Pierre Bourdieu La Domination Masculine Paris Seuil 1998 Coll Liber 134 p

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    Clio. Femmes, Genre,Histoire12 (2000)Le genre de la nation

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    Pierre BOURDIEU, La dominationmasculine, Paris, Seuil, 1998, coll.Liber, 134 p.................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueAgns Fine, Pierre BOURDIEU,La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, coll. Liber, 134 p. ,Clio.Histoire femmes et socits [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 20 mars 2003, consult le 28 fvrier 2016. URL :http://clio.revues.org/201

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    Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, coll. Liber,

    134 p.1 Comment faire un compte rendu de ce livre, court mais dense, que la plupart des lecteurs et

    lectrices deClio ont probablement lu ds sa parution, il y a dj deux ans, et qui a fait djl'objet de nombreuses critiques ? Il faudrait pouvoir tenir compte de ces dernires ainsi que desrponses apportes par l'auteur pour s'inscrire mon tour dans le dbat en cours. Mais j'avoueavoir t un peu effraye par l'ampleur de cette entreprise. Aussi ai-je prfr me plonger nouveau dans le texte lui-mme, que j'avais dvor bien sr ds sa parution, pour en proposerune lecture plus personnelle. Le dlai de deux ans permet peut-tre une lecture plus sereinemaintenant que les remous mdiatiques provoqus par la parution sont apaiss.

    2 Tout d'abord, je me suis flicite, comme beaucoup, que P. Bourdieu mette tout le poidssymbolique de sa notorit de sociologue reconnu et lgitime, pour analyser la dominationmasculine qui, en dpit de son vidence et de son universalit, continue tre nie ou sous-estime par beaucoup. En quelques 134 pages exclusivement centres sur cette question, il metau jour, en utilisant les notions ou concepts qu'il a forgs dans son travail antrieur (habitus,violence symbolique, march des biens symboliques), les modalits spcifiques d'un rapportde domination entre tres humains, tellement incorpor dans nos schmes de perception, depense et d'action, qu'on ne le voit plus lorsqu'il ne prend pas des formes extrmes. L'auteurpoursuit et dveloppe les ides qu'il avait dj exposes en partie dans un article paru en 1990dans Actes de la Recherche en Sciences sociales. Mais il les prsente ici de manire plusapprofondie et organise en trois chapitres. Le premier intitul une image grossie , partde l'analyse qu'il avait nagure mene sur la culture des Berbres de Kabylie, pour mettreau jour la manire dont est structur l'inconscient androcentrique de cette socit. Le dtour

    ethnologique a pour fonction de permettre au lecteur occidental de mieux objectiver les traitsd'une structure qui n'est qu'un miroir grossissant de la ntre. En qualit d'anthropologue,lectrice fervente des travaux de P. Bourdieu sur la Kabylie et grande admiratrice de ses analysesdu clibat paysan en Barn (un des rares textes scientifiques qui m'ait vritablement mue,comme peuvent le faire certains romans lorsqu'ils rvlent la vrit des rapports sociauxque l'on a confusment ressentis et que l'on reconnat ), j'avoue avoir prouv un grandplaisir lire ce premier chapitre. Non pas qu'il apporte rellement des lments nouveaux. Latradition anthropologique montre depuis longtemps en effet que l'opposition entre masculin/ fminin qui divise les choses et les activits est indissociablement lie un systme plus vaste, mythico-rituel , selon l'expression de l'auteur, dans lequel des oppositions homologues haut/ bas, dessus/dessous, droite/gauche, etc. structurent les schmes de perception et d'action, ce

