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Distribution lectronique Cairn pour les ditions[EDITEURENTETE]. [EDITEURENTETE]. Tous droits rservspour tous pays. Il est interdit, sauf accord pralable et critde lditeur, de reproduire (notamment par photocopie)partiellement ou totalement le prsent article, de le stockerdans une banque de donnes ou de le communiquer aupublic sous quelque forme et de quelque manire que cesoit.
13. Lrotomanie
Pierre Jamet
'rotomanie, la folie d'aimer ou plutt la certitude d'tre aim.
Comment pourrait-on avoir la certitude d'tre aim, alors que le nvros en
gnral, n'a jamais cette certitude, il serait toujours la recherche d'une preuve
d'amour qui lui donnerait cette certitude d'tre aim. L'ternelle question est : M'aime-t-il vraiment ? Pour moi-mme ? Comme si ce vraiment devait
authentifier l'amour et permettait d'atteindre le plus profond de l'tre du sujet, son
signifiant fondamental. L'rotomane a cette certitude, enfin pour un moment du
moins, puisque l'rotomanie fait partie des psy choses, des dlires, des psychoses
passionnelles, comme les dcrivait Borel, psychoses passionnelles qui concernaient
soit la jalousie, soit le qurulent processif, ou l'rotomanie.
Celle-ci a surtout t dcrite par Gatan de Clrambault, qui la dcoupait en trois
phases :d'abord la phase d'espoir : le sujet est aim par un personnage important, en
gnral une vedette, un homme connu, un avocat, un prtre, un mdecin, c'est lui qui
a aim le premier, et les obstacles que rencontre cet amour (mari, le ct inaccessible
du personnage) ne sont qu'apparents et constituent les preuves qu'il faudra
surmonter, un peu comme dans la carte du tendre ou l'amour courtois du Moyen
ge ;la deuxime phase est celle du dpit parce que l'objet d'amour commence se
drober, se rtracter ; il est hypocrite, les obstacles deviennent rels et souvent le
passionn fait des scandales, procde par voie de faits pour forcer la dcision ;enfin
s'installe la phase de rancune : l'objet d'amour, ou l'autre, l'a dup, le laisse dans le
dsespoir. S'installent alors des ides de vengeance. Le sujet devient un perscuteur
et l'histoire peut se terminer dans la violence, le vitriol ou le rev olver.Il s'agit l d'unedescription un peu idale, qu'on ne rencontre plus de manire aussi caricaturale. Cet
aspect reste rare, mais cette organisation dlirante existe dans le discours de
multiples psychoses.
Gatan de Clrambault le seul matre que Lacan, toujours trs impressionn par le
style vif et tranchant de ses observations, se reconnaissait en psychiatrie a t le
pre de l'automatisme mental qui reste une des grandes acquisitions de ce qui
fonctionne dans les dlires : l'ide de l'influence de l'autre, que ses penses
n'appartiennent plus au sujet, qu'elles sont devines, lisibles, mises nu, qu'il est sous
la matrise de l'autre, manipul
Clrambault, curieux personnage, tait galement un passionn, mais un passionn
du drap et du voile, du tissu des femmes marocaines, qu'il a ctoyes en tant
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qu'officier de Gallieni. Il a laiss de nombreux dessins et de photographies de ces
draps. De plus il est mort tragiquement, en se suicidant au revolver face son miroir
mais a ne nous regarde pas , comme s'il voulait galement tuer son image et son
reflet pour atteindre son existence travers celle-ci. Quand on sait que Lacan a bas
toute sa thorie du narcissisme sur l'image spculaire, avec le support de la tension
agressive donc de la haine, puis de l'amour de soi qui se structure ainsi, il serait
intressant de faire un lien avec la fascination qu'a pu exercer son matre
Clrambault son gard.
L'rotomanie se fonde sur l'amour et la haine, l'hainamoration de Lacan, d'abord
ce qui fait signe d'amour chez l'autre, un signe interprt dans le sens de l'amour,
donc qui prend une seule signification, celle de l'amour.
Nous avons l le scnario de la psychose passionnelle, qui utilise d'ailleurs plus
souvent le thme de la haine, dans le sens de la perscution, laquelle nous avons
d'ailleurs souvent affaire dans notre pratique.
Ce sont tous ces comportements de la vie quotidienne que je pourrais appeler une
psychopathologie de la vie quotidienne , qui font le pain quotidien de tous les
psys : le ct rptitif, tous ces tyrans et bourreaux familiaux, conjugaux, toutes
les brimades subies par les plus faibles, les apprentis dans l'entreprise, le rle de bouc
missaire d'un colier marginal, la situation faite un ouvrier tranger, tout ce que
j'appellerais une haine chronique , la perscution d'une victime qui devient une
raison de vivre pour certains.
