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r I PIRAIES ET CORSAI DANS. L’ AN INDI e II. par. M.. J-M. c .o ‘5 Voici la deuxième partie, consacrée à la guerre de course que se livrèrent en océan Indien Français et Anglais, d’une conErence faite en 1973 par M. J.M.Filliot, chargé de recherches à I’ORSTOM. Dans notre précédent numéro, nous en avions publié la première partie, retra- çant l’histoire touffue des aventuriers de la mer, pirates, négriers, forbans, qui écumèrenl l’océan entre l’Afrique, l’Inde et l’île Bourbon. La guerfie de course se place à I’ intérieur du conflit anglo-français dans l’océan Indien qui commence vraiment en 177$8. Les documents manquent. On connaît assez bien la guerre de course française avec sa base à l’He de Franoe, en revanche les ékéments font défaut pour parler des Anglais et à partir de 1812 des Americains, car les corsaires amé- ricains à partir de cette date font su- bi’r des pertes à la marine marchan- de anglaiste jusque dans l’Océan In- diten. Les archives. conservées au Port Louis d e I’lle Mauric,e montrent que de 1779 à 1782, il s’y effeckua 29 ar- mements en course. Et pour les an- nées comprises dentre 1793 et 1810, les statistiques indiquent 193 croisiè- res dont 122 effectuées par des vais- seaux appartenant au commerce pri- vé, et 71 par d,es vaisseaux de I’Etat. Ces statistiques sont très précises, elles ont été faites par un chercheur mauricien qui y a consacré sa vie.- Les Mascareignes à cette époque I& avaient un impérieux besoin de se ravitailler. II fallait combattre I’enne- mi, c’est-à-dire l’Anglais qui bloquait les îles et qui entravait les liaisons avec Madagascar d’où l’on recevait riz, œufs et esclaves. 11 fallait s’effor- cer de tenir, la métropole ayant des occupations plus pressantes puisque c’est le moment de la patrie en da!- ger, puis des campagnes européen- nes de Napoléon. Et cela tout en vi- vant aux dépens de la marine mar- chande anglaise. Un seul moyen 36 donc, la guerpe de course. , Lek gros négociants de I’lle de France et de Bourbon reconnurent I’ importance des bénbfices et armè- rent de nombreux corsaires. A partir de 1803, le Gouverneur Général des Iles, Decaen, employa même 7 frégates de I’Etiat à la course, et il suivit en cela les conseils de Surcouf gui disait que la seule guerre possible et prolfitable était la guerre de course; il accorda de nombreuses lettres de marque. A ce sujet, voici ce qu’ëcrit le petit neveu du corsaire à propos d’une convocation de Bonaparte en 1803 (C’est Bonaparte qui-parle): qM. Sur- , couf, vous connaissez mieux que per- sonne I’état de l’a guerfie - maritime. Quel est votre avis?.. .- <<Vous me demalndez lià, Général, une chose bien grave., répondit Surcouf, .mais le Lloyd de Lond,res me fournit la ma- nière dont je dois juger; l’Angleterre de 1793 à 1797 a perdu 1800 navires de plus que nous. Yen conclus, puis- que nos flottes ont subi des désas- tres, que ce sont les corsaires qui ont fait cette différence en faveur de notre nation. Depuis 6 ans, le chiffre des prises anglaises a suivj les pro- portions précédentes, mais celui des nôtres a triplé. Calculez maintenant ce que la course a coûté à I’Anglleter- re et vous verrez que vos corsaifies ont bien vengé la défaite d’Ab0uki.r ... Si j’avais l’honneur d’être comme vous à la tête‘du gouvernlement de la France, je laisserais *dans mes ports tous mes vaisseaux de ligne, je ne livrerais jamais de combats Bux flottes et aux escadres britanniques, mais je lancerais sur toubes les mers une multitude dle 4réga.tes et de bâti- ments légers qui auraient <bientôt anéanti le commerce de l’Angleterre et la mettraient ainsi à votre discré- tion. (L’Angleferre nel peut vivre que par son com,merce, c’est par seu- l’e ment qu’on I peut l’atte in d re )). Le dommage causé au commerce angla is fut. considérable. Le bri tan- nique Milburn écrivait en 1813 dans un journal économiqug, JOriental Commerce. que 4es prises effec- tuées et conduites à I’lle de France étaient si nombreuses et si riches ,que les marchés se trouvèrent satu- rés des produits des possessions britanniques dans l’Inde; et les vais- seaux américains s’y rendlaient fré- quemment pour s’en procurer à des prix plus avantageux que ceux qu’ils aurai’ent payés à Calcutta.. L‘lle de Fra” jest vraiment le poiit essentiel pour Les navires marchands à la fin du 18me et au début du 19me dans l’Océan Indien. Des érudits consciencieux, des M’auriciens, ont calculé que 5 corsai- res de I’lle de France envoyère,nt du 23 septembre 1805 au 15 mai 1806, au Port lLouis en 8 mois, 14 navires ennemis, et leur produit atteignit 3 millions et demi de francs de l’époque ... C’était le fameux franc Germinal; cela équivaudrait à plusieurs milliards de francs actulels. Desjardins, qui fut médecin sur .la Manche.., donne un tableau des pri-

