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Géométrie euclidienne Géométries non-euclidiennes La géométrie est l’art de raisonner juste sur des figures fausses La géométrie est à l'origine des mathématiques et remonte à l'aube de la civilisation. C'est quand les hommes se sont mis à mesurer et à compter que nous pouvons réellement parler de culture ou de civilisation. Cela s'est produit il y a près de 5 000 ans au Moyen- Orient. Ces mesures portaient sur des figures représentant les terres qui commençaient à être cultivées ou les grandes constructions comme les temples ou les palais. Les ancêtres des géomètres furent des architectes ou des arpenteurs. La géométrie, donc les mathématiques, naquirent lorsque l'on ne se contenta plus de mesurer des figures représentant des champs ou des bâtiments, mais que l'on se mit à raisonner sur des figures qui ne représentaient plus qu'un concept : une droite, un triangle, etc. Cette étape importante de l'histoire de l'humanité eut lieu vers 700 av. J.-C., à Milet, une ville qui est aujourd'hui en Turquie. C'est à un citoyen de cette cité, Thalès, que nous devons les premiers raisonnements sur des figures et surtout cette idée de démontrer des propriétés géométriques plutôt que de les constater. À la même époque et dans la même région naquit aussi le concept de démocratie, c'est-à-dire une ville gouvernée par l'ensemble des citoyens. Cette double naissance, de la démocratie et du raisonnement, a été source de bien des réflexions depuis ce temps. Le contexte La géométrie, c'est l'art de raisonner sur une figure qui ne représente que des concepts abstraits. La géométrie c'est aussi le premier objet sur lequel l'on se mit à tenir des raisonnements, des démonstrations alors que jusque-là le monde des hommes était un monde mythique et religieux où les choses ne s'expliquaient pas, mais dépendaient de l'humeur de Dieu.

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G é o m é t r i e e u c l i d i e n n e

G é o m é t r i e s n o n - e u c l i d i e n n e s

La géométrie est l’art de raisonner juste sur des figures fausses

La géométrie est à l'origine des mathématiques et remonte à l'aube de la civilisation. C'est quand les hommes se sont mis à mesurer et à compter que nous pouvons réellement parler de culture ou de civilisation. Cela s'est produit il y a près de 5 000 ans au Moyen-Orient. Ces mesures portaient sur des figures représentant les terres qui commençaient à être cultivées ou les grandes constructions comme les temples ou les palais. Les ancêtres des géomètres furent des architectes ou des arpenteurs. La géométrie, donc les mathématiques, naquirent lorsque l'on ne se contenta plus de mesurer des figures représentant des champs ou des bâtiments, mais que l'on se mit à raisonner sur des figures qui ne représentaient plus qu'un concept : une droite, un triangle, etc.

Cette étape importante de l'histoire de l'humanité eut lieu vers 700 av. J.-C., à Milet, une ville qui est aujourd'hui en Turquie. C'est à un citoyen de cette cité, Thalès, que nous devons les premiers raisonnements sur des figures et surtout cette idée de démontrer des propriétés géométriques plutôt que de les constater. À la même époque et dans la même région naquit aussi le concept de démocratie, c'est-à-dire une ville gouvernée par l'ensemble des citoyens. Cette double naissance, de la démocratie et du raisonnement, a été source de bien des réflexions depuis ce temps.

Le contexteLa géométrie, c'est l'art de raisonner sur une figure qui ne représente que des concepts abstraits. La géométrie c'est aussi le premier objet sur lequel l'on se mit à tenir des raisonnements, des démonstrations alors que jusque-là le monde des hommes était un monde mythique et religieux où les choses ne s'expliquaient pas, mais dépendaient de l'humeur de Dieu.

Auparavant quelques civilisations, les civilisations égyptiennes et mésopotamiennes par exemple, utilisaient des dessins géométriques. Mais ces dessins avaient un rôle strictement utilitaire. Ils étaient utiles en architecture ou en arpentage, particulièrement en Égypte où il fallait pouvoir retrouver les bornes des champs après les crues du Nil. Ces figures géométriques ne faisaient l'objet d'aucune réflexion particulière.

C'est donc à Milet, ville de l'actuelle Turquie, mais soumise à l'époque à l'influence grecque, que vers 700 av. J.-C. l'on se mit à raisonner sur des figures dites géométriques. Ces figures étaient considérées comme de purs concepts : des points, des lignes, des cercles, des triangles, etc. À partir de ces figures, tout un art allait se développer sur cette façon de raisonner, de déduire logiquement des propriétés nouvelles à partir de propriétés établies. Ce mode de raisonnement allait même devenir un élément important de la civilisation grecque. La géométrie, à la fois comme mode de raisonnement et comme vision du monde réel, allait être un des sujets de réflexion des philosophes grecs. « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre » fut la devise de Platon, l'un des plus grands philosophes de cette époque.

Pendant 2 000 ans, la géométrie allait rester la base des mathématiques. L'autre voie qui aurait pu permettre aux mathématiques, définies comme raisonnement, de se développer, c'était

l'arithmétique ou le calcul. Mais cette voie fut bloquée jusqu'à l'invention du zéro par les Indiens. En fait, l'algèbre, l'autre grande branche des mathématiques, n'a pu se développer qu'après l'invention du zéro et de l'introduction des chiffres arabes en Occident vers la fin du Moyen-Âge. Jusqu'à cette époque, la géométrie fut l'essentiel des mathématiques et la résolution des problèmes passait par des figures géométriques, alors qu'aujourd'hui nous pensons d'abord à des fonctions ou à des équations. Ainsi les mouvements étaient décrits non pas à l'aide de fonctions, mais à l'aide de cercles, de droites, etc.

