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    PLATONLE POLITIQUE

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    UNIVERSITY OFILLINOIS LIBRARYAT URBANA CHAivlPAlGNBOOKSTACKS

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    PLATONUVRES COMPLTESTOME IX. ' PARTIE

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    COLLECTION DES UNIVERSITS DE FRANCEpublie sous le patronage de rASSOCIATION QVJLLADMB BVD

    PLATONUVRES COMPLTESTOME IX. !' PARTIE

    LE POLITIQUE

    TEXTE TABLI ET TRADUITWA.M

    Auguste DISMembre de l'InstitutDEUXIME DITION BEVUE ET CORRIGE

    PARISSOCIT D'DITION LES BELLES LETTRES

    95, BOULEVARD RASPAIL1950

    Tot droits rtaerr.

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    Conformment aux statuts de l'Association GuillaumeBud, ce volume a t soumis Vapprohation de lacommission technique, qui a charg M. Paul Mazond'en faire la revision et d'en surveiller la correction encollaboration avec M, Auguste Dis,

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    NOTICEI

    CARACTRES EXTRIEURS DU DIALOGUELe Politiqae est, nous le savons, la troisime pice d'une

    ttralogie dont la quatrime ne fut jamais crite : Thtte,le Sophiste, le Politique, le Philosophe, Il se prsente commela suite immdiate du Sophiste, Les deux dialogues sont censsse tenir dans la mme journe. Les personnages sont lesmmes : Socrate, Thodore, Thtte, Socrate le Jeune et1 tranger d'le. Les.deux plus anciens, Socrate et Thodore,ne servent ici encore que d'introducteurs : la discussion sepasse tout entire entre l'tranger et l'un des deux jeunesgens. Mais, cette fois, on laisse reposer Thtte et on leremplace par son compagnon, Socrate le Jeune. Entre cettediscussion nouvelle et celle qui l'a prcde il n'y a, d'ailleurs,aucun intervalle rel ni de temps, ni de matire : des troisdfinitions annonces au dbut du dialogue Le Sophiste, lapremire, celle du sophiste, est peine acheve, que Thodoredemande l'tranger d'entamer la seconde et de choisir, pourcela, entre le politique et le philosophe. L'tranger se dcidepour le politique. Mais, avant mme qu'il ait dclar sonchoix, une remarque de Socrate renoue opportunment cettechane de personnages, questionneurs, rpondants, assistantsmuets et personnages d'attente, qui marque extrieurementla continuit de la ttralogie. Socrate a interrog Thttedans la conversation de la veille (Thtte); il l'a laiss tout l'heure (dans Sophiste) rpondre aux interrogations del'tranger; il continue sa politesse en priant maintenantcelui-ci d'interroger Socrate le Jeune. Mais l'tranger, per-

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    VIII LE POLITIQUEsonnage principal dans les deux pices centrales de la ttra-logie, devra lui-mme rendre cette place d'honneur et rentrerdans l'ombre, car Socrate nous annonce qu'il reprendrabientt son tour de parole et qu'il gardera pour rpondantSocrate le Jeune. Ainsi nous est promis une fois de plus ledialogue le Philosophe, o Socrate devait recouvrer son rlede personnage principal.Le Politique se divise trs apparemment en trois parties :i) la dfinition du Roi comme pasteur du troupeau humainet la critique de cette dfinition (a58 b-a77 d) ; 2) la dfinitiond'un art pris comme paradigme de l'art politique ou royal, letissage (277 b-287 ^) > ^) ^* dfinition exacte du politique,royal tisserand (287 b-3 1 1 c). Si nous voulons apprcier lestendues relatives de ces trois parties, le mieux est de compterles stiques ou lignes d'aprs une dition comme Yeditio minorde Tauchnitz, o toutes les lignes sont sensiblement gales etportent en moyenne 38 ou Sg caractres. Nous nous rappro-chons ainsi de l'valuation de Charles Graux pour la lignemoyenne des manuscrits de prose: 34 38 caractres, i5 16 syllabes. Dans cette petite dition Tauchnitz, la premirepartie comprend ainsi 84 1 lignes ou, si nous y ajoutons les38 lignes du prlude, 879 lignes en tout ; la seconde partie,4 16 lignes: la troisime, i 076. L'tendue totale du Politiqueest donc de 2 370 lignes ; une ligne de plus que le Philbe(2369), 191 lignes de plus que le Sophiste (2 179), 676 demoins que le Thtle (2 945).

    II

    OBJET ET PLAN DU DIALOGUEL'objet du dialogue est donc la dfinition du politique. On

    nous dira cependant (285 d) que la recherche de cette dfinitionn'est pas un but en soi, mais plutt un moyen de s'exercer devenir meilleurs dialecticiens sur tous les sujets possibles .Mais nous avons vu que, dans le Sophiste, la solution du sigrave problme de la possibilit du non-tre n'est apparem-ment cherche que pour assurer une exacte dfinition du per-sonnage qu'est le sophiste. Nous ne nous tonnerons donc pasqu'ici comme l on s'attarde avec complaisance aux exercices

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    NOTICE IXdialectiques qui prparent cette dfinition et aux problmessubsidiaires qu'ils soulvent. Mais l'importance si hautementproclame de la dialectique n*empche pas que le problmeproprement politique soit trait fond et discut avec uneardeur passionne, et l'cho qui en rsonne soit dans lesLettres, soit dans les Loisj nous ravertirait, au besoin, de lagravit vitale que ce problme avait pour Platon l'poqueo il crivait le Politique. Tel est donc, en dfinitive, l'objetde notre dialogue : un problme politique servant de matire des exercices dialectiques et des considrations de mthode.T> 'X j^*. ^' Le problme se pose et se dbatPremire dhmtion i>i^jj.i,. '^ , ^,,et mythe. " abord dialectiquement : comment d-finir l'homme politique ou royal? As-surment comme un technicien: aussi procde-1- on, pourprciser la technique qui est la sienne, une classification destechniques ou sciences. Cette classification s'tablit par unesrie de dichotomies. Ainsi la science royale est, non pas pra-tique, mais thorique ; non pas critique, mais directive ; elledirige, non par une autorit emprunte, mais par son autoritpropre, des tres non pas inanims, mais vivants, et qui viventnon pas isolment, mais par troupeaux. Et le jeune Socrateest tout fier de pouvoir dclarer que ces tres sont ou desanimaux ou des hommes (36a a). Grosse faute de logique,observe l'tranger, car nous devons diviser par espces, et cen'est point diviser par espces que de prendre, dans un groupe,une fraction^buT l'opposer tout le reste, et de distinguer,par exemple, hommes et btes. Grecs et barbares, myriade ettout ce qui n'est pas myriade. Il faut suivre laforme spcifiqueet progresser par tapes, depuis les animaux en troupeaux,par exemple, aux animaux terrestres qui marchent, qui sontsans cornes, ne se croisent pas, n'ont que deux pieds et pasde plumes I Ainsi le politique serait un pasteur d'hommes(267 d). La dfinition n'est pas neuve : est-elle suffisante ?Non, car trop de rivaux contestent au politique ce titre depasteur des hommes ; il n'est pas, comme le bouvier, l'uniqueet propre nourricier de son troupeau. Une fable, d'ailleurs,nous clairera: c'est le mythe des rgressions priodiques(268 e). Tantt conduit par Dieu, tantt laiss lui-mme etrefaisant en sens inverse sa rvolution jusqu' ce que s'puisel'impulsion divine primitive, le monde a ainsi deux cycles

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    X LE POLITIQUEalternants et contraires et, entre ces deux cycles, des tropesou renversements de mouvement, qui bouleversent chaquefois les conditions ordinaires de la vie. Ainsi a-t-il pu se faireque, dans le passage du cycle rtrograde, notre cycle nous,au cycle divin, la vie progressant rebours, les adultes d'alorssoient redevenus jeunes, puis enfants, puis poussire, et quede cette poussire soient ns de nouveaux hommes, les Filsde l Terre. C'est sur eux que rgna Cronos et c'est eux qu'iledministra par l'intermdiaire de dieux et de dmons. Quandnous faisons du politique un pasteur d'hommes, ne confon-dons-nous pas le politique du cycle actuel avec le pasteur divinde l'&ge de Cronos P Rptons donc que le politique n'est pasle nourricier du troupeau humain, il en est simplement le soigneur . Alors nous pourrons distinguer entre les soinsimposs de vive force et les soins accepts de plein gr, c'est--dire entre la fonction du tyran et celle du politique. Tien-drons-nous ainsi notre solution, comme le croit le jeuneSocrate? Non encore cette fois, car nous avons eu beaudvelopper outre mesure notre mythe, il n'en a pas rejailliassez de lumire sur notre dmonstration, qui reste Ttatde dessin grle, sans relief et sans vie. Recourons une autremthode (277 d).

    C'est la mthode du paradigme ou deLe paradigme. ,, in j 1 exemple. Four enseigner de jeunes en-fants, on leur prsente d*abord, dans des groupes simples etfaciles, les lments dchiffrer. Ainsi nous faut-il faire pournous apprendre nous-mmes dchiflrer le grand livre dela ralit. Pour comprendre l'art du politique, nous tudieronsdonc d'abord l'art du tissage, en nous bornant, d'ailleurs, autissage des laines. Nous le distinguerons de ses parents en ledfinissant par une srie de divisions dichotomiques o, lais-sant toujours gauche ce que nous devons carter, nous li-minerons successivement la fabrication des antidotes, desarmes, des voiles, des toitures, des tapis etc. pour arriverenfin la fabrication du vtement. Nous le distinguerons demme de ses auxiliaires, en considrant qu'il y a deux sortesde causes : celles qui sont cratrices ou causantes, et celles quine sont que concausantes. Ainsi nous carterons d'abord lesarts qui fabriquent fuseaux, navettes et autres instrumentsdu tissage, puis ceux qui n'ont dans la confection du vtement

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    NOTICE. qu'une part indirecte : lavage, ravaudage, et, gnralement,les oprations que rassemble l'art du foulon. Dans ce qui estproprement le travail de la laine, nous mettrons de ct l'artde carder, l'art de filer, et ne garderons que l'art qui assemblela chane et la trame de faon former un tissu (a83 a). Voilbien des longueurs ; que ne disions-nou, sans tant de dtours,oc Le tissage est l'art d'entrelacer la chane et la trame P, . , Ce reproche ne doit pas nous troublerLu juste mesure. i j f-i i ^a*plus que de raison ; qu il nous soit plutt

    une occasion de rappeler qu'il y a deux arts de la mesure.L'un se fonde uniquement sur le rapport du grand au petit etdu petit au grand ; l'autre sur l'opportunit et la convenance,conditions ncessaires de toute production ou, si l'on veutune formule plus ambitieuse, ncessits essentielles du de-venir . Le premier est brutal et mcanique, dirions-nous ;le second exige discernement et dcision de l'esprit : la justemesure f xh (xerptov, c'est le point de perfection indivisible,c'est la moyenne exacte non de quantit, mais de qualit, ende et au del de laquelle il n'y a qu'insuffisance ou dme-sure. Platon y insiste. Il montre que la ralit de cette justemesure est une condition aussi absolue de l'existence des artsque la ralit du non-tre l'tait, dans le Sophiste, de l'exis-tence du sophiste et de sa technique d'illusion. 11 dclare que,si on est trop souvent incapable d'apercevoir, dans la sciencede la mesure, cette dualit, c'est qu'on ne s'est pas habitu diviser les choses par espces et considrer minutieusementleurs parents et leurs dissemblances. Il utilise enfin cettenotion de la juste mesure pour apprcier les proportions del'uvre littraire et poser, pour son uvre littraire lui,qui est une qute et une poursuite perptuelle du vrai, unenorme propre d'excellence, savoir sa puissance d'ducationdialectique : le trop, c'est ce qui ne sert pas rendre l'espritinventif, ce qui ne l'excite pas trouver les raisonnementsqui mettent la vrit en son plein jour (287 a). Ainsi Des-cartes et Malebranche ne mpriseront aucun exercice ni pro-blme, si humble soit-il, du moment qu'il est de nature augmenter l'tendue et la sagacit de l'esprit .

