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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 111-3 © 2006 SPLF, tous droits réservés Doi : 10.1019/20064008 111 Éditorial Perfusion pulmonaire, espace mort physiologique et hypertension artérielle pulmonaire à l’exercice : la course au recrutement A.T. Dinh-Xuan L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est définie, selon l’organisation mondiale de la santé, par l’existence d’une pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) supérieure à 25 mmHg au repos [1, 2]. L’HTAP peut également être affir- mée par la mise en évidence d’une élévation de la PAPm au- delà des 30 mmHg à l’exercice, reflétant ainsi la perte des capa- cités adaptatrices de la circulation pulmonaire en réponse à l’augmentation du débit vasculaire pulmonaire dans des condi- tions expérimentales [3] ou faisant suite à l’augmentation du débit cardiaque lors d’un effort musculaire. Si l’existence d’une HTAP au repos est un risque connu de survenue d’une HTAP d’exercice, même pour des efforts d’intensité modérée, voire minime, l’absence d’HTAP au repos ne garantit pas pour autant l’absence de tout risque d’élévation brutale de la PAPm pendant un effort musculaire, définissant ainsi l’HTAP d’exer- cice. Trop souvent méconnue, car rarement documentée, cette forme d’HTAP mérite pourtant notre attention, pour au moins deux raisons. La première est d’ordre sémiologique car il a été suggéré que l’HTAP d’exercice pourrait être à l’origine de bon nombre de cas de dyspnée d’effort apparemment inexpli- quée [4]. La deuxième raison, liée à la physiopathologie, sup- pose la possibilité de survenue ultérieure d’une HTAP permanente chez des personnes ayant encore une PAPm nor- male au repos mais présentant déjà une HTAP d’exercice [5]. Pourtant, les mécanismes expliquant l’élévation de la PAPm à l’exercice n’ont été que rarement explorés. C’est pour cela qu’il convient de saluer le travail de Chenivesse et coll. [6], portant sur l’exploration fonctionnelle d’exercice métabolique (EFX) dans la détection de l’HTAP d’exercice, publié dans ce numéro. Ces auteurs ont effectué une échocardiographie dop- pler pour estimer la PAP systolique (PAPs), des explorations fonctionnelles respiratoires pour évaluer la fonction respira- toire [7] et une EFX pour étudier les adaptations ventilatoire et cardiovasculaire et les échanges gazeux [8] chez 41 patients consécutifs. Ils ont ainsi mis en évidence des anomalies nettes portant sur la variation de la proportion occupée par le volume de l’espace mort (V D ) par rapport au volume courant (V T ), représentée classiquement par le rapport V D /V T . Réception version princeps à la Revue : 16.02.2005. Acceptation définitive : 17.02.2005. Correspondance : A.T. Dinh-Xuan Service de Physiologie-Explorations Fonctionnelles, Hôpital Cochin, 27, rue du faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris Cedex 14. Assistance Publique, Hôpitaux de Paris, Hôpital Cochin, Service de Physiologie–Explorations Fonctionnelles, Université René Descartes – Paris 5, Faculté de Médecine, UPRES EA 2511, Paris, France. [email protected]

Perfusion pulmonaire, espace mort physiologique et hypertension artérielle pulmonaire à l’exercice : la course au recrutement

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Page 1: Perfusion pulmonaire, espace mort physiologique et hypertension artérielle pulmonaire à l’exercice : la course au recrutement

Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 111-3 © 2006 SPLF, tous droits réservésDoi : 10.1019/20064008

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Éditorial

Perfusion pulmonaire, espace mort physiologique et hypertension artérielle pulmonaire à l’exercice : la course au recrutement

