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Dimanche 13 - Lundi 14 décembre 2015 - 71 e année - N o 22055 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA O ù en est la campagne de bombardements fran- çais contre l’organisa- tion Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie ? Le rythme, accéléré, des raids aériens au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis a pu laisser croire que les djihadistes de l’EI auraient du mal à résister long- temps. Après tout, les raids étaient conduits par une coali- tion menée par les Etats-Unis et appuyée, sans réelle coordina- tion, par la Russie. En fait, la campagne se pour- suit à un rythme de basse inten- sité – faute de cibles, faute de troupes au sol et du fait d’une volonté d’éviter les « dommages collatéraux » dans la population civile. Les militaires réclament du temps et de la patience, avec de bons arguments. p LIRE PAGE 8, PAGE 10, DÉBATS LE POINT DE VUE DE TZVETAN TODOROV : « NE DÉSHUMANISONS PAS L’ENNEMI » P. 21 REPORTAGE DANS LA RUHR, EN ALLEMAGNE, RETROUVAILLES AVEC DES COMBATTANTS SYRIENS, AUJOURD’HUI RÉFUGIÉS À BOCHUM. LES TRAUMATISMES DE LA GUERRE ET DE L’EXIL P. 16-17 ENTRETIEN « LE RÉGIME D’ASSAD EST LA MALADIE DE LA RÉGION », SELON YORAM SCHWEITZER P. 19 Le bilan de la campagne aérienne contre les djihadistes LA GUERRE EN SYRIE Elections régionales : les ressorts d’un second tour inédit Le taux de participation et le report des voix de gauche devaient être deux des clés d’un scrutin parti- culièrement indécis, dimanche 13 décembre Face-à-face entre les Républicains et le FN dans deux régions métropolitai- nes, triangulaires dans dix autres : les inconnues sont multiples Critiqué sur sa capacité à contrer le FN, Nicolas Sarkozy a promis d’ouvrir un débat sur la ligne politi- que de son parti, avec les primaires en ligne de mire Avant l’élection, le chef de l’Etat n’envisageait pas de remaniement ministériel LIRE PAGES 2 À 4, L’ENQUÊTE SUR PATRICK BUISSON P. 20 LA CHRONIQUE DE SYLVIE KAUFFMANN P. 32 EMPLOI CE QUE PROPOSE LE PATRONAT SUR LE TRAVAIL DU DIMANCHE LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 4 LES PIÈGES DU PÉTROLE PAS CHER LIRE PAGE 32 INTERNET DES HÉBERGEURS AMÉRICAINS ACCUSÉS DE COMPLAISANCE ENVERS L’EI LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 7 COP21 : le risque d’un compromis tiède sur le climat Le Bourget, samedi, 8 h 58 : Laurent Fabius relit la dernière mouture du texte d’accord. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE » Après treize jours de négociations, un texte a été soumis, samedi 12 décembre, pour approbation aux 195 Etats LIRE PAGE 6 Cet art fascinait déjà André Breton et les surréalistes. Sculptures, bijoux, masques : 230 pièces provenant de Papouasie-Nouvelle- Guinée sont exposées jusqu’au 31 janvier au Musée du quai Branly. Elles proviennent de la vallée du Sepik, où les habitants prati- quent un entre-deux, oscillant entre réel et imaginaire, entre terre et cieux. LIRE PAGE 23 L’art papou au Quai Branly Une randonnée dans l’imaginaire « Sepik » Figurine Sepik. MUSÉE DU QUAI BRANLY, PHOTO THIERRY OLLIVIER, MICHEL URTADO C’est un revers pour Manuel Valls. Le Conseil d’Etat a de- mandé au Conseil constitution- nel, vendredi 11 décembre, de se prononcer sur le régime des assi- gnations à résidence dans le ca- dre de l’état d’urgence. Et, s’il a validé sept de ces assignations, décidées contre des militants écologistes, sur fond de COP21, grâce au cadre très large défini par le gouvernement, le Conseil d’Etat a demandé aux tribunaux administratifs d’exercer un con- trôle plus étroit sur ces mesures. Le premier ministre avait expli- qué, le 20 novembre, devant le Sénat, lors du vote de la loi proro- geant l’état d’urgence, que le gou- vernement ne saisirait pas le Conseil constitutionnel, car « il est toujours risqué de [le] saisir ». M. Valls affirmait vouloir « aller vite », même s’il reconnaissait « la fragilité constitutionnelle » de cer- taines dispositions votées par les parlementaires. jean-baptiste jacquin LIRE LA SUITE PAGE 13 L’état d’urgence sera soumis au Conseil constitutionnel SOCIÉTÉ TÉLÉVISIONS QUATRE PAGES astron la première montre gps solaire au monde.

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Page 1: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

Dimanche 13 - Lundi 14 décembre 2015 ­ 71e année ­ No 22055 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

O ù en est la campagne debombardements fran­çais contre l’organisa­

tion Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie ? Le rythme, accéléré, desraids aériens au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint­Denis a pu laisser croire que les djihadistes de l’EI auraient du mal à résister long­temps. Après tout, les raids étaient conduits par une coali­tion menée par les Etats­Unis et appuyée, sans réelle coordina­tion, par la Russie.

En fait, la campagne se pour­suit à un rythme de basse inten­sité – faute de cibles, faute de troupes au sol et du fait d’une volonté d’éviter les « dommages collatéraux » dans la population civile. Les militaires réclament du temps et de la patience, avec de bons arguments. p

→LIRE PAGE 8, PAGE 10,

DÉBATS LE POINT DE VUE DE TZVETAN TODOROV : « NE DÉSHUMANISONS PAS L’ENNEMI » P. 21REPORTAGE DANS LA RUHR, EN ALLEMAGNE, RETROUVAILLESAVEC DES COMBATTANTS SYRIENS, AUJOURD’HUI RÉFUGIÉS À BOCHUM. LES TRAUMATISMES DE LA GUERRE ET DE L’EXIL P. 16-17ENTRETIEN « LE RÉGIME D’ASSAD EST LA MALADIE DE LA RÉGION »,SELON YORAM SCHWEITZER P. 19

Le bilan de la campagneaérienne contre les djihadistes

LA GUERRE EN SYRIE

Elections régionales :les ressorts d’un second tour inédit▶ Le taux de participation et le report des voix de gauche devaient être deux des clés d’un scrutin parti­culièrement indécis, dimanche 13 décembre

▶ Face­à­face entre les Républicains et le FN dans deux régions métropolitai­nes, triangulaires dans dix autres : les inconnues sont multiples

▶ Critiqué sur sa capacité à contrer le FN, Nicolas Sarkozy a promis d’ouvrir un débat sur la ligne politi­que de son parti, avec les primaires en ligne de mire

▶ Avant l’élection, le chef de l’Etat n’envisageait pas de remaniement ministériel

→ LIRE PAGES 2 À 4,

L’ENQUÊTE SUR PATRICK BUISSON P. 20

LA CHRONIQUE DE SYLVIE KAUFFMANN P. 32

EMPLOI

CE QUE PROPOSELE PATRONATSUR LE TRAVAILDU DIMANCHE→LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 4

LES PIÈGESDU PÉTROLEPAS CHER→ LIRE PAGE 32

INTERNET

DES HÉBERGEURS AMÉRICAINS ACCUSÉS DE COMPLAISANCE ENVERS L’EI→LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 7

COP21 : le risque d’un compromis tiède sur le climat

Le Bourget, samedi, 8 h 58 : Laurent Fabius relit la dernière mouture du texte d’accord. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE »

▶ Après treize jours de négociations, un texte a été soumis, samedi 12 décembre, pour approbation aux 195 Etats

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Cet art fascinait déjà André Breton et les surréalistes. Sculptures, bijoux, masques : 230 pièces provenant de Papouasie­Nouvelle­Guinée sont exposées jusqu’au 31 janvier au Musée du quai Branly. Elles proviennent de la vallée du Sepik, où les habitants prati­quent un entre­deux, oscillant entre réel et imaginaire, entre terre et cieux.

→LIRE PAGE 23

L’art papou au Quai Branly▶ Une randonnée dans l’imaginaire « Sepik »

Figurine Sepik. MUSÉE DU QUAI BRANLY, PHOTO THIERRY OLLIVIER, MICHEL URTADO

C’est un revers pour Manuel Valls. Le Conseil d’Etat a de­mandé au Conseil constitution­nel, vendredi 11 décembre, de se prononcer sur le régime des assi­gnations à résidence dans le ca­dre de l’état d’urgence. Et, s’il a validé sept de ces assignations, décidées contre des militants écologistes, sur fond de COP21, grâce au cadre très large défini par le gouvernement, le Conseil d’Etat a demandé aux tribunaux administratifs d’exercer un con­trôle plus étroit sur ces mesures.

Le premier ministre avait expli­qué, le 20 novembre, devant le Sénat, lors du vote de la loi proro­geant l’état d’urgence, que le gou­vernement ne saisirait pas le Conseil constitutionnel, car « il est toujours risqué de [le] saisir ». M. Valls affirmait vouloir « aller vite », même s’il reconnaissait « lafragilité constitutionnelle » de cer­taines dispositions votées par les parlementaires.

jean-baptiste jacquin

→LIRE LA SUITE PAGE 13

L’état d’urgence sera soumisau Conseil constitutionnel

SOCIÉTÉ

TÉLÉVISIONSQUATRE PAGES

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2 | les élections régionales DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS UN

SCRUTIN DE CETTE NATURE, LA GAUCHE

SERA ABSENTEDU SECOND TOUR

DANS DEUX GRANDES RÉGIONS

Un second tour à inconnues multiplesLe Front national, en tête dans six régions au premier tour, pourrait en emporter entre zéro et quatre. L’éventuel rebond de la participation et l’incertitude sur les reportsde voix rendent l’issue du scrutin très incertaine

Le scrutin du second tour des élec­tions, dimanche 13 décembre,nourrit de multiples inconnues.Un résultat incertain qui, com­biné à la possibilité pour le Frontnational de conquérir pour la

première fois une ou plusieurs régions, pourrait avoir pour effet d’inciter les élec-teurs à se déplacer plus massivement qu’aupremier tour.

Un retour vers les urnes ? La participationau premier tour, le 6 décembre, se situait juste en deçà de la moitié des inscrits. Lors des deux précédentes élections régionales, en 2004 et en 2010, l’abstention entre lesdeux tours avait reculé d’un peu moins de 5 points. Le rebond de participation pourrait être plus important cette fois du fait du« choc » provoqué par les résultats du FN aupremier tour. Ces derniers jours, des queuesininterrompues, notamment de jeunes, sesont formées devant les commissariats pour établir des procurations, dont on peut sup-poser qu’elles sont essentiellement motivéespar la volonté de contrer la poussée de l’ex-trême droite.

Lors de l’élection législative partielle dansla 4e circonscription du Doubs, en février,l’abstention avait chuté de près de 10 pointsentre les deux tours, ce qui avait permis aucandidat PS, Frédéric Barbier, de l’emporter au second tour, alors qu’un déficit de près de4 points le séparait de la candidate frontiste, Sophie Montel.

Ce regain de participation avait égalementété observé, à un moindre degré, lors desélections législatives partielles dans la 3e cir-conscription de Lot-et-Garonne, en juin 2013 (+ 6,5 points), ou dans la 2e de l’Oise, en mars 2013 (+ 2,5 points), qui opposaient alors au second tour des candidats de l’UMP et du FN et avaient également permis aux pre-miers de l’emporter. Cependant, dans lesdeux cas, les candidats lepénistes avaientprogressé entre les deux tours de plus de20 points.

Quid des reports de voix ? Pour la premièrefois dans un scrutin de cette nature, la gau-che sera absente du second tour dans deux grandes régions, Nord-Pas-de-Calais-Picar-die et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, après la décision du PS de retirer ses listes. Aux élec-tions départementales de mars, un peu plus de la moitié des électeurs qui avaient voté à gauche au premier tour s’étaient reportés, ausecond, sur le candidat de la droite dans lecas d’un duel droite-FN, près de quatre sur dix ayant choisi de s’abstenir ou de voter blanc ou nul. La droite avait alors gagné 535de ses 538 duels avec le FN.

Tant en Nord-Pas-de-Calais-Picardie qu’enPACA, les responsables politiques de gauche ont appelé à faire barrage à l’extrême droite.Toutefois, si les instituts de sondage évaluent aux deux tiers les électeurs du PS qui se re-porteront sur les listes de droite, cette propor-tion est beaucoup plus faible pour ceux qui sesont portés au premier tour sur les listes éco-logistes ou du Front de gauche. En Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, où le candi-dat socialiste, Jean-Pierre Masseret, a décidé de maintenir sa liste, contre les consignes na-tionales du PS, environ la moitié de ses élec-teurs, selon un sondage réalisé par Elabe, se reporterait sur la liste de droite ; en revanche, il récupérerait deux tiers des électeurs du Front de gauche et un tiers des écologistes.

L’autre question concerne la qualité des re-ports au sein de la gauche, que celle-ci aitréussi à fusionner ses listes entre les deuxtours ou non. Même si elle s’est rassembléeau second tour – à l’exception de la Breta-gne –, les profondes divergences au plan dela politique économique du gouvernementet qui se sont exprimées tout au long de lacampagne risquent de laisser des traces.

L’extrême droite aux portes des régions ?Au premier tour, le Front national est arrivé en tête en Alsace-Champagne-Ardenne-Lor-raine (36,06 %), Bourgogne-Franche-Comté (31,48 %), Centre-Val-de-Loire (30,49 %), Lan-

ouvert en Bourgogne-Franche-Comté, où la liste du FN a devancé celle de la droite de 7,5 points au premier tour et celle du PS de 8,5 points, avec une liste de Debout la France qui a obtenu plus de 5 % et dont une partie desélecteurs pourrait se reporter sur la candidate lepéniste Sophie Montel. Une seule région conquise par le FN serait déjà un coup de ton-nerre, même si elle ne tombe pas dans l’escar-celle d’une des héritières de la dynastie Le Pen.

La gauche peut-elle sauver les meubles ? Al’issue du premier tour et des fusions interve-nues entre les deux tours, la gauche paraît enmesure de l’emporter en Aquitaine-Limou-sin-Poitou-Charentes, Bretagne et Langue-doc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Toutefois, la poussée du FN au détriment de la droite peutaussi lui permettre de rafler la mise in extre-mis en Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Ile-de-France et Normandie. Sur le papier, dans ces quatre régions, le total des voix de gauche dépasse celui de ses rivales mais l’écart reste très serré. La tâche apparaît plus ardue en Auvergne-Rhône-Alpes, quoi-que pas impossible, alors que la droite sem-ble disposer d’une marge suffisante dans lesPays de la Loire, même si le résultat sera plus disputé qu’attendu.

La Corse a la particularité de proposer unequadrangulaire entre les listes de gauche, dedroite, d’extrême droite et nationaliste dont il est difficile de prévoir l’issue. Outre-mer, si le président sortant de la Guyane, RodolpheAlexandre, à la tête d’une coalition de droite etde gauche, paraît assuré de conserver son siège, d’improbables coalitions se sont consti-tuées en Martinique et en Guyane pour faire pièce aux présidents sortants, Serge Letchimy (app. PS) et Didier Robert (LR), qui troublent le jeu, tandis qu’en Guadeloupe Victorin Lurel (PS), devancé au premier tour par Ary Chalus (divers gauche), est en situation délicate. p

patrick roger

guedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (31,83 %),Nord-Pas-de-Calais-Picardie (40,64 %), PACA(40,55 %). Ses espoirs de conquête au secondtour se situent entre zéro et quatre régions. Malgré la confortable avance dont elles dis-posent sur les listes de droite, respective-ment 15 points pour Marine Le Pen dans le Nord et 14 points pour Marion Maréchal-LePen dans le Sud, les deux figures de prouefrontistes ne sont pas assurées de l’emporter au second tour après la décision du PS de « sa-crifier » ses représentants.

La situation semble plus favorable pour Flo-rian Philippot, arrivé avec 10 points d’avance sur la liste de Philippe Richert (LR) en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. Le maintien de la liste de Jean-Pierre Masseret (PS) pourraitlui permettre de conserver une courte marge sur son concurrent de droite. Le jeu reste très

Affiches électorales des candidats du FN et des Républicains pour le second tour des élections régionalesen PACA, à Nice,le 8 décembre.JEAN-PAUL

PELISSIER/REUTERS

au second tour des élections régio-nales, dimanche 13 décembre, ne res-tent en lice que les listes ayant obtenu10 % des suffrages exprimés au pre-mier tour. Toutefois, celles-ci avaient la possibilité de modifier leur compo-sition en incluant des candidats de lis-tes ayant obtenu au moins 5 %, en res-pectant la règle de la parité et de l’al-ternance homme-femme. En Corse,pour l’élection à l’Assemblée territo-riale, les listes ayant obtenu plus de7 % des suffrages pouvaient se main-tenir au second tour.

Les listes comportent autant de can-didats que de postes à pourvoir par ré-gion. Ceux-ci sont répartis en sectionsdépartementales, dont le nombre de candidats est proportionnel au poidsdémographique de chaque départe-ment. La liste qui arrivera en tête ausecond tour se verra attribuer d’office

un quart des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis selon la rè-gle de la plus forte moyenne entre toutes les listes ayant recueilli au moins 5 % des suffrages, incluant la liste qui l’a emporté. Une fois les siè-ges attribués à chaque liste, ils sont ré-partis entre les différentes sections départementales proportionnelle-ment au nombre de voix recueillies par la liste dans chaque département.

Election des exécutifs le 4 janvier

Quand tous les sièges ont été répartis entre toutes les listes, il faut qu’un dé-partement dont la population est infé-rieure à 100 000 habitants ne compte pas moins de deux conseillers régio-naux et qu’un département dont la population dépasse 100 000 habi-tants en compte au moins quatre. Si cen’est pas le cas, un ou plusieurs sièges

de la liste arrivée en tête sont réattri-bués à la ou aux sections départemen-tales déficitaires.

Les présidents et vice-présidents desconseils régionaux seront élus ven-dredi 18 décembre dans les régions dont les frontières sont restées inchan-gées, soit en Bretagne, Centre-Val-de-Loire, Ile-de-France, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi qu’en Corse et dans les régions d’outre-mer. L’élection des exécutifs n’aura lieu que le lundi 4 janvier 2016 dans les régions nouvellement constituées, ef-fectives à partir du 1er janvier : Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Aqui-taine-Limousin-Poitou-Charentes, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Midi-Pyrénées-Lan-guedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Ca-lais-Picardie et Normandie. p

p. rr

Elections régionales, mode d’emploi

1986* 1992* 1998* 2004 2010 2015

77,9

68,6

57,760,8

65,7

46,351,2 49,9

T1 T2 T1 T2 T1

SOURCE : LE MONDE* Tour unique

TAUX DE PARTICIPATION

AUX ÉLECTIONS RÉGIONALES

EN % DES INSCRITS, FRANCE ENTIÈRE

Page 3: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 les élections régionales | 3

La date de la primaire à droite en discussionNicolas Sarkozy a l’intention de réunir un conseil national en février pour débattre de la ligne des Républicains

Pour la droite, une fois lesélections régionales pas­sées, deux sujets ma­jeurs seront sur la table :

la question de la ligne idéologiquedu parti et la date à laquelle sera organisée la primaire pour la pré-sidentielle de 2017.

Au lendemain de la contre-per-formance du premier tour, Alain Juppé et François Fillon ont ré-clamé l’ouverture d’un débat sur la ligne dès le second tour ter-miné. « Il va falloir que nous ouvrions un débat sur la situation actuelle qui fait que, soyons luci-des, nous ne sommes pas audi-bles », a affirmé le maire de Bor-deaux. Pour ce partisan d’un rap-prochement avec le centre, il sera temps de remettre en question la ligne droitière de M. Sarkozy, ju-gée inefficace pour enrayer la dy-namique du FN. De son côté, le dé-puté de Paris a estimé nécessairede « tirer les leçons » du scrutin, afin d’aboutir à la construction d’« un projet précis et très puis-sant ».

Nicolas Sarkozy a annoncé dansun entretien au Figaro, vendredi 11 décembre, qu’il voulait réunir « début février » un conseil natio-nal de son parti pour débattre de la « ligne ». Une manière, pour le président du parti Les Républi-cains (LR), de desserrer l’étau, après avoir été accusé de mener leparti trop à droite. S’il assure quechacun pourra faire valoir ses vues « le plus librement possible »,lui-même a déjà décidé de ne pas changer de stratégie.

« Pas crédible »

L’ancien chef de l’Etat entend con-tinuer à se rapprocher le plus pos-sible du discours de l’extrêmedroite pour retenir les Français tentés par le FN. Cela passe, dans son esprit, par la reprise de thé-matiques traditionnelles de l’ex-trême droite (immigration, sécu-rité, islam). La contre-perfor-mance du premier tour des régio-nales a suscité des réserves sur lacapacité de M. Sarkozy à contrer leFN et à une remise en cause de sonleadership. Des députés LR, tels Hervé Mariton et Bernard Debré,lui ont ouvertement imputé « l’échec » de la droite lors du pre-mier tour, le jugeant « pas crédi-

ble » pour porter l’alternance en 2017.

Pour cette famille politique ha-bituée à suivre la ligne d’un chef,la multiplicité des ambitions et des écuries peut se révéler morti-fère. Chacun attend donc avecune certaine impatience la pri-maire car c’est le profil du vain-queur, qui devrait fixer définitive-ment la ligne. Seulement, ce scru-tin n’est prévu qu’en novem-bre 2016. Ce qui laisse plus deonze mois pour se déchirer et augmenter le risque de voir des électeurs dépités continuer à filervers le FN.

Lors de cet entre-deux-tours,certains n’ont pas hésité à évo-quer l’hypothèse d’avancer la datede l’élection. Le président du groupe LR à l’Assemblée, ChristianJacob, a estimé jeudi 10 décembre

sur LCP qu’un débat sur une mo-dification du calendrier de la pri-maire méritait « d’être posé ». « Si nous avons la possibilité de l’avan-cer et que cette position est consen-suelle… Mais, ça ne peut se faire que de manière consensuelle et si, techniquement, on est capable de le faire », a-t-il précisé. Dans son

entretien au Figaro, Nicolas Sarkozy a, lui, refusé de se pro-noncer sur cette éventualité enrenvoyant cette question à la Haute Autorité du parti, mais lesujet devrait être évoqué lundi 14 décembre lors du bureau politi-que.

Loin des micros, le débat sur ladate de la primaire alimente de nombreuses conversations. Bruno Le Maire, futur candidat, etFrançois Fillon, candidat déclaré,sont plutôt opposés à un boule-versement du calendrier. Les ri-vaux de M. Sarkozy s’inquiètentqu’un changement de date nuiseà la qualité de l’organisation. « Je ne sais pas si nous sommes capa-bles d’organiser des primairesexemplaires dans un délai plus court », s’est interrogé M. Fillonsur BFM-TV, jeudi.

Au début du processus d’organi-sation, Alain Juppé s’était pro-noncé pour une primaire avant l’été 2016. Depuis, il a pris acte du mois de novembre. Ses partisans ne s’opposent pas par principe à une avancée du scrutin mais ils émettent eux aussi des réserves. « Mon seul souci est qu’elle soit bien organisée. Nous ne faisonspas un refus de principe sur le moisde juin. Mais les garanties actuel-les n’ont pas été formulées pour juin mais pour novembre », confie Edouard Philippe, maire du Havreet représentant de M. Juppé ausein du comité d’organisation.

Tous les regards se tournent dé-sormais vers le comité d’organisa-tion de la primaire, présidé par Thierry Solère. Ces derniers temps, le député des Hauts-de-Seine s’est consacré à la campa-

gne des régionales en Ile-de-France, pour laquelle il était têtede liste dans son département. Mais ce débat devrait le rattraper dès la fin des régionales. En tantque principal organisateur de ce scrutin, M. Solère a mis en place un échéancier de travail pour or-ganiser la primaire, qui va jus-qu’au 20 novembre, date du pre-mier tour.

« Un Graal »

Le timing est calculé au plus juste et il y a encore beaucoup d’obsta-cles à lever : nommer les référentsdépartementaux chargés de trou-ver les lieux des 10 000 bureauxde vote, récupérer les listes électo-rales et répartir les électeurs po-tentiels par bureau, mobiliser les militants du parti, assurer la com-munication… « Une belle primaire avec des millions de participantsest un Graal que l’on veut tous at-teindre. En l’état actuel, avancer la date ne garantit pas l’organisationd’une élection aussi parfaite, pré-vient un membre du comité d’or-ganisation. Il est toujours possible de construire une maison en un an,alors que le chantier est prévu sur deux ans, mais le résultat peut êtredifférent. »

Seule certitude : l’intensité dudébat dépendra du score réalisé par Les Républicains au soir du se-cond tour et du nombre de ré-gions que le Parti aura conquis. Il sera vif si le scénario le plus noir pour la droite se produit diman-che, avec seulement deux régions au compteur, un FN en possessionde plusieurs territoires et une gau-che qui résiste mieux que prévu. Ilsera moins vigoureux si LR réaliseune bonne performance. C’est évi-demment le cas de figure espéré par Nicolas Sarkozy. p

matthieu goar

et alexandre lemarié

Les résultats

du premier tour

des régionales

ont suscité

des réserves

sur la capacité

de M. Sarkozy

à contrer le FN

Le siège du parti Les Républicains, à Paris, le 7 décembre. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

Pas de remaniement gouvernemental en vueLe chef de l’Etat a suivi la campagne et n’envisage pas de toucher au casting ministériel

R emanier ou pas au lende-main du second tour desrégionales ? L’hypothèse

de substantielles modifications du casting gouvernemental, tradi-tionnellement envisagée avant chaque élection intermédiaire,semble ces jours-ci plus éloignée que jamais. Contrairement aux habitudes récentes, nulle inquié-tude, pas le moindre début de pa-nique, cette fois, dans les rangs descabinets ministériels, lesquels, en période de scrutin, bruissent des rumeurs les plus improbables.

« Je ne crois pas au remaniementde janvier. Pas une seconde », es-time une conseillère. Et ce alorsmême que le scénario d’un der-nier remaniement du quinquen-nat, et de l’installation au début de2016 d’un « gouvernement de com-bat » susceptible d’épauler le pré-sident dans sa marche vers une se-conde candidature en 2017, était caressé depuis des mois par plu-sieurs piliers de l’équipe Valls. Les attentats du 13 novembre, ainsi que leurs suites politiques, ontbouleversé ce calendrier.

« Rien ne bougera jusqu’à la fin del’état d’urgence. On ne peut pas bouger les ministres régaliens d’ici là, et un remaniement a miniman’aurait aucune utilité », résume

un conseiller ministériel. Raison-nement imparable. Officielle-ment, François Hollande n’aurait même pas évoqué le sujet, ces der-niers jours, avec son équipe. De-puis des mois, il a déjà assuré, à l’unisson de son premier ministreManuel Valls, que celui-ci demeu-rerait à Matignon.

Certes, ce n’est pas là une garan-tie absolue : avant les municipales de mars 2014, l’exécutif annonçait crânement son intention d’« en-jamber » un scrutin qui s’annon-çait déjà comme une déroute d’en-vergure. Mais l’ampleur de celle-ciavait scellé le sort de Jean-Marc Ayrault, prestement débarqué deMatignon…

Même si l’incertitude de cet en-tre-deux-tours, ajoutée au prag-matisme sans états d’âme du chef de l’Etat, incite à la prudence. « Le président n’a rien fixé du tout. Il at-

tend de voir, tempère le conseiller d’un influent ministre. On est sur une ligne de crête, ça peut basculer d’un côté ou de l’autre. Une ligne oùon sauve notre peau, une autre oùon ne la sauve pas avec seulementdeux régions, Aquitaine et Breta-gne. Rien n’est exclu, en fonction durésultat de dimanche. La séquence n’est pas encore ouverte. » Com-prendre : si les dégâts sont limités,il y aura encore moins de raisonsde bouleverser l’équilibre de l’exé-cutif. Si la déroute est de forte am-plitude, en revanche…

Bâtir des alliances

Ces derniers jours, comme à son habitude, François Hollande a suivi de près la campagne socia-liste. « Il consulte, parle beaucoup avec Valls, le Foll, le Drian, Camba-délis, Bartolone, ses interlocuteursréguliers au PS et au gouverne-ment », explique un de ses proches.Il s’agit bien sûr de se tenir informéde la conduite des opérations élec-torales sur le terrain. Mais égale-ment, en particulier pour l’Ile-de-France, de jauger les négociations entre socialistes, écologistes et communistes, pour bâtir des al-liances au second tour.

« Le président sait que ça peutpréfigurer quelque chose pour la

fin du quinquennat. La questiondes prochains mois sera : “Com-ment faire pour que la gauche soit rassemblée dès le premier tour de la présidentielle ?” Le second tour des régionales peut être un début de réponse, un laboratoire », ana-lyse un conseiller.

Un vieux complice du présidentapprouve le raisonnement : « Est-ce qu’on est arrivé à susciter unminimum de débat et à faire naître l’idée d’un grand rassemblement ? Ce sera le chantier post deuxième tour. » Pas forcément un « chan-tier » à mettre en pratique dans le cadre de l’équipe gouvernemen-tale, donc. D’autant qu’un simple réaménagement de l’exécutif se-rait considéré comme n’étant pas àla hauteur des bouleversements politiques qu’a révélés ce scrutin.

Un conseiller du président en at-teste : « Le président se dit qu’il a une bonne équipe, et il ne voit pas qui sortir. L’enjeu du scrutin, ce n’est pas le changement du gouverne-ment. Donc la réponse est forcé-ment plus large que cela. Dire : “Je vous ai compris, je vais faire rentrertelle ou telle personnalité pour fairesortir telle autre”, ce serait complè-tement décalé. » p

david revault d’allonnes

et bastien bonnefous

Les attentats

du 13 novembre,

ainsi que leurs

suites politiques,

ont bouleversé

le calendrier

« Les garanties

n’ont pas été

formulées pour

juin mais pour

novembre »

ÉDOUARD PHILIPPE

maire du Havre

2015

Page 4: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

4 | les élections régionales DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

A Lille, dans les bureaux vides du conseil régionalAucun élu de gauche ne siégera dans l’hémicycle pendant six ans en Nord-Pas-de-Calais-Picardie

lille – envoyée spéciale

Il est « en deuil ». Quatre joursaprès le premier tour desélections régionales, qui a vule Front national remporter

40,6 % des voix en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le conseiller régio-nal Emmanuel Cau est venu signerun dernier papier, « vider » son or-dinateur, dire au revoir à ceux qui sont encore là. La décision du Partisocialiste de retirer sa liste au se-cond tour dans cette région, pour faire barrage à la liste FN menée par Marine Le Pen, a scellé son sort.

Dans son bureau du conseil ré-gional, à Lille, il ne reste qu’un ta-bleau, quelques documents sur la table. « Beaucoup de gens ont le fantasme de savoir ce que l’on dira d’eux le jour de leur mort, dit-il, ému. C’est un peu comme si ce fan-tasme se réalisait. »

Elu conseiller régional Les Vertsen 2004, vice-président chargé de l’environnement et de l’aménage-ment du territoire depuis 2007, Emmanuel Cau assure pourtant ne pas avoir été surpris par ce « raz de marée » frontiste : « Il ne s’agit plus de politique. C’est un peu comme lors de la Coupe du monde de football en 1998 : tout le monde était dans la rue mais la moitié des gens ne savait pas ce qu’était un hors-jeu. Là, c’est pareil. Marine Le Pen peut dire ce qu’elle veut, pro-férer des mensonges, ça passe. On en est là parce que depuis trente anson n’a pas traité les problèmes. Les politiques n’ont pas eu le courage de changer de modèle. »

Dans les jours qui viennent, Em-

manuel Cau a rendez-vous à Pôle emploi. A 48 ans, c’est la première fois qu’il y est inscrit. Il avait choisid’assumer son mandat régional àplein-temps. « On a peu de leviers de pouvoir quand on est chez lesécologistes. Ceux que l’on a, il faut les exploiter à fond. » Il a aussi pris rendez-vous avec son banquier. Comme tous les autres conseillersrégionaux sortants, son mandat prend fin dimanche. Sa paie — un conseiller gagne environ 2 200 euros net par mois — aussi. Le statut d’élu n’ouvre pas de droits aux indemnités chômage.

Valérie Pringuez, 41 ans, était surla liste PS de Pierre de Saintignon, mais n’a, elle, jamais quitté son emploi à Pimkie, une chaîne de magasins de vêtements. Si elle n’a pas de préoccupations financières,elle est également sous le choc. Elue conseillère régionale en 2010, puis conseillère municipale à La Gorgue (Nord) en 2014, elle vit sa première défaite électorale. « Je pleure depuis cinq jours, confie-t-elle. Et ça ne me ressemble pas. Je m’inquiète pour toutes les politi-

ques volontaristes qui ont été misesen place pendant cette mandature, pour tous les grands projets. Je crains que tout cela ne s’écroule. »

Le bureau de son groupe, la Gau-che sociale et écologiste, est vide. Celui des représentants du FN se trouve quelques portes plus loin, au bout d’un long couloir. « Per-sonne ne voulait être à côté d’eux, raconte Valérie Pringuez. Comme notre groupe est le dernier à avoir été formé, nous avons dû nous ins-taller ici. » Le 4 janvier 2016, alors que tous les élus de gauche auront quitté les lieux pour six ans, ceux d’extrême droite auront tout loisir de choisir où poser leurs cartons.

« Poursuivre le combat »

Derrière les conseillers régionaux se cache une forêt d’agents territo-riaux : eux restent en place en dé-pit des bouleversements politi-ques. A la fin de 2014, la région Nord-Pas-de-Calais employait prèsde 6 200 agents — environ 1 700 ausiège, à Lille, les autres travaillant dans les lycées et les ports —, dont 85 % de fonctionnaires. Seuls les collaborateurs des conseillers ré-gionaux, comme les assistants parlementaires, voient leur em-ploi remis en cause à chaque scru-tin. En général, même en cas d’échec électoral, les élus en pre-mière position sur les listes siè-gent dans l’opposition. Mais cette fois-ci, la gauche ne sera pas au se-cond tour. « Les collaborateurs du PS et d’Europe Ecologie-Les Verts nes’attendaient pas à être tous au chômage, explique Mme Pringuez. Et avec les revers des municipales et

des départementales, ça fait beau-coup de monde à recaser… »

Chez les fonctionnaires, la garan-tie de conserver son emploi n’em-pêche pas l’inquiétude. Aux incer-titudes liées à la fusion de la régionNord-Pas-de-Calais avec la Picardies’ajoutent celles liées au bascule-ment de majorité. « Dans tous les cas, ce sera un changement énorme. La région a toujours été à gauche, dit un agent territorial qui souhaite garder l’anonymat. Mais si le FN l’emporte dimanche, il me sera impossible de continuer à tra-vailler à mon poste, au sein d’unedirection liée à la présidence de la région. J’essaierai d’obtenir un poste moins politique. »

Au-delà des situations indivi-duelles, le départ de l’hémicycle de

tous les élus de gauche a des consé-quences pour les partis. Financiè-res d’abord : chaque élu reverse une part de son indemnité à sa for-mation politique. Au PS, c’était 500 euros par mois. Politiques en-suite : « Cela va entraîner un assè-chement des forces intellectuelles, des ressources humaines du parti, pense Michaël Moglia, conseiller régional (PS) sortant. La quaran-taine d’élus de gauche avait aussi des droits à la formation, c’était im-portant. Mais l’on ne pouvait pas semaintenir au second tour juste pour ces raisons. »

Pour Dominique Bailly, sénateurdu Nord et maire d’Orchies, qui était sur la liste PS, peu importe, oupresque, que le conseil régional ne compte plus d’élus de gauche. « Je

comprends que les militants soient désespérés, explique-t-il. La gaucheétait désunie, elle a perdu. Mais il y aura toujours des élus de gauche, même s’ils ne sont pas physique-ment présents dans l’hémicycle. Il est illusoire de croire que quiconquepeut gouverner la région sans in-clure toutes les forces démocrati-ques. J’espère que dès lundi nous pourrons travailler ensemble. La gauche doit continuer à travailler, àexpliquer. Poursuivre le combat. »

Continuer la politique ? Pourl’instant, Emmanuel Cau peine à se projeter. « Il faut que je panse mes plaies. Je vais retrouver de la colère, me remettre debout. Je serai toujours militant. Mais le problèmece n’est pas moi. C’est le FN. » p

perrine mouterde

à quelques jours du second tour, des chefs d’entreprise duNord-Pas-de-Calais-Picardie sont sortis du silence. Toutes les heures, de nouvelles signa-tures de patrons viennent s’ajouter au bas du manifestemis en ligne mercredi 9 dé-cembre au soir pour contrer le Front national. Samedi matin,ils étaient une centaine.

C’est un article paru le jourmême dans Le Monde (« Dans le Nord, le silence terrifiant des patrons ») qui « a piqué leurfierté ». Peu habitués à s’expri-mer publiquement sur leurs choix politiques, ces entrepre-neurs ont estimé qu’il était deleur devoir de participer au dé-bat de l’entre-deux tours.

Connue des médias pouravoir interpellé François Hol-lande lors de l’émission « En direct avec les Français » en novembre 2014, Karine Char-bonnier, 47 ans, est l’une descinq chefs d’entreprise à l’ori-gine de ce manifeste. Avec sonmari, PDG de l’entreprise fa-miliale de boulons Beck Cres-pel à Armentières, la direc-trice générale de cette société de 700 salariés a contactétrois autres patrons pour rédi-ger un texte détaillant les ris-ques du vote FN.

Une initiative qu’ellen’aurait pas pu prendre avant le premier tour, « même sic’était un peu latent », précise

son mari, car elle est en vingt-cinquième position sur la listede Xavier Bertrand. Non en-cartée, Karine Charbonnier ne souhaitait pas que cette actionsoit considérée comme un en-gagement pour le candidat LesRépublicains. « On a juste en-vie de montrer une autre image de la région », expliqueKarine Charbonnier.

Pas de noms d’entreprises

Preuve que ce manifeste dé-passe les clivages politiques, une partie de « l’Appel des 100 » – des responsables asso-ciatifs, chefs d’entreprise, syn-dicalistes qui soutenaient le candidat socialiste Pierre de Saintignon – l’a signé. « Ça montre bien qu’on n’est pas des politiciens, explique HabibOualidi, de l’agence de com-munication Kayak, située àLille. Ce qu’on juge, ce sont les programmes. Xavier Bertrand et Pierre de Saintignon avaientdes propositions qui tiennent laroute. Le programme du FN est déconnecté de la réalité. »

Sur ce manifeste, pas denoms d’entreprises. « On achoisi les noms personnels, carles noms d’entreprises ne reflè-tent pas forcément l’idée de nossalariés », précise Hugues Charbonnier. Sebastian Sdez, àla tête d’une entreprise de lo-cation et d’entretien de texti-les, ne sait pas comment ses

400 salariés vont réagir. « Onn’a pas à propager d’idées poli-tiques. Mais il y a des vérités économiques à dire. » Pour lui, la « courte vue du FN » est dan-gereuse et, surtout, « la ferme-ture au monde que le FN pro-pose est un contresens écono-mique ». A ce sujet, le mani-feste est clair : « Le repli ne ferapas recruter davantage, au contraire. »

Propagé par les réseaux so-ciaux, le manifeste a rapide-ment séduit. Mais à regarderde près les signatures, on y trouve surtout des patrons de petites et moyennes entrepri-ses ; les grands noms du patro-nat nordiste ne figurent pasencore sur le document. « C’estplus facile de signer quand on ne travaille pas avec le grand public ou les collectivités », ex-plique Karine Charbonnier.

Habib Oualidi confirme : « Lesgrands patrons n’ont pas osé parler ou alors ils se sont fait ta-per dessus quand ils ont tiré la sonnette d’alarme, car ils sont sur des marchés de grande con-sommation. Nous, on se sent plus libres en travaillant pour des professionnels. » A la tête d’une PME d’une dizaine de sa-lariés, il ajoute : « Si les grands ne disent rien, nous, on va par-ler. Ce sera la minorité non silen-cieuse. » p

laurie moniez

(lille, correspondance)

FN : des patrons du Nord rompent le silence

« Les

collaborateurs

du PS et d’EELV

ne s’attendaient

pas à être tous

au chômage »

VALÉRIE PRINGUEZ

conseillère régionale PS

Des personnalités catholiques appellent à « faire barrage » au Front nationalSelon un sondage, le vote frontiste progresse chez les fidèles

D es catholiques appellentles électeurs chrétiens à« faire barrage » au Front

national au second tour des élec-tions régionales. Dans un appel-pétition diffusé vendredi 11 dé-cembre, et alors que les électeurscatholiques ont davantage votéque la moyenne pour les listes d’extrême droite au premiertour, le 6 décembre, ils affirmentque « le discours du Front natio-nal n’est d’aucune façon compati-ble avec le message d’amour duChrist dans l’Evangile ». Le FN,écrivent-ils, « met au centre deson projet la détestation de l’autrejusqu’à son rejet ».

A l’origine de cette pétition setrouvent notamment Jean-Claude Petit, ancien directeur de l’hebdomadaire La Vie, Guy Aurenche, président du Comité catholique contre la faim et pour le développement, et Henri Made-lin, ancien provincial des jésuites. Ils concluent en appelant à une

« réflexion collective indispensa-ble », y compris au sein de l’Eglise catholique.

« Certains ont été frappés par lesilence de l’épiscopat » face à de possibles victoires de listes FN, re-lève le père Madelin. De fait, laConférence des évêques de Francene s’est pas exprimée depuis le6 décembre, même si quelques évêques avaient personnelle-ment appelé au vote avant le pre-mier tour. C’est notamment le casde Jean-Pierre Grallet, archevêquede Strasbourg, et de LaurentUlrich, archevêque de Lille.

« Récupérations malhonnêtes »

Pourtant, les résultats du premiertour des régionales ont montré une nette progression du Front national parmi les catholiques. Selon un sondage de l’IFOP pour le magazine Pèlerin publié le 7 dé-cembre, 32 % des électeurs se di-sant catholiques ont voté pourdes listes lepénistes, contre 28,4 %

en moyenne. La progression estspectaculaire chez les pratiquantsréguliers, jusqu’ici nettement moins touchés par le vote FN. Chez eux, la part des électeurs frontistes est passée de 9 %, aux départementales de mars, à 24 %.« La digue catholique s’écroule »,avait titré Pèlerin.

Cette évolution avait conduit lediocèse de Toulon à inviter pourla première fois une représen-tante du FN à son universitéd’été, en août, déclenchant une controverse. Il s’agissait de sachef de file dans la région, Ma-rion Maréchal-Le Pen. Pour GuyAurenche, l’appel a aussi pour but de s’opposer à des « récupéra-tions malhonnêtes » consistant,de la part de la députée frontiste,à afficher son identité catholiquetout en défendant un pro-gramme qu’il juge au moins enpartie incompatible avec l’ensei-gnement de l’Eglise. p

cécile chambraud

Une année a suffi. Depuis son lancement en 2014, Honor a bouleversé tous les

codes. Et tous les scores. Lancement de quatre smartphones majeurs (Honor 6,

Honor 4X, Honor 6+ et Honor 7), mise en place d’une plateforme de distribution

en propre, plus de 20millions de terminaux vendus dans 76 pays. Et une implantation

simultanée dans tous les marchés majeurs d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie,

mais aussi en Russie et aux Etats-Unis. Grâce à une volonté sans faille d’innover,

Honor est devenue en un an la marque de smartphone online n°1 en France.

Honor, la marque desmartphones en lignen°1 en France

Honor a opté d’emblée pour un posi-tionnement unique en son genre, ditde« consumer-to-business », qui apermis à la marque de construireune relation de coniance et sans

intermédiaire avec ses consommateurs.Honor incite d’ailleurs ses nombreux fans àparticiper en direct à des bêta tests via lesréseaux sociauxet les forumscommeFrAndroid,Phonandroid ou encore Jeuxvideos.com. Enparallèle, la marque a ouvert sa plateforme àdes partenaires stratégiques de l’internetmobile et du gaming, comme Parrot etGamelot ou encore Deezer pour coopérer àdiférentes actions de co-branding. De quoidoper les innovations d’usage et replacer leconsommateur au centre de la relation.Honor a été la toute première marque deSmartphone à s’appuyer sur un modèle dedistribution exclusivement en ligne,établissant d’emblée des partenariats avec lesplus grandes plateformes de e-commerce,d’Amazon à Grosbill, en passant par LDLC,Darty ou Rueducommerce. Et depuis cetété, Honor a créé sa propre plateforme de

distribution en ligne ain de proposer unprix plus équitable à tous ses clients. Lors dutraditionnel Black Friday, Honor a battu unrecord sur le marché français : en vendantplus de 10 000 smartphones en ligne en 24Hà l’occasion de l’opération hanksgiving, lamarque a fait exploser les compteurs ! Toutesmarques confondues, il se vend en France enmoyenne 5333 smartphones deux moisd’avance son objectif de 5 milliards dedollars de chifre d’afaires mondial ixé pour2015. Ain de remercier l’engagement et laidélité de ses fans, George Zhao, présidentd’Honor, a annoncé que 15% des revenusgénérés entre le 1er novembre et le31 décembre de cette année allaient êtreredistribués à travers des promotions impor-tantes. Une partie de ces bénéices serontégalement reversés à une fondation pourl’aide à l’éducation des jeunes. Une manièresupplémentaire pour Honor d’airmer sonengagement auprès de sa communauté et deremercier l’ensemble de ses fans.

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Page 5: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

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Page 6: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

6 | planète DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

COP21 : « Il est trop tard pour un échec »Après treize jours d’intenses négociations, la signature d’un accord ambitieux sur le climat reste incertaine

PARIS CLIMAT 2015 RÉCIT

Dans son discoursinaugural du 30 no-vembre, devant unparterre historique de

quelque 150 chefs d’Etat et de gou-vernement réunis au Bourget, François Hollande avait prévenu : « Le plus grand danger n’est pas quenotre but soit trop élevé et que nousle manquions. Le plus grand dan-ger, c’est qu’il soit trop bas et que nous l’atteignions. » Il y manquait une troisième possibilité : celle que l’objectif soit trop bas et qu’ilne soit pas atteint. Deux semaines plus tard, quelques heures avant laclôture de la 21e conférence des Na-tions unies sur les changements climatiques (COP21), c’était bel et bien la perspective d’un accord modeste qui se profilait. Samedi 12 décembre au matin, les plus op-timistes des observateurs espé-raient un texte à 11 h 30, traduit et validé juridiquement ensuite, pour adoption en assemblée plé-nière, autour de 15 heures. Les pluspessimistes n’excluaient pas l’im-pensable : l’absence pure et simplede consensus sur un document fi-nal. Signe de l’imminence d’un ac-cord ou de la difficulté à conclure,François Hollande devait se rendresamedi matin au Bourget.

Alors que le ministre des affairesétrangères, Laurent Fabius, parais-sait encore convaincu des chancesde sceller un accord, les mines étaient sombres, vendredi 11 dé-cembre au soir, dans les allées du Parc des expositions. Dehors, dansla nuit glacée, Greenpeace démon-tait à la hâte son grand ours po-laire en tôle ; des ministres tiraientleurs valises à roulettes vers l’aéro-port, laissant sur place des déléga-tions sans marges de manœuvre pour les dernières heures, crucia-les, des négociations.

