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1 Jeudi 7 juin 2012 #1 « INADAPTÉS », ce pourrait être l’adjectif- manifeste d’une génération… Adhérer au monde sous le visage grimaçant qu’il arbore aujourd’hui n’a en effet rien d’attrayant. Paré de tous les attributs de la catastrophe et armé du bâton de la rigueur, il oblige à la retenue. Rien n’y fait, pas même le changement proclamé ici et là : crises, faillites, plans sociaux, dettes, restrictions, mises sous tutelles et autres cataclysmes, invitent à la dérobade. L’incroyable ampleur prise par le mouvement des indignés espagnols, les révoltes du monde arabe, l’impact croissant du collectif anonymous, la ténacité de l’actuel mouvement étudiant au Québec, ont incarné parmi d’autres ces derniers mois le refus de plier et de s’adapter d’une jeunesse clamant son désaccord. Loin des idéaux surannés des contes de fées (jeunesse, beauté, richesse) devenus les arguments modernes de la « branchitude », les jeunes metteurs en scène européens programmés cette année affichent aussi leur non-conformisme. Dans leurs spectacles, l’expérimentation de nouvelles formes, performatives, chorales, improvisées, documentaires, le choix récurrent de sujets d’actualité et de thématiques engagées, l’instauration de rapports plus directs avec le public, questionnent à la fois les normes théâtrales et l’état présent de la société. La faible représentation des textes du répertoire et l’importance du thème de la révolte en sont deux manifestations. Quatre seulement des neuf spectacles programmés s’appuient en effet sur des textes existants dont un roman contemporain de G. Y. Balci, ArabQueen. Les autres sont des classiques : deux nouvelles de Gogol et Kleist et une pièce de Schiller, seul texte de nature dramatique de cette édition. La distance prise avec le répertoire est d’autant plus frappante par ailleurs que tous ont été adaptés pour la scène. Cette réappropriation des textes rend compte de la nécessité partagée de ces artistes de personnaliser leurs approches, Réécritures, montages, ajouts de textes, improvisations sont venus bouleverser des œuvres elles-mêmes agitées par le thème de la révolte. Kohlhaas, paysan qui refuse l’injustice d’un pouvoir arbi- traire lui contestant ses biens, Poprichtchine petit prolétaire de la bureaucratie russe qui se rêve roi d’Espagne, les brigands de Schil- ler qui se mettent délibérément à la marge pour pouvoir agir sur le monde, incarnent tous une propension à se rêver autre. La fin du spectacle d’Amélie Énon, où un communiqué radiophonique annonce de nouvelles insur- rections, relativise l’échec apparent de ces différentes entreprises et invite à ne surtout pas se satisfaire de l’état actuel du monde. Thomas Pondevie l’œuvre devenant le terreau fictionnel d’interprétations subjectives. Christian Valerius, metteur en scène de Subjekt: Kohlhaas, n’a conservé qu’un tiers de la nouvelle de Kleist, resserrant la fable sur l’individu propriétaire. Il prend ainsi le contrepied des interprétations classiques érigeant Kohlhaas en figure idéale de la révolte. Pour Le Journal d’un fou, Tufan Imamutdinov a commencé à travailler à partir d’improvisations sur des répliques du texte de Gogol. Sa mise en scène a ensuite pris corps autour du thème de l’impuissance de son héros, Poprichtchine, et de sa quête d’altérité. Amélie Énon a souhaité réorienter Les Brigands de Schiller autour de la question du passage à l’acte de l’individu qui animait le collectif réuni autour d’elle à l’École du TNS. Son dramaturge Kevin Keiss, a ainsi réécrit de mémoire toutes les scènes choisies. E DITO In-adaptés ? © Connie Winter Page 2 - Regard... ... e vasif Kohlhaas : rebelle ou conservateur ? ...furtif Inadaptés ? ...perc , ant Le Journal d’un fou - « On est toujours autre » Page 3 - En coulisses... ...avec Christian Valerius et Tufan Imamutdinov ...jusqu’a demain Et la nuit sera calme - La paix est une feinte, la révolte le seul remède Page 4 - Hors sce ne Portrait Vincent Caspar, régisseur général Entretien Barbara Engelhardt : « Révoltés, Perspicaces & Imprévisibles » Pour prolonger le festival rendez-vous sur www.festivalpremieres.eu

Premières Nouvelles Journal du Festival Premières Strasbourg #1 Jeu 07/06/12

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Journal du festival Premières élaboré par les étudiants de l'université de Strasbourg.

