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Pier Giorgio Frassati - ExultetPier Giorgio l’expérimenta directement un jour où l’administrateur visitait la linotype du journal avec son neveu : il lui conseilla d’utiliser

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  • PierGiorgioFrassati

  • CristinaSiccardi

    PIERGIORGIOFRASSATI

    Modèlepourleschrétiensdutroisièmemillénaire

    ARTÈGESpiritualité

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  • être effleurée… pour cela, elle ne connaissait aucune limite dans l’amitié,masculine ou féminine, et ce fut probablement la raison pour laquelle ellen’échappapasàquelquesmédisancesdéplaisantes,quiparcoururentTurin,etdont je croispourtantquellesne recouvraient riendevraimentmauvais.Orgueilleuxetautoritaire,[Alfredo]habituéàcommanderplusqu’àdiscuter,accumulaavecAdélaïdeunesériedequiproquosetd’incompréhensions,quifinirent – peut-être aussi à cause de ses aventures galantes – par l’éloignerd’elle,tandisqu’elleserapprochait,peut-êtreunpeutrop,dupeintreAlbertoFalchetti5.

    Brillant artiste, proche de John Sargent et de Segantini,Falchetti, d’un an plus jeune qu’Adélaïde Ametis (née le 17février1877àTurin), s’affirmecommeuncoloristevigoureux,sans atteindre pourtant au talent de son père, Giuseppe.Adélaïde écrit au peintre des lettres où elle l’appelleconfidentiellement, my dearest Bertie6; mais les intérêtsartistiquesdelajeuneMadameFrassatilapoussentàfréquenterd’autres peintres. Une attitude souvent considérée commescandaleusepar l’opinionpublique, assoifféede cancans et demédisances. Mais Adélaïde n’en a cure, elle entendperfectionnersonart,jusqu’àêtreadmise,en1912àlabiennalede Venise (où elle retourne en 1920 et 1922) et où elle a lasatisfaction inattendue de voir le roi Victor-Emmanuel IIIacquérirunedesespeinturesàl’huile.Un ami de la maison, Giuseppe Borioli, apporte un

    témoignage important pour comprendre les rapports trèsdifficiles existant entre les époux Frassati, un creuset detensions et d’oppositions mûries dès les premières années demariage:Marietfemmeétaientrestésensemble,unisseulementparsoucid’élever lafamille,et ilest logiquequecetétatd’espritn’aitpasproduitchezeuxplusd’unitéetd’affectionsérieuse.Jedoisdirecela,mêmesi…c’estdouloureux,parceque jesuisconvaincuquec’estdanscetteséparationfamilialequesetrouvelaclédecertainscomportementsultérieursdePierGiorgio…lalutte

  • sourde [d’Adélaïde] pendant des années et des années avec le sénateur, lemanquede lamoindre trace de lumière et d’amour, finit naturellement pardessécherlecœurdel’unetdel’autre.Levenindelarancœurpassadel’unà l’autre, année après année, qui ne se plièrent jamais à une solutionquelconquequiauraitputrésoudretoutechosedansunsensouunautre…

    Dès lespremierscontacts, iln’étaitpasdifficilede sentirunétatde sourdetension entre Adélaïde et son mari. Très discret de nature, je ne posaisaucune question à ce sujet,maismême sans les chercher, un bon nombred’informationsmeparvinrentàcesujet,desdeuxparties.Jecomprisqu’ilyavait une grave rupture et que c’est seulement à cause des enfants, parscrupules religieux,pourdes raisonsmondaines,que la faillene s’étaitpastransformée en séparation totale.À cette époque, le point de vue duXIXesièclerestaitdominant:toutpouvaitservirdeprétextepourabattrelafortunedesFrassati!Milleetuneraisonsexistaientdoncpourmainteniruneunionqui n’était plus que formelle. J’eus dès lors l’impression que MadameFrassativoulaitdonnerlapreuve,commeellen’étaitpastellementfavoriséeparsonphysique–petite,plutôtcorpulente,lecoumassif–qu’ellepouvaittout de même attirer l’intérêt, être courtisée et donner l’impression d’unefemmerecherchée.Toutcelan’étaitpastantlefaitdelacoquetterieféminineque,soitunetentativedésespéréedereconquérirsonmarienprovoquantsajalousie,soitunsimpledépit,destinéàl’indisposer.Maisluineditjamaisunseul mot là-dessus. Il est probable qu’il avait quelque secret de son côté,étantdonnésaposition, sonallure, sa fortune, l’absencede réconfortde lapartdesafemme,àproposdesesdifficultés.Ilsedominatoujoursets’ilyeutjamaisquelquesparolesamèresetblessantes,ellesvinrentseulementducôtédeMadameFrassati7.

    AlfredoetAdélaïdesontcousins,élevésdanslemêmemilieuaisé.IlestletroisièmefilsdePietro,médecin,etdeGiuseppinaCoda Donati. Dans la maison paternelle, s’est produite unetragédiedontilresteramarquétoutesavie.Sasœurtrèsaimée,Emma, fut assassinée par son fiancé. Tout en essayant de ladissuaderdumariagefixépourle20juin1889,Alfredon’avaitpasmesuré ladangerositédeLuigiPizzetti.Le9 juin, aveugléparlajalousieprovoquéeparlerefusdesafiancéedel’épouser(elleavaitfinipardécouvrirsaviedésordonnéeetdissolue),illa

  • pousse par la fenêtre, à deux pas de la chambre de sa futurebelle-mère.L’assassin fut condamnéàhuit ansdeprison, et lecélèbre criminologue Cesare Lombroso, fondateur de l’écolepositiviste italienne, bien qu’ayant été témoin de la famillePizzettidansleprocèscontreLuigiPizzetti,déclare:«C’estmaconviction que Pizzetti est privé de sensmoral : c’est un foumoral,ouundélinquantné»8.Le14avril1919,dansIlPopolod’Italia,BenitoMussolini,

    dans une de ses attaques coutumières contre Frassati, connuessouslenomde«Frassatiane»,écritméchamment:«Enprivé,il a commencé sa fortune financière par la mystérieusedéfenestrationde l’unede ses sœurs.» Il lui adresseaussidesépithètes malveillantes : « sénateur tyrolien », « valet deGiolitti », « ennemi intérieur », « une des pires embûchesintérieures».Àde tellesprovocations,Frassatine répondpas,pour ne pas donner cours à d’inutiles polémiques, superfluespourl’Italie.Lablessureprovoquéeparlapertedelasœurtrèsaiméenese

    refermera jamais, même au fil du temps, et elle se rouvriralorsqu’Alfredo apprit la nouvelle de la mort, à la suite d’unecrise cardiaque, d’une cousine de vingt ans, Emilia Ametis.LisonsattentivementcettelettreadresséeàlafamilleAmetis,le2novembre1894:Triste jour des morts. Je pensais à une autre morte, jeune, belle, pure etbonne comme votre Emilia, et plus malheureuse qu’elle. Je pensaisaujourd’huiàma trèschèreet inoubliableEmma,emportédans la fleurdeses années par une main assassine.Ma pensée, mes larmes volent vers lecimetière d’Oropo…mais j’espérais être le seul à pleurer… Pauvre mère,pense au Dieu en qui tu crois, et incline ton front vers Lui. Dieu te l’adonnée,Dieutel’areprise:quesavolontésoitfaite.

    Un athée convaincu peut-il écrire ces paroles ? Catholiquepratiquant, il ne l’est certes pas,mais, à travers les documents

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  • commençad’abordpar rétablir l’équilibre financierdu journal,avantdeleconduireensuiteàlaprospéritégrâceàunegestionrigoureuse.Le31décembre1894,ilpritlesrênesdecejournaldans l’intentionde remplirun rôledepremierplandans laviepolitiqueetculturelledel’Italie.Cependant,celuiquilecréait,avait le sentiment d’y jouer son propre destin : « Dans cinqminutes,jesignelecontratquipeutêtremavieoumamort…Sij’étais romain, je signerais hilare et content… italien, je signecalmeetconfiant»1.Ilavaitcomprisl’importantrôled’influencesurlaconscience

    publique que pouvait jouer la presse écrite, comme le montresonéditorialprogrammatiquedu7-8février,oùilécrit:

    LaPresse2,dans l’Étatmoderne…représenteune forcenouvelle…quin’apasde frontièresdans sonhorizon,de limitesà samission,pasde termeàsonchemin.Assezpeuremarquéedanssesdébuts,elleapeuàpeuconquislemonde.Ilyaquelquesannées,alorsqu’ellesemblaitdéjàpuissante,onl’aappelé le quatrième pouvoir. Mais elle vise effectivement à devenir lepremier,parcequ’ensefaisant leporte-voixdecetteforce intérieurequ’estl’opinionpublique,elleenveloppetouslesautrespouvoirs,influeetdominesurtouslesautrespouvoirs,mystérieusementirrésistible…

    LaPresse,nousnous lareprésentonsaussicommelaprêtressedecette trèshauteloimoraledelaconsciencepublique,quelesintérêts,lespassionsoulesinfluencesspécialesdumomentpeuventfairedévierouperdre,maisqui,recueillant dans une synthèse suprême la voix et l’aspiration de toutel’humanité,guidelesnationsàlaconquêtedubiencommun…

    Ce titre nouveau représente aussi nos aspirations, sans que nous ayons lafolleprésomptiondepersonnifiernous-mêmestoutcequ’est,oupeut-êtrelaPresse.Un tel titrenouspermetde franchirmatériellement les frontièresdenotrevieuxetbien-aiméPiémont.

    Àtrente-deuxansseulement,AlfredoFrassatiseretrouvaitàlatêtedel’undesplusimportantsjournauxdupays,titredontilportait sur les épaules la responsabilité politique et

  • administrative, créant les abonnements cumulatifs avec lespériodiques qui accompagnaient le quotidien : La Stampasportiva, La Donna, La Stampa agricola. Mais on voit soninquiétuderesurgir,malgrélessuccèsremportés:J’ai atteint certains de mes rêves bien plus tôt que je ne l’espérais, maisd’autres,hélas,commeilssontencore loin,etcombien,peutêtre, resteront-ilslointainstoutemavie!Jeressensbienpluslesidéauxquimemanquentqueceuxquej’aidéjàatteints,etmonâmetropinquiètenesaitpasgoûterleprésent,maisseulementselamenterenpensantàl’avenir3

    PietroFrassati,ingénieuràquilavie,selonsonfrèreAlfredo,n’apportapaslacarrièreméritée,futimpliquédansl’édificationet le développement de La Stampa. Extrême compétence etméticulositédansletravail,telétaitlestyledePietro.Iln’étaitpas rare de le voir, le dimanche, tourner autour des murs dusiège du quotidien, comme pour protéger la créature de sonfrère, sidifférentde luipar sonhumilité et sa simplicité,maissonégaldans larecherchedesstratagèmespouréconomiseraumaximum. Un bel exemple : le sol de la direction et de larédactionétaitconstituédecarreauxrécupérésdansunesalledebalspublics.Il était surnommé«Giacchettina »4 à cause de sa façon de

    s’habiller:vestecourteàcarreauxnoirsetblancsau-dessusdepantalons étroits. Il accordait un seul crayon à la fois auxjournalistes ce qui finit par indisposerAlfredo lui-même.Unefois, après avoir obtenu son crayon et échoué à le fairefonctionner,ilencommandaunecentainedefaçonpéremptoire.Déposés dans le bureau du directeur, ils retournèrent ensuitesilencieusement sous le contrôle de l’administrateur. Letypographe Antonio Cavalletto se présentait à chaque fin demoischezl’administrateuraveclebidonvidedestinéaupétroleutilisé pour nettoyer les caractères de la presse à imprimer.

