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SEPTEMBRE 2002 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION SOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimes- trielle de l’Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 465 1000 Lausanne 9 [email protected] www.distinction.ch Abonnement : Frs 25.– au CCP 10–22094–5 Prix au numéro : Suisse : 4.35 francs Europe hors zone franc : 2.90 e Collaborèrent à ce numéro : Jean-Frédéric Bonzon Charles Chopin Théo Dufilo Gil Meyer Henry Meyer Line Naphta Claude Pahud Vivette Perret Boris Porcinet Marcelle Rey-Gammay Laurent Sambo Johnny Seara Cédric Suillot Jean-Pierre Tabin Monique Théraulaz Bénédicte Thiémard 91-92 Si vous pouvez lire ce texte, cest que vous nêtes pas abonné(e). Quattendez-vous pour le faire ? Frs 25.– au CCP 10–220 94–5 «Strc ˇ prst skrz krk !» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 21 septembre 2002 paraît six fois par an seizième année JAB 1000 Lausanne 9 Annoncer les rectifications d'adresse Une coopérative autogérée, alternative. Une librairie indépendante, spécialisée en sciences sociales et ouverte sur dautres domaines. Un service efficace et rapide. Un rabais de 10 % aux étudiants et de 5 % à ses coopérateurs. (Publicité) LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected] Ouvertures : LU 13h30-18h30, MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00 Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél./fax/répondeur 691 39 37 Ouvertures : du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30 B A S T A ! NOMINATIONS POUR LE GRAND PRIX DU MAIRE DE CHAMPIGNAC 2002 «Il sagit aujourdhui de décriminaliser linterruption de grossesse durant les douze premiers mois, et rien dautre.» Léonard Bender, avocat radical valaisan, in Le Temps, 20 avril 2002 «Le prince charmant souhaite-t-il deve - nir aussi gros que le boeuf ?» Blaise Horisberger, porte-parole du groupe PopEcoSol, lors dune séance du Conseil général de Neuchâtel, in LExpress, 7 mai 2002 «Je crois quil ny a aucun parti qui est à labri de ce genre de petites guerres in - testinales.» Fernand Cuche, conseiller national écologiste, supra RSR1-La Première, 3 mai 2002, vers 18h55 «Lavenir tout dabord. Que va devenir le bâtiment Perregaux parti en fumée ?» Michel Rime, journaliste des coups fumants, in 24 Heures, 18 mai 2002 Notre nouveau supplément tout en couleurs à découper soi-même: «Cette nouvelle vision devra aussi corri - ger leffet pervers induit par un report spatial trop marqué sur lautoroute de contournement, à savoir la “centrifuga - tion” des activités en périphérie. Elle devra permettre une gestion de la mobi - lité et une gestion de lespace non plus au fil de leau, ni même réactive, mais pro-active.» Groupement Transports et Économie, Rapport «Une politique globale des transports pour Genève» http://www.gte.ch/VisionGlobale.pdf «En quelque sorte, on tond Paul pour habiller Jean.» Alain Hubler, conseiller communal popiste, séance du conseil communal de Lausanne, 11 juin 2002, à 21h09 «Je crois que le parti socialiste est un parti de gauche, quil doit pratiquer une politique de gauche et cest ce qui le distingue des autres partis bourgeois.» Christiane Brunner, présidente du parti socialiste, supra RSR1-La Première, 26 juin 2002, le matin Hors concours : Les progrès du champignacisme dans le monde «Seul le temps peut séparer léphé - mère de ce qui dure.» Elisabeth II, reine, in 24 Heures, 1er mai 2002 «Dans la capitale, les supporters ont afflué vers les espaces où la rencontre est retransmise en direct plusieurs heures avant le début du match.» Dépêche si/AFP reprise par lATS, 18 juin 2002, à 18h07 «La seule option sérieuse pour le succès dun règlement négocié est de rechercher un accord intérimaire durable qui laisse de côté, pour le futur, des problèmes dont la solution est hors datteinte dans le présent.» Ariel Sharon, premier ministre israélien, in Le Monde, 13 juin 2002 C'est arrivé près de chez nous À New York, c’est bien connu, les vendeurs dans les boutiques branchées ne sont pas des vendeurs professionnels, mais des comédiens qui, dans l’at- tente d’un rôle, s’exercent à jouer le rôle d’un vendeur : il en va de même pour les ser- veurs des restaurants bran- chés, qui jouent le rôle etc. etc. McNulty, le narrateur, est un acteur au chômage qui, en dépit de centaines de cas- tings, n’a jamais décroché le moindre rôle. Mais il est assu- rément un barman profes- sionnel, que son engagement syndical, hérité d’un père mi- litant communiste, prédispose à de fréquents changements d’employeur. Les patrons de bar supportent et pour cause les consommateurs quéru- lents, ils ont soif ; ils sont moins compréhensifs concer- nant les revendications po- sées par leurs barmen. Se voir contraint de changer de bar permet cependant au barman de mieux connaître «les ficelles du métier» (1) et de mieux connaître la ville, ainsi que cet échantillon aussi représentatif que divers qui hante les bars jusqu’à plus d’heure. McNulty a fini par apprécier son métier et ses multiples composantes. Avoir des amis que l’habitude ou le désœuvrement rendent fidè- les, neutraliser des intrus, goûter sans aucune modéra- tion aux produits qui circu- lent dans les bars, entre au- tres l’alcool. Et faire des ren- contres imprévues. Un soir la belle Angelina fait irruption chez Oscar, où il travaille désormais, fréquenté par une foule d’éclopés, qui ex-hippie, qui ex-rocker, qui poète «travaillant comme por - tier pour faire vivre sa muse», qui ex-alcoolique. Comment ne pas succomber au charme que dégage cette toute jeune femme égarée dans Manhat- tan ? Angelina fera en fait ir- ruption dans la vie du bar- man, qui a deux fois son âge. Elle a perdu son emploi, elle a été expulsée de son logement, il la recueille chez lui. Chaste- ment, dans un mélange de re- grets et de soulagement. Non pas que la jeune femme ne lui ait prodigué de forts témoi- gnages d’affection amoureuse. Angelina va et vient, visi- tant les innombrables bars de Broadway, puis disparaît, dé- finitivement. Son corps est re- trouvé dans Central Park. Qui pouvait donc en vouloir, au point de l’assassiner, à ce délicieux oiseau de nuit qui «faisait des choses dangereu - ses comme de lever des types dans les bars presque toutes les nuits (…) Certains tour - naient dingues parce qu’une fille comme Angelina refusait de coucher avec eux, d’autres parce qu’elle voulait bien, et d’autres encore parce qu’elle couchait avec le voisin. Les bars de New York étaient des repaires de suspects.» Peu préparé à jouer les in- vestigateurs, se méfiant de la police, mais avec la collabora- tion de la sœur de la victime, une avocate aux postures op- posées à celles d’Angelina, McNulty mène l’enquête. En partant du point de départ : ce qu’il connaît le mieux et qui l’émeut le plus, New York, ses bars et leurs usagers. Prends garde au buveur soli - taire est un roman qui traîne parfois en longueur. Mais qui n’aimerait pas traîner dans les villes ? Et dans les bars ? La plume élégante de Lehane y invite, en tout cas. G. M. Cornelius Lehane Prends garde au buveur solitaire Traduit de laméricain par Corinne Faure-Geors et Jeanne NGuyen Rivages/Noir, 2002, 314 p., env. Frs 17.– (1) Les ficelles du métier, tel est le titre de l’ouvrage de méthodo- logie d’enquête du sociologue Howard Becker (auteur du fa- meux Outsiders, consacré no- tamment aux… musiciens de bar) qui vient de paraître aux éditions La Découverte, et dont on ne saurait trop recomman- der la lecture même distraite, c’est instructif et amusant. Noir de chez noir Pilier de bar Dans une profession souvent décriée Un exemple de probité candide Papillon apparu çà et là Voir pages 5 à 16

Pilier de bar · 2011. 7. 5. · SEPTEMBRE2002 LADISTINCTION— 1 LADI S T I N C T I O N SOCIALE— POLITIQUE— LITTÉRAIRE ARTISTIQUE— CULTURELLE— CULINAIRE LADISTINCTION Publication

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Page 1: Pilier de bar · 2011. 7. 5. · SEPTEMBRE2002 LADISTINCTION— 1 LADI S T I N C T I O N SOCIALE— POLITIQUE— LITTÉRAIRE ARTISTIQUE— CULTURELLE— CULINAIRE LADISTINCTION Publication

SEPTEMBRE 2002 LA DISTINCTION — 1

LA DI S T I N C T I O NSOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIREARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

LA DISTINCTIONPublication bimes-trielle de l’Institutpour la Promotionde la Distinctioncase postale 4651000 Lausanne 9

[email protected]

Abonnement :Frs 25.–

au CCP 10–22094–5Prix au numéro:

Suisse: 4.35 francsEurope hors zone franc : 2.90 e

Collaborèrent à ce numéro:Jean-Frédéric Bonzon

Charles ChopinThéo DufiloGil Meyer

Henry MeyerLine Naphta

Claude PahudVivette PerretBoris Porcinet

Marcelle Rey-GammayLaurent SamboJohnny SearaCédric Suillot

Jean-Pierre TabinMonique ThéraulazBénédicte Thiémard

91-92Si vous pouvez lire ce texte, c’est que vous n’êtespas abonné(e). Qu’attendez-vous pour le faire ?

Frs 25.– au CCP 10–220 94–5

«Strc prst skrz krk !»(Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

21 septembre 2002paraît six fois par an

seizième année

JAB 1000 Lausanne 9Annoncer les rectifications d'adresse

Une coopérative autogérée, alternative.

Une librairie indépendante,

spécialisée en sciences sociales

et ouverte sur d’autres domaines.

Un service efficace et rapide.

Un rabais de 10 % aux étudiants

et de 5 % à ses coopérateurs.

(Publicité)

LIBRAIRIE BASTA! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne,Tél./fax : 625 52 34 / E-mail : [email protected]

Ouvertures : LU 13h30-18h30,MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30, SA 9h00-16h00

Librairie Basta! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne,Tél./fax/répondeur 691 39 37

Ouvertures: du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30

B A S TA !

NOMINATIONS POUR LEGRAND PRIX DU MAIREDE CHAMPIGNAC 2002

«Il s’agit aujourd’hui de décriminaliserl’interruption de grossesse durant lesdouze premiers mois, et rien d’autre.»

Léonard Bender,avocat radical valaisan,

in Le Temps, 20 avril 2002«Le prince charmant souhaite-t-il deve -nir aussi gros que le boeuf?»

Blaise Horisberger, porte-parole dugroupe PopEcoSol, lors d’une séance

du Conseil général de Neuchâtel,in L’Express, 7 mai 2002

«Je crois qu’il n’y a aucun parti qui est àl’abri de ce genre de petites guerres in -testinales.»

Fernand Cuche, conseiller national écologiste,

supra RSR1-La Première, 3 mai 2002, vers 18h55

« L’avenir tout d’abord. Que va devenirle bâtiment Perregaux parti en fumée?»

Michel Rime,journaliste des coups fumants,

in 24 Heures, 18 mai 2002

Notre nouveau supplément tout en couleursà découpersoi-même:

«Cette nouvelle vision devra aussi corri -ger l’effet pervers induit par un reportspatial trop marqué sur l’autoroute decontournement, à savoir la “centrifuga -tion” des activités en périphérie. Elledevra permettre une gestion de la mobi -lité et une gestion de l’espace non plusau fil de l’eau, ni même réactive, maispro-active.»

Groupement Transports et Économie,Rapport «Une politique globale des

transports pour Genève»http://www.gte.ch/VisionGlobale.pdf

«En quelque sorte, on tond Paul pourhabiller Jean.»

Alain Hubler,conseiller communal popiste,

séance du conseil communal deLausanne, 11 juin 2002, à 21h09

«Je crois que le parti socialiste est unparti de gauche, qu’il doit pratiquer unepolitique de gauche et c’est ce qui ledistingue des autres partis bourgeois.»

Christiane Brunner, présidente du parti socialiste,

supra RSR1-La Première, 26 juin 2002, le matin

Hors concours: Les progrès

du champignacismedans le monde

«Seul le temps peut séparer l’éphé -mère de ce qui dure.»