Tout était pourtant si bien parti.L’enjeu en valait la peine. L’accord de Paris doit dessiner le régime cli-matique de la planète après 2020, en remplacement d’un protocole de Kyoto moribond, entré en vi-gueur en 2005 mais qui n’a pas permis d’infléchir le rythme ef-fréné des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Alors que le

traité international signé dans l’ancienne capitale impériale nip-pone n’engageait que les pays dé-veloppés, le compromis laborieu-sement construit dans la « zone bleue » du Bourget – l’espace sous contrôle des agents de sécurité de l’ONU – a vocation à s’appliquer aux 195 Etats parties prenantes aux négociations climatiques.

Laurent Fabius, président de laCOP depuis le 30 novembre et pour un an, n’a cessé de le marte-ler : « Nous devons parvenir à un accord climatique universel et am-bitieux. Cet accord devra être diffé-rencié, juste, durable, dynamique,

négociations climatiques. Brasilia est l’un des champions du dialo-gue Nord-Sud sur ces sujets.

A l’ouverture de la COP, lundi30 novembre les discours des chefs d’Etat sont frappés du sceau de l’urgence. L’Américain Barack Obama, la Brésilienne Dilma Rousseff… les dirigeants rivalisent d’emphase et de ferveur. En quel-ques heures, tous ou presque rap-pellent l’ampleur de l’enjeu. Fran-çois Hollande, en introduction à son allocution, assure que ce qui sejouera là, c’est « l’avenir de la vie ».

Rassembleuse, facilitatrice, laprésidence française met en place une subtile mécanique de dialo-gue entre les parties, mêlant le for-mel à l’informel, le bilatéral aumultilatéral. « Nous ne sommes pas du tout dans une configurationcomme celle de Copenhague, où onest allés d’accidents en accidents et où il était clair dès la première se-maine qu’on n’arriverait à rien », constate Pierre Radanne, vétéran des conférences climat. L’am-biance est si favorable que Nicolas Hulot, l’envoyé spécial de la prési-dence de la République pour la protection de la planète, déclare, dès la fin de la première semaine : « Il est trop tard pour un échec. »

Les rites de la diplomatie climati-que sont alors bien réglés. Après letravail d’élagage du projet d’ac-cord par les négociateurs, le prési-dent de la COP21 peut se targuer d’un premier succès : dans un en-vironnement onusien habitué au retard, le brouillon de l’accord lui est remis à l’heure dite, samedi 5 décembre, à midi. « Le respect du calendrier est l’une des clés de ce discours de la méthode, explique-t-on dans l’entourage du ministre. En tenant les échéances, il donne le sentiment de maîtriser le proces-sus. C’est essentiel pour construire la confiance avec les 195 pays. »

En deuxième semaine, il fautcommencer à faire des choix et des compromis parfois doulou-reux : les ministres entrent en piste. Jusque-là, tout se passe sans encombre pour la présidence fran-çaise, saluée à chaque plénière pour son sérieux et son ouverture.Lorsque débute la première nuit blanche de négociations, mercredi9 décembre, M. Fabius choisit de piloter seul les 5 heures de débats. « J’ai senti que les parties [les pays]

voulaient que ce soit moi qui pré-side la séance », confie-t-il à 5 heu-res du matin, dans le vaste bureau aménagé à l’étage de la présidence française. Conforté dans sa mis-sion, il estime alors « être en me-sure de présenter dans l’après-midi un texte sans “crochets” ». Sans « crochets », c’est-à-dire sans ces options diverses ou divergentes, toujours en suspens dans le texte et soumises à la négociation. On tranche dans le vif. Et le soir même, après deux reports de la séance plénière, un projet d’accordtrès resserré est mis sur la table.

Fracture Nord-Sud

Excès d’optimisme ? La nuit sui-vante est longue. De nombreux points hors crochets sont rejetés. Un député écologiste belge, Jean-Marc Nollet, tweete les objections des uns et des autres. La prési-dence française avait trouvé une formule alambiquée pour faire co-habiter l’objectif des 2 °C de ré-chauffement à ne pas dépasser avec l’ambition de demeurer sous le seuil de 1,5 °C, comme le revendi-quent les petits Etats insulaires. Las ! Des pays riches en énergies fossiles, Arabie saoudite en tête, re-fusent toute référence à ce chiffre de 1,5 °C. Au reste, contenir le ré-chauffement sous ce seuil – 2015 sera déjà 1 °C au-dessus de la pé-riode préindustrielle – est déjà quasi impossible. Mais les pays les plus vulnérables en font une ligne rouge. Les Etats insulaires, bien sûr, menacés par l’élévation des océans, qui voient dans ce seuil une simple question de survie, mais aussi le Nigeria ou le Népal.

Etrangement, le Canada et l’Aus-tralie, traditionnellement les plus mauvais élèves de la communautéinternationale, ne voient pas la re-quête des pays les plus vulnérables

d’un si mauvais œil… Faut-il y voir une prise de conscience de la gra-vité du péril climatique, comme le pense la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, pré-sente au Bourget ? Ou plutôt, comme le dit l’essayiste cana-dienne et militante altermondia-liste Naomi Klein, la manœuvre cynique de deux Etats extracteurs de fossiles, désireux d’exacerber la dispute qui s’ouvre au sein même du monde en développement ?

Cette fracture nouvelle s’ajouteau clivage historique entre pays dé-veloppés et nations du Sud. Les crispations s’exacerbent. Comme en cascade, les autres désaccords deviennent des casus belli. La Chine ne veut pas être contrainte de participer à l’aide à l’adaptation des pays les plus pauvres ; les transferts de technologies vertes aux pays du Sud ne sont plus si évi-dents pour ceux du Nord ; l’Inde et la Chine ne veulent pas d’un sys-tème de contrôle transparent de leurs émissions identique à celui des pays développés.

Le Venezuela, producteur de pé-trole, refuse toute référence au marché carbone. Quant aux Etats-Unis, ils ne veulent plus voir, dans l’accord lui-même, la mention des 100 milliards de dollars (91 mil-liards d’euros) par an d’aide à l’adaptation et à l’atténuation despays du Sud, au motif qu’il lui fau-drait en passer par un vote du Con-grès pour valider la mesure… un Congrès tenu par les républicains, hostiles à toute politique de lutte contre le réchauffement. Ce chiffrede 100 milliards avait pourtant étéintroduit, en 2009, à la conférence de Copenhague, par les Améri-cains eux-mêmes.

Vendredi soir, avant de s’engagerdans une nouvelle nuit de négo-ciation, l’ambassadrice sud-afri-caine et porte-parole du G77 + Chine, Nozipho Mxakato-Diseko, aprévenu : « Si la conférence échoue, ce ne sera pas la faute de la France mais celle d’un groupe reclus dans sa tranchée, qui bloque toute dis-cussion sur les finances », le groupe des Etats-Unis, de l’Australie, de la Russie et de quelques autres. Un peu plus loin, M. Fabius rappelait cette simple vérité : « Il faut savoir terminer une négociation. » p

stéphane foucart

et simon roger

Un sit-in organisé par plusieurs ONG sur le site de la COP21, au Bourget, le 9 décembre. PAOLO VERZONE/VU POUR « LE MONDE »

équilibré, juridiquement contrai-gnant. » Contraignant, même si chaque pays décide lui-même de l’effort de réduction d’émissionsauquel il consent – la somme de ces efforts, régulièrement révisa-bles, mettant pour l’heure le cli-mat terrestre en route pour un ré-chauffement de l’ordre de 3 °C.

Cette présidence française de laCOP, le ministre des affaires étran-gères n’en voulait pas, conscient sans doute du pari diplomatique qu’elle représentait après l’échec de la conférence de Copenhague en 2009. François Hollande, lui, s’était laissé convaincre en 2012 qu’un tel événement, avec plus de 40 000 participants, pouvait cons-tituer une opportunité politique intéressante à mi-mandat. LaurentFabius lui a emboîté le pas, s’empa-rant peu à peu de ce domaine jus-qu’à en faire son obsession.

Compromis douloureux

Aux ambassadeurs en poste à l’étranger, il a imposé une mission de veille sur les questions climati-ques. Avec Laurence Tubiana, sa négociatrice en chef, à ses côtés dans presque tous ses déplace-ments sur le sujet, il a élaboré une méthode faite de pragmatisme et d’écoute des coalitions qui struc-turent les négociations. Le week-end précédant l’ouverture de la conférence de Paris, il s’est rendu successivement en Inde, en Afri-que du Sud et au Brésil pour pren-dre le pouls de ces trois acteurs majeurs. New Delhi est l’une des voix les plus fermes à exiger une aide financière des Etats du Nord, responsables historiques des émissions de gaz à effet de serre, pour les nations du Sud exposées aux effets du réchauffement. Pre-toria préside le groupe G77 + Chine, la coalition de 134 pays en développement, poids lourd des

« Si la conférence

échoue, ce sera la

faute d’un groupe

qui bloque toute

discussion

sur les finances »

NOZIPHO MXAKATO-DISEKO

ambassadrice sud-africaine

A l’ouverture

de la COP, le

30 novembre, les

discours des chefs

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8 | international DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Les limites de l’opération française contre l’EIFace à la promesse présidentielle de « détruire le terrorisme », les militaires réclament « patience et persévérance »

Un mois après les atten-tats du 13 novembre àParis, plusieurs ques-tions entourent l’in-

tensification des opérations mili-taires ordonnée par François Hol-lande contre l’organisation Etat islamique (EI). La cohésion de la coalition internationale reste à concrétiser au-delà des accords bilatéraux de coopération, et sonefficacité reste à démontrer. Et àParis, face à la promesse présiden-tielle de « détruire le terrorisme »les états-majors demandent « pa-tience et persévérance ».

A quoi servent les frappes surRakka ? Rakka, fief de l’EI en Syrie,est le but de guerre mis en avantdepuis les attentats de Paris. DeRakka, justifie le gouvernement, partent les combattants étran-gers qui menacent l’Europe et la France. Mais rien ne sert de frap-per, disent les militaires, tantqu’aucune force au sol n’est capa-ble de reprendre le terrain gagné.

Or, « on n’a personne pour pren-dre Rakka », admet-on en haut lieu. De plus, les cibles manquent. Les djihadistes anticipent les raidset se terrent derrière des boucliershumains. « Trouver des objectifs est maintenant très difficile à moins d’accepter des dommages collatéraux », assurent de bonnes sources. Et si le Pentagone a fournides cibles clé en main à Paris aprèsle 13 novembre, « c’est fini ».

« On est dans le débat récurrententre les militaires, qui réclament de s’inscrire dans une stratégie et une coalition pour être plus effi-cace, et l’exécutif, qui a des con-traintes politiques », décode Ca-mille Grand, directeur de la Fonda-tion pour la recherche stratégique.

Après les trois raids de rétorsionmenés les 15, 16 et 17 novembre,puis une frappe le 23, le plan s’estdétourné de Rakka. Depuis deux semaines, la quasi-totalité des bombardements français a lieu en Irak. Car les Etats-Unis, eux,n’ont pas changé de stratégie. En dehors de la destruction des ins-tallations pétrolières de l’est de la Syrie, la manœuvre américaine d’étouffement de l’EI se concentredepuis août 2014 sur l’Irak, où des forces locales ont le plus de chan-ces d’être réunies au sol. Pour la semaine du 28 novembre au 4 dé-cembre, l’état-major américain a annoncé 95 frappes en Irak et 54 en Syrie dont 4 à Rakka. Le 8 dé-cembre, 11 en Syrie, une seule à Rakka. Le 10 décembre, 21 en Irak, 4 en Syrie.

La coupure du « califat » en deux,entre le fief de Syrie et celui d’Irak, Mossoul, doit être la priorité, a plaidé le chef des opérations de l’état-major, le général Didier Cas-tres, devant la commission des af-faires étrangères de l’Assembléenationale, le 8 décembre. Sansoublier le plan d’ensemble indis-pensable – le suivi des combat-tants étrangers, l’assèchement desfinances de l’EI, la contre-propa-gande, la gouvernance irakienne.

Faut-il aller plus loin avec lesRusses en Syrie ? « La France est notre meilleur partenaire », a lancé, mercredi 9 décembre à Pa-ris, Alexeï Poutchkov, président

de la commission des affairesétrangères de la Douma, invité par son homologue française, Eli-sabeth Guigou.

Les deux pays se sont entenduspour éviter les collisions dans les airs et se coordonnent en mer. Un échange technique, par télé-phone, a lieu chaque jour. Depuis les attentats, Paris et Moscou se sont mis d’accord sur deux nou-veaux points : un échange de ren-seignements sur les combattantsétrangers russophones et franco-phones, et une « discussion » sur l’évolution de l’EI. Pour les respon-sables de la défense, il ne faut pas pousser la coordination au-delà, sur les zones de frappes ou les ci-bles. Face à ceux qui le souhaitent,dans l’exécutif et dans l’opposi-tion de droite, ils répondent : « On risque de perdre les Etats-Unis sansgagner les Russes. »

Le but n’est pas militaire maispolitique : parler aux Russes pour rester arrimé à la négociation sur l’avenir de la Syrie. Vu de Paris, Moscou a une stratégie lisible : lut-ter contre la menace radicale (4 000 russophones ont rejoint l’EI) et remettre Bachar Al-Assad dans le jeu en vue de la conférence de Vienne début 2016. L’engage-ment militaire russe n’a pas en-core atteint son point culminant, selon les experts.

Sur quelles forces locales comp-ter ? L’heure est à la sélection desmilices « acceptables » pour la fu-ture offensive au sol contre l’EI. Le

ministère de la défense recenseen Syrie 80 000 radicaux parmi les quelque 150 000 opposants àBachar Al-Assad, dont 10 000 à 30 000 « non-terroristes » pou-vant bénéficier d’un appui. LesOccidentaux ne peuvent compter que sur les Kurdes, estiment les responsables français. Une sourcemilitaire précise : « Les monar-chies sunnites du Golfe soutien-nent Ahrar Al-Cham et Jaish Al-Is-lam et tentent de convaincre Al-Nosra [groupe affilié à Al-Qaida]de devenir un acteur présentable, ce dont nous ne voulons pas ; maisparmi l’opposition dite modérée,seuls les Kurdes sont prêts. »

En Irak, les Etats-Unis indiquentavoir formé 15 000 soldats. Mais l’intégration des tribus sunnites au processus politique est loin d’être acquise. Le Pentagone a de-mandé que des forces spécialesfrançaises suivent les comman-dos américains dans les raids pré-vus en Syrie. A Paris, on dit s’en te-nir aux missions de conseil et derenseignement délivrées à Erbil,

capitale du Kurdistan irakien, un dispositif jugé efficace à peu defrais, mais pas transposable.

Le conflit est marqué moins parune évolution des lignes de force que par son internationalisation, soulignent les généraux. Combat-tent l’EI en Syrie quelque10 000 étrangers chiites dont une moitié d’Iraniens, 5 000 soldats russes, des forces spéciales améri-caines, turques, qataries et saou-diennes. Dans le même temps, lestensions entre les acteurs se sontaccrues, notamment entre la Tur-quie et la Russie. « On a une sériede manœuvres plus ou moins coordonnées qui affaiblissent l’EI mais ce n’est pas la destruction an-noncée », note Camille Grand.

La France a-t-elle les moyensd’une campagne longue ? En Irak, l’EI n’est plus capable d’une opération d’envergure et recule,assurent les responsables militai-res. La phase de son « démantèle-ment » s’est ouverte, selon le chefd’état-major Pierre de Villiers. L’EIcontinue de recruter de l’ordred’une compagnie de combat par semaine (150 hommes) maisaurait des difficultés croissantes. Plusieurs indices sont avancés :des recrutements forcés pour lefront ; une fatwa récente autori-sant les femmes à combattre ; des problèmes pour payer les troupes,les salaires étant passés de 400 à 80 dollars (de 364 à 73 euros) men-suels ; des mouvements de con-testations à Mossoul.

La véritable intensification desopérations militaires aura donclieu dans les mois qui viennent et s’annonce longue. En Libye, l’ar-mée française pouvait tenir sixmois au rythme demandé par l’Elysée. Cette fois, les généraux n’avancent pas de calendrier. Maisles forces sont en suractivité et le débat sur une bascule des moyensfrançais engagés en Afrique vers leMoyen-Orient se poursuit.

La coalition déploie peu demoyens : elle mène 100 sorties d’avions de chasse par jour, 75 % sur l’Irak, 25 % en Syrie, la France comptant pour moins de 5 %. C’était 250 par jour en Libye, 800 au Kosovo. Les pays du Golfe se sont détournés de la région pour se concentrer sur le Yémen. Parmi les Européens, 2 membres de l’UE sur 27 contribuent aux frappes.

Or, la crainte est que dans l’an-née 2016 l’EI entre dans une logi-que de siège. Parmi les scénariosétudiés à Paris figure celui d’uneforce djihadiste repliée sur Mos-soul, le reste des combattants étant repoussés vers la Syrie, voire la Libye. Si les avancées poli-tiques ne sont pas au rendez-vous, il faudra encore augmenterl’action militaire, avec le risqued’un nouvel essaimage du califatsur d’autres territoires.

Que vise la communicationprésidentielle ? La hausse de po-pularité dont a bénéficié M. Hol-lande après les annonces sécuri-taires post-attentats et l’intensi-

François Hollande et Jean-Yves Le Drian,ministre de la défense, à bord du porte-avions

« Charles-de-Gaulle », au large de la Syrie,le 4 décembre. CHRISTIAN CAVALLO/AP

François Hollande

a trouvé un

« narratif » en

présentant Rakka

comme la source

de la menace

contre la France

fication des frappes est nette. Celien nourrit l’idée selon laquellela stratégie militaire française estsurdéterminée par l’agenda de politique intérieure et trop sou-mise à des à-coups. Le président,soucieux de montrer que toutaura été tenté en cas de nouvel at-tentat, a de fait trouvé un « narra-tif » en présentant Rakka commela source de la menace contre laFrance. Les opérations en Syrieavaient déjà été soutenues par lepublic en septembre. Selon ladernière vague du sondage IFOPpour la Défense, réalisée peu avant les attentats, 70 % des Fran-çais approuvent l’extension del’opération « Chammal » en Syrie,et 76 % celle de l’opération enIrak.

Depuis mi-novembre, la com-munication est focalisée sur la « réponse impitoyable » promise. Le déplacement exceptionnel duchef de l’Etat sur le porte-avions adonné lieu à un dossier de presse inhabituel. En y indiquant que leschasseurs du Charles-de-Gaulleavaient effectué des vols de re-connaissance les 20 et 21 novem-bre au-dessus de Syrte et Tobrouken Libye, l’Elysée s’est exposé à se voir réclamer la mise en œuvre del’article 35 de la Constitution qui exige une information du Parle-ment. Le cabinet du ministre Jean-Yves Le Drian pousse pour des opérations en Libye, une déci-sion que le président n’a pas en-core prise. p

nathalie guibert

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10 | international DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

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A Sinjar, le timide retour des réfugiés yézidisLes forces kurdes ont repris la ville irakienne mi- novembre, après quinze mois d’occupation par l’Etat islamique

REPORTAGEsinjar (irak) - envoyé spécial

Dans une remiseouverte sur une ruesaccagée, Mahmoud adisposé sur des rayon­

nages de fortune quelques pro­duits alimentaires bas de gamme.A Sinjar, il est l’un des premiers àavoir rouvert un commerce après que les forces kurdes d’Irak et deTurquie et leurs alliés yézidis res-pectifs ont pris possession de la ville, le 13 novembre. Mettant fin àquinze mois d’occupation par l’or-ganisation Etat islamique (EI), ils ont pris le contrôle d’une ville dé­serte, dévastée par les frappes aé­riennes de la coalition qui leur ontouvert la voie. Détaillant des ciga­rettes de contrebande, du crédit téléphonique, des biscuits ira­niens, du whisky jordanien et des canettes de bière hollandaise con-

trefaite, Mahmoud a de quoi agré-menter les rations quotidiennesde riz et de thé des hommes en ar-mes qui vaquent et se croisent in-cessamment dans les ruines deSinjar. C’est à eux et à leurs diver-ses milices que la cité appartient désormais.

Crimes de masse

« Les clients sont surtout des mili-taires. Personne ne peut revenirhabiter ici pour l’instant », dit-il.Lors de leur offensive contre Sin-jar en août 2014, les djihadistes de l’EI se sont rendus coupables des crimes de masse à l’encontre de lacommunauté yézidie, non mu­sulmane et majoritaire dans les environs de la ville, massacrant les hommes et réduisant en escla­vage les femmes et les enfants quin’avaient pu leur échapper. Yézidi lui­même, Mahmoud, 23 ans, avait alors dû fuir son village et

abandonner ses études. Il travaillemaintenant quelques heures par jour au comptoir de cette échoppe exiguë, envahie par les mouches. « Ce sont nos voisins musulmans qui sont responsables de ce qui s’est passé. Ils se sont ral-liés à l’EI et nous ont trahis. On nepourra plus jamais vivre avec eux ànouveau, ni revenir pour de bon sur nos terres tant qu’ils vivront autour de nous. »

Malgré l’avancée des forces kur-des, plusieurs districts yézidis dé-pendant de Sinjar sont toujoursaux mains des djihadistes. Cer-tains ne sont qu’à une dizaine dekilomètres au sud de la ville, maisleur libération n’est pas encore envisagée par les forces kurdes. « La reprise de Sinjar n’a rienchangé pour moi, Daech contrôle toujours mon village », raconte avec amertume Aram, un jeuneyézidi qui a trouvé à s’employer comme homme à tout faire pourla branche locale du Parti démo-cratique du Kurdistan (PDK),principale autorité dans la zone.

Si pour beaucoup, l’heure n’estnullement au retour, l’abandon de Sinjar par les djihadistes a per-mis à de nombreux réfugiés yézi-dis de venir se servir dans les mai-sons désertes des sunnites. Autrefois majoritaires dans la ville, ils ont quitté les lieux avecles djihadistes. Marquées du ca-ractère arabe « sin » par l’admi-nistration de l’EI pour les préser-ver d’un premier pillage djiha-diste en août, leurs propriétésconstituent maintenant des ci-bles désignées.

Dans les rues, les pick-up des mi-liciens kurdes et yézidis croisent régulièrement des véhicules civilschargés d’appareils électroména-gers, de literie et occasionnelle-ment d’appareils de musculation, de tricycles ou de plantes synthé-tiques. Leur flux constant re-monte vers les hauteurs du mont Sinjar et au-delà, vers les camps deréfugiés du Kurdistan irakien. Mashal Haidar, la quarantaine, habitant yézidi de la région de Sin-jar, a arrêté à la sortie de la ville sa camionnette chargée de mobilier de cuisine. « L’EI nous a tout pris, notre terre, notre honneur, nosproches. Je n’ai plus rien, je peux bien prendre ce que je trouve dans les maisons des musulmans. De toute façon, ceux qui sont restés iciétaient forcément des partisans de Daech », justifie-t-il.

Mashal dit avoir emprunté8 500 dollars (7 730 euros), pour acheter par un intermédiaire la li-bération de sa mère et de deux de ses sœurs, capturées par l’EI. En

revanche, il dit être resté sans nouvelle de sa fille adolescente,toujours aux mains des djihadis-tes. Pour lui, la libération de Sinjarest un événement dérisoire : « Vous pouvez bien me donner Sin-jar ou tout le Kurdistan, ça m’est égal. Je veux ma fille, c’est tout. »

Sur les bords de la route en la-cets qui mène au mont Sinjar, des tables de pique-nique en cimentimitation bois, vestiges d’une paix qui paraît bien lointaine, voi-sinent avec des carcasses de voitu-res retournées et des tas de vête-ments terreux. Ce sont des traces de l’exode des yézidis, qui avaient fui l’avancée de l’EI en août 2014 en se réfugiant vers les hauteurs. Nombreux sont ceux qui n’ont toujours pas quitté la montagne. Les pâturages du mont Sinjar sonttoujours couverts de tentes blan-ches et d’abris de fortunes.

Dans le petit jardin qu’il a amé-nagé devant la sienne, Amin Elias,23 ans, vêtu d’un pantalon de sport et d’un maillot du FC Barce-lone, a perdu le compte du temps qu’il a passé dans ce camp. Il ex-clut pourtant tout retour vers les villages de la plaine. Comme beaucoup de yézidis, Amin ne faitpas confiance aux forces kurdesqui ont pris possession de la ré-gion. Le seul espoir qui lui resteest l’inconcevable déploiement d’une force internationale vouée à garantir la protection de Sinjar.« La montagne nous a sauvés, je neretournerai pas chez moi tant qu’iln’y aura pas de frontières entre nous et les musulmans. » p

allan kaval

L’abandon

de Sinjar par l’EI

a permis à

de nombreux

réfugiés yézidis

de venir se servir

dans les maisons

désertes

des sunnites

LE CONTEXTE

« HÉRÉTIQUES »La ville de Sinjar comptait 20 000 habitants avant sa con-quête par l’organisation Etat is-lamique (EI) en août 2014. Les djihadistes menaient alors une offensive contre les Kurdes dans le nord de l’Irak. Majoritaires dans les environs, les Yézidis ont fait l’objet de crimes de masse aux mains des djihadistes. Kur-des mais non-musulmans, ils sont perçus comme hérétiques par l’EI.

ESCLAVAGEPrès de 200 000 personnes origi-naires de la zone ont été jetées sur les routes. Des milliers de femmes et d’enfants, capturés, ont été réduits en esclavage dans une entreprise planifiée, et les femmes vendues dans le ter-ritoire tenu par l’EI. Le recul des forces kurdes, et le siège du mont Sinjar voisin, où s’étaient réfugiés une partie des habi-tants, avaient précipité l’inter-vention aérienne de la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre l’EI.

L’opposition syrienne fait taire ses divisions pour négocier avec DamasA Riyad, les principales factions rebelles se sont mises d’accord sur un texte proposant une transition et le départ de Bachar Al-Assad

riyad - envoyé spécial

L’ opposition syrienne etses parrains préparentune possible reprise des

négociations avec le régime de Damas. Réunis mercredi 9 et jeudi10 décembre à Riyad, une cen-taine de délégués, représentants des principaux courants de la ré-bellion, sont parvenus à élaborerune plateforme commune et à former un comité de supervisionde ces pourparlers. La déclaration de Vienne, adoptée fin octobre par dix-sept pays, dont les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite, l’Iran et les puissances européen-nes, fixaient au début du mois de janvier la relance des négocia-tions inter-syriennes, au pointmort depuis l’échec de la confé-rence de Genève en février 2014.

Enfermés pendant quarante-huit heures dans un palace de Riyad transformé en blockhaus, les opposants syriens ont réussi à faire taire leurs divisions en un temps record. Le communiqué fi-nal affirme que les participants sont « prêts à entrer dans des né-gociations avec des représentantsdu régime sur la base de la décla-ration de Genève 1 », un plan de transition datant de juin 2012, touten spécifiant que le départ de leur ennemi numéro un, le président syrien Bachar Al-Assad, devra in-tervenir « au début » de cette éven-tuelle transition.

En réponse à la communauté in-ternationale, qui redoute qu’une chute du dictateur syrien ne fasse le jeu des factions les plus extré-mistes de l’insurrection, comme leFront Al-Nosra (la branche sy-rienne d’Al-Qaida) et l’organisationEtat islamique, la déclaration com-mune appelle à la création en Syried’un Etat « civil » inclusif et démo-

cratique. Le texte a été ratifié non seulement par la Coalition natio-nale syrienne (CNS), la principale formation anti-Assad en exil, maisaussi par le Comité national de coordination des forces de change-ment démocratique (CNCCD), le ri-val de gauche de la CNS, composé d’opposants de l’intérieur, souventlaïcs et hostiles à la militarisation de la révolution, ainsi que par des émissaires des principaux grou-pes armés.

« Identité musulmane »

Parmi ceux-ci figuraient des re-présentants de l’Armée syriennelibre (ASL), la branche modérée dela rébellion, mais aussi de JaishAl-Islam (« l’armée de l’islam ») et Ahrar Al-Sham, les deux coali-tions militaires les plus puissan-tes, d’inspiration salafiste. Jus-que-là, jamais ces groupes armésne s’étaient ralliés de manièreaussi ouverte à un projet de règle-ment politique de la crise sy-rienne. « Qui aurait pu imaginer qu’un jour Ahrar Al-Sham et laCNCCD siégeraient à la même ta-ble ? », se réjouit Abdul Ahad Aste-phoa, un cadre de la CNS. Pour les impliquer dans les possibles dis-cussions de janvier et s’assurerqu’en cas de cessez-le-feu, l’unedes dispositions de la déclaration de Vienne, celui-ci ne s’effondre

Moscou ne cesse

d’affirmer

que l’opposition

est trop morcelée

et radicale

pour constituer

une alternative

pas aussitôt déclaré, les groupes armés syriens ont obtenu un tiersdes 34 sièges du comité chargé de désigner les négociateurs.

Signe de la fragilité de l’accordde Riyad, Ahrar Al-Sham a d’abord annoncé qu’il se retirait de la réunion, parce que « l’iden-tité musulmane » de la Syrie n’était pas assez prise en compte à son goût, avant que son repré-sentant ne se décide à signer le texte. C’est le signe de tensions ausein de cette formation rebelle : d’un côté les politiques, qui veu-lent éviter que celle-ci ne soit ins-crite sur la liste des organisationsterroristes syriennes que la Jorda-nie a été chargée de dresser, del’autre côté les militaires, qui sur le terrain, se retrouvent souvent àcollaborer avec le Front Al-Nosra.

Les parrains de l’opposition sy-rienne, faisant le pari que l’accordde Riyad continuera malgré tout àtenir, l’utilisent désormais pourfaire pression sur la Russie. Pro-tecteur de Damas, Moscou ne cesse d’affirmer que l’opposition syrienne est trop morcelée et ra-dicale pour constituer une alter-native crédible au président As-sad. La diplomatie russe insiste sur la nécessité de boucler au plusvite la liste des organisations ter-roristes, qui seront exclues de tout cessez-le-feu.

Des consultations sont prévuesen début de semaine prochaine, àParis et Moscou, entre le secré-taire d’Etat américain, John Kerry,et ses homologues russes et fran-çais. L’objectif est de préparer le terrain à une nouvelle grande conférence, sur le modèle de cellede Vienne, qui pourrait se tenir vendredi 18 décembre à New Yorket ouvrir la voie à la reprise des pourparlers de paix. p

benjamin barthe

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 international & europe | 11

Face aux migrants, l’UE veut des gardes-frontières permanentsPour Bruxelles, l’enjeu est également de sauver le traité de Schengen

bruxelles - bureau européen

Le plan que la Commissionde Bruxelles s’apprête àmettre sur la table, mardi15 décembre, est une véri-

table bombe. Un projet qui, s’il estapprouvé par les Etats et le Parle-ment européens, marquerait, en tout cas, une avancée considéra-ble vers une gestion commune des frontières de l’Union. Il sup-pose toutefois des abandons desouveraineté qui ne manqueront pas de faire débat.

Selon les informations obtenuespar Le Monde, la Commission a l’intention de proposer un règle-ment visant à créer une véritable agence européenne de gardes-cô-tes et de gardes-frontières, consti-tuée de milliers de personnels mobilisables rapidement, et qui aurait la capacité de s’autosaisir en cas de menace jugée grave à une frontière de l’Union.

Pour la Commission, il s’agitd’endiguer le flux de migrants,alors que plus de 1,5 million d’en-tre eux ont franchi « illégale-ment » les frontières extérieures de l’UE en 2015, et que plus d’unmillion sont déjà arrivés en Alle-magne. Pour Bruxelles, l’enjeuest aussi de sauver le traité deSchengen, qui permet la libre cir-culation des personnes à l’inté-rieur de l’Union, menacé en rai-son de la porosité des frontières extérieures.

Gestion commune

Bruxelles compte rénover de fond en comble Frontex, l’Agence euro-péenne pour la gestion de la coo-pération opérationnelle aux fron-tières extérieures des Etats mem-bres, créée en 2004. Rebaptisée, elle verrait ses pouvoirs considé-rablement augmentés. Avec des personnels « permanents » qui passeraient de 400 à 1 000, et, grande nouveauté, un corps de ré-servistes de 1 500 agents (composéde gardes-côtes et de gardes-fron-tières nationaux). Une force qui devrait être mobilisable en deux ou trois jours en cas de besoin.

Frontex ne dispose pas

aujourd’hui de ce corps de « réser-vistes » : quand un pays a besoin de renfort pour garder sa fron-tière, les capitales sont sollicitées, mais elles agissent sur une base volontaire. Réunir les effectifs né-cessaires prend des semaines. Ainsi, Frontex a demandé en octo-bre 743 agents supplémentaires pour aider la Grèce, mais, à date, n’en a réuni que 447. Avec la nou-velle agence des frontières, les Etats seraient obligés de mobili-ser leurs effectifs quand ils se-raient sollicités.

Le projet prévoit que, quand lanouvelle agence jugera qu’une frontière extérieure de l’UE est particulièrement fragilisée, suiteà une pression « disproportion-née », elle pourra intervenir sans attendre la sollicitation de l’Etat concerné. Alors qu’aujourd’huiFrontex met à disposition desEtats membres une force de réac-tion rapide (baptisée Rabit) com-posée d’un vivier de gardes-fron-tières dépêchés par les capitales, son déploiement ne peut toute-fois intervenir qu’à la condition que le pays concerné en fasse ex-pressément la demande.

Si la Commission se défend devouloir remettre frontalement enquestion la souveraineté des Etatspour ce qui est de la surveillance de leurs frontières, le nouveau mode d’intervention qu’elle pré-conise pousse très loin la gestion commune des frontières. Si l’agence constate une grave « défi-cience » à une frontière exté-rieure, la Commission pourrait formuler une « recommanda-tion », visant à faire intervenir lecorps de réservistes.

Cette recommandation serait

soumise à un groupe d’experts,constitué de représentants des Etats membres. Ils pourraient blo-quer la proposition, mais à la« majorité qualifiée inversée »,plus difficile à rassembler. Ce sys-tème, prévu par le traité de Lis-bonne, oblige des Etats hostiles à une décision à rassembler 255 voix sur 345 pour la rendre inap-plicable.

Les réunions pourraient êtreconvoquées très vite et se tenir par téléphone. La procédure, ra-pide mais opaque, relève de la « comitologie », un mode de déci-sion bruxellois particulièrement décrié, notamment au Parlement européen : c’est la Commission qui propose des actes d’exécution,entérinés par un comité qu’elle préside et qui est composé de re-présentants des pays membres.

Intense débat

La Grèce est particulièrement vi-sée par la proposition choc élabo-rée par la « team Juncker ». Elle a, certes, demandé officiellement l’activation de la force de réaction Rabit, jeudi 3 décembre, mais seu-lement après que ses partenaires, excédés qu’elle ne surveille pas as-sez, de leur point de vue, ses îlesde la mer Egée, en sont arrivés à lamenacer d’une suspension, voired’une exclusion (à peu près im-possible à réaliser) de l’espace Schengen.

La France et l’Allemagne sou-tiennent la Commission. Dans uncourrier commun soumis aux ministres de l’intérieur, vendredi 4 décembre, les deux pays recom-mandaient un renforcement très important de l’agence Frontex. « Dans des circonstances excep-tionnelles, Frontex devrait égale-ment pouvoir prendre l’initiative de déployer, sous sa propre respon-sabilité, des équipes d’interventionrapide aux frontières », indiquaitce courrier.

Il reste que le plan devrait susci-ter un intense débat. Cela fait desannées qu’une mutualisation des frontières de l’Union est évoquée, mais, jusqu’à présent, elle avait toujours été repoussée, les paysrechignant à abandonner une

part de leur souveraineté. Lespays gouvernés par des majorités très nationalistes (Pologne, Hon-grie) seraient déjà critiques, comme leurs partenaires tchè-ques et slovaques. L’Espagne et Chypre confient également leur scepticisme.

« Les petits pays risquent de sefaire la même réflexion qu’à pro-pos des mécanismes renforcés de surveillance budgétaire : ils esti-ment que ce sont surtout eux qui“dégustent”, les grands Etats bé-néficiant, de leur point de vue, debien plus de clémence », ajoute undiplomate.

Pour que la proposition de rè-glement de la Commission soit validée, elle devra être adoptéepar le Conseil (les Etats), à la majo-rité qualifiée, et aussi par le Parle-ment. Cela prendra, au moins, des mois… p

cécile ducourtieux

et jean-pierre stroobants

Les pays

gouvernés

par des majorités

très nationalistes,

la Pologne, la

Hongrie, seraient

déjà critiques

Le SPD utilise la France pour attaquer Mme MerkelLe vice-chancelier, Sigmar Gabriel, veut que Berlin investisse dans la croissance européenne

berlin - correspondant

S ans Angela Merkel, MarineLe Pen ne connaîtrait pas lesuccès qui est le sien. Cette

théorie – que l’on entend parfoisau sein de la gauche française – a été reprise vendredi 11 décembre par Sigmar Gabriel, président duParti social-démocrate (SPD), lors du congrès de son organisation.« J’ai averti Angela Merkel que le Front national serait le seul ga-gnant d’une politique d’austérité en France », a-t-il déclaré, préci-sant qu’il fallait « regarder la situa-tion sociale d’un pays » avant d’imposer une telle politique.

Vice-chancelier et ministre del’économie, Sigmar Gabriel ne peut pas attaquer trop frontale-ment la chancelière. Néanmoins, celle-ci risque d’être son adver-saire lors des prochaines électionsgénérales, à l’automne 2017. Alors qu’en Allemagne, le chômage n’ajamais été aussi bas et les caissespubliques rarement aussi rem-plies, Sigmar Gabriel a choisi l’Eu-rope et la situation en France comme angles d’attaque. D’ailleurs, le premier ministre français, Manuel Valls, devait s’ex-primer devant les congressistes,

samedi 12 décembre. Sigmar Ga-briel a qualifié de « honteux » le si-lence des conservateurs euro-péens et notamment de la CDU à l’égard du président des Républi-cains : « Rappelez votre amiSarkozy à l’ordre, lui qui préfère contribuer à la victoire de l’ex-trême droite que de combattre cel-le-ci avec les socialistes français ».

Engagement en Syrie

Sigmar Gabriel est également lon-guement revenu sur la crise des réfugiés. La veille, le congrès avait adopté une motion de la directiondu parti jugeant qu’il fallait ac-cueillir les réfugiés, que ceux-ci constituaient une chance pour le pays mais que leur intégration supposait qu’ils arrivent en Alle-magne moins rapidement qu’ac-tuellement. Plus d’un million ont été enregistrés en 2015. Pour la première fois, Sigmar Gabriel a constaté l’échec de la politique al-lemande. « Soyons honnêtes. Noustrouvons en Europe peu ou pas decompréhension pour notre politi-que à l’égard des réfugiés. Lagrande majorité des Etats-mem-bres, et pas seulement en Europe de l’Est, nous considèrent commefous. C’est pourquoi ils ne veulent

« J’ai averti

Mme Merkel

que le FN serait

le seul gagnant

d’une politique

d’austérité

en France »

SIGMAR GABRIEL

président du SPD

pas prendre de réfugiés venant de chez nous. On peut trouver cela in-juste et égoïste mais on ne doit sefaire aucune illusion. »

Pour lui, cette situation s’expli-que par les tensions sociales qui règnent dans le reste de l’Europe.« Les pays avec un fort taux de chô-mage ne prennent aucun réfugié. Et les sociétés qui sont elles-mêmesdéchirées ne sont pas non plus en mesure d’intégrer des réfugiés », reconnaît-il. Il faut donc que l’Alle-magne « investisse bien plus qu’ellene l’a fait dans la croissance et l’ac-tivité en Europe ».

Sigmar Gabriel a approuvé l’en-gagement allemand en Syrie. Ven-dredi 4 décembre, le Bundestag a

approuvé l’envoi de 1 200 soldats (au maximum), d’une frégate et de six avions de reconnaissance – non équipés de missiles – pour lutter contre l’organisation Etat islamique. Mais la Bundeswehrne doit pas participer aux com-bats proprement dits. Comme la veille Frank-Walter Steinmeier, leministre des affaires étrangères,Sigmar Gabriel a défendu le votede la semaine dernière. « Je ne peux pas imaginer ce que cela aurait signifié pour l’Europe etpour la relation franco-allemande si nous avions refusé ce soutien. »

Sachant qu’une minorité nonnégligeable de son parti reste hos-tile à cette décision, Sigmar Ga-briel, qui, seul candidat, a été rééluprésident du SPD – mais avec un score médiocre : 74,3 % contre 83,6 % il y a deux ans –, a pris un engagement inattendu : « Si l’Alle-magne devait participer directe-ment aux combats en Syrie ou dans la région, je laisserais en tant que président du SPD nos adhé-rents le décider. » Les députés so-ciaux-démocrates ne voteraient donc pas au Bundestag un nou-veau mandat de la Bundeswehr sans le feu vert des adhérents. p

frédéric lemaître

LE CONTEXTE

TRANSFERTAvant un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, qui se tiendra à Bruxelles jeudi 17 et vendredi 18 décembre, pour évo-quer notamment la crise migra-toire, la Commission européennefrappe un grand coup. Pour ten-ter de sauver l’espace Schengen de libre circulation, elle suggère un transfert de compétences iné-dit des Etats vers l’Union : afin de mieux contrôler les frontières ex-térieures, un corps de gardes-frontières européens pourrait être déployé, même si le pays concerné n’y est pas favorable. Une véritable agence euro-péenne des frontières prendrait le relais de Frontex. Les réactions de certains Etats promettent d’être très critiques. Dans la fou-lée, la Commission proposera un « schéma d’admission humani-taire » pour plusieurs dizaines de milliers de réfugiés vulnérables, actuellement en Turquie.

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Page 12: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

12 | international DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Khodorkovski appelle à la « révolution » en RussieLa justice russe a rouvert une enquête pour meurtre contre l’ancien oligarque exilé en Europe

moscou - correspondante

Dix-sept ans après lesfaits, le Comité d’en-quête de Russie, placésous l’autorité du

Kremlin, a rouvert une enquête pour meurtre contre Mikhaïl Khodorkovski et annoncé son in-tention de lancer un « avis de re-cherche » contre l’ancien PDG dugroupe pétrolier Ioukos exilé en Europe. « L’implication de Mikhaïl Khodorkovski a été établie » sur la base de « nouvelles preuves », a af-firmé l’organisme judiciaire ven-dredi 11 décembre, ajoutant :« Aucune décision importante deIoukos n’était prise sans son or-dre. » L’ex-oligarque opposant de Vladimir Poutine, qui a déjà passédix ans en colonie pénitentiairepour fraude fiscale avant de béné-ficier d’une grâce présidentielle, avait appelé mercredi à une « ré-volution » en Russie.

L’affaire remonte au26 juin 1998. Ce jour-là, date anni-versaire de M. Khodorkovski, Vla-dimir Petoukhov, le maire de la commune pétrolière Nefteïou-gansk, en Sibérie occidentale, où était implantée une filiale de Ioukos, est tué de plusieurs balles. L’élu, alors en conflit avec le groupe pétrolier, réclamait des millions de roubles pour non-paiement d’impôts, une accusa-tion démentie par la compagnie

qui avait elle-même demandé de son côté au parquet de contrôler les activités du maire. Plusieurs personnes ont été condamnées pour le meurtre de M. Petoukhov,dont l’ex-directeur de la sécurité de Ioukos, Alexeï Pitchouguine, qui purge une peine de prison à vie, et Leonid Nevzline, l’un des principaux actionnaires du groupe, également condamné àperpétuité, mais résidant en Israël.

Ioukos a été démantelé par l’Etatrusse et son PDG condamnéen 2004 à onze ans d’emprisonne-ment pour « escroquerie à grandeéchelle » et « évasion fiscale ». Le 20 décembre 2013, M. Khodorko-vski a été gracié, après en avoir faitla demande, par le président russe, au terme d’un « pacte » dans lequel il s’engageait à renon-cer à jouer un rôle politique. Pro-messe rompue. Fondateur du site d’opposition Russie ouverte, l’an-cien oligarque, aujourd’hui âgé de52 ans, a organisé une conférence de presse par vidéo, mercredi, àMoscou. Et l’homme d’affaires, qui se savait de nouveau dans le collimateur de Moscou depuis le 8 décembre, après une convoca-tion portée au domicile de son père, appelle à « une révolution », qu’il juge « inévitable ». « En l’ab-sence d’élections justes et d’autresmécanismes légitimes, la seule fa-çon de changer le pouvoir, c’est larévolution », a-t-il lancé.

per de mes affaires familiales et ne pas faire de politique, et je les ai respectées pendant tout le temps [d’emprisonnement] qui m’avaitété donné par Poutine. »

Pour M. Khodorkovski, désor-mais désigné comme « le com-manditaire » du meurtre de l’an-cien maire de Nefteïougansk, etde « tentatives de meurtre » sur d’autres personnes, « plusieurs versions » se sont succédé. « Le lienfictif entre le personnel de Ioukos et cette affaire n’est apparue qu’en 2003, après mon discours surla corruption dans les plus hautes sphères de l’Etat », a-t-il assuré.Cette fois, la décision de lancer de nouvelles poursuites aurait étéprise, selon lui, « au début de l’été, pour faire pression sur les action-naires de Ioukos », dans la foulée des premières saisies de biensrusses liées à la décision de laCour d’arbitrage internationale

de La Haye. En juillet 2014, cette dernière a condamné la Russie à verser 50 milliards de dollars (45 milliards d’euros) aux anciens actionnaires du groupe, considé-rés comme spoliés par le déman-tèlement du groupe au profit de l’Etat russe. Une indemnité re-cord, suivie par une autre déci-sion de la Cour européenne desdroits de l’homme (CEDH) qui avait statué de la même façon en infligeant à la Russie une amende de 1,9 milliard d’euros.

« Alexeï, fais-le ! »

La Russie ayant indiqué qu’ellen’était pas disposée à s’acquitter de ces sommes, des biens lui ap-partenant, notamment de l’im-mobilier et des comptes bancai-res, ont commencé à être saisis en France et en Belgique. En réaction, le 5 décembre, une loi a été adop-tée par la Douma, la chambre

basse du Parlement, qui place la Cour constitutionnelle de Russie au-dessus des lois internationales.« Ils ne veulent pas payer les 50 mil-liards, alors ils utilisent tous les moyens d’action possibles », a in-sisté M. Khodorkovski. Vendredi, sur son compte Twitter, l’ancien oligarque enjoignait son ancien employé, « l’otage Pitchouguine », à témoigner contre lui. « Il a l’occa-sion de retrouver sa liberté en parti-cipant à ce show. Alexeï, fais-le ! »

Jeudi soir, l’adjoint du procureurgénéral de Russie, Vladimir Mali-novski, a demandé au Comité d’enquête d’étudier en parallèle l’ouverture d’une autre enquête pénale possible en joignant au dossier l’appel de l’ancien oligar-que au changement du pouvoir par « une révolution », qui pourrait tomber sous le coup de loi pour « extrémisme ». p

isabelle mandraud

Mikhaïl Khodorkovski, à Londres, le 26 novembre. PETER NICHOLLS/REUTERS

« Le président et son entouragepeuvent utiliser tous les moyens del’Etat, sans contrôle », a-t-il pour-suivi en appelant à « saboter leslois illégitimes ». « Ils utilisent tous les moyens pour acheter les loyau-tés (…). Nous avons affaire à un coup d’Etat anticonstitutionnel. »Lui-même compte bien prendre toute sa part à cette révolution.« J’ai pris des obligations, m’occu-

Alibaba s’offre le quotidien anglophone de HongkongL’achat du « South China Morning Post » souligne l’influence croissante de Pékin

shanghaï - correspondance

S uspecté de vouloir repren-dre le South China MorningPost pour « adoucir » sa cou-

verture de la Chine, Alibaba n’a pasfait mystère de ses intentions en confirmant, vendredi 11 décembre,ce nouvel investissement.