Voici, cité par Ian Stewart dans Les mathématiques, les différentes branches de ce que les Grecs entendaient par mathématiques :

Mathématiques

Discret Continu

Absolu Relatif

Arithmétique Musique

Statique Dynamique

Géométrie Astronomie

La géométrie euclidienne

Si les philosophes développèrent la géométrie tout au long des siècles qui suivirent ses débuts vers 700 av. J.-C., ce fut Euclide qui, vers 300 av. J.-C., fit la synthèse de tous les résultats qui s'étaient accumulés durant ces cinq siècles. Cette synthèse, les fameux Éléments, allait devenir, pour plus de vingt siècles, la Bible des mathématiciens. Les Éléments sont non seulement une synthèse des résultats obtenus, mais surtout un exposé rigoureux de la méthode utilisée, la méthode déductive, méthode scientifique par excellence.

Cette méthode consiste à identifier clairement des hypothèses, en général des résultats démontrés antérieurement, puis à partir de ces hypothèses, par un raisonnement logique, en déduire des conclusions. Ces conclusions pourront elles-mêmes être reprises comme hypothèses pour en arriver à d'autres conclusions et ainsi de suite. Mais il faut bien partir de quelque chose. À partir de quelles vérités premières pouvons-nous enclencher cette suite d'hypothèses-démonstrations-conclusions ? C'est là que réside l'intérêt des Éléments. Dès le début de son ouvrage, Euclide identifie ces vérités évidentes d'où tout le reste se déduira. Il classe ces vérités évidentes en trois catégories : les Notions communes, les Définitions et les Demandes. Il est clair que ces vérités premières doivent être aussi simples et aussi peu nombreuses que possible. Voici ces catégories telles que présentées par Jean Dhombres dans Mathématiques au fil des Âges.

Les Notions communesLes Notions communes sont des évidences sur les rapports entre les choses et qui doivent être acceptées comme telles. Ces notions communes sont les outils de base nécessaires aux démonstrations géométriques.

1. Les choses égales à une même chose sont égales entre elles.2. Si à des choses égales, on ajoute des choses égales, les tout seront égaux.3. Si à des choses égales, on retranche des choses égales, les restes seront égaux.4. Si à des choses inégales, on ajoute des choses égales, les tout seront inégaux.5. Si à des choses inégales, on retranche des choses égales, les restes seront inégaux.6. Les choses qui sont doubles d'une même chose, sont égales entre elles.

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7. Les choses qui sont les moitiés d'une même chose, sont égales entre elles.8. les choses qui s'adaptent entre elles, sont égales entre elles. 9. Le tout est plus grand que la partie.

Remarquez que la dernière notion commune a soulevé des débats passionnés à propos des travaux de Cantor sur l'infini au siècle dernier.

Les DéfinitionsLes Définitions sont des évidences sur les objets de base utilisés en géométrie et qui doivent être acceptées comme telles.

1. Le point est ce dont la partie est nulle.2. Une ligne est une longueur sans largeur.3. Les extrémités d'une ligne sont les points.4. La ligne droite est celle qui est également placée entre ses points.5. Une surface est ce qui a seulement longueur et largeur.6. Les extrémités d'une surface sont des lignes.7. La surface plane est celle qui est également placée entre ses droites.8. Un angle plan est l'inclinaison mutuelle de deux lignes qui se touchent dans un plan

et qui ne sont point placées dans la même direction.9. Lorsque les lignes qui comprennent ledit angle sont des droites, l'angle est dit

rectiligne.10. Lorsqu'une droite tombant sur une autre droite fait deux angles de suite égaux entre

eux, chacun des angles égaux est droit ; et la droite placée au-dessus est dite perpen-diculaire à celle sur laquelle elle est placée.

11. L'angle obtus est celui qui est plus grand qu'un droit.12. L'angle aigu est celui qui est plus petit qu'un droit.13. On appelle limite ce qui est l'extrémité de quelque chose.14. Une figure est ce qui est compris par une ou plusieurs limites.15. Un cercle est une figure plane comprise par une seule ligne qu'on nomme circon-

férence ; toutes les droites, menées à la circonférence d'un des points placés dans cette figure, étant égales entre elles.

16. Ce point se nomme le centre du cercle....35. Les parallèles sont des droites qui, étant situées dans un même plan et étant

prolongées à l'infini de part et d'autre, ne se rencontrent ni d'un côté, ni de l'autre.

Les DemandesLes Demandes sont des évidences sur les propriétés des figures élémentaires de la géométrie et qui doivent être acceptées comme telles.

1. Conduire une droite d'un point quelconque à un point quelconque.2. Prolonger indéfiniment, selon sa direction, une droite finie.3. D'un point quelconque et avec un intervalle quelconque, décrire une circonférence

d'un cercle.4. Tous les angles droits sont égaux entre eux.5. Si une droite, tombant sur deux droites, fait les angles intérieurs du même côté plus

petits que deux droits, ces droites, prolongées à l'infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits.

