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FISCALITÉ DU NUMÉRIQUE Poursuivre un objectif d’équité sans instaurer de régime d’exception

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FISCALITÉ DU NUMÉRIQUE

Poursuivre un objectif d’équité sans instaurer de régime d’exception

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Il en résulte à ce jour des propositions de taxes sectorielles dont l’efficience a été généralement mise en doute, voire dont les effets contre-productifs ont été soulignés.

Préambule

Poursuivre un objectif d’équité sans instaurer de régime d’exception

DDepuis trois ans, de nombreuses tentatives d’instauration de nouvelles taxes sectorielles ciblant l’économie numérique ont vu le jour. La majorité de ces tentatives a été animée par le souhait de corriger une réalité économique

indéniable : la plupart des champions de l’économie numérique sont des acteurs internationaux dont les innovations et modèles économiques leur ont permis de s’abstraire des modes de distribution traditionnels, des cadres de régulation associés à ces modèles et, donc, de mettre en place des stratégies d’optimisation fiscale parfaitement adaptées aux cadres réglementaires européens.

Certaines de ces propositions de taxes ont ainsi été à l’initiative de parlementaires motivés par la transposition au numérique de dispositions fiscales manifestement plus adaptées à l’économie traditionnelle. Ces dernières ou d’autres ont aussi fait l’objet de soutien de la part d’écosystèmes économiques s’estimant lésés par la concurrence de l’économie numérique. Il en résulte à ce jour des propositions de taxes sectorielles dont l’efficience a été généralement mise en doute, voire dont les effets contre-productifs ont été soulignés.

Il est vrai que de par son caractère immatériel, l’économie numérique permet plus facilement une localisation optimale de ses actifs sans préjudice pour la qualité de service. Mais, loin d’être l’apanage exclusif de l’économie numérique, les pratiques d’optimisation fiscale sont le fait de grands groupes, tous secteurs confondus, tant le contexte concurrentiel en matière fiscale s’y prête en Europe ou ailleurs, et tant les montants en jeu sont considérables. Si la préoccupation des pouvoirs publics d’un meilleur recouvrement de l’impôt est, évidemment, tout à fait légitime et qu’elle est en outre logiquement partagée par de nombreuses entreprises dans un esprit de juste concurrence, il n’est pas justifié de stigmatiser l’économie numérique sur ce point en particulier.

Pour autant, l’économie numérique fait, de la part de certains, l’objet d’une quasi « diabolisation » qui n’est pas sans rappeler celle dont l’électricité faisait l’objet à son invention. Il n’est, en effet, pas acceptable de lire ou d’entendre l’économie numérique se faire qualifier d’économie « prédactrice ». Les outils numériques, qu’ils reposent ou non sur un modèle d’audience ou de collecte de données, proposent – gratuitement ou non – des services à haute valeur ajoutée. Bien plus, ils représentent pour beaucoup d’utilisateurs de formidables espaces de liberté d’expression et d’opportunités de création de toute nature. Le statut des données personnelles, qui est au cœur de leur financement dans le cas de la gratuité, fait l’objet de travaux qui conduiront à un cadre réglementaire stabilisé assurant le développement des usages dans le respect indispensable des libertés publiques.

En réinventant les usages, le numérique change les comportements sociaux et … économiques. Les chaînes de valeur en sont donc bousculées et les entreprises doivent se réinventer elles-mêmes. Ce mouvement est ressenti de façon particulièrement forte en France où les usages sont, dans certains secteurs, enserrés dans des cadres de régulation. La mission dévolue à Pierre Lescure vise notamment à résoudre cette contradiction qui déstabilise le modèle française de l’exception culturelle.

Le numérique est en fait à l’origine d’une formidable création de valeur que ce soit en tant que secteur producteur, pour les utilisateurs (entreprises et individus) ou en tant que vecteur d’innovation pour les industries de toutes sortes. Des leviers en matière d’équité fiscale qui adapteraient le cadre actuel pour les PME de croissance doivent en tout état de cause être explorés. Mais la part des débats sur la fiscalité du numérique qui ne relève que des conséquences désordonnées de la mondialisation des échanges ou de l’inconsistance du projet européen – c’est-à-dire finalement

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Au lieu de faire parler le génie national en matière d’inventivité fiscale, on serait mieux inspiré d’élaborer des politiques industrielles susceptibles de donner naissance à des acteurs économiques mondiaux.

l’essentiel – doit être appréhendée dans ce cadre. Au lieu de faire parler le génie national en matière d’inventivité fiscale, on serait mieux inspiré d’élaborer des politiques industrielles susceptibles de donner naissance à des acteurs économiques mondiaux, de construire des contextes attractifs d’épanouissement de l’innovation, de reconstruire des cadres de régulation adaptés aux nouvelles réalités et de donner une nouvelle impulsion aux concertations sur l’évolution de la fiscalité des acteurs internationaux.

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Sommaire

A. L’économie numérique créatrice de valeur 5

1. La Création de valeur pour le numérique et par le numérique 5

a. L’innovation au sein des entreprises repose sur le numérique b. Le numérique prend une place déterminante dans la valeur ajoutée des c. Les services numériques donnent de la valeur aux réseaux

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2. Une opportunité de « transformation de la valeur » plutôt qu’un « transfert de valeur de la part des industries traditionnelles »

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3. L’hypothèse myope de la fiscalité comme principal avantage comparatif des grands acteurs du numérique

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4. La fiscalité, véritable effet levier sur le développement des PME 9

5. L’économie numérique est effectivement… numérique 9

6. La notion éminemment contestable du « travail gratuit » 9

B. L’environnement fiscal de l’économie numérique 10

1. La stabilité réglementaire et fiscale comme préalable 10

a. Sanctuariser le Crédit impôt recherche (CIR) b. Le dispositif Jeune Entreprise Innovante : stabilité et pérennité c. Les propositions de réforme du rapport Colin & Collin

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2. Numérique et optimisation fiscale 12

a. Le chantier de l’harmonisation fiscale européenne b. Les possibilités offertes d’optimisation fiscale en Europe

1214

3. Les initiatives de taxation du numérique 15

a. Taxes sur la publicité b. La Taxe sur l’achat de services de commerce électronique (TASCOé) : une tentative

illusoire d’intégration du monde numérique dans les schémas du monde réel c. Copie privée et cloud computing : ne pas confondre l’usage et l’exception d. Taxe sur les données personnelles e. La taxe sur la bande passante

1515

161819

C. Développer l’attractivité du territoire et poursuivre l’harmonisation fiscale 20

1. Priorité aux stratégies d’attractivité 20

2. Les travaux européens et de l’OCDE en vue d’une harmonisation 20

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On ne peut évoquer la compétitivité au sein des entreprises aujourd’hui, sans souligner leur stratégie numérique.

A. L’économie numérique, créatrice de valeur

1. La Création de valeur pour le numérique et par le numérique

a. L’innovation au sein des entreprises repose sur le numérique

Le numérique est au cœur des processus de transformation et d’innovation de toutes les entreprises. Si bien qu’on ne peut évoquer la compétitivité au sein des entreprises aujourd’hui, sans souligner leur stratégie numérique.

Comme le montre le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) de janvier 20121, l’économie numérique s’étend progressivement à tous les secteurs, jusqu’à toucher aujourd’hui directement 80% de l’économie française. Les secteurs profondémment transformés sous l’effet de la numérisation, tels la musique ou les voyages, représentent 12% du PIB.

Les entreprises les plus performantes sont en outre des pure players du numérique. Les nations qui améliorent leur rayonnement économique international sont celles, qui à l’instar d’une Corée du Sud ayant dépassé la France dans le classement du World Economic Forum, ont le plus investi dans le numérique.

b. Le numérique prend une place déterminante dans la valeur ajoutée des produits industriels

De nombreuses études et rapports2 font le lien entre investissements dans le numérique, et croissance des entreprises.

