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PRATIQUE ET PRAXIS Article écrit par Éric WEIL Prise de vue Le terme de pratique (le mot praxis, courant en allemand, ne s'emploie en français que depuis peu) se rapporte d'abord à toute activité humaine et s'oppose à la théorie, alors considérée comme abstraite. Comme adjectif, il désigne ce qui est utile ou commode pour une action efficace et caractérise des hommes aussi bien que des procédés, des règlements, etc. Dans l'usage philosophique, la pratique se distingue de la contemplation tournée vers ce qui est éternel et immuable et n'est donc pas accessible à l'action humaine, qui s'exerce toujours sur un donné changeant et modifiable. Cependant, cette distinction n'est pas absolue. Étant donné que toute théorie est œuvre humaine et donc une forme d'action qui transforme un donné, celui-ci ne serait-il que l'homme pensant lui-même, un rapport s'établit dans lequel la pratique influe sur la théorie, de même que celle-ci agit sur celle-là. C'est dans le contexte d'une théorie globale qui unit les deux en les opposant (dialectique de l'action et de la théorie) qu'on emploie, surtout dans les écoles marxistes, le terme de praxis comme concept supérieur à une opposition inconditionnée, critiquée alors comme mécanique ; mais, même en l'absence de ce terme, le problème de leur action réciproque est omniprésent dans l'histoire de la pensée. I-La naissance du problème La pratique en tant que telle ne saurait faire problème avant qu'elle ne soit opposée à une théorie pure. L'idée d'une telle théorie, désintéressée parce que ne visant aucun but et aucune modification des conditions existantes, est d'origine grecque. Il n'est pas douteux que certaines connaissances en mathématique ou en astronomie, que nous dirions « théoriques », soient venues en Grèce, issues de Mésopotamie et d'Égypte ; mais ces vérités ne sortaient pas du domaine de l'intérêt pratique et technique et ne furent poursuivies que dans ces limites : les mathématiques servaient à la comptabilité administrative et à la construction des temples et des autels, l'astronomie rendait possibles des prédictions astrologiques ou révélait la volonté des dieux. C'est chez Platon que pratique et théorie se séparent et que leur rapport devient problématique. Après Parménide et les pythagoriciens, il se met à chercher ce qui, dans un monde en constant changement, demeure « lui-même », et est ainsi saisissable par la raison (ou logos, à l'origine parole, ce qui peut être dit sans échapper par sa fluidité au discours en grec à la fois ce qui s'offre à la vue et la vision même). La théorie (qu'il est préférable d'appeler, avec son nom grec, théôria, pour la distinguer de ce que nous comprenons sous « théorie » et qui se réfère à l'action et à l'activité) est pour Platon vision des Idées, c'est-à-dire des structures sensées à partir desquelles les phénomènes deviennent compréhensibles et peuvent ainsi être « sauvés », c'est-à-dire saisis en leur essence indestructible. Comme cependant cette théôria n'est pas immédiatement donnée à l'homme, il lui faut agir sur lui-même en vue d'une conversion qui le détourne du monde des affaires pratiques et de son agitation ; mais cette conversion se fait nécessairement dans ce même monde et c'est à lui que doit retourner celui qui a vu les originaux de ce qui ne se présente ici-bas que sous forme de copies imparfaites : par toute une partie de son être, l'homme appartient au monde sensible, et la vie pratique apparaît donc comme condition de la vie dans la théôria. Il faut alors que le monde dans lequel on s'affaire n'obstrue pas l'accès à la contemplation ; bien plus, il faut rendre plus facile cet accès au moyen d'un entraînement systématique qui, dans le sensible, montre au débutant le stable qui est objet d'un premier savoir (mathématique, proportions musicales) et le conduit ainsi vers les Idées. L'action véritable, celle qui, seule, vaut la peine, porte par conséquent sur l'ensemble de la vie des hommes dans la cité, qu'elle veut orienter par référence au cosmos des Idées : elle est morale et éducative. L'activité qui transforme le monde sensible en vue de buts sensibles détourne en revanche

Pratique Et Praxis

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PRATIQUE ET PRAXISArticle crit par ric WEILPrise de vueLe terme de pratique (le mot praxis, courant en allemand, ne s'emploie en franais que depuis peu) serapporte d'abord toute activit humaine et s'oppose la thorie, alors considre comme abstraite.Comme adjectif, il dsigne ce qui est utile ou commode pour une action efficace et caractrise des hommesaussi bien que des procds, des rglements, etc.Dans l'usage philosophique, la pratique se distingue de la contemplation tourne vers ce qui est ternelet immuable et n'est donc pas accessible l'action humaine, qui s'exerce toujours sur un donn changeantet modifiable.Cependant, cette distinction n'est pas absolue. tant donn que toute thorie est uvre humaine etdonc une forme d'action