Le grand quotidien en anglais deHongkong sera « objectif, équilibré et juste », a assuré aux lecteurs Jo-seph Tsai, vice-président du cham-pion du e-commerce. Tout en pro-mettant que les choix éditoriaux seront effectués par les rédacteurs en chef et non par le conseil d’ad-ministration, M. Tsai n’a pas caché qu’à ses yeux les grands médias occidentaux couvrent la Républi-que populaire « sous un prisme trèsparticulier », à savoir que « la Chine est un Etat communiste, et que toutdécoule plus ou moins de cela ». Ali-baba, de son côté, « voit les choses

différemment, nous pensons que les choses doivent être présentées comme elles sont ».

Cette critique classique de lapresse occidentale, accusée d’igno-rer les réussites chinoises par hos-tilité idéologique, prend un tour particulier dans le contexte de Hongkong, sous influence crois-sante de Pékin. Après s’être bâtiune solide réputation au sein de la presse asiatique en offrant au monde anglophone une porte d’entrée sur la Chine, le Post est au cœur du débat sur la reprise en main par la République populaire.

Passé en 1993 des mains de Ru-pert Murdoch à celles du milliar-daire malaisien d’origine chinoiseRobert Kuok, propriétaire des hô-tels Shangri-La, le journal couvreencore les vigies organisées àHongkong à chaque anniversairede la répression de Tiananmen. Lejournal s’est également illustré

par son traitement du « mouve-ment des parapluies », àl’automne 2014, lorsque les étu-diants occupèrent trois points né-vralgiques de la Région adminis-trative spéciale pour dénoncer lesatteintes au compromis « unpays, deux systèmes » instauré en 1997, lors de la rétrocession, enprincipe pour un demi-siècle.

Journalistes poussés dehors

Toutefois, une partie de ses plu-mes les plus incisives sur la Chine,telles que le spécialiste des droitsde l’homme Paul Mooney, ont étépoussées dehors ces dernières an-nées et remplacées par des jour-nalistes issus de la presse offi-cielle chinoise.

Alibaba promet de mettre son sa-voir-faire incontesté dans le nu-mérique au service de la diffusion de ce journal vieux de cent douze ans, une étape qui commencera

par la gratuité d’accès à son site In-ternet. Cet investissement s’inscritdans les nouvelles ambitions de Jack Ma, qui veut faire du numéro un mondial du commerce en ligneun empire également présent dans le divertissement et l’infor-mation, des contenus qu’il juge complémentaires à sa capacité de « monétisation » du Web.

Pour le politologue de HongkongWilly Lam, ancien chef du service Chine du South China Morning Post, il ne fait pas de doute qu’il existe des synergies. « Mais M. Ma suit également l’instruction de Pé-kin, qui est d’accroître son contrôle sur Hongkong en renforçant l’ac-tionnariat chinois des principaux médias locaux », juge M. Lam, qui rappelle que deux des quatre télé-visions de Hongkong disposent déjà d’un actionnaire principal venu de Chine continentale. p

harold thibault

« Le président

et son entourage

peuvent utiliser

tous les moyens

de l’Etat,

sans contrôle »

MIKHAÏL KHODORKOVSKI

ancien PDG de Ioukos

AFGHANISTANLes talibans frappent le quartier diplomatique à KaboulQuatre policiers afghans et deux espagnols ont péri dans une attaque des talibans dans le quartier diplomatique de Kaboul, vendredi 11 décem-bre. L’assaut a pris fin samedi avec la mort des quatre as-saillants. Cet attentat sur-vient alors que le gouverne-ment afghan tente de ramener les talibans à la table des négociations. – (AFP.)

BURUNDITrois camps militaires attaquésAu moins douze assaillants ont été tués lors d’une atta-que, vendredi 11 décembre, contre deux camps militaires de Bujumbura, et un en pro-vince. Le Burundi est secoué par des violences depuis l’an-nonce, fin avril, de la candida-ture du président Nkurunziza à un troisième mandat, con-traire à la Constitution et à l’accord d’Arusha qui a mis

fin à la guerre civile (1993-2006). – (AFP.)

NIGERIABoko Haram détruit un villageQuatorze personnes ont été tuées dans un raid attribué au groupe islamiste Boko Ha-ram sur un village qui a été entièrement détruit dans le nord-est du Nigeria. La loca-lité attaquée, Kamuya, dans l’Etat de Borno, est située près du village dont est origi-naire le chef d’état-major de l’armée nigériane, Tukur Yu-suf Buratai. – (AFP.)

ÉTATS-UNISHuit cadets sanctionnés pour leur tenue du Ku Klux KlanHuit élèves d’une prestigieuse école militaire privée des Etats-Unis, The Citadel, en Ca-roline du Sud, ont été ren-voyés, vendredi 11 décembre, après avoir posé dans une te-nue rappelant celle du Ku Klux Klan. Les photos ont circulé sur un réseau social. – (AFP.)

Page 13: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 france | 13

L’état d’urgence soumis au Conseil constitutionnelLe Conseil d’Etat a validé, vendredi, sept assignations à résidence, mais demande aux « sages » d’examiner la loi

suite de la première page

Trois semaines après ce vote à la hussarde, le Conseil d’Etat a donc décidé de transmettre au Conseil constitutionnel une questionprioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par un activiste écologiste assigné à résidence. Cette procédure permet de de-mander aux gardiens de la Consti-tution si tel ou tel article de loi est bien conforme à la Loi fondamen-tale.

En l’occurrence, c’est l’article 6de la loi sur l’état d’urgence qui esten cause. Il autorise le ministre del’intérieur à assigner à résidence toute personne « à l’égard de la-quelle il existe des raisons sérieusesde penser que son comportement constitue une menace pour la sé-curité et l’ordre publics ». Une défi-nition extrêmement large pour une mesure de restriction de li-berté aussi grave. La section du

contentieux de la haute juridic-tion administrative, en formationde jugement solennelle compo-sée de seize juges, estime ainsi né-cessaire de s’assurer que cette dis-position ne méconnaît pas l’arti-cle 66 de la Constitution, selon le-quel : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions pré-vues par la loi. » Or, sous le régimede l’état d’urgence, le juge judi-ciaire est hors circuit, seul le juge administratif peut exercer un contrôle sur les assignations à ré-sidence – et encore, a posteriori seulement.

Une audience le 17 décembre

Vu l’importance de la question soulevée, le Conseil constitution-nel n’a pas tardé à réagir. Il a im-médiatement décidé de convo-quer une audience jeudi 17 dé-

cembre afin d’examiner cette QPC. Une réactivité rarissime. Les dispositions de la loi sur l’étatd’urgence sur les perquisitions et sur l’interdiction de réunion oude manifestation font l’objet de deux autres QPC, déposées par la Ligue des droits de l’homme, sur lesquelles le Conseil d’Etat ne se penchera que début 2016.

Le Conseil d’Etat a voulu mon-trer que si l’état d’urgence auto-rise des mesures d’exception il a besoin d’être encadré. Il était saisi par sept activistes écologistes qui contestaient l’assignation à rési-dence dont ils font l’objet depuis le 25 novembre. Cette obligationde rester chez eux de 20 heures à 6 heures et de pointer trois fois par jour au commissariat devaitprendre fin samedi 12 décembre, avec la clôture de la COP21.

La juridiction administrative dedernier ressort a ainsi vertementcontredit les tribunaux adminis-tratifs qui avaient rejeté les référéslibertés de ces plaignants en esti-mant qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer. « La présomption d’ur-gence peut naître de la naturemême de l’assignation à rési-dence », a plaidé Denis Garreau, leur avocat. Il est important que leConseil d’Etat « envoie le signal clair, tant à l’égard de l’administra-tion, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le jugeadministratif sur les mesures pri-ses dans le cadre de l’état d’urgencen’aura rien d’un contrôle au rabais,et que l’état de droit ne cède pas face à l’état d’urgence », a lancé Xa-vier Domino, le rapporteur public.

Dans les motivations de sa déci-sion, le Conseil estime notam-ment « qu’eu égard à son objet et àses effets, notamment aux restric-tions apportées à la liberté d’alleret venir, une décision prononçant l’assignation à résidence d’une personne (…) porte, en principe et par elle-même (…), une atteinte grave et immédiate à la situationde cette personne, de nature à créer une situation d’urgence justi-fiant que le juge administratif des référés (…) puisse prononcer dansde très brefs délais ».

Cela signifie que des dizaines dedécisions de rejet prises ces der-nières semaines par les tribunauxadministratifs vont être cassées. Dorénavant, les juges administra-tifs de premier ressort devrontexaminer en référé si les motifs etles modalités des assignations àrésidence décidées par le minis-tère de l’intérieur sont justifiés.

La section du contentieux, pré-sidée par Bernard Stirn, s’est doncsubstituée aux tribunaux quiavaient rejeté six dossiers sansentendre les parties et a statué en appel pour le septième. Dans les

sept cas, elle a validé sans difficul-tés ces mesures de police préven-tive, y compris pour des motifs(l’activisme écologique) très éloi-gnés de la menace terroriste qui a présidé à la déclaration de l’étatd’urgence.

Catherine Bauer-Violas, égale-ment avocate de ces militants« radicaux », s’est insurgée sur le fait qu’un juge puisse trancher « sur la base d’une seule note non signée, non datée », ces fameuses « notes blanches » des renseigne-ments généraux. « Aucune dispo-sition législative, ni aucun principene s’oppose à ce que les faits relatéspar les “notes blanches” produites par le ministre (…) soient suscepti-bles d’être pris en considération par le juge administratif », tranchele Conseil d’Etat.

« Minimaliste »

« Il est très bien que le Conseil d’Etat impose un cadre avec le con-trôle du juge administratif sur tou-tes les assignations à résidence, se réjouit Patrice Spinosi, l’avocat de la Ligue des droits de l’homme.Mais l’exemple donné de ce con-trôle est très minimaliste. »

Vendredi, l’assemblée généraledu Conseil d’Etat a également examiné le projet de réforme de laConstitution proposée par le gou-vernement après les attentats du 13 novembre. L’avis, non public, aété transmis au gouvernementsur les deux articles de la ré-forme : l’introduction de l’état d’urgence dans la Constitution et la déchéance de la nationalité. p

jean-baptiste jacquin

Si l’état d’urgence

autorise

des mesures

d’exception,

il a besoin d’être

encadré, selon

le Conseil d’Etat

En conflit avec Veolia, un ex-employé dénoncé à tort et assigné à résidenceLe ministère de l’intérieur a reconnu « une méprise » et abrogé l’arrêté

marseille - correspondant

U ne méprise commise surla base d’une informationqui était assez inquié-

tante » : le ministère de l’intérieur a reconnu son erreur et a abrogé, mardi 8 décembre, l’arrêté qui, de-puis le 15 novembre, assignait à ré-sidence Nacer, 40 ans, dans la mai-son de Septèmes-les-Vallons, au nord de Marseille, où il vit avec sesquatre enfants et sa femme.

Jusqu’à mardi, Nacer devait poin-ter quatre fois par jour dans un commissariat du 15e arrondisse-ment de Marseille, à 12 km aller-re-tour de son domicile. Cet homme sans histoires, jamais inquiété par la police, a appris par la même oc-casion qu’il faisait l’objet d’une fi-che « S » et qu’il était suspecté de préparer des actes terroristes.

Empoisonner l’eau courante

Dans son arrêté d’assignation, le ministère assurait que cet ancien employé d’une station de traite-ment des eaux de Veolia à Aix-en-Provence s’était « rendu sur le site sensible (chimie pour le traitement des eaux) où il avait travaillé, sous un prétexte fallacieux, et [s’était] beaucoup intéressé aux lieux de stockage des produits sensibles et à leur mise en œuvre et utilisation ». En clair, Nacer était soupçonné d’avoir voulu empoisonner l’eau courante.

Nacer a effectivement travaillé demars 2006 à mars 2009 comme agent du service assainissement à la station d’épuration de la Pioline, qui appartient à Veolia Eau. Puis il aété transféré comme chauffeur de bus pour Veolia Transport. Depuis 2011, il est en arrêt de travail, en rai-son d’une maladie contractée du-rant son activité à la station d’épu-ration. « Il soutient que son ex-em-

ployeur l’a, à son insu, exposé à des eaux contenant des produits chimi-ques sans protections adéquates », explique son avocat, Me Laurent Bartoloméi. En mai 2013, le tribu-nal lui a reconnu une incapacité permanente partielle de 25 %, et unrapport d’expertise médicale a été réalisé en janvier.

Mais en septembre, lorsque lesservices du renseignement sont informés que Nacer est repassé surson ancien lieu de travail fin août, l’information est prise « très au sé-rieux ». Contactée par Le Monde, Veolia confirme être à l’origine dusignalement : « Il a annoncé qu’il allait récupérer des affaires. Il a cherché à avoir des informations sur la sécurité du site. Le responsa-ble en a informé le commissariat depolice d’Aix-en-Provence. »

Nacer a-t-il été victime de sonconflit avec son employeur ? Heu-reusement, ses explications ont été vérifiées et ont fini par con-vaincre les policiers. Le « prétexte fallacieux » qui l’a ramené à la Pio-line ? Un banc de musculation à ré-cupérer dans un petit local de sport à l’abandon. Sa visite n’a duré que dix minutes, durant les-quelles il était accompagné d’un salarié de la station.

Quant à son intérêt pour les pro-duits chimiques… En janvier, il a remis au médecin-expert un docu-ment de Veolia listant les produits

« C’est qui,

ce barbu ? »,

s’inquiètent les

policiers devant

une gravure

représentant

Léonard de Vinci

chimiques utilisés à la station, ré-clamé par la caisse primaire d’as-surance-maladie. L’expert lui a alors dit : « Je regarderai sur Inter-net », ce qui a incité Nacer à faire demême. Sur son moteur de recher-che, il a tapé « produits chimiques pour traitement des eaux ». A peu de chose près, l’expression retrou-vée dans l’arrêté du ministre : « chimie du traitement des eaux ».

« L’information que nous avionseue était assez inquiétante, et la prudence conduisait à prendre cette décision », justifie le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Laurent Nunez. Dès le 1er décem-bre, dans plusieurs courriers adressés au ministère, Me Laurent Bartoloméi avait évoqué « une mé-prise totale ». « Dans le quartier, il passerait plutôt pour un mauvais musulman », sourit une responsa-ble du Secours catholique, où l’épouse de Nacer est bénévole.

Aujourd’hui, Nacer répèten’avoir « aucun reproche à faire aux forces de l’ordre, qui ont fait leur travail. » Même ceux qui, cas-qués, munis de boucliers, ont forcé sa porte le 19 novembre pour une perquisition. Sonépouse raconte que les policiers sesont arrêtés devant les médailles acquises par Nacer durant son passage dans l’armée française, épinglées avec trois punaises, unebleue, une blanche, une rouge. Ilsont pris une photo du Coran et se sont inquiétés devant une gra-vure représentant Léonard deVinci : « C’est qui, ce barbu ? »

« Des voisins ne me disent plusbonjour », regrette Nacer, persuadéqu’il va devoir déménager. Et, « même si les policiers ont été gen-tils avec eux », ses enfants sont sui-vis désormais par un psychologue.La nuit, le « cauchemar » de leur père devient le leur. p

luc leroux

LE CONTEXTE

2 575 PERQUISITIONSDepuis l’instauration de l’état d’urgence, le 14 novembre, 2 575 perquisitions administrati-ves ont été menées, a indiqué Manuel Valls vendredi 11 décem-bre. Ces perquisitions ont donné lieu à « 311 interpellations, 273 gardes à vue, 453 procédures judiciaires, la saisie de 403 armes dont 39 armes de guerre et 202 découvertes de produits stupé-fiants », a énuméré le premier ministre sur France Inter.M. Valls a reconnu, parmi les perquisitions, « sans doute deux ou trois cas (…) pas admissi-bles ». « Et puis il y a eu, oui, 354 assignations à résidence parce que c’est aussi un moyen de met-tre de côté des individus qui peu-vent être dangereux pour l’Etat, pour l’intérêt général et l’ordre public », a déclaré le premier ministre, selon lequel « l’état d’urgence, c’est l’Etat de droit ».

Le bâtonnier de Paris dénonce

le « recul » des libertés

Lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris, vendredi 11 décembre, le bâtonnier, Me Pierre-Olivier Sur, a appelé à la mobilisation pour la défense des libertés publiques, « en recul » depuis l’instauration de l’état d’urgence. « Si les mesures de sû-reté administratives sont évidemment nécessaires, rien ne justifie qu’on déroge au droit », a-t-il lancé, estimant que le recours à ce régime d’exception était « un subterfuge permettant à l’Etat de contourner le manque d’enquêteurs, de magistrats instructeurs et d’avocats ». S’adressant à la ministre de la justice, Christiane Taubira, assise à quelques mètres de lui, il a de nouveau « exigé », pour éviter toute dérive, « que l’état d’urgence soit li-mité dans le temps, que les procédures prévoient le respect des droits de la défense et soient soumises au juge judiciaire ».

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Page 14: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

14 | france DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Coup de balaià la mosquée de L’ArbresleLa fermeture du lieu de culte a ébranlé cette commune du Rhône

l’arbresle (rhône) - envoyée spéciale

C’est une distinctiondont L’Arbresle se se-rait bien passé. Le26 novembre, cette

commune du Rhône a connu la première des trois fermetures ad-ministratives de mosquée jus-qu’ici décidées dans le cadre del’état d’urgence. « Fréquentée par de nombreux salafistes, dont cer-tains en relation avec des individuspouvant se trouver en Syrie, cette salle (…) présente un risque sérieux d’atteinte à la sécurité et à l’ordre public », a ce jour-là justifié la pré-fecture du Rhône.

De dangereux radicaux parmiles 70 à 80 fidèles du vendredi ?Quand on les interroge, les habi-tants ont plutôt tendance à dé-crire une banlieue tranquille de6 000 âmes, nichée dans un décorrural à moins de 30 kilomètres de Lyon. Le directeur de la missionlocale, Thierry Receveur, évoque, certes, des problématiques d’em-ploi des jeunes mais, en aucun cas, « un territoire où on a constatédes comportements radicalisés ». Idem à la Maison des jeunes et de la culture (MJC) : « On est une com-mune où il n’y a pas de délin-quance et on a réussi une certaine intégration des communautés », considère son président, Jean-Louis Mahuet, qui est « surpris… etinquiet ». La décision de la préfec-ture a instillé dans les esprits l’idée que le danger peut surgir là où rien ne l’annonce.

Les dirigeants de la mosquéesont des enfants du cru, des tren-tenaires que le maire socialiste,

Pierre-Jean Zannettacci, connaît bien pour avoir été leur prof desport au collège et leur éducateur de foot. « J’ai tendance à leur faire confiance et je ne les vois pascomme des manipulateurs, dit-il. On connaît très bien la commu-nauté musulmane et ça s’est tou-jours bien passé. Je n’avais pas le sentiment que c’était une mosquéesalafiste même si certains ont une pratique rigoriste de l’islam. »

Rien que quelques djellabas, desbarbes et des voiles… Et il y a cetteanecdote que rapporte le préfetMichel Delpuech, à propos duprésident de la mosquée qui refu-serait de saluer l’adjointe à la jeu-nesse de la commune, Astrid Lu-din. « C’est arrivé une fois qu’il neme serre pas la main mais ce n’estpas une constante, précise l’élue.On a de très bons rapports et, de toute façon, ça ne fait pas d’euxdes djihadistes. »

Des conférenciers salafistes

En septembre, les services de ren-seignement avaient informé M. Zannettacci que la mosquée était surveillée. « Je pense que le préfet a des éléments », avance le maire. Aétudier de près l’arrêté de ferme-ture, dont Le Monde a pris connais-sance, certains de ces éléments soulèvent des interrogations. Le président de l’association y est d’abord présenté, à tort, comme l’imam. Il lui est ensuite reproché d’avoir été en relation avec deux convertis « islamistes radicaux », faisant « l’objet d’une fiche de sûretéde l’Etat », Julien B. et Eric B.

Si la radicalisation de Julien B. nesemble pas faire débat, le prési-

« trop naïf, trop gentil » face à cer-tains prêches ou intervenants. « Sic’est de la faiblesse, c’est une fauteet je veux la combattre, réplique le préfet. Les cibles faciles à manipu-ler et ceux qu’on retrouve au Bata-clan, ce sont les mêmes. »

Le trésorier de la mosquée, lui,dénonce « une énorme injustice » et se dit convaincu que les pou-voirs publics veulent, sans autreforme de procès, « dégager tous les barbus ». Là où le maire veut éviter de « stigmatiser la commu-nauté musulmane », la préfecture

assume sa volonté de produire un« électrochoc » et d’agir de façon« préventive ». « Il y a l’avant etl’après état d’urgence, défend Mi-chel Delpuech. On a des outils juri-diques et bien, moi, je les utilise. »

Depuis sa nomination en mars,le préfet a illustré sa méthodepour lutter contre l’implantation du salafisme (il estime qu’une douzaine de salles de culte sur 110seraient sous surveillance dans le Rhône). Il dit ainsi avoir « de-mandé des contrôles systémati-ques des règles applicables aux établissements recevant du pu-blic », procédé ayant conduit tout récemment à fermer une salle deprière à Vénissieux, pour non-res-pect des normes de sécurité.

M. Delpuech s’appuie égale-ment sur le conseil régional duculte musulman (CRCM) qui re-prend en gestion certains lieux, comme actuellement à L’Arbresle,Vénissieux ou Villefranche-sur-Saône. « Je leur explique comment redorer leur blason », explique Laïd Bendidi, président du CRCM de Rhône-Alpes. A L’Arbresle, les

choses sont allées sans détour :« J’ai rencontré l’ancienne équipe, je les ai dissuadés de faire un re-cours et je leur ai conseillé de dé-missionner s’ils voulaient qu’on rouvre la mosquée. »

Samedi 5 décembre, un nouveaubureau a donc été élu. Qui va adhé-rer au CRCM tandis que la mairie sera partie prenante d’une associa-tion culturelle montée par la mos-quée. « Le préfet est ravi, poursuit M. Bendidi. Les nouveaux sont des gens de l’islam du juste milieu. Je leur ai conseillé de prendre contact avec la paroisse du coin, d’aller se présenter au conseil municipal, d’organiser une journée portes ouvertes, de faire un moratoire sur les conférenciers pendant un mo-ment… ». Un imam « très ouvert et cultivé » doit reprendre du service. Mardi 15 décembre, à l’initiative duCRCM et de la préfecture, une réu-nion de travail avec des responsa-bles de salles de prière et des mai-res est prévue. « On est un labora-toire », veut croire M. Bendidi. p

julia pascual

et richard schittly (à lyon)

L’entrée de la mosquée de L’Arbresle (Rhône), vendredi 11 décembre. BERTRAND GAUDILLERE/ITEM POUR « LE MONDE »

Les déplacements des supporteurs de foot resteront limitésLa mesure décidée dans le cadre de l’état d’urgence s’appliquera pour sept matchs jugés à risque jusqu’à Noël

L eurs week-ends de football,ils souhaitent les vivre de-bout en tribunes plutôt

qu’affalés sur un canapé devant latélévision. Depuis la proclama-tion de l’état d’urgence après les attentats du 13 novembre, l’Asso-ciation nationale des supporteurs(ANS) revendique la liberté de se déplacer lors des matchs du championnat de France.

Samedi 12 et dimanche 13 dé-cembre, à l’occasion de la 18e jour-née de Ligue 1, le ministère de l’in-térieur a, là encore, proscrit tout« déplacement collectif ou indivi-duel » de supporteurs jusqu’austade d’un club adverse. Autorisésà encourager leur équipe favorite

lorsqu’elle joue à domicile, les supporteurs ont interdiction to-tale de se rendre aux matchs à l’extérieur depuis un mois.

Cet arrêté ministériel prendrafin lundi 14 décembre. Mais il a étédécidé de prolonger jusqu’à la trêve de Noël l’interdiction de dé-placement pour sept matchs bien ciblés, a annoncé au Monde le mi-nistère de l’intérieur.

La mesure visera des matchsconsidérés comme à risques en raison d’antagonismes entre sup-porteurs. Elle affectera ainsi cinq rencontres de première divisionprévues du vendredi 18 au diman-che 20 décembre : Caen-Paris-Saint-Germain, Nice-Montpellier,

Bordeaux-Marseille, Lorient-Nan-tes et Guingamp-Rennes. Egale-ment concernés : un match dedeuxième division, Tours-Metz, ainsi que la huitième de finale de Coupe de France, mercredi 16 dé-cembre, entre Bourg-en-Bresse et Marseille.

« Source de nuisances »

Créée à l’été 2014 autour de grou-pes de supporteurs de Ligue 1 et Ligue 2, l’ANS avait fait parvenir un courrier au ministre de l’inté-rieur, Bernard Cazeneuve, pour réclamer dès la fin du mois de no-vembre l’« arrêt des interdictions généralisées de déplacements ». Son président, le Lensois Pierre

Revillon, estime aujourd’hui que toute nouvelle interdiction de dé-placement pourrait être évitéepar « des concertations et des réu-nions préalables » entre les asso-ciations de supporteurs et lesautorités.

Porte-parole du ministère del’intérieur, Pierre-Henry Brandet justifie les interdictions par un ar-gument logistique : « L’état d’ur-gence n’est absolument pas une manière détournée de mettre sur la touche tels ou tels supporteurs. Notre objectif est simple et clair : gérer de manière optimale l’em-ploi de nos forces mobiles dans un contexte de menace terroriste par-ticulièrement élevée. »

Me Cyril Dubois, avocat d’an-ciens « ultras » du PSG, regrette toutefois que le récent arrêté mi-nistériel ait présenté les suppor-teurs comme « susceptibles d’oc-casionner des troubles graves pourl’ordre public ». « Il est dommage de refuser le dialogue, estime-t-il,et de considérer une fois de plus lessupporteurs comme un problème,comme une source de nuisances. »

Avec ou sans état d’urgence,cette question de la sécurité dans les stades a de l’avenir. Du 10 juin au 10 juillet 2016, durant l’Euro de football, la France devrait ac-cueillir des visiteurs par dizainesde milliers. p

adrien pécout

dent certifie qu’« il ne fréquentait pas » la mosquée : « Il est venu il y acinq ans et avait parlé de Ben La-den. Il cherchait des petites proies. On l’avait jarté direct. » Le trésorier de la mosquée jure même qu’« au moment de Charlie Hebdo, on avait donné son nom à la gendar-merie » – laquelle n’a pas donné suite à nos sollicitations. Concer-nant le deuxième individu, Eric B., l’arrêté de fermeture relève sim-plement qu’il s’est rendu à la mos-quée de L’Arbresle quatre fois en octobre et novembre. En septem-bre, Eric B. avait été jugé pour avoirmenacé de mort et contesté les prêches d’un imam de la mosquée de La Duchère, à Lyon. Il avait béné-ficié d’une relaxe.

Il est enfin reproché aux diri-geants de la mosquée d’avoir in-vité des conférenciers salafistes.Des faits qui ne sont pas contes-tés. « J’ai participé à quelques con-férences et ils n’ont jamais parlé dela Syrie », assure le jeune con-seiller municipal Ahmet Kilicas-lan, qui admet que le président dela mosquée, son « ami », a pu être

SÉCURITÉLe « secret défense » partagé par 400 000 personnes en FrancePlus de 400 000 personnes ont accès à des informations classées « secret défense », concernant les armées, le ren-seignement ou la protection de sites sensibles, selon un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale publié vendredi 11 décembre. Au 1er janvier, 288 334 documents étaient classés « secret défense ».

FISCALITÉLes députés abaissent la « taxe tampon »L’Assemblée a voté, vendredi 11 décembre, la réduction à 5,5 %, contre 20 %, du taux de TVA appliqué aux protections hygiéniques féminines, dit « taxe tampon ».

« Le préfet

est ravi.

Les nouveaux

sont des gens

de l’islam

du juste milieu »

LAÏD BENDIDI

président du conseil régionaldu culte musulman

soiréespéciale

présentée par Sébastien Paour

avec Frédéric Métézeau, chef du service politique de France Inter

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16 | géopolitique DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

REPORTAGEjean-philippe rémy

bochum, birkenau (allemagne) -

envoyé spécial

Dans la petite cuisine, on s’estversé du chocolat chauddans des gobelets en cartonet on s’est mis en route dansla nuit de Bochum, en Alle­magne. Il tombe du ciel

quelque chose qui hésite entre eau et glace. Dans la rue, tout est sombre et mouillé, avecdes lumières grasses de film expressionniste du XXe siècle.

Voici à présent un autre siècle, d’autres dra-mes, d’autres pans d’une histoire troublée. Dont une partie s’écrit ici, en Allemagne, der-nière station d’une migration historique de-puis la Syrie, l’Irak, l’Erythrée ou ailleurs. En-tre janvier et novembre, 965 000 demandes d’asile y ont été déposées. D’ici à la fin de l’an-née, le chiffre dépassera largement le million de dossiers. Cela ne concerne que ceux quisont déjà arrivés. Tant d’autres sont en route, ou se préparent au grand voyage. Ce pourrait être un chaos. C’est au contraire un vaste plannational, pensé, encadré, défendu par la chan-celière allemande, Angela Merkel. Accueillir tout ce monde, c’est changer de monde.

Pendant que l’Europe s’aigrit, se ferme, voteextrême droite, l’Allemagne a analysé son dé-ficit en main-d’œuvre et dépassé l’obstacle par l’ambition d’un grand plan d’accueil comparable à celui mis en place lorsqu’il avait fallu réaliser l’unification avec l’Est,après 1990. Trois millions de personnes,alors, avaient migré vers l’Ouest. Pendant la guerre dans l’ex-Yougoslavie, des centaines de personnes avaient fui vers l’Allemagne, déjà. Cette fois, le tournant est plus radical. Encommençant par les Syriens, les nouveauxarrivants ont fait un voyage bien plus long pour arriver dans l’île d’accueil de l’Europe.

Des Syriens, il y en a partout en Allemagne,même à Bochum. Qui est jamais allé àBochum, à part les ultras de clubs de foot ? La Ruhr est devenue une destination de choix. Aux alentours, il y a des écheveaux d’auto-routes, des usines dont les cheminées fu-ment, signe qu’on y travaille, symbole de l’es-poir de ceux qui ont souffert tous les dangerspour arriver ici, exsangues, épuisés, les po-ches vides, des enfants plein les bras.

Les Syriens, les voici à l’œuvre dans unenouvelle vie. Comme au pays, les chabab (les jeunes, les gars, les mecs) ne se quittent pres-que pas. Encore moins dans la nuit deBochum. Ceux-là ont été, dans la guerre de Syrie, petits soldats d’un grand conflit qu’ilsfuient à présent. Ils ne peuvent l’avouer. Aux chabab, il faut donner des noms d’emprunt :voici Abou Abdallah, Abou Bachir, AbouAhmed et Abou Omar.

« TU ES SYRIEN ? DONC TU ES DAECH »

Ils ont quitté la Syrie dévastée. Zamalka, dansla banlieue de Damas, touchée par l’attaque au gaz sarin d’août 2013. Ar-Ruhaybah, à une trentaine de kilomètres, porte du massif du Qalamoun, entre le nord de Damas et la fron-tière libanaise. Ou encore Rakka, siège du« califat » de l’organisation Etat islamique (EI).Etat islamique, Daech (son acronyme arabe)ou ISIS (son acronyme anglais) ? Ce soir, AbouAbdallah et Abou Bachir, chocolat fumant à la main, s’en contrefichent. Ils marchent dansla nuit de Bochum, ville de football, d’univer-sité, d’usines, de hooligans et de bière. Ils s’enmoquent, car ce soir, ils vont « aux putes »,comme ils n’auraient jamais dit, et encore moins fait, en Syrie.

Abou Abdallah, petit gars nerveux qui nedort jamais plus de deux heures d’affilée etsemble dévoré par un feu d’angoisse, appar-tient encore à une katiba (brigade) en voie de

disparition. Il y avait environ 90 combattantsdans ce groupe de l’Armée syrienne libre(ASL) en 2013, se battant alors en périphérie de Damas. Aujourd’hui, il ne reste qu’unedouzaine de survivants, plus ou moins actifs dans le Qalamoun. Ceux qui sont restés là-bas traitent Abou Abdallah de « traître », de « lâche » et de bien d’autres noms. C’est plusfort que lui, il blêmit, et essaie de se justifier : « J’avais ma femme, ma mère, mes enfants, je ne pouvais pas les laisser mourir en Syrie. »

Un ami combattant sur place vient d’en-voyer un message avouant secrètement être lui aussi « fatigué ». Prêt à tout plaquer. Il joi-gnait une photo du Qalamoun. Des sommetsocre clair, des nuages. Lointaines batailles dont les nouvelles à travers l’espace virtuel, sur WhatsApp, Viber, et arrivent sur les écrans des smartphones, en Allemagne.

A Bochum, nous avons aussi trouvé AbouBachir. Vingt-trois ans, en paraissant dix de plus. Il faisait du trafic d’armes avec le Liban voisin. Puis il a pris la tangente. Egypte : un anbloqué au Caire. Traversée du désert libyen, lamort si proche. « Les passeurs nous ont dit de nous tasser à l’arrière du pick-up. On était peut-être soixante en tout, serrés les uns contreles autres. On est partis aussitôt, en roulant à une vitesse de dingue. Des gens sont tombés enroute, on ne s’est jamais arrêtés pour les ra-masser. Quand on a finalement stoppé la voi-ture, des hommes en noir masqués sont venus vers moi et m’ont dit : “Tu es syrien ? Donc tu esDaech. On t’emmène”. »

Tabassé, rançonné. Torturé. Il achète encoresa fuite. Puis Zouara, sur la côte libyenne. Le bateau sur la Méditerranée, la panne. Troisjours à dériver, « les Arabes au dessus, les Noirsen dessous, dans la cale, le plus dangereux ».Sauvés in extremis par les gardes-côtes ita-liens. L’Italie, Vintimille, la France, les flics quicognent, la population qui se bouche le nez.Nice, l’épuisement de ne jamais pouvoir dor-mir, toujours être en mouvement. Puis l’Alle-magne. Et, désormais, un appartement dedeux pièces, des cours de langue intensifs,une allocation, des projets, une vie. Il y a même un téléviseur pour jouer à la PSP dans le salon vide. Il est si jeune, Abou Bachir, com-ment a-t-il déjà vécu toutes ces existences ? Il rit et renverse les yeux : « Moi, je n’ai jamaistiré un coup de feu. La guerre, le trafic, au com-mencement, c’était une sorte de jeu. On ne réa-lisait pas bien. On trouvait ça excitant. On al-lait changer le pouvoir, bientôt on serait libres.Et puis, tout s’est gâté. Tout s’est brouillé. J’étaisrecherché. Avant qu’on m’attrape, j’ai fui. »

Tous les jours, pendant trois heures, il ap-prend l’allemand. Il reprend les autres quand ils ne mouillent pas assez le son « ch ». Avant la guerre, il avait commencé l’informatique,le montage vidéo. Ici, il va se remettre à ni-veau à toute vitesse. Il sera bientôt capable dechercher un emploi. « C’est qu’il y a du travail, ici, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. » Il

connaît déjà tous les Länder, leurs avantages, leurs inconvénients. Migrant, ce n’est pas pour les amateurs.

Les chabab ont été les petits acteurs d’uneguerre en Syrie. Les voilà petits acteurs d’une grande aventure qui se joue ici. Allemagne 2015, Europe 2015, le grand mélange. Cette histoire en train de s’écrire touche à tous les détails de la vie quotidienne. Ce soir, donc, leschabab ont décidé d’aller fureter dans lequartier où les lumières rouges donnent aux visages des cernes noirs. En marchant, on boit nos chocolats chauds. On aperçoit déjàles prostituées, éclairées par les spots de leur petit studio.

« CHEZ MOI, C’EST BOUM, BOUM, BOUM ! »

Elles ne sont pas tellement plus allemandes qu’eux, ces femmes que l’on achète. Venuesdes Balkans, ou de plus loin encore, jusqu’à l’Asie du Sud-Est. Dans les petites pièces sur-chauffées, avec porte-fenêtre sur la rue, elles ont vite repéré ces clients qui relèvent leur ca-puche et se mettent une écharpe devant lenez quand ils approchent, comme si on ris-quait de les reconnaître. Dans les deux outrois rues de la prostitution à Bochum, il y ades tas de groupes comme eux, en dérive de curiosité. De jeunes gars encapuchonnés qui regardent, font des nuages de vapeur dans le froid et s’enfuient quand une fille quasimentnue sur ses hauts talons les appelle. « Qu’est-ce qu’elle a dit ? » On demande à AbouBachir, le germanophone attitré. « Le prix : 30 euros, et préservatifs obligatoires. Quandmême, 30 euros, c’est pas cher. Il paraît qu’àDüsseldorf, c’est 60 ou 70. Mais elles sont plus belles. Faudrait qu’on aille voir. »

Si le contribuable allemand savait qu’unepartie des allocations (340 euros par mois pour un adulte) risque de terminer dans le

quartier rouge, c’est certain, il y aurait de l’in-dignation. Mais les seuls Allemands au cou-rant sont ceux qui se glissent aussi dans cequartier. On peut compter sur leur discré-tion. Déjà, nos pas nous portent ailleurs. « From war to whores, and at the end we’re fuc-ked [“de la guerre aux putes, à la fin on se fait toujours baiser”] », tentent-ils de rire.

On s’arrête pour un carton de nouilles sau-tées au soja dans un Imbiss (« snack ») tenu parun Vietnamien avec une crête décolorée, qui promet que, chez lui, ce qui est végétarien est halal. Au pays de la saucisse, il n’est pas simplede manger en toute confiance. Dans la jour-née, en faisant les courses, on passe des heu-res à scruter les étiquettes pour décortiquer les noms interminables des composés dans les aliments afin de détecter le porc. Com-ment on dit gélatine en allemand, déjà ? On a renoncé à pas mal de gâteaux pourtant pas chers du tout chez Lidl. Heureusement, il y a un Marocain qui vend des chocolats à la fraiseà un euro la boîte, et c’est halal. Il l’a dit. Il est temps de rentrer, maintenant, dégommer desmonceaux d’ennemis à la PSP, mener de fu-rieuses batailles de char sur les smartphones, avec World of Tanks. Et parler. Des attentats deParis, par exemple, qui inquiètent.

« Est-ce que tu crois que les gens ici vont semettre à confondre les Syriens avec l’Etat isla-mique, et nous regarder comme des terroris-tes ? » Abou Omar vient de Rakka, la « capi-tale » du « califat ». C’est son petit secret. Ilfeint de trouver tout cela hilarant. « Chez moi,c’est boum, boum, boum ! » Il mime les avi-ons, les bombes. « Et c’est vous, les Français,qui nous bombardez, hein ? Comme les Rus-ses ! » Il s’esclaffe, en ajoutant qu’il ne pourra jamais expliquer cela aux services sociaux. Il combattait avec le groupe Ahrar Al-Sham.Pas l’EI, mais un groupe allié au Front Al-

« MOI, JE N’AI JAMAIS TIRÉ

UN COUP DE FEU.LA GUERRE,

LE TRAFIC, AU COMMENCEMENT,

C’ÉTAITUNE SORTE DE JEU.

ON NE RÉALISAITPAS BIEN »ABOU BACHIR

migrant syrien

Allemagne L’enfer syrien dans les têtes

Au printemps 2013, notre reporteur Jean-Philippe Rémy

rencontrait Abou Abdallah dans les environs de Damas. Deux ans

plus tard, il le retrouve avec d’autres réfugiés à Bochum, dans

la prospère Ruhr. Destinées ordinaires au cœur du drame

collectif des migrants

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 géopolitique | 17

Nosra, affilié à Al-Qaida. Il est obligé de se dire étudiant. On ne peut pas entrer en Eu-rope en disant toute la vérité. « Si je raconteque j’ai été un combattant, on ne va plus melâcher pour avoir des informations, je ne sais pas, faire de l’espionnage. »

Il a de grands yeux rieurs, il parle déjà unpeu la langue. Il a l’intention de se trouverune épouse locale dans les meilleurs délais. « J’aime bien les Allemandes, elles sont grosses là », dit-il en mettant ses mains sur les han-ches, pendant que les autres draguent des Li-byennes, des Jordaniennes, des Algérienneset surtout des Saoudiennes (« c’est les plus chaudes, des vraies folles ») sur les sites de ren-contre en ligne, même si tout cela ne débou­che pas sur le moindre rendez­vous. « Tout demême, quand tu dis : je suis un mec du monde arabe et j’habite en Allemagne, c’est la classe. Tu as des réponses, les filles t’envoient leur photo. Par contre, il n’y a pas une seule Alle-mande qui accepte de nous parler, pas une. »

ADIEU, MA GUERRE

Vient le week­end. On traîne dans les rues de Bochum. Les chabab toujours ensemble. C’est la période du marché de Noël. Une cu-rieuse expérience. Baraques vendant deschoses bizarres, comportements difficiles à décrypter. De jeunes hippies allemands tout blonds, déguisés en paysans du Moyen Age, soufflent de petites mélodies dans des ocari-nas en terre cuite. Un maréchal-ferrant avecun ventre comme une montgolfière tape sur un bout de fer rouge devant une assistance médusée. Des saucisses pendent partout.L’odeur d’anis et de vin chaud soulève lecœur des Syriens. « Mais c’est dingue ! Déjà, ilsboivent de l’alcool, mais en plus, de l’alcool chaud. Mais pourquoi, pourquoi chaud ? »

Ils traversent la foule au milieu des petites

baraques, mains dans les poches, sans qu’unregard s’arrête sur eux. Voici enfin un maga-sin allemand intéressant : l’armurerie du coin. On y entre comme des adolescents, ense cognant aux mannequins en tenue de ca-mouflage, les yeux sur les vitrines fermées àclef. Ah, les haches de combat marquées « Zombie of Death », génial. Et les flingues !Justement, « eh regardez ! » il y a le M4 d’Abou Abdallah, enfin, le même. « Maintenant, je peux le dire : je n’avais que treize balles », avoue-t-il. Dans la vitrine, on voit mal, c’estun M4 ou un HK416 ? Le HK416 de Heckler & Koch, l’arme (allemande) de nombre de for-ces spéciales sur la planète (y compris fran-çaises). En vente libre dans un magasin de Bo-chum ? Avec sa lunette de visée ? « Mais non, c’est une réplique en plastique. »

Et là, on peut vraiment rire de ce pays et deses habitants, qui achètent de fausses armes pour enfants, et pour lesquels la guerre doitêtre une chose plaisante à imiter, en tirant, comble de drôlerie, des billes en plastique jaune. Abou Abdallah avait mis toute sa for-tune de l’époque pour acheter son M4 :3 000 dollars payés à un trafiquant en prove-nance du Liban. Il ne s’en séparait jamais, même si on ne l’a pas beaucoup vu tirer. Il l’avendue, sa joie et sa fierté, pour payer les pas-seurs vers l’Europe. C’était son unique capital.Adieu, ma guerre.

Après, il a fait route par la Turquie, cachédans les environs d’Izmir, à attendre le Zodiacpour passer vers Mytilène. Il se souvient dechaque instant de ce voyage. Comment il a fallu rester deux jours debout, son fils de 8 ans entre ses jambes, au milieu d’une foule qui se battait pour se faire enregistrer enGrèce, auprès de fonctionnaires européens retranchés derrière un guichet. « Heureuse-ment, j’avais un Bic dans la poche. Il y avait des

Irakiens autour de nous, des sauvages. On nepouvait pas approcher du guichet. Quand j’ai commencé à frapper avec la pointe du Bic, ils se sont enfin écartés. Partout il y avait du sang,des coups. » Il se souvient des Grecs qui s’arrê-taient en voiture pour donner de l’eau, un peu de nourriture, offraient d’entrer chez euxpour charger les téléphones. Il n’a pas oublié qu’on perd tout sur la route, qu’on s’y fait vo-ler, trahir. Il n’a pas oublié le jour où il a perdu,puis retrouvé, son fils si petit dans une forêt, en Hongrie.

« TRANSFORMER LES ALLEMANDS »

Abou Ahmed est le plus abîmé de tous. Neufmois dans l’enfer des prisons du régime sy-rien, ces usines de la souffrance. Un monde secret, souterrain. Morts atroces, corps bou-sillés. Faim. Abou Ahmed ne veut même pasen parler. Il sourit d’un air désemparé, comme pour s’excuser. Le matin, désormais, il distribue le journal local à Bochum. Il a un sujet de conversation tranquille : faut-il plu-tôt s’acheter un iPhone ou un Androïd ? Il lâ-che des petites choses qui font froid dans le dos : « Tous les matins, on trouvait plusieurs morts dans la cave où on était enfermés, par-fois dix à la fois, au réveil. Je n’ai jamais com-pris pourquoi les hommes meurent comme ça,pendant la nuit. »

Pour le sortir de prison, son père a payé. Il adonné tout l’argent qu’il avait pour sauver ce fils qu’on lui tuait à petit feu. Abou Ahmed aquitté Damas par la voie des airs. En avion. Il n’aurait pas survécu, avec les passeurs sauva-ges de la route des Balkans. Le père a distribuél’argent à chaque commandant, depuis celuide la prison jusqu’au petit chef, à l’aéroport. Sans parler de celui qui a fourni le passeport…Ce soir, on lui parle sur Skype. Il fait coucou. Ilest quelque part à Damas, son visage est dé-

formé. La prochaine étape sera de le faire ve-nir en Allemagne.

« On va se transformer ici, bien sûr, réfléchitAbou Ahmed, mais on va aussi transformer les Allemands. Eux aussi, ils vont prendre quel-que chose de notre façon de vivre ensemble.Notre solidarité. » C’est cela, l’espoir du grand télescopage en cours. Nul n’en sortira in-demne, dans le meilleur sens du terme. Quand il quitte la chaleur de l’appartementde Bochum, Abou Abdallah regagne sa cham-bre dans une ville qui porte le nom de Birke-nau. Rien à voir avec la Pologne et Auschwitz.On lui demande si cela lui évoque quelque chose, les nazis. « Les nazis ? Ah mais oui, il yen a pas mal à l’Est (de l’Allemagne) ». Et Abou Bachir, qui a vécu à Dresde, de raconter son« nazisme 2015 » : « A Dresde, je ne faisais que regarder la télévision parce qu’on ne sortait plus dans la rue, de peur de se faire attaquer par les nazis. D’ailleurs, c’est là que j’ai pro-gressé en allemand. Et puis, un jour, c’est dans mon immeuble qu’ils sont montés. Par chance,ils se sont arrêtés à l’appartement d’à côté. Ils ont forcé la porte, jeté des bombes incendiaireset tabassé tous les migrants. »

Quelques jours plus tard, on est à Birkenau,dans les dépendances d’un hôtel dans les bois, foyer d’accueil improvisé où ont été ins-tallés une bonne dizaine de Syriens. Encoreplus curieux que Bochum : au milieu d’une forêt, dans une région touristique où on pro-duit un bon petit vin du Rhin, bourré d’auberges typiques pour week-ends gour-mands. Il y a des cerfs qui viennent bramernon loin, mais pas de réseau téléphonique,donc pas d’Internet pour les smartphones. Ilfaut à tout prix y remédier. Dans la nuit, on s’approche à pas de loups d’une source Wi-Fi d’un voisin, qu’on va gaillardement pirater.