  • L’administrateur,sanssedémonter,indiquaitlenumérorouge27ducalendriergigantesquequisetrouvaitderrièrelui,etdéclaraitsentencieusement:«Noussommesencoreàtroisjoursdelafindumois!»Sa parcimonie était proverbiale. Il ramassait même les

    morceaux de ficelle pour les réutiliser. Pier Giorgiol’expérimentadirectementunjouroùl’administrateurvisitaitlalinotype du journal avec son neveu : il lui conseilla d’utiliserl’enversdesépreuvespourlespapiersconcernantsesœuvresdecharité.Le siège du quotidien se trouvait à l’angle de la Via

    StampatorietdelaViaDavideBertolotti,enfacedel’immeubleoùétaitnéGuidoGozzano5.Unmodesteescaliermenaitàmi-étage,oùsetrouvaitl’administration.Encontinuant,onarrivaitaupremierétage,celuidelarédaction.Àgauche,unpetitsalonservaitàaccueillirlesvisiteurs.Ceux-cifaisaientplusvolontiersantichambredanslelongcorridorqui,àpartirde1913,conduirajusqu’auxlocauxdu20,PiazzaSolferino.C’étaitunerédactionouverteà tous.Parmicesvisiteurs,oncomptaitGiolitti,grand,imposantetenpleineforcedel’âge.ArrivantàTurin,aprèsunehalteàl’aubergeBologna,surleCorsoVittorio-EmanueleII,àl’angle de la rue du XX Settembre face à la gare, il allait seprésentersanscérémonieaudirecteur,lui,lepremierministre.Lescavesdubâtimenthébergentlesmachines.Alfredoécrità

    sa femme, le 11 juillet 1902 : « Je suis beaucoup au bureau,souventavecmesmachines.Ilnemedéplaîtpasdepenserquesur elles, mon âme, mes énergies, ont laissé et laisseront uneempreinte profonde. Puis-je en dire autant sur le monde ? »Quantàl’empreintesurlemonde,c’estsonfilsPierGiorgioquilalaissera…À«l’atelier»duquotidienturinoisvitunetribuantique,au

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  • autrecontexte.Atteintparlavaricelle,ilenduresoifetinsomnieune nuit entière pour ne pas réveiller samère. Sensibilité quitrouve aussi sa place dans les débats religieux. À la fin desleçons de catéchisme, il demande au salésien don Cojazzi lerécitdecertainspassagesdelaviedeJésus.Sicequiestdécritconcerne la doctrine, son visage s’illumine. Mais si le prêtreraconte une guérison, un miracle, un secours donné auxsouffrants, son visage se fait alors sérieux : de grosses larmescoulentsursesjoues,résultatd’unsentimentprofond.Lemême donCojazzi nous aide à faire de PierGiorgio un

    êtrede chair et nonunange évanescent, en expliquant afindemanifesterlavérité:Lorsque… jem’efforcedepenser globalement àPierGiorgio, je le définisspontanément ainsi : un primaire et un élémentaire… il fut impétueux,impulsif,absoluetdécidédanssespropresconvictionsetdécisions,jusqu’àdevenirvraiment,etmêmeassezsouvent,capricieuxetentêté.Ilnes’agissaitpasdechosesgraves:depetitsfaitsquipouvaientpourtantfairesouffrirsamère,quipeinaitpourleplierauxexigencesquotidiennesdelavieetdesacondition. Ces ombres, et d’autres encore, soulignent, cependant, d’autreslumièresnombreusesquiilluminentletableaudesavie1.

    QueveuxdiredonCojazzipar«primaire»?Toutsimplementque,chezPierGiorgio, lesconventionssocialesnesont jamaispremières. Il ne tient jamais rien pour acquis et, pour lui,l’existence n’est pas régie par une série de règles définies parl’habitude. Un être authentique et pur, sans masque et sansfeinte. Chez « Dodo », étaient présents les signes de ce qu’ilseraplustard,maisses«défauts»plaisantsaidentàrendresasaintetéplusprochedenous.Lebienheureuxécritle27février1925,àsonamiIsidoroBonini:Mavieestmonotone,maisjecomprendschaquejourdavantagequellegrâcecepeutêtrequed’êtrecatholique.Malheureux,pauvres,ceuxquin’ontpasla foi. Vivre sans foi, sans un héritage à défendre, sans soutenir une lutte

  • continuelle pour la Vérité n’est pas vivre, mais vivoter. Nous ne devonsjamais vivoter mais vivre, parce, même à travers les désillusions nousdevons nous rappeler que nous sommes les seuls qui possèdent laVérité,nousavonsune foiàdéfendre,uneespéranceà rejoindre :notrePatrie.Etdonc,pasdecettemélancoliequ’ilpeutyavoirseulementlorsquel’onperdla foi ! Les douleurs humaines nous touchent, mais si elles sont vues dupoint de vue de la religion et, par conséquent, dans l’acceptation, elles nesont pas nocives mais salutaires, parce qu’elles purifient l’âme des petitestachesinévitablesdontnous,leshommes,àcausedenotrenaturemauvaise,noussommessouventtachés…toujoursenavantpourletriomphedurègnedeDieudanslasociété!

    PierGiorgioetLuciananesontpasdesenfantsheureux.Lesmauvaisrapportsdanslecoupledeleursparents,ressentisavecintensitépar lesdeuxenfants,et leuréducationrigidesontdesfacteurs déterminants de leur état d’âme parfois triste, parfoispensif et, par instants, apeuré et affolé. Il s’agit de cetteéducationrigoureusedonnéegénéralementparlabourgeoisiedecetteépoque,commenouslerévèlentaussilespagesdeNataliaGinzburgdanssoncélèbreLesmotsdelatribu2etdeSusannaAgnelli dansNous portions des costumesmarins 3. L’objectifpédagogiqueestdedonnerauxenfantsunsensaustèredelavie,en les faisant grandir dans la dignité. La nourriture estextrêmement contrôlée : peu de légumes et de fruits, etseulement cuits, viande trois fois par semaine, pas degrissini,seulement du pain ; pas de charcuterie, pas de gâteaux. Onétouffe tout esprit d’initiative et d’indépendance. GiuseppeBoriolientémoigne:De même que les vêtements d’alors étaient inspirés par la rigidité, leformalisme, les enfants devaient grandir bien élevés, compassés et sous ladominationdecentaines etde centainesd’interdits…Interditd’assister auxconversationsdesgrandespersonnes:aveceux,àpeineunebellerévérenceet ensuite toujours avec la gouvernante dans des chambres pauvres enéclairage…lorsque,depuis la terrasse, lesenfantsapercevaient le retourdupapa, ilscourraientversleurmèreenluidisant :«Maman,donne-nousles

  • claques,paparevient», toutcelapourapparaîtreavecplusdecouleurs.Lachose se sera faite d’abord par jeu, puis la pratique se perpétua. Papa nepouvait bien entendu pas les emmener avec lui, mais maman et la tante4étaientabsorbéesparuneinfinitédemondanités,fêtes,conférences,visites,etc. ;onvous laissaitdoncsouventavecDalla, lagouvernante5 et, parfois,on vous confiait à la grand-mère, même si vos parents vous aimaientbeaucoup et tenaient beaucoup à vous.Mais il n’y avait pas l’affectueuseproximitécontinuelle,physiqueet spirituelle,quedésirent lespetitsenfantsetquilesattacheàleurpèreetàleurmère6.

    Uneambianceassezpeuplaisante,donc,oùlacompréhensiondesbesoinsducœurestmisedecôtéetoù,àlaplace,ondonneprincipalement la priorité aux nécessités de la discipline.Pourtant, Pier Giorgio se sent toujours débiteur envers safamille, sincèrement orgueilleux de l’intelligence, dudynamisme,de l’honnêtetéetde la rectitudemoralepaternelle.Dans les années de l’enfance et de l’adolescence, à Pollone,lorsque, lesamedi, sonpèredoitarriverdeTurin,PierGiorgiogoûtecesmomentsmagiquesetl’attendavecimpatience.Puis,àson arrivée, grande fête, cris et courses dans le jardin et lespièces de lamaison.À Turin, PierGiorgio et Luciana vont lechercher au journal, « et le retour est rempli de coursesincessantesdanslesrues,decache-cachederrière lesarbresoudans les porches ; après le repas, quelles courses dans lespièces!Quelles luttes !Lamamanleurdonne lachasseà tousles trois de pièces en pièces pour sauver les meubles et lavaisselledelaruine»7.Ilestbeaud’observer,àtraverslaporteentrouverte,PierGiorgioetsonpère,sirieursetsisereins,prêtsà saisir la vie dans ses meilleurs aspects de biens immortels,comme l’amour entre père et fils, ou encore entendre, le saluthabituel échangé à l’heure des repas, si simple, si remplid’affection:«Ciao,Giorgettobello!»«Ciao,papa!»Ilsnepeuventimagineràcetteépoquecequiarriveraquelquesannées

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  • longtemps sa voie, prenant progressivement conscience de savocation : aimer, non quelque noble dame, mais notre sœurDamepauvreté.Accomplirune«geste»héroïque,non sur leschampsdebataille,maisauserviceduChrist,dontlevisagesereconnaissaitdansceluidesplushumbles.Ilcommençaainsiàrencontreretàsoignerleslépreux.Lavictoirequ’ilremportasurlui-mêmeestreconnuedanssontestament:«…cequ’ilm’avaitsemblé aimer s’était changé pour en douceur pour l’esprit etpour le corps.Aprèsavoirattenduunpeu, jedisaisadieuaumonde. » Il ne tarda pas, après sa conversion, à romprepubliquementetdemanièrespectaculaireavecsonpère,quiluireprochait de dilapider la fortune familiale en distribuant auxpauvres l’argent qui ne lui appartenait pas. Giotto illustreadmirablementlafameusescèneoùFrançoissedépouilledesesvêtementsetlesrendàsonpèrepouraller,nu,semettresouslaprotectiondel’évêqueGuidod’Assise.Si l’on tente de définir en termes abstraits le message de

    François, le risque est grand de réduire à quelques formulesbanales. Saint François ne fut ni un grand théologien commesaint Augustin, ni un profond penseur et philosophe commesaintThomas,nimêmeunthéologiendelaviespirituellecommesaint Bernard ou Ignace de Loyola. Le Poverello laisseessentiellementun témoignage :celuid’unhommequiavouluvivrel’Évangileàlalettreetêtreuntémoindel’amourdeDieudanslemonde.La même chose pourrait être dite de Pier Giorgio Frassati,

    intéressé par la personnalité de saint François au point qu’ilveut,enseptembre1919,visiterAssise,FolignoetLoretteafindemieuxconnaîtrelaterreduPoverello.CejeunehommericheduXXesièclea,ensubstance,véculamêmeexpériencequelePauvred’Assise,maisselondesméthodesdifférentes.Sonrefus

  • semanifestehorsducerclefamilial:ildédaignelesréceptions,lesrepasofficiels,lesmondanitésengénéral,maisilnemontrejamais son père du doigt. Pier Giorgio vit, dans un cadrebourgeois et aride, une très profonde spiritualité catholique,manifestant,demanièretoutàfaitoriginale,larencontreentrelahaute bourgeoisie et l’esprit évangélique et démontrant, endéfinitive,qu’unhommefortunépeutentrerdansleroyaumedescieux.Segardanttoujoursdel’obsessionduprofit,ilrefuseapriori

    le primat de l’économie et de la politique sur lamorale, et del’intérêt individuel sur le bien commun, à la différencede sonpère.Etpourtant,PierGiorgioa,enlapersonnedesonpère,unexemple, non seulement de rectitude, mais de sérieux et decohérence,carilya:[…] plus que vivace, chez Alfredo Frassati, une adhésion à ces principessolidaires et humanitaires dont les milieux catholiques turinois étaientprécisément les porte-étendards. Frassati avait une forte inclinaisoncaritative…C’était une attitudeproche également des idéauxdu socialismepropagés depuis longtemps dans le Piémont et l’Italie par des hommes deculture comme De Amicis et Arturo Graf, Cesare Lombroso et GiovanniCene,GiuseppeDiocosa,ZinonZinietGuglielmoFerrero14.

    Le3juillet1923,ilécritdanssonjournal:Nous qui ne sommes pas socialistes, nous ne pouvons que nous réjouirlorsque nous voyons que la direction morale et intellectuelle du partisocialiste est confiée non à des sectateurs étroits et rigides, à des tribunsincohérents,maisàdefortesintelligencesquisaventcomprendrelesbesoinsdelasociétéitalienneactuelle…Nous,leslibéraux,nousavonsgrandintérêtà suivre les socialistes dans cette œuvre d’analyse minutieuse et d’actionpratique.