qui transforme un donn, celui-ci ne serait-il que l'homme pensant lui-mme, unrapport s'tablit dans lequel la pratique influe sur la thorie, de mme que celle-ci agit sur celle-l. C'estdans le contexte d'une thorie globale qui unit les deux en les opposant (dialectique de l'action et de lathorie) qu'on emploie, surtout dans les coles marxistes, le terme de praxis comme concept suprieur uneopposition inconditionne, critique alors comme mcanique; mais, mme en l'absence de ce terme, leproblme de leur action rciproque est omniprsent dans l'histoire de la pense.I-La naissance du problmeLa pratique en tant que telle ne saurait faire problme avant qu'elle ne soit oppose une thorie pure. L'ide d'une telle thorie, dsintresse parce que ne visant aucun but et aucune modification des conditions existantes, est d'origine grecque. Il n'est pas douteux que certaines connaissances en mathmatique ou en astronomie, que nous dirions thoriques, soient venues en Grce, issues de Msopotamie et d'gypte; mais ces vrits ne sortaient pas du domaine de l'intrt pratique et technique et ne furent poursuivies que dans ces limites: les mathmatiques servaient la comptabilit administrative et la construction des temples et des autels, l'astronomie rendait possibles des prdictions astrologiques ou rvlait la volont des dieux. C'est chez Platon que pratique et thorie se sparent et que leur rapport devient problmatique. Aprs Parmnide et les pythagoriciens, il se met chercher ce qui, dans un monde en constant changement, demeure lui-mme, et est ainsi saisissable par la raison (ou logos, l'origine parole, ce qui peut tre dit sans chapper par sa fluidit au discours en grec la fois ce qui s'offre la vue et la vision mme). La thorie (qu'il est prfrable d'appeler, avec son nom grec, thria, pour la distinguer de ce que nous comprenons sous thorie et qui se rfre l'action et l'activit) est pour Platon vision des Ides, c'est--dire des structures senses partir desquelles les phnomnes deviennent comprhensibles et peuvent ainsi tre sauvs, c'est--dire saisis en leur essence indestructible. Comme cependant cette thria n'est pas immdiatement donne l'homme, il lui faut agir sur lui-mme en vue d'une conversion qui le dtourne du monde des affaires pratiques et de son agitation; mais cette conversion se fait ncessairement dans ce mme monde et c'est lui que doit retourner celui qui a vu les originaux de ce qui ne se prsente ici-bas que sous forme de copies imparfaites: par toute une partie de son tre, l'homme appartient au monde sensible, et la vie pratique apparat donc comme condition de la vie dans la thria. Il faut alors que le monde dans lequel on s'affaire n'obstrue pas l'accs la contemplation; bien plus, il faut rendre plus facile cet accs au moyen d'un entranement systmatique qui, dans le sensible, montre au dbutant le stable qui est objet d'un premier savoir (mathmatique, proportions musicales) et le conduit ainsi vers les Ides. L'action vritable, celle qui, seule, vaut la peine, porte par consquent sur l'ensemble de la vie des hommes dans la cit, qu'elle veut orienter par rfrence au cosmos des Ides: elle est morale et ducative. L'activit qui transforme le monde sensible en vue de buts sensibles dtourne en revanchel'homme de son but vritable, parce qu'elle se tient dans l'univers des copies, des simulacres, leddoublant mme et en aggravant les dfauts, puisque ce qu'elle produit n'est que copie artificielle de copienaturelle, doublement distant de ce qui est en vrit.Platon n'oublie pas pour autant que l'homme, ou plutt une partie de l'humanit, doit travailler pourproduire ce qui est ncessaire une vie civilise. Mais ce n'est qu'Aristote qui fait en toute clart ladistinction tripartite qui, souvent mutile et en partie oublie, dominera toute l'histoire du problme. la viedans la thria, qui reste pour lui la vie parfaite, il joint une vie pratique, c'est--dire politico-morale de styleplatonicien, et une vie potique, vie de fabrication, de production matrielle, de travail. Pour lui, commepour tout Grec, cette dernire forme d'existence est indigne de l'homme parfait, pleinement homme; letravail productif est celui de ces instruments vivants, de ces animaux pieds d'homme que sont lesesclaves, voire celui des animaux (et Aristote voudrait le laisser, si c'tait possible, des machines). Maisnon seulement Aristote, comme Platon, admet la ncessit du travail et de la technique, mais encore ilattribue l'art de l'artisan un rle dcisif dans la constitution de la connaissance thorique de la nature. Celuiqui forme un objet prend ncessairement appui sur la nature qui lui fournit aussi bien l'ide d'un lit, en luiprsentant le modle parfaire sous les espces de la couche, que le matriau; bien plus, en travaillant,nous ne faisons qu'imiter des processus naturels, ce qui signifie que c'est en travaillant, par notre pratiquetechnique, que nous comprenons comment la nature agit: la nature est bien le fondement rel de tout art,mais l'art est le fondement de toute connaissance prcise de la nature. Une