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    Ml LE POLITIQUENous ferons maintenant pour le roi ce

    Z^^i!fJIt^ Que nous avons fait pour le tisserand, enet rivaux, 1- i i distinguant et sparant de lui ses auxi-liaires et ses rivaux. La politique a, comme le tissage, des

    arts qui lui fournissent ses instruments. Pour les classer,nous ne pouvons plus suivre une division strictement dicho-tomique. Mais la dichotomie n'est pas l'essentiel ; ce qui estessentiel, c'est de diviser par membres naturels, comme on faitd'une victime, xaT (uXt).. oIov itpcTov, car il faut toujoursdiviser dans le nombre le plus proche possible : el; tov YY^-taxx Ti [liXiara Teavetv ptiA^v jUt (287 c). Ainsi nous n'au-rons, pour nos divisions, d'autre rgle absolueque la rgle gn-rale qui gouverne la recherche platonicienne : approcher le plusprs qu'on le peut du rel et du vrai. Ainsi nous classeronscomme auxiliaires du politique les arts qui crent les moyensd'action de la cit : l'espce primitive (matriaux), l'instru-ment, le vase, le vhicule, l'abri, le divertissement, l'aliment.Nous sparerons ensuite de lui ses comptiteurs. Ce ne sontpas les esclaves, ni les transmetteurs et commerants libres, nimme les secrtaires et hrauts, ni enfin les devins et les prtres,dont l'office est encore, malgr leurs prtentions, un officeservile. Les vrais prtendants sont les pires des magiciens etdes sophistes : les pseudo-politiques. Platon les appellera tout l'heure des partisans et des factieux : qui sont-ils ? Nous leverrons en comparant les diverses lormes de constitutions.r ... .j Problme classique et dj bien rebattu1res constitutions. . |,, j ni 1 -m 1 1 poque de Platon, mais Platon lernove totalement. On prenait comme critres le nombre, la

    fortune, les degrs de libert ou de lgalit, et l'on distinguaitainsi cinq constitutions : royaut ou tyrannie, aristocratie ouoligarchie, et, sous un seul nom quelle que ft sa mesure delgalisme, la dmocratie. Critres uss, dit Platon, etdistinc-lions sans valeur. 11 n'y a qu'un critre qui compte: lascience. Il n'y a donc qu'une autorit et qu'un droit; l'auto-rit et le droit de qui possde la science, et qui la possde, cen'est ni la foule ni une caste ou coterie quelconque, c'est unseul, ce sont, tout au plus, deux ou trois. La science estordonne au bien : qu'elle le fasse agrer ou qu'elle l'imposede force, qu'importe, pourvu qu'elle le ralise ! En ce cas,la science n'a

    plus se soucier de la loi, et qui possde la

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    NOTICE XIIIscience met la loi au rancart? Oui, en droit, car lgifrerest certes fonction

    royale,roi et loi sont notions connexes ;mais qui donc, du roi ou de la loi, commandera en dernier

    ressort ? La loi, c'est l'ignorance, l'enttement, l'absolutismequi a tout rgl une fois pour toutes. Le roi, c'est le sens etle flair du chef, [ler cppovTQffc&x; partXtxd (2^9 a): pas plusqu'il n'entreprendra l'impossible tche de rgler un un lescas particuliers, pas plus il n'acceptera que la rgle gnralepar lui dicte en tel ou tel temps l'entrave pour tous lestemps venir. Il pourra donc changer les lois, mais na-turellement pas sans le gr des citoyens ? Sans leur gr,s'il le faut, comme fait un mdecin qui gurit de force sesmalades ou un capitaine qui gouverne sa guise pour sauverson navire. Son seul code est sa science ; sa seule loi, russir,c'est--dire promouvoir la justice dans la Cit. Une seulechose est donc exige, la science, mais elle est exige rigou-reusement. Or, les foules ne l'ont pas, ni les oligarchies :aucun gouvernement de fait ne la possde. Que feront-ilsdonc ? Une seule ressource leur reste, un pis aller : puis-qu'ils n'ont pas l'infaillibilit que donne la science, renoncer son autonomie souveraine ; drober au gouvernement idalqu'ils ne peuvent raliser quelques lambeaux de directives,en faire des lois et trouver, dans ces lois proclames intangi-bles, une supplance l'infaillibilit perdue^ A ce prix seule-ment ils viteront l'une et l'autre tyrannie : celle des dcretspopulaires, qui tue toute spontanit de l'esprit et tout pro-grs, et celle que cre le caprice ou la passion d'un seul. Carla science quitable d'un seul, les peuples s'y soumettraientavec amour, mais le chef idal ne nait pas tout fait dans lescits comme il nat dans les ruches, et c'est la dfiance tropexplicable des peuples qui, du monarque unique, les d-tourne vers les constitutions imparfaites. Imitations plus oumoins lointaines du gouvernement idal, elles s'chelonnerontsuivant leur degr de fidlit au substitut qu'est la loi ou, sielles y sont infidles, suivant leur degr de faiblesse interne.Ainsi, le gouvernement d'un seul sera monarchie ou tyrannie ;celui de plusieurs, aristocratie ou oligarchie; celui de tous,dmocratie rgle ou drgle. Mais, supposer que toussoient infidles, et c'est l'tat de fait celui d'un seul,tant drgl, devient, du meilleur, le pire, et, parce que la d-mocratie n'est capable ni de grand bien ni de grand mal, c'est

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    XIV LE POLITIQUEen dmocratie qu'il vaut alors mieux vivre. Voil donc, l'idalemonarchie tant carte comme surhumaine, les six contre-faons que les hommes appellent des constitutions et qui nesont, au vrai, que des gouvernements de factions (3o3 d).

    Ayant ainsi clos notre drame et renvoy de la scne latroupe de centaures et de satyres que sont les rivaux dupolitique, nous distinguerons maintenant de lui ses parents :le stratge, le juge, le rhteur. Travail dlicat, mais qui serafait plus promptement que nous ne pouvions l'esprer, sinous observons que, de plusieurs sciences, celle-l est sup-rieure qui a pouvoir de dcider si, et quand, et dans quel sens,les autres doivent s'exercer. Or, et la stratgie etla judicatureet la rhtorique sont des sciences pratiques, tche limite,et c'est la politique qui, loin d'tre la t&che comme elles,dicte l'heure et le mode et les conditions de leurs activits.C'est elle, par suite, qui guide et rassemble ces activits dif-frentes et, de leur entrelacs, tisse la vie de la cit (So5 e).

    ^ Voyons comment s'opre cette royaleLe royal tisserand. ^ \. j. . * * nfonction d entrecroisement et quellesorte de tissu elle nous livre. Les disputeurs de mtier ontbeaucoup jou de Topposition qui apparat entre les diffrentesparties de la vertu et se sont plu contredire l'opinioncommune qui les regarde comme naturellement amies. Cetteopposition se manifeste en tous mouvements de la pense, ducorps, de la voix, et le contraste qu'elle cre entre les espritset les tempraments, plutt plaisant dans le jeu des relationsquotidiennes, revt une terrible gravit lorsqu'il s'tend l'orientation gnrale de la. vie des individus ou des cits.Vouloir, par exemple, la paix tout prix, ou bien nerespirer que la violence ou la guerre, ce sont l deux faonsgales d'exposer une cit la ruine, car on fait d'elle ou uneproie qui s'offre, ou un flau contre qui se liguent leshaines. Qui conjurera de tels prils et ramnera, dans lestempraments, la mesure et l'harmonie, sinon la sciencepolitique ? A elle d'oprer la fusion salutaire. Ellecommencera naturellement par tudier, trier et modeler saguise les tempraments : l'preuve que constituent les jeuxde l'enfance et de la jeunesse, une ducation qu'elle surveilleraet dirigera constamment, des exercices choisis, des limina-tions svres, lui livreront, apprts et ouvrables, les lments

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    NOTICE XVde son travail de tisseuse. Des nergiques elle fera les fils desa chane ; des modrs, l'tofie souple de sa trame ; elle our-dira ensemble la partie ternelle de leurs mes avec un liendivin, la partie animale avec des liens humains. Le lien divin,c'est une communaut d'opinions vraies et fermes sur le beauet le bien; les liens humains, ce sont les mariages. Mettrerharmonie dans les esprits est la tche la plus essentielle ;seule, l'ducation par la vrit empchera les nergiques dedevenir des brutes, et les modrs de sombrer dans l'impuis-sance et la niaiserie. Quant aux mariages, ce n'est pas assez dene pas les avilir par la chasse l'argent. 11 faut cesser d'obir un instinct trompeur et, soucieux qu on est de la race,songer non seulement la perptuer, mais la renouveler.Suivant que leur sang est bouillant ou modr, les famillesqui ne se reproduisent qu'entre elles finissent dans la foliefurieuse ou dans la dliquescence. Mler les tempraments,les associer non seulement dans les familles, mais dans lesmagistratures et les commandements; ourdir ainsi tous leslments de la cit, libres ou non libres, calmes ou vifs, douxou forts, en un tissu souple et rsistant, telle est la fonctionde la science royale ou politique.

    III

    DICHOTOMIES ET DIALECTIQUENous avons vu que le prcdent dialo-

    /u PoKZ!" S"*' "P^" ^'" l^fi"' ^^ I^l*" ^ 'ligne, entreprenait sur ce modle dedfinir le sophiste et en donnait six dfinitions successives,pour s'attacher enfin spcialement la cinquime et y nouerson problme de la possibilit de l'erreur, qu'il rsout entablissant la communaut des genres et la ralit du non-tre. Le dialogue actuel a pour but de dfinir le politique etentreprend directement cette dfinition ; c'est seulementaprs que plusieurs essais sont demeurs insuffisants qu'ilse rsout choisir un modle ou paradigme, l'art du tissage,et, sur ce modle, achve la dfinition de l'art politique.Comme celles du sophiste, les dfinitions du politique sont

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    xTi LE POLITIQUEobtenues par dichotomies ^ Interrompue un instant par uneleon de mthode (aa a-364 h), la dfinition du politiquepar division des sciences aura finalement l'aspect quevoici :

    pratique -'- thoriquecritique -L directireen 8ou8-main -- autodirective

    de non'Tirants -^ de vivants (levage)par units -*- par troupeaux

    aquatiques -^ terrestresvolatiles ->- marcheurs

    cornes sans cornescroisants -^ non croisants

    quadrupdes -L bipdes.D'aspect aussi nettement dichotomique sera (279 c-280 a)

    la division des biens fabriqus ou acquis, dont le schma estdonn, dans le texte, absolument nu : tout objet fabriquou acquis est, en effet,moyen d'action ou prservatif

    antidote -^ dfensearmure-^ clture

    voile abrigte -L toffe

    sous-tendue -^enveloppanted'une pice-'-de plusieurs pices

    perfores-'-non perforesfaites de fibres -^faites de crins

    colls -L entremls brin brin-La division des sciences ou techniques est suivie d'une

    rcapitulation (267 a/c) qui a pour but de renchaner I. Voir spcialement Fr. Lukas, Die Mthode der intheilung bei

    Platon, Halle-Saale, 1888, patiente et solide tude, en retard seule-ment pour la chronologie. J. Stenzel, Stadien zur Entwicklang derplatonisehen Dialektik. a* dit., Teubner, iqSi. Zahl a. Gestalt beiPlaton a. Aristoteles, a* dit., igSS.