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Page 1: Premières Nouvelles Journal du Festival Premières Strasbourg #1 Jeu 07/06/12

1

hors-sce ne

Jeudi 7 juin 2012

#1

« INADAPTÉS », ce pourrait être l’adjectif-

manifeste d’une génération… Adhérer au

monde sous le visage grimaçant qu’il arbore

aujourd’hui n’a en effet rien d’attrayant. Paré de

tous les attributs de la catastrophe et armé du

bâton de la rigueur, il oblige à la retenue. Rien n’y

fait, pas même le changement proclamé

ici et là : crises, faillites, plans sociaux,

dettes, restrictions, mises sous tutelles

et autres cataclysmes, invitent à la

dérobade. L’incroyable ampleur prise par

le mouvement des indignés espagnols,

les révoltes du monde arabe, l’impact

croissant du collectif anonymous, la

ténacité de l’actuel mouvement étudiant

au Québec, ont incarné parmi d’autres

ces derniers mois le refus de plier et de

s’adapter d’une jeunesse clamant son

désaccord.Loin des idéaux surannés des contes

de fées (jeunesse, beauté, richesse)

devenus les arguments modernes de la

« branchitude », les jeunes metteurs en

scène européens programmés cette année

affichent aussi leur non-conformisme.

Dans leurs spectacles, l’expérimentation

de nouvelles formes, performatives,

chorales, improvisées, documentaires,

le choix récurrent de sujets d’actualité et

de thématiques engagées, l’instauration

de rapports plus directs avec le public,

questionnent à la fois les normes théâtrales

et l’état présent de la société. La faible représentation des textes du

répertoire et l’importance du thème de la révolte

en sont deux manifestations. Quatre seulement

des neuf spectacles programmés s’appuient

en effet sur des textes existants dont un roman

contemporain de G. Y. Balci, ArabQueen. Les

autres sont des classiques  : deux nouvelles de

Gogol et Kleist et une pièce de Schiller, seul

texte de nature dramatique de cette édition. La

distance prise avec le répertoire est d’autant

plus frappante par ailleurs que tous ont été

adaptés pour la scène. Cette réappropriation des

textes rend compte de la nécessité partagée de

ces artistes de personnaliser leurs approches,

Réécritures, montages, ajouts

de textes, improvisations sont

venus bouleverser des œuvres elles-mêmes

agitées par le thème de la révolte. Kohlhaas,

paysan qui refuse l’injustice d’un pouvoir arbi-

traire lui contestant ses biens, Poprichtchine

petit prolétaire de la bureaucratie russe qui

se rêve roi d’Espagne, les brigands de Schil-

ler qui se mettent délibérément à la marge

pour pouvoir agir sur le monde, incarnent tous

une propension à se rêver autre. La fin du

spectacle d’Amélie Énon, où un communiqué

radiophonique annonce de nouvelles insur-

rections, relativise l’échec apparent de ces

différentes entreprises et invite à ne surtout

pas se satisfaire de l’état actuel du monde.

Thomas Pondevie

l’œuvre devenant le terreau fictionnel

d’interprétations subjectives.Christian Valerius, metteur en scène de Subjekt:

Kohlhaas, n’a conservé qu’un tiers de la nouvelle

de Kleist, resserrant la fable sur l’individu

propriétaire.