PIRAIES ET CORSAI DANS. L’ AN INDI I II. I

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Page 1: PIRAIES ET CORSAI DANS. L’ AN INDI I II. I

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PIRAIES ET CORSAI DANS. L’ AN INDI I

e II. I par. M.. J-M.

c .o

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Voici la deuxième partie, consacrée à la guerre de course que se livrèrent en océan Indien Français et Anglais, d’une conErence faite en 1973 par M. J.M.Filliot, chargé de recherches à I’ORSTOM. Dans notre précédent numéro, nous en avions publié la première partie, retra- çant l’histoire touffue des aventuriers de la mer, pirates, négriers, forbans, qui écumèrenl l’océan entre l’Afrique, l’Inde et l’île Bourbon.

La guerfie de course se place à I’ intérieur du conflit anglo-français dans l’océan Indien qui commence vraiment en 177$8. Les documents manquent. On connaît assez bien la guerre de course française avec s a base à l’He de Franoe, en revanche les ékéments font défaut pour parler des Anglais et à partir de 1812 des Americains, car les corsaires amé- ricains à partir de cette date font su- bi’r des pertes à la marine marchan- de anglaiste jusque dans l’Océan In- diten.

Les archives. conservées au Port Louis de I’lle Mauric,e montrent que de 1779 à 1782, i l s’y effeckua 29 ar- mements en course. Et pour les an- nées comprises dentre 1793 et 1810, les statistiques indiquent 193 croisiè- res dont 122 effectuées par des vais- seaux appartenant au commerce pri- vé, et 71 par d,es vaisseaux de I’Etat. Ces statistiques sont très précises, elles ont été faites par un chercheur mauricien qui y a consacré sa vie.-

Les Mascareignes à cette époque I& avaient un impérieux besoin de se ravitailler. I I fallait combattre I’enne- mi, c’est-à-dire l’Anglais qui bloquait les îles et qui entravait les liaisons avec Madagascar d’où l’on recevait riz, œufs et esclaves. 11 fallait s’effor- cer de tenir, la métropole ayant des occupations plus pressantes puisque c’est le moment de la patrie en da!- ger, puis des campagnes européen- nes de Napoléon. Et cela tout en vi- vant aux dépens de la marine mar- chande anglaise. Un seul moyen

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donc, la guerpe de course. , Lek gros négociants de I’lle de France et de Bourbon reconnurent I’ importance des bénbfices et armè- rent de nombreux corsaires.

A partir de 1803, le Gouverneur Général des Iles, Decaen, employa m ê m e 7 frégates de I’Etiat à la course, et i l suivit en cela les conseils de Surcouf gui disait que la seule guerre possible et prolfitable était la guerre de course; i l accorda de nombreuses lettres de marque.