    Cen’est pasunhasard siFrassati donnenaissance à cequiseralarubriquerégulière«Miroirdutemps»,néed’abordsouslenomde«La charité du samedi».Ouvertedans laGazzetta

  • piemontese depuis 1890 il y fait figurer la liste anonyme desdons reçus pendant la semaine. Il n’oublie jamais d’ailleursd’accomplir en personne des gestes de charité, attitudephilanthropiqueetpaternalistetraditionnellementbienenracinéedansleterritoiresubalpin.PierGiorgio,commenousavonsdéjàeul’occasiondeledire,

    est un adolescent tenace, sainement entêté et orgueilleux.Certains l’ont montré et le montrent du doigt en l’accusantd’avoir continué à manger à la table familiale, sans faire unchoixdrastiqueetdécisifdans la lignedeses idéessocialesetpolitiques. Mais Pier Giorgio est l’adolescent saint qui nerépudie pas lamaison paternelle et continue à y vivre tout enfréquentantdesprêtres,desouvriersetdesmalheureux.Iln’yajamais euaucune failledans les sentiments trèsprofondsqu’iléprouvepoursafamille.EnPierGiorgio,ilfautlereconnaître,existe,vis-à-visdeses

    parents,unesortedecontradiction,quiparadoxalements’avèreféconde:extrêmementobéissantpourcequiestdel’ordredelajusticeenvertud’unimmenseamourenverseux,et,pourtant,àdes années-lumière d’eux par sa pensée et sa conception del’existence. D’où une sorte de rébellion. Mais une étrangerébellion ! Il continue à vivre et à partager la dimensionfamiliale, tout en s’immergeant dans bien d’autres réalitésidéologiquesetéconomiquesquecellesdelamaison.Sonpèreluiécriten1922:«Agissanttoujourssansréflexion

    dans les choses qui, pour toi, devraient être très importantes(comme,danscecasparticulier,ilnefallaitpasoubliercelivrequiteservirapourleprochainexamen)tudeviendrasunhommeutilepour lesautresetpour toi.»Parfois, ilest impossibledejugermême ses propres enfants.On croit les connaître commesoi-même,maisenréalité ilsnenousappartiennentpasetsontdestinésàdeshorizonsbiendifférentsdenospetitesetcourtes

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  • respectdecertainslibérauxpourlesdiversesconfessionsdefoi,jugement qui est faux non seulement pour Frassati (dans sonjournal, pasune seuleparole contre l’Égliseou sesministres),mais aussi pour Giolitti, habitué à entrer dans des égliseséloignéesdelafouleetdesjournalistes.Lorsque sa femme très aimée mourut, Giolitti monta se

    coucher, comme il le faisait toujours vers vingt-deux heures,puis, peu aprèsminuit, rejoignit, à travers les rues deCavour,l’égliseoùse trouvaient les restesde sonépouseet restadeuxheures à la veiller. C’est une religieuse qui a rapporté le fait,parceque leprésidentduConseil avait déjoué sa surveillance.D’uncaractèreferméetintroverti,recueillonssadouleursurunlivre de compte. À côté des comptes des funérailles et desœuvresdebienveillance,nouslisonsdesamaincecommentaireinattendu:«10mai.Touchédumalheurleplusatroce.Mort,àTorre Pellice, de ma femme sainte et adorée. » Il n’est pasétonnant, alors, qu’un libéral agnostique comme GiovanniGiolitti, considéré par Don Sturzo comme un « mangeur deprêtre », mais très ami du curé de Borgo San Damazzo, aitsuscitédeséchosdesympathiedanslemondeecclésiastique.Alfredo ne fit jamais participer ses enfants à sa vie

    intellectuelle ou spirituelle. « Il les tint toujours éloigné desmanifestations qui auraient pu leur laisser des souvenirsindélébiles comme sa prestation de serment au Sénat, dont ilsn’eurentpasmêmeunécho»6.Mêmes’ilselimiteàleurdispenserquelquesrarespréceptes

    pédagogiques indispensables, Alfredo Frassati aime aussi sesenfantspourleplaisiretladistractionqu’ilsluiprocurent.Déjàen 1905, Adélaïde écrivait à sa sœur : « Alfredo a toujoursautantbesoindesenfants,avecladépressionmoralequ’ilsubit,il leur est toujours plus attaché. »Adélaïde souvent oppressée

  • parlamauvaisehumeurdesonconjoint,trouvechezsasœurungrand refuge et une grande consolation et lui avoue : « MonDieu,êtreàtablesanssedireunmot!Bénissoientlesenfants,etbénie sois-tu lorsque tuesavecnous» (11 juin1907).« Jefaisunefixationétrange,avaitécritAlfredoenaoût1897,dansune lettre à sa fiancée, alimentée par les choses les plusinsignifiantes:quenousnenousentendionspassurleschosesimportantes. Comme nous différons à propos de tant d’entreelles!»NiGiolitti,niFrassatinepeuventêtreaccusésdenépotisme.

    ToutlemondesaitenItalieàquelpointlepremierministren’ajamaisacceptéaucuncadeau,mêmemodeste.Maispeudegenssavent qu’un jour, il donna même l’ordre de refuser unmagnifique morceau de sanglier, trophée de chasse du roiUmbertoIer.Lesdeuxamis,d’uneextrêmeponctualitéentoutechose, seméfient des gens qui se lèvent tard dans lamatinée.LesBielloisvirentFrassati,âgédeplusdequatre-vingt-dixans,se promener sur les pentes de ses chères montagnes. Il aimePolloneplusquelui-même.Lejardin,lesplantes,lescimesdesmontagnes le reposent et le rafraîchissent.Depuis l’Allemagneoù,danslesannéesvingt,ilaétéenvoyécommeambassadeur,sapassionpourlesarbresluifaitordonneràsafillededix-huitansd’encontrôlerlacroissanceavecunmètre.SerappelantlaparoledeBismark:«laforêtestl’indicedela

    grandeurpsychologiqued’unpeuple»,AlfredoFrassati estunpartisan convaincu de la nécessité du reboisement et veut quel’onmultiplielavégétationalpestre,quel’onfassepousserdesarbressurlesrivesdestorrentspourlesstabiliseretlesembellir.Son intérêt et son engagement sur ces questions sontrécompensésparlamédailled’orduMériteforestierquiluiseraconférée21novembre1951parleministredel’époque,àRome,

  • enprésencedes autorités, de nombreux citoyens et demilliersd’enfantsetd’étudiantsdetoutâge.Sonautrepassionestl’équitation.Cavalierémérite,ilmonte

    l’indomptable irlandais Parsifal (qui n’acceptait que PierGiorgioetlui)pourparcourirdelargesportionsdesforêtsdelaSerraetduStupinigi.Lecheval irlandais l’accompagneaussiàBerlin,oùilgalopechaqueaprès-midiauTiergarten,provoquantenvieetadmiration.Le18février1921,ilfaitparticipersafilleàsasatisfaction :«Hier, j’ai faitunemagnifiquepromenadeàcheval.Deuxaller-et-retourjusqu’àWannsee.Jenetedispas!Leschevaux,saufParsifal,étaientépuisés;lescavaliers,àpartton père, morts ! Le commandant Ruggieri7 a dormi quatreheuresl’après-midi!»Giolitti privilégie la chasse en montagne et l’escrime qui

    l’entraîneauxassautsdel’arènepolitique.Tousdeuxencouragent l’épargne.Dansune lettredeBerlin,

    en janvier 1921, Frassati recommande à la maison : « Nedépensez pas tant… cela n’est vraiment pas nécessaire…J’économiseuncentime,mais jen’économiseraipascentmilleliressicetteéconomiedevaitmefaireperdrelaface.»Defait,ilne recule pas face à la dépense pour le style et le prestige del’ambassade. «Maître en inquiétude et nostalgie, lentement etprudemment,ilpréparelessuccèsfutursennepermettantjamaisà la compétition de dégénérer en arrivisme » 8. Un grandindustrieltenteunjourdeleséduirepardesgainsfaciles,maispeutransparents.Ilmenaced’envoyerrouleraubasdel’escalierquiconques’aviseraitdeluifairedesemblablespropositions.À la différence de Giolitti, de tempérament assez patient,

    Frassatitolèreassezpeuetsupportemallesdéfautsdesautres,même s’il s’en rend compte : « Je pardonne tout, écrit-ilmélancoliquementà sa fiancée, le30 juin1896,parceque j’ai

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  • lui causer des problèmes », lui fait remarquer Tina Aimonepassantunjouravecluidevantl’églisedelaSantissimaTrinitàde la viaGaribaldi, « alors que règneun régime totalitaire quiméprise tout credo qui n’est pas d’essence fasciste. “LorsqueDieuestavecnous,ilnefautavoirpeurderien”,répond-il.»9Un jour, se trouvant au couvent Saint-Dominique de Turin,

    qu’il avait commencé à fréquenter avec assiduité à partir de1918, il se renddans lacelluledupèreAngeloArrighinipourlui demander un livre de méditation sur le paradis. Le PèreArrighinin’entrouvepas,maisPierGiorgioinsistant,lepèreluirépond:Tu voudrais un livre sur le paradis ?Mais tu ne sais pas que c’est un desmystèreslesplussublimesdelathéologiesurlequelmêmelessaintsn’ontsuque balbutier, y compris l’apôtre saint Paul, qui fut pourtant enlevé autroisièmeciel,disantensuiteavoirvuetcomprisdeschosesquel’hommenepeutpasrépéter.C’est vrai, insiste PierGiorgio,mais on pourrait aumoins dire le peu quel’on sait de son existence, desdifférentes conceptionsque lespeuples s’ensontfait,desjoieséternellesdontparlel’Évangile,desmoyenslesplussûrspouryaller.Eh bien, conclut le père pour le satisfaire, nous verrons, lemoment venuj’écriraipeut-êtretoutcela.Enattendant,j’aidéjàtropdetravailentrain;entoutcas,quandcelaserafait,jeteledédicacerai.Tuescontent?

    PierGiorgio satisfait d’avoirmis la puce à l’oreille au pèredominicain, lui serre la main plus chaleureusement qued’habitudeetpart.LepèreArrighinirepoussesapromesse.Puis,lorsquePierGiorgiomeurt,ilsesentdéchargédesapromesse.Maissaconsciencenelelaissepasenpaixetauboutdedixseptans,ilsedécideàécrireIlParadiso,publiéen1942,aveccettedédicace:ÀmonvénérablediscipleetamiPierGiorgioFrassatiQue j’ai consacré dans le Tiers Ordre dominicain sous le nom de Frère

  • Girolamo.Je dédie ce livre qu’il avait désiré et demandé, afin que, du ciel d’où il

    brilledéjàcommeuneétoiletandisquesurterreonluiprépareunautel,illebénisseetlerépande.

