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POESIE ET PHILOSOPHIE:Une amitié belle et rebelle. INTRODUCTION: Le mot poésie vient du grec poiêsis qui signifie création;poiên :faire,créer;elle peut se définir comme comme “l'art de la fiction littéraire”,l'art du langage visant à exprimer quelque chose ou à suggérer par le rythme,la musicalité les sonorités,l'harmonie et l'image. La poésie serait l'art de la forme,du “beau” langage,le travail de la matérialité du langage pour lui faire exprimer un sens. La philosophie-du grecphilo-sophia- signifie littéralement l'amour,le désir de la sagesse et du savoir.C'est Pythagore qui crée le mot au VI ème avant J-C pour désigner non le“sage”,celui qui détient le savoir ou la sagesse(sophia) mais de manière plus modeste le“philo-sophos” celui qui est “l'ami de la sagesse” du savoir et de la vérité, qui les recherche. La philosophie est un art de penser et de vivre dès l'antiquité et elle se définira par la suite comme une connaissance théorique et rationnelle(par la raison) visant la vérité. La philosophie va donc se distinguer et s'opposer à la mythologie et à la poésie c'est à dire à tout récit fictif,imaginaire faisant intervenir des entités irrationnelles de pure invention.La philosophie naît en réaction contre la mythologie en Grèce antique au Vème siècle avant J-C avec Socrate considéré comme premier “philo-sophe”.Le Logos naît en réaction au Muthos. Poésie et philosophie sont donc deux manières de nommer la réalité,deux manières de dire l'Etre:Ce qui existe.La poésie faisant intervenir l'imagination,étant une création subjective et purement formelle dénuée de tout rapport à la vérité ou à la réalité vraie”.Le poète nomme la “réalité” sans se soucier de son adéquation ni de la correspondance entre son dire et la réalité c'est à dire sans se soucier de la vérité.C'est d'ailleurs la définition traditionnelle que l'on a donné de la vérité:Adéquation de l'esprit et des choses(adequation rei et intellectus) à partir du moyen- âge.Le philosophe au contraire bâtit une architecture logique et conceptuelle qui cherche à enserrer le réel dans les concepts pour accéder à la vérité et qui vise le sens. Poésie et philosophie semblent donc opposées ou du moins tellement différentes selon leur méthode et leur but qu'on voit mal ce qu'elles pourraient avoir en commun. Pourtant, poésie et philosophie ne sont pas si éloignées ni si distinctes l'une de l'autre,elles ont des rapports ambivalents car, si elles se

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POESIE ET PHILOSOPHIE:Une amitié belle et rebelle.

INTRODUCTION: Le mot poésie vient du grec poiêsis qui signifiecréation;poiên:faire,créer;elle peut se définir comme comme “l'art de lafiction littéraire”,l'art du langage visant à exprimer quelque chose ou àsuggérer par le rythme,la musicalité les sonorités,l'harmonie et l'image.La poésie serait l'art de la forme,du “beau” langage,le travail de lamatérialité du langage pour lui faire exprimer un sens. La philosophie-du grecphilo-sophia- signifie littéralement l'amour,ledésir de la sagesse et du savoir.C'est Pythagore qui crée le mot au VI èmeavant J-C pour désigner non le“sage”,celui qui détient le savoir ou lasagesse(sophia) mais de manière plus modeste le“philo-sophos” celui quiest “l'ami de la sagesse” du savoir et de la vérité, qui les recherche. La philosophie est un art de penser et de vivre dès l'antiquité et elle sedéfinira par la suite comme une connaissance théorique etrationnelle(par la raison) visant la vérité. La philosophie va donc sedistinguer et s'opposer à la mythologie et à la poésie c'est à dire à toutrécit fictif,imaginaire faisant intervenir des entités irrationnelles de pureinvention.La philosophie naît en réaction contre la mythologie en Grèceantique au Vème siècle avant J-C avec Socrate considéré comme premier“philo-sophe”.Le Logos naît en réaction au Muthos. Poésie et philosophie sont donc deux manières de nommer laréalité,deux manières de dire l'Etre:Ce qui existe.La poésie faisantintervenir l'imagination,étant une création subjective et purement formelledénuée de tout rapport à la vérité ou à la réalité vraie”.Le poète nomme la“réalité” sans se soucier de son adéquation ni de la correspondance entreson dire et la réalité c'est à dire sans se soucier de la vérité.C'est d'ailleursla définition traditionnelle que l'on a donné de la vérité:Adéquation del'esprit et des choses(adequation rei et intellectus) à partir du moyen-âge.Le philosophe au contraire bâtit une architecture logique etconceptuelle qui cherche à enserrer le réel dans les concepts pour accéderà la vérité et qui vise le sens. Poésie et philosophie semblent donc opposées ou du moins tellementdifférentes selon leur méthode et leur but qu'on voit mal ce qu'ellespourraient avoir en commun. Pourtant, poésie et philosophie ne sont pas si éloignées ni si distinctesl'une de l'autre,elles ont des rapports ambivalents car, si elles se