Les chiffres du rapport de l’IGF3 sont éloquents. Le cœur de l’économie numérique représente 5,2% du PIB et les secteurs profondément transformés par l’économie numérique 12%. Au total, les secteurs qui ont dégagé des gains de productivité significatifs grâce à l’intégration des TIC constituent 60% du PIB. Le numérique contribue au quart de la croissance française.

1 Rapport IGF sur le soutien à l’économie numérique et à l’innovation, janvier 20122 Rapport Mc Kinsey 2011 sur Internet3 Rapport IGF sur le soutien à l’économie numérique et à l’innovation, janvier 2012

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Le numérique est le principal relais de croissance des industries traditionnelles

Toutefois, la France accuse un retard conséquent. Elle n’occupe que le 21e rang mondial de l’adoption des TICs selon le Digital Ranking publié par The Economist. Une réalité qui se paie en points de PIB car l’économie numérique croît deux fois plus que le reste de l’économie et les nouvelles technologies sont aujourd’hui le principal levier de productivité des économies traditionnelles. Rexecode estime ainsi que le numérique aurait contribué à hauteur de 37% à la croissance aux Etats-Unis entre 1980 et 2008, contre 26% en France.

Le numérique est le principal relais de croissance des industries traditionnelles qui améliorent leurs process de production, leurs produits et leurs services grâce à lui. Certains pays ont bien appréhendé ces nouveaux challenges, à l’image des pays scandinaves, de Taïwan, de la Corée du Sud, du Japon, d’Israël et des États-Unis. Selon les rapporteurs de l’IGF4, il convient de renforcer le cœur de l’économie numérique et d’améliorer l’effet de diffusion et d’appropriation du numérique par les secteurs utilisateurs. Rappelons par ailleurs que le numérique représente plus de 1 million d’emplois directs en France, et a permis la création de 700 000 emplois en 15 ans.

4 Ibid

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Derrière la question du transfert de la valeur se pose celle de la transformation de la valeur.

c. Les services numériques donnent de la valeur aux réseaux

Les industries du numérique ont initié une révolution dans le rapport du public aux contenus et aux services, en rendant possible la consultation en ligne. En matière de culture, le public a désormais accès à un catalogue inouï de musique pour quelques euros par mois. Les œuvres les plus diverses abondent dans la longue traîne et l’expérience utilisateur a été démultipliée avec les nouveaux modes de distribution et les nouveaux terminaux. Qu’il s’agisse de livres, de vidéos, de téléphonie, de presse ou de services numériques, l’usage est aujourd’hui totalement renouvelé. C’est aussi l’expérience de création qui a été démocratisée, avec la mise à disposition d’outils auparavant réservés à des élites. Au-delà de ces évolutions, la notion “d’usage” elle-même a pris une importance inédite : l’ergonomie, le design et le marketing sont désormais au centre de la création de valeur.

Parmi les dynamiques importantes, on note la valeur attribuée à l’accès aux contenus, plutôt qu’à la possession, comme dans le monde physique. Cette évolution est notamment due au développement des services de Cloud.

2. Une opportunité de « transformation de la valeur » plutôt qu’un « transfert de valeur de la part des industries traditionnelles »

L’expression « transfert de valeur » a fait florès ces derniers temps pour désigner la captation de valeur à laquelle se livreraient les acteurs du numérique, en particulier au détriment des industries culturelles. Il paraît instinctivement évident que le tube de l’artiste coréen « Psy » qui a été visionné plus d’1,3 milliard de fois sur les plateformes de streaming vidéo a bénéficié de l’exposition mondiale que seuls les outils numériques pouvaient lui offrir. Derrière la question du transfert de la valeur se pose en réalité celle de la transformation de la valeur et du partage qui en résulte entre une économie classiquement transactionnelle et une économie qui ressort souvent - mais non exclusivement - de la gratuité. Or aujourd’hui la chaîne de valeur des industries culturelles n’est pas organisée pour permettre une juste rémunération des différents maillons sur la base de la publicité. De la même manière, la presse a fait le choix du modèle de la gratuité sans y trouver son équilibre. A contrario le numérique peut permettre à de nombreux modèles économiques, pas nécessairement basés sur la publicité, de s’épanouir.

Cette réalité est aujourd’hui incontournable et les éditeurs de logiciels et/ou acteurs de l’internet ont conquis grâce à l’innovation et l’évolution des usages, des positions fortes dans des secteurs autrefois dominés par d’autres industries :• 1er libraire du monde.• 1er service de partage de vidéo.

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Pour les usagers, la mobilité, la flexibilité ou le partage sont devenus des valeurs essentielles.

• 1er service de téléphonie par nombre d’abonnés.• La plus forte croissance dans la distribution de musique.

Les conséquences sociétales sont fortes : • Démocratisation indéniable de l’accès aux contenus. • Choix culturels libres après choix contraints.• Effet longue traine : profondeur du catalogue, diversité.• Démultiplication des possibilités d’expérience utilisateur.• Démultiplication des expériences de créateur avec démocratisation de l’accès

également.

Les conséquences économiques également :• Le bien change : moindre attachement à la possession mais valeur d’usage forte.• Foisonnement de business modèles de la culture numérique.• A contrario, comparer l’économie du disque avec le streaming ou le

téléchargement n’a pas de sens en soi.• L’équation globale de la rémunération est à revoir.

Il est donc erroné de parler de « transfert de valeur ». Les usages ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui et la valeur des biens considérés a également changé. Les chaînes de valeur sont en train de se reconstituer et la question du partage de la valeur se pose comme dans toute problématique de distribution. Il faut donc considérer avec attention que pour les usagers, la mobilité, la flexibilité ou encore le partage sont devenus aujourd’hui des valeurs essentielles qui vont parfois au-delà de la propriété des biens …Les acteurs du numériques sont ceux qui peuvent conférer cette nouvelle « valeur » aux biens.

3. L’hypothèse myope de la fiscalité comme principal avantage comparatif des grands acteurs du numérique

Les nombreuses tentatives, jusqu’ici avortées, de créer de nouvelles taxes sur l’économie numérique reposent sur une vision qui place la fiscalité en tête des atouts expliquant le succès des entreprises les plus emblématiques de l’économie numérique. Soyons clairs : en dépit de son effet levier sur les investissements, ce n’est pas une fiscalité plus favorable qui explique le succès de ces acteurs mais l’innovation, la puissance d’un écosystème performant (lien universités-entreprise, capital-risque illimité), la taille du marché natif, la culture du risque et la concurrence.

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Ce n’est pas une fiscalité plus favorable qui explique le succès de ces acteurs mais l’innovation, la puissance d’un écosystème performant, la taille du marché natif, la culture du risque et la concurrence.

Vouloir transposer des taxes de l’économie transactionnelle traditionnelle vers l’économie numérique serait un contresens.

Le rapport Colin & Collin n’en débouche pas moins sur des propositions en faveur d’une fiscalité d’exception.

Ce n’est pas une fiscalité favorable qui leur permet de maintenir – non indéfiniment – leurs positions mais plutôt les déterminants propres de l’économie numérique en faveur de la concentration des acteurs (effets réseaux, économies d’échelle), une allocation optimale à l’international de leurs facteurs de production, la capacité à mettre en œuvre à l’échelle du monde des stratégies de plateforme ou d’intégration verticale.