Il prend ainsi le contrepied des interprétations

classiques érigeant Kohlhaas en figure idéale

de la révolte. Pour Le Journal d’un fou, Tufan

Imamutdinov a commencé à travailler à partir

d’improvisations sur des répliques du texte de

Gogol. Sa mise en scène a ensuite pris corps

autour du thème de l’impuissance de son héros,

Poprichtchine, et de sa quête d’altérité. Amélie

Énon a souhaité réorienter Les Brigands de

Schiller autour de la question du passage à

l’acte de l’individu qui animait le collectif réuni

autour d’elle à l’École du TNS. Son dramaturge

Kevin Keiss, a ainsi réécrit de mémoire toutes les

scènes choisies.

E’ DITO

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Page 2 - Regard...

... e’vasif

Kohlhaas :

rebelle ou conservateur ?

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Le Journal d’un fou -

« On est toujours autre »

Page 3 - En coulisses...

...avec Christian Valerius

et Tufan Imamutdinov

...jusqu’a demain

Et la nuit sera calme -

La paix est une feinte, la révolte

le seul remède

Page 4 - Hors sce ne

Portrait

Vincent Caspar, régisseur général

Entretien

Barbara Engelhardt : « Révoltés,

Perspicaces & Imprévisibles »

Pour prolonger le festival rendez-vous surwww.festivalpremieres.eu

Page 2: Premières Nouvelles Journal du Festival Premières Strasbourg #1 Jeu 07/06/12

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Regard...

Le metteur en scène Christian Valerius et son équipe s’emparent de la nouvelle de Kleist, Michael Kohlhaas. Ils en proposent une lecture contemporaine à l’espace Grüber.

Auteur classique dont l’œuvre a été célébrée l’année dernière dans le cadre du Kleist-Jahr 2011, Heinrich von Kleist est un incontournable de la littérature allemande.C’est dans le contexte de cette célébration

qu’est né Subjekt: Kohlhaas. La rencontre d’un

auteur, d’un texte et surtout d’une équipe artistique. C.  Valerius, étudiant metteur en scène à la Zürcher Hochschule der Künste, a travaillé à cette occasion

en collaboration avec des étudiants de Hambourg.S’il s’agissait d’adapter la nouvelle Michael Kohlhaas pour la scène, il était également important pour eux de ne pas trahir l’esprit et la langue de Kleist –

langue qui influence également le jeu des acteurs. Partant du texte

original, ces derniers ont écrit eux-mêmes leurs répliques. D’autres sources ont ensuite été convoquées dans Subjekt: Kohlhaas  : Rainer Werner Fassbinder et Ernst Jünger, mais aussi des chansons pop contemporaines, la bande-son de la pièce empruntant notamment aux répertoires de Britney Spears et Peter Gabriel.Ces références diverses contribuent à ancrer le spectacle dans une temporalité abstraite. Si le metteur en scène s’approprie le texte de Kleist, il ne le transpose pas en revanche dans notre contemporanéité. Pour Christian Valerius, la temporalité ne joue pas un rôle primordial dans la pièce. Ainsi se construit une esthétique singulière. Les costumes néo-médiévaux, les coussins d’air constituant décor et accessoires, la projection d’images filmées en live sur scène créent par le

mélange d’époque et de modernité une certaine abstraction.Cette confrontation entre tradition et modernité est au cœur de Subjekt: Kohlhaas : Michael Kohlhaas, le personnage principal, mène une vie heureuse de vendeur de chevaux jusqu’à ce qu’un pouvoir arbitraire les lui retire. Cela le pousse dans une furie vengeresse contre ce système implacable. «  Kohlhaas est souvent catégorisé comme un rebelle  » dit Christian Valerius, «  mais en réalité la seule chose qui lui importe, ce sont ses chevaux. Il croit, avec une certaine prétention même, en un vieux système qu’il juge meilleur que l’actuel. » Dans la lecture de Christian Valerius, Kohlhaas n’est donc pas un représentant de la résistance contre l’autorité et le pouvoir mais un conservateur défendant ses intérêts. Ce qui intéresse la jeune troupe, c’est justement l’absence de pouvoir, l’impuissance qui en résulte. La spirale de la vengeance dans laquelle sombre Kohlhaas et cette colère furieuse qui le plonge dans une frénésie aveugle suffiront-elles seulement à lui faire obtenir justice ?Céline Hentz

« Jeunes », « Beaux », « Riches », les kakémonos

intriguent les passants. Les plus observateurs

auront fait le rapprochement avec les affiches

annonçant Premières.

