Personnage Roman 20eme

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    Le roman au XXe sicle :

    Dernires nouvelles du personnagePar Alain Cresciucci, Universit de Rouen

    Pass huit heures du soir, les hros de roman ne courent pas les rues dans le quartier desInvalides. Muguet ntait encore quun adolescent mdiocre lorsquil tourna langle delavenue de Sgur. Antoine Blondin

    la grande forme de la prose o lauteur, travers des ego exprimentaux (personnages),

    examine jusquau bout quelques thmes de lexistence 1 Milan Kundera

    Introduction

    Le roman est un monde ambigu. Dans Les Faux monnayeurs, Gide fait dire Edouard quil est

    lawless (sans loi). Son rapport au rel abolit les distances. Cest pour cela quon tente de lui

    assigner quelques rgles : le roman est une fiction ; il implique diverses instances : lauteur, le

    narrateur, le personnage... Retenons que le roman est un genre part. Il a une (des) manire(s)particulire(s) de nous parler : cest--dire de nous parler du rel et de nous Milan Kundera prfre

    le mot existence : Le roman nexamine par la ralit mais lexistence (Lart du roman,

    propos de Dostoevski). Et le personnage (les personnages) qui le porte(nt) est (sont) une (des)

    figure(s) anthropomorphe(s) laquelle (auxquelles) il est impossible de ne pas nous identifier.

    Lidentification est un des ressorts de la lecture par quoi le monde romanesque se construit par

    rapport au monde de rfrence le monde dans lequel vit le lecteur. Pour le lecteur moyen le

    personnage est le truchement par lequel il accde au monde romanesque envisag dailleurs comme

    reflet du monde rel. Pour le lecteur savant, pour qui lidentification est insuffisante, le personnage

    peut devenir un patient quil sagit doprer au nom de la science plus quau nom de la maladie.

    Jessaierai de men garder.

    On pourrait rsumer trois grands impratifs la construction du personnage traditionnel: 1) un

    maximum dinformations sur son physique, sur son statut social, sur son comportement (y compris ounon un portrait psychologique) ; 2) il est important de connatre son pass, source des motivations du

    prsent dun personnage ; 3) le personnage doit donner limpression quil agit par lui-mme le

    narrateur et lauteur doivent donc seffacerpour favoriser lillusion de ralit.

    Dans le roman contemporain, le personnage a t fortement remis en question par rapport cette

    conception canonique impose par le modle raliste quon se plat dire balzacien. Cest la

    consquence de la crise de la fiction post naturaliste. Cette crise de la fiction qu'on pourrait appeler

    trop simplement crise du (grand) Ralisme est une crise gnrale de la reprsentation romanesque et

    une crise du sujet... Avec le Ralisme le roman a pris pour thme l'individu dans sa contingence et sa

    singularit. En multipliant les histoires toujours fondes sur le mme schma, on en arrive installer le

    roman dans la rptition d'une aventure conventionnelle dont l'habilet est le seul principe. Or, lart se

    lasse de rpter.

    Il faut aussi voquer dautres crises, et peut-tre plus fondamentales :- les rvolutions du savoir aussi bien scientifiques que philosophiques. On pourrait dire que la

    thorie de la relativit comme la psychanalyse, la critique de la psychologie par Nietzsche, le

    marxisme, la linguistique, lessor des sciences humaines en gnral, nous ont fait entrer dans une

    nouvelle re pistm foucaldienne : phnomnes de rapport entre les sciences ou entre les

    diffrents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que jappelle pistm

    dune poque et que le modle classique du personnage ne pouvait quen tre branl.

    - les grandes crises de lHistoire du XXe sicleguerres dun nouveau genre, rvolutions...

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    1Lart du roman, Folio, p. 175.

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    Dans les limites de cet expos je me bornerai 3 points :

    1)

    La rvision du personnage classique : relecture, contestation : Proust, Mauriac, Sartre, Cline.

    Par o commencer ? Proust apporte dj une grande volution par rapport au Ralisme : le fait que le

    narrateur est le personnage principal de luvre ce je qui deux reprises (et par omission sera

    dsign par le prnom Marcel). Le personnage proustien est la fois un regard (sur le monde) et une

    conscience rflexive sur lui-mme. Il est donc toujours en construction, en formation, jusqu la fin o

    il dcouvre les diffrentes vrits du monde et des tres et o il se persuade que La vraie vie, la vie

    enfin dcouverte et claircie, la seule vie par consquent rellement vcue, cest la littrature.