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    NOTICE xYiila dfinition. Aussi reprend-elle, depuis le dbut, lesmembres de droite dans leur ordre direct, sans en oublieraucun. Tout autre est la rcapitulation qui suit la dfinitionde l'art de tisser les vtements. Elle remonte l'ordre suivipar la division et, au lieu de reprendre les membres dedroite, reprend ceux de gauche. C'est qu'elle veut rappelerquels arts parents du tissage on a carts pour le dfinir, etmontrer que l'numrtion n'est pas acheve. Ne nous ton-nons pas que cette rcapitulation rebours oublie au moinsune tape (n" 3) et suive un ordre un peu capricieux (5, 8,9, 7, 6, A, 2, i) : Platon, qui tient conserver au dialogue,ft-il le plus scolaire, son allure de causerie entre gens debon ton, vite autant qu'il peut une exactitude trop minu-tieuse et pdante.Dans les divisions qui suivent, la dichotomie est, sinonpratique de faon moins rigoureuse, en tout cas mlanged'numrations qui en brouillent ou en voilent le dvelop-pement. Ainsi (281 d et suiv.) les arts productifs en gnral,et, ici, ceux qui rentrent dans le tissage sont

    arts d'apprtage -- travail de la lainecauses auxiliaires ou causes causantes

    ai

    sparant (cardage) -^ assemblantpar torsion -^ par ei

    (fabrication du fil) et trame (tissage)partorsion -^ par entrelacement de chane

    Mais, pour distinguer la chane et la trame, on a dinsrer une division nouvelle, en reprenant, sous larubrique travail de la laine , le membre de gauche : lecardage. Il livre deux sortes de produits : l'un informe etanonyme, l'autre ayant longueur et largeur et qui se nommefilasse. Cette filasse est alors ou bien tourne au fuseau pourfaire un fil solide, qui sera le fil de chane, ou bientourne en un fil plus floche qui sera le fil de trame.C'est ainsi que, sous l'assemblage par torsion (rh ffTp6TCTix

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    xvni LE POLITIQUEreproche de longueur qu'ils occasionnent, suscitent une divi-sion nouvelle. L'art de la mesure

    (v; ixerpTiTixT;)se divise en

    deux grandes sections : d'une part, tous les arts qui n'em-ploient que la mesure relative, d'autre part tous ceux quiprennent comme talon la juste mesure (xb fxfTptov), l'oppor-tunit, la convenance. Cette dichotomie n'est pas poursuivieplus avant, mais donne lieu un important commentaire surlequel nous reviendrons tout l'heure.Quand on veut appliquer aux arts de la Cit la divbionen arts causants et arts auxiliaires, on s'avise que la dicho-tomie n'est plus aisment praticable et l'on se rsout diviser par membres naturels, parce qu'il faut toujoursdiviser dans le nombre le plus proche (387 c) ; mais la divi-sion des arts que possde la Cit est plutt une numrationqu'une classification, et l'on nous dit sans gne qu'il a falluquelque peu tirailler pour y faire tout rentrer (289 c). C'estencore par numration que l'on procde pour exclure,d'une vritable comptition avec l'homme politique, lesdivers tenants d'ofBces plus ou moins serviles, depuis lesesclaves aux devins et aux prtres (289 sq). Les vraiscomptiteurs sont les sophistes par excellence, ou pseudo-politiques. C'est pourquoi l'on procde la classification desconstitutions, que l'on divise successivement en trois, encinq, en six ou mme sept. Mais l'attention s'est alorsdtourne de la forme dialectique vers le problme politique,et ce n'est pas ici que la classification des constitutionsdemande tre tudie.

    Le Sophiste n'a formul d'une faonde l^%chotoLie. expresse qu'une seule rgle pour la dicho-tomie : avancer en suivant toujours sadroite et en liminant ainsi successivement tous les carac-

    tres que l'objet dfinir possde en commun avec lesautres espces, jusqu' ce qu'il ne lui reste plus que sanature propre (264 e). Le Politique est plus explicite. Il nefait gure de diffrence pratique entre eTSo et y^^o? *ibien que, dans un mme passage, ce qui vient d'tre appelespce est, immdiatement aprs, appel genre (262 e) et que,pour faire pendant au ^vo opyavov (287 d), il cite tout desuite l'espce vase (icavToSaTrov etSo ^yY^^^^) P^*s, commeTftTov eTtpov elSo (a88 a), le vhicule. Le dsir de rendre

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    NOTICE XIXvisible cette indcision de la terminologie, au sein mme del'effort que fait notre dialogue pour formuler les rglesd'une classiBcation scientifique, est une des raisons qui m'ontdtermin traduire ici le mot e5o ou forme par espce *.Si Platon, en effet, s'inquite peu de distinguer entre eTEoet Yvo, il tient fort, en principe, la distinction entre [i.^oet elSo. Il dclare nettement que toute espce est partie,mais que toute partie n'est pas espce (268 e). Pour entrer dansune division naturelle, il faut que la partie porte avec soi laforme

    spcifique.La loi fondamentale est donc que chaquemembre de la dichotomie soit une espce. Les prceptes quisuivent n'en sont que des consquences : i) ne pas diviser le

    genre en deux parties d'importance ingale, en choisissantarbitrairement un petit groupe pour l'opposer tout le reste,ngligemment cart sous un nom quelconque (Grecs et Bar-bares, la myriade et le reste des nombres, animaux et hommesou animaux et grues, 262 a-263 d) ; 2) donc diviser a parmoitis , c'est--dire videmment par segments logiquementquivalents et qui, entre eux, puisent le genre, tantcontradictoires (262 b) ; 3) ainsi on ne brlera pas lestapes, on ne ngligera aucune des subdivisions ncessaires,et l'on n'en viendra pas, par exemple, l'levage en trou-peaux avant d'avoir divis les animaux en sauvages et appri-voisables (268 e) ; 4) on descendra ainsi de dichotomie endichotomie tant qu'on pourra obtenir une division o chaqueterme soit la fois espce et partie, et alors seulement on se.permettra de dtacher et de dresser en face de tout le reste(du genre hommes) les Phrygiens, les Lydiens ou autresunits (262 e). Le meilleur commentaire de cette dernirergle nous sera donn par le Philhe, lorsqu'il nous prescrirade ne point nous perdre dans l'infini dtail des units ougroupes sporadiques avant d'avoir parcouru et nombretoutes les tapes entre l'unit du genre et cet infini de disper-sion (16 d/e). Si le Politique nous prsente, pour la divisiondes marcheurs, deux mthodes successives (265 a sq.), c'estbien un peu pour se donner l'occasion de la plaisanterie sur

    I. Voir, dans G. Rilter, Neae Untersuchungen ber Platon, Mn-chen, 1910, le 6, elSo, f8sa und verwandte Wrler in denSchriflen Platons, spcialement p. a3o-235 ; pour la terminologieet les rgles de la dichotomie, Lukas, op. laud., p. 256-20 1.

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    XX LE POLITIQUE la diagonale de la diagonale ou de celle sur le bipde plumes , mais c'est aussi pour nous montrer qu'une divi-sion btive commet toujours la faute d'opposer une petitepartie une grande. A ces rgles donnes pour la division,ajoutons celle que le dialogue commente si instamment propos de la dfinition, savoir qu'elle doit convenir audfini et au seul dfini : ainsi la notion du roi pasteurd*bommes convient au politique du temps de Gronos, nonau politique actuel, et le caractre nourricier du troupeaubumain convient beaucoup d'autres qu'au politique(267 d-68 c).

    Si la grande loi de la dichotomie est demr ean^ces ^ P''* admettre de parties qui ne soientdes espces, c'est que la dicbotomie n'estqu'une des formes de cette mthode gnrale de division parespces (ttjv jxoBov to xar* eiSir) Buvaxov etvai Btaipetv a86 d)qui, pour le Politique comme pour le Phdre et le Sophiste, estla mthode propre du dialecticien. C'est pour y exercer ledisciples qu'on leur donne discuter des sujets aussi gravesque celui du gouvernement de la Cit (a85 d), et c'est sonrendement ce point de vue qu'on doit apprcier les justesproportions d'une discussion, non pas son tendue mat-rielle (287 a). Que ce o.aipcTv xat* elBr), au moment mmeo il s'applique une mthode prcise de division en vued'une dfinition, garde encore son attache foncire au principede distinction qui, ct du principe de permanence, s'estaBrm ds l'origine dans la thorie platonicienne des formesou Ides, c'est ce que montrent les formules du Politiquecomme celles du Sophiste. Si l'on manque distinguer la justemesure de la mesure mathmatique brutale, c'est, nous ditle Politique (^Sb a/b), qu'on n'est pas habitu diviser leschoses par espces pour les tudier. Aussi, sur le seul vu dequelques ressemblances, on met tout de suite ensemble deschoses qui difi^rent, et, d'autres fois, on fait tout le contraire,parce qu'on ne divise pas en suivant les parties , alorsqu'un groupe de choses qui se ressemblent, il faudrait ne pasl'abandonner avant d'avoir puis le compte des diffrencesqui y constituent des espces, et, une multitude o appa-raissent des dissemblances de toutes sortes, ne pas se jugerquitte avant d'y avoir relev les ressemblances qu'on pourra

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    NOTICE XXIgrouper en un genre. C'est bien ici le double mouvementexig dans le Phdre : vers une forme unique mener, grce une vision d'ensemble, ce qui est en mille endroits diss-min , et tre capable de dtailler par espces, en obser-vant les articulations naturelles (a65 d/e, Robin). Icicomme l, les divisions doivent tre exhaustives et nombres :lv (i.7) Ti x uaet ipi9(XT^(n|Tai (^Phdre 274 e) a soncho dans r Siaop fSy] icxaa Tcoffatirep v tXZgv, Polit.262 e). Ce qui marque enfin une division naturelle, c'est,pour nos trois dialogues, qu'elle suive les joints marqus parla nature : au Kax ' d(p6pa yj Tc^cpuxev du Phdre (266 e) rpondle xax fjiXrj... otov Upeov du Politique (287 c), mais aussibien les sutures du Sophiste (Zn^kti 267 e), les commissures(BiacpuTJ) et les lignes de partage accommodantes (tojxt)Oicet'xouora) du. Politique (2bg c, 261 a). De telles prcisions,d'ailleurs, dans cette exigence d'une division naturelle, nesont que des insistances et, pour ainsi dire, des surcharges, etne doivent pas nous faire oublier que la division naturelle est essentiellement implique dans les simples formulesxar' EZr^ ou xax Y^viq Btatpeffai, o les mots etoYi, ^v),gardent toujours leur sens originel de types de structure et de groupes familiaux . Nous ne devons pas davantagemconnatre, dans le Statpedat de ces formules de division,le sens de distinction , de sparation entre ce qui estmme et ce qui est autre ^ Il apparat nettement l o lePolitique explique, comme nous l'avons vu, pourquoi tropde gens confondent mesure brute et juste mesure (286 a/b),mais il apparat aussi bien dans cette formule du Sophiste(253 d) o xax yivvi Btaipetffai signifie ne point prendrepour une autre une espce qui est la mme, ni, pour la

    I. Stenzel, tout en insistant avec raison sur l'originalit duSophiste et du Politique, accentue beaucoup trop, mon avis, ladiffrence entre les deux sens. Cf. Stadien, p. 5o et suiv.

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    LE POLITIQUEmme, une espce qui est autre et dans ces lignes dumme dialogue (269 c/d) o l'on oppose, une critiquecapable seulement oc de montrer que le mme est autre,n'importe comment, et l'autre, mme , celle qui sait dis-cuter une assertion selon le point de vue exact auquel cetteassertion s'est place pour affirmer une ressemblance ou unedifirence. Comment peut-on mconnatre l'identit fonciredpareilles formules avec celle o la Rpublique, opposant ris-tique et dialectique, caractrise la premire par l'impuis-sance o elle est d'examiner une assertion en distinguant parespces (8i r (xt) $va(r6at xar* sTSt^ otaipo^jcevot to tY(xevovei:i(nto^v, 454 a), c'est--dire en considrant quel pointde vue deux natures sont dites diflrentes ou sont dites sem-blables (ti tSo TO TT^ Ix^pa; re xai tt, ari^; pooK xai icp^t tvov, 454 b) ?