A ce sujet, voici ce qu’ëcrit le petit neveu du corsaire à propos d’une convocation de Bonaparte en 1803 (C’est Bonaparte qui-parle): qM. Sur- ,

couf, vous connaissez mieux que per- sonne I’état de l’a guerfie - maritime. Quel est votre avis?.. .- <<Vous m e demalndez lià, Général, u n e chose bien

’ grave., répondit Surcouf, .mais le Lloyd de Lond,res m e fournit la ma- nière dont je dois juger; l’Angleterre de 1793 à 1797 a perdu 1800 navires de plus que nous. Yen conclus, puis- que nos flottes ont subi des désas- tres, que ce sont les corsaires qui ont fait cette différence en faveur de notre nation. Depuis 6 ans, le chiffre des prises anglaises a suivj les pro- portions précédentes, mais celui des nôtres a triplé. Calculez maintenant ce que la course a coûté à I’Anglleter- re et vous verrez que vos corsaifies ont bien vengé la défaite d’Ab0uki.r ... Si j’avais l’honneur d’être comme vous à la tête‘du gouvernlement de la France, je laisserais *dans mes ports tous mes vaisseaux de ligne,

je ne livrerais jamais de combats Bux flottes e t aux escadres britanniques, mais je lancerais sur toubes les mers u n e multitude dle 4réga.tes et de bâti- ’ ments légers qui auraient <bientôt anéanti le commerce de l’Angleterre et la mettraient ainsi à votre discré- tion. (L’Angleferre nel peut vivre que par son com,merce, c’est par là seu- l’e ment qu’on I peut l’atte in d re )).

Le dommage causé au commerce angla is fut. considérable. Le bri tan- nique Milburn écrivait en 1813 dans un journal économiqug, JOriental Commerce. que 4es prises effec- tuées et conduites à I’lle de France étaient si nombreuses et si riches

,que les marchés se trouvèrent satu- rés des produits des possessions britanniques dans l’Inde; e t les vais- seaux américains s’y rendlaient fré- quemment pour s’en procurer à des prix plus avantageux que ceux qu’ils aurai’ent payés à Calcutta..

L‘lle de Fra” jest vraiment le poiit essentiel pour Les navires marchands à la fin du 18me et au début du 19me dans l’Océan Indien.

Des érudits consciencieux, des M’auriciens, ont calculé que 5 corsai- res de I’lle de France envoyère,nt du 23 septembre 1805 au 15 mai 1806, au Port lLouis en 8 mois, 14 navires ennemis, et leur produit atteignit 3 millions et demi de francs de l’époque ... C’était le fameux franc Germinal; cela équivaudrait à plusieurs milliards de francs actulels.

Desjardins, q u i fut médecin s u r .la Manche.., donne un tableau des pri-

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La fregate -La Bellone= à son port d'attache, Port-Louis, ¡le de France. Dans un rapport de l'Inspecteur en Chef des signaux du le r mars 1810 (collection de l'auteur)

ses de cette frégate d'où il résulte que dans ses campagnes de 1807 à 1809, elle fit éprouver A l'ennemi une perte de 10 millions (toujours en francs Ge rm,i na I).

II faut insister sur l'engouement des marins des Mascareignes, où se mê- lèrent I'appåt du gain, le patriotisme, la haine contre l'Anglais et l'attrait de l'aventure, pour comprendre le suc- c h des Corsaires.

Ainsi quand le décret du 8'février 1793 annonçant I'état de guerre entre la France et l'Angleterre arriva à la Réunion le 11 juin, Villèle, le futur mi- nistre de la Restauration, raconte, je cite, .qu'en mains de 15 jours, 13 bâ- timents furent armés en course et ex- pédiés sur divers points de l'Inde pour s'emparer des navires de com- merce anglais avant qu'ils n'eussent

pris des préceutions nécessaires pour se mettre en sûreté-.