    Dcouverte capitale :

    ( )Notre vie ; et aussi la vie des autres car le style pour l'crivain aussi bien que la

    couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la

    rvlation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la diffrence

    qualitative qu'il y a dans la faon dont nous apparat le monde, diffrence qui, s'il n'y

    avait pas l'art, resterait le secret ternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir

    de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le mme que le ntre et

    dont les paysages nous seraient rests aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la

    lune. (Le temps retrouv).

    Voici donc une profession de foi dcisive : le personnage (indirectement) ne peut tre quune

    (re)cration par lart. Inutile de nous poser la question de la rfrence puisque quon ne peut se

    comprendre et comprendre les autres que par la mdiation de lart. Ce qui nous fait comprendre au

    passage que les personnages proustien sont souvent strictement linguistiques ils sont dfinis par un

    style, un accent, un langage (Franoise, Norpois, Bloch, Charlus) mais aussi picturaux ils

    ressemblent des personnages de tableaux2. Ce qui nous fait comprendre aussi que tout comme le moi

    qui se constitue par ses expriences (douloureuses ou extatiques), les autres (les personnages) ne sont

    jamais donns dfinitivement mais voluent avec le regard du narrateur et cela mme quand il ne

    sagit pas du narrateur mais de Swann et de sa vision dOdette.

    Mme si Proust ne thorise jamais, mme sil admire les crivains du pass, il sloigne absolumentde la conception dun personnage univoque et apporte non pas une complexit Julien Sorel ou

    Emma Bovary sont dj si complexes que personne ne peut les enfermer dans une dfinition mais

    une instabilit.

    On pourrait voquer, la suite de Proust, la tentative de Gide pour renouveler le roman : Comment

    concilier le besoin de rcit sans sabsorber dans larbitraire le faux monde rel du roman raliste ?

    Une des premires tches est de rduire le personnage raliste, celui quil faut vtir qui il faut

    fixer [un] rang dans lchelle sociale (Journal des FM). Bref le personnage la Balzac. Pour cela :

    ne le mettre jamais au premier rang, carter les caractrisations longues et les descriptions. Tout doit

    se comprendre dans le jeu des relations entre les diffrents points de vue et par la coopration

    imaginative du lecteur. Dpouiller le roman de tous les lments qui nappartiennent pas

    spcifiquement au roman. () Mme la description des personnages ne me parat point appartenir

    proprement au genre. (FM, 79). Gide a-t-il russi ? En tout cas, il en arrive une remise en questiontotale du personnage : plus de concurrence ltat-civil puisque le personnage est inconnaissable

    ou au moins imprvisible ; le romancier se contente de le suivre dans laventure romanesque qui se

    dveloppe. DansLe journal des FM Gide crit:

    Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai

    romancier les coute et les regarde agir.

    A quoi rpond dans le roman cette rflexion dEdouard :

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    2- On pourrait ajouter quils existent parfois musicalement ; ainsi la liaison amoureuse Swann/ Odette est-elleassocie la sonate de Vinteuil.

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    Il se dit que les romanciers, par la description trop exactes de leurs personnages,

    gnent plutt limagination quils ne la servent et quils devraient laisser chaque lecteur

    se reprsenter chacun de ceux-ci comme il lui plat. (78)

    Mme sil y a quelque artifice laisser croire que le romancier ne contrle en rien ses personnages,

    il ouvre la rflexion sur lide de la libert du personnage non dfini a prioriet finalement retrouvant

    cette indcision qui caractrise le monde de rfrence qui nest pas, comme dirait Camus, cet universo laction trouve sa forme, o les mots de la fin sont prononcs, les tres livrs aux tres, o toute vie

    prend le visage du destin.

    On considre souvent la critique de Sartre adresse Mauriac dans la NRFen 1939 ( propos deLa

    fin de la nuit) comme un moment dcisif de la critique du personnage classique :

    Il est temps de le dire : le romancier n'est point dieu. Rappelez-vous plutt les

    prcautions que prend Conrad pour nous suggrer que Lord Jim est peut-tre un

    romanesque . Il se garde bien de l'affirmer lui-mme; il place le mot dans la bouche

    d'une de ses cratures, d'un tre faillible, qui le prononce en hsitant. Ce terme si clair de

    romanesque y gagne du relief, du pathtique, je ne sais quel mystre. Avec M.