En outre, l’économie numérique est une économie du risque où malgré toutes les stratégies de captation d’audience et de consolidation des positions mises en œuvre, l’innovation a le dernier mot. Les acteurs qui dominent le marché aujourd’hui ne sont pas ceux qui le dominaient il y a dix ans, contrairement à bien d’autres secteurs, et il est loin d’être acquis que ceux-là le domineront demain. C’est pourquoi il est important d’élaborer dès à présent une politique industrielle centrée sur le numérique en France.

4. La fiscalité, véritable effet levier sur le développement des PME

En revanche, une fiscalité pénalisante pourrait a contrario dissuader les investissements nécessaires et rendre caducs les business plans établis dans un environnement règlementaire donné. Pour les PME du numérique, la question de la stabilité fiscale est essentielle. La fiscalité peut également jouer un rôle déterminant pour soutenir la R&D et l’innovation (dispositifs CIR et JEI) et l’équité fiscale peut réduire les barrières à l’entrée. L’émoi suscité par le mouvement des pigeons à l’occasion de l’examen du PLF 2013 est emblématique. Le cadre fiscal a une influence directe sur la prise d’initiative et la créativité des entrepreneurs.

5. L’économie numérique est, effectivement... numérique

La question de la fiscalité des acteurs du numérique n’est pas une question « d’impunité fiscale » comme cela a été écrit. La fiscalité n’a pas de fonction punitive. C’est une question d’équité qui repose surtout sur l’évidente inéquité des entreprises devant les possibilités d’optimisation offerte par le contexte réglementaire actuel. Cette question de l’inéquité est davantage un enjeu entre les entreprises du numérique qui ne peuvent bénéficier selon leur taille et leur localisation des mêmes conditions fiscales. Mais elle ne doit pas constituer un enjeu entre l’économie numérique et l’économie traditionnelle. Ainsi, vouloir transposer des taxes de l’économie transactionnelle traditionnelle (comme celle sur la surface commerciale) vers l’économie numérique est un contresens. Pourquoi ne pas imposer un droit de timbre sur l’email qui réduit considérablement l’intérêt de l’usage du courrier ?

6. La notion éminemment contestable du « travail gratuit »

Le rapport Colin & Collin a le mérite d’entreprendre une conceptualisation brillante des dynamismes de l’économie numérique, de souligner les limites de nos modèles fiscaux territorialisés et d’explorer des voies intellectuellement stimulantes. Il n’en débouche pas moins sur des propositions en faveur d’une fiscalité d’exception qui n’entend pas adapter fondamentalement nos modèles de taxation généraux aux réalités de l’économie numérique mais puiser ponctuellement dans les bénéfices de quelques acteurs. Plus grave, la proposition par les auteurs d’une taxation de l’usage des données personnelles repose sur le présupposé trompeur, du « travail gratuit » dont s’acquitteraient les internautes dont les données personnelles sont collectées par les acteurs du net. De l’avis même des rapporteurs, cette activité non rémunérée ferait des acteurs d’internet des « prédateurs » qu’il conviendrait de taxer, non sur le modèle d’une taxation unique et a priori neutre telle que l’IS, mais sur celui du « pollueur–payeur », c’est-à-dire d’une taxe sectorielle compensatoire et à visée incitative...Outre le fait que cette analyse ne s’accorde pas avec le débat en cours sur le statut des données personnelles, elle comporte de nombreuses faiblesses :

• Un « capital personnel » plus qu’un travail : la première faiblesse de l’argumentation du « travail gratuit » est que la collecte des données est, réalisée dans la majorité des cas par les algorithmes de l’outil numérique en question, et non par l’internaute lui-même, qui est le plus souvent passif. Les données représenteraient donc, pour

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La gratuité réside surtout dans la mise à disposition gratuite pour l’internaute de l’outil technologique.

En dépit de son rôle crucial dans l’attractivité du pays, le crédit d’impôt recherche (CIR) est victime d’une instabilité chronique dont souffrent prioritairement les PME françaises innovantes.

rependre une dichotomie économique classique, davantage un « capital » dont serait alors propriétaire l’internaute qu’un « travail », qui se mesurerait en heures travaillées…

• Ce qui est gratuit c’est l’usage : la seconde faiblesse est que s’il y a gratuité, elle réside surtout dans la mise à disposition gratuite pour l’internaute de l’outil technologique, outil qui a pu demander des années de recherche & développement dans le cas des applications les plus complexes (moteurs de recherche) et qui repose souvent sur des infrastructures réseaux coûteuses.

• Les termes de l’échange « données/service » contestés : la troisième faiblesse est de présupposer que la donnée personnelle est un actif dont la valorisation dépasse celle d’un « temps d’audience » (modèle de la publicité). Les auteurs défendent en effet que la donnée personnelle représenterait une valeur bien supérieure à celle de la monétisation d’une audience et justifierait alors la mise en place d’une fiscalité particulière. Il s’agit d’une vision qui survalorise la donnée, comme en témoigne la valorisation des espaces publicitaires des grands concentrateurs d’audience versus les études comportementales réalisées par les sociétés d’études marketing. C’est davantage sur le croisement des deux (audience ciblée) que repose l’avenir économique de nombreux secteurs numériques. La question des « termes de l’échange » (données personnelles / service gratuit) ne peut donc se réduire à cette analyse. Enfin, cette vision tient comme acquis l’idée d’une marchandisation de la donnée personnelle, sans préjuger des travaux en cours sur son statut en Europe.

B. L’environnement fiscal de l’économie numérique

1. La stabilité réglementaire et fiscale comme préalable

Comme le souligne le rapport de Greenwich consulting remis au Sénat en octobre 20095, les entreprises présentes en France ou désireuses de s’y implanter sont en quête de stabilité réglementaire et de simplicité administrative :

• stabilité : les témoignages de dirigeants de sociétés établies dans les Etats à fiscalité dite « attractive » mettent en exergue un environnement globalement favorable à l’entreprise. La comparaison des dispositifs fiscaux (voir tableau page 15) de ces pays avec le système français ne joue pas en faveur de son attractivité, y compris au cœur de l’Europe ;

• simplicité : d’une part, il convient de veiller particulièrement à la limitation des effets de complexification qu’entraine pour l’entreprise la modification récurrente de la règlementation. D’autre part, les efforts de simplification des démarches de création et de gestion d’entreprises peuvent être poursuivis pour arriver aux meilleurs standards européens. Ce facteur est clef pour le numérique dans la mesure où ce secteur est particulièrement fécond en créations d’entreprises ;

a. Sanctuariser le Crédit impôt recherche (CIR)

En dépit de son rôle crucial dans l’attractivité du pays, le crédit d’impôt recherche (CIR) est victime d’une instabilité chronique dont souffrent prioritairement les PME françaises innovantes.

Egal, en 2008, à 30 % des dépenses de R&D lorsque celles-ci sont inférieures ou égales à 100 millions d’euros (et à 5 % au-delà), son taux est alors majoré à 50 % et à 40 % au titre de la première et de la deuxième année de déclaration. Mais, à compter du 1er Janvier 2011, les taux sont ramenés à 40 %, 35 % respectivement pour la première et la deuxième année (30% à partir de la 3ème année) et, depuis 2013, il ne reste que le taux de 30%, dans tous les cas.

La fréquence, sinon l’ampleur, de ces réformes dépasse la nécessaire adaptation de 5 Greenwich consulting, « Evaluer l’impact du développement d’internet sur les finances de l’Etat », Rapport d’étude réalisé pour le Sénat, Octobre 2009

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la réglementation à l’évolution des circonstances. Cette inconstance est préjudiciable pour les PME innovantes et pour l’attractivité de la France.

