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COMMUNICATION Pour un essai de mesure des polythérapies neuroleptiques G. Ardiet 1 *, P. Joly 1 , B. Lachaux 2 1 Centre hospitalier, rue Perret, 69450 St Cyr au Mont d’Or, France ; 2 centre hospitalier Paul-Guiraud, 94800 Villejuif, France Résumé – Les traitements des patients atteints de schizophrénie sont souvent considérés sous l’angle du nombre de neuroleptiques prescrits. Mais ce nombre n’est pas le meilleur indicateur de l’importance du traitement. Il paraît possible, aujourd’hui, de procéder autrement pour comprendre les pratiques, avec un index médicamenteux. Cet index (IUPM : indice unitaire de prise médicamenteuse) pourrait s’utiliser aussi pour d’autres médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques). Nous avons illustré son utilisation à l’aide de deux exemples. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS antipsychotiques / index thérapeutique / neuroleptiques / posologie / schizophrénie Summary – How to define an antipsychotic’s therapeutic index. Treatments for patients with schizophenia are often related with the number of required antipsychotics. But this number is not the better criteria to take account of the treatment’s weight. It seems possible, today, to have an other way to understand the practices, with an therapeutic index. This index (Medication’s Index Unit [MIU]) may be used for other drugs too (antidepressants, anxiolytics). We have shown its utilisation with two examples. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS antipsychotics / posology / schizophrenia / therapeutic index ARGUMENTAIRE La conférence de consensus sur le traitement de la schizophrénie a proposé, comme bonne pratique, de prescrire autant que possible un seul neuroleptique. Or, dans toutes les analyses que nous avons pu parcourir depuis, cette pratique est réalisée dans moins de la moitié des cas. Dans l’étude des pratiques, que signifie la mention de « un neuroleptique », « deux neuroleptiques », ou davantage, si, en même temps, on ne tient aucun compte des posologies ? L’utilisation d’un classement en « équivalent Largac- til » ne donne pas davantage satisfaction. Pour éviter cet écueil, nous proposons un correctif, que nous avons nommé « indice unitaire de prise médi- camenteuse » (IUPM), en particulier en utilisation pros- pective, pour l’étude longitudinale des stratégies thérapeutiques. Voici le calcul, simple, de cet indice : cet indice est construit sur les données du Vidal, en se référant aux doses maximales admises ; pour une spécialité donnée, la dose maximale correspond à un indice défini de valeur 1. Si le produit est à demi-dose, nous aurons donc un indice de 0,5. Nous pouvons ensuite prendre en compte l’addition des doses d’éventuels neuroleptiques différents pres- crits. Si deux spécialités sont associées, toutes deux à *Correspondance et tirés à part. Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 312-4 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448701000464/SSU

Pour un essai de mesure des polythérapies neuroleptiques

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COMMUNICATION

Pour un essai de mesure des polythérapiesneuroleptiques

G. Ardiet1*, P. Joly1, B. Lachaux2

1 Centre hospitalier, rue Perret, 69450 St Cyr au Mont d’Or, France ; 2 centre hospitalier Paul-Guiraud,94800 Villejuif, France

Résumé – Les traitements des patients atteints de schizophrénie sont souvent considérés sous l’angle du nombre deneuroleptiques prescrits. Mais ce nombre n’est pas le meilleur indicateur de l’importance du traitement. Il paraîtpossible, aujourd’hui, de procéder autrement pour comprendre les pratiques, avec un index médicamenteux. Cet index(IUPM : indice unitaire de prise médicamenteuse) pourrait s’utiliser aussi pour d’autres médicaments (antidépresseurs,anxiolytiques). Nous avons illustré son utilisation à l’aide de deux exemples. © 2001 Éditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS

antipsychotiques / index thérapeutique / neuroleptiques / posologie / schizophrénie

Summary – How to define an antipsychotic’s therapeutic index. Treatments for patients with schizophenia are oftenrelated with the number of required antipsychotics. But this number is not the better criteria to take account of thetreatment’s weight. It seems possible, today, to have an other way to understand the practices, with an therapeuticindex. This index (Medication’s Index Unit [MIU]) may be used for other drugs too (antidepressants, anxiolytics). Wehave shown its utilisation with two examples. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

antipsychotics / posology / schizophrenia / therapeutic index

ARGUMENTAIRE

La conférence de consensus sur le traitement de laschizophrénie a proposé, comme bonne pratique, deprescrire autant que possible un seul neuroleptique. Or,dans toutes les analyses que nous avons pu parcourirdepuis, cette pratique est réalisée dans moins de lamoitié des cas.

Dans l’étude des pratiques, que signifie la mention de« un neuroleptique », « deux neuroleptiques », oudavantage, si, en même temps, on ne tient aucun comptedes posologies ?