Le soir, sur les écrans, l’actualité continuede bourdonner. Le Bundestag a voté, ven-dredi 4 décembre, l’envoi de militaires, d’avi-ons et d’une frégate qui viendra en appui au porte-avions français Charles-de-Gaulle, aularge de la Syrie. Ce n’est pas beaucoup, lesforces allemandes ne procéderont pas à des frappes contre l’EI, mais l’Allemagne s’est rap-prochée de cette guerre qui ne les lâche pas.

« PRENEZ PLUS DE RÉFUGIÉS »Loin des bombes (« boum, boum, boum ! »), Abou Omar va utiliser sa première carte ban-caire. Chacun a un compte, les allocationssont versées dessus. C’est pratique. On est là bien avant l’heure d’ouverture de la Spar-kasse (« Caisse d’épargne ») de Birkenau. Il faitencore nuit. On se noie dans les mots incom-préhensibles du distributeur. Un couple s’ap-proche, la cinquantaine. Ils rassemblent tout leur anglais pour aider. Etonnante bonne vo-lonté, qui tranche avec les incendiaires deDresde et se retrouve dans toutes ces petitesvilles de l’Allemagne riche. Des entreprises accordent quelques heures hebdomadaires à leurs employés pour qu’ils aillent apprendredes rudiments d’allemand aux réfugiés. L’ef-fort est national.

Au lendemain d’une réunion avec ses ho-mologues à Bruxelles, le 10 novembre, Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, a fait une déclaration : « J’ai donné hier ce conseil à mes confrères : si vous avez des problèmes de croissance, prenez tout sim-plement plus de réfugiés. » L’Allemagne a dé-pensé 4 milliards d’euros pour financer l’ac-cueil des nouveaux arrivants, qui n’auront pas, comme les Syriens fuyant la guerre, la possibilité de rester : des expulsions de-vraient bientôt commencer pour les autres. Mais en 2016, 11 milliards supplémentairesseront dépensés. Et alors que l’économie étaiten voie de ralentissement, la voilà relancée par cette stimulation de la demande inté-rieure. L’Allemagne devrait gagner quelquespoints de croissance en 2016.

A qui tout cela devrait-il profiter ? A tout lemonde. Le seul à s’en énerver, inévitable-ment, c’est Abou Abdallah, parce que « aujourd’hui, tout le monde se prétend syrien :les Libanais, les Irakiens. Et après, ils nous pas-sent tous devant ». Cette bouffée nationalistesurvient dans la queue de l’administrationlocale, près de Birkenau, où chacun joue unpeu des coudes. On lui rit au nez ? Fâché, ilajoute le détail : « Il y a même des membres duHezbollah [milice chiite libanaise alliée de l’Iran qui combat en Syrie dans le camp du président Bachar Al-Assad] qui arrivent ici et demandent l’asile en tant que syriens. Alors qu’ils nous font la guerre. Ma femme a fait toute la traversée de l’Europe avec deux d’entreeux. Imagine. Elle m’envoyait des messages pa-niqués, elle avait peur qu’ils la tuent. » Et alors ?« Et alors, rien ; eux aussi, ils sont fatigués, ils s’en vont. » p

YABROUD , QALAMOUN,

(SYRIE 2013)

Durant les deux mois

de leur reportage dans la

Syrie en guerre, en mars

et avril 2013, Jean-Philippe

Rémy et Laurent Van Der

Stockt font halte à

Yabroud, dans la région

du Qalamoun, à moins

de 100 kilomètres de

Damas. C’est au cours

de leur voyage qu’ils

rencontrent Abou

Abdallah, un combattant

ordinaire de l’Armée

syrienne libre (ASL),

retrouvé plus de deux ans

plus tard à Bochum,

en Allemagne, où il panse

ses plaies de guerre.

La photographie a été

prise à Yabroud, chez un

commandant de l’ASL,

le 23 mars 2013.

LAURENT VAN DER STOCKT

POUR « LE MONDE »

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18 | géopolitique DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

juin 1972 1991 1993 5 mai 1995 septembre 1998

2003

2003

2005

23 mai 2013

2012

20062011

fin 2012

2013août 2013juin 2015août 201520 nov. 20154 décembre 2015

16 janvier 2013avril 2012

2007

2002

2011

2013

Naissanceà Ghardaïa(Algérie)

Part s’entraînerpuis combattreen Afghanistan

Premiers liensavec Al-Qaidaet Ben Laden

Rejoint le GSPC, insurrectionislamiste en dissidenceavec le GIA

Il s’installe au Maliet épouse des femmes de tribus localespour accroîtreson influence

Impliqué dansl’enlèvementde 23 touristeseuropéensen Algérie

Le GSPC tue 17 soldatsmauritaniens

Revendiqueun double

attentat-suicideà Agadez

et Arlit

Il est aperçuà deux reprises(Tombouctou etGao) aux côtésd’Iyad Ag Ghali,chef touaregd’Ansar Eddine

Impliqué dans la mortde neuf douaniersà El Menia (Algérie)

Probable commanditairede l’enlèvement de deuxFrançais à Niamey (Niger)

Rupture avec Al-Qaidaet création desSignataires par le sang

Signalé en Libye,où il tisse des liensavec Ansar Al-Charia

Fusion des Signataires parle sang avec le MUJAO : création d’Al-Mourabitoune

Visé par un raidaméricain, il estdonné pour mort

Sa tête estmise à prixpar l’EI

Attaque contrel’hôtel RadissonBlu (Bamako)

Al-Mourabitouneannonce o�iciellementson ralliement à AQMI

Revendique l’attaqueet la prise d’otagesd’In Amenas (Algérie)

Donné pour mortpar l’arméetchadienne

Le GSPCdevient AQMI

Rentre en Algérie et créela Brigade du martyre(a�iliée au GIA)

ALGÉRIE

MAROC

LIBYE

NIGERMALI

TUNISIE

Alger

Tamanrasset

Naissanceà Ghardaïa

Oran

Rabat

Tunis

ALGÉRIE

MAROC

LIBYE

NIGERMALIMAURITANIE

TUNISIEAlger

Tamanrasset

RabatTripoli

Bamako

Agadez

LemgheityLerneb

Lieu d’où il tisseson réseaud’alliances

BamakoNiamey

KidalTombouctou

Gao

Prise d’otagesd’In Amenas

depuis la chutede Kadhafi

MALI

NIGER

ALGÉRIE

BURKINA-FASONIGERIA

LIBYE

MAURITANIE

LIBYE

ALGÉRIE

TUNISIE

NIGERTCHAD

ÉGYPTE

Tripoli

Tobrouk

Syrte

DernaBenghazi

Arlit

Agadez

Prise d’otaged’In Amenas

Pendant la guerre civilealgérienne (1991-2002),il fait ses premières armes...

Sa zone d’action est le Sahara

Autres émirats du GSPC

... et se finance en braquantles convois pétroliers

Gisements d’hydrocarbures

Principales routesdes convois

Dans le Sahel, il se finance,cultive sa renommée...

Trafic de cigarettes

Trafics de drogue

... et participe à l’actiontransnationale d’AQMI

Zone d’action d’AQMI

Attentat ou enlèvementd’AQMI à partir de 2007

Attaque dans laquelleil est directement impliqué

En Libye, il profite d’un Etat décomposé...

Parlement de Tripoli

Parlement de Tobrouk

Zone contrôlée par l’EI

...en proie aux trafics...

Champs d’hydrocarbures

Trafics d’armes, de drogue, d’essence et de cigarettes

...pour se protéger et créer de nouvelles alliances

Signalements de Mokhtar Belmokhtar

Bastion d’Ansar Al-Charia

Avec la guerre au Mali, il profitede la rébellion des touaregs...

Zone de peuplement touareg

Zone revendiquée par le MNLA

Progression du MNLAà partir de janvier 2012

...pour faire émergerson propre groupe

Place forte des Signataires par le sang,

Trafics d’armes en provenance de Libye

Fief d’AQMI du MUJAO d’Ansar Eddine

Le djihadisme algérien

1991–2002

Début d’un djihad régional

2003–2011

Prise de contrôle au nord-Mali

2012–2013

Fuite dans le chaos libyen

2013–2015

MOKHTARBELMOKHTAR

LEXIQUE

Né en 1972 (43 ans)

Nationalité algérienne

Recherché depuis 2013

par les Etats-Unis et la France

GIA: Groupe islamique armé

GSPC : Groupe salafistepour la prédication et le combat

AQMI : Al-Qaida au Maghreb islamique

MUJAO : Mouvement pour l’unicitéet le jihad en Afrique de l’Ouest

EI : organisation Etat islamique

MNLA : Mouvement nationalpour la libération de l’Azawad

SOURCES

Lemine Ould M. Salem, Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar, Editions de La Martinière, 2014 ;Laurent Bossard, « Un Atlas du Sahara-Sahel », Cahiers de l’Afrique de l’Ouest, OCDE, 2014 ; Acled ; AFP ; Le Monde

200 km

200 km

200 km

200 km

Les vies multiples de Mokthar BelmokhtarDonné plusieurs fois pour mort, « le Borgne » est passé d’Afghanistan en Algérie puis au Sahel, profitant des guerres qui secouent la région pour développer ses trafics et faire émerger sa propre organisation

R etracer le parcours de MokhtarBelmokhtar revient à plongerdans l’histoire du djihad mo-

derne. C’est le suivre depuis l’Algérie, son pays natal, où il fait ses premières armes au sein du GIA (Groupe islamique armé) puis du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) après un pas-sage en Afghanistan. C’est assister à l’émergence, à l’expansion puis à l’enraci-nement d’Al-Qaida au Maghreb islami-que. C’est dessiner les routes de tous lestrafics – armes, drogues, cigarettes… –qui, avec les prises d’otages d’Occiden-taux, une de ses spécialités, financent lamultinationale du djihadisme dans la bande sahélo-saharienne.

C’est aussi revenir sur les guerres qui se-couent la région depuis vingt ans. Conflits qui lui offrent autant de terrain d’activités et de prédication que de zones grises de repli. Telle la Libye, où « le Bor-gne » et ses hommes se seraient progres-sivement retirés – après l’intervention française au Mali –, profitant du chaos néde l’implosion du pays depuis la mort de Mouammar Kadhafi.

L’homme se fond dans les paysages etles événements. Donné pour mort un nombre incalculable de fois, Mokhtar Belmokhtar est toujours réapparu,échappant jusqu’à présent à la traque lan-cée par les plus puissantes armées du monde au nom de la « guerre contre le ter-rorisme », selon l’expression consacréeaussi bien à Paris et Washington que Nia-mey ou N’Djamena. Lui poursuit « sa » guerre sainte, son djihad, insaisissable. p

christophe châtelot

infographie : jules grandin

et flavie holzinger

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ENTRETIENpropos recueillis par cécile hennion

Directeur du département« terrorisme et conflits debasse intensité » au sein del’Institute for NationalSecurity Studies (un thinktank israélien), Yoram

Schweitzer est spécialiste de l’organisation Etat islamique. Il a effectué une partie de sa carrière dans les renseignements israéliens.Invité en France par l’European Israel Press Association, il était à Paris peu après les atta-ques du 13 novembre.

Le discours messianique et apocalyptique de l’organisation Etat islamique (EI) est-il une idéologie à laquelle ses hommes croient ou un discours de propagande ?

Yoram Schweitzer : Ils y croient sincère-ment. C’est cette idéologie qu’ils utilisent pour préconiser et légitimer leurs actionsd’éradication de minorités, d’exécution d’apostats, y compris de musulmans sunni-tes qui s’opposent à eux, y compris le FrontAl-Nosra et les affiliés d’Al-Qaida. C’est à lafois une croyance et une justification de leur comportement.

Que dégage l’EI d’attractif pour qu’autant de groupes djihadistes s’y soient ralliés, reniant leur loyauté vis-à-vis d’Al-Qaida ?

Abou Bakr Al-Baghdadi s’est autoproclamé« calife », nouveau leader du djihad global etreprésentant du prophète sur terre, alors qu’ilavait été viré d’Al-Qaida et qu’il était devenuun paria. Il a fait une sorte de pari. Il s’est dit :« OK ! je vais me déclarer calife et vendre ce fantasme d’un califat. » En prenant en comptele contexte régional, la fragilité de ses adver-saires, il s’est débrouillé pour gagner une aura de succès. Il est devenu très riche en s’emparant de banques, en imposant des taxes et en multipliant les extorsions. Beau-coup l’ont suivi, car il avait l’air plus riche etqu’il promettait un avenir meilleur. Cela dit, les groupes majeurs affiliés à Al-Qaida n’ont pas changé de loyauté.

Le professionnalisme des attaques de Paris a été souligné. Pourtant, la complexité des attentats du 11-Septembre reste inégalée.

A l’époque, le monde était mal préparé. Il esttrès difficile de reproduire ce type d’attaques.D’ailleurs, Al-Qaida a organisé depuisd’autres attentats aussi spectaculaires, maisqui ont échoué. En 2006, à Londres, par exemple, des attaques massives étaient pré-vues, des avions devaient être détournés en provenance du Sud-Est asiatique… Les condi-tions actuelles rendent ces attaques difficiles.Mais pas impossibles. L’EI cherche les failles sécuritaires et en trouve.

Une confrontation militaire au Proche-Orient avec les forces occidentales est aussi l’un des objectifs de l’EI…

D’un côté, ils veulent voir arriver des sol­dats occidentaux sur les terres d’islam. Cela leur donnera des arguments à faire valoir pour recruter contre cette « alliance judéo­chrétienne », ces envahisseurs, etc. De l’autre côté, ils n’ont aucun intérêt à être attaqués. Cela dit, ils savent que la coalition menace de frappes aériennes et que celles­ci ont déjàcommencé. La volonté de tendre un piègeaux troupes occidentales est très claire. Mais sans vouloir vexer Baghdadi, je pense que, si

l’action militaire est menée d’une façon intel-ligente et efficace, cela démontrera que sescalculs étaient faux.

Quelle serait une telle action ?La coalition comprend plusieurs partenaires

arabes. Ces derniers doivent prendre une part plus active dans la lutte. Financièrement, maissurtout en trouvant des forces locales pour« faire le boulot ». Ce sont les plus motivées pour se battre, car la guerre se déroule chez eux. Elles connaissent le terrain, la langue et les mentalités. Enfin, cela permettrait de nepas tomber dans le piège consistant à envoyerde gros contingents de soldats occidentaux.

Il faut aussi des forces spéciales travaillantaux côtés de combattants locaux, sans pren­dre le contrôle des combats. C’est une luttequi doit être basée sur la collecte de rensei­gnements, avec un appui aérien limité à des frappes chirurgicales.

C’est la seule façon de lutter contre desgroupes qui mènent ce que je qualifie de « terrorilla », un mélange de guérilla et de ter-

reur, caractérisé par l’implication maximum de civils. Si l’EI est visé par une campagne mi-litaire, sa stratégie consistera à utiliser sesforces armées (elles ne sont pas énormes, mais elles sont organisées) pour lancer des opérations « hit and run » [attaques éclair], ty-piques des guérillas. Enfin, il se servira des populations civiles comme de boucliers hu-mains. L’EI sait que plus les pertes civiles se-ront importantes, plus les pressions seront fortes sur la coalition pour qu’elle restreigneses opérations militaires.

En Syrie et en Irak, les territoires contrô-lés par l’EI rétrécissent. A l’extérieur, il multiplie les attaques. Comment évaluer sa capacité de nuisance ?

Les actes terroristes à l’extérieur sont l’exten-sion du contrôle de territoires. L’EI a besoind’afficher une image de succès constant, par laconquête territoriale ou par des attaques. Les deux options sont interchangeables. L’EI avaitremporté des succès en s’emparant de la ville irakienne de Ramadi [le 17 mai], puis de la villesyrienne de Palmyre [le 21 mai]. Depuis, il est dans une phase de recul. Il lance donc des opé-rations de terreur dans le but de maintenir cette impression de succès et d’expansion.

Sur le terrain, ils n’ont pas de rivaux sérieux.Ils n’ont pas encore affronté d’armée engagée et organisée comme l’armée turque, ira-nienne, jordanienne ou israélienne. Leurs vic-toires ont été remportées face à ce qu’il restedes soldats de Bachar Al-Assad, qui ont perdu toute énergie, ou, en Irak, face à des forces qui ne sont pas assez qualifiées. Quand ils ont dû combattre les Kurdes, qui n’ont pas la meilleure armée du monde, ils ont le plus sou-vent perdu ! Si les forces armées kurdes rece-vaient plus de soutien de l’Occident, elles pourraient faire mieux. Mais les Kurdes ne peuvent pas aller jusqu’à Rakka [fief principal de l’EI], car ils rencontreraient la résistance despopulations locales, présence de l’EI ou non.

Quels sont les points faibles de l’EI ?D’abord, il s’est créé énormément d’ennemis

qui veulent se venger. Nous connaissons la si-gnification de la vengeance au Proche-Orient et la violence qu’elle est capable d’engendrer.Cela finira par se retourner contre l’EI. Pour l’instant, il est capable d’étouffer ce sentiment de vengeance par la force. Mais le temps vien-dra où il sera affaibli et ces éléments vengeurs coopéreront avec tous ceux qui voudront bienles aider. C’est son talon d’Achille.

Ensuite, il a multiplié ses ennemis en Occi­dent, mais aussi dans les pays arabes qui réali­sent que l’EI constitue une menace pour la sta­bilité de leurs régimes. Quand vous parvenez àsusciter une coalition aussi large de pays, aux intérêts parfois contradictoires, mais qui veu-lent tous vous éliminer, c’est une grosse faille.

En outre, il a provoqué une guerre au seindes mouvements djihadistes. Une situation dont on peut tirer parti, en poussant cesgroupes à s’autodétruire. Enfin, pour attirerle maximum de combattants, l’EI a une poli­tique de recrutement très large, contraire-ment à Al-Qaida, qui prônait le secret. L’EI estdonc plus facile à infiltrer par les services derenseignement.

Une alliance avec Bachar Al-Assad serait-elle acceptable ?

Il n’y a aucun doute que celui qui a détruit laSyrie et qui a permis à l’EI de se répandre est Assad. Assad qui brutalise, massacre des cen­taines de milliers de ses citoyens. Il ne peutpas être autorisé à rester au pouvoir. Il y a eu d’autres dictateurs dans le monde, mais, lui, ila franchi toutes les limites tolérables. Même si l’on parvenait à débarrasser la Syrie de l’EI, ou à réduire sa capacité de nuisance, tous les autres groupes syriens, y compris les prag­matiques, n’accepteront jamais qu’il reste au pouvoir. Il y a urgence à trouver un arrange-ment. Ce régime est la maladie de la région.

Dans l’un de vos rapports, vous n’excluez pas que la Russie finisse par le lâcher.

Il faut organiser des concertations, unetransition, sachant qu’Assad ne pourra jamaisfaire partie de la solution. Les Russes sont prêts à l’accepter en échange de contrepar­ties : garantir la présence de leurs bases mili­taires dans la région et probablement d’autresconsidérations concernant l’Ukraine et les sanctions. Au final, ils n’auront pas d’autre choix que d’intensifier leur lutte contre l’EI. Ilsagiront selon deux principes : le maintien de leurs intérêts en Syrie, avec ou sans Assad, et la lutte contre l’EI pour l’empêcher d’envoyerdes djihadistes, de se répandre et d’affecter la Russie, notamment dans le Caucase, où ilexiste déjà des groupes islamistes.

Le Hezbollah et l’Iran sont aujourd’hui oc-cupés à lutter contre l’EI. Cela fait les af-faires d’Israël. Comment votre pays consi-dère-t-il l’EI ?

Il n’y a aucun doute, pour toute personnesobre en Israël et qui connaît le Proche-Orient, qu’Al-Qaida, le Front Al-Nosra et l’EI sont les ennemis jurés d’Israël. L’une des rai-sons principales pour laquelle ils n’attaquentpas Israël est qu’ils sont occupés à combattre de trop nombreux ennemis. Ils finiront par lefaire, soit directement, soit via leurs partenai-res. Selon moi, le groupe Ansar Beit Al-Makdis au Sinaï et ceux qui les soutiennent dans la bande de Gaza ont pour objectif Israël.Je ne serai donc pas surpris de les voir atta-quer Israël, et ce, très bientôt. Paradoxale-ment, c’est le Hamas qui, pour ses calculs pro-pres, les en empêche actuellement. p

« Sans titre », 2012, série

« Mondaseen », qui signifie

« infiltrés ». Les médias

officiels syriens accusent les

opposants d’être des infiltrés

au service des pays

occidentaux. Le slogan

habituel du gouvernement,

« La Syrie pour l’éternité »,

se transforme ici en « Liberté

pour l’éternité ».

MONIF AJAJ

Né en 1968 à Deir ez-Zor,

en Syrie, Monif Ajaj vit à

Corgnac-sur-l’Isle

(Dordogne).

Ses portraits sont la

plupart du temps inspirés

de sa vie quotidienne en

Syrie et de son enfance

dans la Djezireh (nord-est).

Diplômé de la Faculté des

beaux-arts de Minsk

(Biélorussie, 1995),

Monif Ajaj a enseigné à

la Faculté des beaux-arts

de Damas.

Yoram Schweitzer« Le régime d’Assad estla maladie

de la région »

Spécialiste de l’Etat islamique,

l’Israélien Yoram Schweitzer

compte sur une coalition de pays

arabes pour vaincre

l’organisation djihadiste,

dont il attribue la croissance au président syrien

Page 20: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

20 | enquête DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Le fantôme des RépublicainsDepuis qu’il a quitté l’Elysée, Patrick Buisson

rêve de « tuer » Nicolas Sarkozy. En attendant, il tente de faire émerger

un candidat de « la droite hors les murs »

ariane chemin

A chaque fois que la droiteflambe, son ombre danse en-tre les flammes. Dimanche13 décembre, comme en fé­vrier 2016 lors du futur débatsur la « ligne » du parti, il sera

de nouveau au cœur des conversations. Sa sil­houette hante les Républicains, mais il est in­terdit de le nommer. On désigne avec précau­tion son fantôme par des périphrases : « Droitedécomplexée », « droite bien à droite »… Mêmele 8 décembre, lorsque Nicolas Sarkozy fait sonner les trompettes de l’histoire, il gomme jusqu’à l’existence de son inspirateur d’hier. « J’ai été le premier à parler des racines chrétien-nes de la France », a lâché l’ex-président en Cha-rente-Maritime, sans un mot pour celui qui, dès 2007, l’avait envoyé en pèlerinage, du Mont-Saint-Michel au Puy-en-Velay. Patrick Buisson, un antéchrist de la politique.

De cet ancien directeur de la rédaction de Mi-nute, dont la France sidérée a découvert la ma-nie d’enregistrer les conversations les plus sensibles, il n’existe que de rares images. On les exhume à chaque rebondissement de l’af-faire des sondages de l’Elysée, dans laquelle il est mis en examen. En janvier 2012, on l’aper­çoit au milieu d’une caravane de journalistes, alors que Nicolas Sarkozy fête les 600 ans de lanaissance de Jeanne d’Arc : il a tenu à se rendreà Domrémy, un déplacement conçu de bouten bout avec sa collaboratrice Pauline de Pré-val. Sa traque par i-Télé, en avril 2013, est restéedans les mémoires : chapeau noir et col d’im-per relevé dans les ruelles des Sables-d’Olonne,personnage à la Simenon poursuivi par son passé. Pour voir son visage enfin s’animer, il faut regarder les vidéos du « Club de l’opi­nion » ou de « Politiquement Show » sur LCI, où Patrick Buisson a reçu, de 1997 à 2007, le Tout-Paris des experts en sondages et en poli-tique, d’Olivier Duhamel à Jean-Luc Mélen­chon.

Il devait rompre le silence le 14 novembre, àCarcassonne. Le directeur de la chaîne Histoireétait l’« invité exceptionnel » du 40e congrès du Cercle algérianiste, la plus grande association de pieds-noirs française. Entre Jean-Yves Moli-nas (le bras droit de l’évêque ultraconservateurde Toulon, Mgr Rey, qui a aidé une partie de l’électorat catholique à céder aux sirènes du Front national), et le Grand Prix du roman de l’Académie française Boualem Sansal, il devait prononcer un discours, annoncé par Valeursactuelles, où écrit son dernier carré de fidèles.L’ancien conseiller avait choisi de raconter comment, en 2012, il avait en vain tenté de convaincre Nicolas Sarkozy de supprimer les avantages accordés aux immigrés algériens enFrance par les accords d’Evian en 1962.

Mais la veille, dans la nuit, des attentats ter-roristes ensanglantent Paris et la Seine-Saint-Denis. « Retenu par l’actualité », Patrick Buis-son annule sa prestation. En réalité, son film sur Les Ecrivains dans la guerre d’Algérie, pro-duit par la chaîne Histoire, cette filiale de TF1 qu’il dirige depuis 2007, « n’était pas prêt », ex-plique le maire de Béziers, Robert Ménard, unenouvelle fréquentation de Buisson. Après De-nis Tillinac, Philippe Bilger ou Laurent Ober-tone, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy ira bientôt présenter son film au palais des con-grès de Béziers, ce nouveau Festival de Cannes de la droite réac, catho ou identitaire.

C’est derrière les mots que se profile l’ombrede l’idéologue. Le souffleur nourri aux idées extrêmes se devine dans le lexique des autres. Rompant la stupeur des attentats, trois voix discordantes se sont vite élevées. « Immense drame à Paris, voilà où nous ont conduits le laxisme et la mosquéisation de la France »,tweete Philippe de Villiers avant minuit. Le « numéro trois » des Républicains, Laurent Wauquiez, demande pour sa part que « toutesles personnes fichées soient placées dans des centres d’internement antiterroristes ». « Au lieude bombarder Rakka [la capitale proclamée de l’organisation Etat islamique], la France de-vrait bombarder Molenbeek [la commune de Bruxelles] d’où sont venus les commandos du vendredi 13 », lance enfin le pamphlétaire Eric Zemmour sur RTL.

Buisson, Zemmour, Villiers : les trois bret­teurs « ultras » déjeunent souvent ensemble, au Dôme ou à la Rotonde, dans le quartier de Montparnasse à Paris – à proximité de leur maison d’édition commune, Albin Michel. Un trio qui alimente les fantasmes, nourrissant même un ouvrage de politique-fiction, Une élection ordinaire (Ring, 256 pages, 18 euros), signé Geoffroy Lejeune, journaliste de Valeurs actuelles qui converse souvent avec Buisson. Pourtant, lorsque ce dernier a demandé dans le plus grand secret à « Zem », il y a quelques se-maines, de cosigner à trois une tribune politi-que, le chroniqueur du Figaro a gentiment dé­cliné la proposition. Zemmour est trop joueur pour chercher à remporter le pouvoir dans les urnes. De son observation de la Ve République,il reste persuadé qu’une présidentielle ne se gagne pas sans les partis, même moribonds. Il n’imagine pas qu’« à l’heure du numérique un million de signatures sur les réseaux sociaux imposent des candidats », comme le répète Buisson, ou que les 400 000 lecteurs de son essai, Un suicide français, paru en 2014 chez Al-bin Michel, se transforment en autant d’élec-teurs.

PLAN DE GUERREL’essentiel, pour Buissson, n’est pas de recom-poser la droite, mais d’empêcher la réélectionde Nicolas Sarkozy. Depuis la défaite de 2012, l’ex­président porte sur son visage l’échec de son conseiller. Mais il est aussi celui qui l’a hu­milié publiquement, le 21 septembre 2014, de­vant des millions de téléspectateurs. « Dans la vie, j’en ai connu, des trahisons, mais des comme ça, rarement ! », avait lâché, sur France 2, l’ancien chef de l’Etat, interrogé sur l’enregis-treur caché dans la poche du veston de son conseiller. Quelques semaines plus tôt, la pu-blication d’extraits de conversations sur le sitede la droite libérale Atlantico avait condamnéPatrick Buisson à verser 20 000 euros au cou-ple Sarkozy. Un outrage qui l’a mis en rage. L’entendant menacer de venir porter son chè-que en main propre à Carla Bruni-Sarkozy, dans son pavillon du 16e arrondissement, en-touré de caméras de télévision, l’ex­première dame avait caché derrière son portail une « grande bassine d’eau », raconte-t-elle, entre rire et fureur froide. Un huissier l’avait de-vancé en se présentant à la chaîne Histoire.

Nicolas Sarkozy, lui, a prudemment négligéde réclamer ses 10 000 euros. Il connaît les ob-sessions vengeresses de son ancien mentor. Patrick Buisson possède des heures de bandes enregistrées, dont son fils Georges et Pauline de Préval attestent l’existence, quoique les ju-ges n’aient jamais mis la main dessus. Une magnifique assurance-vie pour l’ex-conseiller élyséen ; pour Sarkozy, une épée de Damoclès. En septembre 2012, Buisson a discrètementdéposé à l’Institut national de la propriété in­dustrielle (INPI) la marque La Cause du peuple,un clin d’œil au journal de Jean­Paul Sartre.Coup de bluff ou titre de futurs Mémoires as­sassins, régulièrement annoncés par Valeurs ? « Vous lui maintenez la tête hors de l’eau jus-qu’aux primaires, à l’automne 2016, et j’atta-que. » C’est ainsi que Patrick Buisson présente son plan de guerre contre Nicolas Sarkozy à Philippe de Villiers et quelques autres.

Buisson et Villiers se connaissent depuisplus de vingt ans. Ils ont soixante-six ans cha-cun mais ne sont pas tout à fait de la même fa-mille. Le premier est un maurrassien, venu de la droite identitaire, pour qui la religion est d’abord une béquille de la politique. Egaré dans les ors du pouvoir, l’ex­patron du conseil général de Vendée et ministre de Charles Pas­qua conçoit de son côté la politique comme une croisade pour le redressement de la France. A Valeurs actuelles, le journaliste Buis-son avait reniflé dès 1993 la bête électorale der­rière ce « chouan psychédélique ». Il lui vend conseils et études d’opinion et le transforme, en moins d’un an, en étendard du souverai-nisme français : plus de 12 % des suffrages aux élections européennes de 1994. En 2006, Vil-liers découvre que son pygmalion l’a aban-donné pour Nicolas Sarkozy. « Tu quittes le preux chevalier pour la carriole d’un romani-chel ? se fâche le Vendéen. Alors, c’est fini ! »

Une série d’épreuves a rapproché le duo. Vil-liers reçoit comme un coup de poignard la

plainte pour viol de Laurent contre un autre deses fils, et son livre cruel avec sa famille. Un cancer de l’œil a suivi. Patrick Buisson s’est, de son côté, brouillé avec Georges, son enfant unique, qu’il a enrôlé dans ses sociétés de son-dages et embauché à la chaîne Histoire : le pèreguette depuis un an L’Ennemi, ouvrage moult fois annoncé mais « à nouveau reporté sine die », confirme la maison Grasset. Deux rébel-lions vécues comme deux parricides.

« POPULISME CHRÉTIEN »Une divine surprise a réchauffé, en cette ren-trée 2015, le cœur des deux hommes. Jeanne d’Arc, Saint-Louis… Le patron du Puy-du-Fou avait abandonné les pamphlets politiques pour se réfugier dans l’écriture de biographies romancées des grands mythes de la droite lé-gitimiste et monarchiste. Mais l’époque a changé. La colère gronde. Les islamistes mena-cent. Le « populisme chrétien » de La Manif pour tous, comme l’appelait Buisson dans Le Monde, s’est transformé dans les urnes. Pu-blié le 30 septembre, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel, 352 pages,21 euros) est déjà devenu un best-seller : 130 000 exemplaires du « Villiers » sortis avantmême les fêtes de Noël.

Sur les estrades, le factieux de l’Ouest décrit,en citant Clemenceau, une démocratie deve­nue le repaire de « rats d’égout », menace de « marcher sur l’Elysée et de les passer tous par-dessus bord ». Poussé par Buisson, « un alchi-miste de génie ». Le patron du Puy­du­Fou se prend en privé à rêver de nouveau de prési­dentielle. « J’attends la fin du premier trimestre 2016 pour me décider », explique­t­il le 17 no­

vembre au frontiste Philippe Martel, rencon­tré sur les conseils de Robert Ménard. « Patrickm’a expliqué : Sarkozy va gagner la primaire, mais il y a une droite hors les murs, qui peut monter à 10 % des voix et gonfler encore avec lesdéçus de cette bagarre sanglante. Il me dit : “Tu y vas, après je sors mon bouquin et je le tue.” » Le conseiller de Marine le Pen, qui sait ce quesa « patronne » pense de Buisson (« Ce type est contagieux ! »), a laissé, un peu sceptique, maissans l’interrompre, couler le flot de paroles de l’ancien élu vendéen.

« Je ne suis pas comme Sarkozy. Je n’ai pas be-soin d’un Buisson pour me droitiser… », s’est ex­clamée de son côté Marion Maréchal-Le Pen après sa rencontre avec l’ex-conseiller du pré-sident. C’était le 14 octobre. La jeune femme quitte un plateau télé, croise au pied de la tour de TF1 son ami Geoffroy Lejeune, autre chou-chou des médias – ce proche de la candidate d’extrême droite vient de lui arracher sa re-mise en question des subventions accordées au Planning familial, lors d’un débat qu’il ani­mait pour La Manif pour tous en PACA. « Ça te dirait de rencontrer Buisson ? » La chaîne His-toire se trouve au 5e étage de l’aile nord de la tour TF1. Paris de Céline, Occupation, « résis­tants » de l’OAS… Durant vingt minutes, de­vant les posters des propres films du patron qui dessinent autour d’eux un « roman natio­nal » ô combien subjectif, Marion Maréchal-LePen écoute le monologue de cet homme de quarante ans son aîné. Elle est montée le voir presque par indifférence, comme on salue un grand­père. Cruauté de la jeunesse, elle l’écoute sans effroi ni fascination. Pire : avec politesse. p

ALE+ALE

« JE NE SUIS PAS COMME SARKOZY.

JE N’AI PAS BESOIN D’UN BUISSON POUR

ME DROITISER »MARION

MARÉCHAL-LE PEN

députée FN du Vaucluse

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 débats | 21

Or les pays occidentaux qui ont souf-fert d’agressions « terroristes », tels les Etats-Unis ou d’autres à leur suite, ne sesont pas engagés dans cette voie. Leurs dirigeants ont préféré adopter la maxime de Lénine, selon laquelle ondoit « exterminer sans merci les ennemis de la liberté ». Au lendemain du 11 sep-tembre 2001, le président Bush avaitdonné pour tâche à son pays d’assurer,par tous les moyens possibles, le triom-phe de la liberté sur ses ennemis. Unenouvelle catégorie avait même été crééeà cette occasion, celle de « combattants ennemis » qui ne jouissaient ni du sta-tut du criminel, jugé selon les lois du pays, ni de celui du prisonnier de guerre,protégé par les conventions de Genève ;ce sont eux qui peuplent le camp de Guantanamo. Le résultat de ces diversesmesures a été, on le sait, une extensiondu terrorisme.

ÉTIQUETTES AVEUGLANTESIl ne s’agit pas ici d’une simple inflexion sémantique dans l’usage d’un mot, nid’un pur débat philosophique. Il faudraitse dépêcher d’abandonner les étiquettes aveuglantes dont continuent de se servirles dirigeants politiques qui, face à uneagression, invoquent « l’ennemi bar-bare », « les actes monstrueux » ou « les personnages diaboliques ». Une compré-hension de l’ennemi fait découvrir des moyens spécifiques pour le combattre. L’usage de la force, militaire ou policière,doit toujours rester possible, une atta-que imminente doit être parée par les ar-mes. Mais à cela s’ajoute une autre con-séquence : comprendre l’agent agressif de son propre point de vue devient le préalable indispensable de toute lutte contre lui. Car derrière les actes physi-ques, il y a toujours des pensées et desémotions, sur lesquelles il est égalementpossible d’agir. L’hostilité peut être mo-tivée par un sentiment d’humiliation,ou par l’injustice subie, ou par la colère, ou par des rêves de puissance, ou être ré-sultat de l’ignorance. Les ennemis sont des êtres humains, comme nous. Pour les neutraliser, on ne se servira pas né-cessairement de bombes ni de missiles mais le courage et la persévérance seronttoujours exigés. p

n’incite pas à penser que toute hostilité ait disparu de la surface de la terre, pas plus entre les peuples qu’entre les indi-vidus : nos sociétés ne sont pas habitées par des tribus d’anges.

Pour maintenir l’usage de la notiond’ennemi en régime démocratique, ilconviendrait cependant d’en infléchir le sens. On ne peut adhérer aux postulats de base de la pensée totalitaire, qu’expri-ment des formules du genre « la guerredit la vérité de la vie », ou invoquer le ca-ractère déterminant du « péché origi-nel ». Un certain consensus s’est établi aujourd’hui parmi ceux qui s’interro-gent sur la spécificité de l’espèce hu-maine : il est devenu impossible d’affir-mer que le combat, la violence, la guerre représentent la caractéristique domi-nante de notre espèce. S’il fallait réservercette place à une activité unique, ce se-rait bien plus la coopération que la lutte à mort. Et cette caractéristique touche toutes les populations du globe.

On se trouve alors amené non à identi-fier l’ennemi à un groupe humain mais àtraquer son origine dans une idéologie ou un dogme, dans une émotion ou une passion. Les individus ne deviennent« ennemis » que partiellement et provi-soirement. Dans tous les cas que j’ai évo-qués, l’ennemi était identifié à un en-semble de personnes occupant uneplace fixe dans le temps et dans l’espace :à un moment donné, les Américains pour les Soviétiques, et inversement, àun autre moment, les immigrés de cer-tains pays pour les autochtones, à un troisième tels terroristes aux yeux de telspouvoirs légaux. Si l’on renonçait à faire de l’ennemi une substance à part, onpourrait y voir plutôt un attribut, un étatponctuel et passager, qui se retrouve en tout un chacun. Plutôt que d’éliminer lesennemis, on se donnera comme tâched’empêcher les actes hostiles. Telle est la leçon que nous enseigne le parcours de ce combattant exemplaire qu’a été Nel-son Mandela : il réussit à terrasser un en-nemi de taille, le système de l’apartheid, sans verser une goutte de sang, ayant dé-couvert chez ses ennemis potentiels une« lueur d’humanité », ayant compris lesraisons de leur hostilité et parvenant ainsi à les transformer en amis.

la cité à la guerre. Il s’oppose à ce qu’il ap-pelle les utopies pacifistes et libérales, qui entretiennent l’espoir d’une extinc-tion progressive des guerres ; son rôle à lui, c’est d’être l’ennemi de ceux qui ne veulent plus se reconnaître d’ennemi…La guerre n’est pas la manifestation la plus fréquente du politique, mais c’en estla manifestation la plus extrême, car laseule où l’individu met entièrement sonexistence entre les mains de l’Etat et la seule qui le conduit à accepter de mourircomme de tuer. Pour cette raison, elle enrévèle la vérité. La conviction de Schmitt n’est pas appuyée sur une analyse histo-rique ou anthropologique, mais sur le dogme chrétien du péché originel, auquel il adhère par un acte de foi.

INFLÉCHIR LE SENSConsubstantielle aux conceptions totali-taires de l’histoire, la notion d’ennemi ne joue pas un rôle de premier plan dansla vie des pays démocratiques, mais elle est utilisée sporadiquement dans lemême sens. En temps de guerre, ce voca-ble désigne, par convention, le pays ou l’organisation que l’on combat. Au mo-ment de la guerre froide, l’ennemi était le communisme dans sa version soviéti-que, et ceux qui, chez soi, lui réservaient leur sympathie. L’ennemi est invoqué aussi dans le discours populiste déma-gogique, qui aime désigner à la vindictepopulaire un personnage coupable de tous les maux qui nous accablent. On identifie parfois l’ennemi avec une po-pulation spécifique : les immigrés des pays pauvres, les musulmans. L’effet deces propos est d’instiller dans la popula-tion le sentiment de peur et donc d’inci-ter un nombre important d’électeurs devoter pour le parti formulant cette accu-sation et promettant de faire disparaître cet ennemi. Nous touchons là aux mar-ges du cadre démocratique.

Faudrait-il alors, fuyant le voisinage deses précédents utilisateurs compromet-tants, renoncer à se servir de ce terme ?Une telle conclusion paraît inacceptable,surtout dans un contexte comme celuique nous traversons, où nous n’avons aucun mal à identifier l’ennemi, puisquecelui-ci nous menace de mort. L’observa-tion candide du monde autour de nous

par tzvetan todorov

Au cours de mon enfanceet adolescence en Bulga-rie, pays qui appartenaitalors au « camp commu-niste », soumis donc à unrégime totalitaire, la no-

tion d’« ennemi » était l’une des plus né-cessaires et des plus usitées. Elle permet-tait d’expliquer l’énorme décalage entrela société idéale, où devaient régner la prospérité et le bonheur, et la terne réa-lité dans laquelle nous étions plongés. Si les choses ne marchaient pas aussi bienque promis, c’était la faute des ennemis. Ceux-ci étaient de deux grandes espèces. Il y avait d’abord un ennemi lointain et collectif, ce que nous appelions « l’impé-rialisme anglo-américain » (une formule figée), responsable de ce qui n’allait pas bien dans le vaste monde. A côté de lui apparaissait un ennemi proche, pourvud’un visage individuel et identifié au seind’institutions familières : l’école où l’on étudiait, l’entreprise où l’on travaillait, les organisations dont on faisait partie. La personne désignée comme ennemi avait des raisons d’être inquiète : une foisque lui était collée cette étiquette infa-mante, elle pouvait perdre son emploi,son inscription scolaire, le droit d’habitertelle ville, autant de mesures qui pou-vaient être suivies par l’enfermement en prison ou plutôt en camp de redresse-ment, une institution dont la Bulgarie d’alors était généreusement pourvue.

En adoptant cette attitude, les repré-sentants des autorités se comportaient en accord avec les préceptes laissés par les stratèges de la révolution, et notam-ment par Lénine, fondateur du régimetotalitaire communiste, qui interprétaitla vie sociale en termes militaires. Une telle situation de combat justifie toutes les mesures répressives. Une personne manquant d’enthousiasme pour la cons-truction du communisme est perçue comme un adversaire, mais tout adver-saire devient un ennemi, or les ennemisne méritent qu’un sort : l’élimination. Lé-nine recommandait donc d’« exterminer sans merci les ennemis de la liberté », demener « une guerre exterminatrice san-glante ». Le totalitarisme est un mani-chéisme qui divise la population terres-tre en deux sous-espèces mutuellement exclusives, incarnant le bien et le mal, parconséquent aussi les amis et les ennemis.

On retrouve la même répartition ri-gide chez les théoriciens du fascisme nazi, et donc la même importance atta-chée à la notion d’ennemi. Le juriste et philosophe allemand Carl Schmitt (1888-1985) réduit la catégorie même du politi-que à « la discrimination de l’ami et de l’ennemi », assimilant à son tour la vie de

LE TOTALITARISME ESTUN MANICHÉISME

QUI DIVISELA POPULATION

TERRESTRE EN DEUX SOUS-ESPÈCES MUTUELLEMENT

EXCLUSIVES, INCARNANT LE BIEN

ET LE MAL

Ne déshumanisons pas l’ennemi

C’est une erreur de qualifier de « monstres »

ou de « barbares »nos agresseurs, qui restent des êtres humains comme

nous. Ceux qui veulentles combattre, mais aussi

éviter qu’ils reviennent sous d’autres formes, doivent s’en rappeler

¶Tzvetan Todorov, né en 1939 à Sofia (Bulgarie), est es-sayiste et historien des idées. Théoricien de la littérature,il a mené de nombreusesrecherches sur le rapportdes Occidentaux à l’altérité et sur l’expérience totalitaire.Il a notamment publié « Les Ennemis intimes de la démo-cratie » (Ed. Robert Laffont-Versilio, 2012) et « Insoumis » (Ed. Robert Laffont-Versilio,288 pages, 20 euros).

DR

RITA MERCEDES

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22 | les attaques terroristes à paris DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

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Heureuse et généreuse

Halima Saadi Ndiaye

Il n’y a pas que la douleur et l’intensité du drame pour expliquer ces instants de silence avant chaque phrase lorsque les amis d’Halima Saadi Ndiaye parlent d’elle. Il y a aussi cette difficulté para-doxale : Halima était belle, dedans et de-hors, radieuse, heureuse, généreuse et épanouie. Comment le dire de façon crédible, comment faire comprendre qu’elle était vraiment tout cela alors que ce sont des compliments qui reviennent pour toutes les personnes disparues prématurément ?Halima, 47 ans, était l’aînée de Hodda Saadi, laquelle avait réuni ses proches pour fêter ses 35 ans sur la terrasse de La Belle Equipe ce 13 novembre. C’est là que les deux sœurs ont été tuées, ainsi que plusieurs de leurs amis.

Halima était la mère de deux garçons,Souleymane, 3 ans, et Ousmane, 7 ans, et venait de s’installer à Dakar, au Séné-gal, où son mari et « âme sœur », disait-elle, Adama Ndiaye, fils d’un conseiller personnel du président Macky Sall, avait trouvé un emploi. Elle était revenue en France sans Adama pour embarquer les derniers cartons du déménagement, acheter les cadeaux de Noël, fêter son anniversaire le 30 octobre et celui de sa cadette, quelques jours plus tard.

Arrivée à Paris à la fin des années 1990,Halima commence un BEP en mode et métiers de l’art puis s’oriente vers un BTS technique de commercialisation, lui-même interrompu pour une première expérience professionnelle en milieu hospitalier, dans un service des maladies infectieuses et tropicales. En 2003, elle s’engage comme assistante de gestion dans une banque de patrimoine immo-bilier, où elle restera dix ans. « Elle voulait toujours apprendre de nouvelles choses », se souvient son manager. « Elle était très heureuse de sa nouvelle vie à Dakar », dit son amie Eva. « Elle pouvait s’adapter à tout, à tous les emplois », ajoute son amieBinetou. A Dakar, elle cherchait un nou-veau travail. « J’ai moins de 40 ans, c’est le bon moment pour rebondir », avait-elle dit à ses amies.

La famille, celle du Creusot et celle qu’elle avait fondée à Saint-Germain-en-Laye, était un pilier de sa vie. « Elle était très fusionnelle avec les petits », témoi-gne Binetou, se souvenant des après-midi au Jardin d’acclimatation ou de la « sortie karting » avec les garçons, la der-nière d’ailleurs avant le départ à Dakar. Mais elle savait aussi prendre du temps pour elle. Du genre à proposer des virées entre copines à la dernière minute : « Tu serais disponible cette semaine ? Tu peux faire garder les enfants ? Viens, on réserve ce voyage sur Internet ! » disait-elle par-fois à Binetou, avec qui elle avait ses ha-bitudes de brunch dans un restaurant du 20e arrondissement. « Elle prenait les choses comme elles venaient, conclut Bi-netou. Elle allait de l’avant, c’est comme ça qu’elle vivait. » p

serge michel

avec amaury hauchard

L’art et les arts martiaux

Fabian Stech

Dans la voiture, il mettait toujours du blues ou du rock : Nick Cave, Queens of the Stone Age, ou Eagles of Death Metal, qu’il adorait. Il partageait cette passion du rock avec ses deux fils, celle de l’opéra et de la musique classique avec sa femme, Sophie. Fabian Stech se rendait régulièrement à Paris pour voir des expo-sitions, lui qui, professeur d’allemand dans un lycée privé de Dijon, était titu-laire d’un doctorat de philosophie et col-laborait à la revue allemande d’art con-temporain Kunstforum International. Vendredi 13 novembre, à 51 ans, il avait saisi l’occasion d’aller au Bataclan où se produisait exceptionnellement son groupe fétiche. Le lendemain, quand il n’est pas revenu à Dijon comme c’était prévu, Sophie a trouvé un disque de Ea-gles of Death Metal posé sur son bureau, pas encore dépaqueté.