    La division par espces est d'ailleursDu G^rgias antrieure, chez Platon, la Rpubliquean Sopluste et au . . j, 1 ^ 11 PoliUaue elle-mme et, ds le Uorgias, elle aime se prsenter sous forme de dichotomiesrigoureuses, dans la division des arts (45o c), dans la dfini-tion de la rhtorique comme art de flatterie (463 sq.). Mais,dit-on, cette dernire division du Gorgias est totalementcommande par des considrations de valeur : Ce quidtermine la place hirarchique de chaque science, c'est lebut qu'elle poursuit, bien ou plaisir, et c'est la connaissancequ'elle a ou n'a pas de ce Bien, fin de l'action . Le Sophiste jau contraire (227 b/c), dclare que toute considration devaleur est trangre la dialectique * . Ajoutons que le Poli-tique rappelle expressment cette dclaration du Sophiste etla fait sienne (266 d). Mais quel sens a-t-elle ? Celui-ci :quand nous cherchons les espces de la cathartique, peu nousimporte qu'un art ait un nom plus ou moins relev, qu'ilemploie, par exemple, l'ponge ou la potion et qu'il ait unplus ou moins grand degr de bienfaisance ; du moment

    I. Stenzel, art. Logik dans Real. Encjciopdie d. Cl. Altertum-^-issenschaft (iF), XIII, i (1926), col. 1007-1010, o il croit(^Zahl a. Gestalt, p. i45, n. i) avoir rfut Tavance le rapproche-ment que fait Friedlnder (Platon II, p. a56, n. i), entre cettedivision da Gorgias et les dichotomies du Sophiste et du Politique.

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    NOTICE xxiiiqu'il purifie, il rentre sous le genre des arts cathartiques. Demme, l'art du tueur de poux rentre dans les arts de lachasse au moins au mme titre que l'art du stratge Soph,] b). Enfin, l'oie est un bipde au mme titre quel'homme, et le gardeur d'oies a le droit, sous ce rapport, deconcourir avec le Roi {Polit. 266 d). Est-ce que cela empchele Sophiste, quand il veut prcisment dfinir la cathartique,de diviser l'art de trier en deux espces, dont l'une spareseulement le semblable du semblable, alors que l'autre sparele meilleur du pire et mrite ainsi le nom de purificatrice(226 c/d) ? Est-ce que le mme dialogue -ne dfinit pas lesophiste comme un fabricant d'illusions, comme un imitateurque ne guide pas la science, un doxoniime (267 e sq ), aprsqu'il l'a prcisment dfini comme une contrefaon de purifi-cateur (aSi a sq.) ? C'est de la mme manire que, dans leGorgias, mdecine et gymnastique, justice et lgislation sedoublent chacune de leur contrefaon, et ce qui caractrisechacune de ces contrefaons, c'est qu'elle est routine et nontechnique, c'est qu'elle ne connat ni la nature du malade nila nature du remde et ne saurait dire pourquoi elle appliquetel tel. Prsence ou absence de la science, voil ce qui, enralit, dans le Gorgias comme dans le Sophiste, fait de telleactivit une technique vritable et, de telle autre, une contre-faon routinire, et cre par l, entre les deux, une opposi-tion de valeur. Comment la notion du bien rel ou du bienillusoire (tou peXxtaTou, tou TjBt'dxou Gorg., A64 d. to {liv^^epov oi-KO peXtiovo Soph. 226 d sq.) n'apparailrait-elle pasncessairement l o il s'agit de techniques destines entre-tenir ou rtablir un tat normal, une sant du corps oude l'me ? Comment, d'autre part, ne voit-on pas que lePhdre, au moment o il veut sinon couvrir, au moins ornerde l'autorit d'Hippocrate la mthode platonicienne d'analyseet de synthse, se replace exactement dans cette oppositionentre technique et routine o se plaait le Gorgias, et fonde,prcisment sur la ncessit o sont mdecine et rhtoriquede savoir pourquoi elles appliqueront tel corps ou telleme tel remde ou tel discours (270 b), l'exigence d'uneclassification exacte, appuye sur l'examen rigoureux desnatures (corps-remde, me-discours), de leur simplicitou composition, de leurs proprits respectives et de leurmutuelle action (270 d-271 a/b) ?

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    XXIV LE POLITIQUELa dialectique, art du dialogue, c'est--

    et dcbotomie. ^*^' ^^^^^ chercher deux, ou, si l'onveut, art de penser deux, puisque lapense solitaire est elle-mme, pour Platon, un dialogue(Tht. 1896-1903, Soph. 263 e sq.) a trouv, dans sa propreexprience, dans le dveloppement mme de son effort essen-tiel et dans les problmes que suscitait ou que rencontrait ceteffort, la source de ses dcouvertes successives. Sa loi suprme,progresser dans la recherche en conservant ou rtablissantl'accord en soi ou entre soi, lui a fait dcouvrir la condition decet accord dans la dfinition initiale ou finale, et la conditiond'une dfinition stable dans l'existence de ralits la foispermanentes et distinctes, qui sont les tXlr^ twv ^vtcv, typesde structure, essences constitutives. A la permanence etla distinction tait li le double mouvement de (ruvdfyeiv et deSiatpeTv. Que ce Btaipev ait tendu spontanment la dicho-tomie, au 5(;^a ScaipeTv, comment s'en tonner dans une phi-losophie qui se dfinit essentiellement par le dualisme me etcorps, intelligible et sensible, ralit et apparence ? N'est-cepas d'ailleurs toute pense qui obit spontanment cette loid'antithse dichotomique, par o l'esprit semble vouloir pro-longer le plan de symtrie sur lequel est bti le corps * ? Lesvers de Parmnide et d'Empdocle sont tisss de telles anti-thses, et les oppositions pythagoriciennes, qui rangent droite tout ce

    quiest meilleur (Arist. fr. 200 R.), nousexpliquent mme l'estime prfrentielle que Platon accorde,dans la division dichotomique, la progression xar toicISs^ {Soph. 264 e). Notre systmatique moderne, en bota-

    nique, en zoologie, ne poursuit-elle pas, aussi loin qu'elle lepeut, cet effort de classification dichotomique ? GommePlaton, elle n'abandonne qu'en disant : xar (xiXYj to''vuv...,s7tei8T| otya SuvaTou{Aev. Mme aprs avoir dit cela, Platonn'en reviendra pas moins naturellement la dichotomie dsqu'il en trouvera l'occasion ; il la pratiquera concurremmentavec la division en trois, en quatre, dans le Time, dans lesLois, et mme immdiatement, dans le Philbe, o noustrouverons pourtant le commentaire le plus prcieux de cettedivision dans le nombre le plus proche laquelle se

    I. Phhdre, 265 c: oiaTzp s a(o;jLa-co Iv BtzX xai jAoSvujiaisifuxtj axata, xx 8 Sei x>.r,0ivca xtX.

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    NOTICE XXVrange, faute de mieux, le Politique *. Ce qu'il y a de nouveaudans le Sophiste et le Politique , ce n'est donc ni la divisionpar espces, ni la division dichotomique ; c'est l'utilisationsystmatique de la dichotomie en vue de la dfinition, c'estla continuit rigoureuse avec laquelle se dveloppent lesdivisions, ce sont les rgles expressment formules, dansnotre Politique, pour justifier cette rigueur, c'est le privilgeen vertu duquel cette mthode dichotomique concentre enelle-mme et semble, au moins momentanment, monopo-liser son profit les vertus et les prrogatives de la dialectiqueplatonicienne.

    Or, des privilges et des monopoles de cette sorte marquenttous les tournants de l'volution de la dialectique. Dans leCratyle, la fonction saillante du dialecticien est de diriger etde juger le travail du lgislateur dans l'institution des noms(Sgo c), parce que le problme rsoudre est de savoir si lascience n'est pas toute faite dans le langage et si la texturemme des mots n'impose pas, par exemple, la conceptiond'une nature essentiellement fluente. Dans la Rpublique,elle est de synthtiser ce que les diverses sciences ont devertu ascensionnelle, de prolonger et d'achever leur lan versle Bien, et le dialecticien est dfini par cette vue synthtique(6 (xv Y^p ffuvo-jcTtxo SiiXexTixd, 587 c), parce qu'il s'agitde former des chefs d'tat et de tendre toutes leurs puissancesvers l'ultime fin de tout acte et de tout tre. Si, dans lePhdre, se trouve la description la plus labore et la plusprcise que Platon ait jamais donne de sa mthode dialec-tique '^, c'est que Platon veut substituer, la psychagogie queprtend tre la rhtorique, sa psychagogie lui, fonde sur lascience et l'amour du vrai, et que, pour cela, il transpose sonpropre plan la thorie oratoire du xoL'.p6;, l'appropriation desFoYi Tojv Xdvoiv aux personnes et aux circonstances, et, s'aidantdes mdecins, s'aidant surtout de lui-mme, transforme desprocds de ttonnement et de flair en une mthode scienti-fique de division et de synthse. A cette leon de mthodeles discours servent de paradigmes et, par suite, sont pleins

    a. Comparer Politique 287 c et Philebe 16 d (voir notre note, icip. 49). Nous aurons bientt l'occasion d'tudier la dialectique dansle Phillbe.

    I. L. Robin, Platon, t. IV, 3, notice, p. clhi.

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    XXVI LE POLITIQUEdes dfinitions et divisions que prne avec une telle insistancela thorie. Si le cadre du Sophisie est fait de dfinitions parliminations successives, si ces liminations se font par divi-sions dichotomiques, en laissant gauche, sous chaque genre,tout ce qu'exclut la diffrence constitutive de l'espce, c'est que,nous l'avons vu, le Sophiste avait tablir, contre une ris-tique issue principalement de l'latisme, la possibilit del'assertion fausse, qui dit tre ce qui n'est pas, et pour cela, ramener la notion de non-tre celle d'altrit : aucunedtermination ne s'affirme sans se distinguer, sans nier desoi ce dont elle se distingue, et les dichotomies qui sparentle genre en deux diffrences mutuellement contradictoiressont l'illustration anticipe de cette thse. Si le dialecticienest dfini celui qui sait discerner quels genres sont suscep-tibles, quels genres sont incapables de s'associer mutuelle-ment, 7) Te xoivtovev Svaxai xal Sizxi H-"'! Biaxpiveiv xarYevo (353 d/e), c'est qu'il a fallu, pour prparer cetterduction du non-tre l'autre, montrer que les genressont, comme les lettres de Talphabet, soumis des relationsdfinies *. Un systme des genres est donc possible, et, danschaque domaine particulier de la science, aussi bien que dansla totalit idale de la science, les classifications reprsententde tels systmes ^.

    Il n'y a plus de dbat sur le non-treLes exercices ^^^^ |g PoUtique, mais ce dialogue estde classification . . .. . i-/ , ,1 >!dans l'Acadmie. ^' mtimement n au prcdent qu il enconserve naturellement le cadre etl'esprit. Un esprit la fois scienti6que et scolaire : ici commel, les classifications dichotomiques sont expressment pr-sentes comme des exercices d'entranement dialectique.Assouplir le disciple, le rendre apte discuter correctement tous les problmes possibles (286 d/e), tel est le butdclar, et nous pouvons croire que les exercices quotidien-

    I. Cf. A Dis, Notice au Sophiste (d. Bud, iga), p. 278-380,et La Dfinition de l'tre et la nature des ides dans le Sophiste dePlaton, Paris, 1909, p. a-6, 107-1 15 ; Autour de Platon, p. 491 et suiv.

    a. Cf. Stenzel, RE, XIII, i, col. loio ; Studien. p. 4i/2, 5a etsuiv. Quelles que soient ses obscurits et ses outrances, Stenzel a eule grand mrite de montrer la porte gnrale de cette mthode declassification.

