Ces pays doivent faire face à un problème pour lesquels ils n’ont pas de solution : la chute des prix des produits exportés entraîne une chute de revenus qui débouche sur des difficultés de remboursement.

Les pays du Sud, surendettés au début des années 1980, subissent donc de plein fouet la hausse brutale des taux d’intérêt et la difficulté soudaine de l’accès au crédit. C'est la crise mexicaine d'août 1982 qui a fait perdre les illusions trop longtemps entretenues. À partir de cette date, les crédits bancaires vers les pays du tiers monde vont se raréfier, la menace se faisant précise de voir beaucoup d'entre eux dans l'incapacité de rembourser. Tous les ingrédients sont désormais réunis, les pays du sud vont devoir se saigner aux quatre veines pour rembourser leurs créances.

Comme le précise E Berr (2003), la crise de la dette est la conséquence d'un certain laxisme de la part des créanciers quant aux prêts accordés, de la politique anti inflationniste menée au début des années 1980 par les pays occidentaux et d'une mauvaise utilisation des sommes reçues par les dirigeants des pays en développement. S'endetter est une stratégie crédible d'enrichissement si les crédits permettent d’investir dans l’appareil productif, s'ils permettent d'accroître à terme la production de richesse, ce qui doit rendre alors possible l'augmentation de la consommation (autrement dit, la hausse du niveau de vie) et le remboursement de la dette. Or, l'argent a été souvent mal utilisé (Bret 2006). Si dans certains cas la dette extérieure a alimenté la corruption et a été en partie détournée, trop souvent, l'argent emprunté a été consommé plutôt qu’investi. En effet, il a servi aux dépenses courantes des services publics, à combler le déficit budgétaire et à assurer la paye des fonctionnaires.

On notera cependant que la crise a malgré tout touché des États qui avaient effectivement investi dans l’appareil productif. Les difficultés rencontrées proviennent alors des choix industriels réalisés et de l'évolution des cours des produits d'exportation sur lesquels les pays concernés comptaient pour payer les échéances. Ainsi, B Bret (2006) évoque l’exemple du Mexique qui avait trouvé avec la hausse du prix des hydrocarbures un regain d'activité pétrolière et qui s'était endetté pour financer des complexes d'industries pétroléochimiques ; le calcul paraissait jouable : les rentrées de devises assurées dans l'immédiat par les exportations de pétrole brut devaient payer les échéances ; l'industrialisation dans la filière pétrolière permettrait ensuite de valoriser sur place le produit. D'autres pays exportateurs ont mis en œuvre des stratégies identiques (Venezuela, Algérie...). Tous ont été victimes du contre-choc pétrolier. Quand les cours des hydrocarbures ont baissé, ces pays ont vu leurs recettes d'exportation s’effondrer dans un contexte de hausse des taux d'intérêt qui a alourdi le service de la dette extérieure. Face à ces tendances, ces pays ont eu les plus grandes difficultés à payer leurs créanciers. La tendance de nouveau à la hausse des cours du pétrole au début du XXIe siècle est donc pour ces pays un atout important (Bret 2006).

La gravité de la crise s'est lue dans le renversement des flux financiers entre les pays développés et les pays du tiers monde. Alors que les premiers envoyaient des capitaux aux seconds dans la période de l'argent facile et bon marché, on a assisté dans le milieu des années 1980 à une inversion : c'est le tiers monde qui, à cause d'un service alourdi de la dette extérieure, a envoyé de l'argent aux pays développés ! (Bret 2006)

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La crise de 1982 et celles qui ont suivi ont été gérées, avec l'accord des créanciers, par les institutions financières internationales. Ainsi, le FMI et la Banque Mondiale ont conditionné toute restructuration de dette à l'adoption de programmes d'ajustement structurels qui, selon E Berr, ont été loin de régler les maux dont souffrent les pays en développement et ont conduit à la crise des années 1990. Ces plans d’ajustement structurels (PAS) se sont traduits par une mise sous tutelle des économies des pays en développement. Ces derniers ont dû garantir l'assainissement de leurs finances publiques et le retour à l'équilibre de leurs balances des paiements. Ces programmes ont entraîné des politiques de privatisation brutales et massives et des coupes sombres dans les dépenses publiques, notamment de santé et d'éducation. Le choc est particulièrement brutal dans les pays d'Amérique latine, où le pari du marché mondial avait été engagé sans retenue. II est plus atténué en Asie du sud-est, où un effort important avait été consenti pour constituer des marchés nationaux de biens industriels. La légère reprise des années 1984 et 1985 va permettre au tiers monde de stabiliser sa situation, sans cesser d'accroître son endettement. Au Maroc et en Tunisie, l’ouverture des économies au secteur privé et surtout aux investisseurs étrangers a été au cœur des programmes d’ajustement structurel. Par une simplification des procédures administratives, des réformes des codes de l’investissement et l’instauration de zones franches (en 1986 pour la Tunisie et en 1990 pour la zone franche de Casablanca), les deux pays ont réussi à diversifier et accroître leurs exportations (Konate, 2002). Un certain nombre de pays du tiers monde ont été intégrés peu à peu sous la pression des États-Unis, du Fonds monétaire international et de la Banque Mondiale, dans un système mondial d’échanges et ont peu à peu libéralisé leur économie. Les États en graves difficultés financières qui avaient opté pour la remontée de filière ou le modèle des industries industrialisantes virent au libéralisme économique.

Les pays asiatiques exportateurs de biens manufacturés sont cités alors en exemple. Face à la vigueur de leur industrie et au danger potentiel qu'ils constituent pour les vieux pays industriels, 1a Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour se voient qualifiés du nom de quatre dragons. Leur modèle de développement de l’industrie est basé sur l'exportation des produits manufacturés vers les marchés des pays développés. Selon que leur propre marché de consommation est plus ou moins important, la part des exportations dans les ventes totales varie. Taïwan et surtout la Corée du Sud ont ainsi des effectifs de population très supérieurs à Hong-Kong et Singapour, mais cela n'apporte que des nuances à la logique globale du modèle qui consiste à vendre à l'extérieur (Bret 2006). Les branches représentées dans ce modèle sont principalement les industries de biens de consommation. Le processus a souvent commencé par les industries textiles et la confection parce que ce sont les branches les plus accessibles aux pays dépourvus de tradition industrielle : elles ne requièrent ni une main-d’œuvre qualifiée, ni une technologie avancée, ni des capitaux abondants. Puis, une diversification s'est produite qui a fait apparaître les industries mécaniques, la construction électrique et l'électronique de loisir… L’ouverture de ces pays a favorisé les investissements japonais, nord-américains et européens. Ces pays voient s’installer des firmes multinationales désireuses de délocaliser les industries de main-d'œuvre. Une nouvelle division internationale du travail est associée à ce modèle.

Néanmoins, si on incite les pays en développement à s’inspirer de ce modèle, c’est loin de favoriser une unité du tiers monde. L’éventail des situations économiques s’élargit, au fil du temps, chacun doit s’insérer dans la division économique du travail en fonction des ressources de son territoire, de sa position géostratégiques, de ses pratiques politiques, de la masse de sa population, du niveau de qualification de sa population et des salaires de sa main d’œuvre, du dynamisme de ses entrepreneurs, de la disponibilité en capital et plus généralement de ses structures économiques (Chapuis, Brossard, 1997). La capacité de réponse à la pression des pays développés diffère d’un pays à l’autre : les grands pays tels que la Chine, le Brésil, le

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Mexique, l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud qui représentent 60% de la population du tiers monde et une part forte de sa richesse ont davantage de moyens que les petits pays d’Afrique central, des Caraïbes et d’Afrique sub-saharienne.

Le libéralisme s'impose au Sud. Les politiques de réajustement structurel imposées par le FMI contribuent à ouvrir les économies du Sud et à revoir parfois les modèles de développement de l’industrie qu’ils avaient privilégiés. Les taux de change des monnaies sont réajustés, les capitaux et les marchandises circulent plus facilement. A ce jeu, le tiers monde est souvent perdant. Les plus forts imposent la règle d'or du « bien jouer » commercial : pouvoir être libre-échangiste avec les plus faibles que soi et savoir être protectionniste avec les plus forts.

1.4 Typologies des pays en développement

Les Pays en développement (PED) contrôlent le ¼ des produits manufacturés exportés contre 7% en 1970. Cette augmentation s’explique en grande partie par les flux d’investissements directs étrangers qui ont connu une croissance importante dans ces pays (35 milliards de dollars en 1980 et 250 milliards en 2000). Actuellement le « tiers monde » accueille entre le quart et le tiers des investissements directs étrangers. Certains pays comme la Chine ou le Vietnam connaissaient avant la crise des croissances de la production industrielle exceptionnelles (>10% par an). Mais 80 % du capital et de la production industrielle du tiers monde proviennent seulement d'une douzaine de pays, les « pays nouvellement industrialisés» (PNI ou NPI). La centaine d'autres pays du tiers monde ne représente donc que 2% à 5% de l'industrie mondiale, qui plus est, comme le montre la carte 5, ils connaissent des trajectoires économiques différentes. De plus, comme l’indique S Brunel, au sein même des Etats les écarts sont importants : en Zambie, les 10% les plus riches de la population se partagent la moitié du revenu national, et, au Brésil, les 20% les plus riches disposent des deux tiers, tandis que 60% de la population ne reçoit que 15% de ce revenu ; 20% des Mauriciens disposent de 60% du revenu national, tandis que les 20% les plus pauvres doivent se contenter de 4% seulement (de 1%, au Pérou).

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Carte 5 : Evolution de l’indice de développement humain entre 1995 et 2003

Photo 1 : Singapour Photo 2 : Taiwan

Photo 3 : Hong-Kong Photo 4 : Séoul, Corée du sud

Les quatre dragons

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Il est donc clair que le tiers monde, les pays du sud, les pays des suds, etc., constituent désormais un ensemble hétérogène et que toute tentative d’appellation générique est soumise à critique. C’est la raison pour laquelle, auteurs et organismes proposent différentes typologies. Nous en reprenons trois, dans le détail ci après. Les deux premières sont en quelque sorte a-spatiales (L Carroué, C Manzagol) par rapport à la dernière qui décrit la diversité au travers d’une approche régionale (S Brunel).

Classification proposée par Laurent Carroué dans son ouvrage Géographie de la

Mondialisation (2004) Dans son ouvrage sur la mondialisation Laurent Carroué (2004) propose 3 ensembles :

Les Nouveaux pays industrialisés et pays émergents Ce groupe est constitué des Dragons asiatiques ou NPI (Corée du Sud, Hong-Kong,

Singapour, Taiwan, 8 % PIB mondial), depuis les années 1980, il s’est étendu à la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, la Chine (11,6 % PIB mondial) puis au Vietnam. Entre 1990 et 1996, ces États captent 43 % des flux de capitaux des pays industrialisés.

Le modèle de développement économique mis en œuvre par les dragons repose sur l'essor d'un secteur agricole modernisé qui a permis d’accumuler du capital et de créer une demande interne dynamique. Puis développant initialement des secteurs industriels à forte intensité de travail à destination du marché mondial grâce aux faibles niveaux salariaux comparativement à la qualification (textile), ils remontent progressivement des filières technologiques de plus en plus élaborées (mécanique, chimie, automobile, électronique). Ce processus se fonde sur un secteur privé dynamique et un Etat développeur fort (protection sélective du marché intérieur, crédits, éducation, infrastructures, relative égalité des revenus). Il dispose de conditions sociales, culturelles et économiques favorables qui permettent l'émergence d'une classe moyenne urbaine. Leur insertion contrôlée dans la division internationale du travail tourne diamétralement le dos aux logiques libérales. Mais depuis 1997, la crise asiatique remet partiellement en cause certaines avancées et témoigne de la fragilité d'une ouverture financière internationale non maitrisée. Alors que les pays développés profitent de leur affaiblissement pour exiger l’abandon de leur stratégie d'ouverture asymétrique et pour s'implanter durablement en rachetant banques et entreprises, ils doivent rééquilibrer leur modèle de croissance vers la demande interne.

Les États pétroliers Ils ont bénéficié de flux de pétrodollars considérables bien que forts irréguliers, en

particulier depuis les hausses des prix de 1973. Si les monarchies peu peuplées de la péninsule Arabique gaspillent souvent ces capitaux (dépenses somptuaires, armements), d'autres États investissent dans l'industrie lourde (Algérie, Libye, Egypte ...). Mais alors que les ressources demeurent très dépendantes des cours mondiaux, leur développement reste déséquilibré et fragile face la pression démographique, au népotisme et la corruption des élites et aux fractures sociales et territoriales (villes-campagnes, métropoles-reste pays, intérieur-littoral... ) qui sont parfois un terreau favorable aux développements de mouvements islamistes de plus en plus virulents (Carroué, 1996).

Les autres États

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Enfin, sur 108 États non pétroliers en développement, 57 voient leur niveau de vie par habitant stagner entre 1965 et aujourd'hui, 46 régresser et seulement 5 progresser. Une grande partie de l’Asie du sud, une partie de l’Amérique latine et surtout de l’Afrique sub-saharienne restent exclues du développement. Si la décennie 1980 fut qualifiée de « décennie perdue », la décennie 1990 est celle de la marginalisation et de l’exclusion.

Dans ce groupe se retrouvent les 49 PMA (Pays les moins avancés en 2001) qui réalisent 0,5 % du PNB mondial avec 10,7 % de la population. Le nombre d’États où le revenu est inferieur à 900 dollars par an et par habitant est passé ainsi de 25 en 1971, à 49 en 2001 puis 50 en 2004. Le Sénégal longtemps présenté comme un modèle de développement en Afrique francophone fait désormais partie des PMA.

Source ; CNUCED

Très dépendantes des cours des matières premières minérales et végétales, surendettées, peu efficaces et confrontées aux programmes d'ajustement structurels du FMI provoquant chute des investissements productifs et sociaux utiles (santé, éducation ...), ces économies et sociétés sont en grandes difficultés. Dans bien des cas, la carence des élites et pouvoirs locaux est responsable de graves dérives. Incapables de réunir les conditions d'un décollage, les États servent souvent les intérêts à court terme de groupes étroits (oligarchies, castes, ethnies) en conflits permanents. La question géoéconomique du développement passe par la résolution d’une question géopolitique centrale, la reconstruction de l’Etat, voire parfois sa refondation (Zaïre, République centrafricaine ...), 1'augmentation de l'aide au développement fournie par les pays riches, le désendettement et 1'installation de nouveaux rapports de coopération et d'échanges.

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Classification proposée par Claude Manzagol dans son ouvrage La mondialisation (2003)

Claude Manzagol dans son ouvrage sur la mondialisation (2003) propose une classification très proche. Reprenant un graphique proposé dans Chapuis 1985 constitué à partir de la valeur ajoutée manufacturière par habitant et la part des industries de consommation non durables, il reprend à son compte l’idée de quatre tiers mondes qu’il décrit ainsi.

Les pays exportateurs de pétrole

Dans les années 1970, au cours de trois crises successives, (1970, 1973, 1979), les pays producteurs de pétrole (OPEP) ont brisé la tutelle du cartel en s'assurant Ie contrôle des prix, du surplus et des gisements. Le prix du baril de pétrole qui était le même qu'au début du siècle - moins de 3 dollars - grimpe à plus de 56 dollars en 1979 au plus fort de la crise iranienne. Les pays exportateurs vont alors engranger de fabuleuses recettes, notamment au Moyen-Orient (deux tiers des réserves mondiales). Les États de la péninsule arabique et du golfe Persique lancent des programmes colossaux d'équipement. Malgré le fort tassement du prix du brut, durant les années 1980 et 1990, le fossé s'est creusé avec les pays sous-développés dépourvus de pétrole qui ont dû acquitter 1'énorme facture énergétique lorsque les cours étaient au plus haut, entravant leur développement et enflant leur dette. Les nouveaux pays industrialisés

Plusieurs des grands producteurs de pétrole ont pu amorcer un processus d'industrialisation. D'autres qui ne disposaient pas de cette manne ont réussi en trente ans à se hisser au rang des pays développés ; cette fulgurante percée a été réussie par les Quatre Dragons : Taiwan, Hong-Kong, Corée du Sud et Singapour. D’autres ont emboité le pas. Par leur masse et bien que leur transformation structurelle soit bien moins poussée que celle des Dragons, la Chine, le Brésil, l'Inde, le Mexique sont parmi les douze plus grandes puissances industrielles du globe. Ces pays sont déjà des compétiteurs sur certains créneaux de la haute technologie : ainsi, le Brésil avec Embraer est un concurrent sérieux dans l’aéronautique civile et militaire et la Chine est en mesure de vendre des réacteurs nucléaires.

Les aspirants

Plusieurs pays sont en passe d'attraper le train du développement. Parfois, les bases d'une industrialisation autonome ont été mises en place avant la Seconde Guerre mondiale : c'est le cas de l’Argentine qui a connu depuis une véritable régression ; c'est aussi le cas de la Turquie ou 1'impulsion kémaliste tarde à donner des résultats. Plusieurs pays d'Europe centrale ont réussi leur sortie du communisme. De nombreux pays asiatiques suivent 1'exemple des Dragons : les Philippines, le Vietnam ...

Les pays les moins avancés (PMA)

En revanche, une cinquantaine de pays ne présentent pas de signes notables de développement ; avec une espérance de vie à la naissance de 50 ans, 50% d’analphabètes

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et un revenu par tête inférieur à 1 200 dollars, ils semblent au contraire s'enfoncer dans le sous-développement.

D’autres classifications existent, le graphique ci-dessous présente la classification réalisée par les Nations Unies.

Figure 1 : L’échelle du développement selon le fond d’équipement des Nations Unies

Approche régionale proposée par S Brunel dans son article sur le tiers monde dans l’Encyclopædia Universalis en ligne

« À l'échelle régionale, c'est entre les trois continents du Sud que les disparités s'accroissent : à une Asie globalement en forte croissance, dans l'orbite du Japon pour l'Asie de l'Est, et des deux géants indiens et chinois, s'oppose une Afrique en crise, de plus en plus pauvre, qui ne parvient ni à surmonter le défi d'un accroissement démographique toujours aussi rapide, ni ses tensions politiques. Une Afrique de plus en plus balkanisée où, comme sur les cartes géographiques du début du siècle, des no man's land réapparaissent, conséquences du chaos dans lequel sont plongées certaines régions en proie à la guerre civile.

L'Asie est parvenue à surmonter le défi alimentaire grâce à l'adoption de la révolution verte au milieu des années 1960. Cette trilogie - variétés améliorées, irrigation, engrais et pesticides -, greffée sur les pratiques agraires traditionnelles, a permis d'augmenter de 20% le niveau des disponibilités alimentaires par habitant en vingt ans, transformant des pays traditionnellement importateurs de céréales comme l'Inde ou l'Indonésie en pays exportateurs - ce qui n'a pas empêché la permanence d'une forte malnutrition chronique, conséquence d'importantes inégalités sociales et régionales internes.

En revanche, l'Afrique, pourtant présentée comme un grenier à blé au début des années 1960, est de plus en plus dépendante des importations de céréales pour nourrir ses villes, et cela quel que soit le niveau de la pluviométrie. L'opposition est frappante entre, d'une part, des paysans africains sacrifiés au « développement » des villes (en réalité au financement de fonctions publiques pléthoriques), accablés de taxes et d'impôts de toutes sortes, livrés à eux-mêmes dans des campagnes laissées à

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l'abandon, et, d'autre part, des paysans asiatiques, correctement rémunérés, incités à produire car enserrés dans une agriculture marchande dynamique, en constante diversification pour s'adapter à l'évolution permanente de la demande du marché ; cette opposition explique largement la divergence de destins entre une Asie promise par les experts à la famine il y a trente ans, en raison de la surpopulation de ses campagnes, et une Afrique qui reste encore globalement aujourd'hui sous-peuplée (moins de 25 habitants au kilomètre carré) mais n'a vu, en une génération, progresser ni ses techniques - une agriculture extensive et « minière », fondée sur une reconstitution passive de la fertilité du sol -, ni ses rendements - ceux-ci ont même baissé, en raison de l'épuisement des terres dans les régions les plus densément peuplées.

La part de l'Afrique (10% de la population mondiale) dans le commerce mondial est aujourd'hui inférieure à 1%, contre 4% en 1970. Sa part du P.N.B. mondial est tout aussi faible : 1,2%. Le retard de l'Afrique s'est accru, car son taux de croissance a été négatif durant la décennie de 1980. Corollaire de l'état d'instabilité chronique de la plupart des pays et des dysfonctionnements de l'administration, les capitaux privés ont déserté le continent, au profit de marchés considérés comme plus « porteurs », en Asie surtout, mais aussi en Europe de l'Est et en Amérique latine. L'Afrique, résument certains, n'est pas sous-développée « à cause » des multinationales, mais parce que celles-ci ne veulent plus y investir.