Fabian et Sophie se sont connus lors d’une fête à Berlin quand ils avaient à peine plus de 20 ans, dans le cadre d’un échange universitaire. Fabian était un Al-lemand de Hanovre, Sophie une Fran-çaise de Dijon. C’était le milieu des an-nées 1980, avant la chute du Mur. Ils ont continué à faire la fête entre Paris et Di-jon puis se sont installés dans la capitale bourguignonne, où Sophie est avocate. Tellement fans de musique qu’ils ont ap-pelé l’un de leurs deux fils Hector, à cause de Berlioz. Lucas a 21 ans aujourd’hui, Hector, 17.

Deux Franco-Allemands à double culture. Fabian était curieux de tout et sérieux dans ses curiosités. Tout ce qu’il faisait, il le faisait bien, allait au bout de tout, cherchait toujours plus loin : l’art, les amis, les arts martiaux – il était cein-ture noire de karaté, 4e dan. Son esprit critique s’exerçait autant sur l’art que sur la politique. Il avait sa carte du PS sans être militant, adorait discuter et polémiquer, les dîners entre amis étaient animés.

« Protestant, il protestait toujours, dit So-phie. Il se posait mille et une questions, il remettait toujours tout en question. » Il s’indignait que la Ligue de karaté ne s’empare pas du problème des jeunes musulmans qui refusaient de faire le salut sous prétexte qu’on ne s’incline que de-vant le Prophète. Il cuisinait souvent, li-sait tant qu’il pouvait, des livres sur l’art, des philosophes en allemand, des ro-mans en anglais.

Passionné de photo, il avait formé le projet de photographier des tombes de philosophes avec les épitaphes, occa-sions de vacances familiales pour aller voir celles de Kant à Kaliningrad, de Hannah Arendt dans l’Etat de New York, de Camus à Lourmarin ou de Walter Benjamin à Portbou. « Prussien », rap-pelle Sophie, il se tenait toujours très droit et soignait ses tenues, des boutons de manchette aux chaussures, qu’il ado-rait. Son exigence pouvait virer à l’impa-tience mais ses proches savaient com-ment l’amadouer, en l’appelant « Fabi », « Schatzi » ou « ma biche ». Ou en lui pro-mettant un dîner de kimchi, ce chou co-réen fermenté et pimenté qui le faisait fondre. p

marion van renterghem

La rigueur tranquille

Romain Feuillade

Resté pour siroter une dernière coupe de champagne, il attendait assis sur la rambarde, fatigué, heureux, l’arrivée des bulles. Romain Feuillade a été le premier touché par les balles sur la terrasse de la Belle Equipe. « Il était à deux mètres des tireurs, il n’a vraiment pas compris ce qui se passait », se souvient Baptiste Péan, son ami et associé, présent ce soir-là.

Avant le drame, les deux copains s’étaient pris dans les bras. Après des années à cravacher derrière le zinc des autres, ils s’étaient lancés ensemble, en reprenant une affaire : un restaurant, les Cent Kilos. L’ouverture avait eu lieu le 7 janvier, à midi, au moment même où, tout près de là, d’autres tueurs déci-maient la rédaction de Charlie Hebdo… Aidés par Gregory Reibenberg, le saint patron de la Belle Equipe, et toute la bande d’amis décimée le 13 novembre, les compères avaient redressé les comp-tes, attiré une nouvelle clientèle. « On nous appelait “Amicalement vôtre et compagnie”. J’étais l’Américain un peu fou, mon pote l’aristo britannique propre sur lui. On se complétait parfaitement », sourit Baptiste.

Toujours à l’heure et même en avance,sapé, bien coiffé, Romain avait la rigueur tranquille et le soin des choses bien fai-tes. « C’était limite mystérieux : il ne se sa-lissait jamais pendant le service, je ne sais pas comment il faisait », s’interroge encore son associé. « Dans les situations de bouillon, il ne paniquait pas. Il voyait tout, et en plus il était drôle, avec une sa-crée répartie », renchérit Stéphane Ben-mayor, qui l’a connu aux Chics Types, un autre bar de la bande. Fleur Poulain, serveuse au Cent Kilos, se souvient d’un « MacGyver capable de réparer une poi-gnée de porte avec un couteau ».

Le « Savoyard », comme certains de sesamis le surnommaient, était né à Paris en 1984 avant de rejoindre Gilly-sur-Isère, près d’Albertville. « Je souhaite à toutes les mères d’avoir un fils comme ça », confie sa mère, toujours installée en Rhône-Alpes avec son mari. Avec son « frère de cœur », Christian Corberas, il partageait une passion pour le basket. Romain portait un ballon tatoué sur le bras. Le bac en poche, il avait d’ailleurs entamé une licence de Staps avant d’ob-tenir son BAFA et de se lancer dans l’ani-mation. Des spectacles de centres de va-cances aux planches, il n’y a qu’un pas.

Romain Feuillade l’avait sauté en mon-tant à la capitale, décidé à devenir co-médien. Au Studio Pygmalion d’abord, puis au Laboratoire de l’acteur, il s’était essayé à l’improvisation, avait découvert le répertoire. Rencontré aussi sa compa-gne, Mariama Gueye, sublime comé-dienne d’origine sénégalaise. Le couple vivait à Montrouge et devait se marier le 4 juin. La restauration, dans laquelle Ro-main s’était lancé pour payer le loyer, avait pris le pas sur la scène. « Ce soir du 13 novembre, il m’avait dit pour la pre-mière fois qu’il était prêt à avoir un en-fant, se rappelle Baptiste. On voulait ouvrir un nouveau resto tous les deux. 2015, c’était vraiment notre année. » p

elise barthet

Les amis et les voyages

Hodda Saadi

Hodda Saadi avait un rêve : ouvrir son propre restaurant. « Elle était sur la bonne voie », dit Sophyane, une amie de-puis leurs 20 ans. « Déjà, quand elle te-nait le Café des Anges, situé rue de la Ro-quette, dans le 11e arrondissement, elle y pensait beaucoup », ajoute Aubery, sa collègue à La Belle Equipe. Directrice de ce café de la rue de Charonne, Hodda Saadi y avait réuni, ce soir du 13 no-vembre, ses amis, un de ses frères, Kha-led, une de ses sœurs, Halima, pour souffler sa 35e bougie. Plusieurs sont morts avec elle sous les balles des terro-ristes, dont sa sœur.

Née au Creusot, en Saône-et-Loire, dans une famille d’origine tunisienne de huit enfants – quatre garçons, quatre filles –, dont le père était ouvrier, Hodda Saadi avait peu d’une Bourguignonne mais tout d’une Parisienne. A l’époque où elle travaillait au restaurant Les Chics Types, dans le 19e, elle y arrivait sur son vélo rouge vif, « pour faire du sport ». Elle écoutait Brassens, Aznavour, Nina Simone. Elle n’avait pas de télévision chez elle et adorait résumer les articles des journaux à ses amis et ses clients. « Elle pouvait parler de tout avec tout le monde », poursuit Sophyane.

La Belle Equipe, le Café des Anges, LesChics Types, Le Verre Siffleur, La Fée Verte, Le Potager du Marais… Autant d’établissements parisiens qui ont vu travailler Hodda Saadi et où on la ré-clame encore. « Cela fait six mois qu’elle est partie des Chics Types, il y a encore des clients qui demandent où elle est », résume Stéphane Benmayor, cogérant. « Même quand elle était fatiguée, Hodda restait le rayon de soleil du restaurant », dit son ami Bastien.

Pour elle et les copines, Hodda était la « chasseuse fashion » qui passait des heures à chiner aux puces de Montreuil et d’ailleurs. Dans sa vie, il y avait aussi la cuisine, les keftas qu’elle amenait souvent chez ses amis sans prévenir, lescouscous géants ou les mueslis qu’elle préparait comme personne. Et il y avait les voyages, à Istanbul, « sa ville préfé-rée » dont elle revenait tout juste, à Na-ples où elle avait passé deux ans après son BTS en techniques de commerciali-sation, à Vienne pour la musique classi-que, à Londres où l’attendait son com-pagnon.

Ses amis, jaloux de la voir sillonner seule l’Europe, ont tous rêvé de l’accom-pagner. Las, elle menait sa vie à sa guise. Sophyane, elle, voulait la convain-cre de s’installer à Bordeaux pour ouvrir ensemble le restaurant dont elle rêvait. Las, elle était trop parisienne. Ses pa-rents ont décidé de l’enterrer en Tunisie. Mais c’est sans doute rue de Charonne que planera son esprit rieur. Aubery et Bastien y rouvriront La Belle Equipe, dès que possible. p

amaury hauchard

Le bon frère

Djalal Sebaa

Ils ne se sont pas inquiétés tout de suite. Parce que Djalal habitait à Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d’Oise. Parce que ce vendredi soir, le jeune homme était allé dîner chez ses parents à Gagny avec l’un de ses frères. Il en était reparti vers 20 heures. Pourquoi donc aurait-il été pris là-dedans ? Le samedi 14 novembre, lendemain des attentats, alors que cha-cun à Paris compte les siens, son frère Abdelaziz, l’aîné de cette fratrie de six, appelle chez ses parents pour prendre des nouvelles d’un petit frère qui avait l’habitude de beaucoup sortir le week-end. « Mais Djalal, non, je ne me suis pas inquiété pour lui », avoue-t-il aujourd’hui.

Et puis les heures passent, les jours, etDjalal ne donne pas de nouvelles. Le di-manche, après une matinée à faire son-ner le téléphone dans le vide, son père se rend chez lui à Beaumont-sur-Oise. L’un de ses amis raconte lui avoir parlé le vendredi. Djalal lui a expliqué qu’il dî-nait chez ses parents. Lundi, M. Sebaa va à la gendarmerie, expliquant être sans nouvelles de Djalal depuis vendredi. Il apprendra par la suite la mort de son fils, tué au Bataclan.

Né en Algérie il y a trente et un ans, celui-ci avait quitté son pays le 8 août 2014 pour venir tenter sa chance à Paris dans les métiers de la boulange-rie et de la pâtisserie. « Dans la famille, on est plusieurs à faire ça, moi, je suis pâ-tissier, lui, il aimait beaucoup la boulan-gerie », explique Abdelaziz.

Depuis son arrivée, Djalal avait tra-vaillé quelques mois dans une boulan-gerie et louait un petit studio. Ses rêves ? « C’était notre rêve à tous, avoir un tra-vail, une petite paie, une maison avec une famille », explique son frère. « C’est pour ça qu’il était venu en France, pour se construire un avenir. » L’homme qu’il était ? Les mots semblent vains. La voix vacille. « C’était un bon frère, un bon gars. Un garçon gentil qui aimait la vie. »

Le corps de Djalal a été rapatrié en Al-gérie, enterré au cimetière de sa ville na-tale, Aïn Touila, à 30 km de Khenchela, dans les Aurès (est), en présence de ses proches et des autorités locales. Un mois après sa mort, sa famille souffre de ne pas en savoir plus sur les derniers ins-tants de Djalal. « On a besoin de savoir ce qu’il s’est passé. Pour mes parents, pour ma maman », soupire Abdelaziz. p

charlotte bozonnet

Mémorial du 13 novembre« Le Monde » publie chaque jour des portraits des victimes des attentats,

afin de conserver, avec l’aide de leurs proches, la mémoire de ces vies fauchéesLa publication des portraits du mémorial du 13 novembre reprendra dans une prochaine édition

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 culture | 23

L’art de la vallée du Sepik, entre réel et imaginaire

Le Quai Branly réunit 230 pièces venues de Papouasie-Nouvelle-Guinée

ARTS

La monoculture dans la-quelle nous sommes de-puis longtemps veut brûlerle terrain de la mémoire, di-

sait l’écrivain haïtien Dany Lafer-rière, fin novembre, lors d’une ta-ble ronde au Musée du quai Branly.La mémoire prend un sens éthique, c’est la matrice, la structure. » C’est cette mémoire vive, et celle du lointain, que le musée parisien ex-plore depuis dix ans. « Le bruit est dévastateur, poursuivait l’écrivain. La position du retrait permet d’être en attente de l’avenir, de trouver le chemin des étoiles. »

La femme étant l’avenir del’homme, le curieux attiré dans lesfilets de l’exotisme de la Papoua-sie-Nouvelle-Guinée est accueilli dans l’exposition « Sepik » (du nom du fleuve de 1 126 kilomètres qui se jette dans l’océan Pacifique, au nord-ouest du pays) par une fi-gure féminine aux jambes écar-tées, placée au mur, en surplomb et sans cache-sexe. Deux racines partant d’un tronc figurent les jambes. Elle est superbe, comme sa consœur exposée un peu plus loin, femme guerrière, femme ser-pent aux épaules carrées et à la vulve turgescente. Cette dernière est un crochet fait de bois, d’os, de cheveux, de fibres, de pigments, que le peuple iatmul (société d’horticulteurs-pêcheurs vivant

sur ces terres marécageuses) utili-sait afin de suspendre des objets dans la maison des hommes. Le capitaine Friedrich Haug le prit dans le village d’Angriman, dans le moyen Sepik, en 1909, et le donna au Linden-Museum de Stuttgart.

La Papouasie-Nouvelle-Guinéefut allemande, ce qui expliquel’origine de nombreux prêts pour l’exposition « Sepik », à voir au Musée du quai Branly jusqu’au 31 janvier 2016. Ce sont 230 pièces,dont certaines sont d’une rarebeauté, qui y sont présentées, ap-partenant parfois aux collections,mais souvent prêtées par des mu-sées allemands ou suisses, avec une incursion au Musée mission-naire ethnologique du Vatican.

Dans la vallée du Sepik, des grou-pes humains parlant une variétéde 90 langues pratiquent un art de« l’entre-deux », le réel et l’imagi-naire, la terre et les cieux, l’eau et lecrocodile, avec des variantes selon

les villages. Et une constante : la séparation stricte des hommes et des femmes. Les figures masculi-nes sont, en conséquence, sexuel-lement très bien pourvues. Mais ilne faut pas s’y tromper : ce sontdes figures d’ancêtres fondateurs – autre constante dans la région.

Scénographie hésitante

Ce qui relie et nourrit, dans un seulécosystème, c’est le Sepik, fleuve sauvage dont on voit les images projetées derrière deux magnifi-ques pirogues, l’une à l’entrée de l’exposition, l’autre à la sortie. Les commissaires, Philippe Peltier, responsable des objets d’Océanie-Insulinde du Musée du quai Branly, Markus Schindlbeck, du Musée ethnologique de Berlin, Christian Kaufmann, du Musée des cultures de Bâle, ont privilégié la partie inférieure du fleuve. Son cours a été découvert par étapes par le colonisateur allemand. L’embouchure fut explorée en 1886 par le capitaine Eduard Dallmann et le naturaliste Otto Finsch, puis par Otto Reche et OttoSchlaginhaufen en 1909. La percée vers l’intérieur fut ensuite assurée par l’équipe du Musée ethnogra-phique de Berlin en 1912-1913.

Placée deux fois par la Sociétédes nations et l’ONU sous mandat australien, en 1921 et dans les an-nées 1950, après occupation japo-naise, la Papouasie-Nouvelle-

Guinée a gagné son indépendanceen 1975 et rejoint le Com-monwealth.

« Sepik, arts de Papouasie-Nou-velle-Guinée » s’est structurée sur une idée simple : la traversée d’unvillage. L’espace des femmesdonc, celui des hommes, et celuides initiés. Les quartiers sont desclans, placés sous l’autorité d’un aîné, on y mange, on y organise la chasse, la pêche et les rituels, avec une grande place faite à la musi-que, d’où les flûtes et les tambours.C’est évident sur le papier, mais le parcours est parfois confus, peu

aidé par une scénographie basi-que. Il y a comme une hésitation à privilégier la valeur esthétique sur la valeur d’usage, ou inversement. Le choix des objets est irrépro-chable : ils sont beaux, d’un petit appui-nuque venu de l’embou-chure Sepik-Ramu en forme de co-losse herculéen, au large tambour à fente des Sawos ou à la mère des anguilles, de plusieurs mètres de long, qu’il fallait convaincre de cé-der aux humains quelques-unes de ses protégées afin qu’ils se nourrissent.

L’art Sepik a fasciné les surréalis-

tes. André Breton avait placé dans son atelier, en compagnie de bi-joux et de masques, un superbe crâne polychrome surmodelé, peint d’arabesques, « avec cheveux,fragments de coquillage pour les pupilles ». Le marchand et collec-tionneur Charles Ratton (1895-1986), objet d’une exposition au Musée du quai Branly en 2013, avait diffusé l’art Sepik auprès de ses amis poètes et photographes.

« En Océanie, l’esthétique assurela cohérence et la cohésion de la so-ciété, écrivait le pasteur et ethnolo-gue Maurice Leenhardt (1878-1954), cherchant à expliquer l’atti-rance des surréalistes pour cet art. Les Océaniens sont le seul peuple aumonde qui ait donné à l’esthétique la primauté. Ce n’est point de leur part l’effet d’une décision ou celui d’une culture affinée ; les gens deSepik ont un art magnifique et ils vi-vent eux-mêmes à l’état sauvage. Mais ils illustrent ce fait que l’esthé-tique est éprouvée avant d’être pen-sée. Elle est déjà au ras de la vie pri-mitive, elle aide celle-ci à se coor-donner. » p

véronique mortaigne

« Sepik, arts de Papouasie-Nouvelle-Guinée », Musée du quai Branly. Jusqu’au 31 janvier 2016. Tél. : 01-56-61-70-00. Catalogue, coédition Skira/Musée du quai Branly 352 pages, 45 euros.

Le jeune reggae voyage en anglaisLe Normand Naâman et l’Allemande Sara Lugo jouent au Trianon

MUSIQUE

F in novembre à Besançon, leconcert du Français Naâ-man, 25 ans, et de l’Alle-

mande Sara Lugo, 23 ans, affichait complet, comme celui qu’ils don-nent samedi 12 décembre au Tria-non, à Paris, et d’autres prévus fin 2015 ou début 2016. Ces deux jeu-nes représentants du reggae euro-péen continuent de creuser leur sillon en live et sur disque, qu’ils soient accompagnés par une « DJette » pour la Munichoise ou par un groupe de musiciens pour le Normand. Tout comme sa collè-gue, Naâman (Martin Hussard pour l’état civil) chante en anglais, en jamaïcain avec un accent de « Frenchy normand » pour « l’uni-versalité » dit-il. Mais il s’adresse à son public dans sa langue natale pour énoncer un thème cher à BobMarley : « L’amour, qui n’a pas defrontière, d’origine, de politique. »

Elevé à Dieppe, en Normandie,fils d’une institutrice et d’un infor-maticien, le blondinet a découvert le reggae à 12 ans en achetant un al-bum de Bob Marley, Uprising. A 15 ans, il apprend à jouer de la gui-

tare puis monte un sound-system avec des copains où ils n’interprè-tent que des vinyles de reggae roots, de Dennis Brown à Gregory Isaac. Etudiant en graphisme à Caen, il y rencontre DJ Fatbabs, quilui compose des beats hip-hop pour ses chansons reggae, s’éloi-gnant du style one drop, plus tradi-tionnel, popularisé par le batteur de Marley.

« Génération internationale »

Ce mélange sera désormais la mar-que de fabrique du Normand, qui ne s’est pas départi de l’anglais quand il chante, contrairement aux représentants des premières générations du reggae hexagonal, Pierpoljak et Raggasonic en tête. L’Allemande Sara Lugo, qu’il a ren-contrée dans une émission de ra-dio, ne chante pas non plus dans salangue natale.

Résidente depuis peu à Lyon, elleapprend le français mais ses tex-tes, chantés sur un tempo plus rock steady, sont aussi en anglais : « Les premières générations du reg-gae européen étaient moins expo-sées à Internet que nous, se défend Naâman. Nous, nous sommes im-

bibés d’anglais, de jamaïcain, d’américain, nous sommes de cette génération internationale, citoyens du monde. Moi comme Sara, nous avons l’impression que nos paroles en anglais peuvent partir plus loin. Je me suis retrouvé ainsi dans un bar au Népal en train d’écouter une chanson que j’avais écrite dans ma chambre à 19 ans. Je ne sais pas comment le barman l’avait récupé-rée mais elle n’aurait pas parcouru ce chemin en français. »

Quand Naâman n’est pas entournée, il prend son sac à dos, sa guitare et s’envole loin : les îles Vierges et la Jamaïque en 2011, le Li-ban en 2013, le Népal, l’Inde en 2014 : « J’en ai besoin pour re-trouver mon autonomie, dit-il, et une vie normale. Quand tu es en tournée, tu es en bus, tout est pris encharge, et puis être photographié trente fois dans la journée, ça crée un déséquilibre. » p

stéphanie binet

Rays of Resistance, de Naâman, 1 CD SoulBeats RecordsHit Me With Music, de Sara Lugo, 1 CD Oneness RecordsEn tournée jusqu’au 15 avril 2016.

Le long du fleuve,

hommes

et femmes vivent

dans des espaces

séparés,

avec leurs

propres rituels

Figure féminine iatmul, aux jambes écartées. LINDEN-MUSEUM

STUTTGART, PHOTO

URSULA DIDONI

« UN FILM D’ESPIONNAGE POLITIQUE VIRTUOSE »TÉLÉRAMA

« UN THRILLER SOPHISTIQUÉENTRE THE GHOSTWRITER ET HOUSE OF CARDS »

THE HOLLYWOOD REPORTER

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A U C I N É M A L E 1 6 D É C E M B R EAVEC LA PARTICIPATION DE ANTOINE CHAPPEY VANESSA LARRE ET FRANÇOIS MARTHOURET GAVINO DESSI AUDREY BASTIEN CAMILLE CONSTANTINBERNARD VERLEY THOMAS CHABROL NATHALIE RICHARD LOU CHAUVAIN VINCENT DENIARD ARTURO PERIER SOPHIE RIFFONT FRANÇOIS ORSONIUN SCÉNARIO DE NICOLAS PARISER AVEC LA PARTICIPATION DE ARTE FRANCE CINÉMA OCS RÉGION ÎLE DE FRANCE CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE (CNC) ASSOCIATION BEAUMARCHAIS SACD EN ASSOCIATION AVEC LA SOFICA CINÉMAGE 9 CHEF OPÉRATEUR SÉBASTIEN BUCHMANN AFC 1ER ASSISTANT RÉALISATION SÉBASTIEN MATUCHET CHEF MONTEUSE IMAGE LÉA MASSONCHEF DÉCORATEUR NICOLAS DE BOISCUILLÉ SON DANIEL SOBRINO JON GOC MATHIEU DESCAMPS SCRIPTE CAROLINE STEFF DIRECTEUR DE PRODUCTION SÉBASTIEN AUTRET DIRECTEUR DE CASTING NICOLAS RONCHI CHEF RÉGISSEUR NICOLAS VAROUTSIKOS CHEF COSTUMIÈRE ANNE-SOPHIE GLEDHILL CHEF MAQUILLEUSE MAGALIE DUMAS CHEF COIFFEUSE VANESSA LOGIA MUSIQUE BENOÎT DE VILLENEUVE ET BENJAMIN MORANDOPRODUIT PAR EMMANUEL AGNERAY PRODUCTEUR ASSOCIÉ JÉRÔME BLEITRACH COPRODUIT PAR OLIVIER PÈRE ET RÉMI BURAH /BacFilms #LeGrandJeuLeFilm

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24 | culture DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

CINÉMA

Il y aurait, sur la planète cinéma, un lé-ger paradoxe Im Kwon-taek. L’exem-ple d’un cinéaste réputé majeur, fi-gure tutélaire du cinéma coréen,grand nom du cinéma mondial, dontpourtant personne n’aurait vu hors

de Corée ne serait-ce que le tiers des films.Imposture de cinéphiles ? Plus compliqué. Agé de 81 ans, toujours en activité, Im Kwon-taek a signé depuis 1962, au cours d’une car-rière qu’il convient de qualifier d’héroïque, lenombre non négligeable de cent deux films qui légendent, un peu à la manière de l’œuvre de John Ford aux Etats-Unis, l’épopéenationale coréenne. Il a été découvert tardi-vement sur le plan international, et pasavant les années 1990 en France, et le rattra-page de l’immense part manquante de son œuvre ne s’est tout bonnement jamais fait. Pire, le suivi des œuvres qui aurait convenu,à compter de cette découverte, à un auteurde cet acabit fut erratique.

Quelques titres auront néanmoins suffi àasseoir sa réputation, et à l’élever au rang des maîtres du cinéma mondial. Mandala (1981), qui l’a fait découvrir au festival de Berlin. Mais encore La Mère porteuse (1986), La Chanteuse de Pansori (1993), Le Chant de la fi-dèle Chunhyang (1999), Ivre de femmes et de peinture (2002). Le nombre de ses films distri-bués à l’extérieur de la Corée reste néan-moins dérisoire. Im Kwon-taek a sa part deresponsabilité dans cette situation étrange.Ainsi qu’il nous le disait déjà en 2008, il sou-haitait sincèrement que ses cinquante pre-miers films « disparaissent de la surface de la Terre ». Ils furent, il est vrai, réalisés en dix ansdans une économie de série B (« série C », te-nait encore à préciser le maître), sous la pres-sion d’une politique protectionniste et d’unsystème de quotas soumettant la production nationale à un rythme stakhanoviste.

Issu d’une famille de paysans pauvres, per-sécutée pour son engagement communiste et sévèrement touchée par la répression, lecinéaste s’est sorti seul de l’ornière trèsjeune, en se jetant par aventure, et comme un affamé, dans une industrie du cinéma en plein essor, où il eut la chance de signer d’emblée de gros succès. Sa productivité fré-nétique ne se tempéra qu’à la fin des années 1970, laissant place à une œuvre sinon plus personnelle, du moins plus réfléchie, qui fi-nit lentement par s’épanouir dans un payss’ouvrant lentement à la démocratie. Consi-déré dans son pays comme un monumentvivant, Im Kwon-taek conquiert en revanche l’étranger dans les fourgons d’un jeune ci-néma coréen qui explose dans les années

1990 et s’exporte sur des bases conformes aux critères actuels de légitimation du ci-néma d’auteur. Emporté par le flux, on peut comprendre que ce vieux loup du système des studios, cinéaste classique à l’heure où naissait le cinéma moderne, ait pu vouloir mettre en sourdine son passé de mercenaireet d’autodidacte frénétique.

LA DIVERSITÉ INOUÏE DES GENRES ABORDÉSLa bonne nouvelle est que le cinéaste, au soirde sa vie, a enfin infléchi sa position et qu’onpeut désormais librement accéder à son œuvre. La part secrète de son cinéma nous est ainsi révélée aujourd’hui par deux coups d’éclat. Le premier a eu lieu au Festival des3 continents de Nantes, achevé le 1er décem-bre, lequel peut déjà se targuer, en ayantmontré vingt-cinq films d’Im Kwon-taek, de la plus grande rétrospective européenne deson œuvre. Un record que la Cinémathèque française conteste sans tarder à Paris, en dé-voilant, de décembre à février 2016, plus de soixante films, autant dire un raz-de-marée. Présent le 29 novembre à Nantes, où il a donné de la sempiternelle et rébarbative master class une version un rien bouddhi-que, Im Kwon-taek n’en a pas moins réitéré avec malice ses traditionnelles mises en garde sur la part maudite de son œuvre : « Unjour, j’ai allumé la télévision chez moi et com-mencé à regarder un film qui me disait vague-ment quelque chose. Il a fallu un certain temps avant que je me rende compte qu’il était de moi. »

La révélation de ces films est pourtant loinde confirmer le mal que son auteur continueà en dire. Y frappe d’abord, outre la vitesse d’exécution, la diversité inouïe des genres abordés. Film de guerre (Au revoir, rivière Du-man, premier film réalisé en 1962 sur la résis-tance à l’occupation japonaise) ; film social(Soon-Ok fait pleurer le tribunal, 1966), wes-tern mandchou (L’Aigle des plaines, 1969, film de vengeance impavide que Quentin Ta-rantino devrait apprécier) ; film d’espion-nage (Une femme poursuivie, 1970) ; film de sabre (Trois grands sabres, 1972) ; film noir (Il neige sur la rue de la vengeance, 1971) ; fres-que historique (L’Epée sous la lune, 1970) ;mélodrame (Généalogie, 1978).

Y frappe plus encore la liberté qu’Im Kwon-taek parvient à prendre avec chaque genre,trouvant à chaque fois une manière de dé-tourner l’exercice, par la poésie, le comique, la fulgurance plastique, la bifurcation intem-pestive, le brouillage d’un genre par un autre.Il n’est jamais en reste d’un moyen pour mé-nager un dérapage, une vision, une incon-gruité qui suspendent la mécanique bien huilée du récit et de ses rebondissements, et nous entraînent à voir au-delà de ce qu’on

sexe comme énergie créatrice et vitale, ima-ges (photographies, peintures) comme sour-ces vives du récit. Là : impureté de l’inspira-tion créatrice et constante malléabilité for-melle, entre art et commerce, sublime et gro-tesque, document et romanesque, classicisme et modernité. A ce titre, nul art mieux que le pansori, en effet, avec son poly-morphisme narratif, musical et théâtral, ne témoigne de celui d’Im Kwon-taek, qui le lui abien rendu. Art singulièrement coréen, émané d’une identité nationale qui s’est for-gée, elle aussi, sous les férules étrangères.

Il faut rappeler, à cet égard, que le cinémad’Im Kwon-taek ne se comprend pas sans l’ar-rière-plan historique qui, intimement, lefonde. Soit la tragédie séculaire d’une nation coréenne vassale de la Chine depuis leXVIIe siècle, annexée et humiliée par le Japonde 1910 à 1945, victime de la guerre froide etpartagée en deux Etats bientôt belligérantsen 1945, accablée enfin par la dictature jus-qu’en 1987 pour le Sud, et encore aujourd’hui pour le Nord. Sous le visage de dragon du mi-racle économique, par quoi le monde la con-naît, la Corée est un pays historiquement souffrant, un corps cruellement amputé, uneplaie non cicatrisée. Rien de ce que s’y réalise n’échappe à une certaine absence à soi-même, à l’image du film fondateur du ci-néma coréen (Arirang, 1926) qui est à jamais perdu, à l’image encore de ce titre précieux (Les Mauvaises Herbes, 1973) qu’Im Kwon-taek désigne comme celui qui incarne le mo-ment de transition dans son œuvre, et qui se révèle non moins introuvable. p

jacques mandelbaum

Rétrospective Im Kwon-taek. Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris 12e. Tél. : 01-71-19-33-33. cinematheque.fr. Jusqu’au 29 février 2016.

s’attendait à voir. Sans doute est-il parfois dif-ficile de savoir ce qui relève au juste de la dis-tanciation ou de la naïveté. Mais qu’importe. Seul compte ici le sentiment d’assister à uncinéma qui s’invente en se faisant, et quinous touche infiniment dans la mesure où il ne cherche à aucun moment à se soustraire àce défi. Le cinéma d’Im Kwon-taek n’est pas,en un mot, un cinéma de petit malin ou de grand artiste. Il est un cinéma qui fait de lacroyance dans le réel, dans l’épreuve char-nelle par laquelle il s’impose aux hommes, dans la capacité du récit enfin à la réinventer la condition même de son existence.

ARRIÈRE-PLAN HISTORIQUECe qui s’ajoute passé cette longue furie, qu’onrépertorie ordinairement du côté deschefs-d’œuvre, nous emmène plus ostensi-blement du côté de la spiritualité (le road-movie de deux moines bouddhistes que toutoppose dans Mandala, 1981) de la traditionculturelle (le sacrifice pour la beauté de LaChanteuse de pansori, 1993), du manifeste ar-tistique (le peintre férocement dionysiaque d’Ivre de femmes et de peinture, 2002). Pour autant, navré monsieur Im Kwon-taek, nousrefusons de vous couper en deux. Parce que, chez vous, tout est dans tout, et que vous n’avez en vérité jamais cessé de passer del’abattage à l’art et réciproquement, y com-pris dans un même film. Parce qu’il s’ensuit que ni vos motifs ni votre manière n’ont, avecle temps, si fondamentalement changé qu’onest prié de le croire.

Ici : violence et cruauté tous azimuts (occu-pation japonaise, guerre civile, complots féo-daux, guerre des gangs), familles et lignées détruites, dénonciation radicale du pouvoircorrupteur de l’argent, infirmité comme di-mension morale de l’humanité (bossus, aveugles, handicapés peuplent les films),

« UN JOUR,J’AI

COMMENCÉÀ REGARDERUN FILM QUI

ME DISAIT VAGUEMENT QUELQUE CHOSE. IL A

FALLU UN CERTAIN TEMPS AVANT QUE JE

ME RENDE COMPTE QU’IL ÉTAIT DE MOI »

IM KWON-TAEK

Déferlante Im Kwon-taek à la CinémathèqueLe cinéaste coréen prolifique, qui fait l’objet d’une rétrospective, continue de renier une grande partie de son œuvre

CONCERT FICTIONJEUDI 17 ET VENDREDI 18 DÉCEMBRE - 19H - MAISON DE LA RADIO - STUDIO 104Réservation : maisondelaradio.fr ou 01 56 40 15 16

UNE COPRODUCTION

FRANCE CULTURE / DIRECTION DE LA MUSIQUE

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la rumeur enflait depuis quel-ques jours ; un communiqué l’a confirmée vendredi 11 décembre : Frédéric Bonnaud succède à SergeToubiana au poste de directeur dela Cinémathèque française. Il prendra ses fonctions le 1er fé-vrier 2016. Choisi par le président de l’institution, Constantin Costa-Gavras, ce journaliste de 48 ans, qui a commencé sa carrière comme assistant de programma-tion cinéma au Jeu de paume, a vusa candidature approuvée à l’una-nimité par le conseil d’adminis-tration et par la ministre de la cul-ture, Fleur Pellerin. Elle l’a em-porté sur celles de Marc Nicolas, directeur général de la Femis,d’Edouard Waintrop, délégué gé-néral de la Quinzaine des réalisa-teurs, et de François Aymé, prési-dent de l’Association française des cinémas d’art et d’essai.

Directeur de la rédaction del’hebdomadaire culturel Les In-rockuptibles depuis 2013, où il fut longtemps critique de cinéma,animateur de débats sur Media-part et coauteur de l’émission « Personne ne bouge ! », sur Arte, Frédéric Bonnaud a fait une par-tie de sa carrière à la radio commechroniqueur et producteur (sur France Inter, Europe 1, Le Mouv’). Dès l’annonce de sa nomination, il s’est dit attaché à la « mission de service public » de la Cinémathè-que et à son « devoir de transmis-sion », avant de rendre hommage à l’œuvre accomplie par son pré-décesseur : « Je suis heureux et fier de succéder à Serge Toubiana (…).En douze ans, sous sa direction, laCinémathèque est devenue un vé-ritable musée moderne du cinéma,qui assume pleinement ses mis-sions de conservation et de diffu-sion du patrimoine cinématogra-phique. En duo avec notre prési-dent, Costa-Gavras, j’aurai à cœurde poursuivre l’œuvre déjà accom-plie et d’ouvrir en grand la Ciné-mathèque à des publics toujours plus divers. »

Le nouveau directeur hérite en

effet d’une institution florissante.Nommé en 2003, après plusieursannées de crise, marquées par une gestion calamiteuse, au mo-ment où le temple de la cinéphilieparisienne s’installait dans ses lo-caux de Bercy, Serge Toubiana a fait fructifier l’héritage d’Henri Langlois en l’accompagnant dans une nouvelle ère. Et le succès fut au rendez-vous : une fréquenta-tion soutenue dans les salles (216 000 visiteurs par an en 2014),et de grandes et belles exposi-tions (sur les réalisateurs Renoir,Kubrick, Burton, Demy, Pasolini,Scorsese…) qui ont contribué à re-définir l’identité du lieu.

Il est en outre l’artisan d’une pa-cification des rapports, histori-quement exécrables, entre l’insti-tution et le ministère de la cul-ture.

Développer le mécénat privé

La confiance que Serge Toubianaa su établir avec la tutelle, en im-posant notamment des règlesstatutaires de transparence à tousles échelons, s’est traduite parune constance, depuis 2010, de la subvention publique (20 millions d’euros), sur laquelle repose 75 %du budget de la maison. Cettemanne est toutefois appelée à se réduire en 2016. Dans ce contexte,le nouveau directeur aura àcharge de développer le mécénat privé, mais aussi de trouver denouveaux moteurs pour la fré-quentation. En 2014, les exposi-tions et le musée n’ont pas réuniplus de 130 000 visiteurs, alorsque deux ans plus tôt, l’exposi-tion « Tim Burton » en rassem-blait à elle seule 352 000. Il lui re-viendra de réfléchir aux missions de la Cinémathèque dans le cadre de la cinéphilie d’aujourd’hui, quise forge largement sur Internet.

Aux Inrockuptibles, c’est PierreSiankowski, 39 ans, ancien rédac-teur en chef du magazine, qui prendra la succession de Frédéric Bonnaud. p

isabelle regnier

Frédéric Bonnaud prend la tête de la Cinémathèque française

Derrière l’écran de la mémoire Dans « Rouge décanté », Guy Cassiers offre une plongée dans l’enfance de l’écrivain Jeroen Brouwers, passée dans un camp en Indonésie

THÉÂTRE

C’est peu de dire qu’ilbouleverse, cethomme que l’on dé-couvre sur le plateau

du Théâtre de la Bastille. Et c’est peu de dire qu’on le recommande,ce spectacle remarquable en tous points, d’une force émotionnelle d’autant plus soufflante qu’elle netombe jamais dans le pathos ou lafacilité. L’homme, c’est à la fois Dirk Roofthooft, un des plus grands comédiens du théâtrebelge, et le personnage qu’il joue, celui de l’écrivain néerlandais Je-roen Brouwers.

Le spectacle, c’est Rouge décanté.Il a été créé il y a dix ans, il a fait connaître le metteur en scène an-versois Guy Cassiers en France, quand il a été présenté à Avignon en 2006 (Le Monde du 21 juillet 2006), et, depuis, il n’a cessé de tourner en Europe, où il

est devenu un spectacle « culte », comme on dit. Mais il n’avait ja-mais été présenté à Paris, erreurregrettable aujourd’hui réparéepar le Théâtre de la Bastille, qui le programme jusqu’au 18 décem-bre.

Non seulement il n’a pas vieilli,mais il a pris avec les années l’éclatd’un diamant noir, irradiant de beauté la descente aux enfersd’un homme, tant l’acteur Dirk Ro

« La faim, les maladies… »

Fils de colons hollandais installés en Indonésie, Brouwers avait 5 ansquand il fut interné avec sa mère, sa grand-mère et sa petite sœur aucamp de Tijdeng, à Batavia, l’ac-tuel Djakarta. C’était en 1945, à la fin de la guerre et de l’occupationjaponaise des Indes néerlandai-ses. Le camp : « La faim, les mala-dies, la souffrance, la mort. Et tout le reste. » Le reste : tortures physi-ques et psychologiques, coups,

Roofthooft nous montre en train de râper l’épaisse corne qu’il a auxpieds, comme s’il essayait, trente-cinq ans après, alors que sa mère vient de mourir, seule, abandon-née à son tour, d’enlever l’épaisse carapace d’insensibilité qu’il s’est forgée pour survivre.

Seul sur le plateau du théâtre,l’homme ouvre et ferme à claire-voie l’écran intime de sa mé-moire, et nous emmène au cœur de ses ténèbres intérieures, grâce au dispositif virtuose conçu par Guy Cassiers. Le metteur en scènebelge est vraiment le maître d’un théâtre multimédia mis au ser-vice de l’expérience littéraire etintime.

Dans son décor japonisant etnocturne, strié de fines lignes lu-mineuses rouges comme des traits sanglants, Dirk Roofthooft peut alors donner la mesure de son immense talent, qui nous em-mène au plus profond de l’intério-rité brouillée, floue, décomposée de cet homme peu à peu envahi par ce « rouge décanté », voile desang remonté à la surface, enfin, comme un rideau se déchire. p

fabienne darge

Rouge décanté, de Jeroen Brouwers (éd. Gallimard). Mise en scène : Guy Cassiers. Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. : 01-43-57-42-14. Du mardiau samedi à 20 heures, dimanche à 17 heures, jusqu’au 18 décembre. De 16 à 26 €. Durée : 1 h 40.

viols, humiliations, privations.L’enfant y verra mourir sa

grand-mère – il verra, aussi, com-ment les femmes peuvent être traitées dans une situation de guerre. Mais, et c’est toute la force de ce texte incroyable que de le montrer ainsi, le camp a aussi été, pour le petit garçon, le lieu de lafusion avec sa mère, cette mère si aimante, si courageuse qui, le jourde ses 5 ans, se débrouille on nesait comment pour lui offrir un li-vre, dans lequel le futur écrivain apprendra à lire. Cette mère qui,après la guerre, après le camp, l’« abandonnera » en l’envoyant dans un pensionnat.

Pour Jeroen Brouwers, le camp aété une matrice dont il était im-possible de sortir. « Je ne sens rienet ne veux rien sentir. Où, quand,grâce à qui aurais-je pu apprendre à sentir quelque chose ? », se de-mande l’homme que Dirk

Dans un décor

japonisant

et nocturne,

Dirk Roofthooft

nous emmène

au plus profond

de l’intériorité

brouillée, floue,

décomposée

de cet homme

GA

LE

RI

E GALERIE MICHEL REINFadia Haddad« Le plus difficile dans la vie d’un artiste, ce sont les soixante premières an-

nées. » La phrase est du frère de Marcel Duchamp, Jacques Villon, et évoque une époque révolue, celle où les peintres construi-saient patiemment une œuvre avant de songer à la vendre. Il pourrait s’ap-pliquer à Fadia Haddad : la soixantaine, elle ne l’a pas encore, mais elle s’en ap-proche. Née à Beyrouth en 1959, elle n’est pas in-connue : sa première ex-position parisienne re-monte à 1989. Elle a suivi son petit bonhomme de chemin, tôt remarquée par quelques critiques, comme Jean-Luc Chalu-meau ou Françoise Mon-nin, par quelques grands collectionneurs aussi, toussurpris par des qualités de peintre, un souffle et une énergie, dont on a telle-ment perdu l’habitude qu’on a fini par les trouver désuètes. Heureusement, il y a les jeunes, qui ont parfois l’œil frais : c’est un commissaire d’exposition attaché à la Tate Modern de Londres, Morad Mon-tazami, né en 1981, qui, fasciné par son travail, en a parlé au galeriste pari-sien Michel Rein. Lequel l’a illico montré à la Foire internationale d’art con-temporain, à Paris, en oc-tobre. De la peinture, de la vraie, avec toute la subti-lité qu’on peut espérer de la part de quelqu’un qui travaille en souterrain, en paix et à l’abri du marché, depuis un quart de siècle. Il ne faut peut-être pas dé-sespérer des beaux-arts. p harry bellet

« Fadia Haddad,

Masques/Percussions »,

Galerie Michel Rein, à Paris 3e. Tél. : 01 42 72 68 13. Jusqu’au 19 décembre.

Dirk Roofthooft, acteur virtuose

En flamand, Roofthooft se dit Rôôftôôft, et non pas Roufthouft. Ce qui n’empêche pas que Dirk soit « ouf », tant ce comédien né en 1959 à Anvers, où il vit toujours, marque depuis trente ans la scène flamande et le théâtre européen. Dirk Roofthooft, qui dans Rouge décanté montre toute l’étendue d’un talent à la fois virtuose et humain, psychologique et musical, est depuis le début des an-nées 1990 de toutes les grandes aventures de ce théâtre belge qui afait trembler l’art dramatique sur ses bases. Compagnon de longue date aussi bien de Jan Fabre que de Guy Cassiers, qui sont pour-tant deux artistes à l’opposé. Mais Dirk est là, capable d’endosser sur son corps un peu trapu toutes les ténèbres humaines.

« Le Chant de la fidèle Chunhyang » (2000),d’Im Kwon-taek. CINÉMATHÈQUE

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un ilm de

DANIEL LECONTE & EMMANUEL LECONTE

L’HUMOUR ÀMORT

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e AU CINÉMA LE 16 DÉCEMBRE

N’est-ce pas lemoment de redonner vie aux « Charlie » ?MARIANNE

Ce ilm remet la liberté d’expression au centre du débatPREMIÈRE HHH

Page 26: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

26 | télévisions DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

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La luxueuse épopée des

« Aventuriers de l’art moderne »

La vie intime des fondateurs de l’art moderne, du Montmartre de 1900

jusqu’à la Libération, ravivée par les archives, le dessin, la peinture

sur verre et l’animation

ANIMATION

Dan Franck imaginait-il, encomposant Le Temps des bo-hèmes – premier volet d’unetrilogie comprenant Liber-

tad ! et Minuit (réédité chez Grasset, enun volume, 1 216 p., 29 €) –, que Max Ja-cob, Apollinaire, Matisse, Modigliani ouPicasso allaient, quinze ans plus tard,s’échapper de sa plume pour reprendre vie et couleurs par la grâce d’une jeuneartiste de 33 ans, Amélie Harrault, et l’audace de trois productrices ? Sansdoute pas. Pourtant le résultat est là,avec ses Aventuriers de l’art moderne,brillantissime série documentaire (de 6 × 52 minutes) que diffuse Arte, entre-mêlant archives et animation, pé-tillante de créativité et portée par lesouffle d’une aventure collective et fé-minine peu commune.

Au centre de la toile : la société de pro-duction Silex, créée en 2009 par Pris-cilla Bertin, Elsa Larrière et Judith Nora,que la quête d’éclectisme et d’écrituresinnovantes a amenées, il y a quatre ans,à s’aventurer sur un terrain qu’elles neconnaissaient guère : le documentaire.« L’envie d’adapter Bohèmes, expliqueJudith Nora, est venue d’une rencontreavec Dan Franck qui, lorsque nous lui avons soumis l’idée, a posé pour condi-tion que ce soit les trois livres ou rien. »Loin d’être effrayé par ce défi, le trio deproductrices y associe l’écrivain et scé-nariste, qui avoue néanmoins être restéquelque peu dubitatif : « Ça me semblaitimpossible, car trop de personnes s’yétaient cassé les dents. »

Après avoir réussi à convaincre Art, lamaison de production se met en quêted’un grand réalisateur de documentai-

res. En vain. « Ceux que nous avons ren-contrés, explique Judith Nora, avaient une vision trop classique. Nous noussommes alors tournés vers des graphis-tes. » Et, par l’entremise du réalisateur etcomédien Benoît Delépine, les trois pro-ductrices découvrent Mademoiselle Kikiet les Montparnos, d’Amélie Harrault, peu avant que la jeune femme, déjà ré-compensée dans de nombreux festi-vals, ne reçoive en 2014 le César du meilleur court-métrage d’animation.

