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PENSER LA « VIE D'ÂME » Dominique Bourdin P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2010/5 - Vol. 74 pages 1717 à 1722 ISSN 0035-2942 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2010-5-page-1717.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bourdin Dominique, « Penser la « vie d'âme » », Revue française de psychanalyse, 2010/5 Vol. 74, p. 1717-1722. DOI : 10.3917/rfp.745.1717 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 194.214.27.178 - 17/06/2013 04h46. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 194.214.27.178 - 17/06/2013 04h46. © P.U.F.

Penser la « vie d'âme »

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PENSER LA « VIE D'ÂME » Dominique Bourdin P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2010/5 - Vol. 74pages 1717 à 1722

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2010-5-page-1717.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bourdin Dominique, « Penser la « vie d'âme » »,

Revue française de psychanalyse, 2010/5 Vol. 74, p. 1717-1722. DOI : 10.3917/rfp.745.1717

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x – Perspectives philosophiques

Penser la « vie d’âme »

Dominique bourDin

Penser le psychisme en termes de « vie de l’âme », comme l’a proposé Françoise Coblence dans son rapport au congrès d’Athènes, c’est adopter un point de vue qui recentre et renouvelle la parole de la psychanalyse sur elle‑même. Ce renouveau est nécessaire et fécond tant pour la conscience des enjeux de notre pratique que pour comprendre et affirmer notre place de psy‑chanalystes dans la société et la culture.

L’ÂME ET LA « VIE D’ÂME »

L’étude de Françoise Coblence sur Seele répond à un besoin devenu aigu depuis la traduction de Seele par « âme » par l’équipe de Jean Laplanche dans les Œuvres complètes de Freud. En effet, cette traduction gêne nos habitudes de lecture pour de bonnes et de mauvaises raisons à la fois. Le souci de littéralité n’est pas à lui seul une justification suffisante et suscite trop souvent dans cette traduction des néologismes qui rendent le sens d’un terme aux dépens de l’esprit du texte freudien et de sa reprise de termes courants de la langue allemande.

L’extension du terme allemand Seele est plus large que celui d’âme en français, qui n’a pas connu la même reprise littéraire que celle qu’a appor‑tée le romantisme allemand. De ce fait, le terme d’âme est immédiatement compris en français dans son acception religieuse ou spiritualiste, telle que la théologie chrétienne l’a diffusée, d’autant que le cartésianisme a relayé cette interprétation avec une relative confusion entre conscience de soi et âme ; ces conceptions sont ancrées dans un certain héritage platonicien insistant sur la distinction entre âme et corps. Il était donc très gênant de laisser les connota‑tions françaises habituelles peser sur notre compréhension du texte de Freud.

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Les réflexions de Françoise Coblence permettent un dégagement des connotations spiritualistes et religieuses au profit d’une conception intégrée du psychisme. De ce point de vue, la remise en évidence du terme de Seele, traduit par âme, répond à une exigence interne de la pensée psychanalytique. On peut même se demander si le recours de la psychanalyse anglo‑saxonne au terme de Self et les différentes conceptions du « soi » ne venaient pas compenser, non sans flou et confusions, une interprétation trop abstraite de la conception freudienne de la vie psychique dans nos lectures antérieures. Les enjeux sont désormais clarifiés, à la condition toutefois de ne pas perdre de vue l’histoire de la notion d’âme et les ambiguïtés de son emploi.

Très convaincante, la prise de position de F. Coblence permet d’accueillir la traduction de Seele par âme en la dégageant à la fois de l’affirmation reli‑gieuse ou platonicienne (son éventuelle immortalité), de son allégeance impli‑cite à la conscience ou à un au‑delà spirituel (et non sexuel) de la conscience, et surtout de son opposition directe au corps sexué. En même temps, il ne faut pas nous cacher que la traduction par le terme d’âme est une audacieuse affirmation de la place critique de la psychanalyse dans notre héritage culturel, car c’est prétendre occuper une place jusque‑là gardée par le spiritualisme. Réinterpréter la notion d’âme, c’est inévitablement choisir de confronter la psychanalyse aux héritages anthropologiques religieux, philosophiques et poé‑tiques, en sortant de l’évitement positiviste de cette notion.

Le sens plus restreint d’« esprit » par rapport à « âme » et la prise en compte de l’héritage d’Aristote sont à noter. Sur ce dernier point, nous ne pou‑vons apprécier à sa juste force la position prise par le rapport de F. Coblence sans une relecture précise des textes aristotéliciens. En effet, pour Aristote, l’idée d’âme est ce qui caractérise tout vivant, de l’âme végétative de la plante, jusqu’à ses formes les plus purement intellectuelles, en passant par ce qui met en mouvement et en action la vie animale. Il s’agit donc bien d’une émergence des divers niveaux de la vie d’âme à partir des potentialités de l’être vivant du corporel s’organisant en pulsionnel et accédant aussi à la conscience du monde externe et de soi‑même. En choisissant de se situer comme une écoute de la vie d’âme, la psychanalyse se pose entre les deux pôles du corps et de la culture. Mais comprendre ainsi la notion d’âme est sans doute en écart théorique avec ce qui est sous‑jacent au choix de traduc‑tion de l’équipe de Jean Laplanche, dont on sait la dénonciation du « four‑voiement biologique » de Freud et la volonté d’écarter de la psychanalyse tout ancrage dans le biologique, sans égard pour les leçons de la psychoso‑matique. Si le sexuel n’est qu’« implanté » par les messages énigmatiques de la séduction première et l’impuissance de l’infans à les symboliser d’emblée, alors le terme d’âme traduisant Seele risque de garder sa charge spiritualiste,