Entre une Asie, dynamique, de plus en plus exportatrice de produits manufacturés, de plus en plus industrialisée, et une Afrique rurale, restée à 90% dépendante de mono-exportations de produits primaires, se situe l'Amérique latine, plus difficilement classable : son revenu moyen par habitant la situe au-dessus de l'Asie, en faisant une véritable « classe moyenne » du Tiers Monde, mais les écarts de richesse y sont tellement plus importants qu'ailleurs que cette donnée ne veut rien dire. Cette région du monde est plus proche de l'Europe et des États-Unis que les autres continents par l'occidentalisation de sa culture, conséquence d'une colonisation « totale », plus ancienne et plus poussée que nulle part ailleurs. Alors que l'Amérique latine semblait sortir victorieuse de cette « décennie perdue du développement » - période des années 1980 stigmatisée par des gouvernements tentés par le populisme et soucieux, face à leurs difficultés, de désigner à l'extérieur des boucs émissaires tout trouvés, F.M.I. et Banque mondiale surtout -, les capitaux privés qui y affluaient la fuient à nouveau depuis 1994, conséquence de la « seconde crise mexicaine » : après la crise de la dette en 1982, la crise du peso fait éclater la véritable bulle financière dont bénéficiaient les places boursières sud-américaines.

Pourtant, son énorme richesse agricole et minière peut permettre à une Amérique latine plus soucieuse de justice sociale et de planification à long terme d'entrer réellement dans la voie du développement économique. L'Argentine offre ainsi un des rares exemples de pays développé en 1950, sous-développé en 1980, du fait de ses choix politiques et d'une véritable paralysie sociale, et qui se redresse à nouveau depuis la fin des années 1980. Car les réformes adoptées du fait de la crise de la dette ont transformé la plupart des pays latino-américains en véritables champions du libéralisme économique, renouant avec des taux de croissance élevés : on cite désormais les « jaguars » latino-américains, comme on parle des « tigres » asiatiques. Mais si ces réformes ont permis de sortir de l'hyperinflation et du gonflement constant de la dette, elles se sont accompagnées d'un coût social important pour les classes moyennes et les pauvres, victimes des plans de rigueur imposés par l'ajustement structurel. De ce fait, le sous-continent reste fragile et guetté par la tentation du pronunciamento et de l'argent facile procuré par le narco-trafic. »

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Au cœur de chaque continent, de grandes disparités opposent pays riches et pays pauvres. Ce ne sont ni le nombre des hommes, ni les atouts des matières premières, ni les rigueurs du milieu naturel qui permettent d'expliquer ces contrastes : les choix économiques effectués par les pays ont été déterminants, de même que le soutien extérieur plus ou moins important dont ils ont bénéficié du fait de l'intérêt qu'ils présentaient sur le plan stratégique et de leur orientation idéologique. Eux seuls justifient aujourd'hui qu'un pays puisse être labellisé N.P.I. ou, à l'inverse, P.M.A. : des contrastes identiques opposent, en Asie, la Birmanie à la Thaïlande, et le groupe Laos-Vietnam-Cambodge, resté longtemps pauvre et sous-industrialisé en raison du choix de modèles de développement socialistes et endogènes, fondés sur l'import-substitution, à celui des six pays de l'A.S.E.A.N. (Singapour, Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines, Brunéi), qui ont misé sur le faible coût de leur main-d'œuvre pour devenir des « pays-ateliers » et ont reçu l'aide massive de l'Occident afin de contrecarrer l'expansion du communisme dans la zone. Aujourd'hui, la croissance des dragons et des tigres est telle qu'ils délocalisent eux-mêmes leur production dans un Vietnam et une Chine convertis entre-temps au capitalisme, ou plutôt à ce que leurs dirigeants qualifient de « socialisme de marché ».

Même dans les pays du Sud les plus riches (sauf la Corée du Sud et Taiwan, où une réforme agraire poussée a permis de créer une classe de moyens propriétaires terriens et où l'éventail des revenus reste considérablement plus resserré qu'ailleurs), des régions riches, prospères, « intégrées » s'opposent à des zones de pauvreté, réservoirs de main-d'œuvre et d'émigration, où les conditions de vie n'ont guère évolué depuis des décennies, malgré l'enrichissement général du pays : opposition, au Brésil, entre, d'une part, les Indiens de l'Amazonie, qui vivent encore de chasse et de cueillette, ou les paysans du sertão, dans le Nordeste, qui cultivent la terre avec de très faibles rendements et pratiquent un élevage extensif, et, d'autre part, les populations du Sudeste, qui concentrent la richesse et l'activité économique nationales. La même opposition se retrouve entre le plateau Korat, en Thaïlande, et la plaine centrale de Bangkok, entre les montagnes surpeuplées et les espaces économiques côtiers des pays de la cordillère des Andes, entre les États de l'Inde touchés par la révolution verte et le développement industriel et les autres. »

Conclusion

Les degrés d’industrialisation des pays du sud varient énormément. Ces cinquante dernières années sont marquées par un mouvement de déconcentration sélectif de l’industrie. Cependant, les pays qui connaissent un réel développement de leur industrie, quel que soit le modèle retenu, doivent à un moment revoir leur copie souvent sous l’impulsion du FMI et de la banque mondiale qui les poussent à s’intégrer davantage dans la mondialisation. Même les pays asiatiques ont dû s’ouvrir davantage à suite de la crise de 1997. Se met donc en place une nouvelle division internationale du travail. On parle de "nouvelle division internationale du travail" pour désigner la spécialisation actuelle des pays : les nouveaux pays industrialisés, asiatiques surtout, produisent aujourd'hui des produits manufacturés, y compris des produits haut de gamme. Les pays développés fabriquent surtout les produits technologiques et les services dont la production nécessite de hautes qualifications. Les pays les plus pauvres restent cantonnés dans les produits primaires à faible valeur ajoutée.

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Partie 2 : Mondialisation et nouvelle division internationale du travail

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Bibliographie de la partie 2 (principaux ouvrages et articles)

Ouvrages

L CARROUE, Géographie de la mondialisation, Armand Colin 2007

C MANZAGOL, La mondialisation. Données, mécanismes et enjeux , Armand Colin, 2003

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2.1. La mondialisation

Selon Carroué (2004), la mondialisation consiste en la mise en relation de différents ensembles géographiques. C’est l’interconnexion complexe de territoires diversifiés. Pour Braudel (1979), Wallerstein (1974) ou Bairoch (1997), la mondialisation n’est autre qu’un processus historique d’extension progressive du système capitaliste dans l’espace géographique mondial. "La tendance à la mondialisation est inhérente au capitalisme", selon l'économiste Michalet en 2002.

Le processus de mondialisation est ancien, on peut quasiment dire qu’il a commencé avec la dissémination des premiers hommes sur la planète. Ce qui est nouveau, c’est la forte accélération de l'extension de l'économie de marché et du capitalisme à l'ensemble de la planète depuis trente ans. Selon Fourquet (2005), la mondialisation est en passe de s’achever.

Dans ce chapitre, après avoir retracé une rapide histoire de la mondialisation, nous revenons sur l’approche originale développée par Braudel axée sur la notion d’économie-monde pour expliquer ce processus. Enfin, nous terminons par une analyse des spécificités de la mondialisation telle qu’elle s’opère depuis la fin des années 1970

2.1.1 . Une brève approche historique de la mondialisation

La mondialisation est en passe de s’achever comme l’indique François Fourquet dans un article paru dans Alternatives Economiques en 2005. Nous vivons dans un monde unifié par l’économie mais divisé par la politique et la religion. L’unification du monde s’est faite par vagues successives conduisant à l’annexion de nouveaux territoires à un territoire dominant. La recherche du gain, la passion guerrière, l’ardeur religieuse constituent des éléments d’explication de ces vagues d’extension d’un territoire dominant. Trois vagues ont particulièrement joué dans le processus de mondialisation (Vandermotten et Marissal 2003) :

- une première vague, dominée par le capitalisme marchand, depuis les premières grandes découvertes de la fin du XVe siècle jusqu'au début du XIXe siècle. Au cours de cette période, les Etats mercantilistes de la façade atlantique de l'Europe se renforcent et développent une première vague d'implantations coloniales ;

- une deuxième vague, associée au développement du capitalisme industriel, qui conduit, à travers une exacerbation des concurrences entre puissances industrielles, à l'impérialisme et à l'apogée du colonialisme entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale. Pour Berger (2003), cette vague constitue la première mondialisation dans le sens où on observe à la fois une disparition des cloisonnements entre le marché international et le marché intérieur, et la mise en marché de la plus grande part de la production ;

- une troisième vague, de transnationalisation de l'économie mondiale, parallèlement au développement du fordisme, puis de flexibilisation et de globalisation de l'économie. Après une interruption liée à la décolonisation, l’affirmation du mouvement tiers mondiste et l'affrontement entre les blocs occidental et soviétique, l’économie mondiale achève son unification. L'ancien bloc socialiste et l'ancien tiers monde sont au final absorbés, tous les verrous au développement du capitalisme sont tour à tour levés : déréglementation, libéralisation, libre-échange, globalisation financière, investissements à l'étranger, etc., caractérisent l’économie mondialisée. Cette vague

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constitue la deuxième mondialisation en reprenant les critères avancés par Berger(2003).

« […] Vers - 8000, dans le croissant fertile de l'Asie du Sud-Ouest, les hommes inventent l'agriculture et, quelques millénaires plus tard, au même endroit, la ville. La civilisation agricole et urbaine se répand alors sur la Terre, apportant le surproduit, la division en classes, la métallurgie, l'écriture et la cité-Etat, qui se transforme parfois en empire, avec de fréquents reculs : la vie d'une civilisation est scandée par une alternance d'unité impériale et de désagrégation politique. Dans l'Antiquité, les religions universelles unifient de grandes civilisations.

Au VIIe siècle, la conquête arabe étire la civilisation musulmane sur une aire immense liant l'Occident et l'Orient de l'ancien monde, suscitant par contrecoup la naissance de la chrétienté. Là surgissent, vers l'an mille, la féodalité, les villes marchandes et les premiers linéaments d'une économie-monde européenne pilotée par les cités-Etats italiennes. Une conjonction très rare d'unité économique et de division politique favorise l'éclosion du capitalisme : aucun empire n'a jamais unifié durablement l’Europe ; le pouvoir public fragmenté ne peut empêcher, malgré la convoitise des princes, l'accumulation par les dynasties marchandes du capital privé engendré par le commerce au loin.

Au XVIe siècle, avec les grandes découvertes, l'économie-monde européenne se dilate, se mondialise. Par la colonisation, l'Europe associe le futur Sud à son propre destin. Rien ne semble pouvoir arrêter cet élan planétaire : L'Empire ottoman, grande puissance musulmane, tombe en décadence ; la Chine, qui avait commencé à explorer le monde, renonce et se referme ; le Japon aussi ; l'Inde est prise par l'Angleterre. Désormais, l'Europe conquérante a les mains libres pour exploiter et diriger le monde.

Au XIXe siècle, l'Angleterre, grâce à sa maîtrise des routes maritimes et des marchés mondiaux, se lance dans la révolution industrielle […]. Croissance et densification démographiques, industrialisation, captage de l'énergie de la Terre, productivité du travail, urbanisation, explosion du commerce mondial, des mouvements de capitaux et des firmes multinationales, épaississement des bureaucraties d'Etat qui croient pouvoir isoler des économies nationales séparées: l'extension de la mondialisation s'accompagne d'une formidable accumulation intensive de puissance. Londres réalise, par l'économie, le rêve des bâtisseurs d’empire : unifier l'Europe et le monde. L'économie-monde européenne finit par absorber le reste du monde et former une seule économie mondiale à la fin du XIXe siècle.

[…] Mais la Première Guerre mondiale bloque ce processus : au moment même où les Etats-Unis, soudain maîtres du monde, se préparent à saisir le sceptre de l'économie mondiale, la révolution russe de 1917 brise l'unité sur le point de s'achever, elle fait sécession et construit le "socialisme réel" à l'abri d'une forteresse douanière et culturelle. Le fascisme l'imite. L'économie mondiale se cloisonne, mais la grande crise de 1929 traverse facilement les barrières élevées par les Etats dirigistes pour se protéger de la tempête mondiale.

Après 1945, la guerre froide prolonge la division du monde. La forteresse socialiste s'étend à l'Europe orientale et à l'immense Chine ; vers 1950, elle enferme le tiers de l'humanité. Mais bientôt le système craque, les réformes échouent. La première, la Chine rompt son isolement (1978), le mur de Berlin s'écroule (1989) et l'URSS se suicide. L'économie mondiale peut enfin achever son unification suspendue en 1914-1917: elle absorbe l'ancien socialisme et l'ancien tiers monde. Et détruit les cloisons qui bloquaient la circulation : déréglementation, libéralisation, libre-échange, globalisation financière, investissements à l'étranger, etc.

Jamais la puissance américaine victorieuse n'a paru aussi grande. Elle est pourtant contestée par de nouveaux "poids lourds" jadis colonisés ou dominés, parfois grands comme une civilisation (Inde, Chine, Brésil...). Ils montent sur la scène mondiale, qui était monopolisée pendant la guerre froide par le duel américano-soviétique, tandis qu'ils grandissaient dans l'ombre. Maintenant, ils affirment leur force. Pour la première fois depuis trois ou quatre siècles, l'Occident n'est plus le seul maître du monde. Partout, il lui faut composer et négocier sur les grands problèmes mondiaux : commerce, investissements, monnaie, répartition des richesses et du pouvoir, protection de l'environnement, climat...

Nous prenons conscience de notre interdépendance planétaire, de notre solidarité organique au sein d'une seule et même société mondiale, qui s'est formée à notre insu quand nous étions obnubilés par notre appartenance nationale. Une étape majeure de la mondialisation s'achève sous nos yeux, une nouvelle ère historique commence. »

Source : Fourquet F., « La mondialisation s’achève », in Alternatives Economiques, hors série n°67 déc 2005

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2.1.2. La notion d’économie-monde : une approche originale pour expliquer le processus de la mondialisation

Forgée par Fernand Braudel dès 1949, la notion d'économie-monde propose une lecture originale de la genèse de l'économie mondialisée dans laquelle nous vivons. Celle-ci ne serait, en effet, que le résultat du déploiement d'une économie-monde particulière, celle de l'Europe, devenue mondiale au cours des cinq derniers siècles.

Par le terme d’économie-monde, Braudel désigne « un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique. » Une économie-monde est donc une partie de l'univers formant un tout économique, qui enjambe les frontières politiques et linguistiques. La Phénicie antique, l'univers hellénistique, le monde musulman à son apogée et, dans d'autres régions, le monde chinois autour de la mer de Chine ou le monde indien déployant son commerce jusqu'aux côtes orientales de l'Afrique sont autant d'exemples d'économies-monde appartenant au passé (Adda, 1996). L'Europe, a ainsi vu éclore une succession d'économies-mondes : la floraison de villes après le décollage du XIème siècle, l'aire méditerranéenne au XVème siècle font ainsi partie des premières économies-mondes d’Europe.

Ces aires, bien que divisée politiquement, culturellement, socialement, acceptent une certaine unité économique, construite d'en haut, autour d’une ou plusieurs villes capitalistiques dominantes. Une économie-monde recouvre donc des empires politiques tout entiers, et surtout, elle transgresse les limites des civilisations : chrétiens et musulmans, grecques, turques, etc... « Limitées dans l'espace par la présence de barrières naturelles ou de puissances politiques hostiles (le Sahara, l'Atlantique, l'Empire ottoman dans le cas de l'Europe avant le XVe siècle), l'économie-monde se caractérise par une structure fortement hiérarchisée. Elle est pourvue d'un centre où affluent et d'où repartent informations, capitaux, marchandises et travailleurs, d'une semi-périphérie composée de zones assez développées, mais malgré tout secondes du point de vue du développement économique, et d'une immense périphérie où dominent, pour reprendre les termes de Braudel, " l'archaïsme, le retard, l'exploitation facile par autrui" » (Adda, 1996).

Dans l’approche que développe Braudel le centre est incarné par une ville-Etat (Venise dès la fin du XIVe siècle et tout au long du XVe siècle, Anvers, puis Gênes au XVIe siècle, Amsterdam au XVIIe siècle et dans la première partie du XVIIIe ). Cette dernière est souvent devenue, par la suite, la capitale économique d'un Etat. Wallerstein (1984) dans la continuité des travaux développés par Braudel substitue à la ville-centre, une construction étatique nationale militairement assez puissante et économiquement assez avancée pour imposer son hégémonie à des espaces de plus en plus lointains.

Une économie-monde se caractérise par la division internationale du travail. « La périphérie ne se conçoit, bien sûr, qu'en opposition au centre du système que l'on peut circonscrire à l'ensemble des puissances engagées dans la lutte pour l'hégémonie au sein de l'économie-monde. Mais tout ce qui entoure le centre n'est pas périphérie. Et tout ce qui ne fait pas partie de l'économie-monde n'est pas non plus sa périphérie. La périphérie n'est pas l'extérieur du système, elle en fait partie. Ainsi, jusqu'au XIXe siècle, l'Inde, dont les produits étaient tant recherchés, n'était en aucune façon assimilable à la périphérie de l'économie-monde européenne. Elle s'insérait dans une autre économie-monde » (Adda, 1996). La division internationale du travail met en jeu une maîtrise des filières d'approvisionnement et de commercialisation et une emprise multiforme du centre sur les productions périphériques. Les productions des régions périphériques tombant sous le contrôle du centre de l'économie-

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monde, se font en fonction de ses besoins du centre. Elles sont ainsi dissociées de la satisfaction des besoins locaux.

La notion de semi-périphérie vise à dépasser la notion binaire de centre et de périphérie. L’expansion du capitalisme à l’échelle mondiale ne se traduit pas seulement par l’instauration de rapports de domination entre des économies dont le niveau de développement est inégal. La semi-périphérie correspond à un ensemble d’Etats où la logique de diffusion internationale du capitalisme rencontre une dynamique de développement national. Les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon offrent des exemples d'économies de type semi-périphérique dans la seconde partie du XIXe siècle. Ces pays connaissent un décollage industriel accéléré, rendu possible par l'importation et l'assimilation des techniques de production étrangères. A l’époque, ces économies en forte croissance sont considérées comme une menace pour les nations centrales d'Europe de l'Ouest (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Belgique). Aujourd’hui, une grande partie des nouveaux pays industrialisés constituent la semi-périphérie (Corée du sud, Taiwan…) de l’économie-monde dominante.

Le trait spécifique de l'économie-monde européenne qui tend aujourd’hui à s’étendre sur l’ensemble de la planète est son caractère capitaliste. Pour Wallerstein (1984), le terme capitalisme, désigne un système structurellement orienté vers l'accumulation illimitée de capital. Du caractère capitaliste de l'économie-monde européenne découle sa vocation universelle, autrement dit sa propension à s'étendre à l'ensemble de l'espace mondial en tirant parti de l'hétérogénéité de cet espace. La seconde moitié du XIXe, se caractérise par cette fusion progressive des économies-monde en une seule économie-monde, de plus en plus intégrée, et qui développe ses structures sur l’ensemble de l’espace planétaire. « C’est dans ce sens que l’on peut parler de globalisation, dans la mesure où aucune portion de l’espace terrestre, aussi lointaine soit elle, n’échappe à cette intégration fonctionnelle. Mais cette nouvelle économie-monde est elle-même loin d’être totalement globalisée du fait de la permanence de puissantes inerties historiques au sein des différentes économies-monde » (Carroué 2004).

L’économie capitaliste internationalement dominante a cependant vu un déplacement de son centre de gravité : d’abord au sein même de l’espace européen comme nous venons de le voir, puis vers les Etats-Unis après la première guerre mondiale. Par ailleurs, au sein même des économies-monde, on observe une concurrence féroce pouvant donner lieu à des conflits pour la redéfinition et la maitrise de l’hégémonie mondiale (deux guerres mondiales). Dans cette perspective l’histoire de l’expansion du capitalisme est complexe, elle fait alterner des périodes de stabilités et d’instabilités structurelles selon les rapports de forces géoéconomiques et géopolitiques entre les différents prétendants au leadership.

2.1.3. Similarités et différences entre la première et la seconde mondialisation

Si à l’instar de Berger (2003), on considère que le caractère avancé de mondialisation se traduit par la disparition des cloisonnements entre le marché international et le marché intérieur, et par la mise en marché de la plus grande part de la production, nous pouvons distinguer deux mondialisations : la première s’étend du milieu du XIXe à la veille de la première guerre mondiale et la seconde, qui nous concerne, débute à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Bien que différentes par les échelles, les volumes et la vélocité des flux, ces deux « mondialisations » présentent quelques traits communs :

- le rôle stratégique des innovations,

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- l’amélioration des transports et la baisse de leurs coûts (Par exemple, le prix du transport d'une tonne de marchandise de Marseille en Chine en 1870 était de l'ordre de 500 francs, alors qu'il n'était plus que de 100 francs vers 1900),

- la forte croissance en matière de circulation des informations,

- la baisse des droits de douane,

- la puissance des acteurs privés,

- l’intervention déterminante des Etats ou des organisations internationales (FMI, Banque mondiale…).

Le commerce des pays industrialisés rapporté à leur production atteint ainsi 12.9% en 1913, il est relativement proche de celui de 1993 (14.3%). Au niveau des entreprises, ces deux mondialisations voient un processus de multinationalisation ou transnationalisation. Ainsi Ford installe ses unités de production en Angleterre en 1913 et au Canada en 1916. Sans parler de volumes comparables, les flux d’investissements directs étrangers rapportés au PIB des pays développés étaient de l’ordre de 3% en 1913, proches en termes relatifs, de ceux de 1990 (4%).