En tout, peut-être une centaine de corsaives participèrent à la course. Le plus prestigieux fut Surcouf, qui s'est emparé de 43 navires anglais avec un égal bonheur, qui en 1795, se disputant avec le gouverneur d' alors, IMaLartic, n'eut pas le droit ZI la lettre de marque mais au simplle per- mis de navigation qui l'autorisait ii

se défendre mgis lui interdisait d'at- taquer, ce qui ne parut pas le gêner ... puisqu'il revint au Port Louis avec 2 navires angLais. Ensuite, Dutertre, son grand concurrent, Lemène, Bou- vet, Montaudlevert, Allègre farment cette sorte d'aristocratie des corsai- res. II y a eu aussi ceux qui ont en- core des descendants dans laes îles: Carosin GI I'ile Maurice, Hodoul aux Seychelles.

Louis Garneray, qui fut un marin de Surcouf, raconte Ia petite histoire de ces corsaires: ainsi pour la prise du .Kent. qui 6tait un vaisseau de la compagnie anglaise des Indes, que les marins de Surcouf durent .pren- dre sous une grêle de balles, ce na- vire faislant 3 fois et demi la hauteur dle ala Confiance..

Voici l'abordage raconté par Gar- neray dans son livre .Voyages, aven- tures et combats.. II écrit: a... les ga- biers inondent les Anglais de grena- des qui eclatelnt et jettent le déSQr- dre ... ,Le gaillard d'avant lest à nous, ainsi qu'une partie du pont, comprise entre le måt de misaine et le grand mât, mais la foule des Anglais entas- sés .sur les passavants n'en devient que plus compacte let plus impénétra-

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ble ... Surcouf à la tête de SOQ escoua- de se précipite à son tour sur .le pont du Kent et il vient se placer à la tête de ses hommes. 'Lia scène de carna- ge se déroule à ses pieds. I I agit et parle en même temps. Son bras frap- pe et sa bouche commande. Pour un Français qui tombe, quatre Anglais succombent, mais leur nombre ne semblent pas diminuer. Les vides se bouchent sans cesse et les corps des morts et des blessés forment u n e es- pèce de barricade derrière laquelle ils se retranchent ... Tout d'un coup, un déluge de grenades, lancees de la grande vergue de la &Confiance avec une grande adresse, tombe au milieu des la foule des Anglais et tue ou bliesse une vingtaine ... Le comman- dant anglais est tué ... La victoire est à nous... Enfin la mêlée se termine dans l'entrepont. Elle est ardente. L' ennemi culbuté s u r tous les points est obligé de se rendre.. .

=Le Kent est à nous. Vive la Fran- c e ! crie Surcouf. (Ainsi vous voyez l'opposition entre un pirate et un cor- saire). .Avant de repasser à bord de son bâteau, Surcouf fit appeler le se- cond du Kent et lui demanda com- ment i l se faisait que les marins et

soldats anglais se renouvelaient sans cesse ... I I alpprit ainsi l'incendie du Queen à San Salvador et I'embarque- ment des troupes, des marins, de I'é- tat-major de ce v-aisseau à bord du Kent: le chiffire des combattants an- glais avait été de 437 et la Con- fiance n'avait eu que 153 hommes. Surcouf revient à I'lle de $France, le Kent suivant la Confiance. Les comp- tes furent arrêtés avec les armateurs, c'était u n e très bonne campagne, Surcouf venait d'augmenter en même temps leur fortune et la sienne..

Ge que Garneray ne dit pas, c'est que le navire avait des barils d'or et que d'après le réglement, I'Amirau- té devait en reclamer la moitié. C'est Merrien qui raconte ce'ci. L'Amirauté réclame s a pa'rt, Surcouf entre !en fu- reur, i l sort des bureaux en tempête, et i l se fait conduire à bord. I I dit à ses marins en montrant les barils: .Foutez-moi ça à l'eau.. . Et l'un après 1'autr.e les millions s'engouffr&relnt dans l'eau.

Puis s e tournant vers la terre, i l cria -Allez lles ihercher MM. de la Mari- nel., et pâle de rage, i l s'enferma dans sa cabine.

D'aucuns racontent que les barils

Les routes mari- times fort nombreu- ses empruntées pour le commerce entre les iles et en- tre les iles et I' Inde. Ces routes étaient évidemment celles que les cor- saires écumaient au cours de leurs chas- ses. A remarquer : la convergence des tracés sur I'ile de France, qui avait i~ l'époque, préémi- nence sur I'ile Bour- Bon (collection de l'auteur).