Devant ce film qui joue de multiplestechniques d’animation (dessin, col-lage, peinture, photos animées…) pour retracer la vie tumultueuse de celle quifut la muse de Kisling, de Fujita et deMan Ray, son grand amour, l’évidences’impose. « Soudain, confie encore Ju-dith Nora, le projet a pris une tournure que nous n’envisagions pas et pour le-quel nous nous sommes donné les moyens de notre ambition. »

Inventer autre chose

Alors que Dan Franck opère des choixdouloureux pour compresser les 1 200 pages de sa trilogie en une cen-taine qui seront remodelées, au fil des allers-retours avec Amélie Harrault, cel-le-ci s’adjoint pour la réalisation destrois premiers épisodes (couvrant la pé-riode 1900-1920) Pauline Gaillard, cheffe monteuse qui a collaboré notam-ment avec Sébastien Lifshitz et ValérieDonzelli. Après quelques tâtonne-ments, les deux femmes trouvent leurmode de fonctionnement. « Au début, assez naïvement, explique PaulineGaillard, nous pensions qu’une partie dutexte serait pris en charge par les archi-ves et l’autre par l’animation. Or, trèsvite, ce découpage binaire est apparu

inopérant en raison de la nature mêmedes archives du début du siècle, compo-sées de plans larges et fixes. Tout le con-traire de l’incarnation insufflée par l’écri-ture de Dan Franck. Il nous fallait donc inventer autre chose. »

Cette invention va passer par la miseen place d’un dialogue étroit et perma-nent entre l’animation et les archives puisées dans de multiples fonds, no-tamment de films russes ou ceux de Louis Feuillade. « D’une contrainte nous avons fait un jeu, poursuit PaulineGaillard. Constamment, nous nous som-

« Il y a un jeu

de regards, comme

si l’archive venait

authentifier

l’animation

et inversement »

PAULINE GAILLARD

coréalisatrice

Un tourbillon pictural et littéraire

A u diapason de leur fougue, deleur rébellion et de leursélans du cœur, Dan Franck li-

vrait, il y a quinze ans, la chronique in-time d’une bande de joyeux drilles en guenilles, qui, des cafés enfumés de Montmartre à ceux de Montparnasse,allaient, d’un trait de plume ou de pin-ceau, dessiner l’avant-garde artistiquedu XXe siècle. Leur nom : Picasso, Bra-que, Matisse, Derain, Kisling, Juan Gris, Soutine, Apollinaire, Max Jacob, Cendrars, Breton, Aragon…

Sous le trait respectueux mais mali-cieux et poétique d’Amélie Harrault,virtuose de l’animation, les voici qui prennent vie dans une série docu-mentaire captivante. Donnant à son film des allures de feuilleton vibrion-nant d’inventivité narrative et vi-suelle, elle nous plonge au cœur de ce

creuset créatif qui vit naître, sur le ver-sant pictural, entre autres, le fauvismeet le cubisme, et, sur le versant litté-raire, le surréalisme.

Vies vagabondes, poètes sans le sou,artistes anars et farceurs, muses en-sorceleuses, mécènes et marchands d’art aux redoutables intuitions, tour-billon d’amitiés tumultueuses, de passions amoureuses, rivalités créa-trices, querelles d’écoles et de chapel-les, scandales, excommunications,engagements politiques…

L’humour le dispute à l’émotion

C’est tout cela que conte cette fresque étourdissante où s’entrecroisent vie intime et gestes artistiques, dans un foisonnement savamment orchestré d’archives, de photographies ani-mées, de films documentaires ou de

fictions, de dessins, de collages et de peinture sur verre – celle-ci irise l’en-semble d’une touche onirique.

A mesure que les peintres s’embour-geoisent – à l’image d’un Picasso dont l’ombre tutélaire plane sur toute la sé-rie –, mais pas tous (on pense ici aux émouvants Soutine et Modigliani), et s’éloignent pour céder leur place aux turbulents surréalistes, la palette s’as-sombrit. Prenant, dans les ultimes épisodes, les couleurs du temps : celle gris acier et rouge sang de la guerre d’Espagne, avant de virer au vert-de-gris de l’Occupation.

Tenue de bout en bout par un récit vifet enlevé qu’épousent parfaitement d’étonnants partis graphiques où l’hu-mour le dispute à l’émotion, cette sérienous instruit autant qu’elle nous di-vertit. Surtout, elle s’offre comme une

merveilleuse invite à pousser les por-tes des musées et des librairies. A ceux,nombreux n’en doutons pas, qui, à l’is-sue de la diffusion, se sentiront orphe-lins de ces icônes artistiques et littérai-res, on ne saurait trop conseiller le cof-fret DVD de la série qui comporte, en bonus, outre un making-of du généri-que – petit bijou conçu par Vincent Pia-nina et Lorenzo Papace –, le mer-veilleux Mademoiselle Kiki et les Mont-parnos, d’Amélie Harrault. p

ch. r.

Les Aventuriers de l’art moderne, d’Amélie Harrault, Pauline Gaillardet Valérie Loiseleux, sur un scénario de Dan Franck (6 × 52 min). Mercredi 16 décembre à 20 h 55 (épisodes 1et 2) ; jeudi 17 à 22 h 25 (ép. 3 et 4)et vendredi 18 à 22 h 25 (ép. 5 et 6).

mes tendu la main. Dans de nombreuses scènes, il y a un jeu de regards, dechamps - contrechamps, comme si l’ar-chive venait authentifier l’animation et inversement. » La méthode se poursui-vra lors des trois derniers épisodes (1920-1945) avec Valérie Loiseleux, mon-teuse auprès de Manoel de Oliveira, Lu-cas Belvaux ou Eugène Green. « Afin qu’Amélie n’ait pas à prendre en charge continuellement l’incarnation des per-sonnages, nous avons effectué de nom-breuses recherches de gestes quotidiens, de détails de mains et de pieds. »

Cette joyeuse hybridation va être dy-namisée davantage encore par l’hétéro-généité de l’animation, une manièrequ’affectionne Amélie Harrault, qui ne craint rien moins que d’être enfermée dans un seul registre. « Tout en nourris-sant le récit, le graphisme ouvre aux spec-tateurs d’autres portes, d’autres émo-tions », dit la réalisatrice pour laquelle Si-lex a créé un studio à Angoulême. Ainsi, dans ce petit « Bateau-Lavoir », sous sa houlette vont travailler pendant deux ans une dizaine de graphistes répartis selon les techniques utilisées : dessin traditionnel, palette graphique, photo d’archives animées et peinture sur verre.

« Recevoir, célébrer, transmettre »

Si Amélie Harrault reconnaît s’être amu-sée à mêler son trait à celui des artistes peintres, elle concède cependant avoir éprouvé davantage de liberté auprès des écrivains qui occupent le devant de la scène dans les trois derniers épisodes.« Ne travaillant plus avec des œuvres d’artpour lesquelles il faut négocier avec les ayants droit et leur soumettre pour vali-

Pablo Picasso, dans son atelier, devant « Les Demoiselles d’Avignon ». SILEX FILMS/FINANCIÈRE PINAULT

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Quand le documentaire s’animeFaute d’archives suffisantes, les réalisateurs optent de plus en plus pour ce mode de narration

Alésia. Eté 52 avant J.-C.La grande bataille estimminente. Apator,chef du peuple éduen

et bras droit de Vercingétorix, es-corté de 300 000 compagnons, s’apprête à affronter les légions deJules César.

Le Dernier Gaulois n’est pas unénième péplum hollywoodien, mais une « superproduction » française de 2,7 millions d’eurosqui relate le siège d’Alésia sous la forme d’un étonnant documen-taire mariant animation et ima-ges réelles. Mardi 29 décembre, France 2 prend le pari de diffuser, à 20 h 55, ce docu-fiction sur la guerre des Gaules dans lequel les acteurs et le décor ont été imagi-nés et dessinés par des graphistes,puis tourné en motion capture avant d’être validé dans les moin-dres détails par l’archéologue Jean-Louis Brunaux, spécialiste de la civilisation gauloise. « Çareste avant tout un vrai documen-taire, souligne Fabrice Coat, le pro-ducteur. Sur les quatre-vingt-dix minutes que compte le film, il y en a cinquante-deux en animation. »

Après quatre années de travail,ce film a pour ambition – comme l’a exigé Barbara Hurel, directriceadjointe de l’unité documentaire de France 2 – de raconter l’histoiredes Gaulois au-delà du mythe et des clichés. Une reconstitution enanimation ? « C’est un nouveausupport de narration qui permet de donner au public une représen-tation de “nos” ancêtres les Gau-lois », explique-t-elle.

Donner chair

Le Dernier Gaulois illustre l’en-gouement récent des chaînes et des auteurs pour « cette écriture », explique Barbara Hurel. Depuis le succès mondial, en 2008, de Valse avec Bachir, d’Ari Folman, ces films hybrides se sont multipliés à la télévision : Juifs et musulmans,si loin, si proches, de Karim Miské(Arte), L’Embuscade, de JérômeFritel (France 2), Endoc(t)rinement,de Stéphane Horel (France 5), ouencore Les Aventuriers de l’art mo-derne, diffusé sur Arte dès le 16 décembre. Et la liste est loind’être exhaustive…

« L’animation, c’est la caméraidéale qu’on n’a jamais eue et qu’onn’aura jamais. C’est un procédémagique, explique Jérôme Fritel. Elle offre une grande liberté, mêmes’il est compliqué de l’utiliser. »Dans L’Embuscade, l’animation lui a permis de « matérialiser » le souvenir de soldats français et de reconstituer une attaque meur-trière en Afghanistan. Ainsi, l’ani-mation s’impose naturelle-ment dans les documentaires oùil n’y a pas ou peu d’archives (pho-

tos ou films). « La nécessité du récitnous oblige à être créatifs. S’il n’y a pas d’images, on peut les fabriquermais pas les inventer », note Clé-mence Coppey, directrice de l’unité documentaire de France 3.

L’animation doit être au serviced’un récit relatant un passé loin-tain (ou pas), d’une parole extrê-mement forte qu’on ne peut pasrestituer ; elle permet de faire par-tager une émotion et de donnerchair à des personnages histori-ques, en l’absence d’archives. Celaa été le cas pour le film Illustre et Inconnu. Comment Jacques Jau-jard a sauvé le Louvre (France 3), deJean-Pierre Devillers et Pierre Po-chart, qui retraçait l’invraisem-blable parcours de cet homme très discret, sauveur des œuvres du musée pendant la secondeguerre mondiale. Pour ce film, les auteurs ont reçu le 12 décembre une récompense aux prestigieux International Emmy Awards dans la catégorie des programmes sur l’art. « Le docu-fiction donne une impression d’interpréter la réalité alors que l’animation est ancrée dans la réalité », tient à nuancerJean-Pierre Devillers.

« On peut avoir recours au docu-fiction avec des acteurs mais c’est généralement raté et la fictioncoûte cher », reconnaît Karim Miské. « Et l’animation suggère desespaces, évoque des lieux, donne une image du réel, elle tient le ré-cit », ajoute Alex Szalat, directeur adjoint de l’unité société et cul-ture d’Arte.

L’animation permet aussi de« vulgariser des sujets complexes »,assure la réalisatrice Stéphane Horel. Ainsi, sur France 5, la science est traitée pour une bonne part à travers ce processus narratif qui permet d’être « ludi-

que », comme le souligne CarolineBehar, directrice de l’unité docu-mentaires. « Notre ambition est derendre accessible la science au plusgrand nombre. Avoir une démar-che davantage visuelle permetd’attirer un public assez familial. » Mais pas forcément plus jeune.

Pour autant, même une anima-tion à petite dose nécessite« énormément de travail. On nes’en rend pas compte », ajoute Sté-phane Horel. Car le développe-ment est long, très long, entre la recherche graphique, la concep-tion des story-boards et leur vali-dation par la chaîne, le son, lescouleurs, les voix. « Nous avons passé un an et demi à chercher lestyle graphique, souligne FabriceCoat, producteur du Dernier Gau-lois. J’avais dit à France 2 de ne pass’inquiéter, que le film ne seraitpas une animation naïve, genreKirikou. » Pas question de faire du Pixar (studio à qui l’on doitToy Story ou Ratatouille) et en-core moins 300, un péplumultra-stylisé de Zack Snyder. « Detoute façon, c’est impossible, nosbudgets sont ridicules », sourit Fa-brice Coat.

Les budgets des documentairesanimés ne sont pas extensibles :

le coût moyen pour un 52 minu-tes à destination d’une grande chaîne oscille entre 90 000 et150 000 euros. La part de l’anima-tion peut atteindre jusqu’à 50 %du budget pour seulement unedizaine de minutes de dessins. « L’animation coûte encore trèscher, assure Karim Miské, mêmesi elle l’est moins qu’il y a vingt ans. Aux producteurs d’être ma-lins pour trouver d’autres sourcesde financement. » Comme le Cen-tre national du cinéma et de l’image animée, les régions, les coproductions internationales ou encore les bourses privéespour les nouvelles écritures…Surtout, il faut trouver le studio qui accepte de travailler à moin-dres frais, sinon « on doit tous seserrer la ceinture », reconnaît Jé-rôme Fritel. Sans oublier qu’il faut apprendre à travailler avecdes graphistes.

Pour certains documentaristes,l’animation est considéréecomme une « belle arme » mais encore « faut-il savoir l’utiliser avec parcimonie, précise JérômeFritel. C’est devenu un effet de mode, or l’animation n’est pas une baguette magique qui permet detout raconter. Avec elle, on utilise les codes de la fiction, il faut doncfaire attention à ne pas aller trop loin. » Toute la difficulté est de trouver le juste équilibre entre le récit, les témoignages, les archi-ves et les animations. Et la tenta-tion d’en user systématiquementpeut remettre en cause cette fra-gile alchimie. Comme le dit Jean-Pierre Devillers : « L’animation peut prendre les allures d’une solu-tion de facilité et devenir un dan-ger, surtout si l’artistique prend lepas sur l’histoire. » p

mustapha kessous

« L’animation

coûte très cher.

Aux producteurs

d’être malins

pour trouver

d’autres sources

de financement »

KARIM MISKÉ

réalisateur

Louis Aragon, Jacques Prévert, Elsa Trioletet Vladimir Maïakovski.SILEX FILMS/FINANCIÈRE

PINAULT

dation les animatiques (story-boards ani-més), j’ai pu alors pleinement m’émanci-per des codes et des contraintes. »

Séduits cependant par la série, qui allierespect des œuvres et fantaisie créatrice,tous les ayants droit, même Picasso Ad-ministration, réputée très difficile et quifut largement sollicitée, ont fait preuved’une grande bienveillance et ont con-senti quelques efforts financiers, recon-naît la productrice, Judith Nora.

De fait, pour réaliser cette luxueuse sé-rie (2,6 millions d’euros, déjà venduedans 12 pays) portée par la voix de la co-médienne Amira Casar, la musique ori-ginale de Pierre Adenot (compositeurnotamment de La Belle et la Bête, de Christophe Gans) et qui comporte près de cent vingt-cinq minutes d’anima-tion, la maison de production, aidée de Guillaume Cerutti, président de Chris-tie’s depuis août, a eu recours à des mé-cènes. Et non des moindres. Comme la société de courtage en art Connery Pis-sarro Seydoux ou, venu en coproduc-teur, l’homme d’affaires et collection-neur François Pinault.

« Recevoir, célébrer, transmettre, c’esttout l’esprit de cette série », lance avec en-thousiasme Judith Nora. Le même qui a conduit toute cette folle aventure qui, par son inventivité et ses audaces multi-ples, fera certainement date dans l’uni-vers du documentaire d’animation. p

christine rousseau

Image du documentaire « Le Dernier Gaulois », réalisé par Samuel Tilman. PROGRAM 33

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Chirac sans surprisesFranz-Olivier Giesbert dessine un portrait à gros traitsde l’ancien président de la République

FRANCE 3LUNDI 14 – 20 H 55

DOCUMENTAIRE

Est-il nécessaire de s’infli-ger deux heures de film,autant de poncifs sur Jac-ques Chirac et la traver-

sée de l’écran à intervalles régu-liers par un personnage en cha-peau à plumes, pour quelques ra-res pépites ? Le téléspectateur, lecitoyen, soudain frappés de nos-talgie, pourront le penser.

Franz-Olivier Giesbert, doté d’uncouvre-chef été comme hiver, par-court donc la vie de l’ancien prési-dent du début des années 1950 jusqu’à 2007, fin de son deuxième mandat à l’Elysée, introduit ce portrait par cette admirable décla-ration de Claude Chirac : « Mêmemoi je ne suis pas capable de vousdire qui est Jacques Chirac. »

Bon, alors qui ? Comme tou-jours, le meilleur personnage de cette saga est Bernadette Chirac, qui n’a pas son pareil pour épin-gler son homme. « Il y avait un mi-roir au-dessus de la cheminée, et il n’arrêtait pas de se regarder [elle l’imite se lissant les cheveux] pour savoir s’il était plaisant pour les da-mes. Il m’agaçait prodigieuse-ment. » Michel Rocard, son condis-ciple à Sciences Po, très jaloux, ren-chérit : « Il était beau gosse comme pas possible, un dragueur infernal. C’était spectaculaire. » Jérôme Mo-nod, lui, évoque le feulement du ti-gre et conclut : « Comment résister à un tigre ? » Ne résistons pas.

Images d’archives

Alain Juppé s’amuse. Chirac ap-pelle à voter en sous-main Mit-terrand pour faire battre Giscarden 1981 : « J’étais naïf à cette épo-que. Je pensais qu’on était dans un camp et pas dans l’autre. » Sur les affaires, reconnaissant des er-reurs, il se montre d’une impecca-ble sérénité. « J’ai décidé d’assumerpleinement la responsabilité, sansme défausser sur qui que ce soit d’autre, ni en haut ni en bas », dit-ilen pointant le ciel puis le sol. Maiscomment ces fausses factures des

HLM de la Ville de Paris, rangées dans un dossier rose, sont-ellesarrivées sur le bureau du juge Eric Halphen ? Ce dernier n’en fait pas mystère : par Bercy – dont le mi-nistre était alors Nicolas Sarkozy.

« FOG » monte quatre à quatreles marches de palais présidentiel,traverse un parc, un salon, une rue de Corrèze, son chapeau tou-jours vissé sur la tête. Cela faitpenser aux intermèdes de l’ORTF.

Nous sommes en 1997, et Jac-ques Chirac annonce qu’il va dis-soudre l’Assemblée nationale : à peine la phrase est-elle prononcéequ’il a un battement de cils,

Arrive le moment où FrançoisHollande entre en scène, cheveuxbouclés sur la nuque. C’est sa pre-mière compétition contre JacquesChirac en Corrèze, lequel disait alors que son adversaire était moins connu que le chien de Mit-terrand, Baltique. L’actuel prési-dent commente : « Depuis… j’ai un labrador. » Plus sérieusement, François Hollande rappelle la con-viction commune qui le lie à Jac-ques Chirac : un rejet absolu de l’extrême droite. Ce qu’il garde de lui ? Le « non » à la guerre d’Irak,« ce qui me permet encore aujourd’hui de prendre des res-ponsabilités, y compris au Moyen-Orient, sans que nous puissionsêtre soupçonnés de quelque hégé-monie ou de quelque suivisme que ce soit ». Joli héritage… p

béatrice gurrey

« Chirac, la bio », de Franz-Olivier Giesbert et Laurent Portes (Fr., 2015, 2 x 60 min).

Quand les artistes entrent en scèneLe duo Riou-Pouchain analyse l’effervescence artistique de l’après-68

FRANCE 5DIMANCHE 13 – 22 H 25

DOCUMENTAIRE

L a prise de l’Odéon enmai 1968 fut aussi symboli-que que celle de la Bastille

près de cent quatre-vingts ans plustôt : inutile, mais lourde de consé-quences. Le 15 mai, lorsque l’occu-pation du théâtre dirigé par Jean-Louis Barrault est effective, les ar-tistes prennent part aux débats qui animent désormais l’endroit. Ils deviennent le fer de lance de cette « révolution » initiée par une jeunesse qui s’ennuie. « Sur scène montaient des gens qui avaient des idées, qui proposaient des choses d’une imagination, d’une fantaisie, d’un bon sens aussi », témoigne Ariane Mnouchkine, fondatrice duThéâtre du Soleil.

Parfois désordonné

Quelques jours plus tard, sur le pont qui mène à l’usine Renault deFlins (Yvelines), les artistes rencon-trent la classe ouvrière. « Ce fut comme un grand tableau de De-lacroix », se souvient Macha Méril, présente à cet événement extraor-dinaire, « comme une extase sexuelle », selon les mots de Mar-guerite Duras, actrice, elle aussi, decette première. Au Festival de Can-nes, des cinéastes comme Jean-LucGodard retirent leurs films de la compétition et décident de tout changer dans la profession.

Dans un documentaire riche enarchives et témoignages – parfois aussi désordonné que l’époque qu’il raconte –, le tandem Riou-Pouchain se penche sur le foison-nement artistique de l’après-68. A la fin des années 1960, les cinéas-tes, les acteurs, les chanteurs doi-vent devenir des promoteurs de la révolution qui vise à bousculer l’ordre établi et réveiller la classe ouvrière abrutie par la société de consommation. Et, au fur et à me-sure que la perspective du grand soir s’éloigne, leurs préoccupa-tions deviennent plus terre à terre.

Les artistes se mettent au servicede causes plus ciblées, comme la légalisation de l’avortement. « Les modes de vie changent profondé-ment, en particulier en ce qui con-cerne le statut de la femme, celui ducouple, la conception de la famille, la sexualité. (…) Le mot “plaisir”, qui n’est pas du tout présent dans le vo-cabulaire marxiste en 1968, émergeparce que, de plus en plus, la dimen-sion libertaire l’emporte sur la di-mension marxiste… », note l’histo-rien Pascal Ory. Plutôt que de bou-leverser la société, on change la forme des spectacles : Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, Jé-rôme Savary avec son Grand MagicCircus dans la rue ou Coluche, Pa-trick Dewaere, Miou-Miou et Ro-main Bouteille au Café de la Gare.

Après avoir été des compagnonsde route du Parti communiste au lendemain de la guerre (les deux

documentaristes nous avaient ra-conté leur histoire dans un précé-dent film), les artistes sont les invi-tés vedettes des meetings du Parti socialiste. « François Mitterrand pensait que, si un jour nous accé-dions aux responsabilités, la cul-ture devait être un champ d’action prioritaire », explique Jack Lang. A la fin des années 1960, tout était politique ; au début des années 1980, tout est devenu culturel. Quand la gauche arrive au pou-voir, le budget de la culture est doublé, de grands travaux sont planifiés. Les artistes voulaient changer le système, ils en font dé-sormais partie. p

joël morio

Entre deux mai (1968-1981) : les artistes et la politique, d’Yves Riou et de Philippe Pouchain (France, 2015, 52 min).

DIMANCHE 13 DÉCEMBRE

TF1

19.50 Elections régionales

Présenté par Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau.21.15 Le Dîner de cons

Comédie de Francis Veber (Fr, 1997, 105 min).

France 2

19.40 Elections régionales

Présenté par David Pujadas et Laurent Delahousse.21.25 Meurtres au paradis

Série (Fr. - GB, saison 4, ép. 3 et 4/8).

France 3

19.35 Elections régionales

Présenté par Carole Gaessler et Francis Letellier.

Canal+

21.00 Football

18e journée de Ligue 1 : PSG-Lyon23.15 L’Equipe du dimanche

Magazine animé par Karim Bennani.

France 5

20.40 Champagne et crémants,

une histoire de bulles

Documentaire de Mériem Lay(Fr., 2015, 50 min).22.25 Entre deux mai

1968-1981, les artistes et la politiqueDocumentaire d’Yves Riou,et Philippe Pouchain (Fr., 2005, 55 min).

Arte

20.45 Les Malheurs d’Alfred

Comédie de Pierre Richard (Fr., 1972, 90 min).22.15 Frank Sinatra

Documentaire d’Annette Baumeister (All. - EU, 2015, 90 min).

M6

20.55 Capital

Noël : le grand défi des magasins Présenté par François-Xavier Ménage. 23.00 Enquête exclusive

Brésil : la guerre des miss Présenté par Bernard de La Villardière.

LU N D I 14 D É C E M B R E

TF1

20.55 Joséphine, ange gardien

Série (Fr., 2015, 110 min).22.45 New York, unité spéciale

Série (EU, S16, ép. 13/23 ; S15, ép. 14/24 ; S9, ép. 7 et 9/19).

France 2

20.55 Castle

Série (EU, S7, ép. 16/23 ; S6, ép. 8/24; S4 ép. 13/23; S6, ép. 19/23).23.50 Dersou Ouzala

Drame d’Akira Kurosawa (Jap., 1975, 140 min).

France 3

20.55 Chirac, la bio

Documentaire de Franz-Olivier Giesbert et Laurent Portes (Fr., 2015, 140 min).23.55 Hervé Vilard, l’insolent

Documentaire de Yohan Khatir (Fr., 2015, 50 min).

Canal+

21.00 Versailles

Série (GB - Fr., S1, ép. 9 et 10/10).22.45 Spécial investigation

Dopage : la face sombre de l’athlétisme Présenté par Stéphane Haumant.

France 5

20.40 Marie et Madeleine

Téléfilm de Joyce Bunuel. Avec Michèle Bernier (Fr., 2007, 90 min).22.20 C dans l’air

Présenté par Yves Calvi.

Arte

20.55 François Mitterrand

Film de William Karel (EU, 2015, 90 min).22.25 Nu parmi les loups

Drame de Frank Breyer (All., 1962, 120 min).

M6

20.55 L’amour est dans le pré :

seconde chance

Présenté par Karine Le Marchand.23.00 Nouveau look

pour une nouvelle vie

Animé par Cristina Cordula.

Alain Juppé interviewé dans le documentaire « Chirac, la bio ». © ET LA SUITE PRODUCTION

comme si la catastrophe l’avait déjà frôlé. Ces images d’archives sont connues, mais les revoir enfait surgir chaque détail.

Un homme n’est pas épargnédans ce documentaire, « le princeEdouard installé à Matignon ». L’ancien patron du Point y va fort sur Edouard Balladur qui, « la bou-che en cul-de-poule, est de toutes les réceptions du Paris huppé ». Bernadette Chirac en rajoute enracontant un dîner au cours du-quel Edouard propose à Jacques de se mettre à son service pour la présidentielle – « c’est vous dire la trahison ».

Cinéastes,

acteurs,

chanteurs

doivent devenir

des promoteurs

de la révolution

visant

à bousculer

l’ordre établi

Comme toujours,

le meilleur

personnage

de cette saga est

Bernadette

Chirac, qui n’a

pas son pareil

pour épingler

son homme

V O SS O I R É E S

T É L É

1 156 000Le nombre de téléspectateurs réunis, mardi 8 décembre,

devant le premier épisode de « Jésus et l’islam », sur Arte

La série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, sur les origines et la genèse de l’islam – dont Arte a diffusé les trois premiers épisodes (sur les 7), mardi 8, à partir de 20 h 55 –, a reçu un très bon accueil de la part du public. Le premier épisode a réalisé 4,3 % de part de marché, le deuxième 3,3 % (795 000 téléspectateurs) et le troisième 3,9 % (858 000 téléspectateurs), selon Médiamétrie.

BRICE LALONDEConseiller spécial de l’ONU pour le Développement durable

répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),

Sophie Malibeaux (RFI), Philippe Ricard (Le Monde).

Diffusion sur les 9 chaînes deTV5MONDE, les antennes deRFI et sur Internationales.fr

Cedimanche à 12h10

0123

Page 29: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 télévisions | 29

HORIZONTALEMENT

I. Risque de vous donner mal au

cœur. II. Vont directement dans les

caisses du banquier. Travailler les

fonds à l’ancienne. III. Enduit pour

l’âtre. Mécènes de père en ils. Un lion

chez les Chinois. IV. Femelles sauva-

ges et sanguinaires. Met tout le

monde en accord. V. Paquets de huit.

Cherchera à se dérober. VI. Drogues

douces. Bien moins fermes. VII. Droit

sur la planche. Joliment constellés et

enrichis. VIII. Prend les bonnes mesu-

res sur les ondes. IX. Entraîne dans un

état second. Cours du Nord. Ecrit

l’histoire au jour le jour. X. Feras

perdre l’inspiration.

VERTICALEMENT

1. Oblige à ressortir les isoloirs. 2. Ré-

veillent et bousculent les sens. 3. En

dit beaucoup plus qu’elle ne le fait en-

tendre. Fait la diférence dans les

mots. 4. Patron de la Manche. Bien ar-

rivés. Fait l’égalité. 5. Se lancent. Bon

coureur australien. 6. Fournit de

l’huile et pratique l’ouverture. 7. Ré-

fractaires au labo. Porteur de pom-

pon. 8. De juin à septembre. Grand

marché aux bestiaux. 9. Possessif. A

fait danser chez Monsieur Jourdain.

10. Redonne un semblant de vie.

11. Au cœur de l’amnésie. Forme de

rire. Jeune propos. 12. Prises en tête.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 293

HORIZONTALEMENT I. Illumination. II. Moisirai. Mua. III. Pubère. Maint.

IV. Rie. Enfant. V. Isle. Irisera. VI. Mélisse. Eros. VII. Urémies. Gs. VIII. Tolè-

rent. Ane. IX. Ure. Aragon. X. Respectèrent.

VERTICALEMENT 1. Imprimatur. 2. Louise. Ore. 3. Libellules. 4. Usé. Eire.

5. Mire. Serpe. 6. Irénisme. 7. Na. Freinât. 8. Aimai. Etre. 9. Anses. Ar.

10. Imiter. Age. 11. Oun (ONU). Rognon. 12. Nattassent.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 294

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone :de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;par courrier électronique :[email protected] 1 an : Francemétropolitaine : 399 ¤Courrier des lecteursblog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;Par courrier électronique :[email protected]édiateur :[email protected] : site d’information : www.lemonde.fr ;Finances : http://inance.lemonde.fr ;Emploi : www.talents.fr/Immobilier : http://immo.lemonde.frDocumentation : http ://archives.lemonde.frCollection : Le Monde sur CD-ROM :CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60

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CLIMAT L’URGENCE

D O C U M E N TA I R E

« Sur les docks »

Des côtes de l’Afrique à Rome, la productrice Elise Gruau se penche sur le parcours des migrants, embarque avec les gardes-côtes italiens et recueille des témoignages accablants de réfugiés.LUNDI 14 – FRANCE CULTURE – 17 H 00

M U S I Q U E

« Open jazz »

Durant toute la semaine, Alex Dutilh revient sur la carrière de Duke Ellington, et plus précisément sur ses années prolifiques à la Columbia Records (1951-1961).DU LUNDI 14 AU VENDREDI 18 – FRANCE

MUSIQUE – 18 H 00

L I T T É R AT U R E

« Idées »

Pierre-Edouard Deldique interroge « La philosophie de Nietzsche », avec Emmanuel Salanskis, normalien chercheur au CNRS, auteur de Nietzsche (Les Belles Lettres, 274 p., 19 €).DIMANCHE 20 – RFI – 17 H 10

C O N C E R TS

Les animateurs de TSF Jazz réunissent à l’Olympia, à Paris, les artistes qui ont marqué 2015 pour un concert diffusé en direct. Sur scène cette année : Hugh Coltman, Sarah McKenzie, Thomas Enhco, Yaron Herman & Ziv Ravitz…LUNDI 14 – TSF JAZZ – 18 H 00

Dimanche 13 décembre à 17 heures, Fip propose le concert exceptionnel du pianiste Ludovico Einaudi au studio 104 de la Maison de la radio, à Paris, en direct vidéo sur Fipradio.fr, et sur l’antenne, quatre jours plus tard, dans l’émission « Live à Fip ».JEUDI 17 – FIP – 20 H 00

S É L E C T I O NR A D I OLa matinale 2.0 de Bruno Guillon

S’appuyant sur les réseaux sociaux pour entretenir le lien avec l’auditeur, Fun Radio s’installe à la deuxième place des radios musicales

RADIO

Il fait encore nuit noire, maisdans le studio de « Brunodans la radio », la lumière estéblouissante. « On est obligé

par rapport aux caméras », justifie Bruno Guillon qui anime depuis 2011 la matinale de Fun Radio. Comme la plupart de ses concur-rentes, l’émission est filmée. « Plu-sieurs milliers de personnes regar-dent le streaming. On peut attein-dre des scores d’une chaîne de la TNT ; en particulier quand on fait des spéciales, comme à Halloween où le studio était décoré, nous étions déguisés, et que l’on a reçu Keen’V, qui a une grosse commu-nauté de fans sur les réseaux so-ciaux. Certains de nos auditeurs ontleur ordinateur portable ouvert et nous regardent en mangeant leur bol de muesli », se félicite l’anima-teur.

Mais c’est bel et bien à la radioque la matinale cartonne. C’est grâce à elle, entre septembre et oc-tobre, que Fun Radio a été écoutée par autant d’auditeurs. Ils sont dé-sormais près de 1,9 million à se brancher sur la station. Sa part d’audience a progressé de 47 %. Ré-sultat : Fun est la deuxième radio musicale loin derrière NRJ, mais devant Skyrock.

Entre 20 000 et 30 000 tweets

Bonne humeur, blagues potaches, dance music sont les principaux ingrédients de cette matinale qui s’adresse aux plus jeunes. « En cinqans, la bande constituée autour de Bruno Guillon est devenue une sorte de famille pour les auditeurs »,observe Tristan Jurgensen, le pa-tron de la station. Ils ont suivi la grossesse de Christina Guilloton etla naissance de sa fille, l’installa-tion avec sa copine d’Elliot Chemlekh, le mariage de Grégory Vacher… Des liens entretenus par les réseaux sociaux. Chaque di-manche soir, les membres de l’équipe sont supposés poster une photo pour narrer leur week-end.

Presque tous les matins, BrunoGuillon lance un thème que doi-vent commenter les auditeurs sur Twitter. Vendredi 11 décembre le hashtag « j’ai déjà essayé » se pla-çait dans le top des tweets. En moyenne, ce sont entre 20 000 et

30 000 tweets qui sont envoyés chaque matin. « L’auditeur devient une pièce maîtresse du pro-gramme », explique Bruno Guillon. Frustré, gamin, de n’avoir jamais reçu de réponse des anima-teurs radio auxquels il écrivait, il essaye désormais de répondre à chaque tweet, vidéo Snapchat, photo sur Instagram ou message Facebook qu’il reçoit. Il peut aussi compter sur une équipe de trois personnes qui fait vivre l’émissionsur les réseaux sociaux. « Il y a de vraies gens derrière chaque mes-sage, il ne faut pas l’oublier », insisteBruno Guillon, qui reçoit, chaque matin, quatre ou cinq auditeurs dans le studio pour garder un contact, même s’il n’a le temps de leur parler que quelques minutes en fin de programme. Il prend aussi toujours « à l’ancienne », par téléphone, quelques auditeurs pendant l’émission.

Chaque lundi, un défi est lancé.Un des membres de l’équipe s’y colle. Il peut s’agir, par exemple, de

courir dans un couloir parsemé de tapettes à souris… Une séquence qui sera bien évidemment filmée. « Aujourd’hui, la radio se con-somme différemment, particulière-ment pour Fun Radio dont le cœur de cible est assez jeune. Quand j’es-time qu’une séquence est suffisam-ment forte, elle est disponible quasi-ment dès la fin de l’émission sur Twitter, sur Facebook ou sur notre application. Les gens peuvent ainsila réécouter ou l’écouter quand ils veulent. »

Pas question de privilégier le vi-suel. « C’est un plus, mais il ne faut pas oublier que l’on fait de la radio. Ce n’est pas de la télévision : il faut expliquer avec des images ce qui se passe. On ne fait pas du buzz pour faire du buzz. Mais c’est bien que notre marque soit exposée sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas si ça fait venir de nouveaux auditeurs, mais de plus en plus de gens nous écoutent par les smartphones. Ainsi, à Strasbourg, nous commen-çons à apparaître dans les sonda-

ges alors que nous ne disposons pasd’émetteur », constate Bruno Guillon. « Les réseaux sociaux, la vi-déo, les photos, ça fait partie d’un écosystème, mais il ne faut surtout pas modifier le programme et pen-ser que l’on fait de la télé. L’anima-teur doit oublier qu’il est filmé », in-siste Tristan Jurgensen.

Le métier d’animateur radio a

« Quand j’estime

qu’une séquence

est forte, elle

est disponible

dès la fin

de l’émission sur

Twitter, Facebook

ou notre

application »

BRUNO GUILLON

animateur

Bruno Guillon aux manettes de sa matinale qu’il anime depuis 2011, sur Fun Radio. ROMAIN_BOE

bien changé depuis que Bruno Guillon a débuté en 2001 à la mati-nale de NRJ. Debout dans le studio,il a les yeux rivés en permanence sur la page Facebook de l’émission,lit les tweets des auditeurs, filme pour Periscope (une application qui permet d’envoyer des vidéos). « Tu n’arrêtes jamais. Quand j’ai commencé à NRJ, j’avais le temps defumer une clope, de regarder le journal quand on passait un dis-que. Aujourd’hui, c’est un mara-thon, car on est “up” tempo tout le temps. La durée d’écoute moyenne se situe entre dix et quinze minutes.C’est assez rapide. Je dois être à flux tendu, pas question d’être en forme qu’une demi-heure », raconte l’ani-mateur, qui se lève à 3 h 30 le ma-tin, dîne à 19 heures et se couche à 20 heures – mais il a fait un break d’un an, pour la naissance de son fils. « C’est un mode de vie, mais je suis content de venir chaque matin,car ça marche de mieux en mieux »,assure-t-il. p

joël morio

Page 30: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

emballés par le vracAcheter du riz, du café, de la lessive, sans emballage,à la pesée : un mode de consommation qui commenceà séduire. Et arrive même dans les hypermarchés

La tireuse à vin, la pompe à huile etles distributeurs de céréales de-vaient être remballés avant le31 décembre. Leur « date de pé-

remption » a été prolongée. Biocoop, géant du bio en France (357 magasins), a décidé d’étendre jusqu’à fin février 2016 son test de supermarché 100 % vrac,100 % sans emballage, lancé à Paris à l’oc-casion de la Conférence mondiale pour leclimat. Succès oblige. Chaque jour300 clients, soit quasiment deux fois plusque prévu, se sont emballés pour le non-emballé, credo de cette Biocoop 21 éphé-mère, installée dans le 10e arrondisse-ment de Paris.

Qu’est-ce qui a poussé cette clientèle,plutôt urbaine et trentenaire, à venir remplir bocaux et sacs en coton de pro-duits d’épicerie, d’entretien ou d’hy-giène ? Pour les pionniers de la lutte anti-gaspi, la demande pour ce nouveau modede consommation est bien réelle. « Nos rayons à la pesée avec [sac papier] con-naissent déjà la plus forte progressiondans tous nos magasins, souligne Claude Gruffat, président de l’enseigne bio. La grande question est maintenant de savoir combien de consommateurs sont suffi-samment écocitoyens pour franchir le pas

supplémentaire et amener leurs propres contenants. »

Fini les courses par paquets de douze,les chariots pleins à ras bord et les tickets de caisse longs comme le bras ? La ten-dance à l’achat en vrac, en petites quanti-tés, commence à prendre. L’associationZéro Waste France, qui œuvre pour la ré-duction des déchets, témoigne de l’inté-rêt constant depuis deux ans pour la fi-lière : « 150 projets sont en gestation pour2016, explique Laura Caniot, responsable de l’appui aux entrepreneurs, tous lesjours je reçois une demande d’information

sur le sujet vrac. » Remise au goût du jour par les épicerieset supérettes bio, la vente aupoids intéresse même les hypermarchés, dont le dé-veloppement dans les an-nées 1960 avait pourtant sonné le glas de ce mode deconsommation. Trente-neuf enseignes Auchan dis-posent déjà d’un espace vracde produits d’épicerie, soitdeux fois plus qu’il y a un an.

Dans une rue commerçantede Versailles, Nathalie Garde a ouvert il y a presque deux ans unmagasin Day by Day, le premier ré-seau français d’épicerie 100 % vrac.Dans les rayons façon boutique à l’an-cienne, près des deux tiers des clientsviennent « jouer à la marchande » munis de leurs propres récipients. Pour satis-faire la clientèle, la gamme de produits n’a cessé de croître. Près de 500 référen-ces aujourd’hui et toujours deux best-sel-lers, la lessive… et les mélanges apéritif. Mais seulement un quart de produits bio.« Nous ne voulions surtout pas faire une enseigne pour bobos, affirme DavidSutrat, cofondateur de Day by Day ; grâce au vrac, nos clients, qu’ils achètent bio ou pas, font un geste pour la planète en limi-tant leurs déchets d’emballages et le gas-pillage alimentaire. » D’ici à 2018, le ré-seau, qui compte aujourd’hui sept maga-sins en banlieue et en province, espère at-teindre une centaine de points de vente

partout en France.Aujourd’hui, les acteurs 100 % vracsont encore peu nombreux. « Une

cinquantaine de profession-nels », selon Laura Caniot de

Zéro Waste France, regroupésdans le collectif Réseau Vrac.Plus partenaires que con-currents, les pionniers dunon-emballage ont com-pris qu’ils avaient intérêtà s’unir pour faire avan-cer leur cause.

De 5 à 30 % moins cher

Car pour l’instant, rienn’est vraiment fait pourfaciliter la vente au poids.

La difficulté commenceavec l’approvisionnement.

« Il faut trouver des produc-teurs capables de proposer

des produits qui puissent seconserver à température am-

biante pendant trois mois », ex-plique David Sutrat de Day by Day.

La réglementation, notamment enmatière d’étiquetage, est aussi faite

pour le conditionné.Pour être attrayants, les produits en

vrac doivent être moins chers ou aumême prix que leurs équivalents embal-lés. Une difficulté supplémentaire, car « contrairement aux idées reçues, pour le

commerçant, le vrac n’est pas économi-que, car il nécessite plus de logistique et plus de main-d’œuvre, souligne Claude Gruffat, président de Biocoop. En rédui-sant leurs marges, en mutualisant les achats et la livraison, les enseignes arri-vent pourtant à vendre leurs produits de 5 % à 30 % moins cher.

En l’absence d’emballages, la présenced’un vendeur prend aussi toute son im-portance. « Le magasin se doit d’être im-peccable pour rassurer sur l’hygiène », confirme Nathalie Garde. Dans sa bouti-que, pas un grain de riz ou une goutte de détergent qui traîne. Il faut aussi une dis-ponibilité de tous les instants pour aider à actionner le distributeur de pâtes, ren-seigner sur le choix du café en grains ou lacomposition de telle ou telle lessive. Une manière de faire du commerce à l’an-cienne qui séduit Anne-Véronique Malek,qui patiente devant les distributeurs debonbons, pendant que son fils Thomas fait son choix. « Ce n’est pas l’hypermar-ché, ici, on peut demander des conseils etça ne fourmille pas de monde. »

Les mains chargées de petits sachets depapier, Olivia Marren a profité de sa pause déjeuner pour venir faire quelques emplettes pour son ado, fan de pâtisserie.Une gousse de vanille, un peu de farine deriz, la quantité de pépites de chocolat que

requiert la recette, la mère de famille ap-précie de pouvoir acheter la juste dose. « Certains de nos clients viennent chercherpour 40 centimes de farine, parce qu’ils n’ont pas besoin de plus, pas envie de dé-penser plus, ou pas la place de stocker un produit dont ils ont un usage ponctuel », témoigne David Sutrat.

« Mon placard à provisions ne débordeplus, explique Julie, consultante – qui a re-quis l’anonymat. Je dépense et je stocke moins, je ne jette plus. J’essaye de faire tourner les produits au maximum. » « En semaine, les clients anticipent moins leurs achats qu’en week-end, ils utilisent plus lessachets papier mis à leur disposition dans le magasin », remarque Nathalie Garde. Bocaux et bouteilles vides, issus de la ré-cupération, sont aussi prêtés gratuite-ment aux clients étourdis. Certains ma-gasins remettent aussi au goût du jour le système de la consigne. Gérard Bellet,jeune entrepreneur de 31 ans, fondateurde Jean Bouteille, propose ainsi à la loca-tion des embouteilleuses qui permettent au chaland de remplir une bouteille vide sur laquelle figurent les informations es-sentielles (produit, quantité, numéro de lot, limite de consommation). Une initia-tive parmi d’autres pour faire perdre, pe-tit à petit, l’habitude de l’emballage. p

catherine rollot

« CERTAINS DE NOS CLIENTS VIENNENT CHERCHER POUR

40 CENTIMES DE FARINE, PARCE QU’ILS N’ONT PAS

BESOIN DE PLUS, PAS ENVIE DE DÉPENSER PLUS,

OU PAS LA PLACE DE STOCKER »DAVID SUTRAT

cofondateur de Day by Day

Toqués du bocalLe récipient en verre de grand-mère revient sur les étagères et fait de l’ombre au Tupperware

L e premier, créé à Reims,aborde sa rondelle encaoutchouc orange et sa

fermeture métallique depuis ledébut des années 1930. Le second,né en 1858, de l’autre côté de l’At-lantique, décline sa forme carrée légèrement arrondie en une mul-titude de tailles et de couvercles à vis. Les bocaux en verre Le Parfait,Mason Jar et leurs imitations« made in China »… sont devenus les nouvelles vedettes des pla-cards, mais aussi des accessoires de décoration à la mode.

Ringardisés un temps par lescontenants en plastique ou jeta-bles, ces récipients hermétiques

et réutilisables séduisent une clientèle d’urbains, qui décou-vrent ou redécouvrent les char-mes des conserves faites maison,des denrées en vrac et du détour-nement d’objets usuels.

Près de 20 millions de bocaux LeParfait sont vendus chaque an-née. Du côté du Puy-de-Dôme, lieu de fabrication de la marque, on se félicite avec retenue de l’augmentation de la demande. « Depuis quelques années, nos ven-tes sont en progression de 10 % à 15 %, ce qui est plutôt bien pour un produit qui se réutilise maintes fois », commente un porte-parolede la société auvergnate. La mar-

que, qui commercialise une gamme de cinq références – à vis ou à joint –, chacune disponible en une dizaine de tailles, a surtoutnoté un rajeunissement de sa clientèle. Qui n’hésite pas à cla-mer son amour du bocal sur les réseaux sociaux et sur le site de la marque (150 000 visiteurs uni-ques par mois).

Personnaliser en lustre branché

Philippe Hessenbruch, 58 ans, et son associé Harold de la Barre deNanteuil, 60 ans, se sont lancésdans l’e-commerce il y a un an.Passionnés tous les deux de de-sign, et amoureux des Etats-Unis,

ils proposent sur leur site LeComptoir américain une sélec-tion de produits issus desmeilleures manufactures améri-caines.

Du sel de table de l’Oregon au ci-rage new-yorkais, la star incon-testable du moment reste, de loin, les Mason Jar. « Depuis 2014,c’est de la folie autour de ces bo-caux américains, explique M.Hessenbruch. Pour ne pas être enrupture de stock, nous nous en fai-sons livrer 1 tonne par mois, alorsque nous avions tablé au départ sur un rythme de 500 pièces ! »

Le « regular 32oz (960 ml) », leplus vendu (6 euros environ), est

cuisiné à toutes les sauces. ABrooklyn, comme dans les quar-tiers branchés de Paris, il devient gourde ou verrine extra-largepour boissons détox et salades « végétariennes », vase personna-lisé ou lampe d’appoint. Sur Insta-gram, c’est à qui postera son clichéle plus créatif. Accessoirement, lebocal reprend aussi sa place dansles meubles de cuisine, prêt à rece-voir quinoa et riz complet (bio, évidemment).

Chez Le Parfait, la personnalisa-tion en lustre branché ou en vi-trine miniature est vécue commeun hommage sympathique. Maisla marque préfère communiquer

sur son cœur de métier : la con-servation des aliments.

Cet été, pour la première foisdepuis longtemps, le fabricant français a diffusé une campagnepublicitaire, mettant en scène… un bocal : « Je n’ai pas le Wi-Fi, pasla 4G, ni la 3G d’ailleurs (…), je nepeux pas vous montrer des vidéosde chats qui parlent, je ne suis pasextra-plat, non, vraiment pas,mais pourtant, à ma façon, jepeux améliorer votre quotidien.Le Parfait, conservons ce que le monde a de meilleur. » La simpli-cité, un argument marketing de poids. p

c. ro.

80 KGC’est le poids d’emballages ménagers que chaque

Français jette par an.(Ademe/Eco-Emballages/Adelphe 2012).