La communication de cette édition, inspirée du

festival berlinois Reich und Berühmt – Riches

et célèbres – tranche avec les précédentes.

L’esthétique sportive jusque-là déclinée, trop

fortement liée à la compétition, était contraire

aux valeurs du festival. L’accent a été mis sur

les mots, sous une forme ludique et un mode

ironique.La distance humoristique est patente et le choix

des mots suscite la curiosité. Pourtant, au regard

des différents entretiens menés pour le journal,

le mot «  Riches  » résonne étrangement. À titre

d’exemple, Le Journal d’un fou a été financé sur

fonds propres et répété dans un entrepôt où la

température n’excédait pas les 7°C. Surtout,

cela nous semble ironiser mal à propos sur la

précarité des artistes, a fortiori lorsqu’ils sont

en début de parcours et qui, s’ils sont riches, ne

le sont que d’envies... Ces adjectifs, ainsi jetés

sur la voie publique, ne sonnent-ils pas comme

des coquilles vides là où le théâtre travaille

précisément sur le sens et la complexité des

choses ?La rédaction

Récemment diplômé de l’Université des Arts et du Théâtre de Moscou (GITIS), Tufan Imamutdinov s’est intéressé dans le cadre de ses études à l’une des plus célèbres nouvelles de Gogol, Le Journal d’un fou. Pour Premières, l’exercice d’école s’est étoffé.

Le Journal d’un fou est le récit à la première personne d’une tranche de la vie de Poprichtchine, un jeune fonctionnaire archétype du « petit homme » russe. Il conte dans son journal intime sa vie de « tailleur de plume  », sa quête de reconnaissance et d’identité, son amour impossible pour la fille de son supérieur hiérarchique. Pour fuir cette réalité qui ne lui ressemble pas, ce subalterne choisit de s’en créer une autre et revêt l’identité du roi d’Espagne. Par le biais d’hallucinations successives, l’extraordinaire fait progressivement irruption dans le récit. C’est impuissant et amusé que le lecteur assiste à son basculement dans la folie. Dans cette œuvre où le burlesque s’accorde avec la folie montante d’un homme solitaire, le travail de la

jeune compagnie russe s’est attaché à rendre compte d’une réalité qui se transforme. Tufan Imamutdinov a relégué la folie et la révolte du personnage au second plan pour s’intéresser plus précisément à son identité. «  Pour les grands hommes, nous confie-t-il, il n’existe pas de facteurs extérieurs, il faut aller au plus profond des choses et décortiquer le vrai fond d’un individu.  » Le jeune metteur en scène cherche ainsi à présenter la détermination et le changement de l’homme dans un monde où il faut trouver sa place et s’inventer une position. La folie n’est donc jamais traitée comme telle dans le spectacle. Tout ce que vit Propritchine est toujours

...furtif Inadaptés ?

...PERC, ANT« On est toujours autre »

...E’VASIFKohlhaas : rebelle ou conservateur ?

DR

Page 3: Premières Nouvelles Journal du Festival Premières Strasbourg #1 Jeu 07/06/12

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En coulisses...

Le recours aux textes du répertoire est rare

dans cette édition du Festival. Cette année,

seulement trois metteurs en scène se sont

inspirés d’œuvres classiques. Tous trois ont,

qui plus est, fait le choix de l’adaptation.

Quelles libertés ont-ils pris avec le texte

original ? Nous avons invité les metteurs en

scène Christian Valerius (Subjekt: Kohlhaas)

et Tufan Imamutdinov (Le Journal d’un fou) à

exprimer leurs points de vue.