La grande différence du processus de mondialisation depuis les années 1970 réside dans le facteur temps. Pour Castells on entre dans une économie globale qui ne se contente pas d’accumuler du capital dans le monde entier mais qui fonctionne comme unité en temps réel à l’échelle planétaire. C Manzagol (2003) va dans le même sens en indiquant que ce qui est nouveau c’est la rapidité avec laquelle un évènement se répercute, c’est la quantité de gens et de pays concernés, c’est la constante irruption du planétaire dans les vies singulières. La crise économique mondiale actuelle en est le meilleur exemple.

Outre, les volumes des échanges, la rapidité de ceux-ci, la seconde mondialisation qui débute durant les années 1970 voit plusieurs faits marquants (Carroué, 2004) :

- L’intervention intensive de plusieurs grands organismes internationaux et des grands états en faveur de la libéralisation.

- Auparavant limitée à des secteurs restreints, cette logique libérale touche de nouveaux domaines et tend à transformer l’ensemble des composantes sociales et économiques de l’espace planétaire en marchandises.

- L’émergence hégémonique du capital financier qui devient un vecteur essentiel des dynamiques contemporaines.

Selon Dalenne et Nonjon (2004), la mondialisation actuelle est l’aboutissement de trois étapes :

« La première est celle de l'internationalisation qui correspond à une phase ancienne selon laquelle les échanges de toute nature (capitaux, marchandises, personnes, culture, informations) entre États nationaux s'accélèrent, et où les firmes s'ouvrent sur l'extérieur par l'extraversion […]. Le Royaume-Uni aurait été l'initiateur en adoptant le libre-échange entre 1848 et 1875. Celle ci a été limitée dans le temps et les modalités.

- La deuxième étape est celle de la « transnationalisation » après 1945 par l'essor des IDE et des délocalisations affirmées dans les années 1970, au départ dans les secteurs minier et agricole, depuis 1960 dans les secteurs manufacturiers. Les firmes deviennent « transnationales» c'est-à-dire ignorent les frontières étatiques grâce à la libéralisation des flux de marchandises et de capitaux ; dès les années 1960, les pays industriels d'alors font fabriquer plus de produits à l'extérieur que sur leur propre

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territoire. Parallèlement avec l'externalisation les firmes gardent en propre ce qu'elles savent faire de mieux et se séparent d'activités que d'autres sont à même d'effectuer à moindre coût.

- La troisième étape serait la «globalisation» dans les années 1980 qui correspond à l'émergence de réseaux à l'échelle planétaire avec notamment les fameux réseaux boursiers qui travaillent 24/24 heures et 7/7 jours se jouant donc des fuseaux horaires et des décalages initiaux : les États deviennent alors interdépendants, inclus dans le « système monde» au sein d'un étonnant réseau d'informations, d'images de produits innombrables qui « traversent» les frontières comme des « passe-muraille ». La mondialisation devient celle des techniques, du marché, du tourisme, de l'information. Elle semble acquérir son caractère irréversible sans que pour autant on puisse parler d'universalisation des valeurs de la culture, des libertés des droits de l'homme ... Elle explore de nouveaux continents (le 7e continent pour J. Attali, le 6e étant les océans) avec l'Internet, le réseau des autoroutes de l'information, les banques de données, continent virtuel s'il en fut. Elle multiplie les connexités pour J. Attali c'est-à-dire l'interdépendance dans le temps, l'espace dans des domaines aux relations hier a priori cloisonnées : énergie, information, climats, risques, taux d'intérêt, emplois, distractions, imaginaire, culture, espaces sociaux ... »

Ils considèrent que ce sont cinq mondialisations qui se superposent en accéléré depuis les années 1970 :

o La mondialisation des marchés et leur primat sur les évolutions sociétales,

o La mondialisation de la communication et le primat de la circulation de l’information,

o La mondialisation culturelle et la propagation des modes de consommation de masse,

o La mondialisation idéologique avec la radicalisation autoproclamée victorieuse du libéralisme,

o mondialisation politique avec le primat contesté que tente d’imposer l’occident.

Au niveau des entreprises cette seconde mondialisation se caractérise par l’essor des firmes multinationales, comme en atteste l’explosion des investissements directs étrangers, un changement de modèle productif dans les pays industrialisés et la division internationale du travail qui prend de nouvelles formes. On avait bien, durant la première mondialisation, des délocalisations de la production, mais jamais on n'aurait imaginé pouvoir fractionner ainsi la production caractéristique essentielle de la décomposition internationale du processus productif (DIPP).

2.2. La nouvelle division internationale du travail

La nouvelle division internationale du travail (DIT) est le fruit d’un changement de modèle productif dans les pays industrialisés qui a engendré non seulement une segmentation des fonctions au sein des entreprises (recherche, fabrication, commercialisation, administration…) mais aussi une division du processus productif. Par ailleurs, la concurrence renforcée entre les entreprises a favorisé un processus de concentration et donc l’apparition de firmes multinationales/ transnationales. Ces dernières sont à classer parmi les grandes gagnantes du processus de mondialisation. Libérées de

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nombreuses entraves depuis quelques années, elles ont su tirer parti des avantages qu’offraient les territoires, y compris ceux du sud. Dans une première partie de ce chapitre, nous revenons donc sur le changement de modèle productif qui s’est opéré suite aux crises des années 1970 et du début des années 1980, puis nous aborderons la question de la nouvelle division du travail mise en œuvre par les multinationales principalement.

2.2.1. Retour sur les modèles productifs qui ont permis la division internationale du travail

2.2.1.1 Le développement du fordisme

Au début du XXème siècle, l’américain Taylor propose d’organiser le travail de manière scientifique dans l'atelier. Il propose de passer d’une organisation sociale du travail (organisée par métiers) à une division plus technique (organisée par postes). Cette dernière intègre à la fois une division horizontale du travail, c'est à dire une fragmentation maximale des tâches au sein de l'atelier entre les différents postes et une division verticale reposant sur une séparation complète de la conception technique du produit par les ingénieurs et de son exécution par les ouvriers. A cela s'ajoute une surveillance des ouvriers (par la présence de chronométreurs et d'agents de maîtrise).

Figure 2 : la taylorisation du travail

Henri Ford est l'un des premiers à s'inspirer très largement des travaux de Taylor. Dans ses usines automobiles, Ford améliore les préceptes tayloriens de trois manières : le travail à la chaîne est imposé par la mise en place de convoyeurs déplaçant automatiquement les produits, imposant ainsi les cadences et la parcellisation des activités (travail à la chaîne) ; la standardisation est poussée à l'extrême (un modèle unique : la Ford T, noire), permettant la production en grande série; en contrepartie, les ouvriers reçoivent un salaire supérieur aux moyennes observées dans l'industrie à l'époque ("five dollars day").

L’adoption du modèle fordiste se réalise aux Etats-Unis, dès la sortie de la crise des années trente. Le pays entre dès lors dans l'ère de production et de la consommation de masse. La

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diffusion de ce modèle en Europe est plus tardive, elle se produit après la Seconde Guerre mondiale. Afin d’assurer des débouchés et éviter des crises de surproduction, la nécessité d’élever les salaires s’impose pour que le modèle fonctionne. Par ailleurs, la pratique du crédit se généralise ; elle soutient tant la consommation de masse que l'investissement en biens durables et semi-durables (logements, automobiles, électroménager, etc.). La consommation des ménages explose.

Comme l’indiquent Vandermotten et Marissal (2003), la croissance économique que connait le système capitalise reste inégalée entre 1950 et 1994. « Les entreprises travaillent au maximum de leurs capacités et le taux de chômage dans les pays de l'OCDE se stabilise entre 2% et 3% en moyenne à partir du début des années soixante. En Europe occidentale, le manque de main-d'œuvre contraint les entrepreneurs de certains secteurs où la croissance de la productivité est plus faible (et où les salaires restent donc plus bas) ou dont les conditions de travail sont difficiles (nettoyage, mines, construction) à faire appel à des travailleurs originaires de pays méditerranéens, qu'on va jusqu'à recruter sur place. Outre la nécessité objective dans laquelle se trouve placé le capitalisme à assurer une croissance massive du pouvoir d'achat dans les pays du centre, le faible taux de chômage renforce aussi le militantisme syndical, qui lutte également en faveur de nouvelles augmentations des salaires et d'améliorations des conditions de travail des salariés. Le cercle vertueux de la hausse des salaires, de la demande accrue, des investissements et des économies d'échelle accroissant la productivité, permettant de nouvelles hausses des salaires sans baisse du niveau de profit des entreprises, se poursuivra jusqu'à la fin des années soixante. » (Figure 3)

Figure 3 : Dynamique de la croissance du système fordiste

Source : Rodrigue J.P., L'espace économique mondial : les économies avancées et la mondialisation, Collection

géographie contemporaine, Presses de l'Université du Québec, 2000.

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L'élévation des niveaux salariaux et les progrès rapides de l'organisation scientifique du travail conduisent, certains secteurs à faire éclater le process de production en segments en partie autonomes (gestion, conception, fabrications qualifiées, fabrications peu qualifiées, montage). Dans l’industrie on distingue les fonctions concrètes (fabrication, mobilités, nettoyage-entretien-sécurité) des fonctions abstraites (études-recherche, commercialisation, gestion, administration). Ces fonctions sont assurées par des personnes distinctes aux niveaux de qualifications différents.

Figure 4 : L’approche par fonction pour analyser le système productif

Source : http://www.iaurif.org/fileadmin/Etudes/etude_374/L_emploi_peu_qualifie_en_IdF.pdf

Dès que les grandes entreprises ont pu dissocier la fonction de fabrication qui s’effectue dans des usines ou ateliers des fonctions plus abstraites qui s’effectuent dans des bureaux, des laboratoires et qui constituent ce que l’on appelle le tertiaire industriel, les stratégies de localisation de ces fonctions ont pu évoluer différemment. La fabrication a souvent été délocalisée vers les bassins de main-d’œuvre nationaux dans un premier temps lorsqu’il existait des différentiels de salaires, mais face à l’homogénéisation croissante, les délocalisations ont dépassé le cadre national. Les bureaux, les centres de recherche ont quant à eux, opéré un mouvement de concentration vers les métropoles, ouvertures privilégiées vers le reste du monde, cumulant des facteurs attractifs pour ces fonctions (main d’œuvre qualifiée, accès privilégié à l’information, proximité des centres de recherche, des services aux entreprises anomaux…)

2.2.1.2. La rupture des années soixante-dix

Cependant, dès la fin des années soixante, le cercle vertueux se désintègre. L'organisation technique et sociale du système taylorien de travail parcellisé s'est généralisée et les possibilités d'améliorations massives des processus de production à des rythmes soutenus

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s'amenuisent. La taille des firmes atteint des niveaux tels qu'il n'existe plus de fortes potentialités de gains liés aux économies d'échelle. Dès lors, la croissance de la productivité ralentit. Dans ces conditions, le maintien des profits devient contradictoire avec la poursuite de la hausse des salaires et donc des débouchés, ainsi qu'avec la nécessaire poursuite de la prise en charge par l'Etat des conditions générales encadrant l'accumulation. (Vandermotten, Marissal, 2003)

Les années 1970 constituent le révélateur des limites du modèle de production fordiste dans les pays industrialisés. Elles marquent une période de profonde restructuration de l’économie mondiale que deux grands événements précipitent. La crise pétrolière et la stagflation3

qui modifient considérablement le système de fixation des prix des ressources et des salaires sur lequel reposait le fordisme. La hausse brutale du prix des matières premières énergétiques permet aux entreprises de justifier la remise en question du partage de la valeur ajoutée entre le profit, les salaires et les taxes versées à l'Etat. Pour la plupart des firmes, le choc pétrolier conduit à la concentration et rationalisation plus grande de leurs activités.

Figure 5 : La crise du système fordiste

Source : Rodrigue J.P., L'espace économique mondial : les économies avancées et la mondialisation, Collection géographie

contemporaine, Presses de l'Université du Québec, 2000.

Ainsi, à compter du début des années 1980, les systèmes industriels des pays développés évoluent en raison des faibles niveaux de productivité. Dans un contexte de mondialisation croissante, face à une concurrence renforcée, les entreprises doivent faire des efforts d’adaptation à la demande, voire susciter la demande. Cela suppose de repenser la façon de produire et de développer une approche multi-échelles de la production.

3 Situation économique caractérisée par un ralentissement du rythme de croissance de la production et une

augmentation du chômage, alors que la hausse des prix se poursuit ou s'accélère.

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2.2.1.3 Post fordisme et économie flexible

Dans le contexte de croissance faible et instable de la demande, les entreprises doivent revoir leurs modes de production et s’adapter à une demande de plus en plus précise, exigeante et variée. Le fordisme était issu de la logique taylorienne reposant sur la séparation des tâches de conception et d’exécution (réalisées par du personnel spécialisé); il s’est trouvé inadapté lorsque la flexibilité a été requise pour satisfaire à la demande. La flexibilité suppose l’initiative et l’implication des travailleurs, contrairement à ce qui était demandé dans le modèle tayloro-fordien. Selon B Merenne-Schoumaker (2002), la flexibilité peut revêtir 5 formes :

- numérique : faculté d’agir sur le volume de l’emploi grâce aux facilités offertes par la législation du travail : licenciements, horaires variables, CDD, intérimaires…

- fonctionnelle : capacité d’agir sur la répartition des tâches à l’interne comme à l’externe – sous-traitance, externalisation des services, …

- économique : modulation des salaires - technique : outils programmables - organisationnelle : abandon des hiérarchies lourdes au profit de structures plus

souples

Les entreprises compétitives sont celles qui sont en mesure de passer rapidement d’un procédé de fabrication ou d’un produit à un autre, ou encore d’ajuster les quantités produites à la demande sans que cela ait des conséquences sur la survie de l’entreprise.

Ceci pousse les firmes à déplacer en partie la concurrence sur le terrain des effets de mode et de la nouveauté : d'où un raccourcissement de la durée de vie des produits et une rotation plus rapide du capital. Des séries plus courtes et flexibles, capables d'être adaptées avec souplesse aux fluctuations spatiales et temporelles de la demande, tendent à remplacer en partie la production de masse standardisée en grandes séries dans les pays industrialisés (Vandermotten, Marissal, 2003).

Le tertiaire industriel, peu développé dans le modèle fordiste, devient essentiel. Il faut innover en permanence pour être compétitif. Ainsi, les transnationales ou multinationales gardent l’essentiel de leur recherche dans leur pays d’origine : sept Etats réalisent 76% de la recherche mondiale actuellement. La fonction commerciale connait également un développement important dans les pays industrialisés : il faut aussi savoir vendre les produits nouveaux auprès des consommateurs potentiels ! Les aspects qui touchent à l’organisation de la production sont également renforcés au sein des entreprises transnationales, fers de lance de la nouvelle division internationale du travail. En revanche, la fabrication connaît des fortunes diverses en fonction des qualifications requises. Les fabrications qui font appel à des emplois intensifs en travail non qualifié ou dont les processus de production sont difficilement automatisables sont reportées vers les périphéries de l’économie-monde capitaliste tandis que celles qui appellent des niveaux de compétences élevés et spécifiques, un contenu factoriel différent de celles qui sont importées, sont conservées au centre.

Par ailleurs, l’instabilité économique permanente et la réorientation de plus en plus rapide de la production conduisent les grandes firmes à reporter sur des sous-traitants une partie croissante des risques et des coûts qu'il s'agisse de la fabrication, de la recherche-développement, de l'investissement, de la formation des qualifications, de la gestion des flux

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ou des stocks ou de la gestion sociale des fluctuations d'embauche. C'est ce que Piore et Sabel ont appelé la spécialisation flexible (ou lean production).

Figure 6 : Evolution de l’organisation des firmes La production est prise en charge par :

une firme (situation type années 1970) : "n" firmes (situation actuelle) :

limite juridique d'une firme

R&D marketing

QG

fabrication produit "A"

fabrication produit "B"

fabrication produit "C"

vente distribution

après-vente

R&D marketing Fonctions transversales

(finances, achats, ress.humaines...)

fabrication fabrication

après-vente

relations inter-firmes

distribution

Source : Pierre Beckouche

Ainsi, si le fordisme est « mort », doit-on conclure à une disparition du taylorisme ? La fin du taylorisme est une quasi réalité dans les pays industrialisés, il convient néanmoins de souligner qu’à l’échelle mondiale, on assiste à une réelle vitalité du processus taylorien. Comme l’indique Carroué (2004), jamais historiquement, la mobilisation par des structures socio-économiques et industrielles tayloriennes de millions d’ouvriers non qualifiés au travail répétitif et peu payé n’a été aussi considérable, y compris dans ses formes les plus sauvages (travail des enfants, bagnes industriels, surexploitation…)

Grâce au progrès des transports et à la multiplication des transnationales, la division internationales du travail diffuse géographiquement l’emploi non qualifié. Après avoir été une composante du décollage économique des nouveaux pays industrialisés d’Asie dans les années 1960-1970, le travail non qualifié caractérise aujourd’hui les pays émergents d’Asie du sud-est, la Chine littorale, l’Amérique centrale, le Mexique, l’Europe de l’Est en transition et une partie du bassin méditerranéen.

2.2.2. La nouvelle division internationale du travail

Selon Fontagné (2005) l'échange de biens entre sociétés est ancien, mais la division approfondie des tâches entre nations est un phénomène récent, favorisé par la réduction des coûts de transaction et de communication. À l'échelle historique, toutes ces conditions n'ont été vraiment réunies que très récemment.

En effet, le XIXe siècle et le début du XXe, sont marqués par la mise en place d’une division internationale du travail (D.I.T) souvent qualifiée de « traditionnelle » qui se résume

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ainsi : aux pays pauvres la spécialisation dans les matières premières ou agricoles, aux riches la production industrielle. Le commerce international se caractérise par un échange de produits primaires en provenance des pays en voie de développement contre des produits manufacturés exportés par les pays développés. Cette division internationale du travail est permise par le développement du chemin de fer, du bateau à vapeur, du câble sous-marin transatlantique pour le télégraphe, le développement de l'industrie et la mécanisation de l'agriculture, le libre-échange britannique.

Après la deuxième guerre mondiale, les mouvements de libération nationale et le processus de décolonisation conduisent à une remise en cause de l’ordre impérialiste et au rejet par la plupart des pays du sud, de la division internationale du travail issue de la première révolution industrielle. Comme l’indique Fontagné, « Les gains de productivité, issus de l'application du progrès technique, apparaissent de façon privilégiée dans les usines; le niveau de vie d'un pays dépendant grosso modo de son niveau de productivité, la question de l'enfoncement des pays exportateurs de produits primaires dans le sous-développement a logiquement constitué un argument de poids en faveur des politiques "autocentrées" visant, après la décolonisation, à tout produire sur une base autonome afin d'éviter de participer à ce qui a pu être appelé à l'époque un "échange inégal", selon le titre d'un ouvrage d'Arghiri Emmanuel (1969). »

L’échec de ces politiques de développement industriel autocentré mises en lumière dès la fin des années 1970 et le début des années 1980 dans de nombreux pays en développement pousse les Etats à ouvrir - et spécialiser - leur économie au cours des dernières décennies sous les injonctions des plans d'ajustement structurel du F.M.I. Cela se traduit notamment :

• par la libéralisation des échanges au sein du G.A.T.T. puis de l'O.M.C. (pour ceux qui y ont adhéré),

Source : Encyclopaediae Universalis

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• par le système de préférences généralisées instauré grâce aux efforts de l'O.N.U. (il garantit aux pays en développement un accès préférentiel aux marchés des pays industrialisés)

• et par les investissements des firmes étrangères à la recherche de nouveaux marchés ou de sites de production aux coûts attractifs.

Cette évolution n’exclut pas le maintien d’une relative protection. Ainsi, la Chine a signé plusieurs accords internationaux prévoyant une réduction des barrières douanières mais la libéralisation n’est pas totale. L’Etat veut préserver certains secteurs tels que la production de réfrigérateurs, de télévisions… d’une concurrence internationale trop vive.

Les pays en développement se sont spécialisés dans les produits manufacturés dont les méthodes de production correspondaient le mieux à leurs conditions économiques, caractérisées par un ratio de capital par tête très bas (Leamer, 1985). Ce phénomène s'est développé après le premier choc pétrolier et le paysage de l'industrie mondiale s'en est trouvé profondément affecté. Les consommateurs des pays riches ont subitement été confrontés à une offre de biens à bas prix, exportés par ces nouveaux concurrents. Ceci à conduit à la disparition dans les pays industrialisés des industries concurrencées par ces importations, aux requalifications longues et coûteuses des personnels et à la non reconversion du capital physique.

Toutes ces évolutions traduisent un bouleversement total de la D.I.T., autorisant à parler d'une « nouvelle D.I.T. ». De nouveaux acteurs, des échanges croisés de produits différenciés et une organisation globale des firmes multinationales : tels sont les ingrédients de cette interdépendance historiquement inédite entre systèmes productifs nationaux.

2.2.2.1. Les entreprises transnationales principaux acteurs de la nouvelle division internationale du travail…

Nous n’aborderons pas dans le cadre de ce cours l’ensemble des acteurs et facteurs ayant donné lieu à/permis cette nouvelle division internationale du travail. Nous concentrerons l’analyse sur les phénomènes de multinationalisation/transnationalisation et la façon dont elles appréhendent et ont fait évoluer la division internationale du travail.