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distinguent dès l' rigine,elles avouent non seulement leurs points communset leurs ressemblances mais un lien profond et originaire. Selon lephilosophe Heidegger en effet,la pensée est d' essence poétique et lepoème est pensée car il y aurait un sens plus originaire de la vérité quiserait A-léthéia: Dé-voilement,éclosion,dé-couvrement de l'Etre,sens de lavérité qui aurait été recouvert,voilé et oublié par la tradition philsophiqueet idéaliste et la saisie de la vérité comme “adéquation” etcorrespondance du discours au “réel”. Et si la vérité était d'essence poétique,si l'Etre ne pouvait se dire que paret dans le langage en dehors duquel il n'est rien ou aux limites dulangage?La poésie serait-elle par essence philosophique?La philosophie,la recherche de la Vérité,ne trouveraient-ellesleur“achèvement”c'est à dire leur réalisation et leur accomplissementdans la poésie?La poésie ne serait-elle pas la vérité de la philosophie?Poésie et philosophie une amitié belle et rebelle? Sont-elles opposées du point de vue de la vérité, l'une-la poésie étantune oeuvre de fiction,d'imagination puisant ses ressources dans lasubjectivité de l'artiste et dans le travail créateur sur la matérialité dulangage,les sonorités du langage,la matérialité sensible des mots,lesignifiant,bref la forme alors que la philosophie viserait plutôt à“traverser” la matérialité des mots,du signifiant pour aller au sens auxidées.La philosophie viserait le sens et la vérité logique,en construisant demanière rationnelle logique et démonstrative une architecture de conceptssensée rendre compte de la vérité “objective” et universelle (valant pourtout esprit qui peut effectuer pour son compte l'argumentation) une véritéqui se voudrait finalement se rendre indépendante de son créateur etvaloir universellement. Un“système philosophique”rationnel en effet se veut bien éloigné de lafiction et de l'imagination, son but étant de“traverser les apparences”etde rendre raison de la réalité en visant le sens,la signification,le signifiéet la “vérité” au-delà des apparences sensibles. La poésie serait-elle donc l'art de la forme alors que la philosophieviserait le fond?La poésie étant du coté du style et de la subjectivité del'auteur alors que le philosophie serait du coté du concept et serait del'ordre de la raison et de la vérité objective partageables par tous ? Mais cette opposition est-elle légitime et suffisante?La philosophien'avoue-t-elle pas une dette et une admiration secrète envers la poésie etla poésie, quant à elle, n'est-elle pas essentiellement philosophique ausens où elle est une autre manière de dire l'Etre(=ce qui est) et de nous

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faire accéder à des vérités universelles et profondes inexprimables par lelangage conceptuel et rationnel de la philosophie?

Poésie et philosophie:Une amitié belle et rebelle?

Partons d'un constat:Dans toutes les cultures et civilisations laphilosophie s'exprime poétiquement dès l'origine:La mythologiegrecque,le grand récit Homérique exprime des vérités et des valeurs surl'homme et le sens de l'univers.Les grands récits religieux,spirituels etpoétiques des origines,l'épopée de Guilgamesch,L'ancien Testament,laBible,le Coran,expriment poétiquement des vérités d'ordre philosophiqueset font intervenir des récits fictifs concernant les origines le sens et ladestinée des hommes et du Cosmos: La Genèse,la création d'Adam et Eve,le déluge le mythe de Babel sont des explications par les religions del'origine et de la destinée de l'homme.De même, la philosophie desPrésocratiques peut prendre une forme poétique,c'est le cas du poème deParménide,d' Héraclite dit “l'obscur”,du De Natura Rerum de Lucrèceen passant par les sentences de Confucius ou Bouddha jusqu'auxaphorismes de Nietzsche, les maîtres de sagesse n'ont cessé de se référer àune langue poétique pour exprimer un sens philosophique. C'est pourquoi le philosophe Martin Heidegger, se réfère auxPrésocratiques tout d'abord, puis au poète Hölderlin, pour revenir à unsens d'une vérité plus originaire qui est dé-voilement-A léthéia-avant sonrecouvrement par la logique conceptuelle de l'entendement et de la raison,du concept (Begriff en allemand signifie prise,arraisonnement)quitransforme le sens de la vérité en adéquation de l'esprit et de la réalité etqui enserre la réalité dans les rêts,dans les filets du concept,du langageconceptuel et “logique”(Logos=logique,raison,calcul,langue). Car“C'est poétiquement que l'homme habite la terre,“L'homme habiteen poète”,”Le langage est la maison de l'Etre,dans son abri habitel'homme” affirme Heidegger. La poésie serait-elle philosophique par essence,mémoire et sauvegardede l'Etre ou bien recherche d'un idéal,de beauté ou de sagesse,d'une“vérité” qui ne serait pas de l'ordre du concept et du langage commun lele poète cherchant à “rendre un sens plus pur aux mots de la tribu” selon