MARTIN JARRY

30 | usages DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Page 31: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 carnet | 31

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Dès mercredi 9 décembre,le volume n°15

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Catherine TETU et Thomas BAUDER,ses parents,

Ludmila, Anna et Alix BAUDER,ses sœurs,

Maximilien BAUDER,son frère,

sont fiers et très heureux de faire partde la naissance de

Sixtine BAUDER,le 8 décembre 2015.

Décès

Nous avons la tristesse d’annoncer ledécès de

M. Roger BÉCRIAUX,survenu à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Ce journaliste retraité du Midi-Libre,correspondant au Monde et globe-trotteur,laissera un souvenir à jamais indélébiletant sa passion pour l’écriture et le savoira marqué ce monde.

Une cérémonie de bénédiction a eulieu le vendredi 11 décembre 2015,à 14 heures, au complexe funéraire deGrammont, avenue Albert Einstein,à Montpellier (Hérault).

Ses enfants,Ses petits-enfants,Son arrière-petite-ille

et leurs familles,ont la tristesse d’annoncer le décès,le 6 décembre 2015, de

Christiane BOUDOULEC,née VIGUIER,le 12 juin 1923.

Christine Boudoulec,[email protected] Boudoulec,[email protected]

Jean-Baptiste, François, Jérôme,Laurent de Boyer des Rocheset leur famille,

ont la tristesse d’annoncer le décès,le 28 novembre 2015, de

Jacquesde BOYER des ROCHES,

ancien professeurd’histoire et de géographieau lycée Buffon de Paris.

Les obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale.

Dans la nuit du 12 au 13 décembre2013

Yan CHEREL,(1960-2013),

se suicidait sur son lieu de travail.

Rien n’est oublié, rien n’est pardonné.

La Guérinière (Noirmoutier-en-l’île).Mme Jeanine Frioux,

son épouse,Mme Isabelle Cottin,M. Charle-Edouard Frioux,

ses enfants,Antoine, Clara, Laurane, Elodie,

Marie,ses petits-enfants,ont la tristesse de faire part du décès de

M. Charles FRIOUX,

survenu dans sa quatre-vingt-neuvièmeannée.

M. Frioux repose au funérarium de l’île,7, rue du Charbonné, à Noirmoutier.

La cérémonie religieuse sera célébréece samedi 12 décembre, à 14 h 30,en l’église de La Guérinière, suivie del’hommage au crématorium d’Olonne-sur-Mer (Vendée), à 17 h 30.

La famille remercie très sincèrementtoutes les personnes qui l’assisteront.

Dons pour la lutte contre le cancerà l’association de l’Institut Curie.

Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.

Lyon.

Emmanuel,Dominique,Jean-Christophe

et leurs familles,

ont la tristesse de faire part du décès deleur mère,

France HEMBERT,née LUTZIUS,

survenu le 10 décembre 2015.

La cérémonie aura lieu le mercredi16 décembre, à 14 heures, au centrefunéraire de Lyon 7 e, 177, avenueBerthelot.

L’inhumation suivra au cimetièreancien de Loyasse, à 16 heures.

Paris. Saint-Mandé. Langeais.

Annick Merlin,son épouse,

Pierre-Antoine et Arnaud,ses enfants,

Catherine et Hélène,ses belles-illes,

Anne-Cécile et Charlotte,ses petites-illes,

Jacques et Chantal Le Guillou,son beau-frère et sa belle-sœur,

Les familles Buisson et Rouillon,

ont la tristesse de faire part du décès de

Albert MERLIN,directeur des études économiques

de Saint-Gobain,président-fondateur de l’Afede

(Association françaisedes économistes d’entreprise),

présidentde la Société d’économie politique,

fondateur de la revue Sociétal,vice-président de l’institut Presaje,chevalier de la Légion d’honneur,

survenu le 9 décembre 2015,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Une messe sera célébrée le mardi15 décembre, à 10 heures, en l’égliseNotre-Dame-des-Blancs-Manteaux,12, rue des Blancs-Manteaux, Paris 4e.

Elle sera suivie de l’inhumation,à 15 heures, au cimetière de Langeais(Indre-et-Loire).

Priez pour lui.

47, rue des Archives,75003 Paris.

Le conseil d’administration,Anne Tallineau,

la directrice générale,L’ensemble des équipes de l’Institut

français,

ont l’immense tristesse de faire part dudécès de

Denis PIETTON,président de l’Institut français,

ambassadeur pour l’action culturelleextérieure de la France,

chevalier de la Légion d’honneur,oficier

de l’ordre national du Mérite,

survenu le 7 décembre 2015, à Paris.

Ils s’associent à la douleur de sonépouse, Najwa, de ses enfants, de safamille et de ses proches.

La cérémonie religieuse aura lieule lundi 14 décembre, à 11 heures,en la bas i l ique Sa in te -Clo t i lde ,à Paris 7e.

« J’appris que la véritable grandeurhumaine réside dans la pratique

de la bonté sans condition,dans la capacité de donner

à ceux qui n’ont rien,non pas le superlu mais une partie

du peu que nous avons. »

Leonardo Padura.L’homme qui aimait les chiens.

Najwa Pietton-Bassil,son épouse,

Raphaël et Ségolène,Romain,Marine,

ses enfants,et leur mère, Christelle Pietton,

Mariejo et Raymond Pietton,ses parents,

Marc et Claire,Rémi et Delphine,Cyril et Sophie,

ses frères et belles-sœurs,Léa, Tom et Lucie,

son neveu et ses nièces,Gilbert et Madeleine Pietton,

son oncle et sa tante,Ses cousins et cousines,Mila Evertz,

sa belle-ille,Les familles Pietton, Bassil,

Coutellier, Duchenne, Roppe,Gonnaud et Sanchez,

Ses nombreux amis,

ont la douleur de faire part du décès de

Denis PIETTON,chevalier de la Légion d’honneur,

oficier de l’ordre national du Mérite,

survenu le 7 décembre 2015,à l’âge de cinquante-neuf ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele lundi 14 décembre, à 11 heures,en la basilique Sainte-Clotilde, 23 bis, rueLas Cases, Paris 7e.

Ni leurs ni couronnes.Vous pouvez soutenir la recherche sur

le cancer, auprès de l’Institut GustaveRoussy, lors de la cérémonie ou par un donsur www.gustave.roussy.fr

Son regard et son sourire reflétaientsa grande humanité.

Ils demeurent en nous et nous fontvivre.

Cet avis tient lieu de faire-part.

17, rue Damrémont,75018 Paris.

Elisabeth et Guillaume Forbin,Jean-François Portos et Nathalie Rattier,Catherine (†) et Denis Herbreteau,Emilie, Pauline, Marine,Juliette, Capucine,Jean-Baptiste, Marie, Alice,

ses enfants et ses petits-enfants,Dominique Danic-Careil,

sa compagne,

ont la tristesse de faire part du décès du

professeurJean-Louis PORTOS,

médecin des Hôpitaux,doyen honoraire de la Faculté

de médecine Paris XII - Créteil,commandeur de la Légion d’honneur,

survenu le 5 décembre 2015.

Selon sa volonté, son inhumation auralieu dans l’intimité familiale.

137, rue de l’Université,75007 Paris.

La directionEt tout le personnel du CEPII,

ont la tristesse de faire part du décès de

Georges SOKOLOFF,chevalier

dans l’ordre national du Mérite,oficier dans l’ordre

des Palmes académiques,conseiller au CEPII,

expert du monde Soviétique et Russe,

survenu le 7 décembre 2015.

Alice,son épouse,

Paule Roussat,sa belle-mère,

Jeanne et Antoine,ses enfantset leurs conjoints,

Adam et Ismaël,ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

François de la SOUDIÈRE,survenu à Paris le 27 novembre 2015.

Ses cendres ont été dispersées au jardindu souvenir.

Vannes. Paris.

Stéphane et Virginie Thévenin,Odile Thévenin,Anne et Serge Viallet-Thévenin,

ses enfants,Jérôme et Sandrine Luciat-Labry,Anne Luciat-Labry,Marie et Fabio Luxi,Victoire Thévenin et Thomas Dauger,Scott Viallet-Thévenin

et Vanessa Albert,Pierre Thévenin et Claire Tholance,Loup Viallet-Thévenin,

ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfantsAinsi que toute sa famille,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Mme Odette THÉVENIN,née CLÉMENT,

survenu le 4 décembre 2015.

La cérémonie religieuse a été célébréele mercredi 9 décembre, en la cathédraleSaint-Pierre de Vannes (Morbihan).

La famille rappelle la mémoirede ses enfants,

Éric THÉVENINet

Joëlle THÉVENIN-LUCIAT-LABRY.

Nous avons la tristesse d’annoncerle décès, à l’âge de cinquante et un ans,de

Bruno TOUSSAINT,avocat au barreau de Paris,

défenseur des droitset de nos libertés.

Esprit libre, insoumis, et insouciant,il aimait rire pour mieux défier lescorrupteurs. Sa générosité, son humouret son intelligence nous manqueront.

Ses amis, ses proches, ses collègues,pourront lui rendre hommage munis d’unefleur, aux obsèques qui auront lieule mardi 15 décembre 2015, à 11 h 15,au funérarium du cimetière du Père-Lachaise, salle Mauméjean, 71, ruedes Rondeaux, Paris 20e.

Remerciements

Lors du décès de

M. Hubert COUDANNE,

Louise Coudane,son épouse,

Henry et Catherine Coudane,Jean Coudane,Annie et Lionel Roussel,

ses enfants,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,

vous remercient de la part que vous avezprise à leur peine, de vos diverstémoignages de sympathie, et de votreprésence à la cérémonie d’adieudu 9 décembre 2015.

Souvenirs

En souvenir de

Jean Louis DIEUX,

de la qualité de son engagement politique...et de son magniique sourire.

[email protected]

Signatures

Les dédicacesde la librairie du Publicisdrugstore

Amélie Nothombdédicacera son roman

Le crime du Comte Neville(Albin Michel)

mercredi 16 décembre 2015,de 17 h 30 à 19 h 30,

Mathias Enard,Prix Goncourt 2015,dédicacera son romanBoussole (Actes Sud)jeudi 17 décembre,

de 13 heures à 14 heures,

Publicisdrugstore,133, avenue des Champs-Elysées Paris 8e.

Communication diverse

L’Espace culturel et universitaire juifd’Europe : Séminaires d’Histoire juive« Tuer pour Dieu ? Une généalogiede la violence dans le judaïsme ancien »,par Stéphane Encel, le 16 décembre2015, 20 janvier 2016, 17 février,16 mars, 13 avril, à 19 heures. Séminairede « Les grandes mutations de l’Histoirej u i v e » , p a r A l e x a n d r e A d l e r ,le 19 janvier, 16 février, 15 mars,12 avril, à 19 h 30.

Inscription surwww.centrecomparis.com119, rue La Fayette, Paris 10e (PAF.).

Nomination

L’Académie de s I n s c r i p t i on set Belles-Lettres, dans sa séancedu vendredi 11 décembre 2015,a élu académicien,

Mme Cécile MORRISSON.

Ancienne élève de l’École normalesupérieure de Saint-Cloud, agrégéed’histoire et docteur de 3 e cycle,Mme Cécile Morrisson est directeurde recherche émérite au CNRS.

Byzantiniste et numismate de réputationinternationale, elle est spécialistede l’histoire monétaire, financièreet économique du monde byzantin.E l l e a d i r i g é l e d é p a r t e m e n tdes monnaies, médailles et antiquesde la Bibliothèque nationale de France.Elle est conseiller pour la numismatiquebyzantine auprès de Dumbarton Oaks(université Harvard).

Le monde des Fondations

FONDATIONPOUR LA RECHERCHE MÉDICALE

« Pour que la recherche bénéicie à tous ».

Depuis 1947,la Fondation pour la Recherche

Médicale (FRM)développe la recherche médicale

dans tous les domaines,cancers,

maladies d’Alzheimer,maladies infectieuses,

maladies cardiovasculaires,maladies rares…

en inançant les projets les plusinnovants, porteurs de progrès

médicaux pour tous.Totalement indépendante,

elle agit grâce à la seule générositéde plus de 360 000 donateurs

par les dons, donations,legs et assurances-vie

qui lui sont faits.La Fondation obéit à des procédures

et des contrôles qui permettentà ses donateurs d’être parfaitement

informés de l’utilisation de leurs dons.Reconnue d’utilité publique,la Fondation pour la RechercheMédicale est habilitée à recevoir

des legs et des donationstotalement exonérés des droits

de succession.Grâce aux dons, legs, donations

et assurances-vie,nous pouvons poursuivre notre action.

Pour en savoir plus :

Céline Pager,responsable du service donateurs

Tél. : 01 44 39 75 [email protected]

Fondation pour la Recherche Médicale54, rue de Varenne,

75007 Paris.www.frm.org

Pour que la recherchebénéicie à tous

Prép’art Paris - ToulouseLa prépa privée aux écoles supérieures

d’art publiquesRentrée 2016 : Inscriptions ouvertesAdmission sur entretien pédagogique

01 47 00 06 56 / 05 34 40 60 20Portes ouvertes Toulouse

samedi 12 et dimanche 13 décembre 2015de 10 heures à 18 heuresStages d’orientation

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Prochain stage en février 2016

Cours

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Page 32: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

32 | 0123 DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Donald Trump et Ma-rine Le Pen se sont-ilsjamais rencontrés ? Sice n’est pas le cas, il va

falloir y songer. Une occasion pourrait être de leur décerner, ex aequo, le prix d’hommes de l’an-née 2015, plutôt qu’à la si classique Angela Merkel.

Donald et Marine, eux, sont deschallengers, au sens propre du terme. Tous les deux visent le pou-voir suprême, et ils ont le vent en poupe. L’un veut emménager à la Maison Blanche en 2017, l’autre s’installer à l’Elysée. Simplement, ils ne s’y prennent pas comme les candidats habituels. Ils veulent pulvériser l’establishment. Ils ne respectent pas les règles de la bien-séance. Le courant populiste existe aussi ailleurs, en Europe. Mais leur ascension à eux ébranle le système politique de deux gran-des démocraties qui se veulent universalistes : comme les Etats-Unis, la France considère qu’une de ses missions est de projeter ses valeurs dans le monde, des va-leurs humanistes, les valeurs des Lumières.

Pour défier ces valeurs, DonaldTrump et Marine Le Pen s’ap-puient sur la colère populaire à l’égard des échecs des politiques de la dernière décennie, une dé-cennie frappée par une grave crise financière puis économique, et par le creusement des inégalités. Ils jouent sur les peurs. Et ces peurs, des deux côtés de l’Atlanti­que, sont de plus en plus nom­breuses.

Formidables tribuns

La peur du « déclassement », dont la politologue Nonna Mayer dit qu’elle est le principal ressort du vote Front national. Il n’y a pas vraiment de mot américain pour déclassement, mais il y a un chif­fre, qui dit la même chose : 60 % des Américains, selon une étude du Pew Research Center, pensent que la situation de leurs enfants sera pire que la leur. Peur de l’im-migration, transformée en « rem-placement » dans la rhétorique del’extrême droite française, brandiecomme une menace par Donald Trump dans un pays lui-même faitd’immigrés. Peur du terrorisme is-lamiste, qui a frappé les deux pays en pleine campagne électorale à trois semaines d’intervalle, à Paris puis à San Bernardino (Californie).

Donald et Marine ont d’autrespoints communs. Tous deux sont de formidables tribuns. Ils savent faire rire, ridiculiser leurs adver-saires qui, eux, n’oseront jamais tomber si bas. Ils ont le don de la formule choc, qui va amuser ou scandaliser, mais qui à coup sûr fera le buzz à la télévision, du clic sur Internet et le plein de « like » sur les réseaux sociaux. Chez Do-nald comme chez Marine, le spec-tacle est permanent. On ne con-naît ni les états d’âme, ni la baisse de régime.

Ils haïssent les journalistes, quile leur rendent bien. Un mur d’in­compréhension sépare les médias et ces deux candidats. Il reflète unevraie fracture sociale et intellec-tuelle – et contribue à leur popula-rité. Donald Trump dit : « Laissons les médias, on peut vivre sans eux, on n’a plus besoin d’eux. Ce sont desordures, la lie. »

Voilà une différence entre nosdeux challengers. Donald est gros-sier, agressif, volontiers outran-cier. Après l’attaque de San Bernar-dino, il a juré : « Cette merde ne se reproduira pas. On va être telle-ment vigilants. On va être si durs, si mauvais, si méchants. » Il explique que l’Etat islamique ne sera vaincuque lorsque Barack Obama aura « foutu le camp » de la Maison Blanche.

On imaginerait Marine Le Penparler comme ça, sorte de Ben-zema de la politique, un Benzema qui saurait chanter La Marseillaise.Mais non. A cet égard, Donald tient plus de Jean-Marie, le père. Marine, elle, elle se contrôle : c’est la fameuse stratégie de la dédiabo­lisation. Et lorsque, sur BFM­TV, onlui demande de réagir à la dernièreoutrance de Trump, qui veut inter-dire l’accès des Etats-Unis aux mu-sulmans, elle s’offusque : « Vous m’avez entendu dire quelque chose comme ça, moi ? » La presse fran-çaise la compare à Trump ? « Mais la presse française me compare bien à Hitler ! »

« Trump est honteux, Marine LePen est dangereuse, écrit Philip Ste-phens dans le Financial Times. Trump crie. Marine Le Pen avance àmi-voix. Elle a remplacé le racisme ouvert par les insinuations insi-dieuses. » Le musulman a pris la place du juif comme cœur de cible.Mais la violence est la même.

Il y a une autre différence. Do-nald Trump est, pour l’instant, candidat aux primaires du parti républicain. C’est, pour l’instant, un one-man-show, même s’il se maintient à l’affiche bien plus longtemps que prévu. Les grandes figures républicaines s’inquiètent du désastre que provoquerait pourle parti et les élections au Congrès son investiture comme candidat à la Maison Blanche. Ses adversairescommencent à oser le critiquer : Jeb Bush l’a traité de « déséquili-bré » sur Twitter, Ted Cruz s’inter-roge sur son « jugement » pour oc-cuper la fonction présidentielle. Paul Ryan, le président de la Chambre des représentants, le qualifie d’anti-américain. Il re-cueille, certes, 35 % des intentions de vote des électeurs républicains, mais cela le met encore loin d’une victoire face à Hillary Clinton.

Marine Le Pen, elle, a une ma-chine derrière elle, un parti. Ce parti a des municipalités, des élus, un appareil qu’elle contrôle. Avec 27,8 % des voix au premier tour des régionales le 6 décembre, le FNa devancé les deux grands partis traditionnels, les Républicains (27,3 %) et le PS (23,3 %). Profondé­ment déstabilisé, Nicolas Sarkozy, loin de critiquer le « jugement » ou« l’équilibre » de Marine Le Pen, se met, au contraire, dans sa roue.

Traînées dans la boue, traitées demafias et de « tous pourris » à lon-gueur de discours, les élites sont déstabilisées. Les partis tradition-nels paient, sans doute, leur inca-pacité à affronter les frustrations engendrées par un monde qui a changé trop vite. Il leur reste peu de temps pour se ressaisir et in-venter de nouveaux modèles. Car dans le « basculement » qu’elle an-nonce, Marine Le Pen est plus avancée que Donald Trump. p

[email protected]

A utomobilistes, ne vous réjouissezpas trop vite de la baisse des prix àla pompe. Bien sûr, l’effondrement

des cours du brut, tombés de 115 dollars le baril en juin 2014 à 40 dollars aujourd’hui,redonne du pouvoir d’achat aux consom-mateurs, soutient l’activité chancelante de plusieurs pays européens et offre une bouf-fée d’oxygène aux secteurs très gourmandsen carburant comme les transports. C’estparticulièrement vrai des compagnies aé-riennes, qui viennent d’annoncer une baisse de 20 % de leur facture de kérosèneen 2015, un de leurs principaux postes dedépenses.

Cette dépression des prix se poursuivraen 2016 et sans doute au-delà. L’Arabie saoudite a en effet réaffirmé sa stratégie au

sommet de l’Organisation des pays expor-tateurs de pétrole (OPEP), le 4 décembre :produire au maximum pour conserver ses parts de marché, quel qu’en soit l’impactsur les prix. Elle a entraîné les autres pays producteurs dans son sillage, même ceux qui plaident pour un resserrement des van-nes. L’Agence internationale de l’énergie ne prévoit pas un retour à 80 dollars le barilavant 2020. Et plus personne n’ose miser sur un baril à 100 dollars avant longtemps.

Et s’il tombait encore plus bas – la banqueGoldman Sachs a envisagé 20 dollars – et semaintenait longtemps à ce niveau ? Lesconséquences seraient alors tout autres. Sur le front économique, il n’est pas exclu qu’un tel choc fasse tomber l’inflation « en territoire négatif », prévenait il y a un an déjà la Banque centrale européenne, avec lerisque d’une spirale déflationniste. Par ailleurs, du Venezuela au Nigeria et de l’Al-gérie aux pétromonarchies du Golfe, les pays producteurs, qui ont déjà perdu la moitié de leurs recettes, seraient au bord del’implosion sociale.

Et, sur le plan énergétique, un prix trop basassécherait les investissements des compa-gnies pétrolières dans l’exploration-produc-tion. Depuis le record de 2013 (700 milliards de dollars), ils ont reculé de 30 %. Et les ma-jors les ajustent à la baisse de trimestre en trimestre, quand de petites compagniesaméricaines démontent leurs derricks. Il ar-

rivera un jour où l’offre de brut s’en ressen-tira et où le monde, aujourd’hui gorgé de pé-trole, commencera à avoir de nouveau soif, entraînant une forte remontée des cours, comme dans les années 2005-2014.

Mais c’est sur le front climatique que desprix durablement très bas auraient les ef-fets les plus destructeurs. La baisse de l’or noir a coïncidé avec la préparation de laconférence mondiale sur le climat (COP21), qui s’achève ce week-end au Bourget. Elle a donné un très mauvais signal alors que montent de toutes parts des initiatives am-bitieuses en faveur d’une économie bas carbone. Que la baisse actuelle dure et s’amplifie et les efforts consentis en faveur des énergies renouvelables et de la sobriétéénergétique seraient compromis.

Si le charbon a été la cible de toutes les cri-tiques à la COP21, le pétrole s’en est biensorti. Sans doute parce que l’on n’a pas en-core trouvé de substitut au bon vieux mo-teur à explosion. Il reste la première des énergies et bénéficie de quatre fois plus de subventions que les énergies renouvela-bles, dénoncent les défenseurs de l’envi-ronnement, pour qui la cause est enten-due : si l’on veut limiter la hausse de la tem-pérature de la planète à 2 °C, il faudra laisseren terre 80 % des ressources fossiles. Et donc beaucoup d’or noir. Mais qui peut – etveut – se lancer dans une transition énergé-tique aussi radicale ? p

LEUR ASCENSION ÉBRANLE LE

SYSTÈME POLITIQUE DE DEUX GRANDES

DÉMOCRATIES UNIVERSALISTES

LES PIÈGESDU PÉTROLEPAS CHER

L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE

par sylvie kauffmann

Donald et Marine, hommes de l’année

« TRUMP EST HONTEUX, MARINE

LE PEN EST DANGEREUSE »PHILIP STEPHENS

journaliste au « Financial Times »

Tirage du Monde daté samedi 12 décembre : 281 498 exemplaires

Depuis 80 ans, nous produisons de l’énergie renouvelable issue de l’eau, du vent et du soleil.

Nous sommes naturellement engagés dans la transition énergétique et la croissance verte.

Nous fournissons déjà le quart de l’hydroélectricité française et œuvrons à l’émergence des énergies de demain.

Découvrez nos 9 engagements en faveur de la transition énergétique et du climat

sur cnr.tm.fr

CNR, le 1er producteur

français d’électricité

100 % renouvelable

/CréditPhoto:LaGriffe/Juin2015

PA

R

TICIPE À

Page 33: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

Cahier du « Monde » No 22055 daté Dimanche 13 - Lundi 14 décembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

PLEIN CADREMORY DUCROS : RETOURSUR UN SAUVETAGEQUI A VIRÉ AU DÉSASTRE→LIRE PAGE 2

TAUX & CHANGESLA BCE SOUS LE FEU DES CRITIQUES ALLEMANDES→LIRE PAGE 5

VU DE ROME

Indésirables cormorans en Sardaigne

rome - correspondant

Cette fois, c’est la guerre ! Les 2 300 pê-cheurs des étangs de Sardaigne, auxalentours de la ville d’Oristano, sur lacôte occidentale de l’île, et dont les re-

venus proviennent de la poutargue (ou boutar-gue), à savoir les œufs de mulet séchés, en ont ras les bottes… des cormorans. Entre 2008 et 2014, la population de ce volatile a augmenté de86 %, passant de 8 000 à 15 000 individus, et sans doute davantage. Migrateur, l’oiseau a élu un domicile provisoire d’octobre à mars dans ces eaux poissonneuses et abritées. Il ne dédai-gne pas les anguilles, les dorades, les palourdes, les crabes. Bref, tout ce qui barbote, nage et rampe pourvu que ce soit à la portée de son bec.

Mais s’ils sont photogéniques, surtout quandils traversent un coucher de soleil, les cormo-rans sont particulièrement voraces. Chacund’eux se nourrit de 300 à 600 grammes de pois-son par jour, selon l’appétit et la taille de la bes-tiole, sans compter ceux qu’ils blessent et ne consomment pas. Pour la pêche locale, la fac-ture est lourde. Selon les associations profes-sionnelles – qui se fondent sur un prix au kilo du poisson à 5 euros –, elle se monte à 2,5 mil-lions d’euros pour l’année 2014. Le chiffre de 2015, qui n’est pas encore connu, devrait porter cette somme aux alentours de 3 millions.

« C’est un véritable vol, se plaint un pêcheur quine manque pas d’humour dans le Corriere della sera. On n’est pas un restaurant qui nourrit gratisdes oiseaux du nord de l’Europe qui passent leurs

vacances d’hiver en Sardaigne. » Dans ces condi-tions ne restait qu’une solution : présenter la facture et se débarrasser de ces pique-assiettes. Les associations écologistes dénoncent « une chasse inutile » et accusent les pêcheurs de ne pas savoir « gérer leurs ressources ».

Des pêcheurs devenus chasseurs

Mais il est déjà trop tard pour négocier. En no-vembre, la région Sardaigne a donné son accordpour commencer une campagne d’éradication :5 % de la population des cormorans, soit entre 800 et 1 500 oiseaux, doit disparaître. Début dé-cembre, les pêcheurs ont donc délaissé provi-soirement leurs filets pour se muer en chas-seurs à raison de deux tours par jour pour ne laisser aucun répit à l’ennemi et débarrasser les 54 étangs de la lagune côtière (14 000 hectares) de cette engeance à plumes. Pas question pour autant de perpétrer un massacre : les cormo-rans doivent être effrayés et capturés au filet.

Mais l’adversaire ne s’en laisse pas conter. Levolatile est malin et ne s’étonne de rien. Uncoup de canon ne le dérange pas et il arrivemême que l’un d’eux se pose sur le fût. Mieux,selon le correspondant de la Stampa en Sar-daigne, ils se divisent en deux groupes : l’un fait mine de fuir tandis qu’un autre rabat les poissons sur la rive plus tranquille pour s’en régaler. « Pour l’instant, se plaint un chasseur-pêcheur, ce sont eux qui sont en train de la ga-gner, cette guerre. » Et la facture continued’augmenter… p

philippe ridet

De nouvelles compensations pour le travail dominical

R éunion de la dernièrechance, lundi 14 décembre,entre syndicats et patronat

dans le dossier du travail domini-cal. En jeu, la signature d’un ac-cord national encadrant l’ouver-ture le dimanche des magasins de la filière commerce, comme cela est prévu dans la loi Macron.

Selon nos informations, les dis-tributeurs ont mis de nouvelles propositions sur la table des né-gociations. Elles seront exami-nées en séance lundi. Ils propo-sent de payer double tous les di-manches travaillés, alors que, jusqu’à présent, ils agitaientcomme base de discussion des ré-munérations dégressives en fonction du nombre de septiè-mes jours œuvrés.

A cela s’ajoute la prise en chargedes frais de garde des enfants à hauteur de 30 euros par diman-che et de 60 % de la carte de trans-ports des salariés travaillant cejour-là.

Ces mesures incitatives inter-viennent quelques jours après l’échec, le 22 novembre, d’une con-sultation au BHV Marais (groupe Galeries Lafayette) sur la question.

« Ce n’est pas gagné, estime undistributeur à propos de la séancede lundi. Ça va se jouer à peu de chose. » En cas d’échec de cette ul-time consultation, les entreprisesreprendront les négociations in-dividuelles. p

→ L IRE PAGE 4

2 400C’EST LE NOMBRE DE POSTES

QUE LE TRAVAIL DOMINICAL

POURRAIT PERMETTRE DE CRÉER,

SELON PLUSIEURS

GRANDS MAGASINS

J OR | 1 074 $ L'ONCE

J PÉTROLE | 37,93 $ LE BARIL

j EURO-DOLLAR | 1,0986

J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 2,12 %

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,86 %

VALEURS AU 12/12 - 7 HEURES

Renault, Nissan et l’Etat signent un accord sur fond de méfiance▶ A l’issue d’un compromis âprement négocié, le gouvernement conserve ses droits de vote double tout en limitant son influence

S igné. Après huit mois de tensions,de tractations et de passes d’armes,les représentants de Renault, de

Nissan et de l’Etat ont fini par trouver un compromis. Vendredi 11 décembre, le conseil d’administration de Renault a of-ficiellement approuvé à l’unanimité l’« accord de stabilisation de l’alliance en-

tre Renault et Nissan ». Dans la foulée, le document a été validé par l’ensemble du conseil d’administration de Nissan.

A l’issue de ces réunions, Carlos Ghosn,PDG de Renault et de Nissan, s’est dit confiant dans la capacité du groupe à tourner la page de cette séquence hou-leuse. « Il ne devrait pas rester de traces de

ces huit mois. Le développement de l’al-liance Renault-Nissan n’a jamais été fa-cile. Nous avons toujours su surmonteravec pragmatisme les épreuves. Désor-mais, il faut poursuivre la consolidationen s’appuyant sur le redressement de Re-nault et Nissan », a-t-il déclaré.

L’accord scellé entre les trois parties en-

térine l’application de droits de vote dou-ble de l’Etat chez Renault et une minoritéde blocage sur les sujets stratégiques. Leconstructeur Nissan, lui, n’obtient pas de droits de vote double, mais un engage-ment de Renault de ne pas se mêler deses affaires. p

→LIRE PAGE 3

HILARY SWIFT/ « THE NEW YORK

TIMES »/REDUX/REA

Des services Web américains accusésde tolérer la propagande de l’Etat islamique▶ Les djihadistes utilisent les prestations de la sociétéCloudFlareet de l’associationInternet Archive▶ Le chantier de la contre-propagande sur Internet,considéré comme prioritaire parles militaires,se heurte àla protectiondes libertés civilessur le Net

→LIRE PAGE 7

eric-bompard.com

Page 34: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

2 | plein cadre DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

AU TOTAL, L’AFFAIRE MORY POURRAIT

COÛTER PRÈS DE 250 MILLIONS

D’EUROS AUX FINANCES PUBLIQUES

Une débâcle économique etsociale. Et un échec politi-que cuisant. Avec la trèslourde restructuration dePSA Peugeot Citroën, con-clue par la fermeture de

l’usine d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-De-nis) et la suppression de 8 000 postes, la dis-parition du transporteur MoryGlobal resteral’une des taches indélébiles du quinquennat de François Hollande.

Au total, 5 000 emplois ont été suppriméslors de deux plans sociaux consécutifs,en 2014 et 2015. Si la société s’est éteinte défi-nitivement le 31 mars 2015, le Conseil d’Etat aplanté, lundi 7 décembre, le dernier cloudans le cercueil du transporteur. L’instance administrative a définitivement annulé le plan social qui avait été signé en 2014 lors de la reprise partielle de la société. La fin d’un gâchis social et financier.

« Croire que Mory pouvait être redressé estla seule erreur que l’Etat a faite », juge aujourd’hui Yves Fargues, de la fédération detransporteurs TLF. « Nous pensions que cette société n’était pas viable, confirme un bonobservateur du marché. Cependant, on nepeut en vouloir à l’Etat d’avoir essayé de la sauver. »

A Bercy, on rappelle que « la réussite de la re-prise de Kem One et l’échec de Mory démon-trent que le destin d’un dossier n’est pas lié à l’intervention de l’Etat… » Arnaud Monte-bourg, l’ancien ministre du redressementproductif, a pourtant mouillé comme jamaissa chemise pour ce dossier, allant jusqu’àparticiper à des réunions de négociation à 3 heures du matin, mais cela n’aura pas suffi.

Petit retour en arrière. En 2010, la poste alle-mande décide de céder son réseau français de messagerie, appelé Ducros, ultra-défici-taire. Le fonds de retournement français Ca-ravelle reprend l’entreprise, en même temps qu’un chèque de 275 millions d’euros pour larestructurer. Un premier plan social permetde se séparer de 550 des 3 100 salariés. En pa-rallèle, en 2011, le fonds reprend Mory, unconcurrent, qui emploie 2 800 personnes.

Pour Caravelle, les deux sociétés fusion-nées en 2013 doivent devenir le numéro deux du marché, avec 85 agences et quelque 5 400 employés. « On ne fait pas un cador avec deux sociétés en difficulté, juge a poste-riori Rudy Parent, ancien syndicaliste CFDT de Ducros. Le nouvel ensemble n’était pas via-ble dans un segment extrêmement concur-rentiel. Il aurait fallu diversifier l’entreprise vers la logistique. Au lieu de cela, Caravelles’est entêté. »

Les pertes s’accumulent jusqu’au passagedevant le tribunal de commerce, le 26 no-vembre 2013. « On s’avançait vers le plus gros plan social français depuis Moulinex en 2001, rappelle Jérôme Vérité, de la CGT. Et ce, quel-ques mois avant les élections municipales. » Dans un contexte normal, confirme Fabian Tosolini, de la CFDT, « Mory Ducros aurait étéliquidé, sachant que le secteur de la message-rie était notoirement en surcapacité. Les élec-tions et l’ampleur de la casse sociale ont poussé l’Etat à tenter un sauvetage. »

Faute de repreneur, M. Montebourg décidede négocier avec Caravelle pour relancer la so-ciété. « Le tribunal de commerce a accepté cettesolution inédite », relève Jérôme Vérité, qui re-grette que le bouillant ministre n’ait pas pro-fité de cette crise pour réformer ce marché : « L’Etat a cherché une solution à court terme, pas à moyen et long terme. Geodis, filiale de la SNCF, une société publique, aurait dû être solli-citée avec beaucoup plus d’insistance. »

« ON ALLAIT SE PLANTER »

« A l’époque, nous militions pour une vente àla découpe, afin de sauver de manière durabledes emplois, rappelle pour sa part Patrice Clos, de FO. L’Etat ne voulait pas de cette solu-tion. Avec Caravelle, devenu entre-temps Ar-cole Industries, on allait se planter, c’était sûr, car il n’amendait pas sa stratégie. » Après de nombreuses réunions, un accord est pour-tant trouvé avec le fonds et les organisations syndicales. Le premier accepte de réinvestir17,5 millions d’euros. En parallèle, l’Etat lui ac-corde un prêt de 17,5 millions. Les syndicatsse résignent pour la plupart à un plan de sup-pression de 2 800 postes.

Pour Arnaud Montebourg, « demanderplus, c’est risquer de mettre en l’air l’entre-prise ». La nouvelle société, baptisée « Mory Global », ne décolle cependant pas. En 2014, elle accumule 43 millions d’euros de pertes, pour moins de 250 millions de chiffre d’affai-res… Pis, les problèmes se multiplient. Le plan de sauvegarde de l’emploi, signé à l’oc-casion de la reprise de Mory, est retoqué parla justice administrative. Il désigne au niveaulocal les salariés à licencier, ce qui est illégal.

Résultat : 196 salariés sont réintégrés deforce dans l’entreprise à l’été 2014, ce qui alourdit les coûts de l’entreprise de700 000 euros par mois. Les indemnités des autres salariés sont pour leur part prélevéespar Mory sur les moyens prévus à l’origine pour relancer l’activité…

Coup dur pour l’Etat, les fonds prêtés à Ar-cole pour relancer le transporteur font ti-quer Bruxelles, qui les considère comme des

trice Clos. Si certains techniciens ont vite re-trouvé un poste chez un concurrent, lesautres ont peu d’espoir. « Les spécialistes dutransport, que ce soit la RATP, la SNCF ou lessociétés d’autocars longue distance, encoura-gés à reprendre des chauffeurs, n’ont pas joué le jeu », glisse Jérôme Vérité, de la CGT.

La disparition de Mory a cependant aidé sesconcurrents. En 2015, les gros acteurs (Geo-dis, DB Schenker, Kuehne & Nagel, etc.) ontcessé de perdre de l’argent. « Ils vont beau-coup mieux, grâce à de la charge supplémen-taire », assure Alain Borri, du cabinet BP2R.

Pour les ex-Mory, « le plus choquant detoute cette histoire, c’est qu’André Lebrun [lepatron d’Arcole] n’a pas été inquiété. On confietoujours des entreprises à ce monsieur », pesteRudy Parent. « Il s’en sort sans le moindre dommage, abonde Jérôme Vérité. Nous avonslancé une procédure en septembre contre lefonds Arcole pour faillite frauduleuse. » Ar-cole, qui n’a pas répondu aux sollicitationsdu Monde, s’est toujours défendu de sabonne foi dans la faillite de MoryGlobal. p

denis cosnard,

philippe jacqué

et cédric pietralunga

aides d’Etat, ce que la réglementation euro-péenne en matière de concurrence interdit.« Nous les avons alertés de ce prêt, qui était réalisé en tant qu’investisseur avisé, expliqueun proche du dossier. L’argument n’a pas été validé par la Commission, qui nous a de-mandé de les récupérer. »

UN DRAME SOCIAL

L’Etat ne reverra jamais cet argent. Au total,l’affaire Mory pourrait coûter près de 250 mil-lions d’euros aux finances publiques, entre l’effacement de la dette sociale, les indemnitéssupra-légales à verser aux salariés licenciés, etles dommages et intérêts qui seront réclamés par les salariés licenciés aux prud’hommes dans le cadre du premier plan invalidé… « Pour cette dernière mesure, cela pourrait re-présenter 80 millions d’euros », glisse un syndi-caliste. Début 2015, les actifs de MoryGlobal étaient évalués entre 50 et 60 millions d’euros, loin de couvrir cette somme.

Socialement, c’est également un drame.« Pour l’instant, seulement 500 des 2 800 ex-salariés lors du premier plan social ont re-trouvé un poste. Pour les 2 200 du second plan,c’est trop tôt pour se prononcer », indique Pa-

Des salariés de MoryGlobal devant le siège d’Arcole Industries, à Paris, en avril. VINCENT ISORE/IP3/MAXPPP

Mory Ducros, le naufrage d’un sauvetageL’Etat voulait sauver le transporteur et ses 5 000 emplois : l’entreprise a été liquidée et Bercy désavoué

le moral remonte chez Kem One. En décembre 2013,le groupe chimique français, qui comptait 22 usines et 2 600 personnes dans le monde, se trouvait en dépôt de bilan, exsangue, menacé de disparition. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, et ses conseillers s’activaient à son chevet, comme à celuide Mory Ducros et de quelques autres groupes en péril.Deux ans plus tard, alors que Mory a définitivement disparu, Kem One redresse la tête.

« Cela va nettement mieux », se réjouit GrégoryBenedetti, le délégué central de Force ouvrière. Pour preuve, le groupe a surmonté les déboires de Naphta-chimie, son fournisseur d’éthylène, dont l’usine a été incendiée en mai. Kem One a subi un manque à gagnerde 20 millions d’euros, mais a tenu le choc, notammentgrâce à la baisse des prix du pétrole, qui a réduit ses coûts d’approvisionnement.

Discours de vérité

Kem One a fini par récupérer cet été toutes les usines detransformation du PVC que le précédent repreneur, Gary Klesch, avait tenté de garder malgré ses promesses.

« La partie n’est pas encore gagnée », nuance Alain deKrassny, l’ancien de Rhône-Poulenc qui a repris l’entre-prise à la barre du tribunal, associé au fonds d’investisse-ment OpenGate Capital. Kem One va terminer 2015 avecun résultat opérationnel légèrement négatif, et 2016

s’annonce une année délicate. Si tout se passe bien, « on retrouvera plus d’aisance en 2017 », prévoit le PDG.

Le rétablissement d’un groupe qui manque d’inves-tissements depuis des années requiert du temps. En juillet, la Commission européenne a validé les impor-tantes aides publiques accordées à Kem One, alorsqu’elle a rejeté celles attribuées à Mory. En jeu, pas moins de 125 millions d’euros, la moitié du plan d’in-vestissement prévu. Ce feu vert obtenu, les nouveaux propriétaires ont immédiatement lancé le projet clé deleur plan de redressement : la modernisation de l’usinede Lavéra (Bouches-du-Rhône). Un chantier de 150 mil-lions d’euros. Il doit permettre à cette unité de PVC de redevenir durablement compétitive. Et déjà, des étudessont entamées pour moderniser de la même façon lesite de Fos-sur-Mer, lui aussi proche de Marseille.

Mais la nouvelle installation de Lavéra ne fonction-nera pas avant le début de 2017, et d’ici là, le site devraêtre arrêté deux mois. « Il y aura donc une phase déli-cate à passer fin 2016 », anticipe M. de Krassny. Ensuite,« Kem One a la taille critique sur son marché. Si l’on fait bien notre travail, on doit tenir ».

Un discours de vérité qui séduit le personnel. « On a lachance d’avoir maintenant un vrai industriel à la tête dela boîte, applaudit un syndicaliste CGT. Sans lui et sonéquipe, on n’existerait plus. » p

de. c.

Kem One, le contre-exemple

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 économie & entreprise | 3

Renault, Nissan et l’Etat trouvent une issue à leur crise de confianceLe gouvernement conserve ses droits de vote double au sein du constructeur français

La nuit de jeudi 10 à ven-dredi 11 décembre auraété longue. Mais les re-présentants de Renault,

Nissan et de l’Etat ont fini par trouver un compromis. Vendredi,le conseil d’administration de Re-nault a officiellement approuvé à l’unanimité l’« accord de stabilisa-tion de l’alliance entre Renault et Nissan ». Dans la foulée, le docu-ment a été validé par l’ensemble du conseil d’administration de Nissan.

Après huit mois de crise, d’in-terminables palabres, de rumeurset autres coups de bluff entre tousles acteurs du dossier, Renault estprêt à tourner la page. « J’espère que c’est désormais derrièrenous », déclare Carlos Ghosn, le PDG de Renault et Nissan.

Tout a commencé le 8 avril,quand l’Etat décide de monter parsurprise au capital de Renault. Le gouvernement cherche à sécuri-ser l’application de la loi Florange,qui prévoit la mise en place des droits de vote double. Pour cela, ilacquiert près de 5 % de capital, pour détenir 20 % du construc-teur. C’est assez pour bloquer unerésolution poussée par le conseil d’administration de Renault quicherche à s’exonérer des droits devote double.

L’activisme de l’Etat déstabiliseCarlos Ghosn, ainsi que les admi-nistrateurs des deux sociétésqu’il préside. Le constructeur ja-ponais, qui détient également 15 % de Renault, ne dispose pas dedroit de vote et crie à la déstabili-sation de l’alliance. La confiance,dit-on en substance au Japon, est rompue.

Huit mois plus tard, cependant,force est de constater que l’Etat a fini par obtenir ce qu’il voulait depuis le début : l’application de

droits de vote double chez Re-nault et une minorité de blocagesur les sujets stratégiques. Nis-san, lui, n’obtient pas de droits de vote double, mais un engage-ment de Renault de ne pas se mê-ler de ses affaires. Bref, si elle est cavalière, la méthode d’Emma-nuel Macron, le ministre de l’éco-nomie, fonctionne.

« Rassurer Nissan »

« Nous avons fini par trouver un compromis. Mais dès le départ, en avril, j’avais dit que Renault, Nis-san et l’Etat avaient une volonté commune : que l’alliance pro-gresse et donc que l’on arriverait à trouver un accord », consent aujourd’hui Carlos Ghosn. Une manière de ne pas perdre la face.

Avant d’en arriver à cette con-clusion, Bercy a dû persuader lepatron et les administrateurs de Nissan de la légitimité de ses re-vendications. « Il a fallu plusieurssemaines pour que la position deprincipe du gouvernement soitcomprise, indique une source proche du dossier. Une fois celle-ciacquise, les négociations ont avancé à un bon rythme. »

Dans le détail, l’Etat accepte deplafonner ses droits de vote à 17,9 %, porté jusqu’à 20 % en cas de quorum inhabituellementélevé, pour « l’ensemble des déci-sions relevant de la compétence del’assemblée générale ordinaire ».

Pour les sujets stratégiques, enrevanche, l’Etat conserve ses droits de vote double, soit envi-ron 28 %. Ces décisions concer-nent « la distribution de dividende,la nomination et la révocation des administrateurs représentant l’Etat, la cession portant sur plus de 50 % des actifs de Renault, des conventions réglementées non ap-prouvées par les représentants de l’Etat ». De même, « toute décision qui remettrait en cause la pré-sence de Renault en France seraitsoumise à l’Etat », complète Car-los Ghosn. « Il n’y a jamais eu de débat sur le sujet. »

Si Nissan n’a pas gagné de droitsde vote dans Renault, le construc-teur japonais a obtenu que leconstructeur français s’engage àne pas interférer dans ses affaires,notamment sur tout ce qui est re-latif à « la nomination, la révoca-tion et la rémunération des mem-bres du conseil d’administration de Nissan, ainsi que les résolutionsdéposées par un actionnaire et non approuvées par le conseild’administration de Nissan ».

« Ce plafonnement permet éga-lement de rassurer Nissan sur l’ab-sence de contrôle de Renault par l’Etat, tout en confortant le statutde l’Etat comme premier action-naire de la société, confirme Bercydans un communiqué. Récipro-quement, il présente les garantiesnécessaires du point de vue de

l’Etat dans la mesure où le plafon-nement de ses droits de vote est conditionné au maintien et à lapréservation des équilibres actuelsde l’alliance. »

En revanche, si l’un des deuxpartenaires vient à enfreindre l’accord passé vendredi, chacun est délié de ses engagements. Le directeur de la compétitivité de

Nissan, Hiroto Saikawa, a souli-gné que, en cas de violation del’accord, « Nissan aurait le droit d’augmenter sa part » dans Re-nault. Et « si Nissan détient plus de25 %, Renault n’aura plus de droits de vote [chez Nissan], donc il y aura un effet dissuasif », a-t-il dé-veloppé depuis le siège de Nissan,à Yokohama (nord-est du Japon).