Une firme transnationale (ou multinationale) est une entreprise possédant au moins une unité de production (pas seulement de commercialisation) à l'étranger. Cette unité de production est alors sa filiale. Certaines peuvent établir tout un réseau de relations entre leurs filiales à l'échelle du monde. La logique de fonctionnement et de gestion d'une firme transnationale (FTN) se réfléchit à l'échelle du monde et non plus à l'échelle nationale, ce qui n'empêche pas que subsiste un enracinement national de la firme transnationale. Les multinationales ne datent pas d'hier. Ford et General Motors étaient présents en Europe avant la Seconde Guerre mondiale. Ces dernières décennies sont marquées par une augmentation de la concentration du capital et de la taille des entreprises, même si on observe un éclatement spatial des lieux de production (qui contribuent aussi à atomiser la main-d'œuvre et à réduire les possibilités d'action syndicales) et si la taille des établissements industriels diminue. La libéralisation des échanges commerciaux et des flux financiers à la fin des années 70, a constitué un véritable coup d'accélérateur à la concentration des entreprises. Parallèlement, les surcapacités de production ont engendré un mouvement très rapide de fusion et de concentrations dans le contexte d'une concurrence accrue, d’élévation des coûts de R&D sous l'effet des progrès technologiques, de différenciation croissante de produits et de réduction

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accrue de leur durée de vie. En aéronautique, dans l'industrie militaire, dans l'électronique, la chimie, la pétrochimie et l'automobile, les fusions et les rachats d'entreprises ont été particulièrement nombreuses dans les années 1990.

Figure 7 : Fusions et acquisitions dans le monde

Il résulte qu’un nombre croissant de secteurs d'activités sont aujourd'hui dominés par des oligopoles, voire par des quasi-monopoles, comme dans le cas de Microsoft et des logiciels d'exploitation pour micro-ordinateurs (Duval, 2005). Les rachats d'entreprises ont parfois pour seul objectif l'élimination de capacité de productions des concurrents. L’évolution des investissements directs à l'étranger constitue le révélateur du processus de concentration industrielle, de cette croissance des multinationales. Ce terme désigne la quantité de capital qu'ont investie les entreprises d'un pays dans un autre pays. A l'échelle mondiale, cette quantité a été multipliée par quatre en un quart de siècle (figure 8).

Figure 8 : Evolution des investissements directs étrangers entre 1980 et 2004

La plus grande part des flux d'investissements directs à l'étranger s’effectue entre pays de l'OCDE (carte 6). Outre les cadres législatifs assouplis en matière de prises de participation, de rachats, de fusions, les développements des technologies de l’information et de la

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communication, la baisse du coût des communications internationales et des transports ont rendu possible la coordination rapide à grande échelle des géants mondiaux et l'accélération des flux financiers.

Carte 6: Croissance économique et investissements directs étrangers

Les motivations des entreprises à investir à l’étranger, souvent sous la forme de fusions-

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acquisitions, peuvent répondre à plusieurs types de motivation (Lafay 1999):

- impossibilité de produire des quantités suffisantes dans le pays d'origine, en particulier dans le secteur primaire pour des raisons tenant à la faiblesse de ses ressources naturelles ;

- impossibilité de vendre des quantités suffisantes dans les pays de destination, en raison soit de la nature même des produits (cas de la majeure partie du secteur tertiaire), soit de barrières protectionnistes ;

- possibilité de mieux satisfaire la demande dans les pays d'implantation, en particulier dans les pays développés où les filiales de production permettent une plus grande proximité avec de vastes marchés ;

- possibilité de bénéficier des avantages comparatifs macro-économiques dans les pays d'implantation, en particulier dans les pays en développement qui ont généralement de faibles coûts salariaux.

Historiquement, les investissements directs étrangers ont été motivés par les deux premières contraintes évoquées. Dans les années 70, la multinationalisation des entreprises s’étend et se diversifie. Dans les pays en développement, en particulier, les investissements directs ne sont plus dictés seulement par l'accès aux ressources naturelles ou à des marchés protégés mais, de plus en plus, par la possibilité d'y bénéficier d'avantages comparatifs macro-économiques.

Il résulte de ce mouvement, que les firmes multinationales ont la capacité de faire « la pluie et le beau temps » tant que leur image de marque est positive. Elles opèrent de manière sélective en observant les possibilités d'implantation permises par la baisse des coûts de transport et la diffusion des technologies de l'information et les avantages en termes de coûts salariaux et/ou de maîtrise technologique. Cette sélection se fait aussi en fonction de facteurs tels que :

- la position géographique favorable (par rapport aux grands courants d'échange),

- les infrastructures de communication de qualité

- Le potentiel de marché important.

Les firmes transnationales (FTN) tentent donc par leur choix de localisation de s'accaparer les bénéfices des avantages comparatifs ou stratégiques internationaux. Ce faisant, elles accélèrent les échanges mondiaux et mettent en concurrence les Etats entre eux. Afin d'attirer les investissements directs étrangers (IDE), les pays doivent mener une politique économique libérale, avec stabilisation monétaire et budgétaire, amélioration du climat d'investissement local. Les firmes transnationales peuvent ainsi influencer les politiques des Etats, même si les Etats conservent une marge de manœuvre pour limiter les coûts sociaux de la convergence libérale des politiques.

Autre conséquence de ce phénomène, la plupart des entreprises sont désormais tenues d'internationaliser leur production et ainsi de devenir transnationales, sous peine de disparaître.

Le nombre de firmes transnationales a donc très fortement augmenté puisqu'il est passé selon la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) de 7000 au milieu des années 1960 à 37 000 en 1993 et à 63 000 en 2000. Le nombre de filiales de firmes transnationales augmente également très rapidement. Les firmes transnationales comptaient 175 000 filiales en 1993, 690 000 en l'an 2000.

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Carte 7: Les cinq cents premières firmes multinationales en 2006

La forme la plus récente d'internationalisation est l'entreprise-réseau. Au lieu de créer des filiales strictement contrôlées au sein d'un système fortement structuré et hiérarchisé, il devient de plus en plus profitable de tisser des relations contractuelles avec les partenaires qui émergent dans les pays d'implantation, notamment dans les pays en décollage industriel. Le partenariat présente de multiples avantages puisqu'il permet à la fois de réduire les apports de capitaux et le nombre de cadres expatriés, de ménager les susceptibilités nationales et de mieux s'intégrer dans le contexte local.

2.2.2.2 …en fractionnant les processus productif à l’échelle mondiale Les firmes multinationales, plutôt que de dupliquer leurs unités de production dans leurs différentes implantations, se sont réorganisées sur une base globale, fractionnant la chaîne de valeur ajoutée entre leurs différentes filiales, et délocalisant ou sous-traitant une partie de leurs productions. Comme l’indique le site Brises4

4

, La division du processus de production entre des pays différents exploite les différences de conditions de production entre les pays : dans certains pays, les matières premières sont peu chères, dans d'autres ce sont les impôts ou le coût du travail. Les firmes transnationales vont chercher à profiter de tous ces avantages à

http://brises.org/cours.php/entreprises-transnationales-contribuent-dit-DIPP-division-internationale-du%20travail/crsId/1381/crsBranch/1323/

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la fois pour maximiser leur rentabilité. Le processus de production est divisé, réparti, entre les pays en fonction des avantages propres à chaque espace national de manière à ce que, au total, l'entreprise fabrique son produit de manière avantageuse, en gardant la maîtrise de l'ensemble du processus. C'est ce que l'on appelle la décomposition internationale du processus productif (DIPP). Ainsi, « Chaque segment ou chaque sous système peut être fabriqué séparément, souvent de façon simultanée (processus synchronique), mais ne peut être propre à la consommation finale des ménages qu’une fois assemblé aux autres segments ou sous-systèmes (processus diachronique). D’un point de vue technologique, cette modularité et la fragmentation des processus productifs qui l’accompagnent se sont diffusées à grande échelle avec le taylorisme et l’automatisation des processus productifs engendrant des gains d’efficience associés à l’approfondissement de la division du travail. » (Moaty, Mouhoud, 2005, carte 8, figure 9). La principale limite à cette fragmentation était l’importance des coûts de transaction (transports, droits de douane, contrôles aux frontières, mais aussi difficultés de coordination) mais les négociations du GATT puis de l’OMC ont « permis » progressivement de les marginaliser.

Carte 8 et figure 9: Production du groupe Toyota

Cette segmentation tient compte aussi du le cycle de vie du produit intermédiaire et son degré de technologie incorporé. Ainsi, les souris d'ordinateurs ne comportant pas d'innovation particulière sont fabriquées en Asie du sud est, ce qui n'est pas le cas du processeur, qui nécessite une compétence importante. De même, les composants d’une voiture (plus de 5000) ont souvent des origines variées. Dans le secteur automobile, il est courant de décomposer sur plusieurs territoires la conception et le design, la réalisation du moteur, du châssis, la tôlerie et l'assemblage final. On considère généralement que plus de 10 pays sont nécessaires pour produire une automobile. La figure ci-après issue de l’Encyclopaediae Universalis montre les pays qui concourent à la fabrication d’un jean.

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Figure 10 : Mondialisation et division internationale du travail : l’exemple du jean.

Source : Encyclopaediae Universalis

Concrètement, la DIPP conduit à la délocalisation de certains morceaux ou segments de la chaîne de valeur (l’assemblage par exemple), ce qui peut donner lieu à une exportation préalable de composants (tissus, composants automobiles, composants électroniques, pièces détachées…) et à des importations de produits finals. Ces opérations s’effectuent soit par le biais d’investissements directs (telle firme multinationale crée une filiale d’assemblage ou de montage à l’étranger), soit par le biais de la sous-traitance internationale.

Avec la globalisation croissante des économies, la logique de DIPP s’étend désormais aux activités de support (achat, finance, informatique…), jusqu’à la R&D pour laquelle de nouvelles logiques de délocalisation se développent depuis les années 1990 afin d’accéder à des savoirs spécifiques. Cependant pour Mouhoud et Moati (2005), dans le cas des activités de R&D et d'innovation, les activités de recherche qui sont en amont du processus d'innovation nécessite une proximité physique, qui fait qu'elles sont plus concentrées géographiquement. Elles sont plutôt centralisées au sein des pays industrialisés, par contre les activités de développement quant à elles connaissent également un phénomène de dispersion géographique.

Aujourd’hui, l’organisation des entreprises multinationales varie quelque peu même si elles poursuivent le même objectif. La figure 10 fait états de différents types d’organisation des transnationales. Les formes d’intégration transnationales qui se sont développées depuis la Seconde guerre mondiale, et plus encore à partir des années 1970 sont plus sophistiquées que les formes horizontales primitives.

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Figure 11 : Différents types de stratégies de localisation des firmes transnationales

.« Une première évolution a consisté, pour bénéficier d'économies d'échelle, à concentrer la fabrication des différents modèles chacun dans un pays spécifique, au départ duquel la vente se fait sur un grand marché du à plusieurs pays. Dans une intégration verticale plus élaborée, les séquences successives d'une filière de production sont exécutées dans différents pays. IBM a encore approfondi cette stratégie : pour assurer la production d’un système informatique spécifique, elle a mis en place trois filières parallèles, une dont les différentes séquences sont localisées aux Etats-Unis, les

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deux autres où les séquences sont éclatées sur des sites situés Dans différents pays développés. Plusieurs de ces sites ont aussi recours à des sous-traitants nationaux, ce renforce l'image d'une insertion nationale, susceptible de faciliter l'accès aux aides et aux marchés, en particulier aux commandes des pouvoirs publics. En outre, des centres de recherche-développement sont implantés dans divers pays, mais les travaux qu'ils effectuent ne sont pas en rapport avec l'activité de production des filiales implantées dans le même pays ; ces recherches restent commandées depuis les Etats-Unis et les résultats partiels y retournent, pour y être fertilisés par croisement avec d'autres recherches effectuées ailleurs. Dans un autre type d'organisation spatiale, chaque unité de production effectue une production spécifique : elle peut être une filiale de la transnationale mais aussi souvent une firme indépendante sous-traitante. Ces productions sont transférées vers un lieu d'assemblage. Parfois, la firme donneuse d’ordre peut ne conserver que les seules activités de conception, de gestion et d'organisation du marketing recourant pour le reste à de multiples sous-traitants auxquels elle peut imposer, sans prendre elle-même en charge les coûts d'investissement, des séries courtes, livrées en flux tendus dans des délais très brefs. C'est le système Benetton. Des firmes de taille moyenne y recourent parfois. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'une grande part des IDE concerne des acquisitions et des fusions d'entreprises existantes, en ce compris récemment de nombreux rachats d'entreprises publiques dénationalisées (dé régulation dans le secteur des télécommunications, des postes, des transports, de la finance). Ces stratégies de rachat, parfois seulement préventives face aux initiatives potentielles de la concurrence, entraînent un endettement énorme de certaines transnationales, susceptible de déstabiliser le système financier. Elles ont conduit à la formation de conglomérats d'activités diversifiées, sans articulations techniques entre elles. Ainsi, ITT a investi non seulement dans les télécommunications, mais aussi dans la pharmacie, l'alimentation, l'hôtellerie, la location de voitures, etc. De tels conglomérats n'ont pas toujours été des réussites, dans la mesure où les directions stratégiques des firmes n’ont pas toujours bien maîtrisé le know-how de secteurs d'activité étrangers à leur métier et à leur culture d'entreprise initiale. Confrontés au volume de leur endettement et moins efficaces dans des secteurs dont ils maîtrisent mal les technologies, beaucoup de ces conglomérats se recentrent aujourd'hui sur leurs métiers originels. » (Vandermotten, Marissal, 2003)

Conclusion

La mondialisation, appréhendée comme la diffusion du capitalisme à l’ensemble de la planète, est un processus ancien qui s’est accéléré au cours de ces dernières années. Elle conduit à la création d’un espace mondial interdépendant.

Les grandes firmes transnationales tirent profit et puissance de la mondialisation : celle-ci leur permet de développer, à l’échelle de la planète, gains de productivité, économies d’échelle, extensions de leurs parts de marché et généralisation de la sous-traitance. Gagnante de la mondialisation, ces multinationales en sont aussi des acteurs majeurs ; elles disposent en effet d’une puissance financière et d’influence considérable qui leur permet de faire valoir leurs intérêts dans le façonnage du monde. Mettant ainsi en concurrence les États, elles tendent à imposer une logique de « moins disant » social et fiscal.

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Selon S Brunel (2007), la crise de la dette a fait entrer de force le tiers monde dans la mondialisation. En l’espace de dix ans, entre le début des années 1980 et le début des années 1990, presque tous les pays du Sud, qui avaient pour la plupart adopté des politiques nationalistes et étatiques après les indépendances, ont basculé dans l’économie de marché, même lorsque leur gouvernement restait socialiste, comme en Chine ou au Viêtnam. Pour faire face à leurs échéances financières, il leur a fallu, sous la houlette des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI), dégraisser des fonctions publiques pléthoriques, dissoudre ou privatiser les entreprises nationales, ouvrir les frontières. Presque tous vivent désormais dans une situation d’interconnexion de leurs marchés financiers, où le rôle des taux de change, les mouvements des capitaux (les fameux investissements étrangers directs), les mesures prises par les banques, autant nationales qu’étrangères, ont un effet capital sur la situation de l’économie.

Cette situation étant quasiment imposée, reste à savoir comment les pays du tiers monde ont tiré leur épingle du jeu ? Comme nous l’avons vu, les situations sont très différenciées. « D’un côté, des pays émergents, formidables puissances du Sud, nous concurrencent désormais dans tous les domaines. Ils sont peu à peu en train de nous rattraper, en termes de niveau de vie et de technologie. Nous y dépêchons nos gouvernements et nos entreprises dans l’espoir de bénéficier de la manne de leurs marchés en forte croissance, et tentons de nous défendre de leur agressivité commerciale en remettant en question les règles que nous leur avons nous-mêmes imposées. [Ces Etats peuvent être considérés comme des gagnants de la mondialisation]. De l’autre, des pays très pauvres qui nous inquiètent par leur instabilité. Nous leur dépêchons nos ONG, espérant ainsi contenir à distance tous leurs maux. Entre les deux, un magma assez hétéroclite de situations très contrastées[Les perdants actuels…]. » Brunel (2007).

La troisième partie vise à revenir sur les facteurs de localisation mobilisés par les Etats, les acteurs des pays du sud pour capter les investissements étrangers dont les volumes n’ont cessés d’augmenter et actuellement considérés comme centraux parmi les vecteurs du développement.

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Partie 3 : Facteurs d’attractivité des pays des suds

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Bibliographie de la partie 3 (principaux documents)

Ouvrages

M. AJABID, K. BONNET, D. DA SILVA, J. GUERNUT, D. JAMOT, P. ROHART, D. WANG , 2002, Les facteurs de localisation des entreprises De la Silicon Valley à Agadir, document de travail n°51 du Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation URL : riifr.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2007/.../doc51.pdf

AMENGUAL, M; MILBERG, W, 2008, Développement économique et conditions de travail dans les zones franches d’exportation: un examen des tendances Bureau international du Travail – Genève: BIT, 82 p. ISBN: 9789222209750;9789221209767 (web pdf)

L CARROUE, Géographie de la mondialisation, Armand Colin 2007

C MANZAGOL, La mondialisation. Données, mécanismes et enjeux , Armand Colin, 2003

B MERENNE-SCHOUMAKER, La localisation des industries : Enjeux et dynamiques, Collection DIDACT Géographie, Presses Universitaires de Rennes, 2002

MEZOUAGHI M. (dir.), 2009, Les localisations industrielles au Maghreb : attractivité, agglomération et territoires, édition Karthala, Paris

Articles

FRANÇOIS BOST « Les zones franches, interfaces de la mondialisation », Annales de géographie6/2007 (n° 658), p. 563-585. URL : www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2007-6-page-563.htm.

MAURICE CATIN ET CHRISTOPHE VAN HUFFEL « Ouverture économique et inégalités régionales de développement en Chine : le rôle des institutions », Mondes en développement 4/2004 (no 128), p. 7-23. URL : www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2004-4-page-7.htm.

JEREMY GRASSET ET FREDERIC LANDY « Les zones franches de l'Inde, entre ouverture à l'international et spéculation immobilière », Annales de géographie 6/2007 (n° 658), p. 608-627. URL : www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2007-6-page-608.htm.

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Introduction

Il existe une multitude de facteurs susceptibles d’influencer sur la localisation des entreprises. Le tableau ci-après fait état de facteurs évoqués par trois auteurs.

Tableau : Les facteurs de localisation des entreprises selon trois auteurs.

R.Hayter (1998) P.Aydalot (1985) B. Merenne-Schoumaker (2008) Les matières premières, les marchés et les transports, La main-d’œuvre, Les économies d’échelles externes, L’énergie, Les équipements publics et les aménités locales Les capitaux, Le pays, L’environnement, Le gouvernement

Les coûts de transport et la proximité des inputs, Le travail, La proximité des marchés, L’existence d’un milieu industriel, L’organisation des contacts internes à l’entreprise, Les terrains et les bâtiments, L’infrastructure, Le marché financier, Les facteurs personnels (histoire individuelle de chaque entreprise et de chaque branche, aménités locales), La fiscalité locale, l’attitude des populations vis-à-vis de l’entreprise, Les aides publiques

La situation géographique, Le marché, Les avantages comparatifs, La politique des pouvoirs publics, Les matières premières, l’eau et l’énergie, Les transports, Les disponibilités en terrains et en bâtiments, Les aspects quantitatifs et qualitatifs de la main-d’œuvre, L’environnement économique, Les préoccupations et les contraintes de l’environnement, Le cadre de vie, L’intervention des pouvoirs publics

Lorsque l’on tente de classer ces facteurs, deux éléments apparaissent :

1 : le poids des différents facteurs varie en fonction du profil de l’établissement : Les stratégies de localisation des industries lourdes ou de première transformation sont sensiblement différentes de celles des industries de haute technologie. Les premières auront besoin d’espace, elles intégreront dans leur stratégie la limitation des coûts de transports… Les secondes s’attacheront à se situer à proximité d’une main d’œuvre qualifiée, des centres de recherches universitaires…

2 : Ils varient également en fonction de l’échelle retenue : macro, meso ou micro. Les critères qui interviennent dans le choix d’un pays sont différents de ceux qui jouent au niveau local. P.Aydalot dans son ouvrage Economie régionale et urbaine (1985) donne l’exemple d’une entreprise française qui ouvre une unité en Espagne pour profiter des salaires inférieurs aux salaires français ou pour accéder plus facilement au marché espagnol (attitude à la fois défensive dans le premier cas, offensive dans le deuxième). Cette unité choisit une région du nord de l’Espagne qui répond à des critères spécifiques de main-d’œuvre, de salaires et de formation. Le choix se porte ensuite sur l’agglomération de Santander à cause de son port, plus spécifiquement sur la banlieue ouest de la ville en raison de la présence de terrains à bon marché, déjà dotés de bâtiments industriels.

Les travaux de Stafford (1974), montrent également le rôle des échelles. Il livre les résultats d’une enquête où il est demandé aux entrepreneurs de classer l’importance des facteurs de localisation selon différentes échelles. Il apparaît qu’au niveau national, le marché, la productivité du travail et le niveau des salaires sont les déterminants dans le choix du pays. En revanche, au niveau local, les contacts directs, la connaissance personnelle des lieux, les équipements locaux interviennent davantage.

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Figure 12 Le poids des critères de localisation des entreprises en fonction du niveau d’analyse.

