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Cahier du « Monde » N o 22038 daté Mardi 24 novembre 2015 - Ne peut être vendu séparément PIXELS CHEZ YAHOO!, L’HIVER DU MÉCONTENTEMENT POUR MARISSA MAYER LIRE PAGE 12 PORTRAIT HUBERT JOLY, LE REDRESSEUR FRANÇAIS DE BEST BUY LIRE PAGE 2 PERTES & PROFITS | PFIZER–ALLERGAN Les nouveaux loups du capitalisme L e géant pharmaceutique Pfizer va ab- sorber son concurrent Allergan pour 150 milliards de dollars (141 milliards d’euros). La plus grosse fusion de l’his- toire dans ce secteur. Pourquoi ? Pour faire des économies… et pour échapper à l’impôt. En s’arrangeant pour que le mariage prenne la forme d’un achat de l’américain par sa cible, le nouvel ensemble pourra, en effet, adopter la nationalité de cette dernière et donc installer son siège en Irlande. Gain espéré, une diminu- tion par deux du taux d’imposition, moins de 15 %, contre 35 % aux Etats-Unis. Des milliards d’économie à la clé. Joli coup. Mais est-ce bien moral tout cela ? Pas moins, en tout cas, que certains agissements quotidiens en France, qui consistent benoîte- ment à attendre l’huissier avant de payer son fournisseur. Selon le ministère de l’économie, les deux tiers des entreprises ne respecteraient pas la loi, qui impose de payer ses factures dans les deux mois. Une gestion très agressive de sa trésorerie, qui se fait au détriment des plus fra- giles, petites entreprises, particuliers, etc. Sans parler bien évidemment de l’arnaque du siècle, celle de Volkswagen avec ses logiciels truqueurs. Un sport international Contourner la loi, ou ne pas la respecter, est un sport international pratiqué depuis plusieurs siècles par les seigneurs du capitalisme. Ian Read, le patron de Pfizer, est le lointain succes- seur des fameux « robber barons », ces barons voleurs de la fin du XIX e siècle, prêts à tout pour agrandir leur empire, au mépris des règles de la morale individuelle et des lois collectives. La lutte entre le plus célèbre d’entre eux, John Roc- kefeller, patron tout-puissant de la compagnie pétrolière Standard Oil, et l’Etat américain fut sanglante et aboutit au démantèlement de son empire au nom de la concurrence. Largement atténuée durant les « trente glo- rieuses », la bagarre a repris de la vigueur avec l’avènement de la mondialisation et de la libé- ralisation de la finance au début des années 1990. Progressivement, nombre d’entreprises ont adopté les tactiques d’« optimisation » mi- ses au point par les financiers pour améliorer la rentabilité de leurs actifs : chasse aux coûts, gestion serrée de la trésorerie, fiscalité agres- sive. « Les barbares sont à la porte » (Bryan Bur- rough et John Helyar, non traduit) titrait en 1989 un célèbre livre, décrivant les métho- des de ces nouveaux loups du capitalisme. La barbarie s’est banalisée. Elle n’en est pas moins nocive. D’abord parce qu’elle fait nom- bre de victimes, ensuite parce qu’elle prive les Etats de ressources, enfin parce qu’elle sape la crédibilité de la loi. Que devient la valeur d’une obligation que plus personne ne respecte ? Les Etats organisent la riposte. L’Amérique frappe juridiquement hors de ses frontières, et les grands pays font désormais cause com- mune pour lutter contre l’évasion fiscale et ses paradis en tout genre. La survie du capitalisme se joue aussi sur le maintien d’une certaine éthique des affaires. p philippe escande J CAC 40 | 4 885 PTS – 0,51% j DOW JONES | 17 823 PTS + 0,51% J EURO-DOLLAR | 1,0633 J PÉTROLE | 43,84 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,83 % VALEURS AU 23/11 - 9 H 30 Budgets : un Eurogroupe sous le choc des attentats C’ est dans un Bruxelles tétanisé par le risque d’attentats terroristes que devait se tenir, lundi 23 no- vembre, une réunion des 19 mi- nistres des finances de la zone euro destinée à valider les avis sur les prévisions de budgets 2016 émis par la Commission européenne, le 18 novembre. L’exercice devait être simple, aucun budget, à part trois ou qua- tre, ne présentant de déviation sérieuse au regard du pacte de stabilité. Lundi 16 novembre, trois jours après les attentats pa- risiens, François Hollande avait affirmé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles : « Dans ces circonstances [les atta- ques parisiennes], je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. » Pas sûr pour autant que la France soit pointée du doigt. La gravité des événements parisiens a créé un choc. A terme, une ré- flexion plus large pourrait s’enga- ger sur les contours du pacte de stabilité. De fait, le traité a déjà pas mal évolué. En janvier, la Commission a décidé de traiter avec davantage de souplesse les pays lançant des réformes struc- turelles ambitieuses. Le 18 no- vembre, elle s’est engagée à faire du « cas-par-cas » pour les pays sur lesquels la crise migratoire a eu le plus d’incidence. p LIRE PAGE 3 7 LE DÉFICIT PUBLIC FRANÇAIS N’EST JAMAIS REPASSÉ AU-DESSOUS DES 3 % DEPUIS 2008, SOIT SEPT ANS OFFRES D’EMPLOI CHAQUE LUNDI PAGES 10 ET 11 Numericable et SFR sont sanctionnés chacun d’une amende de 375 000 euros. BALINT PORNECZI/BLOOMBERG VIA GETTY Bercy sonne la charge contre les mauvais payeurs SFR, Numericable et Airbus Helicop- ters paient les plus fortes amendes Seules un tiers des entreprises règlent leurs factures à temps La sanction maximale va être portée à 2 millions d’euros LIRE PAGE 5 Pfizer-Allergan, un mariage record Evaluée à plus de 150 milliards de dollars, l’opération permettra au laboratoire américain de payer moins d’impôts new york - correspondant P our certaines multinationales, tous les moyens semblent bons pour payer moins d’impôts. Le la- boratoire pharmaceutique américain Pfi- zer est ainsi sur le point de finaliser une fusion géante de 150 milliards de dollars (141 milliards d’euros) avec Allergan. L’opération, qui pourrait être annoncée lundi 23 novembre selon le Wall Street Journal, doit aboutir au transfert du siège social du nouvel ensemble en Irlande, où est déjà installé Allergan, afin de profiter d’un régime fiscal plus avantageux qu’aux Etats-Unis. Selon l’accord qui était en cours d’abou- tissement dimanche, la fusion prendrait la forme d’un rachat de Pfizer par Allergan par le biais d’un échange de 11,3 actions Pfizer contre un titre Allergan, auquel s’ajouterait le versement d’une somme en cash. La formule retenue a de quoi sur- prendre, dans la mesure où le groupe basé à New York est censé être le prédateur et celui domicilié à Dublin, la proie. Mais le schéma initial se heurte au durcissement de la réglementation américaine, qui vise à limiter le phénomène dit de l’« inver- sion ». Celui-ci consiste à racheter une en- treprise située dans un pays où la pres- sion fiscale est moindre qu’aux Etats-Unis pour y transférer son siège social, une fois l’opération bouclée. Inquiet de cette prati- que qui aboutit à un manque à gagner fis- cal de milliards de dollars pour le gouver- nement américain, celui-ci a annoncé le 19 novembre de nouvelles mesures. stéphane lauer LIRE LA SUITE PAGE 6 Début 2016, sortie en Grande-Bretagne et aux États-Unis 17-258 pages © Félicien Delorme

Pfizer-Allergan, un mariage record2015/11/24  · Pour le PDG, Hubert Joly, depuis trois ans, c’est un peu tout les jours « retour vers le fu-tur », car Best Buy revient de loin

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  • Cahier du « Monde » No 22038 daté Mardi 24 novembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

    PIXELSCHEZ YAHOO!,L’HIVER DU MÉCONTENTEMENTPOUR MARISSA MAYER→ LIRE PAGE 12

    PORTRAITHUBERT JOLY,LE REDRESSEUR FRANÇAISDE BEST BUY→ LIRE PAGE 2

    PERTES & PROFITS | PFIZER–ALLERGAN

    Les nouveaux loups du capitalisme

    Le géant pharmaceutique Pfizer va ab-sorber son concurrent Allergan pour150 milliards de dollars (141 milliardsd’euros). La plus grosse fusion de l’his-

    toire dans ce secteur. Pourquoi ? Pour faire des économies… et pour échapper à l’impôt. En s’arrangeant pour que le mariage prenne la forme d’un achat de l’américain par sa cible, le nouvel ensemble pourra, en effet, adopter la nationalité de cette dernière et donc installer son siège en Irlande. Gain espéré, une diminu-tion par deux du taux d’imposition, moins de 15 %, contre 35 % aux Etats-Unis. Des milliards d’économie à la clé.

    Joli coup. Mais est-ce bien moral tout cela ? Pasmoins, en tout cas, que certains agissements quotidiens en France, qui consistent benoîte-ment à attendre l’huissier avant de payer son fournisseur. Selon le ministère de l’économie, les deux tiers des entreprises ne respecteraient pas la loi, qui impose de payer ses factures dans les deux mois. Une gestion très agressive de sa trésorerie, qui se fait au détriment des plus fra-giles, petites entreprises, particuliers, etc. Sans parler bien évidemment de l’arnaque du siècle, celle de Volkswagen avec ses logiciels truqueurs.

    Un sport internationalContourner la loi, ou ne pas la respecter, est unsport international pratiqué depuis plusieurs siècles par les seigneurs du capitalisme. Ian Read, le patron de Pfizer, est le lointain succes-seur des fameux « robber barons », ces barons voleurs de la fin du XIXe siècle, prêts à tout pour

    agrandir leur empire, au mépris des règles de lamorale individuelle et des lois collectives. La lutte entre le plus célèbre d’entre eux, John Roc-kefeller, patron tout-puissant de la compagnie pétrolière Standard Oil, et l’Etat américain fut sanglante et aboutit au démantèlement de son empire au nom de la concurrence.

    Largement atténuée durant les « trente glo-rieuses », la bagarre a repris de la vigueur avecl’avènement de la mondialisation et de la libé-ralisation de la finance au début des années1990. Progressivement, nombre d’entreprisesont adopté les tactiques d’« optimisation » mi-ses au point par les financiers pour améliorer larentabilité de leurs actifs : chasse aux coûts,gestion serrée de la trésorerie, fiscalité agres-sive. « Les barbares sont à la porte » (Bryan Bur-rough et John Helyar, non traduit) titrait en 1989 un célèbre livre, décrivant les métho-des de ces nouveaux loups du capitalisme.

    La barbarie s’est banalisée. Elle n’en est pasmoins nocive. D’abord parce qu’elle fait nom-bre de victimes, ensuite parce qu’elle prive les Etats de ressources, enfin parce qu’elle sape la crédibilité de la loi. Que devient la valeur d’une obligation que plus personne ne respecte ?

    Les Etats organisent la riposte. L’Amériquefrappe juridiquement hors de ses frontières, etles grands pays font désormais cause com-mune pour lutter contre l’évasion fiscale et sesparadis en tout genre. La survie du capitalismese joue aussi sur le maintien d’une certaine éthique des affaires. p

    philippe escande

    J CAC 40 | 4 885 PTS – 0,51%j DOW JONES | 17 823 PTS + 0,51%J EURO-DOLLAR | 1,0633J PÉTROLE | 43,84 $ LE BARILj TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,83 %VALEURS AU 23/11 - 9 H 30

    Budgets : un Eurogroupesous le choc des attentats

    C’ est dans un Bruxellestétanisé par le risqued’attentats terroristesque devait se tenir, lundi 23 no-vembre, une réunion des 19 mi-nistres des finances de la zone euro destinée à valider les avissur les prévisions de budgets 2016 émis par la Commission européenne, le 18 novembre.