science positive des chosesnaturelles, en particulier du vivant, devient ainsi possible, science d'observation, de comparaison, d'analyse,une cintique du squelette, une anatomie compare, une sociologie, etc. Il est vrai que ces connaissances,aux yeux d'Aristote, n'ont pas droit au titre de thria, sauf dans la mesure o elles rvlent du permanentdans le prissable, et que, pour autant qu'elles visent des rsultats pratiques, elles ne sont que destechniques; il n'en reste pas moins que le concept moderne d'une thorie utilisable et utile y est plus queprfigur. Toute science vraie demeure, comme pour Platon, savoir de ce qui ne change pas; maisl'immuable doit tre dcouvert dans la ralit sensible, et il n'y a plus d'Ides transcendantes qui pourraienttre contemples elles-mmes en elles-mmes.Si la vie de l'homme n'est pas dtourne du chemin de sa perfection naturelle (correspondant la naturede l'homme, qui se distingue de l'animal par la raison et l'intellect), elle ne se passe cependant pas dans letravail, mais sur le plan politico-moral, celui du vrai savoir, de la thria, tant rserv au petit nombre: pourla majorit, l'action politique (praxis), action du citoyen qui participe aux affaires de sa communaut, est lechamp d'activit.II-Vie active et vie contemplativeL'attitude normale est ainsi de l'ordre de la morale et de la politique. Avec la disparition del'autonomie de la cit, consquence de l'apparition des empires, elle changera; l'individu ne pourra plusvritablement influer sur des dcisions qui, dornavant, dpendent d'autorits tout autres que celles de sacit. Le rsultat n'est cependant pas une valuation positive de la technique et du travail; au contraire, lerefus du besoin, comme chez les stociens, qui veulent librer l'homme de tout dsir autre que de perfectionphilosophique, ou chez picure qui attend d'un repli sur la nature la libration de tout souci et de toute peur,ou enfin chez les no-platoniciens qui veulent retourner une flicit dans la pure contemplation, estl'attitude dominante parmi les penseurs d'une poque qui ne peut plus chercher que des consolations dansune vie qui ne connat ni indpendance ni scurit. Le travail est du domaine de la ncessit, il n'a aucunedignit et n'en procure non plus aucun bonheur, vu qu'il est source de souci mme quand il est couronn deces succs mprisables qu'il apporte dans le meilleur des cas, savoir l'enrichissement et la jouissance desfaux biens matriels et sensibles. Ne restent que la thria et l'action morale de l'individu isol en lui-mme.Lorsque le christianisme devient une religion d'tat et la religion la plus rpandue dans le monde mditerranen, le rle du travail et de l'activit matrielle change de nouveau, et cela sous deux aspects: le travail manuel est d'institution divine, mais au titre de punition; la thria, la vue et la saisie de ce qui est vraiment, est refuse l'homme ici-bas, mais il peut (et doit) viser une visio beatifica, promise aux lus dansl'au-del: l'existence dans ce monde et selon les rgles de ce monde est peine et travail. La praxis paennedu citoyen n'est pas seulement devenue impossible sous les conditions de l'Empire (et, plus tard, de laviolence fodale), elle est dvalue puisque ses problmes ne concernent que les hommes concupiscentset leur gouvernement , ncessaire, voulue par Dieu, mais comme pis aller. la vita activa s'oppose, sansmdiation, la vita contemplativa de celui qui s'abandonne, renonant aux biens de ce monde, la recherchede Dieu et de sa propre sanctification au moyen de la prire, de la retraite, des privations et des souffrances,librement assumes pour l'amour de Dieu.La vie pratique joue ainsi un rle ambigu. Elle est ne d'une punition divine, mais qu'il faut accepter:c'est une existence infrieure, mais dans laquelle on peut faire son salut, condition qu'on y observe lesrgles de la morale, qu'on soit obissant l'gard de l'enseignement de l'glise et soumette sa proprevolont celle des reprsentants de Dieu, qu'on montre une juste estime des biens de ce monde en lesmettant la disposition du pouvoir spirituel. Dans le meilleur des cas, qui est rare puisque le monde esttentation, ce n'est toujours qu'un moindre bien, pour ne pas dire un moindre mal, en comparaison d'une viepasse dans la prire et la contemplation ou au service de l'glise.La ralit ne se conforme cet enseignement que trs partiellement. La proportion du produit social quiva l'glise et ses institutions est sans doute considrable, due au sentiment rpandu de la propreindignit ou de la propre insuffisance de l'homme. On observe des crises sociales d'inspiration religieusedans lesquelles s'expriment de tels sentiments, auxquels on rpond par de nouveaux rites et de nouvellesorganisations (confrries de pnitents, flagellants); les mouvements guerriers (croisades) contre leshrtiques ou contre les infidles sont souvent intresss en ce qui concerne certains chefs, bien que lamasse y fasse preuve d'un zle rel et sincre. Mais la vie active, au nouveau sens, celle qu'Aristote auraitdsigne comme vie potique (vie de