Les études relatives au CIR convergent pour démontrer qu’il s’agit d’un instrument incitatif pour la R&D des entreprises, et notamment des PME. L’étude économique d’Emmanuel Duguet établit qu’un euro de CIR génèrerait 2,33 euros de recherche privée soit 3,33 euros de recherche totale et conclut à l’absence d’effet d’éviction. Le CIR est devenu davantage qu’un dispositif fiscal. Le CIR produit un effet vertueux et profitable à long terme car il aide les sociétés à maintenir et à développer leurs activités de R&D. Or nos dépenses de R&D limitées à 2,2 % du PIB n’ont pas atteint les objectifs de Lisbonne.

Sans CIR, la France serait, en termes de coût du chercheur, le pays le plus cher en Europe. Avec le CIR, elle est plus compétitive que l’Allemagne ou que la Grande-Bretagne, et à peine moins que Singapour6.

Pour les entreprises technologiques, grandes et petites, et notamment l’industrie du logiciel, le CIR est néanmoins sujet à de nombreuses controverses car il ne soutient pas suffisamment les démarches d’industrialisation. En outre, la France accuse un certain retard dans la réalisation des objectifs de la Stratégie européenne EU 2020 fixant à 3 % du PIB les dépenses en R&D. Le CIR est un bon dispositif mais pour conserver son attractivité vis-à-vis des implantations de centres de R&D étrangers, il doit impérativement être « benchmarké » régulièrement avec les dispositifs étrangers qui l’ont, depuis, copié.

En soutenant la R&D, et notamment la recherche fondamentale, le CIR ne favorise pas suffisamment l’innovation, alors que la valeur ajoutée y est la plus importante. En effet, la part d’innovation dans la compétitivité prend le pas sur celle de la R&D montrant que les périmètres actuels des aides publiques ne sont plus adaptés. A titre d’exemple, sur la période 2006-2008, près de 47% des industries françaises n’ont généré aucune innovation, qu’elle soit technologique ou marketing, alors que 85% des entreprises allemandes ont innové7. Il convient donc d’explorer davantage l’aval des processus des entreprises innovantes pour renforcer le lien entre compétitivité et CIR.

Introduit par la loi de finances 2013, le Crédit Impôt Innovation représente une indéniable avancée. Il correspond8 à un élargissement du périmètre des activités éligibles au Crédit d’Impôt Recherche à certaines dépenses d’innovation9. Ce nouveau volet du dispositif CIR ne concerne que les PME au sens communautaire. Par ailleurs, ces dépenses sont prises en compte dans la limite de 400 000 € avec application d’un taux inférieur à celui du CIR, soit 20%.

Si l’intérêt pour les industries prototypant leurs futurs produits à fonds perdus est évident, il subsiste néanmoins des interrogations quant à l’application du CII. Ces interrogations sont de deux types :• définition simple des dépenses éligibles, particulièrement si la PME déclare du CIR

et du CII,• définition claire des travaux éligibles, notamment en fonction des secteurs

d’activité.

Il convient donc de définir clairement les dépenses éligibles au CII. En effet, il est à craindre une propension, en cas de contrôle, à la requalification quasi systématique de certaines dépenses potentiellement éligibles au CIR (générant 30% de crédit d’impôt, déplafonnées) en dépenses d’innovation prises en compte dans le CII (générant 20% de crédit d’impôt, plafonnées à 400 000 euros) accentuant encore l’insécurité juridique liée au CIR pour les PME.

Il est aussi souhaitable de mieux prendre en compte les dépenses de propriété intellectuelle et de protection du droit d’auteur. Le logiciel et les développements web sont faiblement éligibles au dépôt de brevet qui peut être pris en compte 6 Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT), « Comparaison internationale sur le cours du chercheur comptabilisé par les groupes bénéficiaires du CIR (2010) », novembre 20117 Enquête communautaire sur l’innovation, pilotée par la Commission européenne, sur la période 2006-2008.8 Nouvelle version de l’article 244 quater B du CGI9 Plus précisément il s’agit des dépenses relatives à la réalisation d’opérations de «conception de prototypes de nouveaux produits ou installations pilotes» autres que les prototypes et installations pilote valorisés dans le cadre du CIR tel qu’il existe dans sa forme actuelle.

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dans l’assiette du CIR. Il faudrait alors tenir compte des autres dépenses comme les dépenses liées au droit d’auteur, par exemple les frais de dépôt auprès de l’Agence de protection des programmes (APP), ou les frais de conseil en matière de droit d’auteur. Il s’agit de mettre au même niveau le monde du logiciel, lorsque non protégé par le brevet et le reste des secteurs protégés.

b. Le dispositif Jeune Entreprise Innovante : stabilité et pérennité

Depuis la création du dispositif, ce sont près de 4 500 JEI qui sont à l’origine de la création ou la préservation de 16 000 emplois. Le dispositif a fait l’objet d’un engagement fort du gouvernement qui a annoncé en 2012 son maintien ainsi qu’une exonération totale des charges sociales pendant 8 ans. Les leçons utilement tirées de l’expérience «JEI » mériteraient de l’être globalement.

c. Les propositions de réforme du rapport Colin & Collin

Il est paradoxal que le rapport reconnaisse l’effort que représente pour les entreprises l’adaptation aux critères des dispositifs en vigueur et que dans le même temps il propose des modifications aussi substantielles du CIR et du JEI. Les propositions du rapport Colin & Collin déboucheraient en réalité sur une nouvelle instabilité règlementaire.

Il propose notamment de transformer le CIR en dispositif d’assurance. Le caractère de nouveauté apparente de la solution est en partie trompeur. Dans son principe, l’assurance que les investissements seront remboursés en cas de non succès a déjà été expérimentée. Les avances remboursables de l’ANVAR et d’OSEO se fondaient sur la même logique.Sur le fond, cette proposition de réforme engendre un double problème :1. Elle pourrait avoir pour conséquence d’inciter les entreprises à délocaliser leur

R&D.2. Un tel dispositif est de nature à introduire un encouragement à ne pas faire aboutir

les projets de R&D pour déclarer un sinistre.

2. Numérique et optimisation fiscale

a. Le chantier de l’harmonisation fiscale européenne

Les obstacles à la taxation des bénéfices réalisés sur le territoire français par certains grands groupes internationaux ont pour origine une fiscalité européenne et internationale insuffisamment harmonisée.

En matière de TVA, d’importants progrès ont été accomplis, qui trouveront leur traduction concrète dans l’instauration progressive, à partir de 2015, du principe de taxation dans l’Etat de consommation pour les services fournis par voie électronique.

Mais les disparités restent fortes en ce qui concerne l’Impôt sur les sociétés.

L’avis de l’expert : Franck Le Mentec, Avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

Pour l’essentiel, les règles de répartition des impositions entre les Etats reposent sur la notion d’établissement stable. Ainsi, le Code général des impôts (art. 209 I, 1er alinéa) dispose que sont imposables dans notre pays les « entreprises exploitées en France ». Pour les entreprises étrangères, cela suppose l’existence d’un établissement, c’est-à-dire d’une installation possédant un caractère de permanence et une autonomie propre.

Il en va de même des conventions internationales, traités signés entre Etats dont l’objet est une répartition du droit d’imposer en fonction de la catégorie de revenus visés (intérêt, redevance, dividendes, bénéfices d’entreprise…). La grande majorité de ces conventions sont basées sur le modèle OCDE qui définit l’établissement stable comme « un lien d’activité fixe par l’intermédiaire duquel une entreprise effectue tout ou partie de ses opérations ».

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De nombreux grands acteurs du numérique ne disposent d’aucun établissement en France. Ils ne peuvent donc être soumis à l’impôt sur les sociétés en France surles bénéfices qu’ils génèrent grâce aux consommateurs français.

