6
OPTIONS POLITIQUES JUILLET-AOÛT 2010 22 Ancien fonctionnaire du ministère de l’Immigration du Québec, Gérard Pinsonneault examine les responsabilités de cette province en matière d’immigration et propose une série d’améliorations aux modalités de sélection des immigrants afin de « favoriser au maximum leur intégration ». Même si en pratique sa marge de manœuvre en ce domaine reste limitée, écrit-il, le Québec assume néanmoins des responsabilités importantes, notamment par sa compétence exclusive en ce qui a trait à la sélection des immigrants économiques, celle des travailleurs qualifiés en particulier, qui constituent « la locomotive du mouvement d’immigration ». Il recommande de mieux évaluer la scolarité et les compétences linguistiques, d’arrimer plus étroitement la sélection des immigrants et les besoins du marché du travail, de miser davantage sur le facteur jeunesse et d’effectuer une sélection plus rigoureuse. A former civil servant in Québec’s Department of Immigration, Gérard Pinsonneault examines the province’s responsibilities relating to immigration, and suggests a series of improvements to the selection process to better ensure immigrants’ integration. He says that while Quebec’s margin to manoeuvre in this area remains limited, it nonetheless plays as important role, especially in the selection of skilled workers, who constitute “the locomotive of immigration.” He thus recommends better evaluation of educational and linguistic credentials, tying immigrant selection to labour market needs, increasing the emphasis placed on youth and making the selection process more rigorous. D ans tous les pays développés, la problématique de l’immigration est complexe et délicate. Pour le Québec, État fédéré majoritairement francophone mais minorité au sein du Canada et d’une Amérique du Nord massivement anglophone, cette complexité n’est pas moindre qu’ailleurs, bien au contraire. Cette complexité toute particulière s’est illustrée ces derniers temps par le débat sur les accommodements raisonnables et tout récem- ment par le diagnostic sévère qu’a posé le vérificateur général sur certains aspects de la gestion au ministère québé- cois de l’Immigration et des Communautés culturelles. Une bonne partie des difficultés observées en regard de la problématique de l’immigration au Québec peut s’expli- quer par le caractère spécifique du Québec francophone : homogénéité et ancienneté du peuplement ; méfiance liée au rôle joué par l’immigration, depuis le milieu du XIX e siè- cle, dans la minorisation de la francophonie canadienne ; expérience récente du phénomène de la diversité ; etc. En un mot, les comparaisons avec ce qui est vécu ailleurs au Canada ou aux États-Unis sont inadéquates, pour ne pas dire injustes. Cela n’empêche pas qu’il importe de s’interroger sur les moyens qui s’offrent au Québec d’améliorer son bilan à l’égard de l’immigration, sans renoncer à promouvoir les intérêts de la majorité de sa population. L’objectif du présent texte est donc d’explorer quelques-uns de ces moyens. E n vertu de la Constitution canadienne, l’immigration est, avec l’agriculture, une compétence concurrente, c’est-à-dire un domaine également ouvert à l’intervention des deux ordres de gouvernement, mais avec prépondérance du droit fédéral en cas de conflit. En pratique, jusqu’aux années 1970, le Québec a laissé le gouvernement fédéral exercer seul l’essentiel des pouvoirs en cette matière. Jusque-là, les préoccupations démographiques du Québec s’étaient portées davantage sur les inquiétudes soulevées par l’importante émigration vers les États-Unis, ali- POUR UNE MEILLEURE GESTION DE L’IMMIGRATION ÉCONOMIQUE PAR LE QUÉBEC Gérard Pinsonneault

POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

OPTIONS POLITIQUESJUILLET-AOÛT 2010

22

Ancien fonctionnaire du ministère de l’Immigration du Québec, Gérard Pinsonneaultexamine les responsabilités de cette province en matière d’immigration et proposeune série d’améliorations aux modalités de sélection des immigrants afin de« favoriser au maximum leur intégration ». Même si en pratique sa marge demanœuvre en ce domaine reste limitée, écrit-il, le Québec assume néanmoins desresponsabilités importantes, notamment par sa compétence exclusive en ce qui atrait à la sélection des immigrants économiques, celle des travailleurs qualifiés enparticulier, qui constituent « la locomotive du mouvement d’immigration ». Ilrecommande de mieux évaluer la scolarité et les compétences linguistiques,d’arrimer plus étroitement la sélection des immigrants et les besoins du marché dutravail, de miser davantage sur le facteur jeunesse et d’effectuer une sélection plusrigoureuse.