    Quelquesoitlelieuoùilsetrouve,ilneperdl’habitudedel’eucharistie quotidienne, son « énergie positive », pouremployer une expression actuelle. Rien ni personne ne peutl’éloigner de ses pratiques spirituelles, qu’il accomplit sanshypocrisie religieuse, vantardise, ni pour se sentir bon, maisparce qu’il a besoin d’être avecDieu, avec leChrist etMarie.Avec eux et en eux, il trouve la force, le courage, la paix, lasérénité, l’espérance, la volonté de commencer chaque instantavecélanetjoie,chaquejourdesaviedechrétien.ÀPollone,onlevoitpasserdevantl’égliseparoissialesurle

    cheval rebelle de son père, Parsifal. Il a appris à ce dernier às’arrêterenfacede l’égliseetPierGiorgio,sanssepréoccuperdestémoinsprésents,faitl’undesesamplessignesdecroix,ens’inclinantjusqu’àlacrinièreducheval.S’ilnemanquejamaislacommunionquotidienne,ilrenonce

    encore moins à la messe dominicale. Même s’il aime sansmesurelesrandonnéesenmontagne,etlesescaladesalpines,ils’arrangetoujourspourconcilierlesdeuxrendez-vous.Maiss’illui est impossible de concilier les horaires, alors, sanshésitation,illaissetomberlamontagne.Cettequestionavaitétéplusd’une foisdébattuedans l’entouragedePierGiorgioavecdesprêtres.Tout lemondeétaitd’accordquecen’étaitpasunpéchédepartirlesamedi,pourdesraisonsdesantéetderepos,et de ne pas assister à la messe. Pier Giorgio comprend cesconclusions raisonnables et pourtant, saintement entêté, ilaffirme:«C’estbien,onpeutfaireaussicommecela.Maismoi,jeneveuxpaslefaire.»PierGiorgioparticipeàlacélébrationeucharistiquenonpaspouréchapperaupéché,maisparcequ’il

  • nepeutpasfaireautrement.Commel’eauestindispensablepourvivre,ainsiPierGiorgionepeutpasexistersanslePaindeVie.Comment résoudre sa préoccupation ? Il renonce auxrandonnées,oubiendécide fréquemmentdepartir ledimanchematin,maisseulementaprèsavoirparticipéàlamesse.MonseigneurGiovanni-BattistaPinardi(1880-1962),curéde

    San Secondo (la paroisse la plus proche de la gare de PortaNuova), évêque auxiliaire deTurin, et candidat à la gloire desautels (sa cause de béatification a été introduite en 1999) araconté:Combien de fois, le samedi, se présentait-il à moi pour se renseigner surl’heure de la première messe. Combien de fois m’a-t-il demandé d’encélébrer une avant l’heure normale ! Et lorsqu’il n’était pas possible de lefaire à une heurematinale, attristé,mais ferme et décidé, il abandonnait larandonnée en montagne. Cependant, la plupart du temps, la messe étaitdécidée.

    Puis,suruntonnostalgiqueetpleindesouvenirs:Comme c’était beau de le voir entrer avec ses compagnons aux premièresheuresdudimanche,àSanSecondo,souliersferrés,bâtonsdeskioupioletenmain,sacsurlesépaules.Ilsedirigeaitd’unpassonoreverslasacristie,déposait son chargement et servait lamesse à l’autel. C’était émouvant del’observer:puissantdanssoncorps,plusfortencoredanssafoi!

    C’est une image d’une beauté unique. Un artiste devraitpeindredansl’égliseSanSecondolejeunesaintoffrantparlesmains du saint célébrant le sacrifice de chair et de sang duChrist.« Il était le premier à communier. Son attitude était l’indice

    sûret lepréluded’unerandonnéeenmontagne,pleinede joie,mais de joie chrétienne » 10. La messe terminée, le « jeunehomme des Béatitudes », retournait à la sacristie et, les«armes»sur lesépaules, il sortaitensaluantetenremerciantMonseigneurPinardi. Il courrait ensuite avec ses compagnons,

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  • pour lesdégâtset, enparticulier,pour l’atteinteà la libertédepensée, calme et assuré, il répond : « l’erreur et la calomnien’ontdroit à aucune liberté.Et si j’en retrouved’autres, je lesdéchirerai encore, et toutes ! » 12 Les adversaires s’enretournèrent l’oreille basse et PierGiorgio lui-même s’étonne,alorsqu’ils’étaitpréparéaupire.Ses rapports avec Colonnetti ont aussi sur une dimension

    pluspersonnelle,commeledémontrentcertainsdocuments.SonamiAntonioVilani,originaired’Émilie-Romagne,déjàdiplômé,et qui désire revenir àTurin commeassistant àPolytechnique,demande à Pier Giorgio d’intercéder pour lui auprès duprofesseur Colonnetti. Le 27 juin 1923, Pier Giorgio lui écritainsi:Très cher Villani. J’ai passé hier l’examen d’électrotechnique et je l’ai euavecunenotede90/100.J’ai finalementpuparleraujourd’huiàColonnettipourtoi…ilm’aditqu’ilssontentraind’examinerlesassistantsaujourd’huien place, et il ne sait pas pour le moment ce qui sera décidé pour lesnouveaux assistants. Il faut donc avoir de la patience pour l’instant etattendre jusqu’au 15 juillet, où Colonnetti me donnera de plus amplesexplications et clarifications sur les assistants qui seront nommés pourl’annéeàvenir.

    Beaucoup demandent de l’aide à Pier Giorgio pour desquestions personnelles, car il est un canal privilégié pouratteindresonpuissantpère.C’estcequiseproduitpourIsidoroBonini,quiveutselancercommepionnierdansl’agricultureenAmériqueetquidemandeàsonamid’intercéderauprèsdesonpère pour avoir aide et conseils : « Tu fais bien de t’engagerdans l’agriculture. Je présenterai ton programme à mon père,maistuserascertainementapplaudi,parcequ’ilesttrèscontentlorsquel’onparled’agricultureetdittoujoursquel’aveniretlafortunedel’Italiereposenteneffetdansl’agriculture»13.Grâceàsadéterminationobstinée,PierGiorgio,auprintemps

  • de1925,voitseprofilerdevantluilaligned’arrivéetantdésirée.« À partir du 1er mai, j’ai l’intention de commencer monmémoire pour en être, avec l’aide deDieu, libéré en juillet etpasser ainsi mon dernier été libre, pleinement libre14 » Ilrejoindra en effet en juillet la pleine liberté, mais la libertécéleste.Son programme est le suivant : commencer sonmémoire et,

    entre-temps préparer l’« assommant » examen de technologieminière.Pouraccomplirsonprojet,ilécritàIsidoroBonini(14avril1925):«UnefoisarrivéàTurin,jeseraimortpourtoutlemonde sauf pour la Conférence Saint-Vincent de Paul, et jetravaillerai du matin au soir. » La charité, avant tout. Encoredeuxexamensetlediplômeenoctobre,pourconcrétiserl’effortemployé pour atteindre le but. En 1923, il imagine déjàcommentfêterlavictoirefinale:«Jesuiscontentd’avoirétéauMonviso et, si je suis encore vivant, une autre année jesouhaiterais m’entraîner dans cette région une quinzaine dejours pour pouvoir ensuite, le jour du diplôme, escalader leCervin.»C’estainsiqu’ilauraitcélébrélediplômetantdésiré:en se rendant sur le sommet pour chanter sa propre louange àDieu,arriversurlesommetdelamontagnepourlavictoireetlaliberté,conclusiondecetteescaladescolairequiluiatellementcoûté. Mais la mort (impressionnant dans ses lettres au tonléger,lesifréquent«sijesuisencorevivant»),arrivetrèsviteetàl’improviste,leprivantdecesuccèspourlequelilaluttéavectantde ténacité.Etpourtant, ellene leprendpaspar surprise,parcequesalampeestalluméedepuislongtempssurlechemindelavérité.« Crois-moi, jour après jour on vieillit, et chaque jour qui

    passe,onamoinsenvied’étudier…maislapenséed’avoirmondiplôme me donne la force de continuer », dit-il à son ami

  • AntonioSeveridansune lettreenvoyéedePollone,endatedu17 avril 1924. Le 10 janvier, il écrit à un autre ami, TonionoVillani,aprèsavoirvisité lesminesdelaRuhr,enAllemagne:«Dansdeuxans,moiaussi,siDieumeprêtevie,jetravailleraidanslaRuhr.»Dansuneautrelettreàunprêtre,ildéclare:«Jeserai ingénieurdesminespourpouvoirmedonnerplus encoreauChrist aumilieu desmineurs. Comme prêtre, je ne pourraipaslefaire,mais,commelaïcexemplaireetvraimentcatholique,oui.»Jamaissuperficiel,ilnesecontentepasdevisiterlesminesde

    la Ruhr, mais il approfondit ses connaissances en d’autreslieux : Cologne, Silésie, Herzgebirge, Carrare, Oneta etKatowice,làoùtravailleraaussilejeuneKarolWojtyla.C’estaucours de ce séjour en Allemagne que Pier Giorgio cessed’envisagerl’éventualitédusacerdoceetchoisidesespécialiserdanslesmines:«Jeveux,danslesmines,aidermonpeupleetceci,jepeuxmieuxlefairecommelaïcquecommeprêtre,parceque chez nous les prêtres ne sont pas au contact du peuple »,explique-t-il à Louise Rahner, la mère du fameux théologienKarl,chezquiildemeureuncertaintemps.Sonaspirationestdedevenir«mineurparmilesmineurs.»Ainsi, selon ses plans, son choix peut avoir un énorme

    avantage, tout personnel : dissimuler plus efficacement savocation missionnaire aux yeux de ses proches. Nous savonsavec certitudequ’il désire se rendre enAmériqueduSud, nonseulement pour vivre, partager les risques et les fatigues desIndiens exploités dans les mines du Chili, de Bolivie etd’Argentine,maisaussipourêtremissionnaire,annoncerainsilaBonne Nouvelle et porter l’Évangile parmi les pauvres. ServirDieudansl’hommeestsongrandidéal,etilestsignificatifquecertains compagnons d’études de Pier Giorgio changentd’orientationdansleursétudesàcausedelui,aprèsavoirvisité

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  • étédotésparDieudebeaucoupdegrâcesauxquellesnousavons,hélas,malrépondu!Terribleconstatationquimetourmentelecerveaulorsquej’étudie,etjemedemandeparfois:est-cequejecontinueraiàsuivrelabonneroute?Aurais-jelachancedepoursuivrejusqu’aubout?J’entrembleetlafoiquim’aétédonnéeaubaptêmemesuggèred’unevoixsûre:«Detoi-même,tuneferasrien,maissiDieuestpourtoiaucentredetout,tonactioniraalorsjusqu’auboutdetout»,etc’estbiencelaquejevoudraisfairemadevisedelaphrasedesaintAugustin:«Seigneur,notrecœurestsansrepostantqu’ilnedemeureentoi.»Pourtant, une à une, les amitiés terrestres produisent dans notre cœur desdouleurspar l’éloignementdeceuxquenousaimons,mais jevoudraisquenous fissions un pacte qui ne connaisse ni frontières terrestres ni limitestemporelles:l’uniondelaprière…lorsquetuviendrasdanslavilleoùnousavons passé tant d’heures belles et joyeuses (qui ne reviendrontprobablementplus)autempsoùnousétionslibresdetoutsoucietoùnousrions sans arrièrepensées. De telles heures, hélas ! ne reviendront jamaispourmoi.Joyeuxextérieurement, jeleseraitoujours…êtrecatholiqueveutdire jeunes joyeux, mais, intérieurement, je donnerai libre cours à matristesse…

    Pier Giorgio sent arriver sur lui l’âge adulte, il souffreterriblementdevoirsescompagnonsd’étudesetdemontagnesedisperser, chacun sur sa propre route, non par un sentimentpuéril, mais à cause de sa conscience de l’existence, des«complications»del’après,decequidoitvenir:La lutte est dure,mais il faut chercher à vaincre et à retrouver notre petiteroute deDamas pour pouvoir ymarcher vers ce but où nous devons tousarriver.Encoreunpetiteffortetmoiaussij’obtiendraicediplômetantdésiré,maisensuiteilyaunproblèmebienplusdifficileàrésoudre,surlequelpèsetoute notre responsabilité. Est-ce que je saurai résoudre ce problème ?Aurais-jelaforced’yarriver?Certes,lafoi,uniqueancredesalut,ilfauts’yagripperfortement.Sansellequeseraittoutenotrevie?Rien,oumieux,elleseraitdépenséeinutilementparcequedanslemonde,iln’yaquedouleuretladouleurdanslafoiestinsupportable,tandisqueladouleuralimentéeparlapetiteflammedelafoidevientunebellechoseparcequ’elletrempel’âmepourlalutte.Aujourd’hui,danslalutte,jenepeuxquerendregrâceàDieuqui a voulu, dans son infinie miséricorde, concéder à mon cœur cette

  • douleur afin qu’à travers les épines acérées, je retourne à une vie plusintérieure, plus spirituelle. J’avais vécu jusque-là trop matériellement etmaintenant, il fautque je retrempemonespritpour les luttes futures, caràpartir d’aujourd’hui chaque jour seraunenouvellebataille àmener, et unenouvellevictoireàobtenir…(LettreàIsidoroBonini,29janvier1925).