Elisabeth II, reine,in 24 Heures, 1er mai 2002

«Dans la capitale, les supportersont afflué vers les espaces où larencontre est retransmise en directplusieurs heures avant le début dumatch.»

Dépêche si/AFP reprise par l’ATS,18 juin 2002, à 18h07

«La seule option sérieuse pour lesuccès d’un règlement négocié estde rechercher un accord intérimairedurable qui laisse de côté, pour lef u t u r, des problèmes dont la solutionest hors d’atteinte dans le présent.»

Ariel Sharon, premier ministre israélien,in Le Monde, 13 juin 2002

C'est arrivé près de chez nous

ÀNew York, c’est bienconnu, les vendeursdans les boutiques

branchées ne sont pas desvendeurs professionnels, maisdes comédiens qui, dans l’at-tente d’un rôle, s’exercent àjouer le rôle d’un vendeur : ilen va de même pour les ser-veurs des restaurants bran-chés, qui jouent le rôle etc.etc. McNulty, le narrateur, estun acteur au chômage qui, endépit de centaines de cas-tings, n’a jamais décroché lemoindre rôle. Mais il est assu-rément un barman profes-sionnel, que son engagementsyndical, hérité d’un père mi-litant communiste, prédisposeà de fréquents changementsd ’ e m p l o y e u r. Les patrons debar supportent et pour causeles consommateurs quéru-lents, ils ont soif ; ils sontmoins compréhensifs concer-nant les revendications po-sées par leurs barmen.

Se voir contraint de changerde bar permet cependant aubarman de mieux connaître«les ficelles du métier» (1) etde mieux connaître la ville,ainsi que cet échantillon aussireprésentatif que divers quihante les bars jusqu’à plusd’heure. McNulty a fini parapprécier son métier et sesmultiples composantes. Av o i rdes amis que l’habitude ou ledésœuvrement rendent fidè-les, neutraliser des intrus,goûter sans aucune modéra-tion aux produits qui circu-lent dans les bars, entre au-

tres l’alcool. Et faire des ren-contres imprévues.

Un soir la belle Angelinafait irruption chez Oscar, où iltravaille désormais, fréquentépar une foule d’éclopés, quiex-hippie, qui ex-rocker, quipoète «travaillant comme por -tier pour faire vivre sa muse»,qui ex-alcoolique. Commentne pas succomber au charmeque dégage cette toute jeunefemme égarée dans Manhat-tan? Angelina fera en fait ir-ruption dans la vie du bar-man, qui a deux fois son âge.Elle a perdu son emploi, elle aété expulsée de son logement,il la recueille chez lui. Chaste-ment, dans un mélange de re-grets et de soulagement. Nonpas que la jeune femme ne luiait prodigué de forts témoi-gnages d’affection amoureuse.

Angelina va et vient, visi-tant les innombrables bars deB r o a d w a y, puis disparaît, dé-finitivement. Son corps est re-trouvé dans Central Park.Qui pouvait donc en vouloir,au point de l’assassiner, à cedélicieux oiseau de nuit qui«faisait des choses dangereu -ses comme de lever des typesdans les bars presque toutesles nuits ( … ) Certains tour -naient dingues parce qu’unefille comme Angelina refusaitde coucher avec eux, d’autresparce qu’elle voulait bien, etd’autres encore parce qu’ellecouchait avec le voisin. Lesbars de New York étaient desrepaires de suspects.»

Peu préparé à jouer les in-

vestigateurs, se méfiant de lapolice, mais avec la collabora-tion de la sœur de la victime,une avocate aux postures op-posées à celles d’Angelina,McNulty mène l’enquête. Enpartant du point de départ : cequ’il connaît le mieux et quil’émeut le plus, New York, sesbars et leurs usagers.

Prends garde au buveur soli -taire est un roman qui traîneparfois en longueur. Mais quin’aimerait pas traîner dansles villes ? Et dans les bars ?La plume élégante de Lehaney invite, en tout cas.

G. M.

Cornelius LehanePrends garde au buveur solitaire

Traduit de l’américain par Corinne Faure-Geors

et Jeanne N’GuyenRivages/Noir, 2002, 314 p., env. Frs 17.–

(1) Les ficelles du métier, tel est letitre de l’ouvrage de méthodo-logie d’enquête du sociologueHoward Becker (auteur du fa-meux O u t s i d e r s, consacré no-tamment aux… musiciens debar) qui vient de paraître auxéditions La Découverte, et donton ne saurait trop recomman-der la lecture même distraite,c’est instructif et amusant.

Noir de chez noir

Pilier de bar

Dans une profession souvent décriée

Un exemple de probité candide

Papillon apparu çà et là

Voir pages 5 à 16

Page 2: Pilier de bar · 2011. 7. 5. · SEPTEMBRE2002 LADISTINCTION— 1 LADI S T I N C T I O N SOCIALE— POLITIQUE— LITTÉRAIRE ARTISTIQUE— CULTURELLE— CULINAIRE LADISTINCTION Publication

SEPTEMBRE 20022 — LA DISTINCTION

Courrier des lecteurs

Les apocryphesDans ce numéro, nous inséronsla critique entière ou la simplemention d’un livre ou d'une créa-tion, voire d’un auteur, quin’existe pas, pas du tout ou pasencore.Ce feuilleton sème l'effroi et laconsternation depuis plusieursannées chez les libraires, les en-seignants et les journalistes.Nous le poursuivons donc.Celui ou celle qui découvre l’im-posture gagne un splendideabonnement gratuit à La Distinc -t i o n et le droit imprescriptibled’écrire la critique d’un ouvrageinexistant.Dans notre dernière édition, l eprétendu recueil dû à MichelFoucault & Pierre Bourdieu, E n -tretiens sur le/la politique, (Enti-zobapoédaire, mars 2002, 160 p.,Frs 18.70) était une pure inven-tion, qui plus est dissimulée aufin fond d'une note en bas d'arti-cle. Cette pratique est sournoise,mais conforme au règlement(voir ci-dessus).

Chronique de l'excitation lexicale

Minute métonymiqueMéthodologieconjugaleScandale : vous avez changéles règles du jeu en pleinmilieu de celui-ci ! Cela s’ap-pelle déloyauté, ou machia-vélisme, ou encore hypocri-sie. Ou peut-être cuistrerie,ou alors tout simplement bê-tise.

Dans votre dernier numé-ro, l’apocryphe n’a pas don-né lieu à une recension enbonne et due forme, maisjuste à une petite évocationen passant, dans un articlede première page. Mais sivous croyez que ça va sepasser comme ça ! Je vaisme plaindre à la société in-ternationale de biobliogra-phie ! Vous déstabilisez com-plètement les fondements demon cours du semestre pro-chain, que je me proposaisde consacrer au «respect desméta-règles dans la trans-gression littéraire». J’avaisconcocté ce savant sujet demanière à pouvoir engagermon épouse Maude commeassistante (elle en connaîtun bout sur le sujet). Sur-tout, je voulais surtout luichanger les idées, après queje l’ai contrainte à renoncerau jogging dans le parc : j’enai assez qu’elle en revienneles yeux tout étoilés de sesrencontres avec des jardi-niers à la moralité douteuseet avec son ex qui ne cesse,au sens propre et au sensfiguré, de lui courir après.

Petits saligauds, vous aveztout foutu par terre.

J.-J. Mépfer-Kenzo, sty-lologue-sémiologue-socio-

logue, chargé de cours extra-ordinaire, Département defrançais comparé, Faculté

de l’Être, Université populaire

Pas du tout, nous donnons dugrain à moudre à l’académi-cien de service : vous voilà enprésence d’une méta-méta-règle. [Réd.]

Rajout rajoutéAh oui, à propos, je voudraisjuste encore mentionner ce-ci. Les scribouillards allo-broges, dont vous êtes, fe-raient mieux de cesser decroire qu’il y a dans votrecourrier des lecteurs unequelconque référence à de laréalité locale. Si cela devaitêtre le cas, il y aurait à dés-espérer de la littérature etde son évolution, ainsi quede l’influence qu’elle peutexercer sur la réalité. Si ceque vous laissez paraîtreétait vrai, il y aura matièreà écrire un roman d’avantMaupassant. Que dis-jeMaupassant : Flaubert, avecune Emma travestie enMaude. Alors cessez. Depuislors, il y a quand même eules séries télévisées et Alain

Robbe-Grillet, sans compterMarguerite Duras et PierreDesproges. Voilà. C’est ça.Foutez-moi la paix, à la fin.

J.-J. Mépfer-Kenzo, sty-lologue-sémiologue-socio-

logue, chargé de cours extra-ordinaire, Département defrançais comparé, Faculté

de l’Être, Université populaire

Au bord del'exposionJ’ai tenu le coup, j’ai boycot-té le cocorico de l’expo. Ça aété dur, et j’ai failli faiblirvers le mois de juin. Maisquand j’ai lu dans les quoti-diens locaux tant de compli-ments, de citations de jour-naux européens qui en ra-joutaient dans les fanfrelu-ches flagorneuses, cela m’aredonné un peu d’énergie etj’ai pu passer l’été sans tropde peine. Ouf, c’est bientôtfini.

Nelly W., L’Île-aux-Oies, Yvonnand

Méthodologieconjugale (bis)Je tiens à faire savoir à lavolière, à M. Bellebottes, àMesdames Berthe Ménartroet Daniela Merre, à la direc-trice des services promena-diers Di Jonez, ainsi qu’àtout autre lecteur de votrecourrier (et tout particuliè-rement l’un d’entre eux, quiy a maintes fois contribué),que je ne me rendrai plus oùvous savez, pour y faire ceque vous savez. En effet,mon mari, très attentionné,vient de m’offrir un fringantvélo à deux roues, et il espè-re que la passion pour la bi-cyclette me fera oublier lesjoies de la course à pied.Comme nous n’en sommespas encore au point où jepourrais le mener par lebout du nez comme je le fai-sais avec celui auquel je fai-sais allusion plus haut, jevais passer quelque temps àpédalouiller sous son regardmyope, mais énamouré.

Donc un peu de patience,je reviendrai bientôt sousles frondaisons. Ce n’est paspour dire que je suis mal-heureuse en ménage, ou queje regrette les temps fron-deurs de ma liaison avec ce-lui que vous savez (il valaitson pesant de cacahuètes,en fait d’heures perdues engéographie quantitative eten élucubrations de jeunepoète incompris). Mais en-fin, vous voyez, quoi, un peude variété ne nuit pas.

Maude Mépfer-Kenzo,épouse de stylologue-sémio-logue-sociologue, assistantede chargé de cours extraor-

dinaire, Département defrançais comparé, Faculté de l’Être,

Université populaire

À nos braves et fidèles lecteursVous devriez trouver dans ce numéro un bulletin de versement de couleur ro-sâtre. L'étiquette de la première page devrait en principe vous indiquer claire-ment la date d'échéance de votre abonnement.Les lecteurs qui arriveront au bout de leur pensum cette année encore et quidésirent d'ores et déjà renouveler cette épreuve voudront bien faire usage dece bulletin et ainsi nous épargner des frais de rappel exorbitants.Le tarif reste inchangé : Frs 25.– par année (6 numéros), Frs 20.– pour les chô-meurs, rentiers AVS et étudiants de première année.Merci de votre attention.

Le service des abonnements

CETTE fois, j’ai lâché labonde à mon désir departir en vacances. Je

lui ai remis ses roues, et j’aigonflé les pneus de la carava-ne. Nous l’avons péniblementextraite de la haie de thuyasoù elle s’était reposée etrouillée depuis dix ans. Etnous avons démarré, Mireille,

Solution des mots croisésde la page 19

le chien, le canari, le poissonrouge et moi, sur les routes deSuisse, de France et de Na-varre, pour rendre visite à Jo-sette, la fameuse serveuse quia tourné le dos à la vie alter-native du canton du Léman.