A former civil servant in Québec’s Department of Immigration, GérardPinsonneault examines the province’s responsibilities relating to immigration,and suggests a series of improvements to the selection process to better ensureimmigrants’ integration. He says that while Quebec’s margin to manoeuvre inthis area remains limited, it nonetheless plays as important role, especially inthe selection of skilled workers, who constitute “the locomotive ofimmigration.” He thus recommends better evaluation of educational andlinguistic credentials, tying immigrant selection to labour market needs,increasing the emphasis placed on youth and making the selection processmore rigorous.

D ans tous les pays développés, la problématique del’immigration est complexe et délicate. Pour leQuébec, État fédéré majoritairement francophone

mais minorité au sein du Canada et d’une Amérique duNord massivement anglophone, cette complexité n’est pasmoindre qu’ailleurs, bien au contraire. Cette complexitétoute particulière s’est illustrée ces derniers temps par ledébat sur les accommodements raisonnables et tout récem-ment par le diagnostic sévère qu’a posé le vérificateurgénéral sur certains aspects de la gestion au ministère québé-cois de l’Immigration et des Communautés culturelles.

Une bonne partie des difficultés observées en regard dela problématique de l’immigration au Québec peut s’expli-quer par le caractère spécifique du Québec francophone :homogénéité et ancienneté du peuplement ; méfiance liéeau rôle joué par l’immigration, depuis le milieu du XIXe siè-cle, dans la minorisation de la francophonie canadienne ;expérience récente du phénomène de la diversité ; etc. En un

mot, les comparaisons avec ce qui est vécu ailleurs au Canadaou aux États-Unis sont inadéquates, pour ne pas direinjustes. Cela n’empêche pas qu’il importe de s’interroger surles moyens qui s’offrent au Québec d’améliorer son bilan àl’égard de l’immigration, sans renoncer à promouvoir lesintérêts de la majorité de sa population. L’objectif du présenttexte est donc d’explorer quelques-uns de ces moyens.

E n vertu de la Constitution canadienne, l’immigrationest, avec l’agriculture, une compétence concurrente,

c’est-à-dire un domaine également ouvert à l’interventiondes deux ordres de gouvernement, mais avec prépondérancedu droit fédéral en cas de conflit.

En pratique, jusqu’aux années 1970, le Québec a laissé legouvernement fédéral exercer seul l’essentiel des pouvoirs encette matière. Jusque-là, les préoccupations démographiquesdu Québec s’étaient portées davantage sur les inquiétudessoulevées par l’importante émigration vers les États-Unis, ali-

POUR UNE MEILLEURE GESTIONDE L’IMMIGRATIONÉCONOMIQUE PAR LE QUÉBECGérard Pinsonneault

Page 2: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

POLICY OPTIONSJULY-AUGUST 2010

23

mentée par un des taux de natalité lesplus élevés en Occident. Pour l’essentiel,l’immigration et l’intégration étaientgérées par et pour le Canada anglais.

À partir de la décennie 1970, deuxphénomènes ont incité le gouvernement

du Québec à vouloir intervenir enmatière d’immigration. D’une part, cefut la fin de la « revanche desberceaux » : la forte natalité des fran-cophones est devenue chose du passé eta donc cessé de compenser l’intégrationdes immigrants à la minorité anglo-phone. Avec ce changement, la minori-sation des francophones, déjà largementréalisée partout ailleurs au Canada, pou-vait advenir au Québec même, en parti-culier à Montréal où se concentraient àla fois les anglophones et la populationissue de l’immigration. D’autre part, ils’est produit une « mutation identitaire »chez les francophones du Québec : ilsont peu à peu cessé de se percevoircomme une minorité au sein du Canadaou de l’Amérique du Nord pour se con-sidérer comme une majorité au sein duQuébec. À ce titre, ils en sont venus àsouhaiter que ce soit à leur groupe lin-guistique que, dorénavant, les immi-grants soient incités à s’intégrer, plutôtqu’à la minorité anglophone commecela avait été le cas auparavant.