A.T. Dinh-Xuan

L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est définie,selon l’organisation mondiale de la santé, par l’existence d’unepression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) supérieure à25 mmHg au repos [1, 2]. L’HTAP peut également être affir-mée par la mise en évidence d’une élévation de la PAPm au-delà des 30 mmHg à l’exercice, reflétant ainsi la perte des capa-cités adaptatrices de la circulation pulmonaire en réponse àl’augmentation du débit vasculaire pulmonaire dans des condi-tions expérimentales [3] ou faisant suite à l’augmentation dudébit cardiaque lors d’un effort musculaire. Si l’existence d’uneHTAP au repos est un risque connu de survenue d’une HTAPd’exercice, même pour des efforts d’intensité modérée, voireminime, l’absence d’HTAP au repos ne garantit pas pourautant l’absence de tout risque d’élévation brutale de la PAPmpendant un effort musculaire, définissant ainsi l’HTAP d’exer-cice. Trop souvent méconnue, car rarement documentée, cetteforme d’HTAP mérite pourtant notre attention, pour aumoins deux raisons. La première est d’ordre sémiologique car ila été suggéré que l’HTAP d’exercice pourrait être à l’origine debon nombre de cas de dyspnée d’effort apparemment inexpli-quée [4]. La deuxième raison, liée à la physiopathologie, sup-pose la possibilité de survenue ultérieure d’une HTAPpermanente chez des personnes ayant encore une PAPm nor-male au repos mais présentant déjà une HTAP d’exercice [5].Pourtant, les mécanismes expliquant l’élévation de la PAPm àl’exercice n’ont été que rarement explorés. C’est pour cela qu’ilconvient de saluer le travail de Chenivesse et coll. [6], portantsur l’exploration fonctionnelle d’exercice métabolique (EFX)dans la détection de l’HTAP d’exercice, publié dans cenuméro. Ces auteurs ont effectué une échocardiographie dop-pler pour estimer la PAP systolique (PAPs), des explorationsfonctionnelles respiratoires pour évaluer la fonction respira-toire [7] et une EFX pour étudier les adaptations ventilatoire etcardiovasculaire et les échanges gazeux [8] chez 41 patientsconsécutifs. Ils ont ainsi mis en évidence des anomalies nettesportant sur la variation de la proportion occupée par le volumede l’espace mort (VD) par rapport au volume courant (VT),représentée classiquement par le rapport VD/VT.

Réception version princeps à la Revue : 16.02.2005. Acceptation définitive : 17.02.2005.

Correspondance : A.T. Dinh-Xuan Service de Physiologie-Explorations Fonctionnelles, Hôpital Cochin, 27, rue du faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris Cedex 14.

Assistance Publique, Hôpitaux de Paris, Hôpital Cochin, Service de Physiologie–Explorations Fonctionnelles, Université René Descartes – Paris 5, Faculté de Médecine,UPRES EA 2511, Paris, France.

[email protected]

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A.T. Dinh-Xuan

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L’espace mort, qui correspond aux zones pulmonairesventilées mais non perfusées, doit normalement diminuer lorsde l’exercice suite au recrutement vasculaire et à l’augmentationrésultante de la perfusion alvéolaire. Dans cette étude, lesauteurs ont montré que le rapport VD/VT, bien qu’étant nor-mal au repos chez tous les patients, n’a que très peu diminuédans le groupe des patients sans HTAP au repos mais présen-tant une HTAP à l’exercice, et a même significativement aug-menté chez les patients porteurs d’une HTAP permanente (aurepos et à l’exercice). De plus, les auteurs ont montré qu’unrapport VD/VT supérieur à 0,34 permettrait de prédire la sur-venue d’une HTAP d’exercice avec une sensibilité et une spéci-ficité dépassant les 70 %. [6]. D’autres anomalies ayant étéégalement retrouvées dans cette étude, notamment celles por-tant sur le gradient en CO2 (P [a-ET] CO2), ont été déjà signa-lées par d’autres auteurs [9] et méritent une discussion plusapprofondie qui dépasse largement le cadre de cet éditorial.