travail, de production, de commerce), non seulement garde ses droits(comme en ralit elle l'a fait toutes les poques), mais elle gagne en intensit. Le monde du Moyen gedoit produire sa subsistance, il ne peut plus, comme l'Empire romain, la tirer de l'exploitation de peuplessoumis et de nouvelles conqutes. Pour la mme raison, si l'esclavage existe toujours, sous la forme antiquecomme sous celle du servage, la main-d'uvre se fait rare. Aussi ces sicles, souvent considrs, et nonsans raison, comme barbares, voient-ils clore une technique nouvelle, ne de la ncessit d'employer aumieux les forces disponibles (attelage rationnel du cheval, gouvernail) ou d'en domestiquer d'autres quel'Antiquit avait connues, mais qu'elle n'avait pas mises au service des hommes, celles de la nature nonvivante (machines eau et vent). On peut regarder comme significatif que les mmes sicles conoivent,en rvant de solutions magiques, des rsultats que notre poque a fini par obtenir en partant des premiresralisations du Moyen ge.Il n'est que naturel que l'enrichissement qui rsulte de cette rvolution technique et conomique ait conduit une rvaluation de la vie active, d'abord non dans les ides explicites, mais dans les attitudes vcues. L'homme s'installe dans ce monde; s'il reconnat Dieu un droit de souverainet, il commence de douter des prrogatives juridiques et conomiques de ses reprsentants sur terre, bientt regardes comme anti-conomiques. Ds les XIIIe et XIVesicles, on dclame contre les moines fainants, le clerg rapace, la papaut qui suce la moelle des peuples laborieux. Au dbut des temps modernes, on assiste une rhabilitation trs consciente de la vie productive, laborieuse: le mouvement de la Rformation du XVIesicle, qu'avaient prcd de nombreuses tentatives vite rprimes, puise maintenant sa force dans la bourgeoisie des villes commerantes et industrielles et dclenche des rvoltes paysannes contre les nobles et les hommes d'glise fainants. Certes, l'homme doit faire son salut, la rgle fondamentale de toute morale chrtienne subsiste, mais il doit le faire en travaillant et en sanctifiant le monde par son travail. Ce qui le sauvera est bien la foi, mais cette foi doit tre vivante et se prouver, s'prouver, dans les uvres qu'elle produit, non les bonnes uvres des jenes, des plerinages, des fondations pieuses; c'est la probit dans les relations humaines qui compte, le devoir accompli la place que Dieu a attribue chacun. Bientt, avec le calvinisme tardif en particulier, le succs dans le monde sera la preuve de l'lection: Dieu a promis qu'il bnira l'uvre des mains de ses fidles. Descartes, restant fidle la religion de sa nourrice, consacre son uvre l'entreprise visant faire de l'homme le matre et possesseur de la nature, et Bacon veut dtourner ses contemporains des vieilles spculations oiseuses en leur proposant une science pratique, faite d'observations utiles. La Rvlation n'est pas (encore) nie, mais elle est neutralise; la foi devient l'affaire de l'individu dans le secret de son cur et de sa vie prive: le livre de la Grce peut et doit tre tudi, maissa lecture est difficile au point de ne conduire aucun rsultat certain et d'ouvrir les portes toutes sortesd'interprtations enthousiastes, tandis que le livre de la Nature se prsente grand ouvert et tel que tous ceuxqui veulent le lire le liront tous de la mme faon, leur accord pouvant tre l'aboutissement de longuesdiscussions, mais qui ont leurs rgles universellement reconnues et appliques. L'homme est travailleurencore quand il s'adonne la science thorique: c'est la pratique de l'exprimentateur et del'observateur qui dcide en dernier ressort. Le croyant qui fait de la physique peut toujours, tel Newton,essayer de dchiffrer les secrets messages de la Bible, voire esprer une illumination personnelle parl'Esprit; en tant que physicien, il ne connat que la pratique de son travail intellectuel et manuel, poursuiviselon une mthode impose par la nature, et s'il est l'inventeur d'une nouvelle vrit, c'est qu'il estsimplement celui qui, le premier, a trouv ce que n'importe qui aurait pu dduire des observations sansl'aide d'une grce et d'une lumire surnaturelles.III-Thorie et pratique dans la science moderne: latechnique rationnelleLe concept de thorie change de signification avec l'apparition de la nouvelle science. L'intentionplatonico-aristotlicienne demeure, mais seulement en ce qu'elle a de plus profond, la volont de dceler lepermanent dans le changeant, de rduire le flux des sensations et des observations immdiates quelquechose d'immuable qui le sous-tend et le rend ainsi saisissable et comprhensible. La mise en uvre du projetn'en est pas moins radicalement diffrente: il ne s'agit plus de dcouvrir des objets stables, des ides ou desformes, mais des relations observables et mesurables, c'est--dire mathmatisables et ainsi objectives,vrifiables par tous ceux qui en veulent prendre la peine. Pour l'esprit antique, toute intervention dans lecours des vnements naturels aurait fauss les donnes; pour la science