    L’exercice devait être simple,aucun budget, à part trois ou qua-tre, ne présentant de déviation sérieuse au regard du pacte de stabilité. Lundi 16 novembre, trois jours après les attentats pa-risiens, François Hollande avaitaffirmé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles : « Dans ces circonstances [les atta-ques parisiennes], je considèreque le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. »

    Pas sûr pour autant que laFrance soit pointée du doigt. La gravité des événements parisiens a créé un choc. A terme, une ré-flexion plus large pourrait s’enga-ger sur les contours du pacte de stabilité. De fait, le traité a déjà pas mal évolué. En janvier, la Commission a décidé de traiter avec davantage de souplesse les pays lançant des réformes struc-turelles ambitieuses. Le 18 no-vembre, elle s’est engagée à faire du « cas-par-cas » pour les payssur lesquels la crise migratoire a eu le plus d’incidence. p

    →LIRE PAGE 3

    7LE DÉFICIT PUBLIC FRANÇAIS

    N’EST JAMAIS REPASSÉ

    AU-DESSOUS DES 3 % DEPUIS 2008,

    SOIT SEPT ANS

    OFFRESD’EMPLOI

    CHAQUE LUNDI

    PAGES 10 ET 11

    Numericable et SFR sont sanctionnés chacun d’une amende de 375 000 euros.BALINT PORNECZI/BLOOMBERG VIA GETTY

    Bercy sonne la charge contre les mauvais payeurs

    ▶ SFR, Numericable et Airbus Helicop-ters paientles plus fortes amendes▶ Seules un tiers des entreprisesrèglent leursfactures à temps▶ La sanction maximale va être portée à 2 millions d’euros

    → LIRE PAGE 5

    Pfizer-Allergan, un mariage record▶ Evaluée à plus de 150 milliards de dollars, l’opération permettra au laboratoire américain de payer moins d’impôts

    new york - correspondant

    P our certaines multinationales,tous les moyens semblent bonspour payer moins d’impôts. Le la-boratoire pharmaceutique américain Pfi-zer est ainsi sur le point de finaliser une fusion géante de 150 milliards de dollars (141 milliards d’euros) avec Allergan. L’opération, qui pourrait être annoncée

    lundi 23 novembre selon le Wall Street Journal, doit aboutir au transfert du siège social du nouvel ensemble en Irlande, où est déjà installé Allergan, afin de profiter d’un régime fiscal plus avantageux qu’aux Etats-Unis.

    Selon l’accord qui était en cours d’abou-tissement dimanche, la fusion prendraitla forme d’un rachat de Pfizer par Allerganpar le biais d’un échange de 11,3 actions

    Pfizer contre un titre Allergan, auquel s’ajouterait le versement d’une somme en cash. La formule retenue a de quoi sur-prendre, dans la mesure où le groupe baséà New York est censé être le prédateur et celui domicilié à Dublin, la proie. Mais le schéma initial se heurte au durcissement de la réglementation américaine, qui vise à limiter le phénomène dit de l’« inver-sion ». Celui-ci consiste à racheter une en-

    treprise située dans un pays où la pres-sion fiscale est moindre qu’aux Etats-Unispour y transférer son siège social, une foisl’opération bouclée. Inquiet de cette prati-que qui aboutit à un manque à gagner fis-cal de milliards de dollars pour le gouver-nement américain, celui-ci a annoncé le 19 novembre de nouvelles mesures.

    stéphane lauer

    →LIRE L A SUITE PAGE 6

    Début 2016,sortie en

    Grande-Bretagneet aux États-Unis 17€-258 pages

    ©FélicienDelorme

  • 2 | portrait MARDI 24 NOVEMBRE 20150123

    LE DÉCLIC INTERVIENT FIN 2012, LORSQUE M. JOLY PROPOSE

    AU PATRON DE SAMSUNG, COMME

    IL L’A FAIT POUR APPLE, DE CRÉER

    DES ESPACES POUR SA MARQUE.

    SIX MOIS PLUS TARD, UN ACCORD EST SIGNÉ

    Hubert Joly, French redresseurEn trois ans, le PDG de Best Buy a remis sur pied le distributeur de produits électroniques, menacé par Amazon. Ce chrétien réservé n’en est pas moins un patron intransigeant

    minneapolis - Envoyé spécial

    L’immense parallélépipède devitres fumées, en bordured’autoroute, à une vingtainede minutes au sud de Minnea-polis (Minnesota), n’est pasvraiment de nature à stimuler

    l’imagination. Pourtant, en ce 21 octobre, le siège social de Best Buy, premier distributeuraméricain de produits électroniques, con-naît une agitation inhabituelle.

    Des dizaines d’employés se pressent pourse prendre en photo devant l’entrée où a étéexposée la DeLorean du film Retour vers lefutur, la fameuse voiture à voyager dans letemps. Une opération marketing du groupe : le 21 octobre 2015 est en effet le jour où lespersonnages du film, qui se déroule en 1989, sont censés arriver dans le futur. L’occasion pour Best Buy de répertorier les innovations qui ont finalement vu le jour et qu’on peut désormais trouver en magasin.

    Pour le PDG, Hubert Joly, depuis trois ans,c’est un peu tout les jours « retour vers le fu-tur », car Best Buy revient de loin. Quand ceFrançais de 56 ans est propulsé à sa tête, à l’été 2012, on ne donne pas cher de la peau dudistributeur. Son prédécesseur, Brian Dunn,a été débarqué avec fracas, après avoir enre-gistré une perte trimestrielle de 1,7 milliardde dollars (1,6 milliard d’euros). En six ans, le chiffre d’affaires au mètre carré dans les ma-gasins est passé de 538 dollars à moins de 200. Face au rouleau compresseur Amazon, les analystes sont quasi unanimes : Best Buy risque de connaître le même sort que CircuitCity, son principal concurrent, qui a mis la clésous la porte en 2009.

    L’inquiétude est d’autant plus forte quedans un premier temps, M. Joly n’apparaîtpas comme le candidat idéal. Les actionnai-res viennent chercher cet ancien du cabinet de consultants McKinsey alors qu’il dirige le groupe hôtelier Carlson Wagonlit, après un passage chez Vivendi au détour des années2000. Bref, son expérience dans la distribu-tion est inexistante et, pour couronner letout, quand le Français est embauché, il at-tend toujours son visa de travail. « Quand j’aidit au cabinet de chasseurs de têtes que je ne connaissais rien à la distribution, ils m’ont ré-pondu qu’ils voulaient avant tout quelqu’un qui puisse remettre à plat la stratégie et repar-tir de l’avant », raconte M. Joly.

    « Best Buy était en crise de leadership, encrise stratégique, opérationnelle, actionna-riale, bref c’était le “all you can eat menu” » [buffet à volonté], c’est ce qui m’a plu tout desuite, j’adore les défis », affirme-t-il avec uneassurance teintée d’un brin d’arrogance.

    COMME UN LIVRE DE MANAGEMENTIl faut dire que son parcours plaide pour lui.Ce Nancéen, petit-fils de brasseur et dont lepère, ingénieur, a fait l’essentiel de sa carrièrechez l’Européenne de Brasserie (Danone),affirme que l’idée de « travailler dans les af-faires » lui est venue aux alentours de 13 ans. « A l’époque, j’étais frappé par sa maturité, sesouvient Gervais Pellissier, actuel numéro deux d’Orange, qui était au collège avec lui. Ilavait déjà le profil de l’excellence à l’améri-caine : sympa avec tout le monde et bon élève aussi bien en maths qu’en sport », ajoute-t-il. Après une prépa à Louis-le-Grand, il passepar HEC et Sciences Po, avant d’intégrer le secteur du conseil.

    McKinsey lui donne l’opportunité decroiser Jean-Marie Descarpentries, qui bâtitsa réputation de redresseur d’entreprises chez BSN (devenu Danone), Saint-Gobain ou le spécialiste de l’emballage Carnaud Metal-box. « A son contact, j’ai appris l’ordonnance-ment des impératifs dans une stratégie : le ré-sultat financier n’est pas l’objectif, mais la con-séquence de l’excellence sur le plan du busi-ness, qui est elle-même le résultat del’excellence sur le plan humain. »

    Si Hubert Joly parle parfois comme un livrede management, c’est le plus souvent avec la Bible à la main qu’on le croise, entre deux avions. « Dans sa vision de chef d’entreprise, ilessaye toujours d’avoir un regard chrétien,

    assure M. Pellissier, qui a été également son coturne à HEC. J’imagine que, dans l’environ-nement américain, il doit être très partagé en-tre l’efficacité économique à laquelle il croit profondément et une forme de nécessité de justice sociale. »

    Réservé, d’une prudence excessive sur saparole, M. Joly n’en est pas moins exigeantavec les autres. « Jean-Marie Descarpentriesm’a aussi appris la logique du “et” plutôt quedu “ou” : 98 % des questions sont posées sous la forme “Faut-il faire ceci ou cela”, en fait, je réponds “Il faut faire ceci ET cela” ». Ce côté « M. Plus », il l’expérimente chez EDS, quand il prend les rênes de la filiale française du groupe informatique américain.

    Une fois le redressement d’EDS achevé, ilpart chez Vivendi, en tant que responsable des activités jeux vidéo, où il lance le jeu enligne World of Warcraft, l’un des plus grandssuccès de l’histoire du secteur. « C’est la plus grosse erreur que j’aie jamais faite : on avait projeté 500 000 abonnés, finalement, il y en aeu 12 millions. On s’est trompé d’un fac-teur 24 », plaisante-t-il.

    Quand la bulle de l’endettement fait explo-ser Vivendi, Huber Joly fait partie des raresrescapés de la période Jean-Marie Messier.Jean-René Fourtou, le successeur de ce der-nier, a besoin de lui pour détricoter les acti-vités américaines du groupe. En quelques mois, 35 milliards de dollars d’actifs sont cé-dés. En 2004, Hubert Joly sent que le mo-ment d’aller vers d’autres cieux est arrivé. La famille Carlson, qui possède notammentles hôtels Radisson et chaîne de restaurationTGI Friday’s, lui en donne l’occasion.

    « Il a radicalement changé le fonctionne-ment de l’entreprise, serré les boulons, im-posé une discipline, parfois au prix d’un cer-tain autoritarisme », confie un ancien dugroupe. Sous sa direction, le groupe triple detaille et quintuple sa rentabilité. Il est tempsde passer à un autre défi. Ce sera Best Buy.

    Fondé en 1966 par Richard M. Schulze,l’enseigne est donc un leader en péril. Avecses 1 000 magasins, elle est devenue le showroom d’Internet : les Américains s’y

    accords permettent d’inverser la courbe des ventes et des marges. Grâce à ses con-tacts privilégiés avec Apple, cet été, Best Buy réalisait un joli coup en étant la première en-seigne à distribuer la fameuse Apple Watch.

    Trois ans après le début du redressement,Best Buy a quitté le mode survie. « Nousavons regagné le droit de définir nous-mê-mes notre avenir », se félicite M. Joly. La pro-chaine étape ? « Nous devons être capables deprendre la prochaine vague d’innovation,celle de l’Internet des objets, qui nécessite un accompagnement des clients en termes deservices que ni Amazon ni la grande distribu-tion ne peuvent fournir », explique-t-il. Etd’ajouter que « Best Buy est beaucoup plusqu’un vendeur » : « C’est un démonstrateur etun fournisseur de services. La transformationde l’entreprise est analogue à celle d’IBM dans les années 1990 qui, d’un fabricant dehardware [équipement], est devenu une so-ciété de services », s’enthousiasme-t-il.