Ces deux phénomènes, parmid’autres, ont été à l’origine de l’adop-tion des législations linguistiques(touchant notamment la langue d’en-seignement, du commerce et du tra-vail) et des revendications de pouvoirssupplémentaires en matière d’immi-gration et d’intégration. Ces revendica-tions ont abouti, en 1991, à laconclusion de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration, tou-jours en vigueur.

À titre d’État fédéré, les responsabi-lités qu’assume depuis lors le Québecsont importantes : compétence exclusiveen ce qui a trait à la sélection des immi-grants de la composante économique etdes réfugiés à l’étranger, de même qu’en

matière de programmes d’intégration detous les immigrants.

En pratique, toutefois, la marge demanœuvre du Québec reste limitée. Les

autorités fédérales demeurent respon-sables de la définition des catégoriesd’immigration, ce qui leur permet, entreautres choses, de maintenir un pro-gramme de réunification familiale rela-tivement ouvert et posant peu

d’exigences, comparative-ment à ce qu’on peut obser-ver ailleurs, en Australie etaux États-Unis par exemple.Le traitement des demandesd’asile relève aussi de laresponsabilité fédérale exclu-sive (sauf pour ce qui est descoûts sociaux, assumés pourl’essentiel par les provinces).Depuis des années, ce volet

de l’immigration génère un nombreimportant d’admissions et des massestout aussi importantes de dossiers ensouffrance. En dépit de réformes succes-

Pour une meilleure gestion de l’immigration économique par le Québec

1980- 2009 2009

Immigrants formellement sélectionnés

Composante économiqueTravailleurs qualifiés (requérants principaux) 224 675 16 429Investisseurs (requérants principaux) 8 096 365Autres1 (requérants principaux) 27 180 1 089

Total 259 951 17 883

Immigrants non formellement sélectionnés

Composante économiqueConjoints et personnes à charge des requérants principaux 270 961 16 627

Autres composantesRegroupement familial 273 913 10 247Réfugiés et personnes en situation semblable 180 174 4 057Immigrants d’autres catégories 6 340 669Information non disponible 1 0

Total 731 389 31600

Immigration totale, composante économique 530 912 34 510

Immigration totale 991 340 49 483

Pourcentage de l’immigration formellement sélectionnée sur lacomposante économique 49,0 51,8

Pourcentage de l’immigration formellement sélectionnée surl’immigration totale 26,2 36,1

TABLEAU 1. IMMIGRANTS FORMELLEMENT SÉLECTIONNÉS ET AUTRESIMMIGRANTS, QUÉBEC, 1980-2009, 2009

Source : Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et d’analyseprospective. 1 Inclut les entrepreneurs, les travailleurs autonomes, les aides familiales et les immigrants économiques noncomptabilisés ailleurs.

Au sein même de la composante économique de l’immigration,catégorie dans laquelle la marge de manœuvre du Québec est laplus grande, seuls ceux qu’on appelle les « requérants principaux»font l’objet d’une véritable sélection fondée sur des caractéristiquessocioéconomiques susceptibles de prédire un établissement réussi.Ainsi, tel qu’on peut le voir dans le tableau 1, en 2009, lesimmigrants formellement sélectionnés ne représentaient que52p.100 des immigrants économiques admis au Québec.

Page 3: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

OPTIONS POLITIQUESJUILLET-AOÛT 2010

24

sives, les tentatives de mettre en placeun processus juste, rapide et efficacen’ont pas réussi.