En chemin, nous avons faitplein de rencontres, et je mesuis fait voler mon cartable.Mais au fond je ne crois pas àl’accusation que Mireille aportée, avec une curieuseconstance, contre les Romani-chels. Je la soupçonne del’avoir subtilisé et détruit elle-m ê m e : elle a voulu m’empê-cher de prendre des airs im-portants et de trouver un bonprétexte pour me retirer, lorsde ces soirées un peu en-nuyeuses où elle s’évertue àorienter l’antenne satellitepour capter la télévision, dansles campings qui jouxtent laroute nationale 7. Et commeelle ne s’intéresse qu’au footet qu’elle s’est découvert unvéritable amour pour leschrysogomphes lusophones,elle n’a pas arrêté de fêter

bruyamment leurs victoires,en bonne compagnie (pas lamienne, inutile de le dire…)Du coup, j’ai surtout bu, etcomme qui a bu boira…

Sans cartable et sans dic-tionnaire, je me suis retrouvésans inspiration. Surtout queMireille me houspillait sansc e s s e : nourrir le poisson, dé-couvrir et recouvrir la cage ducanari, promener le chien,préparer le barbecue pour lesgrillades (il paraît que c’estune activité masculine), laverla voiture. Et pendant cetemps, elle se royaumait dansles campings, à faire l’intéres-sante, à rechercher une cabi-ne téléphonique pour télépho-ner à Josette, se plaindre demoi et lui expliquer notre fas-tidieux itinéraire.

Alors vous pensez bien queles mots de la langue françai-se… Sans compter que tousles matins, la mienne, de lan-gue, était chargée d’un bœufaussi gélatineux que volumi-neux. L’anisette n’est plus cequ’elle n’a jamais été !

Comme Josette est très liéeà mon rédacteur en chef, jeme demande, au fond, s’il n’yavait pas là une conspirationpour m’empêcher de poursui-vre ma rubrique. Car il estvrai, il est indéniable, il est ir-réfutable que je suis, présen-tement et en ce moment mê-me, en train de manquer àmes devoirs de rédacteur.Bien qu’ayant fait mon maxi-mum pour écrire encore unefois deux mille six cents si-gnes (ici j’en suis à 2’200), jevais être lourdé. J’en éprouveune honte affreuse, et aussiune terrible anxiété : le cachetqui m’avait permis de louerune place à l’année au cam-ping municipal de l’avenue del’Industrie va m’être refusé.Je vais me retrouver à la rue,et sans même un endroit danslequel stationner ma carava-ne. Mireille va me quitter.

Bon, ça n’est pas si grave,au fond. Surtout que mainte-nant les 2600 signes y sont.

T. D.

LES ÉLUS LUS (LXII)Fervemment

Il paraît que la répétitionet la recopie de textes sa-crés finissent par provo-

quer la révélation. Pendantdes mois j’ai recopié toutestes chroniques du Te m p sdans l’espoir fou d’être frap-pée par la justesse de tesidées. À l’ordinateur d’abord,mais sans succès ; probable-ment que le bruit du clavieret la luminosité de l’écrancréaient un climat peu propi-ce. À la plume ensuite, maisla crampe de l’écrivain auraitsuffi à rompre n’importe quelcharme. À la lueur de lac h a n d e l l e ; même quand jeme suis grillé les sourcils, jen’ai pas ressenti l’éclair del’évidence.

Je me suis alors dit qu’il fal-lait peut-être que j’emprunteL e Te m p s au lieu de le voler ;puis que je m’y abonne aulieu de l’emprunter ; ces sa-crifices n’ont pas suffi à m’ac-corder la grâce. Pour fusion-ner avec ta pensée, ô monMaître, j’étais prête à n’im-porte quoi. J’ai consulté desp s y c h i a t r e s : ils m’ont ditqu’il fallait que je me débar-rasse de mon obsession. Uneobsession… le rêve de te com-p r e n d r e ? Les fous ! J’ai ren-contré des prêtres : ils m’ont

déclaré que si je sentais enmoi que tu avais raison, iln’était pas du tout nécessaireque ma raison confirme cesentiment.Et chaque fois que je voyaisau détour d’une page ton re-gard clair et bienveillant illu-miner la grisaille du quoti-dien, je ressentais à la foiscette folle envie de te suivreet cette douloureuse impuis-sance à saisir ton message.J’avais tellement honte quetu doives perdre un tempsprécieux à marteler semaineaprès semaine tes deux idéesgénéreuses à cause d’incapa-bles comme moi, d’infirmesprivés de discernement, queje n’aurais jamais osé m’ad-resser à toi directement, ômon Maître.Mais tout a changé après lerêve de cette nuit où tu m’esapparu dans la salle des pasperdus du Conseil nationalvêtu d’une seule casquetted’officier bordée de perles,tendu vers moi comme pourm’inviter à me laisser péné-trer de ta sagesse. J’ai com-pris que tu m’autorisais àm’adresser à toi, que tu pour-rais me tirer de ce néantd’ignare où je croupissais.Car je sais maintenant quetoi seul peux étancher cettesoif de savoir que tu as allu-mée. Aide-moi, aide-moi ômon Maître ! Je veux ressen-tir cette chaleur intime de lacommunion, de la fusion des

âmes. Inspire-moi, accomplisle geste auguste qui réconci-liera mon cœur et ma raison.Entraîne-moi sur les som-mets où souffle ton esprit.Que les mots sacrés cessentd’être insensés pour la péche-resse que je suis. Que s’allu-ment en moi les deux étoilesqui brillent au firmament deta chronique. Que mon en-tendement soit libéré, quetes propos deviennent moncredo, ô mon Maître.Je vais enfin comprendre, jele sens, comprendre combienl’idée de protéger les richeset celle d’entretenir une ar-mée à grands frais sont infi-niment bonnes. Alléluia !

M. R.-G

Marcelle Rey-Gamay prépare unlivre d’exercices spirituels pourapprocher la pensée de Jacques-Simon Eggly. En avant-premièrenous vous présentons un texte oùil s’agit de replacer les adverbes(ici en ordre alphabétique) a b s o -lument, humainement, naturelle -ment, tristement.

«La réprobation morale et agres-sive de la richesse capitaliste aengendré le totalitarisme que l’onsait, avec les cercles ………m e n tprivilégiés du pouvoir sans par-tage. La démonstration a été… … … … …m e n t faite de l’échec… … … … …m e n t très lourd desapplications d’une utopie égali-taire. On doit donc bien rester àun système libéral qui postule… … … … …m e n t une solidarité».(«Ne pas punir les riches», L eTemps, 4 juin 2002)

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SEPTEMBRE 2002 LA DISTINCTION— 3

Courrier des lecteurs bisSaines lecturesJ’ai été passablement cho-quée de lire l’article de MmeZart sur ses lectures obliga-toires (La Distinction n° 90).Si c’est ainsi qu’elle conçoitl’enseignement et que lireG e r m i n a l est pour elle unecorvée, je pense qu’elle fe-rait mieux de changer demétier ou de suivre un stageen motivation dans les Pyré-nées comme mon beau-frère.Ils leur passaient 24 heuressur 24 le fil m Esprits rebel -les ainsi que Le cercle desPoètes disparus et quand ilest revenu, il trouvait queprof était le plus beau mé-tier du monde. Il s’est mis àvoir des activités pédagogi-ques partout : dans la lectu-re du mode d’emploi de latondeuse à gazon, dans leshampooinement de sa peti-te chienne Cassandre. Demême, après chaque épisodede F r i e n d s, il parle longue-ment à ses deux adolescen-tes pour leur faire compren-dre d’elles-mêmes pourquoicette série est complètementinfantilisante. Il est aujour-d’hui très haut placé. Oui,l’enseignement est une voca-tion, un apostolat, un don desoi de chaque instant etMme Zart ferait mieux d’al-ler vendre des petits choco-lats dans un kiosque.

Pilar De La Garanderie,diacresse, à Pully

L’article de Mme Zart com-portait une grossière erreur :je ne crois pas que l’on puis-se dire que Ruy Blas, de Vic-tor Hugo, se termine bien,ah non alors ! À la fin, RuyBlas avale un poison mortelcar il sait que sa conditionde valet l’empêchera d’êtreaimé de la reine. Mais lors-que la reine arrive, elle dit àson amant qu’elle l’aime etse jette sur son corps encriant son nom. Alors, selonla didascalie, «Ruy Blas, qui

allait mourir, se réveille àson nom prononcé par la rei -n e » et dit « M e r c i ! » . Je sup-pose que Mme Zart, en«bleue» qu’elle est, a cru àune résurrection de typethéâtre comique ou mêmede science-fiction, genre X -F i l e s ! Ce serait en effetcomique si l’école vaudoiseen mutation (EVM) pouvaiten plus se permettre decompter parmi elle des pro-fesseurs complètement àcôté de la plaque.

Cibello Jr,lecteur, à Sainte-Croix

Cher journal, je m’étonneque vous puissiez laisser pa-raître une critique de Ray-mond Queneau (voir l’articlede Mme Zart sur ses lectu-res obligatoires). RQ n’est-ilpas notre maître ès pata-physique à tous? Et si on nel’aime pas «romancier», com-ment l’aimera-t-on ? En sa-lade? Non, dans RQ tout estbon, comme dans le cochon,et je vous prierai de bienvouloir dorénavant censurerces avis divergents. Aprèstout, n’est pas chrysogom-phe qui veut.

René Corpateaux,à Saint-Martin

En raison de sérieuses écono-mies budgétaires, nous som-mes dans l’obligation de nousséparer de Mme Zart, une col-laboratrice de longue date.Cette décision, abrupte, nousen convenons, prend effet dèsce numéro. C’est dire qu’on nela lira plus dans La Distinc -t i o n. Nos lecteurs savent àquel point nous nous sommesbattus pour qu’elle figure ausommaire de ce journal etcombien nous apprécions sontalent et son travail qui n’acessé, au fil des ans, de s’amé-l i o r e r. Nous espérons avoirl’occasion d’en reparler avecelle et ses assistantes, qui ontassuré la réalisation de sescontributions, appréciées denos lecteurs. [Réd.]

Droit de citer

«La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline»PH R A S E - F É T I C H E d e s

gouvernants caqueux etdes éditorialistes pares-

seux, cette maxime familialeprésente l’avantage d’êtrecompréhensible hors dutemps et de l’espace: on pour-rait la prendre pour un apho-risme millénaire. Ainsi, unerecherche sur l’Internet fran-cophone montre très vite quel’Afrique, terre de griots et delégendes, annexe parfois cettephrase au catalogue des sen-tences bien senties. Selon lesite g u i n e e . n e t, il s’agiraitd’un «proverbe» ; d’après unmessage diffusé au sein dugroupe y a h o o . c o m / g r o u p /mediascongolais, il s’agit d’un«adage». Une entreprise amé-ricaine de développement per-sonnel (Target Training Inter -national Ltd.) va plus loin eten fait un «proverbe chinois».

Si l’on change d’idiome, ons’aperçoit rapidement que denombreux hispanophones at-tribuent «La victoria tienecien padres y la derrota esh u é r f a n a . » à N a p o l e ó n B o n a-parte (l’institut San Bernardode Claraval, en Argentine,par exemple, ou encore El Se-ñor Nolla Estrada lors de laséance de l’Assemblée de Ma-drid du 7 juin 2001). Si la pa-ge w w w.encarna.es.org /Fra -s e s . h t m en fait cadeau à Jo-seph Joffre (1852-1931), c’estsans doute pour confirmer cetropisme français.

En allemand, «Der Sieg hatviele Väter, die Niederlage istein Waisenkind.» est présentécomme un «alte Sprichwort»(h o m e . t - o n l i n e . d e / h o m e /b r u c k m a n n _ m d b / P r m i t 0 0 1 . h

Revue de presse

Exceptionnelle leçon de morale politique

dans «Domaine public»

André Gavillet, Domaine public,10 mai 2002, page 1

Roger Nordmann, Domaine public,10 mai 2002, page 7

t m). En italien, «La vittoriaha cento padri, ma la sconfittaè orfana.» est donné pour unproverbio popolare p a rw e b . t i s c a l i . i t / a f o r i s m i _ c o m,tandis que k n i g h t . g i b . i t / a f o -r i s m i . h t m l fait de «la vittoriaha tanti padri, la sconfitta e’o r f a n a … » une phrase de R e -my Martin, sans doute parceque le ouèbemestre l’avait luesur une bouteille de cognac.