    Mauriac, rien de tel : dsespre prudente n'est pas une hypothse, c'est une clart qui

    nous vient d'en haut. L'auteur, impatient de nous faire saisir le caractre de son hrone,

    nous en livre soudain la cl. Mais, prcisment, je soutiens qu'il n'a pas le droit de porter

    ces jugements absolus. Un roman est une action raconte de diffrents points de vue.

    A travers cette critique dun romancier consacr, Sartre expose dune part une conception du roman

    (qui na rien de nouveau) et cherche, jeune auteur de La Nauseet duMur(nouvelles souvent thse

    techniquement peu novatrices), prendre position dans le champ. On peut bien sr noter que saffirme

    le refus du personnage donn au profit du personnage construit par le(s) point(s) de vue (modalis

    pourrait-on dire) et, implicitement, la confiance qui doit tre faite au lecteur co-crateur du roman (ce

    qui est dj chez Proust). En fait le seul apport de Sartre (qui na fait que reprendre Cline, Dos Pasos

    et mme le vieux naturalisme dans Les chemins de la libert) est linvention du personnage

    philosophique (je ne dis pas philosophe) que lon retrouver chez le Camus de Ltranger. Le

    personnage est lillustration dune position philosophique

    phnomnologie existentielle, absurde

    ,il nest plus, bien sr, un sujet psychologique on le savait dj puisquil se trouve jet dans le

    monde, confront sa libert et sa contingence. Il est de trop . Mais il est vident que Cline nous

    en avait dj persuad avec ce Bardamu (qui navait jamais rien dit dont le nom est lui-mme un

    mystre, avec ce Robinson un nom qui ne lui appartient mme pas qui change de physique (nez

    rond/ nez long) et ce monde qui semble sannuler mesure quon le parcourt, avant de sanantir dans

    limage du fleuve qui file vers la mer et quon nen parle plus .

    Revenons Mauriac, lauteur de Thrse Desqueyroux a propos dans Le romancier et ses

    personnages, un renversement intressant du personnage classique :

    On ne pense pas assez que le roman qui serre la ralit du plus prs possible est dj

    tout de mme menteur par cela seulement que les hros s'expliquent et se racontent. Car

    dans les vies les plus tourmentes, les paroles comptent peu. Le drame d'un tre vivant sepoursuit presque toujours et se dnoue dans le silence. L'essentiel, dans la vie, n'est

    jamais exprim. Dans la vie, Tristan et Yseult parlent du temps qu'il fait, de la dame qu'ils

    ont rencontre le matin, et Yseult s'inquite de savoir si Tristan trouve le caf assez fort.

    ()

    Et cependant, grce tout ce trucage, de grandes vrits partielles ont t atteintes. Ces

    personnages fictifs et irrels nous aident nous mieux connatre et prendre conscience

    de nous-mmes. Ce ne sont pas les hros de roman qui doivent servilement tre comme

    dans la vie, ce sont, au contraire, les tres vivants qui doivent peu peu se conformer aux

    leons que dgagent les analyses des grands romanciers.

    Le romancier emprunte aux tre rels des lments quil va ensuite laborer dans ses fictions. Il

    runit les lments pars dans une exprience de laboratoire qui ensuite nous instruira. Le personnageest fictionnel, construit avec soin, saisissable cest vrai quil a lair priv de libert. Mauriac inverse

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    lui aussi le projet balzacien de concurrence ltat civil : le personnage est une crature arbitraire dans

    un monde lui aussi imaginaire. Et en ce sens, il y a une modernit de Mauriac qui affirme

    (implicitement) que ses personnages sont des cratures de papier.

    2) Le personnage et le NR

    Dans un article de 1957, repris dans Pour un nouveau roman, Robbe-Grillet sen prenait

    quelques notions primes : en premier le personnage (du roman raliste), en second

    lhistoire :

    Nous en a-t-on assez parl du personnage ! Et a ne semble, hlas, pas prs de

    finir. Cinquante annes de maladie, le constat de son dcs enregistr maintes reprises

    par les plus srieux essayistes, rien n'a encore russi le faire tomber du pidestal o

    l'avait plac le XIXe sicle. C'est une momie prsent, mais qui trne toujours avec la

    mme majest quoique postiche au milieu des valeurs que rvre la critique

    traditionnelle. C'est mme l qu'elle reconnat le vrai romancier : il cre des

    personnages ...