Au sein même de la composanteéconomique de l’immigration, caté-gorie dans laquelle la marge de manœu-vre du Québec est la plus grande, seulsceux qu’on appelle les « requérantsprincipaux » (en langage plus conven-tionnel, on dirait « les chefs defamille ») font l’objet d’une véritablesélection fondée sur des caractéristiquessocioéconomiques susceptibles deprédire un établissement réussi. Ainsi,tel qu’on peut le voir dans le tableau 1,en 2009, les immigrantsformellement sélectionnés nereprésentaient que 52 p. 100 desimmigrants économiques admisau Québec, et seulement36 p. 100 de l’immigrationtotale. Depuis 1980, c’est-à-diredepuis que le Québec intervientde façon déterminante dans lasélection, les moyennes respec-tives à cet égard ont été de49 p. 100 et de 26 p. 100. C’estdonc dire que les modalités de lasélection n’épuisent pas, tants’en faut, l’ensemble de la ges-tion de l’immigration propre-ment dite, et encore moins cellede l’intégration.

C ette longue entrée en lamatière permet de mettre

en lumière la portée nécessaire-ment limitée des interventionsdu Québec en immigration. Il n’endemeure pas moins que la composanteéconomique, et tout spécialement lacatégorie des travailleurs qualifiés, qui enforme la grande majorité, constitue lalocomotive du mouvement d’immigra-tion. C’est elle qui est censée la mieuxs’arrimer aux besoins économiques de lasociété d’accueil et c’est elle qui, à terme,par effet d’entraînement, déterminera enbonne partie la composition des immi-grants du regroupement familial.Comme il s’agit en outre de la catégoriedont la réussite au plan de l’intégrationéconomique, selon les étudesdisponibles, est la meilleure, elle joue unrôle très important dans le maintien de

l’image favorable que peut avoir l’immi-gration en général dans l’opinionpublique.

Ne serait-ce que pour ces raisons, ilimporte que les modalités de la sélec-tion des travailleurs qualifiés conti-nuent de favoriser au maximum leurintégration. C’est par l’utilisation judi-cieuse de cet outil que le Québec pour-ra le mieux garantir le succès de sapolitique d’immigration.

À cet égard, un certain nombred’améliorations pourraient être apportéesaux modalités de la sélection de ces immi-grants. Présentement, la sélection est basée

sur une grille composée de différentscritères au regard desquels les candidaturessont évaluées : scolarité, expérience, con-naissances du français et de l’anglais, âge,domaine de formation, etc.

Le concept même de grille desélection comme processus d’évalua-tion des candidats à la résidence per-manente a été élaboré et mis en placepar le ministère canadien del’Immigration au cours des années1960 (et adapté au contexte québécoisà la fin des années 1970), à une époqueoù la très grande majorité des nou-veaux arrivants provenait toujours depays européens dont le niveau dedéveloppement socioéconomique

n’était pas très différent de celui queconnaissaient à l’époque le Québec, leCanada et l’ensemble de l’Amérique duNord. L’économie québécoise étaitalors très différente de ce qu’elle estprésentement. La main-d’œuvre localeétait peu qualifiée, et on comptait bienpeu de diplômés universitaires parmiles natifs du Québec, surtout chez lesfrancophones. La question de la qua-lité relative de la formation reçue parles immigrants ne se posait, par le faitmême, que peu ou prou. La situationactuelle est fort différente.

Pour cette raison, sans doute yaurait-il lieu d’explorer la possi-bilité de raffiner davantage leprocessus de sélection pourmieux tenir compte de diversfacteurs qui pouvaient être né-gligeables il y a plus de 40 ans.À cet effet, quatre stratégiesseraient particulièrement bieninspirées.

P remièrement, il faudrait raf-finer l’évaluation de la sco-

larité et des compétenceslinguistiques. À l’heure actuelle,les points accordés pour la for-mation tiennent compte dudiplôme obtenu, sans égard à laqualité relative du système d’éducation ou de l’établisse-ment ayant délivré ce diplôme.Or des études récentes, menéespar des chercheurs sérieux etcrédibles, tendent à démontrer

qu’au moins une partie des écarts défa-vorables sur le marché du travail cana-dien que l’on constate chez lesimmigrants originaires de certains paysserait liée à la qualité moindre de l’édu-cation reçue ou à certaines lacunes en lit-tératie et en numératie.