Source Ph.Aydalot, 1985, Economie régionale et urbaine, EconomicaNational sub-national régional local niveau

Accès au marché

Facilité pour les transports

Aménités locales

Travail (disponibilité,coûts, productivité)

Contacts personnels

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Les facteurs qui rendent les pays du sud attractifs, sont avant tout des facteurs macro (marchés,

réduction des coûts de production, situation géographique, contexte politique, économique, social et culturel). Ces facteurs interviennent différemment en fonction du développement industriel des pays (Cf. typologies de la première partie et carte ci-après pour rappel) et de leur capacité à diversifier leur activité industrielle. (figure13) :

Carte 9 : La diversité des suds

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Figure 13 : progression de l’industrialisation en Asie du sud-est des années 1950 aux années 1990

Aux échelles micro et meso, le nombre de facteurs pouvant entrer en jeu est large et il n’est pas question de tous les passer en revue. Aussi, après avoir traité quelques exemples nous insisterons sur les outils mis en place par les pays du sud pour attirer les entreprises multinationales qui tentent de répondre aux aspirations des firmes internationales ou multinationales.

3.1 Les Facteurs intervenant à l’échelle macro dans les choix de localisation

des industries En matière de localisation des industries multinationales dans les pays du sud, l’échelle

macro joue un rôle essentiel. Les principaux leviers qui jouent en faveur d’une localisation dans un pays aux dépens d’un autre relèvent de quatre catégories :

− le marché potentiel, − la réduction des coûts de production, − le contexte politique, économique, social et culturel, − et la situation géographique du pays.

Les questions touchant aux barrières douanières, aux transports et aux télécommunications ont depuis, quelques années une importance moindre. Les frais de douanes n’ont cessé de se réduire et les coûts de transport représentent actuellement une part très faible dans le coût final d’un produit. Par ailleurs, de nombreuses innovations ont permis d’optimiser le transport des marchandises et des passagers (spécialisation des véhicules et organisation en « hub and spoke »).

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« Ainsi les navires sont-ils spécialisés en fonction de la marchandise à transporter : le car-ferry, le roulier pour les voitures ou camions, le paquebot pour la croisière, le transporteur de gaz liquéfié, ou encore le transporteur de conteneurs qui retient particulièrement l’attention. Inventé en 1956 par Malcolm McLean, il se répand très rapidement dans les années 1960 et permet l’acheminement de tout type de marchandises selon un volume standardisé.[…] Cette spécialisation permet aussi une augmentation des capacités : les plus grands porte-conteneurs à la fin des années 1960

transportaient jusqu’à 2 000 EVP (équivalent vingt pieds, environ 6 mètres en longueur), contre près de 11 000 aujourd’hui. Une des conséquences immédiates est la baisse du coût du transport puisque celui de la boîte transportée diminue à mesure que les capacités augmentent, et ce alors que la taille des équipages – de 15 à 20 personnes – reste stable. Le prix du transport d’une bouteille, par exemple, n’est que de quelques centimes d’euros. À ces progrès techniques s’ajoutent des évolutions organisationnelles dans la conception des réseaux de transports, avec notamment le « hub and spoke » (littéralement « moyeu et rayon »). Ce dernier permet de passer d’un réseau maillé à une organisation radiale où le centre aspire les trafics pour les refouler vers de nouvelles destinations. Cette technique est directement à l’origine de la massification du transport. Elle permet aussi la multiplication des destinations géographiques et leur flexibilité : si une destination ne répond plus aux attentes des clients, elle peut être supprimée sans remettre en cause la totalité du réseau. Par ailleurs, le caractère multimodal des conteneurs autorise la mise en place de chaînes de transport porte-à-porte. Un cercle vertueux entre transports et échanges internationaux s’est donc instauré, associé à de nombreuses avancées techniques, institutionnelles et commerciales, conclut Antoine Frémont. Peut-il être remis en cause ? À moyen terme, il ne semble pas. »

Source : Les dossiers de la mondialisation n° 8 –dec 2007 http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/DossierMondialisation8.pdf

Les mers sont désormais sillonnées par des bateaux porte-conteneurs qui trouvent dans chaque pays des terminaux portuaires, lieux de convergence de flottes de camions qui sillonnent l’intérieur des états et des continents rapidement. La réduction des coûts de transport fait qu’il n'est guère plus onéreux d’acheminer des marchandises vers la France depuis la Chine que depuis l'Espagne.

Enfin, la diminution du coût des communications téléphoniques, le développement de l’internet, en particulier dans les pays en développement, est considérable: en Inde, le prix des communications internationales à haut débit a été divisé par vingt en cinq ans!

3.1.1 Le marché.

La localisation des entreprises reflète souvent la volonté de conquérir de nouveaux marchés. Une entreprise peut décider de bâtir sa stratégie sur des exportations à partir du territoire national (stratégie de la Chine) mais cette alternative est aujourd’hui souvent abandonnée au profit d’une implantation dans la région ou le pays dans lequel on souhaite conquérir des parts de marché. Plusieurs facteurs jouent en faveur de cette tendance :

- Une image de l’entreprise présente sur le marché plus favorable : elle offre à la main d’œuvre locale un travail.

- Une meilleure connaissance des comportements, des modes de vie des consommateurs et donc une meilleure adaptation des produits aux spécificités des demandes locales. Outre la

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composition des produits, les conditionnements font qu’un même produit se décline différemment en fonction des préférences nationales comme nous le montre l’exemple des yaourts Danone ci-contre.

- Un service après-vente plus efficace.

- Une réponse à des mesures protectionnistes tarifaires ou non tarifaires.

- Un amortissement des fluctuations cycliques nationales par la diversité des marchés.

Il existe différentes stratégies pour chercher à se positionner sur un marché étranger.

- soit de créer un établissement.

- soit de racheter une entreprise existante. C’est la stratégie que L’Oréal a privilégié. Elle consiste à racheter des marques étrangères renommées dans les pays au sein desquels l’entreprise souhaite s’implanter.

Ainsi pour partir à la conquête du marché asiatique et plus spécifiquement du marché chinois, la marque a racheté la marque américaine de grande diffusion Maybelline en 1996. Selon L.Owen-Jones, directeur de l’entreprise de 1988 à 2006, il était impossible d’entrer en Chine avec la marque Gemey, au nom imprononçable et synonyme de produit français, donc cher. « Il nous fallait une marque populaire, avec un nom américain; et cela, L’Oréal ne l’avait pas en portefeuille.». L’achat de Maybelline, leader du maquillage populaire aux Etats-Unis, revêt une importance stratégique. Non seulement il positionne L’Oréal comme un acteur de tout premier plan aux Etats-Unis, le marché le plus décisif au monde, mais il permet à L’Oréal de devenir le leader mondial du maquillage grand public. Maybelline devient également le passeport de L’Oréal pour conquérir l’Asie, et notamment la Chine où elle dispose déjà d’une usine. Néanmoins, si l’entreprise réussit à conquérir le marché asiatique grâce à Maybelline, le succès est moindre en Amérique du Sud. Face à l’échec relatif de Maybelline au Brésil, la multinationale décide de racheter la marque Colorama, le numéro un brésilien des vernis à ongles, une marque que l’entreprise se charge de décliner et de diffuser en Amérique latine.

L'Essentiel du management, exemple de Danone avril 1997 Management-Prisma Presse 2002. L'Américain l'aime sucré et le Chinois liquide. A chacun son pot. En France, le yaourt nature, symbole de santé, est le produit de référence du marché. « C'est un héritage de l'époque où il était exclusivement vendu en pharmacie », explique Jean-Noël Kapferer dans son livre Les marques. Les yaourts aux fruits, qui sont arrivés plus tardivement, ont une image sophistiquée. Dans les pays anglo-saxons, au contraire, ce sont les yaourts aux fruits qui constituent la référence du marché. États-Unis: des pots de 250 g contre seulement 125 g en France Aux États-Unis, le yaourt est souvent consommé entre les repas. Il a donc une contenance double de celle de son homologue français, qui se déguste plutôt en fin de repas. Le yaourt américain est plus sucré et souvent light (c'est-à-dire sans matière grasse). Hongrie: vendus à l'unité ou dans un grand conditionnement Les yaourts hongrois sont commercialisés dans des pots de 150 grammes, à l'unité, ou dans des conditionnements de 500 grammes. Les consommateurs ne disposent pas d'un pouvoir d'achat suffisant pour que les yaourts y soient vendus en packs. Russie: distribués dans des réfrigérateurs maison Quand le groupe est arrivé en Russie en 1992, la chaîne du froid n'existait pas. Danone a donc ouvert à Moscou un magasin pour commercialiser ses produits (à l'époque importés) et a équipé les petits commerces de réfrigérateurs aux couleurs de la marque. Chine: une texture liquide à boire à la paille Équivalent d'un soft-drink en Chine, le yaourt se consomme souvent dans la rue, avec une paille. C'est pourquoi le couvercle (l'opercule) a fait l'objet de longues recherches: il fallait qu'il soit à la fois facile à transpercer et suffisamment solide pour résister aux chocs.

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- soit de créer une coentreprise (joint venture). Ce type d’entreprise est beaucoup utilisé pour partir à la conquête du marché chinois.

« Le groupe automobile français PSA Peugeot-Citroën a formellement conclu vendredi un accord de coentreprise avec le chinois Changan afin de produire des voitures en Chine, avec un premier véhicule attendu pour "le second semestre 2012", ont annoncé les deux sociétés. Les deux groupes vont réaliser un investissement initial de 8,4 milliards de yuans (environ 935 millions d'euros) dans cette coentreprise à parts égales destinée à produire et à commercialiser des véhicules en Chine. » (Source: le Parisien)

- Soit de passer un accord de commercialisation ou de licence avec une entreprise implantée sur le marché étranger.

Les stratégies de conquête de marché se font en direction des pays qui connaissent un développement économique certain. Dans les pays du sud, les états continents tout comme les état pétrolier apparaissent relativement attractifs au regard de ce facteurs. Si les flux des investissements directs étrangers ont pour la plupart une direction nord-nord ou nord-sud, ces derniers temps sont marqués par des flux des pays du sud vers les pays du nord. Dans cette stratégie de conquête de marchés, certains pays du sud émergent sur la scène mondiale. Une étude menée par un groupe d’universitaires sur les investissements chinois et indiens en Europe montre une accélération de ceux-ci depuis 2002-2003, même si le mouvement a commencé dans les années 1980, principalement du fait de firmes de Hongkong à destination du Royaume-Uni.

Figure 14

http://www.energie.minefi.gouv.fr/biblioth/docu/dossiers/sect/syntheseinvest.pdf

Dans le cas des firmes indiennes, il s’agit surtout d’acteurs privés et, pour une part significative, de firmes de nature familiale. Pour les acteurs chinois il faut différencier ceux du continent de ceux de Hongkong. Les premiers sont d’abord des firmes publiques et semi-publiques soutenues par les différents échelons gouvernementaux (central, provincial et municipal), et de manière croissante des firmes privées qui demeurent cependant fortement épaulées par les autorités publiques chinoises dans le cadre de la politique zou chu qu (go outside). Dans le cas de Hongkong, il s’agit essentiellement de firmes privées, dont certaines sont des groupes très diversifiés, souvent de nature familiale.

Les investisseurs indiens ont une préférence marquée pour les acquisitions alors que pour les firmes chinoises ce sont les créations qui viennent en tête ; ceci est lié à la différence des secteurs d’activité concernés, des fonctions remplies, à une plus grande aversion au risque des

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chinois conjointement à une moindre familiarité avec le montage d’opérations d’acquisition. Partant de là, les acquisitions chinoises concernent principalement des entreprises en difficulté financière. Les firmes indiennes présentes en Europe sont beaucoup plus spécialisées, principalement dans les services informatiques et la pharmacie (génériques), que les firmes chinoises qui occupent un plus large spectre d’activités, y compris dans le transport maritime.

Enfin, les motivations à la venue de ces deux catégories d’investisseurs en Europe sont : pour les entreprises chinoises, dans l’ordre décroissant, le support aux exportations à destination de l’Europe, l’accès aux marchés et l’acquisition de compétences spécifiques. Pour les entreprises indiennes, il s’agit, avant tout, d’accéder à de nouveaux marchés et, à un moindre degré, d’acquérir des actifs complémentaires.

Le Pirée, porte d'entrée de la Chine en Europe

Harriet Alexander, 07 juillet 2010, The Daily Telegraph, Londres

Avec la récente signature d’un contrat de concession à 3,3 milliards d’euros dans le port du Pirée, la Chine a commencé à établir ses positions en Europe. Le Daily Telegraph a enquêté sur la stratégie d’investissement de l’Empire du Milieu dans des économies européennes qui cherchent à sortir de la crise.

Golfis Yiannis demeure impassible sur le quai du port du Pirée, indifférent aux nuages de poussière que soulèvent des camions vrombissant ou au fracas des chariots élévateurs déchargeant d’immenses cargos. "C’est le nouveau Chinatown de l’Europe", lâche-t-il en pointant du doigt l’embarcadère à côté de lui. "Ce qui est sûr, c’est que nous avons vendu notre âme aux Chinois". L’embarcadère n°2, où Yiannis, 48 ans, travaille depuis 22 ans, est la copie conforme de l’embarcadère n°1, plus vaste, certes, mais flanqué des mêmes bateaux géants et recouvert des mêmes piles de conteneurs, semblables à d’énormes briques de Lego. Et pourtant, l’embarcadère n°1 est grec alors que l’embarcadère n°2 est chinois.

En juin, le géant public chinois Cosco a conclu un contrat de 3,3 milliards d’euros pour obtenir l’autorisation d’exploiter l’embarcadère n°2 pour les 35 prochaines années, s’engageant en échange à investir 564 millions d’euros dans la modernisation des équipements portuaires, la construction d’un troisième embarcadère et le quasi triplement de ses capacités de gestion des marchandises. Le port marchand, situé juste à côté de l’embarcadère où des milliers de touristes empruntent le ferry pour aller dans les îles, peut actuellement charger et décharger jusqu’à 1,8 million de conteneurs par an, soit 5 000 par jour.

Leur objectif : construire un port plus grand que celui de Rotterdam

A l’heure où bon nombre d’investisseurs fuient ce pays européen en déroute, la Chine y voit une occasion de renforcer sa présence en Europe et achète des actifs à bas prix dans des secteurs clés, s'ouvrant ainsi une porte d’entrée sur le marché européen. La stratégie des Chinois consiste à mettre en place un réseau de ports, de centres logistiques et de voies ferrées – version moderne de la Route de la Soie – pour distribuer leurs produits dans toute l’Europe, accélérer les échanges commerciaux entre l’Orient et l’Occident et profiter d’infrastructures hautement rentables sur le continent. Leur objectif : créer un port marchand plus important que celui de Rotterdam, aujourd’hui le plus grand d’Europe.

"Les Chinois veulent une porte d’entrée en Europe, explique Theodoros Pangalos, vice-Premier ministre grec. Ils ne sont pas comme les types de Wall Street qui n’investissent que sur le papier. Les Chinois sont dans le concret et leur présence va aider l’économie réelle du pays". Ce n’est pas la première fois que le malheur des uns fait le bonheur de la Chine. Forts d’une croissance économique inégalée et de la surévaluation du Yuan, les Chinois ont réalisé toute une série d’investissements controversés dans le secteur minier et certaines infrastructures en Afrique. D’après les critiques, ces opérations leur permettent d’extraire de précieuses matières premières avec peu de bénéfice pour l’économie locale.

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Sur le port, les travailleurs s’inquiètent des conséquences à long terme de ce contrat de concession : la Chine a profité d’un moment de faiblesse de l’économie nationale pour s’y tailler une part importante dans un secteur vital. Depuis son bureau avec vue sur le port et la forêt de tours qui recouvrent les collines du Pirée, Georges Nouhoutides, le président du syndicat des dockers, juge ce contrat "catastrophique". "Quand un contrat est conclu entre un pays riche et un pays surendetté, qui, selon vous, est en position de dicter ses conditions ? La Chine veut faire du 'made in Europe' avec des exemptions d’impôts, des conditions privilégiées et tant pis pour les intérêts grecs".

Nouhoutides, qui est né à deux pâtés de maisons du port et y a travaillé pendant 34 ans, ajoute : "Ils sont malins, ils ont 1,5 milliard d’esclaves et de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, évidemment qu’ils veulent s’implanter sur nos marchés. C’est une catastrophe pour tous les travailleurs, pas seulement les Grecs". Katinka Barysch, vice-présidente du Centre for European Reform, un centre de réflexion basé à Londres, ne juge pas les investissements chinois aussi "prédateurs". " Il y a peu de risque que Cosco se comporte en Grèce comme certaines entreprises chinoises dans l’industrie minière ou pétrolière en Afrique, explique-t-elle. La Grèce fait partie de l’Union européenne, les cadres juridiques y sont beaucoup plus contraignants. Il y a des limites claires à ce que les investisseurs étrangers peuvent et ne peuvent pas faire".

La première strate d'une vaste stratégie d'implantation sur les marchés européens

Les investissements chinois dans le port du Pirée ne sont que la première strate d’une vaste stratégie d’implantation sur les marchés européens. A l’heure où certains pays comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande se débattent avec leur dette publique, la Chine lorgne sur ces opportunités d’investissement potentiellement irrésistibles. Ce mois-ci, un groupe d’entrepreneurs chinois espère obtenir l’autorisation de développer un projet de 48 millions d’euros à Athlone, dans le centre de l’Irlande, afin de construire un centre de production d’articles chinois comprenant des appartements, des écoles, des transports ferrés et des usines. Le projet prévoit de faire venir 2 000 travailleurs chinois pour ériger le site - déjà surnommé le "Pékin sur Shannon" - où devraient également travailler 8 000 Irlandais.

Le port du Pirée ne marque peut-être que le début des ambitions chinoises en Grèce. D’ici la fin de l’année, la Chine devrait faire une proposition conjointe avec une entreprise grecque afin de créer un centre logistique de 200 millions d’euros à Attica, non loin du port du Pirée, destiné à distribuer les produits venant de Chine vers la région des Balkans et le reste du continent. Les Chinois négocient également pour entrer au capital de la compagnie ferroviaire publique en difficulté. La position stratégique du port du Pirée, proche du Bosphore, en fait également une voie d’accès sur les pays de la mer Noire, l’Asie centrale et la Russie.

Si les Chinois se mêlent incontestablement des affaires grecques, leur présence physique n’en reste pas moins limitée. Dans le quartier immigré d’Omonia, en bas de la colline, où des supermarchés chinois vendent des bijoux en plastique d’un goût douteux, des produits pour la maison et des vêtements en nylon, les rares Chinois que l’on croise dans la rue affirment n’avoir jamais entendu parler de Cosco avant de prendre la poudre d’escampette. Dans les bureaux de Cosco surplombant le terminal passager des bateaux de croisière, les 45 membres du personnel expliquent que seul le président et le directeur financier sont chinois. Dans les bureaux du terminal portuaire, sur les 250 employés, seuls 10 cadres de l’administration et du management sont chinois.

Les Chinois n’en prennent pas moins leurs quartiers en Europe. Et à en juger par la masse de capitaux qu’ils détiennent, ainsi que leur soif d’ambition, il est probable qu’ils réussissent. Récemment interviewé par une chaîne de télévision grecque, le PDG de Cosco, Wei Jiafu, a déclaré : "Je suis venu redonner au port du Pirée sa position d’antan. J’espère en faire le port marchand le plus important de Méditerranée d’ici un an. Il y a un dicton en chinois qui dit : 'Construis le nid de l’aigle et l’aigle viendra'. Nous avons construit ce nid dans votre pays pour attirer les aigles chinois. C’est le cadeau de la Chine à la Grèce".

Source http://www.presseurop.eu/

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3.1.2 La réduction des coûts de production

3.1.2.1 La réduction des coûts de la main d’œuvre : facteur important mais insuffisant pour attirer les investissements.

La recherche de pays où la main d’œuvre est moins chère est un argument souvent mis en avant dans l’explication des délocalisations et des investissements dans les pays du sud. Il est vrai que des pays tels que la Norvège ou la France ne peuvent rivaliser avec les salaires proposés en Chine ou aux Philippines (tableau ci contre)

Jusqu’à présent, l’attrait des pays du sud en matière de coût de main d’œuvre a surtout concerné la fabrication de produits de faible technologie ou matures, n’appelant pas de compétences spécifiques. Si nous reprenons le modèle du cycle de vie d’un produit développé par Vernon alors, l’attrait des pays du sud se situait avant dans la phase de standardisation ; les pays du sud n’ayant pas une main d’œuvre suffisamment qualifiée pour rivaliser dan les phases d’innovation et de maturation.

Ces dernières années sont néanmoins marquée par une élévation des qualifications dans certains pays tels que l’Inde, la Chine, le Brésil, Corée du sud, Taiwan… De ce fait les phases d’innovations et de maturation se réalisent de plus en plus dans ces pays. Certain pays tels que les quatre dragons vont même jusqu’à délocaliser la phase de standardisation vers des offrant des coûts de production plus bas ;

Néanmoins, ce facteur ne peut lui seul, expliquer les délocalisations ou les investissements, motivés par la recherche d’une réduction des coûts de production. Comme l’indique Arnaud Parienty (2008), dans ce cas, pourquoi les entreprises des pays développés ne se précipitent-elles pas en masse au Malawi, qui n'a reçu que 2 millions de dollars d'IDE en 2005, c'est-à-dire 40 000 fois moins qu'en Chine? Il est pourtant possible d'y embaucher un ouvrier pour 30 centimes de l'heure, soit 40 fois moins qu'en France.