    Et pour appuyer sa conviction que le personnage tait sinon mort, mourant ou, en tout cas devait tre

    achev, il en appelait au grands modernes : Sartre et sa Nause, Camus et sonEtranger, affirmant que

    personne ne se souvenait du nom du narrateur ! Il leur associait Cline le Voyage au bout de la

    nuit, dcrit-il un personnage ? , Kafka et Beckett.

    Un peu avant, Nathalie Sarraute avait lanc son offensive (dans un texte repris dans Lre du

    soupon) :

    , les personnages, tels que les concevait le vieux roman (et tout le vieil appareil qui

    servait autrefois les mettre en valeur), ne parviennent plus contenir la ralit

    psychologique actuelle. Au lieu, comme autrefois, de la rvler, ils l'escamotent.

    Aussi, par une volution analogue celle de la peinture bien qu'infiniment plus timide

    et plus lente, coupe de longs arrts et de reculs l'lment psychologique, comme

    l'lment pictural, se libre insensiblement de l'objet avec lequel il faisait corps. Il tend

    se suffire lui-mme et se passer le plus possible de support. C'est sur lui que tout

    l'effort de recherche du romancier se concentre, et sur lui que doit porter tout l'effort

    d'attention du lecteur.

    Mais les choses sont-elles aussi simples ?

    Nathalie Sarraute dansMartereau(1953) donne ironiquement la vedette un faux hros (anti hros)

    qui encombre lesprit du narrateur. Lon Delmont, hros de La Modification(1957) de Michel Butor,

    garde toutes les caractristiques du personnage classique (il possde un tat civil) la modernit

    rsidant plutt dans le renversement du drame bourgeois (le mari/ la femme/ la matresse) la fois

    dans la dconstruction du strotype et par lastucieux procd du vous qui implique le lecteur et

    voque le monologue intrieur. Chez Robbe-Grillet, le Wallas desGommes, (1953) et le Mathias du

    Voyeur(1955) sont encore, minimalistes, des personnages Moins le narrateur deLa Jalousierduit

    un regard (parfois une oreille ), et la figure de son pouse, dsigne par linitiale A. DansLa Route

    des Flandres(1960) de Claude Simon, lidentit du hros, Georges, se dissout au fil du texte au profit

    des impressions qui enrichissent sa conscience. On a l la version faulknrienne (et par certains cts

    proustienne) du NR, manifeste dans lutilisation du monologue intrieur, du flux de conscience, du

    stream of consciousness que lon retrouve aussi chez Sarraute. Ceci suffit montrer que le NR na

    rien dun mouvement uniforme. Au point dailleurs quon se demande qui en fait partie. Marguerite

    Duras, par exemple ? Il y a toujours des personnages chez elle mais dont le statut volue, du

    classicisme de ses premiers romans (Les impudents, La vie tranquille rejets par lauteur) la

    stylisation nigmatique. Anne-Marie Stretter, Lol V. Stein, personnages au destin romanesque, sil en

    est. Mais, dAnne Desbardes (dont le nom semble sorti de Mauriac) Lol. V. Stein, Jean-Marc deH, le vice-consul de Lahore, ou Emily L., le personnage se creuse : nigme du nom, de son absence

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    qui trahit un manque : manque tre qui appelle la folie du ct du personnage, impossibilit de dire

    du ct du narrateur, connaissance impossible du ct du lecteur.

    Dans tous les cas et chez tous, la mise en question du personnage saccompagne dune remise en

    cause de cet auxiliaire indispensable de la tradition romanesque : le narrateur. Sa parole nest plus

    assure, on ne se demande plus qui parle ? , on se contente de a parle . Et certains vont plus

    loin encore comme pour confirmer lassertion de Ricardou que le roman nest plus lcriture dune

    aventure [laventure cest toujours laventure de quelquun] mais laventure dune criture.

    Ainsi, Claude Simon, dans Les corps conducteurs (1971) ou Triptyque (1973) flirtera avec le

    textualisme quon pourrait dfinir comme lengendrement du texte par lui-mme : le monde (hommes

    et choses) nest plus que matire dnombrement et description par loutil linguistique. Cet

    extrmisme du NR a t port, autour de 68, par la revue Tel Quelet les uvres du Sollers deNombres

    (1968),Lois(1972) ouH(1973). Devenu illisible au sens strict du terme, sappuyant sue une criture

    srielle qui ne donne plus comme le disait Barthes que des mouvements syntaxiques, des bribes

    dintelligibilit, des touches de langage, ce genre de roman a dfinitivement rompu avec le

    personnage mais aussi avec lintrigue, mais aussi avec le public et finalement avec ses auteurs,

    puisquau dbut des annes 80, Sollers passera tout autre chose avec son Femmes( la fois roman

    autobiographique et chronique dune certaine intelligentzia, et mme rcit clefs).