En la matière, l’OCDE a notamment précisé qu’un site internet ne pouvait pas en lui-même constituer un établissement stable, pas plus qu’un accord prévoyant l’hébergement d’un site ou la fourniture de services internet (OCDE, 2003). En revanche, le serveur sur lequel le site est hébergé et par l’intermédiaire duquel il est accessible est un élément physique qui peut caractériser une installation fixe d’affaires pour l’entreprise qui l’exploite. Pour autant, si l’entreprise qui exploite le site et celle qui exploite le serveur sont différentes, la première ne peut être considérée comme ayant à sa disposition une installation fixe d’affaires en raison seulement de cet hébergement (v. commentaires OCDE relatifs à l’article 5 du modèle, §§ 41.1 à 42.10.). Ces notions sont ainsi particulièrement délicates à appréhender et peuvent être interprétées de manière différente par les administrations fiscales. La doctrine administrative française est alignée sur cette approche (Réponse ministérielle De Chazeau, JOAN 26 octobre 1998 p. 5849 et JOAN 30 juillet 2001, p. 4395).

Par ailleurs, la notion d’« établissement stable virtuel » a pu être récemment discutée. Les contours de ce concept sont cependant encore incertains et seront également limités par les contraintes imposées par les conventions fiscales, mentionnées ci-avant.

Aussi, en matière de TVA, les ventes de contenus téléchargés sont qualifiées de prestations de services « immatériels » visées à l’article 259 B du CGI. Parmi les prestations énumérées par cet article figurent en effet notamment les « services fournis par voie électronique » (§ 12°).

En ce qui concerne les téléchargements opérés à l’intérieur de l’Union européenne, l’article 259 B prévoit actuellement deux cas de figure : il oppose les prestations effectuées à destination d’une entreprise assujettie à la TVA (prestation « B2B ») à celles qui sont réalisées à destination d’un preneur non assujetti, c’est-à-dire généralement un particulier (prestation « B2C »).

Dans la première hypothèse, c’est-à-dire pour une prestation effectuée auprès d’une entreprise assujettie, la TVA applicable sera celle du pays du preneur. C’est en conséquence à ce dernier que revient le soin d’autoliquider la TVA.

Dans la seconde hypothèse, celle d’un téléchargement opéré par une personne physique, la TVA doit, dans ce cas, être celle du pays du prestataire : un particulier français qui se livre au téléchargement d’un contenu quelconque sur un site européen se verra facturer la TVA de l’Etat membre d’établissement de son prestataire. En raison de cette application de la TVA du pays du vendeur, les principaux sites de vente de musique (ou logiciels) en ligne ont été localisés vers le Luxembourg notamment, où le taux normal de la TVA est limité à 15%.

Cet inconvénient ne se retrouve pas en ce qui concerne les téléchargements proposés par des sociétés non établies dans l’Union européenne. Les services électroniques rendus à des entreprises françaises assujetties à la TVA feront l’objet d’une autoliquidation par ces dernières, comme dans le cas d’un service reçu d’un site établi dans la Communauté européenne. S’agissant des clients personnes physiques non assujetties c’est la TVA de l’Etat du particulier qui télécharge qui devra s’appliquer. Le prestataire en question est normalement contraint de s’immatriculer dans chacun des Etats dans lesquels il dispense des prestations électroniques à destination de personnes physiques et d’y acquitter la TVA locale (Article 289 A du CGI en France).

Cependant, il peut, par mesure de simplification, satisfaire à ses obligations d’identification, de déclaration et de paiement auprès d’un seul portail électronique situé dans l’un quelconque des Etats membres (régime spécial codifié en France sous l’article 298 sexdecies F du CGI).

L’accord pour une imposition dans l’Etat de résidence du consommateur a été obtenu lors du Conseil ECOFIN du 4 décembre 2007. Cependant, le système actuel de taxation dans l’Etat de résidence du prestataire sera maintenu jusqu’au 1er

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janvier 2015 (ensuite, pour les années 2015-2016, l’Etat de résidence du prestataire percevra encore 30% de la TVA, puis encore 15% en 2017 et 2018). Ces accords ont été formalisés par la directive n° 2008/8/CE du Conseil modifiant la directive n° 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services (dite « directive service »).

Ainsi, à compter du 1er janvier 2015 pour les services électroniques, mais également pour les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision fournis à des preneurs non assujettis, la taxation s’opérera au lieu d’établissement du preneur (CGI, art. 259 D). Les modalités pratiques du système de TVA prévu à partir de 2015 sont toutefois encore imprécises. En effet, ce nouveau système va impliquer pour le prestataire d’être à même de déterminer le lieu de résidence du consommateur et de gérer un système de facturation pouvant tenir compte d’autant de TVA que d’Etats où il dispose d’une clientèle, même très faible. Cette difficulté risque d’entraîner une charge administrative supplémentaire, et relativement lourde, pour les prestataires concernés.

En outre, des problèmes pratiques pourraient se faire jour : comment le prestataire peut-il contrôler le pays de résidence effective du consommateur ? Devra-t-il recouper l’adresse de facturation, l’adresse de livraison, l’adresse IP ou l’Etat d’émission de la carte de crédit du client ?

b. Les possibilités offertes d’optimisation fiscale en Europe

ENTREPRISES IMPLANTEES EN FRANCE

ENTREPRISES IMPLANTEES EN IRLANDE

ENTREPRISES IMPLANTEES

AU LUXEMBOURG

IS

Taux normal : 33,33%

Chiffre d’affaires supérieur à 250 M€ :

taux « majoré » à 36,1%

12,5%

Taux normal : +/- 22%

Taux nettement plus faibles dans le cadre

de rulings fiscaux

TVA sur la vente de biens à un client résidant en France 19,6% 19,6% 19,6%

TVA sur la vente de « services électroniques » à un client résidant en France (jusqu’en 2015, début de la mise en œuvre de l’harmonisation)

19,6% 23% 15%

Le ressentiment de certains acteurs français à l’endroit de leurs concurrents étrangers résulte de la concurrence fiscale dommageable à laquelle se livrent certains Etats.

En effet, des pays ont rendu leur fiscalité extrêmement attractive de façon à attirer les investissements étrangers. Ainsi, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Belgique et la Suisse attirent les sociétés souhaitant optimiser leur impôt sur les sociétés ou limiter l’impact de la TVA.

Les multinationales dans tous les secteurs et, quelles qu’elles soient - américaines, chinoises, mais aussi dans certains cas françaises – ont une approche globale du marché européen. Il n’est pas rare que ces multinationales disposent d’un siège social paneuropéen, qui consolide la majorité du chiffre d’affaires et des bénéfices. Le rapport de l’OCDE du 12 février 201310 offre une description fine de ces procédés d’optimisation fiscale.

Comme le souligne le rapport Greenwich11, « ces mécanismes ne sont pas propres au [numérique], mais leur effet est amplifié par la grande mobilité des fonctions, des biens et des risques (FAR : Functions – Assets – Risks) ».

10 OCDE, « Adressing Base Erosion and Profit Shifting », février 201311 Greenwich consulting, « Evaluer l’impact du développement d’internet sur les finances de l’Etat », rapport d’étude réalisé pour le Sénat, Octobre 2009

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Depuis quelques années, les propositions visant à instaurer une fiscalité du numérique se multiplient, au détriment de la cohérence de la réflexion globale sur le sujet et trop souvent en dépit de toute considération relative à la réalité de l’économie numérique.

Les taxes sur la publicité sont exposées au double risque d’être rapidement contournées par les mutations à l’œuvre dans cette économie et d’introduire des biais dans son développement.