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l'expression de Mallarmé,élargissant les mots pour leur faire exprimer dessentiments,une émotion ou des idées qu'il ne parviendrait pas à exprimerdans les mots communs? Quels rapports de la poésie et de la philosophiedu logos au muthos ou du “Verbe” à la “chair”? La philosophie exprime-t-elle un sens,une idée,une pensée quipréexisteraient à leur expression dans le langage selon la traditionPlatonicienne idéaliste puis la tradition chrétienne selon laquelle,dans unvocabulaire chrétien,”le verbe s'est fait chair”comme l'esprit,le souffledivin “descendent”,s'incarnent dans le langage et animent le langagedes prophètes et des êtres inspirés -si,“au commencement était le verbe”et “le verbe s'est fait chair”-( selon la tradition idéaliste de “l'onto-théologie selon Heidegger) ou bien au contraire,n' est-ce pas “la chairqui se fait verbe”et le corps, le “temple de l'esprit”(Saint-Paul)manifestation de la pensée? En d'autres termes,le sens advient-il par le travail sur la langue et lelangage qui s'efforce de nommer l'Etre,L'Etre n'advient-il que par et dansle langage?La poésie étant, comme la définit le poète italien Léopardi, leplus haut état de la langue”? La philosophie viserait-elle l'Idée et la vérité alors que la poésie-artd'imitation selon Platon et Aristote-nous ferait séjourner dans le royaumedes apparences sensibles,des images et des illusions comme le pensePlaton? Poésie et philosophie sont-elles deux manières de se rapporterau langage (au logos), à la vérité et à l'Etre? Le poète est-il celui qui sauvera le monde s'il est vrai, comme le ditDostoiëvsky que “la Beauté sauvera le monde” ou bien est-il vrai commele dit Nietzsche,que:” Nous avons l'art pour ne pas périr de la vérité”? L'art est-il de l'ordre de la “belle apparence” et de l'illusion quiréconforte ou bien exprime-t-il une vérité plus profonde et sans doutetragique- la vérité même du réel ?

Holderlin: “Là où croît le péril,là, croît aussi ce qui sauve”

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Petit voyage philosophique en terre poétique...

I)Poésie et philosophie dans l'Antiquité: La théorie de l'imitation(Mimésis). A) Platon a un rapport ambivalent aux artistes et aux poètes:Il critiqueles poètes tout en leur accordant un statut particulier.Platon chasse lesartistes de la Cité.République livre X. B)Pourtant,Platon reconnaît que l'artiste est inspiré,le poète est “sacré”.C)Aristote réhabilite l'art d'imitation préalable à la création.LaPoétique .(Tragédie et Catharsis).II)Poésie et Vérité.La poésie et l'Art en général nous dévoilent la vérité duréel,nous apprennent à voir la beauté et la vérité du monde. Forme etfond,”le Beau est la manifestation sensible de l'Idée”(Hegel).Le rapportde la “matière”et de l'esprit.Bergson;Bachelard/Heidegger.L'Art dit lavérité des apparences et nous apprende à voir le réel.Le poète estprophète.”L'art ne reproduit pas le visible,il rend visible “PaulKlee.Merleau-Ponty “L'art rend visible l'invisible”.

I) La théorie de la Mimésis (imitation) et la question de la Vérité :

• A) L'exemple des 3 “lits”La République, livre X de Platon.• L'Art dans l'Antiquité grecque est considéré comme

mimésis,imitation de la nature.Dans la République, la cité idéale”élaborée par Platon, l'art n'est qu'une copie de la copie,il est éloignédu vrai au 3ème degré.En effet,le premier modèle et la Vérité c'est l'Idée,le modèle de toutechose,la Forme essentielle,l'Eidos,l'essence unique éternelle etimmuable à laquelle nous nous référons pour définir la réalitéessentielle d'une chose. Ainsi L'Idée de Lit existe et est l'uniqueRéalité que l'artisan, lorsqu'il travaille, prend en vue pour réaliserles différents lits matériels sensibles.L'Idée est la loi de fabricationdes réalités sensibles elle est la Réalité en soi.

• Les lits matériels ne sont qu'une imitation, une copie de l'Idée deLit.L'artisan fabrique le lit matériel existant dans le monde sensibleet prenant en vue le modèle idéal,la forme essentielle du lit àréaliser.Les lits sensibles,matériels produits par l'artisan,réalisés parle menuisier ne sont que des copies de l'Idée. Ils sont donc éloignésdu vrai au 2ème degré.

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• L'artiste prend pour modèle non l'Idée mais le lit du menuisier dontil imite l'apparence sensible,il l'“imite”en le reproduisant sur letableau.

• L'art est donc une “copie de la copie”.L'artiste est un imitateur, ilreproduit les apparences du lit sans même connaître la technique deproduction,de fabrication du menuisier.L'artiste ne sait rien de laTechné des artisans, il se contente de reproduire les apparencessensibles sans posséder leur savoir-faire et sans connaître la véritéde leur art(=Techné).L'art n'est qu'imitation et non création pourPlaton,il est éloigné du Vrai au 3ème degré.

• L'Idée existe d'abord elle est la réalité essentielle selon Platon (“Nuln'entre ici s'il n'est géomètre”),la réalité idéale et idéelle existe auplus haut point, ensuite viennent les réalités empiriques,sensibles –les productions artisanales et techniques,les lits sensibles, matérielset enfin les créations de l'art.(La Caverne de Platon).

• Dès lors,les créations artistiques ne sont que des simulacres,desillusions,de pâles “copies de la copie”- puisque déjà le sensible nouségare- et elles nous éloignent du Vrai.