Variantes

L’énoncé peut être légère-ment modifié d’une source àl’autre. Le site r f i m u s i q u e .com en donne, dans un articleau sujet du chanteur AlphaB o n d y, une variante un peuidiote : «Comme on dit, la vic -toire a un père et la défaite estorpheline.» ; Paul Vergès, frèrede Jacques et sénateur de laRéunion, proclame à la tribu-ne du Palais du Luxembourgle 14 juin 2000 que «la victoi -re a de nombreux pères, et ladéfaite est orpheline» ; le Jour -nal des débats de la Commis-sion permanente des finances

publiques de l’Assemblée na-tionale québécoise nous ap-prend que le mercredi 8 d é-cembre 1999, lors du débat ausujet du projet de loi n° 8 2 ,portant sur l’administrationpublique, le président deséance (M. Simard, de Riche-lieu) inversa l’ordre des pro-positions et décréta : «La dé -faite est orpheline, la victoirea plusieurs pères.»

Trêve de faux suspense.Plus de la moitié des référen-ces trouvées par notre amig o o g l e . c o m associent cettephrase à John FitzgeraldKennedy. Le trente-cinquièmeprésident des États-Unis l’au-rait prononcée, si l’on en croitw w w. j f k l i b r a r y. o r g / j f k q u o t e,lors d’une conférence de pres-se le 21 avril 1961, en réponseà la question n° 17, posée parle journaliste Sander Va n o-cour. Il s’agissait pour la futu-re icône posthume des s i x t i e sdébutantes de commenter ladéroute d’un quarteron decombattants anticastristes,opération voulue par son pré-décesseur Eisenhower, grand

spécialiste en débarquements.Cet épisode peu glorieux estentré dans l’histoire comme latrès bien nommée «affaire dela Baie des Cochons», en cu-bain «Playa Giron» (1).

De Rome à Washington, via Hollywood

Mais usage ne vaut pas pro-priété : ce n’est pas parce queKennedy l’a prononcée qu’ilétait l’auteur de cette phrase.(2) D’autant moins qu’ill’avait précédée d’un prudent«Selon un vieux dicton». C’estArthur Schlesinger Jr, ancienconseiller de JFK, qui, dansun article du Monde (11 avril2001), explique que Kennedyne savait plus d’où il sortaitcette sentence, et que quel-ques recherches ont montréque «La phrase était en fait ti -rée du Journal du comte Cia -no et avait été reprise dans unfilm de 1951, Le Lion du dé-s e r t, consacré au généralRommel. C’est là que Kennedyl’avait sans doute entendue, etretenue, car il avait une excel -lente mémoire.» Et l’O x f o r dDictionary of Modern Quota -t i o n s, dirigé par Tony Augar-de (1996) de confirmer : laphrase figure bien dans lejournal de Galeazzo Ciano àla date du 19 septembre 1942.

Entre un ministre fasciste àl’apogée de l’ordre noir surl’Europe et un nanar militairehollywoodien, on comprendque le président ait, incon-sciemment ou non, cherché àdissimuler ses sources. Déci-dément, il en va des citationscomme de n’importe quelt e x t e : «Donnez-moi une lignede quelqu’un et je le ferai pen -dre !» Au fait, de qui est-ce?

L. N.

(1) Pour l’anecdote, on attribueégalement à JFK cette autrephrase mémorable : «Nous de -vons mettre un terme à la guer -re, ou la guerre mettra un ter -me à l’humanité.» Pas malpour l’initiateur de l’engage-ment militaire américain auVietnam !

(2) Kennedy avait poursuivi par :«Je suis le fonctionnaire res -ponsable de cette administra -t i o n . », complément générale-ment oublié par ceux qui abu-sent de cette citation…

C'est arrivé près de chez nous

Exposition

Le miroir qui revientSandra BAUDCatherine DURANDARDDu 22 septembre au 26 octobreVernissage et fiction guidée le samedi 21 septembre à 11h00

(Annonce)

Galerie Basta !Petit-Rocher 4

Lausanne-Chauderon

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SEPTEMBRE 20024 — LA DISTINCTION

Comment ne pas perdre ses plumes dans la mare

LA rédaction en était lapremière surprise: on avu le Canard Enchaîné

appeler récemment le peuplede France à réélire le prési-dent de la République sortant.Réputé oppositionnel depuis87 ans, le journal satiriqueparaissant le mercredi avaitpourtant déjà mené campagneen faveur du gouvernement,certes brièvement ; c’était en1954 et Mendès France ten-tait alors de sortir de la guer-re d’Indochine. Autres enjeux,autre rhétorique…

Le livre de Laurent Martinnous révèle ainsi de nom-breux épisodes méconnus del’histoire du C a n a r d. Le longvol de ce volatile imprimé estune exception remarquabledans la presse satirique, habi-tuellement plombée par sonpenchant pour les divergencesfracassantes et par son inca-pacité gestionnaire. Le pre-mier Canard ne fit pas excep-tion à la règle, qui mourut aubout de cinq numéros. Il res-sortit huit mois plus tard, etune rubrique comme la «Mareaux canards» a paru continû-ment depuis cette époque,quant à la salutaire recension«À travers la presse déchaî-née», elle fit son apparitionpeu après.

S’il n’était pas –contraire-ment à la légende– un journalde poilus, mais un journal dejournalistes (plus que de des-sinateurs), souvent au débutdes non-professionnels, desgens qui exerçaient une autreactivité, parfois même sansrapport avec la chose littérai-re. Les premiers auteurs fu-rent recrutés dans la partiede la presse d’extrême gaucheen rupture avec ceux quiétaient devenus des belli-cistes acharnés, comme ceGustave Hervé qui rebaptisaen 1916 La Guerre sociale enLa Victoire.

La première campagne futmenée contre la censure et lebourrage de crâne, plus quecontre de la guerre en soi, mê-me s’il faut ici tenir comptedes précautions nécessairespour contourner la répression.Incrédulité, esprit critique,méfiance face aux discours of-ficiels sont à l’origine du C a -n a r d. On abuse du compli-ment en baptisant Barrès «lerossignol du carnage» ; on re-passe en douce des papiersc e n s u r é s ; on anonymise destextes de grands auteursqu’Anastasie s’empresse decaviarder ; on teste la vigilan-ce des censeurs au moyen dedivers jeux littéraires commel’acrostiche. Le démasquage,le dévoilement des contradic-tions, le goût pour le ridicule

«Le Canard enchaîné a décidé de rompre déli -bérément avec toutes les traditions journalisti -ques établies jusqu’à ce jour. En raison de quoi,ce journal veut bien épargner, tout d’abord, à seslecteurs, le supplice d’une présentation. En se -cond lieu, (…) il s’engage à ne publier, sous au -cun prétexte, un article stratégique, diplomati -que ou économique quel qu’il soit. (…) Enfin, LeCanard enchaîné prendra la liberté grande den ’ i n s é r e r, après minutieuse vérification, que desnouvelles rigoureusement inexactes. Chacun sait,en effet, que la presse française, sans exception,ne communique à ses lecteurs, depuis le début dela guerre, que des nouvelles implacablementvraies.»

10 septembre 1915

Économie et politique du Canard

sont les données de naissance,dans un contexte tragique,qui leur donne un sens qui vaplus loin que le simple ricane-ment sarcastique de la satirefacile en temps de paix.

Plus tard, il y eut le choixdifficile entre le pacifisme in-tégral et l’antifascisme, entresoutien à l’Espagne républi-caine et la critique de Moscou.Très vite pleuvent les accusa-tions de noyautage commu-niste. En réalité, le débat in-terne est autrement plus com-plexe. Et si le Canard ne pa-rut point durant l’Occupation,bénéficiant par là-même à laLibération d’un brevet de pa-triotisme et d’un bref double-ment de son lectorat, il n’enalla pas de même de bon nom-bre de ses collaborateurs, queleur refus intransigeant de laguerre amena à s’accommoderdans un premier temps de laprésence des troupes nazies,dans ce courant que les es-prits simples d’aujourd’huipeinent à imaginer : la gauchecollaborationniste.

À l’agonie au milieu des an-nées cinquante, l’oiseau re-prend des plumes de la bêteau début du gaullisme triom-phant, passant du statut defeuille essentiellement et ta-lentueusement commentatri-ce à celui de source d’informa-tions le plus souvent exclusi-ves. La geste des affaires poli-tico-financières du gaullisme,que la figure mythologique dugrand Charles a occultée de-puis mais que Chirac et sessbires n’ont de cesse de pour-suivre, et l’apparition de laphotocopieuse ont fait du Ca -nard ce journal qui fait con-naître ce qui n’est pas publiéailleurs. Et ce rôle devraitp e r d u r e r, tant la concentra-tion de la presse raréfie l’in-formation aussi nettementque la multiplication des mé-decins fait croître le nombredes malades (loi dite du bonDr Knock, constatable sansdifficulté autour de vous).

Juridiquement, le journalest propriété des collabora-teurs permanents qui reçoi-vent, pour la durée de leur ac-tivité, un lot d’actions incessi-bles, qui ne leur rapportentpas le moindre dividende. Àce stade déjà, on aura comprisl’intérêt des aspects économi-ques de l’histoire du Canard :ses réserves financières (pla-cées de manière non-spécula-tive) équivalent de nos jours àprès d’une année de chiffred’affaires; ce coussin amortis-seur permet de faire face auxretournements d’opinion etaux procès.

Le Canard est né peu aprèsl’âge d’or des journaux sanslecteurs, vivant de publicitésarrachées par le chantage.L’absence radicale d’annonceslui permit de s’en distinguerdès le départ. Pour MauriceMaréchal, le fondateur, ils’agissait également d’unequestion de principe: la récla-me est un mal social, qui nuitaux idées des rédacteurs,amoindrit leur liberté.

L’hebdomadaire est réalisédans les conditions d’un quo-tidien (format, mise en page,délais de bouclage) : il en ré-sulte à la fois une apparencequ’il l’assimile à la pressed’information et des coûts deproduction bien inférieurs àceux des magazines (papierglacé, couleur, promotion).Une autolimitation de l’activi-té éditoriale (pagination blo-quée à 8 pages depuis 1965,édition parallèle des seulsDossiers du Canard) renforceencore cette gestion prudente.

Mais les septante collabora-teurs permanents et la centai-ne de pigistes réguliers n’endemeurent pas moins extrê-mement bien payés au regarddes tarifs en vigueur dans lapresse française. Ils bénéfi-cient du quinzième salaire,parfois du dix-septième. Ceciexplique sans doute leur atta-chement au journal, mais

aussi leur indépendance parrapport aux influences possi-bles. Combien d’éditorialistescomplètent-ils encore de nosjours leurs revenus par des«ménages», ces activités pro-motionnelles et mondainesqui arrondissent les fins dem o i s ? En fait, bien avant sarécente richesse, les Canardsuscitait déjà les fidélités :Tréno, rédacteur en chef de1944 à 1969, était entré com-me correcteur en 1924.

La sociologie du lectorat, quireproduit la très ancienne li-gne Saint-Malo-Genève, estun autre aspect passionnantde ce volumineux ouvrage etmériterait à elle seule un au-tre article. Mais une dernièreanecdote réjouira les lecteursdu mercredi et les encourage-ra à poursuivre leur pratiquesur le long terme. En 1918, leC a n a r d accusa de We n d e ld’avoir intrigué pour allégerles bombardements contre sesusines tombées aux mains desAllemands. Maître de forgeset régent de la Banque deFrance, le personnage avaitles moyens de répliquer : ilnia en bloc. Polémiques, com-mission d’enquête parlemen-taire, rien n’y fit : aucunepreuve de ce trafic d’influencene put être produite. jusqu’aujour où une archiviste du Ser-vice historique des arméesmit la main sur un documentconfirmant l’accusation duCanard. C’était en 1981.

J.-F. B.

Laurent MartinLe Canard enchaîné

ou les Fortunes de la vertuFlammarion, mai 2001, 724 p., Frs 46.20

Bourdieu PierreScience de la science et réflexivitéRaisons d’agir, 2001, 239 pages, Frs 18.–

C’est pire pas beau de tirer sur les morts, paixà leur âme et toutes ces sortes de choses. Nomde Dieu, c’était quelqu’un Bourdieu ! Pardieu,Depardieu et palsambleu !