Combien de ces haines tenaces qui s'exercent dans les bureaux, dans les entreprises,
dans les couvents, dans les cercles politiques ! Toutes ces perscutions par lettre
anonyme, tlphone, vandalisme, sabotage, attentat, sont le fait de ce quej'appellerais les petits paranoaques , peut-tre ceux dont l'exaltation a t
attnue par des tranquillisants ou des neuroleptiques ; tous ces types d'hommes au
jugement faux, gocentriques, mfiants, orgueilleux, psychorigides, souponnant
partout des piges, des chausse-trapes, des choses caches et qui deviennent
vindicatifs, rancuniers, qurulents, ceux qu'on appelle aujourd'hui les caractriels.
Ne nous illusionnons pas, nous avons affaire le plus souvent ces formes peu
sympathiques, que nous prfrons v iter ou qui nous font peur, plutt qu'aux grands
sentiments et aux grandes passions.
D'ailleurs, la passion a des significations trs ambivalentes. D'un ct elle a mauvaise
presse, ce serait l'tat d'un tre faible, dpendant de sa drogue, avec des effets
ravageurs, destructeurs, de l'autre, toute existence ne serait pas digne de ce nom
sans la passion rien de grand n'a jamais t accompli, ni ne saurait s'accomplir sans
passion selon Hegel. Ce serait une facult de vivre au profit d'un objet unique.
C'tait le cas de tous les grands inventeurs, crateurs, artistes, chercheurs, savants
mais en psychanalyse, la passion a fait l'objet de peu d'tudes.
Pour Freud c'tait la sublimation de la curiosit sex uelle. Freud lui-mme tait un
passionn. Sa cration de la psychanalyse, dans sa tentative de rationaliser
l'irrationnel, est souvent interprte par certains comme la tentative d'riger un
systme qui viendrait la place des systmes religieux ou idologiques dont il se
mfiait Freud se disait athe.
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Nous retrouvons l notre psychose passionnelle, travers ces termes de rationnel,
d'irrationnel, de religion, c'est--dire les questions fondamentales par lesquelles la
vrit peut entrer dans la vie de l'homme. En fait l'homme s'accommode
parfaitement de la non-vrit. Nous vivons constamment, et tout au long de notre
histoire, sur un imaginaire irrationnel. Alors, comment la vrit peut-elle entrer dans
la vie de l'homme si ce n'est par le signe, en fait le signifiant qui fait partie du signe
avec son signifi. Ce n'est qu' travers le signifiant que nous pouvons aborder le rel,
mais ce signifiant qui supporte notre dsir contient en lui-mme la possibilit du symbolique, de l'imaginaire, et du rel , cette fameuse trinit lacanienne, pour
signifier.
En effet le signifiant en lui-mme ne veut rien dire, ne signifie rien, reste tout fait
arbitraire, mais il peut signifier, il est l'agent de la signification, il peut donner sens.
Dans le monde psychotique, paranoaque, nous avons constamment affaire la
signification et au sens. Tout devient sens, le monde s'organise et devient porteur de
sens, il y a un effritement de la contingence, tout devient interprtable, tout peut
devenir signe d'amour ou d'hostilit. Nous touchons l fondamentalement au statutdu sujet, par exemple le sujet de la certitude, le fameux cogito de Descartes, mais
aussi le sujet de l'inconscient qui va se structurer en sujet paranoaque en fonction
d'un certain destin de son signifiant.
Nous sommes l au cur du rapport du sujet au signifiant, quel est donc ce rapport ?
Souvenez-vous de Lacan : Le signifiant reprsente le sujet pour un autre
signifiant ; le sujet est lui-mme une mtaphore et le signifiant qui le reprsente
doit prendre sens ou non-sens selon le dsir de ce sujet qu'il supporte.
Le sens commun, ou la religion, d'autres morales disent souvent : Il faut donner unsens la vie .
Comment le sujet se donne-t-il sens travers le signifiant ? C'est l que se jouera la
destine de son dsir, ventuellement la psychose.
Souvenez-vous du schma de Lacan, de l'tre corn par le sens et du sens corn
par l'tre, le fameux vel alinant de l'apparition du sujet, tre ou signifier, signifier
ou tre, tre pour le sens, tre sans sens, ou dans le non-sens, quel sens d'tre ? Nous
touchons l au vritable doute mtaphysique, parce qu'il y a deux choses dans la vie
humaine qui n'ont pas de signifiant, c'est la naissance et la mort. Pas de signifiant quiait une signification donc un sens. C'est la naissance et la mort qui vont tre des
thmes de base de la psy chose, la filiation et l'immortalit, parce qu'on peut alimenter
de sens ces deux vnements. Tout l'imaginaire reste ouvert, du dlire de filiation
jusqu' toutes les ides sur l'au-del, les religions.