    Homme d’action, il traduit en pratique la devise de sainteCatherine de Sienne : « Il fare giova sempre » 5. Dans sesétudes,commedanstouteautreactivité,ycompriscaritative, ilsejouetoutentier,commedanslesport,entantquemembreduClubalpinetdeGiovanemontagna.Dans les associations, Pier Giorgio donne. Dans la vie

    religieuse, comme affilié au Tiers Ordre dominicain, il reçoit.Pour atteindre la perfection de la vie chrétienne, Pier Giorgioreçoit avec d’autres jeunes, le 28mai 1922, la vêture dans lechœurdel’égliseSaint-DominiquedeTurin,desmainsduPèreArrighini. Sont présents avec lui, le pèreMartin Gilet, maîtregénéral de l’Ordre, le père Reginald Giuliani, le père EnricoIbertis, et deux amis de Pier Giorgio, les frères Filippo etFrancescoRobotti.LepèreIbertistémoigne:

    Pour nous tous ce fut une véritable surprise et un véritable motifd’étonnement de le voir dans le recueillement de la cérémonie de vêture.Pourquiétaitcontinuellementhabituéàlevoirexploserdanssoninimitablehumour joyeux, ce fut comme d’être subitement plongé, du jour, dansl’obscurité totale de la nuit : ce fut, plusqu’une surprise, un renversementquilaissaapparaîtreunenaturesecrète,tenaceetnouvelle6.

    D’autresdominicainsrestentimpressionnés:lejeunehomme,la pipe ou le cigare à la bouche ressemble à un mystique.Religieux,amis,professeurs,pauvres,ycomprislesdomestiquesde sa maison, tous, sauf ses proches, sont fascinés par PierGiorgio.Ilsconstatentlapossibilitépourunchrétiendenepasrestreindre sa vie spirituelle aux seuls temps dédiés aux rites

  • liturgiques. Sa sainteté est vitale, vigoureuse, virile, privéed’adoucissementetpleinedeforce.LePèreMarioDesideriosesouvient :« je fus frappépar le

    maintien, le sérieux et la dévotion d’un jeune homme, grand,robuste, élégamment vêtu et beau, qui prit le nom de frèreJérôme. Je me souviens aussi de la joie, de l’allégresse de cejeunehomme…lefracasfaitàlasacristieavecsescamarades,àlafindelacérémonie.Onavaitl’impressionqu’ilsallaientfaires’écrouler l’église, lasacristieet lecouvent!»7.Lafemmedechambre des Frassati, Ester Pignata, témoigne : « Samère luicriait beaucoup dessus, peut-être parce qu’elle était trèsnerveuse.Jemerappelle,parexemple,qu’avantd’entrerdanslasalle àmanger, le jeunemonsieur faisait son signe de croix etdisait ses prières et, de l’autre côté, sa mère l’appelait avecinsistance:«Qu’est-cequetufais,PierGiorgio?Tunevienspas encore ? » Lui finissait sa prière ». Il ne voulaitprobablementpassefairevoir,parcequ’ilauraitétéréprimandéouquelesinvitésn’auraientpascompris.La profession a lieu dans la chapelle de la Madonna delle

    Grazie à Saint-Dominique. Le Père Francesco Robotti estprésent.LevisagedePierGiorgioestmarquédelarmes.Saint Thomas, saint Augustin, saint Bernard, saint Paul,

    sainteCatherinedeSienneetDantesontseslecturespréférées.FrèreJérômepense,prie,espèrecommeunfrère8.Ilconnaîtàlaperfection la règle du Tiers Ordre, est assidu à la rencontremensuelle et, en plus du chapelet, récite quotidiennementl’officedelaSainteViergequ’ilconservetoutletempsdanssapoche.Maisquandtrouve-illetempsdeprier?Certainstémoinsracontent qu’ils l’ont vu plongé dans la prière même dans letramoumarchantdanslarue.Il aime et admire saint Thomas, maître de sagesse, qui a

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  • parlepape.Le nouvel assistant et, avec lui, les dirigeants et la base,

    comprennent que l’incident des télégrammes avait été utilisécomme prétexte pour changer ses orientations. Le Saint-Siègeveut en premier lieu, tendre progressivement vers lacentralisation de l’Action catholique et, par conséquent, versune structure hiérarchique, pyramidale, avec la perted’autonomie des diverses branches. On peut justifier un teldurcissement par la volonté de protéger les associationscatholiquescontrelesviolencesfascistes,enlesplaçantsouslatutelle plus directe des autorités ecclésiastiques, ainsi quel’exigenced’unemajeurelibertéd’actiondelapartduVatican,en vue des manœuvres d’approches préconcordataires. Celasignifieromprecomplètementlesliensentrel’ActioncatholiqueetlePartipopulairequi,danslesdernierstemps,aconstituélaciblede lapresse fasciste.Labasede laFUCIse rendcomptedes pressions que le régime fait peser en réalité sur lemondecatholique, limitant ses espaces d’autonomie et diminuant ladémocratie interne, dans l’intention de préparer un éventuelaccorddufascismeavecl’Église.Écoutons le témoignage d’un membre de Pise à don Luigi

    Piastrelli:J’ai toujours été et je serais toujours discipliné envers la hiérarchie. Je nesorspasetnesortiraijamaisducercledelalégalité;j’aime–c’estlaparoleexacte–ceuxquiprennent soindemonélévationculturelleet religieuseetqui,d’unefaçonoud’uneautre,travaillentavecmoipourlafoi.Cecidit,jenepeuxm’empêcherdepleurer sur les ruines futuresdenosorganisationsalorsqu’ellesnecessentdese«fasciser»davantage!Ilfautdoncêtreclairet ne rien se cacher ; on veut arriver à la religion d’État par l’idolâtrie del’Étatetnonavecl’Églisecatholique;celaservirabienàcettefin,mais…!4

    C’est pour ces raisons, et dans ce climat tendu, que lanominationdeDonMontini,àpeineâgédevingt-huitans,est

  • accueillieavecbeaucoupdefroideur,etmêmedeméfiance.Ilest«l’hommeduVatican»,ettousseméfientdelui.Dèsledépart,le nouvel assistant se proposedevaincre les réticencesde sonprédécesseur,enluifaisantcomprendrequ’ilveuttrouverenluiuncollaborateur,unmaîtreetsurtoutunami.Ilchercheàallégerl’atmosphère chargée de doutes à son encontre, par cesrencontrespersonnelles,maisaussipardescirculaires,assurantquelesnouveauxdirigeantsn’ontabsolumentpasl’intentionderompreaveclatraditionetinsistantsurlavolontédetrouverunterraind’ententeetdetravailcommunau-delàdesjugementssurlespersonnes.Montinin’estpasl’hommedelaruptureaveclepassé,mais introduit une féconde nouveauté : l’amitié commestyle de vie entre laïcs chrétiens, élément commun avec PierGiorgio,uneamitiéquidoitaller,commeill’exprimedansunelettre chaleureuse pour la journée de la FUCI de 1927, « deshommesverslemonde».Telestlesecret,misenœuvreparPierGiorgio,dudialogueavec lemondemoderne :unecontinuelletensiond’amour,comme leditYvesCongarpourexpliquer lesefforts continuels de Montini au cours de son existenceconsacréeauservicedel’ÉgliseetdupeupledeDieu.La méfiance se transforme vite chez les étudiants en

    applaudissementspourunDonMontiniquiconçoitl’universitécomme une communauté de recherche, un lieu de rencontre etnonde conquête, ressentant unprofond respect pour lemilieuuniversitaireetpourlalaïcitédelaculture,etundésirardentetcontinueldelavérité.C’est une présence sacerdotale différente de celle de ses

    prédécesseurs qui se dessine. Il se fait, entre autres, animateurde nombreuses initiatives culturelles, cherchant toujours àproposer et non à imposer, même s’il donne une directionpréciseauxorientationsdumouvement.Dans la seconde moitié des années vingt, la vie des

  • universitéscommenceàdevenirplusdifficileàcausedesGUF(Jeunesuniversitairesfascistes).Aprèsleconcordat,cesdernierstententdeserapprocherdesuniversitairescatholiques.Montini,opposécommePierGiorgioàtouteformedecompromis,réponddans un article publié dans la revue du mouvement Azionefuciana [Actionde laFUCI] :«Parolesauxmembres.Parolesbonnes après de grands faits ». Il interprète les accords duLatrancommeun rideaudedéfensederrière lequel seprotégerpermettant de s’occuper de l’objectif réel de l’Église, le salutchrétien.Dans laproposition culturelle et formativedeMgrMontini,

    la culture perd son caractère exclusivement apologétique pourdevenir un instrument de dialogue, de confrontation et non deconquête. Il donnebeaucoupd’importanceau rôle cultureldeslaïcs et insiste sur le fait que la formation intellectuelle desétudiants ne doit plus être lemonopole exclusif des assistantsecclésiastiques, mais que la culture a un rôle principalementformateur,commedécouvertedela«vocationintellectuelle».La Fédération, par son caractère universitaire et cultivé, est

    considérée comme un obstacle à la diffusion du fascisme. Parconséquent, ses locaux sont saccagés, des membres sontagressés pendant les manifestations et de graves accusationssontportéescontresesresponsables5.Le dialogue entre lemondemoderne et la culture, est le fil

    conducteur qui a accompagné tout le parcours terrestre etspiritueldeMonseigneurMontini.Iltrouvesesracinesdansunetensionpermanenteentrecompréhensionetamour.Saprofondeexigence d’amour, d’amitié avec l’homme dans ses différentsvisagesestexpriméeavecforceetluciditédansunelettreintenseadressée aux dirigeants de la Fédération en 1927 : « Nousignorons le monde qui nous entoure, qui marche à nos côtés

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  • d’uneseulejambepourentretenirsamèreetsonpetitfrère.PierGiorgiol’accompagneetarrivantàl’heuredudéjeuner,surleurtable,ilnevoitrienalorsquelacuisinièreestéteinte.Ilachèteàmanger et commande un stère de bois chez le charbonnier. Àpartir de là, cette famille prend place dans ses fiches, lemémento de sa charité. C’est seulement après lamort de PierGiorgio,envoyantsaphotosurunjournal,quelamèredesdeuxenfants découvre que leur jeune bienfaiteur était le fils dusénateurAlfredoFrassati.C’estluiquiavaitaussidésengagéduMont-de-piété ses deux boucles d’oreilles, les lui rapportantdans une petite boite, offert au plus jeune des garçons unnouveau costume pour sa première communion et un brassardpoursaconfirmation.En entrant dans les misérables demeures, Pier Giorgio est

    extrêmementrespectueux.Ilenlèvesonchapeauetserrelamaindes pauvres avec respect. Il s’intéresse d’abord à leur état desanté,àleursproblèmesetparleensuitedefoi,d’espéranceetdeDieu.Détachédesrichessesetindifférentàsespropresbesoins,son

    père,interrogéaumomentduprocèsdebéatificationdesonfils,déclarera:«Quantàsondétachementdetoutcequipouvaitêtrerichesses, je peux affirmer qu’il était complet et qu’il étaitcomplètementdésintéressé.»Il se préoccupe aussi de l’école et inscrit plusieurs fois des

    enfants dans des écoles privées, mais son attention estprincipalementtournéeverslesmalades:Qui assiste les malades – affirme-t-il – est presque toujours bienheureuxparce qu’il est difficile de supporter lesmaladies des autres avec lesmillebesoinsetlesmilleennuisquilesaccompagnent.Ilfautypenser,ilfautfairenotre devoir auprès de ces personnes qui ne peuvent se procurer nimédicamentsnimédecins.Nousdevonsnousrappeleràchaqueinstantqu’ily a dans le monde des êtres plus malchanceux que nous, subissant des

  • douleursetdesmalheursplusgrandsquelesnôtres,privésdetoutejoie,detout sourire et envers lesquels nous avons des obligations et de gravesdevoirs.