C’est pire pas bien de dire que Bourdieu, parfois, ça pouvaitêtre tellement compliqué que c’était simplement incompréhen-sible. «Faire de l’objectivation du sujet de l’objectivation la con -dition préalable de l’objectivation scientifique, c’est donc nonseulement essayer d’appliquer à la pratique scientifique les mé -thodes scientifiques d’objectivation […], mais c’est aussi mettreau jour scientifiquement les conditions sociales de possibilité dela construction, c’est-à-dire les conditions sociales de la cons -truction sociologique et du sujet de cette construction.» (p. 182).Y pouvait pas simplement écrire qu’il est nécessaire d’identifierle type de justification et les relations de pouvoir qui se tissentautour du discours dit scientifique pour comprendre comment ilse déploie? Y avait besoin qu’Élisabeth Tessier devienne, grâceà Maffesoli et à Moscovici, docteure en sociologie pour qu’oncomprenne qu’elle visait à donner une reconnaissance scientifi-que à l’astrologie et, vraisemblablement, à pouvoir négocier à lahausse le tarif de ses prédictions? Vénus est dans la lune…(voir à propos de la dame et de son jury de thèse l’excellent ar-ticle de Bernard Lahire, «Comment devenir docteur en sociolo-gie sans posséder le métier de sociologue?», paru dans la Revueeuropéenne des sciences sociales, tome XL, 2002, N° 122, pp. 41-65)

C’est pire pas cool de signaler à quel point Pierrot-la-Sciencepouvait être pédant, imbu de lui-même, et tout. «C’est, il mesemble, parce que je l’ai constitué, tout à fait modestement, enproblème historique, me mettant ainsi en mesure (et en demeu -re) d’établir scientifiquement la loi fondamentale du fonctionne -ment de la cité scientifique, que j’ai pu résoudre le problème desrapports entre la raison et l’histoire ou de l’historicité de la rai -son, problème aussi vieux que la philosophie, qui, tout particu -lièrement au XIXe siècle, a hanté les philosophes.» (p. 108). C’estlui qui met en évidence, en toute simplicité…

C’est pire pas sympa de dire que Bourdieu avait un rapport àlui-même, et à sa position dans le champ scientifique, pour lemoins ambigu, sociologue le plus cité dans le monde, ayant ins-piré d’innombrables ouvrages, pas toujours brillants, se plai-gnant néanmoins toujours de n’être pas reconnu à sa juste pla-ce. «Il faudrait aussi considérer ma trajectoire dans ce champ,en prenant en compte, pour éviter l’usage un peu simpliste duconcept de “mandarin”, lui-même assez simpliste et sociologi -quement peu adéquat, le caractère spécifique du Collège deFrance, la moins institutionnelle (ou la plus anti-institutionnel -le) des institutions universitaires françaises qui, comme je l’aimontré dans Homo academicus (1984), est le lieu des hérétiquesconsacrés. […] La difficulté rencontrée dans la tentative de “fai -re école” rappelle celle qu’a connue en son temps Emile Durk -heim […]. Il faudrait analyser la fonction de la revue Actes dela recherche en sciences sociales comme instrument de repro -duction autonome par rapport à la reproduction scolaire, con -trôlée en grande partie par les détenteurs du pouvoir temporelsqui, on l’a vu, sont plutôt nationaux. Il faudrait, pour finir, ana -lyser le coût extrême de l’appartenance prolongée au groupedont la responsabilité est imputée au fondateur et aux responsa -bles du groupe, alors qu’il est pour une grande part l’effet de mé -canismes sociaux de rejet […]» (p. 210-211). Négation de sa po-sition institutionnelle prestigieuse, modestie de la comparaisonavec Durkheim, rejet sur les autres de sa responsabilité de lea-der. On peut difficilement faire mieux. Il y a chez Bourdieu uneparanoïa que ne renieraient pas certains leaders trotskistes dechez nous…

Bref, il est tentant, une fois encore, d’être pire méchant avecBourdieu. Pourtant, son dernier opus, qui n’est rien d’autre queson dernier cours au Collège de France, vaut le détour. À biendes égards beaucoup plus personnel que d’autres, il montre unemagnifique intelligence de la raison, une culture hors pair, unecapacité d’analyse qui fascine. L’étude de la place de la science,de sa ou de ses raisons, mais aussi l’analyse de la place de lasociologie dans le champ scientifique sont de bonnes raisons delire ce livre, une autre (tout aussi bonne) étant l’essai d’auto-analyse auquel il se livre. Un acte courageux, difficile, parfoismaladroit, mais très cohérent avec l’ensemble de son œuvre.

Bref. Il était chiant et compliqué, mais il va pire nous man-quer. (J.-P. T.)

Chant du départ

Montée de la violence

Nouveaux progrès de la recherche statistique

Sylviane Pittet, «Ces femmes qui tapent»,in Femina, 7 juillet 2002

Page 5: Pilier de bar · 2011. 7. 5. · SEPTEMBRE2002 LADISTINCTION— 1 LADI S T I N C T I O N SOCIALE— POLITIQUE— LITTÉRAIRE ARTISTIQUE— CULTURELLE— CULINAIRE LADISTINCTION Publication

À la bourre

P. Touille & A. Journe (sous la direction de)La procrastination créatriceEssai sur le retard et ses effetsLabor & Fides, 2002, 576 p., Frs 36.40

C’est la maladie professionnelle dans lesmétiers du bâtiment ; dès la crèche et sespremières manifestations, les profession-nels de l’éducation se penchent sur ses

symptômes et la traitent au colloque du vendredi ; on la re-trouve en Ibérie proche sous le nom de m a ñ a n i s m o ; elleprend des proportions qui confinent au sublime entre Varso-vie et Vladivostok ; déjà aux temps bibliques elle exerçaitson emprise, et Pierre ne fut pas là à l’heure dite ; plus tardon attendait Grouchy et ce fut Blücher ; elle vient de pren-dre une dimension sophistique avec l’aphorisme branché quifait fureur de nos jours : «Le temps dont on dispose est utiliséà faire ce que l’on fait.» ; etc. Bref l’écart entre le temps sou-haité et le temps réel est une constante à la fois de la vie detous les jours et de l’histoire.

Dès 1982, les éditions Labor et Fides, apparemment pré-destinées à prendre en charge un tel sujet, ont mandaté unéthicien de renom, Philémon Touille, et un ancien chrono-métreur des usines Swatch, Anatole Journe, pour dirigerune équipe pluridisciplinaire, qui fut réunie progressive-ment au fil des décennies et dont les résultats sont publiésaujourd’hui, après quelques reports de parution. De nom-breuses traductions sont annoncées, et un colloque inter-national devrait ultérieurement donner à l’ouvrage tout sonretentissement. Chose rarissime dans les sciences humai-nes, quelques producteurs helvétiques sont entrés en négo-ciation pour une adaptation au cinéma. Signalons égale-ment, car la chose est rare, que plusieurs collaborateurs deLa Distinction, parmi de nombreux retraités, divers journa-listes et quelques dirigeants syndicaux, ont apporté à l’ou-vrage des contributions impressionnantes à la fois par leurampleur et par leur poids de témoignage vécu.

Quant au contenu du livre, je vous en parlerai peut-être laprochaine fois. (J.-F. B.)

SEPTEMBRE 2002 LA DISTINCTION— 5

Science et pas science

L’Homme est un roseau qui croit sou-vent n’importe quoi

La Suisse du XXIe

Test d’aptitude à la réalité

Paul BiltonXenophobe’s guide to the SwissOval Books, 1995, 64 p., Frs 16.50

Comme la Gaule de César, la Suisse est divi-sée en trois parties : celle où l’on pense enfrançais, celle où l’on parle l’anglais etd’étranges dialectes et le petit bout qui causeen italien ou en romanche…Par cette topographie simplifiée commence

l’opuscule que Paul Bilton, journaliste britannique naturalisézurichois, a consacré au pays de Thomas Borer et de Lolita Mo-rena. Selon le principe de la collection «Les guides xénopho-bes», il s’agit réunir tous les clichés possibles et imaginables ausujet d’un pays. Cela va du «Comment ils se voient» (exception-nels) au «Comment ils voient les autres» (amusants, mais chezeux) en passant par «Comment les autres les voient» (pas dutout, tant le pays est méconnu).

Relevons tout de suite quelques traits, qui témoignent de lafinesse de l’observation, Bilton note, en vrac : l’omniprésencedes sonneries campanaires, la brutalité inepte des entractes aucinéma, la langue codée des lettres de recommandation, lerituel interminable des toasts avant toute absorption de liquidealcoolisé ou cette tout aussi interminable incapacité à quitterrapidement les commensaux en fin de soirée. Certainesremarques relèvent de l’ethnologie pure : les Helvètes ont lafrayeur des courants d’air et du föhn, les concessions funérairesy sont d’une brièveté surprenante, la palette des infusions sur-prend le plus fanatique des amateurs de thé et la frénésiehivernale des biscuits de Noël tient du rite sacré.

Si l’on excepte un lien étrange entre démocratie semi-directeet taux de suicide, l’ensemble fait montre d’une bonne connais-sance du pays, solidementétayée par des exemples pres-que exclusivement alémani-ques (mais la démonstrationne prend que plus de forcelorsque le lecteur s’aperçoitqu’ils ont leurs équivalents dece côté-ci de la Sarine).

L’impression d’ensemble quise dégage semble bien être legoût morbide des Suissespour la plainte et la jérémiade, qui les rapproche de leurs origi-nes paysannes. Être sans cesse exagérément précautionneux,vivre dans la crainte du lendemain, travailler dur et se prépa-rer pour le prochain désastre paraît à Bilton le trait caractéris-tique premier des indigènes ; la fameuse diversité des Suissesn’existant que dans les proportions que prend cette inquiétudeontologique.

Certaines remarques relèvent pourtant plus des difficultésd’expatriation des insulaires britanniques que des usages lo-caux, ainsi on voit l’auteur se plaindre de l’importance socialeaccordée à la distinction entre le tu et le vous (connue médica-lement sous le nom de syndrome de Schmolitz). Il fustige égale-ment le mépris de la population pour les règles élémentaires duqueueing, sa propension à pratiquer l’obstruction dans les esca-lators [ce mot est une marque déposée me signale Microsoft,que faire?], ou encore à cracher, tousser et se moucher bruyam-ment.

Une dernière interrogation, à laquelle un lecteur scandinavepourra peut-être répondre: s’il est vrai que rien ne navre plus lesHelvètes que d’être confondus avec les Suédois, qu’en est-il pources derniers lorsqu’on les prend pour des Suisses? ( J . - F. B.)

«The Swiss are parti-cularly

troubled by foodbetween their teeth

after meals.»

ON ne sait vraimentplus à qui se fier.Exemple : achetez d’un

éditeur de renom un livre de222 pages pour la somme de40 francs environ. Papier mé-diocre et translucide, reliurebon marché, mélanges de ca-ractères typographiques degoût douteux, vilains graphi-ques, photos charbonneuses.

Sur la couverture, outre lenom des deux auteurs, le ti-tre: Devenez sorciers. Devenezsavants. Sur l’illustration uned e v i s e : «Pardonnez-leur… ilsne savent pas ce qu’ils font.»J’ai acheté ce livre.

Des trucs en toc

Georges Charpak et HenriBroch, les auteurs, entendent«montrer comment un certainnombre de sorciers modernesabusent le pauvre monde!» Dequoi allécher les amis de laraison.

Quelques «secrets» de pres-tidigitateurs y sont dévoilés,comme l’aiguille avec une par-tie en U pour ne pas se percer–vraiment– la langue. Bof ;comme le truc pour marchersur des charbons ardents :corne aux pieds, pas trop len-tement ni trop vite. Certes ;comme l’utilisation d’objets,petites cuillères etc., en allia-

ges de nickel et titane, avecmémoire de forme, pour faireaccroire qu’on les tord à l’aidede la seule force de sa pensée.On attendait du plus sai-gnant.

Incroyable? Non, normal!