moderne, seule l'intervention del'exprience mthodique, conue pour rpondre la question prcise que pose le physicien, peut donner lesrsultats cherchs. Il faut isoler les facteurs, afin qu'on puisse les distinguer, les mesurer, en vrifier lesrelations ou l'absence de relations, il faut dceler les constantes caches; en un mot, il faut surprendre lanature en la soumettant un examen conduit systmatiquement, pour arriver une srie continue (noninterrompue par des lacunes) de lois, c'est--dire des fonctions mathmatiques cohrentes entre elles etdont la valeur analytico-descriptive peut tre prouve par l'observation de processus que le physicienprovoque et arrange cette fin.Ainsi nat une pratique scientifique trs diffrente de la simple collection de faits qui avait caractris lascience naturelle de l'Antiquit. Il faut des instruments de prcision, des montres, des tlescopes, desmicroscopes, sans lesquels l'analyse et l'exprience seraient impossibles, et ces outils de la recherchedoivent tre fabriqus par l'homme de science ou des spcialistes qu'il instruit. La pratique fait partieintgrante, non de la thorie, mais de son progrs et agit autant sur elle qu'elle la sert: le laboratoire (delabor, travail!) est n. L'esprit exprimental se rpand de l: Bacon, quoique trs loin d'une physiquemathmatique, prne l'invention, non spculative mais utile, et il ne fait que prfigurer l'esprit nouveaud'une industrie qui se veut en progrs constant sur le plan de la technique.Les nouvelles machines, en particulier la machine vapeur, ne naissent pas, en effet, de la thorie: onen construit longtemps avant que les physiciens n'en aient fait la thorie mcanique et dynamique: lapratique prcde, la thorie suit; mais elle ne fait pas que suivre: en montrant comment le rsultat djatteint peut se comprendre scientifiquement, c'est--dire dans le langage analytico-mathmatique de laphysique, elle rend possibles des progrs auxquels la technique irrflchie de l'artisan et du constructeurpurement empiriques n'auraient pas pu parvenir, comme elle rend possibles, l'aide du calcul desconstantes des matriaux, des conomies de frais de construction de plus en plus grandes. Le calcul, renduconcrtement applicable par la pratique, s'empare de la technique non scientifique pour la transformer en lafaisant avancer par une prise de conscience des conditions de son progrs: le monde est devenu celui d'unepratique thorique, d'une thorie pratique, les deux indissolublement unies.Dans ce monde, une thorie pure, dsintresse en ce qui concerne ses rsultats pratiques, ne subsiste plus que sous la forme d'une science fondamentale, fondement de toutes les sciences particulires; c'estcelle de la mesure (mathmatique), jointe celle des conditions gnrales de la mesurabilit (physiquethorique), toutes deux aspects de la thorie gnrale de la mthode (mthodologie). Qu'une telle sciencepuisse offrir ceux qui s'y adonnent des joies purement intellectuelles, les joies de la thria, il n'y a pas lieud'en douter; ce n'en est pas moins un savoir, non d'objets ternels, mais de fonctions qui ne trouvent decontenu qu'en la spcification des valeurs que prennent ou peuvent prendre leurs variables. Un cosmosvisible et admirable en sa beaut sense a cd la place un autre, consistant en des formulesmathmatiques, nouveau cosmos qui n'est plus pour l'homme, mais dans lequel l'homme, s'il y trouveencore une place, ne la trouve qu'en tant qu'objet parmi d'autres et comme phnomne dtermin etscientifiquement dterminable.IV-Pratique technique et pratique moraleEn tant qu'il pense, c'est--dire parle de faon cohrente de ce qui est et le distingue de ce qui n'existequ'en apparence, l'homme ne se rduit cependant pas au rle d'objet. Il est galement, et surtout, celui quiagit dans la pratique de la science: tout ce domaine est proprement le sien, parce qu'il le constitue et ainsile connat en agissant.Le pragmatisme et le problme kantien du sensLe pragmatisme, au nom significatif, en tire les consquences: les spculations des mtaphysiciens, queceux-ci soient dogmatiques ou critiques, sont dnues de sens, tant donn qu'aucun prolongement concretn'est donn leurs thses, qu'on les accepte ou qu'on les nie; qu'il n'y ait qu'un monde ou qu'il y en aitplusieurs n'importe pratiquement personne, de mme qu'il est parfaitement indiffrent qu'une libert del'homme existe ou n'existe pas aussi longtemps que nous admettons que du nouveau, de l'inattenduapparat dans nos vies. Une thorie dsintresse, si une telle thorie n'tait pas un pur rve, serait sansintrt; seul ce qui influe sur notre faon d'agir compte pour nous, et seul ce que nous pouvons soumettre notre observation et notre exprimentation, notre praxis, est pour nous vrai ou faux; le reste est dnude sens. La science est vritablement science agissante, et l'action, l'aide de cette science, la parfait, et separfait, en un progrs de notre savoir et de notre puissance, auquel aucun terme ne peut tre assign etdont l'ide suffit nous orienter dans notre pratique.Un sicle avant les dbuts du pragmatisme, Kant avait