3. Les initiatives de taxation du numérique

Depuis quelques années, les propositions visant à instaurer une fiscalité du numérique se multiplient, au détriment de la cohérence de la réflexion globale sur le sujet et trop souvent en dépit de toute considération relative à la réalité de l’économie numérique.

a. Taxes sur la publicité

Les Etats, notamment la France, cherchent à asseoir autant que possible les prélèvements fiscaux dans le pays de consommation du service. C’est ainsi qu’une nouvelle taxe « sur les achats de publicité en ligne » a été créée en France sous l’initiative du Sénateur Marini (article 27 de la loi de finances pour 2011). Appelée à s’appliquer à compter du 1er juillet 2011, elle a finalement été supprimée. Il était prévu que cette taxe, due par les annonceurs français soit égale à 1% des sommes versées en contrepartie de services de publicité en ligne, définis comme « les prestations de communication électronique autres que les services téléphoniques, de radiodiffusion et de télévision dont l’objet est de promouvoir l’image, les produits ou les services du preneur ». Les travaux parlementaires indiquent que la création de cette nouvelle contribution répondait à un objectif de neutralité, puisque les autres types de publicités sont déjà soumis à des taxes spécifiques. Il s’agissait surtout, comme l’a indiqué le Ministre, de « trouver une assiette fiscale »12. Cette mesure a été abrogée par la Loi de finances rectificative pour 2011, qui a souligné que cette proposition aurait « uniquement [conduit] à alourdir la charge fiscale des entreprises implantées en France, sans pour autant atteindre l’objectif recherché ».

Une deuxième version de la taxe sur la publicité en ligne, s’appliquant aux régies, où qu’elles se situent, et non aux annonceurs, pourrait désormais voir le jour. Concrètement, l’initiative du Sénateur Marini vise la mise en place de deux nouveaux impôts sectoriels :• une taxe sur la publicité en ligne, qui concerne les régies de services ;• une taxe sur le commerce électronique, qui concerne toute personne vendant

des biens et des services à une personne établie en France et n’ayant pas, elle-même, pour activité la vente ou la location de biens et de services.

Les objectifs poursuivis sont connus. Il s’agit d’imposer indirectement les bénéfices réalisés en France par les grandes entreprises du numérique et, dans le même temps, de favoriser un rééquilibrage de traitement entre les acteurs de l’économie traditionnelle et ceux de l’économie numérique.

Pour autant, certaines questions subsistent. Elles sont, d’ailleurs, parfaitement mises en lumière par le rapport Colin & Collin.

Tout d’abord, force est de constater que les mécanismes de taxation proposés portent sur des business modèles très spécifiques. Pour les rapporteurs : « [cela] les expose au double risque d’être rapidement contournées par les mutations à l’œuvre dans cette économie et d’introduire des biais dans son développement ».

Ensuite, ils ciblent des marchés largement dominés par les grands acteurs américains, c’est-à-dire des marchés sur lesquels la fiscalité sectorielle pénalisera mécaniquement les entreprises françaises.

Enfin, toujours selon MM. Colin et Collin, l’efficacité est loin d’être acquise. En effet, le recouvrement de ces taxes dépendra de la bonne volonté des administrations fiscales des Etats dans lesquels les sociétés cibles ont choisi de s’établir.

b. La Taxe sur l’achat de services de commerce électronique (TASCOé) : une tentative illusoire d’intégration du monde numérique dans les schémas du monde réel

Cette proposition, formulée notamment par le Sénateur Marini dans ses rapports de 2010 et 2012 sur la fiscalité du numérique, n’est pas satisfaisante en ce qu’elle constitue une nouvelle tentative de transposition à l’économie virtuelle d’une taxe créée pour l’économie réelle, la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).

12 JO Débats Sénat 2010 p. 10488

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L’AFDEL défend le droit exclusif, d’autant plus que dans le « Cloud », il apporte des possibilités inédites de valorisation.

Cette taxe serait assise sur le montant des dépenses engagées pour l’achat de toute fourniture de biens ou services effectué au moyen d’une communication électronique.

Loin de rétablir l’équité fiscale puisqu’elle toucherait tous les acteurs ayant développé une activité de commerce en ligne, l’idée d’une TASCOé revient, une nouvelle fois, à cibler le modèle innovant sur lequel repose le commerce électronique, dont la force est précisemment d’être immatériel. Comme l’a souligné dès 2009 le rapport de Greenwich Consulting, « pénaliser le e-commerce par de nouvelles taxes comme la TASCOM est risqué pour plusieurs raisons »13. Cela pourrait peser lourdement sur un secteur caractérisé par des marges relativement limitées. En outre, une telle taxe « enverrait […] un signal négatif à un secteur en croissance, et en situation de rattrapage (comparé aux Etats-Unis, à l’Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays Scandinaves) »14 et « pourrait ne pas avoir les effets attendus en termes de recettes car le secteur est encore peu mature et peu prévisible (baisse de la création d’entreprises, de l’innovation, freins à la croissance des PME par exemple) »15.

c. Copie privée et cloud computing : ne pas confondre l’usage et l’exception

Selon Jamal Labed, Président de l’AFDEL, « On ne peut plus déconnecter politique culturelle et politique industrielle. En matière numérique, l’exception culturelle doit surtout reposer sur une politique industrielle exceptionnelle ».

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a proposé, dans un avis en date du 23 octobre 2012, d’encourager la taxation des activités de Cloud computing, dans le cadre de la rémunération de l’exception pour copie privée.

L’AFDEL s’inquiète de cette proposition qui constituerait un frein critique aux nouveaux usages et à l’innovation. Le cloud est un levier de compétitivité pour l’économie française. Par principe, la rémunération pour copie privée a pour objectif la compensation pour les ayants droits d’une pratique exceptionnelle et complémentaire (la copie privée) à l’usage normal.

Les termes du débat doivent donc être rétablis : la question est de savoir comment valoriser au mieux la création dans l’environnement numérique. L’exploitation des droits d’auteurs dans l’univers numérique doit-elle reposer sur un droit exclusif d’exploitation ou sur une exception ? L’AFDEL défend le droit exclusif, d’autant plus que dans le « Cloud », il apporte des possibilités inédites de valorisation - nouveaux modes d’exploitation, usages et sources de revenus -, de maîtrise des contenus diffusés - limitation du nombre de lecture / copie / appareil - et de contractualisation. De l’avis même de certains titulaires de droits16 : l’approche par exception « briderait les ayants droit dans leur faculté de négocier avec les prestataires de services infonuagiques et remettrait en cause la capacité des titulaires de droits à lutter contre certains formes de contrefaçon numérique ». L’enjeu consiste à « maintenir les bornes de l’espace personnel sur Internet ; c’est-à-dire, éviter un élargissement de la sphère d’exception au droit d’auteur. Du maintien du principe du droit exclusif dépend la capacité des ayants droit à valoriser la création ».

L’AFDEL considère que de nouvelles pistes méritent d’être explorées : la contractualisation permettrait d’encadrer de manière flexible et attractive le nombre de copies autorisées, et d’attribuer une compensation financière adéquate, juste et proportionnée17. Cette approche s’appuie sur l’effet croisé de textes juridiques

13 Greenwich consulting, « Evaluer l’impact du développement d’internet sur les finances de l’Etat », Rapport d’étude réalisé pour le Sénat, Octobre 200914 Ibid15 Ibid16 CSPLA – Rapport de la Commission spécialisée « Informatique dans les nuages », Octobre 201217 Si elle devait être confirmée, une telle approche permettrait aux ayants droits et aux services de diffusion de décider du périmètre d’usage de l’œuvre et notamment du nombre de copies autorisé (de zéro à l’infini) et encadré par les mesures techniques de protection dont l’effet doit être pris en compte par la Commission copie privée ; de convenir contractuellement d’une compensation financière (au sens de l’article L 311-4 alinéa 3) des actes de copie privée contractualisés qui pourraient en principe échapper au champ de la redevance. Il faut noter qu’un mouvement doctrinal se développe: voir notamment, Ch. Alleaume, « La contractualisation des exceptions, la situation en France », Propriété intellectuelle, Octobre 2007 et M. Mossé, « Contractualiser pour responsabiliser, vers un rapprochement de l’auteur et de son public par le web 2.0 », RLDI 200843.