• L'artiste est un illusionniste,il nous fait nous complaire dans leroyaume des illusions,des apparences et des faux-semblants,dessimulacres,il est un mensonger,il invente des fictions qui trompent lepeuple et raconte des fables aux enfants,il nous maintient dans la“Caverne”,tout comme les Sophistes qui, par l'art de la rhétoriquenous éloignent du vrai et utilisent le langage pour séduire le peupleet le manipuler.[Art et politique].

• Au contraire,Socrate,pour qui le langage doit être au service de laVérité,s'efforce de convaincre son interlocuteur que l'artiste fabriquedes illusions,l'artiste n'a la connaissance ni de la “Techné” ni de lavérité des réalités qu'il représente:

-”Quel but se propose la peinture relativement à chaque être ?Est-cede représenter ce qui est tel qu'il est ou ce qui parait tel qu'il paraît;est-ce l'imitation de l'apparence ou de la réalité?

-De l'apparence-L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai”dit Socrate dans laRépublique livre X.

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Conséquence:Platon chasse les artistes de la cité “idéale”car leuractivité mimétique nous détourne de la Vérité et nous induit enerreur par les images,l'art nous fait séjourner dans la caverne et lesombres,les reflets des réalités sur les parois...Platon,premier “iconoclaste”,chasse les artistes de la cité au nom dela Vérité.Les artistes n'ont pas droit de cité car ils ne représententque les apparences des choses sans en connaître l'essence donc ilsn'ont pas leur place dans la cité idéale.De là l'origine du discréditjeté sur les artistes...

• B) Pourtant,Platon reconnaît à l'artiste et au poète un statutparticulier:En effet,l'artiste et notamment le poète,l'aède quichantait en vers ou théâtre, possède l'”Enthousiasme”(En-théos,endieu),il est en état de délire divin,il ne possède pas sa raison,il estdépossédé de lui-même et il ne s'appartient pas lorsqu'il crée,il estinspiré par les Muses et les Dieux,il possède un don divin et unmystérieux privilège.La suggestion divine le pousse à composer ou àpeindre,lui qui ne sait pas ce qu'il fait.L'artiste est relié à la chaînedes Muses,l'anneau de Magnésie,dit Socrate dans ION.

• “C'est chose légère ailée que le poète,ailée,sacrée;il n'est pas enétat de créer avant d'être inspiré par un dieu,hors de lui,et den'avoir plus sa raison;tant qu'il garde cette faculté,tout êtrehumain est incapable de faire oeuvre poétique”.

• D'ailleurs,Platon fait appel au mythe chaque fois qu'il veut exprimerune réalité transcendante inexprimable par les concepts logiques.Ainsi le muthos vient au secours du logos,le mythe illustre la“nature de l'âme”,l'immortalité de l'âme et son envol vers lacontemplation des Idées dans le Phédre, le mythe de “l'attelage ailé”ou encore le mythe de Teuth sur l'Ecriture qui fait perdre la mémoireou le mythe de l'androgyne primitif sur la nature du Désir et del'amour,ou encore le mythe de la naissance d'Eros dans Le Banquet.Chaque fois qu'une réalité est transcendante qu'elle dépassel'explication rationnelle et son expression par la raison,Platon faitappel au mythe, au récit fictif et à la poésie.

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La poésie exprimerait-elle ce que la Raison échoue à formuler?Lapoésie serait-elle la seule forme apte à exprimer des vérités profondes etmétaphysiques qui sont au-delà de la représentation rationnelle et duconcept?Lorsqu'il s'agit des questions portant sur l'origine ou sur ladestinée des âmes après la mort:Ainsi,le mythe de l'Atlantide sur l'originedes cités dans le Timée,le mythe d'Er sur la destinée des âmes après lamort dans la République,ou encore des vérités concernant la naturehumaine-le mythe de la caverne sur la nature humaine et l'éducationRépublique X,le mythe de Prométhée sur l'origine de la technique et dupolitique dans Protagoras,le mythe de l'anneau de Gygès sur la justicedans le Gorgias-Platon n'hésite pas à faire appel à la poésie pour illusteret “figurer” ces réalités inexprimables par d'autres moyens. Le mythe et la poésie prennent le relai de la raison et du discourslogique.Le logos poétique serait-il donc premier avant d'êtrerationnel,logique et philosophique?

En effet, première expression littéraire de l’humanité, utilisant lerythme comme aide à la mémorisation et à la transmission orale, lapoésie apparaît d’abord dans un cadre religieux et social eninstituant les mythes fondateurs dans toutes les cultures que ce soitavec l’épopée de Gilgamesh, (III e millénaire av. J. - C.) enMésopotamie, les Vedas, le Rāmāyana ou le Mahabharata indiens, laPoésie dans l'Égypte antique, la Bible des Hébreux ou l'Iliade etl'Odyssée des Grecs, l'Enéide des Latins.La poésie fut marquée parl’oralité et la musicalité dès ses origines puisque la recherche derythmes particuliers, comme l’utilisation des vers, et d’effetssonores, comme les rimes, avait une fonction mnémotechnique pourla transmission orale primitive. Cette facture propre au textepoétique fait que celui-ci est d’abord destiné à être entendu plutôtqu’abordé par la lecture silencieuse.