pos prcisment la question du rapport entre lathorie pratique et l'orientation de l'homme. Selon lui, deux familles de thories se distinguent sur le plan dela science: une premire, assez proche de ce que le pragmatisme entend sous le terme de thorie, forme unsystme de rgles gnrales dont l'application dpend de circonstances que la thorie carte et qui servlent seulement dans l'excution, dans la pratique, de telle faon que le praticien, tout en profitant desefforts du thoricien, reste suprieur celui-ci jusqu' ce que la thorie ait rattrap la pratique; une secondefamille est forme par des sciences fondamentales dont celles du premier groupe ne sont que desapplications qui doivent tre comprises (par une logique transcendantale) dans leur possibilit,c'est--dire dans leur prtention de donner une connaissance apodictique d'une ralit qui, au premierabord, se prsente comme indpendante de l'esprit qui la saisit. Or une thorie d'une nature tout autres'oppose aux deux: elle se propose de formuler et de rsoudre le problme des fins. Aussi bien avec lapremire qu'avec la seconde espce de thories, il s'agit, en effet, d'entreprises humaines, et, sous cetangle, aucune diffrence ne distingue la thorie du praticien de celle du thoricien des sciencesfondamentales: lui aussi a choisi une fin lui et aurait pu tout aussi bien se tourner vers d'autres buts. Untel choix est-il arbitraire ou justifi? En gnral, un choix peut-il tre justifi? comment? par qui?Certainement pas par la thorie scientifique, qui ne connat que des relations de faits et ne saurait distinguerle prfrable de ce qui ne l'est pas.La question ainsi pose est celle du sens, celle-l mme que le pragmatisme, confiant dans la marche du monde et de son progrs, ne sent pas le besoin de poser et laquelle, plus forte raison, il ne rpond pas: nous poursuivons toujours certains buts, mais ces buts mritent-ils d'tre poursuivis? La rponse ne peutpas venir de la pratique observe ou observable, puisque celle-ci ne montre les choix que comme des faits,c'est--dire sans rfrence cette justification qui est ici demande: de ce qu'un homme agit d'une certainefaon, il ne dcoule nullement qu'il doive ou ne doive pas agir ainsi. Une autre thorie, une autre pratique sedessinent, une thorie de ce qui doit tre ralis par les hommes, une pratique qui n'influe en rien sur lathorie, mais ne sera que la ralisation d'un but fix par cette thorie contre laquelle aucune invocation del'exprience psychologique ou historique ne saurait prvaloir. La plus ordinaire observation montre que lamorale, la volont de l'universel, de l'humanit de l'homme, d'une vie de libert responsable ne rgne pas ence monde; cela ne prouve d'aucune manire que la morale ne doive pas dominer. Il y a une thorie vraie dela vie pratique, d'une pratique qui reprend son sens antique de dcision l'action, l'action sense.Ce que Kant nonce (et annonce) ainsi n'est pas seulement un principe pour la direction de la vie moralede l'individu. Disciple reconnaissant de Rousseau, il admet que la vie de l'individu, si elle doit avoir sens etdignit, ne peut les trouver que dans une pratique de la vie tout entire et ne saurait donc consister dans leseul progrs des connaissances scientifiques, des techniques, de l'organisation sociale: la vie trouve sonsens dans une attitude de libre dtermination selon la raison et la raison. Mais Kant ne suit plus Rousseauquand celui-ci ou bien spare l'individu de la socit prsente, dfinitivement pourrie, ou bien n'oppose l'tat de choses prsent qu'un idal de communaut que lui-mme dclare irralisable. Il est vrai que lacivilisation, comme le dclare Rousseau, apporte l'humanit des souffrances que l'tat de nature ignorait;aux yeux de Kant, l'histoire n'est pourtant pas simple dchance, au contraire: en son volution morale,l'homme commence par le mal, il va vers le bien, et prcisment l'poque prsente, celle de la Rvolutionfranaise, montre que l'humanit, conduite jusqu'ici par une nature qui voulait le dveloppement desfacults de l'espce, est parvenue au point o elle peut prendre en main son avenir et se dterminer unemarche consciente vers la ralisation d'un monde moral. La thorie morale, loin d'tre pure thorie d'unepratique exige, devient pratique en faisant agir les hommes. Le royaume des fins, but absolu de lapratique humaine, ce royaume dans lequel le bonheur sera proportionn au mrite moral, ne sera jamais leroyaume de ce monde; mais c'est en ce monde, en l'histoire pratique, qu'il doit tre cherch, et c'est l qu'ilsera ralis dans toute la mesure o la nature finie et indigente de l'homme permet son avnement, dans unprogrs qui, tout en n'aboutissant jamais, n'en est pas moins progrs de l'humanit.La pratique morale devient ainsi pratique historique, et son sujet n'est plus le seul individu, maisl'humanit. L'individu sera sans doute toujours ambilavent: violent en tant qu'animal indigent, raisonnablepar ce qui l'lve, du moins en puissance, au-dessus de ses dsirs vers ce qui, universel, fait de lui lereprsentant de l'humanit et le soumet, le