C'est l que Freud a donn pour rponseMose et le monothisme1, il y explique
comment la vrit entre dans la vie de l'homme, que la signification dernire est l'ide
du pre, la vrit du pre, le mythe de la mort du pre, du meurtre du pre, donc le
symbole du pre, l'introduction du signifiant pour l'existence de ce symbole. Lacan a
introduit cet endroit la mtaphore paternelle, celle qui ouvre l'ordre symbolique,
qui permet au signifiant de se faire reconnatre, de ne pas se cantonner dans la
mtonymie imaginaire, et dont la forclusion serait l'origine de la psychose.
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Donc forclusion du Nom-du-Pre, du signifiant paternel, celui qui permet aux autres
de fonctionner, de se sortir du sens. Je disais que le signifiant contenait le symbolique,
l'imaginaire et le rel, mais je pense que ce signifiant a beaucoup de facilit avec
l'imaginaire, car ce signifiant imaginaire reste toujours facilement le reflet de notre
narcissisme, la reprsentation de l'amour de soi celui qui garantit un amour pour la
vie, d'aprs Oscar Wilde.
C'est justement ce qui fonctionne chez notre rotomane, qui se sent aim(e) par unpersonnage important, qui reprsente son moi idal, reflet de sa mgalomanie, celui
qui lui permet de rester le centre de son monde. D'ailleurs ce monde est entirement
la projection de son imaginaire, tout ce qui vient de l'extrieur prend sens pour elle ou
lui, et lui est destin, aussi fait-il appel aux instruments, machines de la modernit,
tout ce qui peut lui faire signe de loin, du monde entier.
Dans cette psychose passionnelle que reprsente l'rotomanie conjonction de
l'amour et de la psychose, c'est--dire un abord dlirant de la ralit , il s'agirait de
bien dfinir ce que peuvent signifier aussi bien l'amour que la psychose, finalement
deux folies qui se renforcent ou se neutralisent.
Nous avons fait allusion l'essence narcissique de l'amour, le dlire quant lui est
plutt une tentative de restauration d'une ralit qui se perd cause d'un dficit, li
un mcanisme dcrit par Lacan, la forclusion du Nom-du-Pre .
L'amour, vaste sujet, dont aucun de nous ne voudrait tre exclu. Le prototype, le
paradigme en est l'amour de la mre, celui qui nous narcissise, qui reprsente l'amour
de soi, l'amour narcissique, l'investissement de la libido sur le moi (Freud), donc de
l'nergie psychique sur la reprsentation imaginaire du moi, celle de l'image
spculaire qui anticipe l'unit du moi (cf. le stade du miroir de Lacan) chez l'infans,prmatur, avant de se diriger vers les objets, ce qui va constituer sa relation d'objet.
Le narcissisme reprsente une force de liaison (issue du dsir de l'autre), une force de
liaison qui permet une union, une fusion entre les divers signifiants qui ancrent la
jouissance des pulsions, dcoupent, morcellent le corps, mais sont tenus par cette
colle narcissique, enduit de la reconnaissance de l'autre (en l'occurrence, le dsir de la
mre), et va anticiper l'unit de ce corps.
Cet amour-fusion ne peut que maintenir une relation duelle mre-enfant, qui reste
non viable, incestueuse pour le sujet, jouet de l'autre. Une identification tierce doitpouvoir se raliser ; un signifiant tiers, en dehors de cet ensemble, doit pouvoir
soutenir cette identification, cette existence. Un lment tiers que Lacan nomme le
signifiant du Nom-du-Pre donne son identit au sujet par la dnomination qui l'a
introduit l'ordre symbolique. Le Nom-du-Pre permet au sujet de se symboliser
travers le nom, d'avoir accs la castration symbolique, celle reprsente par la
mtaphore paternelle.
Cette castration symbolique est celle qui permet dfinitivement de faire le deuil de la
toute-puissance narcissique, qui fixe les limites des lois du langage et met une bute
la castration imaginaire, celle qui revient toujours la charge chez le nvros,
puisqu'il la croit toujours possible, l'origine de tous ses symptmes concernant les
anticipations anxieuses et la perptuelle crainte des catastrophes et des accidents.
