Porphyre - Traité sur le principe connais-toi toi-même

8/12/2019 Porphyre - Trait sur le principe connais-toi toi-mme

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615TRAITE SUR LE PRECEPTE CONNAIS TOI TOI MMEPAR

PORPHYREDRESS J MBLIQUE(01).

1. [LIVRE I.] Quel est le sens, quel est l'auteur du prcepte sacr qui est inscrit sur le

temple d'Apollon, et qui dit celui qui vient implorer le Dieu : Connais -toi toi-mme? Il

signifie, ce semble, que l'homme qui s'ignore lui-mme ne saurait rendre au Dieu des

hommages convenables ni en obtenir ce qu'il implore. Soit que oe prcepte, si ulile pour

l'homme dans toutes les circonstances de la vie, ait pour auteur Phmono (02), qui passe

pour avoir transmis la premire aux hommes les oracles d'Apollon, ou Phanotha, fille de

Delphus; soit que Bias (03), ou Thals, ou Chilon (04)l'ait Inscrit sur le temple, par suite

d'une inspiration divine; soit que Chilon, comme le prtend Clarque (05), ayant demand

Apollon ce qu'il tait le plu utile aux hommes d'apprendre, en ait reu pour rponse

Connais- toi toi-mme; soit que ce prcepte ait t Inscrit sur le temple avant l'poque de

Chilon, comme le dit Aristote dans ses livres sur la philosophie; dans tous les cas,

Jambllque (06), quelle que soit l'opinion qu'on ail sur l'origine de ce prcepte, il faut

admettre que, 616puisqu'il est inscrit sur le temple de Delphes, il a t ou dit ou inspir par

le Dieu. Il nous reste donc examiner ce qu'il signifie, et ce qu'au nom d'Apollon il nous

prescrit de faire avant de nous purifier par l'eau lustrale.II. [LIVRE I.] Peut-tre le prcepte Connais-toi toi-mme quivaut-il Sois

temprant() (07), c'est--dire Conserve la sagesse( ) : car la

temprance ... est une espce de conservationde la sagesse (). En ce cas,

Apollon parlerait de la sagesse ( ) et de lacause de la sagesseen nous

prescrivant de nous conserver nous-mmes. Si telle est la pense du Dieu, il nous faut

connatre quelle est notre essence.D'autres philosophes, qui admettent que l'homme est

un petit monde, disent que le prcepte d'Apollon commande sans doute de se connatre

soi- mme, mais que, l'homme tant un petit monde, la prescription de se connatre soi-

mme quivaut celle de se livrer l'tude de la philosophie. Si donc nous voulons nous

livrer l'tude de la philosophie sans nous garer, appliquons-nous nous connatre

nous-mmes, et nous arriverons la droite philosophie en nous levant de la conception

de nous-mmes la contemplation del'univers (08).Sans doute on a raison de dire que

nous concluons de ce qui est en nous tout ce qui est hors de nous, et qu'aprs nous tre

cherchs et nous tre trouvs nous-mmes, nous passons facilement la contemplation

de l'univers (09); peut-tre cependant Apollon nous ordonne-t-il de nous tudier nous-
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mmes moins pour arriver possder la philosophie que pour atteindre un but plus relev,

en vue duquel nous tudions la philosophie elle-mme. En effet, si nous nous appliquons

la philosophie, c'est parce que nous avons de l'inclinaiion pour la sagesse et que nous

aimons la spculation. Or, le zle que nous mettons & accomplir le prcepteConnais-toi

toi-mmenous conduit au vritable bonheur, qui a pour conditions l'amour de la sagesse,

la contemplation du Bien, laquelle est le fruit de la sagesse, et la connaissance des tres

vritables (10). Dans ce cas, le Dieu nous ordonne de 617nous connatre nous-mmes,non pour nous livrer l'tude de la philosophie, mais pour arriver au bonheur pa r

l'acquisition de la sagesse. En effet, trouver notre essence relle, la connatre

vritablement, c'est acqurir la sagesse ; or, le propre de la sagesse est d'avoir la science

vritable de l'essence relle des choses, et la possession de la sagesse condu it au

vritable bonheur (11).III. [LIVRE IV.] Comme en descendant ici-bas nous revtons l'homme extrieur, et

que nous tombons dans l'erreur de croire que ce qu'on voit de nous est nous-mmes, le

prcepteConnais-toi toi-mmeest fort propre nous faire connatre quelles facults

constituent notre essence. Platon, en mentionnant dans le Philbele prcepteConnais-toi

toi-mme,distingue trois espces dignorance cet gard (12). L'ignorance de soi-mme

est donc un mal sous tous les rapports, soit qu'ignorant la grandeur et la dignit de

l'homme intrieur (13)on rabaisse ce divin principe, soit qu'ignorant la bassesse naturelle

de l'homme extrieur on ait le tort de s'en glorifier. C'est qu'alors on ne sait pas que la

nature se joue de toute chose mortelle,Comme, sur les bords de la mer, un enfant

Qui a, de ses mains dlicates, lov des difices de sable

Les pousse ensuite du pied et les confond en se jouant (14).618Ainsi, quiconque, par ignorance de soi-mme, exalte son extrieur glorifie plus

qu'elle ne le veul la nature qui l'a form : car il admire comme des chefs -d'uvre des

choses que la nature fail en se jouant, tandis que celle-ci parait estimer chacune de ces

choses sa vritable valeur et ne partage pas l'erreur de ceux qui exaltent ses dons outre

mesure. Le prcepteConnais-toi toi-mmes'applique donc l'apprciation de toutes nos

facults, puisqu'il nous commande de connatre la mesure de chaque chose. Ce prcepte

semble signifier qu'il faut connatre notre me et notre intelligence, parce qu'elles

constituent notre essence. Enfin, nous connatre parfaitement nous-mmes, c'est tout la

fois nous connatre nous-mmes [c'est--dire notre me], connatre ce qui est ntre [c'est-