    Note : ce nest pas un hasard si ces contestations ont eu un impact sur lhistoire littraire savante etnon sur le lectorat grand public. Lattention porte aux exprimentations du NR, la connivence mme

    entre auteurs et analystes, a t le fait dunejeunecritique universitaire qui en ces temps se passionnait

    pour le formalisme critique, russe/ sovitique (et dEurope de lEst en gnral). Tomachevski niait la

    ncessit du personnage dans le rcit : Le hros nest gure ncessaire la fable. La fable comme

    systme de motifs peut entirement se passer du hros et de ses traits caractristiques.

    ( Thmatique ). Propp, lui en donnait une conception fonctionnelle.

    Mme si les structuralistes revinrent sur cet extrmisme, le personnage fut dpouill de son prestige

    traditionnel :

    Barthes dans insistait pour ne pas dfinir le personnage en termes dessences psychologiques.

    Claude Brmond, dans un article Le message narratif relisait Propp pour dfinir un systme

    sappliquant tout message narratif. La reprise de Propp par Greimas est sans doute la plus connue,

    en tout cas dans sa vulgarisation scolaire, qui a fait tant de mal aux tudes littraires. Les personnagessont devenus des actants dfinis par ce quils font et non ce quils sont, articuls sur trois grands

    axes : la communication, le dsir et lpreuve. Ce qui aboutissait une classification selon trois

    couples : Sujet/ Objet, Donateur/ Destinataire, Adjuvant/ Opposant.

    Heureusement que Barthes puis Hamon ont remis un peu de chair et dme dans ce monde critique

    squelettique. LirePotique du rcit(Points-Seuil).

    Pour voquer un dernier (qui nest peut-tre pas le dernier) avatar du personnage, cest la

    question du brouillage gnrique qui marque le dernier quart de sicle que je vais mintresser.

    3) Le roman et lautobiographique

    La critique du roman ou sa remise en question (je ne parle pas de Valry ou des surralistes) a pris

    avant le NR par des formes diverses : renoncement: c'est le cas de certains romanciers vedettes comme Malraux (qui se tourne vers

    l'essai) ou vers une forme d'autobiographie (Antimmoires, 1967), Sartre qui n'achve pas pour de

    multiples raisons le cycle Les Chemins de la libert3, comme Jouhandeau (qui abandonne le roman

    pour l'autobiographie) ce que ne fera pas compltement Julien Green qui poursuivra une carrire de

    romancier double de celle de diariste et d'autobiographe (Chaque homme dans sa nuit, 1960, est un

    roman/Partir avant le jour, 1963, un texte autobiographique). Et mme Mauriac dont les critiques de

    Sartre propos de sa conception du personnage ont frein, dit-on, la carrire de romancier.

    recherche d'une voie nouvelle o l'attnuation de la fiction passe par le rapprochement avec la

    (auto)biographie. Bien symbolis par deux uvres, toutes deux de 1932 :Jean-le-Bleude Giono (texte

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    3- Dans Situations X, Sartre en 1975, parlera du projet d'une nouvelle qui aurait d tre une fiction qui n'en soitpas une . L'expression est retenir.

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    semi fictionnel mais sans doute plus du ct de l'autobiographie) et Voyage au bout de la nuit, lui plus

    proche du roman. C'est d'ailleurs Cline qui, tout au long de son uvre romanesque (en particulier

    dans ses romans daprs guerre), conduira la dmarche la plus cratrice de cette crise de la fiction, en-

    dehors de la rupture finalement assez peu fconde du NR.

    Cest cette direction qui nous intresse, parce quelle a t accentu dans la priode daprs le NR

    1) Roman vs autobiographie

    Lopposition roman/ autobiographie est capitale mais difficile bien tablir. Capitale parce quentre

    les deux passe, selon Lejeune, une frontire gnrique. Cette distinction ne va pas de soi pour tout le

    monde. Mais si lon suit Lejeune, lautobiographie est :

    [un] Rcit rtrospectif en prose qu'une personne relle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met

    l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalit.