6. Deux droites ne renferment point un espace.En fait, c'est surtout sur ces demandes que s'est développée plus spécifiquement la géométrie. Elles sont essentielles car elles sont supposées être vraies de toute évidence et toute la suite de la géométrie euclidienne en dépend.

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Les démonstrationsMais le grand apport des grecs, l'originalité d'Euclide, a été la méthode proposée soit les démonstrations et le raisonnement. Même si, comme nous venons de le voir, il fallait bien admettre quelques évidences de base indispensables pour échafauder un raisonnement, l'essentiel était ce raisonnement. Plutôt que de voir ou de s'en remettre à des arguments d'autorité propres aux livres religieux, les Grecs ont voulu s'en remettre à la raison. C'est à dire prouver par un raisonnement rigoureux même ce qui semble évident et découvrir des propriétés par le seul enchaînement des résultats déjà démontrés. Les Grecs ont ainsi conceptualisé la géométrie, la notion de cercle est d'un autre ordre que l'exemple d'une roue, et rationalisé la façon de voir le monde.

Le vers est dans le fruitLa géométrie euclidienne est un véritable miracle de civilisation, car elle marque l'avènement de la raison. À ce titre, la géométrie euclidienne est un élément essentiel de la civilisation occidentale et allait le rester pendant deux millénaires. Mais ce système a une faille, la fameuse cinquième demande formulée, au XVIIIe siècle, par Playfair sous la forme suivante :

« Par un point extérieur à une droite, on ne peut mener qu'une parallèle et une seule à celle-ci. »

Nous pouvons identifier deux raisons majeures à l'origine de cette faille. Il y a d'abord la difficulté qu'avaient les Grecs à envisager l'infini et aussi le double aspect de la géométrie euclidienne : vouloir représenter le monde sensible en trois dimensions tel que nous le percevons et servir de modèle rigoureux de raisonnement.Le monde des Grecs était un monde fini et la notion de l'infini les rendaient mal à l'aise (voir la fiche sur l'infini). Or deux des demandes concernent directement l'infini. D'abord la deuxième demande suppose que l'on peut prolonger une droite à l'infini. Mais c'est surtout la cinquième demande qui pose problème et les Grecs l'avaient bien vu. En effet sa formulation est déjà un peu complexe, comparée aux autres demandes, alors que celles-ci sont supposées être des évidences. De plus, elle concerne l'infini. En effet, cette demande peut s'énoncer sous une forme plus familière : « par un point extérieur à une droite on ne peut mener qu'une parallèle et une seule à celle-ci ». Cette demande présume donc du comportement des parallèles à l'infini. Ce n'est pas évident. Par exemple, pour le sens commun, la terre semble plate.Cela rejoint l'autre explication de la faille de la cinquième demande : la géométrie doit-elle représenter le monde, donc être vraie ou plutôt correspondre à ce que nos sens estiment être le vrai, ou doit-elle être un mode de raisonnement, donc être cohérente ? Peut-il exister une contradiction entre ces deux aspects ? Le vers est dans le fruit.

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Les problèmes de la géométrie euclidiennePendant près de deux mille ans, la cinquième demande ne tracassera que quelques mathématiciens qui y voyaient plus une question de formulation ou, à la limite, une demande inutile ; elle découlerait logiquement des précédentes et serait donc inutile. Les Grecs ont obtenu un nombre impressionnant de résultats, mais ils butèrent sur trois problèmes qui leur semblaient fondamentaux et qui drainèrent leurs énergies. Il faut rappeler que pour résoudre les problèmes géométriques, les Grecs n'avaient que deux outils : la règle et le compas. D'abord le premier problème fut la fameuse quadrature du cercle ou comment construire un carré dont la surface est égale à celle d'un cercle donné ? Puis, la trisection de l'angle soit comment diviser un angle en trois angles égaux et enfin la duplication du cube ou comment construire un cube dont le volume serait le double de celui d'un cube donné. Ces trois problèmes mobilisèrent leurs énergies alors que la cinquième demande ne leur semblait devoir être qu'un problème mineur.Pourtant, plus de deux mille ans plus tard, au XIXe siècle, des mathématiciens démontrèrent qu'il n'y avait pas de solutions à leurs trois problèmes, tandis qu'ils allaient proposer des géométries cohérentes en niant la cinquième demande.

Deux mille ans de règnePendant près de deux mille ans, la géométrie euclidienne allait donc régner sans partage et demeurer la voie royale en mathématiques et aussi la méthode rationnelle par excellence. Elle ne progressera guère jusqu'au début de la Renaissance. En fait, c'est par le monde arabe que nous est parvenu l'héritage grec. Le monde occidental s'est enfoncé pendant plus de mille ans dans un univers religieux aux antipodes de la pensée grecque. De leur côté, les arabes ne firent pas tellement progresser la géométrie, leurs travaux ont davantage porté sur l'algèbre.

La Renaissance et la géométrie projectiveIl fallut attendre la Renaissance pour assister, en géométrie comme dans d'autres domaines, à un renouveau de la science. Curieusement, c'est par le biais de la peinture que la géométrie recommença à progresser. Pour les artistes de la Renaissance, comme Léonard de Vinci, la peinture devait représenter le monde et ils inventèrent la perspective qui permettait de représenter l'espace à trois dimensions sur un tableau qui n'en n'a que deux. Ce fut le début de la géométrie projective et ce fut le premier apport majeur à la géométrie depuis les Grecs.