étaient attachés à des cordes qui n' étaient pas visibles de la terre et que la nuit venue Surcouf récupéra son bien.

Selon un document anglais que j'ai retrouvé dans Iles Archives départe- mentales du Calvados, i l est dit que les négociants anglais déclaraient ne plus vouloir assurer les vaisseaux marchands qui s'écarteraient de la marine de guerre, tellement les cor- saires étaient dangereux.

Cependant les forces anglaises, sup6rieures e n nombre, instaurent peu à peu le blocus, veniant B la fois du calp de ?Bonne Espérance, {le Cap est anglais dhfinitivement h partir de ll8Ot3) st de I'lnda, eroiaant entre les

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Seychelles, Tromelin, la côte malga- che let les Mascareignes. Elles inves- tissent Rodrigues en 1809. L'année suivante la Réunion et I'lle de France sont occupées. Lord Minto, gouver- neur général de l'Inde, avait réduit comme il l'avait annoncé en 1807 ce qu'il considérait être un unid de pira- tesæ.

Malgré ce jugement, les actions des pirates et des corsaires dans I' Océan Indien furent donc bien diffé- rentes et dans le temps et par les moyens, cependant la distinction est moins fondamentale qu'on a pu le croire.

Certains pirates de Madagascar se firent corsaires aux Indes #Occidenta-

Un combat naval entre un corsaire français et une corvette anglaise au mouillage. Dessin de l'époque (collection de l'auteur)

les à partir de 1720; certains corsai- res de l'He de France furent par bien des égards des pirates; ainsi pour Surcouf - toujours lui - qui trempa dans une histoire de traite négrière.

II y eut interpénétration entre les deux états, et l'es deux modes de vie sur les bateaux semblent bien avoir été semblables si l'on compare les descriptions de Johnson et les 4nven- taires des hardes des morts., com- me l'on disait, qui sont conservés aux archives de #Lorient.

II est facile d'imaginer ¡es inconvé- nients de la vie à bord; hygiène inex- istante, promiscuité de tous les ins- tants, nourriture avariée, eau douce dievenue saumâtre, sans compter les

dangers naturels. Chaque bateau pi- rate ou corsaire avait de nombreux scorbutiques. Par exemple, voici ce qu'écrit un certain ingénieur militaire, qui s'appelait Bernardin de Saint Pimer- re, connu pour 6tre le père de .Paul et Virgilnie.. II raconte l'arrivée d'un bateau à I'lle de France en 1768: .Quelques matelots semblables à des spectres, assis sur le pont. Des écou- tilles ouvertes s'échappait une va- peur infecte; les entreponts pleins de mourants, les gaillards couverts de malades exposés au soleil, qui mou- raient en nous parlant.. En faisant la part des sentiments dont l'auteur sait

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si bien nous dresser la description, les faits racontés sont exacts. Le ba- teau avait 90 malades, ,et depuis son départ, il y avait eu 11 personnes dé- cédées. II faut reconnaître que ce cas n'était pas un. accident exceptionnel. I I y eut de nombreux bateaux qui arri- vèrent aux illes comme ceci. Autre danger, la fièvre qu'on appelait la fiè- vre maligne, la fièvre putride, la fíè- vre sinoche. lUln médecin de marine, Munier, les a bien décrites. I I expli- que par lexemple: ala fièvre maligne, par la chaleur amlbiante qui fait per- dre à l'estomac de son ressort, et à la bile de sa fluidité nécessaifie, le ventre se météorise avec durieté, la mort suit au bout de quelques jours.. Le traitement se composait de bois- sons rafraîclhissantes et acidulées, de lavements qu'on appelait a5molients*, de purgatifs, de saignées.