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La forclusion est un terme juridique, qui signifie que quelque chose n'est jamais
arriv, est non advenu, donc disparat entirement de l'existence. Lacan utilise ce
terme pour traduire la Verwerfungde Freud, mot utilis dansL'Homme aux loups2
pour parler du mcanisme psychique la base de l'hallucination du doigt coup, dans
le sens de rejet terme plus fort que Verdrngung, le refoulement , comme un
rejet de la castration.
Pour qu'il y ait forclusion, il ne peut jamais y avoir eu d'affirmation, deBejahung; ellese situe avant la ngation qui n'a pas pu exister, puisque la ngation ncessite une
affirmation pour exister. Dans la forclusion rien n'est arriv, le signifiant n'a pas
exist. Le signifiant du Nom-du-Pre est celui qui met de l'ordre dans la chane
signifiante. Ce signifiant ne signifie rien en lui-mme, mais permet simplement de
nommer, de donner une place, un ancrage dans une ligne, donner un dpart ou une
arrive, et permet d'viter un glissement de toute la chane signifiante vers
l'imaginaire du dlire. Ce signifiant humanise le sujet dans la reconnaissance
symbolique, fait qu'il sait qu'il est n d'un homme et d'une femme et reconnat la
diffrence des sexes, des gnrations et des structures familiales.
Cette forclusion du Nom-du-Pre a t une intuition gniale de Lacan car
cliniquement, dans tous les dlires, il y a au moins l'bauche d'un dlire de filiation. Le
psychotique se place souvent dans une filiation divine, ou une filiation prestigieuse,
descendant de Salomon ou de la reine de Saba, de Napolon ou d'un roi quelconque.
En tout cas, il se sent un enfant adoptif et ne se contente jamais d'tre le fils de ses
parents. Cette forclusion du signifiant paternel ouvre droit la bance de l'imaginaire,
et l tout devient possible. Le langage ne sert plus reconnatre l'autre, et les
signifiants tournent vite dans le dlire.
Le nombre de dcompensations psychotiques, prcipites dans le dlire aprs une
faillite des signifiants paternels, suffit donner un accent de v rit cette thorie de
la forclusion du Nom-du-Pre.
Je pourrais citer des ex emples innombrables de ma pratique, de multiples bouffes
dlirantes survenues aprs des v nements qui ont touch d'une manire ou d'une
autre au patronyme ou au signifiant paternel.
Par ex emple, un pre immigr, a trouv son patronyme trop difficile, trop long
exprimer dans la langue franaise. I l a demand l'tat civil de le raccourcir, de le
couper en deux, par jugement du tribunal. Peu aprs, son fils g de 20 ans, a fait une
bouff dlirante polymorphe, avec un norme dlire cataclysmique de fin du monde,
monde qui s'croule. Il ne voyait plus que des cimetires et des camps de
concentration dans la ville. La brisure de ce signifiant a fait s'crouler sa ralit
psychique, sans doute fragile.
Rappelez-vous l'histoire du tabouret de Lacan, dans son sminaireLes psychoses3 :
un tabouret quatre pieds tient bien, un tabouret trois pieds peut encore tenir,
mais un tabouret deux pieds est toujours en dsquilibre. I l en est ainsi des
batteries signifiantes pour un sujet. Si elles ne sont pas assez nombreuses ou solides,le moindre accroc peut les faire basculer.
J'ai souvent constat galement des dcompensations psychotiques aprs les dcs,
des maladies, ou des vnements qui concernaient un tenant lieu du signifiant
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paternel, un patron, un chef, un suprieur hirarchique
Revenons notre rotomane la recherche d'Un pre, un signifiant paternel qui
l'aimerait puisqu'elle v eut se sentir aime par un personnage important, qui peut
avoir cette place de pre, lui renvoyer une identit imaginaire, mgalomaniaque et
qui se sent aime par le maire de la ville. Le signifiant maire qui doit reprsenter
le pre, peut exprimer le dsir de retrouver le pre chez le maire (mre), car c'est
dans le discours de la mre que l'enfant doit retrouver le signifiant paternel. C'estdj dans le fantasme de la mre que l'enfant ne doit pas tre l'unique objet de son
dsir, c'est--dire le phallus, mais il faut une ouverture, une bance, qui indique un
ailleurs, que la mre n'est pas toute puissante, qu'elle ne peut pas s'autofconder, qu'il
y a une diffrence des sexes et que son dsir existe aussi en dehors.