    qui lui donne toute sa force et sa cohrence. La tradition anthropologique a mis aussi depuislongtemps en vidence, comme le rappelle d'ailleurs l'auteur (p. 28), les modalits culturellesde la construction sociale des corps. Mais P. Bourdieu reprend et organise ces donnes dansune langue prcise et riche, en insistant avec son concept trs utile d'habitus, sur la notiond'incorporation de la domination, ce qui nous vaut de trs belles pages sur la somatisationdes rapports sociaux de domination (p. 28-48). P. Bourdieu excelle dans la description finedes formes de la domination dont il montre dans le chapitre 2 les constantes caches dans nos propres socits. Comment ne pas tre d'accord avec la manire dont il dcortiquela notion de vocation , cette rencontre entre les attentes objectives qui sont inscrites,surtout l'tat implicite dans les positions offertes aux femmes par la structure, encore trsfortement sexue, de la division du travail et les dispositions dites fminines inculquespar la famille et tout l'ordre social , qui a pour effet que les victimes de la dominationsymbolique puissent accomplir avec bonheur (au double sens du terme) les tches subalternesou subordonnes qui sont assignes leurs vertus de soumission, de gentillesse, de docilit

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    et de dvouement (p. 64) ? Comment ne pas tre d'accord avec l'analyse de l'tre fminincomme tre peru ? Comment ne pas aimer la finesse de l'analyse de la vision fminine de la vision masculine telle qu'il la saisit dans le roman de Virginia Woolf, Promenade au

    phare, avec les personnages de Mr Ramsay et son ralisme rabat-joie , complice de l'ordredu monde et celui de Mrs Ramsay, lucide face au ct pitoyable de la vanit masculine deson mari ? De trs belles pages en vrit sur lalibido dominandi (p. 78 et 79) qui donnentencore envie de relire le texte gnial de Virginia Woolf (bien plus riche encore sur les rapportsentre les sexes que ce qu'en dit P.Bourdieu1) !

    3 Le troisime chapitre intitul Permanences et changements pose le problme des rapportsentre structure et histoire, dans la mesure o il a pour ambition d'identifier les principauxfacteurs de changements dans les socits occidentales contemporaines, tout en insistant surla force de la structure et les phnomnes de reproduction. Ce chapitre pose de manireclaire, me semble-t-il, les contradictions lies aux choix thoriques de l'auteur. Je voudraisrevenir sur ces choix car ils constituent pour moi des questions sans rponse, des questionsque j'aurais aim voir traiter de manire plus systmatique.

    4 Ils sont prsents ds les premires pages lorsque l'auteur inscrit son travail dans une analysematrialiste de l'conomie des biens symboliques , seule manire selon lui d'chapper l'alternative ruineuse entre le matriel et le spirituel ou l'idel (perptue aujourd'hui

    travers l'opposition entre les tudes dites matrialistes qui expliquent l'asymtrie entreles sexes par les conditions de production, et les tudes symboliques, souvent remarquables,mais partielles) (p. 9). On reconnat l la critique d'un marxisme conomiste d'un ct, et dustructuralisme lvi-straussien de l'autre, auquel il reproche de ne pas reconnatre le rle desacteurs, de faire des individus de simples jouets agis par des structures qui les dpassent. Aucontraire, P. Bourdieu reconnat aux agents la capacit percevoir des enjeux et jouer surles rgles pour maximiser autant que possible leurs profits dans un march d'changessymboliques o priment des intrts contradictoires. Qui dit jeu, dit conscience des enjeux,et donc tactique et stratgie. Et le terme a t trs souvent utilis par l'auteur, en particulierdans le contexte de l'tude des mariages. Or, au moment mme o il raffirme ses choixthoriques, ses deux premiers chapitres me semblent tre dans la pure ligne d'un structuralisme