L’utilisation d’un classement en « équivalent Largac-til » ne donne pas davantage satisfaction.

Pour éviter cet écueil, nous proposons un correctif,que nous avons nommé « indice unitaire de prise médi-camenteuse » (IUPM), en particulier en utilisation pros-pective, pour l’étude longitudinale des stratégiesthérapeutiques.

Voici le calcul, simple, de cet indice : cet indice estconstruit sur les données du Vidal, en se référant auxdoses maximales admises ; pour une spécialité donnée,la dose maximale correspond à un indice défini devaleur 1. Si le produit est à demi-dose, nous auronsdonc un indice de 0,5.

Nous pouvons ensuite prendre en compte l’additiondes doses d’éventuels neuroleptiques différents pres-crits. Si deux spécialités sont associées, toutes deux à*Correspondance et tirés à part.

Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 312-4© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003448701000464/SSU

demi-dose, on considère que le « poids » du traitementest de même importance, avec un indice de 1 (tableau I).

À titre d’exemple, avec trois neuroleptiques, comme15 gouttes d’Haldolt (halopéridol) faible, 15 de Nozi-nant (lévopromazine) à 1 %, et 10 de Théralènet(alimémazine), un patient est, dans nos études, classédans le groupe avec 3 NL. Le calcul de l’IUPM donneun résultat de 0,06.

Avec 800 mg de Soliant (amisulpride), un autremalade semble appartenir au groupe le moins lourde-ment traité, puisqu’avec un seul neuroleptique. Mais,comme il prend les deux tiers de la dose maximale duSoliant, on considère que l’IUPM est de 0,66.

Pour cela, nous avons proposé l’analyse de deuxordonnances, lesquelles existent réellement. Ainsi, les

ordonnances dans les tableaux II et III illustrent lemode de calcul. L’illustration est ici encore plus évi-dente dans le tableau II.

Pour les travaux de recherche clinique, cet indice peutprésenter deux intérêts :– l’un, majeur, dans les études de pharmaco-épidémiologie, dont l’un des principaux buts est desavoir quels traitements sont prescrits dans une popu-lation, et pour quelles indications. Dans le cas de figurede nos travaux habituels, avec comme base d’étude lesdonnées ANHPP de 1995 et 1998, traitées à Lyon, etcomportant plus de 6 000 patients, dont 2 500 atteintsde schizophrénie, l’application est immédiate. Dans lesschizophrénies paranoïdes, nous avons retenu pourexemple les produits pour lesquels nous disposons deplus de 100 dossiers ; chaque traitement est utilisé demanière différente. En France, dans le traitement de laschizophrénie paranoïde, le Terciant (cyamémézine),le plus utilisé de tous, est souvent employé à dose faible,mais le Nozinant (lévopromazine) plutôt à dosesmoyennes ou fortes. Le Soliant (amisulptide), et leRisperdalt (rispéridone) surtout, sont prescrits à dosesessentiellement faibles, l’Haldolt (halopéridol) et leClopixolt (zuclopenthixol) s’utilisent à toutes doses, leLéponext et le Loxapact davantage à des doses moyen-nes ;– le second intérêt, moins immédiat, se situe au planindividuel. On pourrait ainsi attirer l’attention sur lefait que, même avec le joli nom d’antipsychotiques, leseffets indésirables des neuroleptiques sont plus à relier

Tableau I. Dosage de base pour quelques-uns des traitements lesplus utilisés.

DCI Nom/France Dose maxi/jr (g)

Halopéridol Haldolt 0,04Chlorpromazine Largactilt 0,15Clozapine Leponext 0,9Propériciazine Neuleptilt 0,2Lévopromazine NNt 0,4Rispéridone Risperdalt 0,016Amisulpride Soliant 1,2Cyamémazine Terciant 0,6Alimémazine Theralenet 0,2Tiaprise Tiapridalt 0,3Olanzapine Zyprexatz 0,02

Tableau II. Mode de calcul d’une ordonnance.

Ordonnance M. Dupont, 72 ans, en maison de retraite, troubles démentiels Ce patient est classé dans le groupe « 3 neuroleptiques »Dose maxi Vidal Indice unitaire

Haldol (halopéridol) 0,5 ° °% gouttes : 5 le matin, 10 le soir 40 mg /24 h 0,37 mg/40 : soit 0,01Nozinan (lévopromazine) 1% gouttes : 5 matin et midi 400 mg /24 h 1,25 mg/400 : soit 0,003Theralène (alimémazine) gouttes : 10 le soir 200 mg / 24 h 10/200 : soit 0,05

Indice unitaire 0,06de prise neuroleptique

Tableau III. Mode de calcul d’une ordonnance.