    Pour M. Joly, si le cours de Bourse de la so-ciété a triplé en trois ans, c’est que les analystesont compris que l’enseigne est en train d’at-teindre un équilibre dans le partage du mar-ché entre e-commerce et magasins physiques.

    Toutefois, ce passionné de vélo sait qu’ilest engagé dans une course à étapes. Les ré-sultats du dernier trimestre, publiés le 19 oc-tobre, font office de piqûre de rappel : mêmesi la rentabilité continue à progresser, lesventes sont flageolantes et les perspectives pour la saison des fêtes, qui commence cettesemaine avec Thanksgiving, sont décevan-tes. Le retour vers le futur s’annonce peut-être plus long que prévu. p

    stéphane lauer

    rendent pour voir des produits et ensuite acheter sur Amazon. Le chiffre d’affaires et les marges ne cessent de s’éroder : les ana-lystes financiers en sont persuadés, l’entre-prise va droit dans le mur. En l’espace dedeux ans, la capitalisation du groupe a étédivisée par quatre.

    Au bout de trente jours, la première déci-sion de M. Joly consiste à aligner les prix de Best Buy sur ceux d’Internet. « La situation n’était plus tenable. En tuant le “showroo-ming”, on a remobilisé les équipes », souligne-t-il. Parallèlement, Best Buy se dote d’un site Web digne de ce nom et investit dans la logis-tique pour accélérer les livraisons.

    RÉDUCTION DES COÛTSBien sûr, le changement ne se fait pas sansdouleur. Alors que la quasi-totalité du co-mité exécutif est remplacé, il lance un plan de réduction des coûts de 1 milliard de dol-lars. Le groupe quitte la Chine et l’Europepour se concentrer sur les Etats-Unis, tandisque les services administratifs sont mis aurégime. En revanche, persuadé que les ma-gasins sont la clé de la reconquête, M. Jolyaugmente le nombre de vendeurs et multi-plie les stands Apple.

    Mais le véritable déclic du redressementintervient le 6 décembre 2012, lorsque le pa-tron de Samsung, JK Shin, débarque au siègede Best Buy. Hubert Joly lui propose, commeil l’a fait pour Apple, de créer des espaces pour sa marque. Six mois plus tard, unaccord est signé.

    Le cours de Bourse de Best Buy prend 23 %dans la foulée. Après Apple et Samsung,Microsoft s’engage dans un partenariat. Ces

    COURTNEY PERRY POUR « LE MONDE »

    1959 Naissance à Nancy.

    1981 Hubert Joly intè-gre le cabinet de conseil McKinsey.

    2004 Il quitte Vivendi pour devenir PDG de Carlson Wagonlit Travel.

    2012Le 17 août, il devient di-recteur général puis PDG (en juin 2015) de Best Buy.

  • 0123MARDI 24 NOVEMBRE 2015 économie & entreprise | 3

    Bruxelles à l’heure du cas par cas sur le pacte de stabilitéLa Commission affichesa souplesse face aux dépenses liées aux migrants et au terrorisme

    bruxelles - bureau européen

    C’est dans un Bruxel-les tétanisé par le ris-que d’attentats ter-roristes que devait

    quand même se tenir, lundi 23 no-vembre, une réunion des 19 mi-nistres des finances de la zone euro. Ils doivent valider les avis sur les prévisions de budgets 2016émis le 18 novembre par la Com-mission européenne, gendarmede la discipline budgétaire euro-péenne.

    L’exercice devait être simple,aucun budget, à part trois ou qua-tre, ne présentant de déviation sé-rieuse au regard du pacte de stabi-lité et de croissance. Ce dernierfixe comme objectifs un déficit budgétaire inférieur à 3 % du pro-duit intérieur brut (PIB) des pays,et une dette inférieure à 60 %.

    La déclaration du président fran-çais, lundi 16 novembre, trois jours après les sanglants at-tentats parisiens, mettra-t-elle fe-ra-t-elle réagir les ministres réunisà Bruxelles ? François Hollande

    avait affirmé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles que, « dans ces circonstances [les atta-ques parisiennes], je considère quele pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ».

    Dans la foulée, Paris, qui s’étaitpourtant engagé, au printemps, à ramener son déficit public au-des-sous des 3 % du PIB au plus tard en 2017, a annoncé la création de 5 000 emplois supplémentaires dans la police et la gendarmerie en deux ans, 2 500 postes à la jus-tice, 1 000 aux douanes, auxquels s’ajoute la décision de ne procéderà « aucune diminution d’effectif » dans les armées jusqu’en 2019.

    Pas sûr pour autant que, lundi,la France soit pointée du doigt. « Ilme semble que les uns et les autres vont vouloir éviter une discussion approfondie sur le pacte de stabi-lité », selon une source euro-péenne jointe dimanche.D’autant que Wolfgang Schäuble,le très orthodoxe ministre alle-mand des finances, de loin le plus écouté des politiques à l’Euro-groupe, ne devait pas être présent

    à Bruxelles : il est retenu à Berlin en raison des débats au Bundes-tag – précisément sur le budget allemand pour 2016.

    La France est pourtant considé-rée comme l’un des plus mauvais élèves européens en matière de discipline budgétaire. Cela fait sept ans que son déficit public n’est pas repassé au-dessous des 3 %, et elle a bénéficié de délais de grâce (trois ans en 2012, puis à nouveau deux ans en février 2015).Mais la gravité des événements parisiens a créé un choc dans les autres capitales européennes.

    Le ministre de l’intérieur,Bernard Cazeneuve, a obtenu àBruxelles, vendredi 20 novembre,l’adoption de mesures sécuritai-res qui lui avaient été refusées après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, enjanvier. Ce lundi, le ministre des finances, Michel Sapin, devrait, lui aussi, exhorter ses collègues à s’impliquer davantage dans la lutte contre le financement du terrorisme.

    Des sommes modestesDans ce contexte, Pierre Mosco-vici, le commissaire à l’économie, avait assuré, dès mardi, qu’il « est parfaitement compréhensible que la priorité des priorités pour la France, comme pour l’Europe d’ailleurs, soit la protection et la sé-curité des citoyens ». Jean-Claude Juncker, le président de la Com-mission, s’était prononcé, le lende-main, pour un « traitement spécifi-que » des dépenses supplémentai-res engagées par la France, dans le calcul du déficit public au sens du pacte de stabilité.

    Par ailleurs, les sommes en jeupour le moment restent modes-tes : 600 millions d’euros, qui, selon nos calculs, ne devraient creuser le déficit 2016 que d’envi-ron 0,03 %. Rien ne dit donc que l’objectif d’un retour sous les 3 %de déficit public en 2017 ne serapas respecté malgré tout. Mêmesi, dans ses dernières prévisions rendues publiques début novem-bre, Bruxelles prévoit que la France ne sera pas dans les clous,à 3,3 % en 2017.

    Pour autant, le débat pourraitmonter. Passé le moment de la so-lidarité, les critiques pourraient surgir, notamment de la part des petits pays, qui ont tendance à con-sidérer qu’ils ne sont pas traités à lamême enseigne que les « gros ».

    A moins qu’une réflexion pluslarge ne s’engage sur les contours du pacte de stabilité. De fait, ce traité, ratifié par l’ensemble despays de l’Eurogroupe, a déjà pasmal évolué. En janvier, la Com-mission a décidé de traiter avecdavantage de souplesse les pays lançant des réformes structurel-les ambitieuses. Le 18 novembre, elle s’est engagée à faire du « cas par cas » pour les pays les plus im-pactés par la crise migratoire – à fermer les yeux si les dépensessupplémentaires liées aux réfu-giés entraînaient un dépasse-ment du plafond des 3 %.

    Cette crise étant partie pour du-rer, et l’effort de lutte contre le ter-rorisme probablement aussi, Bruxelles pourrait devoir reconsi-dérer ses règles de manière glo-bale. D’autant plus que, si la Francedemande un traitement spécial, laBelgique ou d’autres pourraient sejoindre à elle. L’exercice sera en tout cas délicat, car les « gardiens du temple » du pacte de stabilité – la Banque centrale européenne et Berlin – auront à cœur de pré-server au maximum ce traité, qu’ils considèrent comme l’un desprincipaux éléments de stabilité de la zone euro. Qui est certes sor-tie de la crise, mais dont la reprise est pour le moins fragile. p

    cécile ducourtieux

    Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici, après la minute de silence observée au G20 à Antalya, le 15 novembre. JONATHAN ERNST/REUTERS

    gardienne des traités de l’union, la Commission européenne est censée, chaque année, porter un avis sur la conformité des budgets des pays de la zone euro au regard dupacte de stabilité et de croissance. Il lui re-vient de vérifier si les pays membres tendentà maintenir (ou à repasser) au-dessous de la barre d’un déficit à 3 % leur produit intérieur brut (PIB). Rendus le 18 novembre, ces avis doivent être validés politiquement lundi 23 novembre par l’Eurogroupe.

    Hors la France, les deux pays qui inquiè-tent le plus à Bruxelles sont l’Espagne et le Portugal. D’autant que tous deux – comme la France – sont dans la procédure dite des« déficits excessifs » (supérieurs à 3 % duPIB), ce qui implique une surveillance euro-péenne plus étroite, pour vérifier que leurs gouvernements font tout pour revenir « dans les clous » du pacte.

    Le budget espagnol pour 2016 « comportedes risques de manquement aux exigences de la procédure de déficit excessif », consi-

    dère la Commission. Madrid a failli voir sacopie retoquée, en octobre, ce qui aurait constitué un coup dur pour le premier mi-nistre, Mariano Rajoy, alors que son parti (conservateur) pourrait perdre la majorité aux élections parlementaires de décembre.

    Un ton plus vifPour 2016, M. Rajoy et son gouvernementont un peu desserré l’étau budgétaire im-posé à l’Espagne ces dernières années, si bien que la Commission s’attend que le défi-cit public espagnol reste à 3,5 % du PIB en 2016, alors que Madrid s’était engagé à re-passer sous les 3 %.

    Le Portugal n’a, lui, tout simplement pasenvoyé dans les temps son projet de budget 2016 à Bruxelles, alors que les pays de l’Union avaient jusqu’au 15 octobre… Depuisles élections législatives de début octobre, lepays n’a toujours pas de gouvernement. Une première tentative de coalition autour du centre droit a échoué ces dernières

    semaines, et c’est maintenant le Parti socia-liste et la gauche radicale qui tentent de for-mer un gouvernement.

    Jusqu’à fin octobre, la Commission s’estmontrée conciliante, mais lors de la publica-tion de ses avis, le 18 novembre, son ton était plus vif : elle invitait « instamment » Lis-bonne à envoyer sa copie. Il y va de sa crédi-bilité, l’institution tenant à pérenniser son rôle de gendarme de la discipline budgétaireeuropéenne.

    Les cas autrichien, italien et lituanien pré-occupent aussi un peu Bruxelles. Ces trois pays sont dans le volet dit « préventif » du pacte de stabilité : leurs déficits sont infé-rieurs à 3 % de leur PIB. Mais ils risquent de crever ce plafond en 2016. Cependant, l’Italieet l’Autriche, très touchées par la crise migra-toire, ont déjà réclamé que les surcoûts liés àla gestion de cette crise ne soient pas comp-tabilisés dans leur déficit public. Et la Com-mission a déjà prudemment dit oui. p

    c. du.