L’un comme l’autre, les deux

artistes n’ont pas essayé, dans

leurs adaptations, d’illustrer

fidèlement les œuvres dont ils

s’inspirent. Ils s’engagent au

contraire personnellement dans

la transposition. Le metteur en

scène russe définit deux manières

considéré au contraire comme pouvant être réel. Le metteur en scène souligne ainsi l’existence d’une fissure entre le quotidien et la métaphysique. Se pose alors en creux, à travers cette nouvelle, la question de l’image que la société se fait de cha-cun de nous. Sommes-nous, comme Poprichtchine, cloi-sonnés par notre statut hiérar-chique, notre classe sociale  ? Pourquoi ne pourrions-nous pas être totalement autre  ? Notre identité se limite-t-elle à ce que les autres perçoivent de

nous ? À ce que la société impose ? Ironiquement, Tufan Imamutdinov se questionne sur sa propre identité : « Suis-je vraiment metteur en scène  ? Et suis-je vraiment Tufan  ?  », pour affirmer, comme un mot d’ordre : « On est toujours autre ». Louise Nauthonnier

... AVEC Christian Valerius et Tufan Imamutdinov

...JUSQU’A DEMAINLa paix est une

feinte, la révolte le seul remède

Ancienne élève du groupe 39 de l’école du TNS, la metteure en scène Amélie Énon présente Et la nuit sera calme, adaptation des Brigands de Schiller en salle Koltès. Au cœur de la forêt, à l’écart d’un monde où tout semble figé, une voix s’élève  : celle d’une jeunesse révoltée.

Nous pouvons affubler la jeunesse d’une multitude de qualificatifs. Celle que semble incarner Amélie Énon n’est en rien flegmatique. Pour traiter la question de la révolte qui l’agite, la metteure en scène a choisi de créer ses propres brigands. La question de l’adaptation s’est présentée à elle comme une évidence. Sans délaisser complètement l’écriture de Schiller, la réflexion engagée avec son équipe a engendré une actualisation du texte tout comme du thème. Cette démarche répond à un désir de s’ancrer de la façon la plus juste et la plus prégnante dans le présent.

Dans le travail amorcé, l’équipe dramaturgique a tenu à donner la parole aux personnages de la manière la plus paritaire possible. Il a donc fallu réécrire, voire créer de toutes pièces de nouveaux personnages, l’œuvre de Schiller ne comportant qu’un seul rôle féminin. Mais lorsqu’il s’agit de révolte, point de héros ni d’héroïnes. Le soulèvement est ici l’œuvre d’une communauté.La réécriture à laquelle s’est attaché le dramaturge Kévin Keiss puise sa source dans les improvisations des comédiens sur le plateau. Véritable work in progress, ce spectacle se veut le témoin, sinon le porte-voix, d’une jeunesse dont les attentes et les besoins sont débordants. Julie-Marie Duverger

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d’adapter un texte : se faire l’admirateur de l’auteur (il

s’agit alors d’une transcription du texte pour la scène)

ou tenter de s’en faire l’interlocuteur. Lui-même

adopte sans détours la dernière posture : « J’ai trouvé

un point d’accroche dans la nouvelle, la folie, et c’est

à partir de là que j’ai construit ma propre vision du

théâtre. Ce qui importe dans un spectacle, au-delà de

la narration, c’est le thème que le metteur en scène

essaie de développer. »C. Valerius s’accorde sur ce point, privilégiant dans

son adaptation le thème de l’impuissance d’un

individu face à l’arbitraire du pouvoir  : «  Pour moi,

Kohlhaas est un homme pédant mais aimable, et non

pas un rebelle comme on le présente souvent. Il reste

en fait très ancré dans l’ancien système contre lequel

il se bat peut-être mais sans essayer jamais de le

changer profondément ».Les deux metteurs en scène ont par ailleurs retravaillé

en profondeur les textes d’origine. Reprenant la trame

narrative initiale, les comédiens de Subjekt: Kohlhaas

ont ainsi composé eux-mêmes leurs textes au fil des

répétitions. C. Valerius y a ensuite intégré d’autres

extraits (correspondance de Kleist, textes de R.W.