Les résultats de ces recherchesmilitent donc en faveur de la prise encompte, dans le processus de sélec-tion, de la qualité relative de l’éduca-tion reçue. À l’évidence, toutefois,traduire une telle réalité en pointsattribuables dans la grille de sélectionpour des individus en chair et en osconstituera un exercice très périlleux.Certains ne manqueront pas d’y voir

Gérard Pinsonneault

Il semble pourtant évident qu’il existedes différences importantes entre lesdomaines en ce qui concerne leurs

besoins de main-d’œuvre. Parexemple, 300 immigrants formés en

soins infirmiers auront un faibleimpact sur la pénurie dans ce secteur

qui comprend plusieurs milliers detravailleurs, alors que 300 immigrantsformés en génie nucléaire viendraient

vraisemblablement saturercomplètement le marché dans ce

domaine, très étroit par définition. Letout même si, au départ, un

diagnostic comparable de rareté aété établi dans les deux secteurs.

Page 4: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

POLICY OPTIONSJULY-AUGUST 2010

25

un retour déguisé à une forme de« préférences nationales », un écueilqu’il faudra éviter. Il importe en effetque le caractère universel et non dis-criminatoire de la sélection soitsauvegardé et même renforcé.

L’effet observé des compétences enlittératie et en numératie met aussi enlumière l’importance d’une évaluationplus rigoureuse des compétences lin-guistiques des candidats, notammentau regard de l’écrit. Les règles actuellesne prévoient qu’une évaluation de l’ex-pression orale et de la compréhensionde l’oral du français et de l’anglais.Dans une société du savoir, l’impor-tance de la maîtrise de la communica-tion écrite n’est plus à démontrer.

D euxièmement, il faudrait arrimerplus étroitement sélection et

besoins de main-d’œuvre. L’arrimageentre les besoins de main-d’œuvreexprimés par les employeurs et le profildes immigrants admis en vertu de lagrille de sélection demeure souventinsatisfaisant aux yeux du patronat. Cesdernières années, certains employeursont déploré que les immigrants admissoient surscolarisés pour les emploisqu’ils avaient à leur offrir, tandis qu’in-versement, des entreprises organisentdes missions de promotion et derecrutement à l’étranger, plaidantqu’elles ne trouvent pas, sur place, lessuperspécialistes dont elles ont besoin.

Bien sûr, une grille de sélection d’ap-plication générale ne pourra jamais répon-dre exactement et instantanément auxbesoins particuliers d’employeurs spéci-fiques. Elle est conçue davantage pour lemoyen que pour le court terme. Par contre,certaines mesures pourraient être prisespour mieux combler, et dans de meilleursdélais, les pénuries diagnostiquées ouappréhendées de main-d’œuvre.

Dans l’actuelle grille de sélection, laliste des domaines de formation privilégiésa remplacé la liste des professions endemande. La nuance entre les deux n’estpas très marquée, et les défauts qu’onreprochait à la première sont très suscepti-bles de réapparaître dans la seconde.

Notamment, aucun objectifnumérique n’est associé à ces domaines

de formation. Il semble pourtant évidentqu’il existe des différences importantesentre les domaines en ce qui concerneleurs besoins de main-d’œuvre. Parexemple, 300 immigrants formés ensoins infirmiers auront un faible impactsur la pénurie dans ce secteur qui com-prend plusieurs milliers de travailleurs,alors que 300 immigrants formés engénie nucléaire viendraient vraisem-blablement saturer complètement lemarché dans ce domaine, très étroit pardéfinition. Le tout même si, au départ,un diagnostic comparable de rareté a étéétabli dans les deux secteurs.

Il se peut aussi qu’un domaine deformation inscrit comme privilégié

génère une surabondance de candida-tures acceptables en raison d’une situa-tion particulière dans un pays ou, plussimplement, parce que les exigencesformelles reliées à ce domaine sont peuélevées. Notons au passage que les con-sultants en immigration sont générale-ment prompts à repérer ce genre dedétail et à en tirer profit. Une évalua-tion quantitative préalable des besoinspar secteur accompagnée d’une gestionen conséquence des demandes sem-bleraient donc tout indiquées.