fait se soumettre librement la loi fondamentale qui exige quel'inspiration de ses actes puisse tre celle de tout tre raisonnable. Mais il n'accdera cette conscience dela morale, qui est en mme temps conscience morale, que dans une communaut qui est dj informe parcette universalit extrieure qui a nom loi. Ce qui reste faire, c'est que cette loi positive devienneelle-mme raisonnable, qu'elle guide les hommes d'action, les princes, les gouvernements, vers le but d'uneunit du genre humain telle que tous les rapports entre individus et tats soient devenus clairs pour tousceux qui veulent les penser, o la ruse, le mensonge, la violence, l'oppression aient disparu. Une paixperptuelle installe, c'est--dire l'tablissement d'un tat mondial, pourrait signifier la pire des tyrannies,puisqu'un gouvernement mondial n'aurait plus craindre la dfection des citoyens et l'interventiontrangre: c'est nanmoins l'ide d'une telle paix qui seule peut lgitimer l'action politique en lui prescrivantdes mthodes qui, si elles ne peuvent pas conduire l'individu une vie pleinement morale parce qu'elles luisont imposes, du moins ne rendent pas sa moralisation humainement impossible.De la conscience historique la praxis marxisteLe discours du philosophe agit en levant la conscience ce qui depuis toujours a t l'aspiration la plusprofonde des hommes, aspiration que la nature lui a implante et qui ainsi constitue sa vraie nature; trelibre, il peut sans doute toujours fausser cette nature mais, duqu par des lois justes et instruit par lephilosophe, il peut aussi toujours y retourner.C'est ce passage de l'exigence passionnelle, la conscience qui constitue pour Hegel, comme pour Kant, le principe de comprhensibilit de l'histoire et son moteur. Ce qui les spare, c'est le rle que Hegelreconnat au travail et la structure de la socit, d'une part, la passion, de l'autre: l'organisation (ou lemanque d'organisation) du processus du travail social et objectivement socialis constitue la base de l'actionpolitique, laquelle, il est vrai, n'est pas dtermine par l, mais y trouve les limites de ses possibilits.L'homme aspire, en effet, la libert et la dignit; en d'autres termes, il veut tre reconnu comme valeurabsolue par tous et, surtout, par les institutions; il veut que les exigences de la socit et de l'tat soientjustifies en raison de telle faon qu'il les puisse accueillir en sa conscience d'individu raisonnable. La moralethorique (la thorie morale) est donc vraie; mais sa vrit est abstraite, thorique: c'est dans lapratique de la vie historique, dans la politique concrte que le problme pos par la thorie sera, sinonrsolu, du moins trait par la socit, par les dcisions du gouvernement qui doivent limiter les risques de lalutte des intrts dans la socit, par les contacts entre gouvernants et gouverns, par la pratique de ceuxqui sont chargs, au nom de l'tat et comme reprsentants de l'intrt gnral, de l'administration desaffaires. Leur pratique, qui est de tous les jours, rvle les problmes concrets qui chaque jour se posentpratiquement.Le niveau o vivent les individus est celui des intrts: il faut en reconnatre aussi bien la lgitimit queles limites dans lesquelles ils sont lgitimes par rapport l'intrt commun. Il n'y a plus de place pour unsouverain bien, sinon sur le plan d'une religion qui n'a pas intervenir (comme glise) dans les affairesde l'tat et de la socit: l'homme, ce qu'on appelle l'homme tout court, est rel dans la socit, et ce n'estqu' travers celle-ci qu'il prend part la politique comme membre de ce corps social dont le gouvernementest l'me. La philosophie, en tout cas, ne saurait prescrire des recettes aux acteurs; elle peut comprendre cequi est, mme ce qui, dans ce qui est, est tension vers un avenir, c'est--dire refus du prsent. Mais cetavenir ne sera pas cr par la rflexion; il natra de la passion de la libert et de la dignit, non de leurconcept abstrait; et il sera l'uvre des penseurs pratiques, des praticiens pensant cette passion pour laservir en la rendant raisonnable et ainsi efficace. La philosophie arrive, tel l'oiseau de Minerve, la tombede la nuit; son apparition montre qu'une poque est devenue comprhensible, qu'elle a entirementdvelopp son principe et qu'elle est close; si son chant est par l aussi celui du coq qui annonce la leved'un nouveau jour, ce n'est pas elle qui en dtermine le cours. Ce qu'elle peut faire, c'est de permettre auxpraticiens responsables de penser, partir de son concept, de la structure qui la fait tre ce qu'elle est, leurpoque, avec ses contradictions, ses aspirations profondes, ses exigences senses ou aberrantes.C'est la passion qui forme le ressort de la thorie pratique (ou de la pratique thorique) de Marx. Hegel,lecteur des conomistes classiques, avait bien vu que, par une ncessit inhrente la forme de son travailet la distribution du pouvoir conomique, la socit bourgeoise produit une masse humaine qui,indispensable la marche du travail social, se voit prive de tous les avantages de cette socit, matrielsaussi bien que