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    NOTICE XXVIInement pratiqus l'Acadmie comportaient une grandediversit de matires. Mais, quand nous voyons Aristoie, audbut mme du De Partibus animalium^ critiquer la dichotomietelle que certains la pratiquent et telle que la contiennent les divisions crites , nous ne pouvons gure ignorer qu'ilvise l'Acadmie et que les espces de tableaux muraux dsi-gns sous ce nom de ^tfpaKii.i'^ci.i Biaipcei; servaient deguides ou de mmentos des exercices qui avaient souventpour objet des classifications d'animaux ou de plantes.Thompson le premier, puis Campbell, et bien d'autres aprseux, ont relev, ce propos, le fragment du comique Epi-crate cit par Athne ^ Cette scne plaisante nous montre

    I, Athne, II, 69 d (vol. I, p. 189, Kaibel) :T nXotTWV

    Kp Tiai vuVI SiaTpt'Couatv ;Tzoia povTt, roio 8 Xyoi

    *

    $tEpeuv-:ac Tcap TouTOcatv ;xiSe [LOI 7:tvuTt3, et ti xaT6t8tTjxei, Xiov, jzpoi rS...B. 'AXX* oT8a Xytiv mpi tve oaw*IlavaTivatot yp fwv iyiXrjv[Utpaxi'tov...Iv YUjivaaioi 'Axa8r)(jL/arjxouaa Xd^wv saxtov, xoTcwv.Ilep yp uaeto opi2^0}jLvot,8t6)(^(jSptov aitov re pli'ov8^v8p(i>v -ce )\iatv Xa)(^v(ov le y^vt)*xax* v TOiJTor tt|v xoXoxuvTr|VTjxaov Tivo ioil ^vou.A. Kat Tt 3cox' ap' wptaavTO xat xtvo yivoufTvat TO uTov ; BrJXtoaov, et xxotaO Tt.B. IIpaSTtaxa [jlv (ouv) Tiavxe; avauotxdx' caxTiaav xai xu(];avxe*^pdvov ox Xi'yov 8t69pvxtovxax' avTj, Ixi xu^xdvxwvxat Ctjxojvxoov xtSv jxetpaxtwv,Xdt)(^avdv xt esT) axpoYyjXov elvat,Tcot'av 8' XXo, 0v8pov 8' 'xspo.Tauxa 8' xoutov faxpd xtStxeX caz yaxaxirap8' axtv w; XTjpovxwv.A. ^H ::ou Seivw )pYt

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    XXVIII LE POLITIQUEles jeunes gens de l'Acadmie s'exerant, sous la surveil-lance de Platon, diviser par genres les animaux, les arbres,10 Yp v Xhyai f TataSe -\- xotaura noiiv riptizU.B. 08* |jL^XTi

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    NOTICE XXIXles... lgumes, et cherchant, en particulier, quelle famille(yvo) se rattache la citrouille. Les mots typiques de la languedes dialogues, qui sont d'ailleurs les mots de la languecommune, simplement spcialiss par l'usage dialectique, seretrouvent ici dans une srie impressionnante : Biarpiouaiv...BiepeuvTat... irepl cpudeco cpopidfxevot... Sie^'topiov (Xaj^vtov)fvTi;.. (t7)v xoXoxuvTTjv) cpopt'Ceffai Tt'vo aTt y^vou...BiVipouv. Speusippe et Mndme professent ct de Platonet sous sa direction, et cela nous porte une date o Speu-sippe devait tre au moins dans sa quarantaine, donc aprs367, l'poque o Aristote est sur les bancs de l'Acadmie,l'poque aussi o nous devons supposer que se succdent leSophiste et le Politique. Mndme dut rformer selon l'espritplatonicien la constitution de sa patrie, Pyrrha ; on ne nouscite rien de lui qui nous rappelle cette autre proccupationdu Politique ; les exercices de classification. Mais, pourSpeusippe, un simple coup d'il sur la nomenclaturede ses uvres et les quelques fragments qui nous enrestent nous montre que celte proccupation tait essen-tielle *. De ses "Ofxoia en dix livres. Athne nous cite,pour le second livre, toute une srie de noms de planteset d'animaux qu'il classait suivant leurs ressemblances^, et lesautres livres devaient classer de la mme faon des matiresaussi diverses que celles qui remplissent les divisions duSophiste et du Politique. Quand on voit que ce second livre etYHistoire des Animaux d*Aristote numrent souvent, sousles mmes classes, presque toutes les mmes espces^, on ne

    1. Cf. P. Lang, De Speusippi academicis scriptis accdant fragmenta,Bonn 191 1. Pour les "Oi^ota, voir p. 57-60 le texte des citatioHsd'Athne ; p. i5-ai, le commentaire de Lang ; p. 21-26, les autrestraits dialectiques : Ataip(7Tt( xa r.po z o[t.oia dizoUati, ltplY8V(3v xai eSiv TcapaSgiYfxotTtov, "Opot xtX.

    2. Stenzel insiste avec raison {RE. III. A. 2, art. Speusippos,surtout col. i64i et suiv.) sur l'troite parent qu'il y a entre ces0(xoia et le rle que joue cette ide de ressemblance ou dissemblancedans notre Politique (278 b, 285 a-e), mais aussi dans Soph. 281 a,Phdre 261 d-262b, Parm. 127 e sq., Protag. 33i d, Tht. i54 a,Philbe i3 c ; on pourrait aussi bien en appeler Cratyle 386 d-e, hRp. ^54 c, et tant d'autres textes o s'exprime le double principede permanence et de distinctiony critre de sparation entre la dialec-tique et l'ristique.

    3. Cf. Lang, p. 8-i5 ', il conclut : satis magnam inter Aristoteli

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    XIX LE POLITIQUEsaurait mconnatre tout ce que ces exercices dialectiques de l'Acadmie ont prpar de matire autant que de mthode la science aristotlicienne.

    IVLE MYTHE

    Il y a, dans le mythe du Politique f trois fables entremles:une fable cosmique, une fable anthropologique, une fablesociale.

    La fable cosmique est celle des deux cycles alternants. Ellese fonde sur l'opposition, essentielle au platonisme, entrel'lment divin immuable et l'lment corporel, sujet auchangement. Si beau que soit le Ciel ou Monde, engendrpar Dieu, la Rpublique nous a dit (53o a/b) que, matriel etvisible, il ne pouvait avoir un mouvement parfaitementrgulier ; et le Time (36 c/d) dcomposera ce mouvement endeux cercles qui se croisent et que parcourent les deux rvo-lutions opposes de la substance du Mme et de la substancede l'Autre. Ces deux mouvements qui se croiseront dans leTimef Platon les fait ici se succder priodiquement* : tanttDieu conduit le monde en lui imprimant une rotation directe,et tantt il le laisse aller. Le monde alors tourne sur lui-mme dans le sens oppos sa premire rotation et poursuitce mouvement inverse jusqu' puisement: ainsi garde-t-iiencore, par la continuit de cette marche rebours, toutel'uniformit compatible avec son altrit et immutabilitnative, mais celle-ci peu peu reprend le dessus et le feraitsombrer dans un ocan de dissemblance, si Dieu ne le repre-nait en main pour le relancer dans son mouvement direct.et Speusippi animalium ordines simllitudinem intelleximus inter-cdera ita, ut saepius in iisdem ordinibus eaedem fere animaliumspecies ab utroque enumerentur , et ajoute que ces ressemblanceseraient videmment multiplies si nous possdions tout Speusippe.

    I. J. Adam (The Republie of PL II, p. 207-8, note, et p. 296-aoa) jai voulu retrouver, dans ces deux cycles, les deux harmonies dunombre gomtrique de Platon. Or, ce nombre est seulement celuide la gnration humaine. Cf. A, Dis, Le nombre nuptial de Platon,C. R. Acad. Inscr. igSS, p. a28-a35.

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    NOTICE XXXIOn a tent d'expliquer de bien des manires ce double mou-vement cosmique, mais une seule explication est vraimentsatisfaisante. Platon nous dit que le monde parcourt uncircuit rtrograde pendant des milliers et des milliers depriodes, parce que sa masse norme tourne en parfaitquilibre sur un pivot extrmement petit (270 a).P. M. Schuhl, s'appuyant surcette indication, sur l'allusiondenotre dialogue aux, images fabriques qui facilitent les d-monstrations (277 e, 285 a) et sur les modles mcaniquesdont A. Rivaud nous a si savamment rvl l'emploi dans leX* livre de la Rpublique et dans le Time^, a trs beureuse-ment conclu que Platon a ici en vue un appareil reprsen-tant les mouvements du ciel, bien quilibr et mobile sur unpivot' . L'appareil, suspendu par le haut un crochet, estmis en mouvement la main, par un geste a analogue celuides Moires dans la Rpublique . Pendant qu'il tourne, le filqui le suspend se tord. Quand la main s'carte, le fil tend se dtordre : le mouvement initial se poursuit pendant quel-que temps, puis aprs un moment de trouble, o les deuximpulsions s'opposent (272 e-273 a) , l'appareil commencede se mouvoir dans le sens rtrograde et y persiste trs long-temps, en vertu de sa masse quilibre sur une base trspetite''. Mais Platon se garde bien d'arrter notre esprit sur untel mcanisme : Ce n'est pas le dessin ni une reprsen-tation manuelle quelconque, c'est la parole et le discours quiconviennent le mieux, ds qu'il s'agit d'exposer un sujet vi-vant des esprits capables de suivre. Aux autres seulement,il faut une reprsentation matrielle (277 c). Aussi, l'es-sentiel pour lui tant l'opposition des principes intelligible etsensible et les consquences de leur domination successive, nese prive-t-il point de mlanger les images, pourvu qu'ellesconviennent son but. Le monde est un vaissau, ledmiurge est son capitaine, qui, tantt, lche les commandesdu gouvernail et, du poste o il s'est retir, surveille lesvicissitudes du mouvement rtrograde, tantt, voyant ledanger extrme, se rassied son gouvernail, redresse le

    1. A. Rivaud, tudes platoniciennes, I (Revue d'histoire de la phi-losophie, II, I (igaS), p. 1-26).

    2. P. M. Schuhl, Sur le mythe du Politique (Revue de Mjtaphy-sique et de Morale, XXXIX (ig32), p. 47-58).

    3. Ib., p. 5o/i.

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    XXXII LE POLITIQUEvaisseau elle remet dans sa route, de peur qu'il ne se disloqueet ne s'abme c dans l'ocan sans fond de la dissemblance .En de telles images se poursuit l'opposition du sensible et del'intelligible, du principe corporel inhrent au monde et duvou; xu^epvYjTTj qui le dirige, du dsordre essentiel la matireencore prive de Dieu et de l'ordre cosmique dont Dieu estl'auteur ; de l'infinie dispersion o s'miette l'allrit, et del'Un qui la rassemble et la limite'. Nous percevons ainsi, dansle mythe cosmique, les sons les plus profonds de ce perptueldiscord, de cette oscillation entre l'un et le multiple, entre lesemblable et la dissemblable, dont se composera l'accordmouvant et vivant que ralisent, dans notre dialogue, et lascience dialectique et l'art du tissage et l'art de ce royal tis-serand, le politique.La fable anthropologique est celle des origines humaines,doubles comme les cycles. Empdocle, que Platon transposeici en plusieurs endroits, de mme qu'il annonait deuxpriodes successives, de l'Un au multiple et du multiple rUn, annonait aussi, pour les choses mortelles, une doublenaissance, un double vanouissement' . Des mondes nepouvaient natre videmment, dans son systme, qu' mi-chemin des deux cycles, quand ni la Haine ni l'Amour n'ontencore achev leur uvre de dispersion ou de runion totales.Le monde de la Haine se formait donc dans la descente derUn au multiple, et celui de l'Amour dans la remonte dumultiple l'Un. Les fragments que nous avons sont trop dis-

    1. Pour le voj xuepvrjTrj, cf. Phdre a47 c ; pour le monde privde Dieu, Polil. 378 b et Time 53 b ; pour l'altrit-dispersion, notrenote I, p. 3o.2. Cf. fragment 17 (Diels, Vorsokratiker^ y p. 3i5):

    i'kX* p^to* to'tc (jlv yp Iv T)$rJTi {xo'vov eTvatIx TcXedvtuv, TOX6 8* au Btu 7:Xov' v c!vi5oti) Se 6v7)Tv Y^vcfft, Soij 8' aitokti^i.