    Le roman peut remplir toutes ses conditions sauf l'identit A/ N/ P. On parle, lorsque la ligne de

    partage est mince de roman autobiographique qui se justifie d'une impression que se forme le lecteur,

    savoir une ressemblance entre l'histoire raconte et ce qu'il croit savoir de la vie de l'auteur.

    Ainsi, on entend peu dire queLa Jalousie de Robbe-Grillet ouLa Modificationde Butor soient des

    romans autobiographiques. Pourquoi? Ou La Semaine sainte d'Aragon ou Les Poneys sauvages de

    Don4. Que penser d'un roman comme celui de Camus, La Chute? Est-il plus autobiographique que

    La Peste? Comment savoir c'est d'ailleurs la question que pose le livre si La Route des Flandresde Claude Simon ou Un Singe en hiverd'Antoine Blondin sont des romans autobiographiques?

    Ph. Lejeune s'en tire par une pirouette :

    ... j'appellerai ainsi [roman autobiographique] tous les textes de fiction dans lesquels le lecteur peut

    avoir des raisons de souponner, partir de ressemblances qu'il croit deviner, , qu'il y a identit de

    l'auteur et dupersonnage, alors que l'auteur, lui, a choisi de nier cette identit, ou du moins de ne pas

    l'affirmer.. Ainsi dfini, le roman autobiographique aussi bien des rcits personnels (identit du

    narrateur et du personnage) que des rcits "impersonnels" (personnages dsigns la troisime

    personne); il se dfinit au niveau de son contenu. A la diffrence de l'autobiographie, il comporte des

    degrs. La "ressemblance" suppose par le lecteur peut aller d'un "air de famille" flou entre le

    personnage et l'auteur, jusqu' la quasi-transparence qui fait dire que c'est lui "tout crach".

    Mais les chose ses gtent quand le pacte devient contradictoire , quand il y a jeu entre refus de

    lidentification auteur/ narrateur/ personnage et identification. Voir aujourdhui les confessionsdguises dune Christine Angot o les efforts dune Annie Ernaux, pour, partir de La place,

    renoncer au genre romanesque (ce qui ne lempche pas dtre perue comme une romancire).

    Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte dune vie soumise la

    ncessit, je nai pas le droit de prendre le parti de lart, ni de chercher faire quelque chose de

    passionnant , ou d mouvant . Je rassemblerai les paroles, les gestes, les gots de mon pre, les

    faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs dune existence que jai aussi partage.

    Aucune posie du souvenir, pas de drision jubilante. Lcriture plate me vient naturellement,

    celle-l mme que jutilisais en crivant autrefois mes parents pour leur dire les nouvelles

    essentielles. (La place)

    Le roman se caractrise, selon elle, par une criture de la drision ; Annie Ernaux prtend refuser

    lart (sduction du personnage, de lidentification, des actions mises en scne de faon dramatique),elle se pose comme une sorte dethnologue ou de sociologue, pour observer son propre pass familial

    ce qui se veut autre chose quune posture dautobiographe ou de biographe, galement.

    Les mots autobiographique et autobiographie , qui paraisse si vidents ont fini par brouiller la

    distinction gnrique. Quelle criture n'est pas une criture du moids lors que son auteur le prtend ?

    C'est un peu la position de Georges Gusdorf (Les Ecritures du moi) qui s'oppose compltement la

    position de Lejeune de catgoriser l'autobiographie et l'autobiographique. L'criture du moi, selon lui

    n'a rien de gnrique et de rhtorique, elle a plutt voir avec l'ontologie. Elle peut, la limite, tre

    tendue toute la littrature.

    6

    4- Voici un rsum succinct de la situation initiale du roman : le narrateur (alter ego de l'auteur : il se prnomme

    Michel, il habite sur l'le de Spetsai en Grce et vit de sa plume) nous prsente l'itinraire de quatre de ses amistout en voquant le sien.

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    Que penser de cet aveu de Robbe-Grillet dansLe Miroir qui revient(1984) texte plus ou moins

    autobiographie ("Nouvelle Autobiographie") :

    Je n'ai jamais parl d'autre chose que de moi. Comme c'tait de l'intrieur, on ne s'en est gure

    aperu. Heureusement. Car je viens l, en deux lignes, de prononcer trois termes suspects, honteux,

    dplorables, sur lesquels j'ai largement concouru jeter le discrdit et qui suffiront, demain encore,

    me faire condamner par plusieurs de mes pairs et la plupart de mes descendants: "moi", "intrieur",

    "parler de". (10)

    Rgine Robin note propos de Kafka, mais cela vaut pour beaucoup d'autres :

    Ainsi, le "biographique" n'est-il pas assignable, insituable; il est partout et nulle part,

    perptuellement mis en abyme dans l'uvre, dans sa structure rptitive, obsessive et partout rinscrit

    dans le fragment du Journal, la bribe de la rflexion isole ou dans la correspondance.