    Risques de dérapage en Espagne et au Portugal

    Cela fait sept ansque le déficitde la France

    n’est pas repassé

    au-dessous

    des 3 % du PIB

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  • 4 | économie & entreprise MARDI 24 NOVEMBRE 20150123

    CMA CGM veut grossir pour résister à la houleL’armateur marseillais est en négociations exclusives pour racheter NOL, son rival de Singapour

    C’est par gros tempsque se distinguentles vrais marins. Jac-ques Saadé et son

    fils Rodolphe espèrent bien enfaire partie. Ces dernières an-nées, les deux hommes à la barrede CMA CGM ont réussi à ce quela compagnie marseillaise tiennebon alors que le transport mari-time traverse une des pires crisesde son histoire. Ils sont à présenten passe de signer un gros chè-que pour mettre la main sur un de leurs concurrents en diffi-culté. Beaucoup d’audace en pleine tempête.

    Troisième transporteur de mar-chandises par bateau au monde,CMA CGM a annoncé, dimanche22 novembre, être entré en négo-ciations exclusives en vue d’ac-quérir Neptune Orient Lines (NOL), le numéro 13 internatio-nal, champion du secteur à Singa-pour et dans toute l’Asie du Sud-Est. « Rien ne garantit que ces né-gociations aboutissent à un ac-cord définitif », précise le groupefrançais. Mais, à l’issue de mois de tractations, une étape décisivea été franchie.

    Le prix proposé par CMA CGM aen effet été accepté tant par NOLque par son actionnaire majori-taire, Temasek, un des fonds d’in-

    vestissement détenus par l’Etat de Singapour. Quant aux autrescandidats, en particulier le da-nois Maersk, ils sont désor-mais hors course. Le groupecontrôlé par la famille Saadé dispose d’une exclusivité jus-qu’au 7 décembre. Si les audits en cours ne révèlent pas deproblème particulier, l’acquisi-tion pourra être définitivementsignée ce jour-là.

    Le jeu en vaut la chandelleLe prix négocié n’a pas été révélé. A la Bourse de Singapour, où NOL est coté, l’entreprise vaut 3,1 mil-liards de dollars singapouriens,soit un peu plus de 2 milliards d’euros. Le repreneur devra aussi prendre en charge les dettes de NOL, qui se sont fortement ac-crues ces dernières années. Elles atteignaient 2,5 milliards d’eurosà la mi-septembre. Au total, l’opé-ration monterait ainsi à 4,5 mil-liards d’euros au moins.

    Jamais CMA CGM n’a consacréautant à une acquisition. Maisaux yeux des Saadé, le jeu en vautla chandelle. La famille action-naire juge indispensable d’ac-croître le périmètre du groupe « àun moment où la taille est un en-jeu crucial ».

    Avec le ralentissement de lacroissance chinoise, les compa-gnies qui avaient misé sur un es-sor ininterrompu du commerce mondial et commandé de nou-veaux bateaux en masse se re-trouvent en situation délicate. La flotte totale est très excédentaire, la guerre des prix fait rage. Les ta-rifs du transport ont perdu 30 % à40 % depuis le début de l’année, pour tomber à leur plus bas ni-veau historique.

    Dans cette mer houleuse, « seulsles très grands continuent à ga-gner de l’argent, même si c’est beaucoup moins qu’avant », cons-tate un professionnel. Maersk etCMA CGM restent ainsi bénéfi-ciaires, quand bien d’autres,

    même temps, les deux princi-paux opérateurs publics chinois ont engagé des pourparlers envue d’une fusion susceptible dedonner naissance au numéroquatre mondial.

    L’équilibre pour 2016 L’acquisition de NOL permettrait aux Saadé de recoller au pelotonde tête, et de creuser l’écart avec les suivants. En intégrant les 86 porte-conteneurs exploités par NOL, le groupe français aug-menterait sa capacité d’environ

    30 % d’un coup. Sa part de marchémondial passerait à 11,5 %, contre 14,7 % pour Maersk et 13,4 % pour MSC. Il se renforcerait en particu-lier sur le marché du transport en-tre l’Asie et les Etats-Unis.

    En 2007, NOL valait plus de4 milliards d’euros en Bourse. Lacrise a fait chuter son action demoitié, et l’affaire est devenueabordable pour CMA CGM. Pa-reille acquisition reste cepen-dant un pari. La compagnie deSingapour, créée en 1968 pourcontribuer à l’essor de la cité-Etat,

    CMA CGM est le troisième transporteur mondial de marchandises par bateau. GILLES BASSIGNAC/DIVERGENCE

    UFC-Que choisir juge les services de La Poste insuffisants et trop chersLes hausses de prix sur le courrier ont plus touché les ménages que les professionnels

    U n paquet de critiques » :c’est ainsi qu’UFC-Quechoisir résume sonétude dévoilée lundi 23 novembresur le service universel postal.L’enquête dénonce, notamment,une qualité de service jugée insuf-fisante sur l’envoi de colis. Pourtester le service Colissimo de LaPoste, UFC-Que choisir a de-mandé à ses bénévoles d’envoyer303 paquets identiques, avec lamême demande.

    « Dans trois cas sur dix seule-ment », l’usager s’est vu proposerl’offre la moins chère, pointe l’en-quête consumériste. « Nous avonsété étonnés de la quantité de mau-vais conseils donnés par les agentsde La Poste », commente Alain Ba-zot, président d’UFC-Que choisir.

    Autre problème, affirme l’asso-ciation, celui des retards. « Près de12 % des enquêteurs ont reçu leurcolis plus de deux jours, et jusqu’àhuit jours, après qu’on le leur ait envoyé », poursuit UFC-Que choi-sir. Ce taux de retard est supérieurà celui publié par La Poste, à partirdes enquêtes conduites par l’Ins-titut IFOP.

    Au mois de septembre, l’opéra-teur est ainsi parvenu à respecter le délai de quarante-huit heures pour l’acheminement en Colis-simo dans 91,4 % des cas, voire 92,5 % si l’affranchissement a été réalisé de façon électronique, cequi évite les erreurs liées aux écri-

    tures « patte de mouche ». « At-tention, le délai de quarante-huit heures est calculé à partir du moment où le colis est pris encharge. S’il est déposé au momentde la fermeture, cela reporte d’autant le compte à rebours »,précise-t-on à La Poste.

    De fait, la qualité de service of-ferte par La Poste est très enca-drée. L’Etat fixe le cap et l’Autorité de régulation des communica-tions électroniques et des postes (Arcep) vérifie s’il est bien res-pecté. Dans un arrêté paru le14 octobre 2015, Bercy vient d’ailleurs de relever les objectifs imposés à l’opérateur historique.Pour le Colissimo, La Poste devra démontrer un taux d’efficacité de 91 % en 2017 (contre un objectif de88 % en 2014), voire 92 % si l’af-franchissement est électronique.« On reste à la traîne par rapport à d’autres pays comme le Royaume-Uni », regrette M. Bazot.

    « Les vaches à lait du système »

    Au-delà de cette enquête de ter-rain sur les colis, UFC-Que choisir s’est également penchée sur le coût du service postal universel (courrier, colis de moins de 20 kg, recommandés, etc.), avec, à pre-mière vue, deux soucis contradic-toires : celui de dénoncer la hausse « vertigineuse » du prix du timbre et, en même temps, de ti-rer le signal d’alarme sur un ris-

    que d’abandon de la Lettre priori-taire ou encore de passage de six àcinq du nombre de jours de distri-bution du courrier.

    « Ce n’est pas contradictoire.Nous avons l’impression que la ré-gulation s’est faite au détrimentdes particuliers, qui sont les vachesà lait du système », déplore M. Ba-zot. Selon l’étude consumériste, « au 1er janvier 2016, les tarifs du courrier appliqués aux particuliersauront augmenté de 39,6 % depuis2008 (soit cinq fois plus que l’infla-tion !), alors que les tarifs des pro-fessionnels n’auront augmenté, suivant les prestations proposées qu’entre 6,9 % et 31,9 %. »

    L’Arcep a autorisé La Poste à« une progression moyenne des ta-rifs de service universel égale à l’in-flation, plus 3,5 points sur la pé-riode 2015- 2018 ». Ensuite, l’éta-

    blissement public ventile à sa guise les hausses à l’intérieur de cette enveloppe. Clairement, l’opérateur a préféré préserver sacompétitivité sur le créneau très concurrentiel du courrier des pro-fessionnels, qui représente 85 %des volumes traités, en arguant par ailleurs que le budget du ser-vice postal représente 48 eurospar ménage et par an.

    Ces hausses sont-elles excessi-ves ? Pour compenser la désaffec-tion du courrier, le régulateur veut permettre à La Poste de fi-nancer sa mutation, notammentsur le numérique, sachant que « différents facteurs limitent les ca-pacités d’adaptation des charges aux volumes », insiste l’Arcep dansun rapport daté du 7 juillet 2015 qui fixe « une clause de rendez-vous en milieu d’année 2016 ». Uneconsultation publique est prévue :l’occasion pour UFC-Que choisir de faire valoir son point de vue.

    En attendant, La Poste est for-melle : « En aucun cas, il est ques-tion de supprimer la Lettre priori-taire. Ou encore de revenir sur le sixjours sur sept pour la distribution du courrier ». Plutôt que de voir les56 500 tournées réalisées chaque jour par les facteurs et ses 260 000 salariés comme un poids,l’opérateur cherche en effet à les valoriser en vendant des services de proximité. Un sacré défi. p

    isabelle chaperon

    L’opérateur

    veut préserver

    sa compétitivité

    sur le secteur

    du courrier des

    professionnels,

    qui représente

    85 % des volumes

    traités

    notamment en Chine, accumu-lent les pertes.

    Le groupe marseillais demeurenéanmoins en position critique.Avec 8,8 % des capacités mondia-les selon Alphaliner, il se mesure àdeux rivaux moitié plus impor-tants, Maersk et l’italo-suisse MSC, et la grande alliance com-merciale qu’il avait montée aveceux en 2014 pour faire face à la crise a été bloquée par les autori-tés chinoises. Depuis, il a concluun accord de moindre ampleur avec d’autres partenaires. Dans le

    LES CHIFFRES

    15,3 C’est, en milliards d’euros, le chiffre d’affaires de CMA CGM au cours des douze derniers mois.

    5 %C’est la marge nette réalisée durant la même période.

    Elle est tombée à 1 %

    au troisième trimestre.

    perd de l’argent de façon presquecontinue depuis 2009, malgréses efforts pour ajuster la flotteaux besoins et réduire les coûts.En 2015, les comptes seront sau-vés par la vente d’une filiale de lo-gistique, mais l’activité princi-pale devrait encore perdre plusde 130 millions d’euros. Les ana-lystes misent sur un retour à l’équilibre en 2016. « C’est sans doute le bon moment pour réali-ser une opération de ce type », juge-t-on à Marseille. p

    denis cosnard

    L’HISTOIRE DU JOURLes crèmes antipollution,un créneau porteur pour L’Oréal

    L a détérioration de la qualité de l’air constitue un marchéqui pourrait s’avérer franchement porteur pour le nu-méro un mondial des cosmétiques. L’Oréal travaille de-puis quinze ans sur l’influence de la pollution sur la peau et a opportunément publié, avant la COP21, qui commence le 30 novembre, les résultats de deux études à ce sujet, l’une me-née à Mexico en 2000, l’autre à Shanghaï en 2008, dans la bibledu secteur, l’International Journal of Cosmetic Science. Ces publi-cations analysent les conséquences directes des mauvaises con-ditions environnementales sur la peau. Celles-ci « augmententla production de sébum, abaissent les défenses antioxydantes, al-tèrent la fonction barrière et aggravent les problèmes de peauexistants », apprend-on.