moraux, prive de ceux-ci parce que prive de ceux-l. La socit capitaliste se caractriseainsi par une contradiction intrieure qu'elle est incapable de surmonter. Marx part de cette analyse, maisrefuse de croire une solution qui recoure la raison des capitalistes ou des gouvernements. Il serait vaind'en appeler, comme l'avaient fait les socialistes utopiques, l'intelligence ou aux bons sentiments desdtenteurs du pouvoir conomique: une analyse scientifique du mcanisme social dmontre que les actionsdes joueurs ne dpendent pas d'eux, mais de conditions objectives et que l'volution sociale, travers lescrises de surproduction et de sous-emploi, conduit une proltarisation progressive en mme temps qu'une concentration toujours plus pousse du capital. Consquences d'une concurrence sans cesse plus pre,des crises conomiques provoqueront la catastrophe, ou plutt elles le feraient si le proltariat, le seulgroupe social qui n'en ait au-dessous de lui aucun autre qu'il pt vouloir exploiter, ne russissait pas prendre le pouvoir pour organiser rationnellement la production et la distribution. Il y parviendra sous laconduite d'un parti qui, parce qu'instruit par la nouvelle science de la socit, laborera en connaissance decause une stratgie et une tactique galement scientifiques.Cette science ne constitue pas une thorie en opposition une technique qui l'emploierait comme un savoir tabli une fois pour toutes: partir de son fondement, elle dterminera ce qui est facteur rel, et seulement effet et superstructure, dans la pratique de la lutte sociale, d'une lutte qui, chaque moment, se rfrera la science des lois gnrales de l'volution sociale. Lnine, de manire plus tranchante que Marx, insistera sur le rle des rvolutionnaires professionnels qui, agissant en pensant, pensant partir de l'action et des possibilits de la situation, incarnent cette conscience historique laquelle le proltariat, abandonn sa spontanit, ne parviendrait pas, laquelle cependant le parti rvolutionnaire le conduira, condition de ne pas perdre le contact avec les masses laborieuses. La praxis est la thorie en acte, la thorieest la conscience que l'action prend de sa nature et de sa situation historique. La thorie ne se contente pasde comprendre le monde, comme c'tait le cas de la philosophie de Hegel, elle veut le transformer, commeelle devait le faire aux yeux de Kant, avec cette diffrence que le sujet de l'action (action sur soi-mmecomme sur le monde) n'est plus l'individu moral ni l'espce, mais le groupe objectivement sans intrtparticulier et ainsi appel raliser l'universalit.Les discussions au sujet de la pratique et de la praxis sont assez droutantes parce que les fronts ne sontpas nettement tracs: quand on parle, par exemple, de l'opposition entre physique thorique, physiqueexprimentale et technique, l'accord se fait assez facilement, puisque tout le monde admet, du moinsimplicitement, une interprtation (d'inspiration kantienne) qui unit les lments pragmatiques des facteursthoriques et qui, en ce sens, est dialectique. Une analyse pousse pourrait montrer qu'il n'en est pasautrement en ce qui concerne l'interprtation de la pratique politique. Mais ici, une certaine confusion nat dufait que le caractre de science fondamentale auquel prtendent les thories d'inspiration marxiste estcontest par leurs critiques, tandis que le caractre scientifique de la physique est universellement reconnu,quoiqu'il soit diversement interprt. Aussi ces critiques voient-ils dans la thorie le simple camouflage d'unepolitique purement pragmatique, sans vritable lien avec cette prtendue science dont seuls les principespremiers, c'est--dire ses exigences humanitaires, pourraient tre vrais, mais d'une vrit philosophique, nonscientifique, et incapables par consquent de guider l'action positivement; eux-mmes laborent desprogrammes qui ne se rclament pas d'une science universelle et se fondent sur des valeurs qu'ilsconsidrent comme dernires (politique chrtienne, traditionaliste, etc.). La sociologie moderne, il est vrai,tend, elle aussi, vers une connaissance scientifique des faits sociaux, des facteurs, des relations dont laconnaissance peut tre utile, voire indispensable au succs de tout projet; mais, comme elle se veut neutreen liminant les valeurs, c'est--dire les directives, pour la praxis, elle abandonne (comme la physique, maisen oubliant que, en opposition celle-ci, elle a affaire aux hommes) ce qu'elle dcouvre aux praticiens,lesquels se situent d'ordinaire du ct du pragmatisme positiviste et poursuivent des buts appelsvidents.ric WEILBibliographie L.ALTHUSSER, Pour Marx, Maspero, Paris, 1965 F.CHTELET, Logos et praxis, C.D.U. et S.E.D.E.S. runis, Paris, 1962 J.HABERMAS, Thorie et pratique (Theorie und Praxis, 1963), trad. G.Raulet, Payot, Paris, 1975 G.W.F.HEGEL, Les Principes de la philosophie du droit (Grundlinien der Philosophie des Rechts, 1821), trad.A.Kahn, Gallimard, Paris,1940 W.JAMES, Le Pragmatisme (Pragmatism, 1907), trad. E. 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