    Les auteurs ne craignent pas de le confesser lorsquils se dprennent la fois d'un intgrisme

    formaliste et du mythe d'une cration pure (ou qui se veut telle) comme chez Balzac ou mme Flaubert

    qui disait que l'auteur ne devait pas tre plus visible dans son uvre que Dieu dans la nature. Patrick

    Modiano :

    Il y a toujours une part autobiographique dans un roman, mais il faut la transposer, essayer de

    retrouver l'essentiel des tres et des choses travers leur apparence quotidienne, structurer ce qui dans

    la vie est dsordre. Si on ne se livre pas ce travail de filtrage, de stylisation, on risque de donner uneimpression de dbraill, de document vcu, de dballage, qui est le contraire de la littrature.

    2) Autofiction

    Au plus simple : le roman est fiction, lautobiographie est non fiction. Dun ct nous avons un

    personnage, de lautre une personne les deux tant traduits en mots. Or, depuis une trentaine

    dannes ( peu prs), lattention se porte sur des textes qui saffirment indcidables gnriquement.

    Il ne faut pas limiter au dernier quart du sicle l'apparition d'uvres indcidables gnriquement,

    mais il est vrai que l'attention a t plus vive avec la reformulation de la crise du sujet post

    structuraliste et post NR... c'est dire avec le retour de la problmatique rfrentielle et en particulier

    de l'implication de l'auteur dans son uvre. Le Cline de la trilogie allemande (Dun chteau lautre,

    Nord, Rigodon), livres tenus leur sortie par lauteur comme par lditeur et par la critique pour

    des romans, est-il un personnage de roman ou le docteur Destouches, dit Cline, retraant sesaventures dans lAllemagne en pleine dbcle ?

    Cest la fin des annes 70 quapparat le terme d'autofiction, cr par un professeur, critique et

    romancierSerge Doubrovskyen 4eme de couverture de son roman,Fils(1977).

    Dfinition:

    Fiction d'vnements et de faits strictement rels, si l'on veut, autofiction d'avoir confi le langage

    d'une aventure l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman traditionnel ou

    nouveau.

    Passons sur la coquetterie d'expression et retenons la proposition d'un nouveau pacte ni romanesque

    ni autobiographique, contradictoire donc puisqu' la fois fictionnel et auto rfrentiel. Manire de

    dfinir un projet quil croyait indit qui ne ltait pas car sans remonter bien loin, Antoine Blondin,

    sept ans auparavant avait crit une autofiction avec sonMonsieur Jadis Et, avant lui, Jean Genet, en

    1947, avec sonJournal du voleur et Cline aussi avec sa trilogie .Dans les annes 80, Doubrovsky a admis que sa notion pouvait dcrire un des territoires nouveaux

    et privilgis du romanesque contemporain (Autobiographiques, 1988, p.7).

    Je ninsisterai pas sur les dveloppements et controverses que la critique universitaire a nourri

    partir de la pseudo-dcouverte de cet illustre collgue, je signalerai seulement, parce quelle vient bien

    dans mon propos, la dfinition, revue et corrige de lautofiction (assez loigne de Doubrovsky, quil

    juge tre une forme particulire dautobiographie) de Vincent Colonna (L'autofiction. Essai sur la

    fictionnalisation de soi en littrature, 1989) :

    la fictionnalisation de soi consiste sinventer des aventures que lon sattribuera, donner son

    nom dcrivain un personnage introduit dans des situations imaginaires. En outre, pour que cette

    fictionnalisation soit totale, il faut que lcrivain ne donne pas cette invention une valeur figurale ou

    7Acadmie de Rouen,

    Confrence de Monsieur Alain Cresciucci sur le Roman au XXe sicle

    Mars 2008

  • 7/24/2019 Personnage Roman 20eme

    8/8

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    mtaphorique, quil nencourage pas une lecture rfrentielle qui dchiffrerait dans le texte des

    confidences indirectes.5

    Et encore la dfinition assez sceptique de Genette (Fiction et diction, 161) o il dfinit lautofiction

    comme un pacte contradictoire : Moi, auteur, je vais vous raconter une histoire dont je suis le

    hros mais qui ne mest jamais arriv.