L’absence de diminution de l’espace mort pourrait être lereflet d’un rapport ventilation-perfusion anormalement hautoù une diminution particulièrement importante de la perfu-sion pulmonaire rend à la fois compte de l’augmentation del’espace mort (qui, par définition, représente les zones pulmo-naires ventilées et non perfusées) et de l’augmentation du rap-port VA/ (par la diminution du dénominateur, ). Il estvraisemblable que la réduction de la perfusion pulmonaire soitla conséquence de l’augmentation du tonus vasculaire enréponse à l’hypoxie alvéolaire et/ou à l’augmentation des forcesde cisaillement appliquées à la surface des cellules endothélialesaccompagnant l’augmentation du débit sanguin pulmonaire àl’exercice [10-12]. Les processus biologiques expliquant lavasoconstriction pulmonaire hypoxique et/ou la réduction ducalibre des vaisseaux pulmonaires en réponse à une augmenta-tion de flux sanguin sont multiples [3, 10-12]. De plus, il estprobable qu’il n’existe pas une, mais plusieurs, anomalie(s)intriquée(s) dans la physiopathologie de l’HTAP d’exercice[13, 14]. L’intérêt de l’étude de Chenivesse et collaborateursest d’attirer notre attention sur le rapport VD/VT, dont l’aug-mentation (ou l’absence de réduction) pourrait être un mar-queur utile du risque de survenue de l’HTAP d’exercice [6].

Au-delà de cet aspect purement pragmatique, le méritedes auteurs est également de nous faire prendre conscience del’intérêt physiologique des mécanismes de régulation de lavasomotricité pulmonaire au cours de l’exercice. Nous avionspu observer, ces dix dernières années, l’explosion des connais-sances biologiques des voies de transduction cellulaires etmoléculaires et leurs implications dans la physiopathologie del’HTAP [15-18]. Il faut néanmoins constater que la plupartdes résultats acquis, l’ont été sur des modèles expérimentauxanimaux et cellulaires, dont la transposition aux situations cli-niques nécessite souvent de notre part un exercice d’extrapola-tion souvent difficile, sinon hasardeux.

Concernant l’exercice musculaire, la transposition de labiologie vers la physiologie, et finalement la clinique, estencore plus ardue car elle suppose la disponibilité d’un modèlebiologique particulièrement complexe et subtil où les varia-

tions de flux sanguin de la circulation pulmonaire se feraienten harmonie avec celles affectant le système respiratoire, abou-tissant aux perturbations des échanges gazeux entre ces deuxsystèmes et au déséquilibre du rapport ventilation/perfusionque l’on connaît. En attendant d’avoir de tels outils qui nouspermettraient de disséquer les mécanismes moléculaires del’HTAP d’exercice, saluons l’effort de Chenivesse et coll. etleur approche intégrée d’un problème, certes ancien, toujoursd’actualité car incomplètement résolu.

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6 Chenivesse C, Rachenne V, Fournier C, Leroy S, Nevière R,Le Tourneau T, Wallaert B : Intérêt de l’épreuve fonctionnelle d’exer-cice dans la détection de l’hypertension pulmonaire d’exercice. Rev MalRespir 2006 ; 23 : 141-8.

7 Chaouat A, Canuet M, Kraemer JP, Enache I, Ducoloné A, Kessler R,Weitzenblum E : Explorations fonctionnelles dans l’hypertensionartérielle pulmonaire. Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 991-7.

8 Deboeck G, Niset G, Lamotte M, Vachiery JL, Naeije R : Exercisetesting in pulmonary arterial hypertension and in chronic heart fail-ure. Eur Respir J 2004 ; 23 : 747-51.

9 Yasunobu Y, Oudiz RJ, Sun XG, Hansen JE, Wasserman K : End-tidal PCO2 abnormality and exercise limitation in patients with pri-mary pulmonary hypertension. Chest 2005 ; 127 : 1637-46.

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12 Arnal JF, Dinh-Xuan AT, Pueyo M, Darblade B, Rami J : Endothe-lium-derived nitric oxide and vascular physiology and pathology. CellMol Life Sci 1999 ; 55 : 1078-87.

13 Christensen CC, Ryg MS, Edvardsen A, Skjønsberg OH : Relation-ship between exercise desaturation and pulmonary haemodynamics inCOPD patients. Eur Respir J 2004 ; 24 : 580-6.

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Perfusion pulmonaire, espace mort physiologique et hypertension artérielle pulmonaire à l’exercice : la course au recrutement

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