Les maladies vénériennes, elles, je cite toujours: une se traitai'ernt pas. L a transpiration dans laquelle on est sans cesse seule suffit.. La maladie la plus redoutable était, comme on I' appelait, la petite vérole. Les càs pa- raissent avoilr été trés nombreux dans l'Océan Indien en dépit de l'in- troduction ,à partir de 1765 de la vac- cine. On a Ià encore des dlescriptions. .Le visage se prenait, (je cite) puis le corps; les cuisses étaient pleines de boutons plats de mauvaise quali- té; enfin même si le visage csmmen- Gait à se nettoysr, le sujet mourait quelques jours après.. Et pour con- server la santé, Munier, ce médecin de marine, qui n'était pas plus Diafoi- rus qu'un autre, avait des prescrip- tions fort sages. II écrit: souper kgè- rieme#nt, ne s'exposer jamais le soir au serein qui tombe alors abondam- ment, se garantir le plus soigneuse:

.ment possible des pluies qui sont fré- quentes et en général très froides, OU ne jamais se miettre le soir la tête ou la poitrine découverte redouter les excès en tout genre, surtout, à terre, ceux des femmes et des liqueurs spi- ritueuses.

En 1804 encore, Garneray écrit'que .La vie à bord des bateaux de. I'Etat était abominables, que l'Amirauté .ne payant pas avec unle parfaite régulari- té ou, pour être plus véridique, ne payant jamais la somme due'aux équi- pages, nous nous trouvions dans une grave pénlurie d'argent., que la seule edortune. des matelots était une Pan- douille dIe tabac., que leurs costumes

. étaient d'une fje cite toujours). adé- plorable maturité..

Les rations dépendaient du bon

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il GAIL LARD

1

K L J

Cou+e schimutique d'un B â f h m "

A. Chambre d u Capitaine B. Chambre du Conseil C. Chambres des Officiers D. Grande chambre J . Cale E. Sainte-Barbe F. Logements de l'équipage

G. Cambuse II. Soute L voiles I. Entrepont

K. Soute pour l'avitaillement L. Barriques à eau

vouloir du Capitaine, qu'il soit cor- saire ou pirate; les repas étaient à base de légumes secs, abreuvés d' huilie ou de graisse, et de salaisons. Rar jour, le matelot avait droit à 3/4 de pinte de vin coupé d'eau et 1/5 de pint'e d'eau de vie, la pinte valant un petit peu moins d'un litre. Fréquem- ment l'eau de vile était versée et dis- tribuke avant une tempête ou un com- bat et parfois l'effet catalyseur avait de funestes conséquences. J'ai re- trouvé un texte qui dit qu'en 1671 la fréga%e ala Gloires. creva sur les re- tifs de I'ile de Sable (Tromelin actuel- lement) ear ala maistrance a failli, étant tous saouls..

Les bateaux également &aient du même type: des-brioks, des frégates, des corvettes de 300 à 400 tonneaux tout au plus, fins de carène, destinés à fournir une belle vitesse, avec au plus une batterie couverte et des piè- ces en barbette sur le pont supérieur et les gaillards.

Enfin la mkthode de l'abordage était la même.

J ß +

La fin du XVIIme siècle avait pro- duit les pi'rates. ILa fin du XVIClme siècle donna les corsaires. II est bien connu que 'Caliban d'evint un jour Prospero.

Ces deux Btats dépendWhnt en fait

de l'organisation de l'espace mariti- me. Entre temps, l'Océan Indien avait subi les contrecoups politiques des nations europeennes.

Comparativement à maintenant, cette partie du monde était encore œneuve.. On ne connaissait ni les ac- cords de coopération et leur révision, ni la radio, ni le radar, ni les avions in- tercontinentaux qui mettent les îles de I'Océan.lndien à une douzaine d' heures de PEurope ...

Mais il ne faut pas se lamenter sur le bon vieux temps, qui n'est qu'un mythe.

Le champ dle la liberté est encore grand: il reste de larges espaces pour respirer ..., et il existe un autre domai- ne d'évasion que l'histoire. Un monde bien reel, avec des côtes ensoleill&es, des îles lointaines, des peuples ac- cueillants.

C'est la patrie des âmes qui ont *besoin d'ailleurss dont I'épanouisse- menti je le souhaite, se fera dans le nírvâna de la mer.

par Jean-Michel FILL! Chargé de Recherches 8 I'ORSTOM

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