Descartes, la géométrie analytique et la raisonAu début du XVIIe siècle, Descartes inventa la géométrie analytique. En représentant un point d'un plan par un couple de valeurs, l'abscisse et l'ordonnée, Descartes allait ramener les figures géométriques à des équations sur lesquelles il devenait possible d'effectuer des calculs algébriques, d'autant que l'algèbre commençait à connaître un bel essor. Si Descartes permit une nouvelle et fructueuse approche de la géométrie, il fut également à l'origine du rationalisme. Pour les rationalistes, ce qui définit l'homme c'est sa raison, c'est cette capacité qu'elle lui donne de découvrir la réalité par le raisonnement et non uniquement par l'observation. Pour Descartes et les rationalistes comme Leibniz ou Spinoza, la religion et les mathématiques étaient des domaines où l'on pouvait découvrir par la raison des vérités que l'on ne pouvait observer autrement. Cette philosophie renoue avec la pensée grecque, notamment celle de Platon. Elle redonne une certaine place à l'esprit critique et sape les arguments d'autorité utilisés par les religions. À ce titre, elle encourage le développement d'un certain esprit scientifique à cette époque. Rationalisme et géométrie euclidienne vont être

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étroitement associés, ce qui est un élément important pour comprendre la suite des événements.

Newton et le calcul différentielEnfin Newton vint. L'invention de la dérivée allait permettre un développement foudroyant de l'étude des fonctions et introduire la notion de variation ou de mouvement en géométrie. La géométrie des Grecs était statique. Elle allait devenir dynamique et les courbes allaient de plus en plus être associées à des trajectoires suivies par des mobiles.

Saccheri et la première remise en causeSaccheri, un jésuite de la fin du XVIIe siècle, se pencha à nouveau sur la cinquième demande et tenta de démontrer sa validité. Pour y parvenir, il utilisa une méthode qui allait s'avérer très féconde : la démonstration par l'absurde. Il s'agissait simplement de nier le cinquième postulat et de démontrer que l'on aboutissait à une contradiction.Pour y parvenir, Saccheri traça le quadrilatère ci-dessous :

A

D

B

CSaccheri a d'abord tracé le segment AB, puis a abaissé deux perpendiculaires égales, AD et BC. Les angles A et B sont donc des angles droits.En géométrie euclidienne, les angles D et C doivent aussi être des angles droits. Mais, refusant d'admettre la cinquième demande, Sacchieri estima qu'il y avait trois hypothèses possibles :

1. Les angles C et D sont droits.2. Les angles C et D sont obtus.3. Les angles C et D sont aigus.

L'idée de Saccheri était de démontrer que les hypothèses 2 et 3 conduisaient à des contradictions. Il mit des années et deux tomes de calculs pour en conclure que « l'hypothèse de l'angle obtus est totalement fausse, car elle se détruit elle-même » sans autre précision ...

Les géométries non euclidiennesC'est au début du XIXe siècle que deux mathématiciens, qui ne se connaissaient pas, le russe Lobatchevski et le hongrois Bolyai allaient avoir assez d'imagination pour s'affranchir du monde d'Euclide. Bolyai était un officier de cavalerie hongrois qui avait deux passions : les mathématiques et les femmes. Ces deux passions lui valurent une vie mouvementée. Ses aventures sentimentales se traduisaient par des duels à répétition, seize en une seule journée rapporte Ian Stewart. Ses activités mathématiques lui apportèrent davantage de déboires. C'est qu'au désespoir de son père, lui-même mathématicien, il s'acharna d'abord à démontrer l'hypothèse des parallèles, puis n'y arrivant pas, à fonder une géométrie sur la négation de celle-ci. Il supposa que par un point extérieur à une droite il passait au moins deux parallèles et, sur cette base, il élabora une géométrie tout à fait cohérente, mais qui ne correspondait en rien au sens commun. Son père lui suggéra d'abandonner les femmes et les mathématiques qui ruinaient sa santé physique et morale, mais communiqua quand même, en 1824, les résultats de son fils à Gauss, le grand mathématicien de l'époque. Au grand étonnement de

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Bolyai, celui-ci lui dit qu'il était arrivé aux mêmes résultats, mais qu'il n'en avait pas parlé par crainte des réactions des mathématiciens de l'époque. Cela mit un terme à la carrière mathématique de Bolyai qui se contenta de son métier de cavalier et de ses aventures sentimentales.À la même époque, en 1832, le russe Lobatchevski était maître de conférence à l'Université de Kazan. Comme Bolyai, il remplaça la cinquième demande d'Euclide par la suivante :

« Par un point extérieur à une droite, il est possible de mener au moins deux droites parallèles à celle-ci »

Cette proposition équivalait à l'hypothèse de l'angle aigu de Saccheri. Sur cette base, Lobatchevski, comme Bolyai, en déduisit donc, sans s'être concerté, une nouvelle géométrie, différente de celle d'Euclide, mais tout aussi cohérente et qualifiée d'hyperbolique.Quelques années plus tard, en 1854, un des plus brillant mathématicien de l'époque, Bernahrd Riemann, proposa une autre géométrie non-euclidienne où la cinquième demande d'Euclide était remplacée par celle-ci :