    Avec ses malades, il se comporte comme une infirmière etparfois même comme un médecin. Il fréquente régulièrementl’hôpitalSanLazzaropourleslépreuxetleCottolengopourlesincurables.Ilpassedanslescouloirsavecunecharitévisibleetassurée. Il console les patients qui, en le reconnaissant, sontcontents de le voir. Il apporte des gâteaux, de l’argent et desvêtements.Ilnourrit lesenfantssourds,aveuglesetmuets,et ils’approched’euxavecbeaucoupd’attention,remplissantchaquegeste d’amour et d’humilité. Il a l’habitude de voyager entroisième classe « parce que, dit-il, il n’y en a pas dequatrième», et l’argentduvoyagequ’il économisevadans lespochesdespauvres,commemilleautresépargnes.Pour son vingt-quatrième anniversaire, PierGiorgio emploie

    les cinqmille liresque sonpère lui aoffertespour lanceruneconférence Saint Vincent de Paul dans sa paroisse de laCrocetta. Il collectionne aussi les dettes envers les pauvres,comme l’affirme sa sœur : « Étant donné notre éducation etnotremanièredevivre,ilmontraitavanttoutunsacrécourage.Iltransgressait un principe considéré comme sacré, celui du« péril » des dettes qui, sur l’échelle morale de notre père,avoisinait, sinon la malhonnêteté, du moins le sommet del’irresponsabilité.Etpuisoùallaitladignitéfamiliale?11»Pour commémorer le cinquantième anniversaire de la

    naissance de Pier Giorgio, voici comment s’exprimel’universitaireetécrivaincatholiqueGiuseppeLazzati:Abasourdis, lesgens–àcommencerpar sespropresparents–voyaientcejeunehommeàquiriennesemblaitmanquerpourdevenirunchampiondemondanité…traînerdanslesruesdeTurindescharrettespleinesdumobilierdes pauvres à la recherchede logements, transpirant sous le poids de gros

  • paquetsmalficelés,etentrerdanslesmaisonslesplussordides,oùsouventmisèreetvice sedonnent lamain, sous lesyeuxhypocritement scandalisésd’unmondequinefaisaitrienpourl’aideràensortir;etsefaire,avecunesurprenantehumilité…quêteurpoursespauvreset,poureux,enêtreréduità rentrer à la maison à point d’heure faute d’avoir même les quelquescentimessuffisantpourunbilletdetram.

    Il sait bien que la charité est avant tout une question dejustice sociale, et pour cela il donne avec joie, mais il désireplusencoremettrelespauvresenconditiondetravaillerpourserendreautonomes.Sa charité dérive d’une religiosité opérante. Il agit

    concrètement, pour les besoinsmatériels des personnes et desfamilles,mais aussi sur les âmes, comme il arrive à beaucoup.Italia Nebbia, marchande de tabac sur le corso Vercelli, quiassiste souvent aux transports de paquets pour les pauvreseffectuésparPierGiorgioetsesamis,laissecetémoignage:Intrigué,jememisàregarder,etjenotaisquel’undecesjeunes,descendude la voiture décapotable, prenait deux paquets sous les aisselles et deuxdans les mains et les portait quelque part. De temps à autre, il revenait,apportaitd’autrespaquetsetdisparaissait.Unjour, ilentradanslaboutiqueetme chargea de remettre un paquet à une famille absente. Ilme dit qu’ilaurait préféré le porter luimême pour transmettre un peu de courage etchercher à donner l’espérance. Il dit aussi que les choses changeraient, enoffrant en attendant sa souffrance à Dieu et en allant à la messe. Je luiprécisaisquejenepouvaispasinviterlesautresàalleràlamesseparcequeje n’y allais pas moi-même, et que je ne pensais jamais à Dieu. Nousparlâmesdeceschoses-là.Ilfinitparmeconvaincreenmedisantquesi jen’yallaispaspourmoi,jedevaisaumoinsyallerpourmonenfant.

    Ledimanchesuivantj’allaisàlamesseetjefustouchéeparl’explicationdel’Évangile.Jecommençaismoiaussiàdiredebonnesparolesauxfamillesàquijeportaislespaquets.J’apprisparmonmariquecejeunehommeétaitlefils du directeur de La Stampa et que, à Pollone, il était attendu par lespauvresauxquelsilfaisaittantdebien12.

    Même dans sa propre famille, il s’engage dans l’apostolat,

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  • Avvanti !, le journal dont le socialiste Benito Mussolinideviendra plus tard le directeur. Pendant la Première Guerremondiale, Gramsci demeure fidèle au courant intransigeant,soutenant la nécessité de préparer des débouchésrévolutionnairesàlacriseprovoquéeparlaguerre.En 1919, les ouvriers métallurgistes conquièrent les « huit

    heures » et, en avril, Gramsci, Tasca, Toligatti et Terracinidécidentdefonder larevueOrdinenuovo, revuehebdomadairedeculturesocialiste.Lepremiernumérosortle1ermai.LesiègedelarevuesetrouvedanslemêmeimmeublequeAvvanti!,viaArcivescovado,etGramscienest lesecrétairederédaction.En1922,ilserendàMoscoupourreprésenterlePCIàlaTroisièmeInternationale. En 1924, après un long affrontement avec lespositions extrémistes du secrétaire général Bordiga, il leremplace à la tête du parti et est élu député. Les thèses deGramsci, autour desquelles se formera le futur noyaudirigeantdu parti, sont approuvées en 1928 au congrès de Lyon, etmarquent la défaite définitive de Bordiga et la bolchévisationcomplèteduparti.Gramsci et Gobetti sont des opposants intransigeants au

    régime fasciste. Le premier trouvera la mort après des annéesd’emprisonnementcommencéesen1926avecd’autresdirigeantscommunistes, et le second mourra en exil des suites d’uneagressionfasciste.On assiste pendant cette période à une intensification du

    processusderenouveauentaméparlescatholiques,grâceaussiàla stimulante présence de la réalité industrielle du nord del’Italieetàunprolétariatouvrierunietcombatif.La montée puis la prise du pouvoir par les fascistes

    provoquent des divergences à l’intérieur du mouvementcatholique.

  • Laprésencesurlascèneturinoiseelle-mêmed’uneréalitéouvrièremassivesemble ne pas avoir compté pour rien dans les choix de la hiérarchieecclésiastique.Ceux-ci,dansunecatholicitéoù«foi»et«idéologie»étaientfortement entremêlées, s’incarnaient presque immédiatement sur le planpolitique,avantmêmedesetraduireenunprojetcohérentderénovationsurleplanpastoralet religieux.Leprocessusquiaboutità l’alliancedumondecatholique avec le fascisme connut à Turin des périodes différentes, desmoments de tension notables et de conflits internes qu’il ne faut passousévaluer…lesgroupesquil’emportèrentapportèrentaurégimeunappuimassif,mais iln’estpas sans signification,pourcomprendre réellement lesévénements qui suivirent, que ceux-ci cherchèrent à conserver un contrôleautonome des classes populaires présentes dans lemouvement catholique.Celapermet,d’uncôté,dedélimiteràl’avancel’espaceetexpliqueleslimitesde l’antifascisme catholique, à l’intérieur ou, mieux, à l’ombre desinstitutions, et, de l’autre, de mieux comprendre la naissance de laDémocratiechrétienne,surdetrèslargesbases,dansl’après-guerre9.

    PierGiorgio, dans l’immédiat après-guerre, entre en contactavec le Parti populaire qui dans la ville, constitue une forcepolitique minoritaire, face à un robuste mouvement ouvrierorganisé dans leParti socialiste et une bourgeoisie solidementenracinéedanslelibéralisme.Auxélectionsdenovembre1919,lePartipopulaireobtient8842voix(11,2%)contre18873auxdiversregroupementslibérauxet47589auxsocialistes.LePartipopulaire,néen1919,agitdanslechampsocialen

    s’appuyant sur un arrière-pays solidement catholique etplusieurs atouts : une structure ecclésiastique qui, par la voiehiérarchique, est liée à unorganisme international et, à traversl’organisation paroissiale, étendait ses ramifications dans lesvilles du diocèse. Il est en outre proche d’organes de presse,dont un quotidien, Il Momento, souvent fréquenté par PierGiorgio et plus proche de lui que La Stampa de son père,quelques hebdomadaires et une myriade de feuillets et debulletins paroissiaux. Nemanquent ni un réseau bancaire trèsdiffusniunsyndicatsuffisammentunietcombatif.

  • L’engagementpolitiqueetl’adhésiondePierGiorgioauPartipopulaire visent un objectif très clair : la conquête historiqued’un jugement chrétien sur l’histoire et son action dans lemonde pour en modifier la négativité et les injustices. En cesens, le Parti populaire est de plein droit une branche del’Action catholique.En toute logique, PierGiorgio ne conçoitpasdedifférenceentrevieet foi.Toutentre,pour lui,dansceplan existentiel appelé « royaume de Dieu » : « il n’est pasconcevable que le chrétien adopte, en politique, en économie,dans les rapports sociaux, des paramètres autres que ceux del’Évangile10.»Pier Giorgio est fier d’appartenir à l’Action catholique,

    comme d’être inscrit au Parti populaire. De même qu’il neconçoit pas que le Parti puisse être détaché des sourcesspirituelles qui animent l’Action catholique, il estime évidentquelesfinsconcrètesdumouvementcatholiquenepeuventêtredifférentesdesfinssuggéréesparlemessageévangélique.C’estpourquoi ses jugements sur lesdeuxmouvements finissentparn’enfairequ’un.DonLuigiSturzoestsonmaîtredanslesdeuxcas, et il est désormais certain pour lui que la véritabledémocratie réside dans l’Évangile et que, « le christianisme atoujoursbesoin,poursemaintenir,delacomplémentaritéentrelecieletlaterre11».Sonamourpourl’Égliseetlacausecatholiqueestperceptible

    lorsqu’il se fait le propagandiste du journal Il Momento,concurrent du journal de son père. Ce ne doit pas être pourcelui-ciunevéritablejoiequedevoirdanslaruesonproprefilssoutenirunautrejournal.Onpeutcomprendreaussil’agacementd’AlfredoFrassatifaceàsonfilsqui,nourriparLaStampa,vaensuitefairedelapublicitépourIlMomento:«CelaveutdirequelorsquetuaurasfaimtuirasmangerauMomento»12.

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  • mêmedelapolitique,àl’occasion.C’estpourcetteraisonqu’iladhèreauPartipopulaire:cariltrouvaendonSturzounleaderpolitiquequiécritetparleenfindeJésus-Christ.Il affirmait son point de vue avec la plus grande force et la

    plus grande assurance, et le défend jusqu’au bout. Dans unelettreàAntonioVillani,du19novembre192,ildéclare:J’ai jeté un regard sur le discours deMussolini, et toutmon sang bouillaitdansmes veines.Crois-moi, j’ai été déçu par l’attitude des « populaires ».Où est le beauprogramme, où est la foi qui animait nos hommes ?Hélas,lorsqu’il s’agit de monter vers les honneurs de ce monde, les hommespiétinentleurpropreconscience.

