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Premiers pas de la psychologie communautaire en France

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Page 1: Premiers pas de la psychologie communautaire en France

Pratiques psychologiques 15 (2009) 3–5

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Éditorial

Premiers pas de la psychologie communautaireen France

Community psychology in France : First steps

Pour faire face aux nouveaux dangers qui menacent la santé, de nouvelles formes d’actionsont nécessaires. Dans les années à venir, le défi consistera à mobiliser le potentiel dela promotion de la santé qui existe dans de nombreux secteurs de la société, dans lescommunautés locales et au sein des familles. Il faudra surmonter le cloisonnement tradition-nel existant à l’intérieur même des pouvoirs publics, entre organisations gouvernementaleset non gouvernementales, et entre secteur public et secteur privé. La coopération est indis-pensable, ce qui suppose la création de nouveaux partenariats pour la santé, sur un piedd’égalité, entre les différents secteurs, à tous les niveaux de la gestion des affaires publiques.

Déclaration de Jakarta pour la promotion de la santé au xxie siècle, OMS, 2001.

Le tournant de l’histoire de la psychologie ne se situe pas au début du xxe siècle et de sesthéories naissantes, mais plus probablement à la fin des années 1940, lorsqu’il fut nécessaire,après les désastres de la Seconde Guerre mondiale, de s’interroger sur le rôle et la place desprofessionnels de santé (et notamment de la santé mentale) dans la société.

En France s’amorcent alors les Trente Glorieuses et leur révolution sociale, économique etculturelle. L’avènement de l’État-providence et la poussée du communisme promeuvent un modede gestion politique fondé sur une solidarité garantie par l’État. Dans le champ de la santé, cettevolonté d’assistance gouvernée est concrétisée par la mise en place de la Sécurité sociale (1945)qui sera aussi la base des premières actions de santé publique. La culture consacre l’humanisme etla mutualité. C’est l’époque de Walden Two, que cite Camil Bouchard dans son introduction, maisaussi de 1984 (Orwell, 1949) ; celle de la philosophie existentialiste de Sartre (L’existentialismeest un humanisme, 1946), de la littérature et la musique de Vian, emblème de la culture militante,qui met en lumière les inégalités sociales frappant les communautés noires du Sud des États-Unis(J’irai cracher sur vos tombes, 1946). C’est l’apogée des musiques révolutionnaires, du jazz deDjango Reinhardt (qui ouvrira le premier festival francais de jazz, à Nice, en 1948), musiqueambassadrice des populations minoritaires et opprimées. C’est enfin le cinéma de Frank Capraqui, avec le personnage de George Bailey (interprété par James Stewart) dans La vie est belle(1946), crée la figure-type naïve de l’intervenant communautaire.

En 1952, Alfred Sauvy parle pour la première fois de « Tiers-Monde » et la reconnaissance desinégalités économiques et sociales, se limitant jusqu’alors aux frontières continentales, prend une

1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.prps.2008.07.001

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dimension internationale. Les enjeux de justice sociale s’intègrent dans une logique Nord–Sud etengagent avec eux la responsabilité des puissants face aux faibles.

Les années 1950 sont pour la psychologie une période caractérisée, d’une part, par des débatsthéoriques autour des pratiques cliniques (développement des approches behavioristes, systé-miques, des thérapies brèves. . .) et, d’autre part, par une réflexion naissante sur le rôle de lapsychiatrie dans la société. Ronald Laing en Angleterre, Franco Basaglia en Italie et Lucien Bon-nafé (et le « Groupe de Sèvres ») en France se font les porte-voix du courant désaliéniste, enrupture avec les modalités de prise en charge de l’époque. Ils initieront la désinstitutionalisationdes soins psychiatriques en Europe qui ne se concrétisera cependant que 20 ans plus tard.

Dans les années 1960–1970, les études épidémiologiques soulignent l’impact du milieu socialsur la santé et sur l’accès aux services sanitaires et sociaux. Les professionnels de terrain,uniquement formés aux techniques d’intervention cliniques et thérapeutiques, expriment leur pré-occupation et leur sentiment d’être dépourvus d’outils pour prendre en compte l’impact morbidede l’environnement dans leurs pratiques. Le mouvement communautaire naît ainsi en Amériquedu Nord, alors dépourvue de systèmes de santé de droit commun, pour combler cette distance.Sous l’impulsion de cliniciens désireux d’associer dans leur pratique leurs compétences cli-niques, leur analyse des phénomènes sociétaux et leurs préoccupations de citoyens, la psychologiecommunautaire voit le jour et prend son essor par la diffusion des travaux en langue anglaise (Mar-coux, Angélique et Culley). En Amérique latine, c’est la pression liée à des contextes politiquesextrêmes qui va promouvoir la libération des forces des psychologues dans la communauté,contraints de s’appuyer sur les ressources communautaires pour entreprendre des actions visantà restaurer le bien-être des individus. La psychologie communautaire s’y est ainsi développéeen dehors des sentiers universitaires, la contraignant aujourd’hui à s’engager davantage pour uneévaluation rigoureuse de ses pratiques (Martinez, Jaramillo, Santelices et Krause). En Europe, lessituations sont variées : les pays ayant connu des régimes dictatoriaux ont vu leurs ressources sedévelopper, à l’image de l’Amérique latine, au niveau communautaire. Dans d’autres pays, lesstructures de santé publique gérées par les États-providence vont repousser la naissance de cemouvement qui attendra la reconnaissance des limites des solutions politiques sur la santé descommunautés. On cherche alors à passer d’une démarche descendante, politique (top-down) àune démarche venant des communautés elles-mêmes (bottom-up), revendiquant leur droit à lacogestion des enjeux sanitaires les concernant (Dugravier, Legge et Milliex).