    Le marché des personnes exposées aux méfaits de la pollu-tion s’accroît de jour en jour. Brigitte Liberman, directrice géné-

    rale de la division CosmétiqueActive, explique que « plus de la moi-tié de la population mondiale vitdans des villes et, selon l’Organisa-tion mondiale de la santé [OMS], cechiffre sera porté à 70 % d’ici à 2050 ».Or, sur un panel de 1 600 villes où estanalysée la qualité de l’air, la moitiédes habitants vivent à des niveauxde pollution 2,5 fois supérieurs àceux recommandés par l’OMS. Les

    pires résultats ont été relevés en Inde et au Pakistan.L’Oréal, après avoir travaillé main dans la main avec une

    équipe de dermatologues, a lancé en septembre 2014 son pre-mier kit de trois produits de beauté antipollution signés La Ro-che-Posay. « Cela a extrêmement bien marché en Chine, surtout pendant les pics de pollution, à l’automne et au printemps », sou-ligne Mme Liberman. L’expérience sera élargie à la Corée, laThaïlande, Taïwan et Hongkong avant la fin de l’année.

    De quoi doper encore les marques (La Roche-Posay, Vichy…) decette petite division de produits vendus en pharmacie et para-pharmacie, qui a affiché la plus forte marge opérationnelle (22,7 %) du groupe en 2014. Les concurrents de L’Oréal ne sont pas en reste : Bourjois, Natura, Clarins ou Clinique commerciali-sent elles aussi des crèmes antipollution. La COP21 leur servira d’alibi publicitaire, livré sur un plateau d’argent. p

    nicole vulser

    BOURJOIS, NATURA, CLARINS OU CLINIQUE… LES CONCURRENTS NE SONT PAS EN RESTE

  • 0123MARDI 24 NOVEMBRE 2015 économie & entreprise | 5

    Les mauvais payeurs épinglés par Bercy SFR, Numericable et Airbus Helicopters forment le trio de tête des entreprises sanctionnées

    L’Etat sera désormais in-traitable avec les mau-vais payeurs. C’est lemessage qu’a voulu

    faire passer Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, en annon-çant, lundi 23 novembre au matin, un train de mesures destinées à ré-duire les délais de paiement en France. Malgré l’entrée en vigueur en mars 2014 de la loi Hamon, cen-sée forcer les entreprises à payer dans un délai compris entre qua-rante-cinq et soixante jours, le fléau n’a en effet cessé de grandir.

    En un an, les retards de paie-ments par rapport aux obligationslégales se sont allongés de presquequatre jours, atteignant 13,9 jours pour les PME et 12,1 jours pour les grands comptes, selon le cabinet de recouvrement de créances, ARC. D’après le ministère de l’éco-nomie, seulement un tiers des en-treprises règle ses factures en temps et en heure, ce qui génère un trou de trésorerie de 15 mil-liards d’euros pour les TPE-PME.

    Pour contenir le phénomène, leministre compte d’abord sur les commissaires aux comptes des entreprises. Ces derniers pourront désormais indiquer, dans leurs rapports de gestion, les délais de paiement en cours, autant du côté du client que de celui du fournis-seur. Le décret à ce sujet, initié par Arnaud Montebourg lorsqu’il étaità Bercy et attendu depuis un an, a enfin été signé par M. Macron.

    Le ministre a également réactivél’Observatoire des délais de paie-ment, mis en sommeil après la dé-mission de son ancien président, l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, àl’automne 2014. Ancienne média-trice du crédit, Jeanne-Marie Prost,a été chargée de prendre sa suite. La mission de l’Observatoire sera

    élargie au secteur public. M. Ma-cron a décidé de répondre à une critique récurrente formulée à l’encontre de l’Etat, connu pour être un mauvais payeur. Les re-tards de paiement des grandes col-lectivités atteignent jusqu’à vingt jours, et ceux de certains ministè-res seize jours, reconnaît Bercy.

    Le ministre a annoncé que l’Etat,qui s’est engagé à payer ses four-nisseurs dans un délai maximum de dix jours d’ici à 2017, contre trente jours actuellement, pour-rait également être passible d’amendes en cas de manque-ment. Enfin, le ministère a créé un guichet unique en fusionnant la médiation inter-entreprises, char-gée d’aider clients et fournisseurs à régler leurs différends, à celle dé-volue au secteur public.

    Mais la mesure la plus spectacu-laire réside dans la révision à la hausse de la sanction maximale infligée par l’administration aux payeurs récalcitrants. Le ministre de l’économie a porté ce plafond à 2 millions d’euros, contre 375 000 euros actuellement. M. Macron compte aussi sur la mauvaise publicité pour découra-ger les hors-la-loi. Ainsi, toutes les sanctions seront rendues publi-

    ques. Joignant l’acte à la parole, Bercy a révélé le nom de cinq mau-vais payeurs lourdement sanc-tionnés par la Direction générale à la concurrence (DGCCRF). Une pre-mière depuis l’instauration de la loi Hamon.

    Airbus Helicopters s’insurgeNumericable-SFR essuie la plus lourde peine. L’opérateur télé-coms a reçu le maximum des sanc-tions prévues par les services de la répression des fraudes, à savoir deux amendes de 375 000 euros, l’une au nom de SFR, l’autre de Nu-mericable. Airbus Helicopters s’est également vu infliger 375 000 euros d’amende, tandis que l’entreprise de charcuterie Paul Prédault devra s’acquitter de 100 000 euros, et la Comasud, unesociété de matériel de construc-tion, de 87 500 euros.

    Visiblement marri de voir sonnom jeter en pâture, Airbus Heli-copters a déjà saisi le tribunal ad-ministratif, et s’insurge contre unesanction jugée « totalement dis-proportionnée », selon un commu-niqué publié lundi 23 novembre. Il assure que le retard pris n’est « que » de huit jours, et ne con-cerne qu’un nombre « très limité »

    de factures. De son côté, Numeri-cable-SFR, qui n’a pas fait appel de la décision, tente de minimiser la sanction, en indiquant qu’elle re-flète « une situation passée », dit unporte-parole. Ces retards feraient « suite au rapprochement des deux sociétés et la nécessaire remise à plat de certaines méthodes héritées du passé. Aujourd’hui, Numerica-ble-SFR a normalisé ses relations avec ses partenaires et fournis-seurs », assure l’opérateur.

    « Nous n’avons plus reçu de factu-res en souffrance depuis fin juillet. SFR a redressé la barre », confirme le médiateur inter-entreprises, Pierre Pelouzet, qui, au printemps, avait joué les arbitres entre l’opéra-teur et ses fournisseurs. Mais la finde la médiation ne signifie pas la fin des problèmes. Selon nos infor-mations, certaines sociétés de ser-vices informatiques et centres

    d’appels, prestataires de SFR-Nu-mericable, connaissent toujours de grandes difficultés à obtenir le règlement de leurs factures. Sans pour autant se résoudre à faire ap-pel au médiateur. « Les entreprises sont tétanisées à l’idée même de re-lancer leur clients », explique DenisLe Bossé, à la tête du cabinet ARC. « Il faut que l’entreprise vienne noussaisir. C’est la limite de l’exercice », reconnaît M. Pelouzet.

    En un an, le médiateur a traité250 dossiers liés à des problèmes de paiement, avec un taux de réus-site de 80 %. De son côté, la DGC-CRF a contrôlé 2 249 entreprises et prononcé 110 sanctions, pour un total de 3,5 millions d’euros. De-puis l’entrée en vigueur de la loi Hamon, le montant des amendes atteint 6,3 millions d’euros. Un dé-but mais une goutte d’eau au re-gard de l’ampleur du phénomène, selon le cabinet ARC. « Il y a des di-zaines de milliers d’entreprises, des grands comptes mais aussi beau-coup de PME, qui instaurent des rapport de force en ne payant pas leurs fournisseurs. Ces chiffres si-gnifient soit que tout va bien, soit que les contrôles sont mal ciblés », estime M. Le Bossé. p

    sandrine cassini

    Marwan Lahoud, le numéro deux d’Airbus, Guillaume Faury, le PDG d’Airbus Helicopters et Emmanuel Macron, en juin. TAVERNIER/ROLLE/REA

    Désormais, toutes les

    sanctions seront

    rendues

    publiques

    FINANCE

    Eurazeo s’offre le numéro 2 du remboursement de TVALa société française d’investis-sement Eurazeo a annoncé, lundi 23 novembre, le rachat de 90 % de Fintrax, pour 300 millions d’euros, « sur la base d’une valeur d’entreprise de 550 millions d’euros ». Créée en Irlande en 1985, Fin-trax est la maison mère de Premier Tax Free, le numéro 2 mondial du remboursement de TVA, qui offre aux touristes la possibilité de récupérer la TVA sur leurs achats. – (AFP.)

    TRAVAIL DU DIMANCHE

    Les salariés du BHV disent non, de peu, au travail dominicalLes salariés du BHV-Marais (groupe Galeries Lafayette) se sont exprimés à une courte majorité contre le projet d’ac-cord sur le travail dominical dans leur établissement, qui ne sera donc pas signé, a-t-on appris dimanche 22 novem-bre de sources syndicales. La dernière réunion de négocia-tion pour tenter de parvenir à un accord de branche sur le travail du dimanche dans les grands magasins a par ailleurs été reportée. – (AFP.)

    INNOVATION

    Altran vise 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2020Le groupe de conseil en tech-nologies Altran a dévoilé lundi 23 novembre son plan stratégique qui se donne pour objectif d’atteindre un chiffre d’affaires de 3 mil-liards d’euros à l’horizon 2020, et « une rentabilité de premier plan ». Regroupant 25 000 employés dans une vingtaine de pays, Altran a réalisé un chiffre d’affaires de 1,75 milliard d’euros en 2014. Le groupe a bondi de plus de 5 % en Bourse après cette annonce. – (AFP.)

    JAPON

    Le gouvernement Abe prévoit d’augmenter le salaire minimumFace à une économie de nou-veau en récession, le gouver-nement japonais s’apprête à dévoiler une série de mesuresde relance, incluant une aug-mentation du salaire mini-mum et un coup de pouce aux petites retraites. Le plan gouvernemental, révélé par l’agence Reuters lundi 23 no-vembre, sera présenté mardi par le ministre de l’économie, Akira Amari, et finalisé d’ici la fin du mois. Le quotidien Nik-kei s’attend à une hausse de 3 % du salaire minimum na-tional, actuellement de 780 yens de l’heure (environ 6 euros). – (AFP.)

    LE CONTEXTE

    Les délais de paiement ont été

    plafonnés par la loi de moderni-

    sation de l’économie de 2009,

    elle-même renforcée par la

    « loi Hamon » de 2014. D’une

    manière générale, les entrepri-ses sont tenues de régler leurs fournisseurs dans un délai de soixante jours maximum à compter de la date d’émission de la facture.En parallèle, il existe un autre délai, baptisé « 45 jours fin de mois », qui court à partir de la fin du mois après émission de la facture, pour une période de quarante-cinq jours. Ce der-nier délai doit être inscrit dans le contrat.

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  • 6 | économie & entreprise MARDI 24 NOVEMBRE 20150123

    Fusion record entre Pfizer et AllerganL’opération, qui dépasse 150 milliards de dollars, permettra au labo américain de jouir de la fiscalité irlandaise

    suite de la première page

    L’objectif de ces nouvelles mesu-res est de rendre plus compli-quées les opérations d’inversion.Jusqu’à présent, une entreprise américaine n’est autorisée à en réaliser une que si ses actionnai-res ne détiennent pas plus de 80 % du nouvel ensemble une foisla fusion achevée. Cette règle aurait pu toutefois être contour-née si on avait fait grossir artifi-ciellement la proie pour aboutir à une dilution plus forte des action-naires du groupe américain (ce qu’on appelle le stuffing). Les nou-velles mesures ont pour but d’em-pêcher de tels montages. Elles doi-vent également permettre de li-miter la possibilité de choisir telou tel pays au gré des politiquesfiscales.