    Sur les rapports entre Empdocle et le Politique, voir surtoutE. Bignone, Empdocle, Turin, 1916, p. 2i3 et suiv.. aSi etsuiv.,588. P. Friedlnder, Platon I. Berlin-Leipzig, 1928, p. 287 et n. i,insiste sur quelques concordances prcises, sans connatre Bignone.Sur les sources gnrales du mythe du Politique, cf. P. Frutiger, Lesmythes de Platon, Paris, 1980, p. a4 1-244 qui ignore aussi Bignone,mais marque bien (p. 2^2, n. 1) les diffrences essentielles entreEmpdocle et Platon.

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    NOTICE xxxiiiperses pour que nous puissions dire quel moment et dequelle faon naissaient les hommes dans chacun de ces mondestrs diffrents, et c'est souvent en s'aidant du Politique mmeque les rcents historiens du pote d'Agrigente ont essay declasser les tapes de sa description *. Platon, lui, n'oppose pasdes cycles de naissance du monde, mais des cycles d'histoiredu monde: ce qui l'intresse immdiatement, c'est l'opposi-tion de mondes humains. Toutefois, l'un de ceux-ci corres-pond nettement au monde de la Haine d'Empdocle et l'autre,au monde de l'Amour, car, si Platon refuse d'attribuer cesrvolutions alternantes et-contraires je ne sais quel couplede dieux dont les volonts s'opposeraient (269 e), il ne lescaractrise pas moins l'une et l'autre soit par l'absence, soitpar la prsence et la direction de Dieu. Or, le monde d'oDieu est absent est, tout cx)mme celui de la Haine, le mondeo nous vivons ou tout monde qui le reproduira dans la suc-cession indfinie des cycles. Quand le mouvement se renverse.Dieu reprenant la direction, la rvolution produite par cetterpoTr/j arrte un instant le cours de croissance des vivants,puis dtermine une croissance rebours, qui, ramenant peu peu la poussire et l'vanouissement total tout ce qui sur-vivait du cycle prcdent, fait place nette pour la gnration venir. Or, celle-ci doit, par dfinition, sortir adulte de laterre, et nous n'avons pas besoin de chercher d'autre explica-tion ce rebroussement de la croissance et ce rajeunissementprogressif dont l'aboutissement est la tombe, que la ncessito tait Platon de faire, de cette tombe, le berceau ou pluttla matrice des yr^f&^ti^'^. Aucune des sources historiques in-voques par les commentateurs ne s'impose. Les 4tX'7:7tixal

    I. Voir, en particulier, dans Bignone, Appendice II, Cosmogonia Zoogonia di Empedocle, et, pour les concordances avec Platon, ib.,p. 587/9. Sur cette double zoogonie, voir aussi A. Rivaiid, Recherchesor l'Anthropologie grecque, 2" article (Revue Anthropologique, XXI(191 1), n 13, p. ^60 et suiv.); J. Burnet, Aurore de la Philos, gr.(tr. Reymond) Paris, 1919, p. 276 et suiv. P. Tannery (PourVhistoire de la science hellhne, 2^ dit., 1980, p. 3 18), n'admet qu'unmonde unique.

    a. Il a compt cette lgende, des le dbut, au nombre des pisodesen lesquels s'est fragment le grand mythe ("268 c-209 b), etnote plus loin (37 1 b) l'troite connexion entre cette inversion de lacroissance et la naissance des "^i^ivgX. iX. I. c

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    XXXIV LE POLITIQUE*I

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    NOTICE XXXVIl est, d'ailleurs, tout fait improbable que les Fils de la

    Terre aient jamais pu natre, dans le mythe platonicien, avec des tempes blanches . N'est-il pas plus naturel depenser que la vieillesse misrable sur eux ne pesait pas * ?Ne doivent-ils pas, se rglant sur le nouveau train del'Univers , qui est l'inverse du train actuel, suivre aussi uncours de vie inverse de celui que suivent les hommes de notremonde (27A a)? Alors, ns adultes, comme les (jTcapTot deCadmos, ils progressent rebours, redeviennent jeuneshommes, puis enfants, puis tout petits enfants et, enfin,poussire, .d'o renaissent de nouveaux adultes^. Ainsi l'oncomprend que s'engendrer les uns les autres leur soit tout fait impossible (271 a).On comprend aussi, dans ces conditions, ce qui leur arrivequand le mouvement du monde se renverse une nouvelle fois,et que, cessant d'tre m directement par Dieu, le mondecommence de tourner dans le sens rtrograde (272 e et suiv.).Une secousse violente marque d'abord ce passage d'un sens l'autre, et fait ravage parmi les vivants de toutes les espces.Puis la marche des ges s'arrte, pour repartir dans un senscontraire celui qu'elle suivait. Et qu'arrive-t-il ? a Les vi-vants que leur dcroissance avait rduits presque rien seremettent crotre : donc, pour les vivants du monde queDieu guide, la marche directe des ges tait la dcroissance.Alors, prenant le rebours de cette marche directe, les corpsnouvellement ns de la terre se prirent grisonner, puis dprir et se reperdre dans la terre . C'tait, pour desadultes, la faon la plus rapide d'aller la limite et de dis-paratre, pour faire place au nouveau train de vie. Car lenouveau train de vie est dj commenc, et c'est le ntre, celuique nous sommes naturellement ports regarder commedirect, et qui, en fait, est rtrograde pour le mythe platoni-cien, comme le mouvement cosmique dont il est l'image.L'humanit nouvelle s'accouple, enfante, nourrit : elle estdevenue autonome et responsable, tout comme le monde'.

    I. Owe Tt 5eiX6v y^pa; Tc^v, Hsiode, Travaux et Jours, trad.Mazon (igaS).a. Campbell (p. 68) dit de mme already fiill-grown . Voiraussi Rodier, Etudes de Philos. Gr., p. 3i.3. Kaanep xw xdajiti) TrpoaeTlTaxTo aToxpatopt elvat x. t. X.(274 a).

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    XXXVI LE POLITIQUELa troisime fable est celle des deux humanits primitives :

    celle de l'ge d'or ou r^ne de Cronos, et celle qui vit au d-but du rgne de Zeus ; l'une avant la chute ; l'autre, aprs lachute'. La premire est rgie directement par Dieu, qui,confiant des dieux ou gnies divins le soin des dilrentesrgions cosmiques et des diffrents genres ou troupeaux devivants, garde naturellement la surveillance d'ensemble, maisaussi le gouvernement particulier du troupeau humain. C'estla paix idyllique parmi les animaux comme parmi les hommes,et, pour ceux-ci, c'est la vie de nature pure. Pas de constitu-tion politique; pas de possession de femmes ni d'enfants,puisque la seule maternit est celle de la Terre ; pas de tra-vail, puisque la terre produit tout d'elle-mme, profusion;pas de maisons, puisqu'il n'y a pas de saisons qui ne soientparfaitement tempres ; pas de craintes, puisqu'il n'y h niguerres ni animaux sauvages, et qu'hommes et btes s'entre-tiennent fraternellement (272 a-c). La seconde sorte de vieprimitive est celle qui s'tablit avec le mouvement autonomedu monde. Les hommes se trouvent tout coup devant celtechose pour eux jusqu'alors inconnue : la ncessit (/peia).Les dieux ne les paissent plus. La nature est dchue, nue,hostile; il faut la cultiver et la dompter, et l'homme doitfaire comme fait maintenant son ge : crotre, progresser, oumourir. Mais les dieux ont piti ; ils donnent et les premiresleons et les premiers secours : le feu, les techniques, lessemences (274 a-e).

    Il est facile de trouver, dans la littrature antrieure, desparallles plus ou moins complets ces deux tableaux : larace d'or d'Hsiode et sa cinquime race, qui transposent djde vieilles traditions ; les deux vers de Xnophane, le Prom-ihe d'Eschyle, le Mixpo Biaxo

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    NOTICE xxxviique nous offrent les Lois^ aux. livres III et IV. C'est dans lelivre IV qu'apparat le rgne de Gronos (718 b-714 b): desdmons, race plus divine et meilleure que les hommes, gou-vernant les cits humaines, comme les hommes, race animalesuprieure, gouvernent les troupeaux de bufs et de chvres ;sous ce gouvernement, la terre produisant tout d'elle-mmeen abondance, et le monde vivant en paix, dans la justice, lalgalit, la pudeur. En somme, un extrait de notre mythe duPolitique^. Mais, au dbut du Livre III, les Lois nous offrentun autre tableau : la civilisation dtruite priodiquement parde grands cataclysmes ; quelques ptres rfugis sur leshautes montagnes, avec leurs familles et de maigres trou-peaux ; tout le pass englouti, aucune technique ni aucuninstrument ne survivant, les mtaux inconnus, les hommesvivant par petits groupes familiaux isols. Mais, dans cettevie rudimentaire, aisance matrielle large pour des besoinsnon dvelopps, murs pures parce qu'il n'y a ni pauvretni richesse, et parce que l'innocence de l'esprit garde inbran-le la foi dans les grands principes religieux et sociaux (676a-679 e) ^. Et le dveloppement de cette vie patriarcale se pour-suit jusqu'au groupement des familles, la naissance des lois,igi4) commentaire, p. 57-76. Pour toute la srie des uvres sur cethme, cf. W. Nostle, Spuren der Sophistik bei Isocrates (Philologus,LXX, I, igii, surtout p. 24-29) et Platons ausgewhlte Schriften,IV, Protagoras, 7^ dit., igSi, qui donne, en appendice l'intro-duction, les textes parallles au mythe de Protagoras ; A. Rivaud,Recherches sur l'Anthropologie grecque (i*' art. Rev. Anthropol. XXI,5, p. i5i-i8i); Uxkull-Gyllenband, Griechische Kulturentstehungs-lehren, 1934 ; P. M. Schuhl, Essai sur la formation de la pensegrecque, Paris, 1984, p. 347 et suiv.

    I. Mme extrait, plus court, dans Critias, 109 b/c: les dieuxpaissent les hommes comme ceux-ci paissent les animaux, non toute-fois par le fouet, mais par le gouvernail de la persuasion, olov olaxcgtGo ; les hommes autochtones (109 d). Sur les ressemblancesverbales avec le Politique, cf. Friedlnder, Platon, I, p. 286.

    a. Le Critias, ayant mentionn les autochtones, passe aux cata-clysmes, au recommencement forc qui les suit (109 e-iio a), etnous peint la vie fruste des montagnards qui survivent, l'esprituniquement tendu vers la satisfaction de leXirs besoins . Cf. Rivaud^Platon, t. X, p. 258. Mais la Rpublique (871 b-872 d) donne, auxhommes de sa cit primitive, la mme vie frugale et heureuse que leLois donnent aux hommes de l'poque patriarcale.

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    xxxviii LE POLITIQUEdes villes, la grande guerre et aux troubles qui en sont lasuite, aux origines lgendaires des trois grands Etats de Lac-dmone, Argos, Messne. Alors seulement, on quitte le terraindes hypothses et des lgendes, et l'on entre dans le rel etl'historique : lars. o itept xevdv ti 2i7iTT,

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    NOTICE xxxixtableau de la Cit saine. C'est que Lois et Rpublique opposentl'innocence heureuse d'une socit rudimentaire au troublemoral qu'veille la civilisation, alors que le Politique oppose, la vie d'une humanit dont Dieu est le pasteur, la vie d'unehumanit laisse elle-mme, et met naturellement en reliefla misre inhrente tout monde et toute socit d'o Dieuest absent .