    Si on veut compliquer un petit peu plus, on voquera le Barthes de la fin des sixties( et du dbut des

    seventies) qui imagine la prsence de lauteur dans le Texte mais dans le texte, dune certaine

    faon, je dsire lauteur (46)

    Barthes cherchera mettre en uvre cette prsence de lauteur dans le texte sous la forme de

    biographmes dissmins dans sonRoland Barthes par Roland Barthes(1975) autoportrait la

    3epersonne mais avec des photos personnelles commentes gnralement la 1

    e. Le tout tant prcd

    dun avertissement manuscrit : Tout ceci doit tre considr comme dit par un personnage de

    roman .

    On voit donc, que ces autofictions prsenteraient lavatar ultime du personnage romanesque :

    dabord triomphant (le Ralisme), puis dconstruit ou ni et, enfin, rduit se presque confondre avec

    son crateur le plus souvent dans ltalage de ses faiblesses, voire de ses turpitudes.

    Conclusion : la ncessit du personnage

    La mort du personnage serait la mort du roman car le roman dvoile le rel travers des situations et

    des personnages alors que lautofiction sintresse plutt au nombril de lauteur. Curieusement cette

    remise en cause du roman na pas t que le fait unique de lavant-garde. Selon Philippe Muray, le

    syndrome grand public en a t Bernard Pivot qui sacharnait faire avouer ses invits romanciers

    qu travers leurs personnages ils avaient parl deux et/ou que ce quil racontait tait vrai :

    Ce qui ltait beaucoup moins, en revanche, cest le lien quon pouvait entrevoir entre cette

    dmarche pivotesque et, vingt ans plus tt, sur un thtre plus restreint mais tout aussi fatal, les

    dtriorations du Nouveau Roman. Lun tait en ralit la consquence de lautre (et, dune certaine

    faon, lun avec lautre composent lhistoire post-littraire de la seconde moiti du XXe sicle en

    France). Les nouveaux romanciers des annes cinquante et soixante navaient trouv dnergie que

    pour imposer lide que lon ne pouvait plus croire aux histoires romanesques et aux personnages.Pivot, ds la fin des annes soixante-dix, ne vint que pour affirmer tour de bras que lon pouvait tout

    de mme croire encore, mais seulement cette pauvre chose : un auteur (accompagn de son

    criture). ( Pivot et son peuple )

    Mais le phnix renat sans cesse de ses cendres. Pour Kundera, lego exprimental (le personnage)

    nous permet de comprendre le va-et-vient entre ralit vcue et cration romanesque, donc

    imaginaire : le personnage (et le roman) tant une projection possible de soi dans le monde de la

    fiction. Aujourdhui, la question nest plus dune matrise totale des personnages ; le romancier sait

    bien que : De nos jours, faire le La Bruyre c'est pas commode. Tout l'inconscient se dbine

    devant vous ds qu'on s'approche. (Cline). Et son lecteur accepte davoir affaire des tres de

    papier et des cratures imaginairessauf les mules de Pivot6.

    Le besoin de rcit (le besoin de fiction) peut-il se soutenir dautre chose que du personnage (et de

    lhistoire) ? Non. Pour la simple raison que le personnage est, et ceci malgr tous ses avatars, leporteur des visions du monde marquant une socit ou une poque simplement on dirait de

    lHistoire. Son effacement (le risque/ les tentatives), dailleurs, nous en dit long sur lpoque (cest ce

    que suggre Muray). Et Kundera ne dit pas autre chose quand, il crit que si, un jour, le roman

    disparat ce ne sera pas cause de lpuisement du genre mais parce quil se trouve[ra] dans un

    monde qui nest [sera] plus le sien .

    8

    5 - Il est simplement dommage que lillustration par lexemple tombe compltement ct lorsquil voque,

    ddaigneusement, Monsieur Jadis dAntoine Blondin comme exemple dautofiction. En effet, la plupart desaventures ont t vcues par lauteur.6 - DansLart du roman, Kundera crit : "Le personnage nest pas une simulation dun tre vivant. Cest untre imaginaire.

    Acadmie de Rouen,Confrence de Monsieur Alain Cresciucci sur le Roman au XXe sicle

    Mars 2008