Par ailleurs, à l’époque des listes deprofessions en demande, les autoritésprenaient toujours un temps consi-dérable à y apporter les changements

Pour une meilleure gestion de l’immigration économique par le Québec

Le 2 mai dernier, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec,Yolande James, dévoilait dix nouveaux projets pour favoriser l’intégration en emploi des person-nes immigrantes dans le cadre de la stratégie « Défi Montréal », une initiative lancée en 2009.

© MICC

Page 5: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

OPTIONS POLITIQUESJUILLET-AOÛT 2010

26

(retraits ou ajouts) que la conjoncturedictait pourtant comme nécessaires.Rien n’indique qu’elles seront davan-tage promptes à modifier la liste desdomaines de formation privilégiés. Si onajoute à cela que des « clauses grand-père » font en sorte que les candidaturessont généralement traitées en fonctiondes listes existant au moment du dépôtdes demandes plutôt qu’en fonction desmodifications les plus récentes reflétant

la situation réelle du marché du travail,on imagine facilement l’hiatus qui appa-raît régulièrement entre le profil desimmigrants admis à un moment donnéet la situation réelle sur le marché du tra-vail au même moment. On verra un peuplus loin qu’il pourrait exister un moyende corriger ce problème.

T roisièmement, il faudrait miserdavantage sur le facteur jeunesse. Il

a été démontré que l’âge au moment dela migration constitue un facteur signifi-catif de réussite de l’intégration. Il seraitdonc indiqué de resserrer l’attributiondes points pour ce facteur dans la grillede sélection, d’autant plus qu’un mou-vement d’immigration structurellementplus jeune que la société d’accueil per-met de contrer, même si ce n’est que trèsmodestement, certains effets négatifs duvieillissement de la main-d’œuvre.

Un autre aspect de l’âge à l’immigra-tion doit également être considéré.L’admission d’immigrants ayant dépasséun certain âge réduira nécessairementleur potentiel de contribution auxrégimes de pension publics et privés.Nombre d’entre eux pourraient ainsi,une fois parvenus au seuil de la vieillesse,se trouver dans une situationéconomique précaire. Ils pourraientdonc être anormalement nombreux àdevoir recourir au supplément de revenu

garanti ou au régime d’aide sociale. Untraitement différencié relatif à l’âge pour-rait être envisagé pour les candidats enmesure d’amener avec eux un fonds deretraite ou provenant de pays aveclesquels des ententes de sécurité socialeavantageuses sont en vigueur.

F inalement, il faudrait sélectionnerles immigrants avec plus de rigueur.

Les modalités actuelles de la sélection

s’apparentent un peu au système envigueur pour l’attribution des permisde conduire : certains critères sontéliminatoires et, dans l’ensemble, ilfaut atteindre un seuil de passage. Unefois ces exigences satisfaites, toutes lescandidatures sont acceptées et ellessont traitées, sauf pour certains cas ditsprioritaires, selon le principe du « pre-mier arrivé, premier servi ». Au niveaufédéral, ce système a toujours généréune accumulation importante dedossiers en souffrance, et au Québec,un phénomène comparable est observédans certains bassins géographiques.

Peut-être y aurait-il lieu d’envisagerun autre type de système de gestion desdemandes d’immigration, lequel con-sisterait en fait à pousser plus loin leprincipe de la sélection. Au lieu de s’ap-parenter aux modalités en vigueur pourles permis de conduire, on pourraitplutôt s’inspirer de la pratique des éta-blissements d’enseignement supérieuren ce qui a trait à l’attribution desplaces dans les programmes contingen-tés : seuls les meilleurs candidats,jusqu’à concurrence d’un nombreprédéterminé, sont acceptés, même siun bien plus grand nombre ont pu sa-tisfaire aux normes minimales.