    Conscient que ces mesures ré-troactives vont lui être directe-ment appliquées, Pfizer a donc cherché la parade en renversant la logique du rapprochement. A l’arrivée, les actionnaires d’Aller-gan se retrouveraient à la tête de40 % à 45 % du capital, ce qui ren-drait l’opération tout à fait légale au regard de la nouvelle régle-mentation. Malgré tout, le PDGde Pfizer, Ian Read, prendrait la tête de l’ensemble, tandis queBrent Saunders, son homologue d’Allergan, prendrait le rôle de numéro 2. Logique quand oncompare la taille des deux entre-prises. En 2014, Pfizer a réalisé50 milliards de dollars de chiffre d’affaires contre seulement13 milliards pour Allergan.

    Pfizer n’en est pas à son coupd’essai : en mai 2014, le groupeavait déjà tenté de s’implanter auRoyaume-Uni en rachetant son concurrent AstraZeneca. Mais son offre de 117 milliards de dol-lars avait été rejetée. Allergan estlui-même issu d’une fusion baséesur la même logique. Actavis l’avait racheté en novembre 2014 pour 66 milliards de dollars etcette société, américaine à l’ori-gine, avait choisi d’implanter son siège social en Irlande dès mai 2013 pour profiter d’un im-pôt sur les sociétés plus bas : lesbénéfices n’y sont taxés qu’à12,5 %, contre 35 % aux Etats-Unis.Un avantage qu’elle a conservé après le rachat d’Allergan, dont elle a gardé le nom, et que Pfizersouhaite préserver.

    Numéro 1 mondial

    Grâce à sa localisation irlandaise,le laboratoire américain pourraitéconomiser jusqu’à 1,4 milliardde dollars par an, selon les calculsdes analystes de Barclays. Autre avantage pour Pfizer : la trésore-rie du groupe logée à l’étranger,qui a atteint en 2014 unecinquantaine de milliards de dollars, échapperait à l’impôt.Celle-ci n’est en effet taxée quelorsqu’elle est rapatriée aux Etats-Unis.

    La fiscalité, même si elle est unélément moteur de l’opération, n’est évidemment pas la seulemotivation de Pfizer pour rache-ter Allergan. D’abord, elle permetà Pfizer de redevenir numéro 1mondial de la pharmacie devant

    le suisse Novartis. Ensuite, le rap-prochement avec Allergan s’ins-crit dans un vaste projet stratégi-que. Pfizer envisage en effet de sediviser en deux entités distinc-tes, avec d’un côté les médica-ments génériques et de l’autreles blockbusters, ces médica-

    ments sous brevet capables degénérer plus de 1 milliard de dol-lars de chiffre d’affaires.

    Ce projet ne peut voir le jourque si les deux activités sont suf-fisamment solides pour affron-ter la concurrence. Pfizer a déjàrécemment consolidé son pôlegénérique avec le rachat cette an-née d’Hospira pour 17 milliards de dollars. La fusion avec Aller-gan viserait cette fois à renforcer son portefeuille de médicamentssous brevet en mettant la mainsur le Botox, le célèbre traitementantirides, mais aussi le Restasis, un traitement ophtalmique con-tre le syndrome de l’œil sec.

    De quoi compenser le déclindes revenus sur le Lipitor, son an-ticholestérol phare, ou sur le Via-gra. D’autant que la liste des mé-dicaments de Pfizer en passe d’être copiés ne cesse de s’allon-ger avec notamment le Celebrex (anti-inflammatoire), l’Enbrel

    (polyarthrite rhumatoïde), le Zyvox (antibiotique).

    De son côté, Allergan est entrain de finaliser la cession de ses activités dans les médicaments génériques, que l’israélien Teva Pharmaceutical est prêt à rache-ter pour 40 milliards de dollars.

    Pfizer et Allergan espèrent bou-cler leur opération d’ici sept àneuf mois. Si la fusion se concré-tise, elle risque, en pleine campa-gne pour l’élection présidentielle de 2016, de relancer de plus belle le débat sur l’urgence de remettre à plat la fiscalité aux Etats-Unis. Paul Ryan, le nouveau leader ré-publicain à la Chambre des repré-sentants, en a fait l’un de ses che-vaux de bataille, tandis que la plu-part des candidats à l’investiture républicaine ont déjà promis une baisse substantielle de l’impôt surles sociétés pour dissuader cel-les-ci d’imiter Pfizer. p

    stéphane lauer

    En s’installant en Irlande, l’américain pourrait économiser jusqu’à 1,4 milliard de dollars par an. JUSTIN LANE/ENE NEWSROOM/MAXPPP

    Pékin met à jour 800 milliardsde yuans de transferts illégauxDepuis avril, 1,3 million de transactions ont été passées au crible

    shanghaï - correspondance

    S oucieux de ne pas perdre lecontrôle des flux de capi-taux en phase de décéléra-tion, le gouvernement chinois a annoncé vendredi 20 novembre avoir décelé, depuis le mois d’avril,170 cas de blanchiment d’argent etde transferts illégaux de fonds en provenance ou à destination de l’étranger. Des transactions dont lemontant total s’élèverait à 800 milliards de yuans, soit 117 milliards d’euros, selon Le Quo-tidien du peuple. Et 1,3 million de transactions ont été passées au cri-ble et 3 000 comptes ont été gelés.

    Craignant des attaques spécula-tives telles que celles qui eurent lieu en Asie du Sud-Est à la fin des années 1990, la République popu-laire maintient un strict contrôle des entrées et sorties de fonds de son territoire. Elles sont autoriséespour les transactions commercia-les, par exemple, à changer des dol-lars en yuans pour payer un four-nisseur chinois, mais doivent en revanche faire l’objet d’une appro-bation administrative lorsqu’il s’agit d’investissements de capi-taux. Les citoyens chinois et rési-

    dents étrangers peuvent changer librement jusqu’à 50 000 dollars, 47 000 euros, par an.

    Mais ces règles sont aisémentcontournées. Ce journal contrôlé par le Parti communiste chinois faisait état d’un réseau dans le sud-est du pays ayant permis de faire sortir des frontières 410 milliardsde yuans, en utilisant des centai-nes de comptes différents en Chine continentale et à Hong-kong, île disposant de son propre régime monétaire et considérée comme l’une des places financiè-res les plus ouvertes de la planète.

    Arrestations

    De tels contournements ont « gravement perturbé l’ordre desmarchés financiers et de capitaux du pays », juge ce journal porte-voix de l’Etat-parti. Le gouverne-ment a subitement abaissé le cours du yuan face au dollar le 11 août, afin de rapprocher son ni-veau fixé administrativement dela réalité de la demande du mar-ché. Mais cette étape, en périodede ralentissement de la crois-sance, a conduit à une déprécia-tion de la monnaie chinoise face aux devises étrangères du fait de

    la crainte des investisseurs d’une dévaluation compétitive. Il a en-suite fallu que Pékin intervienne pour soutenir son cours.

    Au mois d’août, la police deMacao avait déjà annoncé des des-centes dans cinq boutiques de prê-teurs sur gage de ce territoire célè-bre pour ses casinos. Dix-sept indi-vidus avaient été arrêtés pour avoir dissimulé des opérations de change derrière de simples tran-sactions par le biais des terminauxde paiement par cartes UnionPay, le système chinois équivalent à Visa ou MasterCard. Puis, en sep-tembre, le gouvernement avait an-noncé une nouvelle limitation des retraits avec ces cartes à 100 000 yuans par an (15 000 euros environ) hors des frontières, contre un plafond quotidien de 10 000 yuans auparavant.

    Depuis deux ans, l’Etat chercheaussi à empêcher un autre mode de change illicite. Ce dernier consiste, pour une entreprise étrangère, à surfacturer ou à sous-estimer le coût d’un achat de marchandise en Chine pour obte-nir ou se débarrasser de la mon-naie chinoise. p

    harold thibault

    LE PALMARÈS

    L’opération entre Allergan et Pfizer devient la troisième plus grosse fusion mondiale :

    1. Vodafone AirTouch (Royaume-Uni) et Mannesmann (Allemagne), 203 milliards de dollars (2000, télécoms)

    2. America Online (Etats-Unis) et Time Warner (EU), 182 mil-liards de dollars (2000, médias)

    3. Allergan (Irlande) et Pfizer (Etats-Unis), 150 mil-liards (2015, pharmacie).

    4. Verizon Communications (Etats-Unis) et Verizon Wireless (Etats-Unis), 130 milliards (2013, télécoms)

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    NOUVELLES DATES

  • 0123MARDI 24 NOVEMBRE 2015 management | 7

    QUESTION DE DROIT SOCIAL

    Peut-on détecter la consommation de stupéfiants des salariés ?

    L es forces de police et de gendarmerieont réalisé 98 000 tests salivaires dedépistage des stupéfiants en 2012 et130 000 en 2013 », indique le ministère de l’intérieur. Mais ces tests peuvent-ils êtred’usage au sein de l’entreprise ? La questionde leur utilisation vient de donner lieu à une importante et intéressante décision d’une juridiction… administrative.

    Le débat s’est ouvert à propos du règle-ment intérieur d’une entreprise de travauxpublics prévoyant la possibilité pour un su-périeur hiérarchique de pratiquer, de ma-nière aléatoire et pour les seuls salariés tra-vaillant sur des postes à risques particu-liers (comme par exemple, en l’espèce, lesconducteurs d’engins), des tests salivairesde dépistage de stupéfiants. Un résultat po-sitif pouvant conduire à des sanctions dis-ciplinaires, jusqu’au licenciement.

    Tests salivaires Doivent figurer dans ce règlement intérieurdes règles relatives à la santé et à la sécurité.Mais elles « ne peuvent apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives (du salarié) des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâ-che à accomplir ni proportionnées au but re-cherché », précise l’article L. 1321-3 du code du travail.

    L’administration du travail, auquel toutprojet de règlement intérieur doit être sou-mis avant d’être appliqué, avait considéré que le test salivaire tel qu’envisagé par l’en-

    treprise de travaux publics conduisait à uneatteinte disproportionnée aux droits et li-bertés individuels des salariés.

    Cette interprétation a été confirmée, le21 août 2015, par la cour administrative d’appel de Marseille : à la différence de l’éthylotest, dont l’usage est admis pour cer-tains salariés occupés à l’exécution de cer-tains travaux, les dépistages salivaires sontdes prélèvements d’échantillons contenant des données biologiques et médicales sou-mises au secret médical. De plus, toujours selon les magistrats marseillais, lesdits tests salivaires ne sont pas suffisammentfiables.

    Il n’en reste pas moins que l’employeur esttenu par la loi de prendre toutes les mesu-res nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de sessalariés. L’employeur ne doit pas seulementdiminuer le risque, mais l’empêcher. Cette obligation est, selon un arrêt de la chambre sociale du 22 février 2002, une obligation derésultat, c’est-à-dire qu’en cas d’accident ou de maladie liés aux conditions de travail, saresponsabilité peut être engagée.