L'rotomanie dont on parle le moins ou presque pas peut-tre parce que c'est la
plus norme et la plus radicale, et aussi la plus frquente est celle qui consiste se
croire aim de Dieu. Quel personnage plus important que Dieu, puisque c'est notre
crateur et qu'il nous a faits son image ; nous participons donc de lui. Se sentir aim
par Dieu pourrait nous faire croire partager sa toute-puissance, sa perfection, sonimmortalit C'est une scurit mgalomaniaque et sans doute aussi une conviction
dlirante qui existent chez les mystiques, dans le dlire mystique.
Nous sommes l aux confins d'un langage que beaucoup prtendent et disent
inanalysable. Tout ce qui concerne la foi, les croyances, la religion, Dieu, devrait tre
un domaine part, rserv. Beaucoup de croyants, prtres, pasteurs voudraient faire
une analyse, sans toucher leur foi, pensant qu'elle domine tout, qu'elle drive d'une
transcendance et donc qu'elle est inanalysable. C'est mconnatre l'universalit de
l'inconscient qui n'pargne aucun langage puisqu'il existe ds qu'il y a langage, dans
ces mcanismes de refoulement ou autres et rien ne sert de freiner des quatre
Ver- selon la formule de Perrier.
Il est impossible de ne pas soumettre l'analyse tous les phnomnes humains, qui
viennent du psychisme, du langage, si elle veut garder sa crdibilit, sa lacit, sa
neutralit, sa scientificit au moins dans le sens de l'honntet intellectuelle.
Revenons notre dlire mystique. L'amour de Dieu serait donc la plus parfaite, la
plus pleine jouissance de son dsir. Connatre la plnitude sans limite, sans castration,
plus d'objets perdus dsirer, une totalit identifie au signifiant paternel absolu,
Dieu le pre, qui lui n'est jamais forclos puisqu'il est le crateur de l'univers et sa place
est partout dans tous les mondes.
Le langage mystique, ou l'exprience mystique, conduit vers l'extase ou vers des
jouissances bien suprieures la jouissance phallique (celle de la jouissance sexuelle),
conduit vers une jouissance Autre, celle que Lacan a nomm Pas- toute , donc la
jouissance fminine qui ouvrirait l'existence de Dieu. En effet, toutes les grandes
mystiques sont plutt des femmes. La jouissance fminine serait celle qui ouvre la
voie du mysticisme et de l'amour transnarcissique, celui qui n'est pas barr par le
phallicisme, cet amour qui ne voudrait que le bien de l'autre, dans un oubli de soi-mme, qui toucherait au sacrifice ou la saintet, bref un masochisme primordial.
Y a-t-il des preuves d'amour qui ne soient pas prises dans la jouissance phallique ?
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La seule preuve d'amour qui existerait ainsi, serait celle de donner sa vie pour l'autre.
Elle est rarement exige, et pas souvent ncessaire. L'absolu de l'amour serait une
ngation totale des limites, qui permettrait la fusion vers le Un, l'amour d'un
signifiant qui ne pourrait que se raliser dans la sublimation mystique d'un tre ange
(trange), monde sans sexe, au-del du dsir sexuel, donc pas de mort mais
l'immortalit.
Quant l'amour non mystique, le banal, il est trompeur parce que pris dans l'illusionnarcissique, et ce qui fait signe d'amour, c'est un signifiant qui fait l'habillage d'un
idal narcissique qu'on voit reflter chez l'autre et qui nous fait miroiter la
compltude. C'est une manire de tromper provisoirement la castration.
Donner ce qu'on n'a pas, quelqu'un qui n'en veut pas disait Lacan. Telle est la
mconnaissance de l'amour, mais la mconnaissance la plus recherche dans sa
rciprocit, comme si, selon le vieux my the d'Aristophane, celui de l'androgyne,
chacun recherchait le complment de sa division primitive : l'un d'une manire
nvrotique, l'autre dans sa psychose.
A la fin de cette confrence, quelqu'un a frapp la porte, c'tait une malade qui
dambulait dans les couloirs. Elle est entre dans l'amphithtre, dans un grand
silence, en disant : Je suis le Messie . Tout le monde tait stupfait pensant une
mise en scne habile de notre part, mais c'tait l tout fait imprvu.
En tout cas l'effet de surprise n'a pu que donner plus de poids notre propos.
Pierre Jamet
Notes
[ 1]S. Freud (1938),Mose et le monothisme , Gallimard, coll. Ides , 1 967 .
[ 2]S. Freud (191 8), Extr ait de lhistoire dune nvro se infantile. LHomme aux loups , dans Cinq psycha nalyses,puf, 1995 .
[ 3]J. Lacan (195 5-1956),Les psyc hoses , Sminaire III, Le Seuil, 1981.
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