-dire notre corps] et ce qui se rapporte ce qui est ntre.Platon a raison de nous recommander dans le Philbede nous sparer de tout ce qui

nous entoure et nous est tranger, afin de nous connatre nous-mmes fond, de savoir
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ce qu'est l'homme immortel et ce qu'est l'homme extrieur, image du premier, et ce qui

appartient chacun d'eux. A l'homme intrieurappartient l'intelligence parfaite; elle

constitue l'homme mme, dont chacun de nous est l'inne. A l'homme extrieurappartient

le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir quelles sont les facults propres

chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d'accorder chacun d'eux, pour ne

pas prfrer la partie mortelle et terrestre la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de

piti et de rise dans la tragdie et la comdie de cette vie insense (15), enfin pour ne

pas prter la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misrables et

injustes par ignorance de ce que nous devons chacune de ces deux parties (16).

(01) Ces trois fragments sont extraits du Florilegiumde Stobe, tit. xxi, 26, 27, 28,

d. Gaisford. .(02) Voy. Diogne Larce, 1, 40.(03)Voy. Stobe,Florilegium, lit. xxi, 11.(04)Ibid., 13.(05)Ibid., 12.(06)Jamblique, qui est adress ce trait, avait compos unCommentaire sur

l'Alcibiade de Platon, dans lequel il parait avoir beaucoup emprunt Porphyre, et, comme

Proclus s'est lui-mme, de son propre aveu, inspir du travail de Jamblique, il en rsulte

qu'il a d reproduire souvent les ides de Porphyre, quoiqu'il ne le nomme pas. Voy.

l'analyse que Proclus a donne du travail de Jamblique dans sonCommentaire sur

l'Alcibiade de Platon, t. Il, p. 34, d. de M. Cousin.(07)Voy. Platon, Charmide.(08)Voy. Plotin, Enn. IV, liv. i, 1.(09) L'me est l'image de ce qui est au-dessus d'elle et le modle de ce qui est au-

dessous d'elle. Donc, en se connaissant elle-mme et en s'analysant, elle connat toutes

choses sans sortir de sa nature propre. Proclus ,Comm. sur le Time,p. 231. Bossuet

dit aussi : La sagesse consiste connatre Dieu et se connatre soi -mme. La

connaissance de nous-mmes nous doit lever a la connaissance de Dieu. (De la

Connaissance de Dieu et de toi-mme, prambule.)
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(10)Voy. Porphyre,Principes de la thorie des intelligibles. i, t. I, p. LI; et

Plotin, Enn. 1, liv. iv, 3.(11)Proclus interprle dans le mme sens le prcepteConnait-toi toi-mme: La

doctrine expose dans les dialogues de Platon et la philosophie en gnral nousparaissent avoir pour principe fondamental la connaissance de notre nature. En la prenant

sagement pour base de nos spculations, nous saurons avec exactitude quel est le bien

qui nous convient et quel est son contraire : car la perfection des tres diffre selon leur

essence et leur rang... Le prcepteConnais-toi toi-mmeinscrit sur le fronton du temple de

Delphes indiquait, je crois, la manire de s'lever Dieu et le moyen le plus sr de se

purilier. Il disait aux esprits capables de le comprendre que celui qui se connat lui -mme

peut, en dbutant ainsi par le vrai principe, s'unir au Dieu qui nous rvle toute vrit et

nous guide dans la vie purificative; tandis que celui qui s'ignore lui-mme, lant un profane,

un homme non initi aux mystres, ne saurait participer aux bienfaits d'ApolIon. La

connaissance de soi-mme est donc le principe de la philosophie et de la doctrine de

Platon. (Comm. sur l'Alcib., l. Il, p. 2,13).(12)Platon, Philbe, I. Il, p. 410 de la trad. de M. Cousin. Porphyre avait compos sur

ce dialogue un Commentairequi est cit par (Olympiodore (Scholies sur le Philbe, p. 239,

262, dans le Platonis Philebusde Stalbaum, Leipsick, 1821), et par Simplicius (Comm. sur

la Physique d'Aristote,III, 104).(13)Cette expression est emprunte auPhilbede Platon, t. Il, p. 408 de la trad. de

M. Cousin.(14) Homre,Iliade, XV, vers 365-367.(15)Expression de Platon, Philbe, t. II, p. 408 de la trad. de M. Cousin. Olympiodore

dit ce sujet : Bacchus prside la gnration, la vie et la mort, et de l la tragdie

et la comdie, l'une qui reprsente la vie et le ct plaisant des choses, l'autre qui peint

le malheur et la mort. (Comm. sur le Phdon,dans Cousin, Fragments de Philosophie

ancienne,p. 402.)(16)Saint Augustin interprte dans le mime sens le prcepteConnais-toi toi-mme:

Utquid ergo ei [menti] proeceptum est ut se ipsam cognoscet ? Credo, ut se ipsam

cogitet et secundum naturam suam vivat, id est, ut secundum naturam suam ordinari

appelat, sub eo scilicet cui subdenda est, supra ea quibus praeponenda est ; sub illo a quo

regi debet, supra ea quoe regere debet, etc. (De Trinitate, X, 5.) Voy. aussi Bossuet, De

la Connaissance de Dieu et de soi-mme, IV, 11.
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