C’est donc dans des contextes très différents que se formalise peu à peu la psychologiecommunautaire en tant que discipline autonome. Cependant, les valeurs animant les professionnelssont semblables : la reconnaissance de la communauté comme lieu d’action et support des inter-ventions, la conception positive de la santé, la prise en compte des individus dans leur contexte,l’empowerment comme outil et objectif et l’intérêt porté sur les actions collaboratives avec lespopulations. Lorsque les professionnels s’engagent auprès des communautés, comme vecteurs dechangement social, on redonne à ces communautés le pouvoir de choisir et d’agir. En s’engageantpour la promotion d’une santé communautaire, les professionnels luttent contre la récupérationpolitique – par des stratégies de santé publique – des questions de santé, ne reposant alors passur la participation, la coconstruction ou l’expertise des « citoyens-usagers-acteurs » (Saïas). Lavolonté d’agir pour la promotion de la santé, en amont du curatif a permis à de nombreuses actionslocales de s’engager. On passe d’une logique de « prévention » à celle de « promotion de la santémentale », des individus et des communautés (Shankland, Saïas et Friboulet).

Aujourd’hui, en France, la psychologie communautaire trouve peu à peu sa place entredes interventions préventives locales, peu évaluées, et celles plus rigoureuses relevant de la« recherche–action participative », visant un équilibre complexe entre rigueur scientifique, inter-

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vention de terrain et participation des usagers et des citoyens (Greacen et Jouet). Enfin, denombreuses initiatives locales sont à relever, reposant sur la structure communautaire du sec-teur psychiatrique. La philosophie du secteur, initiée par les travaux du « Groupe de Sèvres » dansles années 1950 permet aujourd’hui à des cliniciens-chercheurs de développer, dans un cadreadapté, des actions de terrain (prévention, information, lutte contre la stigmatisation), en partena-riat avec les populations (Daumerie, Caria, Monchicourt et Vandeborre). L’enjeu des prochainesannées sera d’affirmer l’identité épistémologique de la psychologie communautaire, au carrefourde la psychologie sociale, de la clinique systémique et de l’action politique locale.

L’approche communautaire de la psychologie constitue un nouveau paradigme permettantd’appréhender l’individu dans son environnement, la communauté de manière écologique et lasociété de manière critique. Historiquement, les psychologues se sont attachés à la psychanalysepour s’émanciper du statut de professionnels délégués à l’évaluation des patients. Cet attachementa eu pour conséquence de consacrer la psychologie clinique (et thérapeutique) au centre du champde la santé mentale. La psychologie communautaire propose une appréhension différente desphénomènes psychosociaux, en passant de l’individu à la communauté, de la psychopathologieà la promotion de la santé mentale, du modèle médical au modèle participatif. Elle ne remet pasen cause l’importance du soin ou de la psychologie clinique, mais cherche à en limiter le champd’action.

En 2009 aura lieu, à Paris, le VIIe Congrès européen de psychologie communautaire. S’il est peucourant de voir un événement international en sciences humaines se tenir en France, il est insoliteque celui-ci concerne une discipline méconnue du public francais. Ce numéro spécial de PratiquesPsychologiques, premier ouvrage collectif en France sur la discipline, se veut une introductionaccessible et pragmatique aux valeurs et aux applications de la psychologie communautaire ; afinde permettre aux professionnels francophones investis auprès des communautés et des populationsvulnérables, précaires et « satellisées » par rapport aux systèmes traditionnels de santé, de sereconnaître dans de nouveaux modèles d’intervention et d’affirmer ainsi la légitimité de leurpratique et de leurs valeurs.

L’appel au développement de la psychologie communautaire en France est également un appelà l’aggiornamento de la discipline psychologique toute entière, parfois trop statique et souventretranchée sur des modèles et pratiques qui ne correspondent plus aux ressources exigées desnouvelles générations de praticiens. L’ouverture à d’autres champs d’intervention et l’engagementpour de nouveaux modes d’organisation sociale recèlent, au-delà des risques qu’ils comportent,de multiples sources d’enrichissement et de développement pour notre profession.

Thomas Saïas a,b,c

a CRPCC, LAUREPS, association francaise de psychologie communautaire,European Association of Community Psychology, université de Haute-Bretagne,

Rennes, Franceb École de psychologues praticiens, Lyon, France

c EPS Maison-Blanche, 3-5, rue Lespagnol, 75020 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected].

1er juin 2008