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dissociant le monde du rêve de celui des corps, réduisant la symbolisation à des formes originaires de langage, dans un dualisme irréductible entre la matérialité du corps (objet d’une connaissance scientifique physico‑ chimique) et la spiritualité de l’âme, objet éventuel de la psychanalyse ; celle‑ci serait ainsi débarrassée d’une part de son exigence épistémologique, articuler le corps pulsionnel qu’elle met en évidence avec la pensée d’autres disciplines s’occupant de l’étude des corps. Ce bénéfice apparent se paie d’une position philosophique idéaliste qui ne dit pas son nom et qui, quoi qu’on en dise, réduit le psychanalytique à une forme d’étude du relationnel le plus fondateur, d’un « primat de l’autre » qui résonne volontiers en harmonie avec diverses formes de philosophie contemporaine, phénoménologique ou non, qui partagent ce même idéalisme.

L’HÉRITAGE GREC ET LA PSYCHAnALYSE COnTEMPORAInE

L’héritage grec réévalué par Françoise Coblence (ne pas dissocier le Phédon, qui porte sur l’âme et la vérité, du Phèdre, c’est‑à‑dire des questions du désir, de l’amour et du langage) et sa reprise de l’histoire de Psyché (pas de psyché sans Éros) contribuent à poser un juste rapport entre philosophie et psychanalyse, à l’intérieur d’un texte qui reste résolument psychanalytique et établit l’émergence des formes d’expression, de jugement et d’altérité à partir de leur ancrage dans le corps pulsionnel. La notion d’émergence, fragmentaire, hésitante, entravée, est essentielle. Il faut noter l’importance donnée à la sensorialité et à la rythmicité, à la façon dont la mère devient mère (l’entité mère‑enfant est matrice de la pulsion), et l’insistance sur le caractère inassignable de l’origine. Le traitement de l’émergence de psyché à partir de la détresse initiale et des expériences de satisfaction et de douleur est très classiquement freudien.

Psyché chez Platon, Apulée et Rodin. La reprise esthétique moderne importe à l’intelligibilité psychanalytique. L’esthétique est précisément le lieu du plus spirituel incarné dans le plus sensible. L’œuvre se donne dans une matérialité, et le message n’est pas dissociable de son support ni de l’activité de l’artiste.

La réflexion sur l’expression et celle sur l’ancrage corporel du jugement sont des points fondamentaux du rapport de Françoise Coblence. La pensée comme digestion chez Bion, la question de l’acte (et pas seulement de l’agir), le symbole et le corps représenté, l’appui sur le concept psychanalytique de

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travail, la délégation corporelle du représentant psychique de la pulsion, l’art et l’altérité dans l’étrangeté du corps, l’idée d’une multiplicité d’âmes sont autant de voies très suggestives.

MOnISME ET DUALISME

Ce n’est pas un hasard si les discussions du congrès ont dû reprendre le débat sur les conceptions monistes ou dualistes de l’homme, qui recoupent la question du « combat de Géants » (Platon) entre idéalisme philosophique – la genèse de l’esprit est distincte de celle du corps, il est donc deux principes différents de l’être – et matérialisme philosophique – toute la réalité, y com‑pris celle de la pensée, provient de l’émergence et des transformations de la matière et donc des développements des potentialités du corps avec des seuils d’émergence, comme ceux de la vie et de la conscience.

On sait la ferme position de Freud sur ce point : il ne transige jamais avec l’idée d’un monisme de l’être, c’est‑à‑dire un matérialisme philosophique, selon une certaine tendance positiviste que la réalité même du travail psycha‑nalytique l’oblige sans cesse à nuancer ou à repenser. En même temps, sur fond de cette unité de l’être, il pose toujours un dualisme pulsionnel, des for‑ces contradictoires qui animent la réalité psychique : pulsions sexuelles versus pulsions d’autoconservation dans la première théorie des pulsions, pulsions de vie ou Éros versus pulsion de mort après 1920.

Si nous suivons Freud dans cette voie, il reste nécessaire de reprendre et de reformuler ces thèses, et il n’est pas surprenant que le débat d’un congrès posant la question de ce qui se passe « entre » psyché et soma nous y ait rame‑nés. En effet, affirmer l’indissociabilité entre corps et psyché, quelle que soit la complexité de leurs interrelations, c’est se heurter constamment, explici‑tement ou implicitement, à la prégnance des conceptions idéalistes, religieu‑ses ou non, qui ont forgé notre culture et continuent à la hanter. La thèse de Merleau‑Ponty « je suis mon corps », ancrée sur la conscience des mémoires du corps et sur une phénoménologie de l’expression et de l’esthétique est loin d’être spontanément et communément partagée. Ni la conversion hystérique ni les « mouvements de vie et de mort » étudiés en psychosomatique ne suffi‑sent forcément à modifier une « vision du monde », une Weltanschauung qui a été tétée depuis toujours avec le lait de la culture ambiante.