    La solution, en l’état actuel du droit, con-siste, pour l’employeur, à faire appel au mé-decin du travail pour pratiquer les tests et àles évaluer avant une éventuelle prise desanction. Il est également prudent de rap-peler explicitement dans le règlement in-térieur l’interdiction de l’usage ou l’intro-duction de tout stupéfiant sur les lieux de travail. p

    Sortir les experts en entreprise de leur tour d’ivoireDepuis une petite dizaine d’années, les grands groupes prennent conscience du rôle-clé de ces professionnels

    Les entreprises françaisesont beaucoup investi surleurs manageurs et peusur leurs experts », cons-

    tate Claire Lauzol, coauteure, avecAnne-Marie Jonquière, qui a créé la filière « expertise » au Commis-sariat à l’énergie atomique (CEA), de l’ouvrage Les Expert(e)s dans l’entreprise (Maxima, 350 p., 39,80 euros). « En France, expli-que Claire Lauzol, on croit d’abordà la force des organisations et à l’idée que la performance des en-treprises passe avant tout par la manière dont les collaborateurs sont dirigés. »

    Résultat : conscients que la voieroyale passe par le management, les jeunes diplômés des grandes écoles françaises, y compris des écoles d’ingénieurs, se destinent àêtre des dirigeants plutôt que des experts dans leur domaine. L’idée même d’être tenu pour un expert terrifie ceux qui considèrent que cela risque de les enfermer dans une carrière plate et sans ouver-ture. Bref, les experts ont fini par avoir mauvaise réputation.

    Pourtant, depuis une petite di-zaine d’années, quelques trans-formations ont suscité, dans les grandes entreprises, une prise de conscience de la valeur et du rôle clé de « ces professionnels, qui ont acquis une maîtrise élevée de leur spécialité, en ayant confrontéleurs savoirs à la pratique, pour identifier et résoudre des problè-mes dans leur domaine », selon la définition qu’en donnent les deux auteures.

    Faire le triDes individus qui, selon les mots du mathématicien Cédric Villani, ne sont pas seulement dotés de compétences spéciales et appro-fondies, mais aussi « de réflexes et d’une faculté d’analyse de situa-tions complexes ». « L’expert ne transmet pas seulement la techni-que, mais aussi la confiance pour agir, précise Claudie Haigneré, médecin et spationaute, la “femme aux sept vies”, qui a pré-facé l’ouvrage. Pour prendre une décision en ayant confiance dans les choix qu’il fait, le dirigeant doit pouvoir se fonder sur une évidencescientifique. »

    Mais ce sont des facteurs ré-cents qui ont fait prendre cons-cience de la sous-utilisation desexperts dans nos organisations : l’importance croissante des in-novations dans la conquête departs de marché comme l’inves-tissement massif des puissanceséconomiques émergentes dansleurs ingénieurs ont confirméque, pour rester dans la course,mieux valait avoir en interne quelques vrais spécialistes deson métier. D’autant que le dé-part à la retraite ou vers la con-currence des quelques expertsqui détiennent le savoir-faire maison, sans que personne aitpris la relève, a fini par avoir uneincidence fâcheuse sur la capa-cité à signer des contrats dans quelques grands groupes indus-triels français, dans l’énergie comme dans l’automobile.

    Enfin, plus récemment encore,la montée en puissance des algo-rithmes dans la gestion des affai-res a encore renforcé l’importance de l’expert pour faire le tri entre les informations pertinentes et lesautres. Aujourd’hui, selon Claire

    Lauzol, près d’un tiers des groupesdu CAC 40 auraient investi dans une « filière expert ». Parmi ceux-ci,EADS, Thales, Air Liquide, le CEA, Alcatel-Lucent, Lafarge.

    Seulement, peu importante –quelques dizaines, voire quelquescentaines d’experts pour les plus grands groupes –, cette popula-tion ultraqualifiée présente des traits singuliers : le goût de l’ap-prentissage et de la technicité comme des défis à relever, la créa-tivité, mais aussi le doute perma-nent, le besoin d’autonomie autant que de reconnaissance parles pairs, et, enfin, des comporte-ments analytiques tournés vers laréflexion plutôt que vers la rela-tion aux autres.

    Or, souligne Claire Lauzol, « pourbien servir l’entreprise à laquelle ils appartiennent, les experts doivent non seulement enrichir leurs con-naissances en permanence, en res-tant actifs dans des réseaux exté-rieurs, et rencontrer d’autres ex-perts dans des domaines différents,mais aussi se mettre au service des autres fonctions de l’entreprise et se nourrir de leur expertise. En clair,

    ils doivent soutenir ses projets de développement. Car, ajoute-t-elle, c’est en créant ces moments de ren-contres et de frottements entre ex-pertises que l’on favorise l’innova-tion. » En un mot, il faut les sortir de leur tour d’ivoire.

    Pour cela, chaque groupe a déve-loppé une vision et des outils spé-cifiques à son métier et à son or-ganisation. Chez Alcatel-Lucent,par exemple, un programme de développement de leadershippour les experts a été élaboré, pour les rendre plus accessibles etplus compréhensibles, afin d’ac-croître leur incidence dans l’orga-nisation, et leur donner un signede reconnaissance.

    Au CEA, on peut être expert etavoir, dans le même temps, une responsabilité managériale.

    Le groupe Air Liquide, lui, n’of-fre pas à ses experts de responsa-bilités hiérarchiques à propre-ment parler, mais un rôle de pi-lote d’innovation, d’animation, de capitalisation et de transfert de leur savoir.

    Chez Airbus Group, on ne peutêtre expert et avoir une responsa-bilité managériale. Mais on a crééla possibilité de circuler entre lacarrière managériale et la carrièred’expertise, en développant, chez eux, des capacités transversales intégrant la complexité, par la conduite de projet. Ils y ont les mêmes avantages que les mana-geurs en termes de salaires, avan-tages et rémunération variable.

    On ne dira plus que les expertsne sont pas reconnus… comme les manageurs. p

    valérie segond

    LE COIN DU COACH

    sophie péters

    Etre à l’écoute

    Impossible de faire comme si de rien n’était sans transformer pour autant les bureaux en cellule de soutien psycholo-gique : difficile équation devant laquelle se sont retrouvées les entreprises la se-maine qui a suivi les attentats à Paris du 13 novembre. Si beaucoup d’entre elles ont libéré la parole dès le lundi, certains salariés accusaient encore le coup en fin de semaine, partagés entre le besoin de retrouver ses habitudes sécurisantes et un sentiment de grande tristesse, voire de démotivation face au côté dérisoire du business dans de telles circonstances.Et pourtant. La situation offre de quoi s’écouter et s’entendre. Ne pas juger s’il est de bon ton d’être en colère ou triste, d’avoir peur ou de ne rien changer. Car il n’y a pas, en la matière, de « bonne » ou « mauvaise » façon de réagir. Faire appel à son humanité est le meilleur moyen d’être juste.Il convient d’être extrêmement attentif sur toute réaction qui pourrait s’installer dans le temps : insomnie, sursaut au moindre bruit, repli sur soi, etc. S’il y a une vigilance à exercer, ce n’est pas tant à l’extérieur (difficile de se préparer par définition à l’imprévisible) que sur son état de sécurité intérieure.Tout ce qui vise à procurer de l’apaise-ment et du ressourcement est la meilleure réponse au stress post-trau-matique. Chacun ayant une réponse sin-gulière à apporter. Quant à l’entreprise, elle doit jouer son rôle de cadre protecteur, en assouplis-sant au besoin ses règles de travail. Une attention particulière devant être appor-tée à ceux qui tenaient bon jusque-là, dans un environnement déjà difficile et exigeant, et qui, en tentant de continuer à faire face, peuvent connaître de graves souffrances psychologiques. p

    ¶Francis

    Kessler

    est maître

    de conférences

    à l’université

    Paris-I-

    Panthéon-

    Sorbonne

    Chez Airbus Group a été crééela possibilitéde circuler entre la carrière managérialeet la carrière d’expertise.ANNA MUTTER/

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  • 8 | dossier MARDI 24 NOVEMBRE 20150123

    La croissance verte existe-elle ?La lutte contre le réchauffement climatique passe par la rupture du lien entre la croissance du produit intérieur brut et celle de la consommation d’énergie fossile. Une gageure

    Des panneauxphotovoltaïques

    sur le toitd’un immeuble

    du quartierdes Batignolles,

    à Paris. BRUNO LEVESQUE/IP3 PRESS/MAXPPP

    valérie segond

    Croissance ou fraîcheur, faudra-t-il choisir ? Autrement dit,est-il possible de conjuguercroissance économique et ré-duction des émissions de gaz àeffet de serre comme le promet

    la 21e conférence des Nations unies sur le cli-mat, qui se déroule du 30 novembre au 11 dé-cembre à Paris ?

    « Croissance verte ». L’expression, néeen 2005 à la conférence de Séoul, n’a pour l’heure pas trouvé de contenu convaincant : « La recherche de la croissance l’a toujours em-porté sur le souci de l’environnement, dé-nonce l’ingénieur Jean-Marc Jancovici dans son livre Dormez tranquille jusqu’en 2100 (Odile Jacob, 2015, 210 pages, 19,90 euros). Non seulement la croissance actuelle n’est pas plus verte que celle qui a précédé, mais, par certains aspects, elle l’est encore moins, no-tamment sur la consommation d’énergie. »

    Pour lui, il ne saurait en être autrement. Car,depuis 1800, il existe un lien direct et con-substantiel entre consommation d’énergie et croissance : la transformation des combusti-bles est cette potion magique qui a décuplél’efficacité du travail de l’homme.

    Et l’économie mondiale est toujours dépen-dante du pétrole. « L’évolution du PIB suit celle de la production de pétrole, écrit Jean-Marc Jancovici. C’est bien parce qu’il y a plus d’éner-gie disponible que le PIB augmente, et non parce que le PIB augmente que l’énergie con-sommée augmente. »

    « Une augmentation de 10 % de la consom-mation d’énergie par habitant a induit en moyenne une hausse d’environ 6 % du PIB », ont conclu les économistes Gaël Giraud et Zeynep Kahraman en analysant les données

    de plus de quarante pays depuis 1970. Même le secteur des services, cette apparente déma-térialisation de la production, est fortement consommateur d’énergie : « Les flux physi-ques n’ont jamais été aussi élevés qu’aujourd’hui, y compris par personne », as-sure encore Jean-Marc Jancovici.

    « A ce jour, le découplage entre croissance eténergie s’est révélé impossible », confirme Phi-lippe Frémeaux, président de l’Institut Ve-blen, qui réunit économistes et sociologues de la décroissance. Même lorsque l’on a amé-lioré l’intensité énergétique de nos économies, dit-il, la consommation s’est portée de plus en plus sur des produits importés, lesquels con-tiennent une énergie consommée qui n’est pas comptabilisée dans l’intensité énergétique na-tionale. » Ainsi, cette dernière ne reflète-t-elle que partiellement le caractère énergivore de nos modes de vie et de production.

    Economiste en chef de l’Agence française de

    développement, Gaël Giraud suggère qu’« une large partie des progrès réalisés par les pays riches provient simplement du trans-fert de leurs usines vers le Sud », expliquant ainsi « l’absence de progrès significatifs à l’échelle mondiale ».

    Consommer et produire, en un mot fairecroître le PIB, signifierait donc automatique-ment polluer. Aussi lutter contre le réchauffe-ment climatique en réduisant la consomma-tion d’énergie fossile est-il naturellement as-similé à une contraction de l’activité. C’est précisément la peur de cette équivalence qui a conduit nombre de pays à tergiverser de-vant la lutte contre le réchauffement de la planète.