Selon l’auteur, la première raison est que le travail d'exécution n'est qu'un élément du coût de fabrication d'un produit parmi d'autres. Du fait de la mécanisation, il ne représente plus aujourd'hui que 5% du coût dans la fabrication de fils de nylon, sans doute moins de 25% dans l'automobile. L'avantage conféré par les bas salaires est alors limité.

L’approche du cycle de vie d’un produit comprend trois phases dans le cycle de vie d’un produit :

1. Phase d’innovation: dans cette première phase, le bien est produit dans le pays qui est à l’origine de l’innovation. L’entreprise est protégée de la concurrence par le brevet qui lui confère une position de monopole sur le marché. Il n’y a pas de commerce international

2. Phase de maturation : l’entreprise commence à exporter sur le marché mondial le bien qu’elle continue néanmoins à produire dans son pays d’origine grâce à l’avantage conféré par le brevet. Les prix baissent.

3. Phase de standardisation : Le produit devient intensif en main d’œuvre et sera donc fabriqué dans les pays en développement où la main d’œuvre est moins chère (délocalisation).

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La réactivité et la capacité à diversifier la production sont désormais des objectifs importants pour les entreprises. Pour y parvenir, la main-d'œuvre doit être polyvalente et capable de gérer plusieurs processus en même temps, ce qui suppose un niveau de formation élevé. Or, il est encore rare de trouver une main-d'œuvre à la fois compétente et bon marché.

En conséquence, la réduction des coûts de la main d’œuvre doit être mise en parallèle avec d’autres éléments comme les différentiels de productivité, les coûts de la coordination à distance, le rôle des avantages financiers et fiscaux...

3.1.2.2 Le rôle des avantages financiers et fiscaux

De nombreux gouvernements des pays en développement ont mis en place des mesures afin d’attirer les capitaux étrangers : par l’établissement des codes d’investissements, des avantages et garanties douaniers (exonérations totales ou partielles de droits de douanes à l’importation et à l’exportation, application de taux de droits forfaitaires réduits, accès aux régimes douaniers économiques suspensifs de droits et taxes quand des matières premières importées sont incorporées à des produits destinés à l’exportation) et des avantages fiscaux (régimes spéciaux ou privilégiés : exonérations, réductions ou ajournement de l’impôt sur le revenu, exonération de taxes et impôts divers, allégements fiscaux en faveur de l’emploi) …

Ces mesures spécifiques peuvent s’appliquer à un territoire clairement délimité (zones franches d’exportation) ou à certaines catégories d’entreprises étrangères ; dans ce cas, l’implantation peut se faire sur une large part ou l’ensemble du territoire. Néanmoins, proposer des avantages fiscaux aux entreprises étrangères a un coût pour les finances publiques des pays en question alors même que ces pays sont confrontés à une forte demande de dépenses pour promouvoir leur développement. Nous reprenons ci après un exemple issu de la thèse de Gregory CORCOS intitulée « Trois essais sur les décisions de localisation et d’organisation des firmes multinationales », soutenue en 2006 qui montre la concurrence féroce que les Etats du sud se livrent pour attirer les entreprises étrangères.

« Dans les années 1990, les gouvernements de l’Argentine et du Brésil se sont engagés dans un processus de libéralisation des échanges, tant vis-à-vis du reste du monde qu’entre les deux pays. Ce processus est venu mettre fin aux régimes commerciaux de substitution aux importations. Ainsi, avant l’intégration commerciale cette région, l’archétype de localisation des FMN consistait à dupliquer les unités de production entre l’Argentine et le Brésil. Des firmes étrangères à la région produisaient des produits identiques, à l’aide de technologies similaires, sur chaque marché national afin d’échapper à la protection tarifaire (Gatto, Kosacoff, et Sourrouille, 1984). La création d’une union douanière en 1995 a modifié les incitations à se localiser, en favorisant l’émergence de plate-formes d’exportation (Kosacoff, 2000) pour servir l’ensemble de la région. Dans le même temps, les gouvernements de la région se sont lancés dans une concurrence en subventions systématique. Chudnovsky et Lopez (2001, 2002) présentent une synthèse des politiques mises en place, comprenant tant l’offre de subventions que la concurrence réglementaire. Leur quantification des subventions nous apprend que les bénéficiaires de ces subventions constituent 22% du secteur manufacturier en Argentine et 40% au Brésil. Certains secteurs, tels que l’automobile et l’informatique, sont particulièrement ciblés par des programmes. Par ailleurs, le Régime Auto brésilien, lancé en 1994, a-t-il été officiellement justifié par le lancement d’un régime similaire en Argentine en 1991. Dans les deux pays, ces régimes ont consisté en une série d’incitations à l’IDE par réduction des barrières tarifaires et des taux d’impôt sur les sociétés. Plus

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récemment, une coordination interne au Mercosur de l’offre de subventions a fait l’objet de discussions. »

3.1.2.3 Les délocalisations : pas toujours synonyme de réduction des coûts de production

Une analyse réalisée par le cabinet d'étude de McKinsey en 2005 reprise par O Bouba-Olga sur son blog compare les coûts liés à une production en Californie (Cal. sur les graphiques) et les coûts liés à une fabrication en Asie pour deux secteurs d'activité (fabrication de plastique et habillement)

Il ressort que les gains de coût perçus par les responsables d'entreprises en délocalisant sont de 22% dans la fabrication de plastique, 50% dans l'habillement. Cependant la deuxième colonne de la figure 15 montre que les gains en intégrant les coûts complets, c'est à dire les surcoûts liés à la logistique, assurance, formation, défauts, etc... sont souvent sous-estimés ou mal évalués par les entreprises. Enfin la troisième colonne montre que les gains de coûts complets réels pour une entreprise qui fonctionne en juste à temps sont quasiment nuls pour la fabrication de plastique et très faible pour l’habillement.

Figure 15

http://obouba.over-blog.com/article-4172087.html

3.1.3 Le contexte politique, économique, social et culturel.

Selon B Merenne Schoumaker (2008), la répulsion ou l'attraction des investissements dans certains pays dépend aussi largement de la stabilité politique (absence de coup d’état récent), du type de régime (communiste, dictatorial, démocratique), de la situation financière et sociale du pays.

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Les capitaux fuient les zones instables, les régimes trop contraignants (même si la Chine constitue un formidable contre exemple), les pays connaissant des difficultés financières où l'endettement est élevé, les espaces confrontés régulièrement à des soulèvements sociaux...

Face à tous ces risques et face à l'image partielle que les investisseurs ont d'un pays, certains organismes ont cherché à aider les décideurs à mieux choisir leur lieu d’implantation en leur fournissant des données objectives. Ces organismes ont cherché à construire des indicateurs sur les risques d’implantation dans chaque pays du monde. Selon B.Marais (2003), « Le risque-pays peut être défini comme le risque de matérialisation d'un sinistre, résultant du contexte économique et politique d'un Etat étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de ses activités ».

Le risque-pays peut cibler un domaine précis. Il peut aussi être plus global et intégrer plusieurs composantes qui peuvent être regroupées en deux ensembles:

- Le « risque politique », résultant soit d'actes ou de mesures prises par les autorités publiques locales ou du pays d'origine, soit d'événements internes (émeutes) ou externes (guerre) ;

- Le « risque économique et financier », qui recouvre aussi bien une dépréciation monétaire qu'une absence de devises se traduisant, par exemple, par un défaut de paiement ;

Bien souvent, ces deux sources de risque sont interdépendantes. Ainsi, l'Indonésie a connu des bouleversements politiques (chute de Suharto) qui ont entraîné des soubresauts économiques (effondrement de la roupie, arrêt des investissements étrangers), mais la crise politique avait elle-même, entre autres, des origines économiques (corruption généralisée, endettement excessif fragilisant le système bancaire local).

Compte tenu de la croissance du commerce mondial (+ 6 % par an environ) et des investissements internationaux, les enjeux liés au risque-pays tendent à prendre une place primordiale dans les préoccupations des banques, des marchés et des entreprises (le cas de la Grèce est là pour nous le rappeler). Chaque pays se voit donc attribuer une note de façon à pouvoir ensuite classer le pays dans une liste qui va du plus risqué au moins risqué ou inversement.

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Figure 16 : méthodologie utilisée par nord-sud export pour établir la carte du risque-pays pour les investisseurs

Source : Merenne Schoumaker

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Figure 17 : La notation du risque-pays par la COFACE avant la crise économique de 2008

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La crise grecque est là pour nous rappeler que ces systèmes de notation peuvent faire vaciller l’économie d’un pays. La Grèce a vu sa note se dégrader au niveau A4. De ce fait, les taux des crédits accordés à l’Etat, aux banques et aux entreprises grecques ont été appréciés, faisant exploser la dette du pays et générant des difficultés à trouver l’argent nécessaire au fonctionnement de celui-ci.

Cependant, ces systèmes de notation souffrent de deux inconvénients importants qui résident dans :

1 L'absence de vision prospective :

- par exemple, l'Iran bénéficiait d'un excellent classement en 1978, quelques mois avant la chute du Shah ;

- le Koweït était considéré comme un pays sans risque à la veille de l'invasion par les troupes irakiennes,

- et les Dragons asiatiques avaient très bonnes notes avant la crise de 1997-1999.

2 La tendance à figer les situations. Les investisseurs donnent leur préférence aux pays les plus sûrs. Ces systèmes de notation ne favorisent pas le développement des pays les moins avancés. Si un pays est mal noté, il n’attirera pas les entreprises, il aura donc peu de chance de voir sa situation économique s’améliorer grâce aux IDE tant recherchés.

Au-delà des questions liées à la stabilité économique et politique d’un pays, le coût et la disponibilité en capital jouent aussi un rôle. Les entreprises vont regarder différents éléments concernant les conditions financières et fiscales, notamment les taux d’intérêt, le régime en matière de rapatriement des capitaux, les régimes douaniers, la sécurité des placements, la réglementation des changes….

Le contexte culturel joue également en faveur d’une implantation dans tel ou tel pays. Les questions touchant à la langue, la présence d’autres entreprises de même nationalité, d’expatriés ou les phénomènes de diaspora peuvent orienter les investissements tant dans les pays du nord que dans les pays du sud.

3.1.4 La situation géographique du pays :

La position relative d’un pays peut influencer la stratégie de localisation des entreprises, notamment la position par rapport aux principaux marchés, aux principaux axes de transports. Bien que figée, une même situation peut se révéler avantageuse à certains moments de l’histoire et périphérique à d’autres.

3.2 Les facteurs intervenant à l’échelle méso et micro dans les choix de

localisation des industries

3.2.1 Des facteurs de localisation plus nombreux

Les facteurs ayant un rôle à l’échelle meso et micro en matière de localisation varient en fonction des stratégies des entreprises. Il est clair que si c’est la recherche de ressources naturelles qui prévaut, alors la localisation sera fortement influencée par l’accès à ces

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ressources tandis que si c’est la recherche d’efficacité, des éléments tels que la qualité et le coût de la main d’œuvre ou les réglementations sectorielles plus ou moins souples pourront entrer en jeu (tableau ci-après).

http://www.cei.ulaval.ca/fileadmin/cei/documents/Recherche_et_publications/Essais__memoires_et_theses/Memoire_GaetanPouli

ot.pdf

Une enquête faite auprès des entreprises étrangères localisées en Tunisie montre qu’au sein de ce territoire 4 familles de facteurs prévalent (Mezouaghi dir, 2009) :

− La position littorale (situation géographique) − La proximité d’agglomérations d’entreprises (fournisseurs, clients, sous-traitants…) − La qualité des infrastructures (qualité des infrastructures routières, des réseaux de

transport, de communication, d’électricité de gaz et d’eau, coût du terrain et de l’immobilier, incitations fiscales locales). Il apparait ainsi que la qualité des infrastructures joue nettement au profit de Tunis.

− La main d’œuvre (rapport coût/qualification)

L’analyse des facteurs de localisation des entreprises étrangères au sein de la zone économique spéciale de Pudong à Shanghai met en avant des facteurs semblables auxquels on peut ajouter le rôle important des autorités chinoises et la proximité d’un marché important.

Une localisation intéressante pour les entreprises étrangères

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Sur la côte de pacifique, Shanghai compte 13 millions d’habitants et constitue une véritable fenêtre ouverte vers le monde. Elle est située sur la rivière Huangpu et se compose de deux parties distinctes, Puxi et Pudong (qui signifient respectivement à l'ouest et à l'est du Pu). La ville s'est développée tout d'abord exclusivement à Puxi mais à partir de 1990, sous l'impulsion du gouvernement, Pudong est devenu un centres économiques et financiers qui attire beaucoup entreprises étrangères.

Un investissement fort du pouvoir dans le développement de cette zone Le 18 avril 1990, le Premier ministre Li Peng officiellement annonce la décision du

gouvernement central de développer Pudong à Shanghai, en faisant de cette municipalité une zone économique spéciale. Un des principaux objectifs du développement de Pudong est de créer une zone polyvalente, ouverte sur le monde, ultramoderne qui lui permette de se ranger dans le peloton de tête des plus grands centres économiques et financiers du monde.

Des subventions pour l’implantation des entreprises La politique financière du gouvernement est favorable car le gouvernement donne

beaucoup de subventions facilitant l’implantation des entreprises dans la région, il permet aux banques étrangères d'effectuer leurs opérations en monnaie chinoise, même si cela est interdit dans les autres villes.

Un marché local attractif Deux aspects du marché ont attiré les entreprises étrangères : l’accessibilité à l’énorme

marché chinois et le taux espéré de croissance. Pudong présente ainsi beaucoup d’opportunités commerciales pour les entreprises.

Les infrastructures de transport performantes Afin de favoriser le développement économique, le gouvernement a investi 25 milliards de

francs entre 1990 et 1995 pour développer les infrastructures (ponts entre Pudong et le centre ville, tunnels, autoroutes, métro, voie ferrée). A partir de 1996, le gouvernement a investi 100 milliards de francs pour construire le deuxième aéroport et de nouveaux quais ont été construits venant agrandir le port.

Une main-d’œuvre nombreuse et relativement qualifiée Pour la plupart des entreprises, la main-d' œuvre est un des principaux facteurs de la

localisation en Chine. Outre les questions liées au coût, Pudong possède une main d’œuvre relativement qualifiée (15 universités, 160 institutions de la recherche-développement, de nombreux techniciens et ingénieurs)

La protection des investissements étrangers A partir de 1990, le gouvernement se consacre à protéger le droit des investisseurs.

Ces différents exemples montrent que les facteurs qui jouent aux échelles meso et micro sont à peu près les mêmes dans les pays en développement qui cherchent à attirer les investissements étrangers. Face à ces différents facteurs, les espaces qui tirent leur épingle du jeu sont avant tout les littoraux et les grandes villes comme en témoignent ci-après les exemples de la Chine et de l’Inde. Ces espaces sont d’autant plus attractifs s’ils mettent en place des zones franches d’exportation. Les facteurs de localisation actuels des industries et les politiques mises en œuvre pour attirer les IDE favorisent donc une accentuation des déséquilibres des territoires.

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Le cas de la Chine « La "politique de la porte ouverte" au début des années 1980, la création des "Zones Economiques Spéciales" puis l’ouverture de 14 villes côtières en 1984 ont conduit à faire des provinces côtières le moteur de la croissance chinoise. Les sixième et septième plans ( 1983-1991) ont ainsi cherché à favoriser la croissance au détriment de l’équilibre du territoire, estimant que le développement économique se diffuserait progressivement vers les régions intérieures (Brun, Combes et Renard, 2002). Ces choix institutionnels ont été déterminants dans la tendance à la concentration spatiale des activités : en 1994, le PIB par tête des provinces côtières représentait 2,24 fois celui des provinces intérieures contre 1,76 fois en 1984 (Fujita et Hu, 2001). La localisation préférentielle des investissements directs étrangers (IDE) pour les régions côtières a renforcé cette tendance, puisqu’ils comptaient en 1996 pour 47,3% du commerce extérieur chinois (Gipouloux, 1998).

En parallèle de cette forte ouverture extérieure, la Chine se caractérise par un important protectionnisme dans les provinces intérieures. Les échanges interprovinciaux sont faibles et ont même baissé entre 1987 et 1997 (Poncet, 2003). Paradoxalement, ce phénomène peut en partie s’expliquer par la décentralisation qui a encouragé les gouvernements locaux à protéger les entreprises placées sous leur autorité. De manière générale, le système industriel de la Chine intérieure reste dominé par les entreprises publiques faiblement rentables, mal desservies en termes d’infrastructures, et hautement intégrées verticalement, ce qui limite la construction d’un tissu industriel au travers de relations de complémentarité (Gipouloux, 1998). Enfin, les restrictions institutionnelles à la mobilité de la main-d’œuvre (système dehukou en particulier) constituent un frein important au développement des régions intérieures : les migrations rurales/urbaines et intérieure/côte ne sont pas suffisantes pour satisfaire une meilleure allocation des ressources (Cai, Wang et Du, 2002). » (Catin, Van Huffel, 2004) 5

5 Catin M, Van Huffel C, 2004, Ouverture économique et inégalités régionales de développement en Chine : le rôle des institutions, Mondes en développement, n°128

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Carte 10 :

Source Merenne-Schoumaker, 2008

Le cas de l’Inde :

« L’autre critère important de localisation[des zones franches indiennes] est la grande ville (où se trouvent main-d’œuvre, aéroport, voire marché). La carte des zones franches reprend largement la carte de l’urbanisation. Sur la carte 1[carte ci-après], toutes les zones franches à part Kandla se trouvaient près d’une agglomération millionnaire, en général dans la capitale économique de l’État concerné. Longtemps ce critère fut cependant moins déterminant que la littoralité : Hyderabad et Bangalore, trop continentales, n’avaient pas de zone franche malgré leurs six millions d’habitants. Aujourd’hui, ce critère apparaît essentiel – et l’on comprend que quelques voix s’inquiètent des risques de concentration aux dépens de régions laissées pour compte par la mégapolisation comme par les investissements. L’Inde était longtemps demeurée attachée à un modèle de développement économique fondé (officiellement) sur la diffusion et non la concentration, se refusant aux déséquilibres spatiaux et socio-économiques engendrés par les vastes zones franches à la chinoise. La nouvelle carte des SEZ témoigne d’un net infléchissement. Fin 2006, quatre États (Tamil Nadu, Karnataka, Gujarat et

Les ZFE chinoises ont démarré en tant que Zones économiques spéciales (ZES) à Shenzhen, à Zhuhai, à Shantou et à Xiamen en 1980. Ces quatre zones se sont ensuite étendues à 14 villes côtières ouvertes. L’ensemble de la province de Hainan est devenue une ZES en 1985. La même année, le delta de la rivière Yangzi, le delta de la rivière des Perles, le delta du sud Fujian, la péninsule Shandong, la péninsule Liaodong, les provinces Heibei et Guangxi sont également devenus des zones côtières ouvertes. Au cours des années qui ont suivi, des politiques ouvertes familières ont été adoptées dans la plupart des capitales provinciales, dans certaines villes frontalières ouvertes, ainsi que dans certaines villes ouvertes longeant la rivière Yangzi. Avant la fin de 1992, la Chine avait établi 60 ZFE (5 Zones économiques spéciales, 15 villes côtières ouvertes, 8 villes ouvertes longeant une rivière, 19 villes intérieures ouvertes et 13 villes frontalières ouvertes). Ces différentes zones ouvertes comprennent des provinces, des villes de planification séparée (ou des villes à juridiction semi-provinciale), ainsi que des villes entières. Outre les quatre premières, les ZFE chinoises (notamment les villes ouvertes) sont plus des juridictions que des zones physiques.

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Maharashtra) comptent à eux seuls la moitié des nouvelles zones autorisées, alors que les États pauvres comme le Bihar ou l’arc himalayen n’en ont aucune (Aggarwal, 2006)»( Grasset, Landy, 2007) 6

Carte 11 : La nouvelle carte des zones franches en Inde (avril 2006).