    Le6avril1924,lesélectionssedéroulentdansunclimatdeforte intimidationetseconcluentpar lavictoirede la«grandelistenationale» (fascistes,nationalistes,denombreux libérauxet certains catholiques) sur l’opposition (Parti populaire, Partisocialiste et Parti communiste). Les partis constitutionnels selimitentàêtrelaconscienceéthiquedelanationetnesebattentplus désormais que dans les journaux. Mais 9 % de« populaires » constituent encore une perturbation, et quelleperturbation!Danslanuitdu7au8avril,troiscentschemisesnoires envahissent le presbytère de Sandrigo, dans la provincedeVicenza,et lecuréestpasséà tabac.L’évêquedu lieu,MgrRodolfi envoie un télégramme à Mussolini, puis se rend surplaceet«excommunie»lesresponsables.AlfredoFrassatiécritdansLaStampa, le30octobre1920 :

    «Fascismeetbolchevismesontdestermesdésormaiscorrélatifs.L’un a engendré l’autre, et tous les deux ont provoqué etprovoquent aujourd’hui la ruine de la patrie. Aujourd’hui, lesfascistesseprésententcommedessauveursfaceaubolchevisme.Mais on ne soigne pas une folie par une autre folie. Il fautéradiquer le fascisme, cause première, si on veut que lebolchevisme disparaisse. » « Rien ne nous répugne davantage

  • que laviolencesouscouvertdedroit» (LaStampa,12 janvier1923).En1924,GiacomoMatteottidénoncedevant leParlement la

    violence et les fraudes électorales perpétrées par les fascistespendantlesélections.Enlevéparquelquesfascistes,le10juin,àRome,soncadavreestretrouvéle16aoûtdansunbois,prèsdelaViaFlaminia, à une vingtaine de kilomètres de la ville.Lesauteurs de l’assassinat sont un milicien toscan, AmerigoDumini, desmembres de l’association des «Arditi » (ancienscombattants)deMilan,AlbinoVolpi,GiuseppeViola,AugustoMalacriaetAmletoPoveromo,tandisquelavoiturequiaservipour l’enlèvement appartient à Filippo Filippelli, directeur dujournalIlCorriereitaliano.Par réaction, au lendemain de l’enlèvement du député

    socialisteréformiste, lesmouvementsd’oppositionantifascistesquittent les assemblées, se retirent sur l’Aventin, réclament ladissolution de la « Milice des volontaires pour la sécuriténationale»etappellentaurétablissementdel’autoritédelaloi.Ils’agitd’affaiblirlegouvernementfascisteengênantl’activitéparlementaire et en le contraignant ainsi à la démission.Maistous les antifascistes ne participent pas à ce « retrait surl’Aventin ». Les communistes, par exemple, se dissocient del’initiative en considérant qu’il s’agit d’une renonciation à lalutte.Malgréuneférocecampagnedelapressed’opposition,etles difficultés de Mussolini après la découverte du corps deMatteotti, lafaiblessedesesadversaireset l’améliorationdelasituation économique du pays permettent au gouvernement dereprendre la situation en main, en éliminant en peu de tempstouttyped’opposition.LisonscequePierGiorgioécritonzejoursaprèsl’enlèvement

    de Matteotti (lettre à Antonio Villani, de Turin, le 21 juin1924):

  • Danscesmoments-là,alorsquetoutlemalserévèledanssesaspectslesplusnauséabonds, je reste dans le souvenir des jours passés ensemble. Je merappelledespremièresélectionsdel’aprèsguerre,l’arrivéedufascisme,etjemesouviensmaintenantquenousn’avonsjamaisétéunseulinstantdenotreviepasséepourlefascisme,maisquenousavonstoujourscombattucontrecefléaudel’Italie,etmaintenantquecepartivaverslaruine,nouspouvonsrendregrâceàDieuqu’ilaitvouluseservirdupauvredéputéMatteottipourdémasqueràlafacedumondeentierl’infamieetlessaletésquisecachaientsouslesfaisceaux…

    Inflexible et rigoureux, il affronte l’ennemi avec courage,mais aussi ses amis qui n’ont pas sa droiture et sa sûreté dejugement. Le cercle Balbo décide de sortir son drapeau pourrendrehommageàMussolinienvisiteàTurin…AudirigeantdelaFUCIetdel’Actioncatholiqueresponsable

    ducercleGuardiaRiva,ilexprimesaprofondedésapprobation,enluiremettantsadémission(24octobre1924).Je suis vraiment indigné que tu aies exposé le drapeau que, tant de fois,malgré mon indignité, j’ai porté dans les processions, afin de rendrehommageàceluiquidétruitlesœuvrescatholiques,nemetsaucunfreinauxfascistesetlaisseassassinerlesministresdeDieucommedonMinzoni,etc.,quilaissefaired’autrescochonneriestoutencherchantàcouvrircesméfaitsenreplaçantlecrucifixdanslesécoles,etc.

    Je prends toutes mes responsabilités et j’ai malheureusement enlevé cedrapeau trop tard. Je te présente maintenant ma démission irrévocable. Jecontinuerai, avec la grâce de Dieu, en dehors du cercle, même si celamecause beaucoup de peine, et je ferai le peu que je peux pour la causechrétienneetpourlapaixduChrist.

    Jedésirequecette lettre, écriteenvitesse,maisvenantduplusprofonddemon âme, soit lue à la prochaine réunion.Avecma profonde estime. PierGiorgioFrassati.

    Après l’incidentdudrapeau,PierGiorgioetGiovanniMariaBertini se rendent auprès de Monseigneur Giovani BattistaPinardi, antifasciste notoire, pour solliciter son avis. Celuici

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  • lesmainsdeDieu,etriennepourraitallermieux».PierGiorgioetBeltramoserencontrentdanslaSectiondela

    Terreur, trèsactivespour lesblagues,etdont ladéfinitionest :«Terroromniavincit»[laterreurvainctout].Lessous-sectionssont dénommées selon les lieux où se trouvent les « Typeslouches»:Acquatica(Aquatique),Talpinistica(si,parexemple,Pier Giorgio se trouve à Pollone pour réviser ses examens),AlpinisticaouCentro(Turin).On organise régulièrement des excursions enmontagne.Les

    lettres se transforment en proclamations qui se concluenttoujoursparde«terriblesbaisers»,ou«millecoupsdecanonsterroristes:Boum!Boum!»Unexempleparmitantd’autres.Ils’agit d’une lettre écrite à Pollone, le jour de la fête de laMadonne d’Oropa (31 août 1924), « 124e jour de l’ère nonfasciste ». Le bienheureux est particulièrement dévot de cetteMadone, et n’oublie jamais, lorsqu’il est à Pollone, defréquenter régulièrement son majestueux et monumentalsanctuaire:Troisièmejourducinquièmemois,premièreannée.

    Société«Typeslouches».

    Département:«Agités».

    Section:«Terreur».

    Sous-section:«Taupine».

    Proclamation : à la future aile de la Terreur, citoyen Perrault, un coup debombarde!

    Nous avons éprouvé une grande secousse à recevoir votre carte postale,digne de la Terreur, un frisson terrorisant a parcouru toutes les fibres denotre corps, et un grand désir s’est emparé de nous : celui de pouvoircorrectementvousremercierdevotrecartegéniale.

    Nous apprenons par notre sœur, que l’« Anglaise », qui est aussi une

  • éminente directrice des excursions, a abandonné les glaces perdues et lesvertigineuses cimes escarpées pour retourner dans la riante Mondovi.Pourtant,nousapprenonsaussiqu’ellea,malgré la tourmente, commeunebrave«alpine»,seconformantauxcommandements«alpins»,affrontélaroche de l’Aiguille duMidi, en réussissant à vaincre toutes les difficultés.Heureuse,cellequin’apasàétudieretquipeutsedédieràlamontagne.Ilnenous reste plus à nous pour le moment qu’à admirer ses prouesses et lesphotosplutôtbelles.Maisnousavonsdanslecœurunegrandeespéranceetun but à conquérir [l’ascension de la Grivola] et nous écrirons alors à ladirectricedesexcursionsquenousaussinousavonsfaitquelquechose.Nousattendonsconfiantsvotreproclamationpromiseetmaintenant,ôgrandPerrault,recevezunefraternelleetterroristeétreintedeRobespierre.

    EtlorsquelesommetdelaGrivolaestconquis,ilécritàlafindesaproclamation:Terroromniavincit:Grivolavictaest [laterreurvainctout.LaGrivolaestvaincue].

    Pier Giorgio éprouve beaucoup d’angoisse et de tristesse àl’idéedeladésagrégationdelaSociétédesTypeslouches,uneséparation due à un cas de force majeure : chacun se doitd’empruntersonproprechemin,etparlà,lajoiedelajeunesses’en ira. Conscient de la vie, il considère la période étudiantetrop belle et trop brève. Un fait irréversible qui lui causebeaucoupdesouffranceetd’amertume.Alors,commetoujours,il s’attacheà la foi, seuleancredesalut,capabled’adoucir lessouffrancesetsurlaquelleilfondeleprincipemêmedel’amitié,dont les liens peuvent être encoremaintenus,malgré le temps,grâceàlaprière.LaSociétédesTypeslouchessetransformeenSociété de la prière : la foi, dit Pier Giorgio, « nous aaccompagnés dans de belles excursions, et fait en sorte quenotre société soit fondée sur des bases granitiques. C’estl’uniqueréconfortquenouséprouvonsdansladouleurd’avoirànous séparer. Si nous n’avions pas cette espérance, commentpourrions-nousencorevivre,lorsquenousvoyonsquetoutejoie

  • humaineengendreunedouleur?»

    Il écrit à Laura Hidalgo, depuis Forte dei Marmi où il setrouve,le11août1924:QuandjepenseànotreSociétédestinéeàsedéfairemisérablementcommetoutes les choses de cette terre, un sentiment de regret ; adieu, les bellesexcursions en montagne, sans Perrault que fera Robespierre ? Il demeurecependant un lien qui, nous l’espérons, par la grâce deDieu, lie sur cetteterreetsurl’autretouslesTypeslouches:celiensacréestlafoi,leseullienpuissant,seulebasesûre.Sanselle,onnepeutrienentreprendre.Etcettefoiquenousavons reçuau saintbaptême,etquinousa tenucompagniedansnos belles randonnées en montagne, nous espérons qu’elle nousaccompagnerajusqu’audernierjourdenotrevoyageterrestre,etnousservedelien,parlemoyendelaprière,àcimenterspirituellement,touslesTypeslouchesdisperséssurlasurfacedelaterre.

    Sonsouhaits’estégalementréalisédepuisdanslesnouvellesgénérations, grâce aux Sociétés des types louches répandues àtraverslemonde.LauraHidalgotémoigne:Unsamedisoir…nousmontionsdeOulxàSauze,oùnousdevionspasserlanuit,avantdepoursuivrelejoursuivantverslaKindl.Jeluidemandaiss’ilyavait lamesse tôt lematin àSauze«parceque jedois communier».«Tudois,commentest-cepossible?»,medemanda-t-il.«Demain,c’est la fêtedel’unedenossaintespatron-nes.»«Autrement,tunecommunieraispas?Alors, pourquoi dis-tu “je dois”. » Je compris, parce que tant de fois ilm’avaitparlédecela,etjeluirépondisenplaisantant:«Tusaistrèsbiencequejepenseetdansquelsensj’aiditcela.»«Jesais,maiscelamedéplaîtquandmême»,répondit-ilavecl’airassezsérieux.

    Ces randonnées en montagne, si joyeuses et riches de foi,sontégayéesparleschantsdes«typeslouches»,etplusforte,que toutes les autres, on entend lavoixdebaryton, fausse, dubienheureux. Certains ont essayé de le dissuader : « Frassati,comme tu chantesmal ! », mais lui, répond avec un sourire :«Tantpis,l’important,c’estdechanter!»Allégresseetbonne

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  • Pier Giorgio se sent désespérément impuissant. À son amiWillibaldLeitgebel, ilpréciseque lescatholiquesen ItalieontperduleurlibertéetilsregardentlesoutienquelegouvernementitalienoffreàlaFrance«lecœursanglant».Ilestpourtantsûrque Dieu récompensera l’Allemagne de ses dures souffrances.Les mains liées, il ne peut rien faire d’autre que d’aiderdirectementlespauvreset,enparticulier,lesenfantsdeBerlin.L’identitéchrétienneestpourlebienheureuxunsceaudevie

    àporterau-delàdes frontièresdesaproprepatrie,comme il lemontre en Allemagne et dans ses déclarations publiques desoutien à la cause du peuple irlandais où il demande« l’indépendancede sa terre etde sonesprit». Il rejoint aussil’Association internationale Pax romana, qui réunit lesétudiantscatholiquesde toutes lesnations : l’Internationaledel’Églisefaceàl’Internationalecommuniste.Pier Giorgio participe activement aux actions sociales et

    caritativesallemandeset,malgrél’éloignementdesaterre,illuisemble retrouver beaucoup d’éléments en commun avec sa vied’étudiant engagé dans le tissu social. Son intégration au seindupeupleallemandestgrandecommeentémoignecequ’ilécritle 23 janvier 1923 à son amie Maria Fischer, de Vienne,rencontréeaucongrèsdePaxromana àVienne :«Moiquiaibeaucoup voyagé à travers l’Allemagne, j’admire aujourd’huiplusquejamaisl’attitudedesAllemands.Aujourd’hui,lepeupleallemandest,pourtouteslesnations,unexempled’authentiqueamourdelapatrieetdesérieux.»Pier Giorgio renonce au sacerdoce en Allemagne, grâce au

    Père Sonneschein, qui lui fait connaître beaucoup de famillesnécessiteuses. Le jeune bienheureux demeure profondémentfrappé par la liberté avec laquelle le prêtre allemand agit aumilieudespauvres,àladifférenceduformalismeassezdétachéavec lequel les prêtres italiens s’adressent à eux. En terre