    que, pour ma part, je trouve trs opratoire dans la mesure o il insiste juste titre sur lacohrence et la lourdeur d'un systme symbolique qui, dans toutes les socits, hirarchise lemasculin et le fminin. Ecrire que la division entre les sexes est prsente la fois l'tatobjectiv, dans les choses (dans la maison par exemple, dont toutes les parties sont sexues),dans tout le monde social et, l'tat incorpor, dans les corps, dans les habitus des agents,fonctionnant comme systmes de schmes de perception, de pense et d'action (p. 14),montrer comme il le fait dans le dernier chapitre la force de la structure qui, en dpitdes avances substantielles de la condition des femmes permet que se reproduise dans denouvelles recompositions subtiles la domination masculine, par exemple dans le travail, n'est-ce pas exactement insister sur l'extraordinaire puissance des structures symboliques sur lesindividus, puisque leurs choix inconscients (le mot est plusieurs fois utilis) suivent des tracsprvisibles que la science ne peut dcouvrir que par la statistique (cf. p. 64) ? En cela, l'analysede P. Bourdieu me parat trs proche de la dfinition d'un systme symbolique chez C. Lvi-Strauss, et d'une partie au moins des analyses de F. Hritier dans Masculin, Fminin 2. Si oncomprend bien comment se fait la reproduction du systme, le texte n'nonce pas clairement enquoi le primat de la masculinit serait le produit de la stratgie des acteurs pour dfendre leursintrts symboliques. Si cette thorie parat apte expliquer comment une structure peut sereproduire, elle n'explique pas la configuration de la structure elle-mme ni les changements.Enfin restent pour moi en suspens trois questions, l'universalit de la domination masculine etson fondement, la varit des configurations de la domination dans les diffrentes socits etenfin les raisons des changements dans les socits occidentales contemporaines.

    5 S'agissant de la question de l'universalit de la domination, l'auteur semble la situer, comme laplupart des anthropologues qui se sont intresss cette nigme, par exemple M. Godelier3 et F.Hritier, dans la construction sociale de la parent et du mariage qui assigne aux femmes leurstatut social d'objets d'change , c'est elle qui expliquerait le primat accord la masculinit

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    dans les taxinomies culturelles (p. 41). Si l'on admet ce point de vue contre celui de F.Hritier qui le situe dans la pense de la diffrence en ce qu'elle impliquerait toujoursune hirarchisation, comment expliquer ce coup de force politique lui-mme ? Il n'enest rien dit. Quant la varit des rapports de pouvoir entre les sexes dans les diffrentessocits, question qui est loin d'tre ngligeable, du point de vue subjectif pour les personnesconcernes comme sur un plan plus thorique et abstrait, il n'est rien dit. Comment expliquer eneffet que chez les Ankave, aborignes de Nouvelle Guine vivant quelques jours de marcheseulement des Baruya tudis par M. Godelier, et ayant peu prs les mmes conditions devie et une organisation sociale trs proche, selon P. Bonnemre4 qui les a tudis, les femmesaient un statut beaucoup plus favorable que chez ces derniers o la domination masculineest particulirement svre ? Comment rendre compte de cette diversit dans le cadre d'unethorie de l'conomie des biens symboliques et de la stratgie des acteurs ? Il me semble quele structuralisme formule des hypothses explicatives plus satisfaisantes, mme si l'on peutadmettre que ces questions restent en partie mystrieuses.

    6 Ce troisime chapitre enfin ne nous claire gure sur le rapports entre permanences etchangements, le sociologue de la reproduction tant beaucoup plus l'aise pour parler despermanences que des facteurs de changements. Ces derniers sont cits dans le dsordresans que leur importance respective soit vritablement identifie. Alors qu'il lui semble voir

    dans la parent et le mariage, le cur de la domination masculine, il hsite reconnatredans les transformations familiales des trente dernires annes un rle dterminant dans leschangements qu'il reconnat substantiels de la condition fminine et se contredit. Ainsipeut-on lire que le principe de la perptuation de ce rapport de domination ne rside pasvritablement, ou en tout cas, principalement, dans un des lieux les plus visibles de sonexercice, c'est dire au sein de l'unit domestique la page 10, tandis qu' la page 92, il estcrit que c'est sans doute la famille que revient le rle principal dans la reproduction dela domination et de la vision masculines .

    7 En revanche, P. Bourdieu identifie l'institution scolaire comme un des lieux majeurs duchangement. On s'attend ici ce qu'il commente ou critique la recherche la plus aboutie sur lesfilles et le systme scolaire qui ait t crite dans les dix dernires annes, par ses collgues

    sociologues C. Baudelot et R. Establet. Dans Allez les filles, les deux auteurs mettent au jour une rvolution historique d'importance, le fait statistiquement tabli que les filles sontaujourd'hui plus diplmes que les garons, tout en mettant en vidence les phnomnes dereproduction sociale au niveau des orientations et des carrires. Leur livre a le grand mrite demontrer la fois les stratgies actives des filles dans leur investissement scolaire et dans leschoix d'orientation, et le poids du systme de reproduction, dans la pure ligne de la sociologiebourdieusienne. Or, l'tude n'est ni mentionne, ni cite5 ! D'autres travaux importants sur cesmmes questions semblent par ailleurs ignors.