• Placées sous l’égide d’Orphée et d’Apollon musagète, dieu de labeauté et des arts, et associées à la muse Érato, musique et poésiesont également étroitement liées par la recherche de l’harmonie et dela beauté, par le Charme, au sens fort de chantmagique,incantation. Depuis l'essai La Naissance de la tragédie deNietzsche, on considère que la création poétique hésitera cependantconstamment entre l’ordre et l’apaisement apolliniens (qu’expliciteEuripide dans Alceste : « Ce qui est sauvage, plein de désordre et dequerelle, la lyre d’Apollon l’adoucit et l’apaise »)et la « fureur

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dionysiaque » qui renvoie au dieu des extases, des mystères, desdérèglements et des rythmes des forces naturelles que l’on découvrepar exemple dans le dithyrambe de l’Antiquité grecque.

• Les Muses disent la musique universelle du monde (Musiké etphilo-sophia),musiciennes célèstes dont le choeur cosmique estdirigé par Apollon qui ordonne et équilibre le monde(Cosmos=en grec signifieordre,arrangement et beauté).Mousac'est d'abord la parole chantée,rythméem'inspirant un divin langagepour me faire chanter le passé et l'avenir,elles m'ordonnent decélèbrer l'origine des bienheureux Immortels et de les choisir pourobjets de mes premiers et derniers chants.Inspiratrices, elles dictentau poète des mots pour nous apaiser,elles versent sur la langue dessons une langue molle rosée et les paroles découlent de sa bouchedouce comme le miel”écrit Hésiode dans sa Théogonie.De mêmeHomère place son discours sous l'égide des Muses “Ô Muses”...

Ainsi, les 9 Muses président à l'ordre du monde et grâce à la parolepoétique ,elles “empêchent que le monde ne se défasse”(Camus)grâce au récit immémorial des origines.Melpomène, muse du chantet de la tragédie,Terpsichore de la danse et de la poésie, Erato(poésielyrique érotique),Calliope(poésie épique,éloquence),Polymnie(chantreligieux,rhétorique,)Euterpe,les Muses garantissent la beauté et lavérité de la parole poétique et permettent au poète de déployerson chant sacré au gré de l'inspiration divine.

• La muse permet au poète d'avoir accès aux évènements qu'il raconteet de déchiffrer l'invisible,elles transmettent une mémoire et desvérités sur l'origine qui échappent à la temporalité humaine.”Museshabitantes de l'Olympe,vous êtes des déesses partout présentes,voussavez tout nous n'entendons qu'un bruit nous ne savonsrien”L'Iliade.

• Heidegger dit que l'art est la mise en oeuvre de la vérité et sasauvegarde.”L'art est le travail humain de création et desauvegarde”.p.81 et 98.L' essence de l'art est la poésie pourHeidegger, car elle fait venir à l'Etre par le langage la véritéoriginaire et dévoile l'Etre et il ne peut être création, dire originelqu'à la condition d'être garde et sauvegarde par et dans lalangue.”Le langage est la maison de l'Etre,dans son abri habitel'homme”.L'homme est le lieu-tenant de l'Etre qu'il fait advenir parla parole.Le chant du poète consacre le Cosmos qui est à la fois

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disparition des Dieux et célébration de leur présence-absente.[Poésie et religion cf Victor Hugo].

• Pourquoi des poètes”Heidegger:”C'est pourquoi le poète sauvera lemonde car il a un autre rapport au monde que celui de la science,ducalcul et de la technique:”Le monde devient sans salut.Par làseulement le sacré en tant que trace de la divinité,reste enretrait,mais encore la trace du sacré,le sauf paraîtéffacée”p.355.Chemins qui ne mènent nulle part ,Gallimard.

• “MAIS LA OU EST LE PERIL,LA,

CROIT AUSSI CE QUI SAUVE” Holderlin

• La parole du poète dit les origines et garde la mémoire du monde-lequadriparti-l'ensemble des vivants où l'homme,les Dieux,lesmortels,le ciel et la terre.La poésie dit la disparition des Dieux maiselle consacre aussi leur présence par le langage,qui est un“templum”,littéralement l'enceinte qui trace la limite entre le mondeprofane et le sacré,qui délimité le sacré.La parole du poète dit cetemps immémorial,ce temps des origines qu'elle “sauve-garde”.Lepoète est sacré en ce qu'il a la garde des origines et la sauvegardedu monde.La poésie essaie de dire l'Innommable,l'Illimité;l'Indéfini

• La parole poétique a d'abord été orale et chantée pour garder lamémoire.Récits des origines,narration des “hauts faits” et des actionsmémorables des héros.[Lien d'essence entre Poésie et Mémoire]

• De plus dans la culture et la civilisation,l'humanité naissent dansun bain d'images et de langue,si “l'homme est l'animal quipossède le Logos” à la différence des animaux,selon Aristote,onpeut aussi dire avec Michel Tournier que :“L'homme ne s'arrache àl'animalité que grâce à la mythologie.L'homme n'est qu'un animalmythologique.L'homme ne devient homme,n'aquiert un sexe,uncoeur,et une imagination d'homme que grâce au bruissementd'histoires,au kaléidoscope d'images qui entourent le petit enfantdès le berceau et l'accompagnent jusqu'au tombeau.LaRochefoucault se demandait combien d'hommes seraient tombésamoureux s'ils n'avaient jamais entendu” parler d'amour”écritMichel Tournier dans Le vent Paraclet,“la dimension mythologique”.