Les exemples les plus éclai-rants fournis par ce livre con-cernent les coïncidences pré-tendument surprenantes.Vous pensez à quelqu’un etapprenez dans les 5 m i n u t e squi suivent que la personnevient de mourir : preuve irré-futable que la prémonitione x i s t e ? — Que nenni : « L esimple hasard offre plus dedix cas de prémonition de cetype chaque jour en France ![ … ] Il est quasiment impossi -ble de ne pas trouver parminos connaissances une person -ne à qui une telle chose est ar -rivée.» Ce qui serait donc fortanormal, c’est que ce typed’événements «anormaux» nenous arrivent pas !

Notons aussi pour le plaisirle récit d’une expérience avecun radiesthésiste réputé, quis’est révélé aussi performantque le plus complet des ha-sards.

À relever encore le compterendu d’une étude sociologi-que de Daniel Boy et Guy Mi-

Silences

Tourisme local

Marc FerroLes tabous de l’histoireNil, 2002, 151 p., Frs 34.–

Bel exercice de réflexion auquel s’est livréMarc Ferro. On connaît les batailles historio-graphiques, qui voient s’affronter deux visionsincompatibles d’un même événement, parfoisappuyées sur des souvenirs antagoniques et

cristallisées au fil des années. La donation de Constantin, lepeuplement antique des Balkans ou l’héroïsme de l’armée suis-se au cours de la Deuxième Guerre mondiale sont des illustra-tions bien connues. En revanche, on parle moins des épisodessur lesquels il est de bon ton de faire silence, les tabous.

À chaque fois, l’intérêt des protagonistes est déterminant : parexemple, lorsque cette troupe de 10’000 Allemands se rendit enseptembre 1944 aux maquisards du Sud-Ouest et conserva sesarmes jusqu’au moment où elle fut remise aux mains des Amé-ricains. Ni les Yankees, pour qui elle mettait en évidence le rôlede la Résistance, ni les Français pour qui elle fut obtenue pardes groupes jugés incontrôlables, ni à plus forte raison les Alle-mands n’eurent intérêt à évoquer cette capitulation pourtantspectaculaire.

De nombreux exemples de ces «occultations multilatérales»,qui arrangent plusieurs camps, sont ainsi mis à jour par Ferro,comme l’ultra-bolchévisme des Lettons ou le patriotisme incer-tain des Alsaciens, mais la démonstration déploie sa pleinepuissance avec ce scénario pour (mauvais) dessins animésqu’est l’histoire d’Anastasia. Revenant sur l’exécution de la fa-mille impériale russe en 1918, l’historien à la bouffarde en arri-ve, à la suite d’une minutieuse analyse de documents, à la con-clusion que l’épouse et les filles de Nicolas II ont très certaine-ment été épargnées par les Soviets pour des raisons diplomati-ques, mais que tout le monde –à commencer par elles-mêmes–s’est efforcé de dissimuler leur survie pour divers motifs parfai-tement contradictoires mais impérieux.

Un livre plein d’intérêt, donc ; mais, nom de Zeus, pourquoicette insupportable nouveauté éditoriale qui consiste à souli-gner les initiales des noms qui figurent dans l’index? (C. S.)

FAITES l’exercice autourde vous, demandez : a)Quelle est la deuxième

communauté étrangère enSuisse, derrière les Italiensmais devant les Espagnols? b)Quel peuple a envoyé jusqu’àun dixième de ses fils à l’inté-rieur de nos frontières (soitl’équivalent de quelque qua-t r e millions de Polonais, pare x e m p l e ) ? c) Quels tra-vailleurs étrangers, habituésdepuis les années septante àvenir en Suisse, ont vu sou-dain les frontières se fermerdevant eux?

Les lecteurs de La Distinc -tion, lucides et bien informés,auront reconnu les Albanaisdu Kosovo, minorité mécon-nue (quand elle n’est pas cri-minalisée) qui, bien que cestatut soit désormais aboli,ressemblent encore à la sil-houette brumeuse du s a i s o n -nier inexistant, pour repren-dre le titre d’un livre paru au-trefois au sujet des tra-

vailleurs immigrés transal-pins. S’ils ont eu une petitehésitation à répondre auxquestions qui précèdent, leslecteurs mettront à jour leurimage du pays avec le livre deLeuenberger et Maillard qui,même s’il est paru il y a quel-que temps déjà, dresse uneliste toujours actuelle des in-compréhensions, des mala-dresses et des rejets qui ontamené à la situation actuelledes Kosovars en Suisse.

J.-F. B.

Ueli Leuenberger & Alain MaillardLes damnés du troisième cercle

Les Kosovars en Suisse 1965-1999Metropolis, octobre 1999, 144 p., Frs 29.–

chelat, qui confirmait, en1986, que les femmes croientplus que les hommes en l’as-t r o l o g i e ; que le degré decroyance au paranormal estdirectement proportionnel( p r o p o r t i o n n e l !) au niveaudes études effectuées ; que «lesinstituteurs […] se définissentcomme le groupe qui croit leplus fréquemment à l’astrolo -gie et au paranormal.» D e sdonnées datant de 1993 mon-trent en outre que plus d’unFrançais sur deux croit à latélépathie et un sur dix auxfantômes. Et 58 % pensentque l’astrologie est une scien-ce.

Il y a donc bien deux outrois bricoles à glaner dans celivre –même si elles sont biendiluées dans l’ensemble. Àpropos de dilution, il n’y a pasun mot sur l’homéopathie !

Heureusement, que l’on melaisse, au moins, l’homéopa-thie : Lisa, ma fille, a été victi-me d’un violent choc dans unjardin public. Je lui adminis-tre dare-dare 3 granules de«balançoire 9 CH» –cela cor-respond à une goutte de ba-

lançoire diluée dans le lac Lé-man (1)–, puis les 3 autresbilles sucrées qu’elle réclameaussitôt, en lui signifiant qu’iln’y aura pas de suivantes. El-le pleure de moins en moins.Une semaine après, elle n’aplus aucun hématome sur lajoue. Elle n’aura pas de carienon plus, car je lui ai soigneu-sement brossé les dents. Leseul effet secondaire provoquépar la médication homéopa-thique est ainsi évité. Tr o pfort, comme sorcier !

C. P.(1) Vous trouverez un article édi-

fiant de Jacques Theodor surl’homéopathie, ainsi que d’au-tres informations sur le para-normal et la science surwww.unice.fr/zététique.

Georges Charpak & Henri BrochDevenez sorciers. Devenez savants

Odile Jacob, 2002, 222 p., Frs 40.10

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Un portrait en pieds ou les équipiedsHors champ, chaussures larguées, l’homme ne sait pas trop sur quel pied danser.Selon mon humeur, je l’imagine affalé, las, à cent pieds sous terre. A-t-il fait le pied de grue sur

les pavés? L’a-t-on mis au pied du mur? Mélancolique, il regarde ses deux nougats au repos surla table :

Le droit encore vif, pouce dressé, orteils alignés, astragale en pleine lumière, batterie de ten-dons en éventail. Il domine, fait de l’ombre à l’autre, et salue.

Le gauche apeuré, les phalangettes inquiètes, un gros muscle noué. Il cherche protection, secoule tout contre la vigueur du plus fort et s’y blottit, frileux, sans laisser le moindre filet de jourpasser entre les courbes jointes, convexes et concaves imbriquées.

Ou bien je devine un garçon peinard, à l’aise, les arpions en bouquet. Il a repris pied. De l’autrecôté de l’image, un air frais caresse ses plantes cambrées. Au départ des mollets, les duvetsrebroussés font deviner la suite : l’enfilage des chaussettes. Il va sauter sur ses pieds, prendreplaisir à marcher, battre la mesure sur le plancher. Pied à pied, il va faire son chemin. (V. P.)

À partir d’une image

SEPTEMBRE 20026 — LA DISTINCTION

L. Sambo

Texte, épitexte, paratexte, etc.

LA vie de Pierre Louÿs :un départ fracassantsuivi d’une longue des-

cente aux enfers. Dix ans degloire, dix ans de silence etdix ans de désastres. Son nomn’évoque le plus souvent queLa Femme et le pantin et lesChansons de Bilitis où, dansune vaste débauche, se croise-raient Vénus anadyomènes etpapillons chrisogomphes.Comment inciter le lecteur àentrer dans l’œuvre de cetérotomane érudit ? Peut-êtrepar la lecture de son journalintime et de sa correspondan-ce, par tout ce qui fait partiede l’épitexte privé, comme ledécrit si bien Gérard Genette,et nous conduit au seuil del’œuvre.

Diariste, dérivé de diarrhée?

Bien sûr, on peut se méfierdes diaristes. Certains vontmême jusqu’à condamner lejournal intime, cette espèced’abandon sphinctérien (déri-vé de «diarrhée» ?) et jurentde ne jamais céder à une telleactivité où banalités, platitu-des et autres considérations

Pierre Louÿs, diariste et épistolier remarquable

météorologiques s’accumulentsans retenue. On n’y appren-drait rien ou si peu. PierreLouÿs n’a que dix-sept anslorsqu’il écrit Mon Journal.Pendant un an, il éprouve unbesoin féroce de coucher surle papier les idées et les ré-flexions qui l’assaillent. Il lerelut à plusieurs reprises et yajouta souvent des notes peucomplaisantes. L’ a d u l t en’était pas tendre avec l’ado-lescent qu’il avait été. « Tu esterriblement hyperboliquemon petit P. L…, et c’est in -supportable.» «C’est tout demême extraordinaire que jesois devenu un écrivain aprèsavoir commencé ainsi.» La lec-ture de ces quelques pages,souvent extrêmement drôles,

reste indispensable pour com-prendre comment Pierre Louisest devenu Pierre Louÿs.

Père et parrain du fils de la sœur de sa femme

Si ce journal est depuislongtemps disponible, aujour-d’hui, grâce à Jean-Paul Gou-jon, qui publie parallèlementune (nouvelle) biographie del ’ a u t e u r, sa correspondanceavec son frère et un dossiersecret de la correspondancerelatant ses amours tumul-tueuses avec Marie de Ré-gnier (1), fille aînée du poèteJosé Maria de Hérédia et fem-me de son rival Henri de Ré-gnier, on a toutes les clefs enmain pour comprendre que si

l’épitexte n’est pas Le texte, ill’éclaire de façon impression-nante.

Véritable tableau du débutdu vingtième siècle, cette cor-respondance doit beaucoupégalement aux commentairessavants et passionnés deJean-Paul Goujon. Suivre lejeune dandy au sommet de sagloire à 25 ans, celui dont Os-car Wilde disait : «Il est tropbeau pour n’être qu’un hom -me, qu’il prenne garde auxdieux.», jusqu’au Pierre Louÿsempâté, cocaïnomane et rui-né, c’est bien sûr accéder àl’intime, mais c’est aussi com-prendre que, de toute éviden-ce, il est l’auteur par excellen-ce du désir inassouvi.

M. T.

Dossier secret Pierre Louÿs - Marie de RégnierCommenté par Jean-Paul Goujon

et Thierry BodinBourgois, 2002, 192 p., env. Frs 37.80

Mille lettres de Pierre Louÿs à Georges Louis (1890-1917)

Présentées par Jean-Paul Goujon,Fayard, 2002., 1316 p., env. Frs 81.–

Gérard GenetteSeuils

Seuil, 2002, 442 p., Frs 19.60

(1) Marie, à qui il fait un enfantavant d’épouser par dépit sasœur Louise, refusant Hélène,l’aînée, qui était pourtant ve-nue s’offrir à lui, il dédiera unde ses plus beaux poèmes : «Tavoix. c’est le soupir d’une en -fance perdue./ C’est ta fragilitéqui vibre de mourir. » P e r v i g i-lium mortis, Finitude, 36 p . ,Frs 67.–, mis en album et il-lustré par Marianne Clouzot.

En vente à Basta ! pour une poignée de batz:

le « Guide enluminé et illuminé du Pays de Vaud »

par Luc Binet

Le stempel. La pratique du tagadministratif semble attestée dès lepaléolithique moyen.

Plus de 18 chapitresDe Climat à Travailleurs étran -g e r s en passant par S e n t i m e n tnational et Armée.

Plus de 798 entrées dans lelexique vaudois-français

D ’a b b a y e, à zwieback en pas-sant par faire la meule et Stau -birn (avec un signe spécial pourrepérer rapidement les termesdu Kama Soutra vaudois).