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relatifs à l’adaptation du droit d’auteur à la société de l’information18 et de la jurisprudence Mulholland Drive19 de la Cour de cassation ainsi que de la décision du Conseil constitutionnel20 sur la loi DADVSI qui semble ouvrir la voie à une approche contractuelle de la rémunération pour copie privée21.

Il est d’autant plus crucial d’initier la réflexion sur les pistes alternatives que le régime de la copie privée semble remis en cause tant en France qu’au niveau européen. La Commission européenne, qui a reçu le rapport d’Antonio Vittorino sur le sujet le 31 janvier dernier22, a annoncé qu’elle examinerait la question fin 2013.

En France :

Dans une certaine mesure, il peut être affirmé que la jurisprudence récente a remis en cause la méthode mise en œuvre par la Commission copie privée pour décider du montant de la redevance. Ce faisant, elle a limité son assiette à double titre en rappelant que : • les copies illicites sont exclues de l’assiette de la rémunération pour copie

privée23;• les usages professionnels sont exclus de l’assiette de la rémunération pour copie

privée

Le Conseil d’Etat a aussi souligné que la commission doit apprécier les usages en recourant à des enquêtes et sondages réguliers reposant sur « une étude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des équivalences supposées »24;

Enfin, le Conseil d’Etat a également rappelé certains principes gouvernant la rémunération pour copie privée. Selon lui, celle-ci doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu, à partager entre les ayants droit, globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit par chaque auteur d’une copie privée s’il était possible de l’établir et de le percevoir25.

Au niveau européen :

Affaire Amazon : la CJUE est actuellement saisie d’une question préjudicielle en interprétation ayant pour objet de déterminer si le dispositif autrichien d’attribution obligatoire de 50% de la redevance pour copie privée à des fins d’action culturelle est compatible avec les principes de la compensation équitable tels que posés par l’arrêt Padawan (celui qui bénéficie de la compensation doit être celui qui a subi le préjudice résultant de la copie privée).

Processus de médiation mené par Antonio Vittorino – cf. la Communication de la commission « Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle » [COM(2011)287, action 8]. Deux sujets principaux : (i) dans quelle mesure les services informatiques en nuage permettent la rémunération directe des détenteurs de droits, ce qui les exclut du régime de redevance pour copie privée et (ii) harmoniser assiette de calcul des redevances et améliorer l’administration de la taxe.

18 Considérant n°45 de la directive « société de l’information » du 22 mai 2001 et la loi de transposition du 1er aout 200619 Cass. 1ère civ., 28 fevr. 200620 Dec. N 2006-540 DC, 27 juillet 200621 « 37. Considérant, en particulier, s’agissant des exceptions aux droits exclusifs de reproduction, que les dispositions de la section intitulée « Mesures techniques de protection et d’information », insérées dans le Code de la propriété intellectuelle par la loi déférée, devront être entendues comme n’interdisant pas aux auteurs ou aux titulaires de droits voisins de recourir à des mesures techniques de protection limitant le bénéfice de l’exception à une copie unique, voir faisant obstacle à toute copie, dans les cas particuliers ou une telle solution serais commandée par la nécessité d’assurer l’exploitation normale de l’œuvre ou par celle de prévenir un préjudice injustifié à leurs intérêts ; qu’en effet, toute autre interprétation serait manifes-tement incompatible avec le respect du principe du « test en trois étapes », auquel le 5 de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 susvisé subordonne, comme il a été dit ci-dessus, l’exercice de chaque exception aux droits exclusifs des auteurs et titulaires de droits voisins (…) » - Dec. N 2006-540 DC, 27 juillet 200622 Antonio Vittorino, rapport de la médiation sur les redevances pour copie et reproduction privées, janvier 2013

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La taxe sur les données personnelles soulève de nouvelles interrogations relatives à la protection des données.

d. Taxe sur les données personnelles

D’après le rapport Colin et Collin, les données personnelles constituent la ressource essentielle de l’économie numérique et la part de la valeur ajoutée issue de leur collecte et de leur exploitation par les entreprises relèverait du « travail gratuit » des utilisateurs d’Internet et de services. C’est pourquoi, aux yeux des auteurs, il serait pertinent de transformer les données personnelles en levier d’une nouvelle fiscalité, permettant d’élever le niveau d’imposition des entreprises.

La nouvelle taxe impliquerait la mise en place d’outils permettant de sélectionner les données pertinentes et d’identifier un seuil d’utilisateurs au-delà duquel la taxe devrait s’appliquer.

Ce dispositif fiscal, inspiré du modèle proposé par les spécialistes américains dit de la « smart disclosure », devrait, dans un premier temps selon les auteurs, trouver droit de cité dans le PLF 2014, MM. Colin et Collin préconisant une action parallèle qui, par le truchement de l’OCDE, permettrait de reformuler la notion juridique d’ « établissement stable » et d’introduire celle de « travail gratuit » des utilisateurs.

L’objectif affiché ne peut évidemment qu’être partagé : il s’agit de favoriser le développement de l’économie numérique sur le territoire et d’organiser la diffusion, dans le reste de l’économie, des gains de productivité qu’elle génère.

Pour autant, l’AFDEL ne souscrit pas au principe retenu :

• En premier lieu, cette approche correspond à une tentative visant à modéliser globalement l’économie du numérique mais se fonde, au moins en partie, sur une simplification. D’évidence, les business modèles de l’économie du numérique ne peuvent se réduire à la valorisation des données personnelles, laquelle déborde d’ailleurs largement du périmètre de l’industrie numérique stricto-sensu.

• En deuxième lieu, la notion de travail gratuit, à l’origine de la proposition, semble éminemment contestable (cf. notre commentaire en première partie.).

• Enfin, elle soulève de nouvelles interrogations relatives à la protection des

23 CE, 11 juillet 2008, Simavelec « Considérant que … pour déterminer le taux de la rémunération pour copie privée, la commission … tient compte tant de la capacité d’enregistrement des supports que de leur usage, à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher, pour chaque support, la part respective des usages licites et illicites, que par suite, en prenant en compte le préjudice subi du fait des copies illicites de vidéogrammes et de phonogrammes, la commission a méconnu les dispositions … du Code… ». ; et Cass. crim, 30 mai 2006 : « l’exception de copie privée prévue à l’article 122-5, 2 CPI suppose une source licite exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droits sur l’œuvre objet de la copie »24 idem25 CE, 17 juin 2011, Canal + distribution et autres.

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Car il est clair qu’un peering payant se traduirait par un désintérêt pour les points d’interconnexion et les acteurs concernés iraient s’interconnecter ailleurs qu’en France…

données. Selon Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL, « la protection des données personnelles se caractérise par des droits qui ne sont pas à vendre. Il conviendra donc, si une telle fiscalité est mise en place, de veiller à la cohérence des pratiques fiscalement valorisées avec la protection des données personnelles telle que garantie par la loi. »2624

e. La taxe sur la bande passante

Une autre des nombreuses idées ayant émergé dans le débat au cours des dernières années est celle d’une taxe sur la consommation de bande passante, ou, dans sa variante tarifaire, la terminaison d’appel data.