Pour Carlos Ghosn, « il ne devraitpas rester de traces de ces huit mois. Le développement de l’al-liance Renault-Nissan n’a jamais été facile. Nous avons toujours su surmonter avec pragmatisme lesépreuves. Désormais, il faut pour-suivre la consolidation en s’ap-puyant sur le redressement de Re-nault et Nissan ». En revanche, il

n’est pas encore temps pour le PDG de penser à une fusion entre les deux entreprises, comme la rumeur a circulé ces dernières se-maines. « C’est écarté aujourd’hui. Beaucoup de choses doivent être faites pour faire converger les deuxgroupes. Ils ne sont pas encore prêts pour une telle issue. » p

philippe jacqué

Nissan

RÉPARTITION DU CAPITAL DES DEUX GROUPES EN %

CHIFFRE D’AFFAIRES RÉSULTAT NET VÉHICULES VENDUS CHIFFRE D’AFFAIRES RÉSULTAT NET VÉHICULES VENDUS

Nissan, un allié de poids

65,3 56,6 43,419,7

15

Renault

Etat

français

CapitalflottantRENAULT NISSAN

SOURCE : SOCIÉTÉS, CHIFFRES 2014

41 milliards d’euros 2 milliards

d’euros 2,7millions 5,3millions82 milliards d’euros 3,3 milliards

d’euros

Nissan n’a pas

gagné de droits

de vote dans

Renault, mais a

obtenu du groupe

qu’il ne se mêle

pas de ses affaires

LES DATES

MARS 1999Création de l’Alliance Renault-Nissan. Le constructeur français prend 36,8 % des actions du fa-bricant japonais. En mars 2002, Renault monte à 43,4 % du capi-tal de Nissan, ce dernier prenant 15 % du français.

AVRIL 2015Le début des hostilités. L’Etat annonce qu’il va faire passer sa participation dans Renault de 15 % à 19,7 %. Objectif : obtenir des droits de vote double au sein du groupe. Ce sera chose faite lors de l’assemblée géné-rale du constructeur, le 30 avril.

SEPTEMBRENissan menace de dénoncer l’ac-cord RAMA, qui régit les relations entre les deux groupes depuis 2002. Le japonais souhaitait aug-menter sa part dans Renault à 25 %. En contrepartie, le français aurait vu sa participation dans Nissan passer de 43,4 % à 35 %.

11 DÉCEMBREEpilogue de la crise.

Page 36: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

4 | économie & entreprise DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

Travail dominical : de nouvelles mesures incitativesSyndicats et patronats se retrouvent, lundi 14 décembre, pour tenter de trouver un accord national

C’est la réunion de ladernière chance.Lundi 14 décembre,syndicats et patro-

nat vont se remettre autour de la table pour une ultime réunion destinée à trouver un accord na-tional encadrant le travail du di-manche dans l’ensemble de la fi-lière du commerce (habillement,chaussures, etc.).

La loi Macron a défini cet été lesdispositifs qui permettront auxcommerces d’ouvrir les diman-ches. Des dispositifs aussi biengéographiques que liés au calen-drier : douze dimanches dans l’année possibles à l’appréciation du maire ou du préfet ; des zones touristiques et des zones com-merciales où le travail du diman-che est autorisé 52 dimanches dans l’année ; douze gares et des zones touristiques internationa-les (ZTI) à Paris, Deauville (Calva-dos), Cannes (Alpes-Maritimes) et Nice, qui permettront aussid’ouvrir les commerces tous les dimanches, et le soir jusqu’à mi-nuit. Le gouvernement a même précisément défini dans Paris les périmètres de ces ZTI, le 24 sep-tembre.

Entamées en juin, les négocia-tions entre les syndicats et les en-seignes se sont intensifiées de-puis la promulgation de la loi, le6 août. Des tractations pour par-venir à un accord, indispensable, sur les mesures de compensation pour les salariés qui travaille-raient le dimanche.

Mais les propositions faites jus-qu’ici par l’Union du commercede centre-ville, la fédération pa-tronale chargée au niveau natio-nal de ces discussions, n’ont pas trouvé oreille attentive. Devant les oppositions de principe de cer-tains syndicats, et craignant l’échec des discussions nationa-les, quelques enseignes, commeSephora, Marionnaud ou encore la Fnac, avaient entrepris des né-gociations individuelles. Cer-tains, comme Darty, sont même parvenus mi-octobre à un accord d’entreprise.

Les centres commerciaux sui-

vent très attentivement les négo-ciations dans les enseignes. « Laplupart des “locomotives”, c’est-à-dire les magasins qui génèrent le flux des visiteurs, doivent être ouvertes pour ne pas décevoir lesclients si on leur annonce que lecentre est ouvert », explique Jean-Philippe Mouton, présidentd’Hammerson France (Italie 2, O’Parinor, etc.)

Pour tenter d’infléchir les réti-cences, les distributeurs ont sé-rieusement assoupli leurs propo-sitions. De nouvelles mesures ont été envoyées la semaine du 7 au 13 décembre aux syndicats. Elles seront examinées en séance lundi.Selon nos informations, les distri-buteurs proposent désormais de payer double tous les dimanches travaillés, alors que jusqu’à pré-sent, ils agitaient comme base de discussion des rémunérations dé-gressives en fonction du nombre de septièmes jours œuvrés.

« C’est quitte ou double »

A cela s’ajoute la prise en chargedes frais de garde des enfants à hauteur de 30 euros par diman-che, et de 60 % de la carte de trans-ports des salariés travaillant ce jour-là. Sur la base d’un volonta-riat réversible, les salariés tra-vaillant occasionnellement le di-manche ne pourraient pas en faire plus de quinze par an. Les en-seignes, quant à elles, s’engage-raient à aménager les temps detravail et à créer des équipes de finde semaine. Les grands magasins estiment que ce dispositif entraî-nerait la création de 2 400 postes, dont la moitié en direct et l’autre moitié par les partenaires com-

l’échec, avec 13 voix d’écart, de la consultation, le 22 novembre, en-treprise par le BHV Marais,(groupe Galeries Lafayette), à lademande de certains de ses syn-dicats.

Un vote qui avait fait réagir Em-manuel Macron, ministre del’économie, lors de son audition, le 25 novembre, par la mission d’information commune chargée du suivi de l’application de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité de chances économiques.« Le référendum a fait l’objet d’une polémique, car on a fait voter lesdémonstratrices, qui n’étaient pas concernées par la mesure », a re-levé le ministre, ajoutant que « les compensations indiquées étaient

inférieures à celles qui étaient dé-battues au niveau de la branche ». Il précisait que « l’accord de bran-che évitera des différences entre entreprises voisines et donnera lecadre le plus stable possible (…). Lesacteurs restent mobilisés, et no-nobstant le résultat de ce référen-dum particulier, on peut espérer que les négociations aboutissentd’ici la fin de l’année ».

En cas d’échec lundi 14 décem-bre, les entreprises reprendrontles négociations individuelles.Certains toutefois sans précipita-tion. « Nous voulons nous donnerdu temps avant d’y aller », préciseStéphane Maquaire, président dugroupe Monoprix, qui n’a pas en-trepris de négociation d’entre-

prise et a maintes fois été la cibledu Clic-P. « Nous n’avons pas nonplus vocation à ouvrir 52 diman-ches par an. Faisons déjà les 12 di-manches du maire, et voyons comment cela fonctionne. Lais-sons-nous le temps de voir ce quefont d’autres acteurs importantsdu commerce de centre-ville dansdes domaines autres que l’alimen-taire », ajoute-t-il.

Nul doute, en tout cas, que lespropositions discutées lundipourront servir de base aux futu-res négociations d’entreprises.De quoi pérenniser, à partir du 1er janvier 2016, l’ouverture desmagasins le dimanche dans lesZTI. p

cécile prudhomme

Beaugrenelle a ouvert dès le dimanche 18 octobre, trois semaines après le décret d’application de la loi Macron. ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Les défis de la relation Chine-Amérique latineSelon l’OCDE, l’inégalité des rapports entre les deux régions pourrait être atténuée

L’ Amérique latine a noué,au tournant du siècle, unpartenariat commercial

inégal avec la Chine dont l’impor-tance n’a cessé de croître. Elle peut aujourd’hui rééquilibrer ces échanges à condition de savoir ti-rer parti de la transition économi-que chinoise pour transformer sa propre économie. Tel est le point de vue défendu dans le rapport sur« Les perspectives économiques de l’Amérique latine en 2016 » pré-senté, vendredi 11 décembre, à Car-thagène-des-Indes (Colombie), par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission économi-que pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc) des Nations unies et la CAF (Corporacion An-dina de Fomento), la banque de dé-veloppement d’Amérique latine.

Dans ce document conjoint,sous-titré « Vers un nouveau par-tenariat avec la Chine », les trois institutions constatent que les échanges ont été « stimulés », dé-but 2000, par le basculement du centre de gravité de la planète des pays avancés vers les émergents. Entre 2001 et 2010, les exporta-tions de minerais et d’hydrocarbu-res d’Amérique latine vers la Chine ont ainsi crû de 16 % par an, suiviespar les produits agroalimentaires (+ 12 %). Cette forte augmentation est allée de pair avec une spéciali-

sation accrue : en 2014, les cinq premiers produits latino-améri-cains exportés en Chine (dont le pétrole, le cuivre et le soja) repré-sentaient 80 % de la valeur totale des exportations d’Amérique la-tine vers ce pays.

Retournement brutal

Mais les taux de croissance phéno-ménaux des années 2000 ont aujourd’hui disparu. Le PIB latino-américain a augmenté de 1 % en 2014, contre 5 % en moyenne pendant les dix années précéden-tes. Pour les pays exportateurs, le retournement a été brutal : le Chili et le Pérou ont vu la progression deleurs exportations vers la Chine ra-menée de 16 % à 4 % l’an. Le Ve-nezuela, l’Equateur, la Colombie et la Bolivie, producteurs d’hydrocar-bures, ont souffert. Le Brésil, les pays d’Amérique centrale et du cône Sud ont payé un lourd tribut à la chute des prix agricoles.

En Amérique latine, les défisstructurels nouveaux se combi-nent aux plus anciens : comment redresser la productivité ? Com-ment faire face au vieillissement démographique ? Comment rele-ver la croissance potentielle (de long terme), tombée de 5 % à 3 % ? Autant de questions qui viennent s’ajouter, entre autres, à la néces-sité d’accompagner la croissance des PME, d’améliorer les infras-

tructures et la logistique, mais aussi les compétences et l’innova-tion. Les entreprises d’Amérique latine, observe le rapport, ont troisfois plus de risques que celles d’Asie du Sud et treize fois plus quecelles d’Asie-Pacifique d’être frei-nées dans leur développement pardes pénuries de main-d’œuvre.

La région ne manque toutefoispas d’atouts. L’urbanisation et la consolidation des classes moyen-nes chinoises (50 millions de per-sonnes en 2005, 1 milliard en 2030) changent en effet les comportements alimentaires. Dans les dix prochaines années, le pays va augmenter de plus de 20 %sa consommation par habitant de sucre, de volaille et de mouton, et de 10 % à 20 % celle de poisson, d’huiles végétales, de fruits et de légumes, de lait et de bœuf. De quoi ouvrir des perspectives à l’Ar-gentine, au Brésil, au Salvador et au Guatemala ! A condition toute-fois d’être plus performants dans

le domaine de la logistique et des services (marketing en tête). Le tourisme chinois en Amérique la-tine a, par ailleurs, un potentiel de développement important : 1 % seulement des touristes chinois choisissent cette destination.

L’Amérique latine devrait resterune des priorités de la Chine. Le pays est déjà la plus importante source de financements exté-rieurs pour l’Argentine, le Brésil, l’Equateur et le Venezuela. Entre 2010 et 2015, les financements chi-nois ont atteint 94 milliards de dollars (85 milliards d’euros), con-tre 156 milliards pour ceux, cumu-lés, émanant de la Banque mon-diale, de la CAF et de la Banque in-teraméricaine de développement. Les prêts chinois sont concentrés dans les mines, les infrastructures de transport et l’énergie. Mais la présence chinoise, par le biais des investissements directs étrangers (IDE), s’accroît dans les télécoms, l’électricité, les énergies vertes et l’achat de terres. D’ici à 2025, les IDE d’origine chinoise en Améri-que latine devraient atteindre 250 milliards de dollars. Pour en profiter au mieux, insiste le rap-port, il faut plus de transparence etde régulations en Amérique latine,mais il faut aussi mettre en place des instances régionales de dialo-gue structuré avec Pékin. p

claire guélaud

130C’est le montant, en milliards de dollars (118,3 milliards d’euros), que pèse le nouveau géant américain de l’industrie américaine DowDu-Pont, né de la fusion de Dow Chemical et DuPont, annoncée vendredi 11 décembre. Ce mariage entre les fabricants de l’isolant thermique Styrofoam et de la fibre synthétique Kevlar va redistribuer les cartes de l’agrochimie mondiale. Les actionnaires des deux groupes détiendront chacun 50 % de la nouvelle entreprise, qui se scindera, à terme, en trois entités cotées : agriculture, chimie de spécialité et science des ma-tériaux.

CONJONCTURELa note de la dette française maintenueLes agences de notation amé-ricaines Standard & Poor’s (S&P) et Fitch ont maintenu, vendredi 11 décembre, leurs notes « AA » pour la dette à long terme de la France. S&P garde, depuis un an, l’Hexa-gone sous « perspective néga-tive », signifiant que la note a une chance sur trois d’être abaissée fin 2016. Fitch, en re-vanche, confirme la « perspec-tive stable » de la France, écar-tant un changement de note à moyenne échéance.

La production chinoisea accéléré en novembreLa production industrielle chinoise a progressé de 6,2 % en novembre, après 5,6 % en octobre, d’après les chiffres officiels publiés samedi 12 dé-cembre. Les ventes au détail ont, quant à elle, progressé de 11,2 % sur un an, leur plus

forte hausse depuis douze mois. Ces deux chiffres semblent indiquer que les mesures de relance économi-que adoptées par Pékin por-tent leurs fruits. La banque centrale avait abaissé fin octo-bre ses taux d’intérêt pour la sixième fois en l’espace d’un an, dans le but de favoriser l’octroi de crédits bancaires.

DISPARITIONDécès de l’économiste Albert MerlinAncien économiste en chef de Saint-Gobain, de 1965 à 1995, Albert Merlin est décédé mercredi 9 décembre à Paris, à 84 ans. Pionnier de la disci-pline en France, il a contribué à la création de l’Association française des économistes d’entreprise (Afede), qu’il a présidée entre 1975 et 1979. Auteur de nombreux essais, professeur à HEC, l’ENA et à Sciences Po, il a fondé et di-rigé la revue Sociétal.

merciaux (démonstrateurs, sous-traitance).

« C’est quitte ou double, estimeun distributeur. Ce n’est pas ga-gné. Ça va se jouer à peu de chose, car lorsqu’il y a des décisions deposture, la nouvelle proposition n’est pas si irrésistible que cela ». LaCGT et FO ont manifesté à plu-sieurs reprises leur opposition àdéroger au repos dominical. Avec en toile de fond, le très médiati-que Comité de liaison intersyndi-cal du commerce de Paris (Clic-P) annonçant, le 26 novembre, avoir « déposé des recours visant à obte-nir l’annulation du décret et des ar-rêtés définissant les ZTI sur Paris ».

Les propositions patronalesont été surtout révisées après

Les distributeurs

ont assoupli leurs

propositions :

les dimanches

travaillés

pourraient être

payés double

Les prêts chinois

sont concentrés

dans les mines,

l’énergie et les

infrastructures

de transport

Page 37: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 bourses & monnaies | 5

19 230,48 POINTS4 549,56 POINTS 17 265,21 POINTS5 952,78 POINTS10 340,06 POINTS 4 933,47 POINTS3 203,21 POINTS

TOKYOPARIS NEW YORKLONDRESFRANCFORT NASDAQEURO STOXX 50

– 3,50 %CAC 40 DOW JONES

– 4,58 %FTSE 100

– 3,83 %DAX 30

– 3,83 % – 4,06 % – 1,40 %NIKKEI

– 3,26 %

Les marchés sur une pente glissanteLa dégringolade des cours du pétrole et la perspective de la réunion de la Fed ont fait chuter les indices cette semaine

I ls sont comme des enfants gâ-tés, jamais contents, trépi-gnant d’impatience. Noël a

beau n’être que dans une dizaine dejours, pour les investisseurs, la trêve des confiseurs paraît loin, très loin. La semaine écoulée a été marquée par une grande nervosité sur les marchés, qui ont pour la plu-part terminé dans le rouge.

En cinq séances, le CAC 40 a dé-gringolé de 3,50 %, et s’est dange-reusement rapproché des 4 500 points, alors qu’il flirtait avecles 5 000 points il y a à peine plus d’un mois. Le Footsie britannique et le DAX allemand ont également perdu respectivement 4,58 % et3,83 %. Outre-Atlantique, le Dow Jo-nes s’est replié de 3,26 %, tandis quele Nasdaq, l’indice des valeurs tech-nologiques, perdait 4,06 %.

A l’origine de cette chute, de sé-rieuses turbulences sur le front desmatières premières. Mardi 8 dé-cembre, le prix du baril de pétrole aatteint son plus bas depuis fé-vrier 2009. Le baril de Brent est des-cendu sous la barre des 40 dollars àLondres et le WTI américain à moins de 37 dollars à New York. Le recul n’est pas nouveau, mais ils’est brutalement accéléré après la décision de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP),réunie vendredi 4 décembre, de laisser grandes ouvertes les vannesde l’or noir. Alors que le ralentisse-ment économique chinois pèse surla demande, et que fait rage la guerre entre les pays producteurspour conserver leurs parts de mar-ché, l’organisation n’établira plusd’objectifs chiffrés de production,

malgré la surabondance mondiale, a-t-elle annoncé.

A cela s’ajoute la perspective d’ungrand chamboule-tout monétaire. Les 15 et 16 décembre, la Réserve fé-dérale américaine (Fed, banquecentrale) tiendra une réunion cru-ciale pour la planète finance. Sa présidente, Janet Yellen, pourrait yannoncer une mesure historique :le relèvement des taux directeurs américains, proches de zéro depuisle début de la crise financière,en 2008. Une première depuis prèsde neuf ans. Et un exercice d’équili-briste.

Fébrilité

Certes, le scénario de 1994, où la hausse des taux américains avait pris les marchés par surprise, dé-clenchant un véritable krach obli-gataire, n’est pas à craindre. Voilà des mois que la Fed le répète surtous les tons : l’économie améri-caine va mieux, il est temps de re-monter les taux avant que le train de la reprise ne soit passé… Il n’em-pêche. Tout l’enjeu consistera à ren-forcer le loyer de l’argent outre-At-lantique sans déstabiliser l’écono-mie mondiale, encline à rapatrierses capitaux vers les Etats-Unis si les taux y sont plus élevés.

De quoi rendre les marchés fébri-les. D’autant que la Banque cen-trale européenne, si elle conservedes taux au tapis, a passablementdéçu des investisseurs gavés d’ar-gent facile. Le 3 décembre, ils ont

sanctionné Mario Draghi, son pré-sident, estimant qu’il n’avait pasfait assez en n’augmentant pas sonprogramme de rachat d’actifs men-suels.

Dans ce paysage morose, la multi-plication des fusions-acquisitionsa marqué les places boursières. Vendredi 11 décembre, les chimis-tes américains Dow Chemical et DuPont ont annoncé leur mariage, pour former un groupe valant 130 milliards de dollars (118 mil-liards d’euros). Une fois combinées,les deux entreprises prévoient de se séparer en trois entités (une pour l’agriculture, une pour la chi-mie de spécialité, une pour la science des matériaux), ont-elles indiqué dans un communiqué commun, précisant que les action-naires de DuPont et de Dow se par-tageront à peu près à égalité les ti-tres de la nouvelle entreprise.

L’opération intervient après lerapprochement des géants phar-maceutiques Pfizer et Allergan pour 160 milliards de dollars, le 23 novembre, et le rachat mi-octo-bre du britannique SABMiller par lebelgo-brésilien AB InBev dans la bière, pour 121 milliards de dollars.

Cette ébullition doit beaucoup àla facilité des conditions de finan-cement, dans un environnement de taux bas, « mais tient aussi à des éléments spécifiques pour chaque opération », souligne Jean-LouisMourier, économiste chez AurelBGC. Il s’agit de raisons fiscales pour Pfizer, puisque le nouveaugroupe aura son siège administra-tif en Irlande, où est déjà installé Al-lergan, ce qui lui permettra de bé-néficier d’un régime fiscal plus avantageux que celui en vigueur aux Etats-Unis. Dans le cas de Dow et de Dupont, c’est le résultat desmanœuvres des actionnaires acti-vistes, Daniel Loeb, qui dirige lefonds Third Point, chez Dow Che-mical, et de Nelson Peltz (fondsTrian), chez DuPont.

Pour eux, ce sera Noël avantl’heure… si tant est que les autoritésde concurrence leur donnent leur blanc-seing. Ce qui n’a rien d’évi-dent : le 7 décembre, elles ont remisen cause la vente des activités d’électroménager de General Elec-tric à Electrolux, et le mariage des deux poids lourds des articles de bureau, Staples et Office Depot. p

audrey tonnelier

Dans ce paysage

morose,

la multiplication

des fusions-

acquisitions

a marqué

les places

boursières

La Russie lance son agence de notation

La nouvelle agence de notation nationale voulue par la Russie pour contrer les agences occidentales a entamé officiellement ses activités, vendredi 11 décembre. Baptisée Akra (acronyme russe d’agence de notation et d’analyse de crédit), cette nou-velle institution s’ajoute à un nombre croissant de tentatives nées dans les pays émergents pour s’attaquer à la domination de Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, dont les décisions constituent de véritables sésames pour emprunter sur les marchés. L’agence est détenue par une trentaine de banques, fonds et sociétés d’investissements, ce qui doit garantir son indépendance. Certains experts ont cependant émis des dou-tes sur sa réelle impartialité en raison de la présence de plu-sieurs institutions publiques au capital et de l’influence de la Banque centrale, à l’initiative du projet.

MATIÈRES PREMIÈRES

L’argent des céréaliers dépend de l’Argentine

L a Casa Rosada a un nou-veau locataire. MauricioMacri a pris possession des

lieux jeudi 10 décembre. L’arrivée au pouvoir en Argentine du suc-cesseur de Cristina Kirchner estsuivie de près par les céréaliers français. Presque autant que le ré-sultat des élections régionales enFrance. Et pour cause. Dans le pro-gramme électoral de l’ex-maire deBuenos Aires, qui a séduit les Ar-gentins, il est prévu de lever les taxes à l’exportation sur les céréa-les. « Elles sont de 23 % sur le blé et de 20 % sur le maïs », précise Mi-chel Portier, directeur générald’Agritel.

« On s’attend à une espèce de va-gue argentine », prévient Olivia LeLamer, chef de l’unité grandes cul-tures de FranceAgrimer. Le pays du tango pourrait faire tanguerles cours. Et les faire glisser un peuplus dans le creux de la vague. Les

agriculteurs argentins sont en ef-fet assis sur leurs silos de blé, de maïs et de soja. La suspension destaxes, ou leur allégement dans lecas du soja, pourrait les inciter à ouvrir les vannes.

Du jamais-vu

Une perspective qui ne réjouit pas les céréaliers français. Depuis trois années sans incident climati-que majeur, les greniers se rem-plissent partout. Une corne d’abondance qui fait ployer les cours. Chacun se disputant les ap-pels d’offres des pays soucieux de nourrir leur population. Or, dans cette course en sacs de blé et de maïs à laquelle se livrent les grandsbassins de production, l’obstacle de la distance semble soudain aboli. Ce qui bouscule le jeu, c’est l’effondrement du coût du fret.

« Cela rebat toutes les cartes dumarché mondial », selon M. Por-

tier. Au point que la France a dé-croché des contrats pour écouler son blé au Mexique et en Indoné-sie. Du jamais-vu. A l’inverse, l’Ar-gentine peut venir croquer une part du gâteau algérien, convoité traditionnellement par l’Hexa-gone.

Dans ce contexte, les céréaliersfrançais rechignent à vendre leur blé. Pourtant, la récolte a encore été revue à la hausse à 37,6 millionsde tonnes. Et la question du stoc-kage des épis devient plus qu’épi-neuse. Mais comme le souligne M. Portier, « le cours actuel couvre àpeine les coûts de production ».

La situation est encore moinsflorissante pour le maïs, vendu à perte. Vendredi, le cours du bois-seau se négociait à 3,73 dollars à Chicago. Or, en France, avec la sé-cheresse, la récolte a reculé en 2015 de près de 23 % par rapportau record de 2014 à 13,9 millions de tonnes. Mais la demande n’est pas non plus au beau fixe. Avec lescraintes sur l’avenir de l’espagnol Abengoa, au bord de la faillite, propriétaire d’une usine d’étha-nol en France, et les incertitudes concernant l’impact de la grippe aviaire sur les élevages de volaille.

Alors plantons du blé. Et tou-jours plus. D’autant que la dou-ceur hivernale dope la pousse.« Les surfaces plantées en blé ten-dre pour la récolte 2016 sont en hausse de 1,3 %. Il faut remonter à 1934 pour retrouver des surfaces comparables », affirme Mme Le La-mer. Du grain à moudre en pers-pective, pour les exportateurs. p

laurence girard

C’ est reparti. Après des mois dediscrétion, les critiques alleman-des envers la Banque centrale

européenne (BCE) se font de nouveau en-tendre. Et elles sont dures. En particulier celles émanant de Jens Weidmann, le pa-tron de la puissante banque centrale alle-mande, la Bundesbank (« Buba »).

Jeudi 10 décembre, à Lisbonne, il a tiré à boulets rouges sur les rachats de dette pu-blique (« quantitative easing », ou QE) me-nés par l’institut monétaire. « Nous n’agis-sons pas avec notre boîte à outils d’instruments conventionnels, mais avec un instrument que je considère comme plus problématique dans une union monétaire », a-t-il dit. « La BCE brouille les lignes entre la politique budgétaire et la politique moné-taire. » Pour M. Weidmann, l’effet pervers du QE est redoutable : en faisant baisser les taux d’intérêt auxquels les Etats emprun-tent, il décourage ces derniers de faire des efforts pour maîtriser leurs dépenses publi-ques. Pour appuyer ses propos, il a d’ailleursappelé le Portugal à poursuivre l’« assainis-sement budgétaire » et la « politique sala-riale modérée » indispensables, selon lui, pour assurer le redémarrage du pays.

A l’offensive

M. Weidmann n’est pas le seul à s’être « lâ-ché », cette semaine. Mardi 8 décembre, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, a lui aussi sévèrement blâmé la BCE lors d’une réunion bruxelloise. Il lui a reproché de mélanger les genres entre ses deux missions, la politique monétaire et la surveillance bancaire, qu’elle est censée me-ner de façon totalement déconnectée.

Les critiques allemandes contre l’institut de Francfort ne sont pas nouvelles. Elles avaient culminé avant que Mario Draghi, son président, ne convainque la majorité duconseil des gouverneurs de lancer le QE, en

janvier 2015. Dès lors, elles s’étaient mises en sourdine. Du moins, publiquement. Car si la « Buba » a rongé son frein pendant quelques mois, elle s’est toujours montrée réticente aux rachats de dettes, les jugeant trop risqués. N’y tenant plus, elle est repas-sée à l’offensive ces dernières semaines.

Selon plusieurs sources citées par Reuters,ce serait à cause des résistances allemandes, mais aussi de plusieurs autres gouverneurs que Mario Draghi aurait revu ses ambitions un peu à la baisse lors de la dernière réu-nion de l’institution, le 3 décembre. Alors qu’il avait laissé entendre qu’il frapperait fort, il a déçu les marchés en n’augmentant pas le volume de rachats mensuels de dette publique (60 milliards d’euros). Selon Reu-ters, une partie du conseil n’aurait pas ap-précié que l’Italien multiplie les promesses à demi voilées avant la réunion, dans le but de les mettre au pied du mur.

Une stratégie qui avait pourtant fonc-tionné en janvier : à force de parler du QE comme d’une mesure indispensable, il avait fini par rendre son adoption inévita-ble. Au grand dam de Berlin. Mais cette fois, la « Buba » et ses alliés auraient mis le holà, selon Reuters. Faut-il s’en inquiéter ? Oui, si l’on juge que l’économie de la zone euro a besoin de plus de soutien monétaire. Non, si l’on estime au contraire que la croissance est repartie, et que le QE est de toute façon inefficace contre l’inflation faible. Les oppo-sitions n’ont pas fini de s’exprimer à la table du conseil de la BCE. p

marie charrel

3,73

4,33

13 JUILLET 2015 14 DÉCEMBRE 2015

DégringoladeCOURS DU MAÏS, EN DOLLAR LE BOISSEAU, À CHICAGO

— 25 %

TAUX & CHANGES

BCE, le retour des critiques allemandes

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Page 38: pdf Le Monde + Eco&Rntreprise du dimanche 13 et lundi 14 novembre 2015

6 | argent & placements DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015

0123

VILLES EN MUE

Metz : la nouvelle vie de l’hôpital Bon-Secours

C onstruit pendant l’occupation prus-sienne, l’hôpital Notre-Dame-de-Bon-Secours, situé au sud de la gare

de Metz, se prépare à une nouvelle vie. Danshuit ans, un nouveau quartier et ses 400 lo-gements remplaceront cet établissement érigé en 1880. Tout commence en 2012, lors-que la municipalité acquiert les près de 2 hectares de foncier par le biais de l’Etablis-sement public foncier de Lorraine et son montage financier de 12,5 millions d’euros. « Il a fallu près d’un an pour réaliser les opéra-tions de dépollution », confie Richard Lioger, premier adjoint au maire PS de Metz, Domi-nique Gros, chargé de l’urbanisme. Six moisde concertation avec les comités de quartieret la population ont suivi avant que la ville ne sélectionne le projet des Ateliers Lion.

Ce cabinet d’urbanisme a prévu d’ouvrirl’îlot en créant une large diagonale qui va du lycée Georges-de-La-Tour au lycée Louis-Vincent. « L’idée est de relier les deux places avec une promenade urbaine pié-tonne », précise Richard Lioger.

L’immeuble historique de l’hôpital, situédans le coin nord-est de la parcelle, est le seul à être conservé. Il devrait être réhabi-lité, pour accueillir – notamment – un équipement public lié au parascolaire. Les autres pavillons de l’établissement seront

détruits et remplacés par de nouvellesconstructions : 400 logements sont pré-vus, dont la moitié en accession libre, 100 en accession aidée et 100 appartements dans une résidence senior au cœur de l’îlot.

Prix élevé

La démolition des bâtiments va commen-cer début 2016 et devrait durer un an. Le chantier commencera à la mi-2017 par lapartie située face à l’église Sainte-Thérèse et les habitations sont censées être livréesentre début 2019 et 2023.

Le prix de vente moyen devrait être élevé.Avec les coûts d’acquisition et de dépollu-tion, la mairie a vendu plus cher ce terrain au consortium de promoteurs que dans la zone d’aménagement concerté de l’Amphi-théâtre tout proche. D’ici à 2025, le secteur aura totalement changé de physionomie : « Le projet de reconversion de l’ancien hôpitals’accompagne d’une opération de requalifi-cation autour de Bon-Secours », ajoute M. Lioger. A terme, la mairie prévoit de créerune nouvelle place piétonne, de revoir les sens de circulation et de rénover la voirie et les équipements publics pour créer de tou-tes pièces un quartier d’habitation à dix mi-nutes à pied de la gare et de l’hypercentre. p

marie pellefigue

Projet de reconversion du quartierBon-Secours, par Ateliers Lions et Iris Conseil. LION IRIS CONSEIL

Quand l’héritage vire au cadeau empoisonnéLes bénéficiaires d’une succession doivent être certains du contenu de celle-ci avant de l’accepter, sous peine de devoir éponger d’éventuelles dettes

En 2014, plus de 98 000 person-nes ont renoncé à une succes-sion. Soit 76 % de plusqu’en 2005 (55 769). Du fait de

l’allongement de la durée de vie, de l’aug-mentation des dépenses liées à la perte d’autonomie et de la stagnation des re-traites, les plus âgés s’endettent davan-tage : 8 % des personnes surendettées ont plus de 65 ans. Et comme, selon la loi,les héritiers sont solidaires des dettes du défunt, un nombre croissant d’ayants droit refusent d’hériter, de peur de de-voir éponger une éventuelle ardoise.

En pratique, à l’ouverture d’une succes-sion, le notaire commence par dresserl’inventaire des biens, avec les donnéesfournies par les proches, les déclarations d’impôts… Il interroge aussi les fichiers bancaires, le fisc, et liste les meubles, bi-joux, etc. En théorie, il doit rapidement vous donner un bilan de cette succes-sion, mais, dans les faits, quand l’inven-taire est compliqué, on ne connaît pastoujours son contenu exact.

Si, dans les quatre mois qui suiventl’ouverture de la succession, vous n’avezni accepté ni refusé d’hériter, un cohéri-tier ou un créancier peut vous sommerde choisir : vous aurez alors deux moispour répondre ou demander un délai autribunal de grande instance (TGI), fautede quoi vous serez considéré comme ac-ceptant.

L’acceptation dite « pure et simple »reste le cas le plus fréquent. « On peut ac-cepter un héritage officiellement, par acte notarié, ou tacitement, par exempleen signant la vente d’un logement inclusdans la succession, ou en donnant congéà un locataire », rappelle Pierre Cenac,notaire chez C&C Notaires. Prudence,donc si vous participez à la gestion de lasuccession : une fois cette dernière ac-

ceptée, vous ne pourrez plus revenir enarrière.

Si une dette importante survenait,vous pourriez seulement saisir le TGI dans un délai de cinq mois pour deman-der une décharge totale ou partielle. Laprocédure serait fastidieuse : « Il faudraitprouver que vous aviez des motifs légiti-mes d’ignorer la dette lors de l’accepta-tion, et que son acquittement entameraitgravement votre patrimoine », poursuitMe Cenac.

La baguette magique de « l’actif net »

Les dettes peuvent être des crédits – enFrance ou à l’étranger –, mais aussi des factures impayées, des dettes de jeu, des dettes fiscales ou sociales (certainesaides aux personnes âgées sont récupé-rables sur leur succession).

En cas de doute, et pour éviter les mau-vaises surprises, la solution consiste à pa-tienter encore un peu avant d’accepter. Siles contours de l’héritage restent flous, personne ne vous sommera de vous dé-

cider, puisque les autres héritiers auront aussi intérêt à attendre. Vous disposez dedix ans pour décider (après ce délai, vousserez considéré comme renonçant).

Autre possibilité ? Accepter l’héritage,mais seulement à hauteur « de l’actif net », c’est-à-dire de ce qui reste une fois les dettes déduites. Si cette baguette magi-que n’est pas systématiquement agitée, c’est que « la marche à suivre reste lourde »,explique Catherine Costa, directrice de l’ingénierie patrimoniale de Banque Pri-vée 1818. « Il faut faire une déclaration au greffe du TGI, puis y déposer l’inventaire dela succession et publier une annonce lé-gale. » D’éventuels créanciers peuvent, en-suite, se signaler pendant quinze mois, aucun actif n’étant attribué avant.

Bien entendu, si la succession s’afficheclairement dans le rouge, le plus simple reste de la refuser, en adressant le formu-laire Cerfa n° 14037*02 au greffe du TGI.

« Attention, si le défunt était votre père,mère, frère ou sœur, votre part revient en-suite automatiquement à vos “représen-tants”, c’est-à-dire à vos enfants, ou, à dé-faut, vos petits-enfants. Ces derniers doi-vent aussi compléter le formulaire », prévient Pierre Cenac. Si vos enfants sont mineurs, un juge des tutelles devra véri-fier qu’ils ne sont pas lésés. Ultimes préci-sions : renoncer à un héritage n’empêche pas de bénéficier d’un contrat d’assuran-ce-vie souscrit par le défunt. En revanche, cela implique l’abandon, souvent doulou-reux, de certains meubles de famille. N’es-sayez pas de les récupérer : leur dispari-tion serait remarquée, puisque tout est minutieusement listé lors de l’inventaire. Accusé de « recel successoral », vous seriez privé du droit de refuser la succession, et tenu de rendre les biens concernés. Une bien mauvaise opération. p

caroline racapé

CLIGNOTANT

IMMOBILIERUne décennie de flambée des prix en provinceLes prix de l’immobilier ne se sont pas seulement en-volés à Paris durant la décennie écoulée. En dehors de la capitale – où le mètre carré atteint 8 020 euros –, Bor-deaux, Lyon, Lille et Nice sont les villes où les tarifs ont le plus augmenté en dix ans, selon une étude publiée par les notaires de France, le 8 décembre. « De 2005 à 2015, six villes françaises de plus de 150 000 habitants ont vu les prix de leurs appartements dans l’ancien grim-per d’au moins 20 % », a indiqué Thierry Thomas, prési-dent de l’Institut notarial du droit immobilier, lors d’une conférence de presse. C’est à Bordeaux que l’im-mobilier ancien s’est le plus apprécié sur cette période, avec une hausse de 57 % du prix des appartements.

QUESTION À UN EXPERT

olivier rozenfeld, président de Fidroit

Pourquoi loger sa résidence principale

dans une société civile immobilière ?

Pour beaucoup de particuliers, la société civile immobilière (SCI) est considérée comme la panacée pour gérer son patrimoine immobilier. Certains vont même jusqu’à y loger leur seul bien : leur résidence principale. Une solution utile, par exemple, pour des parents qui sou-haitent réaliser des donations à leurs enfants, tout en conservant le pouvoir en leur qualité de gérant.Cela permet ainsi d’assurer l’équilibre entre la descendance. Chacun des enfants reçoit des parts de cette SCI, dont les valeurs évolueront de manière identique, tout en évitant l’indivision.Oui, mais à côté de ces considérations, sachez aussi que si la SCI « achète » la résidence principale vous ne pourrez plus prétendre au prêt à taux zéro ou aux formules d’épargne logement pour financer l’acquisition. Vous perdrez aussi l’abattement de 30 % qui s’applique sur la valeur de la résidence principale lors du calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).Et si d’aventure vous louez ce bien à la société (il arrive que celle-ci émette un bail au profit de ceux qui l’utilisent), au jour de sa vente, vous ne serez plus exonéré sur la plus-value.Enfin, le droit au logement au profit du conjoint survivant sera perdu, si vous bénéficiez d’une jouissance gracieuse du bien – ce qui est très souvent le cas – par la société civile. p

Renoncer au profit des enfants

Avec l’allongement de l’espérance de vie, nous héri-tons de plus en plus tard, lorsqu’on n’en a plus for-cément besoin. Il est alors possible de renoncer à la succession, pour laisser ses enfants hériter à sa place (la représentation est automatique). Fiscale-ment, ce saut de génération se révèle rentable : les petits-enfants se partagent l’abattement de 100 000 euros, dont les parents auraient bénéficié, puis profitent, chacun, de la progressivité du ba-rème. En sus, on évite aussi l’impôt qu’il aurait fallu payer pour transmettre une seconde fois les biens, à la succession suivante. « Soit près de 80 000 euros d’économies pour 700 000 euros passés directement d’un grand-parent à deux petits-enfants », illustre Catherine Costa, de Banque privée 1818.

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0123DIMANCHE 13 - LUNDI 14 DÉCEMBRE 2015 MÉDIAS&PIXELS | 7

Des services Web accusésde tolérerl’Etat islamiqueLa propagande djihadiste utilise les prestations des opérateurs américains CloudFlare et Archive.org

C’est une inquiétudecroissante des états-majors de la coali-tion occidentale en-

gagée contre l’organisation Etatislamique (EI). Tandis que les Etats-Unis, la France et le Royau-me-Uni frappent l’EI en Irak et en Syrie, le groupe djihadiste conti-nue de recruter des combattantsgrâce à sa propagande, complai-samment abritée par de grands hébergeurs de contenus du Web américains.

Le chantier de la contre-propa-gande sur Internet est considérécomme prioritaire par les militai-res, mais il se heurte à la protec-tion – légitime – des libertés civi-les sur le Net. En France, où desmesures réglementaires ont étéprises pour bloquer des contenus ou supprimer des comptes, Twit-ter, Facebook et Google coopè-rent ponctuellement avec les ser-vices de justice et de police anti-terroristes.

Le 3 décembre, le premier minis-tre, Manuel Valls, et le ministre del’intérieur, Bernard Cazeneuve,ont réuni les réseaux sociaux et les grands opérateurs américains(Microsoft et Apple) pour tirer les leçons des attentats de Paris. Maisau-delà de leur plus ou moinsbonne volonté, les entreprises ba-sées aux Etats-Unis n’ont pas deraison de se plier aux injonctions françaises.

Deux fournisseurs de servicesseraient particulièrement passifs, CloudFlare et Internet Archive(Archive.org). Le premier est une entreprise créée en 2009 et situéeà San Fransisco. Ce service de dif-fusion de contenus (CDN) est uti-lisé par plus de 2 millions de sites Internet. Il est employé par les dji-hadistes pour éviter les attaques en déni de service (DDoS), uneprestation sur laquelle CloudFlarea bâti sa réputation. Ce type d’at-taques informatiques, relative-ment simples et peu coûteuses à mettre en œuvre, consiste à satu-rer un site avec un grand nombre de connexions automatiques, jus-

qu’à le rendre inaccessible pourses utilisateurs. L’entreprise vend aujourd’hui ses services – dont une version simplifiée est dispo-nible gratuitement – à de nom-breuses entreprises, dont le fo-rum Reddit, Cisco ou encore le sitede l’Eurovision.

Selon des informations obte-nues par Le Monde, 24 sites de pro-pagande radicale identifiés, pourcertains bloqués en France outemporairement inaccessibles,utilisent actuellement CloudFlareet ses options de protection, con-tre les DDoS notamment. Figu-rent pêle-mêle dans cette liste lessites Takvahaber.net, Tawhed.ws, Shahamat-arabic.com, Mnbr. info, Khilafah.com. Ou encore Is-darat.xyz, qui diffuse en français le magazine Dar Al-Islam, Muwa-hidmedia.cf, un site en langue in-donésienne, et Alfurq4n.org en langue arabe.

Attaques par déni de service

Le site Isdarat permet l’accès à descontenus de propagande franco-phone nombreux, diffusés par les« bureaux médias » des différen-tes régions contrôlées par l’Etat is-lamique en Syrie et en Irak no-tamment. C’est « le centre média-tique d’Al-Hayat » qui présenteainsi chaque nouvelle parution deDar Al-Islam.

En mai 2015, un groupe d’acti-vistes se réclamant du collectifinformel Anonymous avait lancéune campagne en ligne contreCloudFlare. Baptisé GhostSec, cegroupe, qui revendique des atta-

ques contre des sites et descomptes sur les réseaux sociauxliés à Daech, dénonçait alors unecinquantaine de sites djihadistesbénéficiant des services de Clou-dFlare. Or, les attaques par dénide service constituent l’un des modes d’action privilégiésd’Anonymous, avec le « doxing »– la publication d’informationspersonnelles.

L’entreprise s’est à plusieurs re-prises défendue de toucher del’argent des groupes terroristes,invoquant la gratuité de ses pres-tations. « Nous nous sommes tour-nés vers les autorités pour passer en revue les différents sites en question et on ne nous a jamais de-mandé de les supprimer de notre réseau », avait, en outre, précisé auMirror le PDG de CloudFlare, Mat-thew Prince, qui suggérait quecertains pouvaient être utilisés comme des pièges par les servicesde sécurité eux-mêmes.

Contactée par Le Monde ven-dredi 11 décembre, la société af-firme « appliquer toutes les de-mandes des tribunaux et des forcesde l’ordre américaines ».

Privés de la possibilité d’atta-ques par déni de service, desmembres se revendiquant d’Ano-nymous avaient lancé, après les attentats du 13 novembre, descampagnes en ligne contre dessites et des comptes liés à Daech.Les Anonymous avaient notam-ment publié des listes de comp-tes Twitter ou Facebook présen-tés comme ceux de militants pro-Daech, avec un impact li-mité. Certaines des listes étaienten effet anciennes, d’autres com-portaient de nombreuses erreurset listaient des comptes qui

n’étaient aucunement liés au dji-hadisme.

L’autre service, Archive.org,basé à San Fransisco, est utilisé massivement par Daech pour dif-fuser ses documents vidéo, ainsique ses magazines Dabiq (en an-glais) et Dar Al-Islam (en fran-çais). Créé en 1996, Archive.orgest un gigantesque projet gérépar une association à but non lu-cratif, qui projette de sauvegarderl’intégralité des contenus duWeb. Le site héberge des millionsde livres, fichiers son ou vidéo, etplusieurs centaines de milliardsde copies de pages Web. Il dispose

du statut de bibliothèque auxEtats-Unis.

Simple d’utilisation, très acces-sible, il est depuis longtemps em-ployé par de nombreux groupes djihadistes qui profitent d’un sys-tème de modération peu strict. Lesite héberge des centaines de vi-déos de propagande de Daech, ra-rement supprimées – ou après unlong délai –, malgré l’existence d’un outil de signalement. On trouve ainsi sur Archive.org desclips intitulés « L’ambiance du Aïd el-Fitr dans la ville de Raqqah », le fief de l’EI bombardé par la Franceen Syrie, ou « Un an depuis le dé-

Le chantier

de la contre-

propagande

sur Internet

est considéré

comme

prioritaire par

les militaires

but des frappes aériennes ».Le site était utilisé par les mili-

tants djihadistes bien avant l’émergence de Daech. Au débutdes années 2010, des spécialistes américains avaient déjà noté l’uti-lisation croissante de ce service par Al-Qaida pour diffuser ses vi-déos d’Oussama Ben Laden etd’Ayman Al-Zawahiri. Mais là oùAl-Qaida ne diffusait que rare-ment des messages vidéo de ses dirigeants, Daech publie un très grand nombre de vidéos chaquesemaine. p

nathalie guibert

et damien leloup

moins de 10 millions d’euros, a affirmé une porte-parole du groupe, alors que des pertes quatre fois plus importantes avaient été évoquées par le Fi-nancial Times. La perte d’un contrat avec Procter and Gam-ble représente 50 millions d’euros annuels, soit 0,7 % du revenu du groupe. – (AFP.)

ENCHÈRES

Un manuscritde Flaubert venduà 470 000 eurosUn manuscrit de L’Education sentimentale, de Gustave Flaubert, a été attribué à 470 000 euros, lors de la pre-mière vente aux enchères de la bibliothèque de l’homme d’affaires Pierre Bergé (ac-tionnaire à titre individuel du Monde), vendredi 11. Organi-sée chez Drouot, à Paris, cel-le-ci a rapporté 1,68 million d’euros. Cette vente était la première des six prévues d’ici à 2017. L’argent sera versé à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent.

40 MILLIONSC’est le nombre d’internautes américains dont les données Facebook

auraient été collectées, à leur insu, par Cambridge Analytica, une société

sise en Grande-Bretagne, et son entreprise mère, Strategic Communica-

tions Laboratories, travaillant pour le compte de Ted Cruz, l’un des can-

didats à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine. Le

nom, le sexe, la ville, les mentions « j’aime » auraient été récupérés à des

fins de marketing électoral, selon le quotidien The Guardian.

MÉDIAS

Pierre Siankowskiprend les rênesdes « Inrockuptibles »Le journaliste Pierre Sian-kowski va remplacer Frédéric Bonnaud comme directeur des Inrockuptibles à partir de janvier, a annoncé, vendredi 11 décembre, la société éditrice du magazine culturel, Les Nouvelles Editions indépen-dantes. Pierre Siankowski, 39 ans, fait son retour aux In-rocks, où il avait été rédacteur en chef après une saison pas-sée au « Grand Journal » de Ca-

nal+. Frédéric Bonnaud, spé-cialiste cinéma du journal, est nommé à la tête de la Ciné-mathèque française. – (AFP.)

PUBLICITÉ

Publicis relativisedes pertes de contrats aux Etats-UnisLe groupe publicitaire a relati-visé, vendredi 11 décembre, ses pertes récentes de con-trats, notamment auprès de L’Oréal et Procter and Gamble. Le contrat perdu auprès de L’Oréal aux Etats-Unis repré-sente un manque à gagner de

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