L’atteinte du seuil de passage par lescandidats ne garantirait plus leur accep-tation automatique. Les volumes

globaux d’admissions souhaitées pourles travailleurs seraient répartis selon lesdomaines de formation privilégiés et,pour faciliter leur administration,divisés à nouveau en périodes de temps,par exemple des trimestres, au coursdesquelles les dossiers ayant obtenu lesmeilleurs résultats pourraient être accep-tés jusqu’à concurrence du nombre fixépour le domaine et la période. Une foisatteint le nombre souhaité, les autres

candidatures reçues et satis-faisant au seuil de passagepourraient être conservées etconsidérées à nouveau pourla période suivante.

Après avoir failli un cer-tain nombre de fois à sequalifier parmi lesmeilleures candidaturesexaminées au cours d’une

période, les dossiers seraient rejetés etles candidats avisés en conséquence.Rien ne les empêcherait toutefois detenter à nouveau leur chance s’ils ledésirent. En outre, lors de chaque exa-men périodique des candidatures, cesont les modalités en vigueur à cemoment-là qui présideraient à l’évalua-tion, et non celles en vigueur lors dudépôt des demandes. Pour chaque pé-riode, un nombre précis de candida-tures ne correspondant à aucundomaine de formation privilégié feraitégalement l’objet d’une sélection. Cesdossiers seraient évalués de manièreidentique à ce qu’on vient de décrire,c’est-à-dire seuls les candidats ayantobtenu les meilleurs résultats seraientretenus, jusqu’à concurrence du nom-bre fixé pour la période.

C ette méthode aurait notammentcomme avantage de réduire con-

sidérablement les délais entre leschangements de normes dictés par laconjoncture, le traitement effectif descandidatures et l’arrivée au pays desimmigrants sélectionnés. Une sélec-tion ainsi arrimée de plus près aux con-ditions récentes du marché du travailet ne retenant que les candidatsprésentant les meilleurs profils devraitse traduire par une intégration plusréussie et plus rapide.

Gérard Pinsonneault

Au lieu de s’apparenter aux modalités en vigueur pour lespermis de conduire, on pourrait plutôt s’inspirer de la pratiquedes établissements d’enseignement supérieur en ce qui a traità l’attribution des places dans les programmes contingentés :seuls les meilleurs candidats, jusqu’à concurrence d’un nombreprédéterminé, sont acceptés, même si un bien plus grandnombre ont pu satisfaire aux normes minimales.

Page 6: POUR UNE MEILLEURE GESTION DE …irpp.org/wp-content/uploads/assets/po/immigration-jobs...JULY-AUGUST 2010 23 mentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour

POLICY OPTIONSJULY-AUGUST 2010

27

Le nombre de dossiers en souffrancedevrait également, grâce à un tel sys-tème, diminuer, sinon disparaître. Quantà l’influence de certains consultants surl’offre d’immigration, en raison du sys-tème de sélection de type « permis deconduire » qui garantit à tous les candi-dats répondant à un certain profil d’êtreacceptés, elle s’en trouverait réduite.

Présentement, grâce aux développe-ments des technologies de l’informa-tion, un tel système est parfaitementenvisageable et financièrement réaliste.Il permettrait l’instauration d’une cen-tralisation mondiale de la gestion descandidatures qui garantirait, bien mieuxque les objectifs territoriaux actuels,l’universalité et la non-discriminationde la sélection. Précisons ici que la pra-tique actuelle, décrite dans les plansannuels d’immigration, de répartir lesobjectifs d’admissions selon les conti-nents de dernière résidence ne peutqu’être vexatoire pour les candidatsvivant dans les pays où l’offre est trèsgrande, tout en n’étant ni productive, niefficace, ni, bien sûr, équitable.

Dans un premier temps, les vo-lumes totaux d’admissions s’en trou-veront peut-être réduits. À termecependant, la fluidité, la rapidité et l’ef-ficacité d’un tel système pourra raviverl’intérêt de personnes très qualifiées etamener un plus grand nombre d’entreelles à se porter candidats, alors que leslenteurs du système actuel sont davan-tage susceptibles de les faire fuir. Celapourra compenser la réduction dunombre des candidats qui ne satisfontbien souvent que minimalement auxexigences de la grille de sélection.