Corinne Erhel et Laure de la Raudière, dans leur rapport d’avril 2011 sur la neutralité de l’Internet et des réseaux27, évoquent ainsi la piste de la mise en place d’une terminaison d’appel data, qui consisterait en un « mécanisme par lequel les opérateurs induisant le trafic paieraient aux fournisseurs d’accès à internet un montant dépendant de la partie asymétrique du trafic échangé et couvrant les coûts incrémentaux qu’elle engendre ». Ce dispositif devrait être instauré au niveau européen, afin d’éviter que les acteurs n’y échappent en délocalisant l’interconnexion sur le territoire européen hors de France. Car il est clair qu’un peering payant se traduirait par un désintérêt pour les points d’interconnexion et les acteurs concernés iraient s’interconnecter ailleurs qu’en France.

Dans la même logique, mais sous la forme d’une taxe collectée et reversée au COSIP (Compte de soutien à l’Industrie des Programmes Audiovisuels) par les opérateurs de télécommunication, un rapport sur la télévision connectée de novembre 201128 propose de taxer les services consommateurs de bande passante. Le rapport suggère une contribution prélevée sur les échanges générés par les services en ligne sur le fondement d’une évaluation de la part que représentent les contenus vidéo dans la consommation globale de services en ligne. Cette proposition est portée notamment par la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD).

L’AFDEL s’oppose, quelle que soit la forme qu’elle revêt, à cette proposition qui viserait les dépenses liées aux achats de bande passante par les acteurs de l’internet.

Elle est à la fois :• Inopportune en ce que le modèle économique d’internet repose sur un Internet

ouvert et gratuit où les consommateurs payent aux opérateurs pour accéder aux services et contenus numériques.

• Cette taxe créerait des barrières à l’entrée et signifierait la fin d’un accès non discriminé à Internet du côté des fournisseurs.

• Enfin elle serait injuste en ce qu’elle risquerait de frapper des entreprises dégageant aujourd’hui peu de bénéfices. Les services vidéo seraient ainsi fortement impactés.

Il faut rappeler en outre que les fournisseurs de contenus et services numériques investissent déjà en infrastructures. Cela représente plusieurs milliards de dollars se déclinant en :• installation de datacenters un peu partout dans le Monde (en Europe, 3

localisations)• installation de fibres sous-marines ; • installation de CDN dans le cœur de réseau des opérateurs qui l’acceptent

(quasiment partout en Europe)

26 Interview du 28 janvier 2013 sur le site EditionMultimedia 27 Corinne Erhel, Laure de la Raudière, Rapport d’information sur la neutralité de l’internet et des réseaux, avril 201128 Takis CANDILIS, Philippe LEVRIER, Jérémie MANIGNE, Martin ROGARD et Marc TESSIER, La télévision connectée, Rapport au ministre de la culture et de la communication, et au ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, novembre 2011

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Les critiques formulées par le Conseil National du Numérique au sujet de la taxe sur la bande passante (avis n°8 de février 2012) :

• Cette mesure pourrait constituer une barrière à l’entrée qui découragerait les nouveaux entrants et agirait comme un frein à l’innovation numérique ;

• Cette idée demeure aujourd’hui franco-française et nécessite d’être étendue au niveau européen pour éviter que les principaux acteurs ne développent des solutions techniques leur permettant d’échapper à cette éventuelle redevance. En effet, il suffirait que les redevables de cette taxe installent leurs points de raccordement ailleurs en Europe (en Belgique, Allemagne ou Espagne) pour y échapper ou passer par des offres de gros (de type Content Delivery Network) permettant de minimiser le montant de la taxation ;

• Les sociétés les plus taxées seraient les plus gros consommateurs de bande passante, c’est-à-dire principalement les sites de partage ou de diffusion de vidéos, tels YouTube mais aussi Dailymotion, les sites de TV de rattrapage des chaînes de télévision( TF1, France Télévision, M6, etc.), les sites d’information en ligne et les offre légales en ligne. À l’inverse les moteurs de recherche, les e-commerçants seraient très faiblement taxés ;

• L’assiette de la taxe serait basée sur le montant de l’investissement en achat de bande passante et serait donc, en conséquence, totalement dissociée des bénéfices réalisés par la société (l’activité « moteur de recherche » est faiblement consommatrice de bande passante mais génératrice d’un fort chiffre d’affaires, contrairement à une activité de partage de vidéos).

• Le montant qui serait ainsi obtenu demeurerait très faible.

C.Développer l’attractivité du territoire et poursuivre l’harmonisation fiscale

1. Priorité aux stratégies d’attractivité

La France, malgré les avantages certains dont elle dispose et certaines initiatives significatives tel le crédit d’impôt recherche, n’apparaît pas, pour les grands groupes internationaux, dans le peloton de tête des pays où loger les fonctions et actifs stratégiques.

Certains secteurs, porteurs de croissance, méritent d’être davantage encouragés.

En particulier, il serait opportun de promouvoir l’implantation de datacenters au rang des enjeux stratégiques. Des initiatives de ce type existent dans d’autres pays ; l’Islande ou la Chine en ont ainsi fait une priorité. Cette dernière prévoit même, à travers ses autorités régionales, le financement de grandes « citées cloud ».

La croissance de ce secteur doit être soutenue, car il en va de l’intérêt des investisseurs. La France ne doit pas manquer cette opportunité.

2. Les travaux européens et de l’OCDE en vue d’une harmonisation

Les chantiers de négociation bilatérale, européenne ou internationale sont nombreux et restent ouverts : projet de convergence entre la France et l’Allemagne et plus largement renégociation de conventions bilatérales, projet d’assiette commune consolidée dans le cadre de l’Union européenne, réouverture des discussions dans le cadre de l’OCDE.

Ces évolutions internationales sont possibles et il est d’ailleurs frappant de voir que rarement un consensus aussi large ne s’est dégagé auprès des différents responsables internationaux pour une meilleure coopération sur ce sujet. D’ailleurs, les Etats Unis, traditionnellement réticents à toute mesure, ont clairement indiqué leur souhait d’avancer rapidement.

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Les questions fiscales sur le numérique peuvent (et doivent) donc être traitées nécessairement à un niveau supra-étatique.

L’AFDEL appelle donc à suspendre toute mesure nationale, qui aboutira nécessairement à créer de la confusion et à une perte de compétitivité nationale et recommande aux pouvoirs publics d’utiliser le calendrier international qui se profile pour faire émerger une solution d’ensemble, acceptable par tous les Etats.

C’est pourquoi il serait judicieux de ne pas instaurer trop précipitamment une législation nationale sectorielle sur ce sujet, afin de permettre l’adoption de règles harmonisées au niveau de l’OCDE, ou a minima de l’Europe. Seule cette harmonisation pourra enrayer les conséquences dommageables de la concurrence fiscale actuellement critiquée par les différents rapports. A ce titre la modification des règles de TVA constitue un précédent favorable.

Les questions fiscales sur le numérique peuvent (et doivent) donc être traitées nécessairement à un niveau supra-étatique.

Les travaux actuellement menés par l’OCDE27 sur la lutte contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices, présentés lors du G20 finances du 15 février, mettent en exergue la nécessaire adaptation de la fiscalité à une nouvelle forme d’économie qui est celle du numérique. Cette question sera abordée au cours du sommet des chefs d’Etats et de gouvernement du G20, en septembre prochain.

L’AFDEL appelle donc à suspendre toute mesure nationale, qui aboutira nécessairement à créer de la confusion et à une perte de compétitivité nationale et recommande aux pouvoirs publics d’utiliser le calendrier international qui se profile pour faire émerger une solution d’ensemble, acceptable par tous les Etats.

27 OCDE, « Adressing Base Erosion and Profit Shifting », février 2013

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