Grasset J, Landy F, 2007, Les zones franches de l’Inde, entre ouverture à l’international et spéculation immobilière, Les annales de géographie, n658

3.2.2 Un outil majeur pour attirer les entreprises étrangères : les zones franches d’exportation

De nombreux pays en développement, conscient que leur développement économique ne pouvait reposer uniquement sur leur marché intérieur, bien souvent trop étroit, ont mis en place ces dernières années des zones franches d’exportation. Les zones franches cumulent sur un espace circonscrit les facteurs susceptibles d’attirer les IDE. La réalisation de tels aménagements a un coût élevé pour ces pays, d’où une extension spatiale bien souvent limitée. Les retombées minimales attendues sont des créations d’emploi, une diversification

6 Grasset J, Landy F, 2007, Les zones franches de l’Inde, entre ouverture à l’international et spéculation immobilière, Les annales de géographie, n658

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sectorielle, surtout vers des activités plus technologiques (cette montée en gamme n’est toutefois sensible que dans les pays émergents) ainsi que des rentrées financières. Les pays en développement considèrent bien souvent les ZFE comme un outil de développement économique susceptible d’entrainer dans sont sillage le reste du pays par le développement de collaboration des entreprises étrangères avec les entreprises nationales. Dans les faits, l’effet d’entrainement est très variable. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte parmi lesquels la capacité de l’Etat à mettre en œuvre une politique industrielle impliquant une gestion minutieuse des ZFE et le développement progressif de la capacité d’absorption nationale. Pour de nombreux pays la zone franche d’exportation est l’un des rares moyens pour accéder à l’industrialisation et entrer dans le commerce international. « Bras armé souvent indispensable, mais non exclusif, de la stratégie de développement dite de « substitution d’exportations » selon le modèle asiatique, les zones franches constituent vis-à-vis de l’extérieur (bailleurs de fonds et investisseurs étrangers) un signe fort, celui d’une volonté d’insertion dans les rouages de l’économie mondiale par le biais de l’exportation de biens manufacturés et de services (cas, remarquable, de la Chine et des pays d’Europe orientale). » Bost (2007)

3.2.2.1 Présentation des zones franches d’exportation

Pour François Bost (2007), « le concept de zone franche ( Free Zone) renvoie à un principe juridique universel, à savoir la possibilité pour une entreprise implantée dans un périmètre donné de se soustraire plus ou moins durablement au régime commun en vigueur dans le pays d’accueil, principalement dans les domaines douanier et fiscal, voire en matière de droit de travail (bien que cela soit loin d’être la règle contrairement aux idées reçues) ». Pour l’ONUDI, la zone franche est une « aire délimitée administrativement, parfois géographiquement, soumise à un régime douanier autorisant la libre importation des équipements et autres produits en vue de la production des biens destinés à l’exportation. Ce régime s’accompagne généralement de dispositions législatives de faveur, notamment fiscales, qui constituent autant d’incitations à l’investissement étranger ».

Le terme générique de zone franche recouvre des réalités différentes en fonction de l’activité dominante. Il existe une grande variété des situations observées dans le monde. De surcroît, nombre de pays mettent en place plusieurs types de zones franches afin d’en optimiser les retombées favorables.

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Typologie des zones franches par François Bost

Les « zones franches commerciales » (Free Trade Zones) constituent un premier type très classique, tant dans les pays industrialisés que dans le Tiers-monde. Localisées dans les périmètres portuaires (ports francs) et aéroportuaires (zones franches aéroportuaires), au débouché ou le long des grands axes de communication (maritimes, ferroviaires et routiers), ou encore dans les régions transfrontalières, celles-ci sont surtout présentes dans les lieux jouant un rôle important en matière de transit international (transbordement, éclatement des marchandises, etc.) : Colón (Panama), Djebel Ali (Émirats Arabes Unis), Hambourg (Allemagne), Jurong (Singapour), Port-Louis (Maurice), Yantian (Chine), etc. Leurs fonctions diverses (négoce international, réexportation, etc.) en font de véritables plaques tournantes du commerce international, tant aux échelles régionale que continentale, voire mondiale pour les plus importantes d’entre-elles. […]. Les sociétés d’import-export et les transitaires peuvent y décharger librement – donc sans droits de douane ni taxes – et avec des formalités réduites toutes sortes de marchandises importées dans l’attente de leur réexportation (après un temps plus ou moins long de stockage), ou de leur vente sur le marché national. Dans ce second cas, les marchandises paient alors les droits de douane et les taxes prévues sitôt l’enceinte franchie, selon leur valeur en date de leur entrée dans la zone franche commerciale. La suspension des droits de douane et des taxes n’est donc que momentanée, à la grande différence des zones franches à vocation industrielle pour l’exportation. Cependant, le stockage des marchandises à proximité immédiate ou relative des marchés visés permet aux exportateurs de répondre dans les meilleurs délais aux évolutions de la demande. […]. Mais les activités autorisées dans les zones franches commerciales sont strictement limitées à tout ce qui ne s’apparente pas à une fabrication : stockage, empaquetage, assemblage simple, mise sur palette, etc.

Les « zones franches d’exportation » (Export Processing Zones, ou EPZ), appelées aussi « zones franches industrielles et de services » constituent un second type, auquel renvoie le plus souvent le terme générique de zone franche. Celles-ci sont spécifiquement dédiées à la production manufacturière et, de plus en plus, à la fourniture de services, notamment en liaison avec internet et le traitement informatique de l’information. Depuis peu, elles s’ouvrent aussi aux secteurs des médias et de la santé. Très peu présentes dans les pays industrialisés, elles sont en revanche emblématiques du monde en développement, en raison de leurs coûts de main-d’œuvre moins élevés. Leur localisation est également très dépendante de la proximité des grandes infrastructures de transport, de même que des espaces urbains les plus attractifs, afin de profiter des économies d’agglomération et de la présence d’une main-d’œuvre abondante. Les entreprises agréées dans les zones franches d’exportation bénéficient d’avantages différents et surtout beaucoup plus conséquents par rapport à ceux des zones franches commerciales. En effet, elles peuvent importer en franchise de droits de douane des matières premières, des équipements et autres intrants nécessaires à la production des biens qu’elles fabriquent ; elles peuvent également exporter leur production sans payer de droits de douane à la sortie (ceux-ci n’étant payés que dans les pays de destination, sauf si ces derniers ont prévu de les en dispenser dans le cadre des accords de l’OMC ou dans celui d’accords bilatéraux). Les entreprises agréées bénéficient aussi dans l’immense majorité des cas d’une fiscalité réduite, voire nulle, durant un temps fixé par la loi (3, 5, 10, 15, 20 années, etc.), alors que les entreprises implantées dans les zones franches commerciales paient des impôts, au même titre que celles situées hors zone franche. Passé ce délai, elles rentrent alors dans le régime commun et deviennent imposables, soit au même niveau que les autres, soit à un niveau encore attractif durant une période transitoire, afin de ne pas les inciter à se délocaliser. En contrepartie des avantages octroyés, les entreprises franches doivent répondre à un certain nombre de conditions d’agrément, notamment l’obligation d’exporter un pourcentage élevé de leur production, variant dans la plupart des cas entre 80 et 100 %. Elles doivent également travailler dans des secteurs d’activité destinés à diversifier la structure économique du pays récipiendaire (la traditionnelle « montée en gamme » prônée par les politiques de développement). Dans la plupart des cas, les entreprises agréées peuvent vendre sur le marché local une petite part de leur production telle que définie par la loi (notamment des invendus, des produits dotés de menus défauts, etc.) et après autorisation des autorités de tutelle. Cependant, cette part est assujettie au paiement des droits de douane et des taxes locales afin d’éviter une distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises situées en régime commun. D’autres avantages complètent ces dispositifs dans des proportions variables. Ils sont d’ailleurs souvent jugés aussi attractifs par les entreprises que les seuls avantages douaniers et fiscaux : simplification des procédures administratives via un guichet unique regroupant toutes les démarches nécessaires ; bâtiments standardisés et modulables offerts à la location afin d’accélérer la procédure d’implantation (cas de Maurice) ; proximité des infrastructures majeures (aéroport international, port en eau profonde, etc.) ; tarifs préférentiels (eau, électricité, télécommunications, etc.) ; libre rapatriement des bénéfices en devises ; larges exonérations fiscales pour les salariés expatriés ; etc. Au total, ces dispositions permettent aux entreprises locales et étrangères agréées de profiter d’un environnement des affaires allégé des lourdeurs bureaucratiques qui restent bien souvent l’apanage des régimes communs, notamment dans les pays en voie de développement. L’examen détaillé des lois relatives aux zones franches montre cependant une grande uniformisation des textes et des avantages concédés au cours des années 1980-2000, en contradiction avec le discours commun sur la surenchère systématique entre les pays. Il faut y voir l’influence directe des grands organismes de développement, tel que l’ONUDI ou la Banque mondiale, qui financent les études préparatoires et de faisabilité.

Bien que quelquefois confondus avec elles, les « paradis fiscaux » ne constituent nullement un type particulier de zones franches, même si les uns et les autres ont en commun de se soustraire à l’impôt. Les paradis fiscaux ont en effet pour vocation de faciliter, dans la discrétion la plus complète, les transactions financières des firmes transnationales qui y ont implanté des filiales destinées à réaliser, pour le compte des maisons mères, les bénéfices qui échapperont à la taxation dans leurs pays d’origine. « Zones grises » par excellence de l’économie mondiale, les paradis fiscaux sont aussi dénoncés par les institutions financières internationales en raison des facilités qu’ils apportent en matière de blanchiment d’argent sale (corruption, trafics illicites, etc.). Leurs fonctions exclusivement bancaires et financières n’ont donc rien à voir avec celles des zones franches, dont la finalité est fondamentalement la production industrielle ainsi que la fourniture de services commerciaux.

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Selon Bost(2007), l’ancrage spatial des zones franches a évolué ces dernières années. « Initialement, les zones franches ont été pensées comme des espaces de taille relativement restreinte, rigoureusement délimités, coïncidant avec des zones d’activités. Celles-ci sont généralement entourées de hauts murs et leurs accès strictement contrôlés (police, douane). Ce dispositif reste de loin le plus répandu à travers le monde. Si la grande majorité des zones franches sont sans population résidente à l’intérieur, certaines d’entre-elles cependant – toutes localisées en Asie orientale et en Inde – peuvent être qualifiées d’ « intégrées ». Leur main-d’œuvre est logée directement sur place, selon un zoning distinguant les niveaux de qualification (ouvrières et ouvriers en dortoirs, logements individuels pour l’encadrement) et les sexes (certaines zones franches ont néanmoins prévu des baraquements pour les couples), tandis qu’elles disposent d’un certain nombre de commodités (supermarchés, édifices religieux, espaces récréatifs, centres téléphoniques, etc.) visant à limiter les sorties. » (Bost 2007)

Certains pays ont préféré le concept de « point franc ». Il s’agit d’un statut juridique accordé à des entreprises exportatrices répondant aux mêmes exigences que dans les zones franches mais qui sont libres de s’implanter où elles le souhaitent.

« Les « zones économiques spéciales » (ZES) constituent une troisième modalité d’implantation possible. Apparues en Chine en 1978, celles-ci se définissent comme de très vastes territoires pouvant atteindre plusieurs centaines de km2 – voire plusieurs milliers lorsqu’elles se calquent dans certains cas sur des régions administratives entières – au sein desquels les entreprises agréées peuvent s’implanter librement, soit dans des zones industrielles et des parcs d’activités, soit sous la forme de points francs. Les ZES englobent dans tous les cas de figure des villes (en totalité ou en partie), des zones d’activité en plus ou moins grand nombre, des espaces ruraux (réserves foncières), des infrastructures de transport, etc. Les ZES sont très caractéristiques des pays souhaitant encadrer étroitement l’essor de leurs activités, ainsi que l’implantation des firmes étrangères (Chine, Inde, Iran, Jordanie, Lettonie, Philippines, Pologne, Russie, Ukraine). » (Bost, 2007) Les ZFE revêtent diverses appellations selon les pays. L’appellation «zone franche d’exportation» est utilisée ici comme terme générique pour décrire des espaces offrants aux entreprises, souvent étrangères, des conditions avantageuses. Selon Singa (2007, p. 24) il existe 32 dénominations différentes à travers le monde, chacune d’entre elles traduisant de légères différences dans les concessions, subventions et réglementations accordées. Toutes n’étant pas forcément dans les pays du sud. Ainsi, on évoquera les :

- Free zones: Irlande, Trinidad et Tobago, Turquie, Emirats Arabes Unis, Uruguay, Venezuela.

- Maquiladoras/maquiladora: Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama.

- Special economic zones ou zones économiques spéciales : Chine - Industrial free zones: Colombie, Ghana, Madagascar, Syrie et Jordanie. - Free trade zones: Bulgarie, Chili - Export free zones: Jamaïque - Free trade and industrial zones: Iran - Special export processing zones: Philippines - Export processing free zones: Togo - Tax free factories: Fidji - Free zones and special processing zones: Perou

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- Free economic zones: Russie - Industrial estates: Thailande - Points francs: Cameroun

Les zones franches d’exportation ont été en partie impulsées par organismes internationaux

FMI, Banque mondiale, OCDE, Union Européenne (UE) au début des années 1980, etc. Jusqu'en 1980, les gouvernements des pays en voie de développement (PVD) ont assuré un développement de l'économie nationale basé sur un modèle de substitution aux importations, une protection des industries nationales par des barrières douanières élevées et un contrôle des investissements étrangers. Ce modèle autonome de développement a perduré grâce au consensus créé par une certaine redistribution interne de la richesse et une croissance faible mais continue. L'impossibilité de rembourser la dette au début des années 80, a placé certains pays sous l'autorité des institutions financières internationales. Ces dernières conseillent aux pays du sud en difficultés de faciliter les investissements privés étrangers. Les mesures de libéralisation, privatisation et déréglementation préconisées (consensus de Washington7

Les ambitions associées à la réalisation de ces fenêtres ouvertes sur le monde sont louables. Il s’agit de :

) ont pour effet de favoriser la mise en place de zones franches d’exportation. Créé en 1985, le FIAS (Foreign Investment Advisory Service) est une commission de la Banque Mondiale au service des PVD. En partenariat avec les dirigeants des grandes entreprises, le FIAS a conseillé 117 pays sur les moyens d'attirer les capitaux étrangers grâce à la mise en œuvre des zones franches et diverses incitations financières.

- Créer des emplois - Renforcer la balance commerciale par un apport de devises et une augmentation des

exportations - Contribuer à une plus grande intégration inter-industrielle (pays développé - pays en

développement) et élever la compétitivité internationale de l'industrie nationale. - Elever la compétence des travailleurs et impulser le développement et le transfert de

technologies - Enclencher un processus de développement industriel.

7 « L’expression « consensus de Washington » est due à J. Williamson (1991). Ce dernier recense dix mesures

que doivent mettre en œuvre les PED pour assurer leur développement économique. 1. la discipline budgétaire. Les déficits budgétaires engendrent inflation et fuite des capitaux ; 2. la réforme fiscale. Le système fiscal doit tendre à avoir l’assiette la plus large et des taux marginaux de prélèvement modérés ; 3. la politique monétaire doit conduire à des taux d’intérêt positifs et rémunérateurs en termes réels. Les taux doivent être réglementés pour décourager la fuite des capitaux et stimuler l’épargne ; 4. le taux de change doit être flexible, compétitif et favoriser l’accumulation d’excédents commerciaux ; 5. la politique commerciale. Ouverture et libéralisation des importations. Les restrictions quantitatives doivent être éliminées et les droits de douane modérés ; 6. l’investissement direct étranger ne doit subir aucune entrave à l’entrée (politique d’attractivité) ; 7. la privatisation ; 8. la dérégulation : levée des différentes réglementations sur l’investissement, les prix, le crédit... et suppression des rentes de situations ou institutionnelles ; 9. la suppression des subventions publiques aux activités productives au profit des seules activités sociales et éducatives ; 10. la promotion des droits de propriété. » Extrait de Mehdi Abbas « La CNUCED XI : du consensus de Washington au consensus de Sao Paulo ? » (PDF), Chronique n°21, Observatoire des Amériques, juillet 2004.

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Les mesures mises en œuvre pour attirer les entreprises internationales exportatrices sont de diverses natures. Parmi les avantages spécifiques généralement accordés dans les ZFE, l’on trouve:

A. l’exonération, totale ou partielle, des taxes à l’exportation; B. l’exonération, totale ou partielle, des droits de douane sur les importations de matières

premières ou de biens intermédiaires; C. des exonérations d’impôts directs tels que les impôts sur les bénéfices ou les taxes

communales et foncières; D. des exonérations de taxes indirectes sur les produits achetés sur le marché intérieur,

comme la TVA; des exemptions en matière de contrôles des changes; E. la possibilité, pour les entreprises étrangères, de rapatrier leurs bénéfices; F. la mise à disposition de services administratifs simplifiés facilitant les activités

d’import-export; G. la mise à disposition d’infrastructures pour la production, les transports et la

logistique. Dans la quasi-totalité des cas, les pays d'accueil prennent en charge les coûts d’infrastructures : routes, installations portuaires, construction des locaux. Ils offrent parfois téléphone, eau, énergie etc. à bas prix ou gratuits les premières années.

Le souci c’est que d’autres modalités sont parfois mises en place pour inciter les entreprises à investir et à exporter. Il peut s’agir d’un cadre réglementaire assoupli, y compris en matière de respect des droits et des normes du travail (en particulier le droit de former des syndicats).

Une autre caractéristique (bien que l’on ne la retrouve pas simultanément dans l’ensemble des pays) est une monnaie sous-évaluée, qui a pour effet de diminuer les coûts (en termes de devises étrangères) et d’améliorer la compétitivité des entreprises exportatrices.

De façon plus synthétique, les ZFE offrent aux entreprises internationales des conditions d’accueil attractives reposant tout ou partie sur les 3D : déréglementation, défiscalisation et débureaucratisation.

Aujourd’hui, les ZFE ne sont plus uniquement destinées à l’industrie. Certaines sont passées de la production et du montage de produits aux services. Ainsi, en Inde et dans les Caraïbes, certaines ZFE accordent des exemptions tarifaires sur les technologies de l’information nécessaires à la fourniture de services. A Dubaï, en Turquie et dans les îles Caïman, les zones de services financiers accordent des allègements fiscaux et garantissent aux sociétés financières le libre rapatriement de leurs bénéfices.

3.2.2.2 Pour ou contre les zones franches d’exportation?

Le nombre de ZFE a beaucoup augmenté ces cinq dernières années, tant du point de vue du nombre de pays qui en offrent que de leur taille et du domaine d’activité des entreprises ou des industries qu’elles englobent. Cet essor des ZFE s’est produit malgré l’opposition économique et politique croissante qu’elles ont suscitée au niveau mondial. Le BIT, qui suit de près depuis plus de trente ans les conditions de travail dans ces zones, reste préoccupé par le manque de «travail décent» qui y est parfois créé.

La Banque mondiale et certains économistes ont depuis plusieurs années émis des doutes à propos des ZFE, en raison des distorsions qu’elles induisent; ils craignent en effet que, tout en faisant office de soupapes de sécurité permettant d’engendrer quelques emplois et des

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exportations, elles ne diffèrent la libéralisation de l’ensemble de l’économie. L’Accord de l’OMC relatif aux subventions et aux mesures compensatoires indique aux pays en développement la marche à suivre pour éliminer le type de subventions aux exportations caractéristiques des ZFE (bien que l’OMC ait encore récemment consenti à proroger jusqu’à 2015 l’exemption de l’interdiction du recours aux subventions à l’exportation accordée à 19 pays en développement). Quant aux accords commerciaux régionaux (ACR), ils se sont multipliés, mais certains excluent la production des ZFE de leur champ d’application.

En dépit de cette hostilité croissante aux ZFE, tant au plan économique que politique, les gouvernements des pays en développement continuent de les promouvoir. Pourquoi? Parce que la plupart d’entre eux adoptent une stratégie d’industrialisation tirée par les exportations pour assurer le développement de leur pays et parce qu’ils continuent de considérer que l’investissement étranger direct est un élément crucial de leur intégration dans l’économie mondiale, par le biais des chaînes de valeur mondiales. Selon Aggarwal (Aggarwal, 2005, p. 4), «l’adoption par les pays en développement de stratégies de croissance tirée par les exportations a entraîné une augmentation considérable du nombre des ZFE à travers le monde». Ainsi, les ZFE augurent toujours :

• l’accès aux marchés mondiaux, • l’augmentation de la production industrielle • et l’élévation des normes de production au niveau mondial (que les entreprises

nationales ne peuvent pas atteindre)

Par ailleurs, et c’est peut-être le facteur politique le plus important, les gouvernements des pays en développement considèrent la création d’emplois dans les ZFE comme étant essentielle pour absorber l’excédent de main-d’œuvre.

De leur côté, les grands groupes qui contrôlent les filières de production mondiales continuent d’investir et de produire dans les ZFE où les entreprises bénéficient de conditions préférentielles en matière de commerce et de coûts de production, d’une réglementation libérale sur le rapatriement des bénéfices et de normes du travail relativement souples qui permettent un meilleur contrôle du processus de production.

La controverse sur les coûts et bénéfices des zones franches d’exportation dans les pays en développement existe quasiment depuis leur création, à la fin des années cinquante. L’objectif ultime des ZFE doit être l’élévation du niveau de vie de la population et d’accroître le niveau de développement économique.

3.2.2.3 Evolution récente des Zones franches d’exportation8

D’après Singa (2007), le nombre de pays qui utilisent des ZFE est passé de 116 en 2002 (voir tableau 1) à 130 en 2006, alors qu’il était de 25 en 1975. Ces 130 pays gèrent 3 500 ZFE qui emploient 66 millions de personnes. La Chine est, de loin, le principal pays dans lequel l’activité des ZFE s’est développée. A l’heure actuelle, on estime que 40 millions de personnes travaillent dans les ZFE, ou dans des zones d’activités similaires, ce qui représente une augmentation de 10 millions par rapport à 2002.

8 Source : Amengual, M; Milberg, W, 2008, Développement économique et conditions de travail dans les zones franches d’exportation: un examen des tendances, Bureau international du Travail – Genève: BIT, 82 p.