Ordonnance M. Durand, 29 ans, porteur d’une schizophrénie. Patient classé dans un groupe « 1 neuroleptique »Dose maxi Vidal Indice unitaire

Solian 400 t (amisulpride) : 1 matin et soir 1 200 mg /24 h 800 mg/1 200 : soit 0,67Lepticur 10 t (tropatépine) : 1 le matinTranxène 50 t (clorazépate) : 3 par jour

Indice Unitairede PRISE neuroleptique 0,67

Séance du lundi 27 novembre 2000 313

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aux doses administrées que seulement au nombre despécialités utilisées. Sur la figure 1 et 2, on voit aisémentqu’en 1998 la prescription a évolué vers des dosagesneuroleptiques moins importants. Au-delà de quelniveau pourrait-on parler de risque d’accumulation oude potentialisation ? D’autant que les doses varientégalement selon les régions, ainsi que nous allons lepublier.

CONCLUSION

Les données et les tableaux présentés ne sont là quecomme illustration de l’indispensable évaluation, nonseulement du nombre de neuroleptiques prescrits auxmalades, mais aussi (et surtout ?) des dosages utilisés, enfonction de quelle clinique.

L’indice unitaire de prise médicamenteuse pourraitpermettre d’affiner l’étude de nos pratiques.

Son utilisation pourrait encore être validée pour lesantidépresseurs et les anxiolytiques.

La proposition d’une telle mesure n’est que définitiond’un outil, et nous sommes intéressés par tout partagede savoir, en ces procédures d’évaluation du médica-ment.

DISCUSSION

Dr Garrabé – Je remercie le Dr Ardiet de nous avoir présenté cetteétude sur la pratique réelle de l’utilisation simultanée de plusieursneuroleptiques qui est effectivement fort répandue. Lors de laconférence de consensus organisée par la Fédération Française dePsychiatrie sur « les stratégies thérapeutiques au long cours despsychoses schizophréniques », il n’avait pas été possible d’analyserdans la littérature internationale d’étude documentée sur la justifi-cation de cette association de deux neuroleptiques ayant le mêmemécanisme d’action. En outre, les effets secondaires indésirablespropres à chacun d’entre eux conduisent à l’utilisation égalementsimultanée de plusieurs correcteurs différents.

Pr Koupernik – Je voudrais revenir brièvement sur la question despartisans des doses fortes de neuroleptiques. Il y en a eu en France,notamment en avançant l’hypothèse au demeurant naïve d’unparallélisme avec l’antibiothérapie, les doses faibles contribuant àdévelopper des résistances.

La polythérapie me paraît devoir être abordée à la mesure del’étendue de la métabolisation. Autrement, on court un risquecomme avec l’association de neuroleptiques et d’antidépresseurs, lespremiers entraînant à doses égales une élévation du taux des antidé-presseurs sans qu’ils soient pour autant plus efficaces.

Dr Marchais – Ne pourrions-nous pas aussi envisager le principeago-antagoniste, comme nous l’apprend l’interdisciplinarité ?Celle-ci montre en effet qu’une double action apparemment contra-dictoire permet de rétablir plus facilement l’équilibre d’un systèmequ’une action isolée. Cela qui peut exister pour des conduites leserait aussi dans le domaine du fonctionnement cellulaire. On peuten avoir également un exemple avec les traitements des produitsantidépresseurs et neuroleptiques.

Réponse du Rapporteur – On ne peut que confirmer ce quedit Mme le Pr Lempérière, à savoir qu’en France 55 % des schi-zophrènes reçoivent au moins deux neuroleptiques. La prise encompte non seulement de ce nombre, mais surtout des dosescumulées, demeure très importante, quand on pense à tous les effetsindésirables relevés.

Nous sommes bien sûr attentifs à ne pas amalgamer des spécialitésmédicamenteuses d’indication ou de profil différents. Mais, a priori,rien n’explique la grande différence des posologies entre le Nozi-nant et le Terciant, par exemple. Nous retenons la question dunombre de correcteurs prescrits, en fonction du nombre de neuro-leptiques prescrits. Cela va faire l’objet d’une prochaine communi-cation de Mme Casadebaig (Inserm), à laquelle nous avons eu lachance d’être associé. Il restera à évaluer comment ces correcteurssont utilisés, en fonction de quels antipsychotiques et à quellesdoses.

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de 0 à 0 ,33

de 0,34 à 0 ,99

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TERCIAN

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Figure 1. Évolution des doses entre 95 et 98 (n = 2501 et p< 0,05).

Evolution des doses entre 95 et 98 (n=2501)

0%

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10%

15%

20%

25%

30%

35%

40%

45%

E n 1 99 5 E n 1 9 9 8

de 0 à 0 ,3 3

de 0,3 4 à 0 ,9 9

1 e t p lus

Figure 2. Évolution des doses entre 95 et 98 (n = 2 501).

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