D’autre part, il est nécessaire de se dissocier de ceux qui se réclament d’un matérialisme philosophico‑scientifique, mais pour réduire la psyché

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à l’observation du cerveau. Le monisme réductionniste, pour qui le rêve est exclusivement un ensemble de faits et de connexions neuronales, est plus étranger à la psychanalyse que ne l’est le monde des poètes ou des mysti‑ques. Mais la méfiance envers tout réductionnisme et envers l’arrogance posi‑tiviste qui ne voit pas sa propre pauvreté parce que n’existe pour elle que ce qu’elle étudie (parfois fort bien), ne devrait pas nous mener (à la manière par exemple de Jean Laplanche) vers un idéalisme défensif qui risque de perdre l’apport essentiel de la théorie pulsionnelle et de l’énergétisme freudien. C’est le sexuel lui‑même qui risquerait de s’y perdre, dénaturant largement la force et les potentialités de la sexualité infantile.

La psychanalyse doit donc se penser elle‑même en fonction de ses propres réquisits, en se méfiant des influences qui l’imprègnent – ou qu’elle combat sans le recul et le discernement que donne la conscience des héritages culturels, scientifiques, mais aussi philosophiques et religieux parmi lesquels elle s’ins‑crit. Freud en avait déjà une conscience très claire, et sa méfiance personnelle envers les visions du monde et la philosophie ne l’a pas empêché de travailler sans cesse à revoir sa conception de la vérité comme les enjeux théoriques – y compris anthropologiques – de ce que la psychanalyse lui donnait à penser. Tel est aussi l’un des sens de sa référence à Empédocle, dans sa reprise de l’héri‑tage grec, à propos de l’opposition entre philia et neïkos, de la lutte éternelle et radicale entre vie et mort, entre amour et combat destructeur – ces notations viennent peut‑être compléter et nuancer les références à l’idéaliste Platon que comporte la reprise des pulsions de vie sous le patronyme d’Éros, et indiquer à quel niveau de réflexion sur l’être nous devrons finalement comprendre la reprise en psychanalyse de la tragédie et des mythes grecs, et notamment les figures d’Œdipe et de Narcisse.

VIE D’ÂME ET MEURTRE D’ÂME

Car l’analyse des composantes de la vie d’âme rend attentif aux condi‑tions de son émergence et de sa structuration. C’est une nécessité clinique que de travailler à une juste appréhension du « lieu de l’être » sur lequel inter‑vient la psychanalyse. Quand Schreber rend compte du « meurtre d’âme » qu’il a subi, il est déjà au cœur des questions qui sont devenues celles de la clinique contemporaine.

Lorsque l’analyste peut travailler en première topique, selon l’ordre des représentations et du principe de plaisir, dans les jeux du refoulement,

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du travail du rêve et des fantasmes, les conceptions fondamentales de l’être que nous avons évoquées peuvent paraître hors du champ clinique direct de la psychanalyse. Mais lorsque les représentations sont en difficulté, que leur absence ou leur efflorescence envahit la relation analytique, que l’excitation difficilement régulable est agie ou passe dans des décompensations du corps, une juste appréhension du statut de l’énergétique freudienne et des conditions d’intrication du dualisme pulsionnel devient essentielle.

Dans les avatars de la vie et de la cure de Marilyn Monroe, dans ce que nous percevons de la vie d’Édith Piaf au travers du film La môme, dans l’uni‑vers étouffant où l’espoir est paradoxalement dans la mutilation que nous découvrons dans la famille enfermante décrite par le film Canine, comme chez nombre de nos patients, la notion de meurtre d’âme prend une réalité tangible. Même et surtout du fait que, à bien des égards, les sursauts de vitalité y sont plus stupéfiants que dans des vies moins éprouvées. Lorsque dans une très longue séance la patiente de Winnicott décrite au chapitre VI de Jeu et réa‑lité finit par se sentir exister, nous percevons combien la psychanalyse prend alors une dimension ontologique : elle a affaire à l’être, et pas seulement aux représentations.

Si nous voulons poursuivre notre tâche au‑delà des échecs et désillusions du travail psychanalytique (Green, 2010), avec une petite chance de supporter des transferts paradoxaux et de nous laisser instruire, au travers des avatars de notre contre‑transfert, par des patients en mal d’être, il nous faut prendre la psychanalyse à la racine, et interroger ce qui permet l’humanisation, ce qui prélude à la vie fantasmatique (Fain) dans le meilleur des cas et y fait obstacle dans d’autres. La question des fondements de la conception psychanalytique de la vie d’âme n’est pas cliniquement facultative. Elle peut en outre nous permettre un dialogue plus clair, non défensif, avec d’autres disciplines que la nôtre.

Dominique Bourdin 3, rue des Lyonnais

75005 Paris

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