Plus de 7 encartsLa géobiologie – De votre chalet,où se trouve le Mont Blanc ? –La Fête des Vignerons, manque -rez-vous la prochaine ? – Lau -sanne, la ville en pente – Pro -cès-verbal de la séance deMunicipalité de Puttens-le-Basdu 27 février 2000 – Les douzecommandements du pauvreVaudois – La visite du Muséenational suisse – L’accès auxprofessions

Plus de deux fiches pratiques

Les biscuits de Noël – Faut-ilacquérir la nationalité helvé -tique? – Les couteaux suisses

Le meilleur des bonsconseils de Tante Carla

Comment distinguer un fauxbillet de mille d’un vrai ?

Plus de 119 documents Dessins, photos, photomon-tages pédagogiques et récréa-tifs commentés

Plus de 7 citations en exergue

«Une armée qui ne se bat pas nepeut pas être supprimée sansautre.», Cap Cuendet A.

Plus de 201 pages imprimées

Plus de 508 grammes même par temps sec

Moins de trente balles

Très tôt, Super Bertrand s’estpassionné pour la propulsion aéro-statique. Malheureusement sonconcept de nacelle amphibie desti-née aux atterrissages lacustres nerencontra que le mépris indulgentdes sponsors et porta une ombreconsidérable sur son plan decarrière.

Monument au Grimpion inconnu.Les hommes politiques battus n’ontd’autre refuge que le conseil d’ad-ministration d’une multicantonaleou la création d’une fiducaire.

La place des Temples à lausanne

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Mots croisés

SEPTEMBRE 2002 LA DISTINCTION— 7

par Boris Porcinet

La cage aux fioles

De gauche à droite1. Pour parler franc, la

lire, ça permet d’ache-ter des livres plus in-telligemment.

2. Savoir-faire des con-ditions extrêmes —Transport individuelhors de Suisse.

3. Régime pas très catho-lique — Il faut repas-ser pour l’éviter.

4. Comme des bêtes.5. Possessif — Acte de

pensée.6. Il y en a pour tout : le

sol, la porte, la voûte— Publication précé-dant un changementde régime.

7. Morceau de sarcasme— Passes au régimesec.

8. Faire une page mar-quante de l’histoire —Vieille vache.

9. Cueillent tous les joursles fruits de la vie.

De haut en bas1. Avant le vote par cor-

respondance, permet-taient de se rencontrerentre vrais Suisses.

2. Ministre toléré en Oc-cident, quoique fonda-mentalement mal-aimé— Réunit les deuxbouts.

3. Version peu édulcoréeet un peu acide de l’eaudans le gaz — Organi-sation qui serait plusindépendante en insé-rant le non au milieu.

4. C’est la bonne fré-quence pour le 1 hori-zontal.

5. Des grecques tout endétail — Il en suffit de18 pour obtenir la ma-jorité.

6. Souvent superficiel,toujours léger, ici ré-duit — Compendieux.

7. La qualité dernière du1 horizontal.

8. Transport collectif enSuisse — Émanationsplutôt spirituelles.

9. Le who’s who de lapresse.

10. Article — Aux sièclesdes siècles.

11 Sont-elles toutes aussibelles qu’EmmanuelleBéart ?

LA rentrée littéraire s’ac-compagne de la sortiedes nouvelles éditions

des différents guides sur lesvins, guides qui ont pris uneampleur sans précédent cesdernières années. Pour lesavoir passablement parcou-rus, il m’a semblé opportun deme livrer à la petite critiquequi suit.

Le guide vineux se distinguedu dictionnaire encyclopédi-que ou du livre «général» surle vin en ce sens qu’il cherchemoins à présenter d’une façongénérale les différentes réali-tés du vin (méthode de pro-duction, géographie viticole,etc.) qu’à proposer des cléspour acheter futé. Le plus fa-meux d’entre eux se dénommed’ailleurs R . P. Wine Buyer’sG u i d e. Il cherche à établirune évaluation chiffrée de laqualité d’un vin et/ou d’undomaine au moyen d’uneéchelle plus ou moins précise.La qualité pourra alors êtrecomparée au prix d’achat, etle consommateur tiendra sonfameux rapport qualité-prix.Cette équation mathémati-que, au-delà du fait que legoût personnel est souventmis de côté, pose tout de mê-me quelques problèmes, no-tamment en ce qui concernela validité de l’évaluation.

La plupart de ces guidesprennent peu (ou pas) encompte le style du vin dansleurs évaluations, ce qui lesamènerait à une évaluationégalement qualitative en ten-tant de classer les vins jugés àl’intérieur de «familles prototy-p i q u e s » . D’autre part, ils ex-plicitent très peu les critèresqu’ils utilisent pour leurs ju-gements. Enfin, on peut aussireprocher à de nombreux gui-des de baser leurs évaluationssur la dégustation rapide (en-tre 30 secondes et quelquesminutes) d’un seul échan-tillon à un moment donné. Oron sait combien les vins degarde peuvent varier à la fois

Faut-il encore acheterun guide des vins?

d’une bouteille à l’autre etdans le temps. On aurait donctout intérêt à envisager ladescription d’un vin plutôt(d’une façon métaphorique)comme une fonction mathé-matique (1) qui intégreraitainsi la dimension du temps(2) et d’abandonner le modèlede la photo, ou du moins delui retirer sa capacité à repré-senter le vin.

Un discours mythique dénié

Les critiques n’échappentpas non plus aux phénomènesd ’ i n fluence du milieu sous sesdiverses formes (influence desconditions de dé-gustation pare x e m p l e : foirebruyante, salleneutre ou cavevoûtée en pierreavec la présencedu vigneronqu’on connaît,qu’on apprécie etavec lequel onp a r t a g e r al’agréable soiréequi va suivre,etc.). Ces phéno-mènes sont d’au-tant plus pré-sents que lemonde du vin«de luxe» esttout de mêmeassez restreintet que des ré-seaux se constituent assez vi-te entre critiques, producteurset distributeurs… Si nousétions malintentionnés, nouspourrions émettre quelquesdoutes sur l’impartialité de re-vues qui acceptent dans leurspages la publicité abondantede certaines grandes maisonsqui font l’objet de leurs criti-q u e s .

En fait, lorsque l’on se pen-che sur ces guides, on a l’im-pression que la plupart d’en-tre eux ne sont plus vraimentdes guides d’achat (mission

qu’ils n’arrivent souvent plusà satisfaire, puisque les vinsrecommandés augmentent deprix du fait de la modificationde l’équilibre entre l’offre et lademande) mais qu’ils setransforment en classementsétablissant une hiérarchie (3).Ils sont consultés par lesamateurs qui veulent se tenirau courant de l’état des va-leurs du jour, comme on le fe-rait en consultant le classe-ment ATP du tennis. La vali-dité des évaluations n’est ja-mais évaluée ou discutée parles auteurs, et lorsqu’elle l’estpar les lecteurs, cela ne lesempêche pas de continuer àacheter ces revues (4). C’est

comme si un discours mythi-que dénié s’installait entreauteurs et lecteurs, du type :«Nous vous donnons le classe-ment qui n’existe pas maisque vous voulez, et en contre-partie vous acceptez ce classe-ment qui n’est pas le réel,comme s’il l’était.» Ces dis-cours sur la réalité sont ac-ceptés par une partie impor-tante des acteurs (produc-teurs, consommateurs) com-me la réalité elle-même. Et laqualité du vin devient ainsid’abord un fait social consti-

tué par ce discours partagéavant d’être une donnée orga-noleptique. On assiste alors àun retournement, puisquederrière l’a priori général «leguide choisit les bons vins»émerge une représentationsocialement partagée diffé-r e n t e : «les bons vins sontceux qui sont dans les gui-des». Les grands vins n’ont dece fait plus d’existence socialeen dehors du discours qui lesporte et qui littéralement lesinstitue. La conséquenceétant qu’en face d’un consom-mateur qui lit un guide pour ytrouver un vin, il y a aussi deplus en plus souvent un pro-ducteur qui fait un vin pourqu’il soit dans un guide. Cettemédiation des guides lors-qu’elle devient trop forte, me-nace ce subtil équilibre de l’of-fre et de la demande, dans lamesure où il y aura toujoursmoins de guides que de con-sommateurs. Ce qui revient àlaisser à quelques-uns le soinde déterminer le goût désira-ble pour tous.

J. S.

(1) Les puristes ajouteront que ladérivée de cette fonction décri-rait le comportement du vindans le temps : amélioration,période de maturité (proche dezéro) et déclin, avec leurs vi-tesses respectives. Une inté-grale calculant la surface sousla courbe permettrait d’imagi-ner calculer la qualité commeune surface : la somme des di-verses qualités de la naissancedu vin à sa mort.

(2) Nous savons ainsi que la revueWine Spectator qui s’est amu-sée à renoter différents grou-pes de vins cinq ans plus tard,les a classés dans des ordrestotalement différents. Les cor-rélations entre la premièreévaluation et la deuxièmeétaient même parfois négati-ves ! On peut alors douter de lavalidité d’un tel guide pour en-caver des bouteilles et les res-sortir dix ans plus tard.

(3) Le guide Bettane et Desseauvese nomme d’ailleurs «Le clas-sement».

(4) L’auteur de l’article y compris.

Chaque semaine ou presque, toute

l'actualité lémanique et mondiale

sur www.distinction.ch

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SEPTEMBRE 20028 — LA DISTINCTION

Exception peu connue, Garmisch Partenkirchen se vit attribuer deuxfois de suite les Jeux Olympiques d’hiver. Tout d’abord en 1931, dans

le cadre des Olympiades de Berlin qui eurent lieu en 1936; puis enjuin 1939, lorsque le CIO confia à nouveau l’organisation des épreuvesd’hiver à l’Allemagne nazie. Des événements étrangers à l’esprit spor-

tif empêchèrent toutefois la tenue de ces jeux.

Roman-feuilleton

Walther Not

Le calme platTraduit de l’allemand et présenté par Cédric Suillot

Seizième épisode

(à suivre)

Résumé des épisodes précédentsLe cadavre d’un homme, dont on ignore l’identi-

té, a été découvert à Pully. L’enquête de la Sûretépiétine : les suspects sont introuvables, et les pistespolitiques, à l’extrême droite comme à l’extrêmegauche, n’ont rien donné.

Sûreté, mardi 7 septembre 1937, 7h15La vie du policier est faite de nombreuses attentes. Le

commandant Bataillard devait se manifester sous peu, etdans cette expectative personne n’osait entamer une acti-vité quelconque. Quelques inspecteurs lisaient la Gazette,dont la rédaction suivait scrupuleusement les consignesde silence données la veille : «Cette affaire présente des as -pects si complexes que la Sûreté se voit obligée à une gran -de discrétion et ne peut répondre à toutes les questions quilui sont posées de toutes parts.» Potterat et Porchet ten-taient de reconstituer leur soirée de la veille aux DouzeDizains, se querellant pour établir le nombre exact de to-pettes dont ils avaient scellé le destin.

Pour ma part, même si je conservais de mon expéditionchez le Mussolini du Léman une bosse à l’arrière du crâ-ne, une nuit de repos m’avait fait le plus grand bien.J’étais en train de feuilleter les extraits des mains cou-rantes des divers postes de la gendarmerie cantonale quiétaient expédiés chaque jour à Lausanne. Ces éphéméri-des policières permettent rarement de résoudre les en-quêtes en cours, mais donnent, par leur lot de hasards etde malheurs individuels, l’atmosphère du lieu et de l’heu-re. Ce matin-là, on apprenait qu’entre Lonay et Morges,un jeune homme de vingt-cinq ans, qui se prénommaitWalther (le fait me frappa comme un présage de plus) etqui cherchait à descendre d’un train pris par erreur, avaitété happé par l’express venant de Genève. Blessé à latête, il avait rendu le dernier soupir peu après.

Les Chemins de Fer Fédéraux n’étaient pas seuls encause, une autre institution nationale servait de cadre àde nombreux décès, accidentels ou volontaires. L’ a v a n t -veille, un soldat, mobilisé pour les grandes manœuvres,s’était pendu au cours de l’après-midi dans une grange, àVucherens. Il était facteur à Neuchâtel et n’avait que 21ans. Pas plus que mes collègues, je n’aurais osé rappelercet aspect de la vie militaire à notre chef.