    Mais la comparaison la plus intressante est faire entrePolitique 272 a-c et Lois 718 c-714 a, peignant tous les deuxl'ge de Cronos. Si les deux tableaux sont les mmes, en ef-fet, le commentaire qui les accompagne diffre quelque peude l'un l'autre. D'abord, la question est pose, dans lePolitique^ de savoir si les hommes du temps de Cronos taientplus heureux que ceux d'aujourd'hui. Quelle est la rponse?Que tout dpend de l'usage qu'ils ont fait de leur loisir. Uleur permettait ce de dialoguer entre eux et avec les btes, SiXoywv ffuYY''^^'^^*' * L'ont-ils fait de faon philosophique,cherchant progresser ls uns par les autres, accrotre letrsor de l'humaine sagesse (272 b-d) ? C'est--dire, ont-ilspratiqu la dialectique ? Voil nou, dans une parenthse bienintentionnelle, le fil qui relie notre mythe aux exercices etquestions dialectiques dont il est prcd et suivi, aussibien qu' ce critre de gain dialectique auquel on mesurerala valeur du prsent dialogue t de tout autre dialogue (286c-287 a).Un autre fil relie le mytheau problme politique , savoir cetteleon qu'on tire expressment, que la dfinition du roi commepasteur d'hommes s'applique seulement aux pasteurs divins durgne de Cronos (276 c). Ainsi est rejete dans la lgende cetteimage du Roi-Pasteur, classique depuis Homre. Mais, dansles Lois, le mythe est prcd de deux dclarations. La pre-mire est que la meilleure constitution politique de l're pr-sente sera celle qui reproduit l'image de ce gouvernement despasteurs divins (718 b). Que manque-t-il donc ce gouver-nement divin, dans le mythe du Po/i/igae, pour tre le modled'une constitution humaine idale ? Le Politique nous l'a dit :qu'on y cultive la raison et la dialectique. Or, Platon a des-sin, dan& la Rpublique^ une telle constitution idale, o lesgouvernants, forms par cette culture rationnelle, modlentla Cit sur le paradigme cleste, et le Politique lui-mme,parmi toutes les constitutions humaines, en mettra une

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    XL LE POLITIQUEpart, qui, dira-t-il, est comme un dieu parmi les hommes(3o5 b). La seconde dclaration est celle-ci : Saturne n'a eurecours aux pasteurs divins que parce que nul homme n'estcapable d'administrer en matre absolu les affaires humainessans se gonQer de dmesure et d'injustice (718 c). Or, lePolitique nous le dit lui-mme, non propos du mythe, mais propos des constitutions imparfaites : elles ne sont nes quede la dfiance des hommes, qui ne peuvent croire que lemonarque absolu soit capable de gouverner sans tyrannie(3oi d). Enfin, le mythe des Lois se termine en transposantcet idal du gouvernement divin : il n'y a de salut pour lesCits que si elles l'imitent autant que possible, c'est--dire sielles obissent ce qu'il y a d'temel en nous et prennent pourlois les commandements de l'intellect: rriv xoZ vou 5iavo(jL7jVeTcovojx^ovTa; vojxov (71 4 a). Et le Politique va nous dire:ce qui vaut mieux que la loi, c'est la raison incame dansle Roi idal (o toj vdfxou, XX' avBpa rbv (xeri cpp&v-/,ffeo>paai/ixov, 394 a); mais, son dfaut, l'unique salut des Citssera de copier de leur mieux et de transcrire en lois intan-gibles les prescriptions de ce gouvernant idal (297 d et suiv.)Nous n'aurons pas besoin de rclamer l'indulgence pourcette longue comparaison entre le Politique et les Lois, si nousavons par l russi faire entrevoir au lecteur comment, dansnotre dialogue, fable et dmonstration logique se compn-trent. Si la distribution de la doctrine entre les deux n'est pasla mme dans les Lois et dans le Politique^ si celui-ci rserveuniquement la dmonstration logique certains traits queles Lois vont incorporer dans la fable, c'est que, dans e Poli-tique, Platon doit discuter et batailler, batailler avec lui-mme, tout le premier pour tablir ces traits de doctrine.Mais la fable les prpare et les contient en puissance. Platona plac l cette fable comme un repos au beau milieu d'exer-cices logiques abstrus. Naturellement, il lui plat de s'en ex-cuser par la suite, et de la trouver trop dveloppe pour laleon qui est cense en tre l'unique but (277 b, 286 b).Naturellement aussi, certains critiques ont eu plaisir leprendre au mot et pensent qu'on et mieux fait de prouver,en quelques lignes et sans tout ce dploiement, que la dfi-nition du Roi comme pasteur d'hommes tait trop large *.

    1. Par exemple, W. Willi, \ersuch e'mer Grundlegung der plato-

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    NOTICE xLiD'autres se sont vertus autour de la cosmologie que supposece mythe, soit pour en dnoncer la contradiction, soit pour enrtablir l'accord avec celle du Time. Mais qui dit mythe ditposie et chant. Quand une pense se dilate et se libre ainsidans la posie et le chant, l'accord qu'il faut lui demandern'est pas l'accord avec les dtails d'un systme : c'est un ac-cord de ton et d'harmonie. L'efficacit laquelle il faut lajuger n'est pas non plus celle d'une preuve particulire donner : c'est celle de la tonalit doctrinale qu'elle cre. Nousallons voir que cette tonalit n'est point dtruite ni contrariepar celle dans laquelle se meut la discussion du problmepolitique.

    VDU PARADIGME A LA NOTION DE JUSTE MESURE

    _ ,. Le Sophiste, ds son dbut, pour se pr-Le paradigme, -. jt i i ; >?! .parer a dennir la sophistique, s taitrsolu faire d'abord sur quelque sujet plus facile, l'essaide la mthode applicable une telle recherche et avaitchoisi pour cela, comme exemple (icapBetYfxa), la dfinition dupcheur la ligne (218 d). Il ne prtendait pas faire l quel-que chose d'absolument nouveau, mais simplement se confor-mer cette rgle, admise par tous et de tout temps , quepour traiter avec succs des sujets trs importants, il fautd'abord s'exercer sur de plus petits et plus faciles. Antrieu-rement, en effet, le Thile avait utilis le

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    xui LE POLITIQUEC'est ainsi que, dans un dialogue bien antrieur auThtle, Socrate dfinissait la figure, puis la couleur, pourque, sur de tels TrapaBetyfAaTa, le jeune Mnon s'essayt dfinir la vertu (74 b-77 a). Le rapport mutuel des partiesdu visage servait, dans le Protagoras (33o a), de paradigmeau rapport mutuel des parties de la vertu. Ce qu'il y avaitde nouveau dans le Sophiste, c'tait donc seulement l'insis-tance scolaire sur cette mthode et le long dveloppementdonn au paradigme choisi. Ces traits sont plus marqusencore dans notre Politique. Ncessit du paradigme pour quidoit traiter de grands sujets (ti tv fAeiovcDv), appuye sur lefait que le paradigme rveille et fixe la rminiscence (277 d)^ncessit d'une dfinition du paradigme lui-mme ; appel auparadigme des lettres que l'enfant s'exerce peler, la m-thode de distinction et d'identification successives qu'il pra-tique dans cet exercice et dont le rsultat est la notion syn-thtique ; largissement de cet alphabet scolaire jusqu'auxproportions de l'alphabet universel, et de cet exercice d'en-fant jusqu'aux efforts difiBciles et plus ou moins heureux quenous devons faire pour dchiffrer le grand livre de la ralit;enfin, choix du tissage, et spcialement du tissage des laines,pour servir de paradigme l'art politique (279 a-b), voil ledessin fortement appuy de cette leon sur le paradigme.Comme elle a servi introduire et la dfinition de l'artvestimentaire et la distinction entre le tissage et ses parentsou auxiliaires, et enfin la dfinition du tissage comme artd'entrelacer la chane et la trame, elle rapparat, une foisces dfinitions acheves, avec l'exercice scolaire dont elle s'il-lustre (285 b-a86 c). Ce n'est pas pour apprendre l'enfantTorthographe d'un mot particulier qu'on le lui fait peler sisoigneusement, c'est pour l'habituer dchiffrer n'importequel mot. Ainsi nos exercices sur le tissage et mme sur lepolitique ont une fin qui les dpasse et qui est de nous ren-dre meilleurs dialecticiens sur tous les sujets possibles. C'estque l'exercice dialectique, l'art de rendre raison et de sefaire rendre raison des choses, est le seul moyen que nousayons pour connatre les ralits incorporelles, qui sontles plus belles et les plus grandes*. Pour les autres, en

    I. Ces a(iS|xaTa, xaXXi

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    NOTICE xLiiiefiet, nous avons un recours facile dans les images sensiblesqui les reprsentent. De ces alaTixat xtve 6(xoioty)T8 a oSvyxkiTzhy Br)Xouv (286 e), plusieurs dialogues nous offriraientdes exemples, et particulirement la Rpublique avec siesombres, avec ses images des eaux et des miroirs (5 10 a);mais aussi le Cratyle^ lorsqu'il nous montre que, sans aucunson ni langage, nous pouvons nous faire voir les uns auxautres les ralits sensibles (8r)XoOv iXXiQXoi; ta irp^fiaTa) parla mimique naturelle du corps, par le geste et l'attitude, quiexprimeront aussi bien le lourd ou le lger que la course ducheval ou d'un autre animal, de mme que, par les sons,nous mimons les brebis, les coqs et les autres animaux(422 e-423 e). Sons, formes, couleurs, voil les ressem-blances naturelles qui nous permettent d'exprimer leschoses sans discours et sans peine. Enfin, le Politique lui-mme nous a dj parl de dessins et de reprsentationsmanuelles (277 c) ; la Rpublique et le Time en connaissentqui reproduisent les mouvements mmes des astres *. Mais lesralits incorporelles n'ont, nous le savons, ni sons, ni formes,ni couleurs. Aussi n'ont-elles pas d'images ou de copies sen-sibles et ne supportent-elles qu'une eiplication rationnelle. Or,cette explication rationnelle, dialectique, exige un entrane-ment, des exercices, et les exercices mthodiques prennentnaturellement pour sujets prparatoires des exemples faciles(286 b). On chercherait en vain, dans cette leon sur le para-digme, quelque trait qui soit exclusivement propre la m-thode dichotomique et ne puisse s'expliquer par la mthodegnrale de division et de synthse et par la thorie des Formestelle que nous la prsentent les dialogues antrieurs auSophiste et au Politique. Platon y rsume et, si je puis dire,y scolarise sa pratique ordinaire. Mais cette opposition entreralits corporelles et incorporelles, dans laquelle se prolongeou plutt resurgit la question du paradigme, fait partie d'unexpos qui se prsente comme une digression et qu'on a tropJ. Stenzel, Sladien 2. Bntwicklung d. plat. Dialektik, p. 94, et Zahl a.Gestalt bel Platon u. Aristoteles, p. i56. Cf. Supplment critique duBulletin de l'Association Guillaume Budi, VI (1984), p. 108.

    I. Time, 4o c, les mentionne expressment; la Rpublique (X,616 c et suiv.) les suppose. Cf. A. Rivaud, Etudes platomciennes, I,dans Revue d'histoire de la philosophie, II, i, 1926, p. i-a6. Cf.ici, plus haut (p. xzxi), Tinterprtation de P. M. Schuhl.

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    xLiT LE POLITIQUEsouvent le tort de considrer comme tel. Or, la notion qu'ilintroduit ainsi, un endroit qui est matriellement le centredu dialogue, en est vraiment le centre dynamique*. C'est lanotion de la juste mesure : xo (xTpiov.

    Certains commentateurs ont pens queces considrations sur l'excs et le dfaut,amenes par une remarque sur le circuit qu'on a fait pourdfinir le tissage (288 b), devaient rpondre quelque criti-que rcente 2. Mais il est plus simple d'observer qu'elles ontt prpares dans notre dialogue mme, ne ft-ce que par lereproche fait au mythe, qui a trop allong la dmonstration(277 b), et surtout que de pareilles plaintes ou de pareillesexcuses sur la longueur d'un expos sont, dans la srie desdialogues, en commenant par le Sophiste et remontant jus-qu'aux tout premiers, frquentes et presque habituelles. Cesont formules de style, et qu'on trouverait tout aussi bienchez les rhteurs. C'est chez les rhteurs que le dbat sur lalongueur ou la brivet du discours tait devenu un lieucommun, et c'est un rhteur, Prodicus, que le Phdreemprunte la solution sur laquelle insistera notre Politique,Prodicus, en effet, se vante d'tre le seul avoir dcouvertquels discours rclame l'Art : Ni longs ni courts, mais dejuste mesure '. Le Thtte, lorsqu'il oppose, aux orateurs quepresse l'eau qui s'coule , les philosophes matres de leurloisir, traduit dj cette juste mesure de Prodicus par le seulterme que la philosophie et la science puissent admettre. Sonmot : point ne leur importe longueur ou brivet dans l'ar-gUment, pourvu qu'ils atteignent le vrai , devance la for-mule du Politique : rendre les auditeurs plus aptes la dia-lectique et plus habiles trouver les raisonnements quimettent au jour la vrit* . Platon n'avait donc pas besoin

    I. A. Rivaud l'a dj nettement itidiqu (Le problme du devenir,p. 3 16). Voir aussi J. Souilh, La notion ptalonicienne d'intermdiaire,p. iaa/6, p. i54/5.

    a. Cf. G. Ritter, Neue Untersuchungen ber Platon, Mnchen,1910, p. 90.

    3. Phhdre a67 b : xaJ \i.6voi at; eprix^vat t) wv Bsi Xo'ywvTlx.vr)V Seiv 8 ouxi [xaxptov oCte ^pay^ioiVy kXk {jigTpttov.

    4. Tht. 17a d : xal 5i [j-axotov ^ ^pcf/^itov {le'Xet oti^v Xi^eiv, avjxdvov -z-^tom Tou vTo. Cf. ici, 287 a, iaXsxxtxtoT^pou xai Tf\i tv

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    NOTICE xLvd'une attaque sur le terrain littraire pour introduire ici saleon sur le (xrptov, et, si brillante qu'elle soit de ce pointde vue littraire, ce n'est pas l qu'elle a son centre d'intrt.Le dbat sur la longueur du discours ne sert ici que de tran-sition de transition d'ailleurs facile et naturelle, pouramener une notion dont le poids porte tout entier sur lethme que le dialogue poursuit depuis le dbut travers cesmandres dialectiques ou mythiques, et sur lequel il vamaintenant s'tendre loisir: la politique.Si Platon ne nous le disait

    pas lui-mme ici de la faon laplus expresse, les Lois, qui si souvent prolongent ou ctoientnotre dialogue, suffiraient k nous en avertir : la juste me-sure est la seule norme qui puisse rgir et dnir un bongouvernement. Pourquoi les rois d'Argos et de Messneruinrent-ils, avec leur propre fortune, la fortune de toutela Grce? Parce que leur avidit ignora le prcepte d'Hsiode,et ne sut pas voir que la juste mesure contient plus que ladmesure, xo jxTpiov io\j ^hpou TrXeov (690 e). Juste mesurede voilure, juste mesure de nourriture, juste mesure d'auto-rit, voil ce qui sauve le vaisseau, le corps, le gouvernant, car il n'est pas un homme sur terre, s'il est jeune et n'a decompte rendre personne, qui puisse porter le poids dusouverain pouvoir et ne pas devenir un insens, odieux sesmeilleurs amis, et qui ruine de ses mains sa propre puis-sance . Empcher de tels malheurs, de grands lgislateurs lepourraient seuls, connaissant la juste mesure (69! c-d). Cequi sauva Sparte, ce lut d'abord un dieu, qui, ddoublant laroyaut, la restreignit la juste mesure (691 e). Puis unhomme divin tempra le pouvoir royal par celui des vingt-huit grontes et, finalement, un troisime sauveur tablis-sant les phores, la royaut trouva, dans la mesure (ixitpov),son salut et celui del cit, alors que des lgislateurs commeTmnos et Cresphonte s'imaginrent qu'il suffisait de lasaintet des serments pour contenir dans la juste mesure(>Y6T,(jav 'pxot (xeTptaat) une me jeune, fire d'une auto-rit qui contenait en puissance la tyrannie (692 b). L'hommequi, des trois monarchies d'Argos, Messn et Lacdmone,ovTtov Xdyw STjXoiaco eplTtxrox^pou. Les Lois diront qu'il est purilde se proccuper des dimensions du discours : xk yap, oT(jLat, piXxiaxa,XX* o x ^pa/i5xaxa oB x [x-^TiTi xt^xyjx^ov (722 a).

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    xLvi LE POLITIQUEet su ne faire qu'une seule monarchie, lempre dans lajuste mesure (Boviuevo {xcrpiia^t r ifx^^ *"r>^) celui-l etvit la Grce l'invasion perse (692 c). Si, en effet, on netempre l'une par l'autre monarchie et dmocratie, ni l'uneni l'autre ne ralisera la juste mesure. Les Perses l'avaient,ous Cyrus, cette juste mesure entre l'esclavage et la libert,mais Cyrus, excellent gnral, manqua d'une droite duca-tion et ne sut pas lui-mme lever ses fils, qu'il laissa auxmains des femmes (694 c). Et Platon de continuera prouver,par l'histoire, que jamais homme lev la faon dont lesont ordinairement les enfants des riches et des tyrans ne futun homme remarquable *.Ce n'est pas le lieu de faire ici la liste des passages o lesLois nous parlent du [li-piov et des notions qui lui sontconnexes*, mais ne craignons pas d'tre sortis de notre sujetet de la mesure qu'il rclame en analysant ces quelques pagesdu Discours sur l'Histoire universelle que constitue lelivre III. Sous cette devise de la juste mesure , rptepresque chaque phrase, une politique est prne qui, nousle verrons, est celle mme laquelle se rsout notre dialogue.Ou plutt, ce n'est pas une politique, c'est la politique, entant qu'art humain et non dchanement d'une force aveugle,qui n'est ralisable que sous ce signe du (xsxpiov. Voil pour-quoi la prtendue digression sur la juste mesure est intro-duite au cur mme du Politique. Dj, pour le Gorgias, cequi caractrisait toute technique, peinture, architecture,construction de navires, mdecine, c'tait de viser au meil-leur, de chercher raliser, par un arrangement convenablede tous les clments, l'ordre et la proportion harmonieuse(txiv t8 xa\ xocijLOv, 5o3 e-4 a). Pour le Politique, c'est de

    I. n prend comme exemples, aprs Gambyse, Darius qui n'taitpoint fils de roi , puis Xeris, aussi mal lev par Darius queGambyse et ses frres par Gyrus. Sur l'intention critique l'gard dela Cyropdie, cf. Platon-Bud, t. VI, Introduction, p. xl, mais noteraussi l'application possible Denys II, que son pre a laiss dpourvude toute ducation et de tous matres, vo;j.iXTTtu ixv ra^Seia; x-cX.(JLettre VII, 33a d).

    a. Cf. pour les richesses, 666 c, 7^6 a, 806 d, 930 c ; pour lesdiscours (disant ce qu'il faut), 811 d, 885 e ; pour la conduitemorale, 81 1 d, 816 b, 836 a, ^55 e ; pour la quantit (ce qui suffit),8iia c, etc.

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    NOTICE xLviiviser la juste mesure, ce qui convient, ce qui est pro-pos, ce qui se doit. Si elles ne pouvaient, par une tellenorme, parvenir liminer le trop ou le trop peu, la dme-sure , c'en serait fait de leur existence. Ainsi l'objet mme denotre enqute, l'art du tissage et la politique dont il est leparadigme, serait aboli, si nous ne distinguions, de la mesurepurement brutale, pour laquelle n'existent que les quantitsrelatives a plus grand et a plus petit , cette mesure idale,cette moyenne parfaite qu'est le (xxpiov. Et Platon, poursouligner le plus fortement possible ce rle dynamique du(AeTpcov dans notre dialogue, met hardiment en paralllecette notion de la juste mesure avec celle du non-tre. Si lenon-tre n'est pas, disait-il dans le Sophiste, il n'y a pas d'artd'illusion, donc pas de sophistique. Il dit ici : a Si la justemesure existe, les ^rts existent, et si les arts existent, la justemesure existe ; mais, que l'une de ces existences soit abolie,l'autre est jamais impossible {a84 d). Ainsi Platondclare expressment que la notion de la juste mesurejoue, dans l'enqute sur la politique, le mme rle de condi-tion indispensable et de pivot que jouait la notion du non-tre dans l'enqute sur le sophiste. Il est curieux d'observerl'opposition que contient, sans l'exprimer, ce paralllisme.La notion mtaphysique du non-tre soutient, dans le S(hphisiCy non seulement la thse de la possibilit de l'illusionet de l'erreur, mais aussi le mcanisme logique de mutuelleexclusion et ngation par lequel, des deux diffrencescontenues sous le mme genre, l'une est rejete dans l'oubliet le nant au moins provisoire, pendant que l'autre se poseet s'affirme, pour engendrer son tour deux nouvelles diff-rences qui, elles aussi, s'exclueront mutuellement. Chacunedes dichotomies qui encadrent le SopAu( et toute la premirepartie de notre Politique n'est logiquement rigoureuse quesi, entre l'une et l'autre diffrence, il n'y a aucun milieu.Mais toute action et particulirement toute production acomme loi ncessaire de raliser un certain achvement, ettout achvement est milieu ou limite entre l'inachev etl'outr, entre le trop peu et le trop. Le passage du Gorgiasauquel nous avons dj fait appel nous dit que cet ach-vement est forme, eT^ (5o3 e) * , et, si nous voulions appliquer

    I. Ce n'est pas au hasard que chaque artisan recueille et eiploie

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    aLviii LE POLITIQUEaux formes intelligibles ou aux espces logiques cette notiond'achvement (icpa), nous comprendrions comment, dansla dichotomie, entre l'inachvement ou l'indterminationqu'est le reste du genre et l'achvement ou dterminationqu'est la diffrence spcifique, il ne peut y avoir de milieu ;mais, d'autre part, considrant l'effort qui essaie de ralisercette forme, nous songerions qu'il peut rester en de oupasser au del, et l'achvement ou la forme se situerait ainsicomme un milieu entre deux indterminations ou deux infinis(dfiretpa), qui sont le trop ou le trop peu. C'est pourquoi l'onexige de la dichotomie qu'elle progresse en divisant parmoitis, Si (xeawv {Politique, 262 b) c'est--dire en tenantcontinuellement le milieu entre une extension conceptuelletrop troite et une extension dbordante. C'est pourquoiaussi l'uvre de toute technique ralise un juste milieu ouune juste mesure. Si, avec Platon ici, nous comparons cettejuste mesure, achvement prcis et limite exacte, avec lamesure brute qui compare deux grandeurs l'une l'autre,nous dirons que cette mesure brute n'est que relative *,et que la juste mesure est un absolu. C'est qu'elle estfin (xXo), donc autosuffisance (Ixav^v), et qu'elle rentreainsi dans la catgorie du beau et du bien Philbe, 54 c).Aussi verrons-nous le Philbe dfinir le Bien soit xXXetxai ^ujx(xeTpx xal iX'r^be'.x (64 e-5 a), soit par tout ce quiest [xTpov, (lirptov, xat'piov (66 b)'. Les synonymes quiaccompagnent ici la juste mesure (284 e)8ont ce qui convient(to TcpTiov), ce qui est propos (6 xatpo;), ce qui se doit (zhoov) et Platon rsume en ces quelques notes toute unerichesse de tradition morale, littraire, scientifique '. Mais,les matriaux qu'il emploie, XX' or.to av elod; ti axtov ff/f} touto

    1. Cf. Politique. a83 d/e, a84 d/e.2. Sur ce dernier passage, cf. Autour de Platon, livre III, ch. ir,Vchelle finale des biens dans le Philibe, p. SSS-Sgg.3. Sur la notion gnrale de mesure, cf. H. Kalchreuter,Die MeaoTTj bei und vor Aristoteles, Tiibingen, 191 1 ; A. Moulard,