    8 Enfin, s'agissant de l'impact du mouvement fministe comme facteur de changement, on notel encore des hsitations. P. Bourdieu crit que le changement majeur est sans doute quela domination masculine ne s'impose plus avec l'vidence de ce qui va de soi, en raisonnotamment de l'immense travail critique du mouvement fministe (p. 95). Il reconnatl la force subversive de la conscience de la domination par les acteurs eux-mmes, enparticulier les domines, tout en rappelant avec raison que l'affranchissement des femmes nepeut advenir par le simple effet d'une prise de conscience (p. 46). Mais alors pourquoin'analyse-t-il pas les effets spcifiques des luttes symboliques et la place du champ politique,comme instance o peut se produire un changement ? On aimerait qu'il prcise en quoi laconqute de l'galit juridique dans les domaines de la famille, du travail, de la revendicationpolitique a des effets sur le systme de domination, au lieu de faire une simple incise allusive la revendication de la parit politique. Enfin il n'est rien dit des effets de ces changements surla reprsentation que les hommes et les femmes peuvent avoir de leur propre identit sexuelle.

    9 Cette question de l'identit sexuelle et des modalits de sa construction n'est jamais poseen tant que telle, et c'est sans doute ce point qui, mes yeux, est le manque le plus videntdu livre. Inutile de chercher dans ce livre les pistes de recherches les plus neuves dans lessciences sociales sur le genre, sans doute parce que la question du pouvoir, qui est au cur

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    de la sociologie de P. Bourdieu, n'puise pas, loin de l, la question de la relation entre lessexes. La seule occurrence de l'expression se trouve la page 103, lorsque l'auteur expliquel'motion que provoque la fminisation rapide d'une profession jusque l masculine, par lefait qu'elle met en pril d'une certaine manire l'identit sexuelle des hommes, l'idequ'ils se font eux-mmes en tant qu'hommes . Comment devient-on un homme ou unefemme dans notre socit, la question, classique pour les anthropologues qui travaillent surles socits extra-europennes, ne peut tre laisse dans nos socits aux seuls psychologuesou psychanalystes qui, comme P. Bourdieu le note avec raison, ont tendance naturaliser lesdiffrences sexuelles. Il n'est pas indiffrent de mieux connatre, comme l'a fait par exemple Y.Verdier6 pour la socit paysanne de Minot en Bourgogne (mais son analyse est pertinente pourun ensemble culturel beaucoup plus vaste), quels sont les enjeux symboliques de pratiques,de gestes, d'objets, de paroles, censs concourir la construction de la fminit. Son analysenous permet de mieux comprendre par quel nud de relations trs fortes les femmes ont tlongtemps lies au fil (activit de filage), puis aux pingles et aux aiguilles ; comment cesactivits techniques (la couture) sont lies un temps propre, des lieux particuliers, despostures du corps, une reprsentation physiologique pense comme un destin social. Entrerdans les mandres de l'analyse fine des rseaux symboliques qui font d'individus des hommeset des femmes en recourant l'ethnologie, ce n'est pas, comme le souligne avec raison P.

    Bourdieu, restaurer le mythe de l'ternel fminin ou masculin, ou plus grave, terniser lastructure de la domination masculine en la dcrivant comme invariante ternelle (p. 40).Cela permet de saisir les phnomnes de longue dure (par exemple, la relation trs troiteencore aujourd'hui entre les femmes et le linge), mais aussi les jeux d'opposition, de mimtismeou d'inversion qui peuvent exister entre le masculin et le fminin. Ceci, en tenant comptebien sr en permanence de la hirarchie qui les caractrise, ce qui implique de penser lesinversions de manire asymtrique. Aujourd'hui, des chercheurs, historiens, sociologues ouanthropologues explorent la sexuation de champs aussi divers que celui de l'univers religieux,par exemple la question de la saintet fminine7, celui du travail salari, celui de la familleou de la sexualit. Des recherches nouvelles analysent la construction sociale des sexes dansles socits modernes occidentales, la sexuation des moyens de communication, en particulier