– Messieurs, j’ai de bonnes nouvelles. La situation…crrr…iore pour Bleu.

Le commandant était au front et appelait la Sûreté de-puis un téléphone de campagne. Sa voix grésillante et ha-chée nous parvenait au travers d’un haut-parleur bran-ché sur la ligne. L’installation avait été réalisée par CarloPotterat, le propre fils de mon sphérique collègue, quiavait fait le désespoir de son père en choisissant la carriè-re de radio-électricien. Les inspecteurs profitaient de ceprogrès technique pour écouter leur supérieur dans uneposture plus détendue que d’habitude, les uns assis surleurs bureaux, les autres la cravate dénouée, une cigaret-te aux lèvres. Potterat, somnolent, vautré sur le banc desprévenus, se curait les oreilles au moyen d’un porte-plume dont il avait entouré la pointe de son fameux mou-choir.

– Magnifique, chef ! Mais l’enquête : il y a du nou-veau… essaya d’avertir l’inspecteur principal Marmier, àqui son rang et sa forte voix valaient la responsabilité detenir le micro.

– Oui, bien sûr l’enquête… Messieurs les…crrr…assins attendront bien quelques minutes ! Vo u sêtes …crrr…ment impatients de savoir comment Bleu apu résister. Et bien, malgré une …crrr…sive de l’ailedroite de Rouge, nous tenions toujours cette nuit le…crrr…filé de Vaulruz, solide…crrr… retranchés derrièrela ligne Arrissoules-Mézières, qui nous a permis unecontre-attaque …crrr…gurante. Les rouges ont été écra-sés sous le nombre à Saint-Martin, et ils ont décroché. Ily a même eu des …crrr…bats aériens, et un Dewoitines’est abattu dans un verger. La …crrr…itique de l’exerci-ce aura lieu demain après-midi, et nous conclurons jeudipar un impor…crrr… défilé !

– Chef, je vous passe le stagiaire Not, qui va vous ra-conter son passage chez les cocos

Je m’exécutai.– Un commissaire …crrr…tique de l’Armée rouge es-

pagnole se balade à Lausanne, et vous ne le saviez pas?Mais qu’est-ce qui m’a fi…crrr… des agnotis pareils !

Le commandant Bataillard ne décolérait pas contre sabrigade politique. La présence du «camarade Manuel»était le seul point qu’il avait retenu de mon rapport. Mesconclusions sur la non-implication des communistes nel’intéressaient gère. Et pourtant, comment ces amateursinexpérimentés auraient-ils pu tuer un inconnu de huitballes, dont une dans la tête, sans laisser la moindre tra-ce? À Zurich, j’avais connu quelques-uns de leurs cama-rades, de ces bons Suisses qui s’efforçaient d’appliquer àla lettre les consignes de la Troisième Internationale,mais ne pouvaient s’empêcher d’imprimer le nom de l’édi-teur responsable sur leurs publications clandestines.Après la piste noire, la piste rouge était elle aussi une im-passe, j’en étais persuadé. Évidemment, je n’oubliais pasque Bataillard disposait d’autres sources, qu’il nous ca-chait, à commencer par ce «Mont-Suchet», dont j’avais en-trevu par hasard le rapport.

Pendant que je remâchais ma déception, le secrétairedu commandant lui fit part d’un télégramme venu de Ge-

(1) Léon Nicole dirigea le département genevois de Justice et Police de1933 à 1936. (N. d. T.)

nève. La police locale avait signalé une Chevrolet imma-triculée à Berne, apparemment abandonnée à Cornavin.«Il se pourrait bien, ajouta le planton, que ce soit le véhi-cule abandonné par les deux zigotos qui ont fui nuitam-ment de l’hôtel de la Paix. La Sûreté du bout du lac vafaire ouvrir la chignole américaine et devrait terminerses analyses pour demain.»

Impatient de retourner sur le terrain, Bataillard nousdonna en quelques mots la teneur d’un rapport de la poli-ce valaisanne : un Russe douteux avait été repéré à Mar-tigny la veille du meurtre.

– Serait-ce le suspect Kontrariev que j’ai contrôlé à lagare? demanda l’inspecteur Maillard.

– Kondratiev, oui. L’hôtelier dit qu’il a …crrr…mandéun thé, alors qu’il n’était visiblement pas malade

– C’est bien lui, je le reconnais !– Notre …crrr…quête s’étend à toute la Suisse désor-

mais, Messieurs. Je ne serais pas étonné …crr… atteigne…La suite se perdit dans un brouhaha incompréhensible :

Rouge avait dû reprendre l’offensive et Bleu se cram-ponnait héroïquement à ses positions.

En quelques mots hurlés au téléphone, le commandantBataillard nous répartit les tâches à venir. Il revint à Pot-terat et à moi-même d’assurer le service d’ordre à l’églisedu Valentin le matin et à la place de la Riponne le soir.Pour le lendemain, il nous ordonnait, au grand méconten-tement du rebondi, de nous rendre à Genève pour enquê-ter sur cette voiture abandonnée. Je compris que le chefde la Sûreté vaudoise n’avait aucune confiance dans unepolice qui avait été plusieurs années durant sous le con-trôle des socialistes (1).

Église du Valentin, mardi 7 septembre 1937, 10h00

Quelques jours auparavant, le baron Pierre de Couber-tin, restaurateur des Jeux Olympiques, était décédé à Ge-nève pendant sa promenade quotidienne. Était-il en trainde courir lorsque son cœur lâcha? Nul ne le sut. En toutcas, sa mort fut annoncée comme naturelle, au soulage-ment de la maréchaussée. Une enquête criminelle de pluseût signifié la fin des haricots pour nous autres. Il fallaittout de même assurer un minimum de présence policièreà la cérémonie d’enterrement. Au cas où…

L’amour de l’exercice physique parvenait alors au stadede la frénésie. Il fallait muscler et bronzer la jeunesse, re-dresser les torses et durcir les nuques. Le sport devenaitune liturgie instituée, que tous, humble gymnaste ou dis-tingué magistrat, se devaient de célébrer. Et personnen’aurait osé mettre en doute la valeur, la sincérité oul’humanisme des principes olympiques. La messe à la mé-moire du baron était de ce point de vue l’hommage del’ancienne religion à la nouvelle.

Vu ses origines, la dépouille de Coubertin devait êtrehonorée selon le rite catholique. La foule était donc réu-nie en l’église du Valentin, et non à la cathédrale, templeréservé au protestantisme d’État. On avait pour la cir-constance interrompu le chantier de l’immeuble du partiradical, sorte de fortin géométrique qui s’érigeait juste enface.

Au sommet du raide escalier qui menait à Notre Damedu Valentin, au pied du clocher récemment bâti mais en-core dépourvu de cloches, la ligne noire des redingotessurmontait la ligne grise des pantalons rayés. Empesésde raideur et d’amidon, les nombreux officiels de tous les

pays et de tous les pouvoirs étaient venus saluer une der-nière fois l’homme qui avait donné leurs lettres de nobles-se aux cuissettes et au sifflet à roulette. Un soleil ra-dieux, prélude à une journée étouffante, rehaussait le lus-tre des hauts-de-forme.

À l’intérieur, les présents se livraient à un chassé-croi-sé de préséances et de politesses, avant de trouver leurplace. Sur la fresque du chœur, une Vierge regardait cetteagitation de ses yeux miséricordieux. L’artiste l’avaitreprésentée entourée d’une profusion de peinture dorée,qui lui donnait un air ostentatoire et byzantin, dou-blement étrange dans cette contrée. Le décor mêlait Ro-me et Lausanne: avec à sa gauche le Vatican et à sa droi-te la tour Bel-Air, Marie était solidement encadrée, mêmesi cette symétrie avait de quoi surprendre. Je m’assis àl’arrière, au bord d’une travée –il s’agissait, selon les con-signes, d’être discret et vigilant–, Potterat fit craquer lebanc en s’affalant de toute sa masse à mes côtés, ame-nant une bonne partie de l’assemblée à se retourner.

Par la volonté du défunt, il avait été précisé dans lapresse que la cérémonie ne devait comporter ni fleurs, nidiscours, ni délégations. En conséquence de quoi, le cer-cueil était entouré de nombreuses et grandes couronnesapportées par des représentants de très diverses insti-tutions.

Certaines compositions florales attiraient plus l’atten-tion que d’autres, avec leurs croix gammées qui ressor-taient particulièrement sur le fond sombre du chœur.Herr Doktor Diem, représentant le Comité olympique al-lemand, avait apporté avec lui un message personnel duF ü h r e r, qu’il lut en allemand, où il était question dugrand succès des jeux de Berlin, de la bonne santé dusport allemand et de la nécessité des exercices physiquespour avoir les idées claires.

Les ordonnateurs des pompes funèbres mentionnèrentensuite la présence de l’ambassadeur et du consul fran-çais, des représentants du Comité olympique suisse, desdélégués de l’Association nationale d’éducation physique,de l’archimandrite orthodoxe, et de madame Va i l l a n t ,l’épouse du colonel commandant de corps, qui représen-tait son mari, sportif convaincu, mais retenu aux grandesmanœuvres. De nombreux militaires en uniforme étran-ger étaient également présents, sans doute des attachésmilitaires venus manifester leur fidélité au baron et ausport.

Bien qu’engoncés dans des cols durs au lieu des pyja-mas informes dans lesquels je les avais rencontrésl’avant-veille, je reconnus les frères Kana parmi les pre-miers rangs. Conformément aux alliances militaires encours, la délégation olympique japonaise se tenait nonloin de l’allemande, avec laquelle elle entretenait une dis-crète conversation. À un moment, je crus que les jumeauxnippons me désignaient du menton, mais c’eût pu êtren’importe qui d’autre, tant la foule était nombreuse.

Plus près de moi, l’hôtelier Bonzon était affairé à saluerrespectueusement le beau monde; je l'entendis regretteren la personne du baron de Coubertin un grand hommequi, bien qu’il fût longtemps client du Palace, avait en-voyé de nombreux délégués sportifs dans son hôtel. Versl’entrée, je repérai également le poète Jacques-ClémentGrognuz, qui reniflait énergiquement, énervé qu’il étaitpar le manque de nicotine, et cherchait à se faire recon-naître, entortillé dans un vieux manteau râpé qui lui don-nait l’air d’un tronc d’arbre foudroyé.

D’une haleine chargée par son litre de vin blanc mati-nal, Potterat me présenta les autorités municipales lau-sannoises, terriblement attristées par la disparition dubaron et inquiètes d’un éventuel déplacement des institu-tions olympiques, un des rares motifs d’intérêt que la jeu-nesse pouvait trouver à la cité. «Il y a pas trois mois, cesmessieurs s’emmodent enfin pour passer la brosse à rizet-te au baron; ils lui offrent un cadeau grandiose, la bour-geoisie d’honneur, pas. Un grand fla-fla était prévu pourdans pas long ! Voilà un diplôme de perdu, ils auraient puvoir à voir venir ! Enfin, ils vont se rattraper en lui off-rant la concession perpétuelle au cimetière du Bois-de-Vaux!»

La chaleur aidant, une odeur de naphtaline commen-çait à se dégager des vêtements de cérémonie. To u j o u r saussi vigilant que discret, Potterat ne tarda pas à somno-ler et le balancement de son quintal et demi fit une nou-velle fois osciller toute la rangée. Je tentai de le réveilleren lui donnant discrètement quelques coups de talon, quieurent pour seul effet de le déséquilibrer un peu plus etde faire tomber son énorme trogne sur mon épaule. Maposition devenait de plus en plus inconfortable, ma clavi-cule était écrasée par le poids de son mufle, que je devaisfréquemment secouer pour faire cesser un ronflementqui, sans cela, aurait vite pris des proportions incompati-bles avec la solennité du moment.

Au moment où l’oraison allait débuter, une main venuede derrière moi me pinça l’épaule que mon collègue n’uti-lisait pas comme oreiller. Je ne pouvais me retourner,mais je crus reconnaître la voix qui chuchotait :

– Décidément, vous aimez tout ce qui est allongé, ins-p e c t e u r. Après les marie-madeleine, vous voici chez lesmacchabées. Remarquez, feu le baron olympique avaitaussi une vie cachée…