Fassbinder) entrant en résonnance avec la nouvelle.

T. Imamutdinov a quant à lui adjoint à la nouvelle de

Gogol un texte de Lope de Vega, Le Maître à danser,

n’hésitant pas à couper, sélectionner et réagencer par

ailleurs Le Journal d’un fou. Malgré l’interventionnisme manifeste de ces

deux artistes, un certain respect de l’œuvre, une

«  justesse  », pointe pourtant. La conclusion de C.

Valerius en est l’illustration  : « Ce qui compte dans

une réécriture, c’est de garder l’esprit de l’œuvre et

de ne pas dire son contraire. Il faut être juste avec le

texte original et apporter ensuite quelque chose de

soi-même. »Anca Bilbie

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Page 4: Premières Nouvelles Journal du Festival Premières Strasbourg #1 Jeu 07/06/12

hors-sce ne

À l’occasion du festival Premières, Vincent

Caspar, régisseur général en charge des

décors du Maillon, s’occupe aujourd’hui du

montage du Journal d’un fou. Pour Premières

Nouvelles, il revient sur son parcours.

Après avoir débuté par un CAP d’ébéniste, Vincent

Caspar obtient un BTS fabrication industrielle du

meuble. Ayant toujours eu envie de faire du spectacle,

il organise de nombreux concerts où il apprend à

manier la lumière et le son. À trente-trois ans, il

découvre le monde du théâtre lors d’un stage de cinq

mois au TNS, où il travaille notamment sur un projet

de théâtre itinérant avec des étudiants de l’école. Il

débute ensuite comme machiniste intermittent dans

tout le Bas-Rhin, avant de devenir régisseur plateau

permanent au Maillon. Depuis maintenant plus de dix

ans, son travail consiste à étudier les fiches techniques

que les compagnies envoient au théâtre, à travailler sur

les plans des scénographies afin de pouvoir exposer

ses idées aux équipes. Il s’occupe du montage et

du démontage des décors. Cependant, le plateau

du Maillon, équipé d’un système de gril (cadre fixe

soutenant les projecteurs) et non de cintres (barres

métalliques autonomes), est différent de

celui de beaucoup de théâtres. Il faut donc

adapter sa manière de travailler en fonction

des changements que souhaite apporter le

metteur en scène à l’agencement, tant il

est difficile d’opérer des modifications une

fois les accroches mises en place.

Vincent Caspar s’est rendu compte, à

la réception de la fiche technique du

Journal d’un fou, que la création de Tufan

Imamutdinov avait été réalisée avec pour

seul décor les combles de son école.

Ainsi, les représentations au Maillon ont

nécessité la construction entière d’un

décor. Difficulté d’autant plus grande que le

théâtre est dépourvu d’atelier. Le régisseur général a

donc établi des croquis en fonction des contraintes

techniques – emploi de matériaux légers et solides

permettant aux acteurs de s’accrocher aux différents

éléments du dispositif – et budgétaires, puis estimé

la durée du temps de fabrication et le nombre de

techniciens requis – 150 heures de travail pour deux

intermittents.

Au final, cette installation qui offre

de nombreuses ouvertures aux comédiens grâce

aux découpes et aux surélèvements est posée au

milieu de la salle, telle une stèle, pratiquement

dépourvue de pendrillons. Amandine Chauvidan

et Alice Caboche

PORTRAITVincent Caspar

EntrEtiEn Barbara Engelhardt

Programme du jour : jeudi 7 juin 2012 TNS // 20h30 MAGNIFICAT (suivi d’un débat)

Maillon - Wacken // 22h15 LE JOURNAL D’UN FOU

Espace Grüber // 19h SUBJEKT: KOHLHAAS 20h30 THE END

Journal conçu et rédigé par les étudiants en Master Arts du Spectacle de l’Université de Strasbourg. En collaboration avec le TNS et Le-Maillon.