    la lecture et l'criture8

    , la passion des femmes pour la lecture de romans roses9

    , ou pour lesfeuilletons tlviss, celle des petites filles pour les sries collge 10, celle des garons pourle foot, pour les jeux de rle, pour les BD (par exemple les manga) et les univers de science-fiction. D'autres explorent les jeux d'inversion en s'intressant par exemple la question dutravestissement ou la place des filles dans les sports dits masculins11. Toutes ces recherchesnous permettent peu peu de connatre le contenu des identifications diffrentes des deuxsexes. Loin d'tre gratuits ou de faire du masculin et du fminin des catgories anhistoriques etternelles, l'analyse des diffrences de leur contenu, variables dans le temps et dans l'espace,devrait nous mettre sur la voie d'une plus grande comprhension de ce que nous sommes en tantqu'tres sexus construits socialement. Peut-on parler de domination masculine sans aborderaussi la question, indissociable, des enjeux complexes et contradictoires de la construction

    sociale de l'identit sexue des hommes et plus encore de celle des femmes ?10 Pour conclure, ce livre me semble trs utile pour asseoir la lgitimit de l'objet auprs du grandpublic et mme dans les instances universitaires (je le vois bien dans ma pratique d'enseignanted'universit), o l'ignorance sur ce thme est encore grande. Mais il n'apporte gure de pistesnouvelles pour ceux et celles qui, dans les sciences sociales et humaines, s'intressent depuislongtemps la question des sexes et du genre.

    Notes

    1 Voir ce qu'en dit par exemple N.C. Mathieu, Bourdieu ou le pouvoir auto-hypnotique dela domination masculine , Les Temps modernes, n 604, mai-juillet 1999, p. 310 et suivantes.2 F. Hritier, Masculin, Fminin. La pense de la diffrence , Paris, O. Jacob, 1996 ; voir moncompte rendu de ce livre dansClio 8.3 M. Godelier, La production des grands hommes, Paris, Payot, 1982.

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    4 P. Bonnemre, Le pandanus rouge. Corps, diffrence des sexes et parent chez les Ankave- Anga, Paris, CNRS/ditions de la maison des sciences de l'homme, 1996.5 ce propos, je ne dvelopperai pas ici ce qui a t dit et trs bien dit par d'autres que parmoi, sur la manire dont l'auteur se comporte vis--vis des rgles dontologiques habituellesrelatives aux citations des travaux scientifiques antrieurs. Cette dsinvolture, en tant que signecaractristique d'une situation de pouvoir, est particulirement tonnante chez un auteur quianalyse avec tant de finesse et d'acuit les marques de lalibido dominandi dans le domainede la science.6 Y. Verdier Faons de dire, faons de faire. La laveuse, la couturire, la cuisinire, Paris,Gallimard, 1979.7 Voir le beau livre de J.-P. Albert, Le sang et le Ciel. Les saintes mystiques dans le mondechrtien, Paris, Aubier, 1997. Voir le compte-rendu de C. Leduc dansClio 11.8 Voir le numro 11 deClio, Parler, chanter, lire, crire, dossier dirig par D. Fabre.9 Voir sur ce point, la bibliographie franaise et trangre indique par Daniel Fabre dans sonarticle Lire au fminin ,Clio 11, pp. 179-212.10 D. Pasquier, La culture des sentiments. Les adolescents et la tlvision, Paris, Maison dessciences de l'homme, 1999.11 C. Mennesson termine sa thse de sociologie (Toulouse) sur les pratiques des footballeuseset des boxeuses de haut niveau sportif.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Agns Fine, Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, coll. Liber, 134 p. ,Clio. Histoire femmes et socits [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 20 mars 2003, consult le 28fvrier 2016. URL : http://clio.revues.org/201

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