    Au moment où plane la menace d’unegrande stagnation économique, tout le monde redoute que la politique climatique ne réduise le PIB par tête, creuse les inégalitéset attise les extrémismes. Et pourtant, pour financer cette transformation radicale, il fau-drait justement créer de la richesse. Sans croissance, on voit mal le système financier se mobiliser sur le sujet. C’est pour éviter le risque de l’inaction, dont le coût pourrait êtreprohibitif, que le thème de la « croissance verte » s’est imposé comme un prérequis de tout discours sur le sujet.

    « La stimulation de la croissance et la luttecontre le risque climatique ne sont pas simple-ment des objectifs compatibles : elles peuvent être conçues pour se renforcer mutuellement »,

    peut-on lire dans le dernier rapport de la Commission sur l’économie et le climat, pré-sidée par l’ancien président mexicain Felipe Calderon et l’économiste britannique Nicho-las Stern, intitulé La Nouvelle Economie clima-tique (éd. Les Petits Matins, 224 p., 17 €).

    La possibilité de la croissance est même de-venue la condition sine qua non de la mobili-sation mondiale. « Il faut mener une politique climatique qui accompagne et permette la croissance, même si celle-ci pourra être diffé-rente dans sa composition », souligne le com-missaire européen aux affaires économi-ques, Pierre Moscovici.

    Le renversement est tel que la politique cli-matique est subrepticement devenue, selonune expression que l’on retrouve désormais dans la bouche de tous les patrons, « une for-midable opportunité pour relancer l’économie mondiale ». « Un monde décarboné et en crois-sance, c’est possible », proclame Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, dans un livre qu’il vient de publier (Notre combat pourle climat, Le Passeur Editeur, 160 p., 16 €).

    Alors, qui croire ? Quel sera l’impact de latransition énergétique sur la croissance ? An-nonce-t-elle une contraction de l’activité ou fait-elle figure de plan Marshall vert suscepti-ble de relancer l’économie mondiale ? L’ana-lyse de la politique de transition de la France et de ses effets attendus apporte quelques élé-ments de réponse. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV),

    POUR FINANCER LA TRANSFORMATION

    RADICALEDE NOTRE MODEDE VIE, IL FAUT

    CRÉER DELA RICHESSE

    l’intensité carbone du « mix » énergétique nordique correspond aujourd’hui au niveau auquel le reste du monde doit parvenir en 2040. Ces pays ont très tôt pensé ensemble envi-ronnement et activité économique. Dès 1998, la région est parvenue à dé-coupler croissance économique, con-sommation d’énergie et émissions de carbone. La Suède est devenue un mo-dèle. Entre 1995 et 2010, le produit inté-rieur brut, en volume, de la région a progressé de 45 %, avec une consom-mation d’énergie quasi stable, et des émissions en baisse de presque 20 %. Et, pour 2050, le Danemark vise un

    « mix » énergétique composé à 100 % d’énergies renouvelables, tandis que la Norvège comme la Suède projettent d’atteindre zéro émission nette.

    Mobilité et énergie

    Une stratégie qui s’est appuyée sur ces trois piliers qui inspirent toutes les po-litiques de transition. Le premier est l’efficacité énergétique. Celle des bâti-ments a été renforcée par des codes de construction et des systèmes de certi-fication stricts. Le chauffage urbain a été repensé avec des centrales de cogé-nération, de chaleur et d’électricité, es-sentielles pour utiliser les énergies re-

    nouvelables de façon optimale. Les vé-hicules électriques sont très répandus, notamment en Norvège, où se concen-trent un tiers des voitures électriques vendues en Europe. Helsinki, en Fin-lande, prépare la mobilité de demain comme un service à grande échelle de véhicules prêtés, loués ou partagés.

    Deuxième pilier, les énergies renou-velables. Elles génèrent de 30 % du « mix » énergétique au Danemark, à 90 % en Islande, en passant par 32 % enFinlande, 34 % en Suède et 43 % en Nor-vège, selon l’Organisation de coopéra-tion et de développement économi-ques. C’est dire si elles sont au cœur du

    système énergétique. Et ce, sans avoir supprimé le nucléaire, très présent en Finlande et en Suède, où il crée plus d’énergie que les renouvelables.

    Troisième pilier, la création d’unmarché unique de l’électricité en 2002 entre pays aux ressources complé-mentaires. Celui-ci leur permet de pro-duire l’électricité, là où le prix est le plus bas. Au point que la région se tar-gue d’être la pile électrique de l’Europe du Nord, grâce à ses capacités hydroé-lectriques, au solaire et à l’éolien. Ces pays se projettent comme exportateur massif d’électricité à l’horizon 2050. p

    v. se.

    Les pays nordiques ont vingt-cinq ans d’avance

  • 0123MARDI 24 NOVEMBRE 2015 dossier | 9

    promulguée en août, a retenu des objectifs extrêmement ambitieux : une réduction des émissions de carbone de 40 % en 2030, puis de 75 % en 2050, soit une division par quatre par rapport à leur niveau de 1990. Une divi-sion par deux de la consommation d’énergie en 2050 par rapport à 2012, après un passage par – 20 % en 2030. Sur la même période, une réduction de 30 % de la consommation d’énergie fossile, pétrole, gaz et charbon. Une montée des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale en 2020, puis à 32 % en 2030. Et la réduction de l’énergie nucléaireà 50 % de la production électrique en 2025.

    MÊLER EFFICACITÉ ET DIVERSIFICATIONLa France se condamne-t-elle ainsi à une con-traction de son activité ? Car comment imagi-ner qu’une division par deux de la consom-mation d’énergie soit sans effet sur l’activitééconomique ? Pour atteindre ces objectifs, la politique de transition emprunte à deux tra-jectoires de « décarbonisation » de l’écono-mie française.

    La première, la plus ambitieuse, dite del’« efficacité », vise une division par deux de laconsommation d’énergie entre 2010 et 2050, qui, selon la stratégie nationale bas carbone, instaurée par la LTECV, viendrait à 60 % des gains d’efficacité dans l’habitat et le bâtiment,à 26 % dans les transports et à 10 % seulementdans le système productif. Soit une réductionde la consommation par tête de 2 % l’an d’ici à2050, dont plus de la moitié de l’effort seraitsans effet récessif sur l’activité. C’est la voieprivilégiée.

    La seconde, dite de la « diversification » dumix énergétique, table surtout sur une réduc-tion du nucléaire à 50 % de la productiond’électricité en 2025, avec une montée des énergies renouvelables à 40 % en 2050, la baisse de la consommation d’énergie étant alors limitée à 20 % d’ici à 2050. C’est la voie de secours.

    Efficacité énergétique d’un côté, diversifica-tion des énergies « décarbonées » de l’autre. « Mais il est probable que l’on devra combiner les deux stratégies, en particulier s’il s’avéraitsur le parcours que tous les objectifs d’effica-cité énergétique n’étaient pas atteints – sa-chant qu’il sera difficile de diviser par deux la consommation d’énergie d’ici à 2050 dans un pays où elle est déjà relativement basse », as-sure Patrick Criqui, directeur du laboratoire Edden à Grenoble, qui a analysé, avec San-drine Mathy, les deux trajectoires dans un rapport pour le Deep Decarbonization Pa-thways Project.

    Les deux hypothèses reposent sur des in-vestissements très importants, d’environ 20 milliards d’euros par an d’ici à 2030, selon Patrick Criqui. Dans la première, celle de l’« ef-

    ficacité », les investissements devront être réalisés en majorité par les utilisateurs fi-naux, notamment pour isoler leur logement et dans une moindre mesure pour circuler envéhicule électrique.

    Dans la seconde, celle de la « diversifica-tion » du mix énergétique, les investisse-ments seraient plutôt réalisés par les énergé-ticiens, dans le nucléaire de troisième généra-tion, à savoir les coûteux EPR, la biomasse et les réseaux de chaleur urbain. « Quel que soit le système choisi, la France devra réinvestir dans son parc électrique car le parc nucléaire actuel doit être soit rénové soit remplacé », dit Patrick Criqui. Ainsi, « diversifier le mix » relè-verait en partie d’un transfert d’investisse-ments des énergies fossiles vers l’efficacité et les énergies « décarbonées ».

    Mais, dans tous les cas de figure, les inves-tissements à venir devraient tôt ou tard en-traîner une hausse des coûts de production de l’électricité, de 60 % à 70 % en 2050 par rap-port à 2010, selon les estimations de Patrick Criqui. « En cela, la France, qui bénéficie depuisvingt-cinq ans d’une électricité nucléaire peu chère, va voir sa situation se normaliser par rapport à celle des autres pays développés », assure-t-il.

    Il est vrai que si tout se passe comme prévu,cette hausse du coût du kilowattheure de-vrait être amortie par la baisse, de moitié à unquart, des dépenses énergétiques des ména-ges. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, les modèles économiques qui intègrent le secteur énergé-tique concluent que la transition énergétiqueaura in fine un impact faible sur la croissance,et plutôt un impact positif. En tout cas, ils n’estiment pas que l’activité se contracte. Même s’il faut reconnaître que ces modèles reposent sur des hypothèses de change-ments de mode de vie et de production radi-caux, qui répondent certes aux aspirations dela société, mais que l’Ademe voit se dévelop-per à grande échelle, tels que la réduction des gaspillages, une consommation durable por-tant sur des produits de qualité dotés d’une plus longue durée de vie, une large extensionde l’économie circulaire, etc.

    Au total, sur les vingt-deux années de laprojection, de 2014 à 2035, horizon retenu ici, il apparaît que la LTECV apporterait un sup-plément de PIB d’environ 25 à 35 milliards d’euros par an à la France. Une à deux années de croissance en 2035, soit 1 à 1,5 point de PIB au bout de vingt ans. On n’est pas dans la dé-croissance, mais on est encore loin du plan Marshall.

    En revanche, bonne nouvelle, la transitionénergétique pourrait bien réduire notre défi-cit commercial en réduisant les importationsd’énergie, et surtout enrichir le contenu en

    emplois de la croissance. Selon la stratégie nationale bas carbone, elle devrait permettre de créer, selon les scénarios retenus, de 108 000 à 350 000 emplois supplémentaires par rapport à la tendance d’ici à 2035, en par-ticulier dans l’isolation des bâtiments et dansles énergies nouvelles. « Les énergies renouve-lables sont moins productives que les énergies fossiles, souligne l’économiste Gaël Giraud, mais elles créent beaucoup plus d’emplois. La croissance verte sera une croissance plus fai-ble, mais plus riche en emplois. Sans doute est-ce l’occasion de changer les objectifs de nospolitiques économiques. » p

    ÉVOLUTION MONDIALE

    BASE 100 EN 1990

    1990 2005 2020 2035

    Prévisions

    Energie et croissance mondiale restent encore trop liées

    500

    400

    300

    200

    100

    Emissionde CO

    2

    Consommationd’énergie

    PIB

    QUANTITÉ DE GAZ À EFFET DE SERRE NÉCESSAIRE POUR PRODUIRE

    DE LA RICHESSE EN KILO ÉQUIVALENT CO2

    POUR 1 000 DOLLARS

    DE PIB GÉNÉRÉ, EN 2012

    ÉNERGIE PRIMAIRE PRINCIPALE ET SA PART DANS LE TOTAL DES ÉNERGIES, EN %

    VARIATION PAR RAPPORT À 2000, EN %

    240

    – 24

    270 270280

    320340

    390

    430460 470

    620

    FRANCEESPAGNE ROYAUME-UNI ITALIE

    ALLEMAGNE JAPON

    OCDETURQUIE

    ÉTATS-UNIS CORÉE DU SUD

    AUSTRALIE

    – 26 – 31 – 17 – 21 – 8

    34,9

    – 21 – 9 – 25 – 15 – 23

    Une croissance de moins en moins éme