L es modalités de la sélection desimmigrants d’une autre catégorie de

la composante économique pourraientégalement faire l’objet d’améliorations.Il s’agit des investisseurs passifs. Le pro-gramme québécois à l’intention de ces

immigrants bénéficie, depuis plusieursannées, de la faveur des élus, de certainséconomistes réputés et, bien sûr, descourtiers en valeurs mobilières. Le pro-gramme génère effectivement des fondspour le capital de risque, il contribue(modestement) à financer la dettepublique du Québec et permet même desubventionner certaines mesures de sou-

tien à l’intégration économique desimmigrants des autres catégories.

Si l’on a souvent vanté ses avan-tages, rarement s’est-on interrogé surd’autres aspects de ce programme qui,lorsqu’on y regarde de plus près, sontpréoccupants. Citons en quelques-uns :l La grille de sélection applicable à

cette catégorie est peu exigeante, et ilen résulte que, comparativement auxtravailleurs qualifiés, ces immigrantssont peu scolarisés. En 2009, moinsdu quart des requérants principauxde cette catégorie avaient complété17 années ou plus de scolarité, contreprès de 54 p. 100 chez le deuxièmegroupe. Ils étaient aussi plus âgés.Toujours chez les requérants princi-paux, 72 p. 100 d’entre eux avaient45 ans ou plus, au regard de moins de5 p. 100 chez les travailleurs qualifiés.Ils étaient enfin peu nombreux àconnaître le français : moins de16 p. 100 contre plus de 93 p. 100.

l Très souvent, l’investissement qu’ilsfont est constitué d’argent empruntéà des institutions financières québé-coises. Le seul apport net de ces immi-grants investisseurs vient des intérêtsqu’ils doivent verser à ces institutionspendant quelques années.

l Un très faible pourcentage d’entreeux s’installent au Québec àdemeure, à peine plus de 11 p. 100selon les données du Ministère lui-même. Leur apport effectif à l’en-trepreneurship québécois est doncassez marginal.

l Les enfants qui accompagnent les

immigrants investisseurs sont plusnombreux et surtout plus âgés queceux des travailleurs qualifiés. En2009, les travailleurs ont amené aveceux en moyenne 0,5 enfant chacun,la plupart (81 p. 100) âgés de moins de15 ans, comparativement à 1,8 enfantpar investisseur, majoritairement(62 p. 100) âgés de 15 à 29 ans.

l La question de l’âge deces jeunes adultes serait sansimportance si elle n’impli-quait pas qu’ils pourrontétudier dans une universitédu Québec, vraisemblable-ment en anglais, au même

tarif que les résidants québécois — etce, même s’ils habitent ailleurs auCanada (grâce au certificat de sélec-tion du Québec qui leur a été délivré)— et qu’ils pourront, dans certainscas, être admissibles au Programmede prêts et bourses.

l L’âge des requérants principauxpose aussi problème. Admis aussitard dans la vie, ils contribuerontmoins longtemps à la fiscalité com-mune et pourront avoir besoin plusrapidement de services de santé.

T ous ces éléments militent en faveurd’une révision globale des modalités

de la sélection des immigrants d’aumoins deux catégories, soit les plusimportantes de la composanteéconomique : les travailleurs qualifiés etles investisseurs. Rappelons finalementque la sélection des immigrantséconomiques n’est pas un programme àvocation humanitaire, et il importe qu’ilsoit modulé essentiellement en fonctiondes intérêts de la société d’accueil, touten respectant les principes d’universalitéet de non-discrimination fondée sur lesorigines. Le premier et le plus importantdevoir de la société d’accueil envers lesimmigrants économiques, c’est de s’as-surer que ceux qui sont choisis ont lescaractéristiques qui puissent leur garantirles meilleures chances d’un établisse-ment réussi dans un délai raisonnable.

Gérard Pinsonneault est chercheur asso-cié à la Chaire en relations ethniques del’Université de Montréal.

Pour une meilleure gestion de l’immigration économique par le Québec

La sélection des immigrants économiques n’est pas unprogramme à vocation humanitaire, et il importe qu’il soitmodulé essentiellement en fonction des intérêts de la sociétéd’accueil, tout en respectant les principes d’universalité et denon-discrimination fondée sur les origines.