• Nous sommes faits de l'étoffe des rêves et des histoires.L'homme nepense pas sans image,sans phantasma.Le Logos des origines avouesa dette envers l'imagination,la fiction,l'histoire au sens de récit,la

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poésie et la musicalité. (Logos=terme grec signifiantlangage,discours, raison,calcul,logique,langue)

C)Mimésis,Vérité,Catharsis.

C'est Aristote(IV ème avant JC )qui dans la Poétique fixe les règles de lapoésie.Contrairement à Platon qui dévélorise la mimésis, Aristote penseque la mimésis est une voie d'accès à la vérité. Premièrement parce qu'oncommence par imiter pour apprendre(l'enfant,les peintres,lesécrivains)selon Aristote.De plus,Aristote est à l'origine de la théorie de la“catharsis” selon laquelle l'art et la tragédie nous “purgent”littéralementde nos passions:L'imitation artistique rend supportable ce qui ne l'est pasdans la réalité.En voyant représenter au théâtre des violences ou dessentiments non avouables nous nous en libérons en nous identifiant. ”L'art poétique a deux causes naturelles:Imiter est dès l'enfance unetendance naturelle et l'imitation est une forme d'apprentisage.Nouscommencons par apprendre en imitant.De plus, nous prenons plaisir àcontempler les images des choses dont la vue nous est pénible dans laréalité,comme les formes d'animaux méprisés et les cadavres(...)L'imitation,la mélodie et le rythme nous étant naturels,ceux qui àl'origine avaient les meilleures dispositions naturelles en cedomaine,firent peu à peu des progrès,et,à partir de leursimprovisations,engendrèrent la poésie”La poétique.Aristote nous permet de distinguer la réalité et la représentation de laréalité,nous pouvons prendre un plaisr esthétique à la représentation deréalités que nous n'admirerions pas à l'état naturel.

Aristote nous permet de comprendre ce que Kant dira au XVIIèmesiècle:”L'art n'est pas la représentation d'une belle chose mais la bellereprésentation d'une chose”.C'est pourquoi non seulement le poète estcelui qui sait exprimer mieux que quiconque les sentiments la douleur latristesse infinie de la perte de l'être cher,Victor Hugo à sa fille Léopoldinedans le poème A Villequier:“Demain, Dès l'aube, à l'heure où blanchit lacampagne”...ou la mélancolie,la souffrance,le mal être, le “Spleen”Baudelairien :“Sois sage,ô ma douleur et tiens toi plus tranquille...”,“Quand le ciel bas et lourd...mais aussi la laideur,l'horreur peut être unobjet d'art parce qu'elle est stylisée,transfigurée,représentée et filtrée par

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le prisme de la conscience de l'artiste qui nous permet de prendre plaisir àdes réalités insignifiantes ou qui seraient même répugnantes dans laréalité:C'est le “parti pris des choses” de Francis Ponge par exemple quipoétise sur “la crevette” ou le galet,le poète se voulant être le langage deschoses muettes(cf Cézanne “le paysage se pense en moi et je suis saconscience”) ou encore le poème de Baudelaire sur Une charogne.Lalaideur peut être un objet d'art par la stylisation de l'artiste qui nous lareprésente. L'art et la poésie expriment donc la vérité des apparences pourAristote.L'artiste stylise transfigure et rend supportable une réalité quiest en son fond chaotique désordonnée,pulsionnelle et dionysiaque qu'ilapaise et ordonne tel Apollon avec sa lyre.Cf Nietzsche,l'origine de laTragédie:La réalité est tragique,l'art apaise et ordonne, donne forme auchaos originel. (Théogonie d'Hésiode). L'art est la lutte de l'Apollinien contre le dyonisiaque,du solaire contreles forces tectoniques (de la terre).C'est pourquoi le poète assiste à lacréation du monde,il crée et fait venir à l'être dans un gesteinaugural.L'art n'est ni imitation, ni copie mais modèle et création:“Lesartistes ne sont pas les transcripteurs du monde ils en sont les rivaux”affirme Malraux.L'artiste recrée le monde,il est Dieu.

Quelle est alors cette vérité dévoilée par l'art et la poésie?Quelle est lafonction du poète?Et en quel sens “rivalise”-t-il avec le réel?La poésieest-elle la vérité de la philosophie?

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II) Poésie et philosophie:Réconciliation de la forme etdu fond,dusensible et sens, du sensible et du spiriuel, de la matière et de l'esprit, du signifiant et du signifié. Ou Quand la chair se fait “Verbe”...