« Par un point extérieur à une droite, il ne passe aucune droite parallèle à celle-ci »Cette proposition équivalait à l'hypothèse de l'angle obtus et la géométrie fut qualifiée d'elliptique. Stewart précise que Riemann alla même plus loin et imagina une géométrie de l'espace pouvant varier d'un point à l'autre : hyperbolique ici, euclidien là, elliptique ailleurs ... Dans L'univers mathématique, Davis et Hersh résument et comparent, à l'aide du tableau suivant, les principales caractéristiques des géométries euclidienne, hyperbolique (Lobatchevsky et Bolyai) et elliptique (Riemann) :

Euclide Lobatchevski RiemannDeux droites distinctes se rencontrent en

au plus un au plus un un (simplement elliptique)

deux (doublement elliptique)

point

points

Étant donné une droite D et un point P n'appartenant pas à D, il existe

une droite et une seule

Au moins deux droites

aucune droite passant pas P et parallèle à D

Une droite est est n'est pas séparée en deux par un point

Des droites parallèles sont équidistantes ne sont jamais équidistantes

n'existent pas

Si une droite rencontre l'une des deux droites parallèles, elle

doit peut ou ne peut pas rencontrer l'autre

L'hypothèse de Saccheri valable est

l'angle droit l'angle aigu l'angle obtus

Deux droites distinctes perpendiculaires à une même droite

sont parallèles sont parallèles se rencontrent

La somme des angles d'un triangle est

égal à strictement inférieure à

strictement supérieure à 180 degrés

L'aire d'un triangle est indépendante proportionnelle au défaut

proportionnelle à l'excès de la somme de ses angles

Deux triangles avec des angles correspondants égaux sont

semblables congrus congrus

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Comment imaginer les géométries non-euclidiennesLa géométrie euclidienne correspond à notre perception de l'espace à trois dimensions où les droites parallèles semblent ne jamais vouloir se couper. Pour mieux comprendre les différentes géométries et leurs différences, il est plus simple de se situer dans l’espace à deux dimensions où ces différences sont « visibles ». Il faudra ensuite les imaginer dans un espace à trois dimensions, ce qui pour les non euclidiennes n’est pas toujours simple.

D’abord la géométrie euclidienneDans le plan à deux dimensions, de la géométrie euclidienne, deux droites perpendiculaires à une troisième sont parallèles entre elles et ne semblent pas vouloir se couper : par le point B, on mène une parallèle D2 et une seule à la droite D1. Autrement dit, par un point B extérieur à une droite D1, on ne peut lui mener qu’une parallèle et une seule.

A

B

D1

D2

D

De plus la somme des angles d’un triangle donne bien 180o.

A

B

C

Ces propriétés se concervent dans l’espace à trois dimensions et, à ce titre, on peut dire que l’espace euclidien est « plat », sa coubure est donc nulle, et que les parallèles vont à l’infini sans se couper. Ce plan est isotrope (il est infini dans toutes les directions et elles sont équivalentes) et il est homogène (ses propriétés sont les mêmes en tout point).

Les géométries non euclidiennesSi la géométrie euclidienne est plate, ce qui correspond à notre perception de l'espace, les géométries non-euclidiennes sont courbes. Tentons de décrire ces géométries en identifiant ces espaces courbes à des surfaces.

La géométrie sphérique

page 8 Les géométries non euclidiennes

La géométrie sphérique, celle de Riemann qui correspond à l'hypothèse de l'angle obtus, est assez simple à concevoir. Il suffit d'imaginer que sa surface à deux dimensions est la surface d’une sphère. Sur cette surface, conservons la définition de la droite : la droite est le plus court chemin entre deux points. Si vous prenez l’exemple du globe terrestre, le plus court chemin entre deux points est l’arc du diamètre passant par ces deux points, la géodésique. En ce sens toutes les droites sont des diamètres et elles se coupent toutes : il ne peut y avoir de parallèles et les droites ne se prolongent pas à l’infini.Sur la figure ci-dessous, il est clair que les droites BA et BC sont toutes les deux perpendiculaires à AC et qu’elles ne sont pas parallèles pour autant.

A

B

C

Il est également évident que la somme des angles du triangle ABC est supérieures à 180o.La coubure d’une telle surface est positive.Cette surface est finie même si elle n’a pas de « bord ». Elle est homogène et isotrope.Si on passe à l’espace à trois dimensions, il faut imaginer un espace qui conserverait ces propriétés. Il s’agit de l’hypersphère. Sa courbure est partout positive et constante. Sa circonférence et son volume sont finis.

La géométrie hyperboliqueLa géométrie hyperbolique est un peu plus difficile à imaginer. Dans l’espace à deux dimensions, une surface hyperbolique ressemblerait à une selle de cheval, comme l’indique la figure ci-dessous :

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Sur cette selle de cheval où les droites « divergent », si on mène par un point A une perpendiculaire à une droite, par un point extérieur B on peut mener plusieurs perpendiculaires qui ne couperont pas la perpendiculaire menée en A.

AB

Sur une telle surface la somme des angles d’un triangle est inférieure à 180o comme le montre la figure ci-dessous :

A

BC

La courbure de cette surface est partout négative. Sa surface, comme sa circonférence sont infinies.Si on passe à l’espace à trois dimensions, il faut imaginer ici aussi un espace qui conserverait ces propriétés. Il s’agit de l’espace hyperbolique. Sa courbure est partout négative. Sa circonférence et son volume sont infinis.