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La Chine n’est toutefois pas le seul pays à avoir connu une telle expansion. En dehors de la Chine, le nombre d’emplois dans les ZFE a doublé entre 2002 et 2006, passant de 13 à 26 millions. En 2006, les ZFE étaient assez largement représentées du point de vue de l’emploi dans toutes les régions du monde à l’exception de l’Amérique du Sud. L’utilisation des ZFE en Asie de l’est, en Amérique centrale et dans les Caraïbes est omniprésente. Plus de 90 ZFE opèrent aujourd’hui en Afrique subsaharienne et dans les économies de transition d’Europe centrale et de l’Est, ainsi qu’au Gabon, au Ghana, au Kenya, au Lesotho, au Mali, au Mozambique, au Nigéria, au Zimbabwe, en République tchèque et en Lituanie (BIT, 2007), où ces zones sont en grande partie à l’origine des exportations nationales. Le tableau 2 indique les niveaux d’emploi dans les ZFE par région en 2002 et 2006. La Chine compte 40 millions d’emplois et la hausse de l’emploi chinois dans les ZFE depuis 2002 représente près de la moitié des emplois créés dans les ZFE à l’échelle mondiale au cours de cette période.

On constate une augmentation de 33% de l’emploi dans les ZFE en Chine, ainsi qu’une

augmentation significative de l’emploi en Afrique subsaharienne, et ce dans des proportions plus importantes encore qu’en Chine. Alors que l’activité des ZFE en Afrique subsaharienne était principalement concentrée jusque-là au Kenya, à Madagascar, à Maurice et en Afrique du Sud, elle est maintenant bien plus dispersée. On note également une augmentation substantielle de l’activité des ZFE en Asie du sud et en Europe centrale et de l’Est, y compris en Fédération de Russie. Il convient également de relever que dans le cadre du programme de maquiladoras au Mexique, l’emploi a stagné ces dernières années et que l’Amérique du Sud continue d’être moins axée sur l’activité des ZFE que la plupart des autres régions du monde.

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Malgré cette augmentation de l’activité des ZFE au cours des cinq dernières années, celles-ci ne représentent encore qu’une part relativement minime de la population dans la plupart des pays. Le tableau 3 rend compte de «la densité des ZFE», définie comme l’emploi dans les ZFE en tant que fraction de l’emploi national en 2002. Compte tenu de données disponibles limitées, la densité des ZFE n’est disponible que pour 30 pays.

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3.2.2.4 Quels liens avec l’économie nationale ?

Il est admis depuis des décennies que, pour favoriser un développement économique durable, les ZFE doivent être liées au reste de l’économie des territoires. L’intensité des liens entre les ZFE et le reste de l’économie nationale joue un rôle essentiel pour déterminer si, et dans quelle mesure, le pays hôte retire un profit réel de l’ouverture de ZFE.

Mais le problème est qu’en raison de leur nature même les ZFE ont toujours résisté à de tels liens.

• D’une part, elles ont généralement été créées précisément dans le but d’attirer des entreprises étrangères, les entreprises nationales n’étant pas compétitives au plan international et s’avérant incapables de générer des devises. Par conséquent, la capacité des entreprises nationales de fournir des entrants à bas prix et de haute qualité pour la production dans les ZFE est généralement inférieure dès le départ.

• Deuxièmement, les ZFE se caractérisent en général par l’autorisation d’importer sans payer de taxe, possibilité que les entreprises implantées en dehors des ZFE n’ont pas. Les entreprises nationales sont donc d’emblée désavantagées du point de vue du coût des intrants. Selon Madani (1999, p. 28) «l’absence de droits de douane sur les entrants pour les entreprises des ZFE fait office de subvention à l’exportation et ne favorise pas la création de liens en amont». A ce facteur, s’ajoute le fait que les ZFE comptent de nombreuses entreprises étrangères qui ont des relations solides avec les producteurs étrangers d’intrants. Il n’est dès lors pas étonnant que la plupart des études menées à partir des années quatre-vingt-dix ne mettent en évidence qu’un nombre limité d’éléments attestant la création de liens en amont ou en aval.

Il est pourtant clair que l’une des clés du développement économique des pays qui mettent en place des ZFE est la création de ces liens en amont, synonymes à terme de retombées technologiques. Examinons les cas de la Corée du Sud et de la République dominicaine, pays qui ont créé des ZFE il y a plus de trente ans. La République de Corée a été capable de se moderniser, d’accroître le niveau d’éducation et de compétence, et a jeté les bases d’une industrie diversifiée en dehors de ses ZFE. En revanche, en République dominicaine, les ZFE ont généré très peu de liens en amont même si elles ont eu des effets positifs en termes d’exportations. Une telle comparaison indique que ce sont probablement les institutions et les activités en dehors des ZFE qui permettent de faire la différence.

La recherche sur les ZFE et le développement économique met en évidence que ces liens sont plus étroits dans certaines conditions, à savoir:

1) lorsque l’activité des ZFE est axée sur des secteurs exigeant une plus haute technologie, comme l’électronique, plutôt que sur des secteurs pauvres en technologie comme l’habillement. Cette observation découle de l’expérience des ZFE d’Asie de l’est où un certain nombre de pays ont utilisé la production électronique dans les ZFE pour développer peu à peu les exportations et établir des liens avec l’économie nationale;

2) lorsque le marché intérieur est plus important. La taille ne signifie pas uniquement l’existence d’un marché national mais également la capacité de développer une production à grande échelle et des infrastructures importantes;

3) lorsque le degré initial de développement industriel de l’économie est plus élevé;

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4) lorsque l’Etat est plus interventionniste et axé sur le développement économique du territoire douanier situé à l’extérieur des ZFE. Ce fait émerge non seulement lorsque l’on examine les nouveaux pays industrialisés (NPI) de l’Est asiatique mais aussi la République dominicaine, le Costa Rica et Maurice. Dans chaque cas, y compris lorsque l’économie est étroitement dépendante des ZFE, l’Etat avait activement mis en œuvre une politique industrielle impliquant une gestion minutieuse des ZFE et le développement progressif de la capacité d’absorption nationale. Ainsi, Baissac (2003) insiste non seulement sur l’importance de la gestion de l’économie nationale lorsqu’il étudie Maurice, mais également sur l’attention accordée à la gestion des ZFE elles-mêmes. L’Etat mauricien a su gérer efficacement les coûts dans les ZFE et encourager la propriété locale des entreprises, ce qui a permis une meilleure intégration de l’économie des ZFE dans l’économie nationale. Ainsi, plus ces éléments sont présents, plus les perspectives de retombées et de liens en amont sont importantes.

Il existe bien entendu une caractéristique commune à ces éléments de réussite des ZFE: c’est que celle-ci ne dépend pas du nombre des ZFE ni de leur taille, mais du niveau de capacité de l’Etat, de l’esprit d’entreprise qui règne dans le pays, des succès en termes d’éducation et enfin, de la capacité d’absorption en dehors des ZFE. Ainsi, expliquer pourquoi certains pays ont réussi en matière de ZFE là ou d’autres ont échoué suppose d’analyser, dans une certaine mesure, les conditions en dehors des ZFE elles-mêmes.

3.2.2.5 Etude des conditions de travail dans les ZFE : quelques exemples

Parmi les nombreuses critiques adressées au ZFE, l’une des plus importantes concerne les conditions de travail. L’OIT a analysé ce facteur dans les ZFE de plusieurs pays. La méthode, utilisée par l’OIT a consisté à comparer les éléments observés au sein des ZFE avec un «groupe témoin» , constitué de personnes employées dans l’économie générale du pays. C’est important car les conditions de travail dans les ZFE ont été et restent encore beaucoup décriées. Néanmoins, la comparaison avec les conditions de travail en dehors des ZFE permet souvent de relativiser : la situation des travailleurs est parfois plus favorable au sein des ZFE qu’en dehors des ZFE. Nous reprenons ici quelques exemples.

Bangladesh

1. L’emploi dans les ZFE bangladaises s’est sensiblement développé ces quatre dernières années, passant de 121 000 à 188 000 travailleurs .

2. L’emploi des ZFE est dominé par l’industrie du vêtement qui, en 2001, représentait 68%de toutes les exportations du Bangladesh .

3. La grande majorité des travailleurs employés dans l’industrie bangladaise du vêtement sont des femmes.

4. L’inspection du travail manque d’effectifs, avec 113 inspecteurs du travail pour couvrir la totalité des travailleurs bangladais (dans les ZFE et au dehors).

5. Les problèmes couramment constatés dans l’industrie du vêtement au Bangladesh sont la méconnaissance de leurs droits par les travailleurs, le volume d’heures de travail, les heures supplémentaires obligatoires, la discrimination fondée sur le sexe dans les salaires, l’insécurité de l’emploi, l’absence de services de garde d’enfants et de congé-

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maternité, de faibles niveaux de santé et de sécurité, le surpeuplement sur le lieu de travail et de mauvaises conditions de travail.

Une enquête de 2001 portant sur plus de 1 300 ouvrières de Dhaka et de ses environs offre une vue précise des différences entre les conditions de travail et les salaires dans les ZFE et au dehors . L’enquête révèle d’importantes différences entre les travailleuses des ZFE et celles de Dhaka du point de vue de leur statut socio-économique, du salaire, du temps de travail, de la formalisation de l’emploi, des conditions de travail générales.

Selon l’enquête, les travailleurs des ZFE bangladaises sont généralement jeunes, célibataires et ont relativement moins d’enfants que les groupes semblables. A Dhaka, les travailleurs des ZFE proviennent en moyenne de milieux socio-économiques plus élevés que les autres travailleurs du secteur du vêtement à Dhaka. Ils sont généralement plus instruits et sont issus de familles ayant un meilleur niveau d’éducation. En outre, les travailleurs des ZFE perçoivent, en moyenne, des salaires plus élevés. Les travailleurs du secteur du vêtement des ZFE ont déclaré des salaires mensuels moyens équivalant à 4,14 fois le seuil de pauvreté fixé par le Gouvernement, ils sont beaucoup plus élevés qu’en dehors des ZFE. Les travailleurs de Dhaka ont déclaré des salaires équivalant à 2,35 le seuil de pauvreté. Du point de vue de l’allègement de la pauvreté, l’étude a constaté que les travailleurs des ZFE étaient plus à même de faire des économies que les autres travailleurs. Les travailleurs des ZFE disent également bénéficier de conditions de travail plus formelles et de plus d’avantages que dans chacun des trois groupes étudiés. En outre, les travailleurs des ZFE déclarent bénéficier d’avantages plus importants que ceux dont bénéficient les autres travailleurs. Par exemple, 76% des travailleurs des ZFE contre 37% des travailleurs du secteur du vêtement de Dhaka bénéficient de congés payés; 91% des travailleurs des ZFE contre 63% de ceux employés dans le secteur du vêtement de Dhaka bénéficient d’une couverture médicale.... Les résultats sont semblables pour ce qui est du congé maternité, de services de garde d’enfants et d’aide à l’enfance et des services de transport. En outre, les travailleurs des ZFE sont mieux à même de savoir de quelle manière les heures supplémentaires sont calculées et de gagner des salaires de façon régulière que les autres groupes. Pour finir, beaucoup moins des travailleurs des ZFE déclarent travailler plus de dix heures par jour par rapport aux autres travailleurs du secteur vêtement à Dhaka.

Pour tempérer les conditions généralement meilleures déclarées par les travailleurs des ZFE, l’enquête montre avant tout le peu de traces d’une présence syndicale. Par ailleurs, les travailleurs déclarent ne pas savoir grand chose au sujet des lois du travail (bien que les travailleurs du secteur du vêtement des ZFE soient plus nombreux à déclarer avoir entendu parler de ces lois que les autres travailleurs salariés).

Honduras

• Les ZFE se sont considérablement développées au Honduras au cours des années quatre-vingt-dix, principalement dans le secteur de l’habillement.

• Parallèlement à cette croissance, le malaise ouvrier a grandi et une série de campagnes internationales, dirigées contre certaines usines qui avaient supprimé les syndicats, ont été menées.

• L’emploi industriel s’est maintenu fermement pendant les quatre dernières années, avec 130 000 emplois directs environ.

Cette analyse s’appuie sur une comparaison entre les travailleurs des ZFE et ceux qui travaillent en dehors des ZFE et qui cherchent un emploi dans les ZFE. Les chercheurs ont

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examiné un échantillon aléatoire de 270 travailleurs qui étaient couramment employés dans les ZFE ainsi qu’un échantillon de 149 candidats à un premier emploi.

Grâce à une série d’indicateurs, l’étude montre que de manière générale, les différences entre la qualité de vie des travailleurs employés dans les ZFE et celle des candidats à un emploi ne sont pas flagrantes. Selon trois indicateurs, les travailleurs des ZFE étaient clairement mieux lotis que les demandeurs d’emploi.

• Tout d’abord, l’étude a constaté que les travailleurs des ZFE percevaient un salaire supérieur de 50% à celui des postulants à un emploi. Par ailleurs, ils ont constaté que les travailleurs plus expérimentés gagnaient plus que les autres, signe d’avancements possibles dans les ZFE. Cependant, l’étude a constaté que les femmes gagnaient moins que les hommes dans les ZFE et globalement, que les salaires des travailleurs des ZFE n’étaient pas suffisants pour leur permettre de sortir de la pauvreté.

• En second lieu, l’étude a constaté que les femmes employées dans les ZFE étaient plus à même de déclarer avoir de meilleurs rapports avec les autres membres de leur foyer et à être chef de famille. D’ailleurs, les employés des ZFE estimaient plus volontiers que les hommes doivent contribuer aux travaux du ménage que les demandeurs d’emploi.

• Troisièmement, les employés des ZFE étaient plus susceptibles de voter et estimaient qu’ils étaient à même d’influencer les autorités.

Néanmoins, selon d’autres indicateurs, il apparaît que les travailleurs des ZFE sont plus mal lotis que les demandeurs d’emploi.

• Ainsi, les travailleurs ont davantage de problèmes de santé.

• En second lieu, un nombre inférieur de travailleurs des ZFE est employé dans des entreprises dotées d’une présence syndicale (8,5 pour cent pour les employés contre 11,3 pour cent pour les demandeurs). Ce constat est amplifié par le fait que nombre de demandeurs sont employés en tant que travailleurs domestiques ou dans la restauration, domaines pourtant peu susceptibles d’être syndiqués.

• Troisièmement, les travailleurs des ZFE déclarent avoir moins de temps libre que les candidats à un premier emploi.

S’agissant des autres indicateurs utilisés dans cette étude, on a constaté aucune différence significative entre les travailleurs des ZFE et les demandeurs.

• Premièrement, il n’y a pas de différence entre le pourcentage des travailleurs et celui demandeurs déclarant avoir effectué des heures supplémentaires.

• Deuxièmement, les travailleurs des ZFE et les demandeurs font état d’un niveau de stress équivalent.

• Troisièmement, les travailleurs des ZFE et les demandeurs ont les mêmes niveaux

• d’éducation et les mêmes chances d’emploi.

• Quatrièmement, les travailleurs des ZFE ne semblent pas représenter un risque de criminalité plus grand que celui des demandeurs.

En dépit de la méthode innovante consistant à comparer les demandeurs aux employés, une des difficultés notables à laquelle l’enquête s’est heurtée tient au fait que les travailleurs ont été consultés sur leur lieu de travail. La direction n’était certes pas présente lorsque

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l’enquête a été réalisée, mais il n’en reste pas moins que la nature des réponses données par les travailleurs a pu être affectée par les conditions dans lesquelles ces entretiens se sont déroulés. Sri Lanka

• L’emploi dans les ZFE sri-lankaises a considérablement progressé au cours des cinq dernières années, passant de 111 000 à 410 000 travailleurs.

• Comme dans de nombreux autres pays, cette croissance a surtout concerné le secteur de l’habillement.

• Parmi les problèmes communs à l’emploi dans les ZFE, on trouve notamment : des heures supplémentaires excessives et obligatoires, la suppression des syndicats, l’absence de sécurité sociale, la monotonie du travail dans des usines mal aérées et le surpeuplement dans le logement des travailleurs.

Une enquête de 2001 sur 370 femmes et 75 hommes, jette les bases de l’analyse des conditions de travail dans les ZFE sri-lankaises. Sur quelques points, les conditions de travail dans les ZFE sont aussi bonnes, voire meilleures, que celles des travailleurs employés en dehors des ZFE. Par exemple, les salaires déclarés par les travailleurs des ZFE correspondent aux minima légaux ou les dépassent. En outre, on a également donné aux travailleurs, de manière générale, des avantages et des indemnités pour les heures supplémentaires légalement exigées. A Sri Lanka, contrairement à la situation qui prévaut dans d’autres pays, l’écrasante majorité des travailleurs ne bénéficie pas de contrats et pensent pouvoir être licenciés en l’absence de notification en bonne et due forme. L’emploi est instable dans les ZFE, avec plus de 70% de travailleurs employés pendant moins de cinq ans sur leur lieu de travail. L’enquête révèle que, de manière générale, il n’y a pas de contrats de travail, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur des ZFE. En outre, on constate que «la majorité des travailleurs employés dans des entreprises implantées dans les ZFE et, dans une moindre mesure, dans des entreprises rurales, se plaignent de l’exposition à des risques sanitaires professionnels comme la pollution à la poussière, le fait de rester debout sans interruption pendant de nombreuses heures, et les blessures aux mains; et beaucoup se plaignent de l’absence de protection et d’indemnisation». Comme les autres études-pays présentées ci-dessus, l’étude menée à Sri Lanka a révélé qu’un grand nombre d’heures supplémentaires étaient effectuées en violation de la législation du travail. En outre, les chercheurs n’ont établi l’existence d’aucun syndicat opérationnel dans les ZFE (mais seulement des organisations fondées par les employeurs). Costa Rica

• Depuis la promulgation de la loi sur les ZFE au début des années quatre-vingt, les ZFE du Costa Rica ont connu une expansion rapide.

• Les ZFE du Costa Rica étaient dominées par des opérations nécessitant une importante main-d’œuvre dans l’industrie du textile et du vêtement, mais la position du textile s’est progressivement affaiblie par rapport à celle d’autres secteurs. Le deuxième plus grand secteur était l’industrie électrique/électronique, suivi des produits tels que les chaussures/le cuir et les machines/produits métalliques.

Une enquête sur les entreprises exportatrices menée en 2001 offre un aperçu des conditions de travail et de l’emploi dans les ZFE. Un total de 1 753 sociétés a été examiné et 1 173 réponses valides ont été reçues, dont 69 provenaient d’entreprises des ZFE. En termes de répartition par sexe, environ 52,3% des travailleurs des ZFE sont des hommes. Bien que les ZFE d’autres pays disposent d’une plus grande part de travailleurs femmes que les ZFE costariciennes, lorsque la proportion des travailleurs de sexe masculin des ZFE est

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comparée à celle des entreprises exportatrices situées en dehors des ZFE, les ZFE nationales ont une proportion plus élevée de travailleuses femmes. Les entreprises des ZFE tendent également à engager de jeunes travailleurs, souvent peu diplômés. Toutefois, le niveau d’éducation des travailleurs des ZFE est comparable à celui des autres entreprises exportatrices du pays. Pour ce qui est des salaires, la majorité des entreprises des ZFE ont répondu lors de l’enquête qu’elles payaient des salaires plus élevés que le salaire moyen déclaré dans l’économie locale costaricienne. Ces salaires sont plus élevés que les salaires des entreprises exportatrices situées en dehors des ZFE. L’étude constate que les conditions de travail dans les ZFE costariciennes tendent à être au moins aussi bonnes, et généralement meilleures, que dans d’autres entreprises analogues du reste de l’économie. L’enquête a constaté que les lieux de travail des entreprises des ZFE sont propres et bien aérés, que les travailleurs ont accès à des soins médicaux, bénéficient de repas subventionnés et de transports. Cependant, cette étude ne fournit pas une évaluation générale des conditions de travail dans les ZFE. Il apparait donc que les conditions de travail dans les ZFE varient énormément d’un pays à l’autre. Dans de nombreux pays, les conditions de travail en ZFE restent abusives. Néanmoins, la comparaison de ces conditions de travail avec celles qui sont observées dans le reste du pays montre que, bien souvent, il ne s’agit pas d’une condition spécifique au ZFE. Par ailleurs, on constate que les pressions internationales sur les Etats et sur les multinationales ont fait évoluer favorablement la législation en matière de droit du travail au sein de ces enclaves..

Conclusion L’impact des ZFE sur l’emploi et les exportations des PED est souvent loin d’être

négligeable, même s’il est exagéré de considérer ces dispositifs comme la panacée en matière de développement. Cependant, les retombées économiques et les interactions spatiales avec le reste du pays sont très variables selon les pays. Les cas les moins convaincants d’insertion de zones franches au sein des économies locales sont surtout présents dans les pays les moins avancés, tandis que dans les pays émergents ou certains pays dits intermédiaires les zones franches sont parvenues à nouer des relations très diversifiées avec leur milieu d’accueil, devenant alors de véritables leviers du développement. Dans ces pays, contrairement aux idées reçues, de véritables filières industrielles se sont constituées à partir des zones franches et ces dernières ont été utilisées comme outil de développement transitoire par nombre d’Etats.

Pour conclure, il est important de préciser que le concept de zone franche n’est pas réservé aux pays en développement. Si on considère les zones franches comme des enclaves qui offrent des avantages spécifiques par rapport au reste du territoire, alors les Etats-Unis sont à ranger parmi les états ayant le plus de zones franches. En France, des zones franches urbaines ont été créées pour favoriser le développement d’espaces urbains confrontés à d’importantes difficultés économiques.