“Le Beau est la manifestation sensible de l'Idée” selon Hegel.Lepoète est celui qui travaille la matérialité du langage pour lui faireexprimer un sens.L'Art opère la dialectique du Sensible et del'intelligible,de la matière et de l'esprit.Hegel analyse la statue du Dieugrec comme la matière qui est spiritualisée, idéalisée et l'esprit estmatérialisé,l'Idée est sensibilisée(La piéta de Michel-Ange,La Pensée deRodin). Le poète est cet alchimiste qui par le travail de la forme abolit ladualité matière/esprit car il parvient à l'expressivité formelle.Il y a sensdès qu'il y a mots.Le travail sur les sonorités,la disposition des vers, lesrimes, la métrique,la musicalité,les allitérations et assonances,le choix desmots rares ou utilisés de manière originale,transforme la matérialité dulangage qui signifie par lui-même et nous fait assister à la naissance dumonde.L'art a une fonction ontologique.La poésie ou la prose poétiquecréent un monde,nous font assister à la genèse du monde,à son épiphanie.. Dès lors l'art ne nous apprend-il pas à voir le réel et la beauté? Oscar Wilde dit que ce sont les peintres impressionistes qui nous ontappris à voir la beauté des brouillards.De même, le poète se fait Voyantou prophète,investi d'une mission divine,à la recherche du Beau idéal telL'Albatros,analogue du poète incompris et maladroits,mal à l'aise sur laterre,exilé parmi les siens...

Souvent,pour s'amuser les hommes d'équipage, prennent des albatros,vastes, oiseaux des mers, Qui suivent,indolents compagnons de voyage, le navire glissant sur des gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur,maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à coté d'eux.

Ce voyageur ailé,comme il est gauche et veule! Lui,naguère si beau,qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

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L'autre mime en boîtant l'infirme qui boîtait.

Le poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Le poème exprime le sacré et la religiosité “païenne”: “La Nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles; L'homme y passe à travers des forêts de symboles l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, les parfums,les couleurs et les sons se répondent Correspondances ”Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales”Baudelaire “Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir” Harmonie du soir.” Les sapins d'Apollinaire qui “incantent le ciel quand il tonne”.

Ode à la La femme aimée,mystérieuse muse, inspiratrice du poète:

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.” Paul Verlaine mon rêve familier.

Ou dans les pas de paul Valery” “Personne pure,Ombre divine”.

La Beauté

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Je suis belle,ô mortels!comme un rêve de pierre, Et mon sein,où chacun s'est meurtri à son tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que le matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes,devant mes grandes attitudes, Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font toutes choses plus belles: Mes yeux,mes larges yeux aux clartés éternelles.

L'écriture écriture poétique est le véritable sujet du poème,”la blancheurdes cygnes”renvoie aux “signes”du langage et symbolise l'angoisse de lapage blanche,le“coeur de neige”à la stérilité du poète,le“sphinxincompris”à sa difficulté d' exprimer l'être.L'écriture poétique est autoréférentielle,elle s'interroge sur le sens comme “les tableaux dans letableaux” de Vermeer(Cf L'art de la peinture).

Le poète idéalise la femme aimée,Pétrarque, Sonnets à Laure,Béatricedans la Divine comédie de Dante.

Apollinaire dans la chanson du mal aimé

“Un soir de demi-brume à LondresUn voyou qui ressemblait àMon amour vint à ma rencontreEt le regard qu'il me jetaMe fit baisser les yeux de honte .

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Le poète teste le langage,ses pouvoirs et ses limites.Les sonorités fontéclore le sens qui ne leur préexiste pas.La pensée n'existe pas hors dulangage et des mots.“C'est dans les mots que nous pensons”(Hegel) .L'Idée ne préexiste pas aux mots qui n'en seraient que l'expression ou latraduction mais ce sont les sons qui font sens,la musicalité du vers.

“De la musique avant toute chose avant toute chose, et pour cela préfère l'impair” écrit Verlaine qui écrit un versde 9 pieds. La poésie est le chant du monde auquel assiste l'artiste et lelecteur.

L'épithète homérique au chant 12 de l'Odyssée:“L'aurore auxdoigts de rose”,le chiasme ou l'oxymore chers à victor Hugo” ou Gérardde Nerval ”le soleil noir de ma mélancolie”,cf le poème El Desdichado:

Je suis le ténébreux,-le Veuf,-l'Inconsolé, le prince d'Aquitaine à la Tour abolie: ma seule étoile est morte,-et mon luth constellé porte le soleil noir de ma mélancolie

Dans la nuit du Tombeau,toi qui m'a consolé, rends moi le Pausilippe et la mer d'Italie, la fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, Et la treille où le pampre à la rose s'allie. Suis-je amour ou Phébus?...Lusignan ou Biron? Mon front est rouge encor du baiser de la reine; j'ai rêvé dans la grotte où dorment les sirènes...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron: Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée les soupirs de la Sainte et les cris de la fée

Le poète est Orphée travarsant les enfers.

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Les ruptures de construction, l'ellipse ou l'anacoluthe,”exilé sur le sol aumilieu des huées,ses ailes de géant l'empêchent de marcher, L'Albatrosde Baudelaire qui représente le poète incompris et moqué plus à l'aisedans le monde des Idées que dans la réalité. Les images,comparaisons ou la métaphore filée“Ruth se demandaitquel dieu,quel moissonneur de l'éternel été,avait en s'en allantnégligemment jeté cette faucille d'or dans le champs des étoiles” Booz endormi Victor Hugo.