Pour s'amuser un peu, Stewart cite même une géométrie paradoxale inventée par le grand mathématicien Henri Poincaré au début du siècle :

Supposons par exemple un monde contenu dans une grande sphère et soumis aux lois suivantes : la température n'est pas uniforme, elle est maximale au centre et décroît progressivement pour arriver au zéro absolu sur la surface de la sphère. Si R est le rayon de la sphère, la température absolue à la distance r du centre est proportionnelle à R2 - r2. On suppose que dans ce monde les corps se dilatent linéairement, proportionnellement à la

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température absolue. Un objet mobile deviendra de plus en plus petit en approchant de la surface extérieure. Bien que ce monde soit fini du point de vue de notre géométrie habituelle, pour ses habitants il paraîtra infini. En effet, ils se refroidissent et deviennent de plus en plus petits en s'approchant de l'extérieur ; leurs pas sont aussi de plus en plus petits, de sorte qu'ils ne peuvent jamais atteindre la surface extérieure. Pour nous, la géométrie est l'étude des déplacements d'objets rigides ; pour ces êtres imaginaires, ce sera l'étude du mouvement de solides déformés par les différences de température qui règnent entre eux.

En guise de conclusion provisoireC'est vers 1850 que la mathématicien Beltrami prouva définitivement la cohérence des géométries non-euclidiennes. Il prouva que la géométrie hyperbolique pouvait se ramener à une pseudo-sphère tandis que la géométrie elliptique correspondait à la géométrie sphérique. Or les pseudo-sphères et la géométrie sphérique sont issues de la géométrie euclidienne. Si les géométries non-euclidiennes n'étaient pas cohérentes, alors ce serait la géométrie euclidienne elle-même qui serait contradictoire.Avec cet argument imparable, nous pourrions croire que la cause était entendue. En fait, le débat ne faisait que commencer et il allait être particulièrement violent.Pour terminer cette partie sur la perception des géométries non-euclidiennes, voici une devinette proposée par Michael Guillen dans Des ponts vers l'infini :

« Deux chasseurs quittent leur campement et marchent 100 km, plein sud, pour traquer l'ours. Au bout de ces 100 km, ils découvrent une piste et la suivent, plein Ouest, pendant encore 100 km. et tuent l'ours. Ils remontent plein Nord vers leur campement et l'atteignent après 100 km. Quelle est la couleur de l'ours ? »

L a p o l é m i q u e s u r l e s g é o m é t r i e s n o n - e u c l i d i e n n e s

Une controverse passionnéeGauss n'avait pas publié ses travaux sur les géométries non-euclidiennes, car il craignait les réactions des Béotiens. Il avait bien raison ! La polémique autour des travaux de Bolyai et Lobatchevsky fut particulièrement violente. Elle souleva autant de passion qu'un but gagnant et controversé en finale de la coupe Stanley. Bolyai se retira dans sa caserne et Lobatchevsky mourut ruiné et ostracisé dans son pays.Voici quelques réactions des plus grands esprits du XIXe siècle telles que rapportées par Imre Toth dans La Recherche en histoire des sciences.

En AllemagneLes réactions furent particulièrement vives en Allemagne, pays qui comptait à l'époque de nombreux mathématiciens.Dühring mena l'attaque. Dühring était un des grands esprits de ce temps et son influence était considérable. Il se présentait comme un athée et un socialiste. En fait, il était de l'école de pensée d'Auguste Comte et avait une vision mécaniste et surtout très hiérarchisée de la vie en société. Nous dirions aujourd'hui que c'est un socialiste autoritaire, la devise d'Auguste Comte étant d'ailleurs Ordre et Progrès. Si Dühring était une célébrité à l'époque, il est aujourd'hui connu comme ayant été l'adversaire de Karl Marx et de Frederich Engels qui avaient une vision beaucoup plus souple et dialectique du socialisme. Un des livres majeurs d'Engels est justement L'anti-Dühring.Bref, Dühring était un des intellectuels allemand les plus écoutés et voici quelques-unes de ses remarques sur les géométries non-euclidiennes :

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« ...insanité démentielle, semi-poésie et total non-sens, produit de l'hallucination mathématique, théorèmes et figures mystiques et délirants nés d'une pensée maladive, théorie issue des parties dégénérées du cerveau de Gauss... »

C'est que Dühring se voulait matérialiste et pour lui les géométries non-euclidiennes ne pouvaient exister, car elles ne correspondent pas à notre vision réelle de l'univers. Selon lui, seule la géométrie euclidienne avait une base matérielle.Par ailleurs Dühring, toujours matérialiste, pensait avoir trouvé dans la biologie les bases scientifiques de l'antisémitisme. Plutôt que de baptiser les juifs, il proposait de les éliminer biologiquement. Un de ses disciples, Dingler, professeur à l'école Polytechnique de Munich, fut un nazi convaincu. En 1955, il demandait encore d'éliminer les géométries anti-euclidiennes et la théorie de la relativité. Mais l'adversaire le plus surprenant des géométries non-euclidiennes fut le grand logicien Fregge. Avec Bertrand Russel, il fut un des grands mathématiciens anglais du XXe siècle à dénoncer ainsi les géométries non-euclidiennes :

« Oserait-on qualifier d'astrologie les éléments d'Euclide, cette oeuvre jouissant d'une autorité incontestée depuis plus de deux mille ans ? Mais si l'on n'ose pas, alors c'est la géométrie non-euclidienne qui doit être classée parmi les pseudo-sciences comme l'astrologie et l'alchimie »>

En AngleterreLa réaction des savants anglais fut tout aussi négative et presqu'aussi violente.Le grand logicien Morgan considérait la géométrie euclidienne comme a very english subject et les hérétiques de cette orthodoxie comme se situant à l'extrême de toute hérésie. Le mathématicien Sylvester disait, en 1869, qu'il connaissait bien des gens qui considèrent Euclide comme un avant-poste de la Constitution britannique.Un des mathématiciens les plus originaux de l'époque, Charles Dodgson, plus connu sous le nom de Lewis Caroll et auteur d'Alice au pays des merveilles, fut un adversaire acharné des géométries non-euclidiennes et refusait toute retouche, même mineure, de la géométrie euclidienne.