Anca Bilbie, Camille Burger, Alice Caboche, Amandine Chauvidan, Rhéa-Claire Pachocki, Julie Cordebar, Sophie Coudray, Julie-Marie Duverger, Morgane George, Céline Hentz, Jean-Baptiste Mattler, Ioana Musca, Arnaud Moschenross, Louise Nauthonnier, Marine Ormieres, Emmanuelle Schwartz, Raphaël Szöllösy, Fanny Soriano, Jérémie Valdenaire Coordination Quentin Bonnell, assisté de Thomas Pondevie Maquette Jacques Lombard Remerciements Thomas Flagel.

LE MAILLONThéâtre de Strasbourg+33 (0)3 88 27 61 81le-maillon.com

TNSThéâtre National de Strasbourg+33 (0)3 88 24 88 24tns.fr

… Tels sont les mots de Barbara Engelhardt

pour définir les spectacles de cette 7e édition.

Coresponsable de la programmation depuis

2005, aux côtés de B. Fleury et O. Chabrillange,

l’ancienne rédactrice en chef de Theater der Zeit et

directrice artistique du festival Fast Forward au Staatstheater

Braunschweig, nous livre ici ses impressions sur le festival.

Selon vous, qu’est-ce que Premières apporte

au champ théâtral ?Le cadre festivalier rend possible l’accueil de spectacles peu intégrables

dans une programmation de saison et propose ainsi une ouverture sur

la jeune création. Il s’agit de sortir des réseaux typiques, d’aller plus loin

dans la recherche et de permettre aux productions de trouver un public

dans un contexte festif. Une façon privilégiée pour les spectateurs de faire

de nouvelles expériences et de se forger une autre image de la scène

internationale. Premières est un espace de rencontre, une occasion rare,

pour ces metteurs en scènes prometteurs, de présenter et de comparer

des approches différentes dans un cadre chaleureux, sans rapport

de compétition entre eux. Ce festival est une plateforme qui offre la

possibilité à des compagnies européennes de se présenter à la fois aux

professionnels et au public français.

Comment situeriez-vous cette édition par rapport aux précédentes ?Les metteurs en scène invités les

années précédentes adoptaient le

point de vue d’individus tentant

de trouver leur place dans une

société hermétique et liberticide. Se sentant en marge, la recherche d’identité leur paraissait

primordiale. Cette année, plus préoccupés par les questions sociales et politiques, ils prennent

davantage de distance par rapport à leur horizon générationnel. Ils ouvrent désormais leurs

réflexions à des questions qui émanent de la société à laquelle ils appartiennent.

Il aura fallu deux années pour que cette 7e édition voie le jour. Dès

2013, un nouveau partenariat avec le Théâtre de Karlsruhe se met en

place. Comment l’avenir se profile ?

Le fait que l’édition 2011 ait été annulée fut une grande déception pour les compagnies. Elles

produisent des œuvres éphémères qui sont souvent des étapes dans leur parcours. Ainsi,

certains partenariats qui devaient avoir lieu l’an passé n’ont pas pu voir le jour dans le cadre

de cette édition. Seul ArabQueen a pu encore y prendre place. L’an prochain, ma mission

consistera à faire le lien entre la France et l’Allemagne. Cette association relève d’une vraie

envie d’échanger un savoir-faire. Il s’agit d’un travail d’élargissement régulier, sur le long

terme, une expérience inédite que nous nous apprêtons à vivre aussi bien à Karlsruhe qu’à

Strasbourg*. Julie-Marie Duverger, Fanny Soriano.

*Cette expérience sera évoquée dans le numéro de vendredi lors d’un entretien avec B. Fleury et détaillée

dimanche dans un autre avec J. Linders, directeur du théâtre de Karlsruhe.

PERSPICACES

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IMPRÉVISIBLES

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