  • étrangère, il comprend qu’il doit rester laïc, et exercer sonapostolatchrétienparmilesgens,parmilespauvresenbiensetenesprit.ÀMademoiselleFischer,l’«amidel’Allemagne»,commeil

    se définit lui-même, envoie plus de quatre-vingt-dix millecouronnes, économisées sur son voyage précédent en terreallemande, en la priant de les utiliser selon les besoins de safamilleetdesesconnaissances,enspécifiant:«Monnomdoitrestersecret.»ÀVienne,commedansbeaucoupd’autresvillesd’Autricheetd’Allemagne,letauxdechômageetd’inflationestimpressionnant.Des femmesetdesenfantsvivent sans toit, enproieàlafaimetaudésespoir,etlebienheureuxparticipedecesmisèresetcesprivations.PierGiorgioportesonélandecharitéégalemententerreétrangère,danslesmilieuxqui«necomptentpas » : « Son nom comme sa personne étaient inconnus ouquasiment, alorsqu’onparlait beaucoupde sa sœur commedecellequitenaitenmainlesrênesmondainesdel’ambassade»9.Il s’intègre parfaitement à la société catholique allemande,

    réussissant ainsi à établir des rapports humains et d’amitiéintenses. Il boit de la bière avec les autres. Il s’est acheté une« pipe de chambre », appelée aussi « pipe d’étudiant », d’unmètre de long, coûtant quinze lires italiennes, qui « se fumecommodémentlorsqu’onveutétudier».Ilécritpresquetouslesjoursàsamère,enprécisant:«J’aipuentendreavecgrandejoielavoixdemoncherpapa.»Sonpère rencontreBenitoMussolini enmars1922, l’année

    delamarchesurRome.L’ambassadeurécrit:Auprintempsde1922,monattachédepressem’avertitquelecorrespondantàBerlin duPopolod’Italia, sur ordre deMussolini venu dans la capitale,demandaitaudience.LapolémiquemenéecontremoiparMussolinin’avaitjamais été tendre, et ses partisans, avant et pendant le fascisme, m’onttoujours fait l’honneur de me compter parmi les personnes qu’il fallait

  • « retirer de la circulation en tant qu’offenses permanentes au sentimentnational, telles qu’Albertini, Amendola, Frassati, Struzo, Turati, GiovanniConti,DeGasperi,parlerétablissementenl’Italiedelapeinedemortdontles républiques libres d’Europe et d’Amérique font un usage tellementavantageux. » Je confesse que ce ne fut pas pourmoi un grand plaisir derencontrerMussolini,mais jecompris toutdesuitequ’il fallaitoublier tousles sentiments personnels. Mussolini vint, et nous eûmes une longueconversation.Ilmedemandaquelleétait lasituationenAllemagne,et jeluifis une synthèse de mes rapports… situation grave aux conséquencescatastrophiques,tantsurleplanéconomiquequepolitique10.

    En forte opposition avec credo belliciste mussolinien, LaStampadeFrassatiest l’uniquequotidien italienàs’opposeràMussolini.Pleinderemordsbrûlants,l’ambassadeurselamenteauprès de sa femme de son impuissance face aux dramatiquesévénementsqui affectent l’Allemagne :«C’estune ingratitudeplusmesquinedeprévoirlacatastropheetd’avoirconsciencedene pas avoir pu la retarder d’une seconde, ou l’alléger d’unmillièmedegramme.»Le triste panorama allemand n’interdit pas les activités

    culturelles. Berlin est le centre européen du théâtre, centre oùœuvre le grand metteur en scène Max Reinhard, créateur dufestivaldeSalzbourgavecHofmannsthal.Lalittératureet le théâtredesannéesvingtoffrentaumonde

    des chefs-d’œuvre indépassables : Bertolt Brecht, LuigiPirandello, James Joyce, Ernest Hemingway, Marcel Proust,ThomasMannetItaloSvevo…aucuneautredécennienepeutsevanter d’avoir compté tant de maîtres, dont certaines œuvresn’ont été publiées que plus tard, comme les Cantos del’américainEzraPoundetlesromansdupraguoisFranzKafka,écrivaindel’insécuritéetdel’impuissancedel’individudansunmondeabsurdeetincontrôlable.Au début du premier conflit mondial, Hermann Hesse avait

    été l’un des rares écrivains de langue allemande à lutter avec

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  • prier Dieu pour qu’il me donne la force chrétienne pour supportersereinementet,àelle, tout lebonheur terrestreet la forced’atteindre laFinpourlaquellenousavonsétécréés.

    Lejouroùtuaseutondiplôme,j’aiéprouvécombiensontvraieslesparolesdesaintAugustin:«Tunousasfaits,Seigneur,etnotrecœurestsansrepostantqu’ilnereposeentoi.»Enfait,stupideestceluiquipoursuitlesjoiesdumonde, car elles sont seulement passagères et engendrent des douleurs,tandis que l’unique joie véritable est celle que nous donne la foi, et lescompagnonsaimésspécialementàtraverscelienpuissantresteronttoujoursunis,mêmesilescontingencesdelavielesdéménagentloin.Ainsi,elleseratoujourspourmoiunebonneamiequi,connuedans lesannéespérilleusesdelavie,m’aurapermisdecontinuersurlavoiedroiteversleBut.

    Modane,28décembre1924

    SonamourpourLaura,leschoixprofessionnelsentreprisparsesamis,promptsàêtre«déménagés»bienloin,et,enfin,lafinprochainede ses étudescoïncident.Trois réalitésqui attristentson existence, comme il apparaît dans une lettre douloureuseenvoyéeàsonamiGianMarinBertini,le29juillet1925,afindeluiconfierlessouffrancesquesoncœurdoitaffronter:J’aibesoindeprièresparcequejepasseunepériodecritiquedemavie.Tulesais,jesuisàlaveilled’abandonnerlavied’étudiant,belleparcequesanssoucis, pour entreprendre ladifficile ascensionde lavie, voie, hélas, assezdure depuis que, en moi, quelque chose a changé, quelque chose quiannonceunoragetrèsbrutal.

    Lauraestlacausedel’orage.LadernièreexcursionàCiamarellam’alaisséunsouvenirbonet triste,dessentimentsquialternentindéfinimentenmoi.JecroismalheureusementqueceseraladernièrequejeferaiaveclaCompagnie,etcelaprovoqueenmoiunepetitedouleur,parcequejem’étaisbeaucoupattaché,etaussipourdesraisonsquetuconnaisbien.Maissijedoisenarriveràcepasextrême,jeleferainonsansuncertainregretdemapart.Laseulechosequejedésireestqu’elleaméliorerapidementsasituationetviveheureusepourtoujours.Monalbumdephotoserapourmoiunsouvenir tristedemavie.Mais,de toutefaçon,j’affronterailesaspérités,jel’espère,enmepréparantdanslaprièreet

  • dansl’espéranceàpasserunjouroul’autredansuneviemeilleure.Ma maladie est telle qu’aucune intervention humaine ne pourra la fairecesser.L’interventionhumainepourram’apporterdesremèdesquipourrontatténuerlacrise,maisnonpasextirperlacausedumal.Seulelafoipeutêtremonespérance,etmonréconfortdanslaviefuture,c’estpourquoijetepriedeprierbeaucouppourmoiafinque,lafoiserenforcechaquejour,etquejepuisseainsiavoirlaforcedesupporterlesdifficultésqui,danscesdernièresannéesdemajeunesse,sedressentdevantmoipourbarrerlaroute…

    DansunelettreàAntonioVillani,ilécrit:Ettoi,quefais-tu?Viens-tupasser lecarnavalenmontagne…?Jevoulaispresqueyallermais,hiersoir,j’étaisenpleinecriseparcequejevismaletjenesaisdoncpassij’iraiauPetitSaint-Bernard,d’autantplusquejevoudraisdésormaismetrouverlemoinspossibleaveclesdemoiselles.

    Une randonnée dans la région de Quercianella, près deLivourne, accroît encore les sentiments de Pier Giorgio pourLaura5.Lucianasesouvient:Degraves tourments,douleurset renoncementsoccupèrent lebrefmomententrel’excursionàlaQuerciarella…dontjemesouviensparfaitement,etlejour de sa mort. Son âme en fut cruellement déchirée jusqu’au sacrificesuprême,ledernier«non»parlequelilabandonnaavantmêmedeluiavoirparlé… cette jeune fille qu’il avait élu dans le secret silence de son cœur.Maislapenséedesonbonheurfuturneputvaincrel’angoissedesafamillebouleversée6.

    Les journées passées au Saint-Bernard avec la compagniesont pour luimerveilleuses : « là-haut…onpeut dire que j’aipassélesjournéeslesplusheureusesdemavie»(lettreàLauraHidalgo,du28décembre1924).Laura reçoit des cadeaux de la part de Pier Giorgio. Une

    gentiane7 cueillie près du refuge Vittorio Sella, et un petitcaillou ramassé sur le sommet de laGrisella, souvenirs de seschères montagnes. Mais le cadeau le plus important, celuiqu’elle préfère, est un volume des lettres de saint Paul. C’est

  • une édition en latin, avec un commentaire en latin, en deuxvolumes reliés et accompagnée d’une dédicace longuementétudiée : « Pâques, Année Sainte [1925]. À la gentilledemoiselleLauraHidalgo,jedédiecelivrepourquesaintPaulsoit son guide et sonmaître dans le pèlerinage terrestre, d’uncœurchrétiendansleSeigneur.PierGiorgioFrassati.»Puisilaajouté la traduction en italien, « … grâce à elle, elle pourramieux goûter la beauté du latin et mieux comprendre le sensphilosophique » (30 avril 1925), dans la lettred’accompagnement, « une des très rares que j’ai conservé delui»,diraLauradanssadépositionauprocèsdebéatification,« ayant détruit, comme c’était mon habitude, les lettres qu’ilm’adressait»8.Pier Giorgio donne aussi à Laura une Histoire du Christ,

    pour la fêtedePâques1923,pourqu’elle« la réconfortedanslesheurestristes»del’existence.LorsqueLauradoitpasserdesexamens, PierGiorgio prie pour sa réussite. Il vamême à uneadorationàlaConsolataaumomentmêmeoùelleestinterrogée.Pendantlesprièresdusoiretlechapelet,ilconfesseavoirété

    distrait par son amour : la souffrance spirituelle est rude.Discutéettourmenté,telestcetamourpourLaura.Ilprovoqueen luiunecrisespirituelleprofonde,opprimanteet irrespirablepar laquelle il se sent étouffé. Il écrit àGianMariaBertin, endécembre1924:Trèscher,quandtulirascettelettre,jenesaispascequetupenserasdemoi;mêmemoi, je sensencemoment toute lapuanteurqui s’exhaledemoi,etpourtant,mafaiblesse,moncaractèresivolubileetmalassurémetraînentaupas.

    Je voudrais venir avec vous, mais mon esprit est trop déprimé et je nepourrais pas goûter votre compagnie, celame convientmieux, car jusqu’àprésent je n’ai rien fait et si j’ai fait quelque chose ce ne sont que desbouffonneries…lameilleurevoie,jesaiscequ’elleserait:resteràlamaison

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  • Ce qui le frappe immédiatement lors des premièresrencontres,c’estlafoitransparente,traduitefidèlementdanssonmodedepenséeetdevie,uneadhésionàl’espritdel’Évangilesisincèreetaimablequ’ellesuscitechezlui«émerveillementetgratitude ». Franz admire l’engagement et l’esprit qui poussePierGiorgioàagirdanslaviesocialedelaJeunessecatholiqueitalienne, de la FUCI et dans l’activité politique du Partipopulaire. Mais, par-dessus tout, il admire le jugement, lesérieux et la sollicitude avec lesquelles il s’intéresse auxpauvres. Joyeux et exubérant en public, Franz le voit réservédanssessentimentsprivés,etsilencieuxvis-à-visdesœuvresdecharitéqu’ilessaiedecacher.Quand,rarement,ilfaitallusionàsafamille,ilenparletoujoursavecunrespectprofonddictéparl’amour,cherchantàmettreenvaleur lesdons lesmei