Ailleurs ...Nous pourrions citer les réactions des savants des autres pays, comme la France, la Russie ou les États-Unis. Elles ont été semblables à celles de leurs collègues de l'Allemagne ou de l'Angleterre.De toutes ces réactions, nous pouvons en tirer deux remarques.D'abord les opposants n'étaient pas seulement des gens bornés ou de seconde zone. Quelques-uns des plus grands esprits de l'époque en ont fait partie. Ensuite les réactions ont été passionnées et mêmes très émotives. C'est le signe que ce qui était en jeu dépassait le cadre de simples résultats mathématiques. Voyons maintenant quelques-uns de ces enjeux qui expliquent la passion qui a entouré le débat sur les géométries non-euclidiennes.

Quelques uns des enjeux soulevés par la géométrie non-euclidienne

La nature des mathématiques : le mythe d'EuclideSi les réactions des mathématiciens ont été si émotives, c'est que, pour eux, les géométries non-euclidiennes remettaient en cause la conception même qu'ils se faisaient des mathématiques.Depuis les Grecs et plus particulièrement Platon, le monde tel que nous le voyons avec nos sens bien limités n'est qu'un pâle reflet du vrai monde, ce dernier est le monde parfait des

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pures idées. Ce monde parfait ne nous est pas directement accessible. Mais comme c'est le monde des idées, nous ne pouvons l'appréhender que par notre raison et les mathématiques sont le moyen privilégié pour cela. Pour Platon, les objets mathématiques appartiennant à ce vrai monde ont donc une réelle existence. La géométrie, le coeur des mathématiques, était donc la base de notre connaissance de ce vrai monde. La méthode démonstrative, définie par Euclide, était le moyen par excellence de découvrir ce monde. Les raisonnements, les démonstrations sont un moyen bien plus sûr de connaître la vérité que de se fier à nos sens. Bien sûr, il fallait bien partir de quelque chose, mais Euclide s'était limité aux cinq demandes qui semblaient toutes aller de soi. Se fier à sa seule raison, c'était aussi la méthode de Descartes et, à sa suite, les rationalistes ont permis l'essor de la science au XVIIIe siècle.C'était tout cela que les géométries non-euclidiennes semblaient remettre en cause. En remplaçant l'axiome des parallèles, qui correspond bien à notre perception de l'espace et en le remplaçant par des versions contradictoires avec nos sens, imaginaires disait Lobatchevsky, cela ruinait tout l'édifice. Si une géométrie rigoureuse peut se baser sur un axiome qui semble contraire à la réalité, alors les mathématiques ne peuvent plus prétendre être réelles, elles ne sont plus l'outil privilégié pour découvrir le monde parfait des idées. Si les mathématiques restent vraies tout en reposant sur des bases imaginaires et arbitraires, alors elles ne sont qu'un jeu de l'esprit à qui on peut faire dire n'importe quoi.C'est parce que les géométries non-euclidiennes semblaient remettre en cause la réalité des mathématiques, parce qu'elles semblaient réintroduire l'arbitraire que les réactions furent si violentes.

La pluralité des mondes géométriquesUne autre raison de l'opposition vigoureuse des mathématiciens c'est qu'il leur semblait impossible que les géométries euclidiennes et non-euclidiennes soient vraies toutes les deux, en même temps. Les axiomes des parallèles des différentes géométries étant contradictoires, comment les géométries qui en découlaient pouvaient ne pas être elles-mêmes contradictoires ? Comment pouvaient-elles être vraies ou cohérentes en même temps ? On ne peut servir deux maîtres à la fois était la devise de nombreux savants de l'époque.

La nature de notre universUne autre raison de s'opposer aux géométries non-euclidiennes était que celles-ci ne semblaient pas correspondre à l'univers tel que nous le voyons. L'univers tout entier nous semble euclidien. Le plus court chemin entre deux points semble être une droite et les parallèles ne semblent jamais se rejoindre. « Deux parallèles s'aimaient, hélas », disait Alphonse Allais. Les Grecs étaient convaincus qu'une figure géométrique était universelle, qu'elle était la même où qu'elle se trouve dans l'univers. Pourtant cet argument contre les géométries non-euclidiennes est celui qui tient le moins. Si l'on se fiait à nos sens, le monde devrait être plat. La géométrie euclidienne est essentiellement la géométrie du plan. Or la terre est ronde, les Grecs l'avaient déjà découvert et les évidences de la géométrie euclidienne ne le sont plus sur la surface d'une sphère : les droites ne peuvent se prolonger à l'infini, la distance la plus courte entre deux points n'est pas une droite, etc.Curieusement notre perception du monde a évoluée et a confirmé la validité des géométries non-euclidiennes. La théorie de la relativité d'Einstein veut que le symbole même de la ligne droite, la propagation d'un rayon lumineux, ne suive pas une ligne droite. Contrairement à notre intuition, contrairement à la géométrie euclidienne, notre univers serait courbe. Selon la théorie de la relativité, une masse déforme, courbe l'espace autour d'elle. Si la densité de l'univers dépasse un certain niveau, 10-29 g/cm3, alors la géométrie de l'univers serait celle découverte par Riemann : la courbure serait positive, l'univers serait fini et la force de

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gravitation le ramènerait à l'état initial, celui du Big-Bang. Si la densité est inférieure à ce seuil, alors la courbure serait négative et la géométrie de l'espace serait la géométrie hyperbolique découverte par Lobatchevsky et Bolyai. L'univers serait alors infini.Pour conclure, voici ce qu'en dit Michael Guillen dans Des ponts vers l'infini :

« Armés de télescopes optiques, de radiotélescopes, et de la théorie d'Einstein, les cosmologistes modernes font le relevé de la distribution locale de la matière, principalement des étoiles et des nuages diffus composés de gaz lumineux et de poussières, les points cotés de la cosmographie pour ainsi dire. Ils entendent ainsi trancher la question de la géométrie de l'univers. Jusqu'à présent, les observations n'ont pas été assez précises pour produire une réponse dépourvue d'ambiguïtés, mais ce qui commence à se dessiner laisse à penser que l'univers pourrait bien avoir une géométrie hyperbolique, analogue à celle que découvrirent Gauss, Bolyai et Lobatchevski. »

Dans La physique et l'infini, Luminet et Lachèze-Rey rappellent que l'artiste hollandais Escher a tenté de représenter des surfaces hyperboliques. Ils citent comme exemple la gravure qui figure sur le cahier de programme. Ils écrivent « Les anges et les démons d'Escher prennent vie dans l'espace hyperbolique, aux propriétés particulières. La représentation choisie ramène, par un effet de projection, l'infini de l'espace sur le pourtour d'un cercle, et la perspective rend alors les figures infiniment petites ».

D'autres géométriesDans ce débat sur les géométries non-euclidiennes, ne perdez pas de vue que d'autres géométries encore plus complexes sont apparues depuis ce temps. Pensez particulièrement à la géométrie fractale qui est brièvement présentée dans ce manuel. Vous pouvez voir que cette géométrie étudiée par Benoît Mandelbrot remet encore plus radicalement en cause la géométrie euclidienne puisque c'est la nature même de dimension qui est redéfinie. Cette fois, les débats auront été moins vifs.

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Les questions en suspensSi la validité des géométries non-euclidiennes n'est plus contesté, la plupart des questions débattues à l'époque restent d'actualité :

• Quelle est la nature des mathématiques : invente-t-on les résultats mathématiques ou les découvre-t-on ? Les objets mathématiques sont ils des objets réels ou des objets imaginaires ?

• Quelles sont les limites de notre raison ainsi que des observations que nous pouvons faire ?

• Quelle est la nature de notre univers ?

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B i b l i o g r a p h i e

Livres[1] BACHELET, Bernard. L’espace, Paris, Presses Universitaires de France, collection Que sais-

je?, 1998, 128 p.

[2] COLLECTIF. La Recherche en histoire des sciences, Paris, Le Seuil, collection Points-Sciences, 1983, 304 p.Voir plus particulièrement le chapitre La révolution non-euclidienne, Imre Toth, p. 241.

[3] DAVIS, Philip et Reuben HERSH. L'univers mathématique, Paris, Gauthier-villars, 1985, 405 p.

Voir plus particulièrement le chapitre Géométrie non-euclidienne, p. 206. et Le mythe d'Euclide p. 313.

[4] GUILLEN, Michael. Invitation aux mathématiques, des ponts vers l'infini, Paris, Le Seuil, collection Points-Sciences, 1995, 230 p.Voir plus particulièrement le chapitre En dépit du bon sens, p. 121.

[5] LACHIÈZE-REY, Marc et Jean-Pierre LUMINET, La physique et l’infini Paris, Flammarion, collection Dominos, 1994, 126p.

[6] LACHIÈZE-REY, Marc. L’infini, de la philosophie à l’astrophysique, Paris, Hatier, collection Optiques philosophie, 1999, 79 p.Voir plus particulièrement le chapitre Les infinis relativistes, p. 28.

[7] RITTAUD, Benoît. La géométrie classique, objet et transformations, Paris, Le Pommier, 2001, 157 p.

[8] STEWART, Ian. Les Mathématiques, Paris, Belin, collection Pour la Science, 1989, 265 p.Voir plus particulièrement le chapitre Des voies parallèles, p. 50.

[9] VERDIER, Norbert. Qu’est-ce que les mathématiques?, Paris, Le Pommier, 2000, 157 p.

Revues[1] ADAMS, Colin et Joey SHAPIRO. Dix autres mondes sont possibles, Pour la Science, # 308,

Juin 2003 p 50

[2] TEGMARK, Max. De l’univers au multivers, Pour la Science, # 308, Juin 2003, p. 60

[3] UZAN,Jean Philippe. L’univers vu d’ailleurs, Pour la Science, # 308, Juin 2003, p 56

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Philippe Etchecopar, département de mathématiques

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