Le travail sur les sonorités,les rimes sémantiques “Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon coeur d'une langueur monotone”; les allitérations,les harmonies imitatives “Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes” Racine ou encore : “abolis bibelots d'inanité sonore” SONNET EN –x de Mallarmé:

" Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx, Aboli bibelot d’inanité sonore (…) ".

Il s'agit pour le poète Mallarmé de “donner un sens plus pur aux mots de la tribu” Tombeau d'Edgard Poe.Poésie = nommer

Comme connaissance sur les théories poétiques, et comme exemple de ce que peut leVerbe : nommer les choses, c’est les faire exister. C’est ce que fait Bonnefoy, et c’est unemanière possible de définir/comprendre la poésie.

[…] A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparitionvibratoire selon le jeu de la parole, cependant, si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêned’un proche ou concret rappel, la notion pure ?Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant quequelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave,l’absente de tous bouquets.Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord lafoule, le Dire, avant tout, rêve et chant, retrouve chez le poëte, par nécessité constitutived’un art consacré aux fictions, sa virtualité.Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et commeincantatoire, achève cet isolement de la parole :Niant, d’un trait souverain, le hasard

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demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, etvous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire, en même temps que laréminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère. […]

Mallarmé, Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil, 1886.

Au lendemain de la conférence de Heidegger sur l'essence de la technique Heisenberg en1953 écrit:”L'humanité est comme un énorme bateau de fer dont la boussole n'indique plus que lui-même”.L'homme a arraisonné la nature par la technique et la science,il a soumis la nature par sa volonté à sa toute puissance,il est temps maintenant de recommencer à contempler la nature et de s'orienter avec les étoiles...Les poètes sont les lumières qui peuvent nous sauver de la catastrophe.

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Poésie = nommer

Comme connaissance sur les théories poétiques, et comme exemple de ce que peut le Verbe : nommer les choses, c’estles faire exister. C’est ce que fait Bonnefoy, et c’est une manière possible de définir/comprendre la poésie.

[…] A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole,cependant, si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ?Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que lescalices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le Dire, avant tout,rêve et chant, retrouve chez le poëte, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité.Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cetisolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempealternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire, en mêmetemps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère. […]

Mallarmé, Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil, 1886.

Poésie = nommer

Comme connaissance sur les théories poétiques, et comme exemple de ce que peut le Verbe : nommer les choses, c’estles faire exister. C’est ce que fait Bonnefoy, et c’est une manière possible de définir/comprendre la poésie.

[…] A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole,cependant, si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ?Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que lescalices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le Dire, avant tout,rêve et chant, retrouve chez le poëte, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité.Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cetisolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempealternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire, en mêmetemps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère. […]

Mallarmé, Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil, 1886.

Poésie = nommer

Comme connaissance sur les théories poétiques, et comme exemple de ce que peut le Verbe : nommer les choses, c’estles faire exister. C’est ce que fait Bonnefoy, et c’est une manière possible de définir/comprendre la poésie.

[…] A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole,cependant, si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ?Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que lescalices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le Dire, avant tout,rêve et chant, retrouve chez le poëte, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité.Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cetisolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempealternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire, en mêmetemps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère. […]

Mallarmé, Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil, 1886.

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L'Art énonce la Vérité des apparences.La poésie cherche à direl'essence de la réalité,la poésie est dé-voilement: Ainsi, la rose”l'absente de tout bouquet”. “Je dis une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègueaucun contour en tant que quelque chose d’autre que les calices susmusicalement se lève, idée même et suave, l’absente de toutbouquet.”.Mallarmé. Ou Baudelaire L'Idéal” “Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal”

Comme la cage du mouton de saint Exupéry qui ne représente aucunmouton mais le mouton idéal car aucun mouton déssiné empirique,sensiblene convient au petit Prince.Le poète cherche à dire l'Idéal,le possible,letoujours déjà vu et perdu.La nostalgie de l'enfance,les paradisperdus,”être c'est avoir été “dit Platon et connaître c'est reconnaître,avoirtouours déjà vu.Réminiscence et Anamnèse.

Le poète est un prophète,voyant,”rêveur sacré”,”élu de dieu”qui parle àson âme, “qui porte la lumière(Lucifer) et visionnaire“des temps futursperçantsles ombres”cf Victor Hugo ,“Fonction du poète”,1840.Il s'agit de “plonger dans la vérité de l'être” cfAimé Cesaire.Le poète aune fonction sociale et politique:restituer à l'homme sa dignité.Le poète est aussi résistant,Liberté de Paul EluardPoésie etvérité(1942),Aragon les yeux d'Elsa(1943),ils collaborent à uneanthologie clandestine qui appelle à resister,Desnos sera déporté.RenéChar Fureur et mystère,Francis ponge le parti pris des choses.La poésieest résistance.La poésie est célébration du monde,chant du monde orphique,la lyred'Orphéee ou celle d'Apollon enchantent nos routes et apaisent nos doutes. “Au commencement était le verbe” et sa puissance créatrice quinourrit la mémoire et transforme la nuit en lumière”.

“Voilà pourquoi au temps de la nuit du monde,le poète dit le sacré”Heidegger,Chemins qui ne mènent nulle part.

Véronique Gau